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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

ACCÈS INCERTAIN:
LES CONSÉQUENCES DES MESURES PRISES PAR LES ÉTATS-UNIS TOUCHANT LA SÉCURITÉ ET LE COMMERCE POUR LA POLITIQUE COMMERCIALE CANADIENNE
(Volume premier)


PARTIE 2 : MAINTIEN DES ÉCHANGES COMMERCIAUX CANADO-AMÉRICAINS

ASSURER LA LIBRE CIRCULATION DES PRODUITS ET DES SERVICES À LA FRONTIÈRE

Malgré les mesures positives adoptées pour rendre la frontière canado-américaine plus sûre et efficace du point de vue commercial, assurer la libre circulation des produits et services reste le défi numéro un des Canadiens. Le Comité est convaincu que la situation à la frontière doit être surveillée sans relâche, puisque les États-Unis poursuivent leur politique de repli sur soi et de renforcement de la sécurité, en mettant en œuvre des mesures plus rigoureuses pour assurer la sécurité de leur territoire. Comme plusieurs témoins l’ont rappelé aux membres du Comité, les États-Unis sont manifestement préoccupés par les questions de sécurité nationale, et les Américains considèrent – à tort – le Canada comme une des causes du problème et non comme un des éléments de la solution. Il n’en reste pas moins que leur préoccupation pour la sécurité est devenue notre problème.

Richard Harris, un ancien membre du Groupe consultatif de recherche sur la politique commerciale (économie)[1] de la Commission Macdonald qui avait recommandé de libéraliser le commerce avec les É.-U., a fourni au Comité une description éloquente des effets les plus dommageables du problème (ce qu’il a appelé, de son preuve aveu, son « scénario pessimiste »). Il a souligné que les augmentations des coûts de passage de la frontière doivent être considérées comme « un des problèmes économiques nationaux les plus importants de la présente décennie », étant donné qu’elles pourraient renverser les tendances économiques favorables des 15 dernières années.

D’après lui, le Canada s’efforce depuis 15 ans d’arriver à une frontière perméable dans une optique d’intégration des secteurs de la production manufacturière et des services de toute l’Amérique du Nord. Si les Américains appliquent des mesures de sécurité additionnelles à la frontière, il en résultera une augmentation substantielle des coûts de son passage pour les producteurs canadiens, et cette augmentation nécessitera plusieurs rajustements. Premièrement, M. Harris estime qu’une augmentation de 10 p. 100 des coûts de passage de la frontière entraînerait une baisse d’environ 25 p. 100 du volume des échanges commerciaux canado-américains et ferait chuter d’à peu près 10 p. 100 les prix des produits canadiens exportés. À long terme, les répercussions sur notre niveau de vie d’une telle perte d’accès au marché américain seraient considérables, puisque le Canada devrait chercher d’autres partenaires commerciaux (ou s’accommoder d’un coût beaucoup plus élevé de ses échanges avec les États-Unis).

Deuxièmement, M. Harris a souligné qu’une restructuration industrielle est inévitable, puisque l’existence de coûts plus élevés de passage de la frontière entraînera une réorganisation du type de livraison dans des délais serrés de produits de transformation, notamment manufacturière (avec des inventaires « juste à temps ») pour les entreprises situées à proximité de la frontière –, l’avantage naturel des emplacements au Canada et au Mexique aura été éliminé – ainsi qu’une transformation de l’économie nationale étant donné que le Canada serait poussé dans une économie d’échange de produits finis et devrait revenir à son modèle original d’établissement intégral d’un secteur manufacturier national. Les États-Unis pourraient toujours réorganiser leur production nationale pour approvisionner leur marché eux-mêmes, selon lui.

Troisièmement, les échanges commerciaux vont naturellement être détournés vers d’autres marchés comme l’Asie et l’Europe. Le Comité serait favorable à ce phénomène, mais les coûts d’une transformation en profondeur des habitudes traditionnelles d’échange Nord-Sud seraient très lourds à supporter pour les Canadiens.

Espérons que le « scénario pessimiste » de M. Harris ne se réalisera pas. Afin d’éviter tous ces effets potentiels, le Gouvernement du Canada doit constamment s’efforcer de convaincre les décideurs américains qu’il juge leurs problèmes de sécurité importants. Pour ce faire, le Comité espère non seulement que le Canada participera à la guerre contre le terrorisme, mais aussi qu’il sera protégé contre certaines mesures américaines de restriction du commerce qui sont liées à la sécurité.

Recommandation 1

Que le Gouvernement du Canada s’assure que les décideurs américains comprennent bien tout le sérieux qu’accorde le Canada aux questions de sécurité. Le gouvernement devrait lancer immédiatement une campagne dynamique pour informer ces décideurs américains de la coopération sans précédent entre nos deux pays dans le dossier de la sécurité de nos frontières et du fait que le Canada est un partenaire commercial sûr.

  

A.  Effets du 11 septembre

Les attentats terroristes qui ont frappé les États-Unis le 11 septembre 2001 ont eu d’importantes répercussions à court terme sur l’économie canadienne. Avant cette date, on postulait généralement que le passage de la frontière serait facile de sorte qu’on négligeait les possibilités d’améliorer la frontière, mais la situation a changé depuis. Face à un gouvernement des États-Unis manifestement résolu à protéger ses citoyens contre d’éventuelles menaces terroristes, on a craint au Canada que notre voisin du Sud n’érige ce qui équivaudrait à une barrière autour de ses frontières.

Une des premières répercussions tangibles des attentats du 11 septembre a été les retards aussi subits que prolongés pour franchir la frontière canado-américaine. Immédiatement après les attentats terroristes, les É.-U. ont fermé leurs aéroports, ports maritimes et postes frontaliers. Lorsque la frontière avec le Canada a été rouverte, voyageurs et marchandises ont été retardés parce que les deux pays, aux prises avec des problèmes de sécurité, les soumettaient à des contrôles approfondis. Ces inspections ont retardé de 12 à 18 heures[2] le passage des camions dans les jours qui ont suivi, et il a fallu des semaines avant que la situation revienne à la normale. Certaines entreprises largement tributaires de nos échanges commerciaux avec les États-Unis ont fermé temporairement leurs usines, avec les résultats qu’on pouvait prévoir pour l’emploi.

Le ralentissement du passage de la frontière ne fait pas que nuire à la productivité et augmenter le coût des activités commerciales dans les deux pays : ses effets affectent aussi les exportations et l’emploi. Cela vaut non seulement pour l’industrie manufacturière, mais aussi pour celles du tourisme et de l’accueil, qui souffrent de la réduction du nombre de voyageurs franchissant la frontière, en raison de leurs craintes d’y être retardés. L’important pourcentage des échanges canado-américains correspond aux produits intermédiaires expédiés « juste à temps » aux entreprises manufacturières des deux côtés de la frontière pour y être assemblés en produits finis. Ces livraisons permettent aux entreprises de conserver de moins gros inventaires et, ainsi, de réduire leurs coûts de production. Malheureusement, un tel système a l’inconvénient que les retards à la frontière entraînent rapidement des fermetures d’usines, des pertes pour les entreprises et des mises à pied. David Adams, vice-président Politiques, Association canadienne des constructeurs de véhicules, a déclaré que la fermeture d’une chaîne de montage pendant une heure équivaudrait à une perte de recettes de 1,5 million de dollars et que l’ajout d’une heure de recettes de plus représenterait de 400 000 $ à 800 000 $US.

Les entreprises canadiennes craignent aussi que les décisions d’investissement futures soient basées sur la capacité de nos producteurs de continuer à approvisionner le marché américain. Si l’accès à ce marché prisé n’est pas fiable, les entreprises étrangères risquent d’avoir de la réticence à s’implanter au Canada. D’autres entreprises, tant canadiennes qu’étrangères, pourraient aussi souhaiter déménager leurs installations actuelles au sud de la frontière.

  

B.  Plan d’action pour la frontière en 30 points, avec sa mise en œuvre

Heureusement, on n’a pas tardé à prendre des mesures concrètes après les événements du 11 septembre. Le Gouvernement du Canada a adopté des mesures pour réduire les retards à la frontière tout en assurant une sécurité suffisante à son passage. Ces mesures consistaient à accroître l’effectif à la frontière, à réserver des voies aux véhicules commerciaux, à ouvrir d’autres voies pour les voyageurs et à désigner des lignes de contrôle spéciales pour les camions ayant déjà bénéficié d’une procédure accélérée de dédouanage.

En plus d’avoir pris lui-même des mesures indépendamment, le gouvernement fédéral a aussi fait énergiquement pression pour l’établissement d’une stratégie conjointe (avec les Américains) à la frontière. En décembre 2001, les deux pays ont signé une déclaration portant création d’une « frontière intelligente pour le XXIe siècle »[3]. Cette déclaration était accompagnée d’un Plan d’action en 30 points fondé sur quatre grands piliers : la circulation en toute sécurité des personnes et des marchandises, la sécurité de l’infrastructure ainsi que la coordination et le partage des renseignements, conçus pour leur permettre d’identifier et d’éliminer conjointement les risques pour la sécurité (en interdisant l’entrée aux terroristes) tout en accélérant de façon efficace et efficiente la circulation légitime des personnes et des marchandises de part et d’autre de la frontière commune (voir l'annexe 4). Le Plan d’action était largement axé sur le principe de gestion du risque, en concentrant les ressources sur les individus et les produits présentant le plus de risques. Un Groupe de travail sur la frontière canadienne a été chargé de sa mise en œuvre.

Pour appliquer efficacement le Plan d’action, les deux gouvernements ont prévu d’importantes ressources financières. De notre côté, le budget fédéral du 10 décembre 2001 prévoyait des crédits de 1,2 milliard de dollars répartis sur les années à venir pour rendre la frontière plus sûre, plus ouverte et plus efficiente. Environ la moitié de cette somme sera consacrée à l’amélioration de l’infrastructure à la frontière (c.-à-d. améliorer les voies d’accès, ajouter de nouvelles voies et acheter des lecteurs électroniques pour accélérer les inspections) et l’autre moitié le sera à l’amélioration de la sécurité à la frontière par le renforcement des activités policières, la collecte de renseignements pour la sécurité et l’achat d’équipement. Une grande partie des sommes consacrées à l’infrastructure sera répartie entre les six principaux points de passage de la frontière canado-américaine. En outre, on consacrera 300 millions de dollars (150 millions provenant du gouvernement fédéral et 150 millions du gouvernement ontarien) à de nouvelles infrastructures frontalières dans la région de Windsor-Detroit.

Bien que le gouvernement des États-Unis ait aussi engagé des sommes supplémentaires pour accroître la sécurité à la frontière, le financement requis pour une mise à niveau de sa technologie et de son infrastructure ainsi que pour accroître l’effectif douanier tarde à se concrétiser. On a traditionnellement imputé les longs délais de passage de la frontière à l’insuffisance des fonds investis par Washington afin d’accroître son effectif douanier à la frontière nord. Jim Phillips, un résident de Lewiston, dans l’État de New York, et le président et chef de la direction de la Canadian/American Border Trade Alliance, a assuré le Comité qu’on s’attaque actuellement au problème du manque de personnel.

Les personnes qui ont témoigné sur les problèmes à la frontière étaient généralement très positives au sujet des progrès réalisés jusqu’à présent pour la mise en œuvre du Plan d’action, même s’il reste encore beaucoup à faire. La frontière est désormais à la fois plus sûre et plus ouverte aux échanges commerciaux qu’elle ne l’était au moment des attentats du 11 septembre. Nous en avons eu la preuve quand les États-Unis sont récemment passés au code de sécurité orange[4] pour lancer l’opération Bouclier de la liberté, sans perturber notablement la circulation à la frontière. M. Phillips a déclaré que la sécurité du public et celle de l’économie sont considérées aux États-Unis comme des objectifs indissociables et que chacun est important.

En mars 2002, les deux pays ont commencé à coopérer dans le cadre d’une initiative de sécurité portuaire conçue pour identifier et filtrer, avant qu’elles n’arrivent chez eux, les marchandises à risque élevé transportées par bateau. Le Canada a affecté des douaniers à Newark et à Seattle-Tacoma à cette fin; les États-Unis ont fait de même avec des douaniers à Vancouver, Montréal et Halifax, chargés d’inspecter les conteneurs acheminés ensuite au sud de la frontière. Les responsables des deux pays échangent les renseignements obtenus.

On a ouvert en juin 2002 des voies rapides pour les voyageurs préautorisés à faible risque (et non pour les transporteurs) à deux points d’entrée et de sortie entre la Colombie-Britannique et l’État de Washington. Ce programme conjoint baptisé NEXUS fait appel à des lecteurs de proximité pour décoder sur les cartes d’identité tenues à la main l’information touchant la sécurité. Il est déjà opérationnel aux quatre postes en question et devrait être étendu à tous les autres postes-frontières à gros volume d’ici à la fin de 2003.

On prévoit aussi le lancement d’un nouveau programme, appelé NEXUS-Air, qui réservera des files aux voyageurs aériens à faible risque pour leur permettre un passage plus rapide. Les projets pilotes – à Ottawa et à Montréal – devraient commencer en 2003.

En septembre 2002, le Président George W. Bush et le Premier Ministre Jean Chrétien ont officiellement annoncé le lancement d’un nouveau programme conjoint (pour des expéditions rapides et sécuritaires ou EXPRES) conçu pour assurer la circulation des marchandises à faible risque (en facilitant le passage des livraisons commerciales à la frontière). Ce programme consiste notamment à offrir des voies rapides pour les cargaisons dédouanées à faible risque (achetées par des importateurs préautorisés et transportées par des chauffeurs et des entreprises préautorisés aussi). On espère que le contrôle de sécurité électronique rapide des camionneurs passant par ces voies accroîtra l’efficience des contrôles frontaliers. Le programme EXPRES permet aux camions et aux chauffeurs à faible risque de faire envoyer leurs manifestes aux douaniers par transpondeur, avant que les camions arrivent à la frontière. Il a commencé à être appliqué en décembre 2002 à six postes-frontières (quatre en Ontario, un en Colombie-Britannique et un au Québec).

Parmi les autres signes de progrès qu’il vaut la peine de mentionner, citons la coopération accrue des deux pays afin d’augmenter leur capacité d’intercepter les voyageurs à risque élevé avant qu’ils ne prennent le départ pour l’Amérique du Nord, la création d’équipes policières intégrées affectées à la frontière pour capturer criminels et terroristes avant qu’ils ne la traversent, la coordination de l'échange des renseignements, de la surveillance financière, de la coopération douanière, des pratiques d’immigration et de la protection des infrastructures, ainsi que la signature d’un accord sur les tiers pays sûrs applicable aux personnes cherchant refuge et asile à nos frontières terrestres[5].

Par contre, du côté négatif, il faut reconnaître que les progrès en vue de la mise en place de l’infrastructure requise pour accroître l’efficacité du réseau des postes-frontières ont été lents. David Adams a d’ailleurs souligné que l’augmentation de 120 p. 100 des échanges commerciaux dans les deux sens depuis le lancement de l’ALENA n’a pas été accompagnée d’une amélioration correspondante de l’infrastructure frontalière.

Bien que le Plan d’action en 30 points sur la création d’une frontière intelligente ait généralement été encensé par la critique, le Gouvernement du Canada s’est fait reprocher de ne pas consacrer suffisamment d’attention à l’injection de fonds dans la construction de l’infrastructure frontalière. Par exemple, il y a trop peu de voies d'accès pour la franchir, de sorte que les points d’entrée et de sortie les plus fréquemment utilisés, comme ceux de Windsor et Détroit, ont encore besoin de nouveaux postes de douane ou de l’agrandissement des postes existants afin qu’on puisse y aménager les voies réservées qui s’imposent pour accélérer la circulation. Les trois postes les plus achalandés sont tous situés à proximité de vieux ponts : le pont Ambassador reliant Windsor et Détroit a été construit en 1929, le pont Peace entre Fort Erie et Buffalo en 1927 et le pont Blue Water entre Sarnia et Port Huron en 1938. D’autres ponts permettent aussi de franchir le fleuve Saint-Laurent pour se rendre dans l’État de New York. Pour régler la question de l’infrastructure frontalière, il faudra construire de nouveaux ponts aux principaux postes-frontières.

Des programmes comme NEXUS et EXPRES ne fonctionneront bien que dans la mesure où l’infrastructure frontalière sera en place, car il ne sert à peu près à rien de prévoir des voies réservées aux transporteurs et aux voyageurs préautorisés à faible risque si l’accès à ces voies ne commence qu’à quelques longueurs de voiture de la frontière. Bref, ces programmes vont exiger de nouveaux investissements dans l’infrastructure avant d’être vraiment efficaces.

En outre, la sécurité à la frontière doit être repoussée vers l’extérieur, ce qui suppose que le contrôle douanier et les formalités qui l’accompagnent devront se faire ailleurs qu’à la frontière elle-même. Le système de préinspection conçu pour les aéroports pourrait servir d’exemple à un mécanisme analogue aux postes-frontières terrestres. Pourtant, d’après la Chambre de commerce du Canada, il n’y a guère d’indices de progrès réalisés en vue du dédouanement à distance de la frontière terrestre.

Compte tenu de l’importance critique de la frontière pour la prospérité économique du Canada, le gouvernement fédéral devrait investir des ressources bien plus considérables dans l’infrastructure aux postes-frontières où le volume de circulation est important. Il serait utile aussi qu’il agisse plus rapidement pour adopter un régime de dédouanement préalable qui accélérerait le transport des marchandises au-delà de la frontière et dans lequel des douaniers canadiens travailleraient sur le territoire américain, et vice versa. Des témoins ont déclaré que, pour réaliser des progrès, il faudra régler le problème des armes (les douaniers américains sont armés, mais pas les douaniers canadiens), ainsi que les questions de Charte des droits et de souveraineté. Le Comité recommande :

Recommandation 2

Que, comme l’existence d’une frontière propice aux échanges commerciaux efficients est vitale pour la prospérité économique du pays et l’infrastructure actuelle aux principaux postes frontaliers est terriblement insuffisante pour faire face à l’intensification considérable du commerce bilatéral, le Gouvernement du Canada accélère la mise en œuvre du Plan d’action en 30 points sur la création d’une frontière intelligente :

a)     en encourageant les autorités canadiennes et américaines à accélérer la construction de nouveaux ponts et tunnels entre les deux pays;

b)      en injectant des ressources financières beaucoup plus importantes dans la construction de nouveaux éléments d’infrastructure à la frontière, outre les ponts et tunnels; et

c)      en accélérant les efforts en vue d’établir un système de dédouanement préalable pour les marchandises qui passent par les postes-frontières terrestres, ce qui permettrait de procéder au dédouanement ailleurs qu’à la frontière et donc de réduire les obstacles au développement du commerce et des investissements qui sont liés au passage de la frontière.

 


C.  Nouvelles restrictions frontalières à l’horizon et comment y faire face

Nous avons déjà fait brièvement allusion aux nouvelles mesures de sécurité que les États-Unis envisagent. Ces mesures risquent de causer de grandes difficultés au Canada parce que les producteurs canadiens pourraient être privés d’accès à la chaîne d’approvisionnement, à moins que les États-Unis ne rectifient le tir. David Bradley (chef de la direction de l’Association canadienne du camionnage) a insisté sur le fait qu’en plus d’avoir des répercussions néfastes sur les livraisons transfrontalières, ces restrictions additionnelles à la frontière pourraient réduire à néant les progrès réalisés dans le cadre du Plan d’action sur la frontière intelligente. Cela dit, quelques-unes des personnes rencontrées par le Comité à Washington, dont la sénatrice américaine Susan Collins (rép.- Maine) et William Lash III (Secrétaire adjoint au Commerce, Accès aux marchés et Observation de la législation, Département du Commerce), ont souligné que l’application des prescriptions de sécurité avait notamment pour objectif clé d’éviter que la libre circulation des marchandises et des gens à la frontière soit compromise.

La première des mesures de sécurité en question est l’obligation qu’impose la U.S. Patriot Act (d’octobre 2001) au Procureur général des États-Unis de suivre avec précision le mouvement de toutes les personnes qui entrent dans ce pays et qui en sortent. Dans des déclarations récentes, l’ambassadeur des États-Unis au Canada Paul Cellucci a laissé entendre que l’Administration Bush avait accepté d’exempter les citoyens canadiens de l’obligation de présenter les documents qu’exige ce système de contrôle des entrées et des sorties. Par contre, les étrangers résidant au Canada seraient tenus de s’y inscrire. À propos de l’imposition d’un contrôle à la sortie, John Murphy (vice-président, Chambre de commerce des États-Unis) a fait remarquer que des discussions ont lieu actuellement pour que le côté canadien de la frontière devienne le point de sortie des États-Unis afin d’éviter l’ajout d’un poste de contrôle de sécurité supplémentaire.

La deuxième mesure est la suivante : les États-Unis comptent insister (d’ici à octobre 2003) pour être informés à l’avance du contenu de tous les chargements qui entrent chez eux : un préavis de quatre heures pour les livraisons par camion, de douze heures pour les livraisons par avion et de vingt-quatre heures pour les livraisons par train et par bateau. Ces exigences seraient très onéreuses pour plusieurs industries canadiennes clés et, selon le représentant américain Earl Pomeroy (dém. - Dakota du Nord), elles inquiètent aussi vivement le Northern Border Caucus de la Chambre des représentants, dont il est le coprésident.

La troisième mesure correspond à l’adoption en juin 2002 de la U.S. Public Health Security and Bioterrorism Preparedness and Response Act, une loi conçue pour aider les États-Unis à prévenir le bioterrorisme et les urgences dans le domaine de la santé publique, à s’y préparer et à y réagir. Le projet de règlement qui accompagne cette loi exigerait l’inscription des installations étrangères qui produisent, traitent, conditionnent ou conservent de la nourriture pour l’alimentation animale ou humaine, ainsi que la remise, à la Food and Drug Administration (FDA), d'un préavis de tout chargement de produits alimentaires expédié de l'étranger à destination du marché américain[6]. Rory McAlpine (directeur général par intérim, Direction des politiques de commerce international, Agriculture et Agroalimentaire Canada) a dit que cette loi était la préoccupation la plus pressante de son Ministère du point de vue du commerce des produits agricoles. Les représentants de l’industrie de l’agriculture et de l’agroalimentaire ont aussi exprimé leurs craintes quant à la complexité de la nouvelle loi américaine et de son règlement, ainsi qu’aux répercussions qui en résulteront.

À Washington, Sharon Bomer-Laurentsen (sous-représentante américaine adjointe au commerce pour l’agriculture) a signalé que le Bureau du représentant américain au commerce déployait des efforts considérables pour que le commerce des marchandises visées par la réglementation se poursuive sans trop d’entraves[7]. Cependant, elle a averti le Comité que les entreprises devaient s’attendre à être obligées de modifier quelque peu la manière dont le commerce se fait.

Ronald Bulmer, le président du Conseil canadien des pêches, a souligné aux membres du Comité les craintes qu’inspirent à l’industrie canadienne du poisson et des fruits de mer les projets de règlements américains exigeant l'inscription des usines et des préavis, de même que les règles imminentes d’habilitation du personnel de la FDA à la frontière et la tenue de dossiers obligatoire pour les produits qui la traversent. Le Gouvernement du Canada tient actuellement des consultations avec les secteurs d’activité visés pour déterminer comment réagir. En définitive, l’objectif consistera à minimiser l’impact des nouveaux règlements sur le commerce transfrontalier.

Comment le Canada devrait-il réagir à ces mesures de sécurité et aux mesures connexes? Il pourrait par exemple conclure des « marchés stratégiques » dans l’espoir d’obtenir des concessions commerciales des États-Unis en contrepartie des mesures de sécurité qu’il prendrait. Comme l’a déclaré Kathleen Macmillan (présidente, International Trade Policy Consultants), ces marchés seraient conçus pour apaiser les craintes des Américains pour leur sécurité. Tant Mme Macmillan que Peter Clark (associé chez Grey, Clark, Shih and Associates, Ltd.), estiment qu’il serait bon d'offrir ces assurances aux Américains.

Donald Barry a déclaré quant à lui que, depuis le 11 septembre, on a avancé au Canada, à titre individuel et collectif, de nombreuses propositions reliant les mesures que le pays prendrait en matière de sécurité à des concessions commerciales des États-Unis. Par exemple, le rapport de 2001 de la Coalition pour des frontières sécuritaires et efficaces sur le plan commercial préconisait une réaction à la fois intégrée et intégrale dans le contexte des mesures de sécurité et du Plan d’action sur la frontière. Au printemps 2002, Wendy Dobson, professeur à l’Université de Toronto, a réclamé une nouvelle entente bilatérale en échange de notre appui pour les objectifs américains de protection de la frontière, d’immigration et de défense, avec un accès accru dans le contexte d’une union douanière ou d’un marché commun.

Thomas d’Aquino a informé le Comité que le Conseil canadien des chefs d’entreprise (CCCE) avait rendu publique en janvier 2003 son Initiative nord-américaine de sécurité et de prospérité (INASP), un nouveau partenariat bilatéral pour le commerce, l’immigration, l’énergie, la sécurité et la défense, conçu pour aboutir en bout de ligne à une transformation de la frontière commune en un point de contrôle commun. Cette proposition ne suppose pas la création d’une union douanière, d’un marché commun ni d’une devise commune, puisque, selon M. d’Aquino, il est peu probable que Washington accepte l’une ou l’autre de ces trois idées. L’INASP réclame une action menée sur cinq fronts :

·         l’établissement d’une zone de protection autour de l’Amérique du Nord, assortie à l’élimination des obstacles réglementaires, procéduraux et d’infrastructure à la frontière interne ainsi qu’à l’adoption d’approches communes pour le traitement commercial, l’infrastructure, le renseignement et l’observation. Dans ce contexte, on créerait des documents d’identité nord-américains ainsi qu’une institution commune pour assurer la surveillance nécessaire;

·         la coopération en matière de réglementation par une reconnaissance mutuelle ou d’autres formes d’harmonisation afin d’éliminer sur une base sectorielle les règlements faisant double emploi, ce qui englobe les recours commerciaux, les restrictions de l’accès et de la propriété dans les grands secteurs d’activité et les obstacles à la mobilité de la main-d’œuvre qualifiée;

·         la sécurité des ressources (sous la forme d’un pacte pour la sécurité des ressources qui mettrait fin une fois pour toutes aux problèmes d’établissement des prix et de subventions) – le pétrole, le gaz naturel, l’électricité, le charbon, l’uranium, les métaux primaires, les produits forestiers et agricoles;

·         une alliance nord-américaine pour la défense, avec de plus gros investissements dans les forces armées canadiennes et une capacité accrue de sécurité pour assurer la protection du territoire canadien;

·         l’établissement de quatre commissions mixtes spécialisées, chargées de gérer les quatre mécanismes qui précèdent; ces commissions devraient rendre compte aux autorités politiques des deux côtés de la frontière. Le CCCE étudie en ce sens des modèles comme celui de la Commission mixte internationale.

Les témoins qui ont comparu devant le Comité étaient divisés sur l’opportunité de proposer aux Américains des initiatives générales en matière de sécurité et de commerce. Il va sans dire que M. D’Aquino est un partisan convaincu de cette approche. Richard Harris a déclaré au Comité que le problème de sécurité de l’Amérique du Nord aurait dû être considéré comme une question de protection du périmètre nord-américain plutôt que de protection de la frontière terrestre, ce qui n'est malheureusement plus envisageable. David Bradley partage cet avis et a souligné qu’on a tant investi dans la frontière terrestre que plus personne ne parle de la sécurité du périmètre continental.

D’autres témoins ont dit qu’il est encore temps pour le Canada de réagir plus énergiquement aux craintes des États-Unis pour la sécurité de leur territoire, ce qui lui permettrait – il faut l’espérer – d’obtenir un allègement des mesures américaines. Par exemple, Fred McMahon, directeur du Centre d’études sur la mondialisation du Fraser Institute, a fait valoir que le Canada avait risqué cette sécurité physique et économique en ne s’intéressant pas à l’établissement d’un périmètre de sécurité nord-américain. Selon lui, le Plan d’action en 30 points sur la création d’une frontière efficace est un bon point de départ, mais sa mise en œuvre doit être accélérée et il ne va pas assez loin. À court terme, l’enjeu crucial pour le Canada ne lui semble pas consister à conclure un accord de libre-échange plus complet, mais plutôt à contrer la menace que les problèmes de sécurité posent pour les échanges commerciaux d’aujourd’hui. Les mesures à prendre auraient consisté notamment à mieux s’attaquer à la menace terroriste en modifiant les politiques d’immigration pour les réfugiés et en améliorant le suivi des immigrants actuels[8], ainsi qu’en renforçant la sécurité de la chaîne d’approvisionnement.

Rolf Mirus, directeur du Centre de recherche économique de l’École d’administration de l’Université de l’Alberta, a maintenu que notre intérêt national nous dicte de prendre l’initiative pour assurer et repenser notre relation avec les États-Unis en matière de commerce et de sécurité. Le statu quo n’est pas une solution puisque la fermeture de la frontière et le ralentissement de son passage posent de grands risques pour nous et menacent de décourager les investisseurs étrangers. Dans une atmosphère comme celle-là, l’approche ponctuelle, enjeu par enjeu, n’est peut-être pas praticable. À son avis, nous devrions nous engager à améliorer la sécurité à nos frontières afin que les États-Unis aient confiance en nous, en travaillant de concert avec eux pour améliorer la sécurité des navires et des aéronefs. Il envisage des procédures communes dans un périmètre de sécurité nord-américain et estime en outre que la confiance des États-Unis à notre endroit s’accroîtrait si notre appareil militaire était plus puissant.

Du côté négatif, Donald Barry n’a pas grand espoir à court terme pour un nouveau partenariat de ce genre en matière de sécurité et d’échanges commerciaux, étant donné que l’Administration Bush, fixée qu’elle est sur les questions de sécurité et les enjeux nationaux, ne s’intéresse absolument pas à une approche pareille. Il se demande aussi comment un marché « sécurité contre commerce » seraient pondérés, qui fixerait les conditions et si cela intéresserait le Congrès, puisque Washington donne la priorité à la sécurité alors que nous l’accordons au commerce. Qui plus est, si la coopération s’accroît, elle le fera vraisemblablement dans l’ensemble de l’Amérique du Nord plutôt que seulement entre le Canada et les États-Unis. Le Canada devrait plutôt continuer à accroître ses capacités de sécurité et de défense, puisqu’il est logique que nous le fassions de toute façon et que des mesures comme celles-là peuvent contribuer – modestement, bien sûr – à renverser la perception que les Américains ont de la sécurité au Canada. En outre, et c’est le plus important, nous nous devons de poursuivre les efforts amorcés dans le cadre du Plan d’action sur la création d’une frontière intelligente.

À Washington, le lobbyiste Paul Frazer (Murphy Frazer Selfridge) a insisté sur l’importance de se plier aux « pénibles formalités » de sécurité exigées à la frontière pour apaiser les craintes des États-Unis et faciliter le commerce. Il rejette la solution des « marchés stratégiques » exposée précédemment.

Dans son mémoire au Comité, Jim Stanford (économiste au Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada, TCA-Canada) s’est montré très critique à l’endroit des propositions ou des mesures qui sacrifieraient la capacité du Canada d’établir indépendamment ses politiques d’immigration, de sécurité et d’affaires étrangères pour garantir le passage sans anicroche des voyageurs et des marchandises à la frontière. Comme il n’est pas convaincu que de telles mesures procureraient au Canada un traitement particulier par les autorités américaines, il préconise la poursuite d’une approche privilégiant des mesures logiques et incrémentielles pour accroître l’efficience des échanges commerciaux transfrontaliers.

Le Comité est d’accord avec lui. La réponse au problème frontalier ne consiste pas à concevoir des « marchés stratégiques » pour éliminer les obstacles frontaliers au commerce. On peut vraiment douter que des propositions en ce sens intéresseraient l’Administration Bush; en outre, comme Kathleen Macmillan l’a souligné, il n’est pas certain que les Américains se contenteront des mesures limitant notre souveraineté que nous prendrions pour accroître la sécurité; ils pourraient en effet continuer à imposer des mesures de sécurité de plus en plus rigoureuses à la frontière. En outre, nous tenons à ce que le Canada maintienne sa capacité décisionnelle dans les importants domaines stratégiques mentionnés par Jim Stanford.

Il semblerait plutôt que la solution optimale serait de continuer à travailler dans le cadre du Plan d’action sur la création d’une frontière intelligente, afin d’améliorer la sécurité dans toute l’Amérique du Nord. Il serait bon aussi que nous menions un lobbying énergique afin d’obtenir un assouplissement des nouvelles exigences que les États-Unis envisagent pour le passage de la frontière, puisque leur mise en œuvre sous leur forme actuelle nuirait aux intérêts économiques des deux côtés du 49e parallèle. Le Comité recommande :

Recommandation 3

Que les gouvernements du Canada et des États-Unis intensifient leurs efforts pour s’assurer que, lors de la mise en place de mesures de sécurité canadiennes et américaines, les conséquences sur le commerce bilatéral et les investissements soient prises en considération.

 

RESTREINDRE L’UTILISATION DES RECOURS COMMERCIAUX

L’imposition continuelle de recours commerciaux (droits antidumping et compensateurs) aux producteurs canadiens est un autre obstacle crucial à l’obtention d’un accès garanti au marché américain. Même si une écrasante majorité des échanges commerciaux nord-américains se font sans problèmes ni répercussions négatives, sauf des difficultés de passage de la frontière – d’ailleurs, plus de 95 p. 100 des exportations canadiennes aux États-Unis ne semble pas poser de problème pour le moment – il est indéniable que des irritants et des différends semblent parfois définir notre relation bilatérale. Dans plusieurs secteurs d’activité clés (p. ex. celui du bois d’œuvre résineux et celui des produits agricoles), le Canada est fréquemment frappé de recours commerciaux, puisque les États-Unis tentent périodiquement de modifier leur législation sur les recours commerciaux intérieurs afin de protéger leurs producteurs.

Qui plus est, l’incidence des activités protectionnistes des États-Unis pourrait s’accroître si leur économie se détériore encore. Lorsqu’il a comparu devant le Comité, Richard Harris a dit s’inquiéter du degré actuel de protectionnisme américain, de ce qu’il a décrit comme étant l’attitude tournée sur eux-mêmes de nos voisins et d’un risque d’abandon de leur programme multilatéral par une Administration, d’après Harris, tout à fait disposée à se concilier les intérêts protectionnistes.

Le Comité partage les frustrations des Canadiens à l’égard de ces luttes commerciales constantes, telles que les 11 contestations de la Commission canadienne du blé et les nombreux conflits sur le bois d’œuvre, et il s'inquiète des honoraires juridiques faramineux – 800 millions de dollars pour le dossier du bois d’œuvre résineux à Washington depuis 1986, 200 millions de dollars américains pour défendre ce même dossier devant l’OMC et 10 millions de dollars pour le dossier actuel de la Commission canadienne du blé - que les entreprises canadiennes ont dû payer pour se défendre. Nous sommes fermement convaincus qu’en prenant constamment de tels recours dans certains secteurs, les producteurs américains ne respectent pas l’esprit – à tout le moins – de l’accord de libre-échange en vigueur.

   

A.  ALE : objectif raté

Les différends et les irritants commerciaux tendent à résulter de l’imposition de mesures protectionnistes par des pays désireux de protéger leurs propres industries de la concurrence internationale. Les négociateurs de l’ALE avaient pour but de prévenir ce protectionnisme et d’éliminer les mesures protectionnistes existantes, car elles ne semblent absolument pas compatibles avec le libre-échange. En principe, il ne devrait plus exister de mesures protectionnistes dans les échanges commerciaux entre le Canada, le Mexique et les États-Unis.

Le fait est, d’ailleurs, que la principale raison pour laquelle le Canada avait entamé des négociations en vue de conclure l’ALE était, comme John Helliwell (professeur au Département d’économique de l’Université de la Colombie-Britannique) l’a rappelé au Comité, d’obtenir plus facilement accès au marché américain et d’être moins exposé à la menace de recours commerciaux par nos voisins. Avant l’entrée en vigueur de l’ALE, les intérêts privés et gouvernementaux américains tentaient de plus en plus de faire obstacle aux importations canadiennes en invoquant leurs lois prévoyant des recours commerciaux. Dans la décennie qui a précédé la mise en œuvre de l’ALE, par exemple, les États-Unis avaient lancé contre le Canada une trentaine d’enquêtes commerciales sur d’importantes exportations comme celles de bois d’œuvre résineux, de porc, de potasse et de produits du poisson. Il faut aussi mentionner qu'à l'époque où l’ALE a été négocié, il n’existait pas de mécanisme efficace pour le règlement des différends à l’échelle internationale comme c’est actuellement le cas avec l’OMC.

La principale stratégie que le Canada a employée pour s’assurer l’accès au marché américain a consisté à tenter d’obtenir une exemption de l’application de droits antidumping et compensateurs. (On impose généralement des droits antidumping quand on veut démontrer qu’un concurrent étranger a vendu des produits sur un marché donné (p. ex. américain) à des prix inférieurs à leur coût de revient ou inférieurs aux prix comparables sur son marché intérieur (p. ex. le marché canadien). Les gouvernements imposent des droits compensateurs aux pays exportateurs pour compenser ce qu’ils considèrent comme des subventions à la production dans ces pays.)

Les négociateurs américains de l’ALE ont carrément rejeté la proposition d’exemption des droits antidumping et compensateurs, parce qu’ils étaient convaincus que les produits canadiens étaient subventionnés et que les producteurs américains avaient besoin de la protection de leurs lois prévoyant ces deux types de droits. Les négociateurs canadiens ont réagi en proposant l’introduction d’une loi nord-américaine sur la concurrence qui remplacerait les dispositions prévoyant des droits antidumping, avec la négociation d’une définition commune de la notion de subventions et d’un code régissant leur octroi, afin de réduire considérablement le recours à des droits compensateurs. Ces propositions n’ont toutefois pas abouti, parce que les Américains ont refusé d’aller au-delà des règles du GATT en vigueur à l’époque et tenu à conserver leurs lois sur les recours commerciaux. En bout de ligne, ils ne voulaient absolument pas qu'un nouvel ensemble de lois internationales supplante les lois américaines.

Pour résoudre l’impasse des négociations qui s’est ensuivie, les Américains ont proposé comme solution provisoire que le contrôle judiciaire des droits antidumping et compensateurs – confié à l’époque à des tribunaux américains – soit remplacé par des examens que mèneraient des groupes binationaux composés de spécialistes des échanges commerciaux des deux pays. L’article 1906 de l’ALE, qui concrétise cette solution, stipule que le système des comités binationaux serait une mesure temporaire (pour cinq à sept ans), jusqu’à l’adoption de nouveaux régimes communs de droits antidumping et compensateurs. De plus, l’article 1907 précise que les parties devaient charger un groupe de travail d’élaborer des règles et des disciplines plus efficaces au sujet des subventions gouvernementales et des politiques de prix inéquitables pour les échanges transfrontières.

Aucune de ces solutions de rechange n’a été mise en vigueur, puisque le système existant de groupes binationaux est devenu un mécanisme permanent de l’ALENA (chapitre 19). En outre, le groupe de travail prévu à l’article 1907 de l’ALE n’a jamais vu le jour, étant donné qu’il a été entendu que les règles sur le dumping et les subventions seraient établies dans le contexte de l’Uruguay Round des négociations du GATT[9] et que les parties ont plutôt décidé de tenir régulièrement des consultations générales sur un nouveau régime de droits antidumping et compensateurs. Dans certains milieux, toutefois, le maintien du statu quo a été considéré comme une grande victoire pour le Canada compte tenu des craintes des Américains pour leur souveraineté, qui avaient amené le Congrès à exercer d’énormes pressions dans l'espoir de faire perdre de l'importance au mécanisme prévu au Chapitre 19 ou de le faire disparaître complètement[10].

Au bout du compte, ni le Canada ni le Mexique n’ont obtenu les exemptions des lois américaines sur les droits antidumping et compensateurs qu’ils voulaient, comme en attestent les droits punitifs sur les exportations canadiennes de bois d’œuvre résineux. Ils n’ont pas non plus atteint leur objectif d’établir un ensemble de lois uniformes sur les échanges commerciaux. Comme plusieurs témoins l’ont souligné, le libre-échange avec les États-Unis n’a pas donné aux Canadiens l’accès garanti au marché américain qu’ils voulaient obtenir. Chaque pays peut se prévaloir de ses lois pour imposer des droits compensateurs et antidumping comme il lui semble bon et modifier ses lois sur les recours commerciaux lorsqu’il le juge approprié[11].

Les parties à l’ALE et à l’ALENA ont dû se contenter d’obtenir l’accès à des mécanismes de règlement des différends qui évaluent l’application de la législation commerciale des pays signataires. Le seul recours du Canada consiste donc à s’assurer que les lois américaines sur les recours commerciaux sont appliquées correctement. Les mécanismes de règlement des différends sont analysés dans le chapitre suivant du rapport.

  

B.  Étude des solutions nord-américaines

Il faut se demander si les États-Unis renonceront jamais à leur droit de se prévaloir des recours commerciaux que sont les droits compensateurs et antidumping, dans le contexte des échanges internes régis par l’ALENA. Compte tenu du rôle central que ces instruments jouent dans la politique commerciale américaine et de l’énergie avec laquelle nos voisins se sont battus pour les conserver dans les pourparlers commerciaux, il est bien difficile d’imaginer qu’ils renonceront complètement à cette possibilité d’imposer des tarifs et autres droits compensateurs. L’ancien ministre du Commerce international Roy MacLaren a d’ailleurs souligné que rien ne les incite actuellement à ne plus pratiquer de recours commerciaux. Lawrence Herman (avocat-conseil chez Cassels, Brock & Blackwell, LLP) a fait remarquer que leurs recours commerciaux vigoureux sont considérés par les Américains comme « un article de foi » indispensable pour contrer ce qu’ils considèrent comme des pratiques commerciales étrangères déloyales.

Cet avis n’est toutefois pas unanime, puisqu’une observatrice de l’intégration de l’économie nord-américaine a maintenu que les Américains « pourraient être réceptifs, dans le contexte d’un objectif d’ensemble d’assurer la sécurité économique de l’Amérique du Nord »[12]. Thomas d’Aquino a déclaré quant à lui qu’il n’y a pas de place pour les recours commerciaux dans notre relation bilatérale. Selon lui, la meilleure façon d’attirer l’attention des Américains sur ces recours consisterait à leur proposer un « marché stratégique » grâce auquel nous pourrions obtenir la suppression des recours commerciaux que nous n’avons pas obtenue il y a quinze ans.

M. MacLaren a toutefois rejeté catégoriquement cette possibilité, en soulignant que le Congrès des États-Unis ne s’est jamais montré le moindrement disposé à se départir de l’arsenal de recours commerciaux dont il dispose. Il tient plutôt à ce que le Canada continue à se concentrer sur les négociations multilatérales actuelles.

Pour sa part, l'honorable Pierre Pettigrew, ministre du Commerce international, a déclaré au Comité que nous devions être bien décidés à faire en sorte que la pratique des recours commerciaux soit compatible avec l’intégration croissante de l’espace économique commun de l’Amérique du Nord. Il a donné l’exemple de l’industrie de l’acier, dans laquelle les recours commerciaux ont eu un effet contraire aux attentes.

Le Comité estime toutefois qu’on ne peut pas faire grand-chose pour l’ensemble de l’économie, dans le contexte de l’ALENA, afin de remédier au problème. À court terme, il est illusoire de penser qu’il serait possible d’établir un régime nord-américain commun de droits antidumping et compensateurs. En outre, l’approche du « marché stratégique » avancée plus haut n’est guère prometteuse, puisque les États-Unis ne sont pas susceptibles de se priver de la possibilité d’invoquer leurs lois nationales prévoyant des recours commerciaux. La suggestion du Conseil canadien des chefs d’entreprise de proposer des mesures canadiennes en échange d’un allègement des recours commerciaux et de négocier avec les Américains un pacte intégral de sécurité des ressources destiné à régler une fois pour toutes les épineux problèmes du prix des ressources et des subventions n’a guère de chances d’être réalisable, sans compter qu’un pacte pareil éroderait exagérément notre souveraineté. Comme John Helliwell l’a dit au Comité à Vancouver, il est dangereux d’aller plus loin dans la voie de l’intégration simplement parce que le Canada n’a pas obtenu ce qu’il cherchait dans ses tentatives antérieures en ce sens.

Une option qu’il vaudrait la peine d’étudier – plusieurs témoins l’ont déclaré – serait l’application d’ententes sectorielles bilatérales sur les tarifs (p. ex. dans le secteur de l’acier) pour « désamorcer » les recours commerciaux dans les secteurs d’activité économique envisagés. Lawrence Herman a dit au Comité que les trois gouvernements nationaux des pays de l’ALENA avaient convenu d’entamer des discussions préliminaires en vue de l’adoption d’un ensemble éventuel de règles commerciales applicables à l’industrie sidérurgique. Selon lui, cette approche devrait être encouragée, puisqu’elle pourrait mener à la suppression des irritants commerciaux et des recours privés dans ce secteur. Lors des rencontres qu’il a eues au début de février avec le Secrétaire au Commerce des États-Unis, Don Evans, M. Pettigrew a soulevé la possibilité de limiter la capacité de chaque pays d’imposer des droits antidumping ou compensateurs dans leurs différends commerciaux au sujet d’une industrie aussi hautement intégrée que celle de l’acier. Kathleen Macmillan, elle, est convaincue des possibilités d’appliquer une entente sur l’acier à d’autres secteurs de l’économie, plus particulièrement à l’agriculture. Séduit par tous ces arguments, le Comité recommande :

Recommandation 4

Que le Canada et les États-Unis entreprennent des négociations pour limiter substantiellement l’application des recours commerciaux (droits antidumping et compensateurs et autres mécanismes de protection) dans les secteurs économiques (p. ex. l’acier) où les producteurs seraient en faveur de telles négociations.

  

C.  Chercher un déblocage à l’OMC

Le Canada devrait aussi s’acharner à faire débloquer le dossier des recours commerciaux à l’OMC. Comme Jon Johnson (associé, Goodmans LLP) l’a dit au Comité, l’avantage de l’OMC est qu’elle a une définition de la notion de « subvention » ainsi que des règles rigoureuses sur l’imposition de droits antidumping et compensateurs. Il estime donc que c’est elle qui représente notre meilleure chance de contrer les lois américaines sur les recours commerciaux.

D’après Gilbert Gagné (professeur au Département d’études politiques de l’Université Bishop), la solution consiste a) à préciser les dispositions existantes de l’OMC définissant les notions de subvention et de dumping et b) à resserrer les conditions auxquelles l’OMC autorise l’imposition de droits antidumping et compensateurs. Il a fait valoir que les Américains lançaient souvent des enquêtes débouchant sur des recours commerciaux même sans preuves probantes de l’existence de subventions, de dumping ou de préjudice, ce qui contraint l’autre partie à accepter des « compromis » pour éviter des poursuites coûteuses et conserver son accès au marché. Le Canada devrait continuer à insister sur le fait que l’OMC exige des preuves suffisantes plus solides pour qu’on puisse lancer des enquêtes menant à des recours du genre.

À Washington, William Lash III a aussi pressé le Canada d’obtenir une réforme des subventions à l’OMC. Il a soutenu que le fait d’instruire et réinstruire toujours les mêmes causes, comme dans le cas du bois d’œuvre, va à l’encontre du but recherché et qu’une réforme de l’OMC réglerait le problème une fois pour toutes.

Le Comité a aussi entendu des témoins déclarer que l'abus des droits antidumping est devenu un problème de plus en plus critique pour le système des échanges commerciaux internationaux, étant donné qu’un nombre croissant de pays ont mis en œuvre leur propre législation antidumping. Le hic, c’est que ces pays (largement en développement) n’ont pas tous interprété de la même manière les règles de l’OMC (c’est-à-dire l’Accord antidumping de 1995) et qu’il en a résulté des différends. On estime donc qu’il faut accorder la priorité de toute urgence à des démarches privilégiant une clarté et une ouverture accrue des règles antidumping.

Ces questions figurent au programme de la ronde actuelle de négociations à l’OMC et font aussi activement l’objet de discussions aux pourparlers sur la ZLEA. En novembre 2001, les membres de l’OMC ont convenu d’entreprendre des négociations afin de clarifier et d’améliorer les disciplines prévues à l’Accord antidumping et à l’Accord sur les subventions et les mesures compensatoires, tout en préservant les concepts, les principes et l’efficacité de base de ces instruments. Claude Carrière, directeur général du Bureau de la politique commerciale au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, a informé le Comité que le Groupe de négociation des règles de l’OMC envisageait des moyens de réduire les abus dans l’application des lois sur les recours commerciaux et d’imposer des exigences plus rigoureuses avant qu’on ne puisse amorcer des enquêtes débouchant sur des droits antidumping et compensateurs. D’après lui, le Canada s’est fixé l’objectif de restreindre l’usage abusif des mesures antidumping et compensatoires que les États-Unis et d’autres pays prennent à son endroit. À cette fin, il s’efforce de faire élever le seuil actuel de 25 p. 100 de participation des secteurs d’activité aux pétitions réclamant des droits antidumping ou compensateurs.

Certains témoins ont insisté sur l’incertitude d’obtenir les changements nécessaires au cycle de Doha de l’OMC. Rolf Mirus et Donald Barry ont souligné que les perspectives de succès au cycle de Doha ne sont pas bonnes, puisqu’on n’a pas encore réalisé de progrès tangibles sur les questions agricoles. Il faudrait que les Européens fassent des concessions dans ce domaine, et M. Barry a déclaré que ce serait possible puisque l’expansion de l’UE les force à se pencher sur leurs propres politiques de soutien de l’agriculture. Le Ministre Pettigrew a toutefois prévenu le Comité de ne pas avoir de trop grandes attentes quant aux progrès qui pourraient être réalisés à l’OMC sur la question des recours commerciaux.

Nonobstant cette incertitude dans le contexte des négociations, le Comité est très conscient du besoin de refondre les dispositions de l’OMC sur les recours commerciaux afin de contrer les abus protectionnistes croissants. Avec la réforme agricole, la restriction de ces recours doit être considérée comme l’objectif le plus critique du Canada pour la ronde de négociations actuelle à l’OMC. Le Comité recommande :

Recommandation 5

Que le Gouvernement du Canada cherche en priorité, lors du cycle de Doha des négociations commerciales de l’OMC, à conclure un accord afin :

a)     de clarifier et améliorer les dispositions actuelles sur les définitions des notions de subvention et de dumping;

b)      de renforcer les dispositions en vigueur sur l’utilisation des recours commerciaux (p. ex., droits antidumping et compensateurs et autres mesures) afin d’empêcher les abus protectionnistes; et

c)      d’éviter les conflits commerciaux continentaux.

 

AMÉLIORER LES MÉCANISMES DE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS

Comme il s’est révélé impossible jusqu’à présent d’éliminer la menace du protectionnisme américain, il est important pour un pays aussi largement exposé au grand marché américain que le Canada d’avoir accès à un mécanisme de règlement des différends à la fois complet et efficace, de façon à pouvoir régler directement, équitablement et rapidement les cas de protectionnisme unilatéral les plus difficiles et les plus dommageables. Le Canada avait d’ailleurs entamé les négociations qui ont mené à l’ALE dans l’intention d’obtenir un système de règlement des différends obligatoire et basé sur des règles, qui régirait la mise en œuvre de l’Accord et serait pour lui un moyen sûr de contester les mesures protectionnistes des États-Unis, sans devoir subir l’influence de puissants intérêts américains dans ce contexte.

Malheureusement, le système de règlement des différends qu’il a obtenu dans le cadre des accords nord-américains de libre-échange n’est que partiellement basé sur des règles, dont certaines prêtent le flanc à la possibilité d’interventions politiques, de sorte que le Canada (et maintenant le Mexique, dans le cadre de l’ALENA) sont toujours exposés aux effets néfastes des décisions politiques et de la puissance de ses voisins américains.

Bien que le système des groupes binationaux du Chapitre 19 (nous y reviendrons plus loin) soit à bien des égards un système de règlement des différends basé sur des règles, il est fondé sur une combinaison hybride de lois, à savoir les lois intérieures sur les droits antidumping et compensateurs des trois pays signataires. Les règles tendent à fonctionner la plupart du temps, mais des différends hautement politisés mettant en cause de gros intérêts économiques (p. ex. celui du bois d’œuvre résineux) continuent de faire la preuve des lacunes du système du Chapitre 19 et de son inévitable vulnérabilité aux pressions politiques.

Les principales dispositions de l’ALENA concernant le règlement des différends comprennent le processus des groupes binationaux du Chapitre 19 pour l’examen des mesures antidumping et compensatrices; les procédures de règlement des différends entre deux États du Chapitre 20, qui visent toutes les questions autres que celles qui sont traitées dans les chapitres 19 et 11; et le mécanisme investisseurs-États du Chapitre 11, qui permet à des investisseurs étrangers d’intenter une action contre un pays où ils ont investi. Ces trois types de mécanisme de règlement des différends seront décrits en détail plus loin.

Dans les cas où leurs droits et leurs obligations dans le cadre de l’OMC sont en jeu, les parties à l’ALENA ont aussi la possibilité d’avoir recours à la procédure de règlement des différends de l’Organisation plutôt qu’à celle de l’ALENA lui-même. Comme nous l’avons déjà précisé, l’OMC est désormais « l’instance de prédilection » pour le règlement des différends. Par exemple, Son Excellence Paul Cellucci a signalé que les États-Unis ont tendance à régler leurs différends commerciaux au moyen de traités multilatéraux à l’intérieur du cadre commercial international de l’OMC et que ces traités font mieux que leurs lois commerciales.

Le Comité a déjà fait savoir qu’il était mécontent du régime de règlement des différends prévu à l’ALENA. Les différends nord-américains se règlent de plus en plus en Suisse. Il serait certainement avantageux, tant pour le Canada que pour les États-Unis d’améliorer le régime actuel pour le rendre plus rapide et plus efficace.

   

A.  Règlement des différends conformément au Chapitre 19 de l’ALENA

Avant la conclusion de l’ALE, les différends sur des droits antidumping et compensateurs imposés par les États-Unis étaient tranchés par des organismes américains, de sorte que le seul mécanisme interne d’appel consistait à réclamer un contrôle judiciaire des décisions gouvernementales par les tribunaux américains. L’ALE, puis le Chapitre 19 de l’ALENA ont établi un système d’examen par des groupes spéciaux binationaux qui a remplacé le contrôle judiciaire des décisions sur les affaires d’imposition de droits antidumping et compensateurs. Les deux accords ont fixé les procédures de formation de ces groupes spéciaux, les délais pour rendre une décision et les conséquences dans les cas où les parties ne se conformeraient pas à ces décisions. Donald McRae, professeur de droit commercial et de droit des affaires à l’Université d’Ottawa, a qualifié la procédure d’examen par les groupes spéciaux du Chapitre 19 d’important progrès comparativement au système existant avant l’ALE.

D’après Jon Johnson et Michael Kergin (ambassadeur du Canada aux États-Unis), le système de règlement des différends de l’ALE était aussi un grand pas en avant comparativement à l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce. Le GATT ne prévoyait aucun mécanisme de règlement des différends et la partie perdante pouvait bloquer l’adoption des rapports, ce que l’ALE ne permet pas.

Le fait que les groupes spéciaux binationaux ne créent ni n’appliquent de nouvelles dispositions légales pas plus qu’ils n’appliquent des règles juridiques fondamentales en cas de droits antidumping ou compensateurs est un aspect fondamental du système de règlement des différends du Chapitre 19[13] : ils ne font que se pencher sur l’application des lois intérieures du pays importateur pour s’assurer qu’elle est correcte. C’est ainsi que, dans le cas des mesures américaines prises contre une politique canadienne, le groupe binational chargé du règlement du différend étudie les mesures prises par les organismes gouvernementaux américains seulement pour s’assurer qu’elles sont compatibles avec le droit commercial intérieur des États-Unis. Le processus d’examen par les groupes spéciaux binationaux du Chapitre 19 de l’ALENA est donc extrêmement limité puisqu’il consiste simplement à faire en sorte que les lois commerciales intérieures de chaque pays soient appliquées correctement, plutôt qu’à établir ses propres critères.

Ce système de groupes spéciaux binationaux a soulevé de nombreux commentaires; il a même été un facteur clé dans plusieurs grands différends, notamment sur le bois d’œuvre résineux et sur l’acier. Plus de 80 p. 100 des différends dans le cadre de l’ALENA ont porté sur l’imposition de droits antidumping et compensateurs, de sorte qu’ils tombaient sous le coup du Chapitre 19.

Dans quelle mesure le processus d’examen par les groupes spéciaux binationaux du Chapitre 19 a-t-il été un succès? Selon Gilbert Gagné, qui a beaucoup écrit sur ces questions, même si l’application des dispositions du Chapitre 19 a eu des avantages, « les problèmes fondamentaux se sont poursuivis et se sont tous révélés extrêmement néfastes pour les intérêts commerciaux canadiens. Ces problèmes sont liés au caractère limité des dispositions de l’ALE/ALENA, aux difficultés et aux délais constatés dans l’application du processus d’examen par les groupes spéciaux, à la persistance des aspects les plus perturbateurs des lois et des pratiques commerciales américaines, y compris la possibilité pour les Américains de les modifier de façon restrictive, à la persistance aussi des tactiques de harcèlement américaines, qui forcent leurs vis-à-vis à accepter des « compromis » pour éviter d’autres poursuites et enfin à l'attitude des États-Unis centrés sur leurs intérêts nationaux et faisant fi des règles commerciales internationales »[14].

Lawrence Herman a soutenu que la lacune fondamentale du système de règlement des différends de l’ALENA est que les groupes spéciaux sont éphémères, de sorte qu’il n’existe aucune institution permanente d’arbitrage ou de règlement des différends dans le cadre de l’ALENA. Il a donc proposé la création d’un tribunal permanent de l’ALENA qui ne modifierait pas la compétence des groupes spéciaux binationaux, mais mettrait en place un groupe de juges permanents. Ce tribunal pourrait instruire toutes les affaires fondées sur les chapitres 19, 20 et 11. Le Comité estime toutefois que la création d’un tribunal nord-américain permanent du commerce et de l’investissement, chargé de trancher les différends commerciaux, serait une moins bonne solution qu’une percée à l’OMC (voir plus loin).

Sharon Bomer-Laurentsen (sous-représentante américaine adjointe au commerce pour l’agriculture) convient de la nécessité de donner plus de vigueur à la procédure prévue au Chapitre 19. Il faut que les groupes spéciaux rendent leurs décisions plus rapidement et plus efficacement.

D’autres critiques du système de règlement des différends ont été favorables, particulièrement en ce qui concerne les affaires moins médiatisées. Une étude récente fait d’ailleurs valoir que le Chapitre 19 « a réussi à freiner ce que les Canadiens considèrent comme une application trop zélée des lois sur les droits antidumping et compensateurs par les autorités américaines »[15]. Son auteur, Patrick Macrory, a souligné que « à part le bois d’œuvre résineux, seulement six produits canadiens sont actuellement frappés d’ordonnances imposant des droits antidumping ou compensateurs et, dans la plupart des cas, le volume des échanges commerciaux en cause est minime et le taux actuel des droits peu élevé »[16]. Il précise aussi que, à la suite de la mise en œuvre de l’ALENA, « les importations du Canada et du Mexique ont fait l’objet de bien moins d’enquêtes et d’ordonnances que celles des autres parties du monde, peut-être en raison de l’intégration accrue de l’économie de ces deux pays avec celle des États-Unis »[17]. L’auteur d’une étude antérieure avait aussi conclu que le processus des groupes spéciaux binationaux chargés d’instruire les appels des recours commerciaux américains et canadiens avait « relativement bien » fonctionné et que les décisions finales avaient été rendues beaucoup plus vite que celles du Tribunal de commerce international des États-Unis[18].

Fred McMahon a largement déclaré la même chose au Comité : les accords de libre-échange que le Canada a conclus avec les États-Unis ont réduit les irritants commerciaux, l’Europe et le Japon ont écopé de plus de recours commerciaux américains que le Canada, et le Canada a obtenu de bons résultats devant les groupes spéciaux constitués en vertu de l’ALE et de l’ALENA. Jon Johnson a conclu que le processus des groupes spéciaux binationaux a été très utile et que ces groupes se sont montrés objectifs. Peter Clark a souligné que le Canada s’est bien tiré d’affaire au début de l’application du système de règlement des différends du Chapitre 19, mais qu’il n’y a guère d’activité à cet égard à l’heure actuelle. Claude Carrière estimait aussi que la fiche canadienne était bonne pour les affaires tranchées en vertu du Chapitre 19.

Malgré ces lacunes, plusieurs témoins ont affirmé qu’il est important de maintenir à tout le moins le processus du Chapitre 19 pour les échanges commerciaux sous le régime de l’ALENA dans le cadre des négociations pour la création de la ZLEA. Par exemple, Gilbert Gagné a souligné que, même si les Américains pouvaient s'opposer à cette approche compte tenu du caractère exécutoire des décisions des groupes spéciaux de l’ALENA, l’inclusion de mécanismes analogues à celui du Chapitre 19 devrait être considérée comme une exigence minimale pour le Canada. Le Comité recommande :

Recommandation 6

Que, durant les négociations sur la ZLEA et sur l’établissement d’un régime efficace de règlement des différends hémisphériques, le gouvernement fédéral tente de conserver, au minimum, la possibilité de se prévaloir du processus de règlement des différends au Chapitre 19 de l’ALENA pour les échanges commerciaux réalisés dans le cadre de l’ALENA.

   

B.  Règlement des différends fondé sur le Chapitre 20

Le Chapitre 20 de l’ALENA porte sur le système de règlement des différends servant à l’interprétation générale de cet accord. Malheureusement, la procédure qu’il établit n'est pas un mécanisme efficace pour régler des différends, de sorte qu’on n’y a eu recours que trois fois depuis l’entrée en vigueur de l’ALENA. Plusieurs témoins ont d’ailleurs déclaré que le Chapitre 20 est utile seulement dans les rares cas où les différends ne peuvent pas être soumis à l’OMC, parce qu’ils ne portent que sur les droits et obligations prévus exclusivement par l’ALENA.

Les améliorations à envisager sont l’accélération de la sélection des membres des groupes visés, le soutien institutionnel accru du processus de l’ALENA, la mise en œuvre d’un processus d’appel efficace et un changement du caractère des décisions du Chapitre 20 pour les rendre exécutoires. Néanmoins, comme Donald McRae l’a signalé, modifier la procédure prévue au Chapitre 20 ne la rendrait guère plus intéressante pour les parties.

Le Chapitre 20 souffre particulièrement d’une grosse lacune attribuable au fait que ses mécanismes de règlement des différends ne lient pas les parties en cause. Un mécanisme de règlement des différends peut largement contribuer à empêcher de nouveaux différends de se produire, à condition cependant que les parties soient convaincues que les décisions seront respectées.

Quand un différend se concrétise, la première étape est celle des consultations entre les parties. Si ces consultations ne leur permettent pas de régler le différend, la Commission de l’ALENA, un organisme politique composé de représentants de chaque partie au niveau ministériel (ou de leurs délégués) se réunit. C’est à ce stade que la diplomatie et les négociations basées sur la puissance respective des parties peuvent faire dérailler l’approche fondée sur les règles du système. Si la Commission de l’ALENA est également incapable de régler le différend, les parties peuvent réclamer la formation d’un groupe arbitral spécial composé d’experts indépendants des échanges commerciaux de chaque pays qui entend les deux parties, puis produit un rapport assorti de recommandations ne liant pas automatiquement celles-ci. La nature même du processus fait que la décision finale sur le règlement des différends relève des parties elles-mêmes, et que la diplomatie et les pressions politiques risquent d’influer sur elles. Il n’y a pas de mécanisme d’appel de ces décisions.

Il est important de souligner ici que la procédure de règlement des différends de l’OMC n’accuse pas de telles lacunes. Les membres des groupes chargés de trancher les différends de l’Organisation doivent être des citoyens de pays tiers, et leur sélection est meilleure; en outre, il n’y a pas à l’OMC d’équivalent de la créature politique qu’est la Commission de l’ALENA et l’Organisation bénéficie du soutien institutionnel nécessaire, sans compter que sa procédure d’appel est meilleure que celle de l’arbitrage spécial de l’ALENA, que son système de règlement des différends est plus transparent et que les rapports des groupes d’examen lient les parties. Il est difficile de qualifier le système de règlement des différends du Chapitre 20 d’efficace s’il n’a pas la capacité de régler effectivement les différends.

  

C.  Percer à l’OMC

L’Accord sur le règlement des différends (ARD) de l’OMC prévoit un processus multilatéral basé sur des règles qui est le meilleur que nous ayons eu en droit international depuis des siècles, selon Lawrence Herman. Ce processus est généralement considéré comme équitable et efficace pour régler les différends entre les membres de l’OMC. Il prévoit dans un premier temps des consultations ayant pour but d’obtenir le règlement du différend; si les consultations achoppent, un groupe spécial est chargé de se prononcer sur la question de savoir si un membre de l’OMC ne s’est pas conformé aux obligations que l’Organisation lui impose. La décision de ces groupes spéciaux peut être portée en appel devant l’Organe d’appel permanent de l’OMC.

Le système de règlement des différends commerciaux de l’OMC est le fruit des négociations de l’Uruguay Round, au milieu des années 1990; plusieurs de ses caractéristiques font qu’il est supérieur au mécanisme de règlement des différends de l’ALENA qui était déjà en place à l’époque. Des témoins ont fait valoir que l’OMC prévoit des règles beaucoup plus équitables, pour le règlement des différends, que n’importe quel accord commercial bilatéral ou régional et qu’elle est actuellement le meilleur espoir du Canada de composer avec l’application des lois américaines sur les recours commerciaux. Il est déjà clair que les pays membres de l’ALENA ont de plus en plus tendance à se prévaloir de la procédure de l’OMC plutôt que de celle du Chapitre 19. Donald McRae a d’ailleurs souligné qu’on invoque moins souvent le Chapitre 19 dans le contexte de l’ALENA qu’on ne le faisait dans celui de l’ALE.

Jon Johnson a donné au Comité des renseignements utiles sur les principales caractéristiques du système de l’OMC. Le plus important, c’est que le processus de règlement des différends de l’OMC confronte les recours commerciaux pris par des pays à leurs propres règles sur l’imposition de droits antidumping et compensateurs. L’Accord de l’OMC sur l’antidumping établit un code antidumping et l’Accord de l’OMC sur les subventions et les mesures compensatoires de l’OMC contient une définition de la notion de « subvention ». Qui plus est, la partie perdante ne peut plus empêcher l’adoption d’un rapport et la sélection des membres des groupes spéciaux se fait rapidement. Contrairement aux groupes spéciaux de l’ALENA, ceux qui sont formés à l’OMC peuvent se prévaloir des services d’un secrétariat et obtenir énormément de soutien institutionnel. L’OMC a aussi un organe d’appel permanent; selon M. Johnson, tout cela a largement accru l’uniformité de l’application des règles de droit à l’OMC.

Il est donc logique que la façon optimale de faire progresser le dossier du règlement des différends consiste à améliorer le système de règlement des différends de l’OMC. M. Johnson a d’ailleurs déclaré au Comité qu’on ne peut vraiment rien reprocher d’important à la structure fondamentale du système, puisque la plupart des propositions de réforme portent sur le fonctionnement technique du mécanisme de règlement des différends.

Une question cruciale reste pourtant entière, celle du non-respect des décisions des groupes spéciaux ou de l’Organe d’appel à la fin du processus de l’OMC. Quand un membre de l’OMC est considéré comme ayant manqué à ses obligations envers l’Organisation, on lui accorde un délai raisonnable pour s’y conformer. À défaut, il peut écoper de mesures de représailles de la partie plaignante, ou encore souhaiter lui accorder un dédommagement (p. ex. une libéralisation des échanges dans un autre secteur d’activité) pour lui donner temporairement satisfaction avant de se conformer à ses obligations.

Claude Carrière a souligné que les représailles sont des armes pour le moins grossières dont l’efficacité n’a pas été démontrée. Il a toutefois fait remarquer que le Gouvernement du Canada n’a pas encore trouvé de solutions de rechange pratiques.

Richard Ouellet (professeur adjoint à la Faculté de droit de l’Université Laval) et Armand de Mestral (professeur à la Faculté de droit de l’Université McGill) ont tous deux soutenu qu’il est de plus en plus difficile de faire exécuter les décisions portant règlement de différends. En effet, il y a maintenant plusieurs étapes à franchir avant que les parties ne puissent s’entendre sur leur application. Dans le cas du différend canado-américain sur les périodiques, Gilbert Gagné a déclaré que les rapports des groupes spéciaux et de l’Organe d’appel de l’OMC ne donnent que très peu d’indications sur la latitude dont un pays dispose pour atteindre les objectifs des programmes invalidés. Dans des cas comme celui-là, les pressions politiques sont devenues plus importantes qu’on ne le prévoyait au départ. Tant M. Ouellet que M. de Mestral[19] se sont dits d’avis qu’il serait de loin préférable de confier à une institution quasi judiciaire la responsabilité de régler les différends, plutôt que de laisser s'exercer des pressions politiques et économiques dans ces situations.

Le Canada devrait être un des leaders du changement des mécanismes actuels de règlement des différends (tant de l’OMC que du Chapitre 19 de l’ALENA), afin d’obtenir un règlement plus harmonieux des différends avec un minimum de frictions politiques. Il a d’ailleurs avancé des propositions en ce sens.

Parmi les autres défauts du mécanisme de règlement des différends de l’OMC qui ont été signalées au Comité, citons le besoin d’en accroître la transparence, de raccourcir les délais afin d’accélérer le règlement, de passer à une liste fixe semi-permanente de membres des groupes spéciaux, de régler le problème de séquençage pour l’application des décisions, de réformer le processus des tierces parties et, enfin, d’abolir le stade de l’examen provisoire. Le Comité a toutefois entendu des témoins déclarer que la mise en œuvre de ces changements n’est pas essentielle au succès du cycle de Doha et que, de toute manière, il est peu probable qu’on y marque des points pour faire changer le régime de règlement des différends. En mars 2003, Claude Carrière a déclaré au Comité qu’il n’y avait absolument aucune chance que la révision du système de règlement des différends de l’OMC soit menée à bien dans les délais prévus, soit mai 2003.

   

D.  Chapitre 11 de l’ALENA

Le principal objectif du controversé Chapitre 11 de l’ALENA consiste à faciliter les investissements dans ses pays membres grâce à l’adoption de règles conçues pour protéger les investisseurs étrangers contre les mesures discriminatoires (faisant une distinction entre les investisseurs nationaux et étrangers) et les mesures de distorsion du marché prises par les gouvernements des pays hôtes. La conception de ce Chapitre n’est pas originale, puisque celui-ci est largement inspiré des dispositions contenues dans les traités bilatéraux d’investissement existants, comme les accords sur la protection des investissements étrangers (APIE) conclus entre le Canada et plusieurs autres pays. Conformément à ces accords bilatéraux, les investisseurs étrangers participants peuvent saisir de leurs doléances le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI). Les dispositions du Chapitre 11 vont toutefois plus loin que les dispositions sur les investissements de l’ALE.

L’aspect le plus controversé du Chapitre 11 est lié à la procédure de règlement des différends entre les investisseurs et les États, qui permet aux investisseurs étrangers privés de porter à l’arbitrage une plainte contre un des gouvernements des pays membres de l’ALENA s’ils estiment que le gouvernement du pays hôte a manqué aux obligations en matière d’investissement que lui impose le Chapitre 11. L’article 1110 du Chapitre 11 prévoit en effet que les gouvernements des pays membres de l’ALENA ne peuvent pas prendre de mesures équivalant à la nationalisation ou à l’expropriation d’un investissement à moins de le faire pour des raisons d’intérêt public, sans discrimination, conformément au principe de l'application régulière de la loi et seulement s’ils dédommagent l’investisseur étranger. Si ce dernier est d’avis que les décisions du gouvernement ont nui à ses intérêts commerciaux (autrement dit qu’elles ont sapé ses bénéfices réels ou éventuels) de façon injuste et discriminatoire, il peut se prévaloir d'une procédure de révision afin d’obtenir un dédommagement.

L’arbitrage est régi par les règles internationales d’arbitrage commercial. L’investisseur et le gouvernement choisissent chacun un arbitre, le troisième étant choisi soit de concert par eux, soit par une tierce partie neutre. Les résultats de l’arbitrage lient chaque partie, et les dispositions relatives à la révision ou à l’appel des décisions sont limitées. Les tribunaux de l’ALENA ne sont pas autorisés à recommander qu’un gouvernement modifie ses lois, règlements ou politiques en défaut.

Les dispositions sur les investisseurs et les États du Chapitre 11 étaient conçues au départ pour protéger entreprises et investisseurs contre une réglementation arbitraire et des manœuvres protectionnistes, particulièrement dans le contexte des investissements au Mexique. Elles avaient donc essentiellement pour but d’empêcher qu’on ne contraigne les investisseurs étrangers à se conformer à des règles plus rigoureuses que celles imposées aux investisseurs du pays hôte. Leur raison d’être fondamentale reste la promotion et la protection des investissements.

À ce besoin de promotion et protection des investissements et des droits des investisseurs privés s’oppose toutefois le besoin manifeste de contrôle public de l’établissement des politiques gouvernementales. Dans ce contexte, certains ont déclaré que les dispositions sur les investisseurs et les États ont imposé un « gel réglementaire » aux gouvernements. En d’autres termes, elles ont restreint leur capacité de réglementation. Est-ce vrai?

Les critiques de l’ALENA maintiennent que ce qui était au départ un mécanisme de défense des investisseurs contre les gouvernements étrangers semble être devenu une arme dont certaines entreprises se servent agressivement pour contester le droit des gouvernements d’appliquer des règlements. Selon eux, les entreprises dictent désormais la politique gouvernementale. Dennis Deveau (agent de liaison gouvernemental, Service législatif, Syndicat des Métallos) a demandé si les droits des propriétaires de capitaux étrangers devaient prévaloir sur les intérêts canadiens correspondants. Steven Shrybman (avocat chez Sack Goldblatt Mitchell) a dit au Comité que donner à des entreprises étrangères le droit de traîner le Canada devant des tribunaux internationaux qui peuvent lui ordonner de payer des dommages-intérêts est un fait nouveau tout à fait extraordinaire en droit international. Les différends entre les investisseurs et les États devraient selon lui être tranchés par des tribunaux intérieurs (canadiens) et non par des tribunaux internationaux. Il a aussi déclaré s’inquiéter de l’accès aux procédures fondées sur le Chapitre 11 et de leur manque de transparence.

D’un autre côté, il vaut la peine de souligner qu’il n’y a eu que 23 plaintes fondées sur le Chapitre 11 au cours des huit premières années d’application de l’ALENA (seulement cinq sont réglées), à une période où les investissements en Amérique du Nord augmentaient rapidement. À quelques rares exceptions près, les gouvernements nord-américains ont généralement réussi à adopter des règlements vraiment conçus pour protéger la santé et l’environnement plutôt que pour interdire les activités commerciales de certaines entreprises étrangères en particulier. Il ne fait aucun doute que le Chapitre 11 fait qu’il est plus difficile pour les gouvernements d’adopter librement des règlements protectionnistes visant à détruire des entreprises légitimes. Cela dit, il n’a pas empêché les gouvernements de faire ce qu’ils veulent à condition de dédommager les intérêts commerciaux en question si un groupe spécial décide que les mesures prises n’ont pas été appliquées sans discrimination. Comme Donald McRae l’a soutenu devant le Comité, il n’est pas déraisonnable d’exiger qu’un gouvernement n’agisse pas de façon arbitraire ou discriminatoire.

Quoi qu’on pense de l’idée d’inclure des dispositions sur les différends entre les investisseurs et les États dans l’ALENA, il est clair que le mécanisme de règlement des différends du Chapitre 11 pourrait être amélioré grâce à une restriction de la portée de la disposition actuelle sur les expropriations (le gouvernement fédéral s’y intéresse particulièrement depuis quelque temps, et le président de la Fédération canadienne de l’agriculture, Robert Friesen, l’a aussi recommandée), à une transparence accrue du système et, comme M. McRae l’a proposé, à la mise sur pied d’une institution combinée à l’intégration d’une procédure d’appel basée sur l’OMC pour corriger les erreurs des tribunaux et donner à l’ensemble de la procédure l’uniformité et la prévisibilité nécessaires.

Au sujet de la transparence, il faut reconnaître que les séances d’arbitrage se déroulent à huis clos sauf si les parties acceptent de les ouvrir au public. Néanmoins, chaque pays de l’ALENA a désormais accepté de rendre publics tous les documents soumis aux tribunaux formés en vertu du Chapitre 11 ou produits par eux, à quelques exceptions près. Donald McRae a déclaré au Comité que, pour accroître encore davantage la transparence des dossiers fondés sur le Chapitre 11, les parties à l’ALENA n’auraient qu’à convenir que les audiences seront publiques tout comme l’instruction des plaintes des investisseurs du pays hôte. Il a toutefois souligné que, si le Canada et les États-Unis semblent favorables à cette idée, les Mexicains sont moins enclins à accepter un tel changement.

 

DE NOUVELLES INSTITUTIONS SONT-ELLES NÉCESSAIRES POUR GÉRER LE COMMERCE CANADO-AMÉRICAIN?

À l’intérieur de l’ALENA, on ne retrouve aucune institution commune pour régir les relations économiques, outre les commissions du travail et de l’environnement qui ont été créées. L’accord commercial en lui-même n’est associé à aucune institution supranationale. L’ALENA était censé évoluer, mais ne l’a jamais fait, ne dispose pas vraiment d’institutions pour apporter des changements, et les États-Unis hésitent à s’engager dans des institutions supranationales. Faut-il améliorer les institutions existantes ou en créer de nouvelles pour gérer les échanges et investissements actuels en Amérique du Nord, ou les règles déjà établies conjuguées à une procédure de règlement des différends dans le cadre de l’ALENA sont-elles suffisantes?

Pour sa part, le ministre Pettigrew a fait connaître sa préférence pour des changements à la relation bilatérale (p. ex. faire avancer la résolution des problèmes douaniers) en se servant des institutions cadres qui existent déjà. Deux de ses hauts fonctionnaires, Claude Carrière et Marc Lortie (sous-ministre adjoint (Amériques), ministère des Affaires étrangères et du Commerce international) estiment que, manifestement, on n'était pas du tout intéressé, surtout aux États-Unis, à créer des institutions communes pour régir le commerce. M. Lortie a fait remarquer que des trois parties à l’ALENA, le Mexique était la plus active et la plus innovatrice pour proposer des changements institutionnels.

Steven Shrybman a souligné qu’en ce qui concerne les institutions supranationales, la situation en Europe est différente parce que les marchés sont assez équilibrés là-bas (p. ex. le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne ont une économie de taille relativement équivalente), mais en Amérique du Nord, la balance penche résolument du côté des États-Unis en raison de leur grande puissance.

Sur une note plus positive, Armand de Mestral a soutenu que si des institutions supranationales ne seront jamais acceptables, certaines institutions existantes comme la Commission de l’ALENA pourraient être renforcées. D’autres témoins ont aussi pressé le gouvernement fédéral de sonder la possibilité soit de renforcer les institutions bilatérales pour mieux gérer les relations commerciales entre le Canada et les États-Unis, soit d’en créer de nouvelles. Lawrence Herman est en faveur de la constitution d’une Commission permanente de l’ALENA dotée d’un secrétariat permanent du libre-échange, par opposition à l’organisation actuelle qui prévoit une réunion des responsables dans les trois capitales mais qui n’a aucun statut permanent ni juridique (autrement dit, ce n’est pas un véritable organe trilatéral). Ce groupe pourrait être chargé de produire des rapports, de recueillir des données et de fournir des services aux trois gouvernements sur les principaux problèmes commerciaux. M. Herman a aussi préconisé la création d’un tribunal permanent de l’ALENA auquel siégeraient des juges permanents, pour remplacer le système ponctuel en vigueur. La compétence des groupes spéciaux ne changerait pas dans le nouveau régime.

Richard Ouellet a dit également souhaiter une évolution des institutions nord-américaines à l’issue soit d’une révision de l’ALENA, soit de la négociation d’une ZLEA. Il a signalé que les institutions de l’ALENA étaient sous-utilisées à bien des égards. Par exemple, la Commission de l’ALENA devrait être mieux employée, même si son mandat actuel n’est pas très étendu. Les commissions du travail et de l’environnement sont aussi sous-utilisées et les divers comités de l’ALENA, même s’ils travaillent bien, ne sont pas assez visibles, transparents et actifs. Il y aurait lieu de faciliter l’accès du public à ces institutions.

Laura Macdonald a recommandé que soit entrepris un sérieux examen des institutions trilatérales, y compris de celles qui existent déjà comme les commissions du travail et de l’environnement, et de la Banque de développement nord-américaine (BDNA). Cette Banque, dont le Canada n’est pas membre, pourrait servir à financer les efforts de développement économique des régions défavorisées du Mexique. Malheureusement, la Banque n’est ni efficace ni efficiente, un facteur qui a refroidi l’enthousiasme du Canada pour une participation à l’institution.

William Dymond, lui, a proposé que le Gouvernement du Canada se penche sur la Commission mixte internationale (CMI) pour déterminer si elle ne pourrait pas être modifiée de façon à s’occuper de relations plus étendues entre le Canada et les États-Unis.

Après avoir longuement discuté de toutes ces suggestions, le Comité a conclu qu’un organisme est requis dans le cadre de l’ALENA pour gérer les politiques commerciales et résoudre les problèmes qui se posent. Il y a dix ans, l’ALENA prévoyait un secrétariat pour la Commission du libre-échange et même si les dispositions de l’accord sont suffisamment souples pour permettre la création de cet organisme, celui-ci n’a pas vu le jour. Idéalement, cette institution rassemblerait des représentants commerciaux de haut niveau des trois pays, qui pourraient travailler ensemble de façon régulière pour réduire la liste des différends/irritants commerciaux relatifs à l’ALENA et fournir des avis critiques aux trois gouvernements sur les problèmes à moyen et long terme liés aux politiques commerciales de même que sur les développements au sein de l’OMC. Nous recommandons donc :

Recommandation 7

Que le Canada, le Mexique et les États-Unis mettent en pratique l’Article 2002 de l’ALENA stipulant la création d’un secrétariat permanent de l’ALENA auquel on confierait le mandat suivant :

a)      examiner les moyens de résoudre, au sein de l’ALENA plutôt qu’à l’OMC, les différends et irritants commerciaux et contribuer à une résolution rapide de ces conflits commerciaux;

b)     examiner les problèmes à moyen et long terme liés aux politiques commerciales et produire des rapports assortis de recommandations à l’intention des partenaires de l’ALENA; et

c)      étudier les développements survenant dans le système commercial multilatéral et leurs liens avec le cadre commercial de l’ALENA.

 

RÉGLER LES DIFFÉRENDS COMMERCIAUX ET LES AUTRES IRRITANTS EXISTANTS

La relation commerciale bilatérale entre le Canada et les États-Unis est la plus importante au monde. Chaque jour, les deux pays échangent des marchandises d’une valeur excédant 1,5 milliard de dollars, et plus de 95 p. 100 de leurs échanges commerciaux se déroulent sans incident. Pourtant, il arrive à l’occasion que des irritants se manifestent et que des différends se produisent. Nous allons décrire dans le présent chapitre les principaux différends et irritants auxquels doit faire face le Canada, soit le bois d’œuvre résineux et les produits agricoles[20].

   

A.  Différend canado-américain sur le bois d’œuvre résineux

Au cours des deux dernières décennies, ce sont les exportations de bois d’œuvre résineux du Canada aux États-Unis, d’une valeur d’environ 10 milliards de dollars par an, qui ont causé le plus de frictions commerciales. Les États-Unis se sont prévalus quatre fois de recours commerciaux contre le Canada au sujet de ce produit au cours des 20 dernières années, et tous les règlements du différend au cours de cette période se sont révélés temporaires (cf. l’annexe 1 pour plus de détails).

Le Département du Commerce des États-Unis est d’ordinaire saisi de la question du bois d’œuvre résineux quand la part canadienne du marché américain dépasse 30 p. 100 et que l’industrie américaine du bois est en difficulté. L’industrie du bois d’œuvre est cyclique et dépend de la demande du marché; ces dernières années, on a fermé des scieries des deux côtés de la frontière en raison de la baisse des prix du produit. Les producteurs américains sont relativement peu nombreux, mais très visibles, et la Coalition for Fair Lumber Imports fait énergiquement valoir leurs intérêts à Washington.

Dans le contexte du différend actuel, les États-Unis se sont prévalus en avril 2001 de recours commerciaux qui ont abouti à l’imposition de droits antidumping et compensateurs combinés de 27,22 p. 100 sur le bois d’œuvre résineux canadien vendu aux États-Unis. Cette mesure américaine est une tentative patente de plus de la part des producteurs américains qui veulent protéger leur marché intérieur contre les exportations canadiennes.

Le différend a eu des répercussions variables selon la région. La majorité des exportations de bois d’œuvre résineux proviennent de Colombie-Britannique (54 p. 100) et du Québec (20 p. 100), l’Ontario et l’Alberta en représentent respectivement 9 p. 100 et 7 p. 100. C’est l’économie de la Colombie-Britannique qui est la plus tributaire de ces exportations, puisque le bois d’œuvre qu’elle exporte aux États-Unis représentait, en 2001, 16 p. 100 de l’ensemble de ses exportations. Dans son rapport au Comité sur la 16e prestigieuse Conférence annuelle mondiale de l’industrie forestière de PriceWaterhouseCoopers, la sénatrice Pat Carney, membre du Comité et ministre responsable des négociations de l’ALE au milieu des années 1980, a révélé la décimation que la guerre du bois d’œuvre résineux, conjuguée à une offre mondiale excédentaire de bois, a fait subir à l'industrie de la province au cours des cinq dernières années : fermeture permanente de 27 scieries, perte de 13 000 emplois dans les entreprises forestières, baisse d’un tiers des recettes provinciales générées par cette industrie et perte aussi de la position dominante de l’industrie forestière dans l’économie britanno-colombienne.

Par contre, les ventes de bois d’œuvre aux États-Unis représentent moins de 3 p. 100 des exportations du Québec et moins de 0,5 p. 100 de l’ensemble des exportations mondiales de l’Ontario. Les producteurs des provinces de l’Atlantique (Île-du-Prince-Édouard, Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve) ont été exclus de l’enquête qui a abouti à l’imposition de droits compensateurs, mais ont quand même été frappés de droits antidumping de 8,43 p. 100.

     

1.  Nature fondamentale du différend

Le différend du bois d’œuvre résineux est axé autour des différences de structure du secteur forestier aux États-Unis et au Canada. Chez nous, 90 p. 100 des terres boisées appartiennent aux provinces qui, pour la plupart, les louent à des entreprises forestières et les autorisent à y abattre des arbres en contrepartie de « droits de coupe ». Les provinces emploient divers instruments administratifs pour déterminer les droits de coupe exigibles, et ces droits varient dans chaque province selon le type de tenure. Aux États-Unis, par contre, environ 70 p. 100 des terres boisées appartiennent à des intérêts privés, et ces terres produisent la grande majorité (90 p. 100) des arbres abattus. Les droits de coupe du bois sur les terres boisées appartenant au gouvernement américain sont vendus aux enchères à des entreprises forestières.

La nature complexe et très différente de la gestion forestière au Canada fait que le bois d’œuvre résineux canadien est une cible facile pour des accusations de subvention. Du point de vue américain, les politiques provinciales d’établissement des prix du bois sur pied donnent aux producteurs canadiens de bois d’œuvre l’accès à du bois subventionné; ce qui leur donne un avantage par rapport aux producteurs de bois d’œuvre américains. Selon ces derniers, les prix du bois sur pied vendu aux enchères reflètent sa juste valeur marchande, tandis que le système canadien de détermination administrative des prix avec des enchères limitées fait que les prix du bois sur pied canadien sont nettement inférieurs à sa valeur marchande. Les Américains allèguent que de tels prix permettent aux producteurs canadiens d’offrir leur bois sur le marché des États-Unis à un prix inférieur à celui des producteurs américains.

La Coalition for Fair Lumber Imports a aussi prétendu que les producteurs canadiens ont fait du dumping sur le marché américain en y vendant leur bois d’œuvre à un prix inférieur à sa valeur marchande. Malheureusement pour elle, plusieurs témoins nous ont déclaré que les droits antidumping ont eu des conséquences imprévues en ce qu’ils ont simplement forcé les producteurs les plus efficients à accroître leur production et à réduire nettement leur coût unitaire, alors que c’était la cause initiale des plaintes américaines. Comme la sénatrice Carney l’a expliqué dans son rapport au Comité, ces mesures ont fait que les exportations de bois d’œuvre sont restées constantes, voire qu’elles ont augmenté, alors que les prix et les bénéfices ont chuté.

La Colombie-Britannique est la principale cible des enquêtes américaines. Dans cette province, les obligations associées à certaines formes de tenure forestière exigent que le bois soit scié près du lieu d’abattage et qu’un volume d’abattage minimum soit maintenu sans égard aux conditions économiques. Les producteurs américains affirment que ces politiques ont un effet de distorsion sur le marché et que les tenures à long terme typiques en Colombie-Britannique réduisent les possibilités d’accès équitable à la ressource. En outre, la province limite les exportations de grumes provenant des terres de la Couronne pour favoriser la croissance économique par l'augmentation de la production locale de bois d’œuvre et la création d’emplois. En dépit du fait que les États-Unis imposent des restrictions aux exportations des grumes provenant de leurs propres terres publiques, les producteurs américains prétendent que cette pratique canadienne fait baisser le prix des grumes vendues sur le marché intérieur et que cela équivaut à une subvention pour l’industrie du bois d’œuvre.

Ce qu’on sait peut-être moins, c’est que les recours commerciaux dont les États-Unis se sont prévalus contre le bois d’œuvre résineux sont extrêmement coûteux pour les acheteurs américains de bois d’œuvre. Des compagnies américaines comme Home Depot et des associations représentant les utilisateurs de bois d’oeuvre[21] ont exprimé leur opposition à l’imposition des droits antidumping et compensateurs en raison de l’augmentation des prix du bois d’œuvre qui en résulte et qui se répercute sur les coûts de la construction domiciliaire[22]. On estime en outre qu’il y a 18 fois plus d’emplois dans les secteurs d’activité tributaires du bois d’œuvre que dans l’industrie qui en produit. Néanmoins, les pressions des consommateurs n’ont manifestement pas été aussi efficaces que celles du puissant lobby des producteurs de bois d’œuvre américains.

Pour sa part, le Canada défend son régime de gestion forestière et nie subventionner l’industrie du bois d’œuvre. Les droits de coupe qu’il perçoit font plus que payer les frais associés à l’industrie forestière. Par exemple, le gouvernement de la Colombie-Britannique a démontré que, en 2001, les recettes des droits de coupe et autres droits dépassaient de plus de 500 millions de dollars ce qu'il en coûtait au gouvernement pour la gestion, la mise en valeur, la conservation et la vente de la ressource. Qui plus est, les forêts publiques canadiennes sont gérées pour des utilisations multiples, pas seulement pour la production de bois, et les droits de coupe exigés au Canada tiennent compte des nombreuses obligations qu’assument les entreprises forestières quand elles obtiennent le droit d’abattre des arbres sur les terres de l’État. Ces obligations comprennent la construction de routes, le reboisement et les mesures destinées à protéger la biodiversité ainsi que les écosystèmes, alors qu’aux États-Unis, ces aspects de la gestion forestière relèvent du U.S. Forest Service plutôt que du secteur privé.

Du point de vue canadien, les recours commerciaux américains sont motivés par le protectionnisme des États-Unis et non par les pratiques déloyales du côté canadien. Comme Les Reed (consultant en politique forestière) l’a déclaré au Comité, la principale raison pour laquelle les Américains livrent une telle lutte au Canada, c’est qu’ils sont loin derrière tant pour le volume que pour la qualité de leurs produits dérivés du bois. De plus, le fait que des scieries américaines ont dû fermer leurs portes ces dernières années est moins attribuable aux pratiques canadiennes de droits de coupe qu’au malaise économique général dans l’industrie forestière. En effet, environ 38 p. 100 des scieries nord-américaines qui ont été fermées de façon permanente entre 1995 et 2000 étaient situées en Colombie-Britannique. Il est donc clair que l’ensemble du marché nord-américain du bois d’œuvre a souffert.

     

    2.  Stratégie à deux volets du gouvernement fédéral pour régler le différend

         a.  Volet juridique

Le Gouvernement du Canada a adopté une stratégie à deux volets pour mettre fin au différend du bois d’œuvre résineux. Le premier volet est juridique : comme les autorités américaines ont maintenant rendu des décisions finales en concluant qu'il y a eu dumping, subvention et préjudice, le Canada a contesté les trois décisions en se prévalant à la fois des groupes spéciaux binationaux de l’ALENA et de la procédure de règlement des différends de l’OMC. Les groupes spéciaux sont en train de déterminer si la loi sur les recours commerciaux des États-Unis a été correctement appliquée; ils rendront leur décision d’ici l’automne.

Gary Horlick (American Consumers for Affordable Homes) a informé le Comité des conclusions attendues des groupes spéciaux de l’OMC et de l’ALENA : une réponse affirmative à la contestation des droits compensateurs, un résultat partagé pour la contestation des droits antidumping, et une énorme incertitude en ce qui concerne les préjudices. En effet, dans une décision provisoire qu'elle vient de rendre sur la contestation canadienne, l’OMC statue que les É.-U. n’auraient pas dû imposer de droits sur le bois d’œuvre, n’ayant pas prouvé adéquatement l’existence de subventions. Une décision finale sur les conclusions des États-Unis au sujet des subventions est attendue au mois de juillet. M. Horlick a aussi souligné que le régime de l’ALENA prévoit le remboursement des droits, tandis qu’à l’OMC, rien ne garantit un tel remboursement. Pour plus de précisions sur les échéances et sur les conclusions des groupes spéciaux responsables des différentes procédures de l’ALENA et de l’OMC, voir l’annexe 2.

Sur la question des subventions, le Canada avait raison de dire que les conclusions du Département du Commerce qui ont mené à l’imposition de droits antidumping et compensateurs sont incompatibles avec les obligations que l’OMC impose aux États-Unis. Par exemple, il n’était pas correct de se fonder sur les prix « transfrontaliers » (aux États-Unis) plutôt que sur les prix canadiens pour déterminer si la valeur des droits de coupe constitue un avantage pour les producteurs canadiens. Dans le passé, le Département du Commerce des États-Unis avait rejeté l’utilisation des comparaisons transfrontalières en raison des importantes différences de composition des essences, de taille, de qualité, de densité et d’accessibilité de la ressource forestière. Les droits de coupe varient nettement d’une région à l’autre, voire à l’intérieur d’une même région, et le juste prix économique du bois sur pied au Canada n’est pas nécessairement le même qu’aux États-Unis. L’utilisation par le Département du Commerce des prix américains pour démontrer que les droits de coupe au Canada étaient subventionnés constituait un changement radical de la pratique établie. Le Canada s’est aussi opposé à de nombreux autres aspects des conclusions du Département du Commerce et de la Commission mixte internationale.

Jon Johnson a déclaré au Comité que, lors d’une contestation antérieure de la conclusion préliminaire que le bois d’œuvre était subventionné, un groupe spécial de l’OMC avait jugé que les droits de coupe étaient une contribution financière, mais que les États-Unis avaient bel et bien employé une méthode transfrontalière fautive pour déterminer si l’utilisation de droits de coupe au Canada avait constitué un avantage pour ses producteurs de bois d’œuvre. Comme on ne pouvait pas confirmer l’existence d’un tel avantage, le groupe spécial avait décidé que les États-Unis n’avaient pas de raison de conclure que les droits de coupe exigés équivalaient à une subvention pouvant faire l’objet de droits compensateurs.

On craint toutefois que, si la filière juridique donne gain de cause au Canada, les États-Unis modifient leurs méthodes d’enquête et leurs lois commerciales pour ensuite entreprendre de nouvelles enquêtes. De plus, obtenir le règlement d’un différend par les voies juridiques est très long. Par exemple, les groupes spéciaux de l’ALENA peuvent prendre jusqu’à 315 jours pour rendre leur décision après avoir été saisis d’une demande de révision et leurs décisions peuvent être portées en appel, de sorte qu’on ne devrait pas s’attendre de façon réaliste à la levée ou à la réduction des droits par les seules voies juridique avant 2005 au plus tôt. Pendant ce temps, les droits imposés sapent la compétitivité du bois d’œuvre canadien sur le marché américain et les pressions qui en résultent pour les producteurs de bois d’œuvre affectent le nombre d’emplois et les bénéfices de leurs entreprises, sans compter que les producteurs canadiens risquent de perdre leur part de marché au profit de concurrents étrangers et que les produits de substitution deviennent d’intéressantes solutions de rechange au bois d’œuvre canadien surchargé de droits. Il s’ensuit que la filière juridique devient de plus en plus politiquement difficile à justifier, particulièrement dans les régions du Canada qui dépendent le plus de l’industrie forestière, et la pression en faveur d'une solution négociée du différend s’intensifie.  

         b.  Volet négociation

Tout en suivant la filière juridique, le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux – de même que l’industrie qu’ils représentent – ont aussi participé périodiquement à des discussions en vue d’arriver à un règlement négocié durable et à long terme. Dans le passé, le Canada et les États-Unis ont typiquement résolu leurs différends sur le bois d’œuvre résineux par la négociation, mais toujours de façon temporaire. Cependant, comme John Melle (sous-représentant américain adjoint au commerce pour l’Amérique du Nord) l’a souligné, les différends passés ont fait abstraction des problèmes sous-jacents entre les deux parties et un simple procès ne peut pas venir à bout du problème du bois d’œuvre, puisque l’OMC ne contraint pas les États souverains à modifier leur politique.

Dans le cadre du différend actuel, le Canada négocie par intermittence avec les États-Unis depuis le milieu de 2001. La Coalition for Fair Lumber Imports des États-Unis a clairement joué un rôle en coulisse dans ces négociations, puisqu’elle a avancé en janvier 2002 (à la demande du représentant au Commerce des États-Unis) une proposition de réforme de la gestion forestière qui pourrait aboutir à la mise en place d’un système plus acceptable basé sur le marché régissant les ventes de bois sur pied au Canada. Cette proposition comprenait des révisions majeures des politiques de tenure, des systèmes d’établissement des prix du bois sur pied et des lois imposant un minimum de coupe ou l'obligation que les scieries restent ouvertes. Le Canada a jugé les exigences de l’industrie américaine du bois d’œuvre excessives, tandis que le gouvernement des États-Unis ne s’est pas montré disposé à inciter cette industrie à proposer une base de négociation raisonnable. Les pourparlers ont d’ailleurs cessé peu après que la proposition en question eut été présentée.

Pendant l’été 2002, le Sous-secrétaire au Commerce international du Département américain du Commerce, Grant Aldonas, a déclaré qu’il était disposé à annuler les ordonnances de droits compensateurs, province par province, si, après étude, on arrivait à la conclusion que la situation avait changé. Il s’est engagé à sortir un bulletin qui établirait les critères à cet effet.

Plus récemment, le gouvernement de la Colombie-Britannique a soulevé la possibilité d’un accord transitoire en proposant qu’une taxe à la frontière provisoire, variant selon le prix du bois d’œuvre, soit substituée aux droits antidumping et compensateurs pendant que les négociations sur les pratiques forestières se poursuivraient. Il prévoit de toute façon apporter unilatéralement à ses politiques une série de modifications fondées sur le marché et considère ces modifications comme la base d’une stratégie d’évitement de ces droits qui coûtent cher[23].

Dans le document « Proposed Analytical Framework, Softwood Lumber from Canada » (janvier 2003) du Département du Commerce des États-Unis, les Américains soutiennent que réformer les pratiques de gestion forestière canadiennes de façon que les prix du bois sur pied soient établis en fonction de sa valeur marchande réglerait ce différend de longue date. Afin qu’on puisse arriver à des prix effectivement basés sur cette valeur marchande, le Département du Commerce a avancé les principales recommandations suivantes :

·           le système actuel de détermination des prix facturés pour le bois sur pied (droits de coupe) devrait être remplacé par un système de vente aux enchères;

·           les quantités minimums obligatoires d’arbres abattus et de bois d’œuvre scié par année devraient être supprimées;

·           les restrictions des exportations de grumes devraient être levées.

En ce qui concerne la première recommandation, même s’il est préférable pour eux que tout le bois sur pied soit vendu aux enchères, les Américains ont laissé entendre qu’ils accepteraient qu’une partie seulement des arbres abattus soit vendue de cette façon et que les prix ainsi établis servent alors à établir administrativement le prix du reste du bois à couper. De même, si la superficie des terres forestières que les particuliers ou les Premières nations peuvent exploiter devait s’accroître, les ventes du bois sur pied de ces terres pourraient aussi servir de base à l’établissement des droits de coupe sur les terres de l’État.

Chacun des trois changements de politique proposés est important. Le premier – la vente aux enchères du bois sur pied – a l’inconvénient d’exiger des changements du régime de tenure forestière faisant que les gouvernements provinciaux seraient susceptibles de devoir dédommager les détenteurs de tenure. La deuxième recommandation vise des mesures découlant d’une stratégie de promotion de la stabilité économique dans les communautés productrices de bois. La suppression de ces exigences causerait vraisemblablement des difficultés économiques dans certaines communautés, en raison du déménagement des activités d’écorçage et de sciage et des pertes d’emplois quand la demande de bois d’œuvre serait faible. Enfin, la troisième recommandation, sur les restrictions des exportations de grumes, est litigieuse en raison de la conviction générale que les arbres abattus au Canada devraient être écorcés et sciés sur son territoire. Les exportations de grumes sont associées dans l’imagination populaire à « l’exportation d’emplois du Canada ». On craint aussi que les conditions d’un règlement négocié quelconque ne constituent une ingérence dans la capacité du Canada de déterminer sa propre politique de gestion de la ressource forestière.

Au cours de sa mission d’information à Washington, le Comité a appris que M. Aldonas, le haut fonctionnaire du Département du Commerce chargé du dossier du bois d’œuvre, allait publier bientôt son bulletin final sur la politique. Sage Chandler (directrice des Affaires canadiennes, Bureau du représentant américain au Commerce) a mentionné qu’il se réjouissait des projets de réformes annoncés par la Colombie-Britannique et l’Ontario, et qu’il attendait la réponse du Québec avant de publier son bulletin.

La publication de ce bulletin va enclencher une période d’examen public de trente jours au terme de laquelle le Département du Commerce entreprendrait vraisemblablement des enquêtes sur le changement des circonstances à mesure que les provinces démontreraient qu’elles satisfont aux conditions convenues. Ces enquêtes, qui pourraient être entreprises n’importe quand à la demande d’une province et uniquement au sujet des droits compensateurs, serviraient à déterminer si la raison d’être originale de l’accusation de subvention existe encore; si elle n’existe plus, les droits compensateurs cesseraient d’être exigés, province par province. Comme ce processus serait analogue à celui des enquêtes débouchant sur l’imposition de droits compensateurs, il serait à la fois laborieux et coûteux. Comme Gary Horlick l’a dit au Comité, on pourrait aussi se retrouver devant les tribunaux.

L’inconvénient de cette enquête sur le « changement des circonstances », c’est qu’elle entraînerait une annulation des droits compensateurs uniquement après la mise en application des modifications de la politique forestière, ce qui pourrait prendre jusqu’à trois ans selon Doug Waddell (sous-ministre adjoint, Politique commerciale, économique et environnementale, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international). En outre, cela ne réglerait pas la question des droits antidumping. C’est pourquoi les intéressés en Colombie-Britannique ont entamé des négociations sur un « accord transitoire » qui s’appliquerait en attendant de trouver une solution à long terme au différend.

Cet accord provisoire restreindrait essentiellement le volume du commerce jusqu’à ce que la gestion de la forêt provinciale soit modifiée de façon à changer les mesures que les États-Unis considèrent comme des subventions. La possibilité d’une taxe compensatoire dégressive est venue sur le tapis comme mesure temporaire pour remplacer les droits compensateurs et antidumping pendant la mise en œuvre des réformes de la politique forestière dans chaque province[24]. Parmi les autres sujets de discussion, il y a l’aliénation de plus de 1 milliard de dollars de droits déjà perçus, l’abrogation éventuelle de l’amendement Byrd[25], l’avenir des droits antidumping et l’abandon possible du contentieux du Canada à l’OMC et à l’ALENA.

Les négociations ont cessé en février dernier. À la Conférence de PriceWaterhouseCoopers, qui eut lieu peu après, M. Aldonas a avancé trois raisons pour justifier la fin des négociations bilatérales sur l’accord transitoire : le manque d’accord sur les modifications de la politique forestière requises pour que le différend soit réglé, l’avenir des procédures en cours dans le cadre de l’ALENA et de l’OMC et l’écart important entre les deux parties sur la nature d’un accord provisoire éventuel quant à une taxe à la frontière[26]. Sur ce premier point, le gouvernement de la Colombie-Britannique a introduit la Forest Revitalization Act le lendemain de la fin de la conférence. L’adoption de ce projet de loi apaisait bien des craintes du Département du Commerce en répondant notamment à sa demande de mettre aux enchères un gros volume de bois sur pied (20 p. 100) et de lever plusieurs des obligations imposées à l’industrie forestière par le gouvernement.

Il ne semble toutefois pas que des mesures s’annoncent au sujet des deux autres obstacles majeurs qui restent. Le niveau et la structure de la taxe compensatoire provisoire sont considérés comme le plus gros obstacle à la conclusion d’un accord, l’écart étant particulièrement prononcé entre la position des industries américaines et celle des intéressés au Canada.

Entre février et mai, les deux parties ont continué d’examiner d’autres modèles de structure pour la taxe. À la mi-mai, les Américains ont proposé une nouvelle taxe à l’exportation provisoire conçue par la Coalition for Fair Lumber Imports et qui assujettirait le niveau de la taxe proposée aux parts de marché et non aux prix comme c’était le cas auparavant. Avec une part de marché de 29 p. 100, la taxe à l’exportation serait de 18 p. 100 sur les expéditions de bois d’œuvre aux États-Unis. Elle serait majorée de 3 points de pourcentage pour chaque point de pourcentage de la part de marché du Canada excédant 29 p. 100, et elle diminuerait de 4 points de pourcentage chaque fois que la part de marché du Canada serait réduite d’un point de pourcentage à partir de 29 p. 100. La taxe disparaîtrait complètement si cette part de marché descendait sous 24 p. 100. Cette proposition prévoit également que l’industrie américaine conserverait les deux tiers des droits déjà perçus et imposerait une taxe à toutes les provinces, y compris aux provinces de l’Atlantique, qui sont actuellement exemptées des droits compensateurs. Le ministre du Commerce international, Pierre Pettigrew, a vite rejeté publiquement cette dernière proposition. Depuis, d’autres propositions d’accord intérimaire sont également venues sur le tapis.  

      3.  Et maintenant, que fait-on?

Comme les négociations récentes ont achoppé jusqu’à maintenant, le Canada poursuit ses démarches avec la filière juridique. Le système de règlement des différends de l’ALENA lie les parties, et les groupes spéciaux vont soit entériner les décisions des autorités américaines, soit les renvoyer aux organismes responsables des États-Unis pour que ceux-ci prennent des mesures compatibles avec la décision qu’ils rendront. Les seuls motifs d’appel devant un comité de contestation extraordinaire sont l’inconduite grave, le conflit d’intérêts, le vice de procédure, la partialité ou l’abus de pouvoir de la part d’un groupe spécial. Toutefois, comme nous l’avons déjà précisé, le passé donne à penser que, même si elles sont fructueuses, il est peu probable que les procédures juridiques rendent possible un règlement à long terme du différend.

À l’OMC, une fois que les groupes saisis du différend auront rendu leurs décisions, les États-Unis pourront interjeter appel, prolongeant ainsi une procédure déjà longue. Si la position du Canada prévaut à l’OMC, les États-Unis vont finir par devoir corriger leurs mesures, ou le Canada sera autorisé à prendre des mesures de représailles s’il est impossible d’arriver à un règlement satisfaisant du différend.

La plupart des témoins qui ont parlé du différend sur le bois d’œuvre résineux ont dit estimer que le Canada devrait poursuivre le combat juridique, même si certains d’entre eux voudraient aussi que nous n’abandonnions pas l’idée de négocier un règlement. Parmi les plus véhéments dans leur opposition à un tel règlement il y a Les Reed, qui a maintenu que l’appui national des contestations juridiques en cours est d’importance critique si nous voulons éviter un scénario du genre « diviser pour régner », en insistant sur le fait que le Canada est très bien placé dans ses contestations juridiques. Il a aussi fait valoir que tout règlement compatible avec le cadre analytique que le Département du Commerce a proposé constituerait une ingérence criante dans la souveraineté du gouvernement de la Colombie-Britannique quant au processus décisionnel dans le secteur forestier.

Frank Dottori (coprésident, Conseil du libre-échange pour le bois d'œuvre) est convaincu de la victoire devant les tribunaux et il croit qu’un règlement négocié ne servirait pas les intérêts de l’industrie. Dans la foulée de M. Reed, il a aussi exprimé son ressentiment envers les États-Unis qui s’ingèrent dans la politique forestière du Canada. Depuis, d'autres propositions pour parvenir à un accord intérimaires ont vu le jour, incluant la proposition du ministre d'instaurer un système de quota couvrant plus de 90% des exportations canadiennes de bois d'œuvre et d'une taxe à l'exportation applicable aux exportations outre quota.

Susan Petunias (American Consumers for Affordable Homes), porte-parole officielle d’un regroupement de diverses organisations américaines de consommateurs de bois d’œuvre, a pressé le Canada de ne pas abandonner son contentieux prometteur à l’OMC et à l’ALENA pour améliorer ses chances d’une issue heureuse au différend et pour « faire perdre de la puissance » aux efforts de la Coalition for Fair Lumber Imports. Les autres groupes de consommateurs qui comparaissaient avec elle devant le Comité ont transmis le même message. Un certain nombre d’entre eux ont déploré l’application d’une taxe à l’exportation prévue par quelque accord transitoire qui puisse être négocié, en faisant valoir que, selon eux, ce n’était pas une solution.

La position de Richard Ouellet est plus modérée : s’il y avait des motifs raisonnables de conclure un règlement négocié, le Canada devrait opter pour cette méthode, mais la position actuelle des États-Unis n’est ni équitable, ni raisonnable, de sorte que nous devrions poursuivre le combat à l’OMC. Steven Shrybman et Donald Barry préconisent aussi le recours aux règles internationales pour obtenir le règlement du différend, tout comme Billy Garton, associé chez Bull, Housser & Tupper, qui estiment tous trois que les décisions à venir de l’OMC ont renforcé la position du Canada dans ses négociations.

Le Comité a aussi entendu des témoignages sur le choix de l’instance compétente (l’ALENA ou l’OMC). Armand de Mestral a fait valoir que la procédure de règlement des différends de l’OMC est plus solide, et que c’est elle qu’il faut privilégier. John Helliwell a maintenu que l’OMC est l’instance à laquelle nous devons nous adresser pour le différend sur le bois d’œuvre résineux, mais qu’il n’est probablement pas réaliste de s’attendre à ce qu’elle prenne bientôt des mesures pour résoudre nos problèmes d’échanges commerciaux avec les Américains. Donald McRae a déclaré quant à lui qu’il ne faudrait pas imputer au Chapitre 19 notre insuccès dans le différend sur le bois d’œuvre résineux, parce qu’il s’agit plutôt dans ce cas-là de savoir ce que les règles devraient être que de déterminer si les lois américaines ont été appliquées correctement.

Ce sont les témoins représentant l’industrie des produits forestiers de la Colombie-Britannique, les plus directement affectés par le différend, et les producteurs du Canada atlantique qui n’ont pas échappé aux droits antidumping, qui réclament le plus énergiquement un règlement négocié.

Ken Higginbotham (vice-président, Forêt et Environnement, Canfor Corporation) a approuvé la stratégie à deux volets du gouvernement fédéral mais il serait heureux d’un règlement négocié qui accorderait finalement un accès libre au marché américain. Il appuie les modifications que la Colombie-Britannique entend apporter à sa politique forestière. Il est en faveur d’une entente transitoire imposant une taxe compensatoire, mais seulement si elle mène tout droit à l’annulation des ordonnances de droits compensateurs et s’il est convenu de laisser tomber le dossier des droits antidumping.

Bob Flitton (directeur, Affaires immobilières et gouvernementales, Doman Industries Limited) a expliqué que Doman était pour une taxe compensatoire canadienne à cause du long délai maximum (270 jours) prévu pour l’examen du changement des circonstances par le Département du Commerce. Il relève toutefois plusieurs éléments « problématiques » d’un éventuel règlement : la structure de la taxe, le sort des droits perçus jusqu’à maintenant, la nature des réformes de la politique forestière à entreprendre, l’avenir des droits antidumping, le sort de l’action judiciaire du Canada. M. Flitton avertit le Comité que même si le Canada obtient gain de cause devant les tribunaux, rien n’empêchera l’industrie américaine de déposer une autre requête dès le lendemain.

David Larsen (vice-président, Affaires publiques et gouvernementales, Weyerhauser) et John Allan (président, British Columbia Lumber Trade Council) sont aussi de fervents partisans d’un règlement négocié du différend. M. Allan soutient que si le Canada poursuit ses démarches judiciaires, il devra attendre le jugement jusqu’en 2007 au moins. Un autre argument qui joue en faveur de la négociation, c’est le fait que le gouvernement de la Colombie-Britannique a opté pour une politique forestière basée sur le marché, conformément au bulletin politique du Département du Commerce.

Kim Pollock (directeur général, Politique publique de l’environnement, Industrial, Wood and Allied Workers of Canada) a exposé la proposition en deux parties de son syndicat pour régler le différend : l’introduction d’une taxe variable sur le bois d’œuvre administrée par les provinces, pour permettre à l’industrie forestière des deux côtés de la frontière de changer ses pratiques de gestion, associée à l’adoption d’une stratégie unilatérale conjointe de commercialisation du bois d’œuvre et des produits du bois dans le monde entier.

Diana Blenkhorn (présidente et chef de la direction, Bureau du bois de sciage des Maritimes) a signalé que, dans cette série de négociations, on semblait insister davantage sur une solution à long terme et durable au différend. Les deux partis au différend, a-t-elle fait remarquer, ont souffert de cette lutte commerciale qui s’éternise : elle estime que le Canada a laissé, depuis 1986, la somme faramineuse de 800 millions $US en frais et honoraires aux avocats de Washington!

Le Comité a aussi entendu des témoignages de représentants du sous-secteur de la transformation du bois d’œuvre, qui souhaite aussi un règlement du différend. Russ Cameron (Independent Lumber Remanufacturers’ Association) a soutenu que ses membres n’avaient pas les moyens d’attendre l’issue du procès et réclamé l’exemption ou un taux de droit nul pour les produits resciés par les transformateurs indépendants ne détenant pas de tenure forestière. Leur position est claire : comme ils n’ont pas la tenure, ils n'ont aucun rapport avec quelque subvention que ce soit.

Il vaut la peine de souligner aussi plusieurs autres questions inquiétantes, par exemple celle de savoir s’il convient ou non de relier un secteur à un autre dans le contexte des différends commerciaux (sur l’énergie et sur le bois d’œuvre résineux, par exemple), qui a fait parler plusieurs des témoins. À Calgary, nous avons entendu les témoignages de spécialistes et de participants du secteur de l’énergie, qui estiment qu’on devrait rejeter carrément l’idée de relier des questions commerciales ou des secteurs d’activité dans le cas notamment de l’énergie et du bois d’œuvre résineux. Pierre Alvarez, le président de l’Association canadienne des producteurs pétroliers, a déclaré qu’une stratégie comme celle-là ne serait pas efficace et pourrait causer une spirale d’aggravation des problèmes commerciaux. Donald Barry et l’ambassadeur Kergin se sont opposés aussi à l’idée de relier des secteurs. Philip Prince, le président du Canadian Energy Research Institute, a maintenu qu’il serait très difficile de relier un secteur à un autre étant donné qu’ils sont tous très complexes et uniques. Compte tenu du risque inhérent d’une stratégie de regroupement, le Comité a jugé ces arguments convaincants; il aimerait que le Canada fasse preuve de prudence lorsqu’il envisage de relier différents secteurs d’activité économique dans toute stratégie de règlement ou d’élimination de certains différends ou irritants commerciaux.

Les membres du Comité se sont aussi fait signaler le problème que pose la Continued Dumping and Subsidy Offset Act de 2000 ou «l’amendement Byrd ». Cet amendement prévoit que les producteurs nationaux qui appuient des pétitions réclamant des enquêtes susceptibles de déboucher sur l’imposition de droits antidumping et compensateurs peuvent être admissibles à recevoir les droits perçus par suite de ces enquêtes.

À l’instar de nombreux autres membres de l’OMC, le Canada a contesté cette loi devant l’Organisation; il a obtenu une décision favorable de l’Organe d’appel en janvier 2003. Claude Carrière a témoigné que les États-Unis ont déclaré qu’ils appliqueraient la décision de l’OMC en modifiant leur loi et qu'on leur donnera un délai raisonnable pour s'y conformer. L’inconvénient – car il y en a un –, c’est qu’on s’oppose farouchement, au Sénat des États-Unis, à toute suppression de l’amendement, et que l’aval du Congrès est indispensable pour que les États-Unis se conforment à leurs obligations commerciales internationales[27].

Après avoir soigneusement étudié les témoignages qu'il a entendus au sujet du différend sur le bois d’œuvre résineux, le Comité a conclu que le Canada devrait poursuivre à la fois sa bataille juridique à l’OMC et sa demande de règlement des différends sous le régime de l’ALENA. Si c’est avantageux pour ses intérêts, il devrait s’efforcer d’obtenir une solution à long terme garantissant l’accès intégral des produits forestiers canadiens au marché américain. Toutefois, nous ne devrions pas céder aux pressions des Américains pour nous amener à régler rapidement ce différend à leurs conditions, car cela transformerait radicalement la politique et les pratiques traditionnelles de gestion forestière du Canada. Nous ne devrions renoncer à la filière juridique que si nous avons la certitude d’obtenir un résultat négocié qui nous assurerait un libre accès au marché américain. Le Comité recommande donc :

Recommandation 8

Que le Gouvernement du Canada, de concert avec les provinces concernées, maintienne son objectif de conclure avec les États-Unis un accord permanent libéralisant complètement le marché du bois d’œuvre résineux. D’ici là, que le Canada, dans tout accord à court terme conclu pour se donner le temps de parvenir à un accord permanent, ne renonce pas à son droit d’obtenir les jugements des groupes spéciaux de l’OMC et de l’ALENA ou de connaître les résultats des mesures prises en vertu du chapitre 11 de l’ALENA et exige que :

a)     les droits antidumping imposés aux producteurs canadiens de bois d’œuvre résineux soient abolis; et

b)      tous les droits antidumping et compensateurs perçus jusqu’à maintenant soient remis au Canada.

Au sujet de l’aide du gouvernement fédéral, qui a été conçue pour contrer la perturbation dans l’industrie forestière qui affecte les quelque 250 localités canadiennes tributaires de l’industrie du bois d’œuvre résineux, il faut préciser qu’elle comprend des mesures telles qu’une aide financière pour les travailleurs déplacés, pour l’adaptation des collectivités et le développement économique, pour la recherche-développement sur le bois d’œuvre résineux, pour les initiatives d’expansion du marché et, enfin, pour les efforts de défense de ce secteur économique. Le Comité a entendu des témoins déclarer qu’il faudrait accroître cette aide et, plus précisément, que le gouvernement fédéral devrait ordonner à Exportation et développement Canada (ou à la Banque de développement du Canada) d’offrir des garanties de prêt afin d’aider les entreprises qui en ont besoin à poursuivre leur combat juridique contre les mesures américaines de harcèlement commercial. Nous ne sommes pas favorables à cette suggestion, étant donné que nous sommes très conscients du fait que toute aide directe du gouvernement à l’industrie forestière serait tout simplement perçue par le lobby des produits forestiers américain comme une subvention de plus aux producteurs forestiers canadiens.

Enfin, le Comité a entendu des témoins décrire les difficultés que le gouvernement et l’industrie forestière ont éprouvées pour arriver à aborder de la même façon le différend sur le bois d’œuvre résineux. M. Dottori a proposé une solution : la mise en place d’un système plus structuré de coopération fédérale-provinciale, incorporant l'apport du secteur privé, pour composer avec les grands différends bilatéraux, comme celui sur le bois d’œuvre résineux, dans l’avenir, qui prendrait en considération les intérêts du fédéral et des provinces.  

   B.  Questions agricoles

En plus d’avoir été victimes de recours commerciaux américains (p. ex. une enquête pouvant déboucher sur des droits compensateurs et antidumping dans le cas des exportations de bovins vivants aux États-Unis à partir de 1998 et une nouvelle contestation pouvant elle aussi mener à l’imposition de droits compensateurs et antidumping sur les exportations de blé, qui s’ajoutent à une pléthore de contestations commerciales américaines antérieures contre la Commission canadienne du blé), les industries agricoles canadiennes risquent d’être affectées par les dispositions du U.S. Farm Bill (p. ex. étiquetage du pays d’origine de la viande et augmentation du soutien interne). Nous allons maintenant décrire les questions cruciales pour ces industries, en plus de la menace potentielle que pose la législation américaine contre le bioterrorisme que nous avons décrite (voir la rubrique sur la frontière, supra).  

      1.  Différend au sujet de la Commission canadienne du blé

La Commission canadienne du blé (CCB), qui a été fondée en 1935, est un organisme de commercialisation centralisé chargé de vendre tout le blé et tout l’orge produits dans l’Ouest du Canada. Elle équivaut à une forme d’action collective de la part des producteurs céréaliers, légiférée par le gouvernement fédéral, afin que ceux-ci puissent maximiser le rendement financier de leurs récoltes et soient en mesure de rivaliser avec les grandes entreprises multinationales du commerce céréalier en activité aux États-Unis et dans d’autres pays. La CCB est essentiellement une coopérative de commercialisation comptant parmi les plus gros vendeurs de blé et d’orge du monde, avec des ventes annuelles de plus de 20 millions de tonnes de ces céréales dans plus de 70 pays. Les recettes des ventes de la CCB fluctuent entre 4 milliards et 6 milliards de dollars par année, ce qui représente environ 20 p. 100 du marché mondial.

Aux États-Unis, les producteurs céréaliers vendent leurs récoltes directement à des multinationales de commercialisation qui jouent les intermédiaires pour les revendre aux consommateurs. Comme les céréales canadiennes sont vendues au nom des producteurs par la Commission canadienne du blé, il n’y a pas de tels intermédiaires au Canada. Les États-Unis prétendent que cette absence d’intermédiaires basés sur le marché conjuguée au fait que la CCB se sert de son pouvoir de commercialisation internationale afin d’obtenir des prix plus élevés pour les producteurs canadiens revient à faire bénéficier ces derniers d’une subvention implicite, ce qui leur procure un avantage injuste par rapport aux producteurs américains. Selon l’honorable Ralph Goodale (ministre responsable de la Commission canadienne du blé), les Américains prétendent également que le Canada inonde le marché américain de grandes quantités de blé et que nous n’offrons pas un accès réciproque à notre marché. Le ministre Goodale a soutenu que plutôt de pratiquer le dumping de produits dans le marché bas de gamme, la Commission commercialise en fait du blé et de l’orge dans le marché haut de gamme, sous forme de produit différencié de grande qualité.

Pour sa part, le Canada maintient que c’est la faiblesse des prix internationaux des céréales plutôt que les politiques canadiennes de commercialisation qui cause des difficultés aux producteurs américains. Il maintient que ces prix peu élevés sont attribuables en partie aux importantes subventions à l’agriculture aux États-Unis, dans l’Union européenne et au Japon. La position du Gouvernement du Canada consiste à dire que les pratiques de la CCB sont entièrement compatibles avec ses obligations commerciales internationales. D’ailleurs, tant le ministre Goodale qu’Ian McCreary, de la Commission canadienne du blé, ont informé le Comité que celle-ci n’octroie ni n’obtient des subventions gouvernementales. Plutôt, le rendement net que la CCB tente d’obtenir sur ses ventes revient aux fermiers, une fois tous les coûts déduits, et ces derniers prennent leurs décisions culturales en se fondant uniquement sur les signaux des marchés américains des produits primaires. De plus, la CCB ne tente pas de casser les prix sur le marché américain. En 2001, les enquêteurs de la Commission du commerce international ont conclu que le prix du blé dur canadien vendu aux É.-U. était plus élevé que le prix du blé dur américain dans tous les cas sauf un pendant la période de six mois examinée. Enfin, le droit commercial international permet actuellement aux ECE de fonctionner à condition qu’elles le fassent conformément aux pratiques commerciales normales. Néanmoins, la question de ces entreprises commerciales d’État (ECE) figure à l’ordre du jour de la ronde actuelle de négociations agricoles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Les Américains estiment que les ECE devraient être interdites.  

         a.  Contestations juridiques

Il est arrivé dix fois depuis l’entrée en vigueur de l’ALE que les États-Unis fassent enquête sur les politiques et pratiques canadiennes de commercialisation du blé. Ils ont accusé la Commission canadienne du blé de subventionner les producteurs, de faire du dumping et de pratiquer des prix discriminatoires (en fixant des prix plus élevés dans certains marchés – au Canada, par exemple – et en se servant des recettes ainsi générées pour compenser des prix moins élevés dans d’autres marchés, comme celui des États-Unis). On n’a trouvé des preuves de telles activités dans aucun de ces dix cas. La liste de ces enquêtes est présentée à l’annexe 3.

La plus récente contestation commerciale remonte à septembre 2002; elle émanait de la North Dakota Wheat Commission (NDWC) et était basée sur un rapport daté de février 2002, publié par le Représentant au commerce des États-Unis (USTR) Robert Zoellick, qui alléguait que les droits monopolistiques et les privilèges spéciaux accordés à la CCB lui donnaient des avantages concurrentiels injustes par rapport aux producteurs de blé américains. À l’époque, le Représentant avait laissé entendre qu’il étudierait la possibilité de prendre diverses mesures contre les politiques canadiennes du blé et contre les pratiques de la CCB, notamment une contestation devant l’OMC. M. McCreary a déclaré que l'USTR avait décidé de se prévaloir d’autres recours commerciaux même après qu’un rapport publié par la Commission du commerce international des États-Unis eut contredit ses allégations de prix artificiellement bas et de dumping sur les marchés mondiaux par la CCB. Il a conclu que, dans cette affaire-là aussi, les intérêts politiques l’avaient emporté sur les faits, en ajoutant que de nouvelles règles commerciales s’imposaient pour réduire le nombre de cas de harcèlement commercial inspiré par des motifs purement protectionnistes.

En septembre 2002, la NDWC, la Durum Growers Association des États-Unis et le Durum Growers Trade Action Committee se sont servis de ce rapport de l'USTR pour porter plainte auprès du Département du Commerce des États-Unis en accusant la CCB de faire du dumping de blé à des prix beaucoup trop bas sur le marché américain. Les requêtes déposées réclament l’imposition de droits antidumping et compensateurs sur les importations de blé de force roux de printemps et de blé dur du Canada. En octobre 2002, la Commission du commerce international des États-Unis a entrepris les enquêtes réclamées; en mars 2003, après avoir étudié plusieurs programmes gouvernementaux, le Département du Commerce a conclu qu’il y avait des preuves de deux subventions pouvant justifier des droits compensateurs (les garanties financières de la CCB et les programmes de transport ferroviaire). Il a annoncé l’imposition de droits provisoires de 3,94 p. 100 sur les importations de blé dur et de blé de force roux de printemps du Canada. Le Gouvernement du Canada a réfuté les conclusions préliminaires du Département du Commerce.

Le 2 mai 2003, le Département du Commerce a annoncé ses déterminations préliminaires positives à l’issue des enquêtes sur les droits antidumping. Il a conclu de façon préliminaire que certaines importations de blé dur et de blé de force roux de printemps avaient été vendues à un prix inférieur à leur juste valeur, les marges de dumping étant respectivement de 8,15 p. 100 et 6,12 p. 100. Le Gouvernement du Canada conteste ces conclusions, en faisant valoir que les prix du blé en Amérique du Nord sont déterminés par l’offre en Amérique du Nord, non pas par le prétendu dumping canadien. Les décisions finales sur les droits compensateurs et antidumping sont attendues à la mi-juillet, et l’examen des préjudices devrait se conclure en août. Ted Menzies, le président de l’Alliance agro-alimentaire commerciale du Canada, et Kenton Ziegler ont tous deux déclaré que les honoraires juridiques qu’ils ont dû acquitter pour se défendre contre cette plus récente contestation commerciale s’élèvent à environ 10 millions de dollars.

Les États-Unis ont aussi contesté les politiques canadiennes du blé à l’OMC. En mars 2003, un groupe spécial a été chargé d’examiner a) les activités de la CCB dans le contexte des obligations du Canada conformément à l’article 17 du GATT – Entreprises commerciales d’État et b) le traitement réservé par le Canada aux céréales importées. Le gouvernement fédéral est irrité par ces dernières contestations légales et compte bien défendre une fois de plus ses politiques dans le secteur du blé contre ce qu’il considère comme des allégations non fondées à l’endroit de la CCB.  

         b.  Témoignages entendus

Le Comité a entendu un certain nombre de suggestions sur la CCB et sur les entreprises commerciales d’État. Robert Friesen et Ian McCreary ont tous deux pressé le gouvernement fédéral de faire énergiquement valoir les règles de l’OMC confirmant clairement le droit des pays d’avoir recours aux services de la Commission canadienne du blé pour commercialiser l’orge et le blé de l’Ouest canadien, d’avoir recours à un organisme de vente à comptoir unique et de combiner les rendements sans distorsion des échanges commerciaux. Un projet récemment rendu public par le négociateur en chef de l’OMC, Stuart Harbinson, prévoit l’élimination graduelle des entreprises d’État comme la CCB. Il souscrit généralement à la position des États-Unis selon lesquels les entreprises d’État n’ont pas leur place dans le contexte du libre-échange. Selon Ian McCreary, le gouvernement fédéral devrait s’employer activement à faire en sorte que les passages du projet Harbinson préconisant cette solution soient rejetés.

On a aussi entendu d’autres opinions. Le représentant américain Earl Pomeroy a exprimé les inquiétudes des agriculteurs du Dakota du Nord qui craignent que les prix du blé ne soient pas déterminés par un marché libre et que les subventions versées par la Commission accordent un avantage concurrentiel déloyal aux producteurs céréaliers canadiens sur les marchés du tiers monde.

David Usherwood a demandé au Comité de recommander que le Gouvernement du Canada mette fin au monopole des ventes de blé et d’orge que la CCB détient actuellement. À son avis, le désamorçage de la question du monopole éliminerait les conflits commerciaux constants avec les États-Unis au sujet des activités de la Commission. Tout comme Douglas McBain, le président de la Western Barley Growers Association, il est favorable à l’introduction de la concurrence à la CCB.

Cela dit, selon la Commission canadienne du blé elle-même, ou bien il y a un comptoir de vente unique, ou bien il n’y en a pas. Nous ne pouvons pas avoir de système facultatif, car il en résulterait fatalement des profiteurs. Pour apaiser le mécontentement de certains producteurs à l’égard de son monopole, la CCB a proposé plusieurs options pour assouplir son barème de prix et pour prendre d’autres mesures en ce sens.

Un autre aspect dont il faut tenir compte, c’est que dans certains milieux américains, on continue à croire que la Commission canadienne du blé est un organe du gouvernement fédéral. Toutefois, comme l’a rappelé au Comité le ministre Goodale, la Commission a beaucoup changé au cours des quatre dernières années. Elle ne constitue plus une société d’État et elle est maintenant gérée par un conseil d’administration moderne dont la majorité des membres sont des agriculteurs élus directement par d’autres agriculteurs. Actuellement, seulement cinq des quinze administrateurs de la Commission sont nommés par le gouvernement fédéral, notamment le président. Les pouvoirs de la Commission sont donc exercés par des agriculteurs et non par le gouvernement fédéral. De plus, Ian McCreary a fait remarquer qu’on envisage d’autres modifications législatives pour desserrer tous les liens officiels qui alimentent toujours cette impression.

Enfin, Ian McCreary et Dennis Laycraft (vice-président exécutif, Canadian Cattlemen’s Association) préconisent la modification des règles antidumping de l’OMC de façon à restreindre la définition du dumping pour empêcher expressément les prix d'éviction discriminatoires. Compte tenu de la nature cyclique des prix des produits agricoles, il y a bien des périodes où les prix de vente sont inférieurs au coût de production sans que le producteur ne soit en faute et où il peut par conséquent être victime de mesures antidumping. Les règles antidumping actuelles ne devraient donc pas s’appliquer au commerce des produits agricoles. Kenton Ziegler, le président de l’Alberta Canola Producers Commission, est aussi partisan de mesures dans ce domaine.

Le Comité est convaincu que la Commission joue un rôle utile en commercialisant du blé et de l’orge de grande qualité sans toucher de subventions. Tous les efforts voulus devraient être déployés à l’OMC pour maintenir la CCB en tant qu’entreprise commerciale légitime et pour modifier les règles antidumping de l’OMC en matière d’agriculture. Nous recommandons :

Recommandation 9

Que le Gouvernement du Canada :

a)     travaille de concert avec des pays partageant son point de vue afin d’éliminer du document de négociation de l’OMC sur l’agriculture toute proposition d’éliminer graduellement les entreprises commerciales d’État ou les entreprises  contrôlées par les agriculteurs comme la Commission canadienne du blé; et

b)      cherche surtout à renforcer les règles antidumping de l’OMC afin de tenir compte des particularités du secteur agricole, étant donné qu’il arrive souvent que les prix des denrées subissent l’influence de facteurs extérieurs qui les font baisser au-dessous des coûts de production (déclencheur de mesures antidumping).

         2.  Farm Bill des États-Unis

La Farm Security and Rural Investment Act de 2002, communément appelée le Farm Bill, est entrée en vigueur le 13 mai 2002 lorsqu’elle a été signée par le Président Bush. C’est une loi omnibus dont l’application va s’étaler sur plusieurs années et qui embrasse une vaste gamme de lois concernant les politiques agricoles et alimentaires fédérales des États-Unis. Elle est censée remplacer le Farm Bill de 1996, dont les dispositions devaient expirer en septembre 2001. Tout comme lui, le Farm Bill de 2002 aura une période d’application de six ans, qui expirera en 2007.

Tout bien considéré, le Farm Bill est une loi extraordinairement complexe dont les implications à long terme ne sont pas encore claires. Bien qu’on l’associe communément au versement de subventions aux agriculteurs américains, il porte sur une vaste gamme de questions et de problèmes agricoles et contient notamment des dispositions sur le commerce international, l’aide étrangère, la conservation et l’environnement. Néanmoins, la controverse qu’il a générée était focalisée sur l’augmentation substantielle des paiements de soutien agricole. En effet, le Farm Bill de 2002 injectera 51,7 milliards de dollars US dans les programmes américains de soutien agricole sur la période 2002-2007, en plus des sommes déjà prévues pour les mesures comprises dans le Farm Bill de 1996. La projection totale des dépenses prévues dans la version de 2002, y compris les initiatives débordant le cadre traditionnel des programmes agricoles, s’élèverait d’après les estimations à 273,9 milliards de dollars US. Rory McAlpine et Ted Menzies ont déclaré au Comité que les subventions américaines à l’agriculture, qui étaient jusque-là versées de façon ponctuelle, seront désormais garanties pour une période de six ans.

L’adoption du Farm Bill était motivée au moins en partie par le désir des autorités américaines de protéger leurs intérêts agricoles contre les activités agricoles généreusement subventionnées de l’Union européenne et du Japon. Les estimations préliminaires pour l’année 2001, avant l’adoption du Farm Bill, révèlent que les transferts des consommateurs et des contribuables équivalaient à 21 p. 100 des recettes brutes des exploitations agricoles aux États-Unis. En comparaison, ils s’élevaient à 35 p. 100 des recettes agricoles pour l’Union européenne et à 59 p. 100 pour le Japon. Au Canada, l’aide financière est comparativement faible (17 p. 100 des recettes agricoles brutes).  

            a.  Farm Bill et OMC

Les États-Unis affirment qu’ils sont encore bien décidés à éliminer à la longue toutes les subventions à l’agriculture. Néanmoins, ils maintiennent que, compte tenu des subventions versées par les autres pays à leurs agriculteurs, qui ont des effets majeurs de distorsion des marchés, ils doivent protéger leurs propres intérêts agricoles en « rendant les règles du jeu équitables », sans sacrifier les agriculteurs américains à la production étrangère subventionnée. À Washington, plusieurs témoins ont raconté essentiellement la même histoire au Comité : que le Farm Bill était destiné à exercer une pression sur l’UE, le Japon et d’autres pays pour les amener à réduire leurs subventions à l’agriculture. Le représentant Pomeroy est même allé jusqu’à qualifier le Farm Bill d’équivalent commercial d’une course aux armements, destiné à obtenir un allégement rapide des subventions versées aux adversaires.

L’automne dernier, les États-Unis ont déposé à l’OMC leur proposition de réduction des subventions à l’agriculture. Dans cette proposition, ils disent accepter d’éliminer leurs subventions en ajoutant toutefois qu’ils commenceront à le faire seulement quand les subventions européennes et japonaises auront été réduites au niveau actuel des leurs. D’après les témoignages entendus au Comité, les Européens ont été réticents à agir jusqu’à présent.

En dépit de l’augmentation du soutien à la production des agriculteurs américains qu’il prévoit, les États-Unis maintiennent que le Farm Bill est compatible avec leurs engagements vis-à-vis de l’OMC. En vertu de la réglementation actuelle de l’OMC, les États-Unis ne peuvent pas octroyer plus de 19,1 milliards de dollars US par année en subventions à l’agriculture liées au prix ou à la production. Pourtant, d’après les analystes de la Communauté européenne, il est très vraisemblable que les dispositions sur les subventions du Farm Bill lui feront dépasser ce plafond.

Les répercussions à long terme du Farm Bill sont encore loin d’être claires, mais l’augmentation des subventions à l’agriculture aux États-Unis est globalement inquiétante pour le Canada et pour les autres pays. On s’inquiète notamment du fait que le Farm Bill risque de compromettre les progrès en vue de la réforme agricole au cours de la ronde actuelle de négociation à l’OMC. Le Canada et de nombreux autres pays réclament avec insistance l’élimination des subventions à l’agriculture. Or, même si les États-Unis disent continuer à vouloir atteindre le même objectif, bien des observateurs sont convaincus que la contribution du Farm Bill au soutien des producteurs agricoles américains représente un pas dans l’autre direction. Qui plus est, de nombreux pays estiment que le Farm Bill va saper la crédibilité des États-Unis dans les négociations agricoles de demain.  

            b. Répercussions du Farm Bill au Canada et ailleurs

Les critiques du Farm Bill craignent que l’augmentation des subventions à la production que cette loi offre aux agriculteurs américains n'exerce d’autres pressions à la baisse sur les prix internationaux des produits agricoles en maintenant un niveau de production artificiellement élevé. Les subventions sont considérées comme dommageables parce qu’elles créent un cercle vicieux de difficultés et de dépendance. En effet, elles encouragent les agriculteurs à continuer à produire des denrées qui ne seraient pas profitables s’ils n’avaient pas accès à un soutien financier. L’introduction en particulier de paiements contracycliques garantis devrait normalement avoir un effet de distorsion sur les prix mondiaux des céréales. Il s’ensuit que le Farm Bill risque d’exacerber les difficultés avec lesquelles sont aux prises les agriculteurs du monde entier.

Le Canada craint pour sa part que cela ne nuise à ses agriculteurs, particulièrement à ceux des provinces des Prairies. Les producteurs céréaliers canadiens comptent parmi les moins subventionnés du monde industrialisé. Une augmentation des subventions versées aux agriculteurs américains creuse l'écart entre le soutien du revenu offert à ceux-ci et celui accordé aux agriculteurs canadiens qui ont alors plus de mal encore à demeurer compétitifs.

En outre, on croit que la production subventionnée dans le monde industrialisé est un obstacle majeur à la croissance économique des pays en développement, puisque les pays pauvres qui disposent des ressources économiques nécessaires pour devenir d’importants producteurs agricoles sont incapables d’exporter leurs produits en raison des tarifs élevés et des prix internationaux en baisse à cause de la production subventionnée des pays riches.  

            c.  Étiquetage du pays d’origine

Bien que les subventions aient retenu une grande partie de l’attention internationale qui lui a été accordée, le Farm Bill présente d’autres aspects inquiétants aussi. En effet, ses dispositions sur l’étiquetage du pays d’origine pourraient avoir de graves implications pour les producteurs et les exportateurs canadiens, particulièrement dans le secteur du bétail. Le gouvernement fédéral et l’industrie agroalimentaire canadienne s’efforcent donc en priorité de faire abroger cette loi.

À partir de septembre 2002, un système d’étiquetage volontaire a été introduit pour la vente au détail de la viande, du poisson, des fruits et légumes et des arachides. Les établissements de restauration sont exemptés. L’étiquetage deviendra obligatoire en septembre 2004 à moins que le Farm Bill ne soit modifié. Les lignes directrices de l’étiquetage volontaire, qui inspireront probablement les dispositions sur l’étiquetage obligatoire en 2004, sont très précises. Dans le cas de la viande et de ses produits, par exemple, on ne pourra apposer l’étiquette « Product of the U.S. » que sur les produits d’animaux nés, élevés et abattus aux États-Unis. Les étiquettes de tous les autres produits devront préciser tous les pays ayant participé à la production, en ordre décroissant selon leur apport en poids au produit final.

Les obligations d’étiquetage du pays d’origine étaient censées permettre aux consommateurs américains de distinguer les produits agricoles de chez eux de ceux qui sont produits en tout ou en partie à l’extérieur de leur pays. Certains agriculteurs et éleveurs canadiens craignent qu’il n’en résulte des étiquettes compliquées et des systèmes de suivi coûteux, particulièrement quand on sait que de nombreuses bêtes passent un certain temps au Canada et aux États-Unis entre leur naissance et leur transformation, de sorte que tout cela constituerait un obstacle important au commerce pour les producteurs canadiens. La ségrégation et les autres règlements applicables à l’étiquetage du pays d’origine coûteront, selon les estimations, de 1 à 2 milliards de dollars à la seule industrie canadienne de la viande rouge.

L’étiquetage du pays d’origine imposerait aussi vraisemblablement des coûts très élevés sur le marché américain. D’après un rapport du Département de l’Agriculture des États-Unis, le coût pour les consommateurs américains de l’identification du bœuf produit chez eux s’élèverait à environ 2 milliards de dollars.

Enfin, les critiques du Farm Bill ont fait remarquer que les nouvelles exigences d’étiquetage sont curieuses, puisque les États-Unis se sont farouchement opposés à la proposition de l’Union européenne d’exiger l’étiquetage des organismes génétiquement modifiés (OGM). Selon les États-Unis, l’étiquetage des OGM et le règlement qui l'imposerait seraient susceptibles de constituer un obstacle au commerce.

À Washington, le Comité a été renseigné sur la complexité des règlements applicables à l’étiquetage du pays d’origine, qui amène l’industrie de la viande des États-Unis à refuser d’étiqueter ses produits. Sharon Bomer-Laurentsen (sous-représentante américaine adjointe au Commerce pour l’agriculture) a mentionné que le Département de l’Agriculture voulait que la réglementation restreigne le commerce le moins possible. Le sénateur américain Craig Thomas (rép. – Wyoming) s’est montré étonné que les règles d’étiquetage du pays d’origine causent des inquiétudes et a déclaré que toute difficulté d’administration du programme devrait être considérée comme un sujet de préoccupation américain.

Du côté canadien de la frontière, le Comité s’est fait dire que le gouvernement du Canada ne devrait pas hésiter à contester devant l’OMC et dans le cadre de l’ALENA les conditions d’étiquetage du pays d’origine, dans l’éventualité où celui-ci ne resterait pas volontaire, si c’est dans l’intérêt du Canada. Le gouvernement va continuer à s’efforcer de convaincre les autorités américaines d’abroger cette disposition du Farm Bill.  

   C.  Subventions américaines au projet de gazoduc de l’Alaska

Les fonctionnaires canadiens ont deux principales craintes au sujet de la construction d’un pipeline pour transporter le gaz naturel du versant nord de l’Alaska jusqu’aux marchés américains « des 48 États du Sud » en passant par le Canada. Le fait que le gros du pipeline sera aménagé au Canada donne à notre pays un certain pouvoir dans les discussions sur les questions liées aux politiques énergétiques.

Premièrement, le projet de loi américain injecterait des subventions dans le projet. Le comité de l’énergie et des ressources naturelles du Sénat américain a étudié un projet de loi prévoyant un amortissement accéléré, des garanties d’emprunt (à hauteur de 18 milliards de dollars US) et des crédits d’impôt au cas où le prix du gaz à la tête du puits en Alaska tomberait sous les 1,35 $US par mille BTU.

Les gouvernements canadien et américain veulent tous deux que les décisions concernant le pipeline soient prises uniquement en fonction des forces du marché. Autrement dit, c’est le secteur privé qui, au bout du compte, devrait décider de la nature du pipeline et du moment de sa construction. Du point de vue du Canada, toute aide financière provoquerait une distorsion des marchés de l’énergie et nuirait aux projets canadiens dans le delta du Mackenzie. L’ambassadeur Kergin a déclaré au Comité que le projet de loi sur le pipeline causerait effectivement des préjudices au projet du delta du Mackenzie. Paul Frazer a déploré le manque de dialogue utile sur la question du pipeline et pressé les Canadiens d’étudier attentivement le projet de loi. Le Gouvernement du Canada semble s’opposer principalement aux crédits d’impôt prévus dans le projet de loi américain. Pour sa part, l’Administration Bush tente de résister au Congrès qui cherche à faire ajouter des subventions à la version finale du projet de loi.

Deuxièmement, le pipeline de l’Alaska pourrait laisser en plan les réserves gazières du delta du Mackenzie, mais comme le Comité s’est fait dire tant par l’ambassadeur du Canada que par celui des États-Unis que si le projet du Mackenzie débute en premier – et des indices laissent croire que c’est ce qui arrivera –, ce problème n’en serait plus un.  

AMÉLIORER LA PRÉSENCE OFFICIELLE DU CANADA, LA TRANSMISSION DE L’INFORMATION ET LA DÉFENSE DE NOS INTÉRÊTS AUX ÉTATS-UNIS

On a aussi discuté devant le Comité des trois questions clés suivantes : a) si la présence officielle du Canada aux États-Unis est suffisante, particulièrement aux paliers local et régional; b) si le Canada renseigne suffisamment bien les décideurs américains sur l’état des relations commerciales bilatérales et sur les mesures de sécurité qu’il prend; et c) si le Canada déploie suffisamment d’efforts aux États-Unis pour défendre les intérêts commerciaux canadiens, notamment dans les domaines du bois d’œuvre résineux, de l’agriculture et des problèmes frontaliers. Sur le premier point, le Comité a entendu plusieurs témoins déclarer que le Canada doit accroître sa présence aux États-Unis, particulièrement à l’extérieur de Washington, dans les centres régionaux. Dans les années 1990, les compressions des ressources avaient eu pour effet de réduire l’effectif des représentants canadiens dans ces localités et ces régions, ce qui nuit à nos efforts pour recueillir de l’information sur les marchés, élaborer des politiques commerciales et communiquer avec les Américains au niveau des localités, des régions et des États.

Le budget de février 2003 a tenté d’atténuer ce problème puisqu’il prévoyait 11 millions de dollars pour l’amélioration de la représentation du Canada dans les diverses régions des États-Unis. On prévoit que cette somme sera consacrée par le MAECI à l’ouverture de cinq à sept nouveaux consulats qui s’ajouteront aux quatorze bureaux diplomatiques et commerciaux déjà établis aux États-Unis pour faire la promotion du commerce, particulièrement dans des régions stratégiques comme le Sud-Ouest. Malgré cet ajout, le nombre total de bureaux régionaux ne dépassera guère plus que la moitié des 38 qui représentent le Mexique aux États-Unis, une situation que le Comité juge inacceptable.

L’ambassadeur Kergin a affirmé qu’on ne se plaint jamais d’avoir trop d’argent, mais que l’ambassade du Canada à Washington avait néanmoins un budget assez élevé et que ce qu’il fallait vraiment, c’est une plus grande représentation régionale.

Paul Frazer a approuvé en soulignant la variation démographique des régions américaines et la nécessité d’ouvrir de nouveaux consulats dans les régions du pays en forte croissance. Toutefois, il demande que de l’argent neuf soit injecté dans les bureaux régionaux et que ces consulats soient dotés d’un personnel suffisant.

William Lash III croit que le Canada doit être plus visible aux États-Unis et y ouvrir d'autres bureaux régionaux. Il serait également utile d’y avoir de plus nombreux représentants des provinces.

Les témoins que le Comité a entendus n’étaient pas tous d’avis qu’il faut injecter plus de ressources aux États-Unis. Roy McLaren, par exemple, a fait valoir deux points cruciaux contre une telle approche. Premièrement, le secteur privé canadien est parfaitement capable de desservir le marché américain et n’a pas besoin d’aide supplémentaire du gouvernement. Deuxièmement, investir des ressources supplémentaires aux États-Unis ne fera qu’accroître davantage notre dépendance commerciale par rapport à ce marché. Selon lui, il serait préférable que le gouvernement investisse ailleurs qu’aux États-Unis, afin de contribuer à diversifier les relations commerciales du pays.

Même si le Comité reconnaît de tout cœur la nécessité de la diversification du commerce canadien – et nous y reviendrons plus longuement – il reconnaît aussi que le Canada n’est pas suffisamment bien représenté dans des régions clés des États-Unis comme le Sud et le Sud-Ouest. De nouveaux bureaux doivent y être ouverts et recevoir comme principal mandat de mousser les ventes des produits et services canadiens dans les régions économiques importantes des États-Unis et, comme Laura Macdonald (professeure, Université Carleton) l'a déclaré au Comité, de faire bien connaître les intérêts et les préoccupations du Canada à l’extérieur de Washington. Il faudrait donc moins insister sur les services diplomatiques classiques offerts dans les consulats et avoir recours à des consuls honoraires si on impose des restrictions budgétaires.

Il y a aussi la question de la transmission aux Américains de renseignements utiles sur l’état du commerce et de la sécurité entre les deux pays. Selon Donald Barry, le Canada est mal perçu par les médias américains et par le monde législatif des États-Unis, et il faudrait corriger ces impressions négatives du public et des législateurs. À son avis, le Canada devrait faire savoir dans tous les États-Unis qu’il est un partenaire sûr et fiable des Américains (c.-à-d. pas une menace pour la sécurité), qu’il est un partenaire économique capital – le Canada est d’ailleurs le premier marché d’exportation de marchandises de 39 des 50 États américains – et qu’il est le plus important fournisseur étranger de pétrole, de gaz naturel et d’hydroélectricité du marché américain. Le Comité a recommandé (cf. la recommandation 1) qu’une campagne d’information sur les questions de sécurité soit lancée.

M. Barry a fait remarquer que la tâche de modifier les perceptions américaines du Canada sera difficile, compte tenu du sentiment de vulnérabilité de nos voisins côté sécurité et du fait que la sécurité est pour eux une priorité si cruciale à l’heure actuelle. À son avis, nous devrions travailler de concert avec les autorités américaines pour contribuer à dissiper ces perceptions. Plusieurs autres témoins ont fait observer que les incidents préjudiciables pour la sécurité et mettant le Canada en cause semblent être amplifiés par les médias tandis que les progrès réalisés (p. ex. le Plan d’action pour la frontière) sont passés sous silence.

À Washington, Theresa Cardinal-Brown (coprésidente, Americans for Better Borders Coalition) a pressé les Canadiens de renseigner le Congrès américain sur nos politiques d’immigration pour renverser l’impression actuelle que celles-ci sont moins rigoureuses que celles de nos voisins du Sud. William Lash III a dit aux politiciens canadiens d’« éveiller » leurs homologues américains à la réalité commerciale canado-américaine.

Enfin, certains des témoins qui ont comparu devant le Comité avaient aussi à l’esprit l’amélioration de la promotion des intérêts canadiens aux États-Unis. En mai 2002, le Gouvernement du Canada a décidé de consacrer 20 millions de dollars à une campagne de promotion, dont la plus grande partie (17 millions de dollars) sous la forme d'une subvention à l’Association des produits forestiers du Canada, pour faciliter la promotion des intérêts canadiens dans le domaine du bois d’œuvre résineux. Lorsqu’il a comparu devant le Comité, le Ministre Pettigrew a insisté sur la nécessité d’une expansion du programme de promotion du Canada aux États-Unis. Des fonds supplémentaires permettraient au gouvernement fédéral d’intensifier ses efforts en vue d’informer les législateurs américains de la position canadienne sur le conflit du bois d’œuvre résineux et du prix que les consommateurs américains sont contraints à payer en raison des droits imposés sur les produits forestiers canadiens.

M. Barry a aussi souligné que l’incidence du Canada sur les États-Unis est essentiellement ressentie aux niveaux sectoriel et régional. Les perceptions que les Américains ont de nous sont rarement combinées au palier national, sauf pour une impression générale qui n’est pas bien informée. Les opinions sectorielles et régionales prévalent souvent, et c’est pourquoi le Canada se doit de trouver des alliés pour contrer les pressions exercées par ces sources. À ce propos, selon M. Frazer, il serait utile que les premiers ministres provinciaux et les gouverneurs américains se réunissent régulièrement.

Laura Macdonald a souligné pour sa part que le Canada va devoir apprendre comment faire un lobbying plus dynamique et plus efficace auprès du Congrès des États-Unis sur les enjeux et les problèmes clés, en plus de consacrer des ressources financières accrues à ses efforts de lobbying aux États-Unis dans leur ensemble.

Un autre témoin qui a comparu devant le Comité, Rolf Mirus, a fait remarquer que « vendre » le Canada aux États-Unis n’est pas une tâche facile. Les relations personnelles au niveau politique régional commencent à évoluer; en outre, Thomas Ridge et John Manley ont de bonnes relations professionnelles. Pour donner une meilleure impression du Canada aux États-Unis, nous devons changer nos politiques (p. ex. renforcer notre armée) plutôt que dépenser pour acheter de la publicité dans les journaux.

Enfin, Richard Harris a déclaré que la relation politique entre les deux pays est un facteur clé auquel nous devons nous attaquer. Renforcer cette relation bilatérale pourrait avoir de très importantes retombées sur nos relations commerciales mutuelles. À Washington, un certain nombre de témoins nous ont précisé l’importance que les législateurs de nos deux pays travaillent à établir un dialogue significatif sur nos relations bilatérales. Le Groupe parlementaire Canada-É.-U. travaille en ce sens depuis un certain nombre d’années, mais il faudrait aussi encourager les divers comités parlementaires américains et canadiens à collaborer davantage.

Le Comité reconnaît avec le Ministre Pettigrew qu'il nous faut mieux défendre nos intérêts et il est conscient qu’il nous faut aussi maintenir d’excellentes relations avec les volets exécutif et législatif du gouvernement des États-Unis. Pour faire des progrès dans chacun des secteurs analysés dans le présent chapitre (présence officielle du Canada, transmission de l’information et défense de nos intérêts aux États-Unis), le Comité recommande :

Recommandation 10

Que le gouvernement fédéral :

a)     augmente de façon substantielle le nombre de consulats aux États-Unis par rapport au nombre prévu. Ces nouveaux bureaux consulaires devraient être désignés essentiellement comme responsables du commerce et des investissements et être dotés d’un personnel professionnel compétent et expérimenté;

b)     lance immédiatement une campagne bien ciblée pour informer les décideurs américains de l’importance de nos relations commerciales bilatérales;

c)      accroisse les crédits qu’il consacre à la défense des investissements et intérêts commerciaux canadiens aux É.-U. de manière à augmenter l’efficacité de ses stratégies; et

d)      renforce les relations bilatérales avec les organes exécutif et législatif du gouvernement américain. Nous devrions aussi formuler des stratégies pour collaborer de manière plus efficace et régulière avec le Sénat et la Chambre des représentants dans les dossiers et questions d'importance qui préoccupent nos deux pays, et obtenir les ressources budgétaires appropriées. Pour ce faire, le gouvernement devrait établir un bureau parlementaire à Washington pour aider les parlementaires canadiens à collaborer avec les législateurs américains et les autres décideurs clés de ce pays.


[1]       Il a également été conseiller spécial auprès du Gouvernement du Canada lors des négociations qui ont mené à l’ALE

[2]       Ces délais sont habituellement de 10 minutes du lundi au jeudi, et de 20 minutes du vendredi au dimanche et les jours fériés.

[3]       Le Canada et les États-Unis signent la déclaration sur la frontière intelligente, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, communiqué no 162, 12 décembre 2001.

[4]       En cas de code orange, le personnel des postes frontaliers américains inspecte le coffre de 75 p. 100 des véhicules.  L’état d’alerte le plus élevé (code rouge) est encore plus strict puisqu’il prévoit l’inspection de tous les véhicules, mais il n’est utilisé que pour des menaces précises et ciblées.  Contrairement aux codes orange et jaune, le code rouge ne constitue pas un niveau de sécurité permanent.

[5]       Cet accord prévoit que la demande d’asile doit être entendue dans le premier pays d’arrivée. Comme Bertin Côté (chef de mission adjoint, ambassade du Canada à Washington) l’a dit au Comité, pas moins de 70 p. 100 des réfugiés qui arrivent au Canada se présentent à un poste-frontière terrestre et il faudra dorénavant les contrôler aux États-Unis.

[6]       Pour les produits réglementés par la FDA, le projet de règlement stipule que le préavis doit être donné au plus tard à midi la veille du jour où le camion atteint le poste-frontière.  Le préavis requis est donc différent dans le cas des aliments de celui qui est exigé pour les autres produits.  L’accès aux États-Unis sera interdit pour les produits n’ayant pas satisfait aux exigences de préavis.

[7]       À cet égard, il serait utile que les douaniers américains appliquent les règlements régissant le commerce de manière plus uniforme de l’autre côté de la frontière.

[8]       Les États-Unis s’inquiètent de l’application de la politique canadienne concernant les réfugiés, parce qu’elle risque de permettre à des terroristes de franchir leur frontière.

[9]       À la fin, l’Uruguay Round n’a pas abouti aux changements espérés des régimes de droits antidumping et compensateurs existants.

[10]       Gilbert R. Winham, « Dispute Settlement in NAFTA and the FTA », dans Steven Globerman et Michael Walker, éd., Assessing NAFTA: A Trinational Analysis, The Fraser Institute, Vancouver, 1993, p. 270.

[11]      En fait, les É.-U. ont agi ainsi peu de temps après avoir perdu une contestation devant l’OMC concernant la fixation du prix du bois d’œuvre résineux et les politiques d’allocation des droits de coupe.  Ces modifications de leur législation sur les recours commerciaux visaient à neutraliser les aspects les plus controversés de la décision que le groupe binational avait rendue en faveur du Canada.

[12]      Wendy Dobson, Shaping the Future of the North American Economic Space: A Framework for Action, The Border Papers, Institut C.D. Howe, Commentary Number 162, avril 2002, p. 21.

[13]       Comme nous l’avons déjà précisé, il n’existe pas de telles règles.

[14]      Gilbert Gagné, « North American Free Trade, Canada, And US Trade Remedies: An Assessment After Ten Years », The World Economy, janvier 2000, p. 90.

[15]      Patrick Macrory, « NAFTA Chapter 19:  A Successful Experiment in International Trade Dispute Resolution », C.D.Howe Institute Commentary, Toronto, 2002.

[16]      Ibid., p. 2. 

[17]      Ibid.

[18]      William J. Davey, Pine & Swine: Canada-United States Trade Dispute Settlement – The FTA Experience And Nafta Prospects, Centre de droit et de politique commerciale, 1996, p. 286-287.

[19]      D’après de Mestral, la Commission mixte internationale (CMI) n’est pas la solution. Bien qu’elle soit très efficace pour produire des rapports, des faits et des recommandations, elle ne rend pas de décisions finales. À son avis, les citoyens et les entreprises devraient être capables de saisir les tribunaux de leur pays de ces questions.

[20]      À Washington, le Comité a aussi été mis au courant de deux sujets de préoccupation ayant trait à l’accès des Américains au marché canadien : la piètre protection des brevets pharmaceutiques et le seuil apparemment trop bas de l’exonération des droits de douanes pour les voyageurs américains.

[21]      Lors de sa visite à Washington, le Comité a entendu les doléances de divers groupes et entreprises dans le dossier du bois d’oeuvre: American Consumers for Affordable Homes, National Association of Home Builders, American Homeowners Grassroots Alliance, Consumers for World Trade, International Mass Retail Association et Home Depot.

[22]      Les droits ont ajouté de 1 000 $US à 1 500 $US au prix d’une maison.

[23]      Le 26 mars 2003, la Colombie-Britannique a annoncé des changements radicaux dans ses méthodes de gestion de la forêt, notamment une nouvelle exigence qui forcerait les principaux titulaires de permis à soumettre aux enchères jusqu’à 20 p. 100 de leurs tenures forestières à long terme.  Si on ajoute les ventes de bois d’œuvre et les exploitants privés, on constate que les prix d’un bon quart de la récolte provinciale totale seront assujettis aux forces du marché.  L’Ontario a emboîté le pas à la C.-B. depuis avec sa propre politique et le Québec réfléchit aux changements qu’il aimerait lui aussi apporter.

[24]      On a dit au Comité à Washington qu’au cours des discussions sur un accord provisoire au début de l’année, un représentant de l’industrie canadienne a même proposé un retour au système de quotas. Les fonctionnaires des deux pays se méfient de cette suggestion.

[25]      À ce sujet, l’Administration Bush estime que l’amendement Byrd devrait être la dernière question à trancher, après la conclusion d’un accord provisoire général.

[26]      Il faudrait aussi ajouter à la liste la question cruciale du remboursement des droits déjà perçus.

[27]      Un projet de loi présenté au Sénat américain par la sénatrice Olympia Snow (rép.-Maine) vise à abroger l’amendement Byrd et à transférer les droits antidumping et compensateurs prélevés dans un nouveau programme de subventions fédérales aux communautés touchées par le commerce.

 


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