ACCÈS INCERTAIN:
LES CONSÉQUENCES DES MESURES PRISES PAR LES ÉTATS-UNIS TOUCHANT LA SÉCURITÉ ET LE COMMERCE POUR LA POLITIQUE COMMERCIALE CANADIENNE
(Volume premier)
PARTIE 2 : MAINTIEN
DES ÉCHANGES COMMERCIAUX CANADO-AMÉRICAINS
ASSURER
LA LIBRE CIRCULATION DES PRODUITS ET DES SERVICES À LA FRONTIÈRE
Malgré
les mesures positives adoptées pour rendre la frontière canado-américaine
plus sûre et efficace du point de vue commercial, assurer la libre
circulation des produits et services reste le défi numéro un des Canadiens.
Le Comité est convaincu que la situation à la frontière doit être surveillée
sans relâche, puisque les États-Unis poursuivent leur politique de
repli sur soi et de renforcement de la sécurité, en mettant en œuvre des
mesures plus rigoureuses pour assurer la sécurité de leur territoire. Comme
plusieurs témoins l’ont rappelé aux membres du Comité, les États-Unis
sont manifestement préoccupés par les questions de sécurité nationale, et
les Américains considèrent – à tort – le Canada comme une des
causes du problème et non comme un des éléments de la solution. Il n’en
reste pas moins que leur préoccupation pour la sécurité est devenue notre
problème.
Richard
Harris, un ancien membre du Groupe consultatif de recherche sur la politique
commerciale (économie)[1]
de la Commission Macdonald qui avait recommandé de libéraliser le commerce
avec les É.-U., a fourni au Comité une description éloquente des effets les
plus dommageables du problème (ce qu’il a appelé, de son preuve aveu, son
« scénario pessimiste »). Il a souligné que les augmentations
des coûts de passage de la frontière doivent être considérées comme
« un des problèmes économiques nationaux les plus importants de la présente
décennie », étant donné qu’elles pourraient renverser les tendances
économiques favorables des 15 dernières années.
D’après
lui, le Canada s’efforce depuis 15 ans d’arriver à une frontière
perméable dans une optique d’intégration des secteurs de la production
manufacturière et des services de toute l’Amérique du Nord. Si les Américains
appliquent des mesures de sécurité additionnelles à la frontière, il en résultera
une augmentation substantielle des coûts de son passage pour les producteurs
canadiens, et cette augmentation nécessitera plusieurs rajustements. Premièrement,
M. Harris estime qu’une augmentation de 10 p. 100 des coûts
de passage de la frontière entraînerait une baisse d’environ 25 p. 100
du volume des échanges commerciaux canado-américains et ferait chuter
d’à peu près 10 p. 100 les prix des produits canadiens exportés.
À long terme, les répercussions sur notre niveau de vie d’une telle perte
d’accès au marché américain seraient considérables, puisque le Canada
devrait chercher d’autres partenaires commerciaux (ou s’accommoder d’un
coût beaucoup plus élevé de ses échanges avec les États-Unis).
Deuxièmement,
M. Harris a souligné qu’une restructuration industrielle est inévitable,
puisque l’existence de coûts plus élevés de passage de la frontière
entraînera une réorganisation du type de livraison dans des délais serrés
de produits de transformation, notamment manufacturière (avec des inventaires
« juste à temps ») pour les entreprises situées à proximité de
la frontière –, l’avantage naturel des emplacements au Canada et au
Mexique aura été éliminé – ainsi qu’une transformation de l’économie
nationale étant donné que le Canada serait poussé dans une économie d’échange
de produits finis et devrait revenir à son modèle original d’établissement
intégral d’un secteur manufacturier national. Les États-Unis
pourraient toujours réorganiser leur production nationale pour approvisionner
leur marché eux-mêmes, selon lui.
Troisièmement,
les échanges commerciaux vont naturellement être détournés vers d’autres
marchés comme l’Asie et l’Europe. Le Comité serait favorable à ce phénomène,
mais les coûts d’une transformation en profondeur des habitudes
traditionnelles d’échange Nord-Sud seraient très lourds à supporter
pour les Canadiens.
Espérons
que le « scénario pessimiste » de M. Harris ne se réalisera
pas. Afin d’éviter tous ces effets potentiels, le Gouvernement du Canada
doit constamment s’efforcer de convaincre les décideurs américains qu’il
juge leurs problèmes de sécurité importants. Pour ce faire, le Comité espère
non seulement que le Canada participera à la guerre contre le terrorisme,
mais aussi qu’il sera protégé contre certaines mesures américaines de
restriction du commerce qui sont liées à la sécurité.
|
Recommandation 1 Que
le Gouvernement du Canada s’assure que les décideurs américains
comprennent bien tout le sérieux qu’accorde le Canada aux questions
de sécurité. Le gouvernement devrait lancer immédiatement une
campagne dynamique pour informer ces décideurs américains de la coopération
sans précédent entre nos deux pays dans le dossier de la sécurité de
nos frontières et du fait que le Canada est un partenaire commercial sûr. |
A. Effets du 11 septembre
Les attentats terroristes qui ont frappé les États-Unis
le 11 septembre 2001 ont eu d’importantes répercussions à court
terme sur l’économie canadienne. Avant cette date, on postulait généralement
que le passage de la frontière serait facile de sorte qu’on négligeait les
possibilités d’améliorer la frontière, mais la situation a changé
depuis. Face à un gouvernement des États-Unis manifestement résolu à
protéger ses citoyens contre d’éventuelles menaces terroristes, on a
craint au Canada que notre voisin du Sud n’érige ce qui équivaudrait à
une barrière autour de ses frontières.
Une
des premières répercussions tangibles des attentats du 11 septembre a
été les retards aussi subits que prolongés pour franchir la frontière
canado-américaine. Immédiatement après les attentats terroristes, les É.-U.
ont fermé leurs aéroports, ports maritimes et postes frontaliers. Lorsque la
frontière avec le Canada a été rouverte, voyageurs et marchandises ont été
retardés parce que les deux pays, aux prises avec des problèmes de sécurité,
les soumettaient à des contrôles approfondis. Ces inspections ont retardé
de 12 à 18 heures[2]
le passage des camions dans les jours qui ont suivi, et il a fallu des
semaines avant que la situation revienne à la normale. Certaines entreprises
largement tributaires de nos échanges commerciaux avec les États-Unis
ont fermé temporairement leurs usines, avec les résultats qu’on pouvait prévoir
pour l’emploi.
Le
ralentissement du passage de la frontière ne fait pas que nuire à la
productivité et augmenter le coût des activités commerciales dans les deux
pays : ses effets affectent aussi les exportations et l’emploi. Cela
vaut non seulement pour l’industrie manufacturière, mais aussi pour celles
du tourisme et de l’accueil, qui souffrent de la réduction du nombre de
voyageurs franchissant la frontière, en raison de leurs craintes d’y être
retardés. L’important pourcentage des échanges canado-américains
correspond aux produits intermédiaires expédiés « juste à temps »
aux entreprises manufacturières des deux côtés de la frontière pour y être
assemblés en produits finis. Ces livraisons permettent aux entreprises de
conserver de moins gros inventaires et, ainsi, de réduire leurs coûts de
production. Malheureusement, un tel système a l’inconvénient que les
retards à la frontière entraînent rapidement des fermetures d’usines, des
pertes pour les entreprises et des mises à pied. David Adams, vice-président
Politiques, Association canadienne des constructeurs de véhicules, a déclaré
que la fermeture d’une chaîne de montage pendant une heure équivaudrait à
une perte de recettes de 1,5 million de dollars et que l’ajout d’une
heure de recettes de plus représenterait de 400 000 $ à 800 000 $US.
Les entreprises canadiennes craignent aussi que les décisions
d’investissement futures soient basées sur la capacité de nos producteurs
de continuer à approvisionner le marché américain. Si l’accès à ce
marché prisé n’est pas fiable, les entreprises étrangères risquent
d’avoir de la réticence à s’implanter au Canada. D’autres entreprises,
tant canadiennes qu’étrangères, pourraient aussi souhaiter déménager
leurs installations actuelles au sud de la frontière.
B. Plan d’action pour la
frontière
en 30 points, avec sa mise en œuvre
Heureusement, on n’a pas tardé à prendre des
mesures concrètes après les événements du 11 septembre. Le
Gouvernement du Canada a adopté des mesures pour réduire les retards à la
frontière tout en assurant une sécurité suffisante à son passage. Ces
mesures consistaient à accroître l’effectif à la frontière, à réserver
des voies aux véhicules commerciaux, à ouvrir d’autres voies pour les
voyageurs et à désigner des lignes de contrôle spéciales pour les camions
ayant déjà bénéficié d’une procédure accélérée de dédouanage.
En
plus d’avoir pris lui-même des mesures indépendamment, le
gouvernement fédéral a aussi fait énergiquement pression pour l’établissement
d’une stratégie conjointe (avec les Américains) à la frontière. En décembre 2001,
les deux pays ont signé une déclaration portant création d’une « frontière
intelligente pour le XXIe siècle »[3].
Cette déclaration était accompagnée d’un Plan d’action en 30 points
fondé sur quatre grands piliers : la circulation en toute sécurité des
personnes et des marchandises, la sécurité de l’infrastructure ainsi que
la coordination et le partage des renseignements, conçus pour leur permettre
d’identifier et d’éliminer conjointement les risques pour la sécurité
(en interdisant l’entrée aux terroristes) tout en accélérant de façon
efficace et efficiente la circulation légitime des personnes et des
marchandises de part et d’autre de la frontière commune (voir l'annexe 4).
Le Plan d’action était largement axé sur le principe de gestion du risque,
en concentrant les ressources sur les individus et les produits présentant le
plus de risques. Un Groupe de travail sur la frontière canadienne a été
chargé de sa mise en œuvre.
Pour
appliquer efficacement le Plan d’action, les deux gouvernements ont prévu
d’importantes ressources financières. De notre côté, le budget fédéral
du 10 décembre 2001 prévoyait des crédits de 1,2 milliard de
dollars répartis sur les années à venir pour rendre la frontière plus sûre,
plus ouverte et plus efficiente. Environ la moitié de cette somme sera
consacrée à l’amélioration de l’infrastructure à la frontière
(c.-à-d. améliorer les voies d’accès, ajouter de nouvelles
voies et acheter des lecteurs électroniques pour accélérer les inspections)
et l’autre moitié le sera à l’amélioration de la sécurité à la
frontière par le renforcement des activités policières, la collecte de
renseignements pour la sécurité et l’achat d’équipement. Une grande
partie des sommes consacrées à l’infrastructure sera répartie entre les
six principaux points de passage de la frontière canado-américaine. En
outre, on consacrera 300 millions de dollars (150 millions provenant
du gouvernement fédéral et 150 millions du gouvernement ontarien) à de
nouvelles infrastructures frontalières dans la région de Windsor-Detroit.
Bien que le gouvernement des États-Unis ait aussi
engagé des sommes supplémentaires pour accroître la sécurité à la frontière,
le financement requis pour une mise à niveau de sa technologie et de son
infrastructure ainsi que pour accroître l’effectif douanier tarde à se
concrétiser. On a traditionnellement imputé les longs délais de passage de
la frontière à l’insuffisance des fonds investis par Washington afin
d’accroître son effectif douanier à la frontière nord. Jim Phillips, un résident
de Lewiston, dans l’État de New York, et le président et chef de la
direction de la Canadian/American Border Trade Alliance, a assuré le Comité
qu’on s’attaque actuellement au problème du manque de personnel.
Les
personnes qui ont témoigné sur les problèmes à la frontière étaient généralement
très positives au sujet des progrès réalisés jusqu’à présent pour la
mise en œuvre du Plan d’action, même s’il reste encore beaucoup à
faire. La frontière est désormais à la fois plus sûre et plus ouverte aux
échanges commerciaux qu’elle ne l’était au moment des attentats du 11 septembre.
Nous en avons eu la preuve quand les États-Unis sont récemment passés
au code de sécurité orange[4]
pour lancer l’opération Bouclier de la liberté, sans perturber notablement
la circulation à la frontière. M. Phillips a déclaré que la sécurité
du public et celle de l’économie sont considérées aux États-Unis
comme des objectifs indissociables et que chacun est important.
En
mars 2002, les deux pays ont commencé à coopérer dans le cadre d’une
initiative de sécurité portuaire conçue pour identifier et filtrer, avant
qu’elles n’arrivent chez eux, les marchandises à risque élevé transportées
par bateau. Le Canada a affecté des douaniers à Newark et à Seattle-Tacoma
à cette fin; les États-Unis ont fait de même avec des douaniers à
Vancouver, Montréal et Halifax, chargés d’inspecter les conteneurs acheminés
ensuite au sud de la frontière. Les responsables des deux pays échangent les
renseignements obtenus.
On
a ouvert en juin 2002 des voies rapides pour les voyageurs préautorisés
à faible risque (et non pour les transporteurs) à deux points d’entrée et
de sortie entre la Colombie-Britannique et l’État de Washington. Ce
programme conjoint baptisé NEXUS fait appel à des lecteurs de proximité
pour décoder sur les cartes d’identité tenues à la main l’information
touchant la sécurité. Il est déjà opérationnel aux quatre postes en
question et devrait être étendu à tous les autres postes-frontières à
gros volume d’ici à la fin de 2003.
On
prévoit aussi le lancement d’un nouveau programme, appelé NEXUS-Air, qui réservera
des files aux voyageurs aériens à faible risque pour leur permettre un
passage plus rapide. Les projets pilotes – à Ottawa et à Montréal –
devraient commencer en 2003.
En
septembre 2002, le Président George W. Bush et le Premier Ministre Jean
Chrétien ont officiellement annoncé le lancement d’un nouveau programme
conjoint (pour des expéditions rapides et sécuritaires ou EXPRES) conçu
pour assurer la circulation des marchandises à faible risque (en facilitant
le passage des livraisons commerciales à la frontière). Ce programme
consiste notamment à offrir des voies rapides pour les cargaisons dédouanées
à faible risque (achetées par des importateurs préautorisés et transportées
par des chauffeurs et des entreprises préautorisés aussi). On espère que le
contrôle de sécurité électronique rapide des camionneurs passant par ces
voies accroîtra l’efficience des contrôles frontaliers. Le programme
EXPRES permet aux camions et aux chauffeurs à faible risque de faire envoyer
leurs manifestes aux douaniers par transpondeur, avant que les camions
arrivent à la frontière. Il a commencé à être appliqué en décembre 2002
à six postes-frontières (quatre en Ontario, un en Colombie-Britannique et un
au Québec).
Parmi
les autres signes de progrès qu’il vaut la peine de mentionner, citons la
coopération accrue des deux pays afin d’augmenter leur capacité
d’intercepter les voyageurs à risque élevé avant qu’ils ne prennent le
départ pour l’Amérique du Nord, la création d’équipes policières intégrées
affectées à la frontière pour capturer criminels et terroristes avant
qu’ils ne la traversent, la coordination de l'échange des renseignements,
de la surveillance financière, de la coopération douanière, des pratiques
d’immigration et de la protection des infrastructures, ainsi que la
signature d’un accord sur les tiers pays sûrs applicable aux personnes
cherchant refuge et asile à nos frontières terrestres[5].
Par
contre, du côté négatif, il faut reconnaître que les progrès en vue de la
mise en place de l’infrastructure requise pour accroître l’efficacité du
réseau des postes-frontières ont été lents. David Adams a d’ailleurs
souligné que l’augmentation de 120 p. 100 des échanges
commerciaux dans les deux sens depuis le lancement de l’ALENA n’a pas été
accompagnée d’une amélioration correspondante de l’infrastructure
frontalière.
Bien que le Plan d’action en 30 points sur la
création d’une frontière intelligente ait généralement été encensé
par la critique, le Gouvernement du Canada s’est fait reprocher de ne pas
consacrer suffisamment d’attention à l’injection de fonds dans la
construction de l’infrastructure frontalière. Par exemple, il y a trop peu
de voies d'accès pour la franchir, de sorte que les points d’entrée et de
sortie les plus fréquemment utilisés, comme ceux de Windsor et Détroit, ont
encore besoin de nouveaux postes de douane ou de l’agrandissement des postes
existants afin qu’on puisse y aménager les voies réservées qui
s’imposent pour accélérer la circulation. Les trois postes les plus
achalandés sont tous situés à proximité de vieux ponts : le pont
Ambassador reliant Windsor et Détroit a été construit en 1929, le pont
Peace entre Fort Erie et Buffalo en 1927 et le pont Blue Water entre Sarnia et
Port Huron en 1938. D’autres ponts permettent aussi de franchir le fleuve
Saint-Laurent pour se rendre dans l’État de New York. Pour régler la
question de l’infrastructure frontalière, il faudra construire de nouveaux
ponts aux principaux postes-frontières.
Des
programmes comme NEXUS et EXPRES ne fonctionneront bien que dans la mesure où
l’infrastructure frontalière sera en place, car il ne sert à peu près à
rien de prévoir des voies réservées aux transporteurs et aux voyageurs préautorisés
à faible risque si l’accès à ces voies ne commence qu’à quelques
longueurs de voiture de la frontière. Bref, ces programmes vont exiger de
nouveaux investissements dans l’infrastructure avant d’être vraiment
efficaces.
En
outre, la sécurité à la frontière doit être repoussée vers l’extérieur,
ce qui suppose que le contrôle douanier et les formalités qui
l’accompagnent devront se faire ailleurs qu’à la frontière elle-même.
Le système de préinspection conçu pour les aéroports pourrait servir
d’exemple à un mécanisme analogue aux postes-frontières terrestres.
Pourtant, d’après la Chambre de commerce du Canada, il n’y a guère
d’indices de progrès réalisés en vue du
dédouanement à distance de la frontière terrestre.
Compte
tenu de l’importance critique de la frontière pour la prospérité économique
du Canada, le gouvernement fédéral devrait investir des ressources bien plus
considérables dans l’infrastructure aux postes-frontières où le volume de
circulation est important. Il serait utile aussi qu’il agisse plus
rapidement pour adopter un régime de dédouanement préalable qui accélérerait
le transport des marchandises au-delà de la frontière et dans lequel
des douaniers canadiens travailleraient sur le territoire américain, et vice
versa. Des témoins ont déclaré que, pour réaliser des progrès, il faudra
régler le problème des armes (les douaniers américains sont armés, mais
pas les douaniers canadiens), ainsi que les questions de Charte des droits et
de souveraineté. Le Comité recommande :
|
Recommandation 2 Que,
comme l’existence d’une frontière propice aux échanges commerciaux
efficients est vitale pour la prospérité économique du pays et
l’infrastructure actuelle aux principaux postes frontaliers est
terriblement insuffisante pour faire face à l’intensification considérable
du commerce bilatéral, le Gouvernement du Canada accélère la mise en
œuvre du Plan d’action en 30 points sur la création d’une
frontière intelligente : a)
en encourageant les autorités canadiennes et américaines à accélérer
la construction de nouveaux ponts et tunnels entre les deux pays; b)
en
injectant des ressources financières beaucoup plus importantes dans la
construction de nouveaux éléments d’infrastructure à la frontière,
outre les ponts et tunnels; et c)
en accélérant
les efforts en vue d’établir un système de dédouanement préalable
pour les marchandises qui passent par les postes-frontières terrestres,
ce qui permettrait de procéder au dédouanement ailleurs qu’à la
frontière et donc de réduire les obstacles au développement du
commerce et des investissements qui sont liés au passage de la frontière. |
C. Nouvelles restrictions
frontalières à l’horizon et comment y faire face
Nous
avons déjà fait brièvement allusion aux nouvelles mesures de sécurité que
les États-Unis envisagent. Ces mesures risquent de causer de grandes
difficultés au Canada parce que les producteurs canadiens pourraient être
privés d’accès à la chaîne d’approvisionnement, à moins que les États-Unis
ne rectifient le tir. David Bradley (chef de la direction de l’Association
canadienne du camionnage) a insisté sur le fait qu’en plus d’avoir des répercussions
néfastes sur les livraisons transfrontalières, ces restrictions
additionnelles à la frontière pourraient réduire à néant les progrès réalisés
dans le cadre du Plan d’action sur la frontière intelligente. Cela dit,
quelques-unes des personnes rencontrées par le Comité à Washington, dont la
sénatrice américaine Susan Collins (rép.- Maine) et William Lash III
(Secrétaire adjoint au Commerce, Accès aux marchés et Observation de la législation,
Département du Commerce), ont souligné que l’application des prescriptions
de sécurité avait notamment pour objectif clé d’éviter que la libre
circulation des marchandises et des gens à la frontière soit compromise.
La
première des mesures de sécurité en question est l’obligation qu’impose
la U.S. Patriot Act (d’octobre 2001) au Procureur général des
États-Unis de suivre avec précision le mouvement de toutes les
personnes qui entrent dans ce pays et qui en sortent. Dans des déclarations récentes,
l’ambassadeur des États-Unis au Canada Paul Cellucci a laissé
entendre que l’Administration Bush avait accepté d’exempter les citoyens
canadiens de l’obligation de présenter les documents qu’exige ce système
de contrôle des entrées et des sorties. Par contre, les étrangers résidant
au Canada seraient tenus de s’y inscrire. À propos de l’imposition d’un
contrôle à la sortie, John Murphy (vice-président, Chambre de commerce des
États-Unis) a fait remarquer que des discussions ont lieu actuellement pour
que le côté canadien de la frontière devienne le point de sortie des États-Unis
afin d’éviter l’ajout d’un poste de contrôle de sécurité supplémentaire.
La
deuxième mesure est la suivante : les États-Unis comptent
insister (d’ici à octobre 2003) pour être informés à l’avance du
contenu de tous les chargements qui entrent chez eux : un préavis de
quatre heures pour les livraisons par camion, de douze heures pour les
livraisons par avion et de vingt-quatre heures pour les livraisons par train
et par bateau. Ces exigences seraient très onéreuses pour plusieurs
industries canadiennes clés et, selon le représentant américain Earl
Pomeroy (dém. - Dakota du Nord), elles inquiètent aussi vivement le Northern
Border Caucus de la Chambre des représentants, dont il est le coprésident.
La
troisième mesure correspond à l’adoption en juin 2002 de la U.S.
Public Health Security and Bioterrorism Preparedness and Response Act, une
loi conçue pour aider les États-Unis à prévenir le bioterrorisme et
les urgences dans le domaine de la santé publique, à s’y préparer et à y
réagir. Le projet de règlement qui accompagne cette loi exigerait
l’inscription des installations étrangères qui produisent, traitent,
conditionnent ou conservent de la nourriture pour l’alimentation animale ou
humaine, ainsi que la remise, à la Food and Drug Administration (FDA),
d'un préavis de tout chargement de produits alimentaires expédié de l'étranger
à destination du marché américain[6].
Rory McAlpine (directeur général par intérim, Direction des politiques de
commerce international, Agriculture et Agroalimentaire Canada) a dit que cette
loi était la préoccupation la plus pressante de son Ministère du point de
vue du commerce des produits agricoles. Les représentants de l’industrie de
l’agriculture et de l’agroalimentaire ont aussi exprimé leurs craintes
quant à la complexité de la nouvelle loi américaine et de son règlement,
ainsi qu’aux répercussions qui en résulteront.
À Washington, Sharon Bomer-Laurentsen (sous-représentante
américaine adjointe au commerce pour l’agriculture) a signalé que le
Bureau du représentant américain au commerce déployait des efforts considérables
pour que le commerce des marchandises visées par la réglementation se
poursuive sans trop d’entraves[7]. Cependant, elle a averti le Comité que les
entreprises devaient s’attendre à être obligées de modifier quelque peu
la manière dont le commerce se fait.
Ronald
Bulmer, le président du Conseil canadien des pêches, a souligné aux membres
du Comité les craintes qu’inspirent à l’industrie canadienne du poisson
et des fruits de mer les projets de règlements américains exigeant
l'inscription des usines et des préavis, de même que les règles imminentes
d’habilitation du personnel de la FDA à la frontière et la tenue de
dossiers obligatoire pour les produits qui la traversent. Le Gouvernement du
Canada tient actuellement des consultations avec les secteurs d’activité
visés pour déterminer comment réagir. En définitive, l’objectif
consistera à minimiser l’impact des nouveaux règlements sur le commerce
transfrontalier.
Comment
le Canada devrait-il réagir à ces mesures de sécurité et aux mesures
connexes? Il pourrait par exemple conclure des « marchés stratégiques »
dans l’espoir d’obtenir des concessions commerciales des États-Unis
en contrepartie des mesures de sécurité qu’il prendrait. Comme l’a déclaré
Kathleen Macmillan (présidente, International Trade Policy Consultants), ces
marchés seraient conçus pour apaiser les craintes des Américains pour leur
sécurité. Tant Mme Macmillan que Peter Clark (associé chez Grey,
Clark, Shih and Associates, Ltd.), estiment qu’il serait bon d'offrir ces
assurances aux Américains.
Donald
Barry a déclaré quant à lui que, depuis le 11 septembre, on a avancé
au Canada, à titre individuel et collectif, de nombreuses propositions
reliant les mesures que le pays prendrait en matière de sécurité à des
concessions commerciales des États-Unis. Par exemple, le rapport de
2001 de la Coalition pour des frontières sécuritaires et efficaces sur le
plan commercial préconisait une réaction à la fois intégrée et intégrale
dans le contexte des mesures de sécurité et du Plan d’action sur la frontière.
Au printemps 2002, Wendy Dobson, professeur à l’Université de
Toronto, a réclamé une nouvelle entente bilatérale en échange de notre
appui pour les objectifs américains de protection de la frontière,
d’immigration et de défense, avec un accès accru dans le contexte d’une
union douanière ou d’un marché commun.
Thomas d’Aquino a informé le Comité que le Conseil
canadien des chefs d’entreprise (CCCE) avait rendu publique en janvier 2003
son Initiative nord-américaine de sécurité et de prospérité (INASP), un
nouveau partenariat bilatéral pour le commerce, l’immigration, l’énergie,
la sécurité et la défense, conçu pour aboutir en bout de ligne à une
transformation de la frontière commune en un point de contrôle commun. Cette
proposition ne suppose pas la création d’une union douanière, d’un marché
commun ni d’une devise commune, puisque, selon M. d’Aquino, il est
peu probable que Washington accepte l’une ou l’autre de ces trois idées.
L’INASP réclame une action menée sur cinq fronts :
·
l’établissement d’une zone de
protection autour de l’Amérique du Nord, assortie à l’élimination des
obstacles réglementaires, procéduraux et d’infrastructure à la frontière
interne ainsi qu’à l’adoption d’approches communes pour le traitement
commercial, l’infrastructure, le renseignement et l’observation. Dans ce
contexte, on créerait des documents d’identité nord-américains ainsi
qu’une institution commune pour assurer la surveillance nécessaire;
·
la coopération en matière de réglementation
par une reconnaissance mutuelle ou d’autres formes d’harmonisation afin
d’éliminer sur une base sectorielle les règlements faisant double emploi,
ce qui englobe les recours commerciaux, les restrictions de l’accès et de
la propriété dans les grands secteurs d’activité et les obstacles à la
mobilité de la main-d’œuvre qualifiée;
·
la sécurité des ressources (sous la
forme d’un pacte pour la sécurité des ressources qui mettrait fin une fois
pour toutes aux problèmes d’établissement des prix et de subventions) –
le pétrole, le gaz naturel, l’électricité, le charbon, l’uranium, les métaux
primaires, les produits forestiers et agricoles;
·
une alliance nord-américaine pour la
défense, avec de plus gros investissements dans les forces armées
canadiennes et une capacité accrue de sécurité pour assurer la protection
du territoire canadien;
·
l’établissement de quatre
commissions mixtes spécialisées, chargées de gérer les quatre mécanismes
qui précèdent; ces commissions devraient rendre compte aux autorités
politiques des deux côtés de la frontière. Le CCCE étudie en ce sens des
modèles comme celui de la Commission mixte internationale.
Les
témoins qui ont comparu devant le Comité étaient divisés sur
l’opportunité de proposer aux Américains des initiatives générales en
matière de sécurité et de commerce. Il va sans dire que M. D’Aquino
est un partisan convaincu de cette approche. Richard Harris a déclaré au
Comité que le problème de sécurité de l’Amérique du Nord aurait dû être
considéré comme une question de protection du périmètre nord-américain
plutôt que de protection de la frontière terrestre, ce qui n'est
malheureusement plus envisageable. David Bradley partage cet avis et a souligné
qu’on a tant investi dans la frontière terrestre que plus personne ne parle
de la sécurité du périmètre continental.
D’autres
témoins ont dit qu’il est encore temps pour le Canada de réagir plus énergiquement
aux craintes des États-Unis pour la sécurité de leur territoire, ce
qui lui permettrait – il faut l’espérer – d’obtenir un allègement
des mesures américaines. Par exemple, Fred McMahon, directeur du Centre d’études
sur la mondialisation du Fraser Institute, a fait valoir que le Canada avait
risqué cette sécurité physique et économique en ne s’intéressant pas à
l’établissement d’un périmètre de sécurité nord-américain. Selon
lui, le Plan d’action en 30 points sur la création d’une frontière
efficace est un bon point de départ, mais sa mise en œuvre doit être accélérée
et il ne va pas assez loin. À court terme, l’enjeu crucial pour le Canada
ne lui semble pas consister à conclure un accord de libre-échange plus
complet, mais plutôt à contrer la menace que les problèmes de sécurité
posent pour les échanges commerciaux d’aujourd’hui. Les mesures à
prendre auraient consisté notamment à mieux s’attaquer à la menace
terroriste en modifiant les politiques d’immigration pour les réfugiés et
en améliorant le suivi des immigrants actuels[8],
ainsi qu’en renforçant la sécurité de la chaîne d’approvisionnement.
Rolf
Mirus, directeur du Centre de recherche économique de l’École
d’administration de l’Université de l’Alberta, a maintenu que notre intérêt
national nous dicte de prendre l’initiative pour assurer et repenser notre
relation avec les États-Unis en matière de commerce et de sécurité.
Le statu quo n’est pas une solution puisque la fermeture de la frontière
et le ralentissement de son passage posent de grands risques pour nous et
menacent de décourager les investisseurs étrangers. Dans une atmosphère
comme celle-là, l’approche ponctuelle, enjeu par enjeu, n’est peut-être
pas praticable. À son avis, nous devrions nous engager à améliorer la sécurité
à nos frontières afin que les États-Unis aient confiance en nous, en
travaillant de concert avec eux pour améliorer la sécurité des navires et
des aéronefs. Il envisage des procédures communes dans un périmètre de sécurité
nord-américain et estime en outre que la confiance des États-Unis à
notre endroit s’accroîtrait si notre appareil militaire était plus
puissant.
Du
côté négatif, Donald Barry n’a pas grand espoir à court terme pour un
nouveau partenariat de ce genre en matière de sécurité et d’échanges
commerciaux, étant donné que l’Administration Bush, fixée qu’elle est
sur les questions de sécurité et les enjeux nationaux, ne s’intéresse
absolument pas à une approche pareille. Il se demande aussi comment un marché
« sécurité contre commerce » seraient pondérés, qui fixerait
les conditions et si cela intéresserait le Congrès, puisque Washington donne
la priorité à la sécurité alors que nous l’accordons au commerce. Qui
plus est, si la coopération s’accroît, elle le fera vraisemblablement dans
l’ensemble de l’Amérique du Nord plutôt que seulement entre le Canada et
les États-Unis. Le Canada devrait plutôt continuer à accroître ses
capacités de sécurité et de défense, puisqu’il est logique que nous le
fassions de toute façon et que des mesures comme celles-là peuvent
contribuer – modestement, bien sûr – à renverser la perception
que les Américains ont de la sécurité au Canada. En outre, et c’est le
plus important, nous nous devons de poursuivre les efforts amorcés dans le
cadre du Plan d’action sur la création d’une frontière intelligente.
À
Washington, le lobbyiste Paul Frazer (Murphy Frazer Selfridge) a insisté sur
l’importance de se plier aux « pénibles formalités » de sécurité
exigées à la frontière pour apaiser les craintes des États-Unis et
faciliter le commerce. Il rejette la solution des « marchés stratégiques »
exposée précédemment.
Dans
son mémoire au Comité, Jim Stanford (économiste au Syndicat national de
l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs
et travailleuses du Canada, TCA-Canada) s’est montré très critique à
l’endroit des propositions ou des mesures qui sacrifieraient la capacité du
Canada d’établir indépendamment ses politiques d’immigration, de sécurité
et d’affaires étrangères pour garantir le passage sans anicroche des
voyageurs et des marchandises à la frontière. Comme il n’est pas convaincu
que de telles mesures procureraient au Canada un traitement particulier par
les autorités américaines, il préconise la poursuite d’une approche
privilégiant des mesures logiques et incrémentielles pour accroître
l’efficience des échanges commerciaux transfrontaliers.
Le
Comité est d’accord avec lui. La réponse au problème frontalier ne
consiste pas à concevoir des « marchés stratégiques » pour éliminer
les obstacles frontaliers au commerce. On peut vraiment douter que des
propositions en ce sens intéresseraient l’Administration Bush; en outre,
comme Kathleen Macmillan l’a souligné, il n’est pas certain que les Américains
se contenteront des mesures limitant notre souveraineté que nous prendrions
pour accroître la sécurité; ils pourraient en effet continuer à imposer
des mesures de sécurité de plus en plus rigoureuses à la frontière. En
outre, nous tenons à ce que le Canada maintienne sa capacité décisionnelle
dans les importants domaines stratégiques mentionnés par Jim Stanford.
Il
semblerait plutôt que la solution optimale serait de continuer à travailler
dans le cadre du Plan d’action sur la création d’une frontière
intelligente, afin d’améliorer la sécurité dans toute l’Amérique du
Nord. Il serait bon aussi que nous menions un lobbying énergique afin
d’obtenir un assouplissement des nouvelles exigences que les États-Unis
envisagent pour le passage de la frontière, puisque leur mise en œuvre sous
leur forme actuelle nuirait aux intérêts économiques des deux côtés du 49e parallèle.
Le Comité recommande :
|
Recommandation 3 Que les gouvernements du Canada et des États-Unis intensifient leurs efforts pour s’assurer que, lors de la mise en place de mesures de sécurité canadiennes et américaines, les conséquences sur le commerce bilatéral et les investissements soient prises en considération. |
RESTREINDRE
L’UTILISATION
DES RECOURS COMMERCIAUX
L’imposition
continuelle de recours commerciaux (droits antidumping et compensateurs) aux
producteurs canadiens est un autre obstacle crucial à l’obtention d’un
accès garanti au marché américain. Même si une écrasante majorité des échanges
commerciaux nord-américains se font sans problèmes ni répercussions négatives,
sauf des difficultés de passage de la frontière – d’ailleurs, plus
de 95 p. 100 des exportations canadiennes aux États-Unis ne semble
pas poser de problème pour le moment – il est indéniable que des
irritants et des différends semblent parfois définir notre relation bilatérale.
Dans plusieurs secteurs d’activité clés (p. ex. celui du bois d’œuvre
résineux et celui des produits agricoles), le Canada est fréquemment frappé
de recours commerciaux, puisque les États-Unis tentent périodiquement
de modifier leur législation sur les recours commerciaux intérieurs afin de
protéger leurs producteurs.
Qui
plus est, l’incidence des activités protectionnistes des États-Unis
pourrait s’accroître si leur économie se détériore encore. Lorsqu’il a
comparu devant le Comité, Richard Harris a dit s’inquiéter du degré
actuel de protectionnisme américain, de ce qu’il a décrit comme étant
l’attitude tournée sur eux-mêmes de nos voisins et d’un risque
d’abandon de leur programme multilatéral par une Administration, d’après
Harris, tout à fait disposée à se concilier les intérêts
protectionnistes.
Le
Comité partage les frustrations des Canadiens à l’égard de ces luttes
commerciales constantes, telles que les 11 contestations de la Commission
canadienne du blé et les nombreux conflits sur le bois d’œuvre, et il
s'inquiète des honoraires juridiques faramineux – 800 millions de
dollars pour le dossier du bois d’œuvre résineux à Washington depuis
1986, 200 millions de dollars américains pour défendre ce même dossier
devant l’OMC et 10 millions de dollars pour le dossier actuel de la
Commission canadienne du blé - que les entreprises canadiennes ont
dû payer pour se défendre. Nous sommes fermement convaincus qu’en prenant
constamment de tels recours dans certains secteurs, les producteurs américains
ne respectent pas l’esprit – à tout le moins – de l’accord
de libre-échange en vigueur.
A. ALE : objectif raté
Les différends et les irritants commerciaux tendent
à résulter de l’imposition de mesures protectionnistes par des pays désireux
de protéger leurs propres industries de la concurrence internationale. Les négociateurs
de l’ALE avaient pour but de prévenir ce protectionnisme et d’éliminer
les mesures protectionnistes existantes, car elles ne semblent absolument pas
compatibles avec le libre-échange. En principe, il ne devrait plus exister de
mesures protectionnistes dans les échanges commerciaux entre le Canada, le
Mexique et les États-Unis.
Le
fait est, d’ailleurs, que la principale raison pour laquelle le Canada avait
entamé des négociations en vue de conclure l’ALE était, comme John
Helliwell (professeur au Département d’économique de l’Université de la
Colombie-Britannique) l’a rappelé au Comité, d’obtenir plus facilement
accès au marché américain et d’être moins exposé à la menace de
recours commerciaux par nos voisins. Avant l’entrée en vigueur de l’ALE,
les intérêts privés et gouvernementaux américains tentaient de plus en
plus de faire obstacle aux importations canadiennes en invoquant leurs lois prévoyant
des recours commerciaux. Dans la décennie qui a précédé la mise en œuvre
de l’ALE, par exemple, les États-Unis avaient lancé contre le Canada
une trentaine d’enquêtes commerciales sur d’importantes exportations
comme celles de bois d’œuvre résineux, de porc, de potasse et de produits
du poisson. Il faut aussi mentionner qu'à l'époque où l’ALE a été négocié,
il n’existait pas de mécanisme efficace pour le règlement des différends
à l’échelle internationale comme c’est actuellement le cas avec l’OMC.
La
principale stratégie que le Canada a employée pour s’assurer l’accès au
marché américain a consisté à tenter d’obtenir une exemption de
l’application de droits antidumping et compensateurs. (On impose généralement
des droits antidumping quand on veut démontrer qu’un concurrent étranger a
vendu des produits sur un marché donné (p. ex. américain) à des prix
inférieurs à leur coût de revient ou inférieurs aux prix comparables sur
son marché intérieur (p. ex. le marché canadien). Les gouvernements
imposent des droits compensateurs aux pays exportateurs pour compenser ce
qu’ils considèrent comme des subventions à la production dans ces pays.)
Les
négociateurs américains de l’ALE ont carrément rejeté la proposition
d’exemption des droits antidumping et compensateurs, parce qu’ils étaient
convaincus que les produits canadiens étaient subventionnés et que les
producteurs américains avaient besoin de la protection de leurs lois prévoyant
ces deux types de droits. Les négociateurs canadiens ont réagi en proposant
l’introduction d’une loi nord-américaine sur la concurrence qui
remplacerait les dispositions prévoyant des droits antidumping, avec la négociation
d’une définition commune de la notion de subventions et d’un code régissant
leur octroi, afin de réduire considérablement le recours à des droits
compensateurs. Ces propositions n’ont toutefois pas abouti, parce que les Américains
ont refusé d’aller au-delà des règles du GATT en vigueur à l’époque
et tenu à conserver leurs lois sur les recours commerciaux. En bout de ligne,
ils ne voulaient absolument pas qu'un nouvel ensemble de lois internationales
supplante les lois américaines.
Pour
résoudre l’impasse des négociations qui s’est ensuivie, les Américains
ont proposé comme solution provisoire que le contrôle judiciaire des droits
antidumping et compensateurs – confié à l’époque à des tribunaux
américains – soit remplacé par des examens que mèneraient des
groupes binationaux composés de spécialistes des échanges commerciaux des
deux pays. L’article 1906 de l’ALE, qui concrétise cette solution,
stipule que le système des comités binationaux serait une mesure temporaire
(pour cinq à sept ans), jusqu’à l’adoption de nouveaux régimes
communs de droits antidumping et compensateurs. De plus, l’article 1907
précise que les parties devaient charger un groupe de travail d’élaborer
des règles et des disciplines plus efficaces au sujet des subventions
gouvernementales et des politiques de prix inéquitables pour les échanges
transfrontières.
Aucune
de ces solutions de rechange n’a été mise en vigueur, puisque le système
existant de groupes binationaux est devenu un mécanisme permanent de
l’ALENA (chapitre 19). En outre, le groupe de travail prévu à
l’article 1907 de l’ALE n’a jamais vu le jour, étant donné
qu’il a été entendu que les règles sur le dumping et les subventions
seraient établies dans le contexte de l’Uruguay Round des négociations du
GATT[9] et que les parties ont plutôt décidé de tenir
régulièrement des consultations générales sur un nouveau régime de droits
antidumping et compensateurs. Dans certains milieux, toutefois, le maintien du
statu quo a été considéré comme une grande victoire pour le Canada
compte tenu des craintes des Américains pour leur souveraineté, qui avaient
amené le Congrès à exercer d’énormes pressions dans l'espoir de faire
perdre de l'importance au mécanisme prévu au Chapitre 19 ou de le faire
disparaître complètement[10].
Au
bout du compte, ni le Canada ni le Mexique n’ont obtenu les exemptions des
lois américaines sur les droits antidumping et compensateurs qu’ils
voulaient, comme en attestent les droits punitifs sur les exportations
canadiennes de bois d’œuvre résineux. Ils n’ont pas non plus atteint
leur objectif d’établir un ensemble de lois uniformes sur les échanges
commerciaux. Comme plusieurs témoins l’ont souligné, le libre-échange
avec les États-Unis n’a pas donné aux Canadiens l’accès garanti
au marché américain qu’ils voulaient obtenir. Chaque pays peut se prévaloir
de ses lois pour imposer des droits compensateurs et antidumping comme il lui
semble bon et modifier ses lois sur les recours commerciaux lorsqu’il le
juge approprié[11].
Les
parties à l’ALE et à l’ALENA ont dû se contenter d’obtenir l’accès
à des mécanismes de règlement des différends qui évaluent l’application
de la législation commerciale des pays signataires. Le seul recours du Canada
consiste donc à s’assurer que les lois américaines sur les recours
commerciaux sont appliquées correctement. Les mécanismes de règlement des
différends sont analysés dans le chapitre suivant du rapport.
B. Étude des solutions
nord-américaines
Il
faut se demander si les États-Unis renonceront jamais à leur droit de
se prévaloir des recours commerciaux que sont les droits compensateurs et
antidumping, dans le contexte des échanges internes régis par l’ALENA.
Compte tenu du rôle central que ces instruments jouent dans la politique
commerciale américaine et de l’énergie avec laquelle nos voisins se sont
battus pour les conserver dans les pourparlers commerciaux, il est bien
difficile d’imaginer qu’ils renonceront complètement à cette possibilité
d’imposer des tarifs et autres droits compensateurs. L’ancien ministre du
Commerce international Roy MacLaren a d’ailleurs souligné que rien ne
les incite actuellement à ne plus pratiquer de recours commerciaux. Lawrence
Herman (avocat-conseil chez Cassels, Brock & Blackwell, LLP) a fait
remarquer que leurs recours commerciaux vigoureux sont considérés par les Américains
comme « un article de foi » indispensable pour contrer ce qu’ils
considèrent comme des pratiques commerciales étrangères déloyales.
Cet
avis n’est toutefois pas unanime, puisqu’une observatrice de l’intégration
de l’économie nord-américaine a maintenu que les Américains
« pourraient être réceptifs, dans le contexte d’un objectif
d’ensemble d’assurer la sécurité économique de l’Amérique du Nord »[12].
Thomas d’Aquino a déclaré quant à lui qu’il n’y a pas de place pour
les recours commerciaux dans notre relation bilatérale. Selon lui, la
meilleure façon d’attirer l’attention des Américains sur ces recours
consisterait à leur proposer un « marché stratégique » grâce
auquel nous pourrions obtenir la suppression des recours commerciaux que nous
n’avons pas obtenue il y a quinze ans.
M. MacLaren
a toutefois rejeté catégoriquement cette possibilité, en soulignant que le
Congrès des États-Unis ne s’est jamais montré le moindrement disposé
à se départir de l’arsenal de recours commerciaux dont il dispose. Il
tient plutôt à ce que le Canada continue à se concentrer sur les négociations
multilatérales actuelles.
Pour sa part, l'honorable Pierre Pettigrew, ministre
du Commerce international, a déclaré au Comité que nous devions être bien
décidés à faire en sorte que la pratique des recours commerciaux soit
compatible avec l’intégration croissante de l’espace économique commun
de l’Amérique du Nord. Il a donné l’exemple de l’industrie de
l’acier, dans laquelle les recours commerciaux ont eu un effet contraire aux
attentes.
Le
Comité estime toutefois qu’on ne peut pas faire grand-chose pour
l’ensemble de l’économie, dans le contexte de l’ALENA, afin de remédier
au problème. À court terme, il est illusoire de penser qu’il serait
possible d’établir un régime nord-américain commun de droits antidumping
et compensateurs. En outre, l’approche du « marché stratégique »
avancée plus haut n’est guère prometteuse, puisque les États-Unis
ne sont pas susceptibles de se priver de la possibilité d’invoquer leurs
lois nationales prévoyant des recours commerciaux. La suggestion du Conseil
canadien des chefs d’entreprise de proposer des mesures canadiennes en échange
d’un allègement des recours commerciaux et de négocier avec les Américains
un pacte intégral de sécurité des ressources destiné à régler une fois
pour toutes les épineux problèmes du prix des ressources et des subventions
n’a guère de chances d’être réalisable, sans compter qu’un pacte
pareil éroderait exagérément notre souveraineté. Comme John Helliwell
l’a dit au Comité à Vancouver, il est dangereux d’aller plus loin dans
la voie de l’intégration simplement parce que le Canada n’a pas obtenu ce
qu’il cherchait dans ses tentatives antérieures en ce sens.
Une
option qu’il vaudrait la peine d’étudier – plusieurs témoins
l’ont déclaré – serait l’application d’ententes sectorielles
bilatérales sur les tarifs (p. ex. dans le secteur de l’acier) pour
« désamorcer » les recours commerciaux dans les secteurs
d’activité économique envisagés. Lawrence Herman a dit au Comité
que les trois gouvernements nationaux des pays de l’ALENA avaient convenu
d’entamer des discussions préliminaires en vue de l’adoption d’un
ensemble éventuel de règles commerciales applicables à l’industrie sidérurgique.
Selon lui, cette approche devrait être encouragée, puisqu’elle pourrait
mener à la suppression des irritants commerciaux et des recours privés dans
ce secteur. Lors des rencontres qu’il a eues au début de février avec le
Secrétaire au Commerce des États-Unis, Don Evans, M. Pettigrew
a soulevé la possibilité de limiter la capacité de chaque pays d’imposer
des droits antidumping ou compensateurs dans leurs différends commerciaux au
sujet d’une industrie aussi hautement intégrée que celle de l’acier.
Kathleen Macmillan, elle, est convaincue des possibilités d’appliquer
une entente sur l’acier à d’autres secteurs de l’économie, plus
particulièrement à l’agriculture. Séduit par tous ces arguments, le Comité
recommande :
|
Recommandation 4 Que
le Canada et les États-Unis entreprennent des négociations pour
limiter substantiellement l’application des recours commerciaux
(droits antidumping et compensateurs et autres mécanismes de
protection) dans les secteurs économiques (p. ex. l’acier) où les
producteurs seraient en faveur de telles négociations. |
C. Chercher un déblocage
à l’OMC
Le
Canada devrait aussi s’acharner à faire débloquer le dossier des recours
commerciaux à l’OMC. Comme Jon Johnson (associé, Goodmans LLP) l’a
dit au Comité, l’avantage de l’OMC est qu’elle a une définition de la
notion de « subvention » ainsi que des règles rigoureuses sur
l’imposition de droits antidumping et compensateurs. Il estime donc que
c’est elle qui représente notre meilleure chance de contrer les lois américaines
sur les recours commerciaux.
D’après
Gilbert Gagné (professeur au Département d’études politiques de
l’Université Bishop), la solution consiste a) à préciser les
dispositions existantes de l’OMC définissant les notions de subvention et
de dumping et b) à resserrer les conditions auxquelles l’OMC autorise
l’imposition de droits antidumping et compensateurs. Il a fait valoir que
les Américains lançaient souvent des enquêtes débouchant sur des recours
commerciaux même sans preuves probantes de l’existence de subventions, de
dumping ou de préjudice, ce qui contraint l’autre partie à accepter des
« compromis » pour éviter des poursuites coûteuses et conserver
son accès au marché. Le Canada devrait continuer à insister sur le fait que
l’OMC exige des preuves suffisantes plus solides pour qu’on puisse lancer
des enquêtes menant à des recours du genre.
À
Washington, William Lash III a aussi pressé le Canada d’obtenir une réforme
des subventions à l’OMC. Il a soutenu que le fait d’instruire et réinstruire
toujours les mêmes causes, comme dans le cas du bois d’œuvre, va à
l’encontre du but recherché et qu’une réforme de l’OMC réglerait le
problème une fois pour toutes.
Le
Comité a aussi entendu des témoins déclarer que l'abus des droits
antidumping est devenu un problème de plus en plus critique pour le système
des échanges commerciaux internationaux, étant donné qu’un nombre
croissant de pays ont mis en œuvre leur propre législation antidumping. Le
hic, c’est que ces pays (largement en développement) n’ont pas tous
interprété de la même manière les règles de l’OMC (c’est-à-dire
l’Accord antidumping de 1995) et qu’il en a résulté des différends. On
estime donc qu’il faut accorder la priorité de toute urgence à des démarches
privilégiant une clarté et une ouverture accrue des règles antidumping.
Ces
questions figurent au programme de la ronde actuelle de négociations à
l’OMC et font aussi activement l’objet de discussions aux pourparlers sur
la ZLEA. En novembre 2001, les membres de l’OMC ont convenu
d’entreprendre des négociations afin de clarifier et d’améliorer les
disciplines prévues à l’Accord antidumping et à l’Accord sur les
subventions et les mesures compensatoires, tout en préservant les concepts,
les principes et l’efficacité de base de ces instruments. Claude Carrière,
directeur général du Bureau de la politique commerciale au ministère des
Affaires étrangères et du Commerce international, a informé le Comité que
le Groupe de négociation des règles de l’OMC envisageait des moyens de réduire
les abus dans l’application des lois sur les recours commerciaux et
d’imposer des exigences plus rigoureuses avant qu’on ne puisse amorcer des
enquêtes débouchant sur des droits antidumping et compensateurs. D’après
lui, le Canada s’est fixé l’objectif de restreindre l’usage abusif des
mesures antidumping et compensatoires que les États-Unis et d’autres
pays prennent à son endroit. À cette fin, il s’efforce de faire élever le
seuil actuel de 25 p. 100 de participation des secteurs d’activité
aux pétitions réclamant des droits antidumping ou compensateurs.
Certains
témoins ont insisté sur l’incertitude d’obtenir les changements nécessaires
au cycle de Doha de l’OMC. Rolf Mirus et Donald Barry ont souligné
que les perspectives de succès au cycle de Doha ne sont pas bonnes,
puisqu’on n’a pas encore réalisé de progrès tangibles sur les questions
agricoles. Il faudrait que les Européens fassent des concessions dans ce
domaine, et M. Barry a déclaré que ce serait possible puisque
l’expansion de l’UE les force à se pencher sur leurs propres politiques
de soutien de l’agriculture. Le Ministre Pettigrew a toutefois prévenu le
Comité de ne pas avoir de trop grandes attentes quant aux progrès qui
pourraient être réalisés à l’OMC sur la question des recours
commerciaux.
Nonobstant
cette incertitude dans le contexte des négociations, le Comité est très
conscient du besoin de refondre les dispositions de l’OMC sur les recours
commerciaux afin de contrer les abus protectionnistes croissants. Avec la réforme
agricole, la restriction de ces recours doit être considérée comme
l’objectif le plus critique du Canada pour la ronde de négociations
actuelle à l’OMC. Le Comité recommande :
|
Recommandation 5 Que
le Gouvernement du Canada cherche en priorité, lors du cycle de Doha
des négociations commerciales de l’OMC, à conclure un accord afin : a)
de clarifier et améliorer les dispositions actuelles sur les définitions
des notions de subvention et de dumping; b)
de renforcer
les dispositions en vigueur sur l’utilisation des recours commerciaux
(p. ex., droits antidumping et compensateurs et autres mesures)
afin d’empêcher les abus protectionnistes; et c)
d’éviter
les conflits commerciaux continentaux. |
AMÉLIORER
LES MÉCANISMES
DE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS
Comme
il s’est révélé impossible jusqu’à présent d’éliminer la menace du
protectionnisme américain, il est important pour un pays aussi largement
exposé au grand marché américain que le Canada d’avoir accès à un mécanisme
de règlement des différends à la fois complet et efficace, de façon à
pouvoir régler directement, équitablement et rapidement les cas de
protectionnisme unilatéral les plus difficiles et les plus dommageables. Le
Canada avait d’ailleurs entamé les négociations qui ont mené à l’ALE
dans l’intention d’obtenir un système de règlement des différends
obligatoire et basé sur des règles, qui régirait la mise en œuvre de
l’Accord et serait pour lui un moyen sûr de contester les mesures
protectionnistes des États-Unis, sans devoir subir l’influence de puissants
intérêts américains dans ce contexte.
Malheureusement,
le système de règlement des différends qu’il a obtenu dans le cadre des
accords nord-américains de libre-échange n’est que partiellement basé sur
des règles, dont certaines prêtent le flanc à la possibilité
d’interventions politiques, de sorte que le Canada (et maintenant le
Mexique, dans le cadre de l’ALENA) sont toujours exposés aux effets néfastes
des décisions politiques et de la puissance de ses voisins américains.
Bien que le système des groupes binationaux du
Chapitre 19 (nous y reviendrons plus loin) soit à bien des égards un
système de règlement des différends basé sur des règles, il est fondé
sur une combinaison hybride de lois, à savoir les lois intérieures sur les
droits antidumping et compensateurs des trois pays signataires. Les règles
tendent à fonctionner la plupart du temps, mais des différends hautement
politisés mettant en cause de gros intérêts économiques (p. ex. celui
du bois d’œuvre résineux) continuent de faire la preuve des lacunes du
système du Chapitre 19 et de son inévitable vulnérabilité aux
pressions politiques.
Les
principales dispositions de l’ALENA concernant le règlement des différends
comprennent le processus des groupes binationaux du Chapitre 19 pour
l’examen des mesures antidumping et compensatrices; les procédures de règlement
des différends entre deux États du Chapitre 20, qui visent toutes les
questions autres que celles qui sont traitées dans les chapitres 19 et 11; et
le mécanisme investisseurs-États du Chapitre 11, qui permet à des
investisseurs étrangers d’intenter une action contre un pays où ils ont
investi. Ces trois types de mécanisme de règlement des différends seront décrits
en détail plus loin.
Dans
les cas où leurs droits et leurs obligations dans le cadre de l’OMC sont en
jeu, les parties à l’ALENA ont aussi la possibilité d’avoir recours à
la procédure de règlement des différends de l’Organisation plutôt qu’à
celle de l’ALENA lui-même. Comme nous l’avons déjà précisé,
l’OMC est désormais « l’instance de prédilection » pour le règlement
des différends. Par exemple, Son Excellence Paul Cellucci a signalé que les
États-Unis ont tendance à régler leurs différends commerciaux au moyen de
traités multilatéraux à l’intérieur du cadre commercial international de
l’OMC et que ces traités font mieux que leurs lois commerciales.
Le
Comité a déjà fait savoir qu’il était mécontent du régime de règlement
des différends prévu à l’ALENA. Les différends nord-américains se règlent
de plus en plus en Suisse. Il serait certainement avantageux, tant pour le
Canada que pour les États-Unis d’améliorer le régime actuel pour le
rendre plus rapide et plus efficace.
A. Règlement des différends
conformément au Chapitre 19 de l’ALENA
Avant
la conclusion de l’ALE, les différends sur des droits antidumping et
compensateurs imposés par les États-Unis étaient tranchés par des
organismes américains, de sorte que le seul mécanisme interne d’appel
consistait à réclamer un contrôle judiciaire des décisions
gouvernementales par les tribunaux américains. L’ALE, puis le Chapitre 19
de l’ALENA ont établi un système d’examen par des groupes spéciaux
binationaux qui a remplacé le contrôle judiciaire des décisions sur les
affaires d’imposition de droits antidumping et compensateurs. Les deux
accords ont fixé les procédures de formation de ces groupes spéciaux, les délais
pour rendre une décision et les conséquences dans les cas où les parties ne
se conformeraient pas à ces décisions. Donald McRae, professeur de
droit commercial et de droit des affaires à l’Université d’Ottawa, a
qualifié la procédure d’examen par les groupes spéciaux du Chapitre 19
d’important progrès comparativement au système existant avant l’ALE.
D’après
Jon Johnson et Michael Kergin (ambassadeur du Canada aux États-Unis), le
système de règlement des différends de l’ALE était aussi un grand pas en
avant comparativement à l’Accord général sur les tarifs douaniers et le
commerce. Le GATT ne prévoyait aucun mécanisme de règlement des différends
et la partie perdante pouvait bloquer l’adoption des rapports, ce que
l’ALE ne permet pas.
Le
fait que les groupes spéciaux binationaux ne créent ni n’appliquent de
nouvelles dispositions légales pas plus qu’ils n’appliquent des règles
juridiques fondamentales en cas de droits antidumping ou compensateurs est un
aspect fondamental du système de règlement des différends du Chapitre 19[13] :
ils ne font que se pencher sur l’application des lois intérieures du pays
importateur pour s’assurer qu’elle est correcte. C’est ainsi que, dans
le cas des mesures américaines prises contre une politique canadienne, le
groupe binational chargé du règlement du différend étudie les mesures
prises par les organismes gouvernementaux américains seulement pour
s’assurer qu’elles sont compatibles avec le droit commercial intérieur
des États-Unis. Le processus d’examen par les groupes spéciaux
binationaux du Chapitre 19 de l’ALENA est donc extrêmement limité
puisqu’il consiste simplement à faire en sorte que les lois commerciales
intérieures de chaque pays soient appliquées correctement, plutôt qu’à
établir ses propres critères.
Ce
système de groupes spéciaux binationaux a soulevé de nombreux commentaires;
il a même été un facteur clé dans plusieurs grands différends, notamment
sur le bois d’œuvre résineux et sur l’acier. Plus de 80 p. 100
des différends dans le cadre de l’ALENA ont porté sur l’imposition de
droits antidumping et compensateurs, de sorte qu’ils tombaient sous le coup
du Chapitre 19.
Dans
quelle mesure le processus d’examen par les groupes spéciaux binationaux du
Chapitre 19 a-t-il été un succès? Selon Gilbert Gagné, qui a
beaucoup écrit sur ces questions, même si l’application des dispositions
du Chapitre 19 a eu des avantages, « les problèmes fondamentaux se
sont poursuivis et se sont tous révélés extrêmement néfastes pour les intérêts
commerciaux canadiens. Ces problèmes sont liés au caractère limité des
dispositions de l’ALE/ALENA, aux difficultés et aux délais constatés dans
l’application du processus d’examen par les groupes spéciaux, à la
persistance des aspects les plus perturbateurs des lois et des pratiques
commerciales américaines, y compris la possibilité pour les Américains de
les modifier de façon restrictive, à la persistance aussi des tactiques de
harcèlement américaines, qui forcent leurs vis-à-vis à
accepter des « compromis » pour éviter d’autres poursuites et
enfin à l'attitude des États-Unis centrés sur leurs intérêts
nationaux et faisant fi des règles commerciales internationales »[14].
Lawrence
Herman a soutenu que la lacune fondamentale du système de règlement des différends
de l’ALENA est que les groupes spéciaux sont éphémères, de sorte qu’il
n’existe aucune institution permanente d’arbitrage ou de règlement des
différends dans le cadre de l’ALENA. Il a donc proposé la création d’un
tribunal permanent de l’ALENA qui ne modifierait pas la compétence des
groupes spéciaux binationaux, mais mettrait en place un groupe de juges
permanents. Ce tribunal pourrait instruire toutes les affaires fondées sur
les chapitres 19, 20 et 11. Le Comité estime toutefois que la création
d’un tribunal nord-américain permanent du commerce et de
l’investissement, chargé de trancher les différends commerciaux, serait
une moins bonne solution qu’une percée à l’OMC (voir plus loin).
Sharon
Bomer-Laurentsen (sous-représentante américaine adjointe au commerce pour
l’agriculture) convient de la nécessité de donner plus de vigueur à la
procédure prévue au Chapitre 19. Il faut que les groupes spéciaux
rendent leurs décisions plus rapidement et plus efficacement.
D’autres
critiques du système de règlement des différends ont été favorables,
particulièrement en ce qui concerne les affaires moins médiatisées. Une étude
récente fait d’ailleurs valoir que le Chapitre 19 « a réussi à
freiner ce que les Canadiens considèrent comme une application trop zélée
des lois sur les droits antidumping et compensateurs par les autorités américaines »[15].
Son auteur, Patrick Macrory, a souligné que « à part le bois d’œuvre
résineux, seulement six produits canadiens sont actuellement frappés
d’ordonnances imposant des droits antidumping ou compensateurs et, dans la
plupart des cas, le volume des échanges commerciaux en cause est minime et le
taux actuel des droits peu élevé »[16]. Il précise aussi que, à la suite de la mise
en œuvre de l’ALENA, « les importations du Canada et du Mexique ont
fait l’objet de bien moins d’enquêtes et d’ordonnances que celles des
autres parties du monde, peut-être en raison de l’intégration accrue de
l’économie de ces deux pays avec celle des États-Unis »[17].
L’auteur d’une étude antérieure avait aussi conclu que le processus des
groupes spéciaux binationaux chargés d’instruire les appels des recours
commerciaux américains et canadiens avait « relativement bien »
fonctionné et que les décisions finales avaient été rendues beaucoup plus
vite que celles du Tribunal de commerce international des États-Unis[18].
Fred McMahon a largement déclaré la même chose au
Comité : les accords de libre-échange que le Canada a conclus avec les
États-Unis ont réduit les irritants commerciaux, l’Europe et le
Japon ont écopé de plus de recours commerciaux américains que le Canada, et
le Canada a obtenu de bons résultats devant les groupes spéciaux constitués
en vertu de l’ALE et de l’ALENA. Jon Johnson a conclu que le
processus des groupes spéciaux binationaux a été très utile et que ces
groupes se sont montrés objectifs. Peter Clark a souligné que le Canada
s’est bien tiré d’affaire au début de l’application du système de règlement
des différends du Chapitre 19, mais qu’il n’y a guère d’activité
à cet égard à l’heure actuelle. Claude Carrière estimait aussi que
la fiche canadienne était bonne pour les affaires tranchées en vertu du
Chapitre 19.
Malgré
ces lacunes, plusieurs témoins ont affirmé qu’il est important de
maintenir à tout le moins le processus du Chapitre 19 pour les échanges
commerciaux sous le régime de l’ALENA dans le cadre des négociations pour
la création de la ZLEA. Par exemple, Gilbert Gagné a souligné que, même
si les Américains pouvaient s'opposer à cette approche compte tenu du caractère
exécutoire des décisions des groupes spéciaux de l’ALENA, l’inclusion
de mécanismes analogues à celui du Chapitre 19 devrait être considérée
comme une exigence minimale pour le Canada. Le Comité recommande :
|
Recommandation 6 Que,
durant les négociations sur la ZLEA et sur l’établissement d’un régime
efficace de règlement des différends hémisphériques, le gouvernement
fédéral tente de conserver, au minimum, la possibilité de se prévaloir
du processus de règlement des différends au Chapitre 19 de
l’ALENA pour les échanges commerciaux réalisés dans le cadre de
l’ALENA. |
B. Règlement des différends
fondé sur le Chapitre 20
Le
Chapitre 20 de l’ALENA porte sur le système de règlement des différends
servant à l’interprétation générale de cet accord. Malheureusement, la
procédure qu’il établit n'est pas un mécanisme efficace pour régler des
différends, de sorte qu’on n’y a eu recours que trois fois depuis
l’entrée en vigueur de l’ALENA. Plusieurs témoins ont d’ailleurs déclaré
que le Chapitre 20 est utile seulement dans les rares cas où les différends
ne peuvent pas être soumis à l’OMC, parce qu’ils ne portent que sur les
droits et obligations prévus exclusivement par l’ALENA.
Les améliorations à envisager sont l’accélération
de la sélection des membres des groupes visés, le soutien institutionnel
accru du processus de l’ALENA, la mise en œuvre d’un processus d’appel
efficace et un changement du caractère des décisions du Chapitre 20
pour les rendre exécutoires. Néanmoins, comme Donald McRae l’a signalé,
modifier la procédure prévue au Chapitre 20 ne la rendrait guère plus
intéressante pour les parties.
Le
Chapitre 20 souffre particulièrement d’une grosse lacune attribuable
au fait que ses mécanismes de règlement des différends ne lient pas les
parties en cause. Un mécanisme de règlement des différends peut largement
contribuer à empêcher de nouveaux différends de se produire, à condition
cependant que les parties soient convaincues que les décisions seront respectées.
Quand
un différend se concrétise, la première étape est celle des consultations
entre les parties. Si ces consultations ne leur permettent pas de régler le
différend, la Commission de l’ALENA, un organisme politique composé de
représentants de chaque partie au niveau ministériel (ou de leurs délégués)
se réunit. C’est à ce stade que la diplomatie et les négociations basées
sur la puissance respective des parties peuvent faire dérailler l’approche
fondée sur les règles du système. Si la Commission de l’ALENA est également
incapable de régler le différend, les parties peuvent réclamer la formation
d’un groupe arbitral spécial composé d’experts indépendants des échanges
commerciaux de chaque pays qui entend les deux parties, puis produit un
rapport assorti de recommandations ne liant pas automatiquement
celles-ci. La nature même du processus fait que la décision finale sur
le règlement des différends relève des parties elles-mêmes, et que
la diplomatie et les pressions politiques risquent d’influer sur elles. Il
n’y a pas de mécanisme d’appel de ces décisions.
Il
est important de souligner ici que la procédure de règlement des différends
de l’OMC n’accuse pas de telles lacunes. Les membres des groupes chargés
de trancher les différends de l’Organisation doivent être des citoyens de
pays tiers, et leur sélection est meilleure; en outre, il n’y a pas à
l’OMC d’équivalent de la créature politique qu’est la Commission de
l’ALENA et l’Organisation bénéficie du soutien institutionnel nécessaire,
sans compter que sa procédure d’appel est meilleure que celle de
l’arbitrage spécial de l’ALENA, que son système de règlement des différends
est plus transparent et que les rapports des groupes d’examen lient les
parties. Il est difficile de qualifier le système de règlement des différends
du Chapitre 20 d’efficace s’il n’a pas la capacité de régler
effectivement les différends.
C. Percer à l’OMC
L’Accord sur le règlement des différends (ARD) de
l’OMC prévoit un processus multilatéral basé sur des règles qui est le
meilleur que nous ayons eu en droit international depuis des siècles, selon
Lawrence Herman. Ce processus est généralement considéré comme équitable
et efficace pour régler les différends entre les membres de l’OMC. Il prévoit
dans un premier temps des consultations ayant pour but d’obtenir le règlement
du différend; si les consultations achoppent, un groupe spécial est chargé
de se prononcer sur la question de savoir si un membre de l’OMC ne s’est
pas conformé aux obligations que l’Organisation lui impose. La décision de
ces groupes spéciaux peut être portée en appel devant l’Organe d’appel
permanent de l’OMC.
Le
système de règlement des différends commerciaux de l’OMC est le fruit des
négociations de l’Uruguay Round, au milieu des années 1990; plusieurs
de ses caractéristiques font qu’il est supérieur au mécanisme de règlement
des différends de l’ALENA qui était déjà en place à l’époque. Des témoins
ont fait valoir que l’OMC prévoit des règles beaucoup plus équitables,
pour le règlement des différends, que n’importe quel accord commercial
bilatéral ou régional et qu’elle est actuellement le meilleur espoir du
Canada de composer avec l’application des lois américaines sur les recours
commerciaux. Il est déjà clair que les pays membres de l’ALENA ont de plus
en plus tendance à se prévaloir de la procédure de l’OMC plutôt que de
celle du Chapitre 19. Donald McRae a d’ailleurs souligné qu’on
invoque moins souvent le Chapitre 19 dans le contexte de l’ALENA
qu’on ne le faisait dans celui de l’ALE.
Jon Johnson
a donné au Comité des renseignements utiles sur les principales caractéristiques
du système de l’OMC. Le plus important, c’est que le processus de règlement
des différends de l’OMC confronte les recours commerciaux pris par des pays
à leurs propres règles sur l’imposition de droits antidumping et
compensateurs. L’Accord de l’OMC sur l’antidumping établit un code
antidumping et l’Accord de l’OMC sur les subventions et les mesures
compensatoires de l’OMC contient une définition de la notion de « subvention ».
Qui plus est, la partie perdante ne peut plus empêcher l’adoption d’un
rapport et la sélection des membres des groupes spéciaux se fait rapidement.
Contrairement aux groupes spéciaux de l’ALENA, ceux qui sont formés à
l’OMC peuvent se prévaloir des services d’un secrétariat et obtenir énormément
de soutien institutionnel. L’OMC a aussi un organe d’appel permanent;
selon M. Johnson, tout cela a largement accru l’uniformité de
l’application des règles de droit à l’OMC.
Il
est donc logique que la façon optimale de faire progresser le dossier du règlement
des différends consiste à améliorer le système de règlement des différends
de l’OMC. M. Johnson a d’ailleurs déclaré au Comité qu’on ne
peut vraiment rien reprocher d’important à la structure fondamentale du
système, puisque la plupart des propositions de réforme portent sur le
fonctionnement technique du mécanisme de règlement des différends.
Une question cruciale reste pourtant entière, celle
du non-respect des décisions des groupes spéciaux ou de l’Organe
d’appel à la fin du processus de l’OMC. Quand un membre de l’OMC est
considéré comme ayant manqué à ses obligations envers l’Organisation, on
lui accorde un délai raisonnable pour s’y conformer. À défaut, il peut écoper
de mesures de représailles de la partie plaignante, ou encore souhaiter lui
accorder un dédommagement (p. ex. une libéralisation des échanges dans
un autre secteur d’activité) pour lui donner temporairement satisfaction
avant de se conformer à ses obligations.
Claude
Carrière a souligné que les représailles sont des armes pour le moins
grossières dont l’efficacité n’a pas été démontrée. Il a toutefois
fait remarquer que le Gouvernement du Canada n’a pas encore trouvé de
solutions de rechange pratiques.
Richard
Ouellet (professeur adjoint à la Faculté de droit de l’Université Laval)
et Armand de Mestral (professeur à la Faculté de droit de
l’Université McGill) ont tous deux soutenu qu’il est de plus en plus
difficile de faire exécuter les décisions portant règlement de différends.
En effet, il y a maintenant plusieurs étapes à franchir avant que les
parties ne puissent s’entendre sur leur application. Dans le cas du différend
canado-américain sur les périodiques, Gilbert Gagné a déclaré que les
rapports des groupes spéciaux et de l’Organe d’appel de l’OMC ne
donnent que très peu d’indications sur la latitude dont un pays dispose
pour atteindre les objectifs des programmes invalidés. Dans des cas comme
celui-là, les pressions politiques sont devenues plus importantes
qu’on ne le prévoyait au départ. Tant M. Ouellet que M. de Mestral[19]
se sont dits d’avis qu’il serait de loin préférable de confier à une
institution quasi judiciaire la responsabilité de régler les différends,
plutôt que de laisser s'exercer des pressions politiques et économiques dans
ces situations.
Le
Canada devrait être un des leaders du changement des mécanismes actuels de règlement
des différends (tant de l’OMC que du Chapitre 19 de l’ALENA), afin
d’obtenir un règlement plus harmonieux des différends avec un minimum de
frictions politiques. Il a d’ailleurs avancé des propositions en ce sens.
Parmi les autres défauts du mécanisme de règlement
des différends de l’OMC qui ont été signalées au Comité, citons le
besoin d’en accroître la transparence, de raccourcir les délais afin
d’accélérer le règlement, de passer à une liste fixe semi-permanente de
membres des groupes spéciaux, de régler le problème de séquençage pour
l’application des décisions, de réformer le processus des tierces parties
et, enfin, d’abolir le stade de l’examen provisoire. Le Comité a
toutefois entendu des témoins déclarer que la mise en œuvre de ces
changements n’est pas essentielle au succès du cycle de Doha et que, de
toute manière, il est peu probable qu’on y marque des points pour faire
changer le régime de règlement des différends. En mars 2003, Claude Carrière
a déclaré au Comité qu’il n’y avait absolument aucune chance que la révision
du système de règlement des différends de l’OMC soit menée à bien dans
les délais prévus, soit mai 2003.
D. Chapitre 11 de
l’ALENA
Le
principal objectif du controversé Chapitre 11 de l’ALENA consiste
à faciliter les investissements dans ses pays membres grâce à l’adoption
de règles conçues pour protéger les investisseurs étrangers contre les
mesures discriminatoires (faisant une distinction entre les investisseurs
nationaux et étrangers) et les mesures de distorsion du marché prises par
les gouvernements des pays hôtes. La conception de ce Chapitre n’est pas
originale, puisque celui-ci est largement inspiré des dispositions contenues
dans les traités bilatéraux d’investissement existants, comme les accords
sur la protection des investissements étrangers (APIE) conclus entre le
Canada et plusieurs autres pays. Conformément à ces accords bilatéraux, les
investisseurs étrangers participants peuvent saisir de leurs doléances le
Centre international pour le règlement des différends relatifs aux
investissements (CIRDI). Les dispositions du Chapitre 11 vont toutefois
plus loin que les dispositions sur les investissements de l’ALE.
L’aspect
le plus controversé du Chapitre 11 est lié à la procédure de règlement
des différends entre les investisseurs et les États, qui permet aux
investisseurs étrangers privés de porter à l’arbitrage une plainte contre
un des gouvernements des pays membres de l’ALENA s’ils estiment que le
gouvernement du pays hôte a manqué aux obligations en matière
d’investissement que lui impose le Chapitre 11. L’article 1110
du Chapitre 11 prévoit en effet que les gouvernements des pays membres
de l’ALENA ne peuvent pas prendre de mesures équivalant à la
nationalisation ou à l’expropriation d’un investissement à moins de le
faire pour des raisons d’intérêt public, sans discrimination, conformément
au principe de l'application régulière de la loi et seulement s’ils dédommagent
l’investisseur étranger. Si ce dernier est d’avis que les décisions du
gouvernement ont nui à ses intérêts commerciaux (autrement dit qu’elles
ont sapé ses bénéfices réels ou éventuels) de façon injuste et
discriminatoire, il peut se prévaloir d'une procédure de révision afin
d’obtenir un dédommagement.
L’arbitrage est régi par les règles
internationales d’arbitrage commercial. L’investisseur et le gouvernement
choisissent chacun un arbitre, le troisième étant choisi soit de concert par
eux, soit par une tierce partie neutre. Les résultats de l’arbitrage lient
chaque partie, et les dispositions relatives à la révision ou à l’appel
des décisions sont limitées. Les tribunaux de l’ALENA ne sont pas autorisés
à recommander qu’un gouvernement modifie ses lois, règlements ou
politiques en défaut.
Les
dispositions sur les investisseurs et les États du Chapitre 11 étaient
conçues au départ pour protéger entreprises et investisseurs contre une réglementation
arbitraire et des manœuvres protectionnistes, particulièrement dans le
contexte des investissements au Mexique. Elles avaient donc essentiellement
pour but d’empêcher qu’on ne contraigne les investisseurs étrangers à
se conformer à des règles plus rigoureuses que celles imposées aux
investisseurs du pays hôte. Leur raison d’être fondamentale reste la
promotion et la protection des investissements.
À
ce besoin de promotion et protection des investissements et des droits des
investisseurs privés s’oppose toutefois le besoin manifeste de contrôle
public de l’établissement des politiques gouvernementales. Dans ce
contexte, certains ont déclaré que les dispositions sur les investisseurs et
les États ont imposé un « gel réglementaire » aux
gouvernements. En d’autres termes, elles ont restreint leur capacité de réglementation.
Est-ce vrai?
Les
critiques de l’ALENA maintiennent que ce qui était au départ un mécanisme
de défense des investisseurs contre les gouvernements étrangers semble être
devenu une arme dont certaines entreprises se servent agressivement pour
contester le droit des gouvernements d’appliquer des règlements. Selon eux,
les entreprises dictent désormais la politique gouvernementale. Dennis Deveau
(agent de liaison gouvernemental, Service législatif, Syndicat des Métallos)
a demandé si les droits des propriétaires de capitaux étrangers devaient prévaloir
sur les intérêts canadiens correspondants. Steven Shrybman (avocat chez
Sack Goldblatt Mitchell) a dit au Comité que donner à des entreprises étrangères
le droit de traîner le Canada devant des tribunaux internationaux qui peuvent
lui ordonner de payer des dommages-intérêts est un fait nouveau tout à fait
extraordinaire en droit international. Les différends entre les investisseurs
et les États devraient selon lui être tranchés par des tribunaux intérieurs
(canadiens) et non par des tribunaux internationaux. Il a aussi déclaré
s’inquiéter de l’accès aux procédures fondées sur le Chapitre 11
et de leur manque de transparence.
D’un autre côté, il vaut la peine de souligner
qu’il n’y a eu que 23 plaintes fondées sur le Chapitre 11 au
cours des huit premières années d’application de l’ALENA (seulement cinq
sont réglées), à une période où les investissements en Amérique du Nord
augmentaient rapidement. À quelques rares exceptions près, les gouvernements
nord-américains ont généralement réussi à adopter des règlements
vraiment conçus pour protéger la santé et l’environnement plutôt que
pour interdire les activités commerciales de certaines entreprises étrangères
en particulier. Il ne fait aucun doute que le Chapitre 11 fait qu’il
est plus difficile pour les gouvernements d’adopter librement des règlements
protectionnistes visant à détruire des entreprises légitimes. Cela dit, il
n’a pas empêché les gouvernements de faire ce qu’ils veulent à
condition de dédommager les intérêts commerciaux en question si un groupe
spécial décide que les mesures prises n’ont pas été appliquées sans
discrimination. Comme Donald McRae l’a soutenu devant le Comité, il
n’est pas déraisonnable d’exiger qu’un gouvernement n’agisse pas de
façon arbitraire ou discriminatoire.
Quoi
qu’on pense de l’idée d’inclure des dispositions sur les différends
entre les investisseurs et les États dans l’ALENA, il est clair que le mécanisme
de règlement des différends du Chapitre 11 pourrait être amélioré grâce
à une restriction de la portée de la disposition actuelle sur les
expropriations (le gouvernement fédéral s’y intéresse particulièrement
depuis quelque temps, et le président de la Fédération canadienne de
l’agriculture, Robert Friesen, l’a aussi recommandée), à une
transparence accrue du système et, comme M. McRae l’a proposé, à la
mise sur pied d’une institution combinée à l’intégration d’une procédure
d’appel basée sur l’OMC pour corriger les erreurs des tribunaux et donner
à l’ensemble de la procédure l’uniformité et la prévisibilité nécessaires.
Au
sujet de la transparence, il faut reconnaître que les séances d’arbitrage
se déroulent à huis clos sauf si les parties acceptent de les ouvrir au
public. Néanmoins, chaque pays de l’ALENA a désormais accepté de rendre
publics tous les documents soumis aux tribunaux formés en vertu du Chapitre 11
ou produits par eux, à quelques exceptions près. Donald McRae a déclaré
au Comité que, pour accroître encore davantage la transparence des dossiers
fondés sur le Chapitre 11, les parties à l’ALENA n’auraient qu’à
convenir que les audiences seront publiques tout comme l’instruction des
plaintes des investisseurs du pays hôte. Il a toutefois souligné que, si le
Canada et les États-Unis semblent favorables à cette idée, les
Mexicains sont moins enclins à accepter un tel changement.
DE NOUVELLES INSTITUTIONS SONT-ELLES NÉCESSAIRES POUR GÉRER LE COMMERCE CANADO-AMÉRICAIN?
À l’intérieur de l’ALENA, on ne retrouve aucune
institution commune pour régir les relations économiques, outre les
commissions du travail et de l’environnement qui ont été créées.
L’accord commercial en lui-même n’est associé à aucune institution
supranationale. L’ALENA était censé évoluer, mais ne l’a jamais fait,
ne dispose pas vraiment d’institutions pour apporter des changements, et les
États-Unis hésitent à s’engager dans des institutions supranationales.
Faut-il améliorer les institutions existantes ou en créer de nouvelles pour
gérer les échanges et investissements actuels en Amérique du Nord, ou les règles
déjà établies conjuguées à une procédure de règlement des différends
dans le cadre de l’ALENA sont-elles suffisantes?
Pour
sa part, le ministre Pettigrew a fait connaître sa préférence pour des
changements à la relation bilatérale (p. ex. faire avancer la résolution
des problèmes douaniers) en se servant des institutions cadres qui existent déjà.
Deux de ses hauts fonctionnaires, Claude Carrière et Marc Lortie
(sous-ministre adjoint (Amériques), ministère des Affaires étrangères et
du Commerce international) estiment que, manifestement, on n'était pas du
tout intéressé, surtout aux États-Unis, à créer des institutions communes
pour régir le commerce. M. Lortie a fait remarquer que des trois parties
à l’ALENA, le Mexique était la plus active et la plus innovatrice pour
proposer des changements institutionnels.
Steven
Shrybman a souligné qu’en ce qui concerne les institutions supranationales,
la situation en Europe est différente parce que les marchés sont assez équilibrés
là-bas (p. ex. le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne ont une économie
de taille relativement équivalente), mais en Amérique du Nord, la balance
penche résolument du côté des États-Unis en raison de leur grande
puissance.
Sur
une note plus positive, Armand de Mestral a soutenu que si des institutions
supranationales ne seront jamais acceptables, certaines institutions
existantes comme la Commission de l’ALENA pourraient être renforcées.
D’autres témoins ont aussi pressé le gouvernement fédéral de sonder la
possibilité soit de renforcer les institutions bilatérales pour mieux gérer
les relations commerciales entre le Canada et les États-Unis, soit d’en créer
de nouvelles. Lawrence Herman est en faveur de la constitution d’une
Commission permanente de l’ALENA dotée d’un secrétariat permanent du
libre-échange, par opposition à l’organisation actuelle qui prévoit une réunion
des responsables dans les trois capitales mais qui n’a aucun statut
permanent ni juridique (autrement dit, ce n’est pas un véritable organe
trilatéral). Ce groupe pourrait être chargé de produire des rapports, de
recueillir des données et de fournir des services aux trois gouvernements sur
les principaux problèmes commerciaux. M. Herman a aussi préconisé la
création d’un tribunal permanent de l’ALENA auquel siégeraient des juges
permanents, pour remplacer le système ponctuel en vigueur. La compétence des
groupes spéciaux ne changerait pas dans le nouveau régime.
Richard
Ouellet a dit également souhaiter une évolution des institutions nord-américaines
à l’issue soit d’une révision de l’ALENA, soit de la négociation
d’une ZLEA. Il a signalé que les institutions de l’ALENA étaient
sous-utilisées à bien des égards. Par exemple, la Commission de l’ALENA
devrait être mieux employée, même si son mandat actuel n’est pas très étendu.
Les commissions du travail et de l’environnement sont aussi sous-utilisées
et les divers comités de l’ALENA, même s’ils travaillent bien, ne sont
pas assez visibles, transparents et actifs. Il y aurait lieu de faciliter
l’accès du public à ces institutions.
Laura
Macdonald a recommandé que soit entrepris un sérieux examen des institutions
trilatérales, y compris de celles qui existent déjà comme les commissions
du travail et de l’environnement, et de la Banque de développement nord-américaine
(BDNA). Cette Banque, dont le Canada n’est pas membre, pourrait servir à
financer les efforts de développement économique des régions défavorisées
du Mexique. Malheureusement, la Banque n’est ni efficace ni efficiente, un
facteur qui a refroidi l’enthousiasme du Canada pour une participation à
l’institution.
William
Dymond, lui, a proposé que le Gouvernement du Canada se penche sur la
Commission mixte internationale (CMI) pour déterminer si elle ne pourrait pas
être modifiée de façon à s’occuper de relations plus étendues entre le
Canada et les États-Unis.
Après
avoir longuement discuté de toutes ces suggestions, le Comité a conclu
qu’un organisme est requis dans le cadre de l’ALENA pour gérer les
politiques commerciales et résoudre les problèmes qui se posent. Il y a dix
ans, l’ALENA prévoyait un secrétariat pour la Commission du libre-échange
et même si les dispositions de l’accord sont suffisamment souples pour
permettre la création de cet organisme, celui-ci n’a pas vu le jour. Idéalement,
cette institution rassemblerait des représentants commerciaux de haut niveau
des trois pays, qui pourraient travailler ensemble de façon régulière pour
réduire la liste des différends/irritants commerciaux relatifs à l’ALENA
et fournir des avis critiques aux trois gouvernements sur les problèmes à
moyen et long terme liés aux politiques commerciales de même que sur les développements
au sein de l’OMC. Nous recommandons donc :
|
Recommandation 7 Que
le Canada, le Mexique et les États-Unis mettent en pratique l’Article
2002 de l’ALENA stipulant la création d’un secrétariat permanent
de l’ALENA auquel on confierait le mandat suivant : a)
examiner
les moyens de résoudre, au sein de l’ALENA plutôt qu’à l’OMC,
les différends et irritants commerciaux et contribuer à une résolution
rapide de ces conflits commerciaux; b)
examiner les problèmes à moyen et long terme liés aux
politiques commerciales et produire des rapports assortis de
recommandations à l’intention des partenaires de l’ALENA; et c)
étudier les
développements survenant dans le système commercial multilatéral et
leurs liens avec le cadre commercial de l’ALENA. |
RÉGLER LES DIFFÉRENDS
COMMERCIAUX
ET LES AUTRES IRRITANTS EXISTANTS
La
relation commerciale bilatérale entre le Canada et les États-Unis est
la plus importante au monde. Chaque jour, les deux pays échangent des
marchandises d’une valeur excédant 1,5 milliard de dollars, et plus de
95 p. 100 de leurs échanges commerciaux se déroulent sans
incident. Pourtant, il arrive à l’occasion que des irritants se manifestent
et que des différends se produisent. Nous allons décrire dans le présent
chapitre les principaux différends et irritants auxquels doit faire face le
Canada, soit le bois d’œuvre résineux et les produits agricoles[20].
A. Différend canado-américain
sur le bois d’œuvre résineux
Au cours des deux dernières décennies, ce sont les
exportations de bois d’œuvre résineux du Canada aux États-Unis,
d’une valeur d’environ 10 milliards de dollars par an, qui ont causé
le plus de frictions commerciales. Les États-Unis se sont prévalus
quatre fois de recours commerciaux contre le Canada au sujet de ce produit au
cours des 20 dernières années, et tous les règlements du différend au
cours de cette période se sont révélés temporaires (cf. l’annexe 1
pour plus de détails).
Le
Département du Commerce des États-Unis est d’ordinaire saisi de la
question du bois d’œuvre résineux quand la part canadienne du marché américain
dépasse 30 p. 100 et que l’industrie américaine du bois est en
difficulté. L’industrie du bois d’œuvre est cyclique et dépend de la
demande du marché; ces dernières années, on a fermé des scieries des deux
côtés de la frontière en raison de la baisse des prix du produit. Les
producteurs américains sont relativement peu nombreux, mais très visibles,
et la Coalition for Fair Lumber Imports fait énergiquement valoir leurs intérêts
à Washington.
Dans
le contexte du différend actuel, les États-Unis se sont prévalus en
avril 2001 de recours commerciaux qui ont abouti à l’imposition de
droits antidumping et compensateurs combinés de 27,22 p. 100 sur le
bois d’œuvre résineux canadien vendu aux États-Unis. Cette mesure
américaine est une tentative patente de plus de la part des producteurs américains
qui veulent protéger leur marché intérieur contre les exportations
canadiennes.
Le
différend a eu des répercussions variables selon la région. La majorité
des exportations de bois d’œuvre résineux proviennent de
Colombie-Britannique (54 p. 100) et du Québec (20 p. 100),
l’Ontario et l’Alberta en représentent respectivement 9 p. 100
et 7 p. 100. C’est l’économie de la Colombie-Britannique qui
est la plus tributaire de ces exportations, puisque le bois d’œuvre
qu’elle exporte aux États-Unis représentait, en 2001, 16 p. 100
de l’ensemble de ses exportations. Dans son rapport au Comité sur la 16e prestigieuse
Conférence annuelle mondiale de l’industrie forestière de
PriceWaterhouseCoopers, la sénatrice Pat Carney, membre du Comité et
ministre responsable des négociations de l’ALE au milieu des années 1980,
a révélé la décimation que la guerre du bois d’œuvre résineux, conjuguée
à une offre mondiale excédentaire de bois, a fait subir à l'industrie de la
province au cours des cinq dernières années : fermeture permanente de
27 scieries, perte de 13 000 emplois dans les entreprises
forestières, baisse d’un tiers des recettes provinciales générées par
cette industrie et perte aussi de la position dominante de l’industrie
forestière dans l’économie britanno-colombienne.
Par contre, les ventes de bois d’œuvre aux États-Unis
représentent moins de 3 p. 100 des exportations du Québec et moins
de 0,5 p. 100 de l’ensemble des exportations mondiales de
l’Ontario. Les producteurs des provinces de l’Atlantique (Île-du-Prince-Édouard,
Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve) ont été exclus de
l’enquête qui a abouti à l’imposition de droits compensateurs, mais ont
quand même été frappés de droits antidumping de 8,43 p. 100.
1. Nature fondamentale du
différend
Le
différend du bois d’œuvre résineux est axé autour des différences de
structure du secteur forestier aux États-Unis et au Canada. Chez nous,
90 p. 100 des terres boisées appartiennent aux provinces qui, pour
la plupart, les louent à des entreprises forestières et les autorisent à y
abattre des arbres en contrepartie de « droits de coupe ». Les
provinces emploient divers instruments administratifs pour déterminer les
droits de coupe exigibles, et ces droits varient dans chaque province selon le
type de tenure. Aux États-Unis, par contre, environ 70 p. 100
des terres boisées appartiennent à des intérêts privés, et ces terres
produisent la grande majorité (90 p. 100) des arbres abattus. Les
droits de coupe du bois sur les terres boisées appartenant au gouvernement américain
sont vendus aux enchères à des entreprises forestières.
La
nature complexe et très différente de la gestion forestière au Canada fait
que le bois d’œuvre résineux canadien est une cible facile pour des
accusations de subvention. Du point de vue américain, les politiques
provinciales d’établissement des prix du bois sur pied donnent aux
producteurs canadiens de bois d’œuvre l’accès à du bois subventionné;
ce qui leur donne un avantage par rapport aux producteurs de bois d’œuvre
américains. Selon ces derniers, les prix du bois sur pied vendu aux enchères
reflètent sa juste valeur marchande, tandis que le système canadien de détermination
administrative des prix avec des enchères limitées fait que les prix du bois
sur pied canadien sont nettement inférieurs à sa valeur marchande. Les Américains
allèguent que de tels prix permettent aux producteurs canadiens d’offrir
leur bois sur le marché des États-Unis à un prix inférieur à celui
des producteurs américains.
La
Coalition for Fair Lumber Imports a aussi prétendu que les producteurs
canadiens ont fait du dumping sur le marché américain en y vendant leur bois
d’œuvre à un prix inférieur à sa valeur marchande. Malheureusement pour
elle, plusieurs témoins nous ont déclaré que les droits antidumping ont eu
des conséquences imprévues en ce qu’ils ont simplement forcé les
producteurs les plus efficients à accroître leur production et à réduire
nettement leur coût unitaire, alors que c’était la cause initiale des
plaintes américaines. Comme la sénatrice Carney l’a expliqué dans
son rapport au Comité, ces mesures ont fait que les exportations de bois d’œuvre
sont restées constantes, voire qu’elles ont augmenté, alors que les prix
et les bénéfices ont chuté.
La Colombie-Britannique est la principale cible des
enquêtes américaines. Dans cette province, les obligations associées à
certaines formes de tenure forestière exigent que le bois soit scié près du
lieu d’abattage et qu’un volume d’abattage minimum soit maintenu sans égard
aux conditions économiques. Les producteurs américains affirment que ces
politiques ont un effet de distorsion sur le marché et que les tenures à
long terme typiques en Colombie-Britannique réduisent les possibilités
d’accès équitable à la ressource. En outre, la province limite les
exportations de grumes provenant des terres de la Couronne pour favoriser la
croissance économique par l'augmentation de la production locale de bois d’œuvre
et la création d’emplois. En dépit du fait que les États-Unis imposent
des restrictions aux exportations des grumes provenant de leurs propres terres
publiques, les producteurs américains prétendent que cette pratique
canadienne fait baisser le prix des grumes vendues sur le marché intérieur
et que cela équivaut à une subvention pour l’industrie du bois d’œuvre.
Ce qu’on sait peut-être moins, c’est que
les recours commerciaux dont les États-Unis se sont prévalus contre le
bois d’œuvre résineux sont extrêmement coûteux pour les acheteurs américains
de bois d’œuvre. Des compagnies américaines comme Home Depot et des
associations représentant les utilisateurs de bois d’oeuvre[21] ont exprimé leur opposition à l’imposition
des droits antidumping et compensateurs en raison de l’augmentation des prix
du bois d’œuvre qui en résulte et qui se répercute sur les coûts de la
construction domiciliaire[22]. On estime en outre qu’il y a 18 fois
plus d’emplois dans les secteurs d’activité tributaires du bois d’œuvre
que dans l’industrie qui en produit. Néanmoins, les pressions des
consommateurs n’ont manifestement pas été aussi efficaces que celles du
puissant lobby des producteurs de bois d’œuvre américains.
Pour
sa part, le Canada défend son régime de gestion forestière et nie
subventionner l’industrie du bois d’œuvre. Les droits de coupe qu’il
perçoit font plus que payer les frais associés à l’industrie forestière.
Par exemple, le gouvernement de la Colombie-Britannique a démontré que, en
2001, les recettes des droits de coupe et autres droits dépassaient de plus
de 500 millions de dollars ce qu'il en coûtait au gouvernement pour la
gestion, la mise en valeur, la conservation et la vente de la ressource. Qui
plus est, les forêts publiques canadiennes sont gérées pour des
utilisations multiples, pas seulement pour la production de bois, et les
droits de coupe exigés au Canada tiennent compte des nombreuses obligations
qu’assument les entreprises forestières quand elles obtiennent le droit
d’abattre des arbres sur les terres de l’État. Ces obligations
comprennent la construction de routes, le reboisement et les mesures destinées
à protéger la biodiversité ainsi que les écosystèmes, alors qu’aux États-Unis,
ces aspects de la gestion forestière relèvent du U.S. Forest Service plutôt
que du secteur privé.
Du
point de vue canadien, les recours commerciaux américains sont motivés par
le protectionnisme des États-Unis et non par les pratiques déloyales
du côté canadien. Comme Les Reed (consultant en politique forestière) l’a
déclaré au Comité, la principale raison pour laquelle les Américains
livrent une telle lutte au Canada, c’est qu’ils sont loin derrière tant
pour le volume que pour la qualité de leurs produits dérivés du bois. De
plus, le fait que des scieries américaines ont dû fermer leurs portes ces
dernières années est moins attribuable aux pratiques canadiennes de droits
de coupe qu’au malaise économique général dans l’industrie forestière.
En effet, environ 38 p. 100 des scieries nord-américaines qui ont
été fermées de façon permanente entre 1995 et 2000 étaient situées en
Colombie-Britannique. Il est donc clair que l’ensemble du marché nord-américain
du bois d’œuvre a souffert.
2. Stratégie à deux
volets du gouvernement fédéral pour régler le différend
a. Volet juridique
Le
Gouvernement du Canada a adopté une stratégie à deux volets pour mettre fin
au différend du bois d’œuvre résineux. Le premier volet est juridique :
comme les autorités américaines ont maintenant rendu des décisions finales
en concluant qu'il y a eu dumping, subvention et préjudice, le Canada a
contesté les trois décisions en se prévalant à la fois des groupes spéciaux
binationaux de l’ALENA et de la procédure de règlement des différends de
l’OMC. Les groupes spéciaux sont en train de déterminer si la loi sur les
recours commerciaux des États-Unis a été correctement appliquée; ils
rendront leur décision d’ici l’automne.
Gary
Horlick (American Consumers for Affordable Homes) a informé le Comité des
conclusions attendues des groupes spéciaux de l’OMC et de l’ALENA :
une réponse affirmative à la contestation des droits compensateurs, un résultat
partagé pour la contestation des droits antidumping, et une énorme
incertitude en ce qui concerne les préjudices. En effet, dans une décision
provisoire qu'elle vient de rendre sur la contestation canadienne, l’OMC
statue que les É.-U. n’auraient pas dû imposer de droits sur le bois d’œuvre,
n’ayant pas prouvé adéquatement l’existence de subventions. Une décision
finale sur les conclusions des États-Unis au sujet des subventions est
attendue au mois de juillet. M. Horlick a aussi souligné que le régime de
l’ALENA prévoit le remboursement des droits, tandis qu’à l’OMC, rien
ne garantit un tel remboursement. Pour plus de précisions sur les échéances
et sur les conclusions des groupes spéciaux responsables des différentes
procédures de l’ALENA et de l’OMC, voir l’annexe 2.
Sur la question des subventions, le Canada avait
raison de dire que les conclusions du Département du Commerce qui ont mené
à l’imposition de droits antidumping et compensateurs sont incompatibles
avec les obligations que l’OMC impose aux États-Unis. Par exemple, il
n’était pas correct de se fonder sur les prix « transfrontaliers »
(aux États-Unis) plutôt que sur les prix canadiens pour déterminer si
la valeur des droits de coupe constitue un avantage pour les producteurs
canadiens. Dans le passé, le Département du Commerce des États-Unis
avait rejeté l’utilisation des comparaisons transfrontalières en raison
des importantes différences de composition des essences, de taille, de qualité,
de densité et d’accessibilité de la ressource forestière. Les droits de
coupe varient nettement d’une région à l’autre, voire à l’intérieur
d’une même région, et le juste prix économique du bois sur pied au Canada
n’est pas nécessairement le même qu’aux États-Unis.
L’utilisation par le Département du Commerce des prix américains pour démontrer
que les droits de coupe au Canada étaient subventionnés constituait un
changement radical de la pratique établie. Le Canada s’est aussi opposé à
de nombreux autres aspects des conclusions du Département du Commerce et de
la Commission mixte internationale.
Jon Johnson a déclaré au Comité que, lors
d’une contestation antérieure de la conclusion préliminaire que le bois
d’œuvre était subventionné, un groupe spécial de l’OMC avait jugé que
les droits de coupe étaient une contribution financière, mais que les États-Unis
avaient bel et bien employé une méthode transfrontalière fautive pour déterminer
si l’utilisation de droits de coupe au Canada avait constitué un avantage
pour ses producteurs de bois d’œuvre. Comme on ne pouvait pas confirmer
l’existence d’un tel avantage, le groupe spécial avait décidé que les
États-Unis n’avaient pas de raison de conclure que les droits de
coupe exigés équivalaient à une subvention pouvant faire l’objet de
droits compensateurs.
On
craint toutefois que, si la filière juridique donne gain de cause au Canada,
les États-Unis modifient leurs méthodes d’enquête et leurs lois
commerciales pour ensuite entreprendre de nouvelles enquêtes. De plus,
obtenir le règlement d’un différend par les voies juridiques est très
long. Par exemple, les groupes spéciaux de l’ALENA peuvent prendre jusqu’à
315 jours pour rendre leur décision après avoir été saisis d’une
demande de révision et leurs décisions peuvent être portées en appel, de
sorte qu’on ne devrait pas s’attendre de façon réaliste à la levée ou
à la réduction des droits par les seules voies juridique avant 2005 au plus
tôt. Pendant ce temps, les droits imposés sapent la compétitivité du bois
d’œuvre canadien sur le marché américain et les pressions qui en résultent
pour les producteurs de bois d’œuvre affectent le nombre d’emplois et les
bénéfices de leurs entreprises, sans compter que les producteurs canadiens
risquent de perdre leur part de marché au profit de concurrents étrangers et
que les produits de substitution deviennent d’intéressantes solutions de
rechange au bois d’œuvre canadien surchargé de droits. Il s’ensuit que
la filière juridique devient de plus en plus politiquement difficile à
justifier, particulièrement dans les régions du Canada qui dépendent le
plus de l’industrie forestière, et la pression en faveur d'une solution négociée
du différend s’intensifie.
b. Volet négociation
Tout
en suivant la filière juridique, le gouvernement fédéral et les
gouvernements provinciaux – de même que l’industrie qu’ils représentent
– ont aussi participé périodiquement à des discussions en vue d’arriver
à un règlement négocié durable et à long terme. Dans le passé, le Canada
et les États-Unis ont typiquement résolu leurs différends sur le bois
d’œuvre résineux par la négociation, mais toujours de façon temporaire.
Cependant, comme John Melle (sous-représentant américain adjoint au commerce
pour l’Amérique du Nord) l’a souligné, les différends passés ont fait
abstraction des problèmes sous-jacents entre les deux parties et un simple
procès ne peut pas venir à bout du problème du bois d’œuvre, puisque
l’OMC ne contraint pas les États souverains à modifier leur politique.
Dans
le cadre du différend actuel, le Canada négocie par intermittence avec les
États-Unis depuis le milieu de 2001. La Coalition for Fair Lumber
Imports des États-Unis a clairement joué un rôle en coulisse dans ces
négociations, puisqu’elle a avancé en janvier 2002 (à la demande du
représentant au Commerce des États-Unis) une proposition de réforme
de la gestion forestière qui pourrait aboutir à la mise en place d’un système
plus acceptable basé sur le marché régissant les ventes de bois sur pied au
Canada. Cette proposition comprenait des révisions majeures des politiques de
tenure, des systèmes d’établissement des prix du bois sur pied et des lois
imposant un minimum de coupe ou l'obligation que les scieries restent
ouvertes. Le Canada a jugé les exigences de l’industrie américaine du bois
d’œuvre excessives, tandis que le gouvernement des États-Unis ne
s’est pas montré disposé à inciter cette industrie à proposer une base
de négociation raisonnable. Les pourparlers ont d’ailleurs cessé peu après
que la proposition en question eut été présentée.
Pendant
l’été 2002, le Sous-secrétaire au Commerce international du Département
américain du Commerce, Grant Aldonas, a déclaré qu’il était disposé à
annuler les ordonnances de droits compensateurs, province par province, si,
après étude, on arrivait à la conclusion que la situation avait changé. Il
s’est engagé à sortir un bulletin qui établirait les critères à cet
effet.
Plus
récemment, le gouvernement de la Colombie-Britannique a soulevé la
possibilité d’un accord transitoire en proposant qu’une taxe à la frontière
provisoire, variant selon le prix du bois d’œuvre, soit substituée aux
droits antidumping et compensateurs pendant que les négociations sur les
pratiques forestières se poursuivraient. Il prévoit de toute façon apporter
unilatéralement à ses politiques une série de modifications fondées sur le
marché et considère ces modifications comme la base d’une stratégie d’évitement
de ces droits qui coûtent cher[23].
Dans
le document « Proposed Analytical Framework, Softwood Lumber from Canada »
(janvier 2003) du Département du Commerce des États-Unis, les Américains
soutiennent que réformer les pratiques de gestion forestière canadiennes de
façon que les prix du bois sur pied soient établis en fonction de sa valeur
marchande réglerait ce différend de longue date. Afin qu’on puisse arriver
à des prix effectivement basés sur cette valeur marchande, le Département
du Commerce a avancé les principales recommandations suivantes :
·
le système actuel de détermination
des prix facturés pour le bois sur pied (droits de coupe) devrait être
remplacé par un système de vente aux enchères;
·
les quantités minimums obligatoires
d’arbres abattus et de bois d’œuvre scié par année devraient être
supprimées;
·
les restrictions des exportations de
grumes devraient être levées.
En
ce qui concerne la première recommandation, même s’il est préférable
pour eux que tout le bois sur pied soit vendu aux enchères, les Américains
ont laissé entendre qu’ils accepteraient qu’une partie seulement des
arbres abattus soit vendue de cette façon et que les prix ainsi établis
servent alors à établir administrativement le prix du reste du bois à
couper. De même, si la superficie des terres forestières que les
particuliers ou les Premières nations peuvent exploiter devait s’accroître,
les ventes du bois sur pied de ces terres pourraient aussi servir de base à
l’établissement des droits de coupe sur les terres de l’État.
Chacun
des trois changements de politique proposés est important. Le premier –
la vente aux enchères du bois sur pied – a l’inconvénient
d’exiger des changements du régime de tenure forestière faisant que les
gouvernements provinciaux seraient susceptibles de devoir dédommager les détenteurs
de tenure. La deuxième recommandation vise des mesures découlant d’une
stratégie de promotion de la stabilité économique dans les communautés
productrices de bois. La suppression de ces exigences causerait
vraisemblablement des difficultés économiques dans certaines communautés,
en raison du déménagement des activités d’écorçage et de sciage et des
pertes d’emplois quand la demande de bois d’œuvre serait faible. Enfin,
la troisième recommandation, sur les restrictions des exportations de grumes,
est litigieuse en raison de la conviction générale que les arbres abattus au
Canada devraient être écorcés et sciés sur son territoire. Les
exportations de grumes sont associées dans l’imagination populaire à
« l’exportation d’emplois du Canada ». On craint aussi que les
conditions d’un règlement négocié quelconque ne constituent une ingérence
dans la capacité du Canada de déterminer sa propre politique de gestion de
la ressource forestière.
Au
cours de sa mission d’information à Washington, le Comité a appris que M. Aldonas,
le haut fonctionnaire du Département du Commerce chargé du dossier du bois
d’œuvre, allait publier bientôt son bulletin final sur la politique. Sage
Chandler (directrice des Affaires canadiennes, Bureau du représentant américain
au Commerce) a mentionné qu’il se réjouissait des projets de réformes
annoncés par la Colombie-Britannique et l’Ontario, et qu’il attendait la
réponse du Québec avant de publier son bulletin.
La
publication de ce bulletin va enclencher une période d’examen public de
trente jours au terme de laquelle le Département du Commerce entreprendrait
vraisemblablement des enquêtes sur le changement des circonstances à mesure
que les provinces démontreraient qu’elles satisfont aux conditions
convenues. Ces enquêtes, qui pourraient être entreprises n’importe quand
à la demande d’une province et uniquement au sujet des droits
compensateurs, serviraient à déterminer si la raison d’être originale de
l’accusation de subvention existe encore; si elle n’existe plus, les
droits compensateurs cesseraient d’être exigés, province par province.
Comme ce processus serait analogue à celui des enquêtes débouchant sur
l’imposition de droits compensateurs, il serait à la fois laborieux et coûteux.
Comme Gary Horlick l’a dit au Comité, on pourrait aussi se retrouver devant
les tribunaux.
L’inconvénient
de cette enquête sur le « changement des circonstances », c’est
qu’elle entraînerait une annulation des droits compensateurs uniquement après
la mise en application des modifications de la politique forestière, ce qui
pourrait prendre jusqu’à trois ans selon Doug Waddell (sous-ministre
adjoint, Politique commerciale, économique et environnementale, ministère
des Affaires étrangères et du Commerce international). En outre, cela ne réglerait
pas la question des droits antidumping. C’est pourquoi les intéressés en
Colombie-Britannique ont entamé des négociations sur un « accord
transitoire » qui s’appliquerait en attendant de trouver une solution
à long terme au différend.
Cet accord provisoire restreindrait essentiellement le
volume du commerce jusqu’à ce que la gestion de la forêt provinciale soit
modifiée de façon à changer les mesures que les États-Unis considèrent
comme des subventions. La possibilité d’une taxe compensatoire dégressive
est venue sur le tapis comme mesure temporaire pour remplacer les droits
compensateurs et antidumping pendant la mise en œuvre des réformes de la
politique forestière dans chaque province[24].
Parmi les autres sujets de discussion, il y a l’aliénation de plus de 1 milliard
de dollars de droits déjà perçus, l’abrogation éventuelle de
l’amendement Byrd[25],
l’avenir des droits antidumping et l’abandon possible du contentieux du
Canada à l’OMC et à l’ALENA.
Les
négociations ont cessé en février dernier. À la Conférence de
PriceWaterhouseCoopers, qui eut lieu peu après, M. Aldonas a avancé
trois raisons pour justifier la fin des négociations bilatérales sur
l’accord transitoire : le manque d’accord sur les modifications de la
politique forestière requises pour que le différend soit réglé, l’avenir
des procédures en cours dans le cadre de l’ALENA et de l’OMC et l’écart
important entre les deux parties sur la nature d’un accord provisoire éventuel
quant à une taxe à la frontière[26]. Sur ce premier point, le gouvernement de la
Colombie-Britannique a introduit la Forest Revitalization Act le lendemain de
la fin de la conférence. L’adoption de ce projet de loi apaisait bien des
craintes du Département du Commerce en répondant notamment à sa demande de
mettre aux enchères un gros volume de bois sur pied (20 p. 100) et
de lever plusieurs des obligations imposées à l’industrie forestière par
le gouvernement.
Il
ne semble toutefois pas que des mesures s’annoncent au sujet des deux autres
obstacles majeurs qui restent. Le niveau et la structure de la taxe
compensatoire provisoire sont considérés comme le plus gros obstacle à la
conclusion d’un accord, l’écart étant particulièrement prononcé entre
la position des industries américaines et celle des intéressés au Canada.
Entre février et mai, les deux parties ont continué
d’examiner d’autres modèles de structure pour la taxe. À la mi-mai, les
Américains ont proposé une nouvelle taxe à l’exportation provisoire conçue
par la Coalition for Fair Lumber Imports et qui assujettirait le niveau de la
taxe proposée aux parts de marché et non aux prix comme c’était le cas
auparavant. Avec une part de marché de 29 p. 100, la taxe à
l’exportation serait de 18 p. 100 sur les expéditions de bois
d’œuvre aux États-Unis. Elle serait majorée de 3 points de pourcentage
pour chaque point de pourcentage de la part de marché du Canada excédant 29 p. 100,
et elle diminuerait de 4 points de pourcentage chaque fois que la part de
marché du Canada serait réduite d’un point de pourcentage à partir de 29 p. 100.
La taxe disparaîtrait complètement si cette part de marché descendait sous
24 p. 100. Cette proposition prévoit également que l’industrie
américaine conserverait les deux tiers des droits déjà perçus et
imposerait une taxe à toutes les provinces, y compris aux provinces de
l’Atlantique, qui sont actuellement exemptées des droits compensateurs. Le
ministre du Commerce international, Pierre Pettigrew, a vite rejeté
publiquement cette dernière proposition. Depuis, d’autres propositions
d’accord intérimaire sont également venues sur le tapis.
3. Et maintenant, que
fait-on?
Comme
les négociations récentes ont achoppé jusqu’à maintenant, le Canada
poursuit ses démarches avec la filière juridique. Le système de règlement
des différends de l’ALENA lie les parties, et les groupes spéciaux vont
soit entériner les décisions des autorités américaines, soit les renvoyer
aux organismes responsables des États-Unis pour que ceux-ci
prennent des mesures compatibles avec la décision qu’ils rendront. Les
seuls motifs d’appel devant un comité de contestation extraordinaire sont
l’inconduite grave, le conflit d’intérêts, le vice de procédure, la
partialité ou l’abus de pouvoir de la part d’un groupe spécial.
Toutefois, comme nous l’avons déjà précisé, le passé donne à penser
que, même si elles sont fructueuses, il est peu probable que les procédures
juridiques rendent possible un règlement à long terme du différend.
À
l’OMC, une fois que les groupes saisis du différend auront rendu leurs décisions,
les États-Unis pourront interjeter appel, prolongeant ainsi une procédure
déjà longue. Si la position du Canada prévaut à l’OMC, les États-Unis
vont finir par devoir corriger leurs mesures, ou le Canada sera autorisé à
prendre des mesures de représailles s’il est impossible d’arriver à un règlement
satisfaisant du différend.
La plupart des témoins qui ont parlé du différend
sur le bois d’œuvre résineux ont dit estimer que le Canada devrait
poursuivre le combat juridique, même si certains d’entre eux voudraient
aussi que nous n’abandonnions pas l’idée de négocier un règlement.
Parmi les plus véhéments dans leur opposition à un tel règlement il y a
Les Reed, qui a maintenu que l’appui national des contestations
juridiques en cours est d’importance critique si nous voulons éviter un scénario
du genre « diviser pour régner », en insistant sur le fait que le
Canada est très bien placé dans ses contestations juridiques. Il a aussi
fait valoir que tout règlement compatible avec le cadre analytique que le Département
du Commerce a proposé constituerait une ingérence criante dans la
souveraineté du gouvernement de la Colombie-Britannique quant au processus décisionnel
dans le secteur forestier.
Frank
Dottori (coprésident, Conseil
du libre-échange pour le bois d'œuvre) est convaincu de la victoire devant les tribunaux et
il croit qu’un règlement négocié ne servirait pas les intérêts de
l’industrie. Dans la foulée de M. Reed, il a aussi exprimé son ressentiment
envers les États-Unis qui s’ingèrent dans la politique forestière du
Canada. Depuis,
d'autres propositions pour parvenir à un accord intérimaires ont vu le jour,
incluant la proposition du ministre d'instaurer un système de quota couvrant
plus de 90% des exportations canadiennes de bois d'œuvre et d'une taxe à
l'exportation applicable aux exportations outre quota.
Susan
Petunias (American Consumers for Affordable Homes), porte-parole officielle
d’un regroupement de diverses organisations américaines de consommateurs de
bois d’œuvre, a pressé le Canada de ne pas abandonner son contentieux
prometteur à l’OMC et à l’ALENA pour améliorer ses chances d’une
issue heureuse au différend et pour « faire perdre de la puissance »
aux efforts de la Coalition for Fair Lumber Imports. Les autres groupes de
consommateurs qui comparaissaient avec elle devant le Comité ont transmis le
même message. Un certain nombre d’entre eux ont déploré l’application
d’une taxe à l’exportation prévue par quelque accord transitoire qui
puisse être négocié, en faisant valoir que, selon eux, ce n’était pas
une solution.
La
position de Richard Ouellet est plus modérée : s’il y avait des
motifs raisonnables de conclure un règlement négocié, le Canada devrait
opter pour cette méthode, mais la position actuelle des États-Unis
n’est ni équitable, ni raisonnable, de sorte que nous devrions poursuivre
le combat à l’OMC. Steven Shrybman et Donald Barry préconisent
aussi le recours aux règles internationales pour obtenir le règlement du
différend, tout comme Billy Garton, associé chez Bull, Housser &
Tupper, qui estiment tous trois que les décisions à venir de l’OMC ont
renforcé la position du Canada dans ses négociations.
Le Comité a aussi entendu des témoignages sur le
choix de l’instance compétente (l’ALENA ou l’OMC). Armand de Mestral
a fait valoir que la procédure de règlement des différends de l’OMC est
plus solide, et que c’est elle qu’il faut privilégier. John Helliwell
a maintenu que l’OMC est l’instance à laquelle nous devons nous adresser
pour le différend sur le bois d’œuvre résineux, mais qu’il n’est
probablement pas réaliste de s’attendre à ce qu’elle prenne bientôt des
mesures pour résoudre nos problèmes d’échanges commerciaux avec les Américains.
Donald McRae a déclaré quant à lui qu’il ne faudrait pas imputer au
Chapitre 19 notre insuccès dans le différend sur le bois d’œuvre résineux,
parce qu’il s’agit plutôt dans ce cas-là de savoir ce que les règles
devraient être que de déterminer si les lois américaines ont été appliquées
correctement.
Ce
sont les témoins représentant l’industrie des produits forestiers de la
Colombie-Britannique, les plus directement affectés par le différend, et les
producteurs du Canada atlantique qui n’ont pas échappé aux droits
antidumping, qui réclament le plus énergiquement un règlement négocié.
Ken
Higginbotham (vice-président, Forêt et Environnement, Canfor Corporation) a
approuvé la stratégie à deux volets du gouvernement fédéral mais il
serait heureux d’un règlement négocié qui accorderait finalement un accès
libre au marché américain. Il appuie les modifications que la
Colombie-Britannique entend apporter à sa politique forestière. Il est en
faveur d’une entente transitoire imposant une taxe compensatoire, mais
seulement si elle mène tout droit à l’annulation des ordonnances de droits
compensateurs et s’il est convenu de laisser tomber le dossier des droits
antidumping.
Bob
Flitton (directeur, Affaires immobilières et gouvernementales, Doman
Industries Limited) a expliqué que Doman était pour une taxe compensatoire
canadienne à cause du long délai maximum (270 jours) prévu pour
l’examen du changement des circonstances par le Département du Commerce. Il
relève toutefois plusieurs éléments « problématiques » d’un
éventuel règlement : la structure de la taxe, le sort des droits perçus
jusqu’à maintenant, la nature des réformes de la politique forestière à
entreprendre, l’avenir des droits antidumping, le sort de l’action
judiciaire du Canada. M. Flitton avertit le Comité que même si le
Canada obtient gain de cause devant les tribunaux, rien n’empêchera
l’industrie américaine de déposer une autre requête dès le lendemain.
David
Larsen (vice-président, Affaires publiques et gouvernementales, Weyerhauser)
et John Allan (président, British Columbia Lumber Trade Council) sont aussi
de fervents partisans d’un règlement négocié du différend. M. Allan
soutient que si le Canada poursuit ses démarches judiciaires, il devra
attendre le jugement jusqu’en 2007 au moins. Un autre argument qui joue
en faveur de la négociation, c’est le fait que le gouvernement de la
Colombie-Britannique a opté pour une politique forestière basée sur le
marché, conformément au bulletin politique du Département du Commerce.
Kim Pollock
(directeur général, Politique publique de l’environnement, Industrial,
Wood and Allied Workers of Canada) a exposé la proposition en deux parties de
son syndicat pour régler le différend : l’introduction d’une taxe
variable sur le bois d’œuvre administrée par les provinces, pour permettre
à l’industrie forestière des deux côtés de la frontière de changer ses
pratiques de gestion, associée à l’adoption d’une stratégie unilatérale
conjointe de commercialisation du bois d’œuvre et des produits du bois dans
le monde entier.
Diana
Blenkhorn (présidente et chef de la direction, Bureau du bois de sciage des
Maritimes) a signalé que, dans cette série de négociations, on semblait
insister davantage sur une solution à long terme et durable au différend.
Les deux partis au différend, a-t-elle fait remarquer, ont souffert de cette
lutte commerciale qui s’éternise : elle estime que le Canada a laissé,
depuis 1986, la somme faramineuse de 800 millions $US en frais et
honoraires aux avocats de Washington!
Le
Comité a aussi entendu des témoignages de représentants du sous-secteur de
la transformation du bois d’œuvre, qui souhaite aussi un règlement du différend.
Russ Cameron (Independent Lumber Remanufacturers’ Association) a
soutenu que ses membres n’avaient pas les moyens d’attendre l’issue du
procès et réclamé l’exemption ou un taux de droit nul pour les produits
resciés par les transformateurs indépendants ne détenant pas de tenure
forestière. Leur position est claire : comme ils n’ont pas la tenure,
ils n'ont aucun rapport avec quelque subvention que ce soit.
Il
vaut la peine de souligner aussi plusieurs autres questions inquiétantes, par
exemple celle de savoir s’il convient ou non de relier un secteur à un
autre dans le contexte des différends commerciaux (sur l’énergie et sur le
bois d’œuvre résineux, par exemple), qui a fait parler plusieurs des témoins.
À Calgary, nous avons entendu les témoignages de spécialistes et de
participants du secteur de l’énergie, qui estiment qu’on devrait rejeter
carrément l’idée de relier des questions commerciales ou des secteurs
d’activité dans le cas notamment de l’énergie et du bois d’œuvre résineux.
Pierre Alvarez, le président de l’Association canadienne des
producteurs pétroliers, a déclaré qu’une stratégie comme celle-là
ne serait pas efficace et pourrait causer une spirale d’aggravation des
problèmes commerciaux. Donald Barry et l’ambassadeur Kergin se sont
opposés aussi à l’idée de relier des secteurs. Philip Prince, le président
du Canadian Energy Research Institute, a maintenu qu’il serait très
difficile de relier un secteur à un autre étant donné qu’ils sont tous très
complexes et uniques. Compte tenu du risque inhérent d’une stratégie de
regroupement, le Comité a jugé ces arguments convaincants; il aimerait que
le Canada fasse preuve de prudence lorsqu’il envisage de relier différents
secteurs d’activité économique dans toute stratégie de règlement ou d’élimination
de certains différends ou irritants commerciaux.
Les membres du Comité se sont aussi fait signaler le
problème que pose la Continued Dumping and Subsidy Offset Act de 2000
ou «l’amendement Byrd ». Cet amendement prévoit que les
producteurs nationaux qui appuient des pétitions réclamant des enquêtes
susceptibles de déboucher sur l’imposition de droits antidumping et
compensateurs peuvent être admissibles à recevoir les droits perçus par
suite de ces enquêtes.
À
l’instar de nombreux autres membres de l’OMC, le Canada a contesté cette
loi devant l’Organisation; il a obtenu une décision favorable de l’Organe
d’appel en janvier 2003. Claude Carrière a témoigné que les États-Unis
ont déclaré qu’ils appliqueraient la décision de l’OMC en modifiant
leur loi et qu'on leur donnera un délai raisonnable pour s'y conformer.
L’inconvénient – car il y en a un –, c’est qu’on
s’oppose farouchement, au Sénat des États-Unis, à toute suppression
de l’amendement, et que l’aval du Congrès est indispensable pour que les
États-Unis se conforment à leurs obligations commerciales
internationales[27].
Après
avoir soigneusement étudié les témoignages qu'il a entendus au sujet du
différend sur le bois d’œuvre résineux, le Comité a conclu que le Canada
devrait poursuivre à la fois sa bataille juridique à l’OMC et sa demande
de règlement des différends sous le régime de l’ALENA. Si c’est
avantageux pour ses intérêts, il devrait s’efforcer d’obtenir une
solution à long terme garantissant l’accès intégral des produits
forestiers canadiens au marché américain. Toutefois, nous ne devrions pas céder
aux pressions des Américains pour nous amener à régler rapidement ce différend
à leurs conditions, car cela transformerait radicalement la politique et les
pratiques traditionnelles de gestion forestière du Canada. Nous ne devrions
renoncer à la filière juridique que si nous avons la certitude d’obtenir
un résultat négocié qui nous assurerait un libre accès au marché américain.
Le Comité recommande donc :
|
Recommandation 8 Que
le Gouvernement du Canada, de concert avec les provinces concernées,
maintienne son objectif de conclure avec les États-Unis un accord
permanent libéralisant complètement le marché du bois d’œuvre résineux.
D’ici là, que le Canada, dans tout accord à court terme conclu pour
se donner le temps de parvenir à un accord permanent, ne renonce pas à
son droit d’obtenir les jugements des groupes spéciaux de l’OMC et
de l’ALENA ou de connaître les résultats des mesures prises en vertu
du chapitre 11 de l’ALENA et exige que : a)
les droits antidumping imposés aux producteurs canadiens de bois
d’œuvre résineux soient abolis; et b)
tous les
droits antidumping et compensateurs perçus jusqu’à maintenant soient
remis au Canada. |
Au
sujet de l’aide du gouvernement fédéral, qui a été conçue pour contrer
la perturbation dans l’industrie forestière qui affecte les quelque 250 localités
canadiennes tributaires de l’industrie du bois d’œuvre résineux, il faut
préciser qu’elle comprend des mesures telles qu’une aide financière pour
les travailleurs déplacés, pour l’adaptation des collectivités et le développement
économique, pour la recherche-développement sur le bois d’œuvre résineux,
pour les initiatives d’expansion du marché et, enfin, pour les efforts de défense
de ce secteur économique. Le Comité a entendu des témoins déclarer qu’il
faudrait accroître cette aide et, plus précisément, que le gouvernement fédéral
devrait ordonner à Exportation et développement Canada (ou à la Banque de développement
du Canada) d’offrir des garanties de prêt afin d’aider les entreprises
qui en ont besoin à poursuivre leur combat juridique contre les mesures américaines
de harcèlement commercial. Nous ne sommes pas favorables à cette suggestion,
étant donné que nous sommes très conscients du fait que toute aide directe
du gouvernement à l’industrie forestière serait tout simplement perçue
par le lobby des produits forestiers américain comme une subvention de plus
aux producteurs forestiers canadiens.
Enfin,
le Comité a entendu des témoins décrire les difficultés que le
gouvernement et l’industrie forestière ont éprouvées pour arriver à
aborder de la même façon le différend sur le bois d’œuvre résineux. M. Dottori
a proposé une solution : la mise en place d’un système plus structuré
de coopération fédérale-provinciale, incorporant l'apport du secteur privé,
pour composer avec les grands différends bilatéraux, comme celui sur le bois
d’œuvre résineux, dans l’avenir, qui prendrait en considération les intérêts
du fédéral et des provinces.
B. Questions agricoles
En
plus d’avoir été victimes de recours commerciaux américains (p. ex.
une enquête pouvant déboucher sur des droits compensateurs et antidumping
dans le cas des exportations de bovins vivants aux États-Unis à partir
de 1998 et une nouvelle contestation pouvant elle aussi mener à
l’imposition de droits compensateurs et antidumping sur les exportations de
blé, qui s’ajoutent à une pléthore de contestations commerciales américaines
antérieures contre la Commission canadienne du blé), les industries
agricoles canadiennes risquent d’être affectées par les dispositions du
U.S. Farm Bill (p. ex. étiquetage du pays d’origine de la viande et
augmentation du soutien interne). Nous allons maintenant décrire les
questions cruciales pour ces industries, en plus de la menace potentielle que
pose la législation américaine contre le bioterrorisme que nous avons décrite
(voir la rubrique sur la frontière, supra).
1. Différend au sujet de
la Commission canadienne du blé
La
Commission canadienne du blé (CCB), qui a été fondée en 1935, est un
organisme de commercialisation centralisé chargé de vendre tout le blé et
tout l’orge produits dans l’Ouest du Canada. Elle équivaut à une forme
d’action collective de la part des producteurs céréaliers, légiférée
par le gouvernement fédéral, afin que ceux-ci puissent maximiser le
rendement financier de leurs récoltes et soient en mesure de rivaliser avec
les grandes entreprises multinationales du commerce céréalier en activité
aux États-Unis et dans d’autres pays. La CCB est essentiellement une
coopérative de commercialisation comptant parmi les plus gros vendeurs de blé
et d’orge du monde, avec des ventes annuelles de plus de 20 millions de
tonnes de ces céréales dans plus de 70 pays. Les recettes des ventes de
la CCB fluctuent entre 4 milliards et 6 milliards de dollars par année,
ce qui représente environ 20 p. 100 du marché mondial.
Aux
États-Unis, les producteurs céréaliers vendent leurs récoltes
directement à des multinationales de commercialisation qui jouent les intermédiaires
pour les revendre aux consommateurs. Comme les céréales canadiennes sont
vendues au nom des producteurs par la Commission canadienne du blé, il n’y
a pas de tels intermédiaires au Canada. Les États-Unis prétendent que
cette absence d’intermédiaires basés sur le marché conjuguée au fait que
la CCB se sert de son pouvoir de commercialisation internationale afin
d’obtenir des prix plus élevés pour les producteurs canadiens revient à
faire bénéficier ces derniers d’une subvention implicite, ce qui leur
procure un avantage injuste par rapport aux producteurs américains. Selon
l’honorable Ralph Goodale (ministre responsable de la Commission canadienne
du blé), les Américains prétendent également que le Canada inonde le marché
américain de grandes quantités de blé et que nous n’offrons pas un accès
réciproque à notre marché. Le ministre Goodale a soutenu que plutôt de
pratiquer le dumping de produits dans le marché bas de gamme, la Commission
commercialise en fait du blé et de l’orge dans le marché haut de gamme,
sous forme de produit différencié de grande qualité.
Pour sa part, le Canada maintient que c’est la
faiblesse des prix internationaux des céréales plutôt que les politiques
canadiennes de commercialisation qui cause des difficultés aux producteurs américains.
Il maintient que ces prix peu élevés sont attribuables en partie aux
importantes subventions à l’agriculture aux États-Unis, dans
l’Union européenne et au Japon. La position du Gouvernement du Canada
consiste à dire que les pratiques de la CCB sont entièrement compatibles
avec ses obligations commerciales internationales. D’ailleurs, tant le
ministre Goodale qu’Ian McCreary, de la Commission canadienne du blé,
ont informé le Comité que celle-ci n’octroie ni n’obtient des
subventions gouvernementales. Plutôt, le rendement net que la CCB tente
d’obtenir sur ses ventes revient aux fermiers, une fois tous les coûts déduits,
et ces derniers prennent leurs décisions culturales en se fondant uniquement
sur les signaux des marchés américains des produits primaires. De plus, la
CCB ne tente pas de casser les prix sur le marché américain. En 2001, les
enquêteurs de la Commission du commerce international ont conclu que le prix
du blé dur canadien vendu aux É.-U. était plus élevé que le prix du blé
dur américain dans tous les cas sauf un pendant la période de six mois
examinée. Enfin, le droit commercial international permet actuellement aux
ECE de fonctionner à condition qu’elles le fassent conformément aux
pratiques commerciales normales. Néanmoins, la question de ces entreprises
commerciales d’État (ECE) figure à l’ordre du jour de la ronde actuelle
de négociations agricoles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Les
Américains estiment que les ECE devraient être interdites.
a. Contestations
juridiques
Il
est arrivé dix fois depuis l’entrée en vigueur de l’ALE que les États-Unis
fassent enquête sur les politiques et pratiques canadiennes de
commercialisation du blé. Ils ont accusé la Commission canadienne du blé de
subventionner les producteurs, de faire du dumping et de pratiquer des prix
discriminatoires (en fixant des prix plus élevés dans certains marchés –
au Canada, par exemple – et en se servant des recettes ainsi générées
pour compenser des prix moins élevés dans d’autres marchés, comme celui
des États-Unis). On n’a trouvé des preuves de telles activités dans
aucun de ces dix cas. La liste de ces enquêtes est présentée à l’annexe
3.
La
plus récente contestation commerciale remonte à septembre 2002; elle émanait
de la North Dakota Wheat Commission (NDWC) et était basée sur un rapport daté
de février 2002, publié par le Représentant au commerce des États-Unis
(USTR) Robert Zoellick, qui alléguait que les droits monopolistiques et
les privilèges spéciaux accordés à la CCB lui donnaient des avantages
concurrentiels injustes par rapport aux producteurs de blé américains. À
l’époque, le Représentant avait laissé entendre qu’il étudierait la
possibilité de prendre diverses mesures contre les politiques canadiennes du
blé et contre les pratiques de la CCB, notamment une contestation devant
l’OMC. M. McCreary a déclaré que l'USTR avait décidé de se prévaloir
d’autres recours commerciaux même après qu’un rapport publié par la
Commission du commerce international des États-Unis eut contredit ses
allégations de prix artificiellement bas et de dumping sur les marchés
mondiaux par la CCB. Il a conclu que, dans cette affaire-là aussi, les intérêts
politiques l’avaient emporté sur les faits, en ajoutant que de nouvelles règles
commerciales s’imposaient pour réduire le nombre de cas de harcèlement
commercial inspiré par des motifs purement protectionnistes.
En
septembre 2002, la NDWC, la Durum Growers Association des États-Unis
et le Durum Growers Trade Action Committee se sont servis de ce rapport de
l'USTR pour porter plainte auprès du Département du Commerce des États-Unis
en accusant la CCB de faire du dumping de blé à des prix beaucoup trop bas
sur le marché américain. Les requêtes déposées réclament l’imposition
de droits antidumping et compensateurs sur les importations de blé de force
roux de printemps et de blé dur du Canada. En octobre 2002, la
Commission du commerce international des États-Unis a entrepris les
enquêtes réclamées; en mars 2003, après avoir étudié plusieurs
programmes gouvernementaux, le Département du Commerce a conclu qu’il y
avait des preuves de deux subventions pouvant justifier des droits
compensateurs (les garanties financières de la CCB et les programmes de
transport ferroviaire). Il a annoncé l’imposition de droits provisoires de
3,94 p. 100 sur les importations de blé dur et de blé de force
roux de printemps du Canada. Le Gouvernement du Canada a réfuté les
conclusions préliminaires du Département du Commerce.
Le
2 mai 2003, le Département du Commerce a annoncé ses déterminations préliminaires
positives à l’issue des enquêtes sur les droits antidumping. Il a conclu
de façon préliminaire que certaines importations de blé dur et de blé de
force roux de printemps avaient été vendues à un prix inférieur à leur
juste valeur, les marges de dumping étant respectivement de 8,15 p. 100
et 6,12 p. 100. Le Gouvernement du Canada conteste ces conclusions,
en faisant valoir que les prix du blé en Amérique du Nord sont déterminés
par l’offre en Amérique du Nord, non pas par le prétendu dumping canadien.
Les décisions finales sur les droits compensateurs et antidumping sont
attendues à la mi-juillet, et l’examen des préjudices devrait se conclure
en août. Ted Menzies, le président de l’Alliance
agro-alimentaire commerciale du Canada, et Kenton Ziegler ont tous
deux déclaré que les honoraires juridiques qu’ils ont dû acquitter pour
se défendre contre cette plus récente contestation commerciale s’élèvent
à environ 10 millions de dollars.
Les
États-Unis ont aussi contesté les politiques canadiennes du blé à
l’OMC. En mars 2003, un groupe spécial a été chargé d’examiner a) les
activités de la CCB dans le contexte des obligations du Canada conformément
à l’article 17 du GATT – Entreprises commerciales d’État et
b) le traitement réservé par le Canada aux céréales importées. Le
gouvernement fédéral est irrité par ces dernières contestations légales
et compte bien défendre une fois de plus ses politiques dans le secteur du blé
contre ce qu’il considère comme des allégations non fondées à
l’endroit de la CCB.
b. Témoignages entendus
Le Comité a entendu un certain nombre de suggestions
sur la CCB et sur les entreprises commerciales d’État. Robert Friesen
et Ian McCreary ont tous deux pressé le gouvernement fédéral de faire
énergiquement valoir les règles de l’OMC confirmant clairement le droit
des pays d’avoir recours aux services de la Commission canadienne du blé
pour commercialiser l’orge et le blé de l’Ouest canadien, d’avoir
recours à un organisme de vente à comptoir unique et de combiner les
rendements sans distorsion des échanges commerciaux. Un projet récemment
rendu public par le négociateur en chef de l’OMC, Stuart Harbinson, prévoit
l’élimination graduelle des entreprises d’État comme la CCB. Il souscrit
généralement à la position des États-Unis selon lesquels les entreprises
d’État n’ont pas leur place dans le contexte du libre-échange. Selon Ian McCreary,
le gouvernement fédéral devrait s’employer activement à faire en sorte
que les passages du projet Harbinson préconisant cette solution soient rejetés.
On
a aussi entendu d’autres opinions. Le représentant américain Earl Pomeroy
a exprimé les inquiétudes des agriculteurs du Dakota du Nord qui craignent
que les prix du blé ne soient pas déterminés par un marché libre et que
les subventions versées par la Commission accordent un avantage concurrentiel
déloyal aux producteurs céréaliers canadiens sur les marchés du tiers
monde.
David Usherwood
a demandé au Comité de recommander que le Gouvernement du Canada mette fin
au monopole des ventes de blé et d’orge que la CCB détient actuellement.
À son avis, le désamorçage de la question du monopole éliminerait les
conflits commerciaux constants avec les États-Unis au sujet des activités
de la Commission. Tout comme Douglas McBain, le président de la Western
Barley Growers Association, il est favorable à l’introduction de la
concurrence à la CCB.
Cela
dit, selon la Commission canadienne du blé elle-même, ou bien il y a
un comptoir de vente unique, ou bien il n’y en a pas. Nous ne pouvons pas
avoir de système facultatif, car il en résulterait fatalement des
profiteurs. Pour apaiser le mécontentement de certains producteurs à l’égard
de son monopole, la CCB a proposé plusieurs options pour assouplir son barème
de prix et pour prendre d’autres mesures en ce sens.
Un autre aspect dont il faut tenir compte, c’est que
dans certains milieux américains, on continue à croire que la Commission
canadienne du blé est un organe du gouvernement fédéral. Toutefois, comme
l’a rappelé au Comité le ministre Goodale, la Commission a beaucoup changé
au cours des quatre dernières années. Elle ne constitue plus une société
d’État et elle est maintenant gérée par un conseil d’administration
moderne dont la majorité des membres sont des agriculteurs élus directement
par d’autres agriculteurs. Actuellement, seulement cinq des quinze
administrateurs de la Commission sont nommés par le gouvernement fédéral,
notamment le président. Les pouvoirs de la Commission sont donc exercés par
des agriculteurs et non par le gouvernement fédéral. De plus, Ian McCreary
a fait remarquer qu’on envisage d’autres modifications législatives pour
desserrer tous les liens officiels qui alimentent toujours cette impression.
Enfin,
Ian McCreary et Dennis Laycraft (vice-président exécutif, Canadian
Cattlemen’s Association) préconisent la modification des règles
antidumping de l’OMC de façon à restreindre la définition du dumping pour
empêcher expressément les prix d'éviction discriminatoires. Compte tenu de
la nature cyclique des prix des produits agricoles, il y a bien des périodes
où les prix de vente sont inférieurs au coût de production sans que le
producteur ne soit en faute et où il peut par conséquent être victime de
mesures antidumping. Les règles antidumping actuelles ne devraient donc pas
s’appliquer au commerce des produits agricoles. Kenton Ziegler, le président
de l’Alberta Canola Producers Commission, est aussi partisan de mesures dans
ce domaine.
Le
Comité est convaincu que la Commission joue un rôle utile en commercialisant
du blé et de l’orge de grande qualité sans toucher de subventions. Tous
les efforts voulus devraient être déployés à l’OMC pour maintenir la CCB
en tant qu’entreprise commerciale légitime et pour modifier les règles
antidumping de l’OMC en matière d’agriculture. Nous recommandons :
|
Recommandation 9 Que
le Gouvernement du Canada : a)
travaille de concert avec des pays partageant son point de vue
afin d’éliminer du document de négociation de l’OMC sur
l’agriculture toute proposition d’éliminer graduellement les
entreprises commerciales d’État ou les entreprises
contrôlées par les agriculteurs comme la Commission canadienne
du blé; et b)
cherche
surtout à renforcer les règles antidumping de l’OMC afin de tenir
compte des particularités du secteur agricole, étant donné qu’il
arrive souvent que les prix des denrées subissent l’influence de
facteurs extérieurs qui les font baisser au-dessous des coûts de
production (déclencheur de mesures antidumping). |
2. Farm
Bill des États-Unis
La
Farm Security and Rural Investment Act de 2002, communément appelée
le Farm Bill, est entrée en vigueur le 13 mai 2002
lorsqu’elle a été signée par le Président Bush. C’est une loi omnibus
dont l’application va s’étaler sur plusieurs années et qui embrasse une
vaste gamme de lois concernant les politiques agricoles et alimentaires fédérales
des États-Unis. Elle est censée remplacer le Farm Bill de 1996,
dont les dispositions devaient expirer en septembre 2001. Tout comme lui,
le Farm Bill de 2002 aura une période d’application de six ans,
qui expirera en 2007.
Tout
bien considéré, le Farm Bill est une loi extraordinairement complexe
dont les implications à long terme ne sont pas encore claires. Bien qu’on
l’associe communément au versement de subventions aux agriculteurs américains,
il porte sur une vaste gamme de questions et de problèmes agricoles et
contient notamment des dispositions sur le commerce international, l’aide étrangère,
la conservation et l’environnement. Néanmoins, la controverse qu’il a générée
était focalisée sur l’augmentation substantielle des paiements de soutien
agricole. En effet, le Farm Bill de 2002 injectera 51,7 milliards
de dollars US dans les programmes américains de soutien agricole sur la période
2002-2007, en plus des sommes déjà prévues pour les mesures comprises
dans le Farm Bill de 1996. La projection totale des dépenses prévues
dans la version de 2002, y compris les initiatives débordant le cadre
traditionnel des programmes agricoles, s’élèverait d’après les
estimations à 273,9 milliards de dollars US. Rory McAlpine et Ted Menzies
ont déclaré au Comité que les subventions américaines à l’agriculture,
qui étaient jusque-là versées de façon ponctuelle, seront désormais
garanties pour une période de six ans.
L’adoption
du Farm Bill était motivée au moins en partie par le désir des
autorités américaines de protéger leurs intérêts agricoles contre les
activités agricoles généreusement subventionnées de l’Union européenne
et du Japon. Les estimations préliminaires pour l’année 2001, avant
l’adoption du Farm Bill, révèlent que les transferts des
consommateurs et des contribuables équivalaient à 21 p. 100 des
recettes brutes des exploitations agricoles aux États-Unis. En
comparaison, ils s’élevaient à 35 p. 100 des recettes agricoles
pour l’Union européenne et à 59 p. 100 pour le Japon. Au Canada,
l’aide financière est comparativement faible (17 p. 100 des
recettes agricoles brutes).
a. Farm Bill et OMC
Les
États-Unis affirment qu’ils sont encore bien décidés à éliminer
à la longue toutes les subventions à l’agriculture. Néanmoins, ils
maintiennent que, compte tenu des subventions versées par les autres pays à
leurs agriculteurs, qui ont des effets majeurs de distorsion des marchés, ils
doivent protéger leurs propres intérêts agricoles en « rendant les règles
du jeu équitables », sans sacrifier les agriculteurs américains à la
production étrangère subventionnée. À Washington, plusieurs témoins ont
raconté essentiellement la même histoire au Comité : que le Farm
Bill était destiné à exercer une pression sur l’UE, le Japon et
d’autres pays pour les amener à réduire leurs subventions à
l’agriculture. Le représentant Pomeroy est même allé jusqu’à qualifier
le Farm Bill d’équivalent commercial d’une course aux armements,
destiné à obtenir un allégement rapide des subventions versées aux
adversaires.
L’automne
dernier, les États-Unis ont déposé à l’OMC leur proposition de réduction
des subventions à l’agriculture. Dans cette proposition, ils disent
accepter d’éliminer leurs subventions en ajoutant toutefois qu’ils
commenceront à le faire seulement quand les subventions européennes et
japonaises auront été réduites au niveau actuel des leurs. D’après les témoignages
entendus au Comité, les Européens ont été réticents à agir jusqu’à présent.
En
dépit de l’augmentation du soutien à la production des agriculteurs américains
qu’il prévoit, les États-Unis maintiennent que le Farm Bill
est compatible avec leurs engagements vis-à-vis de l’OMC. En
vertu de la réglementation actuelle de l’OMC, les États-Unis ne
peuvent pas octroyer plus de 19,1 milliards de dollars US par année en
subventions à l’agriculture liées au prix ou à la production. Pourtant,
d’après les analystes de la Communauté européenne, il est très
vraisemblable que les dispositions sur les subventions du Farm Bill lui
feront dépasser ce plafond.
Les répercussions à long terme du Farm Bill
sont encore loin d’être claires, mais l’augmentation des subventions à
l’agriculture aux États-Unis est globalement inquiétante pour le
Canada et pour les autres pays. On s’inquiète notamment du fait que le Farm
Bill risque de compromettre les progrès en vue de la réforme agricole au
cours de la ronde actuelle de négociation à l’OMC. Le Canada et de
nombreux autres pays réclament avec insistance l’élimination des
subventions à l’agriculture. Or, même si les États-Unis disent
continuer à vouloir atteindre le même objectif, bien des observateurs sont
convaincus que la contribution du Farm Bill au soutien des producteurs
agricoles américains représente un pas dans l’autre direction. Qui plus
est, de nombreux pays estiment que le Farm Bill va saper la crédibilité
des États-Unis dans les négociations agricoles de demain.
b. Répercussions du Farm
Bill au Canada et ailleurs
Les
critiques du Farm Bill craignent que l’augmentation des subventions
à la production que cette loi offre aux agriculteurs américains n'exerce
d’autres pressions à la baisse sur les prix internationaux des produits
agricoles en maintenant un niveau de production artificiellement élevé. Les
subventions sont considérées comme dommageables parce qu’elles créent un
cercle vicieux de difficultés et de dépendance. En effet, elles encouragent
les agriculteurs à continuer à produire des denrées qui ne seraient pas
profitables s’ils n’avaient pas accès à un soutien financier.
L’introduction en particulier de paiements contracycliques garantis devrait
normalement avoir un effet de distorsion sur les prix mondiaux des céréales.
Il s’ensuit que le Farm Bill risque d’exacerber les difficultés
avec lesquelles sont aux prises les agriculteurs du monde entier.
Le
Canada craint pour sa part que cela ne nuise à ses agriculteurs, particulièrement
à ceux des provinces des Prairies. Les producteurs céréaliers canadiens
comptent parmi les moins subventionnés du monde industrialisé. Une
augmentation des subventions versées aux agriculteurs américains creuse l'écart
entre le soutien du revenu offert à ceux-ci et celui accordé aux
agriculteurs canadiens qui ont alors plus de mal encore à demeurer compétitifs.
En
outre, on croit que la production subventionnée dans le monde industrialisé
est un obstacle majeur à la croissance économique des pays en développement,
puisque les pays pauvres qui disposent des ressources économiques nécessaires
pour devenir d’importants producteurs agricoles sont incapables d’exporter
leurs produits en raison des tarifs élevés et des prix internationaux en
baisse à cause de la production subventionnée des pays riches.
c. Étiquetage du pays d’origine
Bien que les subventions aient retenu une grande
partie de l’attention internationale qui lui a été accordée, le Farm
Bill présente d’autres aspects inquiétants aussi. En effet, ses
dispositions sur l’étiquetage du pays d’origine pourraient avoir de
graves implications pour les producteurs et les exportateurs canadiens,
particulièrement dans le secteur du bétail. Le gouvernement fédéral et
l’industrie agroalimentaire canadienne s’efforcent donc en priorité de
faire abroger cette loi.
À
partir de septembre 2002, un système d’étiquetage volontaire a été
introduit pour la vente au détail de la viande, du poisson, des fruits et légumes
et des arachides. Les établissements de restauration sont exemptés. L’étiquetage
deviendra obligatoire en septembre 2004 à moins que le Farm Bill
ne soit modifié. Les lignes directrices de l’étiquetage volontaire, qui
inspireront probablement les dispositions sur l’étiquetage obligatoire en
2004, sont très précises. Dans le cas de la viande et de ses produits, par
exemple, on ne pourra apposer l’étiquette « Product of the U.S. »
que sur les produits d’animaux nés, élevés et abattus aux États-Unis.
Les étiquettes de tous les autres produits devront préciser tous les pays
ayant participé à la production, en ordre décroissant selon leur apport en
poids au produit final.
Les
obligations d’étiquetage du pays d’origine étaient censées permettre
aux consommateurs américains de distinguer les produits agricoles de chez eux
de ceux qui sont produits en tout ou en partie à l’extérieur de leur pays.
Certains agriculteurs et éleveurs canadiens craignent qu’il n’en résulte
des étiquettes compliquées et des systèmes de suivi coûteux, particulièrement
quand on sait que de nombreuses bêtes passent un certain temps au Canada et
aux États-Unis entre leur naissance et leur transformation, de sorte
que tout cela constituerait un obstacle important au commerce pour les
producteurs canadiens. La ségrégation et les autres règlements applicables
à l’étiquetage du pays d’origine coûteront, selon les estimations, de 1
à 2 milliards de dollars à la seule industrie canadienne de la viande
rouge.
L’étiquetage
du pays d’origine imposerait aussi vraisemblablement des coûts très élevés
sur le marché américain. D’après un rapport du Département de
l’Agriculture des États-Unis, le coût pour les consommateurs américains
de l’identification du bœuf produit chez eux s’élèverait à environ 2 milliards
de dollars.
Enfin,
les critiques du Farm Bill ont fait remarquer que les nouvelles
exigences d’étiquetage sont curieuses, puisque les États-Unis se
sont farouchement opposés à la proposition de l’Union européenne
d’exiger l’étiquetage des organismes génétiquement modifiés (OGM).
Selon les États-Unis, l’étiquetage des OGM et le règlement qui
l'imposerait seraient susceptibles de constituer un obstacle au commerce.
À Washington, le Comité a été renseigné sur la
complexité des règlements applicables à l’étiquetage du pays
d’origine, qui amène l’industrie de la viande des États-Unis à refuser
d’étiqueter ses produits. Sharon Bomer-Laurentsen (sous-représentante américaine
adjointe au Commerce pour l’agriculture) a mentionné que le Département de
l’Agriculture voulait que la réglementation restreigne le commerce le moins
possible. Le sénateur américain Craig Thomas (rép. – Wyoming) s’est
montré étonné que les règles d’étiquetage du pays d’origine causent
des inquiétudes et a déclaré que toute difficulté d’administration du
programme devrait être considérée comme un sujet de préoccupation américain.
Du
côté canadien de la frontière, le Comité s’est fait dire que le
gouvernement du Canada ne devrait pas hésiter à contester devant l’OMC et
dans le cadre de l’ALENA les conditions d’étiquetage du pays d’origine,
dans l’éventualité où celui-ci ne resterait pas volontaire, si
c’est dans l’intérêt du Canada. Le gouvernement va continuer à
s’efforcer de convaincre les autorités américaines d’abroger cette
disposition du Farm Bill.
C. Subventions américaines
au projet de gazoduc de l’Alaska
Les
fonctionnaires canadiens ont deux principales craintes au sujet de la
construction d’un pipeline pour transporter le gaz naturel du versant nord
de l’Alaska jusqu’aux marchés américains « des 48 États du
Sud » en passant par le Canada. Le fait que le gros du pipeline sera aménagé
au Canada donne à notre pays un certain pouvoir dans les discussions sur les
questions liées aux politiques énergétiques.
Premièrement,
le projet de loi américain injecterait des subventions dans le projet. Le
comité de l’énergie et des ressources naturelles du Sénat américain a étudié
un projet de loi prévoyant un amortissement accéléré, des garanties
d’emprunt (à hauteur de 18 milliards de dollars US) et des crédits
d’impôt au cas où le prix du gaz à la tête du puits en Alaska tomberait
sous les 1,35 $US par mille BTU.
Les
gouvernements canadien et américain veulent tous deux que les décisions
concernant le pipeline soient prises uniquement en fonction des forces du
marché. Autrement dit, c’est le secteur privé qui, au bout du compte,
devrait décider de la nature du pipeline et du moment de sa construction. Du
point de vue du Canada, toute aide financière provoquerait une distorsion des
marchés de l’énergie et nuirait aux projets canadiens dans le delta du
Mackenzie. L’ambassadeur Kergin a déclaré au Comité que le projet de loi
sur le pipeline causerait effectivement des préjudices au projet du delta du
Mackenzie. Paul Frazer a déploré le manque de dialogue utile sur la question
du pipeline et pressé les Canadiens d’étudier attentivement le projet de
loi. Le Gouvernement du Canada semble s’opposer principalement aux crédits
d’impôt prévus dans le projet de loi américain. Pour sa part,
l’Administration Bush tente de résister au Congrès qui cherche à faire
ajouter des subventions à la version finale du projet de loi.
Deuxièmement, le pipeline de l’Alaska pourrait
laisser en plan les réserves gazières du delta du Mackenzie, mais comme le
Comité s’est fait dire tant par l’ambassadeur du Canada que par celui des
États-Unis que si le projet du Mackenzie débute en premier – et des
indices laissent croire que c’est ce qui arrivera –, ce problème
n’en serait plus un.
AMÉLIORER
LA PRÉSENCE OFFICIELLE DU CANADA, LA TRANSMISSION DE L’INFORMATION ET LA DÉFENSE
DE NOS INTÉRÊTS AUX ÉTATS-UNIS
On
a aussi discuté devant le Comité des trois questions clés suivantes :
a) si la présence officielle du Canada aux États-Unis est
suffisante, particulièrement aux paliers local et régional; b) si le
Canada renseigne suffisamment bien les décideurs américains sur l’état
des relations commerciales bilatérales et sur les mesures de sécurité
qu’il prend; et c) si le Canada déploie suffisamment d’efforts aux États-Unis
pour défendre les intérêts commerciaux canadiens, notamment dans les
domaines du bois d’œuvre résineux, de l’agriculture et des problèmes
frontaliers. Sur le premier point, le Comité a entendu plusieurs témoins déclarer
que le Canada doit accroître sa présence aux États-Unis, particulièrement
à l’extérieur de Washington, dans les centres régionaux. Dans les années 1990,
les compressions des ressources avaient eu pour effet de réduire l’effectif
des représentants canadiens dans ces localités et ces régions, ce qui nuit
à nos efforts pour recueillir de l’information sur les marchés, élaborer
des politiques commerciales et communiquer avec les Américains au niveau des
localités, des régions et des États.
Le
budget de février 2003 a tenté d’atténuer ce problème puisqu’il
prévoyait 11 millions de dollars pour l’amélioration de la représentation
du Canada dans les diverses régions des États-Unis. On prévoit que
cette somme sera consacrée par le MAECI à l’ouverture de cinq à sept
nouveaux consulats qui s’ajouteront aux quatorze bureaux diplomatiques et
commerciaux déjà établis aux États-Unis pour faire la promotion du
commerce, particulièrement dans des régions stratégiques comme le
Sud-Ouest. Malgré cet ajout, le nombre total de bureaux régionaux ne dépassera
guère plus que la moitié des 38 qui représentent le Mexique aux États-Unis,
une situation que le Comité juge inacceptable.
L’ambassadeur
Kergin a affirmé qu’on ne se plaint jamais d’avoir trop d’argent, mais
que l’ambassade du Canada à Washington avait néanmoins un budget assez élevé
et que ce qu’il fallait vraiment, c’est une plus grande représentation régionale.
Paul
Frazer a approuvé en soulignant la variation démographique des régions américaines
et la nécessité d’ouvrir de nouveaux consulats dans les régions du pays
en forte croissance. Toutefois, il demande que de l’argent neuf soit injecté
dans les bureaux régionaux et que ces consulats soient dotés d’un
personnel suffisant.
William
Lash III croit que le Canada doit être plus visible aux États-Unis et y
ouvrir d'autres bureaux régionaux. Il serait également utile d’y avoir de
plus nombreux représentants des provinces.
Les
témoins que le Comité a entendus n’étaient pas tous d’avis qu’il faut
injecter plus de ressources aux États-Unis. Roy McLaren, par
exemple, a fait valoir deux points cruciaux contre une telle approche. Premièrement,
le secteur privé canadien est parfaitement capable de desservir le marché américain
et n’a pas besoin d’aide supplémentaire du gouvernement. Deuxièmement,
investir des ressources supplémentaires aux États-Unis ne fera
qu’accroître davantage notre dépendance commerciale par rapport à ce
marché. Selon lui, il serait préférable que le gouvernement investisse
ailleurs qu’aux États-Unis, afin de contribuer à diversifier les
relations commerciales du pays.
Même
si le Comité reconnaît de tout cœur la nécessité de la diversification du
commerce canadien – et nous y reviendrons plus longuement – il
reconnaît aussi que le Canada n’est pas suffisamment bien représenté dans
des régions clés des États-Unis comme le Sud et le Sud-Ouest. De nouveaux
bureaux doivent y être ouverts et recevoir comme principal mandat de mousser
les ventes des produits et services canadiens dans les régions économiques
importantes des États-Unis et, comme Laura Macdonald (professeure,
Université Carleton) l'a déclaré au Comité, de faire bien connaître les
intérêts et les préoccupations du Canada à l’extérieur de Washington.
Il faudrait donc moins insister sur les services diplomatiques classiques
offerts dans les consulats et avoir recours à des consuls honoraires si on
impose des restrictions budgétaires.
Il
y a aussi la question de la transmission aux Américains de renseignements
utiles sur l’état du commerce et de la sécurité entre les deux pays.
Selon Donald Barry, le Canada est mal perçu par les médias américains
et par le monde législatif des États-Unis, et il faudrait corriger ces
impressions négatives du public et des législateurs. À son avis, le Canada
devrait faire savoir dans tous les États-Unis qu’il est un partenaire sûr
et fiable des Américains (c.-à-d. pas une menace pour la sécurité),
qu’il est un partenaire économique capital – le Canada est
d’ailleurs le premier marché d’exportation de marchandises de 39 des 50 États
américains – et qu’il est le plus important fournisseur étranger de
pétrole, de gaz naturel et d’hydroélectricité du marché américain. Le
Comité a recommandé (cf. la recommandation 1) qu’une campagne
d’information sur les questions de sécurité soit lancée.
M. Barry
a fait remarquer que la tâche de modifier les perceptions américaines du
Canada sera difficile, compte tenu du sentiment de vulnérabilité de nos
voisins côté sécurité et du fait que la sécurité est pour eux une
priorité si cruciale à l’heure actuelle. À son avis, nous devrions
travailler de concert avec les autorités américaines pour contribuer à
dissiper ces perceptions. Plusieurs autres témoins ont fait observer que les
incidents préjudiciables pour la sécurité et mettant le Canada en cause
semblent être amplifiés par les médias tandis que les progrès réalisés
(p. ex. le Plan d’action pour la frontière) sont passés sous silence.
À Washington, Theresa Cardinal-Brown (coprésidente,
Americans for Better Borders Coalition) a pressé les Canadiens de renseigner
le Congrès américain sur nos politiques d’immigration pour renverser
l’impression actuelle que celles-ci sont moins rigoureuses que celles de nos
voisins du Sud. William Lash III a dit aux politiciens canadiens d’« éveiller »
leurs homologues américains à la réalité commerciale canado-américaine.
Enfin,
certains des témoins qui ont comparu devant le Comité avaient aussi à
l’esprit l’amélioration de la promotion des intérêts canadiens aux États-Unis.
En mai 2002, le Gouvernement du Canada a décidé de consacrer 20 millions
de dollars à une campagne de promotion, dont la plus grande partie (17 millions
de dollars) sous la forme d'une subvention à l’Association des produits
forestiers du Canada, pour faciliter la promotion des intérêts canadiens
dans le domaine du bois d’œuvre résineux. Lorsqu’il a comparu devant le
Comité, le Ministre Pettigrew a insisté sur la nécessité d’une expansion
du programme de promotion du Canada aux États-Unis. Des fonds supplémentaires
permettraient au gouvernement fédéral d’intensifier ses efforts en vue
d’informer les législateurs américains de la position canadienne sur le
conflit du bois d’œuvre résineux et du prix que les consommateurs américains
sont contraints à payer en raison des droits imposés sur les produits
forestiers canadiens.
M. Barry
a aussi souligné que l’incidence du Canada sur les États-Unis est
essentiellement ressentie aux niveaux sectoriel et régional. Les perceptions
que les Américains ont de nous sont rarement combinées au palier national,
sauf pour une impression générale qui n’est pas bien informée. Les
opinions sectorielles et régionales prévalent souvent, et c’est pourquoi
le Canada se doit de trouver des alliés pour contrer les pressions exercées
par ces sources. À ce propos, selon M. Frazer, il serait utile que les
premiers ministres provinciaux et les gouverneurs américains se réunissent régulièrement.
Laura
Macdonald a souligné pour sa part que le Canada va devoir apprendre comment
faire un lobbying plus dynamique et plus efficace auprès du Congrès des États-Unis
sur les enjeux et les problèmes clés, en plus de consacrer des ressources
financières accrues à ses efforts de lobbying aux États-Unis dans
leur ensemble.
Un
autre témoin qui a comparu devant le Comité, Rolf Mirus, a fait
remarquer que « vendre » le Canada aux États-Unis n’est
pas une tâche facile. Les relations personnelles au niveau politique régional
commencent à évoluer; en outre, Thomas Ridge et John Manley ont de
bonnes relations professionnelles. Pour donner une meilleure impression du
Canada aux États-Unis, nous devons changer nos politiques (p. ex.
renforcer notre armée) plutôt que dépenser pour acheter de la publicité
dans les journaux.
Enfin, Richard Harris a déclaré que la relation
politique entre les deux pays est un facteur clé auquel nous devons nous
attaquer. Renforcer cette relation bilatérale pourrait avoir de très
importantes retombées sur nos relations commerciales mutuelles. À
Washington, un certain nombre de témoins nous ont précisé l’importance
que les législateurs de nos deux pays travaillent à établir un dialogue
significatif sur nos relations bilatérales. Le Groupe parlementaire Canada-É.-U.
travaille en ce sens depuis un certain nombre d’années, mais il faudrait
aussi encourager les divers comités parlementaires américains et canadiens
à collaborer davantage.
Le
Comité reconnaît avec le Ministre Pettigrew qu'il nous faut mieux défendre
nos intérêts et il est conscient qu’il nous faut aussi maintenir
d’excellentes relations avec les volets exécutif et législatif du
gouvernement des États-Unis. Pour faire des progrès dans chacun des
secteurs analysés dans le présent chapitre (présence officielle du Canada,
transmission de l’information et défense de nos intérêts aux États-Unis),
le Comité recommande :
|
Recommandation 10 Que
le gouvernement fédéral : a)
augmente de façon substantielle le nombre de consulats aux États-Unis
par rapport au nombre prévu. Ces nouveaux bureaux consulaires devraient
être désignés essentiellement comme responsables du commerce et des
investissements et être dotés d’un personnel professionnel compétent
et expérimenté; b)
lance immédiatement une campagne bien ciblée pour informer les
décideurs américains de l’importance de nos relations commerciales
bilatérales; c)
accroisse les
crédits qu’il consacre à la défense des investissements et intérêts
commerciaux canadiens aux É.-U. de manière à augmenter l’efficacité
de ses stratégies; et d)
renforce les
relations bilatérales avec les organes exécutif et législatif du
gouvernement américain. Nous devrions aussi formuler des stratégies
pour collaborer de manière plus efficace et régulière avec le Sénat
et la Chambre des représentants dans les dossiers et questions
d'importance qui préoccupent nos deux pays, et obtenir les ressources
budgétaires appropriées. Pour ce faire, le gouvernement devrait établir
un bureau parlementaire à Washington pour aider les parlementaires
canadiens à collaborer avec les législateurs américains et les autres
décideurs clés de ce pays. |
[1]
Il a également
été conseiller spécial auprès du Gouvernement du Canada lors des négociations
qui ont mené à l’ALE
[2]
Ces délais
sont habituellement de 10 minutes du lundi au jeudi, et de 20 minutes du
vendredi au dimanche et les jours fériés.
[3] Le Canada et les États-Unis signent la déclaration sur la frontière
intelligente, ministère des Affaires étrangères et du Commerce
international, communiqué no 162, 12 décembre 2001.
[4]
En cas
de code orange, le personnel des postes frontaliers américains inspecte le
coffre de 75 p. 100 des véhicules.
L’état d’alerte le plus élevé (code rouge) est encore plus
strict puisqu’il prévoit l’inspection de tous les véhicules, mais il
n’est utilisé que pour des menaces précises et ciblées.
Contrairement aux codes orange et jaune, le code rouge ne constitue
pas un niveau de sécurité permanent.
[5] Cet
accord prévoit que la demande d’asile doit être entendue dans le premier
pays d’arrivée. Comme Bertin Côté (chef de mission adjoint, ambassade
du Canada à Washington) l’a dit au Comité, pas moins de 70 p. 100
des réfugiés qui arrivent au Canada se présentent à un poste-frontière
terrestre et il faudra dorénavant les contrôler aux États-Unis.
[6] Pour
les produits réglementés par la FDA, le projet de règlement stipule que
le préavis doit être donné au plus tard à midi la veille du jour où le
camion atteint le poste-frontière. Le
préavis requis est donc différent dans le cas des aliments de celui qui
est exigé pour les autres produits. L’accès
aux États-Unis sera interdit pour les produits n’ayant pas satisfait aux
exigences de préavis.
[7]
À cet
égard, il serait utile que les douaniers américains appliquent les règlements
régissant le commerce de manière plus uniforme de l’autre côté de la
frontière.
[8] Les
États-Unis s’inquiètent de l’application de la politique canadienne
concernant les réfugiés, parce qu’elle risque de permettre à des
terroristes de franchir leur frontière.
[9] À
la fin, l’Uruguay Round n’a pas abouti aux changements espérés des régimes
de droits antidumping et compensateurs existants.
[10]
Gilbert R. Winham, « Dispute Settlement in NAFTA and the FTA »,
dans Steven Globerman et Michael Walker,
éd., Assessing NAFTA: A Trinational Analysis, The Fraser Institute,
Vancouver, 1993, p. 270.
[11]
En fait, les
É.-U. ont agi ainsi peu de temps après avoir perdu une contestation devant
l’OMC concernant la fixation du prix du bois d’œuvre résineux et les
politiques d’allocation des droits de coupe.
Ces modifications de leur législation sur les recours commerciaux
visaient à neutraliser les aspects les plus controversés de la décision
que le groupe binational avait rendue en faveur du Canada.
[12] Wendy
Dobson, Shaping the Future of the
North American Economic Space: A Framework for Action, The Border
Papers, Institut C.D. Howe, Commentary Number 162, avril 2002, p. 21.
[13]
Comme nous l’avons déjà précisé, il n’existe pas de telles règles.
[14] Gilbert
Gagné, « North American Free Trade, Canada, And US Trade Remedies: An
Assessment After Ten Years », The
World Economy, janvier 2000, p. 90.
[15] Patrick
Macrory, « NAFTA Chapter 19: A
Successful Experiment in International Trade Dispute Resolution », C.D.Howe Institute Commentary, Toronto, 2002.
[16] Ibid., p. 2.
[17] Ibid.
[18] William
J. Davey, Pine & Swine:
Canada-United States Trade Dispute Settlement – The FTA Experience And
Nafta Prospects, Centre de droit et de politique commerciale, 1996, p. 286-287.
[19] D’après
de Mestral, la Commission mixte internationale (CMI) n’est pas la
solution. Bien qu’elle soit très efficace pour produire des rapports, des
faits et des recommandations, elle ne rend pas de décisions finales. À son
avis, les citoyens et les entreprises devraient être capables de saisir les
tribunaux de leur pays de ces questions.
[20] À
Washington, le Comité a aussi été mis au courant de deux sujets de préoccupation
ayant trait à l’accès des Américains au marché canadien : la piètre
protection des brevets pharmaceutiques et le seuil apparemment trop bas de
l’exonération des droits de douanes pour les voyageurs américains.
[21]
Lors
de sa visite à Washington, le Comité a entendu les doléances de divers
groupes et entreprises dans le dossier du bois d’oeuvre: American
Consumers for Affordable Homes, National Association of Home Builders,
American Homeowners Grassroots Alliance, Consumers for World Trade,
International Mass Retail Association et Home Depot.
[22] Les
droits ont ajouté de 1 000 $US à 1 500 $US au prix
d’une maison.
[23]
Le 26 mars
2003, la Colombie-Britannique a annoncé des changements radicaux dans ses méthodes
de gestion de la forêt, notamment une nouvelle exigence qui forcerait les
principaux titulaires de permis à soumettre aux enchères jusqu’à 20 p. 100
de leurs tenures forestières à long terme.
Si on ajoute les ventes de bois d’œuvre et les exploitants privés,
on constate que les prix d’un bon quart de la récolte provinciale totale
seront assujettis aux forces du marché.
L’Ontario a emboîté le pas à la C.-B. depuis avec sa propre
politique et le Québec réfléchit aux changements qu’il aimerait lui
aussi apporter.
[24] On a
dit au Comité à Washington qu’au cours des discussions sur un accord
provisoire au début de l’année, un représentant de l’industrie
canadienne a même proposé un retour au système de quotas. Les
fonctionnaires des deux pays se méfient de cette suggestion.
[25] À ce
sujet, l’Administration Bush estime que l’amendement Byrd devrait être
la dernière question à trancher, après la conclusion d’un accord
provisoire général.
[26]
Il faudrait
aussi ajouter à la liste la question cruciale du remboursement des droits déjà
perçus.
[27]
Un projet de
loi présenté au Sénat américain par la sénatrice Olympia Snow (rép.-Maine)
vise à abroger l’amendement Byrd et à transférer les droits antidumping
et compensateurs prélevés dans un nouveau programme de subventions fédérales
aux communautés touchées par le commerce.