Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 5 - Témoignages du 11 décembre 2002
OTTAWA, le mercredi 11 décembre 2002
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 10 modifiant le Code criminel (cruauté envers les animaux), se réunit aujourd'hui à 15 h 45, pour en faire l'examen.
Le sénateur George J. Furey (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le sénateur Nolin: Honorables sénateurs, ne déduisez pas de mes propos que je ne veux pas entendre les témoins. Toutefois, je tiens à présenter une objection officielle concernant le fait que nous étudions, non pas un projet de loi, mais un document intitulé «projet de loi C-10B». Étant donné que le Sénat nous a donné l'ordre d'étudier et de scinder en deux le projet de loi C-10, et que nous avons fait rapport de l'une de ces parties, soit du projet de loi C-10A, et que le projet de loi C-10A est maintenant devant la Chambre des communes, à qui l'on a demandé d'acquiescer au message du Sénat, de ce côté-ci, nous prétendons que ce comité n'est pas saisi du projet de loi en bonne et due forme.
Toutefois, nous n'avons aucune objection à l'étude d'un document, c'est pourquoi nous sommes prêts à entendre les témoins.
Le sénateur Beaudoin: J'ai une chose à ajouter. Bien entendu, ce rappel au Règlement devrait être fait au Sénat, et non pas au comité.
Puis-je dire que nous nous conformons simplement à un ordre du Sénat? Si les honorables sénateurs n'aiment pas cet ordre, la question devrait être soulevée au Sénat, pour que cela figure au compte rendu.
Le président: Je vous remercie, sénateur Beaudoin.
Aujourd'hui, honorables sénateurs, nous allons continuer à entendre les témoins dans le cadre de notre étude des amendements proposés au Code criminel concernant la cruauté envers les animaux. Aujourd'hui, nous allons entendre les membres d'une table ronde et ensuite nous nous réunirons à huis clos.
Je vous demanderais de vous joindre à moi pour souhaiter la bienvenue aux membres de la table ronde scientifique. Clément Gauthier représente le Conseil canadien de protection des animaux. Des Instituts de recherche en santé du Canada nous avons Mark Bisby, vice-président de la recherche et Patricia Kosseim, conseillère principale en matière d'éthique.
L'Association des universités et collèges du Canada est représentée par Robert Best, vice-président de la Direction des affaires nationales, et Andrew Tasker, doyen associé du Collège vétérinaire de l'Atlantique, de l'Université de l'Île- du-Prince-Édouard.
Enfin, de l'Université Western Ontario, nous sommes heureux d'accueillir Bessie Borwein, conseillère spéciale du vice-président en matière de recherche.
Je pense que les experts ont été informés que chaque groupe disposera de cinq minutes pour faire un exposé après quoi ils répondront aux questions des sénateurs.
M. Clément Gauthier, directeur exécutif, Conseil canadien de protection des animaux: Honorables sénateurs je vous remercie infiniment d'avoir invité le Conseil canadien de protection des animaux à participer à cette table ronde. Le CCPA a été fondé en 1968, suite à une initiative conjointe de l'AUCC, de la Fédération des sociétés canadiennes d'assistance aux animaux, ou FSCAA, du Conseil de recherches médicales du Canada, ou CRM, ainsi que de plusieurs ministères fédéraux, à titre d'organisation indépendante d'examen par les pairs, ayant pour mandat de s'assurer que, grâce à des programmes d'éducation, d'évaluation et d'élaboration de lignes directrices, les animaux utilisés pour la recherche, l'enseignement et les tests, sont traités sur le plan physique et psychologique selon des normes scientifiques et éthiques acceptables.
Le CCPA ne se sert pas d'animaux. C'est un organisme national, quasi-réglementaire, qui fonctionne avec la participation, par l'intermédiaire de plus de 220 comités de protection des animaux, de plus de 2 000 scientifiques, vétérinaires, représentants communautaires de tous les horizons, et représentants d'organismes de protection des animaux.
L'évaluation périodique des institutions par des équipes d'évaluateurs externes choisis par le CCPA est un processus rigoureux auquel participent des représentants du public et qui est dominé par la FSCAA. Tout récipiendaire universitaire d'un financement de l'IRSC et du CRSNG doit obligatoirement détenir un certificat de bonnes pratiques animales.
Tous les ministères fédéraux qui utilisent des animaux à des fins réglementaires sont représentés au conseil, et leurs laboratoires participent à notre programme sur une base volontaire, comme le font les principaux usagers du secteur privé. Les normes du CCPA sont reconnues dans plusieurs publications fédérales comme étant la référence pour toute recherche utilisant des animaux.
Cinq des six provinces qui se sont dotées d'une loi sur l'utilisation des animaux à des fins scientifiques citent les normes du CCPA dans leurs lois ou dans leurs règlements. C'est pourquoi le CCPA est en fait un organisme quasi- réglementaire.
Le CCPA a fait oeuvre de pionnier en lançant le concept de comités institutionnels de protection des animaux, concept qui a été repris à l'échelle mondiale. Le CCPA est l'un des spécialistes des effets sur la santé auxquels fait appel le Programme de l'OCDE sur les lignes directrices pour les tests. Le CCPA est le signataire canadien de la Convention européenne pour la protection des animaux vertébrés utilisés à des fins expérimentales ou à d'autres fins scientifiques. Depuis 1999, le CCPA est le siège du Conseil international des sciences de l'animal de laboratoires.
[Français]
Dès décembre 1998, le Conseil canadien de protection des animaux a exprimé publiquement son appui au projet de loi visant à amender le Code criminel quant à la cruauté envers les animaux à partir des cinq principes détaillés à la Partie B de notre mémoire.
Les quatre premiers principes sont respectés dans le projet de loi C-10. Toutefois, deux avis demandés à nos conseillers juridiques ont porté le CCPA à porter un appui qualifié en relation avec le cinquième et dernier principe que nous continuons d'appuyer, c'est-à-dire celui du besoin d'offrir un plus grand degré de certitude aux enquêteurs, aux tribunaux et au milieu scientifique quant aux deux points fondamentaux du test d'infraction appliqué depuis l'arrêt Ménard de 1978.
Il s'agit, premièrement, de la légalité des fins, et, deuxièmement, de l'évaluation des moyens utilisés pour atteindre l'objectif compte tenu des coûts et des priorités sociales.
Ces avis juridiques indépendants ont conclu ce qui suit: d'une part, l'absence de lois provinciales légitimant l'utilisation des animaux pour fins scientifiques dans quatre provinces et trois territoires canadiens rend impossible l'application uniforme des dispositions 182.2 et 182.3 d'une province et d'un territoire à l'autre relativement à la défense fondée sur l'excuse légale.
D'autre part, le manque de précision et de clarté des normes établies par les dispositions des alinéas 182.2 et 182.3 du projet de loi C-10, pour ce qui est d'une douleur sans nécessité ou de soins convenables et suffisants empêche toute mise en relation avec les avantages réels et la légitimité de l'utilisation responsable des animaux à des fins scientifiques, rendant ainsi pratiquement impossible l'évaluation des moyens utilisés compte tenu des priorités sociales.
[Traduction]
Ce qui est «sans nécessité», «brutal», «convenable» et «suffisant» pour ceux qui s'opposent fondamentalement à l'utilisation d'animaux à des fins scientifiques peut être tout à fait différent de ce que ces termes signifient dans le contexte de la recherche socialement acceptée de nos jours. L'interprétation de ces termes deviendra l'élément déterminant dans les causes à venir. À moins que des lignes directrices ne soient fournies aux enquêteurs et aux tribunaux, cette interprétation manquera d'uniformité d'une cause à l'autre et d'une province à l'autre.
Pour régler ces problèmes majeurs d'interprétation sans mettre en danger l'avenir de cet important projet de loi, le CCPA recommande au comité d'envisager d'inclure la recommandation suivante dans son rapport: Que le ministre et le ministère de la Justice considèrent des moyens comme la publication de lignes directrices, par lesquelles il serait communiqué au secteur scientifique et entendu des enquêteurs et des procureurs que la conformité avec les normes du Conseil canadien de protection des animaux ne constitue pas une infraction au sens des articles 182.2 et 182.3 du Code criminel modifié et que le Manuel du CCPA sur le soin et l'utilisation des animaux d'expérimentation, complété par les autres lignes directrices et politiques existantes, sera utilisé comme référence et pris en compte dans l'interprétation et l'application de ces dispositions dans le contexte de l'utilisation d'animaux à des fins scientifiques.
Pour terminer, j'aimerais mentionner que la première partie de notre recommandation a pour objet de guider les organismes faisant enquête sur l'observation des normes du CCPA afin de décider si des accusations doivent être portées ou non. Cela permettrait d'éviter les poursuites frivoles dès le départ. Si les enquêteurs trouvent que les animaux n'ont pas été traités selon les normes et que des accusations sont portées contre l'utilisateur, la deuxième partie de notre recommandation insiste sur la nécessité pour les procureurs de se référer aux normes du CCPA et d'en tenir compte, sans pour autant priver les tribunaux de leurs pouvoirs discrétionnaires ultimes. Je vous remercie de votre attention.
Le président: Je vous remercie infiniment.
M. Robert Best, vice-président, Affaires nationales, Association des universités et collèges du Canada: Je suis ici en tant que vice-président des affaires nationales de l'AUCC. Mon collègue, M. Tasker, est doyen associé aux études supérieures et à la recherche et professeur au département de science biomédicale du Collège vétérinaire de l'Atlantique et à l'Université de l'Île-du-Prince-Édouard.
M. Tasker est également l'un des représentants de l'AUCC auprès du Conseil canadien de protection des animaux.
Comme vous le savez, monsieur le président, M. Axel Meisen, recteur de l'Université Memorial de Terre-Neuve, espérait être ici aujourd'hui. Il demeure très intéressé par la question. Malheureusement il a été obligé de décliner votre invitation. Il n'était pas libre.
Nous sommes très heureux de pouvoir comparaître devant vous aujourd'hui. L'AUCC appuie de façon catégorique l'objectif des dispositions du projet de loi C-10B sur la cruauté envers les animaux.
[Français]
Cependant, nous redoutons que, par inadvertance, le projet de loi ne compromettre ce que les Canadiens estiment comme étant une utilisation acceptable des animaux à des fins de recherche pour le mieux-être des humains et des animaux.
Nous craignons que le projet de loi expose les établissements membres de l'AUCC et leurs chercheurs à des poursuites futiles et injustifiées qui entraîneraient des frais importants et terniraient grandement leur réputation. À vrai dire, le simple risque de telles poursuites aura un effet paralysant dans le milieu de la recherche.
L'AUCC croit que la réponse aux préoccupations du milieu de la recherche repose sur deux mesures. La première consiste à rétablir les défenses qui sont actuellement à la disposition des chercheurs dans le Code criminel. Le retrait des infractions relatives à la cruauté envers les animaux de la Partie XI du Code criminel et leur transfert à la nouvelle Partie V.1 proposée aurait pour effet d'éliminer les défenses explicites prévues par la loi liées aux actions prises par une justification ou une excuse légale et avec apparence de droit. L'insertion de ces défenses explicites dans la Partie V.1 du code assurerait que la recherche légitime effectuée sur des animaux aurait au moins recours aux défenses qui existent actuellement.
Deuxièmement, nous estimons très important que le ministère de la Justice émette des lignes directrices à l'intention des administrateurs du système de justice pénal, afin de les aider à interpréter et à appliquer les articles 182.2 et 182.3 du Code criminel.
Ces lignes directrices devraient faire référence au rigoureux programme d'évaluation qui encadre le traitement et l'utilisation éthique d'animaux en recherche et en enseignement dans nos universités. Ce programme est composé des directives, des principes et des normes d'évaluation du Conseil canadien de protection des animaux.
[Traduction]
Monsieur le président, les normes du CCPA sont respectées par toutes les universités canadiennes où s'effectue de la recherche sur des animaux. À vrai dire, le respect de ces normes est une exigence absolue du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie et des Instituts de recherches en santé du Canada, qui subventionnent la majorité de la recherche financée par le gouvernement fédéral effectuée dans nos universités. Les universités ont elles-mêmes étendu l'exigence à toute la recherche effectuée sur des animaux, peu importe la source de financement.
Nous souhaitons être très clairs. Nous ne demandons pas à être exemptés des dispositions de la loi. Nous disons cependant que, dans le domaine de l'enseignement et de la recherche effectuée sur des animaux, il existe bel et bien une norme éprouvée et rigoureuse en matière de protection des animaux et d'éthique, et ce, depuis 30 ans.
Par conséquent, l'AUCC prie le comité de formuler les recommandations suivantes dans son rapport sur le projet de loi C-10B: premièrement, nous recommandons que le ministre de la Justice publie des lignes directrices ou d'autres directives à l'intention des administrateurs du système de justice pénal précisant que le Manuel sur le soin et l'utilisation des animaux d'expérimentation du Conseil canadien de protection des animaux, de même que les autres lignes directrices et politiques connexes publiées par le Conseil, doit être mentionné et considéré dans l'interprétation et l'application des articles 182.2 et 182.3 du Code criminel, plus particulièrement en ce qui a trait à la détermination des activités qui peuvent constituer un comportement criminel dans le contexte de l'utilisation d'animaux pour l'enseignement et la recherche scientifique et quant à la pertinence que des accusations au pénal soient portées ou suspendues.
Deuxièmement, il est recommandé que le nouveau projet d'article 182.5 du Code criminel soit modifié pour se lire comme suit: Il est entendu que le paragraphe 8(3) et la défense de justification ou d'excuses légales ou d'apparence de droit s'appliquent aux procédures relatives à une infraction en vertu de la présente partie.
M. Tasker et moi serons heureux de répondre aux questions.
M. Mark Bisby, vice-président, portefeuille de recherche, Instituts de recherche en santé du Canada: Je suis accompagné de Mme Patricia Kosseim, notre conseillère principale en éthique.
[Français]
Au nom des Instituts de recherche en santé du Canada, je tiens à remercier les honorables membres de ce comité de nous avoir accordé cette possibilité de commenter le projet de loi C-10 et en particulier, les amendements proposés aux articles portant sur la cruauté envers les animaux.
[Traduction]
Les IRSC appuient les objectifs généraux du projet de loi C-10. La loi proposée refond, modernise et simplifie le régime pénal existant et renforce l'efficacité des dispositions sur les infractions relatives au traitement clairement abusif, brutal et cruel des animaux.
Sous sa forme actuelle, le projet de loi clarifie certains aspects importants des dispositions sur les infractions. L'article 182.2 exige expressément qu'il y ait intention volontaire ou insouciance de la part de l'accusé pour qu'il puisse y avoir infraction. Le paragraphe 182.3(1) établit une norme pénale de négligence, définie au paragraphe 182.3(2) comme étant «un comportement qui s'écarte de façon marquée du comportement normal qu'une personne prudente adopterait». Ces précisions sont très importantes et les IRSC les appuient entièrement.
Comme vous le savez, les IRSC sont déterminés à promouvoir les activités de recherche en santé qui répondent aux normes internationales d'excellence scientifique les plus strictes ainsi qu'aux normes d'éthique les plus strictes. En fait, en vertu de notre loi habilitante, nous y sommes expressément obligés par le Parlement.
Les IRSC n'octroient aucun fonds aux activités de recherche effectuées sur des animaux à moins qu'elles ne soient conformes aux lignes directrices sur le soin et l'utilisation des animaux d'expérimentation élaborées par le Conseil de protection des animaux et qu'elles soient approuvées par un comité local de protection des animaux dûment homologué par le CCPA dans le cadre de son programme d'évaluation, qui est reconnu à l'échelle nationale.
Toute déclaration de non-conformité est communiquée aux IRSC ou au Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie, ou aux deux, qui se réservent le droit d'imposer des sanctions financières ou autres à l'établissement en question. Ces sanctions peuvent prendre la forme du gel ou du retrait des fonds de recherche à l'égard de l'un ou de la totalité des programmes de recherche financés par nous-mêmes ou par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie.
En outre, à partir du 1er janvier 2003, tous les établissements devront offrir un cours de formation, suivant le programme recommandé par le CCPA, à tous les enquêteurs, stagiaires et personnel travaillant avec des animaux comme condition supplémentaire d'accréditation par le CCPA et donc de l'octroi continu de fonds des IRSC.
Le rôle d'éducation, d'examen et de surveillance du CCPA est donc essentiel pour s'assurer que tous les chercheurs qui reçoivent des fonds des IRSC se conforment aux normes d'éthique les plus strictes en matière de soin animal et sont tenus responsables de leur conduite. Aux IRSC, nous espérons que le projet de loi sera adopté en temps opportun et qu'il sera appliqué de manière responsable dans la pratique, de manière que son objectif sous-jacent, la protection des animaux contre la cruauté, soit atteint sans empêcher par inadvertance la recherche en santé légitime répondant aux normes scientifiques et éthiques les plus strictes.
Mme Bessie Borwein, conseillère spéciale au vice-président, Recherche, Université Western Ontario: Je tiens à vous remercier de nous permettre de vous faire part des préoccupations des chercheurs. Je ne parle pas au nom d'une organisation importante. Je suis chercheur et administratrice de recherche. Je souscris à ce qui a été dit ici, à savoir que ces organisations sont extrêmement importantes pour les chercheurs et qu'elles nous aident à faire les choses comme il faut. Comme tous les chercheurs que je connais, j'approuve la majorité des dispositions du projet de loi et j'appuie de tout coeur l'alourdissement des peines applicables aux cas de cruauté gratuite envers les animaux. Toutefois, nous prétendons que pour ce faire, il n'est pas nécessaire de supprimer les dispositions sur la cruauté envers les animaux des articles du Code criminel relatifs à la propriété. Ce qui inquiète les chercheurs, et ce dont ils parlent souvent, ce n'est pas tant le projet de loi en soi, mais le contexte dans lequel nous fonctionnons par rapport au projet de loi. Mon premier contact avec ce dossier date du jour où des intrus ont pénétré par effraction à l'université pour voler des animaux, causant de gros problèmes de relations publiques et entraînant des poursuites. Le recteur m'a alors demandé de prendre six mois pour explorer tout ce domaine afin de savoir à quoi nous avions affaire.
Je suis l'extrémisme chez les défenseurs des droits des animaux depuis 20 ans et j'accumule des documents à cet égard — c'est une histoire d'incendies criminels, de cambriolages, de vandalisme, de lettres piégées aux lames de rasoir, de vols d'animaux d'expérience, de harcèlement — jusque chez les gens — de coûts monétaires, de menaces et d'intimidation. C'est devenu une source d'inquiétudes graves pour les chercheurs, particulièrement dans certains domaines. Des millions de dollars de deniers publics ont été consacrés à la sécurité, ce qui ne fait pas avancer l'éducation, la recherche ou les soins. Nous sommes aux prises avec un élément que le SCRS et le FBI qualifient de «terrorisme à cause unique».
Il y a au Canada des groupes de défense des droits des animaux qui ont annoncé publiquement et spécifiquement leur intention de se servir du projet de loi C-10 pour promouvoir leur cause. Ils disent qu'ils se serviront de la loi pour porter des accusations et qu'ils la mettront à l'épreuve. Pour ce faire, ils auront recours à d'agents de la paix ou à des organisations autorisées comme la SPCA ou les sociétés de protection des animaux sympathiques à leur cause. Pour aggraver les choses, il y a un incitatif monétaire pour les agents de la paix qui porteront des accusations et qui pourront garder les amendes.
Nous savons qu'il existe de nombreuses organisations légitimes de protection des animaux, et nous en avons besoin. Toutefois, certaines se sont radicalisées et sont dirigées par des extrémistes; beaucoup d'autres se sentent vulnérables face à cette pression.
Nous avons trois préoccupations. Premièrement, la question des biens — de l'énorme consortium que constituent les utilisateurs d'animaux. Les agriculteurs achètent et vendent du bétail. Ils s'en servent comme garantie quand ils empruntent de l'argent. C'est un bien. Nous les chercheurs, nous achetons des races précises de rats et de souris, qui nous sont fournis par quelqu'un.
Nous vous demandons d'envisager très sérieusement de remettre les dispositions concernant les crimes contre les animaux dans les articles du Code criminel portant sur les biens, comme cela se fait dans beaucoup d'administrations, et de les enlever de la partie IV, où elles coexistent maintenant avec les infractions d'ordre sexuel, les infractions contre la morale publique et l'inconduite.
Ne plus considérer les animaux comme un bien doit avoir une signification idéologique dans la philosophie et dans la mentalité des défenseurs des droits des animaux; en effet, leur campagne vise en partie à octroyer le statut de personne aux animaux. En fait, ils ont écrit que ce projet de loi annonçait l'émancipation des animaux. Nous avons tous à coeur de bien prendre soin des animaux dont nous avons besoin et que nous aimons. Je ne répéterai pas tout ce qui a été dit auparavant au sujet de la défense de justification ou d'excuse légale, ou d'apparence de droit, notions qui ont été supprimées des articles concernant les biens, ce qui, selon tous nos avocats, diminue la protection à laquelle les chercheurs aimeraient avoir droit.
Le dernier point important concerne la définition du mot «animal». En effet, on peut y lire le passage inquiétant suivant: «et de tout autre animal pouvant ressentir la douleur». La perception de la douleur est une question très complexe. Les spécialistes de la douleur nous disent qu'ils ne savent pas comment définir la capacité de ressentir la douleur. Les tribunaux seront appelés à se prononcer là-dessus, ce qui ouvrira la porte à tout un tas de querelles juridiques. Une définition beaucoup plus simple telle que «les vertébrés» ou «les vertébrés à sang chaud» qui, du point de vue scientifique, est simple, précise et compréhensible, serait souhaitable.
J'aimerais beaucoup appuyer l'exposé fait par le Conseil canadien de protection des animaux. Nous lui devons d'avoir resserré les normes de soin des animaux utilisés en recherche et pour les essais, normes qui sont imitées et admirées dans le monde entier, et renforcées par l'exigence de conformité. En fait, j'estime que l'utilisation d'animaux n'est aussi surveillée et examinée nulle part ailleurs que dans le domaine de la recherche. Par conséquent, nous appuyons de tout coeur le Conseil canadien de protection des animaux, et quand les règlements seront rédigés, ses normes devraient servir de référence, car ce sont les plus détaillées et les plus soigneusement documentées.
Je pense qu'on a déjà dit ici que pour un extrémiste, il n'y a pas une seule utilisation d'animal dans la recherche qui soit acceptable. Peut-être aimeriez-vous savoir qu'ils ne s'attaquent pas uniquement à certains chercheurs, qu'ils ciblent pour des raisons de propagande, mais également aux entreprises qu'ils essaient de ruiner. Le cas des laboratoires Huntingdon Life Sciences, au Royaume-Uni, qui se sont depuis installés aux États-Unis, a forcé le gouvernement britannique à rédiger un nouveau projet de loi — je pense qu'il est intitulé «Criminal Justice and Police Act» — interdisant toute manifestation visant des particuliers. Le gouvernement a autorisé les directeurs d'entreprises commerciales, et des établissements de recherche, à ne pas publier leurs noms et leurs adresses, tant le harcèlement était devenu extrême. M. Blair et M. Straw sont intervenus car tout donnait à penser que les laboratoires Huntingdon Life Sciences, la plus grosse entreprise privée de test sur les animaux en Grande-Bretagne, allait fermer ses portes en raison des attaques des défenseurs des droits des animaux contre les banques et les investisseurs qui le finançaient. Ils ont immédiatement reculé sous la menace de l'intimidation. Ils ont ensuite été soutenus par le gouvernement.
En terminant, j'aimerais dire que ces questions s'inscrivent dans un certain contexte, ce qui explique pourquoi les chercheurs sont si troublés. Le gouvernement fédéral a récemment reconnu, plus que jamais auparavant, la grande importance de la recherche pour la santé des Canadiens et de leurs animaux, et pour le moteur économique du pays, et a investi des montants importants dans la recherche. Nous demandons donc au gouvernement de prendre quelques mesures simples et d'apporter des modifications à ce projet de loi pour protéger la recherche qu'il encourage et finance, afin qu'il ne soit pas aussi facile à des particuliers d'intenter des poursuites et de porter des accusations. J'estime que les enjeux sont grands et que quelques simples amendements pourraient corriger un projet de loi qui autrement est très valable. Les Canadiens méritent une loi qui protégera leur droit de profiter des résultats de la recherche médicale.
Le sénateur Nolin: Madame Borwein, puisque votre recteur vous a demandé de consacrer six mois de votre temps à faire de la recherche sur le contexte dont vous venez de parler, pourriez-vous nous donner des preuves de ce que vous avez décrit comme étant du «chantage»? Vous avez parlé de groupes qui ont recours à de telles tactiques. Vous serait-il possible de nous donner quelque chose par écrit?
Mme Borwein: Bien sûr. J'ai apporté ces documents avec moi et je me ferais un plaisir de les remettre au comité, y compris tout ce qui concerne la triste histoire des laboratoires Huntingdon Life Sciences, les centaines d'attaques, près de 600 aux États-Unis au cours des cinq dernières années, et les nombreux chercheurs qui ont abandonné sous la pression de l'intimidation, craignant pour leurs enfants. Les intimidateurs leur disent: «Nous savons où vos enfants vont à l'école.» Oui, je me ferai un plaisir de remettre ces documents au comité.
Le président: Si vous pouviez les remettre au greffier, il verra à ce que les membres du comité en reçoivent une copie.
Mme Borwein: Je n'y manquerai pas.
Le sénateur Nolin: Vous avez, comme d'autres, mentionnez le fait que le mot douleur figure dans la définition du mot «animal». En Alberta, la définition ne fait pas référence à la douleur. Là-bas, un animal est tout ce qui n'est pas un être humain. C'est la définition donnée au chapitre A-41 des lois de la province de l'Alberta, à savoir l'Animal Protection Act, qui dit à l'alinéa 1a) de l'article 1 que les animaux ne comprennent pas les êtres humains.
Pensez-vous qu'il serait préférable de modifier la définition à l'article 182.1 qui dit:
Dans la présente partie, «animal» s'entend de tout vertébré — à l'exception de l'être humain — et de tout autre animal pouvant ressentir la douleur.
De plus, supprimons tout ce qui fait référence à la douleur et, de ce fait, le problème que vous avez soulevé concernant la difficulté qu'il y a à prouver le degré de douleur qu'une créature peut éprouver. Pensez-vous que ce serait préférable? Je pose cette question à tous les membres de la table ronde. Pensez-vous que nous devrions supprimer l'élément douleur?
Mme Borwein: Je pense que l'expression «pouvant ressentir la douleur» devrait être éliminée. Le mot «vertébré» est compris par les scientifiques et autres. J'aimerais également dire que le Conseil canadien de protection des animaux explique en détails comment éviter la douleur. Il a toutes sortes de choses qui ont été bien étudiées et bien expliquées. C'est là où des normes seraient très importantes. Il ne convient pas d'avoir cette expression dans la définition un peu comme un à-côté. Cela n'a rien à voir avec le projet de loi, mais vous savez parfaitement ce qu'est la douleur quand vous la ressentez. Si vous êtes anesthésié ou si vous prenez des analgésiques, vous ne ressentez pas la douleur, parce que c'est votre cerveau qui enregistre la douleur.
Nous n'allons pas nous lancer dans ce débat. Il est très complexe. Il y a une association internationale de la douleur.
Le sénateur Nolin: Êtes-vous en train de me dire, me prenant pour exemple, que mon attitude envers la douleur pourrait être différente de la vôtre?
Mme Borwein: Oui.
Le sénateur Nolin: C'est une question personnelle et par conséquent subjective.
Mme Borwein: Ça peut l'être, même pour vous, d'un moment à l'autre.
Le sénateur Nolin: Je reviens à ma question à tous les membres de la table ronde. M. Gauthier a parlé de l'affaire Ménard dans son introduction. Comme vous le savez, dans l'arrêté Ménard, le juge Lamer se sert du seuil de douleur comme élément important pour établir l'intention coupable nécessaire pour qu'il y ait infraction au code. Si nous laissions de côté l'élément de douleur et que nous disions simplement «animal», pensez-vous que cela faciliterait ce que nous essayons de réaliser? Nous sommes tous d'accord sur l'objectif de la loi, qui est de rendre les choses plus efficaces. C'est ce que nous essayons de faire.
[Français]
M. Gauthier: J'ai répondu à la même question devant le comité de la Chambre des communes lors de l'étude de ce projet de loi. J'ai personnellement aidé le ministère de la Justice à donner une définition, sauf qu'elle ne portait pas sur ce dont on s'était entendu.
La première partie de la définition selon laquelle cela inclut tous les vertébrés est claire et simple. Cela inclut également les animaux couverts par le programme du CCPA. Le CCPA va plus loin. Chez les invertébrés, on couvre également les céphalopodes — les pieuvres — qui sont utilisés à cause de leur système nerveux qui est fortement développé et accessible parce qu'il est en périphérie. Cependant, on ne couvre pas d'autres animaux. Le Royaume-Uni couvre tous les vertébrés et les céphalopodes qui sont une famille à l'intérieur des invertébrés. Ils sont utilisés régulièrement par les chercheurs à cause de l'accessibilité de leur système nerveux.
Parler des animaux qui ont la capacité de souffrir est un sujet très contentieux. Il n'y a pas de consensus au sein de la communauté, par exemple des zoologues qui étudient les invertébrés. Ils ne s'entendent pas sur quels animaux peuvent percevoir la douleur et à quel niveau. Il y a beaucoup de discussions scientifiques, mais pas de consensus.
Au sein du CCPA, j'ai vu des rapports d'une étude qui s'est échelonnée sur sept ans. Les zoologues n'ont pas réussi à s'entendre sur les invertébrés qui ressentent la douleur et à quel niveau. Il y a beaucoup de travaux scientifiques en marche, mais il n'y a pas de consensus. Parler de vertébrés, c'est sécuritaire et c'est ce que la plupart des pays font. Plusieurs provinces emboîtent le pas parce que l'utilisation des animaux en science est leur champ de juridiction.
Lorsqu'on parle d'un sujet un peu plus contentieux, comme la notion de capacité de sentir la douleur des invertébrés, c'est contentieux. C'est ce que j'ai rapporté à la Chambre des communes et c'est ce que je fais ici.
Le système du CCPA a développé cinq catégories de techniques invasives pour minimiser la peine, la détresse et la douleur pour les animaux utilisés en science. Il s'agit d'un autre élément, mais il faut y penser à deux fois avant d'inclure un qualificatif qui est très fluide à ce moment-ci dans un projet de loi. Nous ne parlons pas contre cela. Le CCPA supporte actuellement la protection de tous les animaux contre la cruauté grossière et brutale. C'est un des principes inclus dans notre mémoire et nous l'appuyons.
J'ai répondu à votre question quant à l'utilisation des qualificatifs «douleur» et «peine» comme un critère de définition des animaux couverts.
Le sénateur Nolin: On s'entend que le procureur de la Couronne qui recevra une plainte de qui que ce soit — et Mme Borwein parle de groupes qui pourraient utiliser cette nouvelle loi — aura une preuve insurmontable devant lui. Comment peut-on prouver hors de tout doute — parce que l'on n'est pas en droit civil, mais en droit criminel — qu'un être autre qu'un être humain ressente de la douleur? Comment peut-on prouver cela?
[Traduction]
Le sénateur Nolin: J'aimerais entendre les autres témoins. J'aime créer des lois, mais je veux qu'elles soient efficaces, c'est ce que je cherche à faire.
Mme Borwein: Je m'excuse, je ne connais pas suffisamment le français.
Le sénateur Nolin: Vous avez compris ma préoccupation concernant la tâche qui attendrait les procureurs de la Couronne qui devraient prouver qu'un animal invertébré comme une pieuvre souffre.
Mme Borwein: Je pensais que la définition du mot «animal» n'entrait pas en compte dans cette partie. C'est la portée qu'aurait le projet de loi. Je pense que si le projet de loi couvrait les vertébrés, ce serait très simple. Il y a des segments qui concernent la cruauté gratuite, qui peut aller au-delà de la douleur. Il peut s'agir de négligence et autres choses terribles.
Le sénateur Nolin: C'est une autre discussion, que nous avons presque eue avec le ministère de la Justice. Quels sont les avantages pour les être humains d'invoquer le droit pénal? Ce n'est pas pour ça que vous êtes ici.
Le sénateur Pearson: Je vais explorer quelque chose qui a moins à voir avec le projet de loi, bien que ça puisse être un autre domaine du droit sur lequel nous devrions nous pencher. Il s'agit de ce qu'on appelle les «défenseurs des droits des animaux». Vous avez fait beaucoup de recherches là-dessus et il semblerait que ce soit un problème réellement important. Peut-être devrions-nous mettre en place d'autres lois pour que les choses restent équilibrées. Dans le cas des laboratoires Huntingdon, on a adopté une loi interdisant les rassemblements devant le domicile des particuliers. Cela représente un gros défi à l'ère de la Charte des droits et libertés. Être obligés de se protéger contre les défenseurs des droits des animaux ne fait pas partie de nos expériences quotidiennes, pour la plupart d'entre nous. Pourriez-vous nous donner une meilleure idée des dimensions du problème pour les chercheurs?
Mme Borwein: Cette question n'est pas visée dans le projet de loi; elle concerne autre chose. Toutefois, certains gouvernements, notamment en Grande-Bretagne et aux États-Unis, examinent la question.
Il a fallu aller jusqu'à prendre des mesures semblables. D'autre part, certains chercheurs renoncent à poursuivre la recherche. Des travaux de recherche ont pris fin sous la menace. Les personnes qui font de la recherche deviennent des cibles économiques. Le problème doit être examiné. J'ignore quel genre de projet de loi il faudrait, mais je sais que des efforts ont été déployés à ce sujet. Je peux vous envoyer de la documentation. La question pose problème, et c'est pourquoi les chercheurs considèrent comme une menace toute diminution de leur capacité juridique, ou toute possibilité de poursuites privées.
Le sénateur Pearson: Les représentants du ministère de la Justice ont jugé la chose peu probable. Nous ne créons pas de nouvelles infractions, mais de nouvelles peines pour des infractions qui existent déjà. Je me demande si vous avez déjà eu l'expérience de ce genre de poursuites.
Mme Borwein: Je sais qu'il y a eu des poursuites aux États-Unis et en Grande-Bretagne.
Le sénateur Pearson: Et au Canada?
Mme Borwein: Il y a eu un cas à l'Université Western Ontario. Des poursuites privées ont été intentées, le solliciteur général n'étant pas disposé à le faire. Il y a eu des poursuites intégrales. Elles ont été très coûteuses et très exigeantes pour nous, tout en constituant une excellente occasion de relations publiques pour les extrémistes défenseurs des droits des animaux. Ils n'ont pas eu gain de cause, mais ils ont bénéficié de beaucoup de publicité gratuite.
M. Andrew R. Tasker, doyen associé, Recherche et études de deuxième cycle, Département des sciences biomédicales, Université de l'Île-du-Prince-Édouard, Collège vétérinaire de l'Atlantique: Je n'ai jamais fait l'objet de poursuites privées, mais en tant que chercheur médical je suis toujours conscient de la menace que représentent les personnes qui ont des opinions très arrêtées contre ce que je fais. Ces personnes font des déclarations à la presse, intentent parfois des poursuites malveillantes ou interprètent mal le but de mes travaux. Je crois pouvoir affirmer que c'est une préoccupation pour tous les chercheurs, tant au Canada qu'ailleurs dans le monde. C'est ce qui explique en partie les recommandations faites au comité relativement à l'adoption de normes en vertu desquelles toute utilisation d'animaux à des fins de recherche médicale, d'enseignement et d'essais doit respecter les critères éthiques et les règles d'examen les plus rigoureuses. Les règles d'examen visent non seulement les membres de la communauté scientifique mais le public aussi. De fait, les comités de protection des animaux de chaque institution participant au programme du CCPA ont reçu des demandes publiques en faveur de règles semblables. La référence à cette norme et ces règles d'examen pour évaluer la légitimité de mes travaux scientifiques et voir s'ils sont véritablement porteurs de bienfaits pour les humains ou pour les animaux devrait être suffisante. En tant que chercheur médical, je devrais me sentir protégé contre des poursuites, dans la mesure où je respecterai ces normes établies, comme l'ont reconnu le gouvernement et les tribunaux canadiens.
Le sénateur Pearson: Je vous remercie de cette clarification. J'aurais voulu vous interroger au sujet de la souris de Harvard, mais je ne le ferai pas.
Le sénateur Jaffer: Vous avez soulevé des points très intéressants qui nous donneront matière à réflexion après votre départ.
Je voudrais dissiper certains malentendus. Cette infraction ne figure pas sous la rubrique des infractions sexuelles; il s'agit plutôt d'une infraction distincte nouvelle, la cruauté envers les animaux.
Mme Borwein: Cela a été changé.
Le sénateur Jaffer: Nous nous en accommodons. Sachez, pour votre information, que nous serions plus préoccupés si cette infraction figurait sous les infractions sexuelles.
Mme Borwein: Cela a déjà été le cas, avant qu'une modification ne soit apportée à la loi.
Le sénateur Jaffer: Quand les poursuites privées ont-elles eu lieu?
Mme Borwein: Je crois que c'était en 1984.
Le sénateur Jaffer: Je sais que vous n'êtes pas juriste. Toutefois, au cours de la dernière année, le Parlement a été saisi du projet de loi C-15B, qui définit les modalités des poursuites privées. Il est maintenant difficile d'intenter ce genre de poursuites. La situation est moins préoccupante pour vous aujourd'hui qu'elle ne l'était en 1984.
Mme Borwein: C'est peut-être le cas, mais une certaine inquiétude subsiste. Nous avons consulté un éminent juriste à ce sujet, M. Earl Cherniak, qui s'était également occupé de l'affaire initiale. Il a continué de s'intéresser à la question et nous a dit que notre position n'était pas inattaquable et qu'il y avait lieu d'être préoccupé.
Le sénateur Jaffer: Tous les experts ont parlé de la douleur. J'aimerais aborder la question. Le projet de loi définit l'infraction comme le fait d'imposer, non pas de la «douleur», mais une «douleur sans nécessité»; cette expression est définie plus loin dans le projet de loi.
Je respecte beaucoup le travail que vous faites. Corrigez-moi si je me trompe, monsieur Gauthier, mais même vos directives font référence à la douleur sans nécessité et à l'absence d'excuse légitime. Ce n'est guère différent de ce que dit le projet de loi, non?
M. Gauthier: Il s'agit de termes très généraux, dont le sens n'est pas clair.
Par exemple, un membre d'un de nos comités de protection des animaux qui étudierait le protocole d'une étude sur la douleur, se ferait expliquer par les scientifiques comment ils entendent faire leur travail, ou par les vétérinaires comment ils tenteront d'atténuer la douleur. Les représentants du comité décideraient ensuite avec d'autres, en se fondant sur l'information reçue, s'il y a lieu d'approuver l'utilisation des animaux. Ils disposeraient, dans ce cas, un cadre relatif pour évaluer le sens des mots «sans nécessité». Quand il s'agit d'études et d'améliorations à la santé humaine, il est nécessaire de comprendre le processus. Il faut qu'il y ait un cadre, et notre système nous en fournit un.
Toutefois, les membres d'un jury, par exemple, n'auraient pas bénéficié de toute cette expérience. Ils devraient vraisemblablement, conformément au second volet des critères, essayer de comprendre la position de la société et définir leurs propres normes pour juger de l'affaire. Ce serait une tâche extrêmement difficile, et la loi serait appliquée de façon inégale, selon le cas ou la province.
Le premier aspect des critères comprend le mot «légitime». Dans certaines provinces, dont la Colombie-Britannique et le Québec, par exemple, ce ne serait pas légitime parce que ces provinces n'ont pas adopté de loi pour régir l'utilisation des animaux à des fins scientifiques. Toutes les provinces ont adopté une loi sur le bien-être des animaux, mais seulement six d'entre elles ont légiféré relativement à l'utilisation légitime d'animaux à des fins scientifiques. Cela constitue le premier point. On pourrait soutenir, par conséquent, que l'utilisation «légitime» n'existe pas dans ces provinces.
L'autre aspect concerne la justification des moyens utilisés compte tenu de l'objectif visé et des priorités sociales. Pour pouvoir faire ce genre d'étude, il faut disposer d'un ensemble de normes déjà reconnues. Cela exige des décisions complexes et éthiques.
Si on tente chaque fois de reconstituer un comité de protection des animaux qui ne possède pas la compétence voulue, cela rendra l'application du projet de loi difficile, sinon impossible. C'est pourquoi nous leur disons, sans pour autant restreindre leur discrétion, de fournir au moins aux tribunaux des lignes directrices utilisables et déjà établies, pour leur permettre d'interpréter le projet de loi, par exemple le mot «accessoire». J'ai expliqué brièvement qu'il y a cinq niveaux d'intrusion. Les tribunaux pourraient se référer à un cadre pour prendre leurs décisions.
Ce serait davantage nécessaire à l'étape de l'enquête si les responsables n'ont pas de lignes directrices. Le cas échéant, ils pourraient définir eux-mêmes ce qui est «nécessaire» ou «sans nécessité», construire leur cause sur cette base, puis porter des accusations. Nous voulons éviter ce genre de situation.
Même si les chercheurs ou les utilisateurs sont exonérés, ils auront probablement perdu leur entreprise avant la fin du procès, à cause de l'atteinte portée à leur réputation. Ces lignes directrices protègent non seulement les animaux mais également la bonne science, celle qui est socialement acceptable. Elles nous sont nécessaires et n'exigeraient pas un amendement au projet de loi. Nous possédons et appliquons des lignes directrices depuis déjà 34 ans, et elles sont très efficaces.
Cela contribue à relever les normes. Dans tous nos comités, partout au pays, nous comptons 2 000 personnes, dont 500 représentants publics, qui prennent des décisions éclairées sur l'utilisation éthique des animaux. Le système fonctionne. Il fournit un cadre efficace qui permet d'évaluer chaque cas.
Le sénateur Jaffer: Monsieur Gauthier, je crois comprendre que le projet de loi est valable tel quel, mais qu'il devrait y avoir des lignes directrices.
Les honorables sénateurs peuvent en faire la recommandation dans leurs observations au ministre; vous recommandez bien l'adoption de lignes directrices, n'est-ce pas?
M. Gauthier: C'est exact.
Le sénateur Jaffer: Monsieur Best, je crois comprendre que vous recommandez aussi l'adoption de lignes directrices, mais aussi le rétablissement de l'apparence de droit comme justification légale. Est-ce exact?
M. Best: C'est exact. Nous partageons l'inquiétude exprimée par tous les autres témoins, sauf erreur, au sujet du risqué de poursuites malveillantes. C'est une préoccupation majeure.
Lorsque le conseil d'administration de l'Association des universités et collèges du Canada a examiné la question, et parce que ce conseil est constitué de présidents d'universités, on leur a dit que les fonctionnaires du ministère de la Justice estimaient que ces établissements risquaient peu de faire l'objet de ce genre de poursuites. Les membres du conseil n'ont pas été convaincus. Ils craignaient fort d'être la cible de poursuites intentées à des fins de harcèlement, des poursuites malveillantes. J'ai entendu ce que vous disiez au sujet des améliorations contenues dans le projet de loi C- 15A relativement au processus de présélection.
Honorables sénateurs, nous ne sommes pas convaincus que ces améliorations éliminent les risques de poursuites malveillantes. Elles ne constituent qu'un pas dans la bonne direction. Compte tenu que certaines parties importantes du projet de loi laissent place à la subjectivité, il subsiste, à défaut de lignes directrices sur la façon de les interpréter, une véritable crainte que ces parties ne fassent l'objet d'interprétations différentes d'une juridiction à l'autre. De plus, d'après ce que j'ai compris, des accusations portées par des représentants de la loi, comme les agents de la paix ou des représentants de divers organismes comme les sociétés protectrices des animaux, sont expressément exclues des règles de présélection rigoureuse prévues dans le projet de loi C-15A.
La crainte de poursuites malveillantes ou de poursuites à des fins de harcèlement demeure vive, comme vous avez pu le constater. C'est assurément le cas parmi nos membres.
C'est pourquoi il nous paraît important qu'il y ait un lien entre les lignes directrices établies par le ministère de la Justice et celles du Conseil canadien de protection des animaux.
D'autre part, nous craignons que le projet de loi, dans sa forme actuelle, n'offre pas les protections ou les défenses dont les chercheurs peuvent se prévaloir en vertu de la loi actuelle. C'est pourquoi nous avons proposé un amendement qui conserverait au moins le contenu des exemptions prévues aux parties XI à V.I.
Le sénateur Beaudoin: Je m'intéresse à l'aspect constitutionnel de la question. Les dispositions de la loi albertaine figurent sous la rubrique de la propriété et des droits civils. Je n'en suis pas certain, mais je crois qu'il existe au moins un fondement juridique.
Au niveau fédéral, nous avons la législation pénale, qui a évidemment fait l'objet de nombreuses interprétations par les tribunaux.
Le Parlement fédéral a compétence en la matière, mais je ne pense pas que nous puissions aller plus loin.
Lorsque nous légiférons dans le domaine pénal, nous le faisons dans le cadre d'une loi et non pas d'un règlement, à moins qu'il s'agisse de détails. Un crime demeure un crime et il doit être prévu dans la loi. Qu'il s'agisse de cruauté envers les animaux ou de possession de drogues, par exemple, un crime ou un acte criminel doit, conformément au pouvoir résiduaire, reposer sur un fondement, et ce fondement est la loi pénale. Je n'ai pas d'objection à ce que la loi précise que le niveau de douleur doit être évalué, sauf s'il s'agit de préciser ce niveau. Un crime doit être défini de façon précise. Un meurtre est un meurtre. Une fraude est une fraude.
Je réagis d'instinct quand il est question de réglementation. Les règlements peuvent être modifiés par décret. Ils peuvent être modifiés par un groupe de ministres. Le Cabinet peut les modifier.
Le Parlement est habilité à adopter des lois pour punir les crimes. Un pouvoir délégué, comme celui conféré aux ministres de la Couronne, et les variantes d'une province à l'autre, dont je viens d'entendre parler, vont très loin, à mon avis. Nous avons là un problème constitutionnel à première vue.
Si vous le prévoyez dans la loi, il n'y a pas d'inconvénient. Il n'y a pas non plus d'inconvénient à donner une certaine latitude aux tribunaux. Mais c'est tout. Dans cette enceinte, les sénateurs doivent être précis.
Dois-je en déduire que vous voulez mettre en place des règlements?
M. Best: Non. En fait, il n'est pas question de mettre en place des règlements. Nous proposons l'élaboration de lignes directrices pour indiquer comment le ministre de la Justice voudrait que les agents de la paix ou les procureurs de la Couronne interprètent une partie du texte qui est relativement subjectif, à mon sens, dans certaines des dispositions du projet de loi, lorsqu'il s'agit notamment de décider si l'on va intenter ou pas des poursuites.
Il existe des précédents à la mise en place de telles lignes directrices. Nous proposons, d'ailleurs le Conseil canadien de protection des animaux le propose aussi, que ces lignes directrices fassent expressément référence aux lignes directrices du Conseil canadien de protection des animaux, pour aider les forces de l'ordre et les procureurs de la Couronne à décider à ce stade initial s'il y a lieu ou non de donner suite lorsqu'une poursuite privée a été intentée.
Le sénateur Beaudoin: Il demeure que le crime comme tel relève de la loi fédérale, du Code criminel. La procédure est fédérale. Une province peut porter des accusations. L'administration de la justice pénale peut être du ressort des provinces. Mais ce qui nous intéresse ici, ce sont les lois fédérales. La procédure et les poursuites à intenter sont certainement du ressort du Parlement.
Vous dites que le ministre peut établir des lignes directrices. Est-ce à dire qu'il peut les modifier de temps à autres, ou encore qu'elles peuvent varier d'une province à l'autre? Cela me semble aller assez loin. Je crois que le tribunal pourrait aisément en venir à la conclusion que, puisque la compétence du Parlement s'appuie sur le droit pénal, les infractions criminelles ou les crimes, si l'on veut, peuvent être définies dans la loi.
Vos lignes directrices m'inquiètent quelque peu. Qui les rédigera? Est-ce que ce sera le ministre, ou encore le sous- ministre?
M. Gauthier: Sénateur, il existe effectivement des précédents qui sont parallèles à ce que nous voulons faire. En collaboration avec les gouvernements provinciaux, Justice Canada a publié des lignes directrices sur le harcèlement criminel à l'intention de la police et des procureurs de la Couronne. Ces lignes directrices ont été intégrées au Code criminel en 1995. Elles ont été publiées en 1999 et elles ont été élaborées de façon à répondre aux besoins de la police et des procureurs de la Couronne, pour les aider dans l'application efficace des dispositions prévues dans le Code criminel au sujet du harcèlement criminel.
Le sénateur Beaudoin: Ces dispositions ont-elles jamais été contestées devant les tribunaux?
M. Gauthier: Je ne suis pas juriste, sénateur. À ce stade, je ne crois pas qu'elles aient été contestées.
[Français]
Le sénateur Nolin: Il s'agit d'un crime très complexe. Il y a deux mens rea d'impliquées dans cette loi. Il y a deux états d'esprit, qui sont à la fois celui de la victime et celui de l'accusé. C'est un crime très complexe. Nous avons été invités à le simplifier, mais nous n'avons pas réussi.
[Traduction]
Le sénateur Beaudoin: Je cherche à élever le débat, de manière générale. Vous nous dites que nous avons essayé, mais que nous n'avons pas réussi?
[Français]
Le sénateur Nolin: Monsieur Gauthier a mentionné que des directives ont été envoyées aux procureurs de la Couronne et aux policiers qui ont à mettre en œuvre cette loi. Finalement, ce sont un peu comme des bulletins d'interprétation du ministère du Revenu en matière d'impôt.
[Traduction]
Le sénateur Beaudoin: Si ces lignes directrices ne concernaient que l'accusation comme telle et la façon de procéder, je n'y verrais pas d'inconvénient. Je n'y vois pas d'inconvénient.
[Français]
Le sénateur Nolin: C'est ce dont il s'agit.
[Traduction]
Le sénateur Beaudoin: La difficulté que je vois concerne le fond. Je ne crois pas que les lignes directrices dont vous parlez doivent varier d'une province à l'autre. Car nous aurions alors une loi bancale. Toutefois, si cela ne concerne que la façon de procéder dont les procureurs de la Couronne et les administrateurs provinciaux doivent procéder dans la pratique, alors j'estime que c'est une autre paire de manches. Je ne verrais pas d'inconvénient à ce que l'on procède avec l'accord des provinces. Mais, si c'est un problème de fond, j'émets alors de sérieuses réserves.
C'est comme dans le cas de l'évaluation de la douleur. Je reconnais que ce peut être difficile. Mais, ce n'est pas parce que c'est difficile que nous devrions mettre la question de côté. Ce n'est pas la première fois que nous avons de la difficulté à définir un acte criminel comme tel. Parfois, c'est difficile.
Je me souviens de la fois où, dans l'un de nos comités, nous nous sommes penchés pendant deux jours sur la question du meurtre par compassion. Nous avons renoncé à régler la question faute de temps. Mais il nous faudra nous y résoudre un de ces jours. Je l'ai toujours dit. Nous serons amenés à le faire.
M. Tasker: Sénateur, je ne suis pas juriste, moi non plus. De toute évidence, votre expertise porte sur un domaine différent du mien.
Mais, pour ce qui concerne la question de l'interprétation d'une administration à l'autre, si l'on applique les lignes directrices bien connues du Conseil canadien de protection des animaux, elles le seront, en fait, dans le cadre d'un programme national. Il s'agit d'un programme auquel participeront volontairement toutes les universités effectuant des expériences avec des animaux et de la recherche médicale. Voilà pourquoi il ne s'agit pas que d'une norme nationale, mais bien d'une norme que l'ensemble des chercheurs médicaux du Canada comprennent. Il s'agit d'une norme à laquelle nous sommes habitués. Nous savons quelles règles s'inscrivent dans le droit fil des lignes directrices établies par le Conseil canadien de protection des animaux. Pour que je puisse effectuer des recherches médicales, pour que n'importe lequel des chercheurs dans mon établissement puissent effectuer des recherches médicales sur des animaux, nous devons adhérer aux lignes directrices établies et régulièrement actualisées par le Conseil canadien de protection des animaux.
Nous comprenons ces lignes directrices. Nous reconnaissons que les protections mises en place s'appuient sur des avis d'experts et des consultations publiques et que ce sont là les règles à respecter. En fait, nous affirmons essentiellement que, si nous nous voulons effectuer des recherches qui sont de bonne foi, des recherches offrant un potentiel bénéfique substantiel pour les humains et les animaux, conformément aux lignes directrices préconisées par le Conseil canadien de protection des animaux, alors nous acceptons que ce soient ces règles qui nous guident. Au niveau des différentes administrations, dans différentes régions du pays et à différents niveaux d'expertise, ces lignes directrices font disparaître la possibilité que des interprétations différentes soient faites de ce qui doit être considéré comme une intervention inutile, une utilisation inutile des animaux et de la douleur ou des souffrances inutiles.
Mme Patricia Kosseim, conseillère principale en matière d'éthique, Instituts de recherche en santé du Canada: Monsieur le président, malheureusement, je suis juriste et je n'ai pas donc pas d'excuse pour éluder la question.
Les lignes directrices proposées par le Conseil canadien de protection des animaux constituent un mécanisme novateur et complémentaire qui s'inscrit dans le droit fil de ce projet de loi. Si l'on se fie aux précédents en la matière, force nous est de constater que l'effort mené est bien le fruit d'une collaboration fédérale, provinciale et territoriale. Il s'agit d'un effort concerté qui a débouché sur la ratification de ces lignes directrices. Tous les ministres de la Justice les ont adoptées.
En fait, il s'agit d'un moyen inédit et non législatif qui nous permet d'harmoniser la norme. Même dans les provinces où la norme n'est pas reflétée dans la loi, il existe un accord national général qui constitue une norme commune. Je crois que si les autorités fédérales, provinciales et territoriales font toutes l'effort concerté de s'appuyer sur les lignes directrices du Conseil canadien de protection des animaux, l'application de ces directives ne sera pas sujette à variation. En fait, je pense même qu'on en viendrait à comprendre, dans toutes les administrations visées, que les normes préconisées par le Conseil sont de portée nationale.
Par conséquent, à la condition que toutes les administrations s'accordent entre elles, de telles lignes directrices contribueraient à l'harmonisation de la norme et faciliteraient la mise en œuvre des différentes dispositions.
Le sénateur Beaudoin: Que faire du Québec et du Code civil, si cette norme devient d'application courante ou commune?
Mme Kosseim: Par commune, vous entendez qu'elle refléterait la norme générale?
Le sénateur Beaudoin: La norme canadienne.
Mme Kosseim: Je ne sais pas si le Québec a officiellement fait siennes les normes du Conseil canadien de protection des animaux. Quoi qu'il en soit, ce serait la «personne raisonnable», au Québec, qui exigerait de savoir quelle est la norme raisonnable.
Le sénateur Joyal: Ma première question concerne les définitions données dans le projet de loi. Comme vous le savez, l'article 182.1 précise que le mot «animal» s'entend de tout vertébré, à l'exception de l'être humain et de tout autre animal pouvant ressentir de la douleur.
Le deuxième élément de la définition, soit tout autre animal pouvant ressentir la douleur, a soulevé mon inquiétude. Dans la Loi sur la protection des animaux de l'Alberta, le terme «animal» est défini dans un très large contexte. L'article 11 de cette loi indique que l'être humain n'est pas considéré comme un animal. C'est une définition très générale.
J'ai cru comprendre que le ministère de la Justice vous a consulté au sujet des divers aspects liés à l'amélioration ou à la modification du projet de loi sur la cruauté envers les animaux. Est-ce juste?
M. Gauthier: Oui, le ministère de la Justice a consulté le conseil à ce sujet au début de 1999.
Le sénateur Joyal: La définition apparaissant dans le projet de loi a-t-elle fait l'objet des consultations, ou en avez- vous eu connaissance seulement à la lecture du projet de loi?
M. Gauthier: Ce n'est qu'en lisant le projet de loi que j'ai su ce qu'on avait retenu de nos discussions. Le conseil s'était prononcé en faveur de la première partie de la définition, soit celle qui définit l'animal comme tout vertébré.
Il a aussi mentionné qu'il incluait les céphalopodes, des invertébrés, au nombre des espèces visées par ses directives, ses règlements et son programme, mais eux seulement. Les chercheurs les utilisent en raison de leur système nerveux facilement accessible et très développé. Le Royaume-Uni a fait la même chose. Ce sont les seuls invertébrés que nous avons inclus dans notre programme.
J'ai bien peur que les fonctionnaires du ministère de la Justice se soient fondés sur notre raisonnement pour ajouter à la définition l'élément que vous avez mentionné, soit «tout autre animal pouvant ressentir la douleur». Lorsque j'ai comparu pour les mêmes raisons devant le comité permanent de la Chambre des communes, j'ai dit que le CCPA avait mené une étude auprès des zoologistes pendant une période de sept ans, afin de déterminer, entre autres choses, s'il y avait consensus parmi eux au sujet des espèces invertébrées capables de ressentir la douleur, et lesquelles d'entre elles pouvaient être incluses dans notre programme. Nous n'avons pas réussi à dégager un consensus.
On s'est aussi vite rendu compte, dans des discussions à l'extérieur du Canada, que les scientifiques du monde entier ne s'entendent pas sur les espèces d'invertébrés qui ressentent de la douleur, et dans quelle mesure. On possède très peu de connaissances à ce sujet, en tout cas rien de comparable à ce que l'on sait à propos des vertébrés. J'en ai aussi informé la Chambre des communes. Ce qui est parfaitement clair, c'est que notre définition d'un animal comprend tous les vertébrés.
Nous incluons dans cette définition une seule espèce d'invertébrés, mais toutes les autres espèces d'invertébrés sont matière à discussion. Deux zoologistes pourraient avoir des opinions différentes sur une espèce en particulier.
Le sénateur Joyal: En d'autres termes, un des éléments de la définition qu'on nous demande d'inscrire dans la loi représente une zone grise au plan scientifique. Ai-je raison de dire cela, ou est-ce que je vais un peu trop loin?
M. Gauthier: Nous n'avons pas soulevé ce point dans notre mémoire, mais il s'agit bien d'une réalité au plan scientifique.
M. Tasker: Le sénateur Nolin a abordé cette question un peu plus tôt. Vous avez raison, il s'agit effectivement d'une zone grise. Au lieu de parler de douleur, les chercheurs dans le domaine médical utilisent habituellement le terme «nociception» pour désigner la perception de stimulations extérieures nocives. Si nous faisons cette distinction, c'est parce que la douleur est une évaluation subjective intérieure d'un ensemble de situations. C'est la raison pour laquelle certaines personnes autour de cette table pourraient trouver douloureux un stimulus quelconque, tandis que d'autres pourraient simplement le trouver contrariant. Nous faisons de ce stimulus une évaluation subjective.
En fait, il existe de très rares états pathologiques, néanmoins très bien documentés, où l'être humain ne peut percevoir la douleur. Si c'est aussi le cas de toutes les autres espèces qui nous intéressent, surtout celles qui sont incapables d'exprimer ce qu'elles ressentent par des moyens que nous comprenons, il devient très difficile de déterminer ce qui est douloureux et ce qui ne l'est pas.
Si je puis me permettre une courte digression, je vous dirai que c'est un point sur lequel on s'est penché très sérieusement il y a un certain nombre d'années, en ce qui a trait notamment aux enfants au stade préverbal. Il était généralement admis dans certains milieux que, faute d'obtenir de leur part une réaction cohérente à une situation douloureuse, on doit conclure que les bébés ne ressentent pas la douleur. On a évidemment changé d'avis depuis, puisque l'on a trouvé d'autres moyens de mesurer la capacité des bébés à ressentir la douleur.
Chez les autres espèces, il est très difficile de faire cette évaluation.
Par conséquent, le CCPA a pris pour parti que si les fonctions neuronales élémentaires qui permettent une évaluation intégrée des différents stimulis nuisibles peuvent assurer une certaine forme de perception de la douleur, alors il existe une possibilité raisonnable que l'animal puisse ressentir la douleur. Je m'excuse si ces explications sont un peu techniques. Cela signifie en gros qu'il nous faut être prudents, parce que nous ne savons pas au juste quels animaux sont sensibles à la douleur, et quels animaux ne le sont pas. Il faut cependant reconnaître que, pour qu'un animal puisse ressentir la douleur, il doit disposer d'un système nerveux intégré et être soumis à une série d'événements, de contextes, de milieux et de stimuli différents. D'où la définition que je viens de donner, laquelle, nous en sommes passablement convaincus, s'applique à toutes les espèces de vertébrés. Nous sommes aussi raisonnablement convaincus qu'elle s'applique également à des vertébrés plus évolués, tels que les céphalopodes, c'est-à-dire les pieuvres, les calmars et ce genre de choses. Nos n'avons aucune certitude à propos des autres espèces d'invertébrés.
Mme Borwein: Je crois qu'il est nécessaire de dire que les animaux unicellulaires et les méduses sont inclus dans la définition d'un «animal». Les organismes qui n'ont pas de système nerveux intégré ne sont pas pourvus d'une grappe de cellules nerveuses réunies pour former un cerveau. C'est une situation très délicate.
Le sénateur Nolin: Vous allez devoir élaborer sur le sens du mot «délicate». Ces organismes réagissent-ils à un stimulus?
Mme Borwein: Réagir à un stimulus est une chose différente de ressentir de la douleur. Pour pouvoir survivre, tous les animaux doivent être sensibles à leur environnement et avoir ce qu'on appelle un «comportement d'évitement», c'est-à-dire la capacité de s'éloigner de situations dangereuses. Cela n'a rien à voir avec la douleur. Par «délicate», j'entends vague, inconnue, litigieuse et difficile à définir.
Le sénateur Joyal: Je ne veux pas prendre trop de votre temps. Je n'ai pas l'intention de vous faire dire des choses, mais je crois qu'on a bien fait valoir le fait qu'un des éléments de la définition est incertain, au point de vue de la science. Il est certain qu'il m'apparaît difficile de rendre ce projet de loi aussi clair que possible, surtout au plan scientifique, en raison des recherches qui sont toujours en cours sur les animaux.
Mon autre question a trait au Manuel sur le soin des animaux. En avez-vous une copie?
M. Gauthier: Non. Le manuel se trouve au volume 1 des Lignes directrices du CCPA. Nous serions ravis de vous en fournir une copie.
Le sénateur Joyal: J'aimerais qu'on en fasse circuler une copie parmi tous les honorables sénateurs, parce que j'estime qu'il s'agit d'un élément important que ne connaît pas très bien la population canadienne. Les chercheurs observent un certain code d'éthique pour leurs recherches sur les animaux. À mon avis, il deviendra de plus en plus important que ce soit reconnu clairement dans la loi. Comme il a été indiqué précédemment, les normes concernant l'usage des animaux dans les recherches évoluent, au Canada comme partout ailleurs dans le monde occidental. C'est une chose importante. J'ai été frappé d'apprendre la semaine dernière à la télé que le code génétique de la souris est celui qui ressemble le plus à celui d'un être humain. Les scientifiques ont finalement réussi à décomposer le code de l'AND d'une souris. On utilise probablement à l'heure actuelle environ 25 millions de souris dans les laboratoires de recherche du monde entier. Il y a évidemment des gens un peu partout qui défendent la cause des souris. Je n'ai rien contre cela personnellement, car chacun a une cause à défendre. Cependant, je pense que la recherche sur les souris, en rapport avec les êtres humains, présentera un intérêt renouvelé. Comme vous l'avez dit, il s'agit d'une question d'équilibre.
J'accepte sans hésiter qu'un animal soit soumis à des contraintes et à la douleur, si c'est dans le but d'accroître nos connaissances par la recherche scientifique et médicale. La norme en évolution liée à ce projet de loi est une sensibilisation accrue au besoin de traiter les animaux sans cruauté. Les animaux ne sont pas des êtres humains. Néanmoins, le présent projet de loi fait une chose assez particulière: il retire les animaux de la liste des biens matériels et les classe dans une catégorie différente. Je crois que Mme Borwein l'a mentionné dans son exposé. Il est important que le Manuel sur le soin des animaux fasse partie des normes que doivent examiner les tribunaux afin de déterminer si telle ou telle pratique est acceptable ou non.
J'aime bien la Loi sur la protection des animaux de l'Alberta, notamment le paragraphe 2(2), qui interdit de faire souffrir des animaux. Le paragraphe (1) précise que nul ne doit faire en sorte ou permettre qu'un animal qu'il possède ou dont il est généralement responsable souffre ou continuer de souffrir, sauf si la souffrance découle d'une activité menée conformément aux pratiques raisonnables et généralement admises de gestion, d'élevage ou d'abattage des animaux.
J'aime ce paragraphe parce qu'il nous fournit un critère: le critère de la pratique. On pourrait fort bien y ajouter quelque chose comme «selon la pratique généralement admise de gestion des animaux dans les milieux scientifiques et de la recherche». Votre Manuel sur le soin des animaux pourrait ensuite servir à définir la norme concernant ce que l'honorable sénateur Adams a appelé «la pratique généralement admise en ce qui a trait aux méthodes traditionnelles de chasse et de pêche sur les territoires autochtones». La collectivité elle-même suivrait les normes et les mettrait à exécution, et il en serait de même des Autochtones. Je déplore l'absence dans ce projet de loi d'un cadre précis qui permettrait de déterminer comment les diverses communautés faisant usage des animaux définissent normalement leur pratique éthique et reconnue.
Quand, dans le mémoire de l'AUCC, on propose de se reporter au Manuel sur le soin des animaux, je pense qu'on entend par là «les pratiques normales et raisonnables suivies dans les milieux scientiques et de la recherche». Cela ne devrait peut-être pas être indiqué de façon aussi précise, puisque le manuel peut évoluer. Comme vous l'avez dit vous- même, vous avez inclus dans le manuel une espèce d'invertébrés qui méritait d'être incluse, selon vous.
Il me semble que le projet de loi présenterait ainsi suffisamment de souplesse pour protéger et reconnaître les pratiques des milieux scientifiques et celles des peuples autochtones, ce qui, je crois, inquiète bon nombre des personnes réunies autour de cette table.
M. Best: Il m'apparaît effectivement qu'un changement de cette nature irait dans le sens de nos recommandations, sans écarter le besoin d'adopter le genre de lignes directrices que nous réclamons, afin de préciser les normes observées dans le milieu de la recherche, auxquelles le CCPA a travaillé pendant plus de 30 ans. Ce serait un changement logique.
Nous n'avons pas encore préconisé pareil changement. Au début du processus, lorsque le projet de loi a été présenté pour la première fois au Parlement, nous avions songé à un tel changement et nous avions discuté ouvertement d'un amendement qui ferait état des lignes directrices du CCPA, ou du moins de leur existence.
Cela ne pouvait aller à l'encontre de la position que nous avions prise.
Mais nous avions reculé à ce moment-là. Tout au long du processus, nous avons constaté une réticence réelle à accepter un tel changement. À tout le moins, il faudrait que le ministère de la Justice fasse part aux procureurs et à la police des normes appliquées dans le domaine de la recherche et de l'existence des lignes directrices. C'est un processus rigoureux qu'observent les universités.
Si des poursuites privées étaient intentées, la police et les procureurs devraient se demander en premier lieu si la recherche en question a été menée en accord avec ces lignes directrices. Le cas échéant, ils devraient longuement peser leur décision quant à la poursuite de la procédure judiciaire.
Il nous apparaît extrêmement important que, partout au pays, les policiers et les procureurs savent que ces lignes directrices existent et qu'ils devraient les respecter. S'il faut pour cela amender le projet de loi, alors je suis certainement d'accord. Cependant, nous devons au moins avoir l'assurance que les lignes directrices seront fournies à la police et aux procureurs, et c'est pourquoi nous demandons au comité d'obtenir une assurance dans ce sens.
Le sénateur Baker: Le sénateur Beaudoin a soulevé un point intéressant. J'ai une question à ce sujet.
Les procureurs de la Couronne disposent d'un manuel des politiques et des lignes directrices. La dernière fois qu'on a modifié le Code criminel, c'est lorsqu'on a ajouté des dispositions plus strictes à l'article 234 concernant la conduite avec facultés affaiblies. À la seconde infraction, le contrevenant se voit maintenant imposer une peine de prison, et la peine augmente à chaque nouvelle infraction.
Il n'est indiqué nulle part dans le Code criminel combien de temps doit s'écouler entre les infractions pour qu'on puisse parler d'une seconde infraction. Des instructions ont été fournies à ce sujet aux procureurs. Vous constaterez probablement qu'il s'agit de cinq ans dans chaque province. Autrement dit, les procureurs ont reçu instruction que, si une période d'au moins cinq ans s'est écoulée entre la première et la seconde arrestation, celle-ci ne devrait pas entraîner l'imposition de la peine prévue dans le cas d'une seconde arrestation.
Lorsque la personne est reconnue coupable et que première arrestation est survenue 10 ans plus tôt, on remplit un rapport. Comme vous le savez, quand une personne est reconnue coupable, le juge demande au procureur de la Couronne si cette personne a déjà commis une infraction. Le procureur fonde sa réponse sur certaines lignes directrices.
Le procureur de la Couronne agit donc à sa discrétion. Au cours des dernières années, combien de juges ont mis en doute le fait qu'un procureur de la Couronne puisse exercer le droit criminel en se fondant sur une ligne directrice?
On tente de déterminer le point où, dans la salle du tribunal, le juge s'interroge sur le sens de la loi. Quelles étaient les lignes directrices prévues lorsque le Parlement a adopté la loi?
L'un des points de référence utilisés le plus souvent par les juges est le résumé de l'étude d'impact de la réglementation qui accompagne le règlement. L'autre est la déclaration du ministre à la deuxième lecture ou, comme l'a indiqué le sénateur Beaudoin, à la deuxième lecture.
Souhaitez-vous voir cela inclus dans le manuel du procureur, comme ce fut le cas dans le passé? Il m'arrive de lire certaines causes, et les tribunaux éprouvent des difficultés avec cela.
Le sénateur Joyal a peut-être raison de dire qu'il faut faire quelque chose dans le Code criminel ou que le ministre doit indiquer très clairement l'objet des mesures législatives proposées, eu égard aux articles mentionnés, lorsqu'elles seront publiées dans la Gazette du Canada.
Envisageriez-vous cela comme une solution? Seriez-vous d'accord pour qu'on recommande au ministre de préciser l'objet des mesures législatives proposées? Nous renverrions alors le projet de loi à la Chambre des communes et peut- être que nous tiendrions une audience avec le ministre de la Justice pour qu'il nous indique l'objet du projet de loi.
Je ne crois pas que vous ayez voulu dire qu'il faille ajouter quoi que ce soit au manuel du procureur. Comme vous l'avez mentionné il y a un moment, vous voudriez qu'on essaie de démontrer l'intention du Parlement de suivre ces lignes directrices.
Mme Kosseim: Le précédent auquel on a fait allusion en ce qui a trait aux dispositions en matière de harcèlement criminel faisait état de lignes directrices reconnues par les ministres de la Justice fédéral, provinciaux et territoriaux. Voilà un éclaircissement concernant l'exemple que nous avons soulevé.
Je pense que d'autres éclaircissements s'imposent pour aider les procureurs à déterminer si une affaire relève du domaine criminel. Les lignes directrices définiraient la norme à suivre. Il n'appartiendrait pas aux procureurs de décider de l'interprétation à donner à ces dispositions. Il s'agirait d'un renvoi aux lignes directrices du CCPA, qui sont nationalement...
Le sénateur Baker: Où ce renvoi serait-il fait? Où se trouveraient les lignes directrices?
Mme Kosseim: Dans les lignes directrices fournies aux diverses autorités appelées à interpréter les dispositions relatives aux infractions, on ferait à tout le moins mention de l'existence des lignes directrices du CCPA et du fait qu'elles sont reconnues à l'échelle nationale et internationale comme une norme raisonnable pour le soin et l'utilisation des animaux d'expérimentation.
De cette façon, les lignes directrices continueraient d'évoluer. Elles ne seraient pas figées dans le temps. Nous disposerions d'un mécanisme créatif, non fixé dans la loi, pour porter les lignes directrices à l'attention des tribunaux et des procureurs. Ce serait une façon de créer une référence judiciaire à ces lignes directrices, sans qu'il faille pour autant apporter une modification législative ou réglementaire.
J'ai indiqué précédemment que c'est là un mécanisme créatif que le comité voudrait peut-être envisager.
Le sénateur Baker: Les lignes directrices ne figureraient pas nécessairement dans le manuel du procureur.
Le sénateur Joyal: Je ne sais pas si vous avez une copie du projet de loi, mais j'aimerais que vous mettiez côte à côte sur la table les pages 2 et 3. Le paragraphe 182.2(1) précise ce qui suit:
Commet une infraction quiconque, volontairement ou sans se soucier des conséquences de son acte:
cause à un animal ou, s'il en est le propriétaire, permet que lui soit causée une douleur, souffrance ou blessure, sans nécessité;
Le paragraphe 182.3(2) ajoute ce qui suit:
Pour l'application du paragraphe (1), «par négligence» s'entend d'un comportement qui s'écarte de façon marquée du comportement normal qu'une personne prudente adopterait.
J'aime qu'on précise le sens de l'expression «par négligence». Le problème, c'est qu'on n'a pas défini ce qu'est une «douleur causée sans nécessité». J'aimerais qu'on ajoute à l'article 182.2 qu'on n'entend pas par là les douleurs découlant d'une activité menée en accord avec les pratiques raisonnables et généralement admises de gestion et d'élevage des animaux dans les milieux scientifiques et de la recherche.
Autrement dit, on ajouterait un bémol à la notion de «douleur causée sans nécessité», de la même façon qu'on décrit la négligence comme un comportement qu'une personne raisonnable éviterait d'adopter dans les circonstances. Il faut juger s'il y a eu «douleur causée sans nécessité» en fonction des normes du milieu où se trouve l'animal. Cela pourrait aider à apaiser certaines inquiétudes exprimées par les milieux scientifiques et les communautés autochtones, parce que les normes communautaires seraient celles que l'on utiliserait pour déterminer si la douleur a été causée sans nécessité. Je crois qu'il y a une différence dans ce projet de loi entre l'infraction de négligence et celle d'avoir causé de la douleur sans nécessité.
Je propose cela, monsieur le président, pour mieux définir cette notion de douleur causée sans nécessité. On veut protéger les animaux. Je n'ai rien contre cette idée, mais on ne voudrait pas prendre des mesures qui ne seraient pas conformes à l'éthique des milieux scientifiques et de la recherche, ni aux normes des Autochtones. Ce pourrait être un moyen de répondre correctement à ces préoccupations, sans atténuer l'impact du projet de loi.
Comme le sénateur Baker l'a indiqué, nous essayons d'attirer l'attention du ministre sur le dossier. Ses intentions sont bonnes, mais il est préférable d'utiliser les normes du milieu comme critère dans les poursuites, parce qu'on peut les démontrer devant les tribunaux. Par exemple, des scientifiques peuvent comparaître en cour pour décrire la pratique du milieu, alors que les Autochtones peuvent expliquer que telle pratique représente la façon dont ils chassent ou ils pêchent depuis 100 ans. Voilà qui ajoute un élément d'objectivité. Pour ce qui a trait aux intentions du ministre, comme dirait ma mère, le chemin de l'enfer est pavé de bonnes intentions.
Le sénateur Cools: Nous apprenons de ces universitaires qu'il nous faut procéder lentement et prudemment, parce que certaines des dispositions contenues dans le projet de loi ne sont pas aussi claires que nous avons été portés à le croire.
Je dois dire aux témoins à quel point je suis sensible à une grande partie du travail qu'ils accomplissent, parce qu'à une époque de ma vie, des membres de ma famille voulaient que je devienne une scientifique. Lorsque j'étais très jeune, bien des gens croyaient que j'aurais dû faire une scientifique, car j'ai beaucoup travaillé avec des personnes qui effectuaient des expériences avec des animaux. J'ai personnellement assisté à de nombreuses opérations pratiquées sur des chiens.
Nous devons être bien sûrs de ce que nous faisons, car l'un des principes de l'adoption d'une loi pénale consiste à s'assurer que celle-ci vise bien l'infraction qu'elle tente de réprimer et qu'elle ne s'attaque pas à de nombreux autres innocents ou ne crée pas d'autres problèmes en cours de route. Sa cible doit être définie avec précision.
J'ai beaucoup de respect pour tout ce que vous avez dit, mais j'ai une question qui a trait à la propriété. Nous sommes tous des créatures de Dieu. On a toujours traité les animaux comme des biens. Dans sa forme actuelle, le projet de loi renferme de nombreuses contradictions. Il me semble qu'il confond certains principes.
Ma question porte sur les enfants à naître. La définition que l'on trouve au début du projet de loi est la suivante:
[...] «animal» s'entend de tout vertébré — à l'exception de l'être humain — et de tout autre animal pouvant ressentir la douleur.
À mon avis, cette définition est inadéquate et redondante.
Les fœtus qui sont tués après sept ou huit mois de gestation peuvent-ils ressentir de la douleur et sont-ils considérés comme des «animaux» aux termes de ce projet de loi? C'est une chose dont nous ne parlons pas dans notre société et c'est là une raison de plus pour soulever la question.
J'ai fait beaucoup d'études sur les débuts de la protection de l'enfance, tant ici qu'en Europe. Il y avait à ce moment- là des gens qui se promenaient et recueillaient les bébés et les enfants qui avaient été abandonnés. J'ai déjà lu quelque part qu'au cours des années 1890, une personne avait compté près de 700 «oursins de la rue» comme ils les appelaient à ce moment-là, recueillis dans les rues de Toronto au cours d'une seule nuit.
Il n'y a pas beaucoup de gens qui savent que les premiers mouvements pour la protection des enfants étaient reliés aux mouvements pour la protection des animaux. À une certaine période de ma vie, j'ai beaucoup lu à ce sujet. Certains de ceux qui s'inquiétaient de voir des enfants dormir dans la rue se préoccupaient également de voir les chevaux risquer de s'effondrer et de mourir dans les rues en raison des lourds fardeaux qu'ils avaient à traîner.
Je me suis toujours intéressée au lien entre la protection des enfants et la protection des animaux tel qu'il a été établi par le passé. Il y a un grand nombre de gens dans ce pays qui se disent très préoccupés du sort des enfants à naître. Toutefois, beaucoup d'autres sont d'avis qu'il s'agit là d'une préoccupation ridicule. Je ne fais pas partie de ce groupe.
Certains d'entre vous sont des scientifiques très compétents. Je crois que nous avons tous une assez bonne connaissance des sciences pour savoir que cette définition est formulée de façon très subjective et qu'elle est déplorablement inadéquate. Toutefois, j'aimerais savoir si certains d'entre vous ont une opinion sur cette définition telle qu'elle est rédigée. Si vous n'en avez pas, ou si vous voulez prendre plus de temps pour y réfléchir, je peux le comprendre et je serai heureuse d'entendre vos commentaires à ce sujet plus tard.
Un fœtus de huit mois est-il visé par cette définition? Le Code criminel précise à quoi correspond un être humain, c'est-à-dire fondamentalement à un enfant né vivant.
Tôt ou tard, il faudra faire face à cet important défi éthique.
Mme Borwein: J'aimerais faire un bref commentaire à ce sujet. Les enfants peuvent maintenant naître et survivre après 25 ou 26 semaines de gestation. J'ai moi-même des petits-enfants, des jumeaux, qui sont nés après 26 semaines et grâce aux grandes compétences du personnel médical et à l'avancement de la recherche dans le domaine médical, ils s'en sont fort bien tirés. Il ne fait aucun doute non plus que les êtres humains développement un système nerveux très complexe. Je le souligne en passant.
J'aimerais également souligner qu'en lisant le projet de loi, je me suis aperçue que bien qu'on ait retiré les dispositions sur les animaux de la partie portant sur les biens, il est souvent fait mention des «propriétaires» et du fait de «posséder», ce qui démontre bien que le concept existe toujours.
Le sénateur Cools: Nous devrons nous pencher sur cette question. Je parle du «soi-disant» projet de loi C-10B parce que je ne suis pas certaine que nous soyons réellement saisis d'un projet de loi. Toutefois, certaines parties du projet de loi semblent faire passer certains animaux à un statut plus élevé que celui de propriété, alors qu'en d'autres endroits du même projet de loi, on parle clairement des «propriétaires».
Nous savons tous que les choses que nous possédons font partie de nos biens. Nous ne pouvons pas être propriétaires d'un être humain par exemple. Nous pouvons toutefois être propriétaires d'un animal. Il y a plusieurs propriétaires d'animaux autour de cette table. Toutefois, nous devrons préciser l'incohérence de ce que j'appellerais le cadre conceptuel de ce projet de loi. Je parle d'un cadre conceptuel incohérent puisqu'il y a d'autres endroits dans le projet de loi où l'on parle de garde et de contrôle des animaux. Dans ce cas, les termes «garde» et «contrôle» tiennent sans contredit du langage humain.
Pour en revenir au développement des êtres humains, vous dites qu'à 26 semaines, un fœtus a déjà un système très développé.
Mme Borwein: Oui.
Le sénateur Cools: Je tentais tout simplement de voir si je pouvais obtenir une réponse à la question portant sur cette disposition précise du projet de loi. Si vous désirez y réfléchir un peu, je comprends que ce projet de loi porte sur un sujet plutôt explosif.
Le président: Sénateur Cools, nous pourrions peut-être prendre un moment pour voir si l'un ou l'autre des témoins aurait quelque chose à dire à ce sujet. Dans la négative, nous pourrons tout simplement passer à d'autre chose. Aviez- vous une autre question à poser?
Le sénateur Cools: Ce pourrait être intéressant. Nous n'avons pas souvent un groupe d'experts aussi éminents réunis devant nous.
Le président: Quelqu'un aurait-il des commentaires à formuler à ce sujet?
M. Gauthier: J'aimerais obtenir des précisions sur la question qui a été posée.
Madame le sénateur se préoccupe-t-elle de la possibilité qu'un fœtus puisse être considéré comme un animal?
Le sénateur Cools: Je serais très heureuse si c'était le cas. Aux termes de la mesure proposée, il jouirait à tout le moins d'une certaine protection. J'en serais très heureuse. Je crois que bon nombre de gens en seraient heureux. Bon nombre de gens commencent à se poser de nombreuses questions à ce sujet.
Toutefois, je me demandais si, théoriquement et légalement, selon la formulation actuelle, les enfants à naître jouiraient de la même protection qu'un animal.
Mme Borwein: Si je comprends bien, le projet de loi est conçu de façon à traiter de la cruauté envers les animaux. Je crois que dans le cercle étendu des zoologistes et dans le monde en général, le mot «animal» ne s'applique pas aux êtres humains.
Le sénateur Cools: Vous avez raison.
Mme Borwein: C'est dans ce contexte que les choses sont présentées. Pour élaborer sur la notion de la propriété dont vous avez parlé, une personne peut acheter un chien d'un éleveur et décider par la suite de le revendre. Cela nous présente une façon bien différente de voir les choses. Une personne qui est trop pauvre pour s'occuper de l'animal, qui doit déménager ou qui a tout autre empêchement peut emmener le chien dans une fourrière pour le revendre ou le faire endormir. On ne peut pas faire cela avec grand-mère, aussi pénible soit-elle à garder.
C'est une différence importante dans l'optique de l'éthique portant sur les êtres humains.
Le sénateur Cools: Je suis tout à fait d'accord avec cela. Je suis toutefois d'avis que ce projet de loi n'a pas fait l'objet de suffisamment de réflexion avant d'être rédigé.
[Français]
Le sénateur Nolin: J'aimerais comprendre l'un de vos grands principes. À la page 7, de votre mémoire, les dernier paragraphe, il est écrit:
II. La prévention de la cruauté à l'égard des animaux doués de sensations[...]
Compte tenu des témoignages que nous avons entendus tantôt, cette phrase est beaucoup plus large que seulement la douleur, c'est la sensibilité d'un être.
Je me réfère aussi à votre au principe IV où vous appuyez la protection de tous les animaux, pourquoi s'en tenir qu'aux vertébrés? Vous donnez au procureur de la Couronne le fardeau à peu près insurmontable de définir le seuil de douleur acceptable ou non acceptable. Pourquoi ne pas dire «tous les animaux à l'exclusion des êtres humains»?
Je vous pose la question autrement: Quelle sorte d'animaux utilise-t-on chez vos membres? Les rats et les souris, cela va. Utilise-t-on des insectes?
M. Gauthier: Oui. Cela n'est pas répertorié et ce n'est pas sous l'égide de nos programmes, mais il y a des chercheurs, des zoologues qui utilisent des insectes, des amibes.
Le sénateur Nolin: À quel type d'animaux votre code d'éthique s'applique-t-il? Votre code s'applique-t-il à tous les animaux ou à quelques-uns?
M. Gauthier: Notre code s'applique à 30 espèces. C'est pour cela que l'on dit que notre programme s'applique aux vertébrés et à une espèce d'invertébrés, c'est-à-dire les céphalopodes. On couvre les vertébrés et les céphalopodes, mais on ne couvre pas toutes les espèces animales.
Le sénateur Nolin: Lorsqu'on a débattu ce projet de loi, j'ai parlé dans mon discours de la cuisson du homard. Cela en a fait rire plusieurs, mais il y avait un élément sérieux dans mon propos. Fait-on souffrir le homard de la façon dont on le cuit? J'ai posé cette question en ayant en tête certains éléments d'une légende urbaine selon laquelle il faut cuire ou bouillir le homard de telle façon plutôt que d'une autre afin de ne pas le faire souffrir.
C'est pour cela que je pose toutes ces questions. Pourquoi s'arrêter aux vertébrés puisqu'ils ont un système nerveux central? Pourquoi ne pas inclure tous les animaux?
Quelle est l'intention que l'on poursuit dans ce projet de loi? Est-ce l'attitude de l'être humain face à quoi que ce soit? Donc, dans le cas qui nous occupe est-ce la douleur des animaux?
Il faut tenir compte de cet élément. Ce qui m'intéresse surtout, c'est votre premier élément. Pourquoi avez-vous mis de côté votre quatrième principe et créé tout le problème au procureur de la Couronne?
M. Gauthier: Le quatrième principe portait sur la cruauté envers tous les animaux alors que notre mandat se limite aux animaux utilisés pour la recherche, les tests réglementaires et l'enseignement. Donc le projet de loi porte d'abord et avant tout sur la cruauté envers les animaux. Ce que l'on visait dans le projet de loi, ce sont les animaux perdus qui n'ont pas de propriétaire et sujets à la cruauté.
C'est dans le quatrième principe qu'on a exprimé notre appui à ce que tous les animaux soient protégés.
Là où se définit réellement notre mandat, c'est lorsque les animaux sont utilisés pour la recherche scientifique, les tests réglementaires et l'enseignement. Notre mandat actuel est fait en fonction des principales espèces utilisées en recherche scientifique au Canada pour les tests réglementaires et l'enseignement, il est circonscrit par ces animaux et ne s'étend pas au-delà de l'utilisation scientifique des animaux.
Le projet de loi s'étend à toute utilisation des animaux et principalement la cruauté. L'utilisation des animaux, dans les institutions qui les utilisent pour des fins scientifiques, est tellement réglementée qu'il y a 2 000 paires d'yeux au minimum qui vérifient ces choses au Canada. Dans notre secteur, on fait bien la surveillance puis il est rare que cela arrive.
Ce projet de loi doit viser la cruauté grossière auprès des animaux perdus, errants et qui doivent être protégés par la société. C'est dans ce contexte. Ce n'est pas le concept de protéger tous les animaux. Notre mandat est circonscrit aux espèces utilisées pour la recherche scientifique parce que c'est là où nous opérons.
Le sénateur Nolin: Dans l'exercice de votre profession ou de votre expertise, nous tentons de protéger vos droits. Comme le mentionnait le sénateur Joyal, les défenses qui sont déjà dans le Code criminel devraient être replacées dans la nouvelle Partie V.1, pour protéger ceux qui ont des droits à faire souffrir les animaux et que cela se fasse de façon la plus respectueuse. C'est tout ce qu'on fait actuellement. Nous sommes dans une zone très pointue. Ce n'est pas de la cruauté. Est-ce que les droits des animaux sont affectés? Certainement. Dans certaines situations on leur enlève la vie, on modifie leur apparence ou leur intégrité physiologique, on affecte donc leur être. Nous sommes bien conscients que nous sommes dans un endroit très circonscrit des droits des animaux. Nous essayons de nous assurer que vos droits comme chercheurs sont adéquatement protégés dans l'élaboration de ces infractions. C'est pour cette raison que je vous pose la question.
Vous fonctionnez avec des principes et je comprends que ces principes concernent votre activité d'expertise. J'accepte cela. Pourquoi se limiter uniquement aux vertébrés? Je comprends que c'est peut-être plus facile.
M. Gauthier: Je l'ai déjà expliqué tantôt. Tout ce qu'on fait au conseil est fondé sur la science. Quand on décide d'étendre notre autorité ou nos programmes à d'autres espèces animales — et on parle des invertébrés en grande partie — cela doit être basé sur des preuves scientifiques.
Dans ce cas-ci, lorsqu'on parle des autres vertébrés, on se souvient que pendant sept ans un comité impliquant des zoologues et des chercheurs, qui travaillent avec les vertébrés, ne sont pas arrivés à un consensus pour affirmer que l'on devrait les couvrir parce que leur niveau de sensibilité est compris comme étant assez évolué pour qu'on les incorpore au programme. C'est le consensus scientifique qui guide tous nos actes. On doit avancer et progresser à partir de preuves scientifiques. Ces preuves n'étaient pas là sous forme de consensus scientifique. Cela porte sur la façon dont la science est faire. On a ces preuves pour les vertébrés. La décision a été prise de ne pas couvrir ces êtres en fonction des connaissances scientifiques du temps et du consensus scientifique.
[Traduction]
Le sénateur Joyal: Je crois que le sénateur Nolin a soulevé un point très important. J'aimerais le souligner parce que c'est un domaine dans lequel bon nombre de choses sont peu connues et peu définies d'un point de vue juridique. En ce qui a trait aux droits des animaux, on peut dire qu'il s'agit là d'une zone plutôt grise pour ce qui est de la théorie générale de droit. Les sénateurs pourraient décider d'appliquer le paragraphe 182(3) à une plante ou à une fleur, si nous ne lui donnions pas suffisamment de nourriture, d'eau ou de protection contre les intempéries ou si nous la traitions de façon négligente. Si je suis propriétaire d'un cactus de Noël, je peux décider de le laisser dehors pour la nuit. Il gèlera et sera mort demain matin. De même, je peux le mettre sur le radiateur et il sera vite complètement asséché si je ne lui donne pas d'eau.
Le sénateur Nolin: C'est fondamentalement ce que je dis. C'est une question d'attitude.
Le sénateur Joyal: Je vois où vous voulez en venir.
Si je suis propriétaire d'un chat ou d'un chien et que je fais la même chose, aux termes du paragraphe 182(3), je suis coupable d'une grave infraction.
Le sénateur Nolin: C'est juste.
Le sénateur Joyal: La question que je me pose est la suivante: ces droits portent-ils sur l'animal même ou le crime existe-t-il par rapport à l'identité humanitaire?
Il s'agit là d'une question très sérieuse et très profonde relativement aux êtres vivants, aux animaux et à tout ce qui n'est pas un être humain.
Je suis d'avis que c'est une interprétation que l'on peut extrapoler du texte de ce projet de loi. C'est la raison pour laquelle nous nous penchons sur cette question de concert avec les peuples autochtones et la communauté scientifique. Jusqu'à un certain point, nous comprenons très bien que nous voulons contrôler la conduite des êtres humains. On ne devrait pas conduire un véhicule lorsqu'on a consommé de l'alcool. On doit immobiliser son véhicule à un feu rouge. Nous essayons de réglementer la conduite de l'homme.
Toutefois, en ce qui concerne les animaux, il y a une autre dimension. C'est la raison pour laquelle nous voulons éviter de créer par pure inattention une situation qui pourrait mener plus tard à une toute autre situation, uniquement parce que les principes en cause ne sont pas suffisamment clairs.
Le sénateur Jaffer: Honorables sénateurs, nous essayons également de régir la conduite des êtres humains en leur disant comment ils doivent traiter les animaux. Cela fait également partie de la question. C'est-à-dire notre attitude envers les animaux. Nous ne les considérons pas de la même façon que nous considérons les plantes. Je crois que cela correspond également à la réglementation du comportement humain.
Le sénateur Joyal: Cela réglemente le comportement humain, mais en ce qui a trait...
Le sénateur Nolin: L'un des témoins aimerait dire quelque chose.
Mme Borwein: Vous avez soulevé un point très important. Si je peux me permettre de détourner votre attention pour quelques minutes, j'aimerais vous souligner qu'un philosophe américain qui s'est rendu dans une importante institution de recherche pour mener une étude sur ce qu'il a appelé «l'état moral» des souris a rédigé un article important à ce sujet. Il a découvert que les institutions de recherche doivent pouvoir compter sur les services de vétérinaires, avoir des infirmières pour les animaux de laboratoire, mettre sur pied des comités sur les soins des animaux en établissement et prévoir toute une flopée de soins. Tout cela est analysé de près, parce que comme il l'a souligné, il s'agit de «souris de recherche». Toutefois, si l'une de ces souris s'échappe et qu'elle se met à parcourir l'immeuble dans tous les sens, elle devient automatiquement un animal nuisible et aucune règle ne s'applique plus. On peut s'en débarrasser de n'importe quelle façon, et même installer un piège à souris ou la frapper avec un balai. Il a également parlé des boas constricteurs qui sont des «carnivores par nature» et qui doivent manger de la chair animale. Si vous gardez un tel boa pour faire de la recherche, vous êtes forcés de lui fournir une souris de temps à autre pour qu'il puisse survivre. Il n'y a pas de règle à ce sujet parce que cette souris devient une «souris d'alimentation». De plus, si vous donnez une de vos souris à un ami à titre d'animal de compagnie, il n'y a plus aucune surveillance et aucune règle à cet égard. Il a dit beaucoup de choses de ce genre. Vous voyez où il voulait en venir. Toutefois, à la fin, il a dit que notre façon de traiter une souris dépendait de la façon dont on l'appelle.
Le sénateur Watt: J'aimerais également dire quelques mots sur cette question. Je suis un de ces autochtones du Nord.
La mesure législative proposée me préoccupe au plus haut point. Si je comprends bien de quoi il s'agit, que nous nous en rendions compte ou non, je crois que nous sommes en train de créer un nouveau phénomène au Canada, peut- être pour la première fois au monde, je n'en sais rien. La raison pour laquelle je dis que nous sommes peut-être en train de créer un nouveau phénomène, c'est que nous créons de nouveaux êtres humains. Ces derniers auraient à tout le moins des droits équivalents à ceux des êtres humains.
Les sénateurs savent très bien qu'un animal n'a pas la capacité intellectuelle d'un être humain. L'humain a utilisé l'animal aux fins de consommation.
Si nous ne considérons plus l'animal comme pouvant servir à la consommation humaine, alors que faisons-nous ici?
Le sénateur Pearson: Il n'y a rien qui dise une telle chose.
Le sénateur Watt: Un instant, vous aurez votre tour, sénateur.
Êtes-vous d'accord pour dire que nous sommes en train de créer un nouveau phénomène au Canada? Autrement dit, que nous créons de nouveaux êtres humains, ou que nous relions les animaux de plus près aux êtres humains. Est-ce ainsi que vous voyez les choses?
Mme Borwein: Je ne sais pas si j'irais aussi loin. Il ne fait aucun doute que certains des termes utilisés dans le projet de loi, et une partie du sens du projet de loi, visent à élever le statut des animaux vers ce que les défenseurs des droits des animaux appellent «l'identité individuelle» et à finir par leur donner un certain statut légal devant les tribunaux. Je considère que c'est important. Comme nous le savons, les animaux mangent d'autres animaux pour survivre et ils ne les font pas cuire d'abord.
Le sénateur Watt: C'est juste
Mme Borwein: Nous mangeons des animaux pour survivre. Comme le dit la chanson, on ne doit pas manger de chair humaine, et nous ne le faisons pas. Il y a une énorme différence entre les diverses conceptions que l'on retrouve dans la société. Cela ne signifie pas pour autant que nous pouvons utiliser de n'importe quelle façon les animaux dont nous sommes responsables. Comme l'a souligné le sénateur Joyal, nous devons promouvoir la compassion des êtres humains envers les choses dont ils sont responsables, toutes proportions gardées. Les gens seront beaucoup plus portés envers leur chien qu'envers un ver rond rampant sur le sol dans le jardin. Il y a de nombreux degrés. Je crois que cela signifie que nous devons être prudents. Toutefois, il ne faut pas exagérer. Nous devons saisir cette différence.
Le sénateur Nolin: Tout à fait
Le sénateur Cools: C'est de cela dont nous parlons.
Le sénateur Nolin: C'est la raison pour laquelle nous nous penchons sur tous les mots contenus dans le projet de loi. Nous devons nous assurer de ne pas dépasser cette limite, parce que nous pourrions le regretter à l'avenir.
Mme Borwein: C'est vrai.
Le président: J'aimerais remercier nos experts d'avoir pris le temps de venir nous rencontrer ce soir.
Le séance se poursuit à huis clos.