Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 9 - Témoignages du 1er mai 2003
OTTAWA, le jeudi 1er mai 2003
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, saisi du projet de loi S-5, Loi instituant la Journée de la fête nationale des Acadiens et Acadiennes, se réunit aujourd'hui à 11 h 10 pour examiner ledit projet de loi.
Le sénateur George J. Furey (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, nous reprenons ce matin notre examen du projet de loi S-5, Loi instituant la Journée de la fête nationale des Acadiens et Acadiennes, parrainé par le sénateur Comeau.
Nous accueillons ce matin les hauts fonctionnaires du ministère du Patrimoine canadien, soit M. Moyer, Mme Lemoine et Mme Julien. Nous recevrons également les témoignages du professeur Basque, qui est venu de Moncton pour nous aider à faire avancer nos travaux. Nos témoins ne présentent aucun mémoire aujourd'hui. Cependant, le ministère du Patrimoine canadien nous a fourni un feuillet d'information concernant les diverses possibilités qui pourraient s'offrir à nous pour ce qui est de la désignation d'une journée spéciale.
[Français]
M. Maurice Basque, professeur, Centre d'études acadiennes, Université de Moncton: Honorables sénateurs, je vous remercie de l'invitation de me présenter aujourd'hui devant ce comité. Je considère que c'est un privilège de prendre la parole au sujet de la question de l'histoire acadienne. On m'accorde cinq minutes et je serai bref pour relater quatre siècles d'histoire. L'an prochain, en 2004, l'Acadie...
[Traduction]
Le sénateur Joyal: Monsieur le président, j'invoque le Règlement.
Je serais très embarrassé, honorables collègues, si nous devions décider de limiter à cinq minutes la durée de l'exposé liminaire d'un témoin qui est venu de Moncton pour nous rencontrer. Avec la permission des honorables sénateurs, peut-être pourrions-nous lui accorder 10 minutes.
Le président: Nous pouvons certainement donner un peu de latitude au professeur Basque.
[Français]
M. Basque: Je fais une chronique à Radio-Canada tous les mercredis matin et j'ai l'habitude des formats condensés.
L'an prochain, en 2004, la société acadienne, tout particulièrement, célèbre quatre siècles de présence dans ce qui deviendra plus tard le Canada. Vous avez déjà entendu d'autres historiens vous relater devant ce comité la particularité de l'histoire acadienne.
À mon tour, j'aimerais mettre l'accent sur des caractéristiques particulières de cette histoire et son attachement à la dimension de la langue française. Dans le Canada actuel, il y a un foyer principal de peuplement et d'histoire touchant à la présence française et c'est, bien sûr, la province du Québec. L'Acadie est le deuxième foyer, moins important en masse critique, mais historiquement présent dès 1604, avec un cheminement qui donnera naissance, au début du XVIIe siècle, dans ce qui est aujourd'hui la Nouvelle-Écosse péninsulaire, à une identité particulière.
Il s'agit de l'une de ces identités originaire de l'Europe mais qui s'est façonnée au contact des différentes sociétés du nouveau monde. On va assister à la naissance d'une identité propre à l'Acadie: l'identité acadienne.
Avant le Grand dérangement de 1755, avant ce qu'on appelle la déportation des Acadiens, on a déjà des documents historiques qui identifient ces habitants de langue française, de religion catholique-romaine, habitant la Nouvelle- Écosse péninsulaire dans des villages qui portent le nom de Grandpré, de Port-Royal, de Cobequid et de Pichiguid, comme étant des Acadiens.
Et cette identité sur le plan historique sera renforcée par des années de catastrophes qui vont secouer cette société coloniale particulière et qui surgissent de 1755 à 1764. La Déportation qui, au départ, se voulait un procédé radical d'assimilation du groupe acadien en le disséminant en petits groupes à l'intérieur des colonies britanniques, a eu des conséquences très négatives sur le groupe acadien, mais l'une des conséquences positives, c'est que le renforcement de l'appartenance au groupe a été cimenté de telle façon que les descendants de ces déportés se sont reconnus comme formant un groupe.
Comme tout groupe en Occident, avec un contact ou une histoire européenne au XIXe siècle, les leaders de ce groupe acadien, cette première élite acadienne lettrée et formée dans des collèges classiques a voulu donner à ce groupe des symboles nationaux. Entendons «nationaux» dans le vocable qu'on utilise au XIXe siècle, le grand siècle des nationalistes qui a vu la naissance de l'Allemagne, de l'Italie, qui a vu des expériences nationales moins réussies dans le cas de la Pologne qui a vu, par exemple, un premier mouvement nationaliste. Cela s'est produit au Canada avec la création du Dominion.
Le leadership acadien s'est donc dit dans les années 1880 et particulièrement en 1881: «Choisissons une fête nationale à l'image des Irlandais qui ont la Saint-Patrick, des Écossais qui ont la Saint-André, des Anglais qui ont la Saint-Georges et des Canadiens français qui, au XXe siècle, avaient la Saint-Jean-Baptiste, une fête nationale propre au groupe». Ce n'était pas pour se détacher du Canada, mais pour rendre plus réelle la spécificité du groupe acadien.
Déjà en 1881, le grand promoteur de la Fête nationale des Acadiens, monseigneur Marcel-François Richard, parle d'un peuple distinct faisant partie du Canada.
Je conclurai en disant que cette fête nationale, L'Assomption, célébrée le 15 août, est surtout religieuse au XIXe siècle et pour une bonne partie du XXe siècle.
Mais à partir de 1979, au moment des grandes fêtes du 375e anniversaire de l'Acadie, année importante pour le groupe acadien puisque c'est l'année où Mme Antonine Maillet reçoit le prix Goncourt. On relance l'idée que la Fête nationale des Acadiens, le 15 août, soit une fête beaucoup plus laïque et civile, avec la réintroduction du tintamarre, c'est-à-dire ce procédé de faire du bruit pour signifier son existence.
Honorables sénateurs, je vous invite à venir en Acadie, en Nouvelle-Écosse, à l'Île-du-Prince-Édouard, à Terre- Neuve ou au Nouveau-Brunswick un 15 août et vous verrez que c'est une fête très vibrante et où on retrouve à la fois les drapeaux canadien et acadien.
Jamais dans la dimension acadienne, sauf dans de très rares exceptions — même s'ils n'ont pas été très bien traités par les différents gouvernements fédéraux historiquement, — les Acadiens et les Acadiennes ont été parmi les Canadiens les plus attachés à la fédération canadienne dans laquelle ils trouvaient un espace de développement et d'épanouissement en raison du bilinguisme, par exemple, le Nouveau-Brunswick se déclarant la seule province bilingue.
Jusqu'à maintenant, cette dimension du mot «national» sur le plan historique doit être compris comme un vocable du XIXe siècle qui a voyagé au XXe siècle et jusqu'au XXIe siècle, mais sans prendre certaines définitions qu'on peut peut-être y coller aujourd'hui. Il est vraiment un vocable positif à l'intérieur de la société canadienne et il est toujours connu depuis 1841 comme une fête nationale.
La jeune génération parle beaucoup moins de fête nationale. On parle du 15 août comme les Américains parlent de leur fête du 4 juillet et comme les Français parlent du 14 juillet. Il s'agit d'une date qu'on n'a pas besoin d'expliquer lorsque les jeunes se demandent ce qu'ils feront le 15 août pour célébrer le jour de la fête nationale des Acadiens et des Acadiennes. C'est une célébration très généreuse et qui inclut tous les touristes et tous les visiteurs dans les communautés acadiennes et qu'on retrouve maintenant de Saint-Jean, Terre-Neuve jusqu'à Victoria et Vancouver, en Colombie-Britannique où il y a un tintamarre dans les rues.
[Traduction]
M. Norman Moyer, sous-ministre adjoint, Affaires publiques et communications, ministère du Patrimoine canadien: J'aimerais tout d'abord vous parler des options qui s'offrent au gouvernement s'il veut désigner une journée d'importance nationale. Il y a normalement quatre façons pour le gouvernement de déclarer une journée de reconnaissance spéciale, et je vais vous les présenter par ordre ascendant, selon la nature officielle de ces divers instruments.
Le ministre promoteur peut donc de son propre chef, déclarer quel jour, semaine ou mois bénéficiera d'une reconnaissance spéciale. En fait, il nous arrive déjà de désigner certaines journées, en vertu de déclarations ministérielles, pour une reconnaissance spéciale dans le cadre de l'établissement du calendrier canadien de célébrations.
Deuxièmement, le premier ministre, à titre de chef du gouvernement, peut faire une déclaration au nom de l'ensemble du gouvernement. Nous avons également eu recours à cette méthode de temps à autre.
Troisièmement, le gouvernement peut demander une proclamation royale, par l'entremise d'un décret du conseil, qui correspond alors à une déclaration plus prestigieuse, bien qu'il s'agisse toujours d'une mesure gouvernementale. Mais dans ce cas, la déclaration devient officielle au moyen d'une proclamation émise par le Bureau du gouverneur général.
Enfin, le Parlement peut établir, par voie législative, que tel jour, telle semaine ou tel mois sera d'importance nationale et mérite donc d'être reconnu par les Canadiens.
Nous nous présentons devant vous aujourd'hui pour parler, évidemment, de cette quatrième possibilité, mais je voulais absolument que vous soyez au courant des trois autres moyens qui existent.
Nous vous avons remis une liste d'exemples des moyens pris pour reconnaître l'importance de certains jours, certaines semaines, ou certains mois. Je n'ai pas l'intention de passer en revue toute la liste; je vais me contenter de vous en citer quelques exemples, pour que vous voyiez les autres moyens auxquels nous avons eu recours par le passé.
Dans deux cas qui figurent sur cette liste, nous avons opté pour l'adoption d'une loi. C'est ce qui a récemment été fait pour sir John A. McDonald et sir Wilfrid Laurier pour que leurs anniversaires soient désignés des journées spéciales. Le Parlement a fait de même à la suite des incidents survenus à l'École polytechnique de Montréal. Le Parlement a alors adopté une loi pour créer la Journée nationale de commémoration et d'action contre la violence faite aux femmes.
Nous avons une série d'exemples de désignations faites par le biais d'une proclamation royale. La Journée nationale des Autochtones et la Journée canadienne du multiculturalisme ont été désignées par suite d'une proclamation royale. Ces deux exemples illustrent bien l'évolution de la terminologie depuis quelques années, puisque de plus en plus, on semble préférer désigner ces journées spéciales en employant le terme «canadienne» plutôt que «nationale».
Il y a ensuite une plus longue série d'exemples de journées établies au moyen d'une déclaration. Par exemple, le Jour du drapeau national du Canada et la Journée Raoul Wallenberg ont été établies par suite d'une déclaration du premier ministre. En ce qui concerne le Mois du patrimoine asiatique, la désignation s'est faite au moyen d'une résolution adoptée par le Sénat du Canada, suivie d'une déclaration.
Ces quelques exemples vous permettent de savoir quelle procédure a été suivie par le passé pour ce genre de désignation.
Je voudrais également aborder brièvement la question qui s'est posée dans le cadre de vos débats concernant le choix entre le mot «canadien» ou «national» pour la désignation de ce genre de journée spéciale. J'aimerais vous parler de ce que nous considérons comme étant les avantages et les inconvénients de chaque option. Nous avons examiné deux options autres que celles retenues pour votre projet de loi, et les deux concernent l'utilisation d'un déterminant avec le mot «jour» ou «journée».
[Français]
Les exemples que l'on a regardés étaient si on avait d'abord une journée nationale de la fête des Acadiens et Acadiennes et ensuite une journée canadienne de la fête des Acadiens et des Acadiennes. Pour un instant, je veux juste regarder les éléments qui pourraient entrer dans votre débat comme considération.
Si on prend le mot «national», il indique une importance. Il y a une relativité importante qui découle du mot. «National» a été longtemps utilisé en association avec des journées que les Canadiens ont fêtées. Dans le sens que M. Basque souligne, le mot « national » a une utilisation historique dans le contexte du 15 août et la fête des Acadiens et des Acadiennes. Ce qui pèse contre le mot «national», c'est que tout seul ce mot n'implique pas nécessairement que ce sont tous les Canadiens et Canadiennes qui vont fêter.
Le mot «national» est utilisé parfois pour des petits groupes et parfois pour de plus grands groupes. Ce n'est pas clair. Dans l'utilisation historique du mot lorsque l'on regarde le «National Canadian Flag Day» ou le «National Aboriginal Day» ou le «National Police and Peace Officers Memorial Day», le mot «national» est utilisé dans un seul sens dans ces déclarations et c'est pour incorporer tous les Canadiens et Canadiennes dans cette définition. Nous n'avons jamais utilisé dans la désignation de journée, mois ou semaine le mot «national» pour un sous-groupe de la société canadienne.
Regardons un moment l'utilisation du mot «canadien». Je cite encore l'option qui est à la base de cela. On pourrait nommer le 15 août la journée canadienne des Acadiens et des Acadiennes. Les avantages d'utiliser le mot «canadien» c'est d'abord que c'est très clair. C'est quelque chose qui est fêté partout, par tous les Canadiens et Canadiennes. Particulièrement dans l'utilisation associée avec les Acadiens et les Acadiennes, on élimine l'ambiguïté qui existait lorsqu'on associe le mot «canadien» ou «national» avec le mot «fête».
Les arguments qui pourraient peser contre le mot «canadien», c'est qu'il y a d'abord une tradition importante en Acadie de parler d'une fête nationale le 15 août, bien que l'usage courant aujourd'hui va de plus en plus vers la simple date. Une partie de la population tient encore à l'utilisation de l'expression «fête nationale» qui a une tradition. Nous avons aussi une préoccupation d'utiliser dans une loi une première fois ce mot «national» dans un sens qui serait ambigu pour beaucoup de gens, pParce que les Acadiens ont associé le mot «national» à leur fête en parlant de leur famille, de la réalité de la société acadienne. Il y a un sens limité du mot «national». Dans le terme «Fête nationale des Acadiens et des Acadiennes», cela pourrait être interprété comme la fête de tous les Canadiens aussi mais ce n'est pas clair.
En terminant, je vais citer un extrait d'un avis juridique formulé dans notre service juridique
Compte tenu de ces précédents, il nous paraît préférable que toute reconnaissance de la fête nationale des Acadiens et Acadiennes se fasse non pas dans le cadre d'une loi mais dans un décret du gouverneur en conseil.
Nous avons une préférence légère mais il y a des exemples qui vont dans l'autre sens.
De plus, nous sommes d'avis que l'utilisation du qualificatif «national» devrait se limiter à désigner le caractère national de la journée et non de la fête.
Nous sommes d'avis que l'expression «journée nationale de la fête des Acadiens et des Acadiennes» rendrait mieux l'idée véhiculée par le projet de loi, à savoir que c'est dans tout le Canada que la journée sera désignée, mais que la fête en soi est celle des Acadiens et des Acadiennes et pas nécessairement celle de toute la nation canadienne.
La version anglaise de cet article pourrait être reflétée par la traduction «National Acadian Day».
Le sénateur Comeau: Avez-vous discuté avec votre ministre des recommandations que ce projet de loi devrait être rejeté en faveur d'une proclamation du gouverneur en conseil?
M. Moyer: Non, et ce n'est pas une recommandation formelle de notre ministère non plus. Si on regarde les précédents, cela semble être le plus courant et le plus utilisé.
Le sénateur Comeau: C'est votre recommandation, pas celle du ministère?
M. Moyer: Ce n'est pas une recommandation mais une constatation qu'il serait plus commun de le faire comme cela. Je ne veux pas dire que c'est une recommandation.
Le sénateur Comeau: C'est votre observation personnelle?
M. Moyer: Oui, mais cette observation est basée sur l'analyse juridique qu'on a faite.
Le sénateur Comeau: C'est une analyse juridique que vous avez faite et c'est votre observation. Vous êtes avocat vous-même?
M. Moyer: Non, c'est le service juridique qui a fait cette analyse. Mme Marie-Lise Julien pourrait répondre à votre question.
Le sénateur Comeau: D'où venez-vous, madame Julien?
Mme Marie-Lise Julien, avocate, Services juridiques, ministère du Patrimoine canadien: Je viens de Joliette. L'avis a été remis par notre directeur général, M. Michel Francoeur. Nous avons regardé la législation fédérale, les décrets et les proclamations royales pour analyser dans quel contexte le mot «national» était utilisé habituellement.
C'est une analyse qui reflète le portrait de la situation. Nous ne voulons pas changer le cours des choses. Nous voulons simplement asseoir les faits. Comment pouvons-nous promouvoir ou reconnaître, au Canada, une journée sur le plan national?
Le sénateur Comeau: Vous faites des observations que le comité prendra au sérieux. Avez-vous discuté de ceci avec des Acadiens?
Mme Julien: Les observations n'ont pas été discutées avec le groupe acadien, mais un regroupement d'avocats du ministère de la Justice en droit constitutionnel en droit administratif et en droit linguistique se sont penchés sur l'avis juridique de maître Francoeur pour apporter aussi de l'eau au moulin. Notre objectif était de faire un portrait de la situation actuelle au Canada, à savoir comment nous pouvions commémorer une journée.
Le sénateur Comeau: Vous avez fait des observations à un groupe d'avocats. Vous avez aussi transmis ces observations à M. Moyer à l'effet qu'on devrait rejeter le concept de projet de loi et y aller avec une recommandation de la ministre, soit d'enlever les mots «journée nationale des Acadiens et des Acadiennes». Vous enlevez le mot «national» pour une fête reconnue par les Acadiens depuis 1881. Vous faites toutes ces observations sans même en discuter avec des Acadiens pour connaître l'impact de ce genre de changements. Vous avez fait cela isolément.
M. Moyer: J'aimerais souligner notre rôle. Ce n'est pas un projet de loi présenté par le gouvernement. Nous n'avons pas entamé des consultations dans ce contexte et je ne crois pas que cela aurait été approprié de le faire.
Je voudrais faire une distinction entre les deux éléments de ma conclusion. On a exprimé une préférence basée sur les traditions d'utiliser une déclaration, mais cela n'est pas une recommandation.
L'endroit où on a placé le mot «national» dans le titre a suscité plus de débats et nous croyons y avoir apporté plus de valeur. Nous n'avons pas de position à prendre sur cela pour savoir si cela devrait être une loi ou une déclaration. Normalement, cela aurait dû été fait par une sorte de déclaration.
Le sénateur Comeau: Vous faites des observations, pas des recommandations. Avez-vous discuté de vos observations avec la ministre du Patrimoine canadien?
M. Moyer: Je n'ai pas parlé à la ministre. Elle a déjà exprimé son opinion à l'effet que la journée du 15 août devrait être reconnue et fêtée par tous les Canadiens et Canadiennes. Elle est en faveur de ce projet.
Le sénateur Comeau: J'ai une lettre de la ministre qui m'informe de son appui entier pour le projet de loi. Il ne semble pas y avoir de réticence de sa part. Je connais la ministre depuis plusieurs années. Je pense qu'elle connaît très bien l'histoire des Acadiens et l'implication du mot «national» qui date de 1881.
Avez-vous au moins considéré une expression ou un titre de loi qui dirait «loi instituant la journée de la fête nationale des Acadiens et des Acadiennes» et qui répondrait aussi à toutes vos inquiétudes au sujet du mot «national»?
M. Moyer: Je ne crois pas.
Le sénateur Comeau: Si vous pouviez sortir de votre boutique quelques minutes et venir voir les Acadiens qui sont très sensibles à l'implication de vos observations, vous pourriez avoir d'autres idées ou d'autres observations qui n'ont pas été présentées par M. Moyer.
On va bien au-delà de la loi. Vous êtes en train de faire des observations. Parfois, il faut aller au-delà des recommandations des avocats qui travaillent isolément et qui ne connaissent peut-être pas l'histoire de l'Acadie.
Le sénateur Corbin: Monsieur Moyer, vous avez parlé des possibilités de désignation de journée commémorative. Quelle différence y a-t-il entre une proclamation royale et une loi qui est proclamée par la Gouverneure générale ou qui reçoit l'assentiment de la Gouverneure générale? Est-ce qu'il y a une distinction à faire?
M. Moyer: Oui et elle est importante. Le Parlement est suprême dans sa capacité d'encadrer les Canadiens et Canadiennes pour les lois et les gestes importants. Le pouvoir d'un gouvernement de recommander à la Gouverneure générale a aussi une certaine importance pour le gouvernement mais cela n'a pas le prestige et la permanence d'une loi. Un gouvernement pourrait changer dans l'espace d'une journée une déclaration royale si le gouvernement recommandait. Le changement serait fait.
Une loi a quand même une permanence jusqu'à ce que le Parlement décide de changer d'avis. C'est surtout sur le plan du prestige et de la permanence qu'il y a des différences.
Le sénateur Corbin: C'est donc une loi proclamée exprimant la volonté du Parlement qui porte le plus de poids et qui a le plus de chance de perdurer.
M. Moyer: Oui.
Le sénateur Corbin: Ma prochaine question s'adresse à M. Basque. Le professeur est sans doute au courant d'une initiative controversée visant à obtenir de la Couronne des excuses pour la déportation des Acadiens en 1755. Compte tenu du commentaire qui vient d'être fait, croyez-vous qu'une proclamation royale plutôt qu'une loi aurait pour effet de reconnaître le côté noir de la déportation des Acadiens et qui comprendrait d'une façon cousinée une excuse. Si on reconnaît quelque chose c'est que l'on en admet une autre, affirmée ou non. Ce disant, j'appuie l'approche du projet de loi du sénateur Comeau pour les raisons qui viennent d'être énoncées. Cela lui accorde une permanence. Un autre parlement pourrait toujours changer d'idée. Dans toutes ces options, c'est la loi législative qui semble accorder le plus de permanence.
Il reste quand même ce sentiment de frustration chez beaucoup d'Acadiens que la Couronne a un pas supplémentaire à faire. Est-ce qu'une proclamation royale satisferait cette réserve chez de nombreux Acadiens?
M. Basque: Je vais m'exprimer en tant qu'universitaire intellectuel et comme citoyen canadien et acadien.
Je ne suis pas juriste ni constitutionnaliste. Pour ma part, une proclamation royale canadienne, c'est la reine du Canada qui, dans son gouvernement, s'exprime. Ce n'est pas la reine de Grande-Bretagne. La nuance n'est pas saisie par tout le monde mais notre pays est souverain. Et lorsque la démarche a été entreprise par la Société nationale de l'Acadie suite à une proposition d'un député de la Chambre des communes, j'ai présidé le comité de la Société nationale de l'Acadie à savoir que voulaient les Acadiens et les Acadiennes dans cette question. La très grande majorité des lettres et des mémoires envoyés au comité que j'ai présidé ne demandaient pas des excuses mais que l'on constate que c'était une erreur. Plus de 95 p. 100 des répondants ne parlaient aucunement de réparation financière. C'était une question de dignité et d'honneur. C'était constater l'erreur, un point c'est tout.
J'aimerais nuancer et préciser que la démarche de la Société nationale de l'Acadie, une association créée en 1881 et qui représente les communautés acadiennes des quatre provinces de l'Atlantique, est distincte d'un certain projet de loi qui revient périodiquement à la Chambre des communes au sujet des excuses par la Couronne britannique.
Dans ce cas-ci, c'est mon opinion personnelle, il y a deux choses. C'est le gouvernement canadien qui s'exprimerait de façon X, Y ou Z en reconnaissant une fois de plus et en donnant plus de visibilité au groupe acadien, qui forme l'une des sociétés composant la grande famille canadienne. J'aimerais préciser que le 15 août n'est pas seulement célébré au Canada. Il l'est en Nouvelle-Angleterre, en Louisiane à Belle-île-en-mer et à Paris. Où vous avez des Acadiens ils vont fêter le 15 août.
Respectueusement, je vais vous propposer le scénario que la majorité des Acadiens et des Acadiennes sont des citoyens canadiens, mais dans cette famille acadienne, le 15 août dépasse les frontières du Canada. C'est certainement une fête canadienne, mais parmi les différentes fêtes nationales canadiennes, il y a des saveurs particulières. Comme citoyen canadien, je suis particulièrement fier de ces saveurs particulières et de ces nombreux accents, qui font non seulement notre force, notre différence, mais aussi notre caractère particulier.
[Traduction]
La plupart des Acadiens du Canada atlantique parlent les deux langues officielles et essaient d'être des Canadiens exemplaires. Bien qu'ils vivent dans les deux langues officielles par nécessité, ils reconnaissent et respectent cette tradition canadienne et se battent pour maintenir ce pilier de notre identité, soit nos deux langues officielles.
Le 15 août correspond à une fête religieuse célébrée au XIXe siècle qui est devenue, dans ce troisième millénaire, plutôt une fête provinciale.
[Français]
Je dois également vous dire que certaines municipalités, dont Caraquet au Nouveau-Brunswick, accorde un congé le 15 août. L'Université de Moncton ferme ses portes pour souligner cette fête nationale. Je mets l'accent sur ce que l'on peut appeler un glissement sémantique entre la définition du mot «national» faite au XVIIIe et celle d'aujourd'hui.
La proposition du sénateur Comeau est honorable et la majorité des Acadiens en seraient fiers, mais il y a aussi une considération importante. Si cette auguste Chambre veut proposer un geste favorable aux Acadiens et aux Acadiennes, je soumets respectueusement que le vocable utilisé par les premiers intéressés soit en quelque sorte respecté dans la formulation pour que l'effet souhaité soit favorable et non perçu comme proposé pour infantiliser un groupe.
En tant qu'adultes, nous n'aimons pas apprendre des choses qui nous touchent personnellement comme une surprise sans que nous soyons consultés, et pour les groupes c'est la même chose.
Je suis très heureux d'être ici aujourd'hui, mais je ne peux pas parler au nom des quatre communautés acadiennes des quatre provinces de l'Atlantique. En tant qu'historien, je terminerai par une petite anecdote très révélatrice du débat aujourd'hui: Les Acadiens ont débarqué en France après le Grand dérangement, et lorsque les officiels royaux français leur proposaient des scénarios, ils répondaient: «Nous devons consulter les chefs de la nation avant de vous répondre», au grand dam des officiels royaux français insultés, qui disaient à leur tour: «Vous êtes en France. Il y a seulement une nation en France.» Les Acadiens fonctionnaient déjà comme une nation au XVIIIe siècle, selon le sens que le mot avait au XVIIIe siècle.
Cela ne veut pas dire qu'ils étaient belliqueux ou conflictuels, mais leur identité était déjà assez forte sans être toutefois fermée pour qu'ils réagissent de cette façon. Tout cela pour dire que c'est un débat que nous retrouvons encore aujourd'hui en 2003 et qui n'est pas étranger au parcours historique des Acadiens et des Acadiennes.
[Traduction]
Le sénateur Joyal: Il y a un petit problème technique que j'aimerais soulever en ma qualité d'avocat. Ma collègue, le sénateur Pearson, comprendra de quoi je veux parler, bien qu'elle ait parfois de curieuses réactions aux problèmes que préoccupent les avocats.
Si nous changeons le titre, nous ne pourrons le faire au Parlement, parce que ce titre appartient à la Chambre. Si nous changeons le titre, le projet de loi mourra. Le titre prouve que ce projet de loi existe. Il faudrait donc déposer un autre projet de loi. Je voulais juste vous dire cela en guise de préambule.
Ceci dit, ma première question s'adresse au professeur Basque.
[Français]
Existe-t-il dans les statuts du Canada, les textes réglementaires canadiens ou dans les codification des ordres en conseil une reconnaissance à l'effet que le 24 juin est la fête nationale des Canadiens français?
Mme Julien: Rien dans les statuts fédéraux ne reconnaît la fête de la Saint-Jean-Baptiste, Fête nationale des Québécois, comme une fête qui devrait être célébrée à travers le Canada. La seule mention de reconnaissance particulière du Québec s'est faite par une motion parlementaire en 1995, suite au référendum. Le premier ministre Jean Chrétien a voulu par cette motion reconnaître les particularités du Québec, à savoir sa langue, sa culture et sa tradition de droit civil. À ce moment, on a parlé du peuple du Québec, mais cela a été fait par une motion parlementaire, qui n'est pas un acte juridique constitutif de droit mais une déclaration. C'est le seul précédent qui existe dans la législation ou dans l'appareil gouvernemental fédéral visant à reconnaître la société distincte du Québec.
Le sénateur Joyal: Cette motion ne parlait pas du 24 juin?
Mme Julien: Tout à fait.
Le sénateur Joyal: C'est la motion dites de la société distincte. Par conséquent, il n'est pas question de fête nationale dans cette motion.
Mme Julien: Non, mais je voulais souligner qu'il s'agit du seul véhicule gouvernemental fédéral où on parle du Québec en tant peuple et que la fête nationale est célébrée au Québec par un véhicule provincial, mais qu'il n'y a rien dans l'appareil fédéral pour fêter le 24 juin ou le peuple québécois.
M. Moyer: J'aimerais nuancer cela. Dans ce qu'on appelle maintenant les dix jours des fêtes du Canada, quatre jours sont reconnus. On commence, le 21 juin, avec la journée nationale des Autochtones. La Saint-Jean-Baptiste est reconnue comme une des quatre journées de célébrations, mais seulement sous le nom de la Saint-Jean-Baptiste. Ce n'est pas une fête nationale, c'est simplement Saint-Jean-Baptiste, qui est le nom donné à cette journée dans notre pratique fédérale.
Le sénateur Joyal: En fonction de votre présentation, il n'y a pas de déclaration ministérielle ni de déclaration «prime ministériel» et non plus d'ordre en conseil ou de loi sur le plan fédéral.
M. Moyer: C'est une coutume de la reconnaître comme faisant partie d'un tout.
Le sénateur Joyal: Il n'y a pas de motion parlementaire, non plus. Une motion parlementaire n'a d'existence juridique que pour la vie du Parlement pour laquelle elle a été adoptée. En pratique, cette motion est caduque aujourd'hui puisque un autre parlement pourrait l'ignorer sans qu'on puisse alléguer qu'on est en violation d'un ordre du Parlement, parce qu'une résolution est un ordre du Parlement.
Mme Julien: Une motion parlementaire est adoptée par la majorité des députés à la Chambre des communes, donc au gouvernement fédéral. Cela ne fait que refléter la position de la Chambre des communes à ce moment-là. Cela n'a pas force de loi à proprement parler.
[Traduction]
Le sénateur Joyal: Je veux que ce soit clair qu'il n'existe rien dans les lois fédérales, la codification des règlements du Canada, la codification des motions ou au Parlement fédéral qui reconnaisse de quelque façon que ce soit que le 24 juin est la Fête nationale des Canadiens français, c'est-à-dire le jour où ces derniers fêtent leur identité culturelle ou historique.
[Français]
Mme Julien: Vous avez très bien compris.
[Traduction]
Le sénateur Joyal: Mais cela existe au niveau provincial au Québec.
[Français]
Mme Julien: Tout à fait, au Québec. Au Québec, le terme «national» est souvent utilisé. On parle de l'Assemblée nationale, de la Bibliothèque nationale et de la Commission de la capitale nationale aussi.
[Traduction]
Le sénateur Joyal: C'était l'autre question que je voulais vous poser.
Mes collègues sont évidemment au courant de ma préoccupation à cet égard. Il est bon que vous soyez tous là ce matin, car à mon avis, cela nous aidera à dégager un consensus sur la question.
[Français]
Lorsqu'on regarde la définition du mot «national» dans le dictionnaire Larousse, il s'agit peut-être de la meilleure source d'information sur ce qu'en général les gens comprennent de ce mot, et je cite:
Relatif à une nation qui lui appartient.
On donne comme exemple un hymne national. On dit que le Ô Canada est notre hymne national.
[Traduction]
Cela veut dire qu'il appartient au Canada et est lié à la nation canadienne. Je crois profondément qu'il existe une nation canadienne. C'est pour cela que nous avons un passeport. Pour moi, les Canadiens forment une nation, et je veux qu'on l'indique ici clairement. Ce n'est pas aussi évident que le prétend ma collègue, Mme Julien.
Le deuxième sens est celui-ci:
[Français]
Le deuxième sens, et je cite:
Qui intéresse l'ensemble d'un pays.
On dit une équipe nationale de hockey.
[Traduction]
Le sénateur Joyal: Permettez-moi donc de vous expliquer pourquoi cela donne lieu à une certaine confusion — d'ailleurs, le professeur Basque en a déjà un peu parlé. Le mot «national» a deux sens — du moins en français. Le premier sens du mot «national», c'est quelque chose qui appartient à tout le monde — qui fait partie de l'identité de tout le monde. L'autre sens, c'est quelque chose qui intéresse tout le monde. D'ailleurs, cette nuance a été très bien expliquée par nos témoins ce matin.
Pour nous, évidemment, c'est une discussion politique, puisque ces mots sont lourds de signification, notamment dans le contexte politique du Québec. Je pense qu'on peut le dire très clairement dans ce contexte, étant donné que des gouvernements successifs au Québec depuis 1968 — et je n'attribue cela à aucun parti en particulier — se sont servis du mot «national» de façon à englober le premier et le deuxième sens.
[Français]
Cela a débuté avec l'Assemblée nationale en 1968 avec un gouvernement de l'Union nationale.
[Traduction]
Je ne suis pas là pour témoigner ce matin, mais cela s'est produit à la suite de la visite du général de Gaulle, qui a dit que si on est un pays, il faut une assemblée nationale. C'est après cela que le premier ministre Johnson a décidé que «l'Assemblée législative» serait désormais connue sous le nom «Assemblée nationale». Cette tendance s'est manifestée de plus en plus au fil des ans, si bien que le dernier gouvernement au Québec a décidé de nommer la ville de Québec la capitale nationale et de parler constamment du peuple québécois comme étant une nation. Nous ne sommes plus un peuple, nous sommes une nation au Québec, d'après la philosophie du Parti québécois.
Voilà donc une réalité dont il faut absolument tenir compte en examinant ce projet de loi. Je trouve qu'il est important de respecter la tradition du peuple acadien.
[Français]
Il est important de respecter la façon dont les Acadiens se perçoivent traditionnellement depuis 1881, et que l'on définisse dans la loi ce qu'on entend par le mot «national». Si on définit dans le texte de loi précisément ce que le terme «national» implique, «qui intéresse l'ensemble du pays, donc l'ensemble des Canadiens», l'ambiguité à ce moment aura été adressée.
[Traduction]
Ainsi nous aurons éliminé toute ambiguïté et on ne pourra donc pas s'en servir comme précédent pour affirmer que le gouvernement est prêt à considérer le peuple acadien comme une nation, mais non pas le peuple québécois. En tant que Québécois, ce n'est pas du tout ce que je recherche, bien que je désire reconnaître l'identité historique des Acadiens, tels qu'ils se perçoivent.
Ne serait-il donc pas possible de répondre à la préoccupation tout à fait légitime de Patrimoine canadien, tout en atténuant l'objectif du sénateur Comeau et d'autres personnes autour de cette table, en reconnaissant les Acadiens le 15 août par le biais d'une fête nationale qui serait célébrée dans tout le Canada?
M. Moyer: Votre proposition est très intéressante. Si vous avez un texte à proposer, Mme Julien et ses collègues se feraient un plaisir de l'examiner.
[Français]
Une telle formulation me semble un moyen adéquat de reconnaître l'authenticité de cette fête nationale des Acadiens et exprime exactement ce dont il est question.
Mme Julien: Les Acadiens entendent, par le terme «national», la notion de fêter la nation acadienne. L'Acadie, sur le plan territorial, est difficile à définir. On entend donc le besoin de fêter les Acadiens et Acadiennes, le territoire ayant malheureusement été divisé avec le temps.
Le terme «fête nationale des Acadiens», à mon avis, est plus restrictif, en ce sens qu'il implique qu'on n'invite pas nécessairement les «autres» Canadiens à participer à cette fête. Dans l'esprit des journées Célébrons et Fêtons le Canada et dans l'esprit du gouvernement fédéral, qui se doit de parler au nom de tous les Canadiens à travers le pays, on doit bien comprendre ce qu'on entend par le terme «nation».
Votre proposition est intéressante, sénateur Comeau. Je suis très sensible à votre préoccupation au point de vue historique de célébrer correctement cette fête sans rebaptiser une coutume qui existe depuis des siècles. Nous sommes néanmoins un pays et une nation aussi et nul ne saurait amoindrir ce fait en reconnaissant la journée des Acadiens.
M. Basque: Je suis d'accord avec Mme Julien pour ce qui est de la démarche historique. Au XIXe siècle et dans la première partie du XXe, le 15 août était célébré comme étant fête spécifique au groupe, comme c'est le cas pour les autres ethnies — ou «nations», le terme ayant évolué.
À titre de comparaison, la Saint-Patrick a été pendant des siècles restreinte aux Irlandais. Aujourd'hui on célèbre la Saint-Patrick partout dans le monde et tout le monde est Irlandais ce jour de mars.
La fête des Acadiens et Acadiennes, sans qu'elle soit pour autant diluée, est ouverte également à tous les Canadiens et Canadiennes ainsi qu'aux visiteurs présents où se tiennent les célébrations du 15 août.
Le mot «national», «nation», fut maintenu depuis le XIXe siècle par les Acadiens. Ce terme n'a toutefois pas la même connotation que l'utilisation qu'on en fait ailleurs au Canada.
Nous avons au Canada des funérailles nationales qui se tiennent à Québec ou à Ottawa. Il en est de même à Caraquet lorsqu'un grand leader acadien meurt. Cette tradition ouverte est maintenue dans le cas des Acadiens.
Vous n'êtes pas sans savoir que l'identité acadienne précède l'identité canadienne de 1867. C'est un groupe très ancien et le débat est donc très pertinent aujourd'hui. Qu'il y ait ou non recommandation, proclamation royale ou loi canadienne, on va continuer de célébrer le 15 août comme on le fait depuis 1881 avec de plus en plus d'ampleur en incluant les autres.
Au Nouveau-Brunswick, les fêtes du 15 août se tiennent aujourd'hui dans des lieux jadis hostiles à la présence des francophones et acadiens.
Il y a quelques années, Saint-Jean, Fredericton et Miramichi ont déshonoré le drapeau acadien dans la capitale de la seule province bilingue au Canada. Aujourd'hui, le maire de Frédéricton, le gouvernement provincial et la vaste majorité des anglophones de la capitale provinciale du Nouveau-Brunswick seront présents à la levée du drapeau acadien devant l'hôtel de ville de Fredericton.
La majorité anglophone reconnaît de plus en plus le caractère national acadien. On n'entend toutefois pas «national» dans le sens propre du terme. La grande majorité des Acadiens et Acadiennes sont citoyens canadiens. Là où flotte le drapeau acadien flotte le drapeau canadien.
En Acadie, les querelles de drapeaux n'existent presque pas. Il y a toutefois un sens, un attachement, une interprétation de l'histoire qui n'est pas tout à fait la même que celle de nos voisins de la vallée Laurentienne avec qui nous partageons tant de choses. Dans certains cas, en certains espaces, on conserve une pensée différente. C'est ce qui fait la richesse de la démocratie canadienne.
Le sénateur Comeau: J'aimerais revenir sur la question de définition. Ma question s'adresse à M. Basque qui, en tant qu'historien, décrit très bien la différence entre l'expression «national» à connotation plus péjorative et l'expression à connotation positive que nous désirons rattacher à la fête nationale des Acadiens et Acadiennes.
Serait-il possible d'arriver à une définition du mot «national» pour la fête des Acadiens et Acadiennes?
M. Basque: Je ne suis pas linguiste. En tant qu'historien, je ne donne pas de connotation négative à l'utilisation du mot «national» au XXIe siècle. Les groupes ont le droit démocratique d'utiliser le vocable, et le Canada permet différents scénarios. En tant que citoyen canadien, je vois ceci comme une force plutôt qu'une faiblesse. En tant que historien, je constate que ce mot «national» est de moins en moins utilisé. On parle plutôt de la fête des Acadiens ou du 15 août. Historiquement, il a toujours été question de fête nationale. En effet, dans plusieurs calendriers de langue anglaise, on parle de «National Holiday», «National Acadian Day», «National Acadian Feast», sans en faire un débat constitutionnel, car il s'agit d'une pratique qui s'est installée. Lorsque qu'on passe à un autre niveau, la question devient toutefois beaucoup plus délicate.
Si le mot «national» disparaissait, je sentirais un certain malaise. Un sondage populaire révélerait toutefois que le 15 août souligne la fête des Acadiens et Acadiennes. On parle bien d'Acadiens et d'Acadiennes, car l'Acadie n'est pas une entité légalement reconnue.
Lorsque le gouvernement français entretient des rapports avec la Société nationale de l'Acadie, la République française signe des relevés de conclusion avec le groupe acadien et non l'Acadie.
Il existe donc une nuance que les Acadiens et Acadiennes reconnaissent. En tant que groupe voulant souligner son appartenance, les Acadiens célèbrent leur fête. Toute ironie mise à part, le 1er juillet, dans les régions acadiennes, se déroule normalement mais sans comparaison aux festivités du 15 août. En ce jour, indépendamment de la manne provenant de certaines agences du gouvernement fédéral, ce sont les Acadiens et Acadiennes qui assurent l'organisation de leur fête. Il y a un mouvement de collectivité qui n'est pas contre l'idée du Canada et n'exclue pas la participation générale.
Il s'agit aujourd'hui d'une fête nationale canadienne, en ce sens qu'elle est beaucoup plus ouverte à la participation de tout ceux qui, le 15 août, désirent se joindre au groupe acadien pour célébrer quatre siècles d'histoire — tout comme la Saint-Patrick est ouverte à ceux qui désirent souligner la fête des Irlandais et Irlandaises de diverses façons. Ainsi, nous sommes conscients d'être parmi les Irlandais, comme les touristes Japonais sont conscients de se trouver parmi des Acadiens. L'accès à cette fête n'est toutefois pas fermée comme jadis. Cette fête est aujourd'hui nationale dans le sens du Canada du XXIe siècle.
Le sénateur Comeau: Ma question précise était la suivante: Est-il possible d'avoir une définition du mot «national» dans ce projet de loi?
M. Basque: Je ne suis pas juriste, ni expert de la Constitution, ni linguiste. Plusieurs historiens ont étudié les glissements sémantiques des définitions. Si on précise ce qu'on entend par «nation», il est tout à fait possible d'en arriver à une définition. Il s'agira toutefois d'une précision qui sera particulièrement longue, étant donné la portée et l'impact de ce vocable au Canada actuel.
Le sénateur Comeau: J'ai bien saisi votre commentaire visant à désigner le 15 août comme fête des Acadiens. Toutefois, le nom propre «Fête nationale des Acadiens et Acadiennes» revêt une grande importance pour la vaste majorité des Acadiens. Que pensez-vous de la proposition de M. Moyer visant à nommer cette fête, Journée canadienne de la fête des Acadiens et Acadiennes? Quel serait l'impact d'une telle proposition au sein de la population acadienne?
Je crois que les Acadiens et Acadiennes se sentiraient insultés si le gouvernement proposait de changer le nom de «Fête nationale des Acadiens et Acadiennes» pour «Fête canadienne des Acadiens et Acadiennes».
M. Basque: En effet, je crois que ce changement susciterait beaucoup de réactions négatives. La société acadienne est à l'image de la société canadienne de nos jours. Elle est devenue plus complexe. Elle est également segmentée. Certains diront le 15 août, d'autres diront «Fête nationale» et d'autres diront «Fête des Acadiens».
Le débat n'ayant pas encore eu lieu au sein du groupe spécifiquement visé par ce projet de loi, il est difficile d'anticiper une réaction. Si l'on se réfère par le passé à des interventions extérieures à un groupe, même en faveur dudit groupe, lorsque le groupe n'a pas été consulté, il est normal de constater que la réaction est plutôt négative. On observe une certaine surprise qui s'avère négative, car on «infantilise» le groupe, on ne le consulte pas. On parle des Acadiens. Les Acadiens ne sont pas qu'un simple groupe monolithique, ni une simple notion folklorique, mais une réalité du Canada d'aujourd'hui, dont le Canada a permis l'épanouissement avec l'infrastructure et la culture qui lui est propre et non fermée.
Cette proposition peut avoir un impact négatif et être accueillie avec une certaine surprise, surtout à la veille de 2004 où l'on célébrera le 400e anniversaire de la présence des Français en Acadie.
Il ne m'apparaît pas un scénario idéal que d'arriver à un nouveau vocable légalisé, intégré dans les lois canadiennes, qui adopte une expression qui ne serait pas historiquement conforme au groupe acadien, sans avoir eu consultation étroite avec celui-ci.
M. Moyer: À titre de clarification, nous n'avons toujours pas proposé une solution. Nous avons exprimé une préoccupation à l'effet que le gouvernement du Canada doive faire très attention dans l'usage des termes «nation» et «national», puisque vous représentez une nation qu'est le Canada. J'essaie également de comprendre la solution proposée par le sénateur Joyal, qui me semble avoir un certain potentiel — et je vais tenter de résumer ce que j'ai saisi. On garde le même titre qui était déjà inscrit dans la loi.
On reconnaîtrait une journée de la fête nationale des Acadiens et des Acadiennes mais on mettrait une clause dans la loi qui dirait plus ou moins que dans cette loi, on utilise le mot «national» pour souligner l'ouverture à tous les Canadiens et Canadiennes à cette fête pour le rendre clair. Est-ce la proposition?
[Traduction]
Le président: Pourrais-je vous interrompre une seconde? J'ai bien entendu les préoccupations exprimées par le sénateur Joyal, et je ne veux pas qu'il y ait de qui pro quo en ce qui concerne ce que dit mon collègue. Certains ont des préoccupations. Le fait de définir le thème «national» serait un moyen parmi d'autres de répondre à ces préoccupations. Mais pourrait-on obtenir le même résultat en incluant une clause indiquant que cette mesure était votée pour un usage particulier?
M. Moyer: Je dois vous demander ce que vous envisagez au juste.
Le président: C'est-à-dire une clause indiquant que cette journée est reconnue comme correspondant à la fête nationale de la société acadienne. Je ne peux pas vous proposer un libellé aussi précis, mais disons qu'on indiquerait dans le projet de loi que la fête est établie pour une raison bien particulière, mais sans donner une définition. Je crois que le sénateur Comeau comprend ce que j'essaie de vous dire. Je me demande simplement si le résultat serait le même ou non.
M. Moyer: À mon avis, l'une ou l'autre possibilité pourrait donner de bons résultats. Comme je vous l'ai déjà dit, si vous souhaitez travailler de concert avec nos collègues du contentieux, nous serions très heureux d'examiner différents libellés afin d'atteindre votre objectif.
[Français]
Le sénateur Corbin: La différence entre la fête nationale des Acadiens et la Saint-Patrick, c'est que la Saint-Patrick relève du calendrier religieux. Cette distinction est importante. Ensuite, il y a eu la popularisation de l'affaire.
Le sénateur Joyal: C'est la plus vieille fête d'un groupe canadien avant la Saint-Jean-Baptiste.
Le sénateur Corbin: Existe-t-il chez vous, au ministère de la Justice, au gouvernement fédéral, une codification quant à la façon de faire pour l'établissement de désignations de jours commémoratifs?
M. Moyer: Le travail que nous avons préparé pour votre débat aujourd'hui représente probablement le meilleur résumé de l'utilisation de journées, semaines et mois spéciaux.
Le sénateur Corbin: Je vais aller plus loin que cela. Nous vous somme redevables pour cette classification. Existe-t-il un code plus ou moins restrictif pour l'accès à la désignation de journées ou de fêtes commémoratives nationales?
Il y a une différence entre la Journée nationale du sucre d'érable et la Journée nationale des peuples autochtones. Avez-vous établi, vous ou le gouvernement fédéral, un ordre de préséance, un protocole dans ce domaine? J'ai posé la question au Sénat l'autre jour parce qu'un de nos collègues veut proclamer le 11 septembre Jour de l'Amérique au Canada, ce à quoi je m'objecte. On nous arrive à brûle-pourpoint avec toutes sortes de propositions de ce genre. Je ne dis pas cela pour amoindrir l'importance de l'initiative du sénateur Comeau. Je l'appuie.
J'ai l'impression que l'on va encore un peu à la dérive dans ce chapitre au gouvernement fédéral. S'il existe un code, un ordre de préséance ou un protocole, j'aimerais pouvoir le voir et le lire.
M. Moyer: Non, il n'y a pas de codification ou une politique qui dirait qu'un certain genre de journée devrait avoir préséance sur une autre. Nous procédons, comme c'est souvent le cas dans notre système, par précédent. Nous avons créé à certains moments pour différentes raisons des journées spéciales. On base maintenant notre approche sur les précédents créés dans le passé.
Est-ce le temps de passer à un débat sur les principes de base qui pourraient guider le gouvernement dans ce sens?
Le sénateur Corbin: La réponse est oui.
M. Moyer: Peut-être, si on avait eu un tel cadre avant les événements à l'École polytechnique, je suis certain que cela ne nous aurait pas empêchés d'exprimer notre désarroi assez directement de la même façon.
Le sénateur Corbin: Je ne veux pas dénigrer quelque initiative que ce soit en termes absolus; chacun a le droit d'avancer des propositions. Il semble que priorité devrait être accordée aux événements importants de notre histoire. Comparons ce qui se passe au Canada avec nos voisins américains qui abusent aussi dans un certain sens. Pour eux, l'histoire c'est sacré. Un événement comme la Déportation des Acadiens, c'est fondamental à l'histoire du Canada. On a attendu tout ce temps pour arriver à l'initiative dont nous sommes saisis. Lorsque je parle d'un code, d'un protocole, d'un ordre de préséance, c'est en ce sens. Il ne s'agit pas de quelque chose qui fait qu'on est essentiellement guidé par l'émotion, mais plutôt basé sur des faits d'importance dans l'histoire de la vie d'une nation. Si le gouvernement fédéral n'a pas cela, il est grand temps qu'il procède en ce sens.
Comme on fait le lessivage des termes du projet de loi, je voudrais vous lire la définition du mot «nation» telle que contenu dans le Le Grand Larousse du XXe siècle, l'édition en sept volumes.
Nation: groupement d'hommes[...]
Larousse, malheureusement, n'a pas féminisé son dictionnaire mais «homme» veut aussi dire «femme».
Mme Julien: Est-ce qu'on peut se fier à cette définition?
Le sénateur Corbin: Absolument.
Groupement d'hommes unis par une tradition historique, linguistique ou religieuse, qui se sentent solidaires et aspirent à maintenir ou à réaliser une communauté. Exemples: «Une nation, c'est d'abord une âme. Pour faire mourir une nation ou un homme, il faut lui arracher l'âme. » (Vercors).
Professeur Basque, cette définition couvre-t-elle bien les Acadiens?
M. Basque: Sénateur, pour le mot «nation», dans la communauté universitaire, il y a beaucoup de débats et le débat est aussi extérieur aux frontières du Canada. C'est un débat occidental ou mondial. Plusieurs collègues — et j'en suis — ont beaucoup de réserves au sujet de l'utilisation du mot «nation» au XXIe siècle. Étant donné qu'on a maintenant d'autres paradigmes pour expliquer notre façon de vivre ensemble en tant que pays, société, communauté.
Nous arrivons à ce genre de conclusion en raison des exemples historiques — et vous en avez mentionné — qui nous enseignent quelque part que le nationalisme, les nations et les nationalités sont intéressantes comme formule pour que les gens partagent un passé, un présent et essaient de construire un avenir, mais il y a également beaucoup de dérapage et des extrêmes. Le siècle qui vient de se terminer est sans précédent dans l'histoire. Face à ces éléments, on a de la difficulté.
Je suis d'accord avec le fait qu'une nation est un groupe qui partage traditionnellement une langue, une religion. Mais ce sont des définitions du XIXe siècle où, justement, on a tenté de construire, comme dans le cas de l'Italie et l'Allemagne, où cela a été relativement un succès. Je dis relatif parce qu'en Italie et en Allemagne, il y avait au XIXe siècle d'autres langues et religions, mais c'étaient les définitions de l'époque. Aujourd'hui, il y a plus qu'une langue et plus qu'une religion. La dimension religieuse tient beaucoup plus du privé.
D'autres collègues pourraient dire le contraire. J'essaie de me situer en tant qu'historien et citoyen dans une définition du groupe plus large. C'est certain qu'au XIXe siècle en 1881, la définition d'un Acadien, c'est quelqu'un qui parle français, qui est catholique et dont la famille remonte à 1755. Aujourd'hui, Dieu merci, nous avons une définition plus englobante ce qui fait qu'on a des Acadiens et des Acadiennes qui ont des noms comme Belkoga, Vovan, Kerry, venant de d'autres groupes mais qui se sont intégrés au groupe acadien et via le groupe acadien, à la grande famille canadienne. Je partage avec beaucoup de réserve, sénateur, la définition que vous nous proposez parce qu'elle est essentiellement ancrée dans les traditions du XIXe siècle où nation, nationalisme et nationalité était très importante et était en train de se forger. Alors, qu'à l'heure actuelle, il me semble, dans notre pays, nous essayons d'être plus critiques et essayons de reposer des paradigmes plus généreux, plus inclusifs pour vivre ensemble sans pour autant étouffer les histoires, les scénarios et itinéraires de nos compatriotes.
J'estime que le Canada n'est peut-être pas une réussite à 100 p. 100, mais c'est un modèle très exportable de différents itinéraires historiques qui peuvent cohabiter, ce qui me permet de célébrer les Premières nations, les Acadiens et la Saint-Jean-Baptiste dans ma tête comme fête des Québécois et d'éventuellement, célébrer les Métis au Manitoba tout en demeurant Canadien. C'est un modèle vraiment riche qu'on retrouve très peu autour du globe.
Le sénateur Corbin: La formulation actuelle du projet de loi qui dit que le 15 août de chaque année soit désigné comme:
Journée de la fête nationale des Acadiens et des Acadiennes.
Est-elle acceptable ou non?
M. Basque: Pour la majorité des Acadiens et des Acadiennes de l'Atlantique, sénateur, pas de problèmes. J'ai l'impression que l'on va dire c'est intéressant, le Sénat souligne notre fête. Nous on en est déjà conscients. Toutefois, je dirais également que dans les chaumière de la vallée Laurentienne, probablement dans celle de la région de l'Outaouais ou ailleurs au Canada, on va se poser des questions légitimes et on va dire: «Pourquoi «national» dans ce contexte?» Oui pour les Acadiens et les Acadiennes, mais beaucoup de points d'interrogation ailleurs dans les autres régions du Canada.
Le sénateur Corbin: Quel est votre formulation préférée?
M. Basque: C'est une grosse commande, sénateur.
Le sénateur Corbin: Il faut clarifier cela.
M. Basque: Dans le meilleur des mondes, «Fête nationale des Acadiens et des Acadiennes» avec, si c'est possible, une précision que lorsque la fête a été adoptée en 1881, c'est dans les grandes lignes ceci qu'on entendait comme «national». Mais cela est dans le meilleur des mondes et on ne vit pas dans le meilleur des mondes. On vit dans un monde très politique, surtout au Canada en utilisant certains mots de notre vocabulaire. En Acadie, cette formulation va passer sans même qu'on s'en aperçoive parce que c'est déjà la formulation qu'on utilise. Ailleurs, possiblement, j'espère que cela pourrait être adopté également. Encore une fois, «Fête nationale des Acadiens et des Acadiennes», avec un petit texte qui précise.
J'aimerais ajouter que «Fête canadienne» ou «Jour canadien de la fête des Acadiens et des Acadiennes» à mes oreilles, la première écoute ou réaction que j'ai, c'est comme si cette fête est limitée au Canada. Je sais que ce n'est pas l'intention de la formulation mais c'est la première réaction que j'ai eue en l'entendant. On s'habitue peut-être mais cela a été ma première réaction. Je reviens sur le fait que «Fête nationale des Acadiens et des Acadiennes» vous respectez le vocable utilisé par les Acadiens et vous respectez la tradition historique établie depuis 1881 et, si possible, une définition qui dit voici ce qu'on entend. Mais les définitions, surtout dans ce cas, ne feront jamais l'unanimité, c'est ce qui fait qu'un débat est critique, mais c'est un mot qui a tellement de sens selon qui l'utilise, c'est une boîte de Pandore, vous le savez bien.
Le sénateur Joyal: Merci pour vos commentaires importants.
[Traduction]
Je voudrais revenir sur la question soulevée par le président concernant l'idée d'une clause spéciale en vue de circonscrire cette notion de «national», comme vient de le dire le professeur Basque. Je ne suis pas en mesure de vous dire aujourd'hui si je favorise l'incorporation d'une telle clause dans le projet de loi, ou si je ne préfère pas y inclure une clause présentant une définition.
Comme mes collègues le savent certainement, sur le plan juridique, ces deux solutions sont bien différentes. Dans le cas d'une définition, les tribunaux s'en servent pour déterminer l'étendue des notions ou concepts qui sont en cause. Une clause précisant l'usage particulier de la mesure concernée traite davantage de l'intention première du projet de loi.
Vous vous souviendrez certainement que nous avons longuement débattu hier, dans un forum différent et par rapport à un projet de loi différent, de cette question d'intention. Une fois qu'un projet de loi n'est plus entre les mains du Parlement, les tribunaux peuvent interpréter l'intention d'une loi à leur façon. Par conséquent, une clause précisant l'objet de la mesure aiderait les tribunaux à circonscrire l'intention de la loi. Par contre, une définition sert à interpréter chaque article d'une loi.
Je vois que nous avons parmi nous quelques collaborateurs fort compétents de la Bibliothèque du Parlement. Peut- être pourrions -nous donc demander à notre attaché de recherche de nous décrire les différentes répercussions d'une clause qui précise la vocation ou l'intention de la loi, par opposition à une clause qui présente une définition, pour que nous ayons toute l'information pertinente au moment de trancher la question.
[Français]
Ceci étant dit, monsieur Basque, vous avez soulevé dans votre témoignage votre intérêt et l'attention que vous avez portez à l'étude et à l'évaluation de l'impact de la déportation. Vous avez vous-même fait référence aux initiatives qui avaient été considérées par la Société nationale des Acadiens et déterminé ce que la Société souhaitait voir prendre pour reconnaître cet événement. Je dois dire, monsieur le professeur Basque, c'est une question soulevée au Sénat par nos collègues en particulier de l'Acadie lorsqu'il est question de la vitalité de la société Acadienne. Il y a, à mon avis — et là, je vous parle en tant que Canadien et Québécois, — une certaine méconnaissance de ce qu'était au XVIIe et XVIIIe siècle l'attitude des cours européennes qui avaient des colonies et qui les défendaient sur les différents continents à l'égard des populations qui habitaient ces colonies. J'en veux pour exemple — et je vais vous le citer — l'attitude que l'on avait à la cour de France autour du roi de France sur la manière dont on définissait la responsabilité royale à l'égard des colonies. Je vais vous citer les instructions que Louis XIV a données à Frontenac, le 7 juin 1689, au moment où Frontenac revient comme gouverneur de la Nouvelle-France à Québec pour un second mandat. Frontenac est renvoyé en Nouvelle-France en tant que gouverneur pour faire face aux menaces d'invasion britannique. L'Angleterre venait juste de déclarer au mois de mai, le mois précédent, la guerre à la France et à ses colonies.
Je cite l'instruction du roi Louis XIV à Frontenac:
À l'égard de tous les autres étrangers, hommes, femmes et enfants, sa Majesté trouve à propos qu'ils soient mis hors de la colonie et renvoyé à la Nouvelle-Angleterre à la Pensylvanie et en d'autres endroits qu'il jugera à propos par mer ou par terre, ensemble ou séparément, le tout suivant qu'il trouvera plus sûr pour les disperser et empêcher qu'en se réunissant ils ne puissent donner occasion à des entreprises de la part des ennemis contre cette colonie.
En d'autres mots, ce que Louis XIV disait à Frontenac, c'était de faire des raids en Nouvelle-Angleterre et dans les colonies, de prendre ces populations et de les disperser en groupes ou séparément.
En ce qui concerne de l'histoire coloniale hollandaise, portugaise ou même espagnole, on connaît assez bien de façon générale ce qui s'est passé en Amérique du Sud: on a carrément tiré sur les gens. Pendant très longtemps, on s'est demandé si les Autochtones avaient une âme. Pendant tout le XVIIe siècle, il y a eu une discussion entre les philosophes européens à ce sujet. On se demandait si les Autochtones étaient des personnes humaines.
Il faut comprendre que dans le contexte de l'époque, nous étions tous des sujets de sa Majesté et non pas des citoyens. Un citoyen, c'est quelqu'un qui détient une parcelle de la souveraineté nationale du pays. Dans le cas du XVIIe et du XVIIIe siècles, nous étions tous des sujets. Nous ne détenions aucune part ou aucune parcelle de la souveraineté. Cela sera une conquête des parlements à la fin du XVIIIe et début du XIXe siècles.
Pour la compréhension de notre histoire, il serait utile que les historiens comme vous, qui êtes une personne dont la tâche principale consiste à nous faire réfléchir sur le passé pour bien le comprendre et pour pouvoir bien exprimer le présent — c'est ce que nous essayons de faire dans ce projet de loi, nous comptons sur votre savoir pour bien comprendre les phénomènes de dispersion des populations, des colonies au XVIIe et au XVIIIe siècles. Cela nous aiderait à mieux apprécier la nature de ces événements, à les reconnaître. Ce sont des événements fondateurs dans une certaine mesure. La dispersion, en 1755, a eu un effet positif. Cette dispersion a donné naissance à cet esprit, à cette cohésion. Pensons au rapport de Durham, en 1837, qui disait que les Canadiens français n'avaient pas d'histoire, n'avaient pas de sens des affaires publiques, donc c'était leur rendre service que de les assimiler. La philosophie de Durham a provoqué un resserrement de la communauté canadienne-française et suscité les historiens Canadiens français qui nous donnent notre société canadienne-française.
Cet événement de 1755 est un événement très important. On devrait le comprendre dans le contexte de ce qu'étaient les politiques coloniales et le statut des personnes à cette époque. Si on apprécie cet événement à l'ombre de la Charte des droits de la personne d'aujourd'hui, des conventions internationales pour la protection des droits civils, politiques et culturels, on trouve que c'est une abomination sans nom. Il faut comprendre ces événements dans le contexte de l'époque où ils sont survenus. Cela ne les excuse pas à la mesure d'aujourd'hui, mais on comprendrait de quoi on parle. Les historiens canadiens et singulièrement acadiens ont une responsabilité importante pour nous aider à comprendre ces événements.
M. Basque: L'histoire est surtout une question de contexte, c'est-à-dire de comprendre les différents éléments qui ont façonné un événement, une société, à un moment donné. Dans l'ensemble, la tradition acadienne à l'endroit du grand dérangement, ce n'est pas oublié, mais ce n'est certainement pas cultivé avec un esprit revanchard.
C'est la seule province au Canada où Sa Majesté n'a même pas adressé la parole aux sujets et citoyens canadiens. Lors de sa visite, elle n'a pas été huée dans les régions acadiennes même si le gouvernement dont elle est à la tête a refusé de prendre des démarches pour donner des excuses. Il n'y a donc pas dans le groupe acadien ce sentiment de cultiver cet esprit de revanche, au contraire, mais il y a quand même une reconnaissance d'un tort historique. Les Acadiens et les Acadiennes ne sont pas les seuls mais, de temps en temps, c'est agaçant lorsqu'on lit que Staline a déporté les Tatars. Personne ne nie cela, mais de toujours diminuer un événement historique, on le dilue et la légitimité n'est plus.
En 2005, c'est la commémoration du 250e anniversaire du Grand dérangement. Il y a un mouvement en Acadie contemporaine de trouver une date, en 2005, pour souligner le Grand dérangement. La date serait probablement fixée à l'automne pour refléter ce qui s'est produit à l'automne de 1755. Il ne s'agira pas d'une date d'acrimonie ou de revanche, mais plutôt d'une date de souvenir comme celle du 11 novembre. J'aime bien me souvenir le 11 novembre de mon grand-père qui est allé à la Première Guerre mondiale, mais je n'ai pas de rancœur vis-à-vis les Allemands qu'il a combattus. Il est important de prendre quelques instants pour y réfléchir. La même chose est là pour l'année 1755 comme une étape de première importance.
Le sénateur Corbin a raison lorsqu'il dit que si on était des Américains, cette date serait inscrite au calendrier parce qu'elle est vraiment importante. Cette date a eu un impact considérable pas seulement dans les Maritimes mais pour tout ce qui est devenu le Québec par la suite, dans toutes ces régions du Québec qui ont reçu ces réfugiés acadiens, qui ont enrichi la société québécoise et qui sont devenus par la suite des Canadiens français et aujourd'hui des Québécois.
Les dates ne sont pas un détail surtout dans un groupe qui se considère distinct comme nation depuis le XVIIIe siècle. Le groupe acadien est une particularité au Canada puisqu'il n'a pas de provinces ou d'états, mais il s'est fondu dans la famille canadienne. Le groupe acadien n'a pas refusé l'expérience canadienne. Même si les Acadiens ont voté en majorité contre la fédération en 1866, ils sont devenus, par la suite, de grands adhérents à l'idée que nous avons aujourd'hui du Canada.
Le sénateur Joyal: Selon votre opinion, monsieur Basque, quelle est la figure de proue des fondateurs de l'Acadie en 1604?
M. Basque: Ce sont essentiellement des hommes qui sont là en 1604. Il s'agissait d'une expédition commandée par sir DeMont accompagné par Samuel de Champlain qui deviendra beaucoup plus célèbre surtout après sa mort. Plus tard, on parlera de cet homme comme Samuel de Champlain vers la fin de sa vie. Sir DeMont et bien sûr un calviniste. Vous voyez l'horreur au XIXe siècle de ces bons curés catholiques qui écrivaient l'histoire des Français au Canada. Est-ce qu'un protestant peut être le père de l'Acadie et de la Nouvelle-France? Malheureusement, même si DeMont était un homme très présent, il a laissé très peu d'écrits et il n'a pas d'enfants. Il est disparu de la mémoire collective des francophones au Canada.
Il est surtout honoré chez les Américains qui ont vu là un signe de bonne entente entre catholiques et protestants. Que l'on souligne les DeMont, Champlain et Lescarbeault, mais que l'on ne fasse pas de ces gens des êtres plus grands que nature.
Dieu merci, au Canada, nous avons une certaine mesure des choses. Nous ne canonisons pas rapidement des George Washington et des Thomas Jefferson qui apparaissent comme des surhommes. On reconnaît les gens pour leurs forces et également leurs faiblesses, comme êtres humains qui ont fait des choses exceptionnelles, sans pour autant les placer sur l'Olympe. J'espère que nous allons en faire autant en 2004: donner la possibilité aux jeunes Canadiens et Canadiennes dans les écoles d'observer Champlain sous ses forces et ses réserves également; avec son regard européen sur les Améridiens et son regard d'homme visionnaire malgré tout d'humain.
L'enseignement de l'histoire au Canada nous permet cet esprit critique, plus fédérateur et beaucoup plus porté sur le fait de vivre ensemble que de dire «mon héro est plus fort ou meilleur que le tien». J'aime cette façon qu'on a de poser des questions à nos héros et de s'attendre à des réponses.
En conclusion, j'espère que Champlain comme personnage sera bien ancré dans les nombreuses célébrations qu'on aura jusqu'en 2008. De temps à autre, dans certains colloques, on oublie où se trouvait Champlain. Il débarque à Tadoussac en 1603, il a un long sommeil et se réveille au pied du Cap Diamant en 1608. Comme Acadien, on aime bien reconnaître une partie importante de sa vie, celle qu'il a passée, pas toujours heureuse, entre l'Île-Sainte-Croix et Port- Royal.
[Traduction]
Le sénateur Joyal: Je voudrais simplement conclure en disant qu'à l'origine, la femme de Champlain était calviniste. Il y avait un groupe de personnes qui ne répondaient pas exactement aux critères de la cour française.
Le sénateur Comeau: Je veux m'assurer de bien comprendre les réserves et observations des uns et des autres, dans le cadre de notre discussion de ce matin, qui a porté uniquement sur le mot «national». Je veux surtout bien comprendre la remarque de M. Moyer, à propos de la consultation juridique obtenue du ministère de la Justice. Pourriez-vous donc me dire quelle est la nature du problème qui résulterait de l'utilisation de ce terme?
M. Moyer: À notre avis, il convient que l'utilisation du mot «nation» par le Parlement du Canada, dans le contexte de lois qui visent les Canadiens, soit réservée à des mesures qui touchent l'ensemble des habitants du Canada. Autrement dit, si le Parlement du Canada adopte une loi qui comporte le mot «nation» ou «national», ces deux termes devraient être utilisés de façon à inclure tous les habitants du Canada. Nous craignons que ce mot, tel qu'il est utilisé dans ce projet de loi, puisse être interprété de deux façons différentes.
D'une part, on pourrait dire — et de nombreux Acadiens seraient d'avis que c'est le sens original qui s'applique — que ce projet de loi se reporte uniquement à la nation acadienne. Par contre, comme nous employons le même titre que celui prévu à l'origine, et comme c'est le Parlement du Canada qui adopte cette mesure, que cette loi a pour conséquence d'élargir le sens du mot «nation». Nous souhaitons par conséquent tirer au clair la situation. Nous espérons que dans le cadre de votre analyse, vous pourrez clarifier la situation, si bien que le Parlement du Canada puisse continuer de n'utiliser le mot «nation» que lorsque l'ensemble des Canadiens sont visés.
Le sénateur Comeau: Donc, vous proposez que le mot «nation» ou «national» ne soit utilisé que dans un contexte pancanadien, c'est-à-dire par rapport à l'ensemble du Canada. Ainsi le mot «national» ne serait jamais utilisé dans un autre type de loi — par exemple, ce projet de loi. Vous dites donc que sur le plan juridique, il n'est pas acceptable de l'utiliser de cette façon dans un projet de loi.
M. Moyer: Ce n'est pas vraiment une question d'acceptabilité. Disons que nous avons des réserves puisque le Parlement du Canada utiliserait le mot «national» de façon différente. Nous voulons simplement nous assurer que si le Parlement décide d'agir ainsi, vous aurez tout de même obtenu au préalable les meilleurs conseils possibles sur les conséquences d'une telle décision. Mais il ne fait aucun doute que vous avez le droit d'adopter les lois qui vous semblent appropriées.
Le sénateur Comeau: Ma première question était celle-ci: Quel problème précis pourrait en résulter?
M. Moyer: Nous en avons discuté aujourd'hui même. Il est possible que d'autres groupes au Canada estiment qu'eux aussi, ont une identité nationale distincte. Il a déjà été question du Québec. Nous n'avons pas beaucoup parlé des Premières nations du Canada, mais comme vous le savez, ces dernières estiment avoir également le droit d'utiliser des termes comme «nation» et «national» pour décrire leur situation. Par conséquent, d'autres Canadiens qui tiennent tout autant à ce qu'on reconnaisse leurs traditions pourraient également demander au Parlement du Canada de les reconnaître de façon semblable.
Le sénateur Comeau: Donc, ce n'est pas pareil pour la Journée nationale des Autochtones, désignée par suite d'une proclamation royale?
M. Moyer: Non, car il s'agit effectivement d'une journée véritablement «nationale», en ce sens que tous les Canadiens sont visés.
Le sénateur Comeau: Mais il s'agit de la «Journée nationale des Autochtones».
M. Moyer: Oui, c'est exact.
Le sénateur Comeau: Y a-t-il une définition qui fait que le contexte est différent?
M. Moyer: Non.
Le sénateur Comeau: Quelle est donc la différence entre la Journée nationale des Autochtones et la Journée de la Fête nationale des Acadiens et Acadiennes?
M. Moyer: La désignation «National Acadian Day» ne pose pas de problème, c'est plutôt la version française qui pose problème.
Le sénateur Comeau: Dans la version anglaise, on dit «An Act respecting a National Acadian Day»; donc, cette version ne pose pas problème.
M. Moyer: Non, l'anglais est acceptable.
Le sénateur Comeau: C'est donc la version française qui pose problème. Vous n'aimez pas l'utilisation du mot «national» en français, mais en anglais, ça va; c'est bien ça?
M. Moyer: Oui.
Le sénateur Comeau: Je ne comprends plus rien.
Le sénateur Joyal: Moi, je comprends. Nous allons en discuter une autre fois.
Le sénateur Comeau: Je suppose qu'il faut être Québécois pour comprendre.
Le président: Nous aurons une autre occasion d'en parler.
[Français]
Mesdames et messieurs, je vous remercie d'être venus aujourd'hui.
[Traduction]
J'aimerais remercier nos témoins, et surtout le professeur Basque, d'avoir accepté de venir de Moncton pour nous rencontrer. Mais nous sommes reconnaissants envers tous nos témoins pour leurs observations très éclairées et la discussion à laquelle ont pu participer tous les membres du comité. Merci infiniment pour votre contribution.
La séance est levée