Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 14 - Témoignages du 25 septembre 2003
OTTAWA, le jeudi 25 septembre 2003
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui à 10 h 55 pour étudier le projet de loi C-35, Loi modifiant la Loi sur la défense nationale (rémunération des juges militaires).
Le sénateur George J. Furey (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Le premier point à l'ordre du jour est le projet de loi C-35. Après que nous aurons entendu le témoignage et posé nos questions sur ce projet de loi, je propose, si nous en avons le temps, de discuter à huis clos des autres points à l'ordre du jour.
Je souhaite la bienvenue à nos témoins, le lieutenant-colonel André Dufour, le lieutenant-colonel Michael Gibson et le major Doug Elderkin.
Messieurs, vous allez présenter votre exposé et ensuite les sénateurs vous poseront des questions. Allez-y.
[Français]
Le lieutenant-colonel André Dufour, directeur des services législatifs et réglementaires, ministère de la Défense nationale: Honorables sénateurs, il me fait plaisir de vous donner aujourd'hui un aperçu global des éléments essentiels du projet de loi C- 35. Mon exposé touchera les trois parties du projet de loi. Comme vous le savez, ces propositions de modifications n'apparaissent pas nécessairement par ordre numérique dans le texte.
[Traduction]
Dans la première partie, je vais traiter de la disposition habilitante qui est proposée, et qui permettrait au Conseil du Trésor de prendre des règlements pouvant s'appliquer de manière rétroactive. Je discuterai de la modification apportée à l'article 12 et de la modification qui en découle à l'article 165.22.
Dans la deuxième partie de mon exposé, je vais parler de certaines des dispositions qui permettraient de clarifier les dispositions de la Loi sur la défense nationale qui portent sur les mandats relatifs aux analyses génétiques.
Dans la troisième partie, je vais traiter des modifications qui permettraient d'harmoniser les versions française et anglaise de quatre dispositions de la Loi sur la défense nationale, la LDN.
En 1997, la Cour suprême du Canada a rendu une décision importante dans l'arrêt concernant la rémunération des juges de la Cour provinciale de l'Île-du-Prince-Édouard. La cour a statué qu'il doit y avoir un mécanisme indépendant, objectif et efficace pour établir la rémunération des juges. Dans un sens, ce jugement avait pour objectif de soustraire la sécurité financière des juges à une influence indue de la part du pouvoir exécutif.
[Français]
La jurisprudence a aussi établi qu'il existe trois composantes essentielles pour satisfaire aux exigences de l'article 11d) de la Charte canadienne. Il s'agit de l'inamovibilité des juges, la sécurité financière et l'indépendance institutionnelle du tribunal.
En 1992, suite à l'arrêt Généreux de la Cour suprême du Canada, des modifications législatives ont été apportées à la Loi sur la défense nationale, de même que des modifications substantielles aux règlements des Ordonnances et règlements royaux des Forces canadiennes (ORFC) pour satisfaire à ces mêmes exigences d'indépendance.
[Traduction]
En 1998, dans l'arrêt Lauzon, la Cour d'appel de la cour martiale appliquait les principes que la Cour suprême a établis dans sa décision de 1997 au sujet des juges de l'Île-du-Prince-Édouard et a déterminé que le système existant pour fixer la rémunération des juges militaires n'était pas adéquat. La cour a accordé un délai d'un an pour apporter les modifications appropriées.
En 1999, pour se conformer à cette exigence, le Comité d'examen de la rémunération des juges militaires (CERJM) a été mis sur pied par règlement pour examiner la pertinence de la rémunération des juges militaires et de faire des recommandations au gouvernement.
[Français]
Comme vous le savez, en 1998, la Loi sur les juges était modifiée pour créer un mécanisme indépendant, objectif et efficace, apte à régler la question de la sécurité financière des juges civils. La Commission d'examen de la rémunération des juges fédéraux fut alors créée. Des facteurs objectifs sur lesquels la commission devait se baser dans ses recommandations furent prescrits dans la loi — je vous réfère en particulier à l'article 26(1.1). Entre autres facteurs, on retrouve l'état de l'économie, le rôle de la sécurité financière des juges dans la préservation de l'indépendance judiciaire et le besoin de recruter les meilleurs candidats pour la magistrature. Ces mêmes facteurs furent repris à l'article 204.24 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes.
[Traduction]
L'objectif de la modification du paragraphe 12(4) de la Loi sur la défense nationale est de permettre au Conseil du Trésor de prendre des règlements sur la rémunération des juges militaires avec effet rétroactif à la date du début de la période de révision. Actuellement, le paragraphe 12(3) permet uniquement au Conseil du Trésor d'établir les taux et les conditions de versement de la solde des juges militaires. Lorsque le CERJM transmet ses recommandations au gouvernement, le ministère de la Défense nationale fait des recommandations au Conseil du Trésor qui, en bout de ligne, sera pleinement autorisé à fixer la rémunération des juges militaires avec effet rétroactif à la date du début de la période de révision.
La Loi sur les juges exige qu'il y ait un examen tous les quatre ans. La première période d'examen a débuté le 1er septembre 1999 et la seconde période d'examen du CERJM a débuté le 1er septembre 2003. Le CERJM devrait présenter un rapport d'ici la fin de mai 2004. Les membres de ce comité ont été nommés le 29 août 2003, et leur mandat débute le 1er septembre 2003. Le président du comité, nommé par décret, est l'honorable Peter Cory, c.r., d'Ottawa. Les membres sont M. Ian D. Clark de Toronto, qui a été désigné par le ministère de la Défense nationale, et Mme Claire l'Heureux-Dubé, qui a été désignée par les juges militaires.
Après réception du rapport du CERJM, le ministre doit le rendre public dans un délai de 30 jours et il dispose d'un délai de six mois pour y répondre. Sans vouloir présumer de la recommandation du CERJM, il est évidemment possible que la recommandation soit rétroactive à la date du début de la période de révision, c'est-à-dire le 1er septembre 2003.
Étant donné qu'il n'est pas absolument clair que le Conseil du Trésor a le pouvoir de payer les juges visés par le paragraphe 12(3) de la Loi sur la défense nationale avec effet rétroactif, il est nécessaire de modifier la Loi sur la défense nationale. C'est pourquoi nous sommes ici aujourd'hui.
Bien que le gouvernement autorise la rémunération et les avantages sociaux, le processus de versement de la rémunération lui-même doit être parfaitement clair.
[Français]
Permettez-moi maintenant de traiter de la deuxième question abordée dans le projet de loi, soit la question de l'ADN.
La deuxième série de modifications a trait au pouvoir d'émettre des mandats d'analyse génétique, au terme de la Loi sur la défense nationale. Cette série de modifications vient clarifier les dispositions en vertu desquelles ces mandats sont émis.
Des modifications ont été apportées à la Loi sur la défense nationale au cours de l'année 2000, suite aux modifications apportées au Code criminel du Canada. Le Sénat fut par la suite saisi du projet de loi S-10.
[Traduction]
La Loi sur la défense nationale stipule actuellement que les mandats relatifs aux analyses génétiques doivent être émis en vertu de l'article 196.12 ou de l'article 196.13. C'est assez technique, mais je vais essayer de vous présenter des exemples qui expliquent pourquoi nous recommandons ces modifications. L'article 196.12 contient des dispositions qui permettent aux agents de la paix de demander à un juge militaire un mandat autorisant le prélèvement de substances corporelles pour effectuer des analyses génétiques à des fins médico-légales. D'autre part, l'article 196.13, qui traite des télémandats, offre une solution de rechange en permettant à un agent de la paix d'obtenir un mandat par téléphone ou par un autre moyen de télécommunication, lorsqu'il n'est pas possible pour l'agent de la paix de se présenter devant un juge militaire. Cependant, le fondement législatif permettant d'émettre un mandat, à partir de l'information présentée par téléphone ou par un autre moyen de télécommunication, en vertu de l'article 196.13, est uniquement l'article 196.12. L'article 196.13, qui traite des télémandats, n'est pas retiré de la Loi sur la défense nationale. Cependant, on ne fait pas référence à l'article 196.13 dans d'autres dispositions de la Loi sur la défense nationale, notamment celles qui traitent des analyses génétiques.
Nous avons adapté la disposition de la Loi sur la défense nationale par souci d'harmonisation avec le Code criminel. L'article 487.05 du Code criminel, qui traite des mandats autorisant le prélèvement de substances corporelles pour analyse génétique à des fins médico-légales, est équivalent en substance à l'article 196.12 de la LDN. L'article 487.1 du Code criminel est équivalent à l'article 196.13 de la LDN, lesquels traitent des télémandats.
Par exemple, dans l'article 4 du projet de loi, les mots «visé à l'article 196.12» ont été ajoutés afin de faire en sorte que le mandat est toujours émis en vertu de cet article. Dans les articles 6 à 9, la référence à l'article 196.12 a été supprimée afin de bien préciser le fondement législatif. Auparavant, il y avait une référence aux deux articles, soit 196.12 et 196.13.
En résumé, la référence à l'article 196.13 a été supprimée de plusieurs dispositions de la Division 6.1 de la Loi sur la défense nationale qui traitent des analyses génétiques à des fins médico-légales.
[Français]
Les dispositions actuelles de la Loi sur la défense nationale ne font pas ces distinctions. Par conséquent, les propositions incluses à ce projet de loi, à notre avis, clarifieront les pouvoirs en ce qui a trait à l'émission des mandats de perquisition lorsqu'il s'agit d'effectuer une analyse génétique à des fins médico-légales. Les propositions viseront également à rendre ces mandats conformes aux dispositions du Code criminel.
J'attire maintenant votre attention sur la troisième partie du projet de loi. Dans les cas où des modifications correctrices et mineures doivent être apportées, le sénateur Atkins nous posait la question à savoir la raison pour laquelle il existe des incompatibilités au niveau du processus. Comme nous le savons, l'adoption de modifications mineures ou correctrices s'effectuent normalement par le biais d'un projet de loi correctif omnibus.
Dans le cas présent, les modifications proposées portent sur les articles 153d), 196.17, 249.21 et 273.63 de la loi. Ces modifications visent à assurer la cohérence entre les versions française et anglaise de la loi, conformément au projet de loi C-25 adopté en 1998 par le Parlement.
[Traduction]
Le président: Merci beaucoup. Lieutenant-colonel Dufour, avant de donner la parole au sénateur Beaudoin, j'ai deux questions à vous poser pour obtenir des éclaircissements; peut-être pouvez-vous m'aider.
L'article sur les mandats relatifs aux analyses génétiques qui fait l'objet d'une modification pour l'harmoniser avec le Code criminel en ce qui concerne les demandes de mandats par divers moyens de télécommunications élargit-il d'une manière ou d'une autre le pouvoir ou l'autorité de recevoir le mandat?
Le lcol Dufour: Non. La modification vise uniquement à rendre la disposition comparable à celle que l'on retrouve dans le Code criminel.
Le président: Le processus d'examen de la rémunération se déroule de septembre à mai, soit six mois. Est-ce normal?
Le lcol Dufour: C'est conforme à la Loi sur les juges. Une période de neuf mois est prévue entre le moment où les membres sont nommés et le moment où ils déposent leur rapport, ce qui sera fait en mai 2004.
Le sénateur Beaudoin: Monsieur le président, j'aimerais tout d'abord dire quelques mots. Toutes les personnes ici présentes étaient également présentes en 1997. Après plusieurs semaines de travail et de nombreuses réunions, nous avons finalement modifié le système de la cour martiale. Pour ma part, j'ai toujours pensé que c'était le minimum que nous avons finalement obtenu.
Je suis certain que les sénateurs Nolin, Joyal et d'autres feraient allusion au mandat de l'ancien juge en chef Lamer parce qu'il avait le mandat d'étudier certains problèmes qui se rapprochent de celui-ci. Ce n'est qu'un point de départ.
Pourquoi cette question n'a-t-elle pas été traitée en 1997? C'est ma première question.
Ma seconde question a trait à la sécurité financière. L'article 3 du projet de loi remplace le paragraphe 165.22(1) de la loi par ce qui suit:
Les taux et les conditions de versement de la solde des juges militaires sont ceux fixés par le règlement du Conseil du Trésor.
C'est quelque chose. Le système judiciaire doit être indépendant et il doit être perçu comme tel. Ce principe est fondé sur l'arrêt Sussex, auquel je fais souvent référence. Cela me pose un problème. Pourquoi cela n'est-il pas affirmé dans la loi elle-même?
Les sénateurs se rappelleront qu'en 1997, nous avons discuté en long et en large de l'indépendance des juges comme étant indispensable à l'accomplissement de leur devoir et de leurs responsabilités parce que personne ne devrait intervenir. Nous avons analysé l'arrêt MacKay et l'arrêt Généreux. Nous avons respecté le minimum. Je me demande si nous avons respecté la question de l'indépendance.
Nous nous intéressons actuellement aux cours martiales. Nous savons que les juges ne sont pas toujours là, contrairement aux juges qui siègent dans les cours de justice civiles et criminelles. Enfin, dans l'affaire Généreux, la Cour suprême en est venue à la conclusion que c'était acceptable. Comme je l'ai dit, ce n'est pas ce qu'il y a de plus fort du côté de l'indépendance judiciaire.
J'aimerais savoir ce que le lcol Dufour peut répondre aux deux questions que je viens de poser.
Le lcol Dufour: Je vais traiter de la première question qui consiste à savoir pourquoi les modifications n'ont pas été adoptées en 1998. Nous avons effectivement modifié les articles 12 et 35 de la Loi sur la défense nationale en 1998; il s'agissait de modifications d'importance contenues dans un projet de loi d'une centaine de pages. Nous avons voulu nous assurer que les modifications apportées à la Loi sur les juges se reflétaient dans notre loi. La Cour d'appel de la cour martiale du Canada nous a donné un an pour modifier nos règlements et notre loi, et la décision de le faire a été prise. Je ne peux dire s'il s'agissait d'une bonne ou d'une mauvaise décision, mais la décision a été prise de procéder par voie de règlement, compte tenu du calendrier à respecter et de la nécessité d'assurer le bon fonctionnement du système de cour martiale.
Je ne peux répondre à la place du ministre et dire quelle a été la décision à l'époque, mais il a été décidé de procéder par voie de règlement. Le CERJM était également tenu de produire son premier rapport en 1999, et il y a eu un retard.
Je comprends l'argument du sénateur Beaudoin. Je ne suis pas ici pour dire si oui ou non, la cour a traité de la question. Je pense que vous soulevez un nouveau point qui n'a pas été débattu dans le cadre de l'arrêt Généreux, par exemple. Le point soulevé par le sénateur est certainement valable. Toutefois, à ce moment-là, il a été jugé pratique de traiter cette question par voie de règlement.
Le sénateur Beaudoin: Si je peux intervenir, il y a trois éléments: inamovibilité, sécurité financière et indépendance.
Le sénateur Joyal: Le mot clé est «institutionnelle.»
Le sénateur Beaudoin: Lorsque vous dites que vous ignorez pourquoi ils ont procédé par voie de règlement, la sécurité financière est très importante pour le troisième pouvoir de l'État. Nous laissons cela au pouvoir exécutif seulement. C'est à cela que servent les règlements.
À première vue, cela regarde plutôt mal. Le pouvoir exécutif peut changer la rémunération des juges.
[Français]
Cette prétention est un peu forte.
[Traduction]
Le sénateur Nolin: Avant que nous commencions à entendre la réponse, j'aimerais ajouter quelque chose.
[Français]
Nous sommes familiers avec l'arrêt Généreux sur lequel vous appuyez votre argument. Toutefois, la Loi sur les juges établit la rémunération des tribunaux civils traditionnels.
Dans la cause Généreux, jamais on a mis en question le fait de procéder par voie législative, car il en est ainsi conformément à la Constitution. Selon la Constitution, il revient au Parlement de fixer les salaires.
À votre avis, les tribunaux militaires sont-ils inclus dans le groupe de tribunaux auxquels la Constitution fait référence? Si tel est le cas, pourquoi se distancer de l'utilisation du pouvoir législatif du Parlement? Voilà le cœur du débat. Il s'agit d'une question d'indépendance.
LCol Dufour: Les cours martiales sont des tribunaux au même titre que les tribunaux auxquels vous faites référence. Ces tribunaux légifèrent en matière d'atteintes aux droits des individus, et les accusés s'exposent à des peines importantes.
Les propositions législatives avancées aujourd'hui de procéder par Règlement plutôt que par la Loi constituent l'alternative préférée du ministère, après avoir pesé les différentes possibilités. Cette option ne semble pas avoir jusqu'à présent suscité de contestation judiciaire. Toutefois, nous sommes conscients, sénateur, des arguments que vous soulevez. La réglementation proposée est-elle suffisante pour satisfaire aux règles d'indépendance en vertu de l'article 11, et en particulier en ce qui concerne la sécurité financière des juges?
Il y a un an, lorsque j'ai assumé la direction des services législatifs au ministère de la Défense nationale, certaines corrections essentielles devaient être apportées. Un comité devait se réunir sous peu, et la situation était urgente. Nous avons donc choisi de procéder tel que nous vous le soumettons aujourd'hui. Le projet de loi, tel que déposé, pourra certes être bonifié dans un avenir prochain. La Loi sur la Défense nationale doit d'ailleurs faire l'objet d'une révision à tous les cinq ans.
Je soumets donc respectueusement cette solution, dans l'hypothèse où, suite aux avis juridiques nécessaires, on en vient à la conclusion qu'il est trop risqué de poursuivre dans la voie actuelle.
Le sénateur Beaudoin: Un problème m'apparaît prima facie sur le plan de la sécurité financière si cet item demeure aux règlements. Pendant que ces juges rempliront l'exercice de leurs fonctions, le gouverneur en conseil pourra modifier leur salaire? Je ne suis pas d'accord avec cette proposition. En 1997, nous avons fixé le minimum.
[Traduction]
C'est le minimum, mais je ne pense pas que vous êtes au minimum. Je n'en suis pas certain. N'oubliez pas que les juges militaires doivent satisfaire au principe de l'inamovibilité. Très souvent, ils sont nommés pour une période de temps déterminée. Cela pose un petit problème.
Le troisième point — et vous devez satisfaire au troisième point —, c'est l'indépendance de l'institution. Eh bien, si vous jouez avec le traitement ou la rémunération, peut-on vraiment parler d'indépendance? Je ne sais pas ce que l'ancien juge en chef Lamer dirait. Cependant, il a eu un rôle très important dans l'arrêt Généreux. Son mandat actuel est très important.
Le sénateur Cools: Monsieur le président, il s'agit de notre première réunion et je pense qu'il en faudra plusieurs pour étudier ce projet de loi et pour épuiser cette question. Je veux juste clarifier ce point. Ces questions sont effectivement difficiles et complexes.
Le président: Lorsque j'ai examiné ces amendements, j'ai tout de suite pensé que nous n'aurions pas besoin de plus d'une réunion.
Le sénateur Cools: Je pense que nous devrions en prévoir quelques-unes. Je dois donner un exposé à midi. Je ne sais pas à quelle heure était prévue la fin de la présente réunion, mais je sais que je dois partir à midi. Je suis empressée de savoir si nous aurons d'autres réunions ou des audiences publiques sur ce projet de loi. Par exemple, nous avons entendu une discussion de l'indépendance institutionnelle, mais dans le cas des juges militaires, parle-t-on de l'institution des tribunaux ou de celle du ministère de la Défense nationale et des militaires? Il nous faudra un certain temps pour démêler tout cela. À mon humble avis, l'indépendance judiciaire, au sens historique, ne s'appliquait pas aux juges militaires. D'après ce que je sais, l'armée constitue la plus vieille organisation sociale du monde, et elle possède ses propres effectifs médicaux, qui la suivent partout. Les juges militaires sont capables de voyager sur les lieux des événements. Dans le cas des cours martiales, cela prendrait une forme différente. Sans vouloir manquer de respect, la plupart des infractions avec lesquelles les juges militaires doivent traiter sont des infractions relativement mineures. Par exemple, une affaire pourrait faire intervenir deux ou trois types accusés de s'être bagarrés dans un bar sur une base militaire située à l'étranger. Nous sommes en train de découvrir que ce projet de loi mérite une attention sérieuse et j'ai la tête pleine d'idées.
Le président: Je suis certainement d'accord pour convoquer d'autres témoins. La décision vous appartient. Initialement, j'ai dit que la substance de ce projet de loi concernait uniquement la rémunération des juges militaires et la rétroactivité, ce qui est une pratique assez courante dans le cas de la rémunération des juges. Je crois que le lcol Dufour a dit que le processus visant à déterminer s'il y aura une augmentation de la rémunération prend quelque chose comme six mois.
Si le comité estime, après avoir entendu les témoins de ce matin, que nous devons en entendre d'autres, alors, nous le ferons.
Le sénateur Beaudoin: Un point à l'intention du lcol Dufour. Il y a une différence entre les juges militaires et les autres juges. J'accepte d'emblée que la différence pourrait être l'inamovibilité, parce qu'ils sont dans une situation particulière. Les juges nommés sont actifs jusqu'à l'âge de 75 ans. Il peut être difficile pour les juges militaires de demeurer actifs jusqu'à cet âge, pour diverses raisons. Ceci dit, j'accepte le point qui a été soulevé dans l'arrêt Généreux.
Par contre, nous devons nous conformer à des principes comme la sécurité financière et l'indépendance de l'institution. Nous devons accepter le fait qu'il puisse être impossible de garder une nomination judiciaire dans le domaine militaire jusqu'à l'âge de 75 ans. Cependant, nous sommes tout de même obligés de nous conformer à ces deux principes; nous ne pouvons y échapper.
[Français]
Le sénateur Joyal: Plusieurs membres de ce comité, dont les sénateurs Beaudoin, Cools, Nolin et moi-même, ont apporté des amendements au projet de loi sur la rémunération des juges afin d'établir des critères de référence. Nous avons estimé que le comité devait disposer d'une certaine forme d'encadrement et de direction afin de s'assurer qu'il n'y ait pas de discrétion indéfinie. Cette provision devait s'avérer nécessaire dans la mesure où un comité était chargé d'une responsabilité importante et essentielle au maintien et à la satisfaction du deuxième principe: la sécurité financière.
Dans votre présentation, qui était d'ailleurs fort intéressante, vous nous demandez de faire exception au système en vigueur pour la rémunération des juges, de façon générale, en recourant aux mécanismes réglementaires.
Comme l'a souligné précédemment l'honorable sénateur Nolin, l'arrêt Généreux indique clairement le processus législatif comme voie à emprunter, et personne n'a soulevé une autre approche.
[Traduction]
Comme on dit en anglais: vous vous écartez de cette approche. C'est à vous qu'il appartient de démontrer pourquoi et de démontrer que cette exception est justifiée pour respecter le principe. Votre rapport fait l'inverse: les rôles sont inversés.
J'ai passé de nombreuses heures avec les sénateurs à discuter de la rémunération des juges suivant la décision prise dans le cas de l'Île-du-Prince-Édouard. De plus, nous devons considérer les propositions futures de l'ancien juge en chef Lamer lorsqu'il aura terminé son enquête. Nous devons être prudents lorsque nous nous écartons du système existant qui a été mis en place dans le cadre de la décision touchant les juges de l'Île-du-Prince-Édouard.
Je crois comprendre d'après ce qu'ont dit mes collègues autour de la table que si vous voulez vous écarter de ce système, vous devez nous prouver que le système serait plus efficace pour respecter le principe. Autrement, nous serions tentés de revenir à la formule générale. C'est de cette façon que nous voyons cette approche.
Autrement dit, n'essayez pas de contourner le système parce que vous estimez qu'il y a eu une omission dans le processus de réglementation. J'essaie de caricaturer et d'être méchant, mais c'est uniquement pour m'assurer d'être bien compris. C'est là la préoccupation du comité dans cette question.
Le sénateur Bryden: Je ne suis pas certain qu'il est juste de demander au témoin qui sont actuellement devant nous de répondre aux questions posées par les sénateurs Joyal et Beaudoin. Ce sont des techniques fondamentales dans le cas des tribunaux. Ces messieurs sont venus ici pour faire un certain nombre de choses importantes, mais techniques.
En supposant que le système est correct, pourrait-il y avoir une application rétroactive? C'est ce que nous demandons. Nos témoins n'ont rien eu à voir avec la décision de passer par la voie réglementaire plutôt que par la voie législative.
Notre première décision est de déterminer qui nous devons inviter à comparaître devant le comité pour poser nos questions. Devrait-il s'agir du ministre de la Défense nationale ou du ministre de la Justice? Faut-il d'abord inviter le ministre de la Défense et ensuite, convoquer le ministre de la Justice pour lui demander si ce système fonctionnera?
Le sénateur Nolin: Politique publique; vous avez absolument raison.
Le sénateur Bryden: Je suis d'accord. J'ai déjà été placé dans la même situation que nos témoins, mais il y a une limite jusqu'où vous pouvez aller. Ils ont fait un bon travail pour décrire les choses, mais nous devons prendre cette décision.
Le président: Nous pourrions faire cela au fur et à mesure que nous avançons, sénateur Bryden. Peut-être le lcol Dufour veut-il également faire des observations sur ce point.
Le sénateur Cools: À la défense de ces messieurs, je suis de tout coeur avec les militaires de ce pays. J'aimerais faire une toute petite intervention avant que nous soyons engagés trop loin dans cette voie et que nous nous soyons trop commis avec l'utilisation de certaines expressions. Bien que ces expressions soient claires dans l'esprit de l'ancien juge en chef Lamer, dans le mien, elles sont toujours vagues et sans fondement. L'une d'elles, c'est «indépendance institutionnelle.»
L'organisation militaire est unique. Elle est conçue pour être indépendante et très autonome. Elle a ses propres policiers, ses juges et son propre service médical. Elle est conçue comme une unité autonome sous la direction de Sa Majesté, le commandant en chef.
Je ne suis pas certaine que certains de ces concepts s'appliquent à eux. Avant de trop nous avancer, en tant que comité, et de juger trop sévèrement la proposition contenue dans ce projet de loi qui concerne l'utilisation de la voie du règlement pour prévoir la rémunération, nous devrions entendre le témoignage de quelques autres témoins.
Le sénateur Joyal disait que nous ne devrions pas trop nous éloigner du processus. Il ne fait pas de doute dans mon esprit que les mêmes personnes qui ont rédigé ces autres projets de loi ont également rédigé celui-là. C'est le même état d'esprit politique qui est à l'oeuvre.
Le sénateur Joyal a fait une petite erreur. Je m'oppose fortement à l'adhésion à la décision prise dans le cas de l'Île- du-Prince-Édouard. Je pensais que la décision relative à l'Île-du-Prince-Édouard était une décision provinciale et qu'elle n'avait aucune pertinence dans le cas des juges des cours supérieures. Je suis en désaccord avec notre appui — je dis «notre» au sens de notre gouvernement qui adopte la position que ces rémunérations judiciaires devraient être des institutions permanentes — à l'utilisation de la Loi sur les juges pour créer ces entités sur une base permanente. Je n'étais pas membre du comité à cette époque, mais une partie de ce que j'ai dit figure au compte rendu.
Tout un ensemble d'arguments solides peuvent être avancés pour défendre l'article 3 de ce projet de loi. Par conséquent, j'aimerais entendre plus de témoignages sur la relation, s'il y en a une, entre les juges militaires qui sont décrits ici et les autres juges en vertu de l'article 96. Je serais également très intéressé de savoir comment on détermine la solde de tous les militaires dans le monde. Est-ce que nous suivons le modèle britannique ou est-ce que ce projet de loi s'en écarte?
Cette question n'est pas une question ordinaire. Les militaires constituent une organisation unique. Les forces militaires sont une institution indépendante dans ce cas et ont besoin d'indépendance institutionnelle. Cela ne veut pas dire que les militaires peuvent tout faire à leur guise.
Ce projet de loi est complexe et il est malheureux qu'il ait été présenté dans ce contexte limité, déterminé judiciairement, d'indépendance judiciaire.
L'expression «indépendance judiciaire» n'a jamais été un terme judiciaire. Elle n'a jamais été un terme juridique. Elle a toujours été une maxime politique qui est apparue pour des raisons très importantes. Dans la section judicature de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, on précise que les salaires seront fixés et payés par le Parlement du Canada. Cependant, ces commissions judiciaires s'occupent de fixer les salaires. Nous, nous nous contentons de payer. J'ai de nombreuses questions à ce sujet, mais je suis ouvert à l'article 3.
Monsieur le président, j'estime que nous devons absolument chercher à obtenir des clarifications importantes. Je lis les communiqués de presse du ministre et je peux y voir un certain degré de confusion juridique.
Puisque nous y sommes, monsieur le président, peut-être pourrions-nous en savoir davantage sur la notion d'indépendance judiciaire. Elle n'est pas ce que les juges disent qu'elle est. Nous aussi avons un mot à dire.
Le président: Lieutenant-colonel Dufour, avez-vous quelque chose à dire sur les points soulevés par les sénateurs Joyal, Bryden et Cools?
Le lcol Dufour: Oui. Pour répondre à la question si éloquemment posée par le sénateur Joyal, à la lumière de la jurisprudence et de l'argument présenté, il serait un peu risqué, de ma part, de donner une réponse maintenant.
Le sénateur Joyal: Je comprends. Comme nous disons au Québec: «Ne le prenez pas personnellement.»
Le sénateur Bryden a fait valoir un point très valable, mais il est important de le faire dans nos délibérations ce matin.
Le lcol Dufour: Le sénateur Cools a parlé d'autres systèmes de justice militaire. Nous examinons ce que d'autres gouvernements font, mais nous devons respecter la Charte. C'est elle qui a le dernier mot.
Le sénateur Nolin: Ce n'est pas un dogme politique.
Le sénateur Joyal: C'est une décision de politique.
Le lcol Dufour: Concernant le critère de l'inamovibilité...
[Français]
En ce qui a trait à l'inamovibilité, les juges ont actuellement des mandats de cinq ans renouvelables. La Cour suprême, dans l'arrêt Généreux, a d'ailleurs indiqué, si je ne m'abuse, que ce cadre était suffisant.
Les besoins militaires diffèrent des besoins civils en magistrature de l'ordre judiciaire. En situations de conflits, les juges militaires sont déployés à travers le monde. Le bureau de l'avocat général ne dispose pas d'une grande quantité de candidats compétents, au sein de la réserve ou des forces régulières, aspirant à exercer les fonctions de juge. En 1992, la Cour suprême a d'ailleurs reconnu, à cet effet, une responsabilité additionnelle.
Le système actuel n'est pas parfait. Depuis un an, nous nous penchons sur la façon dont on pourrait l'améliorer. L'examen indépendant de la part d'un juge émérite était prévu avant le 10 décembre 2003. De ce fait, nous avons élaboré un projet de loi, tel que déposé devant vous. Cette solution se voulait la meilleure façon de procéder, ce qui aurait pu éviter l'examen indépendant du juge Lamer.
Nous aurions pu, à l'interne, proposer un système similaire au système actuel et amender la Loi sur les juges. Toutefois, cette mesure aurait-elle suffit, compte tenu des recommandations de l'honorable juge Lamer lors de son examen indépendant? Voilà un peu la difficulté que nous avons éprouvée dans l'établissement d'une politique. Il fallait s'assurer de pouvoir obtenir à long terme la garantie que nos juges militaires soient protégés. Ces questions juridiques sont sans doute élémentaires. Toutefois, l'application de la justice militaire se distingue.
Le sénateur Nolin: Néanmoins, vous reconnaîtrez que l'article 11d) de la Charte, avec les adaptations nécessaires, s'applique tout de même au système de justice militaire?
Le lcol Dufour: Oui.
Le sénateur Nolin: Il ne s'agit pas d'une vision de l'esprit politique. Ce principe fait partie de la loi fondamentale du Canada. Vous êtes donc liés par ces obligations importantes.
Le lcol Dufour: Oui.
Le sénateur Nolin: Un système de justice indépendant et impartial est donc de mise. Ce principe n'a pas été inventé par un comité du Sénat. On a tenté de bonifier législativement ce qui nous apparaissait comme étant un processus indépendant et impartial. Toutefois, vous ne vous sentez pas dans une situation ambiguë par rapport à ces règles de justice fondamentale?
Le lcol Dufour: Non. Néanmoins, en 1982, on a prévu à l'article 11f) de la Constitution une disposition spécifique pour les tribunaux militaires afin que les procès par jury soient traités de façon particulière.
Le sénateur Joyal: Cette provision a été apportée pour une raison très spécifique. D'ailleurs, je me souviens très bien de la discussion que nous avons eue, il y a près de 22 ans, à ce sujet. L'exception doit être interprétée en se basant sur sa nature, soit en reconnaissance des circonstances particulières eut égard à cet élément très particulier. Cela ne remet toutefois pas en cause le principe général.
Le lcol Dufour: Je suis d'accord.
Le sénateur Joyal: Nous étions d'ailleurs très préoccupés par la nature et l'impact de l'exception.
Le sénateur Nolin: Mise à part la question de l'indépendance du système, je suis d'accord avec les points que vous soulevez. Nous n'avons pas de problème avec les amendements que vous proposez. Vos arguments se fondent sur le Code criminel, ce qui est très bien. Je suis d'ailleurs étonné que ces questions nous aient échappé lors de notre premier examen de la Loi sur la défense nationale. Le juge Lamer en fera sans doute mention dans son rapport.
J'aimerais revenir aux propos soulevés par l'honorable sénateur Bryden. Nous n'avons pas l'intention de vous interroger sur des questions de politique fondamentale. Là n'est pas votre rôle. Par contre, le comité ne peut demeurer en suspens.
Je comprends votre argument en ce qui a trait à la volonté de colmater un problème de façon expéditive. Il est néanmoins inacceptable que l'on procède de la sorte. Nous devons tenter d'atteindre la perfection et rien de moins. Les Canadiens s'attendent à ce que le Parlement agisse avec efficacité et c'est ainsi que notre travail doit s'accomplir.
Il reviendra donc au président du comité de poser ces questions aux autorités compétentes, au ministre de la Défense, et surtout au procureur général qui avise le gouvernement sur ces questions fondamentales. Le comité devra entendre le ministre de la Justice afin de comprendre comment il est possible que l'on puisse se distancer de l'interprétation que les tribunaux ont donnée à l'article 11d). Ce n'est certainement pas une vision de l'esprit politique que de discuter de l'indépendance des tribunaux. Cette question est hautement fondamentale.
[Traduction]
Le sénateur Joyal: Je veux revenir sur une autre dimension du point soulevé avec raison par le sénateur Bryden. Considérant, comme vous dites, lieutenant-colonel Dufour, que l'ancien juge en chef Lamer présentera son rapport dans près de deux mois, ce qui est prochainement, et considérant la réflexion collective que le présent comité a eue auparavant sur la rémunération des juges dans le cadre de l'étude de la Loi sur les juges et des amendements que le présent comité a apportés à ce moment-là à cette loi, ma position serait de ne pas m'opposer au projet de loi tel qu'il est rédigé actuellement. Cependant, je serais davantage convaincu que le système a besoin d'être révisé si on nous garantissait que le système sera examiné après la présentation du rapport du juge Lamer. Si nous pouvions avoir cet engagement, je serais heureux. Je ne veux pas bloquer la rémunération. Si elle doit être ajustée, elle devrait être ajustée et payée. C'est fondamental. Payons ce que nous devons.
Par contre, il y a un principe général qui est en cause ici. En tant qu'une des Chambres du Parlement qui a pour mandat spécifique d'examiner la législation en fonction de la Charte, nous devons être convaincus que si nous avons un doute raisonnable qu'il y a quelque chose dans un projet de loi qui pose problème, ce problème doit être traité de manière appropriée, dans un délai raisonnable par les autorités compétentes.
Cette question relève des politiques, comme le sénateur Bryden l'a dit, et il nous faudra donc obtenir l'engagement des autorités compétentes. Si nous pouvions l'obtenir, j'aurais le sentiment que nous nous sommes acquittés de notre tâche au comité. Nous pourrions faire rapport au Sénat, à la Chambre elle-même, lui disant que nous aurons la capacité de veiller au respect des principes constitutionnels qui sont en jeu dans la justice militaire.
J'étais de ceux qu'il a fallu sensibiliser à la situation particulière des juges militaires. Par contre, l'exception doit être encadrée dans un contexte constitutionnel. Pourrions-nous l'obtenir?
Le lcol Dufour: J'ai pris bonne note de vos observations, sénateur Joyal. Je verrai à ce que les autorités compétentes puissent se prononcer sur ces questions et je vais m'assurer que la personne compétente témoigne devant vous. Les honorables sénateurs doivent obtenir cette assurance que nous pouvons aller de l'avant.
Le sénateur Joyal: J'ignore ce qu'en pensent mes collègues, mais ce pourrait être une manière de régler ce problème.
Le sénateur Bryden: Je pense qu'il nous faut quelque chose par écrit. Nous aurons besoin d'une lettre. J'ignore à qui d'autre on pourrait s'adresser, mais la lettre — s'il n'y a pas d'autre autorité compétente — devrait émaner du ministre et celui-ci devrait y indiquer qu'il donnera suite. D'autres personnes pourraient être mises en cause également, mais il nous faut l'assurance qu'une fois que l'examen aura été fait — si possible, précisons une échéance, disons dans les six mois après la fin de l'examen —, le ministre comparaîtra ou fera comparaître devant le comité le personnel compétent pour aborder les trois questions applicables au régime de justice militaire.
Le sénateur Nolin: La lettre dont vous parlez, sénateur Bryden, aurait-elle pour but d'expliquer l'engagement pris par le ministre ou de remplacer le témoignage du ministre? Il est important de comprendre de la bouche même des autorités compétences au gouvernement pourquoi on a adopté une telle approche, qui est, pour nous, différente de l'approche habituelle.
Le sénateur Bryden: À mes yeux, la lettre constituerait l'engagement. C'est l'engagement de comparaître et de donner des explications.
Le sénateur Joyal: Je suis en faveur de la lettre. Nous avons eu des précédents ici même à notre comité, où des engagements ont été pris. Par exemple, la loi électorale a été modifiée. Celui qui était alors leader du gouvernement a comparu et nous avons attiré son attention sur le fait que d'autres articles de la loi devaient également être modifiés. Il aurait fallu pour cela renvoyer le projet de loi à la Chambre des communes et comme l'échéance électorale approchait, nous avons demandé au ministre d'envoyer une lettre indiquant son engagement de comparaître de nouveau, armé des amendements voulus, à la première occasion, afin de lancer le débat sur le projet de loi. Le ministre s'est présenté de nouveau avec les amendements en question, que nous avons adoptés rapidement. Il a tenu parole, nous avons respecté notre engagement et chacun a été satisfait, les principes de la loi ayant été maintenus. Nous avons des précédents au comité et il pourrait être utile que vous en parliez à vos collaborateurs. Je pense que le ministre de la Santé l'a fait également. Nous pourrions fonctionner de cette manière, comme le propose le sénateur Bryden.
Le sénateur Beaudoin: Notre témoin a évoqué l'exception qui a été faite pour la Défense nationale dans le cas d'une cour martiale. Mon seul commentaire est que c'était fondé sur la Constitution et non pas sur le Règlement.
Le président: J'ai une brève question qui n'a aucun rapport avec la discussion qui vient d'avoir lieu et qui est de nature administrative. Quand on nous présente des projets de loi d'ordre administratif portant sur le Code criminel, en particulier les pouvoirs de la police, je crains toujours que nous n'élargissions ces pouvoirs par inadvertance. Si nous voulons le faire, nous le ferons ouvertement, mais pas par inadvertance. Je renvoie à l'article 6 du projet de loi et au paragraphe proposé 196.18(1) relativement au prélèvement d'échantillon, dans lequel la version anglaise dit «as soon as is feasible after the samples have been taken», un rapport écrit doit être dressé et déposé. Dans la version française, on dit:
[Français]
«le plus tôt possible dans les jours qui suivent».
[Traduction]
Les paramètres semblent beaucoup plus étendus dans la version française que dans la version anglaise.
Le sénateur Beaudoin: En français, c'est bien dit.
[Français]
Le sénateur Nolin: L'expression «le plus tôt possible dans les jours qui suivent» est redondante; «le plus tôt possible» aurait été suffisant.
[Traduction]
Le président: Est-ce un peu plus étendu?
Le sénateur Nolin: C'est comme deux couches superposées.
Le sénateur Beaudoin: Il faut s'attendre à ce que ce ne soit pas nécessairement plus étendu.
Le sénateur Nolin: Cela veut dire «le plus tôt possible dans les jours qui suivent.»
Le sénateur Bryden: Cela revient à dire «la semaine suivante.»
Le sénateur Nolin: Cela laisse entendre «le plus tôt possible.»
Le président: La version anglaise dit «le plus tôt possible après le prélèvement des échantillons.» La version française dit «le plus tôt possible dans les jours qui suivent.»
Le sénateur Beaudoin: Ce n'est pas exactement la même chose. J'ignore pourquoi les rédacteurs ont libellé ce passage de cette manière.
Le président: Pourquoi ont-ils dit cela?
Le lcol Dufour: C'était libellé ainsi dans le projet de loi qui a été adopté en 2000 et nous ne l'avons pas changé.
Le sénateur Joyal: On reprend textuellement le même libellé qu'à l'époque.
Le lcol Dufour: Oui, c'est bien cela.
Le sénateur Nolin: Cela nous donnera l'occasion de corriger ce passage.
Le sénateur Beaudoin: Le fait que ce libellé ait été utilisé auparavant n'est pas une raison de le laisser tel quel.
Le sénateur Joyal: Il y a là quelque chose. Si je peux me permettre, je veux m'assurer que nos témoins ne se sentent pas pointés du doigt.
En tant que membres du comité, nous nous méfions toujours quand on nous dit: «Ne vous inquiétez pas, c'est seulement un projet de loi d'ordre administratif.» Ensuite, quand nous scrutons l'affaire de plus près, nous nous rendons compte que ce n'est pas seulement d'ordre administratif, pas du tout. Je songe à un projet de loi actuellement à l'étude, mais je ne le nommerai pas parce que nous sommes encore en train d'en débattre. Nous nous sommes toujours méfiés de cette formule. Il est préférable de ne pas l'utiliser au comité.
Si l'intention est de reproduire les dispositions de la LDN, qui renferme un élément qui n'est pas identique dans les versions anglaise et française, et si nous voulons maintenir les mêmes éléments contenus dans la LDN, alors il nous faudrait nous en tenir à cela, à moins qu'il y ait une erreur. Cependant, un juge confronté à ces deux versions userait de son jugement pour établir l'intention du législateur.
Je ne serais pas tenté de modifier l'article, même si, comme le président l'a dit, il y a incohérence entre les deux versions, à moins que nous modifiions les deux en même temps. Le principe est de maintenir la concordance entre les deux. Si nous devions en modifier une, il nous faudrait modifier l'autre. Autrement, nous changerions les paramètres de la preuve exigée.
Le sénateur Bryden: À titre de parrain du projet de loi, je vous invite à considérer que nous avons suffisamment de renseignements et que la présidence et le personnel du comité pourraient communiquer avec le MDN pour que l'on prenne l'engagement dont il a été question tout à l'heure et il reviendra au comité de se prononcer à savoir si c'est acceptable ou non. Je crois qu'il y a consensus pour aller de l'avant sans amendement, pour procéder à l'étude article par article du projet de loi et en faire rapport au Sénat. Cela se ferait-il mercredi prochain?
Le président: Telle serait notre intention.
Sénateur Nolin, dois-je comprendre que vous seriez satisfait d'une lettre du ministre apportant des précisions sur les trois points qui ont été soulevés?
Le sénateur Nolin: Non, c'est exactement ce que je ne veux pas. Je vais vous donner un exemple. Je veux que le ministre de la Justice nous dise, en tant qu'énoncé de politique publique, pourquoi il veut prendre ses distances, ou pourquoi il a donné son accord pour que le régime de justice militaire prenne ses distances par rapport à l'article 100 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, qui stipule:
[Français]
100. Les salaires, allocations et pensions des juges des cours supérieures, de district et de comté (sauf les cours de vérification dans la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick) et des cours de l'Amirauté, lorsque les juges de ces dernières sont alors salariés, seront fixés et payés par le parlement du Canada.(53)
On se souviendra du long débat entourant l'amendement qui visait à permettre à l'honorable juge Louise Arbour d'assumer des fonctions internationales.
Est-ce que le ministre responsable d'aviser le gouvernement sur les questions juridiques pourrait nous expliquer pourquoi il a accepté à la fois de prendre distance et recommander, par ce projet de loi, que l'on utilise la voie de la législation déléguée pour atteindre l'objectif? Comment est-il possible de réconcilier ce geste avec l'interprétation jurisprudentielle de l'article 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés? Comment peut-on demeurer indépendant et impartial avec l'interprétation de l'article 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés et l'article 100 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique? Les trois témoins que nous avons aujourd'hui devant nous ne peuvent répondre à ces questions de politique publique. À mon avis, une lettre donne droit au contre-interrogatoire.
[Traduction]
Le sénateur Beaudoin: Je voudrais faire une observation. Quand nous lisons les mots «payé par le Parlement du Canada,» ce n'est pas le gouvernement, mais plutôt l'assemblée législative. Ainsi, c'est une affaire législative et non pas réglementaire.
Le sénateur Nolin: Nous nous comprenons bien.
M. John Bryden: Il m'a semblé que c'était le cas à un moment donné. L'intention est que nous obtiendrions une lettre de quelqu'un qui prendrait l'engagement de témoigner devant notre comité, après l'achèvement de l'examen, pour traiter des conséquences de cet examen et expliquer pourquoi on a adopté un scénario différent pour le régime de justice militaire en comparaison de la justice civile. Nous devons obtenir que ce témoin comparaisse devant nous. Nous ne pouvons pas faire cela au moyen d'une lettre. Il nous faut un engagement.
Je crois qu'il serait utile, monsieur le président, que vous-mêmes et le personnel rédigiez une note visant à nous aider à obtenir ce que nous voulons.
La rémunération est fixée par règlement du gouvernement. La question est de savoir si cela respecte, à des fins militaires, les trois critères qui ont été appliqués auparavant.
Le président: Encore une fois, je dois poser la question au sénateur Nolin pour avoir l'assurance que nous sommes tous à l'unisson. Si j'ai bien compris les observations du sénateur Bryden, nous procéderions comme à l'habitude pour l'étude de ce projet de loi, après quoi nous aurions une réunion en vue de laquelle nous aurions déjà obtenu l'engagement du ministre compétent de donner des explications sur les questions qui ont été soulevées relativement à l'indépendance de la justice militaire. Je ne suis pas sûr que votre réponse soit positive là-dessus, sénateur Nolin.
[Français]
Le sénateur Nolin: Je saisis bien les propos de l'honorable sénateur Joyal et partage son opinion lorsqu'il soulève la question de ne pas retarder indûment ce qui doit être fait en ce qui a trait, entre autres, à la rémunération rétroactive.
Il serait souhaitable, toutefois, que le ministre de la Défense vienne devant nous, accompagné du procureur général du Canada, afin d'expliquer les circonstances suivantes: pour des raisons expéditives, on a décidé de prendre cette voie qui semblait la meilleure, et on s'engage à revenir devant vous suivant le rapport de l'ancien juge en chef de la Cour suprême.
Je ne veux pas attendre de lire le rapport du juge Lamer. J'aimerais que le ministre de la Justice nous confirme que la justice militaire doit suivre les mêmes règles que la justice civile. La question est fondamentale et incontournable.
Devrions-nous être d'accord pour adopter ce projet de loi? Oui, car nous voulons que les juges des cours martiales soient rémunérés le plus adéquatement et rapidement possible. Cependant, il serait important d'entendre le patron de nos témoins, pour qui j'ai le plus grand respect, et surtout le procureur de ce ministère, qui est le ministre de la Justice.
[Traduction]
Le sénateur Bryden: C'est très bien. Il faudra simplement que cela se fasse dans les plus brefs délais.
Le président: Je remercie le lcol Dufour, le lcol Gibson et le maj Elderkin d'être venus témoigner devant nous ce matin. Les renseignements que vous nous avez donnés ont été très utiles.
La séance se poursuit à huis clos.