Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 14 - Témoignages du 2 octobre 2003
OTTAWA, le jeudi 2 octobre 2003
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui à 11 h 05 en vue d'examiner le projet de loi S-9, qui vise à honorer Louis riel et le peuple métis.
Le sénateur George J. Furey (président) occupe le fauteuil.
Le président: Honorables sénateurs, comme vous l'a appris le courriel transmis hier, nous ne pouvons procéder comme prévu à l'examen article par article du projet de loi C-35, car nous n'avons pu obtenir les lettres des ministres concernés. Les ministres de la Justice et de la Défense nous ont demandé de leur accorder un peu de temps pour examiner le projet de loi, et j'espère qu'ils pourront nous rencontrer dès la semaine prochaine.
Ainsi, nous passons directement à l'examen du projet de loi visant à honorer Louis Riel et le peuple métis. Nous souhaitons la bienvenue à notre collègue, l'honorable sénateur Chalifoux, qui parraine le projet de loi.
L'honorable Thelma J. Chalifoux, sénateur: Honorables sénateurs, je suis honorée d'être ici pour parler du projet de loi visant à honorer Louis Riel et le peuple métis. Je dois m'excuser: je n'ai pas de mémoire écrit à vous présenter, mais je compte vous relater beaucoup d'événements historiques et de preuves du bien-fondé de ce projet de loi.
Avec ce projet de loi, nous reconnaissons l'histoire canadienne. L'histoire canadienne est aussi fascinante que celle des États-Unis, et nos enfants doivent avoir des héros canadiens.
Le sénateur Stratton m'a critiquée, avançant que l'exposé que je présentais au Sénat n'abordait pas le projet de loi proposé. Je suis déçue qu'il ne soit pas ici aujourd'hui pour entendre pourquoi ce projet de loi est important pour le Canada, pour le peuple métis et pour les générations futures.
J'ai apporté avec moi le résumé législatif métis de 1849 à 2002, que j'utiliserai comme référence.
Commençons par regarder le préambule du projet de loi.
ATTENDU QUE Louis Riel était un Métis et un grand chef dont le rôle et les réalisations ont exalté l'imagination des générations successives de Métis [...]
C'est si vrai. Les Métis sont une nation autochtone de l'Ouest. La Cour suprême du Canada a récemment décidé qu'il doit y avoir une communauté métisse clairement identifiée, et c'est dans l'Ouest canadien. On ne peut parler de l'identité métisse sans aborder tout particulièrement l'histoire du peuple de Riel.
Louis Riel, dirigeant politique de la nation métisse de l'Ouest canadien, est probablement le personnage historique national le plus susceptible de susciter de vives réactions. C'est pourquoi il est si important pour nous d'examiner et d'adopter ce projet de loi.
Louis Riel a joué un rôle de premier plan dans le processus politique. En 1849, la première affaire liée aux droits des Métis était le procès de Guillaume Sayer, dans la Terre de Rupert, dans ce qu'on appelle aujourd'hui le Manitoba.
L'affaire Sayer est célèbre parce que c'était la première fois que la nation métisse prenait position en vue de protéger le droit de ses citoyens à un moyen de subsistance. Elle a fait valoir son droit à l'autonomie économique sans ingérence injustifiée, peut-être l'un des premiers appels au libre-échange au Canada.
L'histoire nous dit que Louis Riel, père et plusieurs chasseurs métis avaient entouré le Palais de justice où se tenait le procès. Sayer a été reconnu coupable, mais aucune peine ne lui a été imposée, et les Métis ont considéré cela comme une victoire. Ils ont ensuite commencé à faire librement le commerce de leurs fourrures L'affaire Sayer a, de fait, mis fin au monopole de la Baie d'Hudson, et, grâce à Pierre Falcon, tout le monde entonnait le refrain «Le commerce est libre».
En 1850, les Métis de Sault Ste. Marie, en Ontario, se sont battus pour faire partie du traité Robinson-Huron. On leur a refusé la participation en groupe, mais William Robinson, le commissaire au traité, a garanti leurs terres.
En 1869, Louis Riel a formé un gouvernement provisoire afin de négocier les modalités de l'entrée du Manitoba au sein du Canada. Les événements de la rivière Rouge ont mené à l'inclusion des Métis dans l'Acte du Manitoba. Cet événement, qui aurait dû ouvrir la voie à une nouvelle relation avec les Métis, a, de fait, mené à l'adoption d'un système de concessions de terres tristement imparfait et à la mise en œuvre d'un processus de certificat des Métis visant à reconnaître les revendications territoriales des Métis. La Loi des terres fédérales a maintenu ce système jusqu'à au moins 1921. Le système a mené au déplacement forcé des Métis.
Mon grand-père a pris part à cela; il était vice-président des Métis, dans l'Ouest canadien, en 1895. Il prenait part à la lutte et à la résistance de nos familles. Cela fait partie de l'histoire du Canada. Il est très important que nos enfants soient au courant de la lutte que certains Canadiens ont dû livrer toute leur vie.
En 1875, les Métis du lac à la Pluie et de la rivière à la Pluie, en Ontario, signaient un protocole d'entente selon lequel ils adhéraient au traité 3. Cette adhésion leur garantissait des terres et des droits de récolte. Le lac aux Canards, Batoche et Fish Creek sont des noms qui évoquent le souvenir de batailles métisses. Ces batailles étaient nées du désir des Métis de protéger leurs terres et leur existence en tant que peuple. Les résultats de ces batailles sont bien connus. On a mis à prix la tête de guerriers métis.
Je me souviens que, quand j'étais petite, si plus de trois Métis se rencontraient, c'était considéré comme un attroupement illégal, et on les jetait en prison. Mon père, mes relations et d'autres membres de la communauté métisse devaient se réunir dans le secret pour survivre et examiner ce qui se passait avec notre nation. Les Métis qui participaient aux batailles étaient reconnus coupables de trahison et condamnés à l'incarcération. Riel a été accusé et reconnu coupable de haute trahison; on l'a pendu à Regina, le 16 novembre 1885. Il a été pendu parce que le gouvernement au pouvoir avait besoin des terres métisses pour la construction du nouveau chemin de fer, ainsi que pour les nouveaux immigrants qui arrivaient par train. Nous avions de bonnes terres. Ce sont des événements historiques que les Canadiens devraient connaître. Nous devons faire comprendre à nos enfants la lutte que les Métis ont dû livrer.
De 1875 à 1916, les tribunaux ont été saisis d'environ une dizaine d'affaires liées au commerce et aux terres des Métis. La plupart de ces affaires étaient au Manitoba, et certaines concernaient des Métis qui tentaient de récupérer le certificat de Métis qu'ils avaient perdu. La plupart de ces affaires concernaient des acheteurs qui tentaient de réaliser les certificats de Métis qu'ils avaient acquis auprès de Métis.
Mon grand-père avait un certificat de Métis à St. Albert, en Alberta. Mon père m'a raconté, et j'ai raconté à mes enfants, que lorsque les Français sont arrivés, ils ont soûlé mon grand-père, et il leur a vendu leur certificat pour une bouteille de whisky. Les agents ont volé les terres. Vraiment, c'était tragique. Je m'affaire actuellement à préparer un dossier en vue de réclamer la terre attribuée à mon grand-oncle Cyril Boucher, à Alberta Beach, en vertu d'un certificat de Métis. Cela illustre encore pourquoi il est si important qu'on envisage sérieusement l'adoption de ce projet de loi.
Oui, Louis Riel est un personnage très controversé, mais il est l'un des plus grands héros canadiens, car il s'est battu pour les droits des Métis. Dans l'Acte du Manitoba, il a veillé à ce que la langue française soit reconnue. Il s'est battu pour les droits des Métis, des Indiens et des Français. Son histoire n'a jamais vraiment été racontée convenablement. On l'a pendu pour des motifs politiques. Sir Wilfrid Laurier s'est battu pour que Riel échappe aux tribunaux, il a tenté de le défendre, mais en vain. Il est important que nous apprenions ce volet de l'histoire.
Jetons un coup d'œil au projet de loi, qu'on peut appeler la Loi sur Louis Riel. Le projet de loi a pour but d'honorer Riel et le peuple métis en commémorant et en reconnaissant officiellement le rôle historique unique de Louis Riel dans la promotion et la création de la Confédération.
Avant la promulgation de l'Acte du Manitoba, les États-Unis courtisaient Riel et le gouvernement provisoire afin qu'ils se joignent aux États-Unis. La vision de Louis Riel était que nous étions Canadiens, d'abord et avant tout, et que nos droits et nos langues devaient être protégés. Il s'est battu contre les États-Unis, et ces derniers n'ont pas eu raison de lui. L'Ouest canadien est devenu partie du Canada quand Riel a négocié les droits des Métis aux fins de l'Acte du Manitoba. Cette contribution doit être reconnue.
On reconnaît à la fois le rôle historique de Louis Riel à titre de patriote métis et son rôle actuel à titre de héros canadien.
Si on définissait les Métis par les liens du sang, Louis Riel n'aurait jamais été reconnu à ce titre. Nous nous sommes penchés sur cette question, il y a plusieurs années, quand nous examinions les établissements métis de l'Alberta. Le gouvernement de l'époque avait dit qu'une personne devait avoir au moins 25 p. 100 de sang indien pour être considérée comme autochtone. Louis Riel en avait environ un huitième, mais il était Métis à 100 p. 100; il était Canadien à 100 p. 100.
On ne regarde pas le sang quand on définit une nation. Les Nations Unies ont définit le terme «nation». Nous avons notre terre: notre terre est la Terre de Rupert. C'est ce qu'a déclaré le gouvernement provisoire lorsque la Baie d'Hudson a renoncé à son contrôle sur la Terre de Rupert. Nous avons une langue; notre langue est le michif. Il y a quelques années, j'ai lu un article selon lequel les linguistes de notre pays avaient manqué une occasion sans pareille. On met généralement 1 000 ans à créer une langue, mais la langue michif a pris forme en moins de 200 ans. Même si elle contient des verbes français et des noms issus d'autres langues autochtones, on a déterminé qu'il s'agit d'une langue distincte, en raison de la différence entre les voyelles et les verbes. Je ne peux vous expliquer cela convenablement, car je ne suis pas linguiste, mais c'est ce que disait l'article. J'étais fort étonnée d'apprendre que les Métis avaient créé leur propre langue. On s'affaire actuellement à rétablir cette langue. J'ai deux dictionnaires michif. Je ne parle pas la langue, mais nous avons des aînés qui la parlent. Nous élaborons nos propres livres en langue michif en Alberta.
Une partie de nos critères consistent à nous diriger nous-mêmes. Les Métis se sont toujours gouvernés eux-mêmes. Il faut le dire à nos historiens et à nos enfants, et l'enseigner dans les programmes d'études canadiennes. Nous nous sommes toujours gouvernés nous-mêmes, grâce au gouvernement provisoire, aux lois de Saint-Laurent, et à la chasse aux bisons.
Lorsque vous envisagez nos danses et regardez ce que nous faisons, vous constatez que nous avons emprunté aux Irlandais, aux Français et aux Écossais, et que nous nous sommes façonné une culture propre. Il s'agit réellement d'une culture canadienne, car elle combine la culture de tous les immigrants. C'est une culture merveilleuse.
L'Acte du Manitoba a été promulgué le 12 mai 1870, et, ce jour historique marque l'entrée de l'Ouest canadien dans le Dominion du Canada. Si ce projet de loi est adopté, le 12 mai sera consacré à la reconnaissance de Louis Riel et de la nation métisse.
Il est important que le comité reconnaisse Louis Riel et le peuple métis. Le comité devrait honorer le rôle des Métis dans la création de notre pays multiculturel fier. Ce sont les Métis qui ont lancé le bal.
Le sénateur Beaudoin: Je suis d'accord avec vous, Riel est un personnage controversé. Il était non pas un criminel, mais bien un rebelle. Lorsqu'on envisage l'histoire de toutes les nations, tous les révolutionnaires ont subi le même sort que Louis Riel.
Je crois comprendre qu'au moment de son procès, le ministre de la Justice était intervenu. D'ailleurs, nos tribunaux modernes rejetteraient l'affaire, car elle contrevient à la Charte des droits et libertés. Qui plus est, nous n'avons plus la peine capitale, laquelle, bien sûr, était en vigueur à l'époque de Louis Riel.
Croyez-vous que nous devrions prendre connaissance du point de vue de nos historiens concernant Riel? Je sais que Desmond Morton, l'un de nos grands historiens du Québec, s'oppose fortement à Riel. Je sais aussi que le très éloquent sir Wilfrid Laurier a parlé en bien de Riel à l'occasion de l'un de ses nombreux discours.
Je crois qu'il serait peut-être indiqué d'entendre quelques historiens. Nous avons fait la même chose pour les Acadiens et Comeau; nous avons entendu le témoignage d'un ou deux historiens afin de prendre connaissance de leurs points de vue d'experts sur le sujet.
Je n'ai pas aimé le débat au Sénat, car il était un peu trop politique. Je ne cherche pas à critiquer, mais je crois qu'il serait sage d'entendre ce que les experts ont à dire sur Louis Riel.
Même le grand-père de William Lyon Mackenzie King était un rebelle, et on ne peut nier son rôle historique. Il y a une différence entre un criminel et un rebelle. En ce sens, Riel était certainement un héros.
Croyez-vous que nous devrions consulter un ou deux historiens?
Le sénateur Chalifoux: Je suis d'accord et, à cette fin, j'ai fourni au greffier plusieurs noms d'historiens métis: Harry Daniels, Clem Chartier et Yvon Dumont.
Le sénateur Cools: Savez-vous si M. Dumont est un descendant du Dumont de l'époque de Riel?
Le sénateur Chalifoux: Oui. J'ignore le lien exact, mais il y a un lien de parenté. Bien sûr, quiconque porte le nom de Dumont se dit descendant de Gabriel Dumont.
Le sénateur Beaudoin: Il y a un autre aspect concernant Louis Riel. J'ai lu l'histoire de son procès, et il semble qu'il ait été aux prises avec des problèmes mentaux. Dans le monde d'aujourd'hui, sa peine serait différente, pour de nombreuses raisons. Toutefois, je m'attache uniquement à Riel à titre de personnage historique et à la pertinence de le considérer comme un grand personnage historique. C'est ça, mon problème. Je suggère que nous entendions un ou deux historiens.
Le sénateur Chalifoux: Il est intéressant de signaler qu'à l'époque où Riel avait été expulsé du Canada, il s'est rendu au Montana, et est devenu enseignant. Il est devenu citoyen américain. Peu de gens savent que le Canada a pendu un citoyen américain.
C'est pendant cette période que Gabriel Dumont a rendu visite à Riel afin de le convaincre de l'aider à Batoche.
Le sénateur Beaudoin: Nous devons déterminer si Riel était un héros ou pas.
Le sénateur Cools: Je tiens à contribuer au débat en remerciant tout d'abord le sénateur Chalifoux d'avoir mis cette initiative de l'avant, mais je m'empresserais aussitôt d'ajouter que le projet de loi, sous sa forme actuelle, contient un certain nombre de failles. Je reconnais que cette question mérite notre attention, et qu'elle la mérite depuis longtemps.
J'aimerais renchérir sur les paroles du sénateur Beaudoin et suggérer que nous entendions plus d'un ou deux témoins. J'ignore si vous le savez, mais votre projet de loi soulève des questions juridiques difficiles et énormément complexes.
Je veux que le comité envisage la possibilité d'examiner la question de façon approfondie — pas seulement un examen de routine —, et ensuite je pourrai tenter, avec le temps, de mettre en relief ces questions juridiques.
Il y a quelques années, j'ai mené une étude assez étendue sur Riel. Ce qui complique le cas de Riel, c'est le fait qu'il ait fait l'objet de deux ensembles d'accusations; il a été réhabilité à l'égard d'un ensemble d'accusations, on lui a versé une somme d'argent et on lui a permis de quitter le pays. Cela fait obstacle chaque fois qu'on envisage de réhabilité Riel. J'aimerais que le comité examine cette question. Tom Flanagan, de l'Université de Calgary, a aussi mené des études assez vastes sur Riel.
Le sénateur Chalifoux: Il n'a que de mauvaises choses à dire sur Riel.
Le sénateur Cools: Cela n'a pas d'importance. Le comité se doit d'obtenir des renseignements exacts. Faisons abstraction de Riel, car beaucoup de gens lui accordent beaucoup d'importance. C'est pourquoi je propose que nous examinions cette question de façon approfondie.
Comme je l'ai déjà dit, le fait que Riel ait été réhabilité complique les choses.
Le sénateur Beaudoin: Il n'a pas été réhabilité à la fin.
Le sénateur Cools: Lorsque la réhabilitation est octroyée, l'exécution vient après.
Le sénateur Beaudoin: Je veux seulement aller au fond des choses.
Le sénateur Cools: Il a été réhabilité.
Sénateur Chalifoux: Non, il ne l'a pas été.
Le sénateur Cools: Je ne dis pas qu'il s'agissait d'une réhabilitation, mais cela laissait présager une réhabilitation.
Tout ce que je dis, c'est que le cas Riel s'est compliqué lorsque le Gouverneur général lui a octroyé la réhabilitation, et que le Cabinet de l'époque lui a versé une somme d'argent et qu'il a quitté le pays. Il est revenu plus tard. C'est à ce moment-là qu'il a fait l'objet d'un autre ensemble d'accusations, et qu'on l'a pendu. Le problème que le système a toujours eu, c'est que ces infractions graves avaient été commises.
De plus, l'octroi de cette réhabilitation est une question litigieuse. À un moment donné, dans certaines de ces régions, le gouverneur général a exercé la prérogative de pardon de Sa Majesté et a gracié certains autres. C'est un volet énormément complexe de notre histoire.
Il y a quelques années, il y avait un mouvement favorisant l'octroi d'une réhabilitation posthume à Riel. Le système s'est immédiatement buté à des obstacles. Nous devrions aussi envisager le rôle parlementaire de Riel. Peu de gens le savent aujourd'hui, mais Riel était député.
Le sénateur Chalifoux: Tout le monde sait ça.
Le sénateur Cools: Peut-être que de nombreux Canadiens autochtones le savent, mais je puis vous affirmer qu'un grand nombre de Canadiens ignorent beaucoup de choses au sujet de Louis Riel.
Le sénateur Chalifoux: Il a été élu trois fois.
Le sénateur Cools: Je veux faire sortir cette information afin que nous puissions l'examiner convenablement. De nombreux Canadiens ignorent qu'il était député. Nous pourrons examiner ses relations ou son absence de relations avec le Parlement.
Son nom a été enveloppé de mystère pendant très longtemps, et vous avez grandement réussi à raviver le débat sur sa vie et les événements qui l'ont marquée. Dans divers milieux, on considère Riel soit avec méfiance, soit avec révérence. Je crois que nous rendrons un fier service au Canada en examinant cette question. C'est un autre élément, l'aspect parlementaire de la chose.
Riel est l'un des deux députés qui ont été expulsés des Chambres, bien que les deux cas soient fort différents. Autrement dit, les méthodes utilisées étaient plutôt différentes. Nous devrions aussi nous pencher sur cette question. J'appartiens à ce groupe de personnes qui accepte notre histoire telle qu'elle est. Même lorsque les choses se gâtent, c'est quand même notre histoire.
Un troisième élément que nous devons envisager est la question des honneurs. Il est regrettable qu'on utilise le verbe «honorer» dans le projet de loi, car cela tient purement de la prérogative. Le Parlement a bien peu de pouvoir à cet égard. Nous devrons inviter un témoin à aborder cet aspect à l'égard de Riel. Il y a un jeune homme à l'Université Queen's qui étudie la question de l'honneur. Nous devrions l'inviter à témoigner. Nous devrions aussi entendre des témoins des organismes métis.
Nous devrions aussi tirer avantage de cette occasion de rendre service à notre pays en faisant la lumière sur cette personne, qui a été vénérée par certains et calomniée par d'autres.
Le sénateur Chalifoux: George Boulet, de Calgary, étudie cette question depuis des années. J'ai son livre. En sa qualité d'historien, il pourrait nous livrer un témoignage excellent sur le sujet.
Le sénateur Cools: Nous avons besoin d'historiens. Nous avons aussi besoin de personnes qui connaissent les aspects juridiques en ce qui concerne la prérogative de pardon. Nous devons aussi accueillir un témoin connaissant le droit applicable à la trahison. Nous possédons certaines connaissances à l'égard des deux ou trois dispositions du Code criminel actuel qui portent sur la trahison, mais je parle de l'ensemble du droit applicable à la trahison, considérée comme une infraction parlementaire pendant des centaines d'années.
Il y a l'histoire, le droit relatif aux prérogatives, et le droit parlementaire. De plus, il y a encore aujourd'hui beaucoup de débats sur la santé mentale de Riel. C'est à cela que le sénateur Beaudoin faisait allusion quand il a déclaré qu'aujourd'hui Riel aurait été traité bien différemment.
Ne vous y trompez pas, sénateur Beaudoin, certaines des peines prévues en vertu de ces articles du Code criminel sont plutôt sévères. On jugera qu'une personne considérée comme aliénée n'est pas criminellement responsable, mais de nombreuses personnes ont été maintenues en incarcération à vie, en vertu de ce que nous appelions autrefois le mandat du lieutenant-gouverneur.
De nombreux avocats ont choisi de plaider non coupable pour cause d'aliénation, croyant que leur client recevrait une peine moins stricte. De fait, le client faisait l'objet de sanctions plus lourdes, car on l'incarcérait au gré du lieutenant-gouverneur, souvent pour une période indéfinie.
J'ai quelque connaissance sur le sujet, car, à une certaine époque, quand j'étais membre d'une commission des libérations conditionnelles, je m'étais rendue à l'établissement carcéral de Penetang pour parler aux détenus. L'un d'eux, en plus de faire l'objet d'un mandat du lieutenant-gouverneur, purgeait aussi une peine d'emprisonnement à perpétuité. Sa situation était si compliquée que nous n'arrivions pas à déterminer sous quel régime nous devions envisager son dossier.
Quel que soit le sort du projet de loi, je crois qu'il sera bénéfique de faire la lumière sur la vie de cet homme. Je suis heureuse de pouvoir participer à cette découverte.
On dira peut-être que je suis trop sentimentale ou que je force la note, mais j'estime que, lorsqu'une personne suscite tant d'attention, nous avons le devoir de nous pencher sur son cas, et de le faire sans nous préoccuper de la controverse, ou des qualités ou défauts de la personne concernée.
Que je sache, le Parlement canadien n'a jamais sérieusement examiné le cas de Riel. Le comité devrait tirer avantage de cette occasion et étudier Louis Riel et tous les aspects juridiques liés à son histoire. Nous ne devrions pas nous enliser dans un processus où nous nous contentons de dire que nous n'aimons pas telle ou telle disposition du projet de loi, et ensuite abandonner l'étude.
Le président: Sénateur Chalifoux, voulez-vous commenter ou passer à une autre question?
Le sénateur Chalifoux: Passons à la prochaine question.
Le sénateur Joyal: J'ai lu le projet de loi plusieurs fois afin de déterminer ce que vous demandez exactement au Parlement. D'après ce que je comprends, vous demandez au Parlement de reconnaître Louis Riel à titre de patriote métis et de héros canadien; vous voulez que le Parlement reconnaisse la ceinture fléchée à titre de symbole métis, et vous demandez que le Parlement réserve le 12 mai à titre de date pour commémorer Louis Riel.
Incombe-t-il au Parlement du Canada de reconnaître, pour les nations autochtones, un de leur héros, ou les nations autochtones ne sont-elles pas totalement habilitées à déterminer elles-mêmes qui sont leurs héros?
Il n'existe aucun précédent à suivre à l'égard de ce genre de question; ni les Inuits ni les Premières nations ne nous ont demandé de reconnaître une personne ou un symbole comme faisant partie de leur patrimoine. C'est très important.
Depuis la décision historique prise le vendredi 19 septembre 2003, je crois que les Métis sont considérés comme une nation autochtone, tout comme les Inuits; ils ont exactement le même statut constitutionnel au Canada.
Quand on demande au Parlement de légiférer sur cette question, cela me porte à réfléchir: devrions-nous le faire? Je ne dis pas que nous ne devrions pas le faire, mais si nous le faisons, que faisons-nous?
Le sénateur Chalifoux: La ceinture fléchée est un symbole non seulement pour les Métis, mais aussi pour le Québec. Louis Riel représente aussi le Québec, où il est considéré comme un héros.
Il faut se pencher sur les origines de Riel. Oui, il a combattu avec les Métis, et il se considérait comme un Métis. Il était Métis, mais il était aussi Français. À titre de héros canadien, il est lié aux Métis, mais aussi aux Français du Québec. Quand on envisage d'autres héros, comme les chefs Poundmaker et Big Bear, on les relie à une nation. Louis Riel, pour sa part, est lié à plusieurs nations.
Le sénateur Joyal: Je ne tente pas de contester le projet de loi; je tente de comprendre ce que nous faisons. Initialement, nous sommes tentés de réagir spontanément, par instinct. Toutefois, lorsque nous légiférons, nous devons réfléchir à l'incidence de nos décisions, surtout lorsqu'on nous demande de légiférer pour un groupe.
Vous demandez que le 12 mai, date à laquelle est né le Manitoba, soit réservé. En reconnaissant cette date, nous lions le rôle de Riel à la création du Manitoba, et, en même temps, nous le reconnaissons à titre de héros métis.
Je crois que c'est à la nation métisse de déterminer qui sont ses héros.
Le sénateur Chalifoux: C'est ce que nous faisons en novembre.
Le sénateur Joyal: Le Parlement devrait déterminer quelle est la contribution de Riel en ce qui concerne l'Ouest canadien. On peut lire ce qui suit à la fin de l'article 2:
[...] sa contribution à la défense des droits et intérêts du peuple métis et des habitants de l'ouest du Canada.
Lorsqu'on poursuit la lecture du projet de loi, on reconnaît la date du 12 mai. Ainsi, on reconnaît implicitement que Riel a joué un rôle clé dans la naissance de la province du Manitoba.
Le sénateur Chalifoux: Riel est officiellement reconnu comme le père de ce volet de la Confédération.
Le sénateur Joyal: Vous nous demandez de reconnaître une date qui concerne directement le Manitoba.
Le sénateur Chalifoux: C'est ça.
Le sénateur Joyal: L'article 4 du projet de loi est clair sur ce point.
J'aimerais maintenant parler de l'article 5, non pas en ce qui concerne la sélection de la ceinture fléchée, mais plutôt le fait qu'on légiférerait la reconnaissance de la ceinture fléchée à titre de symbole des Métis. Nous n'avons jamais légiféré afin de reconnaître des symboles d'une nation autochtone. Les Inuits, par exemple, pourraient nous demander de reconnaître le phoque ou l'inukshuk à titre de symbole inuit. L'inukshuk est probablement un meilleur exemple, car on le retrouve sur le drapeau du Nunavut.
Je me demande si nous devrions faire cela pour les Métis, maintenant qu'ils constituent une nation, et que cela a été confirmé par la Cour suprême du Canada. Je veux reconnaître la pleine capacité de la nation métisse de déterminer ses symboles. Comme vous l'avez déjà reconnu, d'autres nations autochtones ont pris de telles initiatives dans le passé.
Le sénateur Chalifoux: La nation métisse a été la première à se battre pour le libre-échange; nous avons été les premiers à nous élever contre les gouvernements du jour afin de défendre les droits des gens. Qui a-t-il de mal à ce que nous soyons les premiers à établir un symbole spécial? Il est très intéressant que vous souleviez cette question. La ceinture fléchée a toujours été un symbole très fort au sein de notre nation. À mon avis, il est tout à fait légitime et approprié de mentionner la ceinture fléchée dans ce projet de loi.
Le sénateur Joyal: Je ne remets pas en question le fait que le symbole de la ceinture fléchée soit lié aux Métis, tout comme l'inukshuk est associé au Nunavut. D'ailleurs, les armoiries du Nunavut contiennent un inukshuk. Le drapeau canadien contient une feuille d'érable; c'est un élément physique du drapeau. Je n'ai rien à redire à cela, mais dans le cas qui nous occupe, nous serions en train de légiférer pour une nation autochtone. Une nation ne devrait-elle pas déterminer ses propres symboles et dire qu'elle n'a pas besoin du gouvernement du Canada pour le faire? Comprenez- vous ce que je veux dire?
Le sénateur Chalifoux: Oui, je comprends.
Le sénateur Joyal: Si j'appuie ce projet de loi, je veux savoir exactement ce que je fais au nom d'une nation autochtone jouissant du même statut que toute autre Première nation ou groupe inuit au Canada.
Le sénateur Chalifoux: Je vous recommande de poser cette question aux historiens métis. C'est un très bon sujet à débattre. Le Ralliement national des Métis soutient ce projet de loi; j'ai des lettres qui l'atteste. Le sénateur Joyal soulève une bonne question.
Le sénateur Andreychuk: L'article 35 de la Constitution et l'affaire Powley mentionnent uniquement les droits culturels existants. Si nous reconnaissons un symbole, il doit y avoir un mécanisme juridique permettant aux Métis de réclamer le symbole. Sinon, nous nous ingérons dans les droits existants des Métis.
C'est un peu comme les questions que nous posions à M. Chartrand hier. Nous lui avons demandé s'il parlait pour les Métis, et il nous a répondu que non, qu'il parlait pour lui-même. C'est la même chose. Nous devons confirmer que la communauté métisse a demandé qu'on reconnaisse son symbole. C'est une question juridique, car il faut déterminer comment faire cela sans enfreindre l'article 35 de la Constitution.
Le sénateur Joyal: La capacité d'autonomie gouvernementale des Métis est à déterminer, mais, néanmoins, cette capacité est implicitement reconnue, puisque les Métis sont une nation autochtone à part entière.
Le sénateur Chalifoux: C'est une très bonne question à débattre, et lorsque les juristes métis viendront témoigner devant vous, je vous suggère de leur poser ces questions.
En attendant, je retournerai au Ralliement national des Métis et à notre équipe juridique, et je les mettrai au courant de ce qui se produira à l'occasion de notre prochaine rencontre. Cela leur donnera le temps de se préparer à vos questions sur ce sujet.
Le sénateur Andreychuk: La difficulté tient non pas à la demande en soi, mais bien à la façon d'y accéder sans violer les droits de quiconque. Qu'est-ce qui nous habilite à reconnaître des symboles? Nous avons un sceau du Sénat et nous pouvons changer cela, mais, autrement, avons-nous le pouvoir de reconnaître ces symboles? Il faut que les experts juridiques répondent à cette question.
Le sénateur Cools: Tout cela s'inscrit dans l'art héraldique.
Le sénateur Andreychuk: Nous pouvons créer des précédents. Nous devons obtenir des conseils et de l'information des experts juridiques et parlementaires afin de déterminer si notre mandat comprend la reconnaissance d'un symbole.
Le sénateur Joyal: Je n'ai pas d'objection à ce que le Parlement canadien reconnaisse la ceinture fléchée à titre de symbole métis. Nous devons lire le projet de loi soigneusement. Comme le disait l'un de mes professeurs: «Chaque mot signifie quelque chose.»
L'article 5 dit ce qui suit:
La ceinture fléchée est reconnue en tant que symbole du peuple Métis.
L'arrêt Powley élargit l'interprétation de l'article 35 de la Constitution. L'arrêt a une incidence sur les initiatives que le Parlement peut prendre en vertu de l'article 35. Le paragraphe 45 de l'arrêt Powley du 19 septembre dit ce qui suit:
Bien que l'article 35 protège les droits «existants», il ne constitue pas une simple codification de la common law. Cette disposition exprime une nouvelle promesse: en l'occurrence un engagement constitutionnel à protéger les pratiques qui, historiquement, étaient des caractéristiques importantes du mode de vie des communautés autochtones concernées.
L'article 35 concerne non seulement les titres fonciers, ou les droits existants pour ce qui est des terres et de l'autonomie gouvernementale, c'est aussi une promesse de protéger les pratiques historiques propres aux peuples autochtones.
Ce paragraphe est très riche, il en dit bien plus que la Cour suprême n'a jamais dit au sujet de l'article 35. C'est un élargissement immense de l'article 35.
Sénateur Chalifoux, pendant que je lisais ce projet de loi, je me suis demandé comment nous pourrions intervenir en légiférant sur un héros national et un symbole pour la nation métisse. Je me demande en quoi cela s'inscrit dans notre responsabilité fiduciaire. L'État a une responsabilité fiduciaire à l'égard des Métis. Les Métis sont une nation autochtone à part entière.
N'est-ce pas une prérogative inhérente à l'autonomie gouvernementale des Métis de pouvoir déterminer ses propres héros?
Cela n'empêche pas le Parlement de reconnaître Louis Riel à titre de héros canadien; ce n'est pas la même chose que de le reconnaître à titre de héros métis. Nous avons reconnu sir John A. Macdonald et nous avons une Journée Sir Wilfrid Laurier. Nous pourrions tout autant reconnaître Louis-Joseph Papineau à titre de héros canadien, même s'il était un «rebelle», puisque c'est le terme utilisé par le sénateur Beaudoin. Il y a des statues et des monuments de Papineau partout.
Cependant, il y a, pour le Parlement, une différence entre reconnaître un héros canadien et légiférer sur un symbole pour le peuple métis. Si la ceinture fléchée devenait un symbole, n'allez pas croire que vous pourrez demander à ce qu'un autre symbole soit reconnu dans cinq ans.
Je ne dis pas que nous ne devrions pas reconnaître Louis Riel à titre de héros canadien ayant joué un rôle important pour les Métis, pour le Manitoba et pour le Canada.
C'est une question très importante. Je suis préoccupé, comme la plupart d'entrevous, par la possibilité d'ingérence dans les affaires d'une nation autochtone, quand il est clair qu'elle a le pouvoir de faire quelque chose elle-même.
On ne peut nier le fait que Louis Riel est un héros canadien. Vos arguments m'ont convaincu qu'il faudrait effectivement adopter une Loi sur Louis Riel. Par contre, comment pourrions-nous formuler les articles de la loi de façon à ce qu'elle tienne compte de la capacité d'autonomie gouvernementale des Métis? Vous dites qu'ils ont leur propre gouvernement. C'est vrai.
Le président: Merci, sénateur Joyal.
Le sénateur Andreychuk: Dans la version anglaise du préambule, on dit ce qui suit:
And Whereas it is now expedient for Parliament to effect that reconciliation [...]
Qu'entendez-vous par «it is now expedient»? Voulez-vous dire «opportun»?
Le sénateur Chalifoux: Oui, et c'est très opportun.
Un autre aspect que nous devons envisager est l'aliénation de l'Ouest. L'aliénation de l'Ouest a commencé avec le gouvernement provisoire et Louis Riel, et elle s'est aggravée au fil des ans. Cela commence vraiment à poser problème, et c'est pourquoi je crois qu'il est opportun de se pencher sur la question.
Le sénateur Cools: Nous devrions peut-être tous soumettre des noms, ou tenir une réunion sur le sujet, afin qu'on puisse décider comment procéder.
Le président: Notre comité directeur examinera les noms qui ont été mentionnés ce matin, ainsi que certaines des suggestions formulées. Nous aurons sans doute d'autres témoins à l'occasion de la prochaine série d'audiences.
Je vous remercie, sénateur Chalifoux, d'être venue ce matin et d'avoir soulevé ce débat très important.
Le sénateur Chalifoux: Je tiens à vous remercier tous d'avoir fait avancer le débat. C'est un débat merveilleux, et il fait partie de la fière histoire de tous les Canadiens. Je crois que c'est le bon moment pour lancer ce débat.
Le sénateur Beaudoin: Quand nous avions discuté de la question des Acadiens, nous avions établi une liste d'historiens à consulter. Je crois que nous devrions faire la même chose maintenant; mais, comme vous l'avez dit tout à l'heure, nous pourrions peut-être faire quelque chose au sein du comité directeur.
Le président: La séance est levée.