Délibérations du comité sénatorial permanent des
Langues officielles
Fascicule 12 - Témoignages - Séance de l'après-midi
EDMONTON, le jeudi 23 octobre 2003
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui à 13 h 07 pour étudier l'éducation au sein des communautés minoritaires de langues officielles.
L'honorable Rose-Marie Losier-Cool (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente: Nous recevons cet après-midi des membres du Conseil des écoles publiques d'Edmonton.
[Traduction]
Je tiens à souhaiter la bienvenue à Mme Chambers. Elle est accompagnée de Wally Lazaruk, Betty Tams et Sylvianne Perry.
Vous allez nous parler des écoles publiques d'Edmonton, et ce sera un plaisir de vous écouter.
Mme Gloria Chambers, Edmonton Public School Board: Bonjour mesdames et messieurs les sénateurs.
[Français]
J'aimerais tout d'abord offrir au nom de M. Angus McBeth, directeur de notre commission scolaire, un très chaleureux accueil à tous les membres du Comité permanent des langues officielles du Sénat.
Monsieur McBeth regrette profondément de ne pas pouvoir participer à votre réunion. Il est retenu pour la présentation, au Conseil scolaire, des résultats de nos élèves.
Notre conseil scolaire a toujours donné son appui en paroles et en faits au programme de langue française. Nous en sommes fiers. Nous sommes aussi très reconnaissants de la contribution du gouvernement fédéral que nous avons reçue tout au long de nos efforts.
C'est avec grand plaisir que je vous invite à écouter M. Lazaruk parler de nos plus importantes initiatives faites jusqu'à maintenant et de nos défis d'avenir.
Je vous présente M. Wally Lazaruk, un des responsables du projet de renouvellement des programmes de langue française.
[Traduction]
M. Wally Lazaruk, Edmonton Public School Board: Honorables membres du comité, au nom du Conseil des écoles publiques d'Edmonton, je tiens mois aussi à vous remercier d'avoir invité le district à témoigner devant votre comité aujourd'hui.
Dans mon exposé, j'aimerais faire ressortir quelques particularités du programme de langue française du Conseil des écoles publiques d'Edmonton, dont le projet de renouvellement de la langue française. J'aimerais aussi parler du projet pilote que nous avons avec la Commission de la fonction publique du Canada. En troisième lieu, je parlerai de notre collaboration avec le Commissariat aux langues officielles. Quatrièmement, je ferai état de la nécessité d'avoir des normes nationales pour la langue française — parce que nos étudiants ont besoin d'avoir plus de contacts avec les communautés francophones — et je dirai quelques mots aussi sur les efforts que fait le district pour faire connaître nos programmes de langue française.
Il y a deux ans, le Conseil des écoles publiques d'Edmonton a décidé de mettre fin à dix années d'érosion dans les inscriptions à l'immersion française et au programme de français langue seconde. L'une des premières mesures que le district a prises a été de mener un examen exhaustif de ses programmes d'immersion française et d'enseignement du français langue seconde.
Cette étude nous a permis de dégager certains points forts du programme en vigueur, mais aussi d'identifier certains secteurs du programme où il fallait apporter des améliorations.
Des recommandations ont été faites en vue d'approuver un projet de renouvellement de la langue française; on a lancé l'idée de créer un comité consultatif communautaire; nous avons adopté des mesures favorables à la langue française; et nous avons enfin proposer que les buts de notre programme coïncident non seulement avec les normes provinciales mais aussi avec des normes nationales et internationales.
Nous avons également fait des recommandations concernant le programme de français langue seconde. Nous voulons faire du français une partie intégrante du programme scolaire; nous voulons augmenter le temps d'enseignement; actualiser les ressources didactiques; faire connaître le programme; encourager la valorisation professionnelle; augmenter les contacts avec les communautés francophones; valoriser les étudiants, les enseignants, les administrateurs et le personnel de soutien qui font partie des programmes; et enfin, bien sûr, augmenter le financement, réalité qui s'impose avec la plupart des projets.
En avril 2002, le district a lancé son programme de renouvellement de la langue française de trois ans, dont les buts consistent à augmenter les inscriptions, améliorer les résultats des étudiants, augmenter les contacts des étudiants avec les communautés francophones et créer des partenariats avec des organismes voués à l'amélioration de l'apprentissage du français.
Le projet est guidé par un comité consultatif communautaire. On y trouve des représentants de la Chambre économique de l'Alberta, l'Association canadienne-française de l'Alberta, l'Alliance française, la Faculté Saint-Jean et Canadian Parents for French, ainsi que des représentants du district scolaire, de l'Université de l'Alberta et d'autres. C'est un comité très représentatif.
Les stratégies du projet de renouvellement de la langue française sont expliquées aux pages 11 et 12 de votre document d'information, où l'on donne plus de détails sur les buts et les stratégies, et je vais maintenant passer à un autre sujet.
Je veux parler en deuxième lieu du projet pilote que nous avons mis sur pied avec la Commission de la fonction publique du Canada. En février dernier, le district a conclu un accord avec la Commission de la fonction publique du Canada pour mettre à l'essai les tests en langue française qu'elle fait subir concernant la lecture, l'écriture et l'interaction orale.
J'ai dit que le district voulait faire concorder les buts de son programme avec les normes nationales et internationales. Quand on voit ce qui se fait au pays au niveau des normes nationales et des outils d'évaluation nationaux, d'après les informations que nous avons, il n'existe qu'un seul outil, et il s'agit des lignes directrices qui ont été produites par la Commission de la fonction publique du Canada et les tests qui ont été administrés depuis 1984, avec les adaptations et les modifications subséquentes.
Nous voulions savoir si ces tests convenaient aux étudiants du secondaire, c'est-à-dire les étudiants qui sont en 12e année et diplômés de l'immersion française et des programmes de base en français, tels qu'on les connaît dans la plupart des régions du Canada.
Chez nous, 95 étudiants ont passé les épreuves de lecture et d'écriture, et 22 étudiants se sont prêtés à l'entrevue d'interaction orale avec un évaluateur qualifié d'Ottawa.
Les résultats ont été positifs. La plupart des étudiants ont reçu au moins un B, soit le niveau intermédiaire. Comme vous le savez sans doute, les épreuves permettent de déterminer le niveau A, B et C, et l'exigence minimum pour entrer dans la fonction publique fédérale est le niveau B ou intermédiaire, et dans certains postes de gestion supérieure, il faut le niveau C-B-C. C'est-à-dire, C pour la lecture, B pour l'écriture et C pour l'interaction orale.
La plupart des 95 étudiants qui ont pris part à ce projet et qui étaient diplômés de l'immersion française — et il y avait parmi eux quelques étudiants FLS — ont atteint le niveau B.
Ce projet démontre, à titre préliminaire du moins, que ces tests peuvent convenir à des étudiants de l'école secondaire. Nous devrons confirmer cela par une étude plus étendue, et nous espérons recevoir des fonds pour l'année scolaire 2003-2004 qui nous permettront de mener une étude en Alberta et de faire appel au moins à 500 étudiants choisis au hasard au niveau de la douzième année partout dans la province, et ce, afin de déterminer si ces tests conviennent vraiment à un groupe plus large. Ces tests convenaient pour ce groupe, mais il s'agit d'un groupe restreint. Il y avait un nombre assez élevé de bons étudiants dans ce groupe. Nous voulons faire un essai avec un plus grand nombre d'étudiants et tenir compte aussi du contexte urbain et rural, des fluctuations dans l'intensité des programmes, de la philosophie didactique des enseignants, et de facteurs comme la langue que les étudiants utilisent à la maison et la composition du milieu.
Ce projet que nous avons mené avec la commission de la fonction publique a été couronné de succès. Nous pensons qu'à long terme, cette collaboration avec la commission de la fonction publique nous permettra d'établir une norme commune d'évaluation pour la maîtrise de la langue française au Canada. Nous croyons que si les étudiants sont sanctionnés d'après une mesure nationale, ils seront plus encouragés à s'inscrire à nos programmes de langue française et à y rester jusqu'à la diplômation.
Nous croyons que tout cela est très positif. Les parents sont très curieux de savoir quels résultats leurs enfants obtiennent à ces épreuves qui, d'après eux, reflètent la vie réelle au Canada, étant donné qu'on sort du contexte scolaire, et cette série de tests de la commission de la fonction publique constitue un système d'évaluation très prometteur que nous pourrions peut-être offrir à tous les Canadiens.
Avant de passer à autre chose, je tiens à souligner la collaboration du commissariat aux langues officielles qui a coopéré étroitement au projet que nous avons mené avec la commission de la fonction publique. Le commissariat a produit un certificat d'achèvement, et chaque étudiant a reçu ce certificat lors d'une cérémonie qui s'est tenue en septembre. Les étudiants et, bien sûr, leurs parents ont apprécié la collaboration de la commissaire aux langues officielles.
Dans le travail que nous faisons, non seulement en collaboration avec la commission de la fonction publique mais aussi dans notre projet de renouvellement de la langue française, nous croyons qu'il faut établir des normes nationales pour la connaissance du français, langue officielle du Canada, normes qui n'existent pas à l'heure actuelle. Nous pensons qu'il faut établir ces normes et définir ce que les Canadiens doivent pouvoir faire et savoir dans diverses situations concrètes en français.
Les lignes directrices de la commission de la fonction publique pourraient constituer une première étape ainsi qu'une bonne référence pour ce genre d'initiative.
Des normes nationales pour la connaissance du français pourraient nous donner à nous, Canadiens, une compréhension commune de ce que c'est que d'apprendre, de connaître et d'utiliser le français. Cette compréhension commune est importante. Elle permettrait aux employeurs de déterminer quelles compétences en langue française sont nécessaires dans le milieu des affaires et dans l'industrie. Elle permettrait aussi aux étudiants de choisir les programmes de langues qui conviennent et de faire évaluer leur maîtrise du français.
Un groupe de travail devrait être créé à l'échelle nationale, qui devrait regrouper des représentants de divers milieux, soit l'apprentissage de base, l'école du jardin d'enfants à la douzième, le milieu postsecondaire, le milieu des affaires et l'industrie, ainsi que les organismes gouvernementaux, le grand public et, bien sûr, les instances politiques.
Nous nous adresserions à des clientèles comme les ministères provinciaux de l'Éducation, les organismes fédéraux et provinciaux, les employeurs du milieu des affaires et de l'industrie, les étudiants, les parents et le grand public.
Il ne s'agit pas cependant de créer un programme d'études. Cela constitue à mon avis un autre niveau, et relève de la compétence provinciale. Cependant, si le français est une langue officielle, il est important d'avoir une idée de la connaissance et de l'utilisation du français dans notre pays.
J'aimerais dire quelques mots au sujet de l'interaction avec les communautés francophones. Nos étudiants ont besoin d'avoir plus de contacts avec les communautés francophones lorsqu'ils apprennent le français dans nos écoles élémentaires et secondaires.
Au cours de l'examen de notre programme que nous avons entrepris il y a deux ans avec le Conseil des écoles publiques d'Edmonton, les étudiants disaient souvent: «Nous ne connaissons pas la communauté francophone de notre propre ville. Nous aimerions avoir plus de contacts avec elle.» Voilà pourquoi nous avons créé des moyens de rapprochement et des méthodes qui permettent aux étudiants d'avoir des contacts avec cette communauté.
L'an dernier, nous avons lancé une série d'activités et désigné des personnes ressources dans la ville et la région. Il existe un certain nombre de ressources et d'activités prometteuses, et cette année, nous espérons les mettre en oeuvre.
Nous avons également proposé un projet national qui sensibiliserait davantage les enseignants et les étudiants à la réalité des communautés francophones au Canada et dans d'autres pays du monde. Nous aimerions recenser, choisir, et préparer des ressources qui permettront aux enseignants et aux étudiants de se familiariser plus systématiquement avec la présence et l'importance des communautés francophones, la diversité des traditions linguistiques, musicales et littéraires de ces communautés, et aussi l'identité culturelle telle qu'elle est démarquée par le territoire, la langue, le patrimoine, les activités économiques et récréatives.
Nous pensons qu'un contact avec des francophones, la participation à des activités culturelles authentiques en français et l'emploi du français authentique motivera les étudiants à rester dans les programmes de langue français jusqu'à la fin des études secondaires.
Quelques mots au sujet de la promotion. La sensibilisation du public à ce qui constitue l'apprentissage de la langue française pose un gros problème partout au Canada. Des idées erronées circulent au sujet de l'apprentissage de la langue française. Il existe aussi des préjugés. Des stéréotypes se sont créés, et j'ai la certitude que vous en avez été témoin au cours de vos déplacements.
Nous croyons qu'il est important de mettre au point un plan de marketing et de communication qui nous permettra de surmonter ces difficultés et de communiquer aux parents des informations qui combleront des lacunes; de fournir des informations sur l'apprentissage de la langue française; de contrer les diverses perceptions négatives par des faits, de la recherche, des témoignages exemplaires, de telle sorte que les gens comprendront qu'il est important d'apprendre le français dans notre pays; et cela nous permettra aussi de faire connaître nos programmes.
Nous pouvons nous adresser à diverses clientèles. Je n'entrerai pas dans les détails, et vous trouverez certaines explications dans les notes que nous vous avons remises mais voici des exemples d'idées que nous voulons propager: Que le français est une langue officielle du Canada et qu'il fait partie intégrante de l'identité canadienne; que le français est parlé dans le monde entier et qu'il est une des langues de la diplomatie et des organisations internationales.
Nous croyons qu'il est également important de mettre au point des outils simples et peu coûteux de marketing afin de rejoindre les Canadiens à l'échelle nationale et d'aider les gens à comprendre l'importance de l'apprentissage du français, et cela nous permettra aussi de dissiper certains stéréotypes. On valoriserait ainsi l'acquisition de la langue française parce que c'est l'un des principaux problèmes que pose l'apprentissage des langues au Canada. Cet apprentissage n'est pas suffisamment valorisé, et il faut l'encourager, peut-être de la même façon qu'on procède en Europe, où le Conseil de l'Europe déploie de grands efforts pour encourager l'enseignement des diverses langues qu'on trouve dans les pays européens.
Financement: Le Conseil des écoles publiques d'Edmonton s'est engagé à investir 1,2 million de dollars sur trois ans, soit 400 000 $ par an, pour renouveler les programmes de langue française et augmenter aussi les inscriptions.
L'an dernier, le district a eu le grand plaisir de recevoir 173 000 $ du ministère de l'Apprentissage de l'Alberta et de Patrimoine canadien pour la première année. Pour l'année deux, le district a demandé 400 000 $ pour soutenir les éléments provinciaux et nationaux du projet. Nous ne savons pas encore combien d'argent nous recevrons cette année.
Le district souhaite l'avènement d'un système qui permettrait au gouvernement fédéral de financer directement certains projets nationaux. Il n'existe en ce moment aucun système en place pour cela. Il y a des programmes à Patrimoine Canadien, mais ils ne s'adressent pas aux districts scolaires. Ils s'adressent aux établissements.
Cependant, nous avons un certain nombre de projets nationaux à proposer. Notre collaboration avec le commissaire aux langues officielles et la Commission de la fonction publique du Canada a des ramifications nationales. L'opération de marketing a eu aussi. C'est également le cas de la collaboration avec les communautés francophones; ces trois projets ont des ramifications nationales.
Le plan d'action des langues officielles du gouvernement du Canada fait fond sur l'inquiétude que cause la baisse des inscriptions au programme de langue seconde, le taux élevé de décrochage parmi les étudiants inscrits dans les programmes des écoles secondaires et la nécessité de bilinguiser un plus grand nombre de jeunes. C'est le plan d'action que je cite.
Les efforts de renouvellement du Conseil des écoles publiques d'Edmonton peuvent servir de modèle à tout le Canada en ce qui concerne l'amélioration de l'apprentissage de la langue française, et contribuer à l'objectif du gouvernement du Canada, à savoir, doublier le nombre de diplômés du secondaire qui posséderont une connaissance fonctionnelle de leur seconde langue officielle.
En terminant, je tiens à remercier de nouveau le comité d'avoir accepté d'entendre le district aujourd'hui. Le district reconnaît que le français est une langue officielle du Canada, et que c'est une langue importante dans les échanges internationaux, économiques, politiques, diplomatiques et culturels. Le district a pour politique d'offrir à tous les étudiants du Conseil des écoles publiques d'Edmonton l'accès au programme de langue française.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Lazaruk. Vous avez de toute évidence soulevé quelques questions intéressantes, particulièrement en ce qui concerne l'évaluation des apprenants.
Je trouve que le Conseil des écoles publiques d'Edmonton est très courageux de proposer une évaluation nationale — je ne veux pas employer l'expression «tests nationaux» parce que c'est presque un mot tabou — en collaboration avec la Commission de la fonction publique, parce que chaque fois qu'on parle d'éducation, la province dit: «Eh bien, l'éducation est de compétence provinciale.»
Vous dites qu'il ne s'agit pas de créer un programme d'études. Cependant, les programmes d'études devraient refléter les compétences acquises.
M. Lazaruk: Oui.
La présidente: Les étudiants seront évalués en fonction de ces compétences, de ces capacités. Comment défendez- vous tout cela, surtout auprès des associations d'enseignants?
M. Lazaruk: J'établis — et cela se fait très souvent — une distinction entre la maîtrise, à savoir l'utilisation de la langue dans la vie de tous les jours, et le programme d'études, où il s'agit d'enseigner et d'apprendre la langue dans un contexte scolaire.
Un pays pourrait établir une série de normes pour le niveau de langue qu'il faut posséder dans certains contextes d'emploi, par exemple, le niveau de langue que prescrit la Commission de la fonction publique du Canada dans divers métiers, et ces normes, ces niveaux de maîtrise ou de connaissance et d'utilisation de la langue dans ces situations, devraient influencer les programmes d'études. Cependant, il ne s'agit pas de créer des programmes d'études. On ne dira pas qu'il faut enseigner ceci ou cela, et c'est la distinction que je fais.
C'est la province qui établit le programme d'études, les résultats à atteindre, le contenu qui doit être enseigné, mais je crois que la société dans son ensemble a un rôle important à jouer lorsqu'il s'agit de décider ce qui constitue l'apprentissage du français. Que signifie la connaissance du français au Canada? Surtout dans un pays où le français est une langue officielle, on devrait pouvoir dire, voici ce que ça veut dire que de savoir le français dans diverses situations dans notre pays. Cependant, je répète qu'il ne s'agit pas de créer un programme d'études.
La présidente: Je suis tout à fait d'accord avec vous, mais je sais que chaque fois qu'on parle de tests nationaux, les associations d'enseignants demandent si nous utiliserons les résultats de ces tests pour évaluer l'enseignant ou l'école. De même, est-ce juste envers les autres régions du Canada qui ne sont peut-être pas aussi ouvertes que le Conseil des écoles publiques d'Edmonton, est-ce juste envers les étudiants ou ceux qui vont évaluer ces tests?
Telle est la difficulté qu'il faut surmonter lorsqu'on parle de tests nationaux.
M. Lazaruk: Il y avait encore une ou deux petites choses que je voulais ajouter.
L'Association canadienne des professeurs de langue seconde serait très favorable à la création d'une sorte de test national. D'ailleurs, ils sont en train de travailler sur un projet dans ce sens, projet subventionné par Patrimoine canadien. Il y a d'ailleurs une association d'enseignants de la région que cela intéresse.
Les États-Unis, qui n'ont pas deux langues officielles, ont établi une série de normes nationales. Ces normes ont été créées par une agence au niveau national et on les retrouve dans les programmes de tous les États. Elles sont facultatives. C'est au niveau local que les responsables décident ou non de les appliquer.
La présidente: Dans votre proposition ce serait la même chose?
M. Lazaruk: C'est obligatoire. Le fédéral ne peut imposer de normes aux écoles.
Cependant, quand vous parlez aux parents de normes, ils sont tout à fait favorables à ces tests fédéraux, ceux qui viennent de faire l'objet de projets pilotes, car pour eux, cela représente une reconnaissance externe à l'école, une reconnaissance du monde extérieur à l'école.
La présidente: Ce débat est très intéressant. J'ai été enseignante pendant plus de 30 ans au Nouveau-Brunswick et nous avons très souvent débattu de ces questions d'équité et d'égalité de chances entre les élèves qui vivent en milieu rural au Manitoba ou au Nouveau-Brunswick et ceux qui y vivent à Edmonton, par exemple.
M. Lazaruk: Oui.
Le sénateur Comeau: Votre concept de norme nationale pour les élèves m'intrigue aussi vivement. Je n'y avais pas vraiment réfléchi et vous me prenez de court. Ma première réaction est très positive.
En cas d'établissement d'une sorte de norme nationale, tiendriez-vous compte des différences d'une région à l'autre? Il y a par exemple les accents, des mots et des expressions utilisées par les Canadiens de la région de l'Atlantique qui sont assez différents de ceux des Canadiens de l'Ouest.
M. Lazaruk: Oui.
Le sénateur Comeau: Je suis certain que lorsque vous m'écoutez parler français, il ne vous est pas difficile de constater que mon accent est très différent.
M. Lazaruk: Oui. Toute norme et tout programme linguistique digne de ce nom se devrait de refléter les accents régionaux afin que les élèves qui se trouvent à un niveau particulier d'apprentissage de la langue comprennent qu'il y a diversité d'accents, en fonction des territoires, des environnements et de la géographie d'une région à l'autre du monde.
Le sénateur Comeau: Je crois que pour la Commission de la fonction publique il y a trois catégories: A, B et C. Envisageriez-vous la possibilité d'ajouter de nouvelles catégories, pour aller jusqu'à, F — A, B, C, D, E, F — si bien que par exemple, pour une demande d'emploi dans la fonction publique en Alberta, dans une région où la connaissance de la langue française n'est pas aussi essentielle, il suffirait d'avoir un F ou un G?
M. Lazaruk: C'est une question de politique. En fait il y a cinq niveaux. Il y a le niveau A, c'est-à-dire le niveau de débutant. Le niveau B — et je crois que c'est le niveau clé, le niveau intermédiaire — de plus en plus de gens ont besoin au minimum d'un niveau intermédiaire pour occuper un emploi gouvernemental. Bien entendu, il y a le niveau avancé exigé des cadres surtout s'ils ont la charge de superviser des travailleurs bilingues, des employés bilingues; il leur faut absolument ce niveau avancé. Ensuite il y a le niveau d'exemption, c'est-à-dire celui des élèves et des candidats qui ont un niveau linguistique supérieur à celui qui est exigé.
Nous avons eu quelques étudiants de ce genre parce qu'ils venaient de milieu où le français était proéminent. Enfin, bien sûr, il y a la catégorie 0 pour ceux qui n'ont aucune capacité dans la seconde langue.
Je crois qu'il serait utile dans nos écoles canadiennes, par exemple, d'avoir au minimum un niveau intermédiaire de connaissance du français dans nos programmes de français, car c'est le niveau minimum pour se débrouiller en français dans la vie de tous les jours. Un niveau de débutant ne sert pas à grand-chose. Par contre, quand on a déjà le niveau intermédiaire, les programmes d'immersion en français permettent généralement de passer à un niveau avancé d'utilisation de la langue.
Avec le temps les étudiants en immersion française pourraient atteindre le niveau C de la Commission de la fonction publique. Les étudiants qui ont participé à ce projet pilote préparaient leurs examens provinciaux qui devaient avoir lieu la semaine suivante, ils n'ont donc pas eu vraiment la possibilité d'étudier; ils l'ont donc passé, comme on dit, à froid. Cependant, sur la base des normes de la Commission de la fonction publique ils se sont relativement bien débrouillés.
Le sénateur Comeau: Ne faudrait-il pas cependant dissuader la préparation à ces tests? Je ne crois pas que le but de l'opération soit que les étudiants se préparent à ce genre de test. Je ne sais pas si je m'explique bien, mais il faudrait qu'ils le passent sans préparation.
M. Lazaruk: Oui, de ce point de vue, vous avez raison. Dans le contexte de ce débat, il faut au départ que ces tests aient lieu sur une base volontaire et c'est le système qu'il faut étudier. Nous avons fait une expérience; nous l'avons fait avec ces 95 étudiants. Nous aimerions la faire avec un échantillon plus large, avec 500, pour identifier les problèmes.
Ce qui serait aussi merveilleux, c'est que les tests de la Commission de la fonction publique soient disponibles, sous forme de services pour ceux qui sont prêts à payer pour les passer.
Nous avons dû payer pour faire passer ces tests. Les entrevues coûtent 160 $, l'épreuve de lecture 20 $, l'épreuve d'écriture 20 $ pour un total de 200 $.
Le sénateur Comeau: Oui.
M. Lazaruk: Ces tests ne sont pas gratuits; ils sont offerts sur une base de recouvrement des frais.
Le sénateur Comeau: Une dernière question sur un sujet différent. Vous avez parlé de rencontres de vos étudiants avec les membres de la communauté francophone. Je suppose que la communauté francophone d'Edmonton est assez dispersée, comme par exemple à Halifax. Il n'y a pas un noyau de francophones à un endroit.
Je sais que ce n'est pas vraiment de votre ressort, mais avez-vous envisagé d'envoyer ces étudiants visiter les dernières communautés complètement francophones qui restent en Alberta, visiter un environnement complètement francophone? Ce serait bon pour les deux groupes.
M. Lazaruk: Tout cela est envisageable et il y a un potentiel d'échanges.
Je sais que le surintendant du conseil scolaire Centre-Nord aimerait conclure une sorte d'entente qui permettrait d'examiner la possibilité d'échanges entre étudiants et écoles dans lesquels les étudiants en programme d'immersion pourraient passer quelque temps dans les écoles francophones, voire dans des familles francophones et vice versa, pour avoir une meilleure compréhension des cultures francophone et anglophone.
C'est une question d'habitude. Les gens n'ont pas encore pris cette habitude d'interaction.
Le sénateur Comeau: Oui.
M. Lazaruk: Il faut franchir cet obstacle et créer d'autres habitudes.
Mme Sylvianne Perry, Écoles publiques d'Edmonton: Tous nos élèves de 7e année inscrits dans les écoles d'immersion francophone iront en excursion soit au Festival des voyageurs à Saint-Boniface ou à Québec pour le dernier week-end du Carnaval. Ceux qui iront à Québec passeront 5 ou 7 jours dans des familles, ils vivront donc avec des francophones. C'est une initiative prise dans le cadre du projet de renouvellement.
Le sénateur Comeau: Super.
La présidente: J'ai encore une question à poser à propos de ce test national. Les employés de la fonction publique ont droit à une prime lorsqu'ils apprennent la deuxième langue tout en travaillant, et je sais que la commissaire aux langues officielles dans ses rapports, et beaucoup d'autres groupes, recommandent l'abolition de cette prime.
Ce point a-t-il été abordé lors de vos discussions sur ce test national ou sur son utilisation? En d'autres termes, quand vous faites une demande pour un emploi qui est désigné bilingue, vous devriez être bilingue quand vous faites acte de candidature et non pas deux ans plus tard.
M. Lazaruk: Non, nous n'en avons pas discuté. Je sais, sauf erreur, qu'il y a une prime de 800 $ par an. En cas d'augmentation du nombre d'étudiants accrédités par la Commission de la fonction publique au niveau secondaire, il y aurait par conséquent une augmentation du nombre de Canadiens bilingues, ce qui réduirait les coûts de formation au niveau fédéral.
La présidente: Absolument.
M. Lazaruk: Ils auraient les titres de compétence avant même de faire acte de candidature au niveau fédéral.
La présidente: C'est ce que je veux dire. C'est quand vous faites acte de candidature, et que vous obtenez l'emploi, vous êtes déjà bilingue.
Le sénateur Chaput: C'est impressionnant. J'ai parcouru, rapidement, tous vos documents.
Savez-vous si cela a déjà été essayé ailleurs? Est-ce une première en Alberta?
M. Lazaruk: Je n'ai pas entendu parler d'un projet de renouvellement de la langue française de cette ampleur ailleurs. Je sais qu'il a été cité ailleurs, par exemple, au Nouveau-Brunswick, dans certaines lettres écrites sur ce projet au premier ministre, M. Lord.
Le sénateur Chaput: D'accord.
M. Lazaruk: C'est un modèle, et bien entendu, le district est tout à fait prêt à partager ce qu'il sait et ce qu'il a appris avec les autres provinces du pays qui veulent l'essayer. Le district est tout à fait disposé à partager tous les moyens qu'il a utilisés pour vendre ce projet.
Le sénateur Chaput: Dans votre livre, je crois avoir lu quelque part que le degré de satisfaction et des étudiants et des parents était très élevé — 80 p. 100 d'étudiants satisfaits?
M. Lazaruk: Oui, le degré de satisfaction est élevé mais cela ne nous rend pas exagérément optimistes.
Le sénateur Chaput: Non.
M. Lazaruk: Nous essayons constamment d'améliorer le programme.
Le sénateur Chaput: C'est quand même dit.
M. Lazaruk: Oui.
Le sénateur Keon: Si votre projet de renouvellement est un succès et que vous décidez de l'intégrer à votre programme d'études, quelles améliorations devrez-vous apporter au programme actuel?
M. Lazaruk: S'il y a améliorations, comme vous le dites, il faudra que cela se fasse au niveau de l'instruction. Le programme se fixe un niveau relativement élevé, mais le problème c'est de maintenir un niveau d'instruction constant d'une année sur l'autre, avec un fort engagement des enseignants à développer eux-mêmes leurs compétences linguistiques et à veiller qu'ils aient la compétence nécessaire dans la langue française, ainsi que les méthodes et les stratégies d'instruction nécessaires. Si vous voulez, la clé, c'est l'amélioration du processus d'instruction.
Sur le plan du programme d'études proprement dit, les attentes sont généralement assez élevées.
M. Chambers: Je voulais ajouter une petite chose. Notre objectif c'est la constance. Les écoles publiques d'Edmonton ont les meilleurs résultats pour les tests de lecture et d'écriture en anglais, et nous les avons conçus de manière à pouvoir mesurer annuellement les résultats et d'une année sur l'autre pour les élèves.
Pour la première fois, nous proposons des tests de niveau le plus élevé pour le français. Nous sommes en train d'en mesurer les résultats.
M. Lazaruk: Pour chaque niveau scolaire. Par exemple, dans le programme d'immersion française, il y a des tests de lecture et d'écriture en français.
Le sénateur Keon: Pour vous c'est tout à fait possible. En d'autres termes, chaque étudiant devrait, à la fin de sa douzième année, avoir l'équivalent du niveau B de la fonction publique, par exemple.
M. Lazaruk: C'est l'objectif. Ce qui nous aiderait beaucoup c'est qu'au Canada nous puissions mieux évaluer l'apprentissage en langue française que nous ne le pouvons actuellement. Cela augmenterait même les normes et la qualité de la maîtrise des étudiants à la fin du cycle secondaire.
Faire comprendre l'importance et la richesse des langues dans notre société et dans la société en général, est essentiel et indispensable. Si nous y arrivons, nos étudiants atteindront des niveaux de compétence encore plus élevés.
La présidente: Avez-vous des recettes à proposer? Vous vous adressez à des convertis.
M. Lazaruk: Je crois qu'il nous faut une stratégie nationale de sensibilisation à l'importance de l'apprentissage des langues, de l'apprentissage du français, pas une simple stratégie de vente, mais une stratégie vantant les avantages de l'apprentissage des langues, pas seulement pour les simples particuliers mais pour toute la société, et qui soit soutenue par toutes les régions du pays. Certains organismes nationaux pourraient faire une partie de ce travail.
Bien entendu, soutenir des projets comme celui de la Commission de la fonction publique qui valorise le potentiel des étudiants. Il y a beaucoup de parents intéressés mais ils aimeraient qu'on accorde à l'apprentissage des langues une valeur plus élevée — par exemple, au niveau politique.
Bien entendu, une telle stratégie nationale réclame des arguments de vente. C'est un des éléments les plus importants de toute stratégie d'éducation car le public a besoin d'être mieux éduqué sur la valeur de l'apprentissage des langues.
La présidente: Voyez-vous un rôle pour le secteur privé? Vous avez dit que les parents sont intéressés. Les politiciens sont décidés. Qu'est-ce qui aidera? Vous avez parlé d'échanges d'étudiants.
M. Lazaruk: Oui. Le milieu des affaires devrait participer à l'élaboration de certaines normes, à l'identification des compétences nécessaires dans les emplois qui requièrent la maîtrise des deux langues. Il devrait les identifier, les faire connaître, les rendre publiques. Les petites annonces dans les journaux ne parlent pas des avantages d'être bilingues pour tel ou tel poste. Souvent c'est caché ou passé sous silence.
La présidente: Nous vous remercions infiniment d'avoir pris le temps d'être avec nous aujourd'hui. Votre témoignage a été fort instructif. Nous lisons ce que font certains, mais les rencontrer en personne et les entendre est très intéressant.
[Français]
Nous recevons M. Frank McMahon, de la Faculté Saint-Jean, accompagné de M. Bissonnette, que nous avons rencontré ce matin. M. McMahon nous parlera d'un projet sur l'entreprise, la formation et l'emploi.
M. Frank McMahon, professeur, Faculté Saint-Jean: Merci beaucoup, de nous avoir donné la chance de vous parler.
La société «Les Entreprises EFE» (Enseignement, Formation, Emploi) existe depuis quelques années. Je vous en parle très rapidement. Ce n'est pas vraiment très pertinent mais je veux tout simplement vous situer. Elle s'occupe, entre autres, de collaborer avec l'assurance emploi, qui a été transféré à la province, pour la formation des gens en chômage et aussi pour faire leur éducation permanente.
Le contrat n'a pas été renouvelé et les Entreprises EFE ont accepté d'entreprendre le dossier collégial. Le rassemblement des collèges communautaires du Canada français a obtenu une subvention importante du ministère du Patrimoine canadien pour établir l'enseignement collégial dans l'Ouest. Environ un tiers de million de dollars est disponible sur un peu plus d'un an et demi pour que la Saskatchewan, l'Alberta et la Colombie-Britannique puissent implanter un programme collégial.
En Alberta, il est important de savoir, qu'il n'existe qu'un seul programme collégial. Nous incluons tous les cours techniques, par exemple, Alberta Institute of Technology. Aucun n'est disponible en français, à l'exception d'un programme de formation pour l'administration des affaires bilingues qui existe depuis environ sept ou huit ans et qui fonctionne relativement bien. Ce programme reste toujours menacé par la disparition étant donné que c'est un programme que NAIT a mis sur pied volontairement mais qui pourrait, pour des raisons à elles, être supprimé d'un jour à l'autre.
Il nous apparaît essentiel, en Alberta, qu'il y ait une présence francophone au niveau du collégial par opposition au post-secondaire. Nous avons donc reçu une subvention et le collège viserait surtout évidemment les diplômés des écoles francophones mais aussi des écoles d'immersion.
Cette année, nous essayons de bâtir un dossier qui justifie la nécessité d'un collège francophone en Alberta et d'aller rencontrer les autorités gouvernementales. Évidemment, c'est du ressort du gouvernement provincial d'établir une institution post-secondaire, que ce soit francophone ou anglophone.
Nous avons entrepris plusieurs sondages. Nous sondons tous les jeunes dans les écoles francophones et les finissants, c'est-à-dire le secondaire deuxième cycle, 10e, 11e et 12e année dans les écoles d'immersion de la province pour savoir quel serait leur intérêt pour le collégial et quels domaines les intéresseraient. Il ne suffit pas qu'ils aillent au collège. Il faut que ce soit dans un domaine ou dans un autre.
Nous allons également rejoindre tous les conseils scolaires francophones pour savoir quels seraient leurs besoins en personnel ainsi que les organismes, de la province, francophones qui engagent du personnel et qui auraient besoin d'une formation au niveau collégial ou bien d'autres organismes non francophones privés qui cherchent une clientèle francophone. Nous devons établir une base de données par rapport à cette réalité.
À la page 2 du document, que nous vous avons remis, vous trouverez un tableau des effectifs scolaires. Une des raisons qui nous poussent à vouloir défendre l'éventualité et l'importance d'un collège francophone en Alberta, est de voir ce qui se fait en Nouvelle-Écosse et au Manitoba où la population est relativement semblable. Il existe déjà des programmes collégiaux qui fonctionnent bien. Nous verrions mal ne pas avoir ces programmes en Alberta.
En Alberta, en comptant les francophones, immersion et français, langue seconde, les effectifs au niveau scolaire sont de 146 000 élèves. Au Manitoba, ils n'ont seulement que 94 000 élèves, tandis qu'en Nouvelle-Écosse, le nombre est de 86 000.
En Alberta, nous avons presque 66 000 élèves pour ce qui est des francophones, langue maternelle ou ceux qui parlent le français et l'anglais. C'est environ le double de ce qui existe en Nouvelle-Écosse par rapport aux nombres de personnes qui parlent français.
Nous sommes 204 000 qui parlent le français seulement ou le français et l'anglais. C'est clair qu'il existe une population importante qui pourrait être la clientèle d'un collège francophone et utiliser ses services.
Toujours en Alberta, il n'existe qu'un seul programme collégial pour les effectifs post-secondaires. Au Manitoba, il existe huit programmes collégiaux et en Nouvelle-Écosse, ils en ont une douzaine. Il nous semble tout à fait légitime de demander au gouvernement provincial de nous accorder un collège francophone.
L'inconvénient est que la province essaie de centraliser les institutions collégiales plutôt que de les diversifier. Un nouveau collège qui serait complètement séparé risque d'être problématique à l'intérieur de la province.
Nous examinons la possibilité de leur présenter un projet de collège francophone qui s'intégrerait à une autre institution qui est déjà existante. Le modèle de Saint-Boniface ou le programme collégial est dans la même institution que le programme universitaire. En Nouvelle-Écosse, ils viennent de regrouper le collégial avec l'universitaire.
Vous pourrez en discuter, tout à l'heure, avec le doyen. Nous l'avons déjà rencontré à ce sujet. Il n'est pas antipathique à cette option faite de concert avec la Faculté Saint-Jean. Une aile collégiale s'intégrerait d'une façon ou d'une autre à l'université de l'Alberta, par le truchement de la Faculté Saint-Jean. Cette option nous apparaît comme étant une voie qui a plus de chance d'être acceptable au niveau du gouvernement provincial.
Nous souhaiterions un collège indépendant autonome mais dans la conjoncture où il faudrait avoir une position sur laquelle nous pourrions revenir au niveau de la province.
L'important est que cette institution soit contrôlée par la population francophone. Si ce sont des fonds publics, le gouvernement aura ses propres représentants, mais il nous apparaît tout à fait inacceptable que ce soit un conseil d'administration anglophone, comme c'est le cas à NAIT, qui décide s'ils offrent ou non les programmes cette année.
Nous voulons une entité vraiment à l'écoute de la communauté et responsable du programme francophone. Sinon, nous n'aurons pas l'impression d'être plus avancé que nous le sommes actuellement. Pour les programmes des langues officielles en éducation, c'est clair, c'est à la province à intervenir.
L'avantage est que la province a décidé de rendre une deuxième langue obligatoire dans toutes les écoles de la province. Actuellement, en Alberta, on peut finir l'école secondaire en étant complètement unilingue. On peut avoir un diplôme de fin d'études secondaires et aller à l'université sans avoir une deuxième langue.
À partir de 2004, la province va rendre une deuxième langue obligatoire, forcément le français. Nous allons l'introduire en 4e année puis ensuite le rendre obligatoire jusqu'en 12e année. Nous sommes conscients que c'est un handicap dans la société globale. Nous reconnaissons que les finissants de nos écoles sont unilingues. Nous voulons vraiment encourager le bilinguisme.
Il existera d'autres langues, mais la grande majorité des élèves apprendront le français comme langue seconde. Langue beaucoup plus utile et beaucoup plus utilisée au Canada qu'une autre langue.
Il faut être conscient que la politique doit être au niveau de la maternelle à la 2e année du système de base et non au niveau post-secondaire. L'apprentissage de la deuxième langue obligatoire ne se fait pas au niveau collégial ni au niveau universitaire.
Nous aurons besoin davantage de personnel pour enseigner le français ou les autres langues et également de personnel de soutien pour la bibliothèque, pour les aides enseignants. Nous aurons donc les diplômes collégiaux qui sont associés à l'enseignement.
Nous nous attendons à une demande beaucoup plus grande pour le personnel bilingue diplômé d'un collège. Pendant plusieurs années, le collège jouerait un rôle pour le recyclage du personnel. Actuellement, nous prenons du personnel, qui n'a aucune formation professionnelle, pour aider les élèves et pour aider à la bibliothèque parce qu'ils sont francophones. Les conseils scolaires pourraient exiger que ces aides reçoivent une formation professionnelle étant donné qu'ils ont déjà la compétence linguistique.
Il faut être conscient, que l'Alberta, avec tout le respect que nous avons pour le gouvernement, n'a pas une longue tradition en faveur des institutions francophones. M. Klein a été le premier ministre dans l'histoire de l'Alberta a mettre sur pied une institution francophone. Il ne faut pas s'attendre à ce que l'accueil de la part des politiciens soit d'un enthousiasme débordant face à l'idée d'avoir un collège francophone. Il y aura une certaine résistance, même si le climat est relativement favorable.
L'important est que le gouvernement canadien, qui a la responsabilité d'aider les communautés francophones par le truchement de la Loi sur les langues officielles, soit généreux dans l'appui qu'il apportera à ce genre de programme. Cela nous apparaît parfaitement légitime. C'est scandaleux que nous n'ayons toujours pas de programmes collégiaux qui appartiennent vraiment à la communauté francophone.
Le programme de NAIT ne nous appartient pas. C'est une gentillesse de la part de cette administration. Par exemple, pour acheter l'édifice pour en faire une partie de l'Université de l'Alberta, il a fallu obtenir un investissement de trois millions et demi du gouvernement provincial. Un des grands leviers de ce projet a été le million que le gouvernement fédéral a investi pour permettre l'achat de la Faculté et l'intégration à l'Université de l'Alberta. Il serait important que nous ayons le même genre d'appui de la part du gouvernement fédéral.
Je vous remercie beaucoup de votre attention et je serais très heureux de répondre à vos questions.
La présidente: Pouvez-vous nous donner la signification de NAIT?
[Traduction]
M. McMahon: Le Northern Alberta Institute of Technology.
[Français]
La présidente: Est-ce que le programme que vous demandez ne pourrait pas être plus proche avec NAIT qu'avec une faculté? NAIT est-elle simplement anglophone? NAIT donne-t-elle des cours en français?
M. McMahon: Elle ne donne, en français, que le programme d'administration des affaires.
Nous pourrions éventuellement être sous la responsabilité de NAIT. Si nous devions aller du côté d'une institution anglophone, nous irions plus du côté de Grant MacEwan Community College. Ce collège est à Edmonton. Il est en pleine expansion et a un programme plus diversifié. Ce programme ressemble plus à celui de notre clientèle francophone que le programme de NAIT.
La présidente: Ce matin, le groupe de la petite enfance a mentionné le manque d'éducatrices. Cette clientèle, les éducatrices à la petite enfance, pourrait-elle faire partie de ces programmes, de ces cours?
M. McMahon: Absolument. À Grant MacEwan, il existe, en anglais, un programme de deux ans pour l'obtention d'un certificat de formation pour la petite enfance.
La présidente: Ce matin, le groupe de la petite enfance nous mentionnait le manque de formation en français.
Le sénateur Comeau: C'est très comparable à la Nouvelle-Écosse. Vous avez plus de francophones, en Alberta, ce qui justifie plus de programmes français dans ces domaines.
En Nouvelle-Écosse, ils ont utilisé une approche différente du fait que les communautés sont éparpillées un peu partout. Ils ont choisi de le faire par le biais de vidéoconférence, par téléphone. Examinez-vous la possibilité de le faire par vidéoconférence?
M. McMahon: La population est importante à Edmonton. Dans la métropole d'Edmonton, vous avez facilement 20 000 à 30 000 francophones de langue maternelle française. C'est environ la moitié de la population francophone de la province.
Dans certaines régions, la population francophone que nous devons desservir est très importante. Deux centres de vidéoconférence sont déjà en place à la Faculté, pour le programme de maîtrise en éducation. Nous avons des étudiants à Saskatoon, à Vancouver, à Calgary, à Grande Prairie et à Yellowknife.
Nous pourrions très bien le faire parce que nous avons des salles pour donner des cours en vidéoconférence dans presque toutes les régions de la province.
Le sénateur Comeau: Vous pourriez donc examiner ce modèle?
M. Gérard Bissonnette, Fédération des conseils scolaires de l'Alberta: Lorsque la décision sera prise sur la création d'un collège francophone, ensuite nous déterminerons la modalité de livraison de ses programmes. Nous identifierons précisément les programmes à offrir. Nous essayons d'identifier les besoins autant en région qu'à Edmonton. Lorsque le collège sera créé nous pourrons lui fournir ces données.
Le sénateur Comeau: Une de mes inquiétudes est que très rarement nous répondons aux besoins des gens de métier tels que les mécaniciens, les plombiers, les charpentiers. Je réalise que c'est différent parce qu'il y a du travail pour les ouvriers. Mais presque partout au Canada, ces programmes en français sont très peu offerts. Ces programmes sont-ils réalisables ou est-ce un groupe trop difficile à servir?
M. McMahon: Je ne connais pas assez le domaine pour vous donner une réponse. L'Alberta a la tradition d'avoir des écoles secondaires multidimensionnelles. Nous avons des développements très importants au niveau des métiers; mécanique, menuiserie où nous préparons ces gens pour obtenir leur certificat d'ouvriers. C'est surtout de l'apprentissage. Les cours sont peu nombreux par rapport aux métiers. Ce ne sont que quelques mois au cours de chaque année. Il s'agirait de les placer.
C'est une question sur laquelle nos pourrions nous pencher parce que nous avons beaucoup de gens de d'autres provinces. Ils ont déjà un métier et ils pourraient servir de maîtres face à des apprentis tant dans le domaine de la plomberie que de l'électricité ou autres.
Le sénateur Comeau: Le Comité permanent des langues officielles essaie de voir à une vie totale française dans nos communautés. Si nous pensons que certains secteurs de nos communautés francophones sont moins importants, que nous les négligeons, c'est dangereux. Nous ne devrions pas avoir besoin d'aller dans les écoles anglaises pour apprendre un métier.
Nous voulons encourager nos communautés françaises, il faut donc le faire dans tous les domaines tant au niveau de la santé, au niveau de la sécurité publique, au niveau du commerce ainsi qu'en éducation. Les gens doivent se faire servir en français, et ce, pour toute la population.
En Nouvelle-Écosse, pour apprendre un métier nous devons aller à l'école anglaise. Pourquoi ne pas faire d'effort pour intégrer nos jeunes dans des programmes français?
Vous dites qu'en 2004, l'Alberta aura forcément l'apprentissage d'une deuxième langue au secondaire et que cela sera le français. Êtes-vous sûr ou est-ce une supposition?
M. McMahon: Non, il n'y a pas de garantie et nous voyons maintenant que l'espagnol devient très populaire. Cela n'empêche pas que le français demeure encore le choix par excellence. Un intérêt s'est développé pour le mandarin, pour l'arabe mais aucune comparaison avec les inscriptions en français.
M. Bissonnette: J'aimerais apporter une précision, il y a une faute de frappe dans notre texte. Ce sera à partir de 2006 qu'une deuxième langue sera obligatoire en 4e année et ensuite, on ajoute une année pour les années suivantes. Ce sera obligatoire jusqu'en 9e année, pour tous les élèves, dans nos écoles, d'apprendre une deuxième langue.
M. McMahon: Je pensais que l'ancien directeur de l'éducation française avait eu des nouvelles plus récentes et qu'ils avaient devancé la date. Cela me déçoit.
Le sénateur Chaput: Vous avez parlé de programmes ou d'une formation qui pourrait être donnée dans les régions. Au Manitoba, nous rencontrons des problèmes pour la transmission par vidéoconférence. Avez-vous assez de puissance, assez de force pour permettre cette transmission?
M. McMahon: La transmission fonctionne bien. C'est par ligne téléphonique et c'est un serveur qui en est le cœur. Lorsque quelqu'un est en panne, il nous arrive d'avoir un problème technique. Normalement, cela fonctionne de façon très fidèle. À chaque année, nous avons près de 80 étudiants qui suivent des cours par vidéoconférence et les résultats sont très satisfaisants. Jusqu'ici, tout va bien et nous en sommes heureux.
Le sénateur Chaput: Est-ce un projet qui a un grand intérêt pour la Saskatchewan et la Colombie-Britannique ou est- ce uniquement pour l'Alberta?
M. McMahon: Il existe, en Saskatchewan et en Colombie-Britannique, des groupes qui font l'équivalent de ce que nous faisons. C'est par le truchement du Rassemblement des collèges communautaires, dont les bureaux sont à Ottawa, que l'octroi a été reçu. Nous sommes en contrat avec eux pour faire le travail en Alberta.
M. Bissonnette: Si je peux apporter une précision au sujet de l'éducation à distance, d'ici la fin de 2004, en Alberta, sera installée un peu partout en province le Supernet. Cela permettra la correspondance par vidéoconférence et nous espérons que la téléconférence, l'audio et la vidéoconférence se fera de façon très efficace et rapide.
[Traduction]
Le sénateur Keon: Je ne comprends pas bien comment vous offrez un enseignement technique avancé à vos étudiants. Je crois comprendre que le système postsecondaire dans le nord de la l'Alberta a été fusionné en une seule institution où les étudiants peuvent bénéficier de cette concentration d'enseignement technique, s'ils le souhaitent.
Est-ce que vous orientiez vos étudiants sur cette voie si c'est celle qu'ils ont choisie, ou finissent-ils leur cycle avec vous avant de passer à l'étape suivante?
M. McMahon: Nos étudiants ont tendance à être à l'université, et il est très inhabituel — bien que cela arrive — qu'ils passent un diplôme technique après avoir passé un diplôme universitaire. D'une manière générale, ce sont des étudiants en technologie, en technologie de l'information, en informatique, ils suivent les cours de math, les cours de physique avec nous, et ils suivent les cours plus techniques et plus spécialisés en technologie de l'information et en informatique en anglais.
C'est ce qui se passe non seulement pour les nouvelles technologies, mais aussi en physique et en chimie. De manière générale, quand nos étudiants font un baccalauréat en science, ils suivent un certain nombre de leurs cours principaux en anglais. Cela semble marcher raisonnablement bien. C'est sur ce principe que nous offrirons le programme de science infirmière. C'est un programme bilingue. Les étudiants suivront leur programme moitié en anglais moitié en français.
Le sénateur Keon: Les écoles techniques hautement spécialisées qui dispensent un enseignement postsecondaire semblent être en pleine évolution. Je suppose que l'exemple ultime c'est le Massachusetts Institute of Technology qui est dans une catégorie à part. Nous n'avons rien de semblable au Canada, mais à Ottawa, par exemple, le Collège Algonquin a valorisé l'élément universitaire, mais offre également un enseignement technique très avancé et je me demande ce que vous faites des étudiants qui choisissent cette voie.
M. McMahon: Pour le moment, nous n'offrons rien qui ne soit dispensé par les universités donc nous n'avons pas vraiment à aborder cette question. Il n'y a rien en français. À l'université elle-même, en anglais, je ne pense pas qu'il puisse y avoir rien de plus technique que ce qui est dispensé en génie et en science. Pour le moment, il n'y a rien d'autre.
[Français]
La présidente: Nous vous remercions et vous souhaitons bonne chance. C'est un très, très beau projet qui nous prouve que tout n'est pas acquis. Nous avons encore beaucoup de travail à faire et nous essaierons d'appuyer votre programme autant qu'il sera possible. Je vous présente Mme Levasseur-Ouimet. J'ai très hâte de vous entendre parce que j'ai entendu de bons commentaires à votre égard. Vous nous parlerez de la façon de meubler une école parce que l'école n'est pas seulement un édifice. J'ai lu que vous aviez créé le Théâtre du Rideau rouge. C'est dommage que le sénateur Léger ne soit pas ici parce qu'elle aurait apprécié vous rencontrer.
Mme France Levasseur-Ouimet, professeur, Faculté Saint Jean: Les questions que vous m'avez envoyées sont excellentes. Je suis heureuse de constater la préoccupation des gens sur des sujets tels que le recrutement, la rétention d'élèves, les fonds, le personnel qualifié, et cetera.
Ce qui m'intéresse d'abord et ce qui m'inquiète beaucoup est vraiment l'intérieur de l'école homogène francophone. Ce dossier me tient à cœur. J'y travaille depuis de nombreuses années, d'abord comme parent, ensuite comme politicienne. Depuis les derniers temps, je m'intéresse à la formation des maîtres parce que je ne suis pas seule à la Faculté Saint-Jean.
Je vais d'abord vous dire qui je suis et ensuite vous rappeler certains grands jalons historiques de l'histoire de l'éducation française en Alberta pour situer le problème que je veux vous présenter.
Je suis Franco-albertaine de naissance. Ma mère venait de Montréal, mon père du Nouveau-Brunswick. En 1910, ils ont créé un village en Alberta et j'en suis très fière. C'est toujours la première chose que je dis. Je suis professeure à la Faculté Saint-Jean depuis 1976. J'étais aussi parmi le premier groupe de filles qui a étudié dans ce bastion masculin à l'époque. Je suis professeure de pédagogie présentement mais j'ai touché à un peu de tout. J'ai été professeure de langues. J'ai organisé des stages. J'enseigne aussi présentement des cours de poésie, des cours sur l'histoire des Franco- albertains.
Je suis une ancienne présidente de l'Association canadienne-française de l'Alberta. J'ai eu l'honneur pendant mon mandat de négocier la gestion scolaire pour l'école francophone suite à la décision de la Cour suprême en 1991 dans la cause Mahé-Bugnet.
Depuis mon mandat à l'ACFA, je suis devenue un peu sans le vouloir l'historienne de la communauté franco- albertaine. Je dis sans le vouloir parce que ce n'est pas mon domaine. Étant donné que très peu de gens y travaillaient, je m'y suis intéressée et me suis prise de passion pour l'histoire.
Pour vous donner un exemple, lundi dernier, j'offrais ce qui s'appelle le CPR lecture pour le département de l'histoire et de classique de la Faculté des arts. Ils ont un invité par année. Ma conférence traitait de l'histoire des Franco-albertains devant une salle remplie de 200 personnes, dont 150 anglophones qui se sont dits émerveillés face à l'histoire des Franco-albertains.
L'histoire des Franco-albertains n'est pas racontée en Alberta. Elle n'a jamais fait partie des programmes d'études. Les francophones eux-mêmes, qui étaient dans la salle, ont beaucoup appris suite à ma petite présentation de 45 minutes.
C'était un moment important d'avoir inviter quelqu'un pour parler de l'histoire des Franco-albertains. C'est un peu brutal lorsque l'on dit, certains ont du mal à l'accepter, que le français était la première langue européenne parlée en Alberta. De manière générale on préfère dire que l'Alberta est multiculturelle.
Ceux qui ne savaient pas ont étés surpris par l'ampleur de la contribution historique des francophones. Un de mes collègues a fait une carte de l'Alberta et il a soulevé plus de 600 noms francophones — les rivières, les montagnes, les collines, les lacs, et cetera.
Nous n'avons pas eu le temps d'écrire notre histoire et c'est typique de nous. J'écoutais mon collègue M. Frank McMahon qui disait que nous voulions aller chercher l'enseignement au niveau collégial, c'est typique de nous. Nous sommes toujours d'une lutte à l'autre, d'une chose à l'autre. Rien n'est facile. Et une fois que nous avons des acquis, ce n'est pas nécessairement pour toujours.
En deuxième partie, je vous parlerai de l'histoire de l'éducation française.
L'ouverture sur l'histoire des Franco-albertains présentement se situe parce que l'Alberta se prépare à célébrer deux anniversaires importants. Nous aurons le centenaire de la ville d'Edmonton et le centenaire de la province. Tout à coup, ils se rendent compte qu'il existe des francophones, que nous faisons des projets en Alberta et qu'ils n'ont pas d'informations. Ils se tournent vers la Faculté Saint-Jean et vers l'historienne des Franco-albertains. J'ai donc beaucoup d'appels. Heureusement, notre histoire est restée dans les archives ou encore dans la mémoire des gens qui nous quittent malheureusement trop rapidement.
Je veux vous rappeler certains jalons dans l'histoire de l'éducation française en Alberta. J'ai évidemment ni le temps ni l'intention de tout refaire et puis les gens qui habitent au Manitoba, qui habitent en Acadie, vous n'êtes pas sans savoir que l'histoire de l'éducation française se répète un peu d'une province à l'autre.
Il suffit de rappeler que les écoles françaises telles que nous les connaissons maintenant n'ont pas toujours existé ainsi que les acquis que nous avons faits. Il y a eu des reculs importants à deux reprises dans notre histoire. C'est ce qui m'amène à vouloir vous parler aujourd'hui de l'éducation française en parlant des écoles de l'intérieur.
En 1892, nous avons perdu les écoles françaises suite à la déclaration, par le gouvernement albertain, de faire de l'anglais la langue officielle d'enseignement. La population francophone qui, 15 ans auparavant, se chiffrait à 60 p. 100 de la population s'est vue démunie face à ses droits de l'utilisation de la langue dans les écoles.
Avant la Résolution Haultain et avant la Loi scolaire de 1892, nous fonctionnions beaucoup en français parce que la majorité des francophones étaient catholiques, il y avait des écoles confessionnelles, et cetera.
Après 1892, nous avions droit à ce qu'ils appelaient «The Primary Course», où la première et la deuxième année étaient offertes en français. Ensuite, de la troisième à la neuvième année, nous avions droit à une heure de français par jour et aux explications. Tout à coup, les francophones se sont mis à expliquer abondamment. Cela prenait du temps à comprendre, alors nous utilisions beaucoup le français.
En 1915, le gouvernement albertain s'était dit contre l'utilisation du bilinguisme sous toutes ses formes. Il fallait limiter les explications. C'était la première fois que nous perdions les écoles françaises.
En dépit de tout, la communauté francophone, avec des associations telles que l'Association des éducateurs bilingues de l'Alberta, l'ACFA, et cetera, s'est prise en main et organisait un peu partout — ça s'est vu dans l'Ouest, ça s'est vu au Manitoba — des grands festivals de la chanson. Déjà, à la Faculté, en 1943, nous avions des cours de formation des maîtres. Nous développions des curriculums. Nous faisions de grands examens de français.
En 1956, il y avait plus de 5 500 jeunes francophones qui écrivaient le grand concours. Ils mettaient les notes dans le journal. Ils publiaient votre nom avec le résultat de votre examen. Pour certains d'entre nous, ce ne sont pas de bons souvenirs.
À cette époque, la communauté s'occupait beaucoup d'éducation française. En 1968, un vent a traversé l'Ouest du pays. Tout à coup, ils nous permettaient l'utilisation du français à 60 p. 100 comme langue d'enseignement pour en arriver, vers 1976, à 80 p. 100. Les écoles bilingues sont nées. Les écoles où les 5 500 jeunes francophones — à l'exclusion des élèves de première, deuxième année, nous étions probablement 6 000 — avaient étudié, tout à coup, ont ouvert leurs portes à une autre clientèle, la clientèle anglophone. Le nombre a bien sûr monté. Suite à ce changement, le milieu de la culture de l'école est devenu beaucoup plus anglophone. Le phénomène du bilinguisme soustractif est né.
Dans notre histoire, dans notre façon de voir, c'est la deuxième fois que nous perdions les écoles françaises.
En 1982, avec la Charte des droits et libertés, nous avons eu droit à la gestion de l'école homogène française. Ce changement ne s'est pas fait sans heurts. Il nous a fallu beaucoup de travail et aller devant les tribunaux, et cetera.
J'aimerais juste rappeler que le but de l'école française est de transmettre la culture francophone. Les buts de l'école, de manière générale, est de transmettre la culture d'une société. L'école française a été là pour transmettre la langue mais aussi la culture.
La culture inclut les valeurs, les manières d'être, les manières de faire, les croyances, pas seulement les beaux-arts. La culture est au-delà du folklore qui est un genre de ritualisation de cette culture.
Voici la situation telle qu'elle existe en Alberta. Ce qui me fait très peur c'est que les luttes pour les écoles, les soins de santé ont été tellement dures que les francophones en Alberta n'ont pas eu le temps d'écrire leur histoire. Notre histoire est littéralement dans les boîtes. Je peux compter cinq, six, dix livres sur l'histoire des Franco-albertains.
Les gens nous quittent sans avoir livré leurs souvenirs. Nous ne préservons pas notre patrimoine. Nos vieux journaux sont en lambeaux et nous en avons même perdu. Il existe une dizaine de journaux francophones en Alberta. Certains ont été perdus complètement. Les jeunes font le ménage, jettent à la poubelle les vieux documents. Nous n'avons pas développé ce souci de l'histoire.
Cela nous a pris 100 ans avant de gagner l'édifice de l'école. Nous n'avons pas eu le temps de penser à la meubler de l'intérieur.
Quelle est la méthodologie qu'on doit développer pour développer un sens d'appartenance, un sens d'identité? Où est le matériel pédagogique qui va nous permettre de retrouver ce patrimoine, ces manières d'être? Quelles sont les recherches qui ont été faites dans ce domaine?
Le personnel de nos écoles vient d'ailleurs, d'une autre province, ce n'est pas leur histoire. Ils sont peut-être francophones mais ils n'ont pas cet attachement à l'histoire de la province de l'Alberta. Si notre histoire n'est pas écrite, où vont-ils la trouver? Parfois, nous n'arrivons pas à démontrer l'importance de connaître cette histoire.
Un nombre important d'immigrants arrivent et veulent bien s'insérer à notre communauté mais à condition que nous leur disions quelle est cette communauté, comment elle fonctionne.
Le curriculum albertain n'a jamais parlé de l'histoire des Franco-albertains. Nous sommes maintenant à préparer un programme d'études sociales qui parlera des Franco-albertains partout dans la province. Je reçois des appels désespérés me disant: «Où la trouve-t-on, cette histoire?»
Le matériel pédagogique n'existe pas. Les professeurs n'ont pas le temps d'aller fouiller dan les archives, dans les vieilles photos. Il leur faut des documents qui soient prêts.
Nos administrateurs ont d'autres préoccupations, que ce soit l'édifice physique, que ce soit le financement, et cetera. Les gens sont vraiment pris par l'extérieur et ils négligent la culture du milieu.
Je crains que nous perdions nos écoles pour la troisième fois, cette fois-ci de l'intérieur. Nous n'offrons pas ce qui est typiquement ou particulièrement rattaché à notre histoire, à notre patrimoine et à notre façon d'être parce que l'histoire est une des façons d'aller trouver ces manières d'être. Bien que nous ne voulions pas rester dans l'histoire, nous voulons aller au-delà. Pour y arriver, il faut savoir d'où l'on vient pour savoir où l'on va.
Ce que j'envie de l'Acadie, par exemple, est l'importance qui est attribuée aux racines, à l'histoire. Nous voyons de l'extérieur qu'il existe une manière d'être qui se développe, une identité qui leur est particulière et qui se remarque dans les arts et autres domaines.
Dans l'Ouest, nous en sommes au début surtout dans le domaine de la musique et du théâtre. Je fais beaucoup de théâtre et beaucoup de musique. Nous essayons de développer une chanson qui est typique de nous, un théâtre qui est typique de nous. Il faut encourager davantage ce phénomène.
Ce n'est pas une des préoccupations immédiates, mais il faut aller chercher et appuyer les projets qui préservent le patrimoine. Je pense à la numérisation des vieux journaux pour les rendre plus accessibles.
Mon collègue, M. McMahon et moi-même avons fait des efforts pour numériser un de nos anciens journaux qui s'appelle La survivance, qui date de 1928. La numérisation de ce journal nous a pris énormément de temps et d'efforts et ce n'en est qu'un. Il y a toute l'époque qui a précédé. Les francophones sont ici depuis 1743, nous avons du travail à faire.
Nous devons encourager les projets de développement d'histoire, de développement pédagogique. Lorsque j'étais présidente de l'ACFA, j'avais discuté avec M. Claude Ryan, qui était alors ministre de l'Éducation, pour que l'histoire des gens de l'Ouest soit aussi dans les bouquins de l'Est. D'abord dans nos propres bouquins et aussi pour informer les gens qu'ils existent des francophones ailleurs et de quelle façon ils vivent.
Il faudrait encourager les projets pour aller chercher les souvenirs de nos aînés qui sont une partie de notre patrimoine. Pourquoi ne pas inviter les gens du troisième âge à venir développer l'histoire de notre patrimoine? Il nous faut encourager des séminaires, des colloques sur l'histoire, sur le patrimoine franco-albertain. Nous devons nous assurer que la formation des maîtres prendra le temps de se pencher sur le volet du développement d'une méthodologie qui est typique pour les écoles françaises.
Je conclus en vous disant que si nous ne voulons pas perdre nos écoles de l'intérieur, il est important de regarder comment nous les meublerons.
La présidente: Vous m'avez touchée lorsque vous avez parlé de la diversité des cultures. Cela m'a rappelé un débat que j'ai eu avec des parlementaires au sujet de la francophonie. J'aimerais connaître votre opinion, en l'appliquant à l'histoire de l'Alberta, parce que certains Français disent que nous pouvons transmettre la culture sans la langue. Croyez-vous pouvoir transmettre la culture francophone de l'Alberta sans en parler? Les Français disent qu'ils peuvent transmettre la culture française, que ce soit par les parfums, par le bon vin, par la bonne bouffe, et cetera.
Mme Levasseur-Ouimet: La relation entre la langue et la culture est terriblement importante. La langue est un des moyens de véhiculer cette culture. L'important est qu'il existe diverses cultures francophones.
Tout dépend de la façon de définir le mot «culture». Anciennement, une personne cultivée était celle qui avait voyagé en Europe et qui avait une connaissance des vins, et cetera.
Avec les nouvelles définitions sociologiques, on voit la culture beaucoup plus comme les valeurs et les manières de fonctionner, de s'entendre, de vivre d'une communauté. La culture s'exprime par la langue, par les beaux-arts et aussi par les façons que nous avons de se chicaner comme communauté.
Cette définition est beaucoup plus profonde. Il est important de retourner à l'histoire pour dire de quelle façon les gens vivaient et ce qui est important pour nous.
Je vais vous donner un exemple. Pour les communautés francophones de l'Ouest, notamment de l'Alberta, le bénévolat nous a sauvé la vie parce que les gens travaillaient pour rien. Ils écrivaient des mémoires, ils corrigeaient des examens et ils faisaient des curriculums. Les gens donnaient de leur temps parce que les minorités n'ont pas toujours accès à toutes les ressources dont elles ont besoin. Elles doivent les créer sur place. Le bénévolat a une grande valeur. Ce n'est pas nécessairement une valeur dans d'autres milieux français. Ce n'est pas une valeur en France, à Paris où ils vivent, en français, d'une autre manière.
Ces grandes valeurs, nous devons les retrouver dans notre histoire et dire pourquoi les gens en avaient besoin? Pourquoi les ont-ils vécues? Est-ce une valeur que nous voulons transmettre aux générations futures?
Dans ce sens, pouvons-nous enseigner et transmettre la valeur sans la langue? Il me semble que c'est avec la langue que je vais communiquer ces valeurs de base. Dans les écoles d'immersion, ils transmettent une langue sans la culture aux élèves mais nous n'en faisons pas des francophones. Ils parlent le français. Si nous voulons créer des francophones, il faut la langue et la culture.
Le sénateur Chaput: Vous avez tellement bien expliqué lorsque vous avez dit que vous alliez perdre vos écoles pour la troisième fois, mais de l'intérieur. Vous m'avez vraiment touchée.
À la lueur de ce que vous venez de dire, des valeurs qui étaient fondamentales pour ma génération et que j'aimerais transmettre à mes enfants, il faut aussi que mes enfants et mes petits-enfants veuillent les recevoir. La situation changeant tellement autour de nous fait que ce qui était une valeur pour moi n'est possiblement pas la même pour mes petits-enfants.
Pour s'assurer de ne pas perdre une troisième fois nos écoles françaises, est-ce que le rôle de nos artistes ne devient pas de plus en plus important ainsi que celui de notre histoire, de notre patrimoine?
Pour un enfant, un élève, un étudiant, dans une école française, ce qui les interpelle le plus, est ce qui est transmis à travers la pièce de théâtre, à travers la chanson.
Quels sont les vrais besoins, au sein de nos écoles françaises, pour ne pas les perdre de l'intérieur?
Mme Levasseur-Ouimet: Le domaine des arts, du théâtre et de la chanson est très cher à mon cœur. J'ai une fille qui est chanteuse. Lorsque tu amènes un enfant à chanter, à créer ses chansons, à vouloir chanter en français, tu bâtis un francophone. Tu le bâtis en lui permettant de développer ses talents. Tu le bâtis de l'intérieur.
Vous avez raison. Comment fait-on ce lien avec les arts? Comment fait-on les liens avec notre patrimoine? Comment l'entrer dans nos écoles comme si nous le respirions?
Si nous l'imposons, ce n'est pas la solution mais il faut que ce soit là comme si nous le respirions. L'important est de développer nos artistes. Ce n'est pas tout le monde qui est intéressé aux arts. Il existe d'autres moyens de développer un francophone en lui faisant faire ce qui est. Il faut bâtir à partir des capacités de nos élèves et de l'élève lui-même. Nous devons lui permettre de vivre ses capacités dans sa langue. À partir de ce moment, il se bâtit une fierté, une identité et une capacité de fonctionner avec un vocabulaire dans le domaine qui l'intéresse. Je pense que c'est la clé. Il faut aller au-delà du folklore, au-delà des cabanes à sucre et au-delà de la ceinture fléchée.
Vous avez tout à fait raison au sujet des valeurs qui changent. Nos communautés doivent faire une réflexion sur ce qu'elles étaient et sur la situation minoritaire. Elle existe cette culture minoritaire et je ne le dis pas négativement. Une culture minoritaire, ce sont des gens qui doivent vivre en communauté de façon beaucoup plus intégrée que ceux qui vivent dans une majorité.
Je regarde mes cousins majoritaires, ils n'ont pas à écrire des pièces de théâtre parce qu'ils ont des centaines de personnes qui le font. Dans une minorité, si tu as un talent d'écriture, c'est toi qui es l'artiste et tu dois t'impliquer. Tu dois créer. Le minoritaire se développe davantage parce qu'il est plus actif au sein de sa communauté.
Le sénateur Chaput: Vous avez parlé d'une des grandes valeurs qu'est le bénévolat. Mes trois filles sont mariées et ont des enfants. L'époux et l'épouse sont sur le marché du travail. Les enfants dans une garderie. Lorsque j'étais maman à la maison, je faisais du bénévolat. Mes filles n'ont plus le temps d'en faire.
Le bénévolat retombe de plus en plus sur nos épaules parce que nos enfants n'ont plus le temps d'en faire. Pensez- vous que le bénévolat n'est plus une de nos valeurs fondamentales?
Mme Levasseur-Ouimet: Non, de plus en plus les gens disent si je fais un service, vous me payerez pour celui-ci. C'est dans cette direction que nous allons.
Il ne faut pas oublier que pour établir un lien avec une communauté, quelle qu'elle soit, il faut être actif à l'intérieur de cette communauté. De la même façon qu'il faut être actif à l'intérieur de la cellule familiale. Si tu ne vois jamais tes frères et sœurs et qu'il n'y a jamais de relations avec eux, les liens familiaux s'effritent.
La même situation est vraie pour une communauté. Il doit y avoir une implication. Ils n'ont peut-être pas 200 heures à donner pour le bénévolat. Leur présence, ne serait-ce qu'au comité de parents, est bénéfique pour l'accompagnement de l'enfant. Dans notre génération, nous avons eu à faire beaucoup de bénévolat. Nous avions peut-être plus de loisirs pour le faire. Je ne le sais pas. J'ai eu à travailler et à aider mes enfants en même temps, un peu comme vous.
Le bénévolat s'effrite, mais il va falloir que nous regardions, comme communauté, les services que nous apportait le bénévolat. Où en sommes-nous au sujet du bénévolat? Y a-t-il d'autres façons de faire qui viennent remplir ce vide? Sinon, comment allons-nous le remplir?
Une des raisons pour laquelle l'histoire ne se fait pas écrire, que les chansons ne se font pas écrire est qu'il n'y a pas d'argent à faire. Nous devons songer sérieusement à ce qui a remplacé le bénévolat et ce que nous allons en faire dans les années à venir.
Le sénateur Comeau: Vous êtes en train de perdre l'histoire et vous avez besoin d'aide. Dans le passé, nous avions un partenaire par excellence au Canada qui était le Québec. Les Québécois ont beaucoup aidé à nos communautés dans l'Ouest et dans l'Est. Très souvent, ils nous envoyaient du clergé pour nous sauver dans l'Est du Canada. Souvent, les Québécois venaient ici pour fonder l'Ouest canadien.
Les Québécois, depuis trop longtemps, se sont isolés entre eux. Lorsqu'ils sont sortis de leur isolement, ils ont commencé à regarder vers l'Europe plutôt que nous, leurs cousins, leur famille. Ils nous ont plus ou moins quitté, là où, dans le passé, ils avaient été si forts pour nous.
C'est très décourageant de voir ce que nous avons perdu depuis plusieurs générations. Nous avons perdu un de nos grands frères ou une de nos grandes sœurs qui étaient là pour nous.
Comment pourrions-nous réintégrer le Québec dans notre grande famille nord-américaine pour qu'ils envoient leurs universitaires dans l'Ouest, avec vous, préparer des livres, préparer des livres d'histoire et faire la recherche? Comment pourrions-nous les sortir de l'Europe pendant quelques années pour venir avec nous?
Mme Levasseur-Ouimet: C'est un gros problème. Une des solutions est la responsabilité que nous avons de nous faire connaître. Le domaine de la musique, par exemple, où beaucoup de nos jeunes chanteurs veulent percer au Québec.
Le sénateur Comeau: Il faut qu'ils déménagent.
Mme Levasseur-Ouimet: Oui, en devenant un chanteur québécois. Excusez-moi si j'utilise cette métaphore, mais on perd l'artiste dans notre milieu qui est l'âme de notre milieu. Il s'en va, il s'expatrie au Québec. Il faut comprendre qu'on ne réussira jamais à être des Québécois.
Nous serons invités à aller là-bas. Nous aurons à leur rappeler notre présence au Canada en étant nous-mêmes. Nos chanteurs doivent développer leur identité, leur musique, leur façon d'être. Nos artistes doivent écrire leur théâtre. Ils doivent travailler à leur histoire. Plus nous serons forts, plus ils s'intéresseront à nous. Ils diront: «Regarde comme c'est magnifique. Ce chanteur est magnifique. Ce livre est intéressant, et cetera.» C'est à nous de se prendre en main et à ce moment, ils nous inviteront à titre de partenaire égal.
L'erreur que nous avons faite dans le passé est de penser que nous pouvions revivre une partie de notre vie là-bas. Je ne viens pas du Québec. Je suis née ici. Je m'identifie et j'appartiens à l'Alberta. Si je peux apporter mon milieu ailleurs, c'est peut-être à ce moment que notre cousin du Québec dira qu'il nous avait oubliés. Espérons. Je suis peut-être naïve.
Le sénateur Comeau: Je ne suis pas complètement d'accord avec votre façon de voir sur le fait de se rendre au Québec puis de montrer nos talents et notre fait français de l'extérieur du Québec. Nous nous devons de percer plus vite parce que très souvent, ils ne se rendent même pas compte que nous existons. Je parle de la population.
Je ne sais pas quelle en est la cause. Je n'ai pas vu le curriculum et les manuels d'instruction canadiens qui sont enseignés dans les écoles primaires et secondaires québécoises.
Leur curriculum leur indique-t-il qu'ils ont de la parenté à l'extérieur du Québec?
Mme Levasseur-Ouimet: Je ne sais pas.
Le sénateur Comeau: C'est bien si nos artistes s'en vont au Québec et que les Québécois les apprécient. Pour que quelqu'un puisse vraiment percer au Québec, il faut qu'il déménage et puis ils deviennent un petit peu Québécois.
Ce n'est pas ce que nous voulons. Nous voulons que les Québécois sachent qui nous sommes et qu'ils viennent nous voir. Nous voulons qu'ils puissent nous donner un coup de main pour notre histoire puisqu'ils ont les universitaires, les moyens de recherche, les ressources pour le faire. C'est de cette façon que nous allons nous réintégrer à la famille nord- américaine francophone.
Mme Levasseur-Ouimet: Oui, il est possible de se rendre chez eux. Nous avons une population importante de Québécois. Ce Québécois doit s'intégrer à nous. S'il ne sait pas que nous avons une histoire particulière, il ne nous aide pas. Nous devons être capables de lui dire que nous avons une histoire, une façon d'être...
Le sénateur Comeau: Mais si l'histoire n'est pas écrite. Qu'est-ce qui arrive en premier? Le poulet ou l'œuf?
Je suggère d'employer un moyen très, très, très direct d'aller voir nos cousins au Québec. Nous devons leur dire de se joindre à nous parce que nous voulons connaître leur histoire et leur faire connaître la nôtre. Puis nous leur demanderons de nous donner un coup de main avec l'histoire parce que l'histoire de l'Ouest, en grande partie, c'est aussi l'histoire des Acadiens.
Ils ne se rendent pas compte que l'Ouest est une partie de leur histoire, de l'histoire des francophones du Nord de l'Amérique.
Mme Levasseur-Ouimet: Oui, je suis d'accord avec vous. Ils devraient aussi étudier notre histoire.
Le sénateur Comeau: Ils devraient être avec nous afin d'écrire notre histoire. Nous manquons de ressources dans l'Ouest.
Mme Levasseur-Ouimet: C'est ce que j'avais indiqué à M. Claude Ryan à l'époque. Vous avez les fonds, les maisons d'édition et le support technique. Vous pourriez parler de nous dans vos livres d'histoire et nous faire l'inverse.
La présidente: Que nous soyons Acadiens ou Franco-albertains, nous avons la responsabilité de supporter nos artistes. Lorsqu'il y a des coupures à faire, nos conseils scolaires, ceux qui prennent des décisions, le font dans les programmes. Souvent, ils coupent les programmes de musique. Si nous n'appuyons pas nos artistes, ils iront dans les grands centres et vers Montréal.
Je suis venue à Edmonton, il y a cinq ans, avec un ministre du Parti québécois qui n'était jamais venu dans l'Ouest et qui a été surpris. Il ne pensait pas que les francophones avaient des écoles françaises. Nous avons visité le centre, un autre centre francophone. Tous les services étaient là.
Si les ministres et les parlementaires ne sont pas au courant du fait français dans l'Ouest du pays, nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir avant d'aller chercher toute la population. Nous avons cette responsabilité en tant que parlementaires et membres de la communauté, de la collectivité.
J'ai beaucoup aimé votre définition de culture minoritaire et je regrette encore que le sénateur Léger ne soit pas ici.
Le sénateur Chaput: Un travail est à faire, au sein de nos écoles, pour que nous n'ayons pas une coquille vide, sans âme. Nous devons travailler à nous faire connaître pour ce que nous sommes, que ce soit au Québec ou ailleurs. Si vous aviez une baguette magique et que vous pouviez commencer immédiatement le travail, dans l'école elle-même et à l'extérieur, quelles sont les premières actions que vous feriez? Concrètement, qu'est-ce que vous feriez dans l'école elle- même pour lui redonner une âme?
Mme Levasseur-Ouimet: La première action serait probablement de trouver les moyens de raconter leur histoire à ces enfants. Je ne veux pas dire l'histoire avec des dates. Depuis que je travaille dans ce domaine, il existe des histoires incroyables.
La lutte pour obtenir CHFA en Alberta est comme un roman. C'est extraordinaire. En 1949, les gens ont lutté pendant 20 ans et ont ramassé 140 000 dollars pour bâtir une station de radio, c'est incroyable.
Que ce soit par des bandes dessinées ou des narrateurs, prendre le temps de leur parler de leurs parents, de leurs grands-parents et de leur communauté. On dit toujours aux élèves: «Soyez fiers!» Oui, mais de quoi? Puis, leur faire conter pour que ce soit plus vivant, plus près d'eux. Ils aiment bien grand-papa et grand-maman. Ils aiment bien les histoires de grand-papa et grand-maman. Il n'y a personne qui peut résister à un conteur. Nous n'avons pas trouvé le moyen de le faire.
Ma deuxième action serait de m'assurer que, dans toutes nos écoles françaises, il n'y ait pas seulement de beaux ordinateurs. Il y aurait des programmes d'arts, des programmes de musique avec des instruments de musique.
J'envie terriblement le Manitoba parce qu'ils ont un studio d'enregistrement. La communauté commence à aller chercher des artistes puis les faire chanter. En Alberta, certaines démarches sont faites mais souvent sans appui. Les gens le font en dépit de la situation.
Je n'ai rien contre les ordinateurs, les beaux édifices, nous en avons besoin mais nous avons besoin de l'autre côté. Vous l'avez si bien dit, nous avons besoin d'une âme à l'intérieur de cette école.
Nous, comme adultes, devons aller chercher ce patrimoine qui est en train de s'effriter. Lorsque je vous parle d'un vieux journal, celui-ci nous raconte tout de l'époque. Si nous ne sommes pas en mesure de préserver nos vieux journaux, comment allons-nous écrire l'histoire?
Tout est à faire dans ce domaine. Je ne veux pas que vous pensiez que notre communauté — je me sens coupable — n'a pas travaillé. Elle a travaillé. Les écoles, il nous a fallu les gagner trois fois. Il faut toujours revenir sur l'acquis. Les gens s'essoufflent. Après un bout de temps, nous faisons ce qui est absolument nécessaire souvent l'essentiel. On se dit à la grâce de Dieu.
[Traduction]
Le sénateur Keon: J'allais m'abstenir, mais je dois intervenir. Je vous ai écouté avec le plus grand intérêt parce que j'essaie de comprendre pourquoi il n'y a pas avec le Québec les rapports qu'on devrait avoir en matière d'éducation. Vous ayant écouté, je crois que je commence à comprendre pourquoi.
Il existe un phénomène au Québec aujourd'hui — et moi je suis de descendance irlandaise mais je suis né au Québec — à savoir, toute une nouvelle génération qui a l'âge de mes enfants et qui ne sont pas francophones, mais qui ne parlent pas un mot d'anglais. Ils ne parlent que français, et pour eux, le français est simplement la langue des communications, la langue du commerce, et ils ne partagent pas votre passion à vous.
Vous n'avez qu'à voir le gouvernement du Québec, où il y a des personnes qui ne sont pas d'origine française et qui y jouent un rôle important. Ils parlent français, mais ils ne sont pas d'origine française.
Mme Levasseur-Ouimet: C'est exact.
Le sénateur Keon: Je me demande si cela n'a pas quelque chose à y voir. Je comprends ce que vous dites au sujet de leur immense fierté, par exemple, en ce qui concerne la musique du Québec aujourd'hui, les artistes québécois et autres, et c'est formidable à voir. Cependant, je crois que dans leur empressement à préserver leur langue, il s'est produit un phénomène qu'ils n'attendaient pas peut-être, à savoir le grand nombre de personnes d'origines ethniques diverses qui parlent simplement français pour communiquer, pour gagner leur vie, ce genre de choses.
Mais cela se fait sans âme, sans passion.
Mme Levasseur-Ouimet: Je crois que la passion provient du sentiment d'identité, d'appartenance, et c'est une chose que les écoles doivent enseigner aussi. Comment le faire? On y arrive en faisant participer l'étudiant, en l'invitant à créer et à dire: «J'appartiens à ce groupe de gens. Je suis comme eux.» Ils ont besoin d'un miroir pour voir cela, et l'histoire est un de ces miroirs, tout comme la musique, tout comme les arts et le reste.
[Français]
Le sénateur Comeau: Nous n'avons pas besoin d'être de souche francophone pour le faire, n'est-ce pas? On peut être de l'extérieur et être absorbé dans le groupe.
Mme Levasseur-Ouimet: C'est un problème ici car les gens se disent qu'ils ne sont pas de souche. Où sont vos âmes et vos cœurs?
Je connais des Franco-albertains qui n'ont plus l'âme. Ils ont perdu cet aspect. Ils parlent encore le français ou ne le parlent plus du tout. Je connais des gens qui viennent d'ailleurs qui ont redécouvert cette passion et qui s'identifient au groupe.
Le sénateur Comeau: En Nouvelle-Écosse, dans notre communauté acadienne, nous avons toutes sortes de noms de famille qui ne sont certainement pas acadiens tels les Smith, les McCaulay, les MacIntosh, les Cromwell, qui se sont intégrés dans la communauté.
Nous pouvons donc garder l'âme d'une communauté, «the soul», sans nécessairement avoir appartenu à cette communauté historiquement. Nous absorbons le désir de la communauté.
C'est comme en Louisiane, ils ont beaucoup perdu leur langue mais pas leur culture. Ils sont très fiers de leur histoire. Beaucoup de gens ne sont pas des Comeau, des Leblanc et des Boudreau. Nous pouvons être une communauté avec une âme. Cela peut se faire.
Mme Levasseur-Ouimet: Oui, en épousant les objectifs de cette communauté.
La présidente: Si vous pouviez étendre votre baguette magique jusqu'au pouvoir politique — parce que nous tous, ici, avons cette passion d'être minoritaire et c'est notre première raison d'être à Edmonton pour faire cette tournée — comment, comme parlementaires, pouvons-nous aider les francophones en situation minoritaire?
Avez-vous quelques conseils à nous donner pour les faire passer aux grands pouvoirs, sur la haute colline?
Mme Levasseur-Ouimet: Il faut que les gouvernements appuient une variété de projets. Je veux bien qu'il y ait des priorités parce que, financièrement, on ne peut pas tout faire en même temps. Il faut que les responsables gouvernementaux se rendent compte que les besoins évoluent avec les acquis. Maintenant, on les a les écoles. Quelle est la prochaine étape? On a l'édifice. Que mettons-nous à l'intérieur?
Il faut aussi s'assurer que lorsque nous parlons de soins de santé — nous avons fait une demande pour un musée — c'est essentiel pour retracer les liens.
Une vie française, c'est un ensemble d'éléments. Ce n'est pas seulement des écoles. Il nous faut être capable de s'assurer dans une variété de domaines.
Lorsque la Loi sur les langues officielles dit que le gouvernement va travailler au développement complet de la communauté, dans ma tête, je m'attends à ce que cela se réalise. Cela veut dire qu'ils vont aider au point de vue musique, au point de vue soins de santé. Ils vont aider. Il faut être capable de voir les liens entre tout cela. Depuis quelques mois, quelques années, on parle beaucoup de solutions qui sont structurantes où l'on offre des corporations, des institutions, des structures à la communauté francophone. Je pense qu'il y a plus que cela.
Nous ne voulons pas non plus seulement payer les salaires des employés de bureau. Nous voulons animer l'âme de la communauté. L'argent devrait parfois aller aux chercheurs plutôt qu'à l'administration. Je ne sais pas si vous comprenez ce que je veux dire.
Il faut être capable de faire le saut puis dire qu'il y a un autre palier avec des besoins. C'est ce que je veux dire par regarder de façon large.
La présidente: Je ne sais pas si nous pouvons le faire, mais nous essayerons. C'est un bon conseil.
Mme Levasseur-Ouimet: Je vous offre, en souvenir, un petit résumé de l'histoire de la Faculté Saint-Jean. C'est un livret qui vient de notre salle historique.
La présidente: Nous nous demandions ce que M. Guy Lacombe avait fait parce qu'il y avait un château Lacombe.
Mme Levasseur-Ouimet: Il y a eu deux M. Lacombe. Le Père qui était vraiment, le Père Lacombe. Nous lui devons tout et la province aussi. C'était un Oblat.
Puis M. Guy Lacombe, aucun lien de parenté avec le précédent, était un historien. Il est décédé maintenant.
La présidente: L'hôtel qui s'appelait Château Lacombe, était-il en l'honneur du père Oblat?
Mme Levasseur-Ouimet: Oui, c'est le Père Albert Lacombe. Il a fondé Saint-Albert et la première école. Oui, c'était en son honneur parce qu'il avait beaucoup aidé pour les traités, pour les Premières nations. Un homme incroyable!
La présidente: Nous sommes chanceux de recevoir le doyen de la Faculté Saint-Jean, M. Marc Arnal, qui a pris plaisir à nous rappeler avec le sénateur Chaput qu'il est originaire du Manitoba. Aujourd'hui, nous sommes à Edmonton, à la Faculté Saint-Jean, et c'est avec plaisir que nous allons vous écouter.
M. Marc Arnal, doyen, Faculté Saint-Jean: Généralement quand on me présente ici, en Alberta, on dit, il vient du Manitoba, mais ce n'est pas de sa faute.
La présidente: On l'aime pareil.
M. Arnal: On l'aime pareil. Nous sommes très heureux de vous recevoir à la Faculté Saint-Jean et j'espère que vous vous êtes senti chez vous.
Je vais vous parler de l'évolution de la dualité linguistique et des communautés francophones en Alberta parce que nous sommes présentement dans une espèce de période, pour emprunter un terme au Québec, de révolution tranquille au niveau de nos communautés. Ensuite, je vous parlerai du rôle de la Faculté Saint-Jean. Vous avez indiqué que vous seriez intéressés à entendre quelques observations par rapport à la formation à distance et je terminerai avec quelques commentaires sur l'insertion professionnelle de nos diplômés.
Démographiquement, la Faculté est une institution post-secondaire francophone qui a la plus forte population immersive au Canada à l'exception peut-être de l'Institut francophone de Regina qui a à peu près 70 p. 100 de sa clientèle étudiante qui est de programme d'immersion. À la Faculté, nous sommes environ à 52-53 p. 100. Nous avons quelques étudiants internationaux. Nous avons 6 p. 100, sur une population totale d'environ 500 étudiants, qui est du premier cycle. En deuxième cycle, on offre une maîtrise en éducation avec environ 65 étudiants et étudiantes à temps partiel. En Alberta, en Colombie-Britannique et en Saskatchewan vient de débuter une maîtrise en études canadiennes où nous avons une petite cohorte mais très bonne cohorte de six étudiants et étudiantes.
Vous avez sûrement entendu parler du projet Dialogue qui est une initiative lancée par la Fédération des communautés francophones et acadiennes en 1999. J'étais commissaire et nous avons fait la traversée d'un bout à l'autre du Canada. Nous avons essayé de discuter du rôle de nos communautés dans la société avec le plus de groupes possibles. Noua avons rencontré des groupes ethnoculturels, des groupes francophones, des groupes anglophones, des municipalités, des gouvernements, et cetera. Nous avons parlé avec tous ceux qui voulaient nous parler.
Un rapport a été produit en 2001, lançant d'importants défis aux communautés en les replaçant au cœur même du développement de la dualité linguistique au Canada. Nous proposions un virage psychologique. Lorsque nous regardons les sondages faits auprès de l'opinion publique et les progrès que le français a fait au Canada, notamment à travers les programmes d'immersion et plus récemment à travers l'immigration en provenance d'Afrique surtout, force est de constater que si nous additionnons les communautés francophones, les gens qui parlent la langue et les gens qui appuient le bilinguisme officiel, nous avons la nouvelle majorité.
Les communautés francophones sont au centre de ce qu'on appelle la nouvelle majorité. Psychologiquement, cela représente pour nous un changement assez important. Jusqu'en 1957, au Manitoba par exemple, il était défendu d'enseigner le français dans nos écoles. Pour des personnes comme moi, qui ont grandi un peu en situation de siège, c'est un changement assez radical de se percevoir tout d'un coup non pas comme une espèce d'aberration sociale, mais comme le centre même de ce qui nous distingue principalement comme pays et ce qui nous a mené à être un pays qui embrasse toutes les formes de diversité.
Monsieur John Ralston Saul, lors de son passage à Edmonton, nous a sommé de prendre une place privilégiée dans l'édification du pays de demain, du Canada de demain. Il a dit que nous avions l'avantage d'être obligé d'y penser. Je le cite: «Pensez-y et jouez votre rôle pleinement.»
Nous avons donc entrepris, dans nos communautés et avec celles-ci, un processus de remise en question et de réidentification de nos balises identitaires face à l'immigration francophone plus importante, d'Afrique, du Maghreb et d'ailleurs, au nombre croissant des Canadiennes et de Canadiens qui maîtrisent la langue française et qui ne sont pas de langue maternelle francophone.
Les recherches ont démontré, de même que notre expérience de vie que les identités chez les jeunes ne se construisent plus de la même manière et qu'elles sont beaucoup plus fragmentées et multiples que dans le passé. Toute la notion même d'identité culturelle linguistique aujourd'hui est un concept qui est différent du concept qui existait auparavant. C'est beaucoup moins un concept monolithique et beaucoup plus un concept multiple et fragmenté. Les recherches l'appuient largement.
Tous ces constats mènent à un besoin impératif de redéfinition et à partir de là de repositionnement de nos communautés au centre même de ce que j'ai appelé tantôt la nouvelle majorité de citoyens de notre pays qui accepte les langues officielles et la diversité, qui comprennent le principe d'équité, qui voient l'importance de continuer de trouver des moyens de coexistence enrichissante dans la diversité.
Je dirais que c'est au Manitoba où ce processus est le plus avancé. La Société franco-manitobaine a joué un rôle très, très agressif à ce niveau. Ensuite en Acadie, au Nouveau-Brunswick, notamment sous la présidence de M. Jean-Guy Rioux, qui est, à mon avis, un des grands visionnaires actuellement de la francophonie. Nous commençons ici, en Alberta, fortement appuyé par la Faculté Saint-Jean.
La Fac, comme on l'appelle, est au cœur de cette nouvelle majorité, avec une population étudiante à plus de 50 p. 100 en provenance des programmes d'immersion dans l'Ouest et le Nord canadien surtout, une cohorte canado- africaine en croissance et quelques étudiants du Québec.
Le recrutement des Québécois et des Québécoises et des étudiants internationaux francophones est rendu très difficile par les ententes internationales bilatérales entre le Québec et les autres pays et par les politiques de frais de scolarité du Québec.
En Alberta, nous payons à peu près plus du double de ce que paie un étudiant québécois au Québec. Avec les ententes bilatérales, les étudiants du Maghreb, par exemple, paient les mêmes frais de scolarité au Québec que les Québécois. Moins cher que nous, si nous allions étudier au Québec. Ces politiques font que c'est très exigeant pour nous d'aller recruter dans les pays francophones du monde ou au Québec. Ce qui est, en un sens, très regrettable parce que nous sommes privés d'une richesse.
Notre milieu de vie est dynamisé et notre vision du monde est élargie et enrichie par toute cette diversité d'éléments qui viennent ensemble. Il existe aussi des défis. Il y a eu et il continue d'y avoir des adaptations à faire de part et d'autres ou des accommodements — c'est un terme que j'affectionne — car il traduit mieux la notion de valeur ajoutée qui est au cœur même de notre citoyenneté canadienne versus le compromis, qui a des connotations un peu plus négatives.
Notre personnel ne reflète pas encore la réalité de la démographie estudiantine. Nous n'avons pas, par exemple, 50 p. 100 de notre personnel qui est en provenance de programmes d'immersion. Nous n'avons pas 6 p. 100 de notre personnel qui est d'origine africaine présentement. Étant donné que nous sommes une institution publique et que nous devons aspirer à refléter la clientèle que nous desservons, nous avons du chemin à faire. Nous travaillons activement à combler ces lacunes.
Un aspect beaucoup plus problématique est le passage, pour une grande partie de nos membres étudiants, d'un bilinguisme plus académique à une dualité linguistique plus vivante et vécue. Plus de 80 p. 100 de nos porte-parole nous arrive avec des défis au niveau de la langue, soit qu'ils sont diplômés d'immersion où le français a surtout été une réalité de la salle de classe, soit pour les minoritaires francophones parce que leur expérience avec leur langue a souvent été difficile et leur milieu peu hospitalier à un usage à l'extérieur de la salle de classe; une partie drame psychologique, une partie contrainte du milieu.
Ce phénomène commence à se résorber quelque peu avec les écoles francophones et l'ouverture progressive de ces écoles vers la communauté immersive, non pas en terme de les accueillir mais en terme d'établir des liens avec eux, pour promouvoir une vision plus large de la dualité linguistique.
À la Faculté, nous consacrons énormément de temps et de ressources à accompagner le perfectionnement langagier et l'apprivoisement du français comme langue de vie courante.
Le fédéral nous aide beaucoup, mais pas assez. Nous sommes à développer toute une série de mesures et nous espérons recevoir un peu de financement pour les appuyer.
Le discours minoritaire doit être remplacé par un discours qui place les communautés de langues officielles redéfinies, élargies et ouvertes, au cœur de la nouvelle majorité. Cela ressemble plus à un virage psychologique. Il est très important que nos communautés se sentent centrales dans le développement du pays par opposition à la marginalisation que nous avons vécue dans le passé. Donc, à l'armoire les conserves. Derrière nous, les luttes épiques pour nos écoles, non pas pour les oublier, mais bien pour leur donner tout leur sens.
Il ne faut pas s'enliser dans notre négativité. Il nous faut prendre notre place le front haut, fier. C'est ce que nous essayons de créer à la faculté. Ce sentiment d'être un centre névralgique de développement du nouveau Canada. Nous sommes très ambitieux avec nos quelque 500 étudiants. Pourquoi pas?
Nous le serons davantage lorsque l'importance de notre rôle sera mieux compris de tous et lorsque les gouvernements auront compris que la disponibilité de services en français, partout au pays, est une affaire de majorité et non pas seulement de minorité, de rendre vivant le français pour tous les citoyens.
J'avais envie, à un moment donné, de faire imprimer des macarons puis les distribuer à tous les fonctionnaires qui parlaient français et à tous les diplômés d'immersion. Nous aurions lu: «Français, use it or lose it». C'est ça, l'idée!
Beaucoup de gens dans la communauté qui sont diplômés d'immersion ne se sentent plus confiants de parler leur langue. Nous pourrions leur suggérer d'aller rencontrer la fonction publique et lorsqu'ils auraient des actions, des transactions avec le gouvernement de les faire en français.
L'autre jour, sur l'avion, j'ai vu quelque chose d'absolument extraordinaire. Un anglophone assis à côté de moi avait de la difficulté à parler français. Il parlait avec l'hôtesse de l'air qui avait de la difficulté à parler français mais les deux se parlaient en français. J'ai dit, bravo! C'est extraordinaire et je les ai félicités.
Si nous pouvons entrer cela dans le subconscient collectif qu'il y a va de la nature même de notre société. L'autre soir, j'étais à un souper politique. Nous étions huit à la table, quatre francophones, quatre non-francophones. Les quatre francophones étaient des diplômés d'immersion. Ces quatre personnes ne pratiquaient pas leur français. Ils ne se sentaient pas capable de parler en français mais ils comprenaient. Ils ont demandé que nous leur parlions en français et qu'ils allaient nous répondre en anglais. Toute la soirée nous avons bavardé en français et en anglais. C'était quelque chose.
Grâce au Plan du gouvernement fédéral sur les langues officielles, que l'on appelle communément le plan Dion, avec l'appui d'Industrie Canada et de Développement économique de l'Ouest, nous allons entamer un vaste programme de développement pour nos programmes offerts en ligne.
Nous avons présentement quelques cours qui sont offerts en ligne. Certains cours sont appuyés au niveau multimédia mais nous n'avons pas de stratégie. Au Collège universitaire de Saint-Boniface, la maîtrise en études canadiennes en ligne est offert au complet. Nous aimerions développer ces capacités pour certains de nos programmes.
La présidente du Collège Boréal, une des institutions les plus avancées au Canada en terme de formation en ligne, disait que «le face à face» est aussi important.
Il faut rendre nos cours le plus disponible possible tout en maintenant les aspects pédagogiques qui sont importants. Avec les nouvelles technologies, nous avons de plus en plus de possibilités. La nano-technologie qui se développe à l'Université de l'Alberta, on dirait de la science fiction, crée des images à trois dimensions dans des sites autres que les sites où sont les personnes. Nous pouvons prendre des personnes dans deux sites et créer un troisième site virtuel où les gens fonctionneront en trois dimensions. Je l'ai vu l'autre jour, c'est assez impressionnant. Dans un autre dix ans, Dieu sait où on sera rendu.
En conclusion, les technologies de pointe permettront à notre faculté de jouer un rôle plus important dans la formation initiale et dans l'appui au développement et au maintien du français pour tous les parlant-français de l'Ouest et du Nord canadien.
Là où nous avons vraiment un gros rôle à jouer et où nous avons fait très peu, est justement au niveau de l'appui aux parlant-français qui sont dans nos régions et qui n'ont pas souvent l'opportunité d'utiliser le français. Lorsqu'il y a plus de deux ou trois professeurs d'immersion dans un village, c'est déjà un luxe. Les diplômés d'immersion qui travaillent dans les compagnies d'huile à Fort McMurray ou ailleurs ont très peu d'opportunités de l'utiliser. Les enseignants de «French as a second language», FSL, sont souvent des personnes qui ne maîtrisent pas bien le français parlé.
Nous avons des rôles à jouer face à ces populations. Nous essayons de nous développer à travers l'usage de laboratoires accessibles en ligne. Bientôt, nous allons acheter un laboratoire pour commencer à desservir ces populations. Nous recevons souvent des appels de gens qui nous disent qu'ils sont en train de perdre leur français et nous demandent ce qu'ils peuvent faire. Nous allons aussi approcher la fonction publique.
Notre rôle pour l'éducation permanente est crucial. Bien que la plupart de nos diplômés utilisent parfois le français à leur travail, les enseignants et les enseignantes étant l'exemple, il demeure que tout se passe en anglais dans le milieu de travail et souvent à la maison. La Faculté a donc le rôle important de maintenir le cordon ombilical à la langue et de fournir la nutrition linguistique et culturelle pour la maintenir.
Ce rôle auprès des anciens de la population générale n'est pas très bien compris et manque de ressources. Nous prenons pour acquis que tous nos diplômés réussissent à se placer, ce qui est souvent vrai en pédagogie, mais pas toujours dans les autres domaines. Nous constatons, avec regret, que nos diplômés d'origine africaine éprouvent plus de difficultés que les autres à se trouver des emplois convenables, notamment en éducation.
Radio-Canada Alberta accueille deux stagiaires de la Faculté à chaque année. Ce projet a été interrompu pendant un certain temps puis nous sommes à le remettre sur pied. Le stage est crédité et les étudiants sont payés pour y travailler pendant l'été. C'est un bonus pour ceux-ci, travail pendant l'été et l'équivalent d'un cours en communication pendant l'année.
Ce genre d'arrangement devrait pouvoir se faire avec l'ensemble des ministères et agences du gouvernement du Canada. Nous voulons offrir les talents de nos jeunes, leurs attitudes face à la dualité linguistique et au civisme canadien. Reste à voir si notre offre sera acceptée. En toute honnêteté, je n'ai pas encore eu l'opportunité de présenter la demande au regroupement des directions régionales, mais j'ai bien l'intention de poursuivre. Je pense qu'avec les nouvelles initiatives de Mme Robillard, nous avons de l'espoir.
Il existe encore beaucoup de «wrongheadedness», comme je dis, qui ne comprennent pas que le français n'est plus une affaire de service à la minorité.
Je m'excuse de ne pas avoir parlé uniquement de la Faculté, mais ces préoccupations sociétales sont également très importantes.
La présidente: Avez-vous fait des suivis pour savoir où vont vos étudiants en sortant de la Faculté? Réussissent-ils à bien se placer sur le marché du travail? Je croyais que les ententes, au niveau de la francophonie pour les étudiants africains, étaient qu'ils devaient retourner dans leur pays. Où se placent tous les autres étudiants?
M. Arnal: Je suis coprésident national d'un comité qui se penche sur ces questions d'immigration. Nous avons toujours le dilemme moral de ne pas vouloir piller les pays francophones du monde, en gardant ainsi des étudiants qui viennent faire leurs études post-secondaires. Nous essayons de créer des conditions qui favorisent l'intégration ou l'accueil pour ceux qui décideront de rester.
Si je ne m'abuse, le permis de travail a été élargi, après la fin des études, d'une année à deux années. Les étudiants internationaux sont immigrés depuis un certain moment et viennent au Canada dans le but de devenir citoyen canadien. C'est différent que d'aller recruter, par exemple, des boursiers de l'ACDI où on s'attend carrément à ce qu'ils retournent.
Pour ce qui est des placements de nos étudiants, je vous dirai qu'en pédagogie, nous avons 100 p. 100 de réussite pour le placement. Je veux accroître la normalisation du francophone pour garantir un certain niveau de connaissances d'un français que je qualifierais de standard sur graduation.
Dans les autres programmes, nos étudiants réussissent très bien. Cette année, deux des lauréats pour la maîtrise en chimie étaient d'anciens étudiants de la Faculté. Nous avons également des programmes bilingues. Nous avons un baccalauréat en administration des affaires bilingues, la moitié des lectures et des études se fait en français et la moitié anglaise à l'autre campus. Nous avons des autobus, des petites fourgonnettes, des grosses fourgonnettes qui font la navette entre les deux campus dont la distance est de six kilomètres. Parfois il y a tout un monde de distance, mais géographiquement, il y a six kilomètres.
L'autre jour, nous avons eu une réunion des anciens de l'amicale et, autour de la table, étaient présents deux juges, un président de compagnie multinationale, et cetera. Malheureusement, nous ne les suivons pas assez, ces gens-là. Lorsque nous commencerons à les suivre, si nous rougissons, cela ne sera pas de honte.
La présidente: Vous avez mentionné M. Jean-Guy Rioux. Il a dû vous parler de ce qui se passe dans la Péninsule acadienne lorsque les étudiants vont étudier à Moncton et qu'ils restent là-bas. J'imagine que les étudiants de la région à l'extérieur d'Edmonton, des localités dans la province restent à Edmonton pour le travail, l'emploi, ce qui fait un exode des régions. Constatez-vous le même phénomène?
M. Arnal: Je dirais que c'est probablement moins prononcé que dans la Péninsule acadienne où cela prend des proportions épidémiques.
C'est certain que c'est un facteur. Il y a beaucoup de francophones, que nous le voulions ou pas, qui sont cultivateurs et nous savons ce qui se passe avec l'économie agricole. L'industrie à Grande Prairie attire un certain nombre de gens. En septembre 2004, nous allons commencer un baccalauréat bilingue en sciences de l'environnement et de la conservation, parce que nous avons une économie fortement basée sur les ressources naturelles.
Je n'ai pas de données à ce sujet. Je vous dirais que c'est une préoccupation, mais pas autant qu'en Acadie.
La présidente: Je crois que la question de la démographie de nos régions, est très importante. Il faut y regarder de très près pour ne pas vider nos localités.
Le sénateur Comeau: Vous êtes affiliés et vous êtes une faculté de l'Université de l'Alberta. Quelle indépendance avez-vous du fait que vous êtes une faculté très spéciale? Est-elle assez forte?
M. Arnal: Oui et non. C'est clair que nous sommes différents. À l'Université de l'Alberta, dans la loi de l'Alberta, c'est écrit: «Le doyen ou la doyenne est le chef exécutif de sa faculté.» Essentiellement, nous avons une certaine marge de manœuvre. Ce n'est pas la même que le Collège universitaire de Saint-Boniface, qui est un des collèges fondateurs de l'Université du Manitoba. Nous ne sommes pas un collège fondateur. Nous nous sommes greffés par la suite.
Nous avons quand même une certaine marge. Notre financement nous provient à 37 p. 100 du gouvernement fédéral. Le reste vient de la province et du prélèvement de fonds.
Le sénateur Comeau: Si vous voulez partir un nouveau programme pour passer au travers des structures de l'université, il faut que le Sénat examine le programme et tout. De façon générale, cela serait différent des autres facultés.
M. Arnal: Par définition, chaque fois que nous ouvrons un programme, nous faisons de la duplication, même en français. À l'autre campus, il y a Modern Languages à l'intérieur de la Faculté des arts qui enseigne toutes sortes de cours en français. Effectivement, nous sommes obligés d'y passer. Le doyen ou la doyenne a besoin d'un talent de négociateur, de diplomate.
Il faut dire que nous avons toujours été assez bien appuyés par l'administration parce qu'ils savent quelle est la situation. Nous avons toujours la carte politique que nous pouvons jouer, qui est la communauté.
D'ailleurs, cette carte s'est jouée récemment pour notre programme de sciences infirmières. Les aînés ont décidé de lancer une pétition et je ne veux pas dire que c'est ce qui a fait bouger les choses, mais cela n'a certainement pas nui.
Le sénateur Comeau: Vos programmes de maîtrise, j'assume que vous en avez un certain nombre. Sont-ils tous en français?
M. Arnal: Oui.
Le sénateur Comeau: Excellent! Je vous félicite pour cette initiative. Vous avez mentionné le mot politique. Depuis quelques années, à Ottawa, l'image qui est donné ou l'impression que certains veulent donner de l'Alberta est qu'il y a très peu de francophones. Aucune attention n'est donnée de la part des députés à la francophonie albertaine, d'après ce que je peux constater.
Approchez-vous parfois les députés pour leur dire qu'il faut qu'ils en fassent un peu plus pour vous? Il faut que les gens du Canada sachent qu'il y a des francophones en Alberta et que c'est fini cette histoire d'anti-français, d'anti- bilinguisme et celle des boîtes de Corn Flakes. Il faut que cela s'arrête.
M. Arnal: Je pense que la population albertaine n'est pas la moitié aussi «redneck», y inclus les Albertains, qui projettent cette image, que le monde aimerait bien. Mais ce n'est pas terrible d'être francophone en Alberta, surtout dans le nord de la province et à Calgary. Calgary a deux fois le nombre d'étudiants en immersion qu'Edmonton. Qui l'eut cru? Qui l'eut dit? Il y a des perceptions qui sont nourries, qui sont développées et qui sont de fausses perceptions.
Je vous dirai qu'avec le gouvernement précédent il y avait beaucoup de députés et de ministres à l'intérieur de la province. Monsieur Jim Edwards, qui parle maintenant français couramment, m'a dit l'autre jour qu'il était en train d'améliorer son débit. Je lui ai répondu qu'il était rendu pas mal loin.
Mais je vous dirai qu'avec le parti qui est au pouvoir présentement, Mme Ann McLellan est très présente dans nos communautés. Elle est à la Cité au moins une fois par semaine. Nous avons eu beaucoup d'appui d'elle pour la construction de la Cité francophone.
Monsieur Rahim Jaffer, député allianciste de Strathcona, est bilingue et semble être relativement ouvert. La communauté francophone a été assez timide face à ce parti, étant donné ses racines, et certaines des politiques de l'ancien Parti de la réforme.
Nous avons eu des partis régionaux en Alberta où le bilinguisme — comme dirait le sénateur Jean-Robert Gauthier, il me disputerait d'avoir dit «bilinguisme» — où la dualité linguistique n'a pas eu une grosse place.
Les francophones sont assez réticents. Nous n'avons pas de problème à travailler avec le gouvernement en place ou avec le Parti conservateur, mais avec l'Alliance, il y a des relations à développer.
Le sénateur Comeau: Nous allons essayer de faire des changements.
M. Arnal: Je ne veux pas faire d'énoncés politiques. C'est la vérité telle que je la perçois.
Le sénateur Chaput: Vous aurez sous peu, suite à la recherche qui a été faite, un nouveau programme, une nouvelle aile de votre Faculté qui s'occupera de l'éducation collégiale pour les métiers, n'est-ce pas?
M. Arnal: Nous l'espérons.
Le sénateur Chaput: Devez-vous avoir la permission pour que cela fasse partie de ce que vous allez faire?
M. Arnal: Absolument.
Le sénateur Chaput: Même si ce n'est pas universitaire, vous devez quand même aller chercher la permission?
M. Arnal: Totalement.
Le sénateur Chaput: L'avez-vous eu?
M. Arnal: Jusqu'à présent, nous avons un accord de principe de notre nouveau vice-président académique à la condition que ce soit clair dans mon esprit que c'est une faculté de l'Université de l'Alberta et que le terme «collège» n'apparaisse pas dans le nom.
Il m'a demandé de lui faire un briefing détaillé. Il vient de l'Université de Toronto et il semble avoir une certaine ouverture par rapport à la question langagière. Si nous avons des problèmes, vous allez certainement en entendre parler.
Le sénateur Chaput: Vous avez parlé du rôle important de la Faculté, celui de fournir la nutrition linguistique et culturelle. Pourriez-vous expliquer un peu ce que vous voulez dire et de quelle manière cela se fait?
M. Arnal: Je pourrais surtout vous dire comment cela ne se fait pas. Nous avons des demandes de professionnels, de fonctionnaires nous disant qu'ils avaient appris le français et qu'ils étaient en train de le perdre. Ils nous demandaient ce que nous pouvions faire pour eux.
Ils n'ont malheureusement pas le réflexe de participer aux activités de la communauté francophone. Comme je vous dis, il existe des raisons valables des deux côtés.
Nous pouvons faire le pont entre la communauté francophone et ses activités culturelles et ces individus pour qui le français n'est pas leur langue mais qui sont intéressés à maintenir leur niveau ou le perfectionner.
L'été nous offrons des cours d'immersion pour les personnes qui ne parlent absolument pas le français. Ce sont des professionnels qui viennent pendant trois semaines en résidence. Nous avons d'assez bonnes résidences, mais quand même. Ils viennent en résidence et nous organisons des activités l'autre côté de la rue, un peu pour s'apprivoiser de part et d'autre.
Dans la communauté, nous devons concevoir ces personnes que nous visons non plus seulement comme des spectateurs mais des participants. Si nous croyons vraiment au multiculturalisme et à la diversité, nous nous devons d'inviter d'autres manifestations culturelles à venir enrichir la nôtre.
Le sénateur Chaput: À ce moment, j'ai un enrichissement au niveau de la culture.
M. Arnal: Je pense au niveau de l'envergure du groupe linguistique. Mon épouse est native de l'Inde. Elle a une identité raciale et culturelle assez forte. Elle fait partie de la majorité anglophone multiculturelle et elle se sent connectée à une vaste communauté. Nous, du côté français, sommes en train de développer cette espèce de communauté nationale. Nous recréons des liens avec le Québec, Dieu soit loué! C'est en train de se refaire. Le Québec lui-même est devenu très multiculturel à travers sa francophonie.
Nous créons une espèce de culture nationale au niveau de la langue française qui va englober tout une gamme d'éléments culturels au même titre que mon épouse se sent bien enracinée dans son identité indienne et en même temps canadienne faisant partie de cette majorité multiculturelle. C'est en train de se développer.
C'est dans ce sens que cela enrichit notre culture. Certains disent oui, mais que cela relativise les francophones de souche. Je déteste ce terme, mais je l'utilise à dessein. Cela nous relativise par rapport au restant des parlant-français. C'est de cette façon que la Constitution est construite et que le pays se développe.
[Traduction]
Le sénateur Keon: Quelle est la composition de votre faculté maintenant? Vous n'avez pas eu le temps d'y réfléchir, mais au pied levé, pouvez-vous nous dire d'où ils viennent? Quels sont leurs antécédents?
M. Arnal: Ils proviennent essentiellement des écoles francophones et d'immersion de la Saskatchewan, de l'Alberta et de la Colombie-Britannique, avec un effectif de 6 p. 100, à peu près, qui nous vient d'Afrique via Montréal ou le Québec.
Nous commençons à recevoir des immigrants directement maintenant. Nous avons quelques centaines de familles congolaises à Edmonton et à peu près le même nombre à Calgary.
Nous recevons des gens de partout, de Campbell River, Victoria, du Nord de la Colombie-Britannique et du Nord de la Saskatchewan. Nous offrons un certain nombre de bourses pour encourager les diplômés de nos écoles de langue française à s'inscrire à la faculté Saint-Jean. Ils reçoivent des offres supplémentaires d'aide financière directement de ces écoles.
Cependant, nous devons encore nous débattre avec de vieux stéréotypes et des séquelles de vieilles querelles. Lorsque nous avons créé le système francophone, par exemple, ces écoles ont souvent été créées avec beaucoup de souffrance et des polarisations au sein des communautés ou entre elles, et il en reste encore quelques vestiges.
Je parlais avec la surintendante hier, et lorsque je lui ai expliqué notre vision, elle a été renversée, parce qu'elle a dit: «Moi qui croyais que vous ne vouliez recruter que des francophones.» Je lui ai répondu: «Eh bien, repensez-y.»
Nous devons nous défaire de tout un passé, et je crois qu'une partie de mon travail consiste à propager cette nouvelle vision d'une francophonie qui est beaucoup plus ouverte, beaucoup plus inclusive et disposée à être beaucoup plus diverse sur le plan culturel.
Le sénateur Keon: J'ai bien aimé ce que vous avez dit au début au sujet de ces personnes d'origine française qui forment le noyau d'une présence canadienne beaucoup plus grande au sein de la francophonie.
M. Arnal: Pouvez-vous imaginer, sénateur, ce qui serait arrivé si les auteurs de la politique des langues officielles au Conseil du Trésor, par exemple, étaient partis de cette perspective et avaient dit: «Comment pouvons-nous renforcer cette nouvelle majorité?» Quel effet cela aurait-il eu sur notre gestion de la fonction publique, par exemple, et le genre de messages que nous envoyons aux Canadiens.
Je disais à la surintendante hier: «Vous n'êtes pas obligés de parler français pour faire partie de notre cercle. Il n'y a qu'une chose à faire, c'est reconnaître que la dualité linguistique est un aspect positif du Canada, et encourager les autres à apprendre le français, si vous ne voulez pas l'apprendre vous-même.» Alors là vous faites partie de notre cercle. Ce n'est pas très compliqué.
Si on en croit les derniers sondages, la vaste majorité des Canadiens sont d'avis que c'est là une notion intéressante, et je dirais que plus nos voisins du sud se plaindront de ces choses qui ne sont pas canadiennes dans notre esprit, plus ce nombre grossira. Je crois que les gens comprennent de plus en plus qu'à la base de notre identité, et à la base de notre différence, il y a cette acceptation initiale qui a fini par englober bien d'autres compromis.
[Français]
La présidente: L'étude que le comité a entreprise est de voir à la partie VII de la Loi sur les langues officielles en ciblant l'éducation. Ce matin, nous avons eu la petite enfance. La raison, pour laquelle nous avons choisi de tenir nos audiences à la Faculté Saint-Jean, était que nous étions intéressés à tout savoir sur l'éducation post-secondaire.
Je comprends qu'aujourd'hui, c'est peut-être difficile pour vous de nous donner des pourcentages sur le placement professionnel du post-secondaire pour alimenter notre rapport, serait-il possible de nous faire parvenir, depuis les dix dernières années ou les cinq dernières années, où se trouvent maintenant les diplômés de la Faculté Saint-Jean? Retournent-ils dans les régions? Sont-ils en Colombie-Britannique? Serait-il possible d'avoir ces informations?
Le greffier du Comité vous donnera les coordonnées pour nous les faire parvenir. Nous l'apprécierions pour alimenter notre rapport.
M. Arnal: Nous vous donnerons un rapport anecdotique à défaut d'avoir les données dures. Les informations sont certainement disponibles pour l'éducation. Ce n'est pas un problème pour le programme de pédagogie.
Nous ferons notre possible pour vous obtenir ces informations dans les programmes de sciences, arts, et cetera qui ont tendance à être des premiers degrés.
La présidente: Je vous remercie de nous avoir permis de tenir nos audiences à la Faculté Saint-Jean.
M. Arnal: Sachez que vous êtes les bienvenus n'importe quand, individuellement ou en comité. Je vous inviterais aussi à prendre ces cadeaux souvenir de la Faculté. Nous avons aussi des plumes à l'intention des membres de votre personnel. Merci d'avoir choisi de tenir vos audiences ici. C'est toujours un plaisir de rencontrer de nouveaux amis et de voir de vieux amis.
La séance est levée.