Délibérations du comité sénatorial permanent des
Langues officielles
Fascicule 16 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 5 novembre 2003
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui à 12 h 33 pour étudier le projet de loi S- 14, Loi modifiant la Loi sur l'hymne national afin de refléter la dualité linguistique du Canada; article par article.
[Français]
L'honorable Rose-Marie Losier-Cool (présidente) occupe le fauteuil.
La présidente: Aujourd'hui, nous entendrons M. Moyer, sous-ministre adjoint du ministère du Patrimoine canadien. Il est accompagné de M. Kevin MacLeod.
M. Norman Moyer, sous-ministre adjoint, Affaires publiques et communications, ministère du Patrimoine canadien: Il me fait plaisir de vous entretenir aujourd'hui du projet de loi S-14. Selon mes responsabilités au Patrimoine canadien, j'ai deux grandes raisons de m'intéresser à ce dossier.
Nous avons la responsabilité de la promotion des symboles du Canada et aussi des questions de langues officielles.
Dans ce dossier, nous touchons à ces deux grands éléments qui influencent notre ministère.
[Traduction]
Dans notre rôle de promoteur des symboles nationaux, nous avons remarqué que les Canadiens s'intéressent beaucoup plus à leur hymne national depuis quelques années. Nous avons surtout remarqué le recours à des versions non officielles mais bilingues de l'hymne national. De leur propre chef, les Canadiens choisissent de plus en plus d'utiliser notre hymne national de façon à refléter nos deux langues officielles.
Nous recevons au ministère un grand nombre de demandes de documentation et d'objets que nous produisons en vue de promouvoir les symboles du Canada, et j'ai amené avec moi aujourd'hui quelques exemples de nos produits qui visent à promouvoir l'hymne national. Si certains sénateurs ne connaissent pas les produits en question, nous serions très heureux de vous les montrer. Bien sûr, vos bureaux peuvent les obtenir, si vous estimez qu'ils vous seraient utiles.
Les recherches que nous avons effectuées en prévision de notre visite d'aujourd'hui nous ont permis de constater que dans l'année du 100e anniversaire de la Confédération, il y avait eu un débat au Parlement sur l'opportunité d'une version bilingue officielle de notre hymne national. En 1967, le consensus qui était intervenu à l'époque était que cela risquait d'être plus controversé qu'utile.
Or d'après ce que nous avons observé, les Canadiens ont beaucoup changé depuis cette époque. La politique sur les langues officielles qui a émané des grandes orientations stratégiques des années 60 a permis de créer des générations de Canadiens qui sont maintenant beaucoup plus ouvertes à l'idée du bilinguisme et plus en mesure de s'exprimer dans les deux langues officielles.
[Français]
Aujourd'hui, environ 2,5 millions Canadiens s'expriment bien dans nos deux langues officielles et ils sont fiers de le faire. Ce n'était pas la situation en 1967 ou en 1980 lorsque nous avons formalisé par voie législative le statut de Ô Canada comme hymne national.
Aujourd'hui, des Canadiens de toutes origines, dans toute la gamme de notre diversité, s'expriment dans les deux langues; ils sont fiers de le faire et ils cherchent des opportunités de le faire.
[Traduction]
À notre avis, l'initiative qui fait l'objet de votre étude, serait positive pour le Canada. Nous sommes donc très heureux d'avoir aujourd'hui l'occasion de vous parler du projet de loi S-14 et d'exprimer l'appui du ministère pour ce projet.
Il y a cependant une question que nous désirons soulever. Dans le cas d'un hymne national, ce sont les quelques premiers vers qui permettent souvent de donner une impression d'inclusion aux gens. À notre avis, il est peu probable que les gens aient fréquemment recours à la version bilingue à moins qu'elle ne soit disponible dans les deux versions: c'est-à-dire l'une qui serait utilisée principalement par des Francophones, et qui commencerait en français avant de passer à l'anglais et de revenir au français; et l'autre qui s'adresserait principalement aux Anglophones qui commencerait en anglais, passerait au français et reviendrait ensuite à l'anglais.
Nous comprenons très bien que cela suppose une complexité accrue. Si les honorables sénateurs souhaitent les voir, on peut leur montrer les versions A et B de l'hymne national bilingue préparées par mon personnel.
Je vous demande d'imaginer la réaction possible des Canadiens dans certaines régions du pays si l'on chantait une version bilingue qui commence dans une langue officielle qui ne correspond pas à celle de la majorité des gens se trouvant dans la salle. Cette souplesse accrue qu'on souhaite offrir aux Canadiens ferait que plus de groupes dans plus de localités et de régions d'un bout à l'autre du pays choisiraient d'avoir recours à la version bilingue.
Nous nous réjouissons du message positif que cette initiative permettrait de communiquer aux citoyens canadiens en ce qui concerne la politique et la Loi sur les langues officielles du Canada. Cela nous aiderait également à faire la promotion de la politique sur les langues officielles et du symbole national qu'est l'hymne national si, par suite d'une mesure législative, il nous était possible d'avoir accès à deux hymnes nationaux bilingues officiels.
Merci infiniment de m'avoir donné cette occasion de vous présenter les vues du ministère à ce sujet. Nous sommes à votre disposition pour répondre à vos questions.
[Français]
Le sénateur Léger: Votre rôle est d'assurer la promotion de nos symboles. L'hymne national et le drapeau canadien sont des symboles très forts pour les Canadiens.
Patrimoine canadien conçoit-il la profonde fierté ressentie lorsqu'on entonne l'hymne national? C'est la raison pour laquelle nous chantons l'hymne, d'ailleurs. Et l'honorable sénateur Lapointe sera d'accord, lorsque les paroles sont chantées, elles sont ressenties avec plus de profondeur que lorsqu'elles ne sont que récitées. Parler ne suffit pas, il faut chanter. Patrimoine canadien conçoit-il l'émotion rattachée à ce symbole?
M. Moyer: Il y a certainement, à notre ministère, une réaction viscérale à notre hymne national. Il est utilisé dans les moments les plus forts de notre expérience commune. Je crois que vous avez bien raison de souligner que la réaction des gens à un hymne national, à un symbole, existe à plusieurs paliers. Lorsque le symbole est chanté, la réaction est certainement deux ou trois plus importante. Chanter ensemble, au sein d'un groupe d'individus et exprimer sa fierté dépasse l'expérience individuelle et devient une expérience collective. Voilà le but que nous visons dans la promotion des symboles nationaux du pays.
Reconnaître dans les paroles d'une chanson les valeurs fondamentales de notre pays est une autre façon de sentir cette fierté. Nous remarquons de plus en plus ce genre de phénomène chez les Canadiens. Nous n'avons qu'à penser aux Jeux olympiques et à la présence de ces deux symboles puissants que sont le drapeau et l'hymne national.
Le sénateur Léger: Nous avons maintenant trois versions de l'hymne national. Nous avons la version du sénateur Kinsella selon laquelle on nous suggère une alternative: commencer l'hymne en français. À mon avis, l'hymne national et le drapeau ne doivent pas servir comme outils du bilinguisme. Ces symboles ne sont pas des articles de promotion. Ils transcendent ce simple motif.
Nous avons donc la version A et B. Sommes-nous, en l'an 2003, prêts à favoriser une version aux dépens de l'autre? Ne risquons-nous pas, à nouveau, de causer de la bisbille? Le fait de suggérer deux versions soulève déjà certaines réserves.
M. Moyer: Si je comprends bien, le motif qui nous amène à considérer une version bilingue est que nous aimerions que l'hymne national soit de plus en plus utilisé pour refléter les deux composantes linguistiques de notre pays. L'objectif d'utiliser la version bilingue le plus souvent possible, à mon avis, est une bonne idée.
Nous croyons qu'il va être plus difficile, en 2003, de chanter le Ô Canada, à certains endroits du pays, en commençant dans la langue qui n'est pas utilisée par la plupart des gens de cette région. Il en va de même de l'Ouest et du Québec. Les gens accepteront la version bilingue plus facilement si elle commence dans leur langue pour ensuite aller vers l'autre.
Le sénateur Beaudoin: À mon avis, un hymne national bilingue est préférable. J'ai toujours été choqué de constater, lorsqu'on entonne le Ô Canada, que l'on ne s'entende pas. C'est un non-sens et il faut faire quelque chose.
La version de mon collègue, le sénateur Kinsella, me plaît en ce sens qu'elle comporte une partie en anglais et une partie en français. Toutefois, je ne me fais pas d'illusion, certaines personnes ne chanteront jamais dans l'autre langue. C'est dommage, mais il en est ainsi. On ne peut changer le monde du jour au lendemain.
Il ne faut pas que les choses soient trop compliquées. La complication est réservée aux érudits et non aux communs des mortels. À mon avis, l'hymne national doit comporter une partie en anglais et une partie en français, mais qui ne change pas. Si vous avez une version qui commence en anglais et une version qui commence en français, les francophones garderont la deuxième version, et les anglophones garderont la première. Dans un tel cas, nous ne sommes pas plus avancés, et nous tombons à nouveau dans la cacophonie. Les gens doivent chanter dans la même langue, au même moment.
Je ne comprends pas l'idée de dire qu'au Québec, on commencera en français et dans les neuf autres provinces, on commencera en anglais. En ce faisant, on ne règle pas le problème; au contraire, on complique les choses.
L'objectif est de faire chanter les gens ensemble en français et en anglais. Cette proposition est la meilleure. Je ne sais pas qui a eu cette idée de commencer, à Toronto, en anglais et, à Québec et Montréal, en français. Cela ne changera en rien la cacophonie.
À mon avis, nous devons chanter à l'unisson, dans tout le Canada, en français et en anglais. La raison est très simple. Dans la région d'Ottawa, on retrouve plusieurs personnes bilingues. Si les gens ont le loisir de commencer en français ou en anglais — ce qui risque fort d'être le cas — on sera pris avec le même problème. D'une part, on aura le français et, d'autre part, on aura l'anglais. De cette façon, le problème demeure irrésolu.
Par conséquent, le texte doit comporter un nombre égal de mots en français et un nombre égal de mots en anglais.
Il faut résoudre la difficulté de savoir dans quelle langue commencer. Les deux langues sont officielles et égales. Toutefois, nous avons neuf provinces dont la majorité est unilingue — exception faite du Nouveau-Brunswick qui est bilingue. Nous pouvons toujours tenter l'expérience.
Je crois qu'il faut continuer. Cependant, il faut que cela soit simple. Autant de mots en français, autant de mots en anglais. Tout le monde chante dans la même langue en même temps. Je vote pour cela à 100 p. 100.
Toute autre variation serait une erreur. Ce sera pire si vous mettez du français et de l'anglais et que vous donnez la chance à certaines personnes de commencer en français et à d'autres personnes de commencer en anglais. C'est certain que cela va arriver. On ne règlera pas le problème de cette façon. Mon collègue, le sénateur Kinsella, n'a jamais en faire de la viande hachée.
M. Moyer: Cela vient de notre ministère. Cela vient de notre expérience de l'utilisation de l'hymne national.
[Traduction]
Le Canada évolue, en ce qui concerne l'utilisation de notre hymne national, et prend une orientation qui nous semble très positive, mais il faut aussi être réaliste. Dans certaines localités du Canada, il y a des gens qui vont encore mal réagir si l'hymne national commence dans une langue qui n'est pas la leur. En conséquence, nous avons pensé que même si nous préférons la simplicité, comme tous les autres Canadiens, l'héritage de notre pays est complexe, et que nous sommes en mesure d'accepter un tel degré de complexité.
Je précise, cependant, que notre intention est simplement de vous présenter une autre option. Si le Sénat décide, en fin de compte, qu'il préfère n'avoir qu'une seule version bilingue, nous serons toujours convaincus qu'il s'agit là d'un grand progrès. Puisque cette question relève de notre responsabilité, je vous assure que nous déploierions tous les efforts nécessaires pour promouvoir ce nouvel hymne national.
Nous estimons, par contre, que cette question mérite de faire l'objet d'un débat en profondeur. Nous qui sommes dans la région de la capitale nationale pouvons ne pas nous rendre compte des réalités ailleurs au pays. Voilà justement l'accusation qui est faite constamment à ceux qui travaillent pour la fonction publique du Canada.
Le fait est qu'il existe peu de régions au Canada où le public soit aussi bilingue qu'il l'est ici. C'est justement à ce genre de publics que nous adressons cette nouvelle version bilingue.
[Français]
Le sénateur Beaudoin: Cela ne répond pas à ma question. À Montréal, on pourrait commencer en anglais et à Toronto, en français. À Ottawa, on ne sait pas puisque tout le monde est bilingue.
M. Moyer: À Ottawa, on devrait utiliser les deux versions l'une après l'autre. Je ne peux pas garantir la simplicité dans cette affaire. Je ne suis pas ici pour entrer dans un grand débat. Si on a une version bilingue qui commence en anglais, je ne crois pas que cela pourrait être bien reçu dans la ville de Québec où certaines personnes voudraient qu'on utilise davantage notre hymne national.
Le sénateur Beaudoin: Il y aura toujours un endroit où une version sera mal reçue. Notre pays est bilingue. Il y a donc un endroit au Canada où des gens ne seront pas contents.
La présidente: Je vous interromps, sénateur Beaudoin, parce que tous les sénateurs aimeraient poser des questions.
Le sénateur Lapointe: Je m'oppose à cette idée, mais ce n'est pas personnel. J'ai reçu l'avis hier. Malheureusement, le sénateur Kinsella n'était pas présent. C'est à lui que j'aurais aimé poser les questions.
Vu mon attachement à l'hymne national, je ne permettrai pas qu'on y touche. Vous avez fait allusion aux Jeux olympiques tantôt. J'ai assisté à plusieurs événements olympiques. Je suis Canadien français et Québécois. Il n'y a rien de plus émouvant lorsque l'on hisse le drapeau pendant l'hymne national et que le caméra se fige sur l'athlète qui a gagné et sur la foule. Des gens chantent l'hymne national en français et d'autres en anglais. Pour moi, cela démontre bien l'unité du pays.
Essayez donc de faire commencer l'hymne national en anglais par les gens de Québec. Vous aurez un problème majeur. Allez à Calgary et essayez de faire l'inverse, vous aurez aussi un problème majeur. Avec tout le respect que j'ai pour le sénateur Kinsella, je ne comprends pourquoi il a pensé à écrire un hymne national bilingue.
Cela m'arrive de rêver en couleurs, mais le sénateur Kinsella doit rêver parfois en mille couleurs. La confusion auditive, la cacophonie, n'existe pas. C'est faux. On chante notre hymne national avec conviction. À Toronto, par exemple, je le chante en anglais par respect pour les gens autour de moi.
Vous ferez face à de nombreux problèmes. Au Sénat, vous devrez me faire face parce que je vais me battre avec énergie pour empêcher que cela se produise. C'est noble de la part du sénateur Kinsella, je l'admire et il est très correct.
Je vais être de ceux qui se battront pour ne pas chanter un paragraphe en anglais et un autre en français de l'hymne national. Le sénateur Léger a dit que c'est la musique qui prime dans l'hymne national. Certains hymnes nationaux sont joués musicalement seulement dans plusieurs événements dans le monde. J'imagine que cela a sa raison d'être. Prenez la Suisse et la Belgique où on parle trois langues. Je me trompe peut-être quant à la Belgique. Mais il y a des pays qui ont trois langues.
Je suis contre tout cela. J'ai prononcé un discours en Chambre, je ne sais pas si vous avez entendu parler, mais il doit y avoir une raison pour laquelle ce discours, qui n'était pas génial, a fait le tour du Canada ou à peu près. C'était évidemment humoristique. Toutefois, le fond du message était là.
M. Moyer: De plus en plus les Canadiens cherchent à avoir une version bilingue de l'hymne national. Les gens cherchent à respecter les deux langues en incorporant une partie dans la langue des autres. Ce n'est pas quelque chose qui a été inventée par les législateurs. On ne pourra pas empêcher cette question d'être soulevée. Veut-on canaliser tout cela vers une version bilingue officielle ou laissera-t-on les Canadiens inventer leur version bilingue?
Je dois dire que pour nous, qui devons organiser les événements sur la colline, la journée du Canada, nous inventons une version officielle bilingue; je dois vous avouer qu'elle n'est pas la même à chacune des années.
Le sénateur Gauthier: Je vais continuer dans la même foulée. C'est une chance que la musique soit universelle. On a eu le même débat autrefois, au Parlement, sur les lois. On traduisait la loi qui était souvent rédigée en anglais. Je me souviens que les anglophones disaient:
[Traduction]
Vous ne parlez pas de la même façon qu'en anglais.
[Français]
Ce à quoi je répondais: Non, on s'exprime différemment, mais c'est la même idée. Il y a 20 millions de Canadiens unilingues anglais et 4 millions et demie de francophones unilingues au Canada. J'ai dit au sénateur Kinsella que c'était un gros défi qu'il relevait: vouloir faire en sorte que toutes ces personnes unilingues, anglophones et francophones, s'habituent à chanter dans les deux langues officielles. Ils ont de la difficulté à accepter le bilinguisme.
Dans la capitale nationale, nous tenons un grand débat pour que la capitale nationale du pays devienne une ville bilingue. C'est un débat à n'en plus finir, cela va servir aux élections municipales prochainement. Selon le protocole, qui décide dans quelle langue on commence, en français ou en anglais, lors des événements nationaux comme ceux auxquels vous avez fait allusion tout à l'heure, comme la journée du Canada? Est-ce vous?
M. Moyer: Lorsqu'un événement est organisé par notre ministère, comme l'événement sur la colline, nous décidons. Mais dans chacun des endroits où il est décidé d'utiliser une version avec les deux langues, la décision est prise par les gens qui organisent l'événement.
Le sénateur Gauthier: Donc c'est vous qui décidez?
M. Moyer: Seulement pour les événements que nous organisons.
Le sénateur Gauthier: Si vous invitez un artiste francophone, il ne pourra pas s'exprimer en français d'abord, il va s'exprimer dans la langue que vous allez choisir.
M. Moyer: Pour la journée du Canada, cela a été le cas. Mais si cette personne est invitée par les autres sénateurs d'Ottawa à chanter lors d'un match de hockey, c'est l'organisation de l'équipe sportive qui décide dans quelle proportion et comment ils vont utiliser les deux langues. La même chose se produit partout au Canada.
Le sénateur Gauthier: Je n'ai pas de problème avec cette façon de faire. J'ai fait remarquer plus tôt que le projet de loi du sénateur Kinsella était une troisième option. Vous arrivez avec une quatrième.
M. Moyer: C'est encore une option. Tout ce qu'on propose ce sont des options. On a deux options aujourd'hui, les Canadiens essaient d'inventer une autre option; le débat porte sur la question de savoir si on devait, par voie de législation, leur donner une autre version et si, dans l'affirmative, on le fait avec des composantes A et B.
La présidente: En supplément à la question du sénateur Gauthier concernant le pouvoir de décision, si un événement n'est pas organisé par votre ministère mais par un autre, par exemple, l'événement tenu hier au Sénat qui était organisé par la Défense nationale, ces ministères sont-ils assujettis à la Loi sur les langues officielles? Ne serait-il pas plus simple de n'avoir qu'un seul hymne national? Cela ne faciliterait-il pas la décision de ceux qui ont à organiser ces fêtes?
M. Moyer: Énormément et pour nous qui avons la responsabilité de faire la promotion, nous ne pouvons pas faire la promotion d'une version bilingue avant qu'elle n'existe formellement.
Le sénateur Gauthier: Est-ce vous qui décidez ou est-ce le protocole?
M. Moyer: Le Bureau du protocole domestique est chez nous. La réponse est le protocole et nous. Si cela touche le protocole international, c'est le ministère des Affaires étrangères qui décide dans ce cas.
[Traduction]
Le sénateur Kinsella: Je suis très heureux de souhaiter la bienvenue à d'ex-collègues du ministère qui s'appelait autrefois le Secrétariat d'État, et qui se nomme à présent Patrimoine canadien. Je suis un de ceux qui vous sont reconnaissants pour vos activités de promotion de l'identité canadienne, et cetera.
Hier, comme vous l'indiquait le sénateur Losier-Cool, nous avons participé à une cérémonie dans la salle du Sénat en prévision du jour du Souvenir. Nous avions invité un excellent choeur de jeunes gens, et lorsqu'ils ont commencé à chanter l'hymne national, que l'on ait eu comme première langue ou le français, ça n'avait pas d'importance parce que les deux premières paroles de notre hymne national sont les mêmes dans les deux langues.
Étant donné — c'est un point très important, et je pense que le sénateur Gauthier sera de mon avis à ce sujet — que l'anglais et le français sont sur un pied d'égalité au Parlement, ces deux langues sont égales à tous les égards. Par conséquent, devant la préoccupation de certains à l'égard de ce qui est proposé — c'est-à-dire que les paroles «Terre de nos aïeux» suivent «Ô Canada!» — le fait est que ces paroles équivalent aux paroles anglaises.
Hier, je ne savais pas du tout dans quelle langue ils allaient chanter l'un ou l'autre des vers. J'ai regardé autour de la salle et je voyais que les gens ne savaient pas trop quelle version ils devaient chanter, et c'est bien dommage. En ce qui concerne l'ensemble des institutions du Parlement, la Loi sur les langues officielles, la Constitution et la Charte des droits et libertés, il n'y a pas de doute: l'anglais et le français ont un statut égal. Voilà qui nous permet de contourner le problème de savoir si l'on doit poursuivre en anglais ou en français après Ô Canada, du moins en ce qui concerne les institutions du Parlement.
Je comprends que dans certaines régions de l'ouest du Canada — et nous avons tous été témoins du terrible différend entourant la Coupe Grey l'année dernière à cause de l'hymne national — certains seraient peut-être offusqués si après «Ô Canada!», il fallait poursuivre en français, et dire «Terre de nos aïeux.» À Chilliwack, Colombie- Britannique, je pense qu'ils décideraient sans doute de continuer à chanter Ô Canada en anglais, alors qu'à Trois- Rivières, ils le chanteraient en français.
Dans notre province, il y a tellement d'événements où les gens le chantent soit en anglais, soit en français, mais d'habitude, juste une fois, et il arrive souvent aussi, comme vous le disiez, que les gens créent leur propre combinaison de vers en anglais et en français. Cela m'amène à parler des raisons pour lesquelles nous avons choisi ces paroles.
Nous étions justement motivés par un désir d'inclusivité. Je suis content de savoir que les fonctionnaires du ministère ont envisagé une autre possibilité. Mais nous avons un autre projet de loi, soit le projet de loi S-3, que j'appuie, et le sénateur Lapointe en a parlé avec beaucoup d'éloquence l'autre jour. Ce projet de loi concerne davantage le caractère non inclusif de certaines paroles de la version anglaise, et lui et moi voulons changer ça.
Cette option bilingue est à 100 p. 100 inclusive. Elle permet d'éviter des expressions du genre «thy sons.» Ce n'est d'ailleurs pas une coïncidence, car nous avons voulu nous assurer que cette version bilingue engloberait tout le monde. Je me souviens que le sénateur Kroft avait justement insisté là-dessus lors du débat en deuxième lecture. Quand nous l'avons examiné, ce dernier disait qu'il était heureux de voir que nous avions réussi à éviter de telles difficultés. Le projet de loi S-3 et celui-ci, du moins en principe, vont de pair.
L'autre point que je voulais soulever — juste pour vous faire comprendre que l'intention ici n'est pas de substituer une nouvelle version à celle que préfèrent les habitants de Rivière-du-Loup, qui voudront peut-être chanter en français, ou encore à celle que préfèrent les gens de Regina, qui voudront peut-être chanter en anglais — c'est que cela nous aurait facilité la tâche hier au Sénat, si nous avions eu notre propre version officielle — une version qui pourrait ensuite devenir coutumière.
À mon avis, cela pourrait vous être utile au ministère — puisque c'est vous qui êtes chargés de parrainer et d'organiser tant d'événements nationaux — d'avoir une version parlementaire à recommander, quand cette dernière sera bilingue.
Peut-être voudriez-vous réagir?
M. Moyer: Je dois dire qu'il nous serait très utile au ministère, puisque notre rôle consiste entre autre à faire la promotion des symboles nationaux, d'avoir une version bilingue officielle de notre hymne national. Ainsi nous pourrions promouvoir la version bilingue approuvée.
Nous recevons beaucoup de demandes de la part d'enseignants qui voudraient enseigner la version bilingue officielle dans les écoles. C'est quelque chose qui se produit de plus en plus souvent, parce qu'il y a davantage de Canadiens bilingues dans toutes les régions du pays. Des choeurs composés de jeunes qui sont fiers de chanter l'hymne national dans les deux langues officielles ont d'ailleurs été reçus par vous au Parlement.
Ce serait donc bien utile si cette initiative devait nous permettre de produire une version bilingue officielle. Si nous vous avons présenté une autre option, c'est uniquement à cause des problèmes potentiels soulevés par certaines personnes pendant vos discussions. Il est clair que dans les localités où cette version pourrait poser problème, les citoyens pourraient toujours se servir de la version soit anglaise, soit française. Il reste que cela ne nous aurait pas aidés à régler le problème que nous avons connu l'année dernière, lors du match de la Coupe Grey. Nous essayons tout simplement d'aller un peu plus loin. Mais je répète: ce n'est qu'une idée qu'on vous soumet.
La présidente: Je suis tout à fait d'accord pour dire que les enseignants qui enseignent l'hymne national aux étudiants dans tout le Canada vont nécessairement commencer par leur enseigner la version bilingue officielle. Voilà ce que je pense, en tout cas.
[Français]
Le sénateur Chaput: Lorsque j'ai entendu parler du projet de loi du sénateur Kinsella la première fois au Sénat, j'ai trouvé l'intention du projet de loi très bonne. J'ai pris la parole au Sénat et je l'ai appuyé en fonction de ma réalité. Je suis francophone de l'ouest du Canada. Nous avons très peu de français dans les provinces de l'Ouest.
Je me suis permise de rêver et de me dire que si nous avions un troisième texte, qui incluait les deux langues officielles, nous noterions une plus grande présence du français dans certaines grandes cérémonies qui se déroulent dans l'ouest du Canada.
Je dis que je me suis permise de rêver parce que, je le sais très bien, cela ne sera pas la réalité. Certaines personnes ne valorisent pas suffisamment le français pour vouloir chanter l'hymne national dans les deux langues.
J'ai écouté attentivement ce que vous et mes collègues avez dit. Je pense honnêtement que les ministères fédéraux ont besoin de textes officiels. Un texte, dans les deux langues officielles, leur permettra de continuer à promouvoir la dualité linguistique. Ce serait un troisième texte. Ma préoccupation est de savoir dans quelle langue nous commencerons à chanter notre hymne national.
Dans mon coin de pays, si nous essayons de commencer à chanter en français, nous allons recevoir des tomates. Dans d'autres parties du pays, lors d'événements officiels, il nous faudrait commencer à chanter en français et ensuite en anglais. C'est à ce moment que cela se complique. Je ne sais vraiment plus s'il est possible d'avoir une solution très simple. Cette idée, ce projet, cette intention est très valable. Je ne sais plus si c'est possible d'arriver avec un hymne pas trop compliqué qui sera appliqué et utilisé.
M. Moyer: Je vais essayer de répondre à vos préoccupations. Pourquoi avons-nous tellement peur de la complexité? C'est notre legs! J'aimerais relever le défi de faire la promotion d'une version bilingue dans lequel je pourrais envoyer à un professeur en Alberta une version bilingue officielle qui commence en anglais du Ô Canada. Dans le même envoi, il recevrait la version anglaise officielle, la version française officielle ainsi que la version bilingue utilisée dans d'autres parties du pays.
Il se dira qu'il a reçu une version qu'il peut utiliser dans sa classe. Il se dira aussi que le Canada est un pays compliqué. C'est une leçon en soi. C'est la réalité avec laquelle nous devons vivre en tout temps.
La présidente: Je suis d'accord avec vous de lancer le défi. Lorsque j'allais à l'école, petite fille dans la péninsule acadienne, je chantais God Save the King.
Nous avons un autre défi pour les générations à venir. Ce défi pourrait être très intéressant.
Le sénateur Beaudoin: Lorsqu'on a fait la Constitution bilingue et bi-juridique en plus, c'était facile, parce qu'il y a deux colonnes et elles peuvent être égales. C'est le bienfait des lois. C'est l'anglais et le français. Les colonnes sont égales et nous avons l'égalité absolue. Que ce soit à gauche ou à droite, ce n'est pas grave.
Toutes les lois fédérales sont bilingues et la Constitution du Canada est bilingue parce que les colonnes sont égales. Pour la musique, il n'y a aucun problème. Nous ne pouvons pas résoudre le problème de façon totale pour les paroles chantées. Je l'accepte.
Je ne comprends pas pourquoi nous n'avons pas la possibilité de chanter dans une langue et dans l'autre, l'une après l'autre. J'ai peur que la nature humaine soit telle que la paresse nous gagne et, qu'à la fin d'une première audition, nous ne recommencions pas la même musique en utilisant une autre langue. C'est la difficulté. J'ai déjà entendu le Ô Canada en français et ensuite le Ô Canada en anglais. C'est très beau surtout s'il est chanté par un grand chanteur ou une cantatrice.
On ne s'en sort pas. Il n'y a pas de système parfait. Le système parfait, ce sont les deux colonnes mais nous ne l'avons pas.
Je pense que c'est bien mieux que ce que nous avons actuellement. Je me demande, si en pratique, il n'arrivera pas ceci. Nous devrions chanter la première partie en français et la deuxième en anglais et/ou la première en anglais et la deuxième en français. Pour la suite, nous nous en remettons au lieu où nous sommes. Au Nouveau-Brunswick et au Québec, il y aura un problème parce que dans ces deux provinces, il y a égalité des langues. Au Canada hors Québec se sera en anglais. Je pense que le Nouveau-Brunswick est dans une situation complètement différente parce que c'est l'égalité absolue.
Il n'y a pas de solution parfaite, j'en suis convaincu. Mais je trouve que la meilleure solution est de prendre la plus facile. On aura toujours le problème de savoir dans quelle langue on commence. Une fois qu'on commence, on devra faire tout en français ou en anglais, pour la première partie et la deuxième partie sera dans l'autre langue. C'est la solution, c'est facile à comprendre. Tout le monde va comprendre. Les anglophones vont commencer en anglais, pour la moitié de l'hymne et finiront en français. Les francophones vont commencer en français et finir en anglais.
La présidente: Le sénateur Keon n'a pas encore eu la chance de poser de questions.
[Traduction]
Le sénateur Keon: Je m'excuse de ne pas être arrivé plus tôt et de n'avoir donc pas entendu tout ce qui a été dit auparavant.
Il semble, d'après ce que j'ai pu comprendre, que l'hymne commence par une expression qui reflète notre dualité linguistique, soit «Ô Canada». Ensuite, nous avons quelques vers en français, nous repassons à l'anglais, et l'hymne se termine en anglais. Je ne suis pas sûr qu'on puisse améliorer cette version.
À mon avis, ce serait un peu lourd comme procédure que de distribuer quatre versions différentes de notre hymne national. Trois, ça suffit. Nous pourrions avoir la version française, la version anglaise et la version bilingue — il s'agirait de versions officielles. Je suis désolé d'employer sans arrêt le terme «version,» mais je ne trouve pas de meilleur terme.
Si quelqu'un ne veut pas commencer à chanter en français, il n'aura qu'à tout chanter en anglais. S'il ne veut pas finir en anglais, il pourrait chanter le tout en français. Les citoyens auront trois options, ce que je trouve tout à fait formidable. Il faut s'en tenir à quelque chose de simple. À mon avis, les enfants ne tarderont pas à chanter cette version, parce qu'ils sont plus souples et ont plus de bon sens que nous. Je crois que cette version deviendra vite populaire, et qu'il s'agit maintenant d'aller de l'avant.
La présidente: Merci, sénateur Keon. Monsieur MacLeod, avez-vous quelque chose à ajouter?
M. Kevin S. MacLeod, gestionnaire, Cérémonial d'État et Symboles canadiens, Patrimoine canadien: Je reviens sur ce que disait M. Moyer tout à l'heure. Tous les jours, je reçois des coups de téléphone de citoyens habitant toutes les régions du pays, dont un bon nombre sont des enseignants — mais pas nécessairement ceux qui enseignent des cours d'immersion en français ou en anglais; il s'agit souvent de professeurs qui voudraient donner simplement à leurs étudiants les moyens de connaître et d'apprécier l'autre langue officielle. Souvent ils me disent: «Quel meilleur moyen d'entamer ce processus que de leur apprendre les paroles très passionnées de notre hymne national.» Tous les jours, donc, on nous demande s'il existe une version bilingue officielle qu'on peut apprendre aux étudiants. Malheureusement, nous sommes obligés de leur dire que non, mais qu'ils sont libres de choisir des passages dans chaque version.
Comme vous l'expliquait M. Moyer tout à l'heure, une version bilingue officielle serait tout à fait opportune, non seulement pour aider des éducateurs de ce genre, mais pour l'ensemble des citoyens de ce pays qui sont fiers du fait que nous sommes un pays bilingue et fiers de notre hymne national. Donc, sur le plan officiel, ce serait bien utile d'avoir une version bilingue officielle qui serait normalisée.
La présidente: Merci, monsieur MacLeod et monsieur Moyer.
Honorables sénateurs, êtes-vous d'accord pour que le comité passe immédiatement à l'examen article par article du projet de loi S-14?
Des voix: D'accord.
[Français]
Le sénateur Gauthier: J'aurais une question au parrain du projet de loi. Pourquoi votre texte commence-il en français?
Le sénateur Kinsella: Parce qu'en vertu du principe de l'inclusion, on peut éviter un problème dans la version anglaise. «All thy sons command» est complètement oublié si on dit «terre de nos aïeux».
Le sénateur Beaudoin: Cela marie les deux propositions. Je suis d'accord.
Le sénateur Léger: A ce point de vue, j'ai vraiment analysé si le passage du français à l'anglais, et vice versa, avait du sens et je pense que oui. Cela a du sens si on utilise le Ô Canada bilingue.
[Traduction]
La présidente: Le titre est-il réservé?
Des voix: D'accord.
[Français]
La présidente: L'article 1 est-il adopté?
Des voix: D'accord.
Le sénateur Léger: Vous allez trop vite, je n'ai pas eu le temps de dire non !
[Traduction]
La présidente: L'article 1 est-il adopté?
Des voix: D'accord.
La présidente: C'est adopté. L'article 2 est-il adopté?
Des voix: D'accord.
[Français]
La présidente: L'article 3 est-il adopté?
Des voix: D'accord.
La présidente: L'annexe est-il adoptée?
Des voix: D'accord.
La présidente: Êtes-vous d'accord, honorables, sénateurs pour que ce projet de loi soit adopté sans amendement?
[Traduction]
La présidente: Le titre est-il adopté?
Des voix: D'accord.
[Français]
Le sénateur Lapointe: Madame la présidente, puis-je vous demander quel est le titre? Je n'ai rien suivi, j'essaie de démêler les documents.
La présidente: Il s'agit du projet de loi S-14, Loi modifiant la Loi sur l'hymne national afin de refléter la dualité linguistique du Canada.
Le sénateur Lapointe: Je vote contre.
La présidente: Êtes-vous d'accord pour que le titre soit adopté.
Des voix: Oui.
Des voix: Non.
[Traduction]
La présidente: Êtes-vous d'accord pour faire rapport du projet de loi sans amendement?
Des voix: Oui.
Des voix: Non.
La présidente: À la majorité des voix.
[Français]
Le sénateur Lapointe: Excusez-moi de vous interrompre, madame la présidente, nous devions faire un deuxième tour de table; j'avais des questions à poser et des commentaires à émettre.
La présidente: Aviez-vous levé la main? J'ai pourtant regardé.
Le sénateur Lapointe: J'ai fait signe. Ce n'est pas grave, cela va revenir de toute façon.
La présidente: Êtes-vous d'accord, honorables sénateurs, pour que je fasse rapport de ce projet de loi au Sénat?
Des voix: D'accord.
Des voix: Non.
La motion est adoptée avec dissidence.
La séance est levée.