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RPRD - Comité permanent

Règlement, procédure et droits du Parlement


Délibérations du Comité du 
Règlement, de la procédure et des droits du Parlement

Fascicule 7 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 25 février 2003

Le Comité sénatorial permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement se réunit aujourd'hui à 9 h 42 pour examiner la proposition de modification de la Loi sur le Parlement du Canada (commissaire à l'éthique) et de certaines lois en conséquence et la proposition de modification du Règlement du Sénat et du Règlement de la Chambre des communes visant à mettre en œuvre le rapport Milliken-Oliver de 1997, déposées au Sénat le 23 octobre 2002.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: C'est la quatrième fois que nous nous réunissons à propos du programme d'éthique déposé par le gouvernement l'automne dernier. Le programme repose sur les travaux effectués par le sénateur Oliver qui, de concert avec M. Peter Milliken, a coprésidé un comité mixte sur un code de conduite, dont le rapport a été déposé en 1997. Aujourd'hui, nous avons avec nous M. Conacher, coordonnateur, Démocratie en surveillance. Plus tard, nous entendrons l'Association des conjoints des parlementaires et sa présidente, Mme Silverthorn Finlay. Mme Simms et le Dr Poy, qui est le mari de l'une de nos collègues, le sénateur Poy, se joindront à elle.

M. Duff Conacher, coordonnateur, Démocratie en surveillance: Honorables sénateurs, Démocratie en surveillance est une organisation civique indépendante, non partisane et sans but lucratif doublée d'un groupe de défense des intérêts de premier plan au Canada intervenant dans le domaine de la réforme démocratique, de l'imputabilité du gouvernement et de la responsabilité des entreprises.

Je suis ici aujourd'hui à titre de représentant de la Government Ethics Coalition, regroupement de 32 groupes des quatre coins du Canada. Je pense que vous avez sous les yeux ou que vous recevrez sous peu la liste des groupes qui en font partie, soit 12 groupes nationaux et 20 groupes répartis dans six provinces et les Territoires du Nord-Ouest.

Depuis quelques années, la coalition participe activement à ce dossier. Démocratie en surveillance s'intéresse à la question de l'éthique gouvernementale depuis le printemps 1994, soit quelques mois à peine après sa création.

En 1995, j'ai comparu ici devant le comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes à l'origine du code. Je suis heureux d'être de retour, et j'espère que cette fois le code, au lieu de mourir au feuilleton, sera mis en œuvre.

Je suis particulièrement heureux de l'occasion qui m'est donnée parce que vous avez devant vous les nouvelles règles d'éthique et le système d'application de l'éthique proposés sous forme d'avant-projet de loi. Le gouvernement s'est dit prêt à modifier le code et le régime d'application proposé.

Ayant déjà témoigné devant le comité de la Chambre, je sais que les membres du comité ont dit à leurs collègues être en faveur de l'adoption d'un code et d'un mécanisme indépendant d'application du code. À l'occasion des audiences qui ont pris fin il y a deux ou trois semaines, ils poursuivaient l'étude de quelques autres enjeux.

Au cours de la dernière décennie, les Canadiens ont indiqué clairement qu'ils tiennent à ce que leurs députés et leurs sénateurs soient assujettis à des règles d'éthique. En fait, dans tous les sondages qui ont été effectués, au moins 80 pour 100 des Canadiens se sont prononcés en faveur de règles d'éthique rigoureuses.

On doit se doter de telles règles pour répondre aux attentes des Canadiens qui tiennent à ce que les parlementaires aient davantage de comptes à rendre. En mai 2002, le sondeur du Parti libéral a lui-même indiqué que 40 pour 100 des Canadiens sont d'avis que le gouvernement fédéral est corrompu. Il s'agit assurément d'un problème de perception, et la mise en place d'un régime d'imputabilité efficace constituerait un excellent moyen de le régler.

En fait, la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Hinchey de 1996 concernant un fonctionnaire accusé d'avoir manqué aux règles de l'éthique, a déclaré:

«Compte tenu de la confiance et des lourdes responsabilités qui se rattachent aux charges publiques, il est normal que les fonctionnaires du gouvernement doivent se conformer à des codes d'éthique qui, pour un simple citoyen, seraient très sévères.

La Cour suprême du Canada a également affirmé que de tels codes sont nécessaires et que, même si les députés et les sénateurs les considèrent comme sévères, ils n'en sont pas moins appropriés.

Au paragraphe 14 du même arrêt, la majorité écrit:

Il n'est guère nécessaire d'insister sur la nécessité d'avoir un gouvernement qui fasse preuve d'intégrité. Il suffit de dire qu'il serait très difficile pour notre régime démocratique de fonctionner efficacement si son intégrité était constamment remise en question.

La mise en place d'un régime d'application indépendant répondra à bon nombre de questions posées au sujet des politiciens en cas d'allégations de non-respect des codes de conduite. À l'heure actuelle, des députés et des sénateurs font l'objet de telles allégations parce qu'il n'y a pas de mécanisme indépendant qui permette de faire enquête. Le régime actuel s'est montré si parfaitement partial que, lorsque le conseiller en éthique innocente un député, un ministre ou un sénateur accusé de conflits d'intérêts, il n'y a actuellement, c'est certain, que le conseiller en éthique et le député ou le sénateur concerné qui croient avoir reçu l'absolution, tandis que le reste des Canadiens refuse de prêter foi à ces conclusions.

Dans l'ensemble, les règles d'éthique proposées ne posent pas de problème à la coalition. Cependant, nous pensons que la mise en place d'un régime d'éthique gouvernementale ouvert et efficace exige que l'on ferme les échappatoires et les lacunes dans le régime d'application des règles d'éthique proposé pour les nouvelles mesures et les changements suivants.

Premièrement, la nomination du commissaire à l'éthique proposé doit être approuvée par les partis d'opposition et non uniquement, comme on le propose maintenant, par le parti au pouvoir.

En outre, nous sommes d'avis que le Sénat devrait aussi donner son approbation puisque le commissaire en question aura compétence sur tous les députés et les sénateurs. Ainsi, l'ensemble des députés et des sénateurs devrait avoir leur mot à dire dans le cadre du processus de nomination.

Deuxièmement, tout le monde devrait pouvoir déposer une plainte devant le commissaire à l'éthique, et non les seuls parlementaires. Depuis environ neuf ans, les Canadiens ont le droit de porter plainte devant le conseiller en éthique. Or, notre organisation est la seule organisation non parlementaire à l'avoir fait. Nous n'en avons déposé que 12. Rien ne prouve donc qu'on assisterait à un déluge de plaintes. De même, il faudrait prendre des mesures pour dissuader quiconque de déposer une plainte fondée sur des faits inexacts, toute allégation de non-respect du code d'éthique étant immédiatement diffamatoire. Si les faits sont inexacts, l'auteur de la plainte serait sujet à une action en libelle. Nous pensons qu'il s'agit d'un contrepoids efficace au dépôt de plaintes frivoles ou vexatoires de la part du public.

Nous détectons un troisième trou dans le régime proposé: selon la proposition, le commissaire à l'éthique garderait secrets un certain nombre de ses avis consultatifs et de ses décisions. Nous pensons que les décisions et les avis consultatifs du commissaire à l'éthique doivent être rendus publics. Ce n'est qu'à cette condition qu'on pourra constituer une sorte de jurisprudence à propos des normes et des interprétations des règles. Rien ne sert de donner le nom du politicien qui demande un avis consultatif, à condition qu'il en fasse la demande avant d'intervenir, et non après coup. Dans l'avis consultatif, on pourrait toutefois préciser qu'un parlementaire a présenté une demande d'avis consultatif à propos d'une situation donnée, qu'il a été informé des règles applicables et qu'on lui a fourni une interprétation des règles en question. Tout cela pourrait venir du commissaire à l'éthique.

De la même façon, les décisions prises au terme des enquêtes doivent être publiques. Selon la proposition actuelle, les décisions seraient tenues confidentielles dans un cas particulier, c'est-à-dire lorsqu'un parlementaire a contrevenu au code, mais a accepté une forme ou une autre de solution, de mesures d'atténuation ou de sanctions. Les cas de non- respect du code devraient être rendus publics, que le parlementaire concerné ait ou non consenti à la forme de mesures d'atténuation.

Un tel mécanisme est essentiel à l'établissement d'un régime efficace. Comme l'a montré le conseiller en éthique actuel, les décisions secrètes ne sont pas un moyen efficace de fixer des normes éthiques applicables tous azimuts; ce n'est pas non plus une bonne façon d'obliger une personne qui a contrevenu au code à prendre ses responsabilités.

Nous croyons également que le commissaire à l'éthique, outre ce qui est proposé, doit être habilité à émettre des avis consultatifs publics et à faire enquête en cas d'allégation de non-respect des règles de l'éthique par des lobbyistes. Selon la proposition actuelle, c'est le Directeur de l'enregistrement des lobbyistes et non le commissaire à l'éthique qui se chargent de l'application du Code de déontologie des lobbyistes. C'est absurde.

En effet, la règle 8 du Code de déontologie des lobbyistes précise qu'un lobbyiste ne doit rien faire qui puisse placer un politicien, un député, un sénateur ou un ministre en situation de conflit d'intérêts. Si une plainte est déposée devant lui, le directeur de l'enregistrement fera enquête pour déterminer si le lobbyiste a ou non placé le politicien en situation de conflit d'intérêts. Le commissaire à l'éthique fera enquête pour déterminer si le politicien est en situation de conflit d'intérêts. Qu'arrive-t-il si leurs décisions ne vont pas dans le même sens? Qu'arrive-t-il si le directeur de l'enregistrement des lobbyistes en vient à la conclusion que le ministre est en situation de conflit d'intérêts, mais que le commissaire à l'éthique juge qu'il n'y a pas de conflit? On se retrouvera alors devant des décisions contradictoires et une situation insoluble.

Nous ne voyons pas pourquoi le commissaire à l'éthique ne devrait pas être chargé de la surveillance des lobbyistes et de l'application des règles du Code de déontologie des lobbyistes. Dans ces conditions, les décisions seraient uniformes, et les normes seraient appliquées de façon uniforme. La formulation de bon nombre des règles du Code de déontologie des lobbyistes est semblable à celle qu'on propose pour le code d'éthique. Si on laisse à deux personnes différentes le soin de faire appliquer les deux codes, on risque de se retrouver devant des décisions contradictoires.

De la même façon, nous pensons qu'il est grand temps de créer un chien de garde en matière d'éthique pour les fonctionnaires. La proposition vise la création d'un nouveau bureau du commissaire à l'éthique. Nous pensons également que c'est le commissaire à l'éthique qui devrait avoir compétence sur les fonctionnaires. Ces derniers sont assujettis à des règles d'éthique, mais celles-ci sont appliquées à l'interne — et donc de façon inefficace. Ce sont des décisions secrètes, il y a des négociations, et on ne jette pas d'éclairage sur ce que font les fonctionnaires. Si l'ensemble des parlementaires seront assujettis à un code d'éthique et à un régime d'application indépendant des règles d'éthique, on devrait prévoir les mêmes mécanismes pour les fonctionnaires, étant donné qu'ils jouent un rôle important dans les activités quotidiennes du gouvernement.

Nous croyons également que le commissaire à l'éthique devrait avoir le pouvoir de protéger les fonctionnaires dénonciateurs et que l'actuel Bureau de l'intégrité de la fonction publique devrait être intégré au nouveau bureau du commissaire à l'éthique. À l'heure actuelle, l'agent de l'intégrité de la fonction publique ne peut rendre que des décisions secrètes et n'exerce pas les pouvoirs nécessaires à l'application de ses décisions. Nous pensons qu'il serait beaucoup plus efficace d'intégrer ce bureau au nouveau bureau du commissaire à l'éthique.

Nous pensons également que les pénalités proposées — un possible renvoi du cabinet, un blâme ou un renvoi possible du Parlement — sont insuffisantes. Essentiellement, on laisse à d'autres parlementaires le soin de les appliquer. Il s'ensuit que les parlementaires du parti au pouvoir seront protégés contre ces pénalités, tandis que ceux des partis d'opposition y feront face.

Nous pensons que le commissaire à l'éthique devrait avoir le pouvoir de sanctionner les personnes qui contreviennent aux règles d'éthique en leur imposant des amendes. Les mesures prises par le Parlement et le Sénat varieraient; mais les contrevenants feraient au moins face à des sanctions claires.

Enfin, lorsque le code défini dans l'avant-projet de loi reviendra sous forme de loi, il sera adopté et entrera en vigueur. Ce n'est qu'alors que le code d'éthique pour les députés et les sénateurs aura force de loi. Cependant, les codes qui régissent les ministres, les lobbyistes et les fonctionnaires auront un statut juridique discutable. Le Code de déontologie des lobbyistes n'a pas force de loi, mais il a été publié dans la Gazette du Canada. Les lobbyistes sont tenus de s'enregistrer, mais ils ne savent pas dans quelle mesure ils doivent s'y tenir puisque le conseiller en éthique refuse de donner suite à des plaintes sur les lobbyistes. Nous pensons que les codes applicables aux ministres, aux lobbyistes et aux fonctionnaires devraient être modifiés pour avoir force de loi comme on se propose de le faire pour le code applicable aux députés et aux sénateurs.

Même si, en résumé, vous adoptez l'ensemble des règles et des modifications proposées au régime d'application du code d'éthique, le commissaire à l'éthique ne sera pas aussi indépendant que voulu. Certaines décisions seront tenues secrètes; les fonctionnaires ne seront toujours pas assujettis à la surveillance d'un chien de garde en matière d'éthique; les sanctions prévues en cas de comportement contraire aux règles de l'éthique seront trop faibles; enfin, les personnes ayant dénoncé des manquements à l'éthique ne seront pas adéquatement protégées. Telles sont les principales lacunes des propositions gouvernementales relatives à l'éthique qui doivent être comblées pour qu'un régime d'éthique gouvernementale ouvert et efficace soit mis en place.

Nous exerçons également des pressions pour faire modifier le projet de loi C-15. Nous nous attendons à être de retour devant votre comité ou un autre comité du Sénat parce que le projet de loi C-15, qui modifie la Loi sur l'enregistrement des lobbyistes du gouvernement fédéral comporte des lacunes analogues. Nous espérons que toutes ces échappatoires seront fermées: en effet, ce n'est qu'ainsi que nous miserons sur un régime ouvert et efficace qui assurera à l'avenir un gouvernement honnête et respectueux des règles d'éthique.

La présidente: Avant de passer à la période de questions, je tiens à préciser qu'on ne propose pas de faire une loi du code proposé pour les députés et les sénateurs. Ce serait une motion. Il s'agirait non pas d'une loi adoptée par le Parlement, mais bien plutôt d'une motion adoptée au Parlement. On ne pourrait s'en servir que pour rendre des comptes au commissaire à l'éthique à l'intérieur du Parlement lui-même.

Le sénateur Smith: J'essaie de me faire une meilleure idée de Démocratie en surveillance en soi. Vous dites nous et j'essaie de comprendre de qui il s'agit. Démocratie en surveillance est-il une personne morale?

M. Conacher: Oui.

Le sénateur Smith: Vous êtes un organisme sans but lucratif. Peut-on devenir directement membre de votre organisme?

M. Conacher: Nous comptons quelque 1 000 partisans au pays.

Le sénateur Smith: Vous voulez parler de bailleurs de fonds?

M. Conacher: Il y a la coalition dont il est ici question et trois autres coalitions nationales que nous coordonnons. Certains fonds proviennent également des groupes qui forment ces coalitions.

Le sénateur Smith: La Government Ethics Coalition est-elle une personne morale?

M. Conacher: Non. C'est un projet.

Le sénateur Smith: En ce qui concerne la personne morale — Démocratie en surveillance —, tenez-vous des assemblées annuelles?

M. Conacher: Oui.

Le sénateur Smith: Tout le monde peut devenir membre? Avez-vous des cartes de membre?

M. Conacher: Non, nous avons une structure de partisans.

Le sénateur Smith: Vous voulez parler de bailleurs de fonds?

M. Conacher: Oui.

Le sénateur Smith: Quel est votre budget annuel?

M. Conacher: Environ 40 000 $.

Le sénateur Smith: Y travaillez-vous à temps plein?

M. Conacher: Je fais également du travail pour un groupe appelé le Democracy Education Network. Je partage mon temps entre les deux groupes.

Le sénateur Smith: Avez-vous un conseil d'administration?

M. Conacher: Oui.

Le sénateur Smith: Comment les membres du conseil d'administration sont-ils choisis?

M. Conacher: Nous sommes structurés en collectif; comme moi, les membres du conseil d'administration font du travail pour Démocratie en surveillance.

Le sénateur Smith: À quel titre font-ils du travail pour Démocratie en surveillance? À titre d'employés?

M. Conacher: Nous sommes structurés comme une coopérative de travailleurs. Il n'y a pas de séparation direction- employés.

Le sénateur Smith: Tenez-vous une assemblée annuelle à Ottawa?

M. Conacher: Nous procédons parfois par téléphone; parfois, nous organisons une assemblée annuelle.

Le sénateur Smith: À quand remonte votre dernière assemblée annuelle publique?

M. Conacher: Pour les partisans, vous voulez dire?

Le sénateur Smith: Pour toutes les personnes dont vous voulez parler en disant nous.

M. Conacher: Quand je dis nous, je veux parler de la coalition. Tous les groupes ont signé les propositions que nous avons présentées.

Le sénateur Smith: Tous les membres du Congrès du travail du Canada sont-ils d'accord avec ces positions?

M. Conacher: Étant donné que 80 pour 100 des Canadiens interrogés par sondage au cours de la dernière décennie ont affirmé qu'ils souhaitaient l'établissement de règles d'éthique rigoureuses pour les politiciens et les fonctionnaires, je crois que nous sommes représentatifs, oui, du sentiment des Canadiens à ce sujet.

Le sénateur Smith: À l'époque de ma jeunesse, il y a plus de 30 ans, j'ai été élu au conseil municipal de Toronto. Nous avons entendu des gens qui prétendaient représenter d'immenses quartiers, mais ce n'était pas le cas. En fait, ils ne représentaient qu'eux-mêmes et une poignée de citoyens. Je ne mets pas en doute la légitimité des motifs qui font que vous êtes ici.

Vous pensez que tout le monde devrait avoir le droit de porter plainte.

M. Conacher: Oui.

Le sénateur Smith: Vous pensez également que les décisions et les avis consultatifs devraient tous être rendus publics.

M. Conacher: Oui. Comment, dans le cas contraire, dissiper tout doute à l'égard d'une allégation?

Le sénateur Smith: Que faire dans les cas de calomnie ou de libelle, d'allégations non fondées? Pensez-vous que les personnes qui consentent des sacrifices pour occuper une charge publique devraient avoir à passer par toute la procédure prévue si l'allégation n'est pas fondée? Croyez-vous qu'une telle mesure incitera des gens à accepter une charge publique?

M. Conacher: En cas de libelle ou de calomnie, vous feriez toute la lumière en intentant une action en libelle contre la personne.

Le sénateur Smith: Qu'est-ce que ça vous donne si l'auteur du libelle n'a pas d'actifs?

M. Conacher: Cela ne change rien à la situation actuelle. Aujourd'hui, n'importe qui peut dire n'importe quoi à votre sujet. L'existence d'un code n'y change rien.

Le sénateur Smith: On a beau dire ce qu'on veut aujourd'hui, mais, si on a affaire à un motif de plainte déposé devant un organisme établi par le Parlement, l'opinion publique a tendance à y associer une certaine forme de légitimité. Je me demande si vous pensez qu'il est raisonnable de tenter de faire fonctionner notre système en acceptant une charge publique lorsque, dans de nombreux cas, on n'a aucun recours en cas de libelle, de calomnie ou de mensonge pur et simple.

M. Conacher: Il y aura un recours. Le commissaire à l'éthique ne fera enquête que s'il a des motifs raisonnables de croire qu'il y a eu violation.

Le sénateur Smith: Aucun commissaire à l'éthique n'aura le droit d'imposer une amende à un citoyen.

M. Conacher: Oui, mais il aura le droit et le pouvoir d'innocenter le parlementaire, ce que personne n'est en mesure de faire aujourd'hui. Vous avez une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Vous courez des risques plus grands sans code qu'avec un code. Sans mécanisme d'application indépendant, vous continuerez d'être menacé puisque les Canadiens et quiconque s'est penché avec sérieux sur cette question considèrent le conseiller en éthique actuel et toute structure qui imiterait ou perpétuerait ce système comme tout à fait biaisé en faveur du parti au pouvoir.

Le sénateur Smith: Je pourrais poursuivre pendant un jour ou deux, mais je vais me contenter de poser quelques questions de plus. Vous proposez que le commissaire à l'éthique, en plus de faire tout ce qui se trouve dans la proposition, agisse comme chien de garde des fonctionnaires en matière d'éthique. Je ne dis pas que personne ne devrait jouer un tel rôle ni assurer la protection des dénonciateurs. Pensez-vous qu'une seule personne ou une personne à la tête de l'effectif voulu puisse s'acquitter de toutes ces fonctions?

M. Conacher: La plate-forme de la coalition, c'est que, pour un certain nombre de raisons, on devrait constituer une commission chargée de l'éthique. L'une d'entre elles tient peut-être à la charge de travail. Le fait que nous pensons que la présence de trois personnes préservera l'indépendance du bureau en est une autre: en effet, il y aura une forme de négociation entre les trois. Si une personne décidait de protéger tel ou tel parlementaire pour des raisons de partisanerie ou autres, ce serait dangereux, et la création d'une commission composite de trois personnes constituerait à cet égard une solution préférable, en particulier si les lobbyistes et les fonctionnaires sont aussi visés.

Le sénateur Smith: Vous êtes-vous penché sur la question de la séparation de l'administration du pouvoir législatif? Ce que je veux dire par là, c'est que la personne qui occupera le poste de Howard Wilson dans sa nouvelle mouture sera différente de celle qui conseille le Parlement, sans même qu'il soit question de savoir si le Sénat et la Chambre des communes auraient un commissaire distinct. Cette question vous préoccupe-t-elle?

M. Conacher: Non, nous pensons qu'un seul bureau peut superviser tout le monde. C'est le premier ministre qui conserverait le pouvoir de sanctionner les coupables ou encore de les rétrograder. La Chambre des communes et le Sénat auraient le pouvoir d'émettre un blâme aux coupables ou encore de les chasser du Parlement. Nous sommes toujours d'avis que le commissaire à l'éthique devrait avoir le pouvoir d'imposer des amendes aux contrevenants, mais nous ne voyons pas d'inconvénients à ce qu'il n'y ait qu'un seul bureau. Dans de nombreuses administrations du Canada, on mise sur un seul bureau chargé de surveiller les ministres et tous les membres de l'assemblée législative. Cette structure ne nous pose pas de problème.

Le sénateur Smith: Nous allons peut-être devoir revenir sur ce point au cours d'une autre ronde.

M. Conacher: Certains se sont demandé si le commissaire à l'éthique pourrait faire enquête et prendre une décision, en contravention des règles de la justice naturelle. Dans quelques provinces, le commissaire à l'information compte sur une division des enquêtes qui soumet les résultats de ses démarches au commissaire. Une fois de plus, nous pensons que tout peut être regroupé au sein du même bureau, mais il faudrait pour assurer cette séparation créer une division des enquêtes: ainsi, les enquêtes seraient menées non pas par le commissaire, mais bien plutôt par une division des enquêtes qui ferait rapport au commissaire ou aux commissaires — si on opte pour une commission tripartite — à qui il reviendra de prendre une décision.

La présidente: Avant d'aller plus loin, je souligne que nous avons ici le seul Parlement bicaméral au Canada.

M. Conacher: Oui.

Le sénateur Andreychuk: Je tiens à confirmer que, à votre avis, les citoyens devraient aussi avoir le droit de déposer des plaintes, au motif que si seulement d'autres sénateurs, par exemple, étaient autorisés à le faire contre leurs collègues, le public n'aurait pas assez confiance. Pensez-vous qu'il pourrait être suffisant d'adopter des règles appropriées et adéquates et faire preuve de transparence, ou tenez-vous à ce que les citoyens puissent porter plainte?

M. Conacher: Il est toujours possible qu'un parlementaire contrevienne aux règles de l'éthique, sur la foi d'une interprétation raisonnable des règles, et donc personne ne veut porter plainte contre le comportement d'autrui.

De la même façon, le fait pour un citoyen de trouver un parlementaire qui accepte de déposer la plainte constitue un obstacle que le plaignant doit franchir. Nous pensons que chaque citoyen devrait avoir clairement le droit de déposer sa propre plainte, mais, dans ce contexte, chaque plainte devient une plainte partisane. Nous y voyons un danger pour le fonctionnement de l'ensemble du système.

Le sénateur Andreychuk: Il me semble qu'il faudrait prévoir certaines garanties si les citoyens étaient autorisés à porter plainte puisqu'il pourrait s'agir de plaintes partisanes. Lorsque je participe à une tribune téléphonique à la radio, je sais qui fera les cinq premiers appels, et l'animateur parvient habituellement à distinguer les citoyens qui présentent un point de vue légitime de ceux qui interviennent à titre d'interlocuteurs partisans. Comment faire en sorte que les plaignants soient des citoyens intervenant à titre légitime et non des personnes qui interviennent pour des raisons politiques?

M. Conacher: Si vous souhaitez vous prémunir contre les plaintes frivoles ou vexatoires, il n'y a pas de problème, mais je ne crois pas qu'il y en aura. Au cours des neuf dernières années, seulement 12 plaintes ont été portées. Les politiciens les plus visibles et les plus connus, nommément les ministres, qui sont actuellement les seuls à être visés par un code, n'ont pas fait l'objet d'un déluge de plaintes.

Comme il n'y a eu que 12 plaintes en un an, je ne crois pas qu'il soit dangereux d'autoriser les citoyens à porter plainte devant le commissaire à l'éthique. En cas d'accusations fondées sur des faits inexacts, la personne visée par la plainte peut intenter une action en libelle. Établir que le Parlement assumera les frais rattachés aux actions en libelle des parlementaires dissuadera de nombreuses personnes.

Le sénateur Andreychuk: Je ne suis pas certaine de comprendre pourquoi vous pensez qu'un commissaire pour les lobbyistes puisse en arriver à une conclusion et un commissaire pour les parlementaires, à une conclusion différente. On a affaire à des actions et à des personnes différentes. Le fait qu'un commissaire innocente un sénateur, par exemple, et qu'un lobbyiste ne le soit pas ne constitue pas en soi un conflit. On pourrait certainement adopter un mode de règlement des différends. Pourquoi tenez-vous à concentrer autant de pouvoirs dans un seul et unique bureau qui aurait pour mandat de faire enquête sur tout le monde? Étant donné la complexité des points de vue et des attitudes différentes des Canadiens, pourquoi souhaitez-vous l'établissement d'une structure aussi puissante?

M. Conacher: La règle 8 du Code de déontologie des lobbyistes transcende la ligne de démarcation entre les lobbyistes et les politiciens. Pour contrevenir à la règle 8, le lobbyiste doit placer le politicien dans une situation de conflit d'intérêts.

Le sénateur Andreychuk: Le lobbyiste peut tenter de placer le parlementaire en situation de conflit d'intérêts, mais cela ne signifie pas nécessairement que le parlementaire l'était.

M. Conacher: Exactement. Si, selon l'allégation, le lobbyiste a contrevenu à la règle 8 et que le directeur de l'inscription des lobbyistes en vient à la conclusion que le lobbyiste a contrevenu à la règle 8, le directeur de l'enregistrement statue dans les faits que le politicien se trouvait en situation de conflit d'intérêts. Si, dans ce cas, le commissaire à l'éthique estime que le politicien n'était pas en situation de conflit d'intérêts, on se retrouve face à des décisions contradictoires. Comment concilier les deux? Il suffit de réunir l'organisme chargé de faire enquête et de prendre une décision. À nos yeux, il est raisonnable de chercher à éviter les décisions contradictoires.

Si on souhaite établir un organisme d'appel chargé de régler le problème, on doit soumettre l'affaire devant une nouvelle entité. Pourquoi ne pas opter pour un seul et même organisme dès le départ, soit au niveau de la première instance, et non au niveau de l'appel?

Le sénateur Andreychuk: Le Code criminel comporte de nombreuses dispositions en vertu desquelles quiconque harcèle un témoin pourrait être reconnu coupable. Cela ne signifie pas nécessairement que le témoin a violé quelque règle que ce soit. Cela est conforme à bon nombre de dispositions qu'on retrouve ailleurs. Vous voudrez peut-être y réfléchir.

Nous avons tenu ici un certain débat sur la question de savoir si les sénateurs devraient être autorisés à siéger à des conseils d'administration commerciaux ou encore à des conseils d'administration d'ONG, d'organismes de bienfaisance. Avez-vous un point de vue à ce sujet?

M. Conacher: Du point de vue des règles?

Le sénateur Andreychuk: Les sénateurs ne sont pas dans la même situation que les députés de la Chambre des communes. Le code devrait-il interdire expressément aux sénateurs de siéger à des conseils d'administration d'entreprises ou d'organisations non gouvernementales? Voyez-vous une différence entre les deux? Pensez-vous que l'imposition d'une telle limite constituerait une restriction injuste du gagne-pain d'un sénateur?

M. Conacher: Comme je l'ai dit, les règles proposées nous conviennent. Selon leur libellé actuel, les règles instituent des normes situationnelles selon ce que fait un sénateur. Nous pensons qu'il s'agit de la meilleure solution. Un sénateur ne siégeant pas à un comité chargé de l'examen de dispositions législatives concernant les sociétés pourrait, aux termes du code, se livrer à de telles activités tant et aussi longtemps qu'elles ne contreviennent pas aux règles énoncées dans le code. Un sénateur pourrait s'adresser au commissaire à l'éthique et lui soumettre la liste des conseils d'administration des comités dont il fait partie. Le commissaire à l'éthique lui dira s'il peut ou non voter devant le Sénat réuni en séance plénière. Si le sénateur joint les rangs d'un comité, la situation sera différente. Nous pensons qu'il s'agit de la meilleure solution.

En d'autres termes, nous croyons en l'application d'une échelle progressive, c'est-à-dire l'imposition de règles plus strictes au fur et à mesure que l'intéressé monte en grade. Un député d'arrière-ban à la Chambre des communes n'est pas, du point de vue des normes éthiques, dans la même situation que le président ou le membre d'un comité. Les postes de secrétaire parlementaire et au-delà sont visés par le code existant. Il y a déjà une échelle progressive, et nous pensons qu'elle devrait être maintenue. Voilà pourquoi nous sommes d'accord avec les règles proposées.

Le sénateur Joyal: Êtes-vous inscrit auprès de Revenu Canada à titre d'organisme autorisé à émettre des reçus d'impôt pour les personnes qui versent des fonds à Démocratie en surveillance?

M. Conacher: Non, ne n'émettons pas de reçus d'impôt. Nous sommes visés par la Partie II de la Loi canadienne sur les sociétés par actions.

Le sénateur Joyal: En ce qui concerne la question de l'éthique en général, Démocratie en surveillance a, à titre de groupe ou de collectif, comme vous le dites, un objectif très ambitieux. Comment conciliez-vous le droit à la vie privée des titulaires d'une charge publique et leur responsabilité publique? Comment établir l'équilibre entre les deux?

Selon la Charte, tous les Canadiens ont le droit à la vie privée. En acceptant une charge publique, on ne renonce pas à ce droit, qui est un droit humain.

Avez-vous déjà publié un document ou une réflexion sur l'équilibre entre le droit à la vie privée et la responsabilité d'un personnage public, par exemple un parlementaire? À votre avis, comment pouvons-nous parvenir à l'équilibre? Tout le monde est pour la vertu; tout le monde est pour la maternité; mais nous avons affaire à des êtres de chair et de sang qui ont des droits. Le seul fait qu'ils ont été élus n'annule pas ces droits. Un parlementaire doit prêter serment, au même titre qu'un médecin, au même titre qu'un avocat. À mes yeux, cela a un sens.

Comment établir l'équilibre? Vous avez présenté un exposé très détaillé sur divers points, mais j'ai du mal à comprendre la philosophie qui sous-tend votre position.

M. Conacher: Si vous voulez parler de la divulgation des actifs, nous sommes d'accord avec l'équilibre établi dans les règles proposées. Nous pensons que le régime qui a été soumis à votre examen est celui qui devrait être adopté.

Certains fixeraient peut-être la limite ailleurs. Vous entendrez des représentants de l'Association des conjoints. Par le passé, ils se sont prononcés contre la divulgation complète des actifs des conjoints et des personnes à charge, qui constituent selon eux une atteinte à la vie privée. La position de la coalition, c'est que les actifs des titulaires d'une charge publique, de son conjoint et de ses personnes à charge devraient être divulgués.

En ce qui concerne les principes sous-jacents qui sous-tendent cette position, nous ne les avons pas examinés, sauf du point de vue des extraits d'arrêts de la Cour suprême du Canada que j'ai cités. Compte tenu de la confiance et des lourdes responsabilités qui se rattachent aux charges publiques, il est normal que les fonctionnaires du gouvernement doivent se conformer à des codes d'éthique qui, pour un simple citoyen, seraient très sévères. La question reste à explorer au niveau fédéral simplement parce qu'il n'y a pas de code.

N'ayant pas encore examiné cette question, nous devrions l'analyser au cas par cas et voir où des problèmes particuliers se posent. Nous abordons la question sous l'angle général de l'accès à l'information. Nous nous intéressons aussi à cette question.

Pour prendre un autre cas précis, nous pensons que le registre des rencontres que le premier ministre tient dans son bureau dans l'exercice de ses fonctions devrait être rendu public aux termes de la Loi sur l'accès à l'information puisqu'il ne s'agit pas de rencontres personnelles. Ce sont des rencontres qu'il tient dans l'exercice de ses fonctions à titre de titulaire d'une charge publique. Si des membres de sa famille viennent lui rendre visite et qu'il n'est pas question des affaires du gouvernement, les sections concernées du registre pourraient être supprimées avant la divulgation.

Pour vous donner un autre exemple où nous jugeons opportun d'établir une distinction entre le droit à la vie privée et la responsabilité publique, nous pensons que les ministres doivent être imputables, compte tenu de la confiance et des lourdes responsabilités qui se rattachent aux charges publiques.

Le sénateur Joyal: Je vais essayer d'être plus précis. Je tiens à comprendre les principes qui sous-tendent votre position.

Avez-vous examiné les arrêts de la Cour suprême portant sur l'interprétation du droit à la vie privée enchâssé dans la Charte? Avez-vous examiné ces affaires dans le contexte du Parlement d'aujourd'hui et de ce que nous entendons par droit à la vie privée, d'une part, et par responsabilités constitutionnelles d'un parlementaire, d'autre part?

Je vais tenter de me livrer à un exercice mental avec vous puisque votre profession, votre travail principal de tous les jours, consiste à réfléchir à ces questions et que nous espérons recevoir certaines lumières de votre part. Nous devons commencer par définir le rôle constitutionnel d'un parlementaire au Sénat ou à la Chambre des communes et à cerner les éléments essentiels pour qu'une personne s'acquitte de ce rôle et de cette responsabilité. Puis, lorsqu'une personne accepte de jouer ce rôle constitutionnel et jure ou affirme s'acquitter de telle ou de telle responsabilité au meilleur de sa connaissance, de ses capacités et de son intégrité, nous comprendrons ce que cette personne s'est engagée à respecter, dans la mesure où elle aura compris à quoi tient son droit à la vie privée. Pour nous livrer à un tel exercice, nous devons d'abord comprendre ces éléments.

Je ne veux pas vous mettre sur la sellette. Cependant, j'aimerais entendre vos réflexions sur ce que nous pouvons faire pour évaluer objectivement la proposition du gouvernement. Les mesures que nous prendrons seront importantes non seulement pour nous à titre personnel, mais aussi pour ceux qui occuperont des charges publiques au cours des années à venir.

M. Conacher: Le rôle des parlementaires n'est pas bien défini sur le plan constitutionnel ni juridique, pas plus que leurs pouvoirs et leur influence. On n'a pas vraiment examiné la question du point de vue de ce qui peut être et ne peut pas être fait. Je vous encourage à commencer par là.

Nous sommes favorables au code tel qu'il a été rédigé parce qu'il précise que, à l'avenir, le commissaire à l'éthique se penchera sur la situation et dira: «vous ne siégez à aucun comité. Vous ne votez pas sur cette question. Vous n'avez pas pris part à des discussions sur cette question. Par conséquent, ce que vous avez fait ne pose pas de problème». La situation serait toutefois différente pour les personnes qui occupent une position plus élevée sur l'échelle progressive, sur l'échelle du pouvoir et de l'influence. Parce qu'elles siègent à un comité, publient des rapports et prennent part à des débats, les personnes en question se trouveraient dans une situation différente et seraient assujetties à une norme différente. Nous n'avons pas étudié toutes les situations possibles, mais, de façon générale, nous sommes conscients de l'existence d'une échelle progressive.

Nous sommes d'accord pour dire, comme on le propose dans le code, que le commissaire à l'éthique devrait pouvoir, à sa discrétion, appliquer une norme différente, selon la position qu'occupe tel ou tel parlementaire sur l'échelle du pouvoir et de l'influence.

Le sénateur Joyal: Parmi les 12 plaintes que vous avez déposées en neuf ans, combien, à votre avis, ont été jugées fondées?

M. Conacher: Nous sommes actuellement en procédure de contrôle judiciaire à la Cour fédérale parce que le conseiller en éthique n'a pas donné suite à huit des 12 plaintes. Deux des 12 ont plus de deux ans, trois ont plus de un an et trois autres ont été déposées entre juin et octobre dernier. Le conseiller en éthique a simplement refusé de statuer sur les plaintes en question, même s'il s'est prononcé sur des questions beaucoup plus complexes que les plaintes que nous avons déposées il y a plus de deux ans. À cause de retards injustifiables, nous nous sommes adressés à la Cour fédérale pour qu'elle ordonne au Conseiller en éthique de trancher.

Parmi les huit plaintes en suspens, cinq constituent à nos yeux des cas clairs de non-respect des règles. Toutes sauf une ont trait à des lobbyistes qui ont contrevenu à la règle 8 du Code de déontologie des lobbyistes en plaçant un politicien en situation de conflit d'intérêts. Une autre porte sur le cas d'un ministre qui a quitté le gouvernement et a joint les rangs d'une société à titre de vice-président aux relations gouvernementales sans s'inscrire comme lobbyiste.

Nous ne savons pas ce qui est advenu des trois autres plaintes en suspens. C'est pourquoi je pense qu'il faut faire enquête. Même à propos de ces plaintes, le conseiller en éthique n'a rien fait, du moins d'après ce que nous voyons. Je lui ai parlé au téléphone en juin 2001, et il a promis que des décisions seraient rendues. À cette époque, nous avions cinq plaintes en suspens. Il m'a promis qu'une décision serait rendue à l'égard des cinq dans un délai de un mois. En février 2003, nous attendons encore.

Le sénateur Joyal: Combien de ces demandes portent sur des sénateurs, des députés, des ministres et des lobbyistes?

M. Conacher: Comme il n'y a pas de code pour les sénateurs et les députés, il n'y a qu'une plainte concernant un député, en l'occurrence un lobbyiste travaillant avec un député. Le Code de déontologie des lobbyistes interdit à un lobbyiste de travailler avec un titulaire d'une charge publique, y compris un député et un sénateur.

Les autres ont trait à des lobbyistes et à des ministres, sauf celle que j'ai mentionnée, c'est-à-dire une personne qui a quitté un poste de ministre pour devenir, selon nous, lobbyiste.

En juin dernier, nous avons déposé des plaintes contre certains sénateurs qui sont avocats. Certains barreaux du pays ont une règle applicable aux avocats qui occupent une charge publique. À titre d'exemple, le Barreau du Haut- Canada dit ceci: si vous occupez une charge publique et que vous êtes avocat vous devez, s'il y a la moindre apparence de conflit d'intérêts, le déclarer publiquement et ne pas participer à des débats sur la question en jeu.

À cause de l'inaction du conseiller en éthique dans quelques dossiers, nous avons décidé de faire intervenir les barreaux et de porter plainte contre des sénateurs qui sont avocats et qui, à notre avis devraient faire l'objet d'une enquête pour non-respect éventuel de la norme imposée par les barreaux concernant les conflits d'intérêts.

Le sénateur Joyal: Où en est ce dossier?

M. Conacher: Nous attendons la réponse des barreaux au sujet des détails de la plupart des plaintes.

La présidente: De combien de plaintes parlons-nous?

M. Conacher: Nous attendons toujours relativement à quatre des cinq plaintes qui ont été portées.

Le sénateur Stratton: Depuis combien de temps?

M. Conacher: Nous les avons déposées en juin dernier.

Le sénateur Joyal: Avez-vous été invité à témoigner par le comité disciplinaire du barreau?

M. Conacher: Non, pas encore.

Une fois de plus, il devrait y avoir un code pour les députés et les sénateurs. Un tel code a été introduit en 1997. Il aurait aujourd'hui dû être adopté. Nous continuerons d'exercer des pressions en ce sens.

Le sénateur Rompkey: Je dois tout de suite déclarer un préjugé défavorable à l'endroit de certains des membres de la Government Ethics Coalition. Je fais en particulier référence au Fonds international pour la défense des animaux. Là d'où je viens, c'est-à-dire Terre-Neuve et le Labrador, ces gens sont l'ennemi public no 1 et sont peut-être l'un des groupes les moins respectueux de l'éthique de l'histoire du pays: en effet, ils ont qualifié de meurtriers de paisibles pêcheurs qui tirent leur subsistance de la mer depuis des centaines d'années, des personnes de ma province et des Îles- de-la-Madeleine, dont le gagne-pain a été détruit. Cela comprend aussi les Inuits de l'Arctique, dont la culture repose sur la chasse au phoque. Ils chassent le phoque pour se nourrir et aussi pour gagner de l'argent.

Je pense que ce groupe est l'un des moins respectueux de l'éthique que nous ayons rencontrés, et je tenais à le préciser dès le départ aux fins du compte rendu.

Ma question porte sur la situation des conjoints. Pensez-vous que les conjoints devraient être tenus de déclarer leurs avoirs et que le code régissant les conflits d'intérêts devraient s'appliquer aux conjoints tout autant qu'aux parlementaires?

Avant de répondre à la question, peut-être pourriez-vous nous donner une définition de «conjoint»? Parfois, cette notion nous donne du fil à retordre.

M. Conacher: Sur ce dernier point, je comprends que la définition vous donne du mal. Les tribunaux en sont là, eux aussi. Je pense que la notion sera sujette à des interprétations et à des modifications constantes, étant donné que, au moment où on se parle, le gouvernement fédéral tient des audiences à ce sujet.

Nous sommes favorables au code tel que libellé, lequel n'assujettit pas les conjoints et les personnes à charge aux exigences relatives à la divulgation. La coalition est d'avis que la règle devrait demeurer dans le code.

Le sénateur Smith: Je sais que vous êtes favorable à la divulgation. Dans ce cas, combien le Fonds international pour la défense des animaux a-t-il versé à Démocratie en surveillance? Pouvez-vous nous le dire?

M. Conacher: Il ne nous a rien versé. Ce ne sont pas tous les groupes qui nous versent une contribution.

Le sénateur Smith: Pourquoi fait-il partie de la liste que nous avons ici?

M. Conacher: Il a joint les rangs de la coalition, dont il appuie la plate-forme. Nous n'obligeons pas les groupes à apporter une contribution, même si nous les invitons à le faire.

Le sénateur Smith: Quand la demande de contrôle judiciaire a-t-elle été déposée?

M. Conacher: Le 11 décembre 2002.

Le sénateur Smith: J'ai été agréablement surpris par votre réponse à la question du sénateur Andreychuk à propos des conseils d'administration. Elle m'a semblé juste.

Cependant, l'une de vos positions continue de me surprendre. Je me demande pourquoi vous ne vous inquiétez pas du fait que la même personne puisse agir comme commissaire pour la conduite des ministres et celle des parlementaires. Si nous appliquions le régime américain, où les pouvoirs sont séparés, ce ne serait pas aussi préoccupant. Cependant, en vertu du régime parlementaire britannique — le régime qu'on préfère est une affaire d'opinion —, il est juste de dire que les parlementaires, indépendamment de la Chambre où ils siègent, sont d'avis qu'un principe important est ici en jeu.

Dissocions le titulaire du poste de premier ministre à telle ou telle époque du poste de commissaire à l'éthique. La question est sans objet: en effet, n'est-il pas presque inévitable que la personne nommée au poste de premier ministre imposera un point de vue administratif? La personne chargée de superviser les ministres et les parlementaires dira: «Voici le sentier que vous devez emprunter. N'en déviez pas». Ne s'agit-il pas d'une contradiction fondamentale du principe de la séparation entre l'administration et les parlementaires?

M. Conacher: Si on respecte la structure actuelle des postes de commissaire à l'éthique, où il y a deux postes de conseiller en éthique et que celui qui supervise les lobbyistes exerce des pouvoirs conférés par la loi, comme ce serait le cas pour le commissaire à l'éthique proposé, le titulaire exercera donc les pouvoirs d'un juge d'enquête et pourra faire l'objet d'un contrôle judiciaire. Comme je l'ai indiqué, nous avons présenté deux demandes de contrôle judiciaire à l'égard du conseiller en éthique.

Si vous créez un poste dont le titulaire exerce des pouvoirs en vertu de la loi, vous aurez beau avoir deux commissaires à l'éthique, un pour les parlementaires et l'autre pour le pouvoir exécutif, le ministère, ils seront tous deux sujets à un contrôle judiciaire. Un tribunal sera chargé d'établir si leurs interprétations des règles sont justes ou contiennent des erreurs de droit. Ainsi, vous finirez avec une seule norme.

Le sénateur Smith: C'est là un autre sujet de préoccupation. Au bout du compte, au moins en ce qui a trait aux députés de la Chambre des communes, ce sont les personnes qui prennent ces décisions qui sont responsables des nominations et doivent être élues, tandis que, à ce que je sache, les juges ne le sont pas.

M. Conacher: Oui, on pourrait faire appel à deux commissaires différents. Nous disons simplement qu'il faut changer le mécanisme de nomination pour faire en sorte que tous les parlementaires soient appelés à approuver la personne choisie. Puis, on aurait affaire à une personne qui satisfait tout le monde et non à une personne qui représente simplement le premier ministre. Dans le code proposé pour les députés et les sénateurs, on retrouve des formulations analogues à celles du code qui s'appliquent aux ministres. Souhaitez-vous des interprétations différentes de ces règles? Ce n'est pas la solution qui nous paraît la plus sensée, du point de vue de la mise en place d'un régime clair, ouvert et efficace où chacun connaît la norme de comportement attendue et les limites qui peuvent et ne peuvent pas être franchies.

Le sénateur Smith: Ne pourrait-on pas faire la même chose avec des juges différents?

M. Conacher: Oui, et tôt ou tard il y aura un appel. Pourquoi ne pas opter pour un seul juge en première instance, au lieu de deux ou trois?

La présidente: Le temps file. Nous devons accélérer.

Il me semble, monsieur Conacher, que vous avez proposé que tout soit rendu public; ce qu'on découvre devrait être porté à l'attention du commissaire à l'éthique et rendu public.

Pour bien fonctionner, le système, me semble-t-il, devrait fonctionner selon le principe du secret professionnel, l'établissement d'un lien de confiance entre les députés et le commissaire de même qu'entre les sénateurs et le commissaire, de façon qu'ils révèlent effectivement ce qu'ils sont censés révéler. Pour que le système fonctionne et pour que le principe de la divulgation totale soit appliqué, on doit cependant prévoir une certaine mesure de respect de la vie privée et de confiance. Il me semble que c'est ainsi qu'on permettrait aux sénateurs de s'occuper adéquatement de leurs affaires privées et d'organiser leur vie, de manière à ne pas se placer en situation de conflit d'intérêts.

J'aimerais savoir où, selon vous, la ligne de démarcation entre la divulgation et la non-divulgation doit être établie. Il me semble qu'un certain lien de confiance doit être établi entre le commissaire et les personnes qui lui divulguent des renseignements, faute de quoi le système ne fonctionnera pas.

M. Conacher: Dans les avis consultatifs, il n'est pas nécessaire d'identifier le parlementaire qui a présenté la demande. C'est là que nous traçons la ligne de démarcation en ce qui touche la divulgation. Imaginons que vous vous adressiez au commissaire à l'éthique pour lui poser la question suivante: «J'ai lu telle ou telle règle, et on m'invite à prendre part à telle ou telle manifestation ou à siéger à tel ou tel conseil d'administration. Puis-je le faire?» Vous n'avez encore rien fait, et vous ne faites donc pas l'objet d'une enquête pour non-respect des règles. Vous demandez simplement un avis. L'avis consultatif est émis. Le nom du parlementaire ne figure pas. Le principe s'appuie sur le fait qu'un parlementaire s'est adressé au commissaire et a décrit une situation particulière et que, ensuite, le commissaire l'a orienté vers la règle applicable et son interprétation. Tout le monde connaîtra la norme, et les autres parlementaires, vis-à-vis de comportements futurs, auront une idée claire de la situation. Je ne veux pas dire qu'ils ne devraient pas s'adresser au commissaire à l'éthique avant d'aller de l'avant, mais ils auront de meilleures orientations que la simple formulation de la règle. Il y aura une interprétation de la règle. On étoffera une norme de mieux en mieux connue, et les lignes seront de mieux en mieux définies au fil du temps.

La présidente: Vous faites référence à la divulgation générale, et non à la divulgation personnelle. Il me semble que cela est conforme au mode de fonctionnement des commissaires provinciaux, c'est-à-dire la divulgation générale.

M. Conacher: Exactement. Vous n'auriez pas à dire s'il s'agit d'un sénateur ou d'un député à moins qu'il ne s'agisse d'un cas particulier applicable à l'un ou à l'autre en raison du libellé des règles. On indiquerait seulement qu'un parlementaire a présenté une demande d'orientation, la situation serait décrite, et un bulletin d'interprétation de la règle serait fourni.

Le sénateur Joyal: Je veux nuancer ce que vous avez dit à propos d'un parlementaire qui, au cas où il ferait l'objet d'allégations, bénéficierait des ressources du Parlement pour se défendre. À ma connaissance, ce n'est pas exact. J'ai moi-même fait l'objet d'une allégation, et j'ai dû faire appel aux tribunaux, mais le Sénat ne m'a pas aidé à assumer les frais. À ma connaissance, les autres sénateurs qui font l'objet de certaines de vos allégations n'ont jamais reçu d'argent de la part du Sénat pour se défendre.

Vous devriez nuancer parce qu'il s'agit d'un élément très important. Dire n'importe quoi à propos de n'importe qui, puis affirmer — eh bien, vous savez, il y a un dicton de Voltaire auquel je vous invite à réfléchir: Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose. Si nous souhaitons appliquer une norme éthique élevée, la norme doit s'appliquer tout autant à l'auteur de l'allégation qu'à celui qui en est le sujet. Dire qu'on peut toujours accuser quelqu'un qui bénéficie de l'argent du Parlement pour se défendre, c'est mal interpréter la façon dont le Parlement se comporte du point de vue de la responsabilité de ses membres. Comment nuanceriez-vous vos propos?

La présidente: Une telle situation aurait des conséquences particulières pour un député faisant l'objet d'accusations avant une élection. Dans ce cas, l'intéressé n'aurait pas le temps de dissiper les soupçons.

M. Conacher: Oui, et il n'y a pas de solution, à moins de retirer la liberté d'expression protégée par la Charte. La présence d'un chien de garde indépendant que le public croie lorsqu'il affirme que telle ou telle personne a été innocentée contribuerait grandement à clarifier la situation. Ainsi, les allégations ne planeront plus sur vos têtes comme c'est le cas de celles qui sont présentées au conseiller en éthique actuel, parce qu'il n'a aucune indépendance et aucun pouvoir d'enquête. Il est incapable de faire enquête ni d'innocenter qui que ce soit.

S'il y a un manque à gagner pour ce qui est des dépenses que le Parlement doit prendre en charge, je vous suggérerais d'essayer d'intégrer cela à ce système. Comme je l'ai dit, l'interdiction des plaintes frivoles et vexatoires ferait notre bonheur. Une protection supplémentaire provient du fait que le commissaire à l'éthique doit avoir des motifs raisonnables de croire que quelque chose justifie la mise en branle d'une enquête, de sorte que les gens auraient à faire valoir des éléments de preuve, plutôt que de faire simplement des conjectures, avant qu'une enquête puisse avoir lieu. Voilà les protections dont il est question.

Dans l'ensemble, je comprends les difficultés dont il s'agit, mais il est question ici de la cinquième tentative faite pour instaurer un code. Nombre d'autres professions disposent d'un code depuis des années, sinon des décennies. Visiblement, il est temps que vous en ayez un.

La présidente: Merci, monsieur Conacher.

Nous accueillons, en vue de la deuxième partie de notre réunion ce matin, Mme Finlay, qui est présidente de l'Association des conjoints de parlementaires et qui est accompagnée de l'agente d'administration et de logistique de son organisation, Mme Simms, et de M. Poy, qui témoigne aujourd'hui à deux titres, soit à celui d'ex-président de l'organisation et celui de conjoint d'un sénateur.

Mme Mary Anne Silverthorn Finlay, présidente, Association des conjoints de parlementaires: Au nom de l'Association des conjoints de parlementaires, je tiens à vous remercier de nous avoir invités à témoigner aujourd'hui. Je suis accompagnée aujourd'hui de M. Poy, qui est membre de notre association lui aussi, de même que de Mme Simms, qui fait partie de notre personnel. Cathy Hayes et Harvey Slack regrettent de ne pouvoir assister à l'audience de matin.

Il importe que les membres du comité comprennent qui sont les conjoints de parlementaires; permettez-moi donc de vous faire un bref historique de l'organisation. L'Association des conjoints de parlementaires a été établie en 1950 en vue de fournir un soutien aux personnes ayant en commun des situations et des décisions en tant que conjoints parlementaires; de servir le public par un appui non sectaire du régime parlementaire au Canada; et de favoriser de bonnes relations entre les conjoints des membres du Sénat et de la Chambre des communes du Canada.

Le nombre de membres de l'association pour l'année qui vient de s'écouler s'élève à 314, dont 71 sont des conjoints de membres du Sénat, et 243, des conjoints de membres de la Chambre des communes. Nous formons un groupe complexe. En moyenne, une cinquantaine de personnes assistent aux réunions que nous tenons. Permettez-moi d'expliquer.

L'organisation non sectaire que nous formons compte des membres qui viennent de partout, de l'Arctique au Pacifique à l'Atlantique. Nos méthodes de communication sont le bulletin, le courriel et le téléphone. Notre association compte des hommes et des femmes parmi ses membres. Nous avons des membres qui restent à la maison et s'occupent des enfants, nous en avons qui ne travaillent pas ou qui travaillent à domicile. Certains sont en affaires; d'autres sont retraités. Nous avons parmi nos membres des professionnels: des avocats, des enseignants, des comptables, des professionnels de la santé et d'autres encore. Du fait d'habiter loin de la capitale ou d'engagements à la maison, il est impossible pour certains d'entre eux de se rendre à Ottawa. Cet historique vous donne une idée de la diversité de notre association.

Pourquoi souhaiterions-nous nous adresser à votre comité et au comité de la Chambre au sujet de la divulgation des actifs des conjoints? Je vous renvoie à un document que le président du comité de la Chambre a remis aux députés, en date du 19 décembre 2002: document de travail sur le code de conduite des députés à la Chambre des communes. Il y est question des sénateurs à la page 3, point 4, numéro 2. Il y est dit que les règles de divulgation s'appliquant aux députés de la Chambre des communes s'appliquent aussi aux conjoints, bien que la forme précise de divulgation dont il doit s'agir et d'autres précisions demeurent à déterminer. La divulgation des actifs des conjoints constitue une importante forme de protection des parlementaires, et cela tient compte de la réalité de la famille moderne. De même, la pratique concorde avec ce qui se fait ailleurs.

Mes observations ne se fondent pas sur le résultat d'enquêtes réalisées auprès de nos membres ni de séances de consultation menées auprès d'autres personnes; mes observations sont fondées sur les commentaires que les gens m'ont faits de vive voix, à moi et au personnel du bureau, et sur des données tirées d'un exposé de l'ex-président de notre association à un comité semblable, à la Chambre des communes, en 1996. À ce moment-là, l'actuel président de la Chambre des communes était le président du comité en question, le Comité Oliver-Milliken. L'information qui se trouve dans le rapport produit par ce comité laisse voir les préoccupations de nos membres, préoccupations qui demeurent actuelles. Ce sont des préoccupations de nature générale.

Depuis 1966, les conjoints de ministres et (ou) de secrétaires parlementaires connaissent très bien le processus de divulgation et y participent. Je fais référence ici au code du premier ministre. Ce n'est pas le processus qui nous inquiète; c'est de savoir ce que l'on fera des informations divulguées et qui y aura accès. Est-ce que ce sera accessible au public? Permettez-moi de citer le mémoire de l'ex-président à la Chambre des communes:

Nous ne nous opposons pas à l'énumération des actifs; nous avons plutôt une divergence d'opinion quant à la manière précise de procéder. Nous ne nous opposons pas à une évaluation et une divulgation de la valeur nette. Nous croyons tout de même qu'il est intéressant de savoir que certains des grands artisans dans ce dossier de divulgation sont les éditeurs de journaux. Nous préférons la divulgation derrière des portes closes, par la voie d'un intermédiaire, à la divulgation publique.

Nous reconnaissons le fait que la divulgation s'impose, mais nous devons insister sur le fait qu'il est dans notre intérêt de préserver les intérêts privés légitimes de nos membres. Notre souhait, c'est de voir un niveau de divulgation qui satisfait le public, sans aller trop loin.

Je vais vous faire part de renseignements d'ordre personnel. Mon mari vient d'achever un mandat en tant que secrétaire parlementaire. Au moment d'aborder ce mandat, nous avons été appelés à mettre nos actifs dans un fonds fiduciaire sans droit de regard. Nous nous sommes pliés à la démarche et avons constaté que c'était très intéressant et très éclairant. Comme il s'agit dans la majeure partie d'avoirs communs, j'ai mis moi aussi mes actifs dans le fonds fiduciaire. Le conseiller à l'éthique a déterminé que l'un de mes biens personnels pouvait présenter un problème. Afin d'être à l'abri de tout reproche, j'ai donc choisi de vendre cet ensemble de biens particuliers et, chose incroyable, cela m'a donné un gain très intéressant. Qu'est-ce qui est arrivé au moment de l'impôt? Vous pouvez bien l'imaginer, et je paie encore pour les bienfaits que j'ai tirés de cela, pour ainsi dire, à cause de l'effet sur tout impôt sur le revenu.

Un autre membre de notre association m'a dit qu'il a vécu une expérience qui est tout à fait à l'inverse. Du fait de la divulgation, il a cru bon de vendre certaines actions, ce qui lui a fait subir une grande perte.

Je vais vous donner un autre exemple personnel. Mon mari détenait et détient toujours des parts dans un grand hôtel de la ville où nous habitons; or, s'il continuait de siéger au conseil d'administration, il allait être considéré comme étant en conflit d'intérêts. Il a démissionné de son poste de membre du conseil. Quelques années plus tard, on m'a demandé à moi de devenir membre de ce conseil. Connaissant la démarche à laquelle nous venions tout juste de nous plier, j'ai décliné l'offre. Quand j'ai analysé la situation, j'ai dû m'interroger sur ce que toute cette démarche me faisait à moi en tant qu'individu. C'était comme si je ne pouvais m'occuper de ma propre carrière. Si nous avions sollicité les conseils d'un juriste, je n'aurais peut-être pas refusé l'offre, mais, au début, je croyais qu'il était nécessaire d'être à l'abri de tout reproche.

Plusieurs des conjoints sont avocats ou sont en affaires. Permettez-moi de vous poser quelques questions. Si un avocat est associé dans une entreprise, faut-il alors qu'il déclare les actifs de l'entreprise dans son ensemble? Qu'en est-il alors des droits des associés? Quel impact cela a-t-il sur la vie privée?

Nombre d'entre nous, quand nous sommes à la maison, dans la circonscription, vivons seuls. Si nous en venons à l'obligation de divulguer publiquement nos actifs, il y a des gens qui vont pouvoir déterminer notre valeur, pour ainsi dire, puis nous nous retrouverons avec une menace qui pèse sur notre sécurité personnelle et notre vie privée. Voilà ce que ressentent bon nombre d'entre nous. Quel sentiment de sécurité pouvons-nous avoir si cette information est rendue publique?

J'ai lu plusieurs articles controversés sur la méthode de divulgation. Un des articles en question laisse entendre que dès qu'une personne est élue à la Chambre des communes, il doit y avoir divulgation, de la part du député et de la part du conjoint. Je me demande, tout comme le font les membres de notre association, si nous ne sommes pas en train de limiter par cela le nombre de gens qui envisagent de se lancer en politique.

En tant que conjoints, nous souhaitons être vus comme étant coopératifs, mais nous souhaitons également être renseignés. Nous voulons être partie prenante de la démarche, plutôt que de voir un code ou une procédure nous être imposés. Nous choisissons d'être conjoints, mais nous souhaitons également pouvoir continuer d'être des individus, à titre d'homme ou de femme d'affaires ou encore de professionnel, sans qu'il y ait de déclaration publique. Nous souhaitons que vous sachiez bien que, en tant que conjoints, nous faisons partie intégrante du tableau d'ensemble.

Voilà qui conclut mes observations générales, et je crois bien que la période de questions permettra au comité d'obtenir nettement plus d'information.

La présidente: Je dois vous demander: si on pouvait vous convaincre qu'il n'y aurait bel et bien aucune divulgation au public et que les valeurs ainsi établies ne seraient pas rendues publiques, cette mesure vous paraîtrait-elle satisfaisante?

Mme Finlay: Je pourrais répondre à cela par la négative en disant que notre premier choix, c'est une divulgation de nature très privée. Cela ne nous pose aucune difficulté. Nous nous soucions de la divulgation publique de ces renseignements, et nous nous inquiétons beaucoup de savoir jusqu'à quel point cela serait public. Si on pouvait nous donner des garanties, nous serions probablement nettement plus à l'aise que nous le sommes en ce moment, étant donné la situation où nous nous trouvons.

La présidente: Je me souviens d'avoir jeté un coup d'œil au formulaire que doivent remplir les élus de l'Assemblée législative de l'Ontario. Non seulement ils doivent donner l'adresse exacte de biens immobiliers et de leur domicile, mais en plus, ils doivent préciser la valeur exacte de tout ce qu'ils possèdent. Il me semble que vous avez raison. Cela équivaut à mettre les conjoints, qui sont là seuls, dans la position de victimes éventuelles.

Le sénateur Rompkey: Je pose ma question à titre de conjoint d'un conjoint de parlementaire et d'administrateur de l'Association des conjoints de parlementaires. Je devrais déclarer mon conflit d'intérêts dès le départ. Ma conjointe fait partie de cette association depuis 31 ans maintenant.

Mme Finlay: Et il est très actif.

Le sénateur Rompkey: Cela dit, je voulais vous demander de trouver pour moi un certain terrain d'entente entre les deux positions — celle qui s'articule autour des droits des individus et celle qui repose sur les avantages possibles de la divulgation. Le conseiller à l'éthique nous a dit que les conjoints de parlementaires peuvent y trouver quelque avantage ou quelque valeur. Qu'en pensez-vous?

Par le passé, à l'inverse, certaines personnes ont fait valoir en guise d'argument que les conjoints sont des individus. À la dernière réunion, j'ai soulevé l'exemple de Jane Crosbie, épouse de John. Il a dû déclarer ses actifs parce qu'il était ministre, mais il a tenu mordicus à faire valoir qu'elle était un individu elle-même et qu'elle avait certains droits en tant qu'individu.

J'aimerais que vous trouviez une sorte de terrain d'entente entre ces deux points de vue.

Mme Finlay: Je ne suis pas sûre de pouvoir trouver un terrain d'entente. Nombre de fois, j'ai lu avec intérêt, et avec horreur — je ne crois pas tout ce qui est publié dans les médias — les observations du conseiller à l'éthique.

Comme vous l'avez fait voir, le conseiller fait remarquer que certains membres se retrouveront par exemple dans une situation où ils choisiront de démissionner du fait d'un conflit en ce qui concerne les actifs de leur conjoint. Cela me ramène à la question rhétorique que j'avais posée: pouvons-nous nous permettre de limiter le nombre de personnes qui envisagent une charge publique?

Le principal souci que nous avons, à l'association des conjoints, c'est d'assumer et de préserver nos identités personnelles. Je songe à l'une des présidentes de notre association, qui a fait valoir dans son mémoire: mon mari a choisi de devenir parlementaire, et je l'appuie. Je choisis de demeurer à la maison, pour ainsi dire, et de jouer un rôle discret. Je veux préserver ce genre de vie personnelle, de vie privée.

Où faut-il tracer la ligne de démarcation? Je n'en ai pas la moindre idée. J'ai parlé à bien des gens de notre association, qui ne seraient pas du tout embêtés à l'idée de divulguer leurs actifs de façon privée, face à face avec un commissaire à l'éthique. Le document auquel a fait allusion le président, dans le cas de l'assemblée législative de l'Ontario, me paraît très choquant, personnellement. Il m'enlève tous mes droits privés. Pour savoir où les deux se distinguent, où ils se rencontrent, il nous faut des lignes directrices très précises, très claires. C'est de notre vie personnelle que nous nous soucions. Les gens qui vaquent à leurs affaires personnelles souhaitent préserver leur identité.

Le sénateur Rompkey: Que pensez-vous du témoignage auquel nous avons eu droit, selon lequel certains conjoints y ont trouvé leur compte, ont tiré quelque chose de la divulgation? Est-ce que cela s'est avéré pour vous?

Mme Finlay: Je ne suis consciente d'aucun avantage à cet égard, à moins de prendre au sérieux la boutade d'un conjoint qui a dit: J'ai pu savoir ce que je valais vraiment. Si c'est un avantage ou non, je ne le sais pas.

Le sénateur Smith: Vous avez droit à mon empathie totale et entière. Je ne poserais même pas la question si vous n'aviez pas soulevé cela. Cela me mystifie de connaître la décision à laquelle vous avez fait allusion en ce qui concerne l'investissement dans l'hôtel. Je comprendrais si votre mari avait été secrétaire parlementaire à l'époque, mais le fonds fiduciaire sans droit de regard n'aurait-il pas réglé toute cette question?

Mme Finlay: Il était secrétaire parlementaire à l'époque, et le fonds fiduciaire a permis de tout régler, une fois qu'il a démissionné de son poste au conseil d'administration.

Le sénateur Smith: Certes, personne n'a laissé entendre que vous n'aviez pas le droit de siéger au conseil d'administration, n'est-ce pas? Cela me troublerait beaucoup.

Mme Finlay: Personne ne m'a dit cela en tant que tel. Simplement, j'ai trouvé qu'il était difficile d'adopter cette position. Il s'était retiré de la situation en question. Nous formons un couple qui parle, à la maison. Je voulais être, comme on dit, à l'abri de tout reproche.

Le sénateur Smith: Il n'aurait même pas eu de problème comme député ordinaire. Vous auriez été, et vous auriez continué d'être, blanche comme neige.

Mme Finlay: Je deviens parfois paranoïaque à propos de ce qui peut devenir public.

Le sénateur Joyal: J'aimerais revenir à la question de l'équilibre entre le droit à la vie privée et le droit du public de s'attendre que ses représentants exercent leurs fonctions constitutionnelles avec diligence. À votre avis, quelle serait la définition du terme conjoint?

Mme Finlay: Mon avis à moi, personnellement?

Le sénateur Joyal: D'après ce que vous en savez, qu'est-ce qu'un conjoint?

La présidente: Je crois que, pendant que vous y pensez, madame Finlay, le code proposé définit le «conjoint» comme étant une personne mariée et qu'il renferme une disposition concernant les conjoints de fait, qu'ils soient du même sexe ou non.

Mme Finlay: J'allais me reporter à la définition du document.

Le sénateur Joyal: D'après ce que vous en savez, le conjoint est défini comme étant, d'abord, la personne qui est mariée au sens légal du terme. La notion juridique est très claire. Ensuite, en deuxième lieu, le conjoint de fait est inclus dans cela, c'est-à-dire la situation où deux personnes vivent une relation conjugale pendant une période de un an. Est- ce ainsi que vous voyez les choses?

Mme Finlay: Oui.

Le sénateur Joyal: À votre avis, la relation juridique qui régit les actifs de chacun des conjoints dans une telle relation est-elle importante? Je vais poser une question plus précise. Il existe diverses formes d'arrangements juridiques pour deux personnes qui acceptent d'avoir une vie commune. Elles peuvent partager leurs biens. C'est ce qui est qualifié de «communauté de biens» dans le système français. Tout ce qui appartient à un membre, l'autre peut en réclamer la moitié. Bien entendu, il existe d'autres arrangements juridiques où chacun des conjoints préserve ses biens de manière distincte.

Et puis il y a, bien entendu, l'union libre où c'est une zone de compromis qui s'applique toujours, à moins qu'il y ait un contrat clairement établi entre les deux personnes.

Est-ce que cela a quelque impact sur la définition de la divulgation? Nous visons cette relation quand nous parlons de la divulgation des actifs. Dans les cas où il y a communauté de biens, tout ce qu'un conjoint fait peut être à l'avantage de l'autre. Cela peut soulever certaines questions. Tout de même, si les deux conjoints ont des possessions tout à fait distinctes et une autonomie parfaite, sous un régime qui est reconnu en droit et qui est sanctionné par les dispositions législatives applicables, selon moi, cela a aussi une incidence sur la question, surtout pour ce qui est de la période qui commence en l'an 2000. Nous ne sommes plus au XXe siècle, à l'époque où l'homme était dominant dans le couple. Nous avons inscrit en droit le principe de l'égalité des sexes. Cela devrait avoir un sens. Nous devrions pouvoir tirer certaines conclusions quand vient le temps de définir un système qui a une incidence sur l'égalité et le degré d'autonomie de chacun des deux conjoints. C'est ce que nous faisons en imposant une obligation à l'un des conjoints, qui n'est pas partie à l'obligation, contractée sous serment par le député ou le sénateur.

Ma question est peut-être trop précise, mais j'essaie de comprendre ce qui se passe. En dernière analyse, il est question ici de droits. Comme vous l'avez dit vous-même, il s'agit ici de vos droits et des droits de tout autre conjoint qui se trouve dans une situation semblable.

Je veux essayer de comprendre l'incidence du régime juridique que les conjoints ont choisi d'adopter. Nous imposons l'obligation de divulgation à deux personnes qui ont le droit — et c'est un droit qui est reconnu tout à fait en droit et notamment dans la Charte — de décider pour elle-même de leur situation juridique.

J'essaie de comprendre cela. Comme vous l'avez dit, tout le monde est en faveur de la vertu. Nous souhaitons paraître être sans reproche. Toutefois, nous ne pouvons le faire si le prix à payer est de renoncer aux droits et de faire fi des décisions prises par les gens, certains d'entre eux, avant de s'engager dans la vie publique. Pourriez-vous nous dire ce que vous pensez de cela?

Mme Finlay: Je ne suis pas avocate, mais j'essaie de me plier aux lois. Il existe certaines situations, auxquelles vous avez fait allusion, où c'est le droit qui détermine ce qui va arriver. Par exemple, si vous vous engagez dans une union libre, il y aura certains biens que vous allez choisir de garder en tant qu'individu, et d'autres encore que vous allez acquérir dans le cadre de la relation. Ce serait les avoirs communs. Si quelqu'un épouse un parlementaire, les avoirs communs de cette personne et de son conjoint devront être divulgués. Là où la question de l'individu et de la vie privée entre en ligne de compte, c'est en rapport avec les biens qui m'appartiennent en propre, par rapport à l'autre conjoint, et pour lesquels il n'y a pas de divulgation nécessaire. Cela dit, il faudrait que je consulte un juriste pour connaître ce qui, dans l'union libre, est considéré comme distinct et ce qui est considéré comme commun.

Je ne suis pas sûr d'avoir répondu à l'une de vos questions.

Le sénateur Joyal: C'est là un élément important de la décision que nous allons prendre. Je soulève la question ce matin parce que je souhaite que nous ayons tous à l'esprit le souci que j'ai moi-même quand je pense que nous obligeons un conjoint qui a décidé, avec l'autre, de préserver une emprise totale sur ses biens, de s'assujettir à un régime où il y a l'obligation légale de divulguer les actifs.

Cela soulève une question importante: la nature de la relation entre deux personnes est changée. Si nous faisons cela, je veux que nous réfléchissions vraiment pour savoir jusqu'à quel point nous sommes prêts à aller pour atteindre l'équilibre entre ce dont vous avez parlé, c'est-à-dire l'équilibre entre les droits relatifs à la vie privée et les droits du public, pour être sûr que les droits constitutionnels de la personne sont pris en considération en rapport avec les fonctions constitutionnelles du sénateur ou du député.

La présidente: Sénateur Joyal, ce n'est sûrement pas qu'une question de droits de propriété. Nous devons aussi prendre en considération la perception qu'a le public du fait qu'un parlementaire puisse aider son conjoint. Comme Mme Finlay l'a dit, elle et son mari discutent ouvertement de ces choses, de sorte qu'il est au courant de ses intérêts et qu'elle est au courant de sa participation à d'autres affaires. Certes, le public pourrait avoir alors des motifs raisonnables de croire que le conjoint est au courant des intérêts de l'autre et qu'il s'en soucie.

Le sénateur Joyal: Nous présumons que chacun d'entre eux, comme ils forment un couple qui vit une relation conjugale, que ce soit un mariage ou une autre forme, a certains intérêts acquis, de sorte que les biens de part et d'autre s'accroissent. Si je vis une union légalement définie avec un conjoint et que ce conjoint exerce une emprise entière et totale sur ses biens, il faut en déduire que, étant donné que je vis une relation conjugale qui est une relation intime avec cette personne, j'ai en commun un intérêt, et ses biens s'accroissent. Ma situation — c'est-à-dire, mes fonctions en tant que parlementaire — pourraient être mis à l'avantage des biens en cause dans cette relation.

Tout de même, cela n'a pas préséance sur les droits de mon conjoint quand vient le temps de contrôler et de gérer ses biens comme il l'entend, selon le lien contractuel que nous pouvons avoir.

La présidente: Encore une fois, nous revenons à la perception du public, qui fait partie des questions dont nous traitons ici.

Le sénateur Joyal: C'est cela tout à fait. Comment trouver le juste équilibre entre les droits relatifs à la vie privée et les droits qui reviennent au conjoint dans le cas d'un mariage légal ou d'une union libre et, comme vous le dites, le droit en ce qui concerne l'intérêt public? Voilà le nœud gordien que nous devons trancher.

Mme Finlay: Je n'ai pas de réponse. Il faut solliciter les conseils des gens qui vivent ces situations ainsi que les conseils des juristes pour trouver une réponse à cette question et l'étudier attentivement. Encore une fois, nous insistons pour dire qu'il importe de pouvoir préserver notre individualité et notre vie privée.

Le sénateur Grafstein: Les éléments que nous a fournis notre conseiller, Mark Audcent, soulevaient une question qui m'a troublé. J'y songe depuis qu'il a témoigné. C'est une question qui fait intervenir non pas la divulgation, mais plutôt un conflit juridique qui s'applique aux conjoints. Le conjoint d'un parlementaire qui s'engage activement dans des causes bénévoles a un nuage gris au-dessus de la tête, pourrait-on presque dire. Je constate que votre organisation appuie activement les refuges pour femmes et la recherche sur le cancer du sein. Ma femme appuie activement cette dernière cause. Il y aurait lieu de se demander si cette activité, qui serait liée directement ou indirectement à des fonds du gouvernement fédéral, donnerait lieu à une sorte de conflit.

Fait encore plus direct — c'est-à-dire un cas encore plus troublant: selon le code et selon une loi, le fait que quelqu'un tire un avantage direct ou indirect d'un contrat consenti par le gouvernement fédéral serait alors une transgression au sens juridique, selon le témoignage auquel nous avons eu droit. Quelle est alors la situation du parlementaire dont le conjoint est justement un fonctionnaire rémunéré? N'y a-t-il pas là un conflit direct?

Je soulève la question parce que je n'avais jamais songé auparavant au fait que la loi, sous sa forme actuelle, s'appliquerait à cela. On nous a mis en garde à cet égard en ce qui concerne la participation aux affaires d'organismes bénévoles.

La question que je souhaite vous poser est simple: avez-vous étudié cette question? Si vous l'avez fait, est-ce que cela vous préoccupe?

Mme Finlay: Est-ce que nous l'avons étudiée? Non. Est-ce que nous sommes préoccupés? Maintenant que vous nous signalez cela, la réponse est «oui». Certaines des choses dont vous nous parlez font peur. Je travaille activement dans les refuges pour femmes.

L'association organise une grande activité par année pour amasser des fonds. Certains d'entre vous ont d'ailleurs participé l'an dernier, à Noël, et nous vous remercions du fond du cœur. Les dons que nous avons reçus — la somme que la personne veut bien remettre en franchissant le pas de la porte — ont toujours fait l'objet de discussions avec le personnel de la cité parlementaire, avant que notre décision finale soit prise.

Quant à ce que nous faisons à titre privé et à titre personnel, je crois n'avoir jamais réfléchi à l'organisation où je travaille, comme bénévole, du fait que mon mari est parlementaire. Tout de même, si certains renseignements que vous nous donnez sont exacts, ce sont là des associations et des organisations publiques. Tout de même, je n'ai jamais réfléchi à la source de leur financement. Les deux gens qui se trouvent à côté de moi n'y ont jamais pensé non plus.

Le sénateur Grafstein: Vous pourriez peut-être lire le témoignage de Mark Audcent, puis nous revenir.

La présidente: Je vous suggérerais non pas de revenir, mais de nous envoyer une lettre. Je soulignerais aussi que, dans le code proposé, il n'y a de problème que lorsque le parlementaire a un intérêt direct, et non pas indirect, dans l'affaire. Le parlementaire lui-même doit en tirer quelque avantage. Un avantage indirect pour le conjoint, je crois, est acceptable.

Le sénateur Grafstein: Je ne parle pas du code proposé; je parle de l'état actuel de la question dans les lois, en tant que cela s'applique à cette situation. Nous sommes là non seulement pour régler la question des perceptions que peut avoir le public, mais aussi les principales incongruités des dispositions législatives. Nous ne sommes pas seulement là pour nous occuper des perceptions des gens; nous devons également nous occuper d'une certaine réalité. Si cela est réel, c'est une question que vous allez peut-être vouloir étudier. Encore une fois, si vous pouvez nous transmettre vos conseils par écrit, votre réponse m'intéresse au plus haut point.

Le sénateur Di Nino: J'aborderai d'abord la remarque du sénateur Grafstein. Je crois que M. Mark Audcent répondait à une question que j'avais posée moi-même. Je crois qu'il a le droit, dans l'état actuel des choses, et j'ai posé la question au sujet de plusieurs organisations dont j'ai fait partie et dont je fais toujours partie et qui, dans le cours normal des choses, reçoivent des subventions gouvernementales. Je crois que, dans un cas particulier qui s'est présenté durant l'année, il n'y avait absolument aucun avantage personnel pour moi. Je crois qu'il a été sans équivoque là- dessus quand il a dit: c'est une transgression de votre part. Cela m'a inquiété et, comme vous le savez, j'ai demandé que la question soit éclaircie.

Je ne crois pas qu'il y ait là matière à problème, à moins qu'il ait eu tort, et je ne crois pas qu'il ait eu tort.

Quant à la discussion sur les conjoints et le code, je suis d'accord pour dire qu'il faut une certaine participation, particulièrement aux fins de la transparence et de la perception. Je voulais simplement éclaircir un point que vous avez formulé. Je crois que vous avez dit: s'il s'agissait d'une divulgation confidentielle dont les résultats ne seraient pas accessibles au public et qui se feraient dans les locaux du bureau du commissaire, vous et vos collègues n'y seriez pas opposés. Est-ce bien cela?

Mme Finlay: C'est cela.

Le sénateur Di Nino: Ce qui vous préoccupe donc, c'est le fait que soient rendues publiques les affaires des conjoints, qu'il s'agisse, comme le sénateur Joyal le disait, des affaires entre deux conjoints ou, comme c'est la norme pour la plupart des biens, d'avoirs communs. Vous vous souciez de ce que, dans la mesure du possible, nous n'en fassions pas un fait public accessible à ceux qui sont curieux ou qui auraient d'autres desseins, qui voudraient s'en servir ou utiliser cela à mauvais escient?

Mme Finlay: C'est cela. Nous sommes plusieurs à croire que certains des documents que nous avons lus, par exemple dans le cas de l'élection d'un député et de la divulgation immédiate, représentent une grande intrusion dans la vie privée. Nous connaissons la démarche qui s'applique quand quelqu'un est élu au poste de secrétaire parlementaire ou de député. Pour la plupart, nous avons jugé cela très enrichissant. Je crois que personne d'entre nous n'est contre la divulgation à titre privé. Il s'agit de savoir, comme vous y avez fait allusion, ce qui arrive à cette information, savoir entre quelles mains elle va se retrouver après qu'elle est révélée à titre privé.

Le sénateur Joyal: Je crois qu'il est très important d'insister là-dessus, car cela fait partie des conséquences imprévues que nous sommes appelés à étudier aujourd'hui. Une fois que commence la divulgation des actifs, on peut commencer à mesurer le niveau de richesse de la personne. Cette détermination mènera à la conclusion selon laquelle plus on est riche, moins on s'intéresse au sort des démunis — l'idée commencera à courir. Cela veut dire, essentiellement, que nous allons essayer de changer un élément très important du tissu dont est fait la société canadienne. Nous allons essayer de savoir qui est plus riche ou moins riche que les autres, et qui est plus sensible ou moins sensible au sort du Canadien moyen, et nous allons commencer à déterminer les actifs pour savoir qui peut faire partie des comités.

Si nous nous engageons dans cette voie, nous n'allons pas agir dans l'intérêt public. Ce sera beaucoup plus important, même pour le conjoint. Que l'on veuille ou non, une fois qu'on est élu à la Chambre ou nommé au Sénat, on devient une cible pour l'attention publique et, parfois, la méchanceté du public.

Mme Finlay: Vous avez formulé des observations très intéressantes qui, à mon avis, sont tout à fait vraies. Notre vie est une sorte de «livre ouvert», et si nous devons divulguer les actifs au public, ce sera encore plus un livre ouvert.

La présidente: Merci. J'aimerais signaler, avant de terminer, sénateur Di Nino, que le code proposé permettrait d'éclaircir certains des cas problèmes qui existent en ce qui concerne le travail au conseil d'administration d'organismes de bienfaisance. Je crois que M. Audcent a convenu du fait que le code réglerait ce problème.

Le sénateur Di Nino: Rapidement, pour le compte rendu, puis-je dire que je me soucie non seulement de la divulgation des actifs ou de l'information qui permettrait à autrui de jauger votre richesse. Cela me préoccupe, évidemment, mais la question comporte d'autres aspects. Il peut y avoir des situations où le parlementaire ou encore le conjoint vit des difficultés financières temporaires ou une situation de nature très privée, et où quelqu'un peut utiliser à mauvais escient certains renseignements. Ce ne serait pas forcément lié à la question de la richesse; il pourrait s'agir simplement d'une condition de vie avec laquelle nous pouvons tous être aux prises de temps à autre.

Je crois qu'il importe d'admettre que, même si on reconnaît le rôle que joue le parlementaire dans la vie publique, il faut s'efforcer de faire en sorte que la vie privée des parlementaires, et non seulement les riches, soit le plus privée possible.

Mme Finlay: Voilà qui me paraît judicieux.

La présidente: Je signalerais aussi que, selon le code qui est proposé, aucune valeur ne serait rendue publique.

Je vous remercie beaucoup d'être venus comparaître aujourd'hui. J'espère que nous ne vous avons pas trop fait la vie dure.

La séance est levée.


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