Aller au contenu
RPRD - Comité permanent

Règlement, procédure et droits du Parlement

 

Délibérations du Comité du 
Règlement, de la procédure et des droits du Parlement

Fascicule 10 - Témoignages du 1er avril 2003


OTTAWA, le mardi 1er avril 2003

Le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement se réunit aujourd'hui à 8 h 30 afin d'examiner la proposition de modification de la Loi sur le Parlement du Canada (commissaire à l'éthique) et de certaines lois en conséquence et la proposition de modification du Règlement du Sénat et du Règlement de la Chambre des communes visant à mettre en œuvre le rapport Milliken-Oliver de 1997, déposées au Sénat le 23 octobre 2002.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, permettez-moi de préciser pour les personnes qui suivent les débats à domicile, que le Comité permanent du règlement, de la procédure et des droits du Parlement poursuit son examen des différents textes concernant le commissaire à l'éthique déposés par le gouvernement en automne dernier. Ces documents contiennent le projet de loi concernant la création du poste de commissaire à l'éthique et un ensemble de propositions de modification des règlements des deux chambres du Parlement en ce qui a trait aux conflits d'intérêts. Ces documents s'inspirent abondamment des travaux du sénateur Oliver qui a coprésidé un comité avec Peter Milliken, le président de la Chambre des communes. Ils ont présenté leur rapport en 1997.

Aujourd'hui, nous allons entendre M. Dale Gibson, professeur à l'Université de l'Alberta et M. David Smith, professeur à l'Université de la Saskatchewan. Par la suite, nous entendrons le témoignage d'un ancien collègue, l'honorable John Stewart, qui est un auteur connu et une autorité en matière de procédure parlementaire. Monsieur Smith, la parole est à vous.

M. David Smith, professeur, l'Université de la Saskatchewan: Honorables sénateurs, je tiens à vous remercier de m'avoir invité à venir présenter mon témoignage ce matin. J'ai divisé mes commentaires sur les propositions concernant le commissaire à l'éthique en trois parties: l'intention, le processus et le résultat.

L'intention du code de conduite est d'imposer une obligation de rendre compte et de transparence. On vous a dit que les institutions parlementaires sont victimes d'une crise de confiance et que les Canadiens souhaitent l'adoption d'un code. C'est une vaste prétention qui, d'après moi, n'est pas nécessairement justifiée. Bien sûr, si l'on demande aux Canadiens: «Est-ce que vous voulez un code de conduite?», ils répondront certainement par l'affirmative. Je serais surpris du contraire. Cependant, comme l'ont dit d'autres témoins ainsi que certains membres de votre comité, on ne sait pas exactement quels problèmes justifient un changement de pratique caractérisé par l'adoption d'un code.

Il convient de préciser que l'idée de code est directement liée à la notion de confiance, c'est-à-dire la confiance que les Canadiens ont dans leurs institutions et leurs parlementaires. La question de la confiance fait actuellement l'objet d'un vaste débat et pas seulement au Canada. Je mentionnerai deux pays où le sujet est actuellement soulevé. Onora O'Neill, présidente du Noonan College à Cambridge a déclaré, dans le cadre des Reith Lectures 2002 de la BBC, que la perte de confiance est en quelque sorte un cliché de notre époque et que la question est soulevée chaque fois que l'on se retranche derrière des connaissances professionnelles. Elle affirme même que les tentatives visant à s'y opposer peuvent entraîner l'introduction de mesures impropres.

La culture de la suspicion — l'expression est de O'Neill — a contribué à la naissance d'un phénomène qu'un autre écrivain britannique, Michael Power, appelle «La société de la vérification», d'après le titre de son livre «The Audit Society», dont le sous-titre est «Rituels de vérification». Il maintient que l'attrait de la vérification tient à l'imprécision de l'idée. À l'instar d'O'Neill, il affirme que la vérification exige une confiance sociale dans les jugements de ses praticiens, c'est-à-dire que la vérification doit un moment donné s'arrêter. Selon lui, la vérification ne confère qu'un pouvoir superficiel aux publics nationaux qu'elle est censée servir.

Aux États-Unis, une récente publication de la Brookings Institution intitulée «Scandal Proof: Do Ethics Laws Make Government Ethical?» attribue l'attrait de la vérification à la mentalité postérieure au scandale de Watergate qui considère que tous les fonctionnaires sont suspects; que les lois doivent protéger la population contre toute dégradation possible de l'intégrité publique; que la seule protection fiable contre les instincts corrompus des fonctionnaires est la loi et qu'il faut créer un nouvel ensemble d'organes de réglementation pour mettre en place ce régime.

Cette publication fait également remarquer que la mentalité postérieure à Watergate aux États-Unis a encouragé l'émergence de plusieurs puissants groupes d'intérêt public à Washington dont la raison d'être est de s'assurer que les parlementaires et le gouvernement respectent le nouveau régime.

Pour revenir au Canada, je ne suis pas convaincu, d'après ce que j'ai lu, de la nécessité d'un code de conduite ou d'un commissaire à l'éthique pour contrôler le comportement et la conduite des sénateurs et des députés. Comme l'ont fait remarquer certains honorables sénateurs, il n'y a actuellement aucune conduite en matière de conflits d'intérêts ou d'éthique qui ne soit pas couverte par le Règlement du Sénat ou de la Chambre des communes, le Code criminel ou la Loi sur le Parlement du Canada. Par conséquent, on peut d'entrée de jeu se poser des questions sur la validité de l'intention.

Cela étant dit, je peux seulement me faire l'écho d'une collègue politologue, Sharon Sutherland, qui a déclaré devant le Comité mixte spécial sur un code de conduite, en 1995, que le comité serait critiqué quelle que soit la position qu'il prendrait. Elle avait dit aux membres du comité que s'ils n'adoptaient pas un code, ils seraient accusés d'être sourds aux préoccupations du public. Elle avait dit également que dès qu'un code serait en place, les médias l'examineraient de près et s'empresseraient de révéler que telle ou telle personne n'a pas respecté certaines dispositions, et qu'ayant par exemple accepté de l'argent, elle doit maintenant démissionner. Elle a averti qu'il y aura des scandales artificiels et que l'existence d'un code pourrait même contribuer à augmenter le nombre de ces scandales.

La deuxième partie de mon exposé concerne le processus. Tel que défini dans la proposition, le processus consiste à établir un code de conduite et à mettre en place un fonctionnaire chargé de l'appliquer. Mes remarques vont porter sur la disposition administrative concernant le commissaire.

Tous les commentaires qui ont été formulés au sujet des fonctions proposées de commissaire en font un haut fonctionnaire du Parlement. Si cette désignation est fréquente, elle reste néanmoins ambiguë. Mes collègues de l'Université de la Saskatchewan, John Courtney et Duff Spafford et moi-même avons organisé une conférence sur le thème des hauts fonctionnaires du Parlement en novembre 2001. Plusieurs universitaires ont présenté des exposés et quatre des hauts fonctionnaires du Parlement que nous avons fini par appeler «le groupe des cinq» ont participé à notre rencontre. Il y avait la commissaire aux langues officielles, le commissaire à l'accès à l'information, le directeur général des élections et le vérificateur général adjoint, au nom du vérificateur général. Le commissaire à la protection de la vie privée avait décliné l'invitation.

Notre usage était conforme à la ligne de pensée du Comité spécial sur la modernisation et l'amélioration de la procédure à la Chambre des communes qui a déposé son rapport en mars 2001. Sur le site Web du gouvernement du Canada en 2001 — et la semaine dernière, lorsque j'ai vérifié — les membres de notre «groupe des cinq» étaient réunis sous le titre de «Agents du Parlement».

Au moment de l'organisation de notre conférence, nous avons eu de la difficulté à nous mettre d'accord sur les personnes que l'on pouvait considérer comme des hauts fonctionnaires du Parlement. Le problème venait en partie du fait que certaines personnes se présentent comme des hauts fonctionnaires sans réunir, d'après nous, les caractéristiques des personnes que j'ai déjà mentionnées.

Et quelles sont ces caractéristiques? Tout d'abord, les personnes en question font directement rapport au Parlement; et, deuxièmement, elles sont nommées, d'une façon ou d'une autre par la Chambre et le Sénat. Nous entendons par «faire directement rapport au Parlement» que ces fonctionnaires ne passent pas par l'intermédiaire d'un ministre. Nous avons considéré que la nomination et l'obligation de faire rapport sont les deux critères de l'indépendance et de l'obligation de rendre compte. L'indépendance découlant de la nomination et l'obligation de rendre compte découlant de l'obligation de faire rapport sont des critères suffisants pour reconnaître un haut fonctionnaire du Parlement.

Nous nous sommes également demandés «Pourquoi ces cinq personnes?» Pourquoi les finances nationales depuis les années 1870? Pourquoi les élections nationales depuis les années 20? Pourquoi les langues officielles depuis 1969 ou la protection de la vie privée et l'accès à l'information depuis les années 70 mais pas d'autres hauts fonctionnaires? Quels sont les points communs entre tous ces fonctionnaires?

On peut répondre à cette question en se penchant sur l'origine de ces postes. Quelles sont les conditions qui ont rendu nécessaire la création de chacun de ces postes? Les postes de vérificateur général et de directeur général des élections ont été créés à la suite d'une controverse. Le poste de vérificateur général a été créé par le gouvernement Mackenzie après qu'il eut accès aux comptes publics révélant la gestion du premier gouvernement Macdonald. Le poste de directeur général des élections fut créé après une réflexion calme à la suite de la manipulation du droit de vote prévu aux termes de la Loi des électeurs militaires et du système électoral établi dans la Loi des élections en temps de guerre, en 1917.

Par opposition, la création du Commissariat aux langues officielles symbolisait l'acceptation par le Parlement de l'importance constitutionnelle des deux langues officielles du Canada. La création des postes de commissaires à la protection de la vie privée et à l'accès à l'information reconnaissait l'importance que le gouvernement du Canada accordait à ces principes à une époque où le gouvernement avait été accusé de faire un usage abusif d'informations qu'il avait en sa possession.

Cette rétrospective abrégée montre que les postes de ces hauts fonctionnaires du Parlement ont une double origine — soit ils sont le résultat d'une controverse, soit ils représentent une forme de reconnaissance. Le débat sur la création du poste de commissaire à l'éthique tient un peu des deux. Certains affirment que l'éthique au Parlement est source de controverse et que la nomination d'un commissaire et l'adoption d'un code permettront de régler cette question. D'autres affirment que les règles et les dispositions législatives existantes offrent une protection suffisante dans le cas des députés et des sénateurs. Toutefois, cette protection ne s'étend peut-être pas jusqu'aux ministres du Cabinet ou au premier ministre. Néanmoins, la création d'un code d'éthique ou la désignation d'un fonctionnaire chargé de nouvelles responsabilités, prouveront nettement aux yeux des personnes de l'extérieur l'importance que les membres des deux chambres accordent à la question.

Au moment de faire le choix, j'espère que les commentaires suivants seront utiles. Si les cinq hauts fonctionnaires du Parlement dont j'ai parlé un peu plus tôt ont des points communs au niveau de leur nomination et de leur obligation de rapport, ils ne sont pas totalement identiques.

Je suppose que les Canadiens pensent aux activités du vérificateur général lorsqu'ils envisagent les fonctions des hauts fonctionnaires du Parlement. C'est du vérificateur général et non pas du directeur général des élections que les médias parlent le plus. Cela s'explique pour plusieurs raisons. Le vérificateur général peut choisir quels sont les secteurs du gouvernement sur lesquels il va faire enquête et à quel moment il publiera les résultats. Autrement dit, le vérificateur général est un fonctionnaire qui bénéficie d'une très grande visibilité. Mon collègue Denis Saint-Martin du département de sciences politiques de l'Université de Montréal a consacré de nombreuses études aux commissaires à l'éthique. Il a conclu dans l'exposé intitulé «The Multiple Meanings of Independence in Politics: Ethics Watchdogs in Comparative Perspective» qu'il a présenté à notre conférence de Saskatoon, que les fonctions de vérificateur général ne constituent pas un modèle dont on peut utilement s'inspirer pour transformer le poste de conseiller fédéral à l'éthique en un poste indépendant de haut fonctionnaire du Parlement.

Selon M. Saint-Martin, cela tient à la nature différente des enquêtes qu'entreprennent les commissaires à l'éthique. Il entend par là que les commissaires chargés du respect de l'éthique font des enquêtes sur la conduite des personnes et qu'ils ne peuvent donc pas divulguer des renseignements confidentiels ou des renseignements permettant d'identifier une personne dans les rapports annuels qu'ils présentent au Parlement.

M. Saint-Martin présente ses commentaires en s'appuyant sur les nombreuses études qu'il a consacrées aux commissaires provinciaux à l'éthique. Je fais remarquer ceci étant donné que les commissaires provinciaux ont été cités comme des exemples de régime d'éthique parlementaire. Comme dans le cas du vérificateur général, il faut utiliser ces modèles avec prudence, car les critères qui s'appliquent à un haut fonctionnaire ne s'appliquent pas automatiquement à un autre.

Voilà qui m'amène au troisième thème de mes remarques qui concerne le résultat de la nomination d'un commissaire à l'éthique sur les travaux du Parlement et, en particulier de cette chambre. Le Parlement est la seule assemblée bicamérale du Canada. Pour cette raison, toute référence aux assemblées monocamérales des provinces nécessite un examen attentif.

D'autres témoins vous ont déjà dit qu'un même commissaire pourrait se heurter à certains conflits de responsabilités s'il était tenu d'administrer un code de conduite applicable aux ministres du Cabinet, aux titulaires de charges publiques, aux députés et aux sénateurs.

Par ailleurs, la charge de travail serait très lourde, en raison du nombre de personnes dont le commissaire serait chargé. Ce sont de réels problèmes dont il faut tenir compte. Cependant, d'autres plus qualifiés que moi, qui connaissent mieux le fonctionnement du Parlement, pourront vous exposer le problème.

Je vais limiter mes commentaires concernant le Sénat à la notion de bicamérisme. C'est un sujet que je viens tout récemment d'étudier. Si je laisse de côté toutes les autres considérations, j'estime que le projet de loi, avec ses dispositions concernant la création d'un seul commissaire à l'éthique et la mise en place d'un code de conduite statutaire ne sert pas les intérêts du Sénat et, partant, les intérêts de la population canadienne. J'ai bien conscience que l'on peut voir dans cette opinion que les sénateurs sont un groupe sélect de citoyens au-dessus de tout soupçon et de toute surveillance. Ce n'est pas comme cela que je l'entends.

Au contraire, les dispositions du Règlement du Sénat, du Code criminel et de la Loi sur le Parlement du Canada définissent la conduite contraire à l'éthique et donnent des instructions sur les mesures à prendre en la matière. À ma connaissance, il n'existe aucun comportement de ce type qui ne puisse être sanctionné par les lois ou règlements existants. À l'heure actuelle, un tel code paraît redondant. Pire, un code statutaire menace l'autonomie des sénateurs et celle des députés. Pour des raisons qui vous ont déjà été exposées, il ouvre la porte à une intrusion plus grande du pouvoir judiciaire dans le travail du Parlement. Les tribunaux ont un rôle vital à jouer pour assurer la protection des droits et libertés des Canadiens, mais il en va de même pour les législateurs du pays qui, dans le cas du Parlement, comprennent les deux chambres.

Dans l'arrêt Donahoe, la Cour suprême a reconnu que l'autorité législative du gouvernement doit reconnaître une certaine autonomie sur laquelle même la Couronne et les tribunaux ne peuvent empiéter. La preuve principale de cette autonomie est que les chambres législatives doivent diriger elles-mêmes leur organisation et adopter leurs propres règlements. Elles doivent avoir ce pouvoir pour être en mesure de faire leur travail, soit l'examen indépendant des affaires d'intérêt public.

Ce n'est un secret pour personne que les législateurs ont parfois mauvaise presse et que cette opinion n'est pas toujours injustifiée. Le rôle du Parlement est de faire la critique des législateurs, comme les législateurs ont celui de faire la critique du gouvernement. Et pourtant, la critique est souvent déplacée. C'est particulièrement vrai dans le cas du Sénat. Mon regretté collègue Norman Ward qui était un des grands spécialistes canadiens de la Chambre des communes a dit que les propositions visant à améliorer la Chambre des communes ont généralement tendance à accroître le rôle et l'efficacité des députés en tant qu'individus, alors que le Sénat est considéré dans son ensemble, le point de vue personnel des sénateurs étant une considération secondaire.

Cette fois, dans le cas du commissaire à l'éthique et du code de conduite, l'uniformité du traitement semble ne pas être suffisamment attentive aux parlementaires par opposition aux ministres du Cabinet, dans les deux chambres. Il y a en effet un excès d'uniformité. Le travail de l'ensemble des parlementaires est laissé pour compte et la différence entre la Chambre des communes et le Sénat est également jugée sans importance. Pourtant, c'est justement dans son rôle de réflexion et d'enquête que le Sénat excelle. Pour ces raisons, il est indispensable qu'un régime d'éthique respecte son travail.

En cas d'application d'un régime d'éthique, je déconseillerais la nomination d'un seul commissaire, pour les raisons que j'ai déjà exposées. Cependant, la nomination de quatre commissaires, comme cela a été proposé, me paraît excessive. Il me paraît plus logique de s'en tenir à trois, un pour les ministres, un pour les députés et un pour les sénateurs. Je peux comprendre la nécessité de séparer les fonctions de consultation des fonctions de décision du commissaire. Cependant, je ne pense pas que l'on puisse obtenir cette séparation en multipliant le nombre de hauts fonctionnaires chargés de l'éthique.

M. Dale Gibson, professeur, Université de l'Alberta: Mesdames et messieurs les sénateurs, maintenant que mon mémoire écrit vous a été distribué, je vais vous demander de ne pas en tenir compte. On m'a dit que ce serait une bonne idée de le paraphraser et de le résumer. Je vais essayer, mais je voudrais aussi ajouter à la fin de mon exposé quelques commentaires qui ne figurent pas dans le document écrit.

Je n'ai pas de position précise sur les questions dont M. Smith vient de parler. On m'a demandé de me pencher sur deux questions. J'ai examiné premièrement si la Charte des droits et libertés pourrait s'appliquer — et dans quelle mesure, le cas échéant — au code de conduite ou aux activités d'un commissaire à l'éthique. Et, deuxièmement, je me suis demandé si cela ferait une différence si les pouvoirs et le poste de commissaire à l'éthique étaient consacrés par une loi ou pas.

Je traite de ces questions dans l'ordre inverse dans le document que j'ai fait distribuer, mais je vais vous en parler ici dans l'ordre approprié. Je vais donc commencer au paragraphe 12, à la page 5, pour ceux d'entre vous qui voudraient suivre dans le document.

J'ai annexé à mon mémoire deux articles que j'ai rédigés. L'un d'entre eux est sur le point d'être publié, et l'autre l'a été il y a quelque temps.

Dans le premier de ces articles, j'ai cherché à me gagner l'affection des sénateurs en qualifiant le privilège parlementaire de coquerelle constitutionnelle. Je reviendrai sur cette idée plus tard.

Je voudrais pour le moment vous parler du deuxième article. Je me suis attaché à démontrer que la Charte s'applique dans une certaine mesure au privilège parlementaire, y compris aux éléments sur lesquels vous allez vous pencher, mais pas entièrement. Elle s'applique en ce sens que, même si elle ne peut pas être invoquée pour nier l'existence du privilège parlementaire, elle peut servir à limiter l'exercice de ce privilège.

Supposons qu'un commissaire à l'éthique convoque Dale Gibson pour lui demander de s'expliquer à la suite d'allégations selon lesquelles il a obtenu de juteux contrats de consultant du gouvernement du Canada grâce à des rapports inappropriés avec un député. J'arrive avec mon avocat et je demande les protections habituelles concernant la tenue d'un procès juste, si je dois comparaître. Supposons qu'on me dise que ces protections ne s'appliquent pas. Je fais alors appel aux tribunaux, qui me disent: «Vous ne pouvez pas empêcher qu'on vous convoque et vous ne pouvez pas refuser de répondre aux questions. Mais vous pouvez insister pour que certaines des garanties fondamentales énoncées à l'article 7 de la Charte soient respectées pendant le procès». C'est la position que je présente dans l'article joint à mon mémoire, à l'annexe B.

Je ne vous énumérerai pas les arguments sur lesquels je fonde ces conclusions. Je souligne cependant au paragraphe 12 qu'une affirmation similaire se retrouve aussi dans le traité de Joseph Maingot. Je vais vous résumer les quatre principaux éléments qui nous ont permis, à moi et à certains autres, d'en arriver à cette conclusion.

Le premier, c'est le simple bon sens. Nous savons que dans l'arrêt Nouvelle-Écosse (Président de l'Assemblée législative), rendu en 1993, la Cour suprême a confirmé la constitutionnalité du privilège des deux chambres du Parlement. En vertu de l'article 52.1 de la Loi constitutionnelle de 1982, ce privilège fait partie de la loi suprême du Canada et il prime toutes les mesures législatives de moindre importance.

Nous savons aussi que la Charte, qui est elle aussi un élément de la Constitution, a le même statut. Par conséquent, nous avons un objet immuable — le privilège parlementaire — et une force irrésistible — la Charte. Que se passe-t-il quand les deux se rencontrent? Ni l'un ni l'autre ne cède. Chacun est aussi puissant que l'autre. Logiquement, il faut donc des concessions mutuelles. Il faut céder quelque chose des deux côtés. Le premier argument est donc l'argument logique.

J'ai trouvé de la jurisprudence à l'appui de cette position. Il n'y en a pas énormément, je dois dire, mais il y en a.

C'est madame la juge McLachlin, qui est aujourd'hui juge en chef du Canada, qui a rédigé les motifs de jugement au nom de la majorité dans l'arrêt relatif au Président de l'Assemblée législative de Nouvelle-Écosse. Dans l'arrêt Harvey, trois ans plus tard, elle a fait une déclaration qui semble exprimer ce que j'essaie de vous dire. Je vais vous en lire un court paragraphe, qui se trouve à la page 7 de mon mémoire, au paragraphe 16. Madame la juge McLaughlin dit dans Harvey:

Vu que le privilège parlementaire jouit d'un statut constitutionnel, il n'est pas «assujetti» à la Charte, comme le sont les lois ordinaires. Le privilège parlementaire et la Charte constituent tous deux des parties essentielles de la Constitution du Canada. Ils ne l'emportent pas l'un sur l'autre. De même qu'il faut maintenir le privilège parlementaire et l'immunité contre l'intervention inappropriée des tribunaux dans le processus parlementaire, il faut aussi maintenir les garanties démocratiques fondamentales de la Charte. Lorsque surgissent des conflits apparents entre différents principes constitutionnels, il convient non pas de résoudre ces conflits en subordonnant un principe à l'autre, mais plutôt d'essayer de les concilier.

Mon mémoire contient également d'autres citations tirées du même arrêt, qui confirment cet argument. Je reconnais que ce passage peut se lire différemment. Je l'interprète à ma manière. Je précise d'ailleurs dans mon mémoire qu'il peut se lire autrement. Mais je pense que mon interprétation est la bonne.

Mon interprétation est conforme à la logique, et également aux décisions rendues récemment, en particulier dans l'affaire Vaid, que les honorables sénateurs connaissent sûrement et qui ne les satisfait peut-être pas pleinement. D'ailleurs, si je ne me trompe pas, cette décision a été portée en appel. Je prévois cependant — mais il m'arrive souvent de me tromper — que l'arrêt Vaid sera essentiellement maintenu par la Cour suprême du Canada.

Le troisième facteur qui m'a amené à ma conclusion sur le rapport entre la Charte et le privilège parlementaire, c'est l'analogie avec les autres formes de privilège parlementaire.

Ce qui m'amène à vous parler brièvement de cette histoire de coquerelle. Il s'agissait d'un exercice dans lequel j'ai cherché à démontrer, dans une perspective historique, que le privilège parlementaire a les mêmes origines que la prérogative royale, du côté exécutif, et que les pouvoirs relatifs à l'outrage aux tribunaux, du côté judiciaire. La Cour suprême du Canada a établi clairement, en ce qui a trait aux pouvoirs judiciaires et à la prérogative royale, que la Charte s'applique de la façon que j'ai déjà mentionnée. Ma conclusion, c'est que pour des raisons de cohérence historique et de logique, le résultat est nécessairement le même dans le cas du privilège parlementaire.

La primauté du droit est le dernier principe sur lequel repose la position que j'ai exprimée. Soit dit en passant, il y a une terrible faute de frappe au paragraphe 22, où on peut lire que la primauté du droit est probablement le principe constitutionnel fondamental le plus tacite, alors qu'il faudrait lire que c'est probablement le principe constitutionnel tacite le plus fondamental. Il est à tout le moins fondamental à mon point de vue.

Au paragraphe 24, à la page 11, j'affirme essentiellement que, en raison de la primauté du droit, tout relève du droit. Je cite certaines sources à l'appui de cette position énoncée au paragraphe 24, en particulier un spécialiste britannique bien connu, M. D.M. Walker, ainsi que la Cour suprême du Canada. Je vais vous lire la dernière citation, qui est tirée du Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba et dans laquelle la Cour suprême établit clairement la primauté du droit. Voici ce qu'elle dit: « [...] le droit est au-dessus des autorités gouvernementales aussi bien que du simple citoyen et exclut, par conséquent, l'influence de l'arbitraire».

Pour ces raisons, je conclus que la Charte a un rôle à jouer dans l'exercice — mais pas dans l'existence — du privilège parlementaire. Je conclus cette partie de mon document par un extrait de la bible de l'avocat constitutionnaliste, l'ouvrage du professeur Hogg sur la Constitution du Canada, dans lequel il dit notamment qu'il est certainement inacceptable que l'exercice des pouvoirs relatifs au privilège parlementaire par une assemblée législative soit soustrait entièrement à l'application de la Charte.

L'autre question sur laquelle je devais me pencher était la suivante: la situation serait-elle différente si ces pouvoirs n'étaient pas consacrés par la loi, s'ils faisaient tout simplement partie de la coutume parlementaire, si vous voulez, ou d'une autre source d'autorité officieuse? Ma réponse est «non». Il me semble, d'après les sources que j'ai consultées, que le privilège parlementaire a très nettement un statut constitutionnel, qu'il soit fondé sur une loi ou dérivé de la common law. Compte tenu de ce statut constitutionnel, il me paraît facile de répondre à la question: cela n'a pas vraiment d'importance.

Cela m'amène cependant au bref ajout que je voudrais faire au mémoire que vous avez sous les yeux, sur deux points. Premièrement, je n'ai pas encore parlé explicitement du code de conduite, mais je vais le faire. Deuxièmement, je voudrais vous dire une ou deux choses sur la disposition relative aux limites raisonnables, à l'article 1 de la Charte.

Au sujet du code de conduite, la difficulté que j'ai eue quand j'ai examiné ce document pour essayer de voir comment s'y situent les éléments dont je vous ai parlé, c'est que son statut actuel est très vague. Si ce code était inscrit dans les règlements des deux chambres du Parlement, comme le proposait le sénateur Carstairs, je pense, dans son exposé initial devant votre comité, je suis convaincu qu'il aurait le statut constitutionnel dont je vous ai parlé. Il est clair que, s'il avait force de loi — s'il était inclus par référence dans la législation, ce qui n'est pas le cas actuellement —, il aurait le statut constitutionnel que nous avons évoqué. Cependant, s'il demeure simplement une vague série de lignes directrices flottant dans les airs — qu'il s'agisse de lignes directrices visant à aider le commissaire à l'éthique ou de lignes directrices pondues par le premier ministre — et s'il n'est pas lié aux règlements ou à une loi, il n'aura pas de statut constitutionnel, à mon avis. Voilà pour la première question.

Je me suis ensuite tourné, pour finir, vers l'article 1 de la Charte. Le simple fait que la Charte s'applique à l'exercice du privilège parlementaire ne signifie pas nécessairement qu'elle doive éclipser ce privilège. Comme vous le savez, l'article 1 de la Charte prévoit l'application de limites raisonnables dans une société libre et démocratique. Il est bien possible que les restrictions imposées relativement aux droits par un commissaire à l'éthique qui tiendrait une enquête constitueraient des limites raisonnables et seraient considérées comme telles par les tribunaux, dans le contexte d'une société libre et démocratique.

Cependant, l'article 1 de la Charte stipule que, pour que ces limites soient raisonnables, la norme en question doit être prescrite par une loi. Si le code de conduite est vague, s'il n'est relié ni aux règlements ni à une loi, on ne peut pas dire à mon avis qu'il a été prescrit par la loi. Par conséquent, une contestation en vertu de la Charte aurait alors de plus grandes chances de succès que si le code de conduite était rattaché aux règlements ou à une loi.

La présidente: Merci, monsieur Gibson.

Le sénateur Stratton: J'invoque le Règlement pour poser une petite question. Le comité de direction a-t-il approuvé le début de la séance à 8 h 30?

La présidente: Je pense que oui.

Le sénateur Stratton: Et les whips?

La présidente: Oui.

Le sénateur Stratton: Et le comité a-t-il approuvé la tenue d'une deuxième séance aujourd'hui à 10 h 45?

La présidente: Oui.

Le sénateur Stratton: Les whips aussi?

La présidente: À ce que je sache, nous avons approuvé cet horaire. Je m'excuse s'il y a eu confusion, mais c'est la même séance qui se poursuit. Cependant, comme nous ne pouvions pas commencer la séance dans la salle où il y a des installations de vidéoconférence, nous allons lever la séance de manière à pouvoir nous y rendre pour 10 h 45.

Le sénateur Stratton: Je comprends, mais je persiste à dire — et j'insiste sur ce point à chaque séance — qu'il n'y a pas assez de personnel disponible pour assister aux séances de comité. J'apprécierais beaucoup que nous puissions nous en tenir aux heures prévues pour les séances, telles que convenues par les autorités des deux côtés.

La présidente: Je vous félicite d'avoir réuni quatre personnes ce matin.

Le sénateur Rompkey: Monsieur Smith, pourriez-vous nous expliquer votre position à la lumière du fait que nous vivons dans une société post-Watergate et que cela alimente les attitudes du grand public? Je pense que nous assistons à une évolution de l'opinion publique, en ce sens que les attitudes au sujet de l'éthique et de la reddition de comptes changent avec le temps, tout comme les attitudes au sujet de la maladie mentale, de la peine capitale et d'une foule d'autres questions. En tant que parlementaires, nous devons être conscients de ces changements d'attitudes et y réagir d'une manière ou d'une autre. Nous sommes là pour servir la population, après tout, que nous soyons élus ou nommés. On a déjà dit que ceux d'entre nous qui sont nommés doivent rendre des comptes encore plus que les autres parce que nous ne sommes pas élus. Les parlementaires ne peuvent pas mettre de côté les attitudes de la société, peu importe comment elles sont façonnées, comment elles sont influencées ou comment elles ont évolué. Le fait est qu'elles existent et qu'elles ont évolué, et que nous devons en avoir conscience et y réagir. Pouvez-vous nous dire s'il y a vraiment un problème, à votre avis, ou si nous pourrions garder les règles existantes, même s'il me semble que nous devrions les réviser si nous voulons continuer à les appliquer en 2003?

M. Smith: Je suppose que mes remarques ne seront peut-être pas aussi ciblées qu'elles devraient l'être, mais je n'ai pas eu à prendre la décision que les sénateurs ont dû prendre. D'après ce que je lis et ce que je comprends, pour le moment, je ne crois pas qu'il y ait un besoin urgent à cet égard. Ce que vous dites est vrai et, en un sens, j'essaie d'avoir à la fois le beurre et l'argent du beurre en disant que je comprends ce que dit la population parce que c'est ce que nous disent les sondages. Un des éléments qui éveillent des doutes, ou qui me poussent à la prudence, c'est le travail que nous avons fait au sujet des hauts fonctionnaires du Parlement.

De plus en plus, ces hauts fonctionnaires du Parlement assument dans le système parlementaire des pouvoirs qui n'ont jamais été vraiment prévus au départ. Je ne comprends pas très bien la théorie qui les soutient. Cela dit, vous avez tout à fait raison de dire que la population appuie fortement l'application d'un régime d'éthique sous une forme ou sous une autre.

Si tel est le cas, vous devrez déterminer ce que sera ce régime, et s'il y aura un seul commissaire ou plusieurs. Je suggère qu'il y en ait trois, mais vous pourriez tout aussi bien soutenir qu'il devrait y en avoir deux ou quatre, je suppose. Il me semble que trois, si je comprends bien comment les choses se passeraient, serait un nombre raisonnable.

Le sénateur Joyal: Je tiens à féliciter nos deux témoins experts. L'un d'eux est arrivé avec un long document de 12 pages, suivi de trois annexes. On nous a remis ce document ce matin — pas parce que le témoin ne l'avait pas préparé à l'avance — et nous sommes tellement bousculés en ce moment que nous n'avons pas le temps de poser plus qu'une question puisque nous devons lever la séance à 9 h 30. Ce n'est pas ainsi, à mon humble avis, que le Sénat devrait travailler avec des experts qui sont venus de la Saskatchewan et de l'Alberta pour nous aider ce matin. Je trouve cette façon de procéder tout à fait déplorable.

La présidente: Merci beaucoup, sénateur Joyal. Il ne nous reste malheureusement que 17 minutes avant de conclure cette partie de notre séance. J'ai été critiquée, la dernière fois, parce que j'ai dû couper court aux questions des sénateurs qui devaient passer en dernier. Je veux donner à tout le monde des chances égales de poser des questions et, si le temps le permet, vous pourrez revenir pour une deuxième ronde. Sénateur Joyal, une question, s'il vous plaît.

Le sénateur Joyal: Je vais poser ma question, mais je voudrais d'abord faire un commentaire. Je n'aime pas me faire bousculer de cette façon parce que nous avons des experts avec nous et que nous devrions avoir le temps de parcourir leur documentation. Ils ont cité des arrêts, et nous devons avoir le temps de les lire. Nous ne sommes pas un troupeau de moutons qu'il faut pousser en dehors de la bergerie. Ce n'est pas ainsi que je conçois mon statut de sénateur.

Cela dit, je voudrais poser une question à M. Smith. La deuxième recommandation du rapport Milliken-Oliver portait sur la modification des règlements du Sénat et de la Chambre des communes afin de prévoir la nomination du commissaire à l'éthique, après consultation des chefs des partis respectifs, par l'intermédiaire du président de chaque chambre. Cette recommandation me semble reconnaître le principe institutionnel de la séparation et de l'autonomie des deux chambres législatives afin de leur permettre d'accomplir les fonctions que leur confie la Constitution, c'est-à-dire, dans le cas du Sénat, d'étudier les projets de loi et de donner ensuite son avis et son consentement à la Couronne avant que les lois soient modifiées.

Ne serait-il pas préférable de mettre en oeuvre cette recommandation du rapport Milliken-Oliver plutôt que d'adopter le modèle proposé par le gouvernement, à savoir la nomination d'un commissaire par le gouverneur en conseil pour les deux chambres du Parlement?

M. Smith: Je suis d'avis qu'en effet, il serait préférable de procéder comme vous l'avez suggéré au début, pour les raisons que vous avez mentionnées. Cela permettrait de reconnaître l'égalité et l'autonomie de chacune des chambres. La proposition du gouvernement est critiquée parce qu'elle ne le fait pas. En outre, il y a la question de la durée de la nomination, ce qui ne semble pas, encore une fois, reconnaître pleinement que le Sénat constitue une institution autonome.

Le sénateur Grafstein: Je partage les préoccupations du sénateur Joyal. Les deux témoins ont soulevé des questions très intéressantes et très importantes sur la suprématie du Parlement, sur la séparation des pouvoirs entre les tribunaux et les autres secteurs, et ainsi de suite. J'espère que, si nous manquons de temps aujourd'hui, nous pourrons rencontrer de nouveau ces témoins par vidéoconférence afin de pouvoir approfondir certains arguments très convaincants contenus dans leurs mémoires.

Je voudrais commencer par dire que je rejette fondamentalement la position de M. Gibson au sujet du fait que la prérogative royale et le privilège devraient être traités séparément. Bien franchement, ils ont des origines différentes, ils émanent d'endroits différents et, en fait, le privilège devait faire contrepoids à la prérogative royale.

Cela dit, vous avez soulevé une idée très intéressante au sujet de la primauté du droit. Je reconnais la primauté du droit, mais il y a plus qu'une sorte de droit. Vous semblez avoir négligé dans votre mémoire le droit parlementaire, la lex parliamenti. Vous n'y faites aucune allusion. Vous citez la common law, mais pas le droit parlementaire. Pourquoi cette absence? Si nous devons nous pencher sur le privilège, et puisque le privilège est enraciné essentiellement dans le fonctionnement du Parlement — le Parlement ayant ses propres règles, ses propres lois et ses propres conventions —, pourquoi parlez-vous seulement de la common law dans votre mémoire, et pas de la lex parliamenti?

M. Gibson: Sénateur, c'est simplement dû à la façon dont je me suis exprimé. Quand j'ai fait allusion à la common law, dans son sens général, je voulais parler aussi du droit parlementaire tel que vous l'entendez.

Le sénateur Grafstein: Je voudrais poser une question complémentaire. Êtes-vous prêt à reconnaître que, quand les tribunaux parlent de la primauté du droit — et ils prennent bien soin de maintenir la séparation entre le Parlement et les droits parlementaires, d'une part, et la Charte, d'autre part —, il est possible de concilier à cet égard les règles du Parlement et les règles émanant de la common law. C'est parfaitement valable, n'est-ce pas?

M. Gibson: La position que j'ai essayé d'exposer, c'est que les deux sont effectivement conciliables, mais seulement s'il y a certaines concessions des deux côtés. La lex parliamenti est un élément fondamental de la Constitution, tout comme la Charte et la primauté du droit. Ce troisième élément — la primauté du droit — n'a pas préséance. Il n'y a rien qui a préséance; ce sont trois impératifs d'égale importance. Quand il y a un certain nombre d'impératifs d'égale importance en concurrence, ce que je dis, c'est qu'il doit y avoir des concessions.

Je ne peux pas vous donner de formule magique sur la forme que doivent prendre ces concessions. Cependant, le principe général que je propose découle des arrêts et de la jurisprudence, et ce principe, c'est qu'en cas de conflit entre la Charte et les règles du Parlement, la Charte ne peut pas supplanter les règles du Parlement et les règles du Parlement ne peuvent pas supplanter la Charte. Par conséquent, la concession qui me semble la plus appropriée compte tenu de la jurisprudence, c'est que la Charte est là pour régler la façon dont s'exercent les règles du Parlement.

La présidente: Je n'interromprai pas un échange aussi intéressant si vous poursuivez dans la même veine, sénateur Grafstein.

Le sénateur Grafstein: J'hésite un peu parce que je voudrais bien laisser une chance à mes autres collègues, mais j'aimerais bien continuer.

Par conséquent, je suppose que nous sommes violemment «d'accord» pour dire que, bien que la Charte fournisse une impulsion organisatrice et fondamentale, s'il y a la common law d'un côté et la coutume parlementaire de l'autre, et si la première fonctionne selon le principe de la primauté du droit et que l'autre prend ses décisions en fonction du principe de la primauté du droit, c'est peut-être suffisant pour concilier les deux sous le régime de la Charte. Ce serait le cas s'il y avait en fait des règles visibles et si on tenait compte de l'application régulière de la loi, de l'équité et des principes fondamentaux de la common law. Ce que certains prétendent, c'est que s'il y a un code fondé sur des règles plutôt que sur une loi, ce sera conforme au principe de la primauté du droit si ces règles sont transparentes et justes — différentes, mais justes.

M. Gibson: Sénateur, la seule conclusion à laquelle nous amène la logique, c'est qu'il faut concilier les divers éléments. Quant à savoir comme cela se fera, c'est clairement une question dont il faudra discuter. Logiquement, l'approche que vous avez suggérée pour concilier tout cela est possible. Mais l'approche que j'ai proposée est beaucoup plus conforme à la jurisprudence que j'ai présentée dans mon mémoire.

Le sénateur Grafstein: Il y en a parmi nous qui pensent que le Parlement est l'autorité suprême, et d'autres qui pensent que ce sont les tribunaux. C'est peut-être là que se trouve la ligne de démarcation en ce qui concerne notre approche vis-à-vis de cette question.

M. Gibson: Je n'accepte pas cette dichotomie, sénateur. La vérité, c'est que la suprématie parlementaire est un autre des principes sur lesquels il faudra faire des concessions. Les tribunaux ne détiennent l'autorité suprême que dans leur sphère de compétence. Je n'accepte pas la dichotomie selon laquelle c'est l'un ou l'autre. À mon avis, il faut avoir les deux.

La présidente: Je crois bien qu'il n'y a personne ici qui pense que les tribunaux détiennent l'autorité suprême.

Le sénateur Hubley: Ma question s'adresse à M. Smith. Vous dites qu'il y a un régime d'éthique complet à divers endroits. Serait-il préférable de concentrer cela dans un endroit logique, qui serait intellectuellement cohérent?

M. Smith: Je suis désolé. Vous voulez parler des mes commentaires au sujet du fait qu'il y a un régime de ce genre dans le Règlement du Sénat, par exemple?

Le sénateur Hubley: Oui.

M. Smith: Je comprends que ce serait défendable. Mais je me méfie toujours de la simplicité. Dans tout le domaine des affaires publiques, c'est très dangereux parce que cela sème la confusion plutôt que d'informer. Je comprends votre point de vue, mais je ne le partage pas.

Le sénateur Smith: Je voudrais approfondir la même question. La qualité de vos mémoires est excellente, et ils nous sont très utiles. Je vous remercie du temps que vous y avez consacré.

Je voudrais avoir l'avis de M. Gibson et ensuite de mon lointain cousin, peut-être, si vous appartenez à la famille des Smith qui viennent d'Écosse.

J'essaie de comprendre les divergences d'opinions entre vous deux sur la question subtile des intrusions judiciaires. Je pose la question l'esprit ouvert, mais je pense que M. Smith a indiqué clairement qu'il préférait ne pas s'aventurer dans cette voie, tandis que M. Gibson a dit que, s'il y avait un conflit, les chances de l'emporter en cas de contestation en vertu de la Charte étaient meilleures si les dispositions en cause étaient prescrites par la loi.

Est-ce que j'ai bien compris, en gros? Pourriez-vous me décrire vos divergences d'opinions, qui sont tout à fait légitimes, monsieur Gibson? Ensuite, je demanderais à M. Smith de nous dire comment il décrirait ces divergences de son côté.

M. Gibson: Sénateur Smith, je pense que vous avez très bien résumé ma position. Si vous voulez avoir autant de marge de manoeuvre que possible pour défendre le privilège parlementaire devant les tribunaux, il serait préférable que celui-ci soit enraciné dans quelque chose qu'on pourrait qualifier de «prescrit par la loi». À mon avis, les règlements des deux chambres conviendraient. Je doute que ce serait possible si les règles restaient vagues. C'est ce que je voulais dire.

Quant aux divergences entre mon collègue et moi, elles résultent peut-être tout simplement du fait qu'un de nous deux est avocat et que l'autre ne l'est pas. J'aime mieux ne pas dire que je préfère ceci ou cela. Cela n'a pas d'importance à mon avis. Comme j'avance en âge, cela ne me touchera pas sur le plan personnel. J'essaie d'aider le comité en précisant ce que vont vous dire les tribunaux, à mon avis, et les autres en cas de contestation. Je prévois que les tribunaux vont adopter une position qui va se situer quelque part entre la reconnaissance de l'existence du privilège et le contrôle de son exercice et qui va prévoir des limites raisonnables, mais seulement si c'est prescrit par une loi. Tout ce que je fais, sénateur, c'est tenter de vous décrire comment j'envisage le règlement des litiges futurs devant les tribunaux.

M. Smith: M. Gibson a tout à fait raison. Je n'ai pas de formation juridique; c'est peut-être l'explication. Je suis un politicologue qui a étudié le Parlement de notre pays et ceux d'ailleurs. J'ai le plus grand respect pour les tribunaux et je n'ai rien contre la Charte, mais je penche dans la mesure du possible vers l'autonomie du Parlement. Je ne vois pas pourquoi il faudrait codifier ces règles d'une manière qui les rendrait plus susceptibles à un examen judiciaire et qui imposerait des limites à l'autonomie du Parlement. C'est une question de point de vue.

Le sénateur Smith: J'aurais probablement tendance à pencher du même côté. Cependant, il y a deux semaines, un témoin appelé Ted Hughes — qui a certainement reçu une formation juridique puisqu'il a été juge à la Cour du Banc de la Reine en Saskatchewan, sous-procureur général et commissaire à l'éthique en Colombie-Britannique, puis membre de la commission d'enquête sur l'APEC avant d'occuper son poste actuel dans les Territoires du Nord-Ouest — nous a dit que, d'après son expérience pratique et la décision de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, cela ne posait pas véritablement de problème. Il est assez intéressant qu'un tout petit gouvernement comme celui des Territoires du Nord-Ouest compte un des commissaires à l'éthique les plus savants au pays. Qu'en pensez-vous?

M. Gibson: Je n'en pense rien de particulier, à part le fait que j'ai beaucoup de respect pour M. Hughes. Je n'y vois aucun problème.

Quand je dis que ce code doit être enraciné dans les règlements d'une manière ou d'une autre, je ne nie pas le fait que les principes traditionnels non écrits qui régissent les chambres du Parlement sont déjà prescrits par ce que j'appellerais la coutume constitutionnelle, et que le sénateur Grafstein appelle peut-être autrement. C'est quelque chose d'entièrement nouveau. Ce n'est pas la façon de faire traditionnelle du Parlement. C'est une nouvelle formule. Il sera difficile de décrire cela dans le cadre des règles traditionnelles du Parlement et, par conséquent, si vous voulez que ce soit prescrit, il serait plus sûr de relier cela aux règlements.

Le sénateur Oliver: Je souhaite poser une question au sujet de la dichotomie apparente entre les privilèges des parlementaires et la Charte canadienne des droits et libertés. Le code de 1997, ébauché et déposé dans les deux Chambre du Parlement prévoyait son entrée en vigueur non pas au moyen d'une loi, mais bien plutôt d'une résolution de chacune des deux Chambres.

S'il y avait un code de déontologie pour les membres du Sénat et qu'une résolution du Parlement instituait ce code et un commissaire, d'où vient la conciliation nécessaire entre les privilèges et la Charte dont parle M. Gibson? Si le code est adopté au moyen d'une résolution de la Chambre et qu'il devient un document de la Chambre, d'où vient la nécessité de la conciliation?

M. Gibson: Je ne crois pas qu'il y aurait de problème. Si on procédait de cette manière, le code serait prescrit par la loi.

Je vois un document intitulé «Règles de déontologie» ou «Code de déontologie», et personne ne sait d'où il vient. S'il est inscrit dans une résolution, alors il est prescrit par la loi.

Le sénateur Oliver: C'est précisément le point que le sénateur Joyal a soulevé auprès de vous. Vous avez tous deux convenu que ce serait une façon convenable d'agir.

La présidente: Monsieur Gibson et monsieur Smith, merci d'être venus de si loin pour de si brefs instants.

Je tiens à dire aux honorables sénateurs qu'ils savent tous que je fais l'impossible pour permettre à chacun d'avoir accès aux témoins sans contrainte et de poser des questions à leur guise. Le sénateur Joyal le sait peut-être mieux que quiconque. Malheureusement, la durée de nos réunions est fixe. Il y a un début et une fin, tous deux normalement immuables. Nous n'avons pu nous entendre pour nous rencontrer aussi longtemps que nous le souhaiterions les lundis.

Je suis contrainte d'allouer un peu de temps à chacun pour poser des questions, puis de vous interrompre. Je m'en excuse auprès de vous tous parce qu'il ne me plaît pas de le faire.

Le sénateur Stratton: J'en appelle au Règlement. J'ai une suggestion: si nous avons un témoin, comme c'est le cas maintenant avec le sénateur Stewart, une heure semble suffire. Lorsque deux témoins comparaissent en même temps, une heure n'est pas suffisante.

La présidente: C'est évident.

Le sénateur Stratton: Peut-être pourrions-nous prolonger la période de questions de la réunion lorsque nous avons deux témoins. Nous aurions pu continuer pendant une demi-heure.

La présidente: Sénateur Stratton, vous avez tout à fait raison. Malheureusement, il ne nous aurait plus resté qu'une demi-heure à passer avec le sénateur Stewart, que nous voulons tous entendre.

Le sénateur Stratton: Dans ce cas, nous aurions dû n'accueillir qu'un seul témoin.

La présidente: Sénateur Stewart, bon retour au Sénat du Canada. Nous sommes ravis de vous compter de nouveau parmi nous. La parole est à vous.

L'honorable John Stewart, Ph.D., à titre personnel: Merci beaucoup, madame la présidente.

Honorables sénateurs, j'ai parcouru les documents qui me sont parvenus et j'ai, par la suite, préparé une série de paragraphes, que j'ai numérotés pour favoriser la précision des renvois.

Dans mes trois premiers paragraphes, j'indique que, à mon avis, la proposition à l'étude devant le comité a principalement pour but de répondre aux besoins des premiers ministres et que les autres considérations relatives aux deux Chambres du Parlement sont secondaires.

Étant donné qu'il aura pour tâche d'administrer le code du premier ministre, le commissaire à l'éthique doit être nommé par le gouverneur en conseil. Il occupera le rang d'administrateur général d'un ministère du gouvernement. Il touchera la rémunération fixée par le gouvernement exécutif. Il exerce ses fonctions «à titre inamovible pour un mandat unique de cinq ans».

À mon avis, un tel commissaire serait probablement tout à fait indiqué pour l'application du code du premier ministre. Après tout, le premier ministre assume la responsabilité de la conduite de son gouvernement. Il est raisonnable de penser qu'un nouveau premier ministre ne souhaite pas conserver trop longtemps le commissaire à l'éthique nommé par son prédécesseur, fût-il du même parti.

Quel doit être le statut du code? Dans le deuxième rapport du Comité mixte spécial sur un code de conduite, préparé sous la direction de l'honorable sénateur Donald H. Oliver et du député Peter Milliken, quelqu'un a fait observer que le plan que vous a proposé le gouvernement aurait pour effet de modifier le règlement des deux Chambres au moyen de l'introduction d'un code commun.

Il est évident qu'un règlement s'impose. Il est également évident qu'un règlement existe déjà.

Quel doit donc être le statut du règlement? En vertu de l'article 3 du code de déontologie proposé, le Parlement du Canada affirmerait, et je cite, qu'il «reconnaît et déclare qu'on s'attend à ce que les parlementaires» se conduisent de telle et telle manière. De plus, on présente ce code provisoire sous forme d'annexe, ce qui m'amène à penser qu'il serait adjoint à un projet de loi sujet à une sanction royale.

Ce n'est toutefois pas ce que le gouvernement propose. Il ne propose pas que le code ait force de loi. La leader du gouvernement au Sénat l'a clairement déclaré: «Le code d'éthique proposé est présenté comme un règlement à l'intention du Parlement plutôt que comme une mesure législative, ce qui est conforme à l'approche voulant que le Sénat et la Chambre des communes s'occupent individuellement de leurs propres affaires». C'est le sénateur Carstairs qui l'a dit.

C'est clair: on n'entend pas enchâsser le code dans une loi du Parlement.

Il est intéressant d'examiner l'objet du code de déontologie proposé. Selon l'article 2 du projet, l'adoption du code a deux objets principaux. Le premier a trait au public. D'une certaine façon, il s'agit d'une opération de relations publiques. Le code contribuera à préserver la confiance du public envers le travail des parlementaires et, par conséquent, envers notre système de gouvernement. Vous avez abordé cette question avec vos deux témoins précédents. Le deuxième objet concerne directement les parlementaires. Le code leur fournirait des «règles claires» sur la façon de concilier leurs intérêts personnels et leurs fonctions officielles. Il les aiderait également en mettant en place «un organe indépendant et impartial» favorisant l'émergence d'un consensus à propos d'un comportement jugé acceptable. J'insiste sur les mots «indépendant» et «impartial».

Un premier ministre libéral ne résisterait pas très longtemps au commissaire à l'éthique nommé par un prédécesseur libéral. L'Alliance canadienne, le Parti progressiste conservateur ou les députés du Nouveau parti démocratique devront composer avec un commissaire nommé par un premier ministre libéral ou tout autre accord institué par le parti politique au pouvoir.

J'insiste sur le point: ni le rapport Milliken-Oliver ni le projet de code de déontologie ne précisent que le document en question aurait pour but d'imposer des interdictions nouvelles ou plus efficaces pour des infractions liées à l'intérêt personnel non prévues par des lois, des règles et des ordonnances existantes. La conclusion que j'en tire, c'est que de telles infractions sont inexistantes ou encore rares.

Faut-il un code de déontologie pour les deux objets qui y sont prévus? Premièrement, il y a la question de l'opinion publique. Premièrement, il y a l'opinion publique. Est-il vrai qu'un nombre considérable de citoyens sont d'avis que les intérêts personnels de sénateurs ordinaires et de députés ordinaires de la Chambre des communes — et qui n'exercent pas de fonctions gouvernementales — nuisent à l'avènement de bonnes lois, de bonnes politiques et d'une bonne administration? Les citoyens croient-ils vraiment que de tels députés et sénateurs parlent et votent souvent ou même occasionnellement pour faire avancer leurs intérêts personnels? J'en doute. En fait, on se plaint plutôt du fait que les députés et les sénateurs ordinaires, en particulier ceux qui soutiennent le gouvernement au pouvoir, font preuve de peu d'indépendance, voire d'une indépendance inexistante. Ils sont comme des phoques apprivoisés: ils suivent le leader.

Ce que j'entends — et je doute que le phénomène soit l'apanage de la région du Canada où je vis —, c'est plutôt que ce qu'on appelle «les gros intérêt» exercent trop d'influence sur le gouvernement exécutif. C'est que ces gros intérêts, d'une façon ou d'une autre — par exemple, des amitiés cultivées avec soin, des contributions à des campagnes, la complicité dans des clubs ou sur des terrains de golf et l'embauche d'experts-conseils aux relations utiles, exercent trop d'influence sur les ministres, les bureaucrates et les conseils, dans l'édiction des politiques et des lois tout autant que dans l'édiction et l'application des règlements. Pourquoi déranger la députée locale? De toute façon, elle ne peut rien faire.

Ainsi, je suis d'avis qu'on pourrait bien mieux favoriser l'objectif du projet en matière de relations publiques si on faisait davantage pour persuader les citoyens que des groupes d'intérêt puissants ne tentent pas d'exercer une influence sur les ministres et les bureaucrates.

Deuxièmement, le code de déontologie, je l'ai dit, a pour but de fournir de meilleures orientations aux sénateurs et aux députés de la Chambre des communes. Je tiens pour acquis que vos spécialistes vous ont convaincu de la nécessité d'une certaine forme d'intégration et de clarification. Si tel est le cas, on devrait prendre cet objectif au sérieux.

Je vais maintenant m'intéresser à la question de savoir si on devrait adopter un code commun et une seule administration pour les deux Chambres.

Si on tient pour acquis qu'il faut clarifier et intégrer le code du Sénat et le code de la Chambre des communes, j'ai posé trois questions: premièrement, un code et un comité d'administration seraient-ils adéquats et convenables pour les deux Chambres? J'affirme ensuite que les rôles conférés aux Chambres par la Constitution diffèrent. La Chambre des communes est le lien direct entre le peuple et le gouvernement exécutif. Par conséquent, c'est à la Chambre que le gouvernement rend des comptes. Sans la confiance de la Chambre des communes, un gouvernement ne peut demeurer au pouvoir. Il en va autrement pour le Sénat. Par comparaison, le rôle législatif du Sénat consiste à examiner les projets de loi adoptés par la Chambre des communes, cela afin qu'on puisse, lorsque cela est nécessaire, faire contrepoids à un premier ministre qui détient une majorité à la Chambre des communes — laquelle lui est ordinairement assurée par les provinces les plus populeuses.

Comme les rôles des deux Chambres sont différents, les principes auxquels sont assujettis leurs membres sont différents. En ce qui concerne la Chambre des communes, le principe est la représentation selon la population. Au Sénat, le principe est que chaque province a droit à un nombre donné de sénateurs. Comme les honorables sénateurs le savent parfaitement bien, les députés de la Chambre des communes sont choisis, et la vie d'un député nouvellement élu est de cinq ans ou moins. Par comparaison, les sénateurs sont nommés et peuvent demeurer en poste jusqu'à l'âge de 75 ans. Bref, chaque Chambre représente une entité distincte, sur le plan de la forme et du fond.

À l'évidence, si la preuve montre que les besoins des deux Chambres sont à peu près les mêmes, leurs règles de déontologie devraient être très similaires. Pourtant, il devrait malgré tout y avoir un règlement pour la Chambre des communes et un autre pour le Sénat. Ni l'une ni l'autre des Chambres ne doit accepter un accord faisant fi du fait que chacune est responsable de ses propres affaires. Ni l'une ni l'autre ne devrait accepter que ses responsabilités soient diluées de quelque façon que ce soit. En le faisant, elles se déroberaient à leurs obligations constitutionnelles.

Deuxièmement, comment chacune des Chambres participerait-elle à l'administration du code? Le projet que vous avez devant vous ouvre la porte, sans recommander cette idée ni la rejeter, à la création d'un seul comité. Qui plus est, l'article 28 prévoit ce qui suit: «Doivent être constitués ou désignés, pour l'application du présent code, un comité du Sénat et un comité de la Chambre des communes, ou un comité mixte».

Cette formulation — «Doivent être constitués ou désignés, pour l'application du présent code», — m'amène à poser une troisième question: puisque le code proposé ne sera pas enchâssé dans une loi du Parlement, la formulation impérative de l'article 28 m'incite à poser la question suivante: Qui donne cet ordre? Chacune des Chambres pourrait prendre son propre décret, mais, dans ce cas-ci, il y aurait deux codes: un sujet à des révisions de la part du Sénat et un autre sujet à des révisions de la part de la Chambre des communes. À vue de nez, j'ai l'impression que, au fil des ans, on sentirait à l'occasion le besoin d'effectuer des révisions.

Le code serait-il rendu exécutoire par un décret conjoint des deux Chambres? Comme les honorables sénateurs le savent, il arrive parfois aux deux Chambres d'adopter des résolutions conjointes, c'est-à-dire qu'elles énoncent une opinion, pas un décret, mais une opinion qu'elles partagent. Ce que je veux laisser entendre, c'est que, dans ce cas-ci, il s'agirait d'un décret conjoint. À ma connaissance, il n'y a pas de précédent pour la prise de décret conjoint par les deux Chambres. Il ne m'en vient pas à l'esprit.

Lorsqu'il agit, le Parlement intervient à titre d'institution tripartite: Sa Majesté, le Sénat et la Chambre des communes. Je ne vois pas comment deux de ces éléments, mettons la Reine et le Sénat, pourraient prendre un décret conjoint. Il pourrait être utile d'obtenir des précisions sur ce point.

Il est intéressant de noter que la disposition du code à l'intention des parlementaires selon laquelle seul un sénateur peut porter plainte contre un sénateur et seul un député peut porter contre un député de la Chambre des communes respecte le fait que les deux Chambres constituent des entités juridiques distinctes. Il y a là une incohérence: on propose l'établissement d'un code commun, mais, dans la réalité, chacune des Chambres est indépendante. Ma position est que chacune des Chambres doit avoir son propre code, ce qui suppose la création de deux comités, et non d'un seul.

Je vais poursuivre avec ce que j'appelle le dédoublement entre le Parlement et le gouvernement exécutif. Les propositions que j'ai examinées jusqu'ici épousent de très près les paramètres du rapport Milliken-Oliver. Dans ce cas- ci, je m'engage sur une question où la proposition à l'étude semble ne pas suivre le rapport.

Dans le rapport Milliken-Oliver, on recommande que le Règlement du Sénat et le Règlement de la Chambre des communes soient modifiés pour prescrire la nomination d'un jurisconsulte qui aurait pour tâche de faciliter l'administration d'un code commun. On précise également la procédure de nomination du jurisconsulte.

Par comparaison, l'article 72.1 proposé de la Loi sur le Parlement du Canada ne prévoit rien pour la participation de la Chambre au processus de nomination du commissaire.

La sous-secrétaire du Cabinet vous a dit que le processus de nomination du commissaire serait le même que celui qu'on utilise aujourd'hui pour le Vérificateur général, c'est-à-dire que le nom du candidat du gouvernement serait soumis à la Chambre des communes et, par la suite, soit après un examen par un comité permanent de la Chambre, sujet à un vote dans cette Chambre.

Je vais maintenant m'intéresser brièvement au cas de la Chambre des communes. À mon avis, le commissaire à l'éthique de la Chambre des communes ne devrait pas être nommé par le Gouverneur en conseil et encore moins choisi par le premier ministre pour l'administration de son code.

Le processus utilisé pour la nomination du Vérificateur général convient peut-être pour le Vérificateur général, qui assume une responsabilité majeure: vérifier les comptes et le rendement financier du gouvernement, puis faire rapport au président de la Chambre des communes.

En revanche, le commissaire à l'éthique exerce deux fonctions: premièrement, il est chargé de surveiller ou de contrôler le comportement des parlementaires. Deuxièmement, il a pour mandat de surveiller ou de contrôler le comportement de certains employés de l'État. Nous permettons et même exigeons que les ministres de la Couronne soient membres de l'une ou l'autre des deux Chambres. Néanmoins, la Chambre des communes demeure une entité juridiquement distincte, comme on le constate lorsque la Chambre des communes fait tomber un gouvernement, indépendamment des vues de ce dernier.

En outre, on ne doit pas oublier que l'un des objets auxquels j'ai fait référence plus tôt consiste à fournir des règles claires aux parlementaires sur la façon de concilier leurs intérêts personnels et leurs fonctions officielles en mettant en place un organe indépendant et impartial.

Le Sénat est lui aussi distinct du gouvernement exécutif. En fait, l'une des principales fonctions du Sénat consiste à adopter ou à rejeter les projets de loi gouvernementaux adoptés par la Chambre des communes. Il est vrai que les sénateurs sont nommés par le premier ministre au pouvoir, mais, une fois qu'ils sont en poste, la Constitution leur confère l'indépendance que leur rôle exige. Il s'ensuit qu'il serait inadéquat qu'une personne nommée par le premier ministre, même si sa nomination était approuvée par la Chambre des communes, soit chargée de surveiller le comportement des sénateurs.

Je suppose que, jusqu'ici, la procédure serait la même que celle qui s'applique dans le cas du Vérificateur général. Si, de fait, on tient pour acquis que la nomination devra être approuvée par le Sénat et la Chambre des communes, on devra prévoir une disposition en cas de désaccord entre les deux.

Il est possible que la majorité progressiste-conservatrice au Sénat ne soit pas tout à fait enchantée par le candidat nommé par un premier ministre du Nouveau parti démocratique. Il risquerait d'y avoir des frictions. Les législateurs devraient prendre sur eux de prévoir ces frictions et des solutions.

On peut arguer que la présence d'un seul commissaire favoriserait l'uniformité et la simplicité. On demande que les commissaires ne demeurent en poste que pour une période de cinq ans. Comme je l'ai indiqué, la disposition convient pour la personne nommée par le premier ministre puisque chaque premier ministre est responsable de la conduite de ses propres ministres, et cetera.

Cependant, le premier ministre n'est pas responsable de la conduite de chacun des députés ni de chacun des sénateurs. Ce dont le Sénat et la Chambre des communes ont besoin, comme je l'ai souligné plus tôt, c'est d'uniformité et d'impartialité. Si un mandat de plus de cinq ans ne convient pas pour le premier ministre, il est certain qu'un mandat de moins de six ans ne convient pas pour le Sénat et la Chambre des communes.

Je ne peux résister à la tentation de jeter un petit coup d'œil rétrospectif. Je tenais à dire que le problème auquel vous êtes aujourd'hui confrontés n'est pas nouveau. Il remonte à la fin du XVIIe siècle. Dans les années qui ont suivi la révolution de 1688-1689, il y a eu ceux qui cherchaient à limiter au maximum l'influence de la Couronne sur la Chambre des communes. La Couronne ne devait être qu'un simple exécutif chargé de donner suite aux souhaits des deux Chambres du Parlement.

En l'an de grâce 1701, on a établi qu'aucun titulaire d'une charge publique rémunérée ne pouvait être un député de la Chambre des communes. Si elle avait été appliquée, la disposition aurait grandement contribué à établir une Constitution conforme au principe de la séparation des pouvoirs. Cependant, la loi adoptée en 1701 a été abrogée avant même d'entrer en vigueur. En d'autres termes, on a décidé que l'Angleterre, entité de l'époque, devait avoir une Constitution mixte. Les représentants de la Couronne et du peuple siégeraient à la Chambre des communes.

Par la suite, certains ont bruyamment laissé entendre que la Couronne corrompait la Chambre des communes. Les récriminations ont été particulièrement véhémentes après 1716, année au cours de laquelle les ministres sont parvenus, d'une façon ou d'une autre, à obtenir de la Chambre des communes, élue l'année précédente, qu'elle avalise un projet de loi prolongeant sa durée de vie de trois à sept ans.

Dans les années 1730, 1740 et 1750, on a soutenu que le premier ministre, grâce à la corruption de la Chambre des communes, était en voie de devenir un monarque absolu, un véritable monarque, et non un roi ou une reine, sous le couvert d'un gouvernement parlementaire. L'expérience britannique est pour beaucoup dans le fait que les auteurs de la Constitution des États-Unis ont rejeté le modèle de gouvernement mixte de Westminster au profit d'un modèle dans lequel les organes législatifs et exécutifs sont distincts.

La relation entre les deux codes soulève une question: le code du premier ministre, d'une part, et le code de déontologie des parlementaires, d'autre part. À l'article 5 du projet de code des parlementaires, on précise que tous les parlementaires sont visés. La disposition suivante, soit le paragraphe 6(1), autorise le premier ministre à établir son propre code, un code qui lui permettrait d'établir «des principes, des règles ou des obligations supplémentaires» pour les ministres et tutti quanti. À la première lecture, j'ai pensé que le mot «supplémentaires» voulait dire que les règles et les obligations définies par le premier ministre s'ajouteraient aux obligations des parlementaires pour ensuite me rendre compte que mon hypothèse n'était pas fondée.

En effet, le paragraphe 6(2) se lit comme suit: «Les principes, règles et obligations établis par le premier ministre pour les parlementaires qui sont ministres, ministres d'État ou secrétaires parlementaires l'emportent sur les dispositions et l'interprétation incompatibles du présent code».

Il semble y avoir là une contradiction. D'une part, il y a la disposition générale selon laquelle le code de déontologie s'appliquera à tous les parlementaires; d'autre part, nous avons un libellé précis indiquant que, dans le cas des ministres, et cetera, le code du premier ministre l'emportera sur le code des parlementaires en cas de conflit.

Une telle formulation entrouvre la porte à la possibilité que les normes qui s'appliquent aux ministres, et cetera, soient moins rigoureuses que celles qui visent les parlementaires. Je doute que ce soit là l'intention.

Quoi qu'il en soit, le code des parlementaires doit être le code principal, et non le code secondaire. L'appartenance à l'une ou l'autre des deux Chambres vient en premier. Pour demeurer en poste, un ministre doit être membre de la Chambre des communes ou du Sénat. Le code du premier ministre doit s'ajouter au code des parlementaires.

Je vais maintenant dire un mot de certaines nouvelles assurances données au public. Comme vous le savez sans doute, les articles 21 et 22 obligeraient chacun des sénateurs et des députés à déposer devant le commissaire à l'éthique une déclaration de ses intérêts économiques privés les plus majeurs et à la tenir à jour.

On peut penser que ces déclarations visent à faciliter la détection des cas de députés ou de sénateurs qui contreviennent au code de déontologie. Même s'il s'agit d'une ingérence dans la vie privée, on peut soutenir que l'ingérence en question est raisonnable pour ceux qui ont choisi d'occuper un siège dans l'une ou l'autres des deux Chambres. On doit alors se demander si la mesure est valable. On doit alors se demander si ces déclarations sont utiles. L'hypothèse qui sous-tend l'initiative semble être que les personnes ayant des intérêts établis sont plus susceptibles de contrevenir aux règles. Est-ce bien vrai? Voilà ce que je demande. Un député désargenté, en particulier si ses chances de réélection sont mauvaises, risque d'être plus tenté de contrevenir aux règles qu'un député bien nanti. De la même façon, un sénateur à court d'argent risque de subir plus de pressions qu'un sénateur fortuné.

Si on laisse entendre que cette ingérence dans la vie privée est souhaitable dans la mesure où elle permettra de détecter les cas de corruption, je doute pour ma part qu'elle favorisera la détection et la prévention des cas de corruption.

Une fois de plus, le fait que le commissaire sera choisi par le premier ministre au pouvoir fait craindre que le commissaire puisse communiquer des renseignements au premier ministre ou à son cabinet. Il est vrai que, aux termes du paragraphe 21(3) du code, le commissaire doit assurer la confidentialité des déclarations. Mais, comme le sénateur Carstairs l'a déclaré, le code n'aura pas force de loi.

Permettez-moi de soulever un autre point en rapport avec l'opinion publique. Le commissaire établit un sommaire à partir des déclarations qu'il a reçues. Cependant, seul un sénateur sera habilité à porter plainte contre un sénateur. De la même façon, seul un député de la Chambre des communes peut porter plainte contre un député de la Chambre des communes. En d'autres termes, le public, s'il aura accès aux sommaires, n'aura pas le droit de porter plainte.

À mon avis, la mesure ne fera qu'exciter ceux qui sont critiques des parlementaires. Dans les médias et dans le public, il y aura force chuchotements empreints d'amertume au sujet du code d'honneur de ces voleurs.

J'en viens à mon sommaire. Je pense qu'on ne doit pas surestimer les effets bénéfiques du projet de code de déontologie. Les principales plaintes que j'entends formuler n'ont rien à voir avec la notion selon laquelle des membres ordinaires de l'une ou l'autre des deux Chambres corrompent le droit ou son administration.

Les plaintes que j'entends sont de deux ordres. Le premier a trait à la concentration de la population du Canada dans deux provinces, dans quelques villes même, et au fait que, ici, à Ottawa, on prend trop à la légère les intérêts des habitants des autres régions du pays. C'est de là qu'est née la demande d'un Sénat dans lequel les provinces bénéficieraient d'une représentation égale, au lieu d'un système comme celui de la Chambre des communes, biaisé en faveur de l'Ontario et du Québec.

L'autre plainte est celle que j'ai déjà mentionnée. Elle porte sur l'influence des gros intérêts. J'insiste pour dire qu'il n'y a pas que les ministres qui sont accusés d'être trop copains avec les gros intérêts; il y a aussi, très souvent, les bureaucrates qui, en dernière analyse, prennent des décisions vraiment importantes.

Je me demande si ce code de déontologie est vraiment nécessaire pour prévenir la corruption des parlementaires. Tout de même, il se peut que les deux Chambres doivent moderniser leurs règles pour en arriver à une plus grande simplicité et à une plus grande clarté. Chacune des Chambres est un organe constitutionnel distinct qui a pour responsabilité de préserver son indépendance. Chacune est responsable de la conduite de ses membres. Par conséquent, chacune des Chambres doit disposer de son propre code et confier l'administration de ce code à un fonctionnaire qui lui est redevable.

La présidente: Merci, sénateur Stewart. Je dois dire que vos allusions sarcastiques à TOM — Toronto, Ottawa, Montréal — et à son accès au Sénat me manquent, ces quelques dernières années. Il est bon de vous entendre parler à nouveau, même s'il ne s'agit que d'une allusion passagère, des intérêts des grandes provinces.

Le sénateur Joyal: Sénateur Stewart, vous n'avez pas parlé de l'assise constitutionnelle de chacune des Chambres quand il s'agit de préserver sa capacité de contrôler ses propres membres en ce qui concerne les privilèges de chaque Chambre tels qu'ils sont inscrits dans la Constitution, à l'article 18. Pouvez-vous nous parler de l'importance de faire respecter la lettre de la Constitution, compte tenu du rôle précis que joue le Sénat c'est-à-dire de représenter le principe fédéral?

Vous avez dit que, visiblement, chacune des Chambres se voit attribuer un rôle différent dans la Constitution. La Chambre des communes fonctionne par circonscription. Chacun des députés représente les intérêts globaux d'un groupe de citoyens dans les limites de la circonscription. Toutefois, selon la Constitution, le sénateur joue un rôle différent. Nous avons un système fédéral de gouvernement avec un parlement bicaméral, ce qui veut dire qu'une Chambre a enchâssé le principe fédéral qui consiste à protéger les intérêts des minorités et des régions. Par ailleurs, la Charte a ajouté d'autres intérêts au principe fédéral, par exemple les intérêts des peuples autochtones et d'autres minorités qui y sont reconnues.

Ne serait-il pas excessif de faire fi de ce principe essentiel au profit d'un objectif d'intérêt public qui, comme vous l'avez dit vous-même, vise à préserver la confiance qui existe à l'égard du processus parlementaire? De fait, ne nuirait- on pas aux principes mêmes de notre système si on acceptait la proposition telle qu'elle est formulée?

M. Stewart: Pour faire court, oui. Notre Constitution renferme un problème fondamental. Nous avons pris le modèle britannique — qui, en lui-même, n'est pas parfaitement clair en raison de la Chambre des lords — qui nous donne le gouvernement responsable. Les ministres ont responsables envers les Communes; les Communes sont responsables envers le peuple. À cela nous avons ajouté le fédéralisme. De fait, il n'y aurait pas eu de Confédération si nous n'avions pas instauré un système fédéral. Logiquement, il y a là un problème.

Certaines personnes ne sont peut-être pas d'accord avec moi, mais je vous dirais que, au fil des ans, le Sénat a reconnu que le gouvernement en place ne lui est pas redevable; il est redevable à la Chambre des communes. Les sénateurs déplorent le fait que la Chambre des communes n'en fait pas plus pour faire prendre ses responsabilités au gouvernement en place, mais le Sénat, en lui-même, ne se donne pas pour mission d'être un agent du gouvernement responsable. C'est un agent du fédéralisme. Je vous dirais que, si vous commencez à diluer votre responsabilité, vous allez violer une idée fondamentale derrière l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867, qui est maintenant la Loi constitutionnelle.

Je vous parle, bien entendu, en tant que personne originaire de la Nouvelle-Écosse. Il y a toujours un problème, comme quiconque a déjà prêté quelque attention au projet de Sénat triple E le sait, quoique les gens soient nombreux dans nombre d'endroits au pays à croire que les «tomistes» — Toronto, Ottawa et Montréal — ont beaucoup trop d'influence, particulièrement en raison de la concentration de la population et de l'industrie dans ces endroits.

Il y a aussi la question de la géographie. Ottawa est trop central. Ottawa est situé dans l'Est, comme les gens pourraient le dire dans l'Ouest. Je crois que vous abordez une question très importante ici. Vous allez abandonner totalement l'idée de notre Constitution fédérale si vous permettez que la Chambre des communes ou le premier ministre qui se trouve être en place à ce moment-là empiète sur votre champ de compétences.

Le sénateur Grafstein: Je me réjouis du retour de John Stewart. Nous avons partagé un local à mes débuts ici, et les sages conseils qu'il savait me prodiguer tous les jours me manquent. Le document très réfléchi qu'il a préparé me rappelle à quel point il nous manque, car il a su articuler avec une clarté nettement plus grande nombre des préoccupations que nous pourrions avoir nous-mêmes.

Pour essayer de résumer votre point de vue, je dirais qu'il est question ici de la confiance du public. Il ne semble pas y avoir de danger manifeste en ce qui concerne la confiance du public à l'égard des parlementaires ou des sénateurs; les observations formulées ont fait ressortir que la véritable question concerne le Cabinet et l'administration. Par conséquent, il serait peut-être antiproductif d'adopter un code de déontologie qui chevauche les deux Chambres et qui joue le jeu d'une presse concupiscente. Si nos actions sont prises en dehors de leur contexte, comme c'est toujours le cas dans les médias, plutôt que d'améliorer la confiance du public, cela pourrait avoir l'effet inverse. Nous avons déjà vu cela — une affaire qui, subitement, se répercute sur les deux Chambres et sur le gouvernement et qui mine la confiance du public.

Vous avez également dit une chose qui m'inquiète encore plus et à laquelle je n'ai pas réfléchi avec autant de clarté que vous: cela pourrait miner l'indépendance du Sénat au moment même où on reproche au Sénat de n'être pas suffisamment indépendant.

Enfin, vous faites valoir que cela pourrait diluer le cadre constitutionnel du gouvernement responsable, c'est-à-dire le partage du pouvoir entre l'exécutif, d'un côté, et les freins et contrepoids que chacune des Chambres sont censées faire intervenir, l'une face à l'autre, et l'exécutif, d'autre part.

Est-ce là une version extrême de vos idées, ou est-ce une représentation juste? Dans votre dernier énoncé, vous avez posé la question de savoir si le code de déontologie est même nécessaire, en vous demandant si tout ce qui est nécessaire, ce n'est pas seulement de faire un peu de ménage, proposition à laquelle personne ne s'oppose de ce côté.

M. Stewart: Je suis heureux de constater que vous faites la distinction. Je ne dis pas que le Sénat ne devrait pas avoir son propre code de déontologie. J'affirme que ce code devrait être le sien. Le raisonnement selon lequel il faut ce code de déontologie commun pour améliorer l'opinion publique passe tout à fait à côté de la question. De fait, cela détourne l'attention du véritable problème.

J'habite un village de pêcheurs. Le ministre des Pêches y exerce une plus grande responsabilité, une responsabilité plus immédiate, que tout autre ministre. C'est un portefeuille où les activités sont détaillées et bien concrètes, beaucoup plus qu'en agriculture. Ce dont on se plaint, c'est que les députés ne dénoncent pas la situation comme ils devraient le faire, qu'ils suivent simplement le whip sinon le whip les rappellera à l'ordre, et que le problème se situe à l'échelle du ministre et, peut-être encore plus à l'échelle bureaucratique. Si vous avez tant d'énergie et de temps à consacrer à la question, vous pourriez en faire un usage beaucoup plus efficace, du point de vue des relations publiques, en vous attachant à ce qui constitue le véritable problème aux yeux du public.

Le sénateur Grafstein: Je tiens pour acquis que l'indépendance du Sénat est un élément capital de cette analyse. Autrement dit, un Sénat fort, visible et indépendant est un élément capital de cette analyse.

M. Stewart: Oui, je crois que c'est évident.

Le sénateur Smith: J'aimerais mieux comprendre la question; je vais donc essayer de résumer votre position là- dessus. Si je m'écarte du récit véridique, je vous prie de me corriger.

Vous faites valoir avec vigueur que le commissaire à l'éthique proposé, Howard Wilson réincarné, et le responsable parlementaire devraient être deux personnes différentes. Je crois qu'aucun d'entre nous de trouve à redire à cela. De fait, si je me souviens bien, chacun des exposés que nous avons entendus jusqu'à maintenant est favorable à ce point de vue.

Vous avez présenté de bons arguments quant à la question de savoir s'il faut deux responsables pour le Parlement — un pour la Chambre et un pour le Sénat — de sorte que chacune des deux Chambres aurait son propre responsable. Cela ne me pose aucune difficulté, à condition que ce soit structuré d'une façon économique, pour qu'il n'y ait pas de responsable à temps plein qui soit assis à ne rien faire parce qu'il n'y a pas de plainte qui a été formulée, les plaintes ne pouvant provenir que d'un membre de la même Chambre. À cette fin, certains d'entre nous ont parlé de la possibilité de confier le poste, selon un taux journalier, à une personne qui est très respectée.

Je ne sais pas très bien comment il faut élaborer cette structure. Je parlerai du bureau de Howard Wilson réincarné. Je ne sais pas comment nous pouvons en arriver à ce stade sans adopter des modifications législatives. Mettons la question de côté pour l'instant, car elle n'a pas une si grande incidence sur nous. Je comprends que cela relève nettement plus de la prérogative du premier ministre.

Je formulerai une observation au sujet du ou des responsables qui seraient nommés au Parlement. J'inviterai mon collègue et ami, le sénateur Joyal, à se joindre à la discussion, car je respecte son opinion en rapport avec ces questions. D'après la discussion que j'ai eue avec lui, je sais qu'il croit que le code et les bureaux des deux Chambres, et certainement celui du Sénat, pourraient être mis en place au moyen d'une résolution, plutôt que d'une loi, ce qui permettrait d'éviter la pente savonneuse que représente l'interférence judiciaire. Êtes-vous d'accord avec cela? Quel est votre point de vue sur la question? Essentiellement, ce qu'il nous faudra décider reviendra surtout à cela.

M. Stewart: Je crois comprendre la question. Je crois que les propos du sénateur Carstairs, parlant au nom du gouvernement, demeurent justes. Je n'ai vu aucune rétraction quant à l'idée qu'il y ait des modifications de la Loi sur le Parlement du Canada, mais que le code de déontologie, en lui-même, ne constituerait pas une mesure législative.

Le sénateur Smith: La désignation de responsables et la façon de les choisir pourraient prendre la forme d'une résolution de la Chambre, plutôt que d'une loi. Est-ce votre avis?

M. Stewart: Je crois qu'il faudra un lien parfaitement légal pour pouvoir payer ce responsable. Cela nous amène à tirer la conclusion que vous êtes en train de formuler, je crois, soit qu'il faudrait une assise législative pour les pouvoirs du commissaire.

Peut-être faudra-t-il prendre pour modèle le bureau du Vérificateur général, qui s'applique maintenant à la Chambre des communes seulement. La proposition du gouvernement, si je comprends bien, est telle que, du point de vue de la Chambre des communes, le gouvernement doit, d'une certaine façon, nommer les personnes, tandis que la Chambre des communes approuve ou rejette la nomination. Tout de même, je n'ai lu aucun passage où il est dit que la même chose s'applique au Sénat. Vous devez suivre le pas.

Le sénateur Smith: Le bureau de «Howard Wilson réincarné», comme je le dis, exigera une loi, car l'actuel conseiller à l'éthique est rémunéré. Même si on engage à temps partiel un ex-juge respecté qui aurait droit à une allocation quotidienne, il faudrait tout de même le payer. Je ne veux pas parler au nom du sénateur Joyal, mais je crois qu'il est d'avis que la question peut se régler au moyen d'une résolution.

M. Stewart: Il est question des moyens à employer. Si nous présumons que l'objectif consiste à établir un code de déontologie du Sénat, ce qui, à mon avis, supposerait un code administré par un agent de surveillance ou des services policiers, alors il y a toute la question de savoir quels sont les éléments concrets et les coûts qu'il faut prendre en considération pour mettre cela en place. Ce que je laisse entendre, sénateur, c'est que, dans le monde où je vis, il n'y a pas une grande demande, du point de vue des relations publiques, à l'égard de ce code de déontologie appliqué au Sénat.

Le sénateur Smith: Peut-être que le fait de donner à ce responsable un rôle relativement modeste entraînera la question que vous avez soulevée — que les membres du public, et non seulement un collègue de la Chambre, auront le droit de déposer des plaintes. Si tel est le cas, cela rappellerait ce que font les gens de Démocratie en surveillance. Je les verrais déposer des plaintes tous les sept ou 14 jours, puis il faudrait affecter un nombre considérable de personnes à cela et exiger des fonds.

J'ai posé la question, mais je vais laisser le sénateur Joyal parler en son propre nom.

M. Stewart: Si des membres du public pouvaient déposer des plaintes contre les sénateurs et contre les membres privés de la Chambre des communes, ce serait un grand soulagement pour ce qui est de ce que nous voyons parfois à la télévision. Ce serait toujours à la télévision, et ce serait moins ennuyeux.

La présidente: Je peux seulement présumer que s'il s'agit d'une plainte valable à l'encontre d'un sénateur ou d'un député aux Communes, alors on pourrait sûrement trouver un membre du parti d'opposition qui se chargerait de l'affaire, à condition que la plainte soit valable.

M. Stewart: C'est pourquoi j'ai dit que «les bandits ont leur code d'honneur».

La présidente: J'aimerais signaler que nous devons partir sous peu, afin de continuer avec l'autre partie de notre réunion.

Le sénateur Di Nino: Peut-être allons-nous poursuivre cette discussion une autre fois. Pour l'instant, je salue le retour du sénateur Stewart. Cela fait plus de 40 ans qu'il étudie et enseigne ces questions. Le mémoire qu'il a préparé pour aujourd'hui souligne le fait qu'il est le genre d'homme qui étudie rigoureusement les questions et les articule bien. Nous l'en remercions.

Par le passé, il est arrivé que des témoins nous parlent d'une crise de confiance ou de questions reliées à la confiance. Votre exposé me porte certainement à croire que vous n'êtes pas forcément d'accord avec cela, pour ce qui touche la conduite des parlementaires et en particulier celle des sénateurs. Ai-je raison de l'affirmer?

M. Stewart: Tout à fait. Ce dont on se plaint à moi, particulièrement pour ce qui est des députés aux Communes, c'est qu'ils suivent leur chef. Il n'y a pas d'action indépendante, qu'elle soit corrompue ou honnête.

Le sénateur Di Nino: Merci, et je suis d'accord avec cela. J'aimerais traiter d'une petite question qu'il faut étudier plus à fond. Je crois que vous avez dit: cela détourne l'attention du véritable problème. J'interprète cela comme voulant dire, selon vous, le problème concerne non pas la Chambre ou les membres du Sénat; nous devrions essayer de voir où le problème existe vraiment et tenter de le régler. Pourriez-vous nous livrer d'autres réflexions là-dessus, pour nos délibérations?

M. Stewart: Sénateur, je signalais simplement ce qu'on me dit. La plainte est simple. Comme je l'ai dit plus tôt, il y a dans les villes une concentration d'habitants et d'industries qui a un effet délétère sur la représentation de nos régions rurales. Ici, je m'adresse à vous en tant que personne originaire de la région de l'Atlantique. La plainte est la suivante: il y a une sorte de copinage entre ceux qu'on appelait «the people above» dans l'Écosse du XVIIIe siècle. Autrement dit, la haute gomme. Ces gens-là jouent au golf ensemble; ils vont à la pêche ensemble et ainsi de suite. De même, il y a ces experts-conseils d'une efficacité redoutable; on a donc l'attitude suivante: Pourquoi déranger le député? Allez vous chercher un bon consultant et allez de l'avant. Voilà qui semble être le véritable problème, du point de vue des relations publiques. Vous avez peut-être de bonnes raisons de faire le ménage dans vos affaires; tout de même, n'allez pas croire que cela va changer du tout au tout le respect que le public a pour notre institution.

Le sénateur Rompkey: Je crois que vous avez dit qu'il fallait faire le ménage en ce qui concerne les règles. Croyez- vous aussi que, une fois le ménage fait, il faut réunir les règles pour qu'elles forment un tout?

M. Stewart: Voulez-vous dire au Sénat ou dans les deux Chambres?

Le sénateur Rompkey: Je parle du Sénat.

M. Stewart: Je ne sais pas s'il faut faire le ménage ou apporter des éclaircissements. Je présume que les honorables sénateurs auront entendu des témoignages qui laissent voir que c'est vrai. Le cas échéant, c'est une mesure que vous devriez entreprendre. Vous devriez faire le ménage et éclaircir les choses.

Le sénateur Rompkey: J'hésite à utiliser le terme «codifier», mais est-ce raisonnable et sensé, une fois le ménage fait, de réunir les éléments pour en faire un article?

M. Stewart: Un article du Règlement du Sénat.

La présidente: Merci beaucoup, sénateur Stewart. Vous accueillir de nouveau a été un plaisir pour nous. Je m'excuse auprès des honorables sénateurs, encore une fois, de devoir couper court toujours à la discussion.

Je soulignerais que, dans la mesure où les honorables sénateurs ont des questions de suivi pour l'un quelconque des témoins et qu'ils me les présentent à moi, c'est avec bonheur que je les transmettrai et que je les ferai circuler par la suite.

Le sénateur Grafstein: J'ai eu l'occasion de m'adresser au professeur Gibson, tout juste après son témoignage; il m'a dit qu'il serait prêt à revenir. Il a soulevé plusieurs questions fondamentales, dont certaines méritent d'être examinées soigneusement. Il m'a dit qu'il était prêt à revenir parce que, selon lui, comme nous le croyons tous, nous n'avons pas vraiment eu l'occasion d'examiner avec soin ses idées, qui sont très différentes des miennes.

La présidente: Nous allons maintenant faire une pause, pour nous retrouver dans dix minutes dans l'édifice de l'Est.

La séance est levée.

___________________________________________________

OTTAWA, le mardi 1er avril 2003

Le Comité sénatorial permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement se réunit aujourd'hui à 10 h 45 pour examiner les propositions visant à modifier la Loi sur le Parlement du Canada (commissaire à l'éthique) et certaines lois en conséquence, ainsi que la proposition de modification du Règlement du Sénat et du Règlement de la Chambre des communes visant à donner suite au rapport Milliken-Oliver déposé au Sénat le 23 octobre 2002.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, nous accueillons aujourd'hui, grâce à la vidéo-conférence, la professeure Mancuso de l'Université de Guelph.

Mme Maureen Mancuso, professeure, Université de Guelph: Honorables sénateurs, en guise d'introduction, je vais vous entretenir brièvement des attentes du public parce que je crois qu'il est en droit d'avoir des exigences lorsque l'on parle de codes de déontologie. Si l'histoire des scandales politiques au Canada nous enseigne quelque chose, c'est que nous risquons parfois de ne pas comprendre les attentes du public envers le comportement des titulaires officiels d'une charge quelconque. Les scandales qui érodent la confiance à l'égard du gouvernement entachent la réputation de tous ceux et celles qui sont engagés en politique et, en bout de ligne, donnent lieu à la création de comités comme le vôtre. De tels scandales sont des exemples d'actes politiques qui rendent le public confus ou qui viennent ébranler ses attentes.

Cela ne veut pas dire qu'à mon avis, le public a raison. Je crois, en un sens, que ces attentes sont plutôt irréalistes. Après tout, le public est étranger au monde politique, et il ne connaît pas la pression ou les exigences quotidiennes de cette réalité. Il fait rapidement fi des exigences du poste pour ne s'attarder qu'aux avantages apparents. Quoi qu'il en soit, c'est toujours ainsi que le public perçoit les hommes et les femmes politiques, et même si ses attentes sont irréalistes, on doit en tenir compte parce que c'est sur ces attentes que toute la confiance du public à l'égard du gouvernement repose.

Je n'irai pas trop loin dans le degré de confiance. Je pense que vous savez tous qu'il est faible et qu'il diminue sans cesse. Je tiens seulement à vous rappeler que j'ai produit quelques tableaux à partir d'un article publié en 1999 qui compare les perceptions du public à celles des politiques et des journalistes. Je vous en ai remis un exemplaire ce matin. Au tableau numéro 1, on voit que l'opinion du public est moins élevée envers le Parlement que l'opinion des gens qui sont en politique. Et on voit que l'écart de perception est beaucoup plus étroit envers le Sénat. Ce qui est inquiétant, c'est que dans le cas du Sénat, même parmi vos collègues, vos camarades politiques, 51 p. 100 ont peu ou pas confiance au Sénat en tant qu'institution. Quand on prend les données, on constate que deux Canadiens sur cinq n'ont aucunement confiance au Sénat, et deux fois plus ont la même opinion regrettable à l'égard du Parlement dans son ensemble.

À mon avis, on ne peut éviter la question. Et que ce soit réaliste ou non, je crois toujours qu'il y a du travail à faire pour régler ce problème.

Le code est une première étape dans le bon sens. Ce code fixe effectivement certaines normes importantes qui s'appliqueraient à tous les parlementaires, en insistant sur les exigences qu'ils doivent respecter pour éviter non seulement des conflits d'intérêts réels, mais même l'apparence de conflits. Le code enchâsse les principes de divulgation et de transparence, à tout le moins au commissaire à l'éthique, sinon au public. On reconnaît l'importance de donner des orientations et des conseils éthiques aux parlementaires dont la plupart, comme nous le savons tous, sont disposés à faire ce qu'il se doit, mais ils doivent souvent faire face à des obligations confuses et contradictoires.

Mais plus important encore, cela donne au commissaire à l'éthique une base institutionnelle solide, son poste est investi d'une autorité parlementaire et assorti de responsabilités plutôt que d'être une prolongation du cabinet du premier ministre. C'est là une grande amélioration.

Je vais m'arrêter ici. Je remercie les membres du comité de me donner la chance de les rencontrer ce matin. Je me ferai un plaisir de répondre aux questions ou d'engager le dialogue ou la discussion au sujet du code.

Le sénateur Rompkey: J'ai examiné les tableaux que le témoin nous a présentés et qu'elle a passés en revue avec nous. Professeure Mancuso, vous avez parlé de confiance à l'égard des institutions, mais nous venons d'entendre le témoignage de l'ancien sénateur Stewart au sujet des attitudes du public. Il nous a dit que le public estime que les parlementaires, surtout les députés, n'ont pas assez de pouvoir ou d'influence. On ne leur reproche pas d'utiliser leur poste pour influencer les politiques, mais, au contraire, de ne pas l'utiliser suffisamment. Et il ajoute qu'en imposant un code aux parlementaires, nous réglons le mauvais problème. Nous devrions tenter de donner plus d'influence aux députés.

Je tenais à vous faire part de cette observation parce que nous discutons aujourd'hui de la nécessité d'établir un code. Vous avez semblé dire que cette nécessité existe et que le public l'exige. Je tenais à vous parler du témoignage de John Stewart, parce qu'il me semble qu'il est pertinent à notre discussion et à votre intervention.

Mme Mancuso: Oui, je suis d'accord, cela est ressorti clairement et précisément de la part des politiques dans notre étude. Ce sont en grande partie les politiques, les législateurs provinciaux et fédéraux qui, dans le cadre des sondages, ont parlé de la nécessité d'une réforme parlementaire et de l'accroissement du pouvoir des députés d'arrière-ban.

J'ai travaillé au Parlement comme stagiaire en 1984 au sein du Comité spécial McGrath sur la réforme de la Chambre des communes. Le comité a produit un rapport très important, en ce sens qu'il a parlé des types de réformes de structures et de procédures qui pourraient être mises en oeuvre pour accroître le pouvoir effectif et apparent des députés d'arrière-ban. Certes, la perception que la discipline de parti restreint et limite l'influence des parlementaires existe. Mais dans notre étude, ce sont les députés eux-mêmes qui nous l'ont dit, pas le public.

Le sénateur Rompkey: Je voulais aussi vous parler de l'attitude du public à l'égard d'un code de déontologie. Est-ce que vous croyez que c'est le public qui exige ce code? John Stewart, et j'espère que je traduis bien ce qu'il a dit, a indiqué que ce n'est pas ce qu'il avait entendu. Le public ne réclame pas l'adoption d'un code strict pour restreindre les personnes qui utilisent indûment leur influence. Ce que les gens lui disent, c'est que nous devrions faire quelque chose pour améliorer le rôle des parlementaires afin qu'ils aient plus d'influence. Est-ce que ma question est claire?

Mme Mancuso: Oui. Sénateur, si vous regardez au tableau 3, où nous avons demandé au public quels types de réformes, à son avis, réduiraient la corruption beaucoup, un peu ou pas du tout, le pourcentage le plus important des réponses portait sur la création d'une commission à l'éthique indépendante, chargée de faire enquête sur les plaintes du public. Parmi les répondants, 61 p. 100 ont dit que cela changerait beaucoup leurs perceptions du problème.

Deuxièmement, on proposait des sanctions plus sévères, 60 p. 100 des répondants estimaient que cela ferai une grande différence.

Je crois que les gens pensent, du moins c'est ce qu'ils perçoivent, que cette commission à l'éthique serait considérée comme un organisme qui implante certaines règles ou — je n'aime même pas le mot «règles» — un cadre à partir duquel elle pourrait évaluer les comportements; ce que les députés nous disent, c'est qu'ils veulent des orientations concrètes sur la façon d'agir dans certaines situations. À cet égard, l'établissement d'un code est autant à l'avantage du public que des parlementaires.

Le sénateur Grafstein: Merci, madame Mancuso. Les sondages publics sont toujours très intéressants et parfois trompeurs.

Mme Mancuso: C'est exact.

Le sénateur Grafstein: Permettez-moi de commencer avec votre tableau 3. Il me semble y avoir une proposition qui appelle une réponse. Vous dites: «Croyez-vous que les propositions permettraient de réduire la corruption?» En effet, la question laisse entendre que le public croit que les politiciens sont corrompus. Est-ce que vous avez posé une série d'autres questions plus précises en espérant déterminer ce que pourraient être les attitudes du public à l'égard de la corruption? Quand vous dites «Croyez-vous que cela réduirait la corruption», il y a là une supposition. Bien honnêtement, si j'étais membre du public, je dirais: «Voici comment procéder», mais la question préliminaire contient le mot «corruption» également, et sur quoi vous basez-vous pour dire cela?

Je vais vous compliquer un peu plus les choses. Vous avez mis tous les politiciens provinciaux et fédéraux et tous les ministres dans le même paquet. Honnêtement, ce que nous voulons ici, c'est faire la différence entre le Cabinet, le Parlement, les lobbyistes et les sénateurs.

Je me demande si dans vos questions, vous avez passé chacune de ces catégories en revue pour déterminer si vos conclusions s'y appliquent.

Permettez-moi de vous donner un autre exemple parce que je suppose que tous les honorables sénateurs aimeraient bien aborder cette question.

Au tableau numéro 2, vous dites que les fonctionnaires, pour ce qui est de la conduite éthique, obtiennent la note la plus basse. Est-ce exact?

Mme Mancuso: À ce sujet, les répondants ont été invités à dire si à leur avis, les fonctionnaires se situent à un niveau inférieur ou égal; 11 p. 100 des réponses du public ont indiqué que les fonctionnaires se situaient à un niveau plus élevé et 17 p. 100 ont dit à un niveau moins élevé.

Le sénateur Grafstein: Peut-être pourriez-vous parler uniquement de cette question parce qu'il est très important pour nous de faire la différence entre la sensibilisation du public et ses inquiétudes. Comme vous le savez, toute la presse s'est concentrée non pas sur les parlementaires ou les sénateurs, mais sur les ministres et les lobbyistes.

Mme Mancuso: En ce qui concerne le premier point, c'est simplement une note. Vous prenez les tableaux hors contexte. Ces tableaux s'insèrent dans une vaste étude visant à mesurer l'état de l'éthique politique et les attitudes de la population à l'égard des questions de corruption. Par exemple, on a dit aux répondants: «La corruption politique est un problème répandu au Canada», et 74 p. 100 des membres du public étaient tout à fait d'accord. Nous avons dit également: «Peu importe ce que nous faisons, nous ne pourrons jamais mettre un terme à la corruption politique au Canada». Soixante et onze pour cent des membres du public étaient tout à fait d'accord avec cet énoncé.

Je serai la première à reconnaître les limites de la valeur et des extrapolations des sondages, mais je vous préviens que c'est une erreur de prendre les tableaux hors du contexte de toute l'étude qui a été très bien menée.

Pour en venir à votre autre élément, nous aimerions discerner les diverses catégories de fonction, mais le public vous considère comme une catégorie et vous situe à un niveau donné. Nous avons effectivement tenté de déterminer comment les gens réagissaient en incluant, comme éléments essentiels du sondage, une série de questions hypothétiques ou de scénarios dans lesquels nous avons changé les titulaires de fonctions. Nous voulions voir si la réponse serait différente. Nous avons l'exemple des ministres, des sénateurs et des députés.

Le changement intéressant s'est produit lorsque nous avons ajouté les médias à la question. Lorsque les politiciens se voyaient poser des questions intrusives au sujet de leur vie privée, le public réagissait négativement, mais à l'égard du journaliste qui les posait. Chaque fois que le responsable des médias posait la question, nous avions une réaction.

Je pense que vous seriez surpris des résultats de l'enquête. Il existe un niveau important de soutien à l'égard des fonctionnaires et des politiques au Canada, soutien plus important que nombre d'entre vous reconnaissaient ou appréciaient. Je sais que l'on n'entend parler que du négatif. Nous nous concentrons sur les scandales et sur ce que nous percevons comme des événements négatifs. On n'entend pas parler du tout du bon travail qui se fait, quoique l'étude révèle qu'il existe un énorme bassin de soutien pour ce que vous faites.

Le sénateur Grafstein: Je regarde le tableau 3 et je fais ici mon intervention uniquement en tant que sénateur de l'Ontario. Il y a trois paliers de gouvernement, municipal, provincial et fédéral, ce qui inclut des ministres, des députés et des sénateurs. Lorsque vous posez une question à un répondant de Toronto au sujet des «politiciens» à un moment où l'on constate un important ressentiment du public de cette ville à l'égard des politiciens au niveau municipal, ne faussez-vous pas en quelque sorte vos conclusions?

Mme Mancuso: C'est ce que je vous dis. Ce n'est pas ce que nous avons fait. Le groupe dans le tableau intitulé «politiciens» est un groupe de répondants, c'est-à-dire des députés fédéraux, des sénateurs et des députés provinciaux. Dans le tableau, vous ne voyez que des questions au sujet du Parlement et du Sénat. Au tableau 2, à la question 2, nous n'avons posé des questions que sur les députés et les fonctionnaires.

Le sénateur Grafstein: Là encore, même si vous dites «parlementaires», bien des gens en Ontario ne connaissent pas la différence entre un député fédéral et un député de leur assemblée législative et les mettent tous les deux dans le même panier. Par exemple, en Ontario, nous avons un système très rigoureux de commissaire à l'éthique, un code, comme on l'a dit. Pourtant, les chiffres ne semblent pas varier, avec ou sans le code. Que devons-nous en conclure?

Mme Mancuso: Si vous voulez voir les différences régionales, je pourrais vous faire parvenir cette ventilation. Nous n'avons pas constaté de différences régionales évidentes, sauf pour le Québec, ce qui a été une observation aberrante; nous avons constaté le contraire dans les attentes du public. Les répondants du Québec ont été les plus intolérants parmi ceux qui sont décrits dans l'échantillon de sondage. Cela va à l'encontre de ce que contenait la documentation.

Le sénateur Grafstein: Madame la présidente, je pense que nous devrions avoir toute l'étude. Je réserve mes questions jusqu'à ce que je puisse m'assurer que nos conclusions ne sont pas injustement faussées par rapport au travail qu'a fait Mme Mancuso.

La présidente: Nous allons demander que toute l'étude soit distribuée. Nous avons effectivement les questions des études du professeur, mais pas les réponses.

Le sénateur Joyal: J'apprécie votre contribution, madame Mancuso. Dans le tableau 4, sur l'appréciation du Sénat par le public, comme vous l'avez dit, environ 49 p. 100 du public ont peu confiance au Sénat. Je crois que c'est un chiffre fantastique. Le Sénat a été critiqué, vilipendé et mis au pilori dans l'opinion publique canadienne depuis les 20 dernières années, et ce, de façon régulière et répétée. On nous a descendus à plusieurs reprises dans les pages éditoriales des journaux nationaux et régionaux au Canada. Pourtant, nous conservons toujours la confiance de 50 p. 100 de la population canadienne. Si vous regardez les gouvernements canadiens qui ont été élus avec moins de 50 p. 100 des voix, vous serez étonnée de constater que c'est le cas de la plupart des députés provinciaux et fédéraux.

La présidente: Je vous signale que la réponse du public à la question portant sur le Sénat n'a été que de 34 p. 100.

Le sénateur Joyal: Même à 34 p. 100, regardez comment le Sénat a été traité. Ce n'est pas un problème qui est essentiellement lié au comportement des sénateurs. Au tableau 3 de vos données, vous proposez, à la question 58, d'imposer des pénalités plus rigoureuses pour les actes de corruption. Pour moi, la corruption est un crime. Les textes qui nous ont été soumis ne contiennent aucune modification au Code criminel. Je l'ai répété et répété. Je pense que le Code devrait être révisé. Cette proposition n'a rien à voir avec cela.

Deuxièmement, vous proposez d'exiger que tous les politiciens révèlent publiquement leurs déclarations de revenus. Dans l'avant-projet de loi qui nous a été soumis, on ne demande à personne de révéler ses déclarations de revenus. Pour moi, cela équivaudrait à une ingérence dans la vie privée.

Troisièmement, les politiciens devraient suivre un cours sur l'éthique publique. Mais nous n'avons pas besoin d'un projet de loi sur l'éthique pour cela. Nous avons déjà des règles en vertu desquelles on peut informer les sénateurs et les politiciens.

Quatrièmement, vous proposez de créer une commission à l'éthique qui serait indépendante et chargée de faire enquête sur les plaintes du public. Je suis désolé, mais les amendements qu'on nous a présentés ne le prévoient pas. Ils permettent aux députés ou aux sénateurs de déposer une plainte.

Enfin, les personnes qui voudraient occuper des fonctions publiques devraient faire l'objet d'un examen pour déceler des lacunes dans leur éthique personnelle. Ce devoir est celui du parti, pas du Sénat ni de la Chambre des communes une fois le député élu ou le sénateur nommé.

Avec tout le respect que je vous dois, je vous dis que toutes les questions que vous avez posées au tableau 3 n'ont rien a voir avec le projet de loi que nous discutons actuellement parce qu'aucune d'entre elles n'inclut ces propositions. J'ai donc l'impression que nous pédalons, pour utiliser une expression courante, dans la crème fouettée. Aucune de nos questions ne porte sur les propositions que nous essayons de comprendre. Je ne suis pas impressionné par votre question: «Faites-vous confiance à vos politiciens?» Je ne connais aucune démocratie occidentale où les politiciens sont sur le même pied que les juges. C'est comme comparer le pompier au prêtre et demander: «À qui faites-vous le plus confiance?» Cela dépend du contexte.

Quand vous utilisez une stratégie aussi restreinte pour aborder une question aussi complexe que la confiance du public, vous ne mettez pas le doigt sur le véritable problème. Le véritable problème concerne davantage le financement des partis. J'espère qu'on nous présentera bientôt un projet de loi là-dessus. La question du lobbyiste est la plus importante, ainsi que le comportement des ministres qui prennent des décisions au niveau exécutif concernant les droits des citoyens. C'est là l'élément le plus important. Il ne s'agit pas de déterminer dans quelle mesure le premier mandat d'un député est de faire connaître son opinion, comme l'a dit Edmund Burke, au sujet d'une proposition gouvernementale. Nous ne prenons aucune décision qui concerne le volet exécutif du gouvernement. Ce sont les privilèges de l'exécutif. Nous sommes là pour intervenir au nom du public, pour défendre les intérêts des régions et des minorités. Alors là, on peut dire: «Je fais mon devoir de façon responsable et constitutionnelle».

Dire que quelqu'un manque d'éthique et ainsi de suite, et que nous devrions nous concentrer là-dessus, c'est nous restreindre à des problèmes limités et étroits. Toutes les provinces ont un code d'éthique et un commissaire à l'éthique. Et quand on regarde la situation, cela reflète la confiance que les gens ont dans leurs politiciens provinciaux autant que fédéraux. En réalité, nous semons la confusion partout ici.

Je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire que le code d'éthique du premier ministre doit être clairement publié et appliqué, parce que c'est là que le bât blesse. Le reste, c'est un élément mineur de la confiance de la population. J'espérais que vos données nous aideraient à comprendre cela.

La présidente: Merci, sénateur Joyal. Je dois dire que nous avons effectivement demandé à Mme Mancuso de nous préciser ce que ses études — celle-ci a été faite en 1999 — indiquaient au sujet de l'opinion publique des Canadiens. Ce ne sont pas des propositions, comme vous l'avez fait clairement remarquer. Je suis sûre que la professeure Mancuso le précisera également.

Madame Mancuso, souhaitez-vous répondre aux interventions du sénateur Joyal?

Mme Mancuso: Je pense que cela nous ramène à mon point de départ, c'est-à-dire les attentes. Le Parlement a un problème de relations publiques, dont une partie pourrait être réglée à l'aide d'un code, pour les raisons que j'ai énoncées au début. J'estime que si les attentes étaient exprimées ou clarifiées dans un code, le public comprendrait ce qu'est une norme raisonnable de comportement que doivent respecter ses parlementaires.

Du même souffle, il est important qu'à l'intérieur même de la Chambre ou du Sénat, il existe des lignes directrices bien établies qui aident les gens à résoudre les dilemmes de déontologie au jour le jour, dilemmes qui sont inhérents à la vie publique. C'est ce que m'ont dit clairement les députés que j'ai interviewés au Canada, en Grande-Bretagne, ainsi que les membres du Congrès des États-Unis. Les gens apprécient que ces normes soient clairement précisées. Cela ne veut pas dire que la discrétion ou le jugement n'entre plus en jeu, mais cela permet effectivement d'établir de vastes paramètres à l'intérieur desquels le public et les parlementaires pourront travailler.

Le sénateur Di Nino: Madame Mancuso, je partage en partie la frustration de mes deux collègues, en ce sens que je crois qu'il serait préférable d'obtenir le rapport au complet et d'examiner le reste de l'information. Cela pourrait peut- être nous donner une meilleure idée.

Notre objectif aujourd'hui est de vous demander vos opinions et de nous conseiller dans nos délibérations sur cette proposition visant à créer un code de déontologie à l'intention des parlementaires.

Les témoins que nous avons entendus jusqu'à maintenant ont jeté un peu de lumière sur un certain nombre de choses. L'un des commentaires très révélateurs que l'ex-sénateur John Stewart a faits ce matin est que notre discussion actuelle détourne l'attention du véritable problème. À son avis, le véritable problème, ce sont l'exécutif et les hauts fonctionnaires. Les problèmes qui se posent sont habituellement des problèmes de relations entre ces deux segments du gouvernement et les gros intérêts, c'est-à-dire les gens avec qui vous jouez au golf ou qui ont la capacité d'influencer le système.

Pourriez-vous faire des commentaires à ce sujet? Est-ce que vous avez découvert cela dans votre étude sur cette question?

Mme Mancuso: C'est le même point de vue que l'on trouve dans toutes les études sur les systèmes parlementaires tant en Grande-Bretagne qu'au Canada. Certes, les gens estiment que les députés d'arrière-ban et les sénateurs ne sont pas dans la même catégorie, parce qu'ils n'ont pas le même degré d'influence sur l'exécutif qu'un ministre.

Dans notre étude, il y a des domaines où nous avons effectivement demandé des précisions et auxquels les députés et les sénateurs sont ouverts, notamment l'accès à certaines choses, ou l'influence sur des choses qui seraient inhérentes à leur mandat, mais que le public aimerait savoir. Par exemple, vos partenaires au golf, ou vos relations professionnelles ou personnelles qui pourraient ou non influencer vos interactions dans un comité ou à la Chambre.

Si vous prenez la Chambre des lords en Grande-Bretagne, ce qui est intéressant au sujet de son code, c'est que dès le départ, on établit une règle selon laquelle les lords doivent veiller à la défense des intérêts de leurs commettants, mais sans être rémunérés. C'est enchâssé clairement dans leur code. Notre propre projet de code aboutira éventuellement au même résultat, préférablement de la même façon claire et directe que le code de la Chambre des lords en Grande- Bretagne. Les gens devraient comprendre cela: n'utilisez pas votre position pour accéder à des choses et influencer quelque chose. Cette règle, telle qu'elle est précisée dans le code de la Chambre des lords, est clairement comprise.

Le sénateur Di Nino: Je me demande si on ne ratisse pas trop large ici. Nous faisons partie du système et pratiquement personne n'a la moindre influence ni le moindre pouvoir sur les autorités en place. Je me demande si vous vous en êtes rendu compte dans votre étude?

Mme Mancuso: Je ne crois pas que les gens souhaiteraient exclure de ce problème les députés et les sénateurs. Je pense que cela n'est pas toujours réaliste, mais on vous perçoit comme un groupe.

Le sénateur Di Nino: Dans votre troisième tableau, vous parlez de la création d'un commissaire à l'éthique indépendant chargé de faire enquête sur les plaintes du public, mais vous avez constaté que le code proposé ne prévoit pas que le public puisse porter plainte. Qu'en pensez-vous?

Mme Mancuso: Je pense que le projet de loi précédent et le rapport Mlliken-Oliver y faisaient allusion. Les gens le savent et percevraient cela comme une énorme lacune, quelque chose qui a été édulcoré ou retiré du code proposé. Je pense effectivement que le public soupçonnerait le pire. Les gens penseraient qu'il y a eu collusion générale pour éliminer la possibilité de porter plainte.

Il faut préciser la question. Si on craint que le public fasse des allégations ou des accusations frivoles ou vexatoires, alors il faut régler le problème en établissant un seuil. Par exemple, prêter serment pour faire une plainte. Il faut responsabiliser l'intervention, qu'elle conduise à des résultats, et éviter que les accusations ne soient frivoles, méchantes ou qu'elles ne reposent sur aucune base réelle.

Si c'est ce que vous craignez, abandonnez le recours aux plaintes, mais je pense vraiment que cela isolerait les politiciens, et même plus, si un citoyen devait passer par un parlementaire de l'une ou l'autre des deux chambres pour formuler une plainte.

Le sénateur Di Nino: Le sénateur Oliver voudra peut-être faire un commentaire sur ce point précis.

Le sénateur Oliver: Je vais passer mon tour, mais ce n'est pas ce que le rapport Oliver-Milliken disait.

Le sénateur Di Nino: C'est précisément ce que je voulais dire. Je ne me souviens pas que cette disposition était incluse dans le code précédent, et j'étais membre du comité. Je voulais simplement apporter une précision.

Le sénateur Fraser: Madame Mancuso, j'ai trouvé vos tableaux assez dévastateurs. Quand seulement 34 p. 100 du public dit avoir confiance au Sénat, nous avons un problème. Ce n'est peut-être pas le seul, mais je pense que c'est un problème grave. Quand, étrangement, le même pourcentage de 34 p. 100 du public dit qu'il pense que les députés respectent moins l'éthique que le citoyen moyen, encore là, nous avons un problème, et ce n'est peut-être pas le seul, mais c'en est un.

D'après vos travaux, avez-vous une idée de la façon dont ces attitudes ont évolué avec le temps? Est-ce que les choses s'améliorent ou empirent? De même, comment les attitudes des Canadiens se comparent-elles aux attitudes des citoyens d'autres pays que vous connaissez bien?

Mme Mancuso: Je ne crois pas que le Canada soit seul. La situation se détériore pour toutes les démocraties occidentales. Nous avons constaté une diminution du niveau de confiance à l'égard des institutions publiques au cours des années 90. Ces chiffres n'ont rien de nouveau. Ils sont certainement uniformes, et s'il en est, nous avons constaté une diminution dans les niveaux de soutien exprimé. Là encore, la situation n'est pas exclusive au Canada. Ces chiffres sont semblables aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en Australie.

Le sénateur Fraser: Est-ce qu'on a fait des études qui indiquent à quel point ces attitudes commencent à avoir un effet dévastateur sur le fonctionnement du processus démocratique? On peut entrevoir un moment où les gens diront: «Je ne crois pas qu'ils sont honnêtes. Je pense qu'ils sont corrompus. Pourquoi devrais-je voter pour eux?» et tout simplement se retirer de tout le processus. La démocratie est tributaire de la participation du plus grand nombre possible et de la confiance qu'ont les citoyens dans l'intégrité du système. Existe-t-il des ouvrages scientifiques et théoriques pour étayer cette assertion au sujet de ce qui semble être le bon sens?

Mme Mancuso: Cette assertion est effectivement réelle et se trouve dans les études. Je vous renvoie à une étude réalisée par Joseph Nye, de l'Université Harvard, sur les raisons pour lesquelles les gens aux États-Unis ne font pas confiance à leur gouvernement. Il s'agissait d'un projet à très grande échelle portant exactement sur la question que vous posez: quelles sont les ramifications ou les répercussions du faible niveau de confiance à l'égard des gouvernements démocratiques? Cette étude examine la façon dont ce phénomène se manifeste dans le contexte américain.

Le sénateur Fraser: Pouvez-vous nous donner une brève idée de sa conclusion? J'aimerais beaucoup prendre connaissance de cette étude.

Mme Mancuso: On estime que cela a un effet néfaste sur les niveaux de participation aux élections et d'implication dans les partis politiques. Tous les mécanismes démocratiques sont touchés par les niveaux et les perceptions de confiance.

Le sénateur Sparrow: D'autres témoins, plus particulièrement M. Herb Gray, l'ancien sénateur Stewart et M. David Smith, ne semblaient pas percevoir les problèmes dont vous faites état. M. Gray a insisté sur le fait que le sénateur ou le député moyen est bien respecté dans sa propre région. L'ancien sénateur Stewart et le professeur Smith ne l'ont pas dit textuellement, mais c'est la conclusion que l'on peut en tirer.

Herb Gray a dit que l'institution comme telle est remise en question et non les sénateurs eux-mêmes. Si tel est le cas, on a tort de dire que le Sénat ne se base que sur les membres individuels. Je constate que les sénateurs sont respectés dans leur propre collectivité, alors pourquoi l'institution est-elle si décriée? Est-ce à cause de la presse? Est-ce parce que nous sommes considérés comme faisant partie du gouvernement?

Il me semble que le projet de création d'un poste de commissaire à l'éthique veut éteindre un incendie qui n'existe pas. Pourquoi le faire si les sénateurs sont en fait respectés dans leur propre collectivité et que c'est le Sénat qui est le problème?

Vous avez parlé de corruption. Je n'ai pas perçu de corruption dans les activités du Sénat depuis 35 ans, quoique je ne puisse pas remonter plus loin. Si vous demandez aux gens ce qu'ils pensent de la corruption, ils répondent automatiquement qu'il doit y en avoir. Si vous demandez s'ils sont opposés à la corruption, bien sûr qu'ils vont vous dire oui.

S'il n'y a pas de corruption, que devons-nous faire?

La perception du public est peut-être attribuable aux opinions de certains sur les écarts des dépenses des gouvernements dans certains ministères, que ce soit pour le contrôle des armes à feu ou autre chose. Parfois, on conclut qu'il y a eu corruption, mais par contre, personne n'appelle cela de la corruption. On dit qu'il s'agit de dépenses erronées, de mauvaise gestion, peu importe, mais pas de corruption. Comme la presse s'empare de la question, le public pense aussitôt qu'il y a eu vol ou corruption dans le système.

Si les sénateurs et les députés sont hautement respectés dans leur collectivité, pourquoi modifier les règles du Sénat?

Mme Mancuso: Il a été prouvé que les gens ont une plus grande confiance en leur propre député ou le respectent davantage. C'est parce que de plus en plus de personnes ont un contact direct avec un député. Plus les gens ont des contacts fréquents avec leur député sur une base individuelle, que ce soit pour demander un conseil ou de l'aide, ou même les rencontrer simplement à un événement social, plus ils en ont une opinion positive. Cependant, cette opinion favorable ne semble pas s'étendre à l'institution comme telle.

Beaucoup de gens disent que leur député fait un bon travail, mais ne sont pas certains de ce qu'ils pensent du reste. Nous n'avons pas trouvé pourquoi cela ne se traduit pas par le même respect pour l'institution dans son ensemble.

Cela s'explique par plusieurs de vos commentaires. Certes, les médias jouent un rôle, en ce sens qu'ils se concentrent plutôt sur les mauvaises actions que sur les bonnes actions quotidiennes de la colline du Parlement. Deuxièmement, l'opinion du public est assombrie par tous ceux qui évoluent autour du «gouvernement», et par la réaction négative à l'égard du gouvernement en général — un gros gouvernement, un gouvernement laborieux ne se préoccupe pas de gens comme moi, ne se préoccupe pas de ce que je pense ou de ce que je dis. On a tendance à englober tout le monde sous cette étiquette de «gouvernement», qui en un sens est devenue une mauvaise étiquette. Vous avez tout à fait raison. Comment cela se traduit-il, ou comment miser là-dessus, pour voir que la bonne volonté qui existe au niveau du député comme tel se traduira au niveau de l'institution dans son ensemble?

Le sénateur Sparrow: Est-ce que vous venez de dire que le public, que vous-même ou qui que ce soit s'acharne sur les mauvaises actions qui sont faites tous les jours sur la colline du Parlement ou par les parlementaires?

Mme Mancuso: Non, j'ai dit que les médias se concentrent trop souvent sur ces rares incidents. Ils les décrivent comme étant des actions régulières et courantes, ce qui vient teinter la perception du public. C'est ce que les gens lisent dans le journal.

Le sénateur Sparrow: Est-ce que vous avez dit les mauvaises actions du Parlement ou la perception que la presse a de ces actions?

Mme Mancuso: C'est ce que j'ai dit, la presse.

Le sénateur Sparrow: Vous n'êtes pas en train de dire qu'il y a de mauvaises actions?

Mme Mancuso: Non.

Le sénateur Hubley: Le sénateur Sparrow a soulevé la question que je voulais poser, c'est-à-dire la différence dans la perception du public à l'égard de son représentant régional ou communautaire et l'institution comme telle. Est-ce que vous avez dit que c'est quelque chose que vous avez traité dans le document qui sera présenté au Sénat?

Mme Mancuso: Nous avons seulement demandé si les gens pensaient différemment lorsqu'ils ont des contacts fréquents avec leur député, ou lorsqu'ils n'ont aucun contact avec lui. En bout de ligne, cela ne fait pas de différence, mais certaines données indiquent qu'il y a de plus en plus de personnes qui ont un contact quelconque avec leur député. Quoi qu'il en soit, il n'y a aucun impact sur la façon dont ils perçoivent les enjeux qui leur ont été soumis dans le sondage.

Le sénateur Hubley: Est-ce qu'on leur a demandé les raisons de cela, ce qui les avait influencés? Étaient-ce les médias?

Mme Mancuso: Nous avons effectivement créé des groupes de réflexion dont l'objectif était d'examiner plus en détail les raisons de leurs réponses. Comme je l'ai dit au début, les médias sont un intervenant important dans tout cela. Les gens essaient de comprendre comment les médias influent sur leurs perceptions du gouvernement, des députés et du Parlement. Je crois qu'il est juste de dire qu'ils sont conscients que les médias jouent un rôle négatif dans la conception de leurs attitudes et de leurs perceptions.

Le sénateur Grafstein: Vous concluez que certains pensent que les sénateurs et les députés exercent trop d'influence et abusent de leur possibilité d'accéder à certaines choses, et cela m'a surpris. Pourriez-vous faire des commentaires sur l'opinion que j'ai entendue, qui est tout à fait contraire à celle-ci? Le seul moment où je reçois des commentaires positifs, c'est lorsque je n'exerce pas suffisamment d'influence. Autrement dit, l'argument qui m'a été présenté est le suivant: «Comment se fait-il que vous n'exerciez pas plus d'influence et que vous ne soyez pas plus puissant et comment se fait-il que vous ne faites pas davantage?» Les seuls moments où je suis apprécié, c'est lorsque je me lève à la Chambre des communes, ou que j'interviens à propos d'un projet de loi, ou que je m'oppose à l'opinion du gouvernement. C'est là que j'obtiens la réaction la plus positive dans ma collectivité.

Cela est tout à fait contraire à l'opinion voulant que certains membres du public pensent que nous avons un accès trop facile à certaines choses ou que nous exerçons trop d'influence.

Mme Mancuso: Je parlais ici d'influence des gens de l'extérieur, des agents externes ou des acteurs comme les lobbyistes, les consultants et les personnes du genre. Une bonne partie de l'étude a utilisé des situations hypothétiques. Lorsque vous verrez l'étude au complet, vous obtiendrez les résultats au complet.

Par exemple, nous avons décrit une situation où un sénateur qui n'a aucun autre emploi hors du Sénat accepte d'être administrateur d'une entreprise moyennant une faible rémunération. Lorsque nous avons examiné les résultats, seulement 21 p. 100 de l'échantillon du public considéraient cela comme acceptable. Trente pour cent considéraient que cela était totalement inacceptable.

Comme vous pouvez le voir, il n'y avait pas beaucoup de détails. On ne suggérait rien de répréhensible. On décrivait une situation claire et précise et le public a rendu un jugement très dur. Ce que j'en comprends, c'est que le fardeau de la preuve incombe au Sénat et aux sénateurs qui doivent montrer que s'il y a rémunération, elle ne concerne pas son statut de sénateur et n'entre pas en conflit avec ses délibérations sur les projets de loi. Je parlais des interventions d'influence et d'accès exercées par les gens de l'extérieur, non pas par les gens de l'intérieur.

Le sénateur Grafstein: Je vais conclure là-dessus. En vertu de la Constitution — il y a peut-être confusion au sein du public au sujet de la Constitution — le rôle du sénateur est de s'intéresser grandement à tous les aspects de sa collectivité et d'être très proactif. Cela n'exclut pas les affaires ou le secteur privé ou le secteur bénévole, mais le sénateur doit représenter les régions, du mieux qu'il peut, en étant indépendant et totalement impliqué. Il semble y avoir une conception erronée, peut-être à cause du manque de communication au sujet de notre rôle constitutionnel.

Mme Mancuso: Comme exemple, tout ce que je peux vous donner, c'est la Chambre des lords de la Grande- Bretagne; une telle situation ne se produirait pas parce que les lords doivent déclarer s'ils reçoivent une rémunération pour faire partie d'un conseil d'administration, même si ce sont de faibles honoraires. Ils ne sont pas tenus de déclarer le montant, mais ils doivent l'inscrire. Le public sait qu'il y a une relation, et que cette relation peut ou non avoir un impact sur les rapports des lords.

Je dirais qu'il n'y en a pas. Cependant, c'est évident, c'est transparent, et le fait que le parlementaire a suivi les étapes nécessaires pour déclarer ces choses et s'assurer qu'elles sont connues rassure le public. Il est difficile de croire que le registre de la Chambre des lords est mis à jour toutes les semaines lorsque la Chambre siège, mais de 30 à 40 changements sont effectivement effectués toutes les semaines aux formulaires d'inscription des membres de la Chambres des lords.

Le sénateur Smith: Tout ce que je veux dire, c'est que j'appuie l'opinion du sénateur Grafstein au sujet de l'importance de consulter toute l'étude. Je m'intéresse aux sondages politiques depuis 40 ans. Ce que j'en sais, c'est que lorsque les gens vous disent ce que vous voulez entendre, vous les embrassez. Lorsqu'ils vous disent ce que vous ne voulez pas entendre, vous essayez d'expliquer les choses.

Ce n'est pas ce que j'essaie de faire. J'accepte ces réponses à cette question, en supposant qu'elles ont été posées de façon professionnelle et compétente à un moment donné. Je serai heureux de voir tout le sondage et d'en absorber le plus que je peux. Cela va m'influencer, et je suis toujours bien disposé.

La présidente: Madame Mancuso, je ne vais pas vous demander de répondre à cette question maintenant, mais peut- être pourriez-vous donner au comité une réponse brève et écrite à ma question. Pourriez-vous comparer le système de la Chambre des lords avec ce qui a été proposé ici? Je sais que vous le connaissez bien parce que vous l'avez étudié. Vous savez peut-être quel est le meilleur système.

Mme Mancuso: Je crois vraiment que le système actuel de la Chambre des lords est préférable. L'un des attraits les plus importants, c'est la règle de défense des intérêts non rémunérée qui est au coeur même du code. Cela permet de régler des problèmes du point de vue du public. L'autre chose qui, à mon avis, manque dans notre projet de loi, ce sont les mesures qui seront prises pour régler le problème de la non-conformité. Le code de la Chambre des lords présente un processus étape par étape lorsqu'un membre décide de ne pas se conformer. Le cas de la Grande-Bretagne a été mis en lumière surtout par le refus de M. Enoch Powell d'inscrire ses intérêts lorsque le code a d'abord été mis en place. Je pense vraiment que cela est important.

La Chambre des lords a une norme beaucoup plus rigoureuse que celle que nous proposons ici. On utilise ce que l'on appelle «le critère du bon père de famille» qui en réalité fonde tout le code sur la question de la perception du public. On dit que certaines classifications doivent être inscrites en tout temps, si une personne raisonnable peut supposer que ces classifications auraient une influence sur son processus décisionnel. C'est un critère très rigoureux.

La présidente: Merci, Madame Mancuso, d'avoir pris le temps de participer aux délibérations du comité aujourd'hui.

La séance est levée.


Haut de page