Aller au contenu
RPRD - Comité permanent

Règlement, procédure et droits du Parlement

 

Délibérations du Comité du 
Règlement, de la procédure et des droits du Parlement

Fascicule 13 - Témoignages du 7 mai 2003


OTTAWA, le mercredi 7 mai 2003

Le Comité sénatorial permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement, auquel a été renvoyé le projet de loi C-15, Loi modifiant la Loi sur l'enregistrement des lobbyistes, se réunit aujourd'hui à 12 h 07 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, nous accueillons aujourd'hui M. Chenier et M. Grainger. La parole est à vous.

M. Brian Grainger, Grainger et associés: Honorables sénateurs, je suis ravi d'avoir une autre occasion de parler du projet de loi et de son importance. Au cours de la dernière décennie, ce type de texte de loi est devenu critique au regard de ce que certaines personnes appellent le déficit démocratique. À mon avis, la bonne gouvernance et la question du déficit démocratique comptent parmi les principaux facteurs qui font qu'un tel texte de loi est nécessaire.

Autour du monde, dans les pays de l'OCDE, qu'on parle des pays du G-7 ou du G-8, on considère ce type de texte de loi comme un document clé. Pour vous faire une idée de l'importance que revêtent de telles lois et d'autres lois analogues pour le tissu même du gouvernement d'aujourd'hui, je vous invite à consulter le site Web de l'OCDE.

Depuis une dizaine d'années, je m'intéresse à ce dossier et à d'autres dossiers analogues parce qu'il s'agit d'éléments essentiels pour assurer certains engagements en faveur des valeurs et de l'éthique, dans le secteur privé tout autant que dans le secteur public.

En bref, le projet de loi résulte des leçons apprises au cours des cinq à dix dernières années. Il s'appuie sur d'excellentes pratiques exemplaires, qu'il s'agisse du code lui-même, de la procédure d'enregistrement ou des définitions de ce que sont les lobbyistes. En d'autres termes, nous avons amélioré le produit. Je pense que la Chambre où nous nous trouvons et la Chambre des communes ont contribué à cette amélioration. L'ensemble des travaux effectués favorise ce que j'appellerais la transparence et la reddition de comptes au gouvernement.

Comme je l'ai indiqué ailleurs, j'ai beaucoup appris de mes expériences au niveau local et ailleurs dans le monde sur la façon dont nous traitons les lois qui portent sur les valeurs et l'éthique, comme celle qui est proposée.

Bien entendu, on discute de l'établissement de deux codes, un pour la Chambre des communes et un pour le Sénat. Il y a, si vous voulez, le code du premier ministre; et il y a aussi un code pour les titulaires d'une charge publique. La fonction publique fédérale s'apprête à adopter le tout premier code de déontologie à l'intention de ses 280 000 employés. Il s'agit là d'un contexte important. Pour ce faire, nous devrons miser sur une certaine forme d'éducation, de sensibilisation et de formation. Le seul moyen d'inciter les lobbyistes à tout mettre en œuvre pour se conformer aux règles consiste à faire qu'ils les comprennent de même qu'à les éduquer et à les sensibiliser comme il se doit. À cet égard, nous espérons que leurs associations professionnelles, leurs organisations et leur intégrité les inciteront à le faire.

J'estime que la contribution du projet de loi au cadre de conduite respectueuse de l'éthique est suffisamment vaste pour avoir une incidence sur les gouvernements provinciaux, les administrations municipales et d'autres formes d'organisation gouvernementale tout autant que sur des organisations non gouvernementales. En d'autres termes, je pense que le projet de loi assure un leadership important dans ce domaine.

Je vous suis très reconnaissant de l'occasion qui m'est donnée de répondre à vos questions et de discuter des détails de mon expérience du projet de loi et de projets de loi de nature analogue.

M. John Chenier, rédacteur, ARC Publications: Honorables sénateurs, je suis le rédacteur du Lobby Monitor, bulletin sur la défense des politiques publiques. Nous avons commencé à publier la semaine même où la première Loi sur l'enregistrement des lobbyistes est entrée en vigueur, soit en octobre 1989.

Aujourd'hui, j'aimerais soulever brièvement quelques points au sujet du projet de loi C-15 en particulier et des textes de loi sur le lobbying qu'on retrouve partout dans le monde en général, et je me ferai un plaisir de répondre aux questions, au meilleur de mes connaissances.

Le premier point que je veux soulever, c'est que, à l'occasion du témoignage que j'ai présenté devant le comité de l'autre endroit chargé de l'étude du projet de loi C-15, j'ai fait remarquer que le projet de loi actuel, à l'instar de ses prédécesseurs, continue d'exclure une bonne part de l'activité des lobbyistes en faisant de la divulgation et de la présentation de rapports une question presque volontaire. Cette situation s'explique au premier chef par la disposition sur la recherche de renseignements qui a été incluse dans le projet de loi. Comme je l'ai souligné à cette occasion, c'est ainsi que de nombreuses campagnes de lobbying sont organisées. En vertu du présent projet de loi, la divulgation obéira et continuera d'obéir aux modalités définies par les lobbyistes. Au moyen de décisions délibérées, ces derniers seront en mesure d'établir les clients et les campagnes de lobbying dont le grand public sera informé.

Le deuxième point que je veux soulever — et il m'apparaît plus important — après la diminution du rôle du responsable de la supervision du projet de loi, nommément le conseiller en éthique. Si, tout au long du projet de loi C- 15, on trouve des références au conseiller en éthique et à son rôle, d'autres textes de loi, le projet de loi C-34, je crois, passe carrément sous silence le rôle du conseiller en éthique et de la supervision des lobbyistes. Récemment, un comité de l'autre endroit a soumis un rapport sur le projet de loi en question: dans le texte de loi, on propose de faire abstraction du rôle du conseiller en éthique.

J'invite les honorables sénateurs qui souhaitent se rafraîchir la mémoire sur les motifs à l'origine de la création du poste de conseiller en éthique à consulter le livre rouge des libéraux de 1993 à ce sujet. L'essentiel de ce que vous y lirez, c'est qu'une personne occupant un poste de cadre supérieur devrait avoir le pouvoir de faire enquête à la suite de plaintes et d'examiner les rapports précis entre le gouvernement et les lobbyistes pour assurer le respect des codes de conduite.

À mon avis, le retour à la situation en vigueur avant 1993, c'est-à-dire l'époque où un cadre subalterne du ministère de l'Industrie était chargé des enquêtes et de l'administration de la loi, marquerait un recul majeur.

Toute plainte relative à un lobbyiste ou enquête sur un éventuel écart de conduite porterait sur des hauts fonctionnaires, des ministres ou des lobbyistes, souvent liés à des personnages très puissants.

Comme le ministère de l'Industrie est l'un de ceux qui font le plus souvent l'objet de pressions — il compte à l'heure actuelle pour près du quart de tous les lobbyistes enregistrés —, les allégations pourraient bien mettre en cause un des supérieurs du greffier d'inscription. Quel fonctionnaire subalterne, je pose la question aux honorables sénateurs, s'aventurera dans un tel guêpier? Il faudrait en tout cas quelqu'un qui souhaite mettre un terme à sa carrière de façon précoce.

Dans le livre rouge, on tient compte du lien entre le lobbying et la politique tout autant qu'entre les lobbyistes et les politiciens. Pour une raison ou pour une autre, on semble maintenant avoir tout oublié à ce sujet. L'actuel conseiller en éthique, à l'occasion du témoignage qu'il a présenté devant le comité au moment de l'étude du projet de loi C-34, le 5 décembre 2002, a dit ceci à ce propos:

Il est proposé que la responsabilité concernant le code de conduite des lobbyistes soit confiée au greffier du service d'inscription des lobbyistes. J'ai quelques réserves à ce sujet pour deux raisons. La première est que le greffier ne fait pas nécessairement partie des cadres supérieurs. En fait, ses fonctions ne sont même pas classées dans la catégorie du groupe Direction, le groupe EX. Je suis personnellement classé au niveau EX, à titre provisoire, car la loi est passée en revue en ce moment. Mais dès que ce sera terminé, cette personne assumera d'autres responsabilités.

Le conseiller en éthique a également déclaré que les pouvoirs liés au Code de déontologie des lobbyistes sont immenses et exigent tous les pouvoirs d'une cour supérieure d'archives, autrement dit, d'un juge fédéral, pour forcer des personnes à témoigner et établir si un lobbyiste a contrevenu à une règle et a un comportement non éthique. Il s'agit d'une affectation d'un niveau tout à fait supérieur. Il est possible que le commissaire en éthique dont il est ici question soit en mesure de s'acquitter d'une telle tâche.

J'invite les honorables sénateurs à consulter la loi la plus récente sur les lobbyistes adoptée récemment au Canada, et celle que je tiens pour la meilleure, à savoir le projet de loi 80, 2002, chapitre 23, c'est-à-dire la Loi sur la transparence et l'éthique en matière de lobbyisme du Québec. De façon plus précise, j'attire votre attention sur le rôle et les pouvoirs du commissaire au lobbyisme défini dans la loi.

Parmi les autres points dignes de mention, je mentionne ce que je crois être la correction d'une omission, nommément l'obligation faite à toutes les catégories de lobbyistes, et non aux seuls lobbyistes d'entreprise, de faire état de toute expérience gouvernementale préalable. C'est l'amendement qu'a proposé M. Bryden à l'autre endroit, qui semble avoir transformé la disposition, laquelle s'applique non plus à tous les lobbyistes, mais à seulement un type de lobbyiste.

Enfin, l'obligation de rendre compte des sommes allouées à des campagnes de lobbyisme est un aspect hautement contesté de toute loi d'ouverture. Certaines personnes parlent de divulgation des honoraires. D'autres personnes ne divulguent pas et se contentent de rendre compte du montant affecté à telle ou telle campagne. Or, cela fait désormais partie des dispositions législatives sur les lobbyistes de nombreuses administrations, y compris le Québec. Nous continuons à l'exclure.

M. Duff Conacher, coordonnateur, Démocratie en surveillance: Honorables sénateurs, je comparais devant vous au nom de la Government Ethics Coalition, coalition qui regroupe 32 groupes d'organisations civiques, dont 12 sont nationales et 20 sont réparties dans six provinces et Territoires du Nord-Ouest. Au total, nous représentons plus de deux millions de Canadiens. On a fourni au greffier du comité la liste complète des groupes membres de la coalition. De la même façon, nous avons soumis une liste des modifications du projet de loi C-15 que nous recommandons.

Le projet de loi C-15 a pour but de colmater certaines brèches dans le régime d'enregistrement des lobbyistes. De façon plus précise, les lobbyistes invités à faire pression sur le gouvernement seront, dans un premier temps, tenus de s'enregistrer. Cette échappatoire est née des amendements apportés en 1995.

Dans un deuxième temps, les lobbyistes pour le compte d'une organisation devront, au moment de leur inscription, fournir une liste plus détaillée des employés qui mènent des activités de lobbyisme. Essentiellement, on conjuguera ces exigences à celles qui s'appliquent aux lobbyistes salariés, ce qui aura pour effet d'établir des règles du jeu égales dans l'une et l'autre catégories.

Troisièmement, comme M. Chenier l'a mentionné, par suite d'une modification apportée par la Chambre des communes, les lobbyistes salariés et, si je ne m'abuse, les lobbyistes pour le compte d'une organisation qui ont été fonctionnaires, politiciens ou ont occupé une autre charge publique, seront tenus de divulguer les postes qu'ils ont occupés.

Les modifications générales ne sont pas suffisantes pour mettre un terme au lobbyisme secret ni aux liens non conformes à l'éthique entre lobbyistes et politiciens. On note toujours des échappatoires majeures grâce auxquelles de nombreux lobbyistes pourront se soustraire à l'application de la loi et cacher les principaux détails de la nature et de la portée des activités de lobbyisme auxquelles ils s'adonnent: ainsi, des lobbyistes bénéficieront d'un accès privilégié et exerceront une influence indue, ce qui aura pour effet d'affaiblir l'application de la loi proposée et du Code de déontologie des lobbyistes.

Pour en revenir à deux des principaux points soulevés par M. Chenier, je précise que la coalition est tout à fait d'accord pour dire que l'exemption, qui a pour but de permettre aux lobbyistes qui ne font que demander des renseignements d'éviter l'enregistrement, ouvrira la porte à des abus et qu'elle devrait être tout simplement supprimée, c'est-à-dire le paragraphe 3(2) du projet de loi C-15 qui modifie l'alinéa 4(2)c) de la loi. On devrait supprimer cette disposition du projet de loi. Les lobbyistes qui ne font que présenter des demandes de renseignements devraient eux aussi être tenus de s'enregistrer. Créer une telle échappatoire ne fera qu'inciter les intéressés à remanier leurs activités pour pouvoir se soustraire à l'enregistrement.

Je reviens sur l'un des principaux points soulevés par M. Chenier: obliger les lobbyistes salariés et les lobbyistes pour le compte d'une organisation à divulguer les charges publiques dont ils ont été titulaires à titre de fonctionnaires, politiciens ou d'autres titulaires d'une charge publique, sans imposer la même exigence à un lobbyiste-conseil, est tout simplement injuste. J'imagine qu'il s'agit d'une omission involontaire dans l'amendement adopté par la Chambre, mais l'effet est le même. Les lobbyistes-conseils seront exemptés de la même façon que les lobbyistes salariés l'avaient été à la suite de la dernière ronde de modifications.

Il faut établir des règles du jeu égales, de façon que tous les lobbyistes soient tenus de divulguer les charges publiques dont ils ont été titulaires à titre de fonctionnaires, de politiciens ou à un autre titre.

Dans l'ensemble, nous sommes d'avis que le système devrait être modifié, ce qui suppose le remaniement de la loi tout entière. Vous n'êtes peut-être pas disposé à aller jusque-là, mais, essentiellement, les ministres et d'autres hauts fonctionnaires devraient être obligés d'identifier les personnes qui font pression auprès d'eux. On devrait rendre le système plus efficace et faire en sorte qu'il s'applique à toutes les formes de lobbying. Sinon, on devrait à tout le moins fixer un seuil pour les activités de lobbying non rémunérées, afin de colmater une autre brèche.

Nous pensons également, comme l'a dit M. Chenier, que la loi devrait obliger les lobbyistes à divulguer combien ils consacrent à une campagne de lobbying. C'est la loi qui s'applique dans 33 États des États-Unis, et rien n'empêche de faire la même chose ici. Aucun problème de compétence ne se pose. Certains ont affirmé qu'on ne peut le faire parce que les contrats entre les lobbyistes et leurs clients relèvent de la compétence des provinces et que, par conséquent, le gouvernement fédéral ne peut en divulguer le contenu. Ce qui nous intéresse, ce ne sont pas les honoraires versés aux lobbyistes ni ceux que prévoient les contrats. Ce que nous voulons savoir, c'est combien les lobbyistes affectent à leurs campagnes, de façon que les sociétés divulguent les sommes qu'elles ont consacrées à leurs campagnes.

Sans une telle information, les Canadiens ne sont pas en mesure de juger si la décision a été prise au mérite ou en raison de la force d'une des parties, compte tenu de la somme qu'elle avait à sa disposition. La question de savoir si les quatre banques qui souhaitaient fusionner en 1998 ont dépensé 30 millions de dollars dans la campagne qu'elles ont menée en faveur des fusions, comme l'a indiqué une source dans les médias, ou 100 millions de dollars, comme l'a indiqué une autre source, demeure ouverte à des spéculations. Les Canadiens ont le droit de savoir combien dépensent tous les lobbyistes pour tenter d'influencer le gouvernement.

Nous croyons également, comme les règles actuelles sur l'éthique le précisent relativement aux lobbyistes qui travaillent pour le compte des ministres dans le cadre d'activités politiques personnelles, que les lobbyistes ne devraient pas être autorisés par la loi à occuper un poste supérieur dans le cadre de la campagne d'un politicien ou d'un candidat. Nous pensons que les règles éthiques que le premier ministre a établies en juin dernier devraient s'appliquer et empêcher des lobbyistes de travailler à la campagne de tout politicien, et non seulement à celle de ministres. C'est la loi au Maryland et au Nouveau-Mexique. Il y a donc des précédents.

Nous sommes également d'avis que la loi devrait interdire aux lobbyistes de travailler pour le gouvernement ou d'entretenir des liens avec une entreprise qui travaille pour le gouvernement. L'organisation Earnscliffe est censée maintenir une séparation entre sa division des communications et sa division du lobbying, la division des communications travaillant pour le gouvernement, tandis que la division du lobbying fait pression sur lui, souvent dans les mêmes ministères. Il s'agit tout simplement d'une contravention aux règles de l'éthique. Nous pensons que cela va à l'encontre de l'article 8 du Code de déontologie des lobbyistes.

L'application du Code de déontologie des lobbyistes est un autre aspect qui pose des problèmes. À l'heure actuelle, nous avons un conseiller en éthique qui est en constant conflit d'intérêts parce qu'il est soumis à l'autorité du premier ministre et donc, pensons-nous, incapable de faire appliquer le Code de déontologie des lobbyistes de façon équitable et impartiale. Selon lui, il faudrait qu'un lobbyiste réduise un politicien à l'esclavage pour être considéré comme en situation de conflit d'intérêts, du moins à en croire le bulletin d'interprétation qu'il a fait paraître en janvier 2003.

Nous contestons ces faits devant les tribunaux, et je pourrai vous fournir plus de détails à ce sujet. Cependant, comme M. Chenier l'a également mentionné, la coalition est tout à fait d'accord pour dire que le greffier à l'enregistrement des lobbyistes n'est pas la personne indiquée pour faire appliquer le Code de déontologie des lobbyistes. Nous pensons que le projet de loi C-34, que vous recevrez au Sénat, devrait être modifié pour faire en sorte que la responsabilité du Code de conduite des lobbyistes échoie également au commissaire à l'éthique.

En ce qui concerne le projet de loi C-34, le public devrait avoir le droit de porter plainte auprès des commissaires à l'éthique; ce dernier devrait avoir le pouvoir de protéger les dénonciateurs qui font état de contraventions à la loi ou à l'un ou l'autre des codes; les décisions du commissaire devraient toutes être rendues publiques; et on devrait pouvoir interjeter appel pour toutes les décisions du commissaire devant les tribunaux.

En conclusion, les demi-mesures proposées dans le projet de loi C-15 laissent entendre que le gouvernement ne voit aucune objection à ce que des organisations bien nanties et leurs lobbyistes tout-puissants tirent les rênes du pouvoir derrière des portes closes. Démocratie en surveillance ne s'enregistrera pas à titre de lobbyiste puisque, étant donné les échappatoires qui minent le projet de loi C-15 et la Loi sur l'enregistrement des lobbyistes, nous en sommes venus à la conclusion que nous ne sommes pas tenus de nous enregistrer à titre de lobbyistes, au même titre que d'autres parties qui, selon nous, font effectivement du lobbying ne sont pas tenues de le faire. Nous n'allons plus figurer dans le registre parce que la loi ne nous oblige pas à le faire.

Enfin, vous devez colmater les brèches et obliger toutes les personnes qui font du lobbying, selon une définition marquée au sceau du sens commun, à s'enregistrer à titre de lobbyistes. Comme je l'ai dit, nous allons être au nombre de ceux qui ne s'enregistreront pas parce qu'ils ne seront pas tenus de le faire en raison de ces échappatoires.

Le sénateur Stratton: Je sais qu'il y a eu des enquêtes, mais y a-t-il eu des accusations ou des décisions subséquentes relativement à la loi existante et aux lobbyistes?

M. Conacher: Il n'y a eu qu'une seule enquête pour contravention à la loi. Elle concernait René Fugère, le bras droit du premier ministre à Shawinigan, qui, selon la preuve, faisait du lobbying. Cependant, le ministère de la Justice et le procureur ont trouvé un prétexte fallacieux pour ne pas l'inculper: on a dit que la disposition de la loi selon laquelle on ne fait du lobbying et on n'est tenu de s'enregistrer que si on est payé pour communiquer afin d'exercer une influence était trop vague pour que des accusations soient portées, même s'il était payé et communiquait afin d'influencer le gouvernement. Voilà pourquoi le projet de loi reconduit l'imposture en changeant la formulation au profit de «payé pour communiquer au sujet d'un projet de loi».

Le président: Avant d'aller plus loin dans cette veine, monsieur Conacher, je souligne que les témoins sont protégés en vertu du Règlement du Sénat. Votre témoignage devant nous est confidentiel. Cependant, vous devriez éviter de faire des déclarations incendiaires qui, si vous les faisiez en dehors de cette pièce, pourraient vous exposer à des poursuites. Quand vous aurez terminé votre réponse à la question du sénateur Stratton, nous voudrons peut-être entendre les deux autres témoins nous dire s'ils partagent votre évaluation de cette affaire.

M. Conacher: Je ne considère pas avoir tenu des propos incendiaires. Je crois plutôt avoir tenu des propos factuels.

M. Fugère n'a pas été inculpé. Il y a eu quelques plaintes, pour la plupart déposées par Démocratie en surveillance, aux termes de la règle 8 du Code de déontologie des lobbyistes, lequel interdit aux lobbyistes de placer des politiciens en soutien de conflit d'intérêts, en proposant ou en prenant toute action.

En janvier de cette année, le conseiller en éthique, véritable chien de salon, a statué qu'il n'y a contravention à la règle 8 que si un lobbyiste subvertit le libre-arbitre du politicien et l'oblige à faire une chose qu'il n'aurait pas faite de sa propre volonté. En d'autres termes, un lobbyiste, pour contrevenir à la règle 8 et placer un politicien en conflit d'intérêts, selon le conseiller en éthique, véritable chien de salon, doit réduire un politicien à l'esclavage. Les décisions que nous contestons devant le tribunal résultent du bulletin d'interprétation. Nous allons voir si les tribunaux donnent raison au chien de salon qu'est le conseiller en éthique.

M. Chenier: En fait, trois occurrences ont été portées à l'attention du public. Je vais mentionner des noms, pas sur un ton incendiaire, je l'espère, mais bien plutôt à titre d'explication.

Le premier cas concernait, je crois, Charles MacMillan de l'Île-du-Prince-Édouard. Dans le Lobby Digest, une autre de nos publications, nous avons publié un article sur M. MacMillan, qui effectuait du lobbying au nom d'une société aérienne qui tentait d'obtenir un contrat dans l'Ouest. Nous nous sommes contentés d'écrire qu'il avait assisté à des réunions et qu'il représentait la société, sans être enregistré, ce qui a déclenché une enquête de la GRC, au centre de laquelle nous nous sommes retrouvés. Nous ne voulions pas nous substituer à la police, qui a pour rôle de faire appliquer la loi. Nous avons dit avoir en main des renseignements selon lesquels M. MacMillan était là, et que nous n'irions pas plus loin. Après avoir fait enquête, la GRC nous a dit qu'il était bel et bien là, mais qu'on ne pouvait établir avec certitude s'il avait pris la parole, et on en est resté là.

Le deuxième cas avait trait à un article du Globe and Mail, signé par Ross Howard, je crois, qui concernait les activités de lobbying menées par Jack Horner au nom d'Air Egypt. Une fois de plus, la GRC a entrepris une enquête, mais y a mis un terme, le délai de prescription, qui s'appliquait autrefois à la loi, ayant expiré. Dans ce cas, le délai prévu dans la loi de 1993 ou de 1989, selon la version dont on parle, était de six mois. L'activité en question avait eu lieu un an et demi plus tôt, et on a donc laissé tomber l'enquête. Au moment de la dernière révision de la loi, on a fait porter le délai de prescription de six mois à deux ans, si je ne m'abuse, précisément en raison de cette affaire.

L'affaire suivante était celle à laquelle M. Conacher a fait référence, c'est-à-dire le cas de M. Fugère. On a soulevé la question de savoir s'il était payé par les groupes qu'il était réputé représenter et s'il avait effectivement pris la parole dans certaines tribunes. On a également soulevé la question, qui a débouché sur un autre amendement, cette fois dans le présent projet de loi, de la notion de «communiquer afin de tenter d'influencer». Une fois de plus, le ministère de la Justice a fourni au conseiller en éthique de l'information selon laquelle il serait très difficile d'obtenir gain de cause devant le tribunal aux termes d'une disposition ainsi libellée, et c'est ce qui explique le changement de formulation: on n'a retenu que le mot «communiquer» et laissé tomber la notion «afin de tenter d'influencer».

Ce sont les trois cas. À mon avis, ils ont tous les trois débouché sur certaines modifications, mais il n'y a jamais eu de poursuite aux termes de la loi.

Le sénateur Stratton: M. Conacher a indiqué que le projet de loi ne donnait pas satisfaction à son groupe dans la mesure où il ne colmate pas les brèches que, selon lui, il aurait dû colmater relativement à l'enjeu qu'il a évoqué. À votre avis, le projet de loi à l'étude répond-il pleinement au problème soulevé par les trois cas que vous nous avez présentés? En d'autres termes, il faut éviter les échappatoires grâce auxquelles certaines personnes évitent une inculpation.

M. Chenier: Je crains que la procédure de collecte de renseignements ne fournisse une échappatoire analogue. À titre de lobbyiste, par exemple, je peux communiquer avec un représentant du gouvernement à seule fin d'obtenir des renseignements. Au fil de la conversation, il est possible que le fonctionnaire me demande qui je représente, quelle est la position de la société que je représente sur tel ou tel sujet et qu'il m'interroge sur les motifs qui font que la société en question est de tel ou tel avis. A-t-on ici affaire à une pure recherche de renseignements ou n'a-t-on pas entrepris de franchir la ligne de démarcation qui conduit au lobbying? Imaginez que, à titre de procureur, vous me posiez la question: «Faisiez-vous du lobbying?» Naturellement, je répondrais: «J'ai téléphoné à cette personne uniquement pour obtenir des renseignements.»

Je conçois qu'il est de toute façon très difficile d'intenter des poursuites en vertu de la loi. Je conçois que cette dernière n'a pas pour but de servir d'outil à d'éventuelles poursuites contre des lobbyistes. À mes yeux, elle devrait assurer le plus grand éclairage qu'il est raisonnable de chercher sur les activités des lobbyistes.

M. Grainger: Je m'empresse de mentionner mon statut, comme mon collègue, M. Conacher, a déjà fait. Je ne suis pas un lobbyiste, et je ne l'ai jamais été. Je suis un éducateur. Je suis un éducateur dans ce domaine. Si vous croyez assurer l'intégrité en mettant au point un code pénal pour les lobbyistes, vous feriez mieux d'y réfléchir à deux fois. On ne peut créer un code pénal pour les lobbyistes, pas plus qu'on ne peut en créer un pour les enfants. D'après ce que je vois, la plupart des Canadiens sont d'accord avec une telle approche, de la même façon qu'ils sont d'accord avec toutes les lois équitables. Les affaires ont eu tendance à devenir des infractions criminelles au sens du Code criminel. Ces affaires ont été sujettes au jugement des maîtres politiques, le ministère de la Justice et le conseiller en éthique, si vous voulez.

On se retrouve devant une situation informelle en vertu de laquelle de nombreuses personnes sollicitent l'opinion du conseiller en éthique et de son bureau. On a aidé ces personnes et, si je puis me permettre, on leur a évité de se placer dans une situation délicate pour elles. On n'entend pas suffisamment parler de ces cas.

Nous devons nous éduquer de façon à ne pas nous trouver, bon gré mal gré, dans des situations où se posent des problèmes de définition. D'un point de vue mondial, en rapport avec un texte de loi comme celui-ci, cela revêt une extrême importance. Au diable les définitions! Quand notre comportement s'écarte de l'intention générale de la loi, nous devrions instinctivement nous en rendre compte. À notre époque, ce sont les règles de Bart Simpson qui gouvernent le monde — c'est-à-dire «Je ne suis pas coupable» et «De toute façon, vous ne pouvez pas le prouver.» Ainsi, nous devons miser sur l'éducation dans ce domaine. Oubliez la création d'un code pénal pour les lobbyistes. Cela ne nous conduira nulle part.

Pardonnez-moi d'avoir élevé la voix, mais, après de nombreuses sessions passées aux côtés de M. Conacher, j'ai décidé que le moment était venu de hausser le ton.

Le sénateur Stratton: Ne seriez-vous pas d'accord pour dire qu'une partie du problème vient du fait que le public a le sentiment que la loi est grevée d'échappatoires, grâce auxquelles certaines personnes ne sont pas mises en accusation à cause de droits acquis ou d'autres échappatoires? Nous devons nous attaquer à ce problème. Nous ne pouvons faire fi de ces échappatoires, bon gré mal gré. Nous devons nous y attaquer. Ensuite, le public aura la perception qu'il s'agit d'une bonne loi.

M. Grainger: Loin de moi l'idée de vous contredire, mais le public fonde ses perceptions sur le «verbe», l'action, et non de simples assurances selon lesquelles le texte de loi est valable. Autrement dit, c'est quand le sénateur, si je puis me permettre, le député ou même Brian Grainger fait ce qu'il doit faire qu'on établit la preuve par neuf.

Nous pourrions consacrer beaucoup plus de temps à la prévention et à l'éducation et en obtenir bien plus pour notre argent qu'en créant des codes pénaux à l'intention des lobbyistes. Il s'agit là d'une entreprise futile. Les Américains l'ont fait pendant des années. En quoi cela a-t-il amélioré leurs procédures judiciaires et législatives, je vous le demande? Lorsque M. Grainger s'adresse au sénateur Stratton, au sénateur Murray ou au sénateur Andreychuk, nous devons songer à l'influence ou à la relation recherchée. Le tango se danse à deux. Nous devrions tous deux nous poser la question: «À quoi rime cette relation particulière?»

Le sénateur Stratton: À vous entendre, j'ai l'impression que vous ne jugez pas la loi nécessaire. Je pense le contraire.

M. Grainger: Non, ce n'est pas ce que j'ai dit. Ce que je dis, c'est qu'il faut éviter de criminaliser la loi. Il y a une grande différence, sénateur.

Le sénateur Stratton: Je comprends.

Le sénateur Fraser: J'ai deux questions. N'hésitez pas à m'interrompre si vous voulez, parce qu'il s'agit de deux questions séparées et distinctes.

Premièrement, monsieur Conacher, pour quels motifs précis soutiendriez-vous que la loi du pays ne devrait pas s'appliquer à vous?

M. Conacher: Le seuil établi, c'est qu'il faut consacrer 20 p. 100 de son temps à des activités de lobbying, ce qui n'est pas mon cas.

Le sénateur Murray: Comment définiriez-vous ce que vous faites aujourd'hui?

M. Conacher: Ce que je fais aujourd'hui est expressément exclu aux termes d'une disposition de la loi, ce qui est bien. Le hansard constitue une forme d'enregistrement public. Ce que je fais aujourd'hui y est indiqué. Ce qui nous inquiète, c'est ce qui se passe derrière les portes closes.

Le sénateur Fraser: Y a-t-il d'autres motifs?

M. Conacher: Un des membres de notre conseil fait du lobbying, mais il n'est pas payé pour le faire. Si on n'est pas payé, on n'est pas tenu de s'enregistrer.

Le sénateur Fraser: Il ne fait pas partie de l'organisation et siège seulement au conseil d'administration?

M. Conacher: Exactement.

Voilà pourquoi nous suggérons le renversement du fardeau de la preuve. C'est ainsi qu'on aurait dû procéder dès le début. Je sais qu'il s'agirait d'un énorme changement apporté au projet de loi. Renversez le fardeau de la preuve et faites en sorte que les ministres et d'autres hauts fonctionnaires soient tenus de fournir les renseignements dans un site Internet consultable, comme l'est aujourd'hui la liste des lobbyistes. On verra qui fait aujourd'hui du lobbying. De cette façon, on saisira tout. Sinon, il faut faire quelque chose pour abaisser ces normes.

Le sénateur Fraser: Tôt ou tard, d'une façon ou d'une autre, on se butera au problème du seuil. Un ministre fait-il l'objet de lobbying lorsqu'un de ses commettants lui parle après la messe le dimanche?

M. Conacher: Si un membre du conseil d'administration d'une entreprise fait du lobbying pour le compte de cette dernière, il ne fait pas du lobbying lorsqu'il n'est pas payé pour en faire. Les sociétés ont un important conseil d'administration. De nombreuses personnes peuvent mener un grand nombre d'activités de lobbying pour le compte de la société, et cette dernière ne l'enregistre jamais, même s'il s'agit de lobbying.

Tout ce que nous disons, c'est qu'on ne devrait pas prétendre qu'il s'agit d'une loi sur l'enregistrement des lobbyistes. C'est une «loi sur l'enregistrement d'un certain nombre d'activités de lobbying».

Le sénateur Fraser: Monsieur Chenier, quand vous avez dit que les dépenses devraient être divulguées, quel type de dépenses aviez-vous en tête? Quelles sont les dépenses qui seraient visées par cette exigence?

M. Chenier: Ma préoccupation s'explique par une étude que je cherche dans mes dossiers depuis que je l'ai perdue il y a des années. Elle avait trait à l'affaire Michael Dever aux États-Unis. Certains d'entre vous se rappellent peut-être que Michael Dever était conseiller auprès du président Reagan. Il a quitté son poste, est devenu lobbyiste et devenu très riche très rapidement. En fait, il agissait à l'époque comme lobbyiste pour le compte du gouvernement du Canada.

Dans le cadre de l'enquête menée sur M. Dever, il est apparu qu'on lui avait versé des sommes phénoménales pour de très brèves rencontres, lesquelles avaient été organisées par des voies détournées à la Maison Blanche sous Reagan. Dans le rapport, on posait la question suivante: qu'avait bien pu faire Michael Dever en 15 minutes à la Maison Blanche pour mériter des honoraires de 250 000 $? On a inculpé M. Dever non pas d'avoir fait du lobbying, mais bien plutôt de s'être parjuré devant le comité en déclarant ne pas faire certaines choses, alors qu'on s'était rendu compte qu'il les faisait bel et bien. Il a été mis en accusation et est allé en prison pour parjure.

Au Canada, à la fin des années 80 et au début des années 90, on craignait, à l'avènement de la loi et par la suite, que des personnes proches du gouvernement ne touchent des honoraires exorbitants en contrepartie, essentiellement, de leur capacité d'exercer une influence sur des intervenants clés. Rien n'a été prouvé, mais les spéculations étaient omniprésentes. Dans un certain nombre d'administrations, dans de nombreux États des États-Unis ou au Québec, on a adopté une loi d'ouverture pour tenter de s'attaquer au problème en obligeant les intéressés à rendre compte des sommes consacrées à des campagnes de lobbying. Dans certains cas, il s'agit de la divulgation des honoraires, des sommes que touchent les lobbyistes. Dans d'autres cas, il s'agit des sommes dépensées par les sociétés. Dans d'autres encore, on exige les deux.

La question se pose chaque fois que la loi fait l'objet d'un examen et, à l'occasion, entre-temps, mais on rejette rapidement les initiatives en ce sens, considérées comme des ingérences dans la vie privée.

À mes yeux, il y a une différence considérable entre une campagne de lobbying dans le cadre de laquelle on dépense 20 000 $ en deux ans et une personne qui se présente et dépense 2 millions de dollars en six mois. Ce genre de choses se produisent. Le problème est le suivant: nous ne savons pas où. La question suivante est donc: devrions-nous être au courant?

Je ne prends pas position à ce sujet, et je ne laisse pas non plus entendre que 90 p. 100 des Canadiens pensent ceci ou cela. Tout ce que je dis, c'est qu'on devrait se doter d'une forme ou une autre de loi habilitante. Je pense qu'il s'agirait d'une solution saine. Tôt ou tard, je pense que nous en viendrons là.

Le sénateur Fraser: J'ai un peu de mal à vous suivre. J'ai un préjugé favorable envers les lois d'ouverture. Cependant, un régime en vertu duquel on établira une corrélation entre les sommes dépensées et l'influence exercée me pose des problèmes. Vous savez aussi bien que moi — en fait, c'est l'objet de l'affaire Dever, nonobstant la question de ses honoraires par rapport à ce qu'il a fait — qu'un appel téléphonique bien choisi, qui dure peut-être deux minutes, mais qu'on met à profit pour susurrer quelques points vitaux à la bonne oreille peut produire un effet plus grand que le fait d'inonder tous les bureaux de la Colline de lobbyistes, de dépliants sur papier glacé et de tout ce à quoi vous pouvez penser. Je m'inquiète un peu à l'idée qu'on fasse de l'argent une sorte d'approximation de la vérité qu'on s'efforce de mettre au jour.

M. Chenier: Habituellement, sénateur, il y a à cela deux éléments. Comme vous dites, l'un concerne l'importance des sommes dépensées. Aux États-Unis, je peux savoir combien les fabricants de tabac, de boissons alcoolisées et les entreprises de télécommunication dépensent pour influencer les législateurs de Washington. Je risque d'être moins heureux du mode de fonctionnement du gouvernement. Les lois d'ouverture n'incitent pas nécessairement les citoyens à se montrer satisfaits de leur pays ou de leur gouvernement.

Cependant, la question soulevée dans l'affaire Dever était la suivante: la récompense est-elle proportionnelle au travail effectué ou aux relations de l'intéressé?

On soulève des questions à ce sujet, comme on l'a fait par le passé et comme on le fera à l'avenir. En fait, elles sont soulevées dans le Livre rouge des libéraux de 1993. J'aimerais bien connaître la réponse, mais j'estime que le conseiller en éthique actuel a aujourd'hui le pouvoir de demander à tout lobbyiste combien on le paie et d'en faire rapport à la Chambre s'il estime que les honoraires ne sont pas proportionnels au travail effectué.

Je songe notamment aux honoraires conditionnels rattachés à d'importants marchés d'approvisionnement. Essentiellement, tout y passe. Tout ce que je dis, c'est que cela existe, que tout se poursuit sur l'erre d'aller. Il semble bien que de plus en plus d'administrations adoptent de telles lois d'ouverture. Cette fois-ci, il en a à peine été question. J'en parle toujours au passage parce que, à mon avis, cela mérite d'être débattu.

M. Grainger: Vous vous rappellerez que M. Major et les Britanniques ont été confrontés au problème de députés payés pour poser des questions. Lorsqu'on a procédé à un examen de la conduite publique, on s'est rendu compte que quelqu'un avait proposé 50 000 livres sterling — et cette personne est toujours dans le décor, en fait, elle dirige Harrods — et quelqu'un a accepté. Au moment du nettoyage, on n'a eu recours à rien d'aussi compliqué ou peut-être d'aussi simple qu'un programme axé sur l'intégrité dans les deux Chambres, et on a appliqué la recette à l'ensemble du gouvernement de la Grande-Bretagne.

Pour aller au fond du problème, nous devons, les sénateurs et d'autres, nous poser les questions qui suivent, ici et ailleurs: pourquoi accepterions-nous une somme de 50 000 livres sterling, comment le ferions-nous et pour quel motif? Nous devons nous demander: pour quel motif accepterions-nous un appel à la Dever, et cetera? Le tango se danse à deux. J'ai les lobbyistes à l'œil, moi aussi, je vous assure, mais je tiens à ce que la personne qui reçoit l'appel ait assez de jugeote pour dire: «Il faudra me passer sur le corps.»

Le sénateur Joyal: Monsieur Chenier, j'aimerais vous poser une question au sujet du quatrième point que vous avez soulevé, lequel a trait aux demandes de renseignements. Hier, nous avons entendu des témoins — vous les connaissez peut-être — qui nous ont fait diverses suggestions portant sur des aspects de ce que nous considérons comme une échappatoire dans le projet de loi, à supposer que quelqu'un ne souhaite pas se conformer à l'esprit du projet de loi et de la loi.

Que nous conseilleriez-vous pour remédier à ce problème? Préféreriez-vous, comme on l'a proposé hier, que la définition portée à l'attention du public de ce qu'il faut entendre par «renseignements» passe par des directives du conseiller en éthique? Préféreriez-vous qu'on ait recours à un règlement puisque, en vertu du texte de loi principal, comme vous le savez, le gouverneur en conseil a le pouvoir de prendre des règlements? Sinon, préféreriez-vous que, dans la loi, la notion de «renseignements» soit traitée comme elle l'est aux États-Unis, c'est-à-dire aux termes d'une loi cadre? À votre avis, quelle serait la meilleure approche?

M. Chenier: Sénateur, si l'exclusion relative aux demandes de renseignements que renferme le texte de loi était formulée comme elle l'est aujourd'hui, il serait très difficile de la contourner, que ce soit au moyen d'un bulletin d'interprétation ou d'un règlement. Pour ma part, je préférerais qu'on élimine l'exemption actuelle. Par la suite, on devrait peut-être publier un bulletin d'information pour préciser ce qui peut et ne peut être considéré comme du lobbying. C'est l'approche que je préconiserais.

Une fois de plus, comme on l'a dit à l'autre endroit, il est probable qu'une campagne de lobbying typique menée à Ottawa porte probablement sur des demandes de renseignements dans une proportion de 80 à 90 p. 100. À quelle adresse les intéressés se logent-ils à ce propos? Qui sont les intervenants principaux? Quels sont les principaux enjeux débattus? Qui est l'opposition? Une bonne part des lobbyistes d'Ottawa et des spécialistes des relations avec le gouvernement consacrent une bonne part de leur temps à mettre leurs relations à profit pour répondre à ces simples questions. Bon nombre d'entre eux viennent du gouvernement, comme vous le savez, des cabinets de ministre ou des ministères, et font jouer leurs relations pour établir où en est tel ou tel dossier, au nom de leur client. Puis ils s'assoient avec leurs clients pour mettre au point une stratégie. Qu'allons-nous faire? Qui devons-nous voir? Quels sont leurs points faibles? Quels sont leurs points forts? À qui devrions-nous faire appel?

En vertu de la loi actuelle et de la loi proposée, une telle activité n'est pas sujette à l'enregistrement, même si elle compte pour l'essentiel du travail effectué par les lobbyistes à Ottawa. S'ils souhaitent s'enregistrer, ils peuvent le faire, mais ils n'en ont pas l'obligation, et la plupart d'entre eux choisissent de s'abstenir.

Il s'agit maintenant de savoir qui s'occupera du lobbyisme. La plupart des lobbyistes vous diront que les personnes directement engagées dans un dossier sont les meilleurs porte-parole. Ce sont les gens de l'entreprise: le président, le chef de la direction, le conseiller technique et ainsi de suite. La question devient alors la suivante: doivent-ils s'enregistrer? Comme M. Conacher ou n'importe quelle autre personne le fera remarquer, c'est la règle des 20 p. 100 qui entre en vigueur ici. Or, la plupart des gens n'ont pas à s'enregistrer, conformément à la règle des 20 p. 100, du fait que le lobbyisme ne fait pas partie intégrante de leur travail. Ils conçoivent des stratégies. Ils savent à qui s'adresser; ils savent ce qu'il faut dire, les points qu'il faut faire valoir. Ils font venir les gens par avion et organisent une semaine d'activités, puis ils les renvoient chez eux. Est-ce que cela figure dans le registre? Pas s'ils ne le souhaitent pas. Est-ce requis? Pas selon cette loi ni la loi subséquente.

Encore une fois, il nous faut répondre à la question suivante: quel degré de transparence souhaitons-nous avoir? Quelle est la marge de manœuvre que nous souhaitons laisser aux gens, pour ce qui est de rendre compte des campagnes de lobbyisme? Je ne parle pas de savoir si c'est un mal ou un bien. Je dis simplement que c'est comme cela. Voilà le choix qu'ils ont à faire. Si le projet de loi demeure tel quel, c'est un choix qu'ils auront toujours une fois adopté le projet de loi C-15.

Comment régler la question? Il suffit de retirer l'élément demande de renseignements car, croyez-moi, ce n'est pas par simple curiosité qu'ils recherchent tel ou tel renseignement. Ils souhaitent obtenir des réponses parce que cela fait partie d'une stratégie, d'une campagne dans laquelle ils sont engagés.

Le sénateur Joyal: Oui, mais définir l'intention de la personne devient un travail subtil. Comme vous les savez, le projet de loi proposé élimine la nécessité de prouver l'intention, ce qui est très difficile à faire. Nous savons en quoi consiste la norme de preuve dans le Code criminel et nous connaissons la norme de preuve qu'il faut appliquer en droit civil. Dans le contexte, le projet de loi servira certes à améliorer la situation, parce qu'il élimine l'aspect preuve. Tout de même, il ajoute à cela une réserve qui se prête à plus d'une interprétation, de la part de la personne qui cherche à obtenir des renseignements, la responsabilité de déterminer si l'information est objective, par exemple la date de la prochaine réunion du comité ou la date à laquelle un rapport doit être publié. Bien entendu, il y a toujours là l'occasion de faire valoir les vues du groupe représenté, de l'entreprise, de l'organisation, au titulaire d'une charge publique dont il est question.

Par souci d'équité, ne faudrait-il pas essayer de tracer la ligne de démarcation? Comme vous le dites, certains renseignements sont certes objectifs, et le travail du lobbyiste consiste notamment à obtenir de tels renseignements. Le lobbyiste veut savoir qui a de l'influence; qui il doit rencontrer en premier; quelle stratégie il pourrait concevoir. Au moment de la demande de renseignements, la personne peut franchir le seuil que représente une simple demande de renseignements objectifs et faire du lobbyisme, c'est-à-dire essayer d'exercer une influence directement.

Si nous pouvions définir le terme «renseignements», cela permettrait certainement de mieux circonscrire le risque que cela aille au-delà du simple fait de renseigner, le terme «renseignements» étant à ce point général que, comme vous l'avez dit, il pourrait s'appliquer à n'importe quoi. Bien entendu, vous proposez que nous éliminions cela tout à fait, mais, à ce moment là, il nous restera la règle des 20 p. 100. S'il y a encore la règle des 20 p. 100, il y a encore une échappatoire, comme vous l'avez expliqué vous-même, dans la mesure où la description faite est considérée comme la vérité. J'essaye de concilier les deux aspects de la chose, pour m'assurer que nous échafaudons un projet de loi plus efficace, si jamais nous estimons qu'il faut le faire.

M. Chenier: Si vous éliminez l'aspect demande de renseignements, la règle des 20 p. 100 pose moins de difficultés parce qu'il faut signaler l'existence de la campagne. Je suis en train de dire que le lobbyiste-conseil, à qui revient dans son intégralité la tâche d'obtenir des renseignements, n'a pas à s'enregistrer. Le personnel qui se chargera du lobbyisme peut ne pas s'enregistrer en application de la règle des 20 p. 100. Ce que je veux souligner, c'est que si on élimine l'exclusion en ce qui concerne la demande de renseignements, le lobbyiste-conseil, qui est rémunéré pour cela, sera exclu. Essentiellement, la loi dit que si vous êtes rémunéré pour de telles tâches, vous devez vous enregistrer. Est-ce qu'il s'agit simplement d'établir quelles sont les tâches rémunérées, du point de vue de l'enregistrement?

Je dis que si on élimine l'exclusion concernant la demande de renseignements, ce qui constitue, je le ferai remarquer, la majeure partie d'une campagne de lobbyisme, le train-train quotidien, alors la majeure partie du lobbyisme devient une activité transparente. L'activité des 20 p. 100 qui sont dépêchés sur les lieux pour exécuter le plan échafaudé vous échappera peut-être, mais, tout au moins, vous verrez les gens qui conçoivent le plan.

Encore une fois, je ne m'attache pas à savoir si c'est bon ou mauvais, j'essaye simplement de vous décrire la façon dont les choses fonctionnent en ce moment et l'option qui se présente clairement aux gens quand ils s'installent. Ils se demandent: est-ce que nous souhaitons que ce client soit «visible»? est-ce que nous souhaitons nous enregistrer? le client a-t-il des préoccupations ou des hésitations? Le cas échéant, assurons-nous de structurer cette campagne de manière à ne pas organiser les réunions, mais plutôt à lui dire à qui il doit s'adresser. Il peut fixer lui-même ses réunions et tout le reste.

M. Conacher: À propos du seuil de 20 p. 100, dans le cas des grandes sociétés, le temps consacré à une campagne, selon le projet de loi, sera comptabilisé dans son ensemble comme si l'ensemble de la tâche était effectué par une seule et unique personne. Si quelqu'un arrive pour assister à une réunion et finit par consacrer 1 p. 100 de son année au lobbyisme, le temps que cela représente est ajouté au total, et il faut s'enregistrer.

La règle des 20 p. 100 ne nous cause pas trop de souci, mais il faut voir qu'il y a une incompatibilité directe entre cette exception, qui s'applique dans la mesure où il s'agit d'une simple demande de renseignements, et la nouvelle obligation de s'enregistrer — au cas où le lobbyiste «communique avec le titulaire d'une charge publique au sujet d'une des mesures visées.»

En fusionnant les deux, on pourrait dire: «dans la mesure où les communications se limitent à une demande de renseignements et que la personne n'a eu ni n'aura affaire à une activité visée par l'article obligeant à 'communiquer avec le titulaire d'une charge publique au sujet», les renseignements seraient définis, comme vous le proposez. De même, on éliminerait ainsi les deux cas incompatibles. Devant une accusation, n'importe qui affirmerait qu'il communiquait avec le titulaire d'une charge publique au sujet d'une des mesures visées et ainsi de suite. Le titulaire de la charge publique peut dire qu'on a discuté du projet de loi, d'une subvention ou de la réglementation d'un programme. D'un côté, on dira qu'il s'agissait d'une simple demande de renseignements; de l'autre, on dira peut-être que c'était du lobbyisme. Peut-être que l'un des appels a consisté uniquement en une demande de renseignements, mais les appels subséquents ont eu d'autres fins, ou ont été faits par quelqu'un d'autre. Il faudrait lier quiconque participe à la campagne de quelque manière que ce soit, à titre de suivi de la demande de renseignements, quand il s'agit d'essayer d'exercer une influence et de communiquer à ce sujet. Cela réglera le problème que, à mon avis, vous aurez sûrement. C'est énorme comme échappatoire.

Le sénateur Andreychuk: J'aimerais obtenir une précision. Nous parlons depuis un certain temps de l'activité qui a lieu. Monsieur Chenier, n'êtes-vous pas d'accord pour dire que, dans la mesure où le public a des inquiétudes, c'est en raison des cas d'abus d'influence et non pas de l'activité et du lobbyisme eux-mêmes. La seule façon de régler les questions soulevées dans la presse consisterait à restreindre les agissements des gens qui ont déjà occupé une charge publique, que ce soit comme membre d'un parti, au gouvernement ou au Parlement. Là où le bât blesse, souvent, c'est quand un ministre prend sa retraite et voilà qu'il réapparaît, il est au téléphone et il demande des renseignements. Essayons-nous de jeter tout l'éclairage possible sur le lobbyisme et l'enregistrement?

M. Chenier: Voulez-vous vraiment une réponse brève à cette question? Quand l'ancien président Clinton est arrivé au pouvoir, il se souciait des «portes tournantes» dont il a été question. Il a déterminé qu'il n'aurait pu adopter à temps une loi qui serait vraiment efficace. Il a donc demandé à tout son personnel de haut rang de signer des contrats civils disant que, suivant le rang qu'ils occupaient, ils ne pouvaient s'adonner à du lobbyisme pendant deux ou cinq ans une fois leur mandat achevé. Dans le cas d'une entreprise étrangère ou d'un gouvernement étranger, l'interdiction valait pour la vie. Ce régime a duré jusqu'à ce que Vernon Jordan, bras droit de Clinton, s'en aille au bout de six mois et se fasse engager dans une société de lobbyistes. À ce moment-là, tout l'empire s'est effondré.

Les lois sur l'après-mandat posent des difficultés partout. C'est d'autant plus difficile lorsque la personne, comme nous l'avons vu ici, s'adresse au conseiller à l'éthique, qui, peut-être, contourne les règles ou les trafique un peu pour l'aider. On pourrait facilement déterminer qu'une interdiction de six mois, de neuf mois, d'un an c'est tout à fait convenable. Autrement dit, il est difficile d'établir des normes durables.

Je dirais que, étant donné ces difficultés, la meilleure façon de procéder consisterait à bien noter de qui il s'agit. On peut bien s'appliquer à contrer le phénomène des portes tournantes, mais, en dernière analyse, il faut que, dans la mesure où les gens en question finissent par représenter les intérêts d'autrui, leur rôle est établi clairement; il n'est nullement maquillé ou occulté.

Il vous faut également — et c'est là qu'entre en scène le conseiller à l'éthique pour ce qui est du problème des portes tournantes — une démarche plus transparente qu'à l'heure actuelle, pour ce qui est des règles régissant l'après-mandat, une fois que la personne quitte la charge publique qu'elle occupait, si elle est engagée par une agence, d'où les difficultés possibles. Le conseiller à l'éthique prend une décision et établit clairement ce qu'une certaine personne peut faire ou non, durant la période d'interdiction.

C'est une question difficile qu'on ne parviendra pas à régler en adoptant des règles plus strictes ou plus longues sur l'après-mandat. En dernière analyse, de telles règles deviennent impossibles à faire respecter.

M. Grainger: Pour faire suite à la question du sénateur Andreychuk, j'ai eu l'occasion de lire un grand nombre de lettres post-mandat. Habituellement, les meilleures d'entre elles comportent trois caractéristiques: la période prévue; la nature de l'activité ou encore les contacts; et les comptes à rendre si jamais la situation change ou s'il faut obtenir des conseils sur la situation.

Cela s'effondre souvent, malheureusement, non seulement ici, mais ailleurs dans le monde, parce que nous ne sommes pas très habiles pour deviner la vie utile d'une liste de contacts — du Rolodex. Quand nous disons six mois, nous ne sommes même pas près du compte. Rares seraient les gens ou les organisations — le gouvernement fédéral ou n'importe lequel d'entre nous qui serait chargé de ces affaires - qui oseraient dire trois ou quatre ans. Parfois, cela n'est pas suffisant.

À ce moment-là, nous nous engageons dans le jeu difficile décrit par le sénateur Andreychuk et dans la question des définitions dont a parlé le sénateur Joyal. Quelle est au juste l'aire que nous essayons de délimiter? Nous pouvons dire à quelqu'un tout ce que nous voulons, mais que faut-il entendre par «influence excessive»? Que faut-il entendre par «renseignements»? Revenu Canada et les rédacteurs du Code criminel et du Code civil ont eu de la difficulté à définir certains termes. Nous devons être mieux en mesure de donner aux gens des instructions sur l'après-mandat ainsi que des instructions sur les comptes à rendre. En cas de difficulté, ils doivent savoir qu'il faut appeler le directeur ou encore le conseiller à l'éthique et se renseigner sur la situation qui se prépare peut-être. C'est une mesure que nous n'appliquons pas suffisamment. Dans de nombreux cas, les gens quittent la sphère gouvernementale, à tous les niveaux, munis d'un bout de papier sous une forme ou une autre, mais il ne se passe rien par la suite. Personne ne va les appeler ou veiller sur eux, à moins que la personne se trouve à être un ancien ministre, comme certains sénateurs. On peut les appeler, mais personne d'autre ne reçoit d'appel. Les sous-ministres ne reçoivent pas d'appel.

Le sénateur Murray: Parmi les neuf propositions de la coalition «Government Ethics» savez-vous combien se trouvent dans la loi québécoise à laquelle on fait allusion?

M. Conacher: Il y a un organisme de surveillance indépendant qui applique cela. Je n'ai pas participé à l'établissement du code ni à l'inclusion de tel ou tel élément à l'intention des lobbyistes du Québec.

Le sénateur Murray: Qui a soulevé la question? Le savez-vous? Quels sont les éléments qui font que la loi québécoise est tellement supérieure à celle qui est proposée ici?

M. Chenier: La loi québécoise prévoit des lignes directrices précises sur l'après-mandat. Il y a un commissaire à l'éthique, ou conseiller, indépendant, de haut rang, nommé par l'assemblée législative. Seul un vote de l'assemblée législative peut déterminer qu'il sera révoqué. La loi précise que le titulaire du poste doit révéler toue expérience antérieure avec les pouvoirs publics. La loi s'applique aux instances provinciales et municipales, et elle interdit aux ex- employés municipaux de faire du lobbyisme au nom de leur propre municipalité pendant deux ans.

Le sénateur Murray: Est-il interdit pour les lobbyistes de travailler pour le gouvernement ou d'avoir des liens d'affaires quelconques avec le titulaire d'une charge publique?

M. Chenier: Toute la loi s'articulait justement autour de cela. Les partis politiques, le parti au pouvoir et le monde des lobbyistes nourrissent des idées très fortes là-dessus.

Le sénateur Murray: Nous pourrions examiner cette loi de plus près.

Toutes les personnes ici présentes connaissent probablement la réponse à cette question. On parle des ex-titulaires d'une charge publique, des ex-fonctionnaires, et ainsi de suite. Je présume que cela s'applique aussi aux anciens officiers des services armés et de la GRC; n'est-ce pas?

Le président: Par «titulaire d'une charge publique» il faut entendre l'agent ou employé de Sa Majesté du Chef du Canada, ce qui s'applique notamment aux membres des Forces armées canadiennes et aux membres de la GRC.

Le sénateur Murray: Monsieur Conacher, de la liste des groupes membres de la coalition, savez-vous combien sont des organisations enregistrées?

M. Conacher: Non, je ne le sais pas.

Le sénateur Murray: Certaines d'entre elles, nombre d'entre elles, ou la plupart?

M. Conacher: Certaines d'entre elles travaillent surtout à l'échelle provinciale. Par conséquent, elles n'ont pas beaucoup affaire avec le lobbyisme au fédéral. Si elles font partie d'une coalition, comme Démocratie en surveillance, à titre d'organisation facilitatrice qui énumère les membres de la coalition, elles sont inscrites sur une liste des membres de notre coalition.

Le sénateur Murray: Je vais formuler une observation, puis nous verrons quelle tournure la conversation va prendre.

M. Chenier décrit parfaitement bien comment l'industrie fonctionne à Ottawa. Quiconque a eu affaire à cela le sait.

Je veux parler d'un autre phénomène. Un grand nombre des groupes comme ceux qui sont énumérés ici, y compris des groupes écologistes et des groupes d'action sociale, cultivent des liens très étroits avec les responsables de divers programmes gouvernementaux et avec des divisions entières, sinon des ministères entiers. Les deux vivent en symbiose. Les uns ont besoin des autres. Les responsables des programmes ont besoin des appuis continuels des intéressés. Nombre de gens en question ont un intérêt dans les divers programmes et organismes gouvernementaux. Ils cultivent des liens avec les gestionnaires responsables de ces programmes, peut-être pas tant avec les ministres, bien que ce soit le cas parfois.

M. Manley a annoncé récemment qu'il demandera à ses collègues d'un autre ministère de trouver 1 milliard de dollars, dans les fonds prévus pour les programmes existants, afin de financer des programmes nouveaux. Or, nous pouvons être sûrs que, en ce moment même, plusieurs des organisations en question s'acharnent sur les diverses divisions et directions des ministères en vue de s'assurer que, quelles que soient les mesures adoptées, aucune n'ait un effet néfaste sur le programme, l'organisme, la division ou le service qui les intéresse.

Je ne dis pas qu'il y a là quelque chose de sinistre ou de répréhensible, pas plus que le phénomène dont parlait M. Chenier serait répréhensible, mais c'est comme cela que les choses fonctionnent de nos jours. Le gouvernement, en ce sens, est devenu beaucoup plus ouvert. Si on appliquait des doctrines comme la solidarité ministérielle et le secret ministériel, comme on devrait le faire, rien de tout cela n'arriverait.

Je pourrais appuyer assez facilement certaines des propositions qui sont formulées. D'autres encore me poseraient certaines difficultés, y compris la première. Je ne sais pas à quoi cela servirait d'imposer le fardeau aux ministres et à leur personnel.

Je me demande s'il faut interdire aux lobbyistes d'occuper quelque poste de haut rang que ce soit en rapport avec la campagne d'un politicien ou d'un candidat. Ce serait certainement la catastrophe dans la capitale. Je ne sais pas s'il y aurait moins de lobbyistes, mois de campagnes ou moins de politiciens. Il serait difficile de définir un poste de haut rang associé à une campagne. Si quelqu'un figure parmi la douzaine de collecteurs de fonds d'un candidat, est-ce qu'il occupe un poste de haut rang? Certaines propositions semblent se situer sur la bonne voie.

M. Conacher: La situation se produit aussi souvent du côté des sociétés.

Le sénateur Murray: Tout le monde est considéré comme un intéressé. Il n'y a pas d'intérêt national qui soit commun à tous. L'intérêt national est considéré comme la somme des intérêts de tous les intéressés.

M. Conacher: Vous parlez de partenariats et de symbiose. Regardez le fonds de Partenariat technologique Canada, d'Industrie Canada. Industrie Canada appartient à BIOTECanada, association de lobbyistes du secteur de la biotechnologie.

Certains des groupes de citoyens membres de notre coalition ont une relation de symbiose, mais c'est plus courant du côté des sociétés, pour ce qui est des véritables partenariats, par rapport aux groupes de citoyens.

Huit des groupes nationaux sont enregistrés dans le registre des lobbyistes.

Le sénateur Murray: Le Lobby Monitor est-il un périodique?

M. Chenier: Il est publié toutes les deux semaines.

Le sénateur Murray: Est-ce que les sénateurs le reçoivent gratuitement, sinon faut-il s'abonner? Combien cela coûte- t-il?

M. Chenier: La Bibliothèque du Parlement y est abonnée. Il y a un tarif spécial pour les sénateurs et les députés, et les numéros sont transmis par courriel à leur bureau.

La relation entre les lobbyistes et les candidats à des élections fait l'objet d'une discussion depuis deux, trois ou six mois. Je sais que le conseiller à l'éthique a été très occupé à signaler aux lobbyistes s'ils devraient, oui ou non, participer aux campagnes à l'investiture des deux partis. Voilà une question difficile.

Tout de même, ce qui importe avant tout, c'est que les décisions soient accessibles et transparentes. Le grand public devrait pouvoir jeter un coup d'œil aux règles et dire: «nous pouvons composer avec cela. Nous comprenons la raison pour laquelle les règles sont ainsi faites.» En ce moment, c'est un peu confus, et cela suscite d'autres inquiétudes.

Le sénateur Murray: Ils se rassemblent en de véritables essaims et échangent des confidences: ce sont des compagnons d'armes. Je ne sais pas comment on pourrait éviter le problème. Il n'y a plus de secret.

Certains de ces groupes ont droit à un regard beaucoup moins critique de la part de la presse.

M. Chenier: Cela dépend du journal que vous lisez.

Le sénateur Di Nino: J'aimerais revenir sur quelques-uns des points qui ont été soulevés. Par contre, avant de le faire, j'aimerais dire à M. Conacher que, selon moi, il nous donne beaucoup de matière à réflexion. Nous ne sommes pas toujours d'accord avec vous, mais je suis heureux de vous voir chaque fois que vous êtes là. Vous nous présentez toujours un défi nouveau.

M. Chenier et M. Conacher à la fois ont parlé de la nécessité d'un organisme indépendant. Si j'ai bien lu mes notes, M. Chenier laisse entendre qu'il y a lieu de se soucier d'un certain déclin de la situation à cet égard. Pourriez-vous commenter la question, tous les deux, pour que je puisse employer vos propos en préparant mon discours en vue de la troisième lecture?

Le sénateur Stratton: Ou modification.

M. Conacher: Vous êtes pris au piège parce que vous devez étudier le projet de loi C-15 et, plus tard, le projet de loi C-34. Il est à espérer que nous aurons réglé cela au moment où le projet de loi C-34 arrivera à la Chambre, et que le terme commissaire à l'éthique viendra remplacer le «directeur» qui se trouve dans le projet de loi C-34. C'est la meilleure façon de procéder. À ce moment-là, la personne aurait les pleins pouvoirs pour agir.

Il y a une autre raison qui milite en faveur d'une telle mesure. Si le commissaire à l'éthique s'occupe plus du code des députés, des sénateurs, des ministres et des députés, et que le directeur s'occupe du code des lobbyistes, les décisions vont parfois être incompatibles. La règle 8 du code des lobbyistes précise que le ministre ne saurait mettre un politicien en situation de conflit d'intérêts. Le code des députés et des ministres que va prendre en charge le commissaire à l'éthique dira qu'un politicien ne peut se retrouver dans une situation de conflit d'intérêts. Les deux vont faire enquête sur la même situation. Qu'arrive-t-il si les décisions sont incompatibles? Je crois que cela peut causer un véritable problème.

Le directeur devrait continuer de s'occuper du registre, mais non pas, en même temps, de l'exécution des règles. Il y aura des décisions contradictoires: c'est une invitation à la catastrophe. De même, comme M. Chenier l'a souligné, le directeur n'aura pas l'indépendance voulue et n'occupera pas un poste de haut rang, à la manière du Vérificateur général ou du commissaire à l'information, et qui peuvent vraiment agir pour faire respecter une règle. Cela sera à l'origine d'autres problèmes.

M. Chenier: Le problème réside non pas dans le projet de loi C-15, mais dans le projet de loi C-34. Les fonctions du conseil à l'éthique sont énoncées dans le projet de loi C-15, et je ne crois pas que nous ayons soulevé de questions à propos de la manière dont elles sont énoncées. La question qui n'est pas abordée dans le projet de loi C-15, mais qui est censée l'être dans le projet de loi C-34, c'est celle de l'indépendance du commissaire à l'éthique.

Lorsque, au départ, nous avons vu qu'il y aurait un commissaire à l'éthique indépendant, la réaction a été positive. Tout le monde croyait qu'il nous en fallait un. Ce n'est pas parce que les choses vont mal, mais plutôt parce qu'il vaudrait mieux qu'une personne respectée se charge de ces situations. Au moment où le commissaire à l'éthique rendrait une décision, on ne saurait susciter des doutes quant à savoir s'il subit, oui ou non, des pressions venant d'en haut.

J'ai été surpris de constater que le projet de loi C-34 éliminait cela en quelque sorte. Alors que le projet de loi C-15 l'inclut, le projet de loi C-34 l'élimine. J'étais atterré. J'ai cru qu'on modifierait cela à l'autre endroit, quand le projet de loi reviendrait du comité. Cela n'a pas été le cas. Cela se trouve toujours dans le projet de loi. J'imagine qu'il faut régler cela dans le projet de loi C-34 et non pas dans le projet de loi C-15.

M. Grainger: Le problème réside peut-être en partie dans le projet de loi C-34 et dans le projet de loi C-15, mais tout cela soulève une question plus vaste, avec laquelle le Parlement et le gouvernement ainsi que la fonction publique doivent se débattre: le fait qu'il n'y ait pas vraiment de cadre pour la déontologie. Par conséquent, il y aura quatre ou cinq commissaires, appelez-les comme vous voulez. Nous avons entendu parler de quatre d'entre eux. Et je suis sûr que vous savez qu'il y en a un autre: l'agent de l'intégrité qui, au BCP, s'occupe des cas de divulgation; c'est-à-dire qu'il conseille déjà tous les sous-ministres au sujet des cas de dénonciation.

Ajoutons à cela le fait que le Conseil du Trésor compte un Bureau des valeurs et de l'éthique, qui encadre constamment la fonction publique; ce sont parfois les mêmes personnes qui se trouvent dans un bureau ou dans l'autre, comme a pu le souligner le sénateur Murray. Nous avons maintenant un problème pour ce qui est du nombre de personnes qui interviennent et, jusqu'à un certain point — je suis d'accord avec M. Conacher là-dessus — nous allons avoir le problème de décisions contradictoires. Il est temps que nous fassions vraiment le ménage là-dedans.

Il y a une partie de cette question qu'évoque un exemple. Tout le monde se souvient des problèmes du président Clinton. Le Cabinet américain compte un bureau de l'éthique gouvernemental, la U.S. Office of Government Ethics; c'est le grand responsable de l'éthique à Washington. Une personne distinguée y a travaillé avec diligence pendant tout le mandat du président et a eu accès à tout, sauf à un endroit: la Maison Blanche. Nous avons parfois un problème de caractère, de sorte que c'est là une considération importante. Le problème de l'accès est une autre considération importante. Vous pouvez donner tous les pouvoirs possibles à quelqu'un dans notre capitale, mais il ne sortira jamais de son bureau s'il y a quelqu'un au bout du couloir qui lui dit de rester là.

Il ne s'agit pas seulement d'essayer de définir les renseignements et d'autres choses. Nous devons trouver une façon de régler toute la question de la déontologie et des pouvoirs publics. Je recommande que nous jetions un autre coup d'œil à l'expérience vécue en Grande-Bretagne depuis six ans, à ce qu'on a dû y faire pour démêler le problème avant de commencer à créer des commissaires à l'éthique.

Le sénateur Di Nino: L'autre question que je souhaite soulever concerne la nécessité pour les lobbyistes de dévoiler les postes qu'ils ont occupés par le passé et les liens qu'ils ont cultivés par le passé. Nous avons entendu un témoin dire aujourd'hui que c'est peut-être là une disposition inutile, qu'il faudrait éliminer.

J'ai étudié le commentaire de John Bryden à propos de cette question, qui porte sur son amendement, et il me semble que le fait qu'il n'y soit question que des lobbyistes salariés, et non pas des lobbyistes-conseils, ne représente qu'un oubli de sa part. Je crois que l'amendement visait à englober les deux cas. Aux fins de notre compte rendu et pour mieux orienter notre étude de la question, est-ce que l'un quelconque des témoins voudrait commenter cette question? Croyez-vous qu'il importe, dans l'esprit de la transparence, de faire en sorte que tous les lobbyistes révèlent cette information, sinon êtes-vous d'accord avec le témoin d'hier pour dire que cela ne fait peut-être qu'encombrer les dossiers?

M. Chenier: Cela fait partie de la loi québécoise. Il faut divulguer toute charge publique que vous avez détenue par le passé.

Je crois que cela devrait s'appliquer à tous les lobbyistes; et je sais, pour en avoir parlé à M. Bryden, qu'il croyait que cela s'appliquait à tous et qu'il était surpris de constater que ce n'était pas le cas. Il n'y a pas de motif à cette exclusion.

M. Grainger: Je crois que c'est par inadvertance qu'il a fait cela. Cela devrait englober tous les cas. Je ne connais personne dans la capitale qui n'est pas fier de son curriculum vitæ, qui ne le distribue pas pour impressionner les gens. Je ne vois pas pourquoi ils devraient être exclus.

M. Conacher: La coalition a aussi pour position que le lobbyiste-conseil devrait être tenu lui aussi de révéler ce renseignement. C'est un renseignement qui donne une idée des mérites de la décision rendue et qui laisse voir qui a participé au processus de prise de décisions et d'élaboration des politiques.

Je sympathise avec tous les membres du comité: vous êtes pris avec cette tâche qui consiste à prévoir la surveillance voulue. Tout de même, vous pourriez nous aider à nous défaire d'une tâche encombrante — le directeur qui applique le code des lobbyistes — si vous renvoyez le projet de loi à la Chambre. Cela va passer, nous l'espérons, après le projet de loi C-34; et tout cela sera réglé et il y aura une certaine cohérence quant aux projets de loi C-15 et C-34 — et il n'y aura plus cette échappatoire et d'autres échappatoires encore dans le projet de loi C-15.

Le président: Merci aux témoins. Nous apprécions le fait que vous soyez venus comparaître aujourd'hui.

La séance est levée.


Haut de page