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RPRD - Comité permanent

Règlement, procédure et droits du Parlement

 

Délibérations du Comité du 
Règlement, de la procédure et des droits du Parlement

Fascicule 18 - Témoignages du 28 octobre 2003


OTTAWA, le mardi 28 octobre 2003

Le Comité sénatorial permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement, qui a été saisi du projet de loi C-34, Loi modifiant la Loi sur le Parlement du Canada (conseiller sénatorial en éthique et commissaire à l'éthique) et certaines lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 9 h 35 pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, il y a quorum. La séance du Comité sénatorial permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement est maintenant ouverte. Nous examinons le projet de loi C-34. Comparaissent aujourd'hui l'honorable sénateur Sharon Carstairs, leader du gouvernement, et l'honorable Don Boudria, ministre d'État et leader du gouvernement à la Chambre des communes. Nous avons également Ron Wall et Mitch Bloom, du Bureau du Conseil privé, qui sont là pour répondre à des questions au besoin.

J'apprends que M. Boudria doit partir à 10 h 30. Si nous avons des questions portant sur les aspects des projets de loi concernant la Chambre des communes, nous devrions peut-être les poser en premier.

[Français]

L'honorable Don Boudria, c.p., député, ministre d'État et leader du gouvernement à la Chambre des communes: Vous venez de présenter les deux officiers du Conseil privé qui nous accompagnent, M. Wall et M. Bloom.

J'en profite pour souligner l'excellente contribution de ce comité au développement du projet de loi C-34. Comme vous le savez, le gouvernement a accepté toutes les recommandations de votre comité et en a tenu compte dans le projet de loi. De l'ébauche qui vous fut soumise et qui a fait l'objet de votre révision découla certaines recommandations. Chacune de ces recommandations fut incorporée au projet de loi sans exception.

Par exemple, tel que recommandé par le comité, vu les traditions particulières de votre vénérable institution du Sénat, de la Chambre des communes et vu les différences qui existent entre les deux institutions, le projet de loi crée un poste de conseiller sénatorial en éthique distinct du Bureau du commissaire à l'éthique de la Chambre des communes. Le conseiller sénatorial sera chargé d'administrer le code régissant les conflits d'intérêt à l'égard des sénateurs. Pour sa part, le commissaire de la Chambre des communes devra administrer un code semblable pour les députés de même que le code du premier ministre visant les titulaires de charge publique.

La création du poste de commissaire à l'éthique et celui du conseiller sénatorial en éthique au moyen d'une loi lancera un message clair aux Canadiens et Canadiennes à savoir que nous avons pris des mesures sérieuses. En outre, le projet de loi C-34 comprend des dispositions supplémentaires visant à renforcer le fait que le commissaire et le conseiller jouissent tous deux de l'immunité parlementaire. Ces dispositions précisent que les activités liées à l'administration des codes ne seront pas assujetties au contrôle judiciaire.

Nous savons qu'il s'agit d'un dossier qui a inquiété, par le passé, certains honorables sénateurs.

Selon une autre recommandation de votre comité, le processus de nomination a été modifié. Les chefs de tous les partis reconnus au Sénat doivent être consulté avant que la nomination soit confirmée par un vote. Cette approche correspond à l'approche mise en place dans plusieurs provinces, entre autres, l'Ontario et le Nouveau-Brunswick. Également, elle est semblable à celle utilisée pour les agents du Parlement, par exemple, le commissaire à l'information et le commissaire à la protection de la vie privée.

Le comité souhaitait également que le mandat du commissaire passe de cinq à sept ans et que ce mandat soit renouvelable. Cette disposition est maintenant confirmée dans le projet de loi, tel que demandé.

[Traduction]

Plusieurs changements de forme ont été apportés au projet de loi. Le nouveau libellé précise que les ministres, les secrétaires d'État et les secrétaires parlementaires sont assujettis aux codes de la Chambre et du Sénat lorsqu'ils accomplissent des tâches liées à leur rôle de député ou de sénateur.

Ainsi, les titulaires de charge publique qui sont aussi parlementaires devront respecter les codes de la chambre dont ils sont membres, au même titre que tous les autres parlementaires, lorsqu'ils agissent comme tels. Autrement dit, nous ne voulons jamais créer de circonstances dans lesquelles un ministre ou un secrétaire parlementaire pourrait donner l'impression — à tort, bien sûr — qu'il a moins d'obligations qu'un parlementaire non titulaire d'une charge publique.

Le projet de loi exige aussi que les demandes d'examen du comportement d'un ministre visé par le code du premier ministre soient formulées par écrit et fondées sur des motifs raisonnables. Cette exigence reprend les changements qu'envisage un comité de la Chambre à l'égard du code des Communes. En outre, le commissaire à l'éthique serait tenu de suspendre l'examen du comportement d'un ministre en vertu du code du premier ministre s'il y a des motifs raisonnables de croire qu'une infraction à une loi du Parlement a été commise.

Il n'appartient pas au commissaire de s'occuper de choses telles que des infractions à la loi, qu'elles soient ou non de nature criminelle. Encore une fois, cette disposition correspond au code de la Chambre.

Le projet de loi oblige maintenant le premier ministre à déposer des principes, des règles et des obligations d'ordre éthique devant les deux Chambres dans les trente jours de séance qui suivent son entrée en fonction. Toute modification ultérieure doit être présentée au Parlement dans les quinze jours de séance suivant son adoption.

Comme le gouvernement a mis en œuvre cette pratique depuis 1993, la nouvelle disposition sert à clarifier une situation existante et à l'inscrire dans la loi pour assurer son maintien à l'avenir.

Je serai maintenant très heureux de répondre à toute question du comité. Je tiens à m'excuser auprès des honorables sénateurs parce que je dois m'acquitter de mes fonctions au Cabinet à 10 h 30. J'ai en effet à présenter un exposé à mes collègues du Cabinet ce matin. Je vous demande donc de bien vouloir m'excuser pour que je puisse être présent.

Je remercie les honorables sénateurs. Je serai bien sûr heureux, de même que ma collègue, de répondre à vos questions au moment qui vous conviendra.

L'honorable Sharon Carstairs, c.p., leader du gouvernement au Sénat: Je suis heureuse d'être ici ce matin pour parler du projet de loi C-34, qui crée un poste de conseiller sénatorial à l'éthique et un autre de commissaire à l'éthique pour la Chambre des communes et les titulaires de charges publiques.

Le sénateur Stratton: Comme M. Boudria doit nous quitter à 10 h 30, ne vaudrait-il pas mieux l'interroger tout de suite, avant de passer au sénateur Carstairs?

La présidente: Ce serait sans doute préférable, mais je note que l'exposé du sénateur Carstairs n'est vraiment pas très long et qu'il pourrait être bon pour nous d'entendre les deux exposés en premier. Je m'en remets au comité.

Le sénateur Kinsella: M. Boudria doit-il revenir?

La présidente: Non, je suppose qu'il doit vraiment manquer de temps ces jours-ci. Je vais donc peut-être demander s'il y a des questions à poser à M. Boudria.

Le sénateur Andreychuk: Merci d'être venu, monsieur Boudria, j'espère que nous aurons suffisamment de temps pour poser toutes nos questions. Je suis consciente de l'heure qu'il est. Je vais donc commencer par votre affirmation selon laquelle le gouvernement a tenu compte du rapport du Sénat. Le sénateur Carstairs a déjà dit la même chose. J'ai passé en revue les délibérations du comité. Le rapport en question n'avait pas pour objet de refléter notre point de vue. Il s'agissait simplement d'un aperçu de ce que nous avons examiné et de quelques opinions préliminaires. Même ces opinions n'y ont pas été pleinement exprimées. Compte tenu du temps que le gouvernement a consacré au sujet, n'aurait-il pas été plus équitable de permettre au Sénat de terminer son étude, au lieu de se limiter à un texte très préliminaire qui ne reflète pas les vues du Sénat?

M. Boudria: Je crois que l'honorable sénateur me demande de formuler une opinion sur les délibérations du Sénat et sur le temps — nombre d'heures, nombre de jours, et cetera — que le Sénat a décidé d'attribuer à ce sujet particulier. J'aurais vraiment beaucoup de difficulté à le faire. Si un ministre donne l'impression d'essayer de dicter aux honorables sénateurs la façon de faire certaines choses, il n'est ordinairement pas très bien accueilli. Par conséquent, même si vous m'invitez à le faire, je préfère éviter ce terrain assez glissant.

Tout ce que je peux dire, c'est que cette question est en discussion depuis longtemps. J'ai siégé à un comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes avec au moins un des honorables sénateurs présents ce matin. Beaucoup de notre travail commence de cette façon. Ensuite, il est développé, transformé en avant-projet de loi, puis en projet de loi comme celui dont vous êtes saisis. Avec votre permission, cependant, je préfère ne pas m'occuper du temps que le Sénat a consacré à chaque étape de ce processus.

Le sénateur Andreychuk: Vous avez peut-être mal compris ma question. Dans votre exposé, monsieur le ministre, vous avez dit que vous avez tenu compte du point de vue et des voeux du Sénat, sur la base de notre rapport. Or notre rapport disait très clairement que c'était un texte très préliminaire et qu'énormément de travail restait encore à faire. Je suis donc surprise, et peut-être même choquée, que le gouvernement dise: «Voici votre point de vue définitif. Nous allons en tenir compte.» Je suis troublée par le fait que vous ayez considéré le rapport comme un texte définitif du Sénat et que vous l'ayez apparemment intégré dans le projet de loi.

Deuxièmement, si vous aviez fait ce que vous dites, nous n'aurions pas le projet de loi que nous avons ici. Par exemple, nous avons clairement dit dans notre rapport qu'il ne suffisait pas de consulter les partis reconnus au Sénat et qu'il fallait plutôt obtenir l'accord de la direction de ces partis. Il y a peut-être dans le projet de loi certaine des choses que nous avons exprimées dans notre rapport, mais il n'y a pas de doute que vous avez omis de tenir compte de beaucoup d'autres points qui y figuraient et qui avaient pour nous une importance fondamentale.

Je suis donc surprise vous entendre dire que le projet de loi C-34 est conforme à notre point de vue.

M. Boudria: Si vous le permettez, je dirais que le rapport contenait un certain nombre de recommandations très importantes, comme le fait de nommer un conseiller distinct pour chacune des deux Chambres. C'est sûrement là une recommandation que nous avons trouvée dans votre rapport. On pourrait soutenir que d'autres recommandations auraient pu être intégrées, je n'en suis pas sûr, mais au moins celle-ci a été prise en considération. Nous avons prévu dans le projet de loi deux conseillers distincts, reconnaissant ainsi les besoins particuliers du Sénat. Nous avons modifié la durée du mandat, également sur la base des recommandations de votre rapport. Nous avons aussi rendu le mandat renouvelable, alors qu'il ne l'était pas à l'origine. Encore une fois, c'était un élément de votre rapport. De plus, nous avons essayé de faire en sorte que le projet de loi reflète mieux le fait que les deux Chambres font partie du même Parlement, comme les honorables sénateurs nous le rappellent souvent. En même temps, nous avons souvent, mais pas toujours, des responsables du Sénat qui sont distincts de ceux des Communes, comme le greffier.

Par ailleurs, il y a évidemment des fonctionnaires communs aux deux Chambres, comme le commissaire aux langues officielles, le commissaire à la protection de la vie privée et d'autres que les honorables sénateurs connaissent bien.

C'est dans ce sens que nous avons essayé d'intégrer les recommandations qui nous ont été présentées. Nous avons d'ailleurs fait la même chose avec le comité des Communes, qui a présenté un certain nombre de recommandations importantes que nous avons essayé d'inclure dans le projet de loi, non seulement pour mieux refléter le point de vue des deux Chambres, mais aussi pour avoir une mesure législative — qui deviendra bientôt une loi, nous l'espérons — qui sera bien accueillie par l'ensemble des Canadiens.

Le sénateur Andreychuk: Je me reporte au texte de votre exposé, dans lequel vous dites que le gouvernement a accepté toutes les recommandations du comité. Or je viens de vous en signaler une que le gouvernement n'a pas acceptée. Est-ce que cela signifie que le gouvernement était en faveur de toutes nos recommandations, mais que le projet de loi ne le reflète pas? Serions-nous biens avisés dans ces conditions de proposer des amendements pour nous assurer d'inclure toutes nos recommandations dans le projet de loi puisque le gouvernement semble les appuyer?

M. Boudria: Nous appuyons bien toutes vos recommandations, mais je ne suis pas sûr que vous pourrez les trouver dans la forme exacte que vous cherchez. Par exemple, la nomination du conseiller est différente, de même que le mécanisme de nomination. Vous souhaitiez que la nomination se fasse comme vous venez de l'indiquer et comme le rapport le mentionne. Vous vouliez également de légères modifications. Il n'en reste pas moins qu'il s'agit d'un conseiller nommé avec le consentement du Sénat et après des consultations se limitant au Sénat, sans intervention de l'autre chambre. Nous avons eu ces discussions bien avant la nomination du conseiller et avons convenu qu'il agirait en toute indépendance de l'autre chambre. Le rapport recommandait en outre qu'il y ait deux conseillers distincts. Cette recommandation a été intégrée dans le projet de loi, comme tous les autres aspects que j'ai mentionnés précédemment.

Le sénateur Andreychuk: Vous venez de dire «après des consultations». Ou bien vous obtiendrez l'accord de la direction au Sénat après quoi le premier ministre procédera à la nomination, ou bien nous serons simplement «consultés» de la manière habituelle, auquel cas beaucoup de choses ne sont pas nécessairement prises en considération.

La présidente: Le projet de loi dit que la nomination se fait après un vote.

M. Boudria: Un vote est en effet prévu. Les honorables sénateurs donneront leur consentement dans le cadre d'un vote. Il y a des consultations. Je crois d'ailleurs que le processus est le même dans l'autre chambre. Je ne sais pas comment le Sénat procédera. Il voudra peut-être charger un comité d'examiner une candidature. Il ne m'appartient pas de le dire. Il est évident que la décision vous revient. Quoi qu'il en soit, c'est ainsi que procéderait l'autre chambre. Aux Communes, il y aurait des consultations, suivies par un examen en comité — encore une fois, il vous appartiendra de décider vous-même de la manière de procéder — puis par un vote, qui représentera le consentement des parlementaires. Dans le cas du Sénat, si un vote inscrit est demandé au sujet de la nomination du conseiller, le consentement serait donné en fonction des résultats du vote.

Le sénateur Andreychuk: Je ne vais pas m'appesantir là-dessus, mais les honnêtes divergences...

La présidente: Sénateur Andreychuk, j'ai déjà les sénateurs Grafstein, Cordy, Oliver et Lavigne sur ma liste. Voulez- vous que j'ajoute votre nom?

Le sénateur Andreychuk: J'y reviendrai au deuxième tour, mais je tiens à souligner que le comité — vous constaterez que cela est très clair dans notre compte rendu — tenait à ce qu'on obtienne l'accord de la direction des partis reconnus au Sénat, car nous savions que des consultations suivies d'un vote donneraient la haute main au parti de la majorité. Pour que le conseiller bénéficie de la confiance des sénateurs, sa nomination doit être acceptée par tous les côtés. C'est la moindre des choses. C'est ce que le comité a dit, pas qu'il devrait y avoir des consultations avec les leaders, et cetera, après quoi la majorité voterait. L'histoire nous montre où cela peut mener. Cela mène à un contrôle total de la part du parti au pouvoir. Je crois qu'il y a une divergence d'opinions à ce sujet, monsieur le ministre.

Le sénateur Grafstein: Je vais poser deux petites questions.

Il y a d'abord la question du commissaire ou conseiller à l'éthique. Si un député ou un sénateur fait l'objet d'examen de la part du conseiller, qui lui donne ensuite des conseils à titre confidentiel, ces conseils peuvent-ils constituer la base de poursuites au criminel?

M. Boudria: Vous me demandez de vous donner un avis sur une question qui pourrait aller devant les tribunaux. La meilleure façon de trouver une réponse à votre question est d'examiner ce qui s'est produit dans diverses assemblées législatives. Il y a l'affaire Tafler en Colombie-Britannique. Il ne s'agissait pas de poursuites au criminel, mais de diverses autres questions, que j'essaierai de résumer. Dans un cas, il fallait déterminer si le commissaire aux conflits d'intérêts de la Colombie-Britannique, agissant en vertu du Members' Conflict of Interest Act de la province, était protégé par le privilège législatif, c'est-à-dire soustrait à un contrôle judiciaire de sa façon de s'acquitter de ses fonctions. La cour a jugé à l'unanimité que les privilèges de l'assemblée s'étendaient au commissaire dont les décisions, dans l'exercice des pouvoirs qui lui sont conférés par la loi, sous soustraites à tout contrôle judiciaire.

Dans l'affaire Harvey du Nouveau-Brunswick, il fallait déterminer si la loi électorale de la province, qui interdit l'accès à une charge publique à toute personne condamnée pour des pratiques électorales illicites, était conforme à la Charte. Une décision a été rendue au sujet de la protection des privilèges d'un autre fonctionnaire de l'assemblée législative. La Cour a statué que le retrait des privilèges est protégé par le privilège parlementaire et échappe donc à l'application de l'article 3 de la Charte. La question relève de l'assemblée et non des tribunaux. Il s'agissait dans ce cas d'un fonctionnaire différent, un directeur des élections.

Dans l'affaire Morin, un membre de l'Assemblée des Territoires du Nord-Ouest avait demandé un contrôle judiciaire d'une enquête et d'un rapport du commissaire aux conflits d'intérêts des Territoires. Dans ce cas, la cour a conclu — je suis prêt à déposer les documents — que les pouvoirs exercés par le commissaire étaient couverts par le privilège législatif et ne pouvaient donc pas faire l'objet d'un contrôle judiciaire.

Dans ce cas particulier, il était question de contrôle judiciaire. Beaucoup d'affaires sont allées devant les tribunaux, mais les conclusions sont toutes assez semblables. Il y a, par exemple, la décision Roberts rendue en 2002 dans les Territoires du Nord-Ouest. Dans ce cas, c'était la commissaire aux conflits d'intérêts qui contestait sa révocation. La question était donc très différente, mais, là aussi, les tribunaux ont déclaré qu'ils n'avaient pas compétence.

Il y a aussi une autre affaire, la New Brunswick Broadcasting Co. c. la Nouvelle-Écosse. Il fallait déterminer, dans ce cas, si l'assemblée législative provinciale pouvait interdire l'accès à ses tribunes et à ses délibérations. La personne en cause était également un fonctionnaire du Parlement, nommé d'une façon très différente, à savoir le président de l'assemblée, qui avait refusé, au nom de l'assemblée, d'accorder à certaines personnes l'accès aux tribunes. La Cour a décidé à la majorité que la Charte ne pouvait pas empiéter sur ce droit en vertu du principe voulant qu'une partie de la Constitution ne puisse pas abroger une autre partie. Elle a statué que les tribunaux peuvent déterminer si l'application du privilège est nécessaire au fonctionnement de l'assemblée législative, mais qu'ils n'avaient pas qualité pour examiner le bien-fondé d'une décision particulière prise dans le cadre de ce privilège.

Il y a de nombreuses décisions, mais aucune n'avait trait à des poursuites au criminel. Toutefois, elles confirment toutes, y compris celles qui sont allées jusqu'à la Cour suprême, qu'une décision prise par une assemblée au sujet de ses fonctionnaires est soustraite à tout contrôle judiciaire de toutes les façons que j'ai mentionnées.

Le sénateur Grafstein: Je ne tiens pas à engager une discussion avec le ministre. Certains d'entre nous ont examiné ces affaires et sont arrivés à des conclusions différentes. De toute façon, elles n'avaient rien à voir avec ma question précise.

Ma question est simple. Je vais cependant l'expliquer et la rendre encore plus précise.

Si un conseiller ou un commissaire à l'éthique — je crois que les règles sont les mêmes dans les deux cas — donne des conseils dans le cadre d'une relation proche de la relation avocat-client, est-ce que les réponses données par le député ou le sénateur en cause sont totalement protégées? Autrement dit, les réponses données peuvent-elles être divulguées au cours d'une procédure criminelle ou même civile? J'aimerais peut-être mieux m'en tenir aux procédures criminelles, qui sont plus sévères.

Le commissaire ou conseiller aura-t-il le droit de rejeter une assignation lui demandant de produire des documents ou des déclarations qui lui ont été confiés?

M. Boudria: M. Bloom voudra peut-être ajouter quelque chose à ce que j'ai dit et répondre à certaines de ces questions. Je ne crois pas qu'il y ait des doutes au sujet d'une telle assignation. Beaucoup d'affaires mettant en cause des parlementaires et des fonctionnaires du Parlement ont été jugées dans le passé. Il est très clair que les renseignements ne seraient pas accessibles.

Je voudrais ajouter ceci. Nous devons nous souvenir que chaque chambre rédigera son propre code, qui sera ensuite adopté par résolution de la chambre elle-même. Le code devient ensuite le recueil des règles régissant tout ce qu'il y a à régir dans chaque chambre. Les décisions de chacune sont protégées de la même façon.

M. Bloom voudra peut-être répondre.

La présidente: Pendant que M. Bloom se prépare, je voudrais attirer l'attention des honorables sénateurs sur le paragraphe 20.6(1) à la page 3 du projet de loi.

M. Mitch Bloom, agent du Conseil privé, Bureau du Conseil privé: Ce sont des points sur lesquels je voulais attirer votre attention. Les régimes de confidentialité du conseiller sénatorial en éthique et du commissaire à l'éthique sont structurés de la même façon. Ils se basent sur deux aspects. Le premier est le privilège parlementaire et le second, la confidentialité.

Dans le cas du conseiller sénatorial en éthique, il appartiendra au Sénat d'établir, lors de l'élaboration de ses propres règles, la portée du régime de confidentialité. Comme le ministre l'a expliqué en détail, ce régime s'appuie sur les privilèges de chaque chambre, qui sont bien établis dans la jurisprudence.

Pour aller un peu plus loin dans le cas des fonctionnaires du Parlement, nous avons inclus dans le projet de loi une disposition précise, qui vient d'être citée, le paragraphe 20.6(1), afin de soustraire le conseiller en éthique et les membres de son personnel à toute obligation de divulguer des renseignements venus à leur connaissance dans l'exercice de leurs fonctions.

Le sénateur Cordy: J'ai lu l'article 34 qui autorise la création du bureau du conseiller sénatorial en éthique. J'ai entendu des sénateurs dire que le public et les tribunaux auraient accès à nos renseignements financiers. Les gens sont un peu nerveux à ce sujet. Je crois comprendre que c'est ce genre de choses que le Sénat définira dans un code relié au projet de loi, sans toutefois que celui-ci précise exactement ce que les sénateurs auront à divulguer.

Mon interprétation est-elle exacte, ou est-ce que le projet de loi permettra un accès illimité à nos renseignements financiers?

M. Boudria: Personne n'a jamais envisagé de faire une chose pareille. Les détails de la structure du régime du Sénat figureront dans le code.

J'établis un parallèle avec le code auquel les titulaires de charge publique sont actuellement assujettis. Le sénateur Carstairs et moi-même y sommes assujettis. D'autres personnes, autour de cette table, ont également été assujetties à différents moments de leur carrière au régime qui était alors en place.

Il existe actuellement différents moyens, comme la divulgation ou l'établissement d'une fiducie sans droit de regard, administrée par un fiduciaire. Tous ces régimes sont acceptables. Il y en a probablement d'autres qui pourraient être inclus dans le code que vous élaborerez.

À cet égard, le projet de loi n'est qu'un cadre. La façon de procéder pour ce qui est de la déclaration des actifs, des passifs, et cetera figurera dans votre code, honorables sénateurs.

Les exigences de confidentialité faisant partie du code seraient protégées par le privilège parlementaire.

Le sénateur Cordy: Les sénateurs auraient donc le choix pour ce qui est de la divulgation?

M. Boudria: Bien sûr. Des sénateurs avaient indiqué au départ que les seuils pouvaient être différents d'une chambre à l'autre à cause des différences entre les niveaux d'intérêt. Tout d'abord, il y a moins de titulaires de charge publique au Sénat. À l'heure actuelle, il n'y en a qu'un seul, car aucun secrétaire parlementaire n'est nommé au Sénat.

À d'autres moments, le nombre de titulaires a pu être différent, mais il a toujours été assez petit.

Ensuite, les projets de loi de nature financière doivent, aux termes de la Constitution, être déposés à la Chambre des communes. Ils ne peuvent pas être déposés au Sénat, car seule la Chambre peut prévoir les voies et moyens de perception d'impôts. Ces aspects peuvent se refléter dans le code que vous établirez pour le Sénat.

Il est possible que le régime des sénateurs finisse par ressembler à celui des députés d'arrière-ban plutôt qu'à celui des ministres. C'est une chose qu'il appartiendra au Sénat de décider.

Le sénateur Oliver: Monsieur Boudria, j'ai deux questions précises à vous poser. Dans votre discours d'aujourd'hui, vous avez parlé du projet de loi C-34. Vous avez noté qu'il contient des dispositions supplémentaires pour confirmer le fait que le commissaire à l'éthique et le conseiller sénatorial en éthique sont couverts par le privilège parlementaire. Cela établit clairement que, lorsqu'ils administreront les codes de leurs chambres respectives, les décisions de ces deux fonctionnaires ne seront pas susceptibles de contrôle judiciaire.

Je veux savoir si vous avez obtenu un avis juridique appuyant cette affirmation. Si oui, auriez-vous l'obligeance de le déposer au comité? Cela fait l'objet d'un grand débat, non seulement au comité, mais au Sénat aussi.

J'ai pratiqué le droit pendant 36 ans devant les tribunaux. Je suis conscient de l'activisme judiciaire et de l'attitude des juges. Nous avons eu connaissance d'un certain nombre de décisions dans lesquelles l'actuelle juge en chef de la Cour suprême du Canada a fait des observations sur les privilèges et d'autres questions.

Compte tenu du manque de cohérence dans les décisions des tribunaux du Canada, pouvez-vous déposer cet avis juridique?

Ma seconde question est la suivante. Lorsque le comité Milliken-Oliver dont vous étiez membre faisait son travail — vous êtes une autorité bien connue dans tout le domaine des régimes éthiques en politique et vous avez été d'une aide inappréciable pour M. Milliken et moi-même à ce moment-là —, vous vous souviendrez que nous représentions tous les partis de la Chambre des communes et du Sénat. Nous étions unanimement d'avis qu'il fallait procéder non par voie législative, mais par résolution des deux Chambres.

Vous savez également que le projet de loi de 1997 a été transmis à la Pologne et y a été adopté. Le régime basé sur une résolution plutôt que sur une loi fonctionne bien. Nous comptions sur vous à ce moment pour nous conseiller sur l'opportunité de procéder par résolution ou par voie législative. J'ai l'impression que vous avez changé d'avis.

Pouvez-vous nous dire pourquoi vous n'êtes pas d'accord, comme vous l'étiez en 1997, que la meilleure façon, la façon la plus sûre de procéder est de faire adopter une résolution par les deux Chambres?

M. Boudria: Permettez-moi de préciser que j'ai fait partie du comité Blenkarn-Stanbury et non du comité Milliken- Oliver. J'ai peut-être assisté à une réunion en 1996, mais ayant été nommé au Cabinet cette année-là, je n'ai pas fait beaucoup de travail dans ce domaine.

Le sénateur Oliver: Vous avez été d'une aide inappréciable.

M. Boudria: Je vous remercie, mais je crois que vous parlez plutôt des réunions de 1993 du comité Blenkarn- Stanbury. Il y a eu deux séries de réunions pendant que je faisais partie de l'opposition et une, après notre arrivée au pouvoir. Je n'ai pas fait grand-chose à la réunion qui a suivi notre arrivée au pouvoir. J'ai peut-être assisté à une réunion. Ce n'est pas allé plus loin.

Aux deux autres occasions, si un régime avait été établi, ce qui n'a pas été le cas, il aurait sans doute évolué dans les 15 années suivantes. Il n'est pas impensable pour moi qu'à 15 ans d'intervalle, nous ayons une mesure législative beaucoup plus complète que nous ne l'aurions envisagé au départ.

Quoi qu'il en soit, je crois non seulement que cela est vrai, mais que les deux principes sont combinés dans ce que nous avons maintenant. Le cadre est défini par voie législative, un peu comme c'était le cas lorsque le Sénat et la Chambre des communes étaient régis par deux lois réunies aujourd'hui dans la Loi sur le Parlement du Canada. Il y a certainement des précédents, des cas dans lesquels des questions concernant les parlementaires ont été définies par voie législative. En même temps, la codification de ce que nous faisons ainsi que les règles précises de chaque Chambre sont établies par voie de résolution. Le cadre se trouve dans le projet de loi, de même que le mécanisme de nomination des deux fonctionnaires et la protection de leurs privilèges. Toutefois, les régimes exacts sont établis par voie de résolution de chacune des Chambres. Je crois que cela correspond à ce que nous avions, tout en allant au-delà, notamment en ce qui concerne le mécanisme de nomination, à cause des modalités adoptées relativement à la nomination d'autres fonctionnaires du Parlement. Par exemple, nous avons changé le mode de nomination de différents fonctionnaires, comme le commissaire à la protection de la vie privée, mais pas dans le cas du directeur général des élections, dont le mode de nomination n'a pas changé depuis des années. Le mécanisme de nomination a changé dans un certain nombre de cas.

Le sénateur Oliver: Qu'y a-t-il de mal à nommer le conseiller en éthique par voie de résolution?

M. Boudria: Honorables sénateurs, permettez-moi de dire, avec le respect que je vous dois, que ce n'est pas une question de bien ou de mal. Nous n'avons pas de règles en ce moment, à part celles qui figurent dans le Code criminel au sujet des conflits d'intérêts, et cetera, dans la Loi sur le Parlement du Canada, comme la définition de «travaux publics» et quelques autres éléments de même nature, ainsi que quelques dispositions du Règlement. Les règles actuelles sont très générales. Je ne pense pas que celles que nous établirons seront mauvaises car elles vaudront toujours mieux que de ne pas en avoir, comme c'est le cas à l'heure actuelle. Il ne s'agit donc pas de bien et de mal. Il s'agit pour nous d'adopter un projet de loi qui reflète les valeurs auxquelles nous croyons tous en 2003-2004, de mettre en place un régime et de nommer les personnes chargées des différentes fonctions. En ce moment, ce serait la façon la plus complète de procéder.

Le sénateur Oliver: Auriez-vous l'obligeance de répondre à ma première question concernant le dépôt des avis juridiques qui vous permettent d'être tellement sûr de la protection du privilège parlementaire?

M. Boudria: Nous nous efforcerons de réunir les documents que nous possédons, de les faire traduire et de les déposer au comité.

Le sénateur Oliver: Cela peut-il être fait aujourd'hui? Vous avez déjà vos rapports. Nous aimerions avoir cela le plus tôt possible car c'est très important.

M. Boudria: Nous ferons de notre mieux pour que les documents soient prêts aujourd'hui. Je suis très confiant. Les responsables du Bureau du Conseil privé me disent que nous ferons traduire les documents dont nous disposons pour les déposer au comité aujourd'hui.

Le sénateur Oliver: Je ne suis pas à la recherche de documents généraux. Je voudrais avoir les avis juridiques sur lesquels vous vous fondez pour affirmer que les activités du conseiller et du commissaire ne seront pas susceptibles de contrôle judiciaire.

M. Boudria: Je déposerai l'information dont je dispose.

La présidente: Je vous remercie de votre offre de déposer ces documents, monsieur le ministre.

[Français]

Le sénateur Lavigne: Vous avez dit tantôt que les deux Chambres étaient distinctes, le Sénat et la Chambre des communes et que les commissaires à l'éthique seraient distincts. Pourquoi les sénateurs ne choisiraient-ils le commissaire en éthique du Sénat, vu que cela nous concerne? Pourquoi cette personne ne serait-elle pas choisie par tous les sénateurs par voie élective? Pourquoi le terme du mandat a-t-il été changé de cinq à sept ans?

M. Boudria: Madame la présidente, c'est à la demande du Sénat que nous avons changé le terme du mandat. Cette demande de changer de cinq à sept ans le terme du mandat et qu'il soit renouvelable a été faite dans le rapport du comité du Sénat. On nous disait qu'il serait important pour la continuité du commissaire de le nommer de cette façon. On a tout simplement adopté la recommandation que le comité nous a faite, donc à la demande du Sénat.

Au sujet de la nomination de l'officier, comme nous sommes dans un système de gouvernement responsable, les officiers du Parlement, que ce soit le greffier, le sergent d'armes, le huissier, et dans le cas du Sénat, le commissaire aux langues officielles, ce sont toutes des nominations gouvernementales, même si dans certain cas, ils se rapportent aux deux Chambres, c'est à dire au Parlement, et dans d'autres cas, ils se rapportent à une seule Chambre. Par exemple, les greffiers sont des officiers nommés par le gouvernement dans l'institution de gouvernement responsable dans lequel nous vivons. Ceci dit, il y a un processus quand même pour nous assurer que la confiance de la Chambre soit exprimée. Cela se fait de deux façons, d'une part, par la consultation avec les dirigeants de chaque formation politique, et d'autre part, par un vote.

Madame la présidente, il n'y a pas de doute dans mon esprit, s'il y avait un vote dans votre vénérable institution et que le résultat pour un conseiller en éthique soit de 51 voix pour et 49 voix contre, que cet officier ne serait pas en position de soutenir qu'il a la confiance de la Chambre pour administrer un dossier aussi sensible que celui de l'éthique. Cela ne veux pas forcément dire que le vote doit être unanime. C'est à votre institution d'en décider. Il n'en demeure pas moins que quelqu'un qui serait « endommagé » par des objections qui se manifestent en très grand nombre dans l'institution, serait en position difficile pour avoir la confiance des parlementaires pour recevoir leurs documents.

Le sénateur Lavigne: Monsieur le ministre, je vous pose une question peut-être un peu plus délicate. Nommer un commissaire aux langues officielles, c'est une chose; nommer un greffier, c'est une chose. Mais nommer quelqu'un qui va gérer nos effets personnels — ce n'est pas une personne qui va administrer des choses générales — il va administrer nos biens personnels. Comment se fait-il que ce n'est pas nous qui nommerons cette personne qui va gérer nos effets personnels?

M. Boudria: Madame la présidente, il ne s'agit pas tout à fait de gérer des biens personnels. Dans le cas où un parlementaire choisit, par exemple, d'avoir un fiduciaire, ce n'est pas le conseiller en éthique qui nomme le fiduciaire. C'est le parlementaire en question. Bien sûr, il doit s'assurer auprès du conseiller en éthique qu'il s'agit d'un fiduciaire indépendant, qu'il n'est pas son beau-frère, par exemple! Il ne s'agit pas du conseiller en éthique, qui agit personnellement comme fiduciaire pour gérer les biens personnels d'un sénateur.

Le sénateur Lavigne: Monsieur le ministre, je ne voulais pas dire gérer.

Le sénateur Joyal: Monsieur le ministre, dans la version anglaise de votre présentation, à la page 2, sous «Key changes», au quatrième paragraphe, vous dites que les deux commissaires et l'officier sont couverts par le privilège parlementaire. Dans la version française correspondante, celle que vous avez lue, le quatrième paragraphe correspondant de la version française, vous avez dit: «qu'ils jouissent tous deux de l'immunité parlementaire». Dans mon esprit, sur le plan constitutionnel et juridique, il y a une différence fondamentale entre le privilège parlementaire et l'immunité parlementaire. L'immunité parlementaire est un des privilèges parlementaires, ce ne sont pas tous les privilèges parlementaires. Ma compréhension de ce que vous voulez dire est que l'immunité est la capacité dont une personne dispose d'éviter d'être poursuivie pour une chose qu'elle dit. Dans le cas du privilège parlementaire, c'est beaucoup plus général, cela englobe non seulement ce qu'il dit, mais ce qu'il fait. Par conséquent, il me semblerait que la bonne logique dont vous faites toujours preuve, mériterait que la version française reflète les deux parce que l'un reflète l'immunité et l'autre le privilège. Comme je le souligne, ce sont deux concepts juridiques très différents.

M. Boudria: Madame la présidente, le sénateur a fort raison. D'ailleurs, si on va au texte de loi, mention est faites des deux. L'article 20.5(2), à la page 3 du texte législatif nous dit:

The duties and functions of the Senate ethics officer are carried out within the institution of the Senate. The Senate Ethics Officer enjoys the privileges and immunities of the Senate and its members in carrying out their duties and functions.

Et, en français:

Lorsqu'il s'acquitte de ces fonctions, il agit dans le cadre de l'institution du Sénat et possède les privilèges et immunités du Sénat et des sénateurs.

Oui, c'est tout a fait vrai. Le discours fait état de l'un dans une langue et de l'autre dans l'autre langue. Je remercie l'honorable sénateur de le porter à mon attention puisque le texte de loi fait référence aux deux concepts dans les deux langues officielles. Bien sûr, l'immunité n'est qu'un de plusieurs privilèges, c'est tout a fait vrai.

Le sénateur Joyal: Ce qui m'amène en fait à attirer votre attention sur le fait que le texte du projet de loi utilise deux concepts très différents à l'alinéa (1), lorsqu'il parle de «officer» en anglais et de «conseiller» en français. Vous et moi comprenons très bien que le terme français «conseiller» réfère simplement à une personne qui donne un avis. Dans le cas d'un officier, on comprend très bien dans le langage courant et dans tous les dictionnaires juridiques que le terme «officier» réfère à quelqu'un qui a une certaine position d'autorité. Vous même vous avez fait référence au poste d'officier du Parlement, ce sont des personnes qui exercent l'autorité du Parlement. Dans le cas présent, ce n'est pas ce dont on parle en français. En français, on parle essentiellement d'une personne qui a la capacité de conseiller, elle n'utilise pas l'autorité du Parlement comme telle. L'autorité du Parlement reste avec le Parlement.

Je me demande si, pour s'assurer de la clarté de ce que l'on veut faire, il n'y aurait pas lieu d'exprimer que la personne dont il s'agit est un «conseiller» et non pas un «officier» dans une langue et un «conseiller» dans une autre. À mon avis, ces deux mots ne peuvent pas être intervertis. Il y a une certaine confusion à utiliser le terme «officier» puisque comme vous le disiez dans votre présentation, vous parliez des autres officiers du Parlement. Or il ne s'agit pas du tout de la même chose dans ce que je comprends du texte de ce projet de loi.

M. Boudria: Madame la présidente, le terme est utilisé parce qu'en fait, il existe déjà dans la Loi sur le Parlement du Canada qui existe depuis bon nombre de décennies. Cette loi a été une consolidation de ce qui s'appelait jadis la Loi sur la Chambre des communes et le Sénat. La disposition existe à l'article 80.3 de la Loi sur le Parlement. La traduction de l'un veut dire l'autre et existe déjà depuis longtemps, non pas dans ce texte de loi mais dans une loi qui nous gouverne tous, la Loi sur le Parlement du Canada. Il ne s'agit que de reprendre un terme qui est déjà accepté, on le dira à tort ou a raison. C'est l'article 80.3 de la Loi sur le Parlement du Canada.

Le sénateur Joyal: Cet article réfère aux officiers de la Chambre des communes reconnus dans la common law comme étant ceux disposant des privilèges parlementaires lorsqu'ils agissent sous la direction du Parlement, à savoir le sergent d'armes, le greffier et les greffiers de la table, mais non pas les officiers du Parlement comme on l'entend couramment, que sont le vérificateur général et les autres que l'on connaît bien dans d'autres lois.

En utilisant ce concept, à mon avis, on exprime la fonction que l'on veut lui voir assumer, qui est celle de conseiller. Je ne pense qu'on ne se dispute pas sur ce point, nous sommes d'accord. Mais dans le texte anglais, le terme «officer», à mon avis, réfère à une autre réalité constitutionnelle, qui est celle de l'article 81, qui sont des personnages très bien reconnus en common law. Ceux-ci disposent du privilège parlementaire lorsqu'ils agissent sous la direction immédiate de l'assemblée législative qui les a nommés.

M. Boudria: Madame la présidente, je ne sais pas si l'honorable sénateur soutient que cela confère une sorte de pouvoir exécutoire parce qu'on l'appelle «officer». Toutefois, ce n'est pas le cas lorsqu'il est utilisé dans la Loi sur le Parlement du Canada à l'heure actuelle.

Il est vrai que l'on nomme le commissaire aux langues officielles. Il a d'ailleurs très peu de pouvoir exécutoire, seulement celui de faire un rapport au Parlement.

Le sénateur Joyal: Il peut aller devant les tribunaux, monsieur le ministre.

M. Boudria: Dans ce cas, oui, mais dans le cas de cette loi, c'est très clair, la relation avec le Parlement nous est donnée dans les définitions du projet de loi. Lorsqu'on parle d'aller devant les tribunaux, ce n'est certainement pas le cas, par exemple, du greffier de la Chambre ou d'autres positions semblables. Pourtant la même traduction est employée.

[Traduction]

La présidente: Sénateurs, je crois savoir que M. Boudria doit assister à une séance du Cabinet et que nous ne pouvons pas le retarder. Sénateur Kinsella, vous voudrez peut-être poser votre question, quitte à ce qu'il vous réponde par écrit.

M. Boudria: Je vais essayer de répondre rapidement.

Le sénateur Kinsella: J'ai deux petites questions. Le ministre se souvient-il de la période pendant laquelle le comité des Communes a étudié ce projet de loi? Y a-t-il dans le projet de loi des dispositions d'une très grande urgence? Il nous serait très difficile de faire le travail nécessaire en moins de deux ou trois semaines. Est-ce que le 7 novembre est une date limite?

M. Boudria: Honorables sénateurs, l'avant-projet de loi a été déposé au Sénat et à la Chambre simultanément. Par la suite, le projet de loi lui-même a été déposé à la Chambre avant d'être déposé au Sénat. C'est un fait. Je ne connais pas le nombre total de jours que le projet de loi a passés au comité et à la Chambre, mais je peux obtenir ce renseignement. Je pense que l'étude a été raisonnablement rapide, parce que la Chambre, de même que le Sénat, avait déjà reçu l'avant- projet de loi beaucoup plus tôt. Le comité de la Chambre n'a pas consacré beaucoup de séances au projet de loi, mais je ne peux pas vous en donner le nombre.

Le sénateur Kinsella: Pouvez-vous nous dire si le 7 novembre est une date limite?

M. Boudria: Honorables sénateurs, si vous voulez savoir si le Parlement siégera après l'interruption, je ne suis pas en mesure de vous répondre. Toutefois, si j'avais à parier, je dirais que nous continuerons à siéger. Comme je l'ai dit, la décision ne m'appartient pas. Comme nous avons du travail à faire, je dois supposer que nous continuerons à siéger. Je ne peux rien vous dire d'autre. Toute décision contraire serait prise sans égard à ce que je pourrais avoir à en dire.

Le sénateur Kinsella: Quelle brèche le projet de loi C-34 doit-il servir à colmater? Le gouvernement a-t-il connaissance d'abus ou de conflits d'intérêts mettant en cause des sénateurs? Pourquoi avons-nous besoin de ce projet de loi? Quelles preuves avez-vous de l'existence d'abus?

M. Boudria: Des questions du même ordre étaient posées au milieu des années 80 ou peu après, lorsque le sénateur Oliver et moi-même siégions ensemble au comité parlementaire chargé de ce sujet. La question n'est pas de savoir s'il y a une brèche à colmater au Parlement. Nous modifions notre Règlement. À la Chambre des communes, nous en sommes actuellement à notre quatrième comité de modernisation depuis 1997. Cela ne signifie pas du tout qu'il y avait des brèches à colmater lorsque nous avons commencé. Nous nous efforçons constamment d'améliorer l'institution dont nous faisons partie et que nous avons tous en très haute estime.

C'est dans cet esprit que nous travaillons. Le rôle de l'actuel conseiller en éthique de la Chambre des communes a été amélioré à deux reprises, si je m'en souviens. Il s'agissait dans le premier cas de rendre publiques ses directives et, dans le second, du dépôt de ses rapports à la Chambre des communes. Au départ, le poste a été créé en 1993. Il n'existait pas auparavant au même niveau. On pourrait même dire qu'il y a eu trois améliorations depuis 1993.

Nous nous efforçons d'apporter d'autres améliorations en proposant un mécanisme de nomination soumis au vote de chacune des deux Chambres et un code que chacune définirait pour ses membres, et en nous engageant tous à respecter les nouvelles règles que nous aurions alors.

Vers 1980, le concept était assez nouveau. En 2003, la plupart des assemblées législatives provinciales en ont fait plus à cet égard que le Parlement du Canada grâce à un instrument semblable au projet de loi C-34, quoique un peu différent dans chaque cas. Je ne crois pas que le Parlement veuille se trouver dans une situation où la plupart des provinces se sont dotées de règles plus modernes que les siennes à cet égard.

La présidente: Sénateur Kinsella, nous avons deux délais à respecter: la participation du ministre Boudria à la séance du Cabinet et le fait que le greffier du Sénat est en train d'établir le budget de l'année prochaine et veut savoir qui paiera le conseiller en éthique, son personnel et ses locaux. Le Sénat ou le Parlement du Canada?

Je vous remercie, monsieur Boudria, d'être venu au comité aujourd'hui.

Le sénateur Carstairs: Honorables sénateurs, comme je l'ai dit il y a quelques minutes, c'est avec plaisir que j'ai laissé mes collègues témoigner avant moi. Je suis heureuse de comparaître pour discuter avec vous du projet de loi C-34 visant à créer un poste de conseiller sénatorial en éthique. La question a suscité un intérêt très vif chez les sénateurs.

Je vous remercie de l'étude attentive que vous avez faite de l'avant-projet de loi visant à créer le poste de conseiller sénatorial en éthique. Je me réjouis que le projet de loi C-34 ait repris des recommandations que le comité a formulées. Par exemple, le comité a recommandé que chacune des deux Chambres ait son propre conseiller en éthique. Le projet de loi prévoit donc la création d'un poste distinct de conseiller sénatorial en éthique, ce qui tient compte des traditions particulières du Sénat.

Le comité a aussi recommandé que le conseiller sénatorial en éthique soit nommé avec l'accord des leaders des partis reconnus au Sénat et après un vote de confirmation au Sénat. Le projet de loi C-34 prévoit la nomination du conseiller en éthique après consultation des leaders des partis reconnus au Sénat et après adoption d'une résolution par le Sénat. À mon avis, l'adoption de cette résolution devient critique.

Dans son rapport, le comité a recommandé un mandat de sept ans plutôt que de cinq ans, comme il était proposé au départ. Il y a quelques minutes, le sénateur Lavigne a demandé la raison d'être de ce changement. Nous savons que la durée du mandat a été modifiée parce que le comité l'a recommandé. Il a également recommandé que le mandat soit renouvelable.

Le comité a consacré beaucoup de temps à examiner la question de savoir si le conseiller en éthique devrait être nommé en vertu de dispositions législatives ou si on devrait recourir à une autre méthode. Les points de vue sur cette question ont évolué au Sénat. Selon moi, on a opté dans le projet de loi C-34 pour une démarche prudente: les exigences en matière d'éthique ne seront pas établies par la loi, comme le proposait le rapport Milliken-Oliver. La nomination du conseiller sénatorial en éthique sera régie par la loi, ce que le rapport Blenkarn-Stanbury a proposé en 1991-1993. Comme les honorables sénateurs le savent, le greffier du Sénat est nommé en vertu d'une loi et les agents du Sénat, y compris les présidents des comités sont rémunérés conformément à des dispositions législatives. Cette façon de faire n'a jamais provoqué d'intervention dans nos affaires, et elle n'a pas nui aux privilèges du Sénat. Je crois que le fait de nommer le conseiller sénatorial en éthique en vertu d'une loi ne fera pas augmenter ce risque.

Je signale également que l'autre Chambre a décidé d'inscrire dans la loi la nomination de son commissaire à l'éthique, car ses membres croient que c'est ce qu'il convient de faire et que cela ne nuira pas à ses privilèges. En fait, je crois même que le fait d'inscrire la nomination dans une loi contribuera à accroître le prestige du poste, de même que son indépendance, ce qui n'aurait pas été le cas d'un processus non régi par la loi.

Dans son rapport, le comité a recommandé qu'il soit clairement énoncé dans la loi que le conseiller sénatorial en éthique reste soumis aux directives et au contrôle du Sénat uniquement. Le projet de loi C-34 comprend des dispositions qui répondent à cette recommandation.

Plusieurs dispositions établissent très clairement que les privilèges du Parlement s'appliquent également aux activités du conseiller sénatorial en éthique. Il s'agit notamment du paragraphe 20.5(2), qui prévoit que le conseiller s'acquitte de ses tâches dans le cadre de l'institution du Sénat et lui confère les privilèges du Sénat, du paragraphe 20.5(5), qui prévoit que ces dispositions n'ont pas pour effet de restreindre de quelque façon que ce soit les privilèges du Sénat, et de l'article 20.6, selon lequel le conseiller sénatorial en éthique ne peut être contraint de témoigner et de divulguer de l'information qui lui a été transmise de façon confidentielle par un sénateur. L'article 7 modifie la Loi sur la Cour fédérale afin de mieux protéger le conseiller en éthique du risque que ses actions ne soient soumises à un examen judiciaire.

Par conséquent, je crois que le projet de loi C-34 est équilibré, car il prévoit la nomination d'un surveillant, comme dans le cas des autres agents du Parlement sans toutefois régir les exigences particulières d'ordre éthique. De plus, il offre davantage de clarté au sujet des privilèges du Sénat.

Pour conclure, je félicite encore une fois le comité du travail qu'il a accompli jusqu'à maintenant et dont on peut voir les résultats dans les changements dont je viens de vous parler. Je me ferai maintenant un plaisir de répondre de mon mieux aux questions des membres du comité.

Le sénateur Andreychuk: Merci, sénateur Carstairs, d'avoir patienté pendant que nous posions des questions à M. Boudria.

L'une de mes questions porte sur un passage de votre mémoire. Vous dites que l'article 7 modifie la Loi sur la Cour fédérale afin de mieux protéger le conseiller en éthique du risque que ses actions ne soient soumises à un examen judiciaire.

Je voudrais savoir quelles opinions juridiques vous avez demandées pour avoir l'assurance que l'article 7 a bien l'effet que vous décrivez. Nous avons étudié cette question au Comité du Règlement dans le contexte d'autres privilèges parlementaires. Il y a des causes où on dit que le privilège parlementaire et son exercice peuvent faire l'objet d'un contrôle judiciaire. Quelles autres assurances pouvez-vous donner comme quoi votre affirmation est juste?

Le sénateur Carstairs: J'ai lu le rapport sénatorial très attentivement. Les sénateurs ont constamment recommandé de prendre tous les moyens possibles pour préciser que les privilèges parlementaires devaient être protégés. Il s'agit ici d'un autre cas où nous pouvions apporter plus de précisions dans la loi pour que les tribunaux en prennent bonne note.

Le sénateur Andreychuk: Pourquoi le gouvernement estime-t-il qu'il est dans l'intérêt public ou national de présenter le projet de loi C-34? Chose certaine, je suis d'accord sur ce que vous avez dit dans vos premières interventions, soit que le Parlement n'est pas tenu en très grande estime, surtout si on tient compte des sondages d'opinion, qu'il y a eu de temps à autre, dans certains milieux, des questions sur l'activité d'un parlementaire en particulier et qu'il est temps d'adopter un code d'éthique.

C'est là une école de pensée. À l'inverse, d'autres pensent qu'une grande partie de l'attention qui a été braquée sur le Parlement visait en fait davantage les ministres que les parlementaires, et qu'un code d'éthique complet et un agent impartial pour en surveiller l'application sont ce que le public souhaite.

Ce qui me dérange, c'est le côté factice de la loi proposée. Nous disons au public que le projet de loi C-34 prévoira un examen indépendant du Sénat, qu'il y aura un responsable indépendant de l'éthique et un code d'éthique. Lorsque je dis aux gens qu'il n'y a pas de code dans le projet de loi, que nous, sénateurs, allons élaborer notre propre code et que le gouvernement nommera le conseiller en éthique après consultation, ils me répondent: «Vous ne nous donnez rien qui vaille. C'est une formule à la Howard Wilson.» Et ils ne sont pas très satisfaits.

Je ne perçois pas clairement quelle politique d'intérêt public est visée par le projet de loi C-34, car il ne me semble pas découler de la logique que vous avez exposée. Si nous avions un conseiller indépendant et un code d'éthique prévus par le projet de loi, je pourrais comprendre l'avantage sur le plan de la politique, qu'on soit d'accord ou non, mais le projet de loi ne donne suite à aucune mesure de politique d'intérêt public que je puisse comprendre.

Le sénateur Carstairs: J'ai le plus grand respect pour le Parlement, et quiconque a travaillé en étroite collaboration avec le Parlement éprouve ce même grand respect. Malheureusement, la vaste majorité des Canadiens n'ont pas l'occasion d'avoir ce genre de relation profonde avec les institutions parlementaires — j'ai également fait allusion aux assemblées législatives des provinces.

À propos de l'intérêt public, le sénateur Andreychuk a dit que, d'après les sondages, le Parlement n'est pas tenu en haute estime. Or, je crois que nous avons ici l'occasion de nous expliquer de notre mieux aux Canadiens. L'une des façons d'y arriver est de faire en sorte que, grâce à ce projet de loi, un conseiller indépendant en éthique reçoive de la chambre, dans ce cas-ci le Sénat, les pouvoirs voulus pour travailler avec les sénateurs et puisse leur dispenser ses conseils sur le code d'éthique qu'ils élaboreront.

D'une certaine façon, c'est l'histoire de la poule et de l'œuf. Qu'est-ce qui vient en premier, le conseiller en éthique ou le code? Je suis d'avis que le conseiller aura une rôle de premier plan à jouer dans l'élaboration du code.

Les sénateurs ont exprimé clairement leur conviction que ce code d'éthique doit être le leur, qu'il leur revient de l'élaborer et que, une fois établi, le code doit être du domaine public. Autrement dit, les citoyens pourront examiner le code d'éthique et dire à leurs sénateurs et à leurs députés si, à leur avis, il répond à toutes leurs attentes pour ce qui est de la conduite exemplaire que doivent avoir les parlementaires, y compris les sénateurs.

Le sénateur Andreychuk: Le projet de loi C-34 n'oblige pas le Sénat à établir un code d'éthique qui soit différent des règles d'éthique que nous avons déjà. Ou bien avouons-nous que nous sommes incapables d'établir dès maintenant un code complet et que, jusqu'ici, nous n'avons pas régi notre conduite comme il convient?

Le sénateur Carstairs: À ma connaissance, nous n'avons pas de code d'éthique. Il existe un certain nombre de règles à divers endroits, notamment dans la Loi sur le Parlement, à l'article 14. Mais elles n'ont jamais été codifiées, si on peut dire. Il n'existe pas à proprement parler de document que le Canadien moyen puisse considérer comme un code d'éthique où nous expliquerions ce que nous attendons les uns des autres, dans notre institution.

Il me semble opportun d'élaborer ce code de conduite. Comme votre comité a consacré un certain nombre de séances à l'étude de ce code, je présume que son élaboration suivra de très près l'adoption du projet de loi et que vous reprendrez le travail d'élaboration et d'amélioration du code d'éthique.

Le sénateur Andreychuk: Encore une fois, vous parlez de l'impression que le public aura, et cela me dérange, car il n'y aura pas de changement de fond par rapport à la situation actuelle. Nous avons la possibilité d'intégrer au projet de loi un code d'éthique, une codification, comme vous dites, qui contiendra tout ce que nous voulons, et le projet de loi C-34 ne changera rien, sinon que nous établirons un cadre judiciaire pour un conseiller en éthique nommé par le premier ministre, sans aucun pouvoir sinon celui que nous lui accorderons. S'il y avait un besoin, un problème contraignant, nous aurions dû nous en occuper, car nous avons déjà tous les pouvoirs que nous aurons après l'adoption du projet de loi C-34.

Le sénateur Carstairs: En réalité, nous n'avons pas de code, ou en avons-nous un? Jusqu'ici, nous n'avons rien fait pour nous doter d'un code. Il fallait commencer quelque part, et il me semble que la création d'un poste de conseiller en éthique est un bon point de départ. Je tiens à réfuter de façon absolue l'affirmation du sénateur, selon qui le conseiller sera nommé par le seul premier ministre.

La nomination ne pourra se faire avant la consultation des leaders au Sénat et un vote au Sénat. Je renvoie les honorables sénateurs aux modalités de nomination des ombudsmans dans les diverses provinces. D'après mon expérience au Manitoba, il était impossible d'avoir un ombudsman doté d'une autorité légitime si le vote n'avait pas été unanime ou presque. Je suis leader du gouvernement depuis près de trois ans, et je ne peux envisager la possibilité de proposer au Sénat du Canada une motion portant nomination d'un conseiller en éthique auquel les dirigeants de l'autre parti — car il n'y a pour l'instant qu'un seul autre parti officiel au Sénat — seraient totalement opposés.

J'estime que cela ne serait pas réaliste, dans le fonctionnement d'une assemblée législative. Ce n'est certainement pas de cette façon que procèdent les provinces qui ont des conseillers en éthique, d'après mon expérience. Il faut qu'il y ait un accord quasi unanime.

Le sénateur Andreychuk: Je ne veux pas insister outre mesure. Si nous respections vraiment ce raisonnement, nous aurions accepté la recommandation formulée dans le rapport intérimaire, au lieu de nous contenter de consultations et de laisser la majorité imposer sa volonté. Nous savons qui détient la majorité. Cela ne m'inspire pas beaucoup de confiance, après l'affaire Radwanski.

Le sénateur Ringuette: J'ai une question complémentaire à poser. Je suis relativement nouvelle au Sénat, mais j'ai siégé à l'Assemblée législative du Nouveau-Brunswick et aux Communes, et je ne peux me souvenir d'aucun projet de loi qui aurait été présenté avec son règlement d'application.

Pourquoi proposer que le règlement fasse partie de ce projet de loi-ci? Ce serait totalement différent de tout ce que j'ai vu jusqu'ici. Au cours de vos années en politique, avez-vous vu des cas de projets de loi à l'étude dans une assemblée législative, à la Chambre ou au Sénat qui étaient accompagnés de leur règlement d'application? Je n'ai jamais vu cela.

Le sénateur Carstairs: Il est rare que le règlement d'application d'un projet de loi lui soit joint. Je dois dire que certains veulent que cela se fasse plus fréquemment. Toutefois, certaines provinces ont prévu des dispositions sur la divulgation dans une loi distincte. Elles ne se sont pas fiées au seul règlement de leur assemblée. Elles se sont donné une loi. Il me semble inutile de consacrer ces règles par une loi. Elles devraient figurer dans le Règlement du Sénat du Canada. Le conseiller en éthique, dont le poste serait créé par voie législative, serait appelé à donner son avis sur ces règles.

Le sénateur Grafstein: Le ministre Boudria a parlé de nous comme de titulaires de charge publique. Dans le projet de loi, les sénateurs sont-ils considérés comme des titulaires de charge publique?

Le sénateur Carstairs: Non, pas au sens strict. Lorsqu'il est question de titulaires de charge publique dans le projet de loi, il s'agit d'après moi de gens comme les ministres.

Le sénateur Grafstein: C'est donc clair. Le ministre Boudria aurait donc commis une simple erreur en disant que les sénateurs sont des titulaires de charge publique, et, aux termes de l'article 72.06, les sénateurs et les députés, exception faite des ministres, des secrétaires parlementaires et des secrétaires d'État, ne sont pas des titulaires de charge publique. Est-ce bien cela?

Le sénateur Carstairs: Les ministres sont des titulaires de charge publique, et je crois que M. Boudria faisait allusion à mon propre cas, car le projet de loi s'applique à moi à deux titres, d'abord comme titulaire de charge publique, puisque je siège au Cabinet, et aussi comme sénateur assujetti aux règles que le Sénat élaborera. Les secrétaires parlementaires sont visés par la même interprétation, mais, comme vous le savez, il n'y en a pas au Sénat.

Le sénateur Grafstein: Il est cependant clair — que le ministre se soit mal exprimé ou que je l'aie mal interprété —, que les sénateurs ne sont pas considérés comme des titulaires de charge publique aux termes du projet de loi.

Le sénateur Carstairs: C'est exact.

Le sénateur Grafstein: J'ai deux questions à poser au sujet du terme «commissaire» par opposition à «conseiller». Y a-t-il une raison pour laquelle on a choisi le deuxième terme pour le Sénat et le premier pour les Communes, outre le fait qu'ils auront des fonctions différentes à cause de la façon dont nous travaillons? Pourquoi avoir choisi des termes différents pour la Chambre et le Sénat?

Le sénateur Carstairs: Je crois comprendre que c'était la volonté de votre comité. Il a dit qu'il préférait utiliser le terme «conseiller» pour le Sénat. Par contre, la Chambre a préféré le terme «commissaire». Dans la rédaction du projet de loi, le gouvernement a voulu être le plus fidèle possible aux vœux du Comité.

Le sénateur Grafstein: Il est clair que vous avez étudié le rapport intérimaire. Nous sommes tous convenus qu'il s'agissait en quelque sorte d'un objectif mobile, car il y avait beaucoup de travail à accomplir. Si le Sénat décidait de changer d'avis au sujet du titre de celui qui exerce cette responsabilité, le gouvernement serait-il disposé à accepter cette possibilité?

Le sénateur Carstairs: Je ne vois pas pourquoi le comité changerait maintenant d'avis. Il a formulé cette requête, et c'est pourquoi le projet de loi a été conçu de cette manière. Vous avez dit, il est vrai que certaines questions restaient en suspens, mais un certain nombre d'autres étaient réglées, et l'une d'elles était celle de l'emploi du terme «conseiller».

Le sénateur Grafstein: Nous reviendrons sur cette question. Vous avez entendu les préoccupations de notre collègue, le sénateur Joyal, au sujet de la terminologie français et anglaise à ce sujet. Nous y reviendrons. Je vais terminer cette série de questions.

Il semble que les titulaires de charge publique bénéficient d'une exemption pour ce qui est du respect du caractère confidentiel, à l'article 72.07, mais non les sénateurs et les députés. Pourquoi?

Le sénateur Carstairs: Sénateur, pour avoir votre réponse, vous devez consulter les articles 20.5 et 20.6. Ils portent expressément sur les attributions du conseiller en éthique du Sénat.

Le sénateur Grafstein: Ce que je veux dire, c'est que les ministres ont des privilèges propres à l'exécutif qui sont parallèles, à bien des égards. Pourtant, une disposition expresse du projet de loi permet de donner des avis confidentiels non seulement aux titulaires de charge publique, mais aussi au premier ministre au sujet de ces titulaires. Je n'ai d'objection à aucune de ces dispositions.

Par contre, je signale que, alors que le gouvernement a décidé de reconnaître expressément dans une loi aux ministres et titulaires de charge publique ce droit à des conseils confidentiel, il n'a pas fait de même pour les députés et les sénateurs.

Le sénateur Carstairs: Je ne suis pas d'accord là-dessus, sénateur. Le paragraphe 20.6(2) dispose que le conseiller en éthique du Sénat ne peut faire figurer dans son rapport annuel aucune information qu'il est tenu de garder confidentielle. Il y a donc une disposition sur le respect du caractère confidentiel.

Le sénateur Grafstein: Il me semble, à lire le texte assez objectivement, qu'il existe une disposition expresse pour une catégorie, et une application générale pour l'autre. Il n'y a pas de parallélisme entre les deux.

Je m'en tiendrai là. Les députés ont entendu la réponse.

Le sénateur Joyal: Le sénateur Ringuette signalé un point que je voudrais commenter rapidement: on n'a pas l'habitude de rendre le règlement d'application public avec le projet de loi.

Je signale à mes collègues que le projet de loi C-17, actuellement à l'étude, est accompagné d'un projet de règlement. Ce n'est peut-être pas courant, mais cela existe. La preuve en est que nous sommes saisis d'un projet de loi dont le règlement d'application est publié.

Cela dit, madame le leader, je voudrais revenir à la question des privilèges. Il ne fait aucun doute pour moi que le gouvernement entend protéger le travail du commissaire en vertu du privilège parlementaire. Comme vous l'avez fait observer, il y a dans le projet de loi des dispositions à ce sujet.

Sur quels fondements constitutionnels le gouvernement et ses conseillers s'appuient-ils pour conclure qu'on peut définir par une loi le statut du commissaire comme ayant des privilèges?

Le sénateur Carstairs: D'abord, la Loi constitutionnelle de 1867 dit que le privilège doit être défini par une loi fédérale. Il s'agit de la Loi sur le Parlement. Les privilèges du Parlement sont définis à l'article 4. Au Canada, les privilèges du Parlement étaient prévus dans cette loi constitutionnelle.

Le sénateur Joyal: Pourriez-vous nous parler de la limite prévue à l'article 18 de la Loi constitutionnelle et à l'article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada? Je peux formuler ma question différemment: selon vous, y a-t-il une limite à la capacité du Parlement, aux termes des articles 18 et 4, de définir ses privilèges?

Le sénateur Carstairs: Je n'ai pas la Loi constitutionnelle sous les yeux.

Le sénateur Joyal: Excusez-moi.

Le sénateur Carstairs: Il est important de préciser aux honorables sénateurs de quel article il s'agit. Je suis sûre de ne pas être la seule à être incapable de citer l'article 18 de la Loi constitutionnelle. Il dit ceci:

Les privilèges, immunités et pouvoirs que posséderont et exerceront le Sénat et la Chambre des Communes et les membres de ces corps respectifs, seront ceux prescrits de temps à autre par loi du Parlement du Canada; mais de manière à ce qu'aucune loi du Parlement du Canada définissant tels privilèges, immunités et pouvoirs ne donnera aucuns privilèges, immunités ou pouvoirs excédant ceux qui, lors de la passation de la présente loi, sont possédés et exercés par la Chambre des Communes du Parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande et par les membres de cette Chambre.

En 1867, nous avons dit en somme que nous reconnaissions le privilège parlementaire tel qu'il existait alors au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande et que nous l'adoptions tel quel dans ce nouveau pays.

Le sénateur Joyal: Cet article dispose-t-il expressément que les limites de notre capacité de légiférer sont fonction de ce qui existait aux Communes britanniques à l'époque? Aujourd'hui, nous légiférons sur le statut du commissaire. Ce privilège existe-t-il en ce moment aux Communes britanniques?

Le sénateur Carstairs: Honorables sénateurs, aujourd'hui, je ne crois pas que nous ayons à nous inspirer de ce qui se passe au Royaume-Uni. Nous avons des dispositions constitutionnelles, mais, comme le sénateur le sait pertinemment, les constitutions sont des documents qui se transforment, qui évoluent. Cette évolution se poursuit au Royaume-Uni où, comme les honorables sénateurs le savent, la constitution n'est pas écrite, et elle se poursuit chez nous, au Canada.

Le sénateur Joyal: N'est-ce pas une disposition impérieuse de la Constitution que l'article 18 fixe des limites claires aux pouvoirs du Parlement? Cela ne nous plaît pas forcément et nous pouvons avoir une opinion différente, mais c'est la loi. Si cela ne nous plaît pas, nous pouvons apporter des modifications.

Le droit constitutionnel canadien est passablement clair. Nous ne pouvons nous accorder plus de privilèges que n'en prévoit la loi et que ce qui existe aux Communes britanniques. C'est la loi au Canada. C'est la Constitution.

Le sénateur Carstairs: En 1867, la notion de privilège n'était pas clairement définie au Royaume-Uni. Les privilèges y ont évolué, tout comme ici.

Le sénateur Joyal: Cela ne fait aucun doute, mais il existe des précédents. En 1868, plus particulièrement, nous nous sommes accordé des privilèges par voie législative, au moyen du projet de loi sur l'assermentation des témoins qui comparaissent devant les comités. En 1871, le Reine en conseil a déclaré ce projet de loi inconstitutionnel parce que les Communes britanniques n'avaient pas le privilège d'assermentation.

Il a fallu légiférer expressément en 1871, après quoi nous avons pu définir pour nous-mêmes le privilège. En d'autres termes, il existe une limite, et elle est reconnue dans le texte constitutionnel.

Je n'ai absolument aucune objection à ce que, en soi, le travail du commissaire à l'éthique soit visé par le privilège, mais je me demande si nous ne nous exposons pas à des ennuis en affirmant que nous avons le droit d'adopter ce type de protection, alors que, d'après le critère de l'usage britannique actuel, ce genre de privilège n'existe pas.

Le sénateur Andreychuk: Aucune modification n'est proposée.

Le sénateur Carstairs: L'honorable sénateur n'est peut-être pas en train de parler de l'affaire Rost c. Edwards aujourd'hui, mais il me semble que c'est ce qu'il indique clairement. À dire vrai, cette décision est d'une valeur discutable, dans le contexte canadien.

Le sénateur Joyal: Je le répète, la décision peut ne pas nous plaire, mais le comité mixte des Communes et de la Chambre des lords a recommandé en 1999 à la Chambre des communes britannique de légiférer après cette cause, mais elle ne l'a pas fait. Il y a donc une contrainte qui nous est imposée. Voilà l'obstacle qui nous empêche de protéger au moyen du privilège parlementaire le statut de notre commissaire.

Si, au Royaume-Uni, les Communes avaient légiféré après l'affaire Rost c. Edwards, comme l'a recommandé le comité mixte en 1999, je crois que nous pourrions parfaitement légiférer sur les privilèges de notre commissaire. Toutefois, il existe maintenant une limite, que cela nous plaise ou non, et nous avons l'article 18, que cela nous plaise ou non. Nous sommes donc liés par ces deux éléments qui, selon moi, sont incontournables dans la définition de la protection que nous souhaitons accorder à notre commissaire.

Le sénateur Carstairs: Sénateur, il est très clair que la Chambre des lords a recommandé de préciser la question du privilège. Ce n'est pas du tout comme dire qu'elle a recommandé l'établissement d'un nouveau privilège. Elle a dit très nettement que le privilège existait, mais qu'il fallait le préciser. Elle a dit qu'il existe un privilège et que, si les tribunaux en doutent, nous devrions légiférer pour dissiper ce doute.

Le sénateur Joyal: En toute déférence pour le leader, je devrais peut-être faire circuler le passage du rapport du comité mixte où il est dit clairement que le privilège n'existe pas et qu'il faut le créer par voie législative. S'il existait, nous n'aurions pas besoin de légiférer. Il existerait en common law. La loi ne contiendrait rien de plus que ce qui existe en common law. Or, le privilège n'existe pas en common law. Si tel était le cas, les tribunaux auraient été liés par ce fait, en 1990.

Voilà pourquoi il s'agit d'une question fort importante pour le travail à venir du commissaire, non seulement au Sénat mais aussi aux Communes. Il est très important pour la suprématie de notre Parlement de légiférer sur nos propres privilèges. Cela concerne une disposition constitutionnelle qui ne nous plaît pas forcément, mais qui existe, non seulement à l'article 18, mais aussi à l'article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada. Cette disposition est reprise dans l'article 4 de ce texte.

Nous modifions la Loi sur le Parlement du Canada pour établir un poste de commissaire. Il s'agit essentiellement de ceci: dans la Loi sur le Parlement du Canada, nous reconnaissons que nous n'avons pas un certain pouvoir, parce qu'une limite est imposée à ce que nous pouvons faire. Si opposé que je sois à l'idée d'être ainsi limité, la loi est ainsi faite. Il existe déjà un précédent. Ce n'est pas moi qui le crée. Il existe, comme l'honorable sénateur le sait.

Peut-être les conseillers du Conseil privé devraient-ils revoir la question et nous présenter une analyse claire du précédent de 1871 et expliquer comment nous pouvons interpréter ce fait à la lumière de ce que nous nous proposons de faire aujourd'hui.

Le sénateur Carstairs: Si nous évoquons le libellé de la Constitution, il importe tout autant de citer un passage du premier rapport du comité mixte sur le privilège parlementaire au Royaume-Uni. Au chapitre 2, consacré à la liberté d'expression et à la partie 9 de la déclaration des droits, article 123, le comité écrit:

Il ne conviendrait pas que nous osions proposer une opinion sur le bien-fondé de cette décision en droit.

Il s'agit de l'affaire Rost c. Edwards.

Toutefois, il ne fait aucun doute que, si cette décision est juste, il faudrait modifier la loi. En effet, avec la loi telle qu'elle est, un tribunal peut fort bien se saisir d'une allégation de refus répréhensible de s'inscrire et rendre une décision. Or, cela devrait relever du seul Parlement, comme toute autre allégation de manquement aux règles parlementaires relève du Parlement seulement. Nous recommandons que la loi dispose clairement que la tenue de registres (et donc les registres eux-mêmes) est du ressort du Parlement.

Il n'y a donc rien dans les travaux de ce comité, sénateur, qui m'incite à croire qu'il ne pensait pas que le privilège demeurait intact.

Le sénateur Joyal: Toutefois, nous devons tenir compte de la décision qui a été rendue. Si opposé que je sois à la décision, à cause de son interprétation de la procédure, telle est la loi. Il a été recommandé de bien préciser la question pour qu'une décision finale soit possible, de façon que nous ayons des privilèges clairs définis par voie législative au Royaume-Uni et que nous puissions nous protéger de la même manière.

Il s'agit d'un élément très important pour nous assurer que le travail de notre commissaire se fasse dans un climat de confiance absolue et que ses mesures et activités soient considérées comme celles du Parlement. Cette question importante n'a absolument pas été abordée à l'autre endroit. J'ai lu les débats des Communes. Il y a eu, pour dire le moins, un oubli de leur part. C'est une question qu'il faut tirer au clair avant de nous prononcer. L'autre possibilité est d'adopter un amendement disant que la question n'est pas claire.

Je propose de modifier l'article 20.5 pour ajouter «pour autant qu'ils s'appliquent», de façon à signifier qu'il y a quelque chose à préciser. C'est le moins qu'on puisse dire de la situation qui existe actuellement en Grande-Bretagne. Si nous ajoutons ces mots, nous maintiendrons la capacité du commissaire d'agir dans le cadre des privilèges du Parlement.

Le sénateur Carstairs: Avec le plus grand respect, je vous dirai, sénateur, que ce n'est pas la loi au Canada. Vous ne cessez de répéter que c'est la loi. Ce n'est pas la loi au Canada. Nous avons l'affaire Tafler et bien d'autres causes que nous pourrions citer et qui expliqueraient mieux l'état du droit chez nous. Quant à l'application des règles d'éthique par les sénateurs, j'estime qu'il existe une abondante jurisprudence pour étayer notre opinion, soit que les activités du conseiller sont visées par le privilège.

Le sénateur Beaudoin: La question du sénateur Joyal m'intéresse, mais je ne vais pas en discuter aujourd'hui. Il y a une autre solution.

Nous ne pensons pas pouvoir interdire le recours aux tribunaux. Que nous préférions la voie législative dans le cas d'un commissaire ou que nous options pour un système fondé sur le règlement, nous ne pouvons jamais dire qu'une affaire ne peut être portée devant les tribunaux, car nous vivons dans une société qui respecte la primauté du droit, et le Parlement n'est plus la plus haute cour de justice au Canada. C'est la Constitution qui l'est.

Selon moi, ce serait une erreur de dire qu'il y a possibilité de faire ceci ou cela. Il y a deux possibilités. La première est de recourir à un texte législatif, et, en temps et lieu, les tribunaux traceront la ligne de partage entre le judiciaire et le parlementaire. Deuxièmement, nous pouvons opter pour un système fondé le règlement, mais même cette façon de faire n'écarte pas le recours aux tribunaux. Il est toujours possible de s'adresser aux tribunaux. Ce n'est pas moi qui le dis; c'est notre système qui est ainsi fait.

Nous ne pouvons pas avoir un système «intra muros». Je ne vois pas comment la population pourrait accepter quelque chose qui relève entièrement du régime du privilège. Il est fort possible que notre système repose sur le règlement. Les deux possibilités existent, mais c'est une erreur de penser que le système reposant sur le règlement veut dire qu'il ne sera jamais possible de faire intervenir les tribunaux. Cela ne fait pour moi aucun doute. La primauté du droit est prévue dans notre Constitution.

Quant à la question de privilège, il ne fait aucun doute que nous en avons besoin. Il est certain que, peu importe le système que nous choisirons, les tribunaux devront tracer une ligne de démarcation entre ce qui relève du privilège et le judiciaire. Ils l'ont fait dans d'autres domaines, et ils le feront pour le pouvoir législatif de l'État.

Il est vrai que nous devons faire un choix entre la voie législative et le système fondé sur le règlement.

Néanmoins, la population préférerait selon moi un système prévu dans une loi à un système intra muros.

Quant à l'autre question, je suis d'accord avec le sénateur Joyal pour dire que l'article 18 est fort clair. Il y a cependant une possibilité qui ne s'offre pas à nous. Depuis 1982, nous n'avons rien pu modifier dans la Constitution. C'est une toute autre question. Qu'en pensez-vous?

Le sénateur Carstairs: Je siégeais au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles lorsque vous en étiez le président. Quand j'en ai assumé la présidence, vous étiez vice-président. Je ne suis donc pas très sûre de vouloir remettre en question quoi que ce soit que vous ayez dit, car vous êtes le constitutionnaliste. Cela ne fait aucun doute. En somme, il est impossible d'interdire tout à fait le recours aux tribunaux. C'est l'enjeu de toute cette jurisprudence: le recours aux tribunaux. Dans toutes les affaires soumises aux tribunaux, le privilège parlementaire a été reconnu.

Le sénateur Beaudoin: Effectivement.

Le sénateur Carstairs: C'est là l'élément crucial. Les tribunaux ont été appelés à se prononcer par le passé, mais ils ont à chaque fois rendu une décision en faveur du privilège parlementaire.

L'honorable sénateur a fait une distinction entre un système fondé sur une loi et un système reposant sur le règlement. Le projet de loi propose un système qui fait appel aux deux. En effet, le poste de conseiller en éthique est prévu par une loi, mais il permet aussi l'évolution du règlement du Sénat. C'est un bon équilibre entre les deux systèmes. Certains proposent qu'on opte pour un système entièrement prévu dans une loi et d'autres pour un système fondé sur le règlement.

Sénateurs, vous êtes saisi d'un projet de loi qui propose un système constitué d'éléments des deux. C'est la meilleure option, celle qui est préférée.

Le sénateur Beaudoin: Les conventions et les privilèges se comparent. Les honorables sénateurs se souviendront peut-être de causes qui remontent à l'époque du rapatriement de la Constitution. Les juges ont dit qu'une convention voulait qu'on ne s'adresse pas à Londres avec l'appui de seulement deux provinces. Ils ont dit que nous pouvions définir une convention, mais que, si elle était enfreinte, le recours se situait dans l'arène politique. Il en va de même pour les privilèges. Les tribunaux peuvent définir nos privilèges et les respecter, certainement, mais ils ne peuvent pas se substituer à nous. Les tribunaux peuvent définir ce qui est nécessaire comme privilège, et c'est ensuite à nous de nous y conformer. Nous accomplissons nos travaux dans le respect de nos privilèges. Les conventions constitutionnelles et les privilèges du Parlement sont semblables.

Je ne redoute pas la Cour suprême, bien au contraire, car elle respecte toujours les privilèges parlementaires, qu'ils soient établis par une loi ou par le Règlement. Quant à savoir quel système est préférable, cela est sujet à discussion.

Le sénateur Carstairs: Je remercie l'honorable sénateur de cette défense fort claire des privilèges. Lui et moi sommes tout à fait d'accord pour dire que les tribunaux respecteront les privilèges du Parlement.

Le sénateur Stratton: Je remercie l'honorable sénateur de sa patience. Je lui ai posé une question hier au Sénat, car je voudrais parler de la question de la perception publique. Au bout de compte, c'est le public qui dira si nous avons fait un bon travail. Au Parlement, aujourd'hui, il y a des principes éthiques, des règles et des obligations auxquels les titulaires de charge publique doivent se conformer. Est-ce exact?

Le sénateur Carstairs: Les ministres ne sont pas les seuls titulaires de charge publique, mais ils sont certainement du nombre, effectivement.

Le sénateur Stratton: Ils doivent respecter des lignes directrices établies par le premier ministre.

Le sénateur Carstairs: C'est exact.

Le sénateur Stratton: Les lignes directrices sont publiées. Je vous ai demandé hier si c'était ou devrait être la responsabilité de chaque ministre de lire, comprendre et respecter ces lignes directrices. Je ne veux pas vous mettre des mots dans la bouche, mais vous avez répondu par l'affirmative.

Fondamentalement, si vous deviez établir un ensemble de lignes directrices, de principes éthiques ou de règles, vous seriez toujours aux prises avec le problème que nous avons maintenant, avec quatre ministres qui ont contrevenu aux principes et règles et manqué à leurs obligations. Ce que je crains, c'est que tout notre travail ne soit ainsi réduit à néant. Tout serait jeté par-dessus bord parce que le public a constaté que le Sénat s'est donné un ensemble de règles, mais que cela n'empêche rien. Il en va de même pour les fiducies sans droit de regard. On dirait que, peu importe les règles ou les lignes directrices qui sont mis en place, le public a l'impression qu'il est possible de contourner les règles, ce qui rend alors possibles certains comportements.

Je voudrais que le sénateur Carstairs me donne des assurances sur un point. Si le projet de loi est promulgué et si des règles sont ensuite établies, comment pourrons-nous surmonter le cynisme du public si nous continuons à avoir des incidents comme ceux de maintenant? Cela semble inévitable. Nous adoptons des règles, et les problèmes subsistent. Comment allons-nous surmonter ou atténuer le cynisme qui est déjà présent et qui s'aggrave? Voilà le problème que me pose le projet de loi.

Le sénateur Carstairs: Sénateur, ma position diffère de la vôtre. Au Sénat, hier, vous m'avez demandé si, selon moi, les ministres devaient lire les lignes directrices. J'ai dit que je ne pouvais vous faire qu'une réponse personnelle. Chose certaine, si je devais signer des lignes directrices, je commencerais par les lire pour m'assurer que je les respecte intégralement.

Le public est cynique, et une solution consiste à énoncer clairement les règles que les sénateurs et les députés sont tenus de suivre. Les êtres humains qui se retrouvent au Sénat et aux Communes seront-ils tous toujours parfaits? Ils ne sont pas parfaits. Certains de ces êtres humains imparfaits commettront-ils des erreurs, à l'occasion? Sans doute que oui. Mais s'il n'y a pas de lignes directrices, il est probable que les risques d'erreur seront plus grands. Lorsque des erreurs sont commises, notamment à l'autre endroit, le processus électoral intervient, lorsque ces erreurs sont étalées au cours d'une campagne électorale. Les électeurs peuvent dire que les lignes directrices n'ont pas été suivies et se demander s'il y a lieu de réélire telle ou telle personne. C'est pourquoi les lignes directrices du Sénat, pour peu qu'elles doivent être différentes de celles de l'autre endroit, devraient être plus exigeantes.

Le sénateur Stratton: En ce qui concerne les principes éthiques, les règles et les obligations des actuels titulaires de charge publique, il n'y a aucune sanction, en dehors du verdict électoral, pour ceux qui contreviennent aux lignes directrices.

Le sénateur Carstairs: Il y a d'autres sanctions. De toute évidence, la sanction la plus lourde serait que le premier ministre juge le manquement assez grave pour expulser le contrevenant du Cabinet.

Ce serait la sanction ultime pour un membre du Cabinet.

Le sénateur Stratton: Cela est-il jamais arrivé? Si oui, combien de fois?

Le sénateur Carstairs: Je ne peux pas donner de chiffres, mais je rappelle que c'est le sort qui a été réservé à l'ancien ministre de la Défense.

Le sénateur Stratton: Excusez-moi, mais je crois que cela ne fait que renforcer le cynisme du public. S'il y avait un effet positif, cela serait indiqué. Je ne veux pas parler des membres des partis libéral, conservateur ou allianciste, mais de la nature même de la bête. Selon moi, peu importe ce que nous ferons, nous nous heurterons toujours au même problème parce que, comme vous l'avez dit, nous sommes des créatures imparfaites. Je crains que, si nous établissons des règles, nous ne nous fassions clouer au pilori et notre travail sera contredit à tel point que nous nous demanderons pourquoi nous nous sommes donné cette peine. C'était mon éditorial.

Le sénateur Carstairs: Je voudrais commenter l'éditorial. J'ai été assujettie non seulement aux règles en place au Sénat, pour ce qui est des lignes directrices visant les titulaires de charge publique, mais aussi aux exigences du Manitoba, qui a des lignes directrices claires et des dispositions législatives exigeant la divulgation des intérêts dans les 15 jours suivant toute nouvelle session de l'Assemblée législative. Cette exigence s'appliquait tous les ans. Grâce à cette loi, il régnait une certaine confiance au Manitoba. Les députés à l'assemblée étaient tenus de remplir un formulaire de divulgation et de le remettre au greffier de l'assemblée. Cela non seulement faisait comprendre l'importance des règles à tous les députés, mais faisait connaître aussi au public les règles que les députés étaient tenus de respecter.

Le sénateur Stratton: Il existe des règles applicables aux ministres, et elles sont enfreintes constamment. Je ne vois vraiment pas ce que nous pourrons obtenir si le premier ministre impose une série de règles et de principes en matière d'éthique, alors qu'il y aura toujours des manquements. Qu'aurons-nous accompli? Nous avons une très belle série de règles et de principes, et quatre ministres y ont dérogé récemment. Le problème revient constamment. Je crains que le projet de loi ne fasse qu'aggraver le cynisme dans la population à l'égard de notre institution.

Le sénateur Downe: Je serai bref. J'étais soumis à des règles à mon poste précédent. Il est important de revenir sur le point tout juste soulevé au sujet de l'importance des règles. La façon d'éviter de violer les règles, c'est de les suivre. Vous avez dit que quatre ministres avaient violé les règles. Première nouvelle. Le conseiller en éthique, M. Wilson, étudie quelques cas, d'après les médias, mais je ne pense pas qu'il ait rendu de décision. Nous sommes au courant du cas dont le sénateur Carstairs a dit un mot tout à l'heure: l'ancien ministre de la Défense nationale a été jugé coupable, et il a dû quitter le Cabinet. C'est une sanction sévère. Des centaines de personnes sont visées par les règles, mais rares sont ceux qui ne les suivent pas.

Le sénateur Stratton: Me posez-vous une question?

Le sénateur Downe: Non, j'expose mon point de vue. Je n'ai pas de question à poser.

La présidente: Sénateur Carstairs, je vous remercie d'avoir comparu aujourd'hui.

Sénateurs, si vous avez des noms de témoins dont vous voudriez entendre le point de vue sur cette question, vous êtes priés de les présenter aujourd'hui ou demain.

Le sénateur Grafstein: Madame le sénateur Carstairs peut-elle comparaître de nouveau? Il y a des questions sur le libellé du projet de loi et sur la séparation des pouvoirs. Certains points sont plutôt flous. M. Boudria ne peut comparaître de nouveau, et il nous faut un représentant du gouvernement pour répondre publiquement à ces questions. Ce ne sera pas long, mais nous n'avons pas pu poser un certain nombre de questions sur la séparation des pouvoirs qui concernent des dispositions particulières de la loi.

La présidente: Sénateur Grafstein, pourrais-je vous demander de rédiger ces questions?

Le sénateur Grafstein: Il serait préférable que le leader revienne, si nous pouvons le lui demander. Ce ne sera pas long. Je ne voudrais pas que l'échange dure plus de cinq ou six minutes. Les questions et réponses écrites ne permettent pas d'élucider aussi bien les problèmes. Je risque de ne pas formuler les questions avec soin, mais il se pose des questions de principe importantes. Il serait bien que madame le leader puisse revenir pour une brève comparution demain. Nous pourrons régler l'affaire rapidement.

Le sénateur Andreychuk: Une autre possibilité serait que nous entendions tous les témoignages d'abord, et nous pourrions recevoir madame le leader en fin de séance. Si certaines de nos questions sont restées sans réponse ou si de nouveaux points de vue ont surgi pendant les témoignages, nous pourrions en parler avec le ministre. C'est une pratique courante du comité.

La présidente: Dans d'autres comités également.

Le sénateur Carstairs: Je suis à la disposition du comité.

La présidente: Merci.

La séance est levée.


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