Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 15 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 14 mai 2003
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit ce jour à 15 h 30 pour faire une étude sur les questions qu'ont suscitées le dépôt de son rapport final sur le système de soins de santé au Canada en octobre 2002 et les développements subséquents. En particulier, le Comité doit être autorisé à examiner la santé mentale et la maladie mentale.
Le sénateur Marjory LeBreton (vice-présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La vice-présidente: Notre président, le sénateur Kirby, est en voyage dans tout l'Ouest canadien. Il a prononcé quatre ou cinq discours cette semaine — j'en ai lus quelques-uns — portant sur notre étude des soins de santé. Il est bien accueilli et les discours le sont aussi. Il est plaisant de constater que le travail de notre comité est encore l'étude prédominante des soins de santé à laquelle les gens prêtent attention à travers tout le pays.
Nous poursuivrons notre étude sur la santé mentale et la maladie mentale. Nous parlerons du mot à la mode «S», signifiant le stigmate. Aujourd'hui, nos témoins sont Patrick Storey, du Conseil consultatif du ministre sur la santé mentale en Colombie-Britannique, Heather Stuart, de l'Université Queen's, et Jennifer Chambers, du Centre de toxicomanie et de santé mentale.
Monsieur Storey, la parole est à vous.
M. Patrick Storey, président, Conseil consultatif du ministre sur la santé mentale, province de la Colombie-Britannique: Je suis le président du Conseil consultatif du ministre sur la santé mentale en Colombie-Britannique. Je pense que nous avons attiré votre attention en vertu du fait que nous avons produit il y a quelques années un rapport sur la discrimination contre les personnes atteintes d'une maladie mentale et leur famille.
Je dirai quelques mots sur la situation qui prévaut en Colombie-Britannique et je ferai quelques commentaires découlant d'un forum public que nous avons organisé autour de la question de la discrimination contre les personnes atteintes d'une maladie mentale. Les renseignements que nous avons obtenus lors de ce forum provenaient directement de gens atteints d'une maladie mentale et de leur famille.
Les membres du Conseil consultatif du ministre sur la santé mentale sont nommés par le ministre d'État à la Santé mentale. À l'heure actuelle, le poste est unique au Canada. Notre ministre d'État à la Santé mentale, en Colombie- Britannique, joue un rôle politique unique par le fait qu'il parle directement au nom des gens atteints d'une maladie mentale et de leur famille, ainsi qu'au nom des gens impliqués dans la prestation de soins aux personnes atteintes d'une maladie mentale et à leur famille. Il représente ces intérêts à la table du Cabinet pour le gouvernement provincial.
Notre grand avantage découle du fait que le ministre d'État a directement accès aux autres ministres qui sont chargés de services importants pour les personnes atteintes d'une maladie mentale — les ministres qui ne s'occupent pas du portefeuille de la santé et les ministres responsables des programmes de soutien du revenu et du logement, et cetera. Nous estimons que ces services sont absolument essentiels pour appuyer les gens atteints d'une maladie mentale à titre de membres égaux au sein de notre collectivité.
Le Conseil se compose de 15 membres. Les consommateurs, les familles et les dispensateurs de soins sont représentés de façon égale au Conseil. Le rôle du Conseil consiste à fournir au ministre d'État à la Santé mentale des conseils concernant la mise en œuvre du plan de réforme de la santé mentale qui a été élaboré au cours de la dernière décennie et la prestation générale de services de santé mentale dans la province. En outre, le Conseil appuie le ministre dans ses efforts visant à atteindre les objectifs particuliers attribués à ce bureau, en premier lieu une campagne d'information publique sur la santé mentale et la maladie mentale pour la province.
Le forum public sur la discrimination s'est déroulé en 1999. Au cours de ses premières rencontres, le Conseil a rapidement identifié la question de la discrimination parmi les préoccupations les plus importantes des personnes atteintes d'une maladie mentale et de leur famille. Afin de mieux comprendre ce problème dans un contexte propre à la Colombie-Britannique, un forum communautaire a été organisé pour faciliter les discussions sur l'expérience de la discrimination et ses incidences sur la vie des personnes atteintes d'une maladie mentale et de leur famille. La Vancouver-Richmond Health Authority a collaboré avec nous dans le cadre de cette initiative. Environ 200 personnes y ont assisté, la plupart d'entre elles étant des consommateurs de services de santé mentale et leur famille. Nous avons eu des conférenciers de prestige, dont Lenny Gagnon, avocate représentant les personnes atteintes de maladies mentales et femme ayant elle-même une maladie mentale, qui nous ont parlé avec éloquence de leur expérience personnelle avec la discrimination, et Dulcie McCallum, ancienne protectrice du citoyen de la Colombie-Britannique et auteure d'un rapport intitulé «Listening». Ce rapport a été rédigé à propos du Riverview Hospital, qui est notre hôpital psychiatrique provincial. Elle a parlé des causes profondes de la discrimination contre les personnes atteintes d'une maladie mentale et de la façon dont cela a abouti à négliger les soins de santé mentale en général dans le système de soins de santé.
Nous avons eu de petites discussions en groupes entre ces gens. Une table ronde s'est penchée plus spécifiquement sur ce qui pourrait être fait au sujet de la discrimination dans la province. Des tas d'idées et des tas d'éléments de réflexion ont émané de ce groupe d'experts, et nous avons poursuivi nos discussions en petits groupes. Ces dernières se sont concentrées sur les recommandations ou les choses qui pourraient être faites pour réduire la discrimination dans l'ensemble de la province.
Nous avons engagé une femme pour assister à cette session, faire des recherches dans la documentation disponible et rédiger un rapport, et elle a effectué du bon travail. Nous espérions un rapport de 10 à 15 pages et elle en a produit un de 70 pages. Nous n'avons pas mis ce long rapport sur l'Internet, mais nous pouvons vous en remettre un exemplaire, si vous le souhaitez. Il s'agit d'un bon rapport détaillé.
Un grand nombre de recommandations ont émané du forum public et, en consultation avec le Conseil, j'ai identifié quatre points que j'aimerais aujourd'hui porter à votre attention. Le premier est que nous devons reconnaître la discrimination contre les personnes atteintes d'une maladie mentale et leur famille comme étant tout aussi inacceptable que les autres formes de discrimination. Nous devons consacrer la même énergie à son éradication que nous en consacrons à l'élimination des autres formes de discrimination.
Heather Stuart et moi-même sommes légèrement en désaccord sur ce point. Nous avons découvert que quiconque utilise le mot «stigmate», le mot à la mode «S», comme vous l'avez déjà identifié, doit verser une pièce de 25 cents dans la cagnotte. Nous estimons que la «discrimination» est vraiment le mot le plus approprié pour décrire ce qui se passe. L'inégalité résulte de la discrimination, et c'est la situation à laquelle sont confrontées les personnes atteintes d'une maladie mentale et leur famille. Nous estimons que «discrimination» est un mot plus efficace et nous devons examiner un modèle de discrimination par opposition à un modèle de stigmate.
Le second point que je souhaite soulever concerne la nécessité de réduire la discrimination endémique à notre système de soins de santé. Au cours des discussions que nous avons eues avec des personnes souffrant de maladie mentale, ce qui était remarquable c'est qu'elles avaient toutes à raconter des histoires de mauvais traitement dans les salles d'urgence, ainsi que dans les hôpitaux en général. Même lorsqu'elles émettaient des plaintes de nature physique, elles étaient traitées comme des malades mentales.
Je suis également le père d'un garçon qui a lutté contre la dépression et le suicide. Il a subi plusieurs hospitalisations en milieu psychiatrique. Il s'est retrouvé menotté dans notre service local des urgences à la suite d'un geste suicidaire. Je n'ai pas été entièrement satisfait de cette expérience.
Des recherches effectuées récemment en Colombie-Britannique ont révélé que les personnes atteintes d'une maladie mentale ayant subi une hospitalisation ont un taux de mortalité sept fois supérieur à celui de la population en général. M. Elliott Goldner, un collaborateur de la Mme Stuart, a effectué cette recherche. J'ai obtenu ce chiffre directement de lui.
Récemment, la province de la Colombie-Britannique a effectué un examen des prestations d'invalidité versées et la division de la Colombie-Britannique de l'Association canadienne pour la santé mentale a obtenu un contrat pour aider les malades mentaux à franchir ce processus. L'une des choses surprenantes qu'ils ont constatées était que 40 p. 100 des personnes atteintes d'une maladie mentale et percevant des prestations d'invalidité n'avaient aucun lien avec un médecin de famille. C'est tout à fait digne de mention.
Pour aborder ces problèmes, nous devons mettre au point un système de soins de santé qui comprend les besoins des malades mentaux et y répond. Ils sont différents de ceux des gens ayant d'autres problèmes de santé.
Il faut faire une éducation pour aider les professionnels de la santé à apprendre à travailler plus efficacement avec les malades mentaux. Nous devons établir des normes nationales claires pour les soins de santé mentale et éduquer les malades mentaux et leur famille sur les résultats qu'ils peuvent raisonnablement attendre en faisant appel à des services de santé mentale.
J'ai apporté une copie d'une charte des droits des patients d'Irlande du Nord. En Colombie-Britannique, nous avons consacré du temps et de l'énergie à élaborer une charte pour les malades mentaux. Le modèle de l'Irlande du Nord est particulièrement bon et je vous encourage à y jeter un coup d'œil. Le document énonce clairement et simplement les droits que possède une personne atteinte d'une maladie mentale en rapport avec le système de soins de santé ainsi que le service et le traitement qu'elle peut espérer à titre de consommateur de ces services. Nous pensons que si nous éduquons et habilitons les malades mentaux en tant que consommateurs de services de santé, nous en ferons des consommateurs plus efficaces et nous aiderons les prestataires de soins de santé à offrir des services plus pertinents.
Le troisième point concerne la nécessité de protéger le financement des services de santé mentale et de dépenser l'argent pour des services efficaces et pertinents. En Colombie-Britannique, les sommes consacrées à la santé mentale ne sont plus protégées. En règle générale, elles sont regroupées avec les montants consacrés aux soins de santé, si bien que même si des fonds supplémentaires ont été affectés aux services de santé mentale en Colombie-Britannique, la majorité de ces sommes n'est pas consacrée aux services de santé mentale.
Dans la province, nous avons actuellement un système d'autorités sanitaires. En ma qualité de président du Conseil consultatif du ministre, des gens me téléphonent. Je les appelle des dénonciateurs. Ils mentionnent les abus qui sont faits de ces sommes, en sachant que je peux en parler avec le ministre Cheema. Il est intéressant de constater que les plus grands abus concernent les services communautaires par opposition aux lits et aux dépenses d'immobilisations.
Par exemple, on m'a rapporté que la Provincial Health Services Authority a dépensé un million de dollars pour rénover ses bureaux administratifs. Cet argent provenait du budget de l'Hôpital Riverview. Je pense qu'il s'agit d'un exemple de discrimination — des fonds destinés à la santé mentale consacrés à la rénovation de bureaux administratifs.
En plus de protéger les montants consacrés à la santé mentale, il faut effectuer un certain nombre de changements au niveau des politiques. Les modalités et les barèmes de facturation des services médicaux, les prestations d'assurance- maladie complémentaire, les régimes de pension, et cetera, ne reconnaissent pas les caractéristiques et les défis particuliers de la santé mentale et dressent des obstacles inutiles à la guérison et à la santé. En Colombie-Britannique, par exemple, un médecin de famille ne peut facturer que quatre consultations par an par patient; cependant, la plupart des gens souffrant d'une dépression vont voir leur médecin de famille. Même si les médicaments anti-dépressifs constituent un complément utile, seuls ils ne suffisent pas pour aider les gens à surmonter efficacement cet état parfois débilitant. Les médecins ne sont pas en mesure d'offrir l'aide nécessaire à une personne déprimée.
Pour réduire la discrimination, il est primordial de modifier certaines de ces politiques et modalités de base. Nous devons appuyer l'élaboration de systèmes de prestation de services de santé mentale holistiques, axés sur la guérison et reposant sur les meilleures pratiques. Ce modèle inclut non seulement des soins pharmacologiques et psychiatriques appropriés mais priorise également l'importance d'un logement et d'un revenu stables, sûrs et adéquats, de services de réadaptation, un soutien personnel pour développer des relations et des rôles valables au sein de la collectivité grâce aux débouchés en matière d'emploi et d'éducation.
Lorsque j'étais président du Conseil de surveillance de l'Hôpital Riverview, les médias parlaient beaucoup de la liste d'attente pour entrer à l'hôpital. On faisait beaucoup de cas des désagréments vécus par les patients de l'hôpital général qui devaient supporter le comportement difficile de patients psychiatriques que l'on gardait dans les couloirs ou plaçait dans d'autres services. Personne ne voulait entendre mes plaintes concernant le manque de ressources communautaires empêchant des patients de l'Hôpital Riverview d'être renvoyés chez eux. Le problème n'était pas la liste d'attente pour entrer à l'hôpital; c'était la liste d'attente pour en sortir. L'absence de ressources communautaires adéquates dans les divers quartiers et collectivités maintenait les gens plus longtemps à l'hôpital qu'il ne fallait. Cette situation a un effet discriminatoire puissant.
Enfin, je suis également membre de la Commission nationale des libérations conditionnelles. Pour moi, il est extrêmement déconcertant d'être assis à une table, en face d'un homme ou d'une femme se trouvant dans une prison fédérale au moins en partie à cause d'une maladie mentale, et d'être incapable de prendre une décision qui favorise leur réintégration dans la collectivité.
J'ai apporté avec moi un autre article intitulé «The Prison Careers of Offenders with Mental Disorders» qui aborde certains des aspects discriminatoires de ce système. Nous savons que beaucoup de malades mentaux sont incarcérés à un certain moment de leur vie. Les recherches effectuées dans les prisons révèlent que les malades mentaux ont plus de chances que les autres détenus de purger une plus grande partie de leur peine à des niveaux supérieurs de sécurité, ont moins de chances d'obtenir une libération conditionnelle et risquent davantage de retourner en prison pour une infraction aux conditions de libération sans récidive que leurs pairs non malades mentaux. Pour les délinquants fédéraux, il est difficile d'avoir accès à des services de santé mentale financés par la province dans la collectivité, en raison de dispositions spécifiques de la Loi sur la santé mentale de la Colombie-Britannique. Cette loi est, par elle- même, discriminatoire à l'égard de cette population. Elle ordonne aux directeurs des établissements provinciaux de ne pas offrir de soins aux personnes qui viennent d'institutions fédérales. C'est une responsabilité financière du gouvernement fédéral, si bien que les malades mentaux détenus dans une prison fédérale, qui essaient d'obtenir une libération dans la collectivité, n'obtiendront pas de services du centre local de santé mentale ou d'autres services, ce qui est intolérable.
Des recherches montrent également que les malades mentaux admis dans le système correctionnel provincial sont souvent incapables d'avoir accès aux services indispensables pour traiter convenablement leur maladie mentale. Les autorités correctionnelles fédérales et provinciales et les autorités sanitaires doivent collaborer pour s'attaquer à ces anomalies et réduire la discrimination à laquelle font face les personnes en conflit avec la loi.
En conclusion, la réduction de la discrimination constitue un aspect essentiel de l'amélioration de la qualité de vie des malades mentaux et de leur famille et elle s'impose pour déclencher un véritable changement probant au sein du système de soins de santé au Canada. Ce qui nous encourage, c'est que votre comité étudie en détail cette question et, de façon plus générale, la prestation des services de santé mentale au pays. Aux yeux du Conseil, l'enquête est nettement justifiée et nous espérons pouvoir vous offrir à l'avenir toute l'aide que vous pourrez nous demander.
Mme Heather Stuart, professeure agrégée, Santé communautaire et épidémiologie, Université Queen's: Je possède un bagage en épidémilogie sociale. Je m'intéresse à la recherche sur la santé mentale et j'effectue beaucoup de recherches sur ce qui est appelé aujourd'hui le «mot S». Je fais des recherches sur le stigmate grâce à des fonds du gouvernement ontarien. J'ai également collaboré énormément avec l'Association mondiale de psychiatrie pour mettre en œuvre des programmes anti-stigmate. Le Canada a été l'un des premiers pays à le faire de façon globale. J'ai pensé que je pourrais présenter un petit aperçu de la recherche pour vous donner une idée de ce qui est possible dans le domaine des interventions anti-stigmate.
Je commencerai en vous disant quelle est ma compréhension du mot «stigmate» parce que, comme vous l'avez entendu, il existe des interprétations différentes. Je tire cette définition en grande partie de la documentation socio- psychologique et l'essence même du stigmate est que les gens remarquent que quelqu'un est différent — différent de vous. Les gens sont non seulement différents mais cette différence est également, dans une certaine mesure, dévaluée. Elle est considérée comme une différence négative. Les gens qui sont stigmatisés sont quelque peu dénigrés par le fait que leur identité est dénigrée. Ils sont considérés comme des êtres socialement inférieurs.
Les premières recherches ont examiné les gens qui sont stigmatisés pour voir ce qui les rendait différents. Ensuite, nous nous sommes concentrés sur les personnes qui stigmatisaient pour voir qu'est-ce qui les poussait à le faire. Aucune de ces deux avenues de la recherche n'a été utile pour les responsables de la santé publique qui souhaitaient entamer des interventions anti-stigmate. Cela ne nous a pas guidés beaucoup.
Nous espérons qu'une troisième génération de travaux de recherche pourra se concentrer sur les types de structures sociales dont vous avez déjà entendu parler par mon collègue, qui perpétuent vraiment l'inégalité sociale et la discrimination — les structures et les organismes, ainsi que les politiques et les programmes qui font en sorte que cela arrive. Il est difficile de changer les attitudes mais vous pouvez changer beaucoup plus facilement les politiques.
Dans le contexte de la santé mentale, les consommateurs décriront le stigmate comme étant pire qu'avoir une maladie mentale. Il est perçu comme une seconde dimension de la souffrance, quasiment un second niveau de maladie auquel il faut faire face et qui est plus débilitant et invalidant que la maladie mentale dont ils souffrent. Vous pouvez parfaitement imaginer certaines des conséquences du stigmate. On vous refuse un statut social ainsi que des droits sociaux. Vous faites l'objet d'une discrimination active. Nous devons cibler la discrimination.
Ce qui est plus insidieux que la discrimination c'est l'inégalité sociale qui découle de la négligence collective. La discrimination implique que nous faisons activement quelque chose à quelqu'un mais souvent, dans le domaine des maladies mentales, nous ignorons le problème. Nous ignorons tous le problème et, par suite de cette négligence collective, les personnes atteintes d'une maladie mentale ne bénéficient pas de la même position sociale ou des mêmes possibilités que le reste d'entre nous.
C'est un obstacle majeur à leur guérison. La peur d'être stigmatisées peut retarder leur recherche d'un traitement. Les malades mentaux ne veulent pas être étiquetés et ils ne consultent donc pas les professionnels de la santé. Ils estiment que le fait de consulter un professionnel de la santé entravera leur accès à une position sociale. Nous avons effectué des sondages en Ontario qui ont révélé qu'un quart des consommateurs interrogés avaient mentionné avoir été stigmatisés par un professionnel de la santé dans le passé et que 50 p. 100 d'entre eux avaient retardé la recherche d'un traitement pour une maladie mentale alors qu'ils étaient conscients d'en avoir besoin, par peur d'être stigmatisés.
Nous nous trouvons actuellement dans un modèle communautaire de santé mentale et donc le stigmate et la discrimination sont pour nous le nœud du problème. Ce sont nos principaux obstacles au traitement de la santé mentale à notre époque moderne. Lorsque nous relâchons les gens dans notre collectivité, nous espérons que la collectivité les acceptera et prendra soin d'eux. Ce n'est pas le cas.
La sensibilisation du public est davantage un mythe qu'une réalité. Le public a tendance à se concentrer fortement sur l'imprévisibilité et la dangerosité. Il est difficile de ne pas le faire lorsque, chaque fois que vous ouvrez la télévision, vous voyez des reportages ou des films sensationnalistes sur la violence des malades mentaux. Nous pensons à la santé mentale en termes de violence, d'imprévisibilité et de dangerosité. Nous avons d'autres idées fausses. Nous pensons que les malades mentaux ont un QI bas, qu'ils ne peuvent pas conserver un emploi ou qu'on ne peut pas réussir à les traiter dans la collectivité. Ce n'est pas vrai. Et pourtant, lorsqu'on sonde le public, c'est précisément les croyances que l'on constate.
Lorsque nous avons parlé au public par le biais de sondages communautaires sur leurs connaissances de la santé mentale, comme la schizophrénie, nous avons constaté qu'il est mal informé. Lorsque nous demandons aux gens ce qui cause la schizophrénie, ils vous répondent que c'est un trouble du cerveau ou bien ils peuvent identifier une cause biologique. Il y a vingt ou trente ans, nous ne nous serions pas attendus à cela. Ils sont bien informés et instruits, et pourtant ils stigmatisent et font de la discrimination. À titre de recherchistes, nous ne savons pas, à l'heure actuelle, jusqu'où nous devrions cibler l'amélioration des connaissances sur la maladie mentale comme stratégie de réduction anti-stigmate. Il est peut-être utile en soi que les gens soient davantage informés sur la maladie mentale mais nous ne sommes pas convaincus que cela fait une différence sur la façon dont ils traitent les gens atteints d'une maladie mentale. Toutefois, d'après le sondage public, nous savons qu'ils classent la folie parmi les troubles les plus invalidants qu'ils pourraient imaginer — davantage que la perte d'un membre ou de toute autre chose.
Si nous voulons aborder le stigmate et la discrimination, nous devons maîtriser ce problème de la dangerosité. C'est probablement le plus grand mythe que nous avons à combattre. Nous savons que le public établit un lien entre la dangerosité et la maladie mentale, et d'une façon subtile. Les gens peuvent faire une discrimination entre des types de catégories de diagnostics et les classer. Ils classent les gens qui abusent de substances intoxicantes parmi les personnes à très haut risque. Le public s'attend beaucoup à ce que ces personnes seront dangereuses. Les gens atteints de schizophrénie sont classés quelque part au milieu et les gens atteints d'une dépression sont classés un peu plus bas. Même si la population surestime généralement les risques, elle les classe soigneusement selon l'ordre que leur donnerait la recherche. En général, c'est très surestimé.
D'après les documents recueillis lors d'examens minutieux du lien entre la violence et la maladie mentale, nous pouvons dire au public que la maladie mentale n'est une cause de violence ni nécessaire ni suffisante. Je ne sais cependant pas dans quelle mesure cela sera réconfortant. À mon avis, nous pouvons dire que les principaux éléments déterminants de la violence ne sont pas la maladie mentale mais des critères comme la pauvreté, l'âge et le sexe. Les jeunes hommes ayant un statut socio-économique bas sont très à risque.
Nous pouvons également dire qu'il est beaucoup plus probable qu'une personne atteinte de maladie mentale sera victime d'un crime plutôt que son auteur. Souvent, les gens se retrouvent dans le système de justice pénale en raison de comportements liés à des troubles mentaux qui n'ont pas de possibilités de traitement dans la collectivité.
Nous pouvons également établir un lien entre l'abus de substances intoxicantes et la violence. C'est constamment un problème important dans la documentation examinée. Je ne parle pas de schizophrénie ou de dépression mais d'abus de substances intoxicantes seules ou de concert avec un trouble quelconque. Lorsque nous envisageons la prévention primaire — les moyens de réduire cette vision que le public a du tueur rendu fou — l'abus de substances intoxicantes serait un domaine sur lequel nous aimerions nous pencher pour réfléchir à la façon d'atténuer ce problème.
En ce qui concerne les interventions anti-stigmate, comment arrêter le stigmate et la discrimination? Nous apprenons de l'Association mondiale de psychiatrie qu'il n'y a pas de solution unique. C'est une perte de temps et d'énergie de se lancer dans une vaste campagne d'éducation du public destinée à améliorer l'alphabétisation comme intervention anti-stigmate car les couches de la population ont des points de vue différents. Elles comprennent leurs risques différemment selon le groupe diagnostic. Nous parlons maintenant d'interventions plus centrées et plus ciblées. Nous avons connu le meilleur succès parmi toutes nos tentatives en nous rendant dans les écoles secondaires et en travaillant avec les jeunes car ils sont plus malléables. Nous avons appris qu'il faut adopter des approches qui mettront les gens en contact avec des personnes atteintes de maladie mentale, selon des méthodes constructives.
On commence à voir émerger des meilleures pratiques et des programmes anti-stigmate. Nous n'avons pas de connaissances suffisantes pour prendre de bonnes décisions. Nous en sommes encore au stade de l'apprentissage. Nous avons des programmes mondiaux et un certain nombre de pays ont adhéré à des efforts déployés à grande échelle pour réduire le stigmate et la discrimination. Ils recueillent des données et englobent l'évaluation et la recherche dans ces efforts afin que nous puissions tirer la leçon de nos erreurs au fur et à mesure.
D'après cela, nous pouvons dire que les connaissances sur la santé mentale ne prédisent pas les comportements. Si vous voulez modifier un comportement, un supplément de connaissances ne permet pas forcément d'y parvenir. Nous devons travailler au niveau des politiques et nous devons agir sur la façon dont les gens interagissent.
Nous devons également penser au fait que nous ne savons pas encore vraiment grand chose dans le monde. Le Canada est un chef de file et nous ne savons pas bien, même au Canada, comment changer les attitudes à grande échelle. Nous avons essayé de le faire avec l'exercice, le tabac et les régimes alimentaires, avec toutes sortes de choses différentes, et nous avons eu un succès mitigé.
C'est quelque chose que nous essayons de faire actuellement et qui a, de tout temps, été enchâssé dans chaque culture que nous pouvons identifier. C'est un problème de longue date. La peur des personnes atteintes d'une maladie mentale ne sera pas facilement évacuée de notre culture. Je ne pense pas que notre base de connaissances soit suffisante à l'heure actuelle. Nous devons également nous interroger sur la façon d'améliorer notre base de connaissances à mesure que nous suivons ce processus, que nous essayons de faire une différence, de nous assurer que nous recueillons suffisamment de renseignements de façon systématique pour pouvoir dire, dans cinq ans, ce qui a fonctionné et ce qui n'a pas fonctionné et pourquoi.
Mme Jennifer Chambers, coordonnatrice du Conseil d'habilitation, Centre de toxicomanie et de santé mentale: Je suis ici au nom du Conseil d'habilitation, qui est un groupe composé exclusivement de personnes ayant séjourné dans le système psychiatrique, appelées survivants de la consommation psychiatrique, et de gens qui sont passés par des services de toxicomanie. Nous sommes localisés dans le Centre de toxicomanie et de santé mentale à Toronto.
Mon exposé, dont vous devriez avoir une copie, va plus loin que l'incidence des préjugés du grand public à l'égard de notre groupe pour envisager également la discrimination qui permet d'exclure la voix de notre groupe, tant au sein du système de santé mentale que dans la politique publique.
Le terme «stigmate» est une norme déclassée de droits humains lorsqu'il s'applique à des gens qui ont séjourné dans le système de santé mentale. Les préjugés sont un élément qui peut être abordé par les commissions des droits de la personne. La discrimination est une chose pour laquelle les gens peuvent demander un recours judiciaire. Il n'y a rien que l'on puisse faire à propos d'un stigmate quand il arrive.
Une discrimination envahissante subie par les survivants de la consommation découle du fait que, à la différence de tout autre groupe énuméré dans la Charte, il est jugé acceptable d'avoir des consultations, de prendre des décisions, de rédiger une politique, de diriger des organismes avec une participation minime ou nulle des membres de la collectivité que ces activités sont ostensiblement censées desservir.
Les discussions sur les femmes ou les personnes atteintes d'incapacités physiques ou les personnes de couleur ne se déroulent en présence de beaucoup de gens qui parlent de ces groupes, tandis que les membres du groupe eux-mêmes sont presque totalement exclus du processus décisionnel et de la discussion. Ce problème n'est pas soulevé pour blâmer qui que ce soit mais pour souligner le fait que les attitudes adoptées par la majorité de la société canadienne permettent à ce comportement de ne pas être en mis en doute car les fausses croyances au sujet de notre groupe sont tellement répandues.
Les préjugés à l'égard de notre groupe sont profondément enracinés dans cette culture. En fait, ces attitudes sont principalement enracinées dans l'ignorance et le manque d'informations. Ce qui est encore plus dangereux pour les survivants de la consommation c'est lorsque la désinformation est présentée par les professionnels de la santé mentale, et c'est une pratique prépondérante dans le système de santé mentale.
Les préjugés et les conflits d'intérêt qui existent dans le système ne sont souvent pas reconnus. L'American National Council on Disability a observé que l'élaboration des politiques reposant sur les suggestions d'experts, et cela exclut la participation des personnes étiquetées elles-mêmes avec des déficiences psychiatriques, aboutit à une politique publique unique, inefficace et inutile, qui ne répond pas efficacement aux besoins des personnes qu'elle est censée desservir.
Il existe un certain nombre de mythes et de stéréotypes qui mettent en danger les personnes auxquelles on a collé une étiquette psychiatrique. L'un est bien décrit comme étant l'attribution de la dangerosité. Je ne passerai pas en revue toutes les preuves à ce sujet, car vous venez tout juste d'en entendre largement parler. En dépit du fait que la disponibilité de l'information sur la dangerosité ne pose pas de problèmes pour les personnes qui ont séjourné dans le système psychiatrique, les groupes de pression et les gouvernements entretiennent souvent les craintes du public pour justifier un traitement plus restrictif et plus envahissant des personnes ayant des antécédents psychiatriques.
Nous avons vécu cette expérience en Ontario où un projet de loi sur la santé mentale, qui n'a rien à voir avec la dangerosité, tire son nom de celui d'un homme souffrant de troubles mentaux qui a tué quelqu'un, ce qui insinue que toute personne assujettie à la législation est dangereuse et violente. Cette exagération de la dangerosité a le pire effet sur les personnes qui se trouvent dans le système judiciaire, dans lequel les gens sont détenus plus longtemps en dépit de preuves à l'effet qu'ils sont moins à même d'enfreindre la loi que des délinquants du même genre qui ne sont pas considérés atteints de troubles mentaux.
L'une des difficultés de déplacer la discussion portant sur l'association entre les gens qui se trouvent dans le système de santé mentale et la violence réside dans le raisonnement circulaire qui en découle. Si un crime particulièrement violent est commis, les gens disent: «Oh, cette personne est malade, psychotique, bizarre», si bien qu'il n'y a aucun moyen de sortir du débat, même si elle n'était pas considérée comme souffrant d'un trouble mental ou émotionnel particulier avant de commettre l'acte.
Nous avons besoin d'une campagne nationale d'éducation vraiment organisée par les gens visés par ces préjugés parce que le médium est également le message. C'est l'une des limitations de bon nombre des programmes éducatifs qui ont été mis en œuvre jusqu'à présent, la diffusion de l'information reposant principalement sur des professionnels.
Un autre stéréotype qui touche le groupe est la croyance que les gens sont frappés d'incapacité. C'est vrai à la fois au sens général, dans les situations de travail par exemple, et également dans les situations de traitement au sein du système psychiatrique.
Une étude a révélé que la plupart des gens qui sont considérés atteints d'une grave maladie mentale sont capables de prendre des décisions pour leur traitement comme les personnes se trouvant dans d'autres secteurs du système de soins de santé. Néanmoins, certaines provinces associent l'admission involontaire dans un hôpital à une incapacité de ces gens de prendre des décisions concernant leur traitement.
Très souvent, lorsque les gens sont jugés incapables de décider d'un traitement dans les provinces qui font la distinction entre les deux, cela a tendance à suivre la personne concernée et ceci indique qu'elles ne veulent pas suivre le traitement proposé par le médecin. Si la capacité est jugée équivalente à l'observation, cela rend tout le concept du consentement dénué de sens.
Un autre mythe qui fait du tort aux survivants de la consommation psychiatrique est que la coercition est nécessaire pour votre propre bien et qu'elle donne de bons résultats pour les gens. Dans les établissements psychiatriques, certaines pratiques coercitives seraient jugées criminelles si elles étaient appliquées à des personnes qui ne seraient pas en premier lieu déshumanisées par l'étiquette de patients psychiatriques. Pour le simple fait d'avoir élevé la voix, vous pouvez être malmenés par plusieurs hommes; dans certains établissements, on peut vous dévêtir, vous attacher à un lit et vous donner des injections de médicaments puissants contre votre gré. La confession d'un sentiment suicidaire peut entraîner l'enfermement d'une personne dans une petite pièce sans rien avoir à faire ou à voir, son isolement loin de toute compagnie, l'obligation de se soulager dans un seau ou sur le sol. Cogner à répétition sur la porte pour obtenir l'attention du personnel en vue d'aller aux toilettes entraînera un confinement pour indiscipline.
Dans le système de santé mentale lui-même, on sait pertinemment bien que ces pratiques sont courantes et, pourtant, il est extrêmement difficile pour les personnes qui sont dans le système de faire en sorte que l'on se penche sur ces abus car les gens ne sont pas considérés comme des êtres crédibles par rapport aux personnes qui gèrent les services à l'intérieur du système.
Définir les gens en fonction de leur diagnostic psychiatrique constitue un autre élément qui alimente le stigmate contre les personnes qui séjournent dans le système de santé mentale. Les diagnostics psychiatriques ne sont pas extrêmement fiables au sens scientifique et pourtant on s'y fie totalement pour définir les besoins des gens dans le système de santé mentale. Il serait beaucoup plus habilitant pour les gens s'ils pouvaient choisir parmi un éventail de services plutôt que de se voir proposer un éventail de services en fonction de leur diagnostic.
Certains diagnostics sont plus péjoratifs que d'autres, notamment pour les psychopathes et les schizophrènes. Toutefois, je ne peux pas entrer dans les détails à ce sujet. Ils transportent avec eux un certain nombre d'hypothèses erronées, avec un certain nombre de résultats préjudiciables.
Le fait de trop se fier aux explications médicales pour justifier la présence de gens dans le système psychiatrique constitue une autre façon d'exclure la voix des survivants de la consommation dans le système de santé mentale lui- même. Il se trouve que nous vivons à une époque où les gens qui sont différents ou éprouvent des difficultés de nature mentale ou émotionnelle sont appelés des «malades». Au départ, cela a commencé avec de bonnes intentions. En comparant les gens qui se trouvent dans le système de santé mentale à ceux qui se trouvent dans le système de santé physique, je pense que l'intention initiale consistait à dire que les gens ne sont pas plus à blâmer pour leurs difficultés que ceux qui se trouvent dans le système de santé physique. Néanmoins, la comparaison a été appliquée de façon exagérée jusqu'au point où les histoires, les difficultés et les explications concernant les besoins des personnes présentes dans le système de santé mentale sont souvent négligées. Voici un exemple frappant. Même si bien des recherches ont démontré que la majorité des personnes qui se trouvent dans le système psychiatrique ont survécu à des abus, cette situation n'est presque jamais abordée directement pendant que les gens se trouvent dans le système de santé mentale. Ce qui est pire encore, c'est d'essayer d'obtenir de l'aide pour des abus qui peuvent survenir dans le système psychiatrique, alors que des recherches ont également démontré que cela est fréquent.
La réalité, c'est que nous sommes compliqués. Il existe de nombreuses explications variées pour justifier ce que nous sommes devenus aujourd'hui — l'expérience de vie, l'économie, la biologie — il reste encore à définir le cercle de cause à effet entre l'esprit et le cerveau. L'invalidation du point de vue du survivant de la consommation, en imposant un modèle à toutes les histoires des gens, doit prendre fin.
La survente de remèdes pharmaceutiques à ces gens résulte de ce problème. Peu importe le problème et la source de douleur qu'elles déclarent, près de 100 p. 100 des personnes qui se trouvent aujourd'hui dans le système de santé mentale se voient offrir, ou souvent forcées, de prendre des médicaments psychiatriques.
Cela arrive souvent sans que le médecin prescripteur respecte convenablement les exigences en vue d'obtenir un consentement éclairé, si bien que même les gens qui considèrent bénéficier des médicaments et qui choisiraient de les prendre sont contrariés par le fait de ne pas avoir été avertis adéquatement des risques concernés. C'est encore pire pour les gens qui n'ont pas choisi de prendre les médicaments volontairement.
Les risques des médicaments psychiatriques sont extrêmes. Ils peuvent souvent entraîner des dommages permanents au cerveau, même quand on les prend pendant de courtes périodes. Les gens estiment qu'ils ont le droit d'être informés convenablement.
L'une des pires choses qui surviennent est que des gens meurent pendant leur séjour dans le système de santé mentale. Parmi les autres problèmes, citons la discrimination et le manque d'attention aux besoins de soins de santé physique. Cela a déjà été mentionné. En outre, la dénégation des répercussions négatives des médicaments psychiatriques a entraîné des décès.
Nous avons demandé instamment des enquêtes sur les décès de personnes qui sont mortes de symptômes courants avec les médicaments qu'elles prenaient. Le Bureau du coroner de l'Ontario n'a fait aucune enquête sur ces décès. Nous avons l'impression que nos vies ont peu d'importance comparativement à la réputation des professionnels.
À l'heure actuelle, de puissantes forces politiques et financières s'opposent à tout changement au système de santé mentale en place de la part des survivants de la consommation. Toutefois, le système doit changer. Les personnes qui ont vécu dans le système psychiatrique au Canada ont besoin de votre aide pour trouver un moyen de le faire.
Nous avons des recommandations. J'en aborderai quelques-unes. L'une est la nécessité d'avoir un programme d'éducation national. Il faudrait lancer une campagne dirigée vers les survivants et orchestrée par eux pour contester le préjugé dévastateur et la discrimination qui existent dans notre collectivité.
Nous avions bien un programme d'éducation à l'échelle de l'Ontario qui était mis en œuvre par les survivants de la consommation. Il était très populaire et impressionnait les gens parce qu'ils entendaient parler les personnes sur lesquelles ils avaient de fausses croyances. Malheureusement, ce programme n'a plus de financement à l'heure actuelle.
Les survivants de la consommation psychiatrique ont également besoin d'un organisme national de défense de leurs droits juridiques pour se pencher sur les violations des droits en vertu et en dehors de la loi. Cet organisme doit rendre compte aux survivants de la consommation. Il doit bénéficier d'un financement fédéral pour éliminer le conflit d'intérêt que les provinces pourraient percevoir en appuyant un organisme de défense de la santé mentale en vue de minimiser la disparité au niveau de l'attention accordée aux systèmes de santé mentale et à la voix des survivants de la consommation dans les provinces et les territoires. Un tel financement éviterait une duplication inutile des efforts et permettrait d'exercer un certain niveau d'examen de la législation pancanadienne sur la santé mentale. Un tel organisme pourrait également servir de bureau centralisateur de l'information dont les intervenants ont besoin à travers le pays.
Chaque établissement psychiatrique a besoin d'un système de promotion indépendant. Il doit rendre compte aux survivants de la consommation. Les organismes et les services qui existent pour aider les survivants de la consommation doivent rendre compte aux gens qu'ils sont censés desservir.
Les initiatives des survivants de la consommation et la solution de rechange au traditionnel service de soins de santé mentale se sont révélées extrêmement efficaces par le fait que la personne les préfère aux autres services de santé mentale. Elles sont également rentables. Il a été prouvé qu'elles réduisent considérablement les jours d'hospitalisation, si bien que les économies atteindraient des millions de dollars à l'échelle nationale. Ne devrait-on pas accorder un meilleur financement à une telle initiative sur une base nationale?
La législation et la politique publique touchant les survivants de la consommation ne devraient pas être rédigées sans une participation et une consultation significatives des personnes qui en seraient affectées.
Les normes concernant les crimes haineux devraient également s'appliquer aux crimes contre les personnes considérées déficientes mentales. Il faut une aide au revenu pour atteindre des niveaux permettant aux gens de mener une vie saine et de participer au sein de la société. Les ressources qui se trouvent dans le système de santé mentale devraient être attribuées par le biais d'un processus qui rend des comptes aux survivants de la consommation sur une base individuelle et systémique.
Il faut qu'il y ait des choix véritables dans le service de santé mentale. Bon nombre de recherches ont démontré qu'il y a des services et des approches qui sont plus efficaces, plus souhaités et plus économiques que la plupart de ceux qui existent à l'heure actuelle.
Un conseil national de recherches, composé d'universitaires et de survivants de la consommation, doit être mis sur pied pour examiner les meilleures pratiques en dehors du cadre du système actuel. Enfin, nous vous encourageons à adopter l'extrait qui se trouve à la fin du document que vous avez sur le système de soins de santé axé sur les patients.
Je tiens à conclure en mentionnant que nous comprenons que vous tiendrez peut-être des audiences à Toronto. Notre organisme offre d'organiser pour vous une consultation auprès de survivants de la consommation pour que vous puissiez parler à des représentants de divers groupes parmi ces survivants.
Le sénateur Fairbairn: C'est merveilleux pour vous d'être ici mais très triste et troublant d'entendre vos exposés, raison pour laquelle nous tenons ces audiences. Lorsque nous avons tenu l'audience générale, cette question semblait s'y faufiler comme un fil conducteur jusqu'au point où il fut nécessaire d'inclure de tels exposés.
Monsieur Storey, vous avez parlé de la frustration des patients qui se trouvent dans un hôpital ou un établissement et attendent pour en sortir. Il s'agit d'un point de vue provenant de la Colombie-Britannique. Cela m'a amené à vérifier auprès de notre experte d'Ottawa, notre vice-présidente, pour déterminer si je comprenais bien la situation.
Mon mari a travaillé ici même, à l'Hôpital Royal d'Ottawa, pendant un certain nombre d'années. Une grande frustration émane des lois qui empêchent virtuellement l'hôpital de garder des patients ayant besoin de suivre un traitement continu, si le patient choisit de ne pas le suivre. Les patients sont alors libérés dans la collectivité. Cette dernière n'est plus en mesure de leur fournir des soins convenables, si encore elle s'est jamais occupée convenablement de ces gens-là. Cela engendre une frustration énorme, un danger et un désespoir si une personne ne peut pas prendre ses médicaments par elle-même. Par la même occasion, il n'y a pas suffisamment d'établissements pour garantir la disponibilité de soins convenables.
L'un d'entre vous a-t-il un commentaire à faire sur cette situation au Canada?
Mme Chambers: En Ontario, un nombre croissant de services ont élaboré un système coercitif pour s'assurer que les gens qui quittent les hôpitaux continuent à prendre leurs médicaments. Nous estimons qu'il s'agit d'une approche problématique parce qu'il existe de nombreux services auxquels les personnes quittant les hôpitaux psychiatriques aimeraient avoir accès, mais dont l'offre n'est tout simplement pas suffisante.
Le Gerstein Crisis Centre à Toronto, centre de crise modèle non médical, en est un exemple. C'est un endroit agréable où les gens peuvent aller, qui ne déclenche pas tout un processus légal.
Il y a des files incroyablement longues de gens qui essaient d'utiliser de telles institutions. Les gens ne peuvent pas y avoir accès. Pourquoi ne pas épuiser tous les services auxquels les gens essaient d'avoir accès avant de les obliger à obtenir des services qu'ils ne veulent pas?
Le sénateur Fairbairn: Il est troublant de vous entendre parler de la façon dont le stigmate pénètre dans un domaine déjà délicat, à savoir le système de justice pénale. Pourriez-vous faire des commentaires sur l'état des services, comme vous en prendriez connaissance lorsqu'un patient a commis un crime? Cette personne vivrait une période réglementée avec des soins formidables. Ensuite, elle pourrait se retrouver en situation de libération partielle, quoique non totale.
À votre avis, dans quelle mesure la société est-elle disposée à accepter ce jugement dans la perspective d'un retour? Il est difficile pour une personne en bonne santé, qui se trouve dans le système de justice pénale, de réintégrer la collectivité lorsque sa peine est augmentée. Qu'en pensez-vous du point de vue du système de santé mentale?
Mme Chambers: Mon expérience réside principalement auprès de gens qui se trouvent dans le système judiciaire — des gens qui ont été trouvés non responsables au criminel en raison d'un trouble mental ou qui sont inaptes à subir leur procès. M. Storey pourrait peut-être mieux aborder la question pour ce qui est des gens issus du système correctionnel. Les personnes arrivant du système judiciaire rencontrent une plus forte discrimination que n'importe qui d'autre dans le système psychiatrique. L'étiquette «aliéné mental criminel» ne pourrait pas être plus négative. Cette étiquette condamne les gens à rester dans le système, peu importe ce qu'ils ont fait. Des gens se trouvent dans le système pour avoir volé une bicyclette ou pour avoir dit à quelqu'un qu'ils mourraient un certain jour et pas forcément pour avoir menacé de blesser quelqu'un ou pour avoir commis un acte violent. On peut les garder 10 à 15 fois plus longtemps que s'ils avaient plaidé coupables au crime. Ensuite, lorsqu'on essaie de les réinsérer dans la collectivité, on fait face à une résistance incroyable de cette dernière. Il n'y a pas de centres de transition pour les personnes qui sortent du système judiciaire. Aucun quartier ne les acceptera. Cela rend la transition difficile.
Dans le Centre de toxicomanie et de santé mentale, il y a un établissement à sécurité moyenne qui a fait face à un formidable ressac de la collectivité contre l'idée d'avoir un tel établissement dans le voisinage pour les personnes en transition vers la collectivité, même s'il n'y a pas eu d'incidents.
Pour cette population de gens en particulier, il faut déployer des efforts spéciaux en matière d'éducation. Les gens qui sont dans le système de santé mentale pensent que chaque personne dans ce système est violente et dangereuse. Tel que mentionné précédemment, des preuves démontrent que les gens atteints d'une maladie mentale qui ont commis des crimes violents ont moins de chances de récidiver que les personnes qui se trouvent dans le système correctionnel sans étiquette psychiatrique.
La vice-présidente: Voulez-vous faire des commentaires à ce sujet, monsieur Storey?
M. Storey: Je peux faire des commentaires sur plusieurs choses. Les gens qui se trouvent eux-mêmes dans la population psychiatrique judiciaire font assurément l'objet d'une discrimination indue. Il y a quelques années, la Colombie-Britannique a bâti un établissement psychiatrique ultramoderne pour les personnes atteintes d'une maladie mentale et en conflit avec la loi. Il paraissait bien; il était bien conçu pour offrir une sécurité maximale à minimale, et les gens pouvaient vivre dans un environnement qui ressemblait davantage à leur foyer et pouvaient avoir accès à la collectivité.
En dépit du fait que tous ces bâtiments étaient parfaitement sécuritaires en eux-mêmes et par eux-mêmes sans clôture extérieure, la collectivité entourant cet établissement a insisté pour qu'une clôture soit érigée autour de l'établissement, ce qui était assez marquant.
Pour ce bâtiment sécuritaire, il suffisait de cliquer deux ou trois fois sur la souris de l'ordinateur pour faire passer tout l'établissement d'une sécurité minimale à maximale. C'était impressionnant, si de telles choses vous impressionnent. Malgré toutes ces précautions internes, la collectivité a insisté pour que l'on érige une clôture en grillage autour de l'établissement. Ce fut un étalage intéressant de ces valeurs communautaires.
Cela ne s'applique pas uniquement aux personnes en conflit avec la loi. Lorsque j'étais président du Conseil de l'Hôpital Riverview, la collectivité avait acheté une maison permettant d'héberger six personnes de l'Hôpital Riverview. J'ai assisté à une réunion publique destinée à étudier cette question. L'indignation et la crainte affichées par la population étaient remarquables. Les gens paniquaient. Ils avaient peur que leurs enfants subissent des agressions sexuelles. Cette maison était destinée à six femmes, dont la plus jeune avait 50 ans. Lorsque nous leur en avons fait part, cela n'a pas changé leur réaction. Vous pouviez voir des battements de paupière rapides dans l'auditoire et cela a semblé modérer les points de vue de certaines personnes. Toutefois, il y avait celles qui frappaient sur la table. Ces femmes allaient apporter une contribution significative à la collectivité une fois qu'elles auraient trouvé leur place. Et pourtant, il y avait un vent de protestation incroyable contre cette maison.
La vice-présidente: C'était le syndrome «pas dans ma cour».
M. Storey: Exactement.
Le sénateur Fairbairn: Si vous le permettez, je voudrais faire une dernière observation rapide. La vie m'a amené à passer beaucoup de temps avec nos athlètes handicapés physiques — nos athlètes paralympiques. Cela m'a entraîné, à maintes occasions, à assister à des événements impliquant les Jeux olympiques spéciaux. Je ne peux parler que de mon expérience personnelle et je n'ai jamais été une personne hostile mais, comme la plupart des gens, j'ai besoin de plus d'éducation et d'avoir la possibilité de me mélanger avec les gens. Je n'aurais jamais pu penser à un mouvement qui incite davantage les gens à se comprendre et à se sentir bien, extrêmement fiers et excités à propos des choses réalisées par le biais des sports, que ces athlètes jeunes et plus âgés. On semble capable de traverser une ligne et d'inciter ceux qui se trouvent de l'autre côté à oublier la ligne.
Dans votre travail, si vous voulez avoir beaucoup de plaisir et rencontrer un groupe de gens enthousiastes et inspirants, vous voudrez peut-être perfectionner cet élément de notre monde sportif. C'est une arène dynamique à travers tout le pays.
Le sénateur Callbeck: J'aimerais vous poser une question sur le niveau de discrimination dans le stigmate qui est rattaché à la maladie mentale. Est-il en hausse ou en baisse? J'ai lu quelque part que le stigmate s'était quelque peu intensifié au cours des quatre dernières années. Pourrions-nous entendre vos commentaires sur ce sujet? Assurément, le public est davantage sensibilisé, nous comprenons mieux la maladie mentale et il y a de meilleurs traitements disponibles.
À votre avis, la discrimination a-t-elle augmenté ou diminué?
Mme Stuart: Nous disposons de deux sources de preuves pour aborder cette question. L'une est une étude canadienne qui a débuté dans les années 50 dans une petite ville de la Saskatchewan. Nous avons acquis une certaine réputation dans le monde entier pour cet effort particulier. Une équipe composée d'un mari et de sa femme est allée dans une petite ville avec l'idée d'éduquer les gens sur le stigmate et d'essayer de changer leurs attitudes. Le livre qu'ils ont écrit par la suite est intitulé «Closed Ranks». Ils lui ont donné ce titre parce qu'il y a eu une réaction terriblement défavorable et que les habitants de la ville les ont pratiquement obligés à partir. Ils ne voulaient rien savoir des recherchistes.
Vingt-cinq ans plus tard, une autre équipe s'est rendue sur place et a étudié la même ville en utilisant les mêmes échelles. Ils ont décelé pratiquement les mêmes types d'attitudes car très peu de choses avaient changé en 25 ans pour les 12 ou 13 éléments différents qu'ils avaient mesurés. Le changement qu'ils ont constaté allait dans la bonne direction. Nous disposons aussi de bonnes preuves en provenance d'Allemagne qui révèlent que, chaque fois qu'il y a un incident impliquant une personne atteinte d'une maladie mentale ou attribuable à quelqu'un ayant une maladie mentale, il y a un ressac terrible au sein de la collectivité. Les attitudes deviennent négatives et elles ne reviennent jamais à leur niveau de départ.
Vous constatez actuellement l'effet CNN. Vous pouvez regarder les nouvelles et voir dans votre salon des incidents provenant de partout dans le monde. Ils ne font même plus l'objet de reportages sensationnalistes; ils sont simplement enregistrés et diffusés. Vous pouvez les voir pour vous-même.
Connaissant la réaction tirée de l'étude allemande, vous avez probablement raison. Je pense que cela a eu tout dernièrement une répercussion sur les attitudes du public en raison du caractère impressionnant de ces incidents et des genres de choses qui se sont passées.
Mme Chambers: Cela dépend un peu de vos définitions des termes «préjugé» et «discrimination». On a mentionné plus tôt des informations à l'effet que de nombreuses personnes acceptaient l'idée que la schizophrénie est d'origine biologique. Certaines personnes estiment que ce sont de bonnes informations à avoir.
D'autres disent plus clairement que leur problème est enraciné dans l'expérience de vie. Exclure leur histoire du débat leur semble préjudiciable parce qu'elle touche tout ce qui arrive.
Récemment, le gouvernement ontarien a adopté le modèle américain qui consiste à nommer un projet de loi sur la santé mentale d'après le nom d'une victime d'un crime commis par un malade mental. C'est horriblement préjudiciable pour quiconque a déjà eu une étiquette psychiatrique en Ontario.
Le sénateur Callbeck: Je tiens à éclaircir un élément qui me trotte dans la tête. Vous avez tous les deux parlé des choses à faire pour se débarrasser de la discrimination.
Madame Chambers, si j'ai bien compris, vous avez déclaré que nous avons besoin d'une campagne nationale. Mme Stuart, j'ai cru vous entendre dire que ce n'est pas ce qu'il nous faut. Il n'y a pas de solution unique.
Mme Chambers: Jusqu'à présent, les campagnes nationales n'ont pas été menées par des personnes victimes des préjugés. Durant les deux années où nous avons fait cela en Ontario, nous avons constaté qu'une véritable rencontre avec les personnes victimes des préjugés faisait toute une différence. C'est ce qui manquait et c'est ce qu'il nous faut.
Mme Stuart: Il nous faut un leadership national et un programme national. Je ferais la distinction entre le fait qu'une campagne est un simple feu de paille, un tape-à-l'œil très visible, pas une approche soutenue de l'anti-stigmate.
Nous avons 27 pays impliqués dans notre programme. Nous avons besoin d'un leadership national. Nous avons besoin de coordination, mais nous devons cibler les interventions pour nous attaquer aux idées fausses spécifiques des populations avec lesquelles nous traitons.
La police a certaines idées sur les malades mentaux. Elle a besoin de certains types d'interventions. Elle est importante parce qu'elle traite avec ces gens en permanence.
Le personnel des salles d'urgence pose également un problème. Il faut l'approcher d'une façon différente. Un membre de la famille a besoin d'un autre type d'intervention.
Les interventions doivent constituer des efforts coordonnés. Une approche unique du gouvernement fédéral du genre anti-drogue ne serait pas une réaction appropriée dans ce cas. Je ne veux pas insinuer que nous n'avons pas besoin d'un effort national coordonné.
Le sénateur Callbeck: Monsieur Storey, vous êtes le président du Conseil consultatif du ministre sur la santé mentale en Colombie-Britannique. Je remarque que les priorités pour 2001-2002 comportaient une éducation du public et une formation de la main-d'œuvre pour réduire la discrimination. Quels genres d'initiatives avez-vous mis en oeuvre?
M. Storey: C'est une bonne question. Le ministre d'État m'avait confié une tâche dans le cadre de l'un des quatre objectifs que le Cabinet lui avait ordonné de chercher à atteindre. Il est arrivé à la conclusion qu'une vaste stratégie provinciale d'éducation du public n'est pas la meilleure façon de procéder. Il estime qu'une approche plus ciblée, comme l'a décrite Mme Stuart, constitue la meilleure approche.
Par conséquent, cette initiative a essentiellement été reléguée aux oubliettes. Je ne suis pas certain de son statut. Le conseil n'était pas impliqué directement dans cette situation.
Je sais que le chapitre de la Colombie-Britannique de l'Association canadienne pour la santé mentale (ACSM) est très présent dans les milieux de travail pour accroître la sensibilisation au nom des malades mentaux au travail, afin de pouvoir faire les ajustements appropriés au besoin, et que les préjugés et la discrimination diminuent en milieu de travail. L'ACSM est très impliquée dans tout cela. Ce serait une bonne source de renseignements, surtout dans le domaine de l'éducation en milieu de travail.
La vice-présidente: À votre connaissance, la Colombie-Britannique est-elle la seule province qui a un ministre d'État à la Santé mentale?
M. Storey: En autant que je sache, oui. C'est unique. Je peux vous donner un exemple dans lequel cela a été efficace.
Le gouvernement a décidé dernièrement d'effectuer un examen des prestations d'invalidité pour les gens ayant tous les types de déficiences. Vous pouvez imaginer la consternation que cela a causé parmi ceux qui dépendent des prestations d'invalidité et vivent dans une région où le coût de la vie est élevé. Cela pourrait avoir une signification importante pour leur qualité de vie.
Nous avons réagi à ce projet en conseillant au ministre Cheema de décourager le ministre Cole, qui est responsable des régimes d'invalidité, d'entreprendre cet examen. Nous pensions qu'il pourrait y avoir des moyens moins dérangeants de rétablir l'admissibilité des gens à ce niveau de prestations.
Grâce à l'intervention du ministre Cheema auprès du ministre Cole, 5 000 personnes ont été identifiées avec une maladie mentale d'incapacité 2, qui est le niveau de versement le plus élevé, et elles n'ont pas eu à subir ce processus.
Même durant cette période de six semaines de doute et d'insécurité, il y a eu plusieurs suicides parmi les malades mentaux en rapport avec ce processus. Il a provoqué du stress, de la consternation et des craintes.
Cela a été bon d'avoir un ministre d'État.
La vice-présidente: Nous devrions examiner cela comme modèle.
Le sénateur Roche: Madame Stuart, je voudrais parler de la question des attitudes, que vous avez abordée précédemment. Je pense que vous avez dit que les connaissances ne suffisent pas pour changer les attitudes des gens. Je suis d'accord avec cela. Vous avez parlé ensuite de cibler les connaissances — en donnant certains types d'informations à certains types de gens.
Dans notre société, nos progrès sont-ils entravés pour ce qui est de fournir la bonne sorte d'aide médicale, sociale et éducative aux malades mentaux? Une attitude pernicieuse de l'ensemble de la société nous gêne-t-elle en général? Avons-nous peur d'une personne malade mentale? Pensons-nous qu'elle va nous causer du tort?
Vous devriez me dire si cela est vrai. Si c'est vrai, avons-nous besoin de renseignements généraux, indépendamment des particularités entourant certains types de situations?
Lorsque vous modifiez l'attitude de la société à l'égard d'un problème, bien des choses peuvent arriver. Le tabac, l'alcool et la conduite automobile en sont des exemples. Je travaille dans le domaine de la paix. Nous essayons de changer l'attitude des gens à l'égard de la paix.
Pourriez-vous approfondir un peu plus pour moi la question de l'attitude de la société à l'égard d'un tel sujet? Voici la maladie mentale. Comment pouvons-nous vraiment changer l'attitude de la société et la faire passer sur une voie active et positive?
Mme Stuart: Les épidémiologistes parlent en termes de populations. L'une des leçons les plus difficiles que j'ai jamais apprises, lorsque j'ai contribué à la campagne de l'Association mondiale de psychiatrie, a été qu'il n'existe pas de telle chose qu'une population en général. Il n'y a pas de chose comme la société. La société est composée de groupes différents, dont chacun a un point de vue différent et vit des expériences différentes.
Par conséquent, vous devez penser en premier lieu à segmenter votre auditoire, comme le ferait un spécialiste du marketing, et vous interroger sur ce qui caractérise ce genre d'auditoire particulier qui se trouve sur leur chemin? Pourquoi ne peuvent-ils pas aborder ce problème convenablement?
La majeure partie du temps que nous consacrions consistait à nous demander ce que pensent les policiers et les travailleurs de la santé. Pourquoi les travailleurs de la santé font-ils tant de stigmatisation? Ils figurent parmi les personnes les plus informées sur la maladie mentale dans notre société. On les identifie invariablement comme les gens qui sont les pires contrevenants.
Ce n'est pas simplement une question de connaissance. Lorsque nous avons parlé de cibler les choses, nous essayions de cibler les expériences. Nous avons réfléchi que nous devions les amener à un niveau émotionnel. Nous devions les amener à se rendre compte que tout leur système de croyances était quelque peu injustifié. L'une des meilleures façons de le faire a consisté à construire des situations dans lesquelles les malades mentaux pouvaient rencontrer des gens qui n'avaient peut-être jamais rencontré une personne atteinte d'une maladie mentale, dans des situations contrôlées et constructives. Ces personnes ont parlé de leur maladie mentale. Elles ont transmis des renseignements factuels mais, élément plus important, elles ont transmis des informations à un niveau humain. C'est ce qui a fait la différence. Cela a fait une différence non seulement pour les gens qui ont reçu le message, mais également pour les personnes qui l'ont livré. Elles se sentaient beaucoup mieux. Elles estimaient avoir participé quelque peu à un processus constructif, ce qui a fait augmenter leur estime de soi.
Je ne pense pas que nous puissions le faire d'un grand coup de pinceau. Nous ne pouvons pas regarder la société dans son ensemble et dire que nous prendrons un élément et que nous le réparerons. C'est un problème complexe. Nous devons cibler et comprendre les groupes et comprendre leurs obstacles et leurs enjeux. Ensuite, nous devons concevoir un moyen de les mettre en contact avec les gens dans une situation constructive afin que l'expérience émotionnelle neutralise quelque peu toutes ces autres idées préconçues que nous avons. Nous espérons également que ces personnes n'écouteront pas les nouvelles le lendemain et ne verrons pas étalé à la une le fait qu'un malade mental a présumément commis un crime. Lorsque nous essayons de faire des choses de ce genre, nous avons tendance à nager contre le courant.
Ce n'est pas une réponse directe à votre question mais nous n'avons pas encore trouvé le moyen de faire ce que vous venez de demander.
Le sénateur Roche: Je trouve votre réponse utile. Vos collègues voudraient peut-être ajouter un commentaire.
Mme Chambers: Une autre chose qu'il faut changer sur un plan structurel pour améliorer les attitudes c'est le fait qu'aussi longtemps que le système de santé mentale sera un endroit effrayant, aussi longtemps que les gens pourront faire l'objet d'abus avec très peu de recours, tout cela se rattachera au préjugé global à l'égard des gens ayant un diagnostic psychiatrique. C'est une chose effrayante. Si vous vous comportez d'une façon trop étrange, ils viendront vous chercher et vous emmèneront pour vous mettre dans ce lieu effrayant. Si les services rendaient davantage compte aux personnes qu'ils desservent, étaient plus ouverts, plus agréables, et constituaient une meilleure partie du flux de la société, les gens diraient: «Si jamais je passe un moment horrible, il est bon de savoir qu'il y a une place accueillante où je peux aller demander du soutien». La vision selon laquelle il vous faudrait être dans une situation vraiment mauvaise pour aller à l'un de ces endroits est l'attitude du grand public à l'égard du système psychiatrique, avec quelque raison. C'est la partie du changement structurel qui doit intervenir pour changer les attitudes.
Le sénateur Roche: Vous êtes tous en faveur d'une stratégie nationale coordonnée qui ciblerait des types spécifiques de renseignements et peut-être des programmes. Je suis toujours réticent à me rapprocher de l'épineuse question canadienne des relations fédérales-provinciales, mais où réside la principale responsabilité pour mettre en œuvre une telle stratégie coordonnée à l'échelle nationale ayant des cibles différentes? Où se situerait cette responsabilité principale?
Mme Stuart: À l'heure actuelle, il n'y a pas de place pour cela, cela n'existe pas. Les structures qui étaient en place au gouvernement fédéral et qui s'intéressaient à la santé mentale ont été démantelées. La plupart des provinces n'ont pas de centre d'intérêt au niveau provincial pour aborder les problèmes de santé mentale. La Colombie-Britannique est une exception admirable à cette règle. Vous devrez créer des structures. C'est la responsabilité de tous et chacun. Elle ne peut pas être confiée à un groupe. C'est un problème trop important. Les différents paliers de gouvernement peuvent intervenir dans différents domaines. Au niveau fédéral, il peut y avoir la promotion de la santé, la promotion de la politique de santé publique. Au niveau provincial, ce pourrait être au niveau de la prestation directe des soins de santé, tout en s'assurant que les programmes et les politiques, et leurs secteurs des services sociaux et de la santé, ne font pas de discrimination. C'est quelque chose qu'un gouvernement provincial pourrait faire. Cela pourrait survenir au niveau municipal pour s'assurer que les règlements n'ont pas exclu le logement par voie de zonage afin que les malades mentaux puissent avoir pour vivre des endroits qui ne sont pas trop éloignés en dehors de la ville.
Le sénateur Roche: Nous aurons besoin de quelque chose pour faire avancer le dossier. J'espère que notre rapport pourra servir d'instrument pour dire au gouvernement fédéral qu'une certaine forme d'orientation, de stratégie nationale, est nécessaire.
Mme Chambers: J'aimerais souligner que, de concert avec l'idée d'éduquer les gens, il est important d'avoir une ressource nationale en matière de défense légale de la santé mentale ayant des comptes à rendre aux consommateurs. Ce ne sont pas seulement les préjugés dans la collectivité en général, mais en particulier les préjugés et la discrimination dans le système de santé mentale lui-même — c'est permis en vertu de la loi — qu'il faut aborder. Il est crucial d'impliquer ces deux éléments.
Le sénateur Roche: Enfin, j'ai une question portant encore sur le stigmate. M. Storey a commencé à essayer de nous éloigner du mot «stigmate», mais j'ai remarqué qu'il n'a pas réussi totalement avec Mme Stuart. Vous pouvez imaginer où je me situe, car je ne connais pas la différence entre le stigmate et la discrimination. Pouvez-vous me rappeler pourquoi le mot «discrimination» est meilleur que le mot «stigmate»? Je commençais à saisir que peut-être l'utilisation du mot «stigmate» est elle-même un acte discriminatoire. Est-ce aller trop loin? Pourquoi le mot «discrimination» est-il meilleur que le mot «stigmate»?
M. Storey: Je n'avais pas pensé à ce problème avant notre forum public. Ce fut intéressant de constater que tant de personnes qui vivent avec une maladie mentale en ont parlé. Elles n'aimaient pas le mot «stigmate», le nom, tandis que «discrimination» est le verbe, l'action, comme l'a mentionné Mme Stuart.
Nous devons nous concentrer davantage sur les actions qui blessent les gens ou défavorisent les gens atteints d'une maladie mentale, par opposition à ce que la plupart des gens estiment être ce mot impuissant, ce mot qui décrit un phénomène socioculturel, bien que regrettable. Il ne semble pas avoir la force que possède le mot «discrimination».
Les gens estimaient que nous étions à un point crucial où ils voulaient faire intervenir les avocats. Ils voulaient commencer à poursuivre, à entamer des poursuites collectives, car il leur semblait que les progrès que les autres groupes avaient réalisés étaient effectués de cette façon, en ciblant la discrimination et les inégalités qui surgissaient dans leur vie. Il y avait beaucoup de colère et d'impatience à ce moment-là chez les gens auxquels nous avons parlé. Dans leur esprit, ils estimaient que le «stigmate» était un mot moins fort que la «discrimination».
Mme Stuart: J'aime penser dans une perspective plus vaste, parce que je sais que les gens qui ont des attitudes négatives n'agissent peut-être pas forcément directement sur elles. Je pense à la discrimination comme étant un acte commis. Vous avez une attitude négative et vous avez délibérément fait quelque chose pour gêner quelqu'un d'autre.
Plus insidieux est le fait que vous pouvez négliger de faire quelque chose simplement en vertu du fait que vous pensez que ce n'est pas important. Vous pouvez avoir une attitude négative ou mettre quelque chose en veilleuse. J'aime penser qu'il y a autant, voire plus de tort causé par ces actes omis, à chaque niveau de la politique ou à chaque palier de gouvernement. Nous pouvons cibler la discrimination déclarée et il y a assurément d'énormes problèmes là, mais j'aimerais voir cela aller encore plus loin. J'aimerais que l'on se penche également sur les actes d'omission. Si nous pouvions arriver au stigmate et aux attitudes qui sous-tendent ces deux choses, nous serions peut-être dans une meilleure position. Je reconnais que cela est difficile à faire. Parfois, il est plus facile de se pencher sur les actions.
Le sénateur Roche: Vous souhaiteriez nous voir utiliser le mot «stigmate».
Mme Stuart: Je n'ai pas de préférence. Le stigmate est l'attitude et l'action est la discrimination.
La vice-présidente: N'avez-vous pas raison tous les deux? Le stigmate est le problème et la discrimination est l'action du problème.
Le sénateur Cordy: Lorsque nous étions en train de rédiger notre rapport sur la santé, nous avons découvert qu'il existait un grand vide dans les ressources consacrées à la santé mentale. De fait, nous pensions que cela était si grave qu'il fallait une étude séparée. Personnellement, je n'étais pas préparée pour les témoignages à vous arracher le cœur que nous allions entendre des témoins. Un certain nombre d'entre nous ont déclaré qu'après les témoignages nous sommes épuisés, parce qu'il s'agit de gens qui appellent à l'aide et qui nous demandent de faire quelque chose. Nous espérons que notre rapport sur la santé mentale sera le point de départ de quelque chose de bien.
J'aimerais revenir à la question du ministre d'État parce que je n'avais pas réalisé qu'il y avait un ministre d'État responsable de la santé mentale en Colombie-Britannique. Est-ce que ce rôle désigné aide à concentrer une attitude plus positive sur la situation critique de ces malades mentaux? Est-ce que cela aboutit à l'union des divers ministères? Nous avons entendu des témoignages de représentants du ministère de la Santé qui ne collaborent pas forcément avec ceux du ministère des Services communautaires, qui ne collaborent pas forcément avec les autres ministères gouvernementaux, sans parler des autres ONG gouvernementales au sein de la collectivité.
Pourriez-vous me donner quelques détails à ce sujet? Je cherche un point de départ à partir duquel le comité pourrait formuler des recommandations.
M. Storey: Je pourrais m'aventurer en terrain dangereux en discutant de ce sujet trop en détail. J'ai des sentiments mitigés. Avant que vous adressiez trop de félicitations à la province de la Colombie-Britannique — c'est un poste formidable avec beaucoup de potentiel et le ministre Cheema a été un bon ministre d'État à la Santé mentale. Il a une énergie sans bornes et a travaillé d'arrache-pied pour comprendre les enjeux dans la province. Il travaille énormément pour promouvoir les intérêts des malades mentaux. Cependant, il est ministre d'État, pas ministre à part entière. En dehors du budget dont il dispose pour son bureau, il n'a pas de budget. Il a deux employés — essentiellement une personne qui s'occupe de son emploi du temps et une qui l'aide dans sa recherche.
Bien qu'il ait accès aux autres ministres, et a utilisé son influence de son mieux, il y a d'autres programmes à respecter dans notre province. La régionalisation des autorités sanitaires a également limité considérablement son influence.
En raison de son charisme et de sa forte personnalité, il exerce une certaine influence sur les présidents directeurs généraux et les présidents du conseil des diverses autorités sanitaires. Toutefois, il n'a aucune influence réglementaire, ni aucune influence directe importante en tant que ministre d'État, sur les décisions qu'ils peuvent prendre dans les régions à propos des crédits destinés à la santé mentale.
Par conséquent, avoir un ministre d'État à la Santé mentale a été une bonne chose mais il y a eu des restrictions importantes à propos de la création de ce bureau et de la façon dont il peut fonctionner dans le contexte de la Colombie-Britannique.
Le sénateur Cordy: Il nage à contre-courant.
Je me pose également des questions à propos des ressources communautaires. Nous avons échappé aux années écoulées durant lesquelles une personne malade mentale était hospitalisée et restait là pour toujours. Heureusement, elle peut dorénavant sortir pour aller dans la collectivité. Cependant, nous avons entendu des témoignages d'autres personnes qui ont comparu devant nous à l'effet que les ressources communautaires font vraiment cruellement défaut. Les personnes qui sortent des hôpitaux, à moins d'avoir un soutien familial, sont souvent laissées à leur triste sort. Comment convaincre les ministères de la Santé ou les gouvernements que les services communautaires, pour les malades mentaux en particulier, sont aussi importants que les services qui leur sont offerts en milieu hospitalier?
Le Nouveau-Brunswick a utilisé l'expression «des hôpitaux sans murs». De fait, les services communautaires devraient être les hôpitaux sans murs. C'est certainement mieux que d'attendre — je pense que Mme Chambers a utilisé l'expression «un mauvais état» — d'attendre qu'une personne se retrouve dans un mauvais état et doive être réhospitalisée. Si nous pouvons offrir des services aux personnes qui souffrent d'une maladie mentale au sein de la collectivité, à mon avis tout le monde en ressort gagnant. Comment en convaincre les gouvernements?
Mme Chambers: Il y a un problème avec un manque de ressources communautaires, comme le logement par exemple. Il s'agit souvent d'une confusion entre la cause et l'effet pour ce qui est de cela. Les gens supposent que la principale cause de la clochardise est la désinstitutionalisation, avec la suggestion sous-jacente que les sans-abri devraient être dans des institutions. Quiconque a vraiment étudié la question vous dira que le manque de logements abordables est la principale cause de la clochardise, et qu'aucun service de santé mentale n'aidera personne, à moins de pouvoir trouver un logement adéquat. Les troubles mentaux constituent un motif courant pour se retrouver sans-abri, davantage que dans l'autre sens.
Ce n'est pas seulement de plus de ressources qu'ont besoin les services communautaires; c'est la façon dont l'argent est dépensé. Ce que nous a dit le milieu des survivants de la consommation en Ontario c'est que l'argent n'est pas dépensé convenablement. Des sommes faramineuses sont affectées aux services coercitifs, comme les équipes dynamiques de traitement communautaire qui peuvent rendre visite aux gens sur une base quotidienne pour s'assurer qu'ils prennent leurs médicaments. Ces ressources ne sont pas bien appuyées par des recherches probantes et elles ne sont pas populaires parmi les gens qui en bénéficient. Il n'y a pas suffisamment d'autres services que les gens souhaitent utiliser, avec de longues listes d'attente. Si l'argent était affecté à des services efficaces parce que les gens les veulent, et pas tant à des services qui leur sont imposés de force, il aurait un effet plus positif et ce serait de l'argent mieux dépensé.
Un autre exemple serait les initiatives des survivants de la consommation, comme les autres milieux de travail des survivants de la consommation qui ont créé des emplois pour des gens que l'on croyait auparavant incapables de les tenir. Elles ont permis d'économiser des sommes colossales parce qu'elles réduisent l'utilisation de lits d'hôpitaux. Elles sont rentables en plus d'être efficaces sur le plan humain.
Mme Stuart: Si vous posiez aujourd'hui la question à la plupart des gouvernements provinciaux, ils vous répondraient qu'ils ont les ressources communautaires. Ils pourraient probablement mentionner plus d'argent qu'ils n'en ont jamais investi dans les ressources communautaires par le passé. En Ontario, nous engloutissons beaucoup d'argent dans les ressources communautaires. Je ne pense pas qu'il faille les convaincre qu'il s'agit d'une chose importante à faire. Ils le savent déjà. Je pense qu'ils répondraient qu'ils le font. Si vous examinez l'argent qui est investi dans la collectivité, l'écart se trouve dans la façon dont l'argent est dépensé, au niveau de la responsabilité. Le poste pour lequel je vous donne de l'argent aujourd'hui n'est pas celui pour lequel vous le dépenserez demain. Au fil du temps, il n'y a aucun moyen de surveiller cela ou de s'assurer que l'argent que je vous ai accordé pour traiter les schizophrènes de cette façon ne sera pas détourné demain vers quelqu'un ayant des troubles alimentaires. Il y a un manque de responsabilité à propos de la façon dont l'argent est dépensé.
Le sénateur Cordy: Voulez-vous dire dépensé par le gouvernement?
Mme Stuart: Non, par les programmes qui bénéficient du financement. Ils rédigent une proposition pour obtenir un financement pour une certaine chose. Nous appelons cela la dérive des programmes. Six mois ou un an plus tard, l'argent a dérivé vers un autre programme. Les gens qui étaient supposés bénéficier de ce service au départ sont partis. Ils ne sont plus dans le décor et un autre programme demande davantage d'argent pour desservir cette population. Une fois qu'ils se rendent compte qu'ils sont difficiles à desservir, ou qu'ils n'ont pas de services correspondant aux besoins ou à l'expertise pour le faire, il y a de nouveau une dérive. Nous n'avons pas de moyen de garantir au niveau communautaire que l'argent demeure dans la collectivité et est protégé pour les raisons pour lesquelles il a été investi là en premier lieu; nous n'avons pas non plus de moyen de savoir que nous avons fait correspondre les services aux besoins. Par conséquent, nous avons tendance à utiliser les services à l'une des deux extrémités du spectre, des services exagérément coercitifs ou intensifs ou pas assez intensifs. Les gens n'obtiennent pas les choses dont ils ont besoin au milieu du spectre.
Le sénateur Cordy: Madame Chambers, vous avez fait ce commentaire dans votre exposé de clôture et je voulais d'autres explications. Je pense en avoir obtenu une partie lorsque vous parliez de la collectivité en disant qu'il faut avoir des choix véritables. Vous avez mentionné que les gens n'obtiennent pas forcément les ressources communautaires qu'ils souhaitent. Est-ce bien ce que vous vouliez dire en utilisant ce terme?
Mme Chambers: Oui. Par exemple, la plainte probablement la plus courante de la part de survivants de la consommation de services de santé mentale est qu'ils sont exagérément tributaires des médicaments. Les gens qui veulent du soutien, disons une certaine thérapie, finissent par voir un docteur une fois toutes les trois semaines pour faire ajuster leur médication. Ils le voient pendant 10 minutes et c'est tout le soutien qu'ils obtiennent lorsqu'ils vivent dans la collectivité.
Ils peuvent obtenir des visites quotidiennes de membres des équipes communautaires, mais cela consiste à recevoir ses médicaments, à les avaler et la personne s'en va. Il y a beaucoup de recherches probantes pour attester que d'autres solutions sont plus efficaces et moins coûteuses que bien des options qui existent à l'heure actuelle.
Par exemple, une solution de rechange à l'hospitalisation, qui a été jugée extrêmement efficace, était quelque chose du nom de «Soteria House» aux États-Unis. Certaines personnes étaient envoyées au hasard à l'hôpital, comme d'habitude, et certaines dans cette maison dans laquelle une personne non professionnelle travaillait avec les gens et leur parlait de leurs expériences. Toutes ces personnes avaient été diagnostiquées atteintes de schizophrénie. Très peu recevaient des médicaments; certaines en recevaient de petites doses.
À court terme, chaque groupe réussissait aussi bien; à long terme, les personnes habitant dans la maison réussissaient mieux. Elles réintégraient la société et ne recouraient pas constamment au système de santé mentale. Une trentaine d'articles ont été rédigés sur le projet mais il a été complètement abandonné en tant qu'approche, en dépit du fait que les survivants de la consommation réclamaient à grands cris quelque chose du genre depuis des décennies.
L'Ontario a tenu des consultations à l'échelle de la province il y a un peu plus d'une décennie sur ce que ces gens voulaient. Les résultats ont été consignés. Lorsqu'une tentative a été faite pour les transformer en politique, la plupart des conclusions ont été abandonnées en cours de route parce que les gens influents, ceux qui offraient les services, avaient leurs propres idées sur la question, qui avaient plus de poids que les paroles des gens ayant besoin des services. C'est la raison pour laquelle l'argent est dépensé de façon inefficace. Tout comme le rapport de votre comité l'a identifié, à propos du système général de soins de santé, il faut une plus grande responsabilité vis-à-vis des gens que le système est censé desservir.
Le sénateur Keon: Monsieur Storey, je voudrais vous ramener à quelque chose que vous avez dit qui était très intéressant et renforce le fait que, lorsque nous parlons de notre fameux système de soins de santé au Canada, en fait nous n'avons pas de système. Vous avez mentionné que les patients ne peuvent voir un médecin de famille que quatre ou cinq fois par an, à moins que ce docteur ne les voit pour rien. Assurément, ce n'est tout simplement pas assez bien.
Je pense que le problème vient du fait que nous n'avons pas réussi à maîtriser l'organisation des soins primaires partout au Canada. Ces patients ne devraient pas avoir à attendre pour se retrouver dans un hôpital, un cabinet de médecin ou une voiture de patrouille. Une fois qu'ils entrent dans le système, il devrait y avoir un filet de sécurité pour eux. Ce filet pourrait être offert avec le mécanisme approprié des soins primaires. Je ne pense pas qu'ils auraient à voir un médecin plus de quatre fois par an, mais d'autres dispensateurs de soins pourraient être là pour eux en cas d'appel.
J'aimerais que vous réfléchissiez un peu sur ce que vous pouvez faire dans de telles circonstances. Je connais certaines des personnes qui travaillent là. Notre comité a interviewé certains des dispensateurs de soins de santé primaires sur le terrain.
Que pourriez-vous faire, du point de vue de la santé mentale, pour faire avancer ce programme afin que les forces destinées à la santé mentale disposent au moins de cette base pour s'appuyer au départ, à mesure que l'approche du programme global s'organiserait?
M. Storey: C'est une question complexe. Les personnes qui conçoivent les programmes destinés aux malades mentaux et qui prennent les décisions sur la façon de dépenser l'argent devraient parler aux malades mentaux.
À propos de ce qu'a dit le sénateur Fairbairn plus tôt au sujet de la liste d'attente pour sortir de l'Hôpital Riverview, par rapport à la question de la durée du traitement, les personnes atteintes d'une maladie mentale votent avec leurs pieds (en allant ailleurs). Les services qu'elles n'apprécient pas ne sont pas bien utilisés; les services qu'elles apprécient sont très bien utilisés et sont souvent débordés.
Avant mon arrivée à la Commission des libérations conditionnelles, j'étais instructeur dans un programme d'employés de soutien communautaire dans un collège communautaire local. J'étais chargé de concevoir un programme de formation pour les employés de soutien communautaire en vue de travailler avec les malades mentaux. J'estime qu'il nous faut davantage d'employés de soutien communautaire. C'est formidable d'avoir des travailleurs sociaux psychiatriques ainsi que des psychologues et des psychiatres. Nous avons besoin de ces gens-là pour appuyer des personnes lorsqu'elles se retrouvent dans une détresse particulière et lorsque leurs problèmes sont particulièrement complexes. Cependant, les personnes que je connais bien, et dont je considère certaines au nombre de mes ami(e)s, parlent de l'importance d'avoir quelqu'un là lorsqu'elles en ont besoin, après 16 heures 30 et les fins de semaine. Les employés de soutien communautaire peuvent faire cela. Par exemple, elles peuvent avoir besoin de soutien pour traiter avec leur propriétaire. Elles peuvent avoir besoin de soutien pour traiter avec la personne difficile qui fait trop de bruit dans le couloir. Elles peuvent avoir besoin de soutien pour nouer des amitiés et établir des relations.
Il n'y a rien de plus salutaire que d'avoir un bon ami ou même un amoureux. Bon nombre de personnes atteintes d'une maladie mentale ne se voient même pas offrir les possibilités ou le soutien dont elles ont besoin pour développer des relations intimes, qui sont importantes pour une bonne santé mentale.
Comme l'a dit le commissaire Romanow, les soins primaires doivent être dispensés aussi près que possible du domicile. Ils doivent aborder les problèmes quotidiens de la qualité de vie, les indicateurs de la santé qui sont importants pour nous tous.
Je ne suis pas certain d'avoir répondu à votre question.
Le sénateur Keon: Vous essayez, vous n'en êtes pas loin.
À l'heure actuelle, le domaine de la santé est fragmenté avec toutes les disciplines de la santé et tous les établissements de santé. Comme dénominateur commun, nous avons besoin de cliniques communautaires dans lesquelles le genre de personne communautaire dont vous parlez pourrait être associée à quelque chose de plus vaste. Il me semble que cela ne serait pas une tâche herculéenne d'organiser de telles cliniques, mais on constate une résistance de la part de la classe politique.
M. Storey: Je pense que le problème est également l'approche concernant la façon dont nous regardons les malades mentaux.
En Colombie-Britannique, il existe un modèle pour regarder les gens ayant des troubles de développement, en termes de ce qu'ils peuvent ou ne peuvent pas faire, plutôt qu'en fonction de leur diagnostic. Le modèle médical domine encore. Il semble que vous devez correspondre à une catégorie pour obtenir du service. Nous avons des programmes pour les personnes atteintes de schizophrénie et des programmes pour les personnes atteintes de troubles affectifs bipolaires . Dans le domaine des déficiences, nous ne voyons pas cela. Les diagnostics des gens se trouvent souvent quelque part dans les dossiers mais, sur une base quotidienne, on regarde ce que la personne est intéressée à faire et on essaie de faciliter cela. Tous les problèmes sont considérés comme des obstacles à surmonter. Je ne vois pas cette approche être généralement adoptée avec les gens atteints d'une maladie mentale, même s'il existe là-bas des programmes qui mettent l'accent sur cela. Il s'agit des programmes qui attirent les gens. Malheureusement, ce sont les programmes qui ont habituellement un financement à court terme.
Le sénateur Keon: Je vais amener la Mme Stuart sur un terrain vraiment miné.
Madame Stuart, vous avez parlé de l'abus de substances intoxicantes. Avec l'alcool, par exemple, si un malade mental prend un verre et devient ivre, pourvu qu'il ne cause aucun tort à autrui, cela ne lui cause aucun tort. Toutefois, s'il utilise une drogue illicite et est appréhendé, alors il devient un criminel en plus d'être un malade mental. Pour moi, c'est un problème énorme. Certains de mes amis américains me disent que le problème est phénoménal dans les prisons américaines.
Pouvez-vous nous dire, tous les trois, de quelle façon il faudrait envisager la situation? Comme vous le savez, un comité du Sénat a fait un rapport et a examiné en profondeur la question des drogues illicites pour savoir si nous devrions traiter certains de ces gens comme des patients ou comme des malades mentaux plutôt que comme des criminels, en créant tout au moins le moins de criminels possible.
Comment voyez-vous le traitement des drogues illicites dans la population des malades mentaux? Cela doit être un problème affreux.
Mme Stuart: Ce n'est pas seulement un problème de drogues illicites. Lorsque vous examinez les données, vous constatez qu'il s'agit de n'importe quelle sorte de substance, incluant le tabac, pour certaines personnes atteintes d'une maladie mentale, l'alcool et ensuite les drogues illicites, comme vous l'avez mentionné. Nous avons tendance à l'heure actuelle, et également avec les troubles physiques comme vous l'avez déjà mentionné, à fragmenter et à mettre des éléments du problème dans des systèmes différents. Nous confions la partie illégale à la police. L'abus de substances intoxicantes, comme l'alcool, est confié au système des toxicomanies, qui est un système distinct dans la majeure partie des cas, avec quelques exceptions au Canada. La partie physique est confiée aux omnipraticiens. Nous mettons probablement tout le reste quelque part dans la santé mentale, dans un hôpital ou dans la collectivité.
Nous ne reconnaissons pas que toutes ces choses arrivent simultanément chez ces personnes-là. Elles peuvent avoir des troubles physiques et des problèmes d'abus de substances intoxicantes et être dépendantes de drogues illicites. Parfois, nous pensons qu'il peut y avoir de l'automédication, peut-être parce qu'elles se trouvent dans la collectivité et qu'elles ont davantage de possibilités maintenant que jamais auparavant. Nous n'avons pas de moyen d'aborder ces questions. Nous n'avons même pas un bon moyen d'identifier le problème.
La plupart des gens ayant des problèmes simultanés d'abus de substances intoxicantes, qui arrivent dans le système de santé mentale, ne sont pas identifiés. Par conséquent, le gros problème consiste à savoir comment aborder cela comme une question secondaire et comment les identifier.
Lorsque vous envoyez des personnes atteintes d'une maladie mentale à un omnipraticien, il existe actuellement de bonnes preuves que leurs troubles physiques ne sont pas bien étudiés. Tout devient centré sur le problème de santé mentale. Nous avons un véritable problème généralisé avec l'intégration des soins destinés à ces gens, en se demandant de quoi ils ont besoin comme personne, non pas de quoi ils ont besoin comme parties du corps, et en se demandant ensuite quelle est la meilleure façon d'aborder le problème. Je ne pense pas que nous ayons une bonne façon à l'heure actuelle. L'abus de substances intoxicantes est un problème gigantesque aux États-Unis. Les prisons se remplissent de jeunes femmes, de mères monoparentales, de gens qui ont ces problèmes, et ce n'est pas la solution. Je n'ai pas de solution instantanée pour vous, mais je peux vous dire que c'est un problème grave.
Le sénateur Keon: Puis-je vous donner quelques indications avant que vous répondiez, madame Chambers? Prenez une jeune fille de 16 ans qui est sur le point de devenir une mère célibataire. Elle se fait arrêter pour avoir fumé de la marijuana. Sa vie vient de dérailler — pour la vie. Elle n'ira jamais à l'université. Elle ne travaillera jamais pour une agence gouvernementale. Elle ne pourra pas voyager en dehors du pays. Même si vous réhabilitez cette personne, elle ne sera pas capable de prendre soin de sa progéniture et reviendra probablement à une vie de crime.
J'aimerais que vous abordiez cette situation. Dans le domaine de la maladie mentale, je pense que c'est vraiment une double malchance sur laquelle la société ne se penche pas du tout.
Mme Stuart: Je suppose qu'une chose que vous pourriez faire consiste à décriminaliser la marijuana, mais je ne souhaiterais pas qu'elle soit décriminalisée pour un groupe de personnes dans la société et pas pour un autre. C'est de la discrimination inversée.
Certains des consommateurs auxquels j'ai parlé disent souvent: «Nous en avons marre d'obtenir un traitement spécial dans le système carcéral et d'être des patients judiciaires. Accusez-nous tout simplement et envoyez-nous en prison comme tout le monde et nous ressortirons plus vite que si nous avions eu à suivre un système judiciaire et à nous assujettir à une aptitude à subir notre procès et à toutes ces différentes choses».
Je ne pense pas que la décriminalisation soit la réponse. Les sociétés débattent de cette question depuis longtemps. Je ne crois pas que nous devrions accorder une dérogation spéciale à un groupe, sur la base d'une maladie mentale, si nous ne sommes pas disposés à le faire pour tout le monde. J'aimerais voir quelque chose qui semble équitable en général. Si nous considérons que c'est un problème pour tout le monde, y compris pour une mère célibataire, nous devrions aborder la question, mais pas spécifiquement parce qu'une personne a une maladie mentale. Je ne sais pas si c'est ce que vous souhaitiez entendre.
Le sénateur Keon: Je voulais tout simplement entendre ce que vous aviez à dire. Merci.
Mme Chambers: Je suis d'accord avec cela. Je ne pense pas que la décriminalisation de l'usage de drogues aide qui que ce soit. Au cours des dernières années, j'en ai appris beaucoup sur les toxicomanies depuis que le Centre de toxicomanie et de santé mentale est devenu un regroupement de deux établissements psychiatriques et de deux établissements pour les toxicomanies. J'ai appris que c'est essentiellement le même groupe de gens. Au Conseil d'habilitation, nous avons des gens qui représentent les personnes qui se sont retrouvées dans des services de toxicomanie, mais elles s'étaient également retrouvées dans des services psychiatriques. Il n'y a pas de différence reconnaissable entre les deux groupes de personnes. Les problèmes sous-jacents sont les mêmes.
L'expérience d'avoir été victime d'abus est extrêmement fréquente, ainsi que le fait de n'avoir pas reçu beaucoup d'aide pour cela durant sa vie. La pauvreté est une constante. C'est une expérience dégradante et contraignante dans la vie des gens.
Ce que disent certaines des personnes siégeant au conseil, avec des toxicomanies, c'est qu'elles ont passé beaucoup de temps dans le système de santé mentale avant d'entrer finalement dans le système des toxicomanies. Elles n'ont pas le sentiment d'avoir obtenu une aide quelconque dans le système de santé mentale. Ce n'était pas tant à cause du fait qu'on ne se préoccupait pas de leur toxicomanie que parce qu'on ne se penchait pas sur les autres problèmes sous- jacents. C'est différent dans le système des toxicomanies car davantage de gens qui ont guéri d'une toxicomanie sont embauchés dans le système des toxicomanies. Vous obtenez le double avantage. Ils ont une meilleure idée des problèmes et de la façon d'aider la personne à les surmonter. En outre, vous obtenez l'exemple positif qui colle à la peau de quelqu'un qui était dans le pétrin et qui va mieux maintenant.
Je constate que les toxicomanes eux-mêmes ont des idées différentes sur ce qu'ils pensent être utile. Certains pensent qu'avoir des répercussions à un moment donné a été utile pour leur permettre de se sortir de l'usage excessif de drogues. D'autres ont constaté que cela n'a fait que retarder leur aptitude à faire n'importe quoi parce qu'ils luttaient avec le système de justice pénale et que cela les empêchait de pouvoir faire des choses productives pendant un certain temps.
J'admets que la solution à l'effet négatif de la criminalisation de l'usage des drogues doit être une question qui sera résolue au sens large.
M. Storey: À Vancouver, nous avons un problème avec l'abus de drogues.
En réalité, c'est un problème énorme à Vancouver, comme vous le savez bien. C'est également un grave problème pour les personnes atteintes d'une maladie mentale. Ce ne sont pas seulement les Américains qui ont un problème avec cela. Une étude récemment effectuée dans la région du Pacifique a révélé que 80 p. 100 des gens admis dans le système carcéral fédéral ont un problème d'abus de drogues en rapport avec leur comportement criminel. Incidemment, environ 17 p. 100 avaient également une grave maladie mentale.
Le modèle de réduction des méfaits est à la mode. Il est dominant à Vancouver. Je pense que c'est la démarche appropriée à suivre. Il serait intéressant de voir comment le tribunal de la santé mentale et le tribunal des drogues fonctionneraient à Vancouver. Nous n'en avons pas à l'heure actuelle mais ce sont des expériences qui se déroulent dans d'autres régions. Je n'ai pas connaissance que toutes les recherches sont terminées actuellement pour savoir si oui ou non elles sont efficaces.
Je peux parler par expérience personnelle. Comme je l'ai déjà mentionné, mon fils a connu plusieurs hospitalisations psychiatriques. À l'automne dernier, il a découvert le «crack» et a commencé à en consommer et à avoir des problèmes avec la loi. C'est un parcours qui a été difficile pour lui et certainement pour moi, son père.
Le système judiciaire ne réagit pas bien aux personnes dans cette situation. Je suis chanceux d'avoir un revenu et une certaine compréhension et de pouvoir l'appuyer. Je peux me payer un bon avocat et, grâce à Dieu, il a réussi à éviter la prison. Je ne pense pas que cela aurait été positif pour son rétablissement, sur le plan émotionnel ou pour son abus de drogues.
Je tiens à vous assurer qu'il va bien à l'heure actuelle. Nous tenons bon par la peau des dents. Un modèle de réduction des méfaits est la solution à adopter.
Mme Chambers: Une étude du tribunal des drogues à Toronto, réalisée par le professeur Benedikt Fischer de l'Université de Toronto, pourrait vous intéresser. L'une de ses conclusions disait que bien que le tribunal des drogues présente certains avantages, il adopte encore une approche punitive. Il estime que ce n'est pas la meilleure approche à adopter dans le cas des toxicomanies.
Le sénateur Keon: Merci. Vos informations ont été formidables.
Le sénateur Cook: Nous avons tous nos histoires et je tiens à dire à monsieur Storey que je peux partager la mienne. Après le décès de mon mari, ma fille adolescente est devenue gravement anorexique. Le système n'était pas là pour lui venir en aide. Nous avons essayé d'avoir accès aux services et l'attente était de six mois. Nous avons parcouru notre chemin et nous sommes bien maintenant. Je suis persuadée que vous le serez aussi.
J'ai une question contraignante pour vous. J'ai réfléchi au sujet des maladies mentales, de la maladie mentale et de la dépression. Ma première question est la suivante: la Loi sur la santé mentale du Canada est-elle adéquate pour servir la société contemporaine, étant donné qu'il y a tant de gens dans le besoin? La santé est une responsabilité fédérale qui est dispensée à l'échelle provinciale. Aujourd'hui, si je me casse une jambe, c'est parfait car je peux la faire réparer et rentrer à la maison. Cependant, pour un consommateur de services de santé mentale, c'est un besoin présent 24 heures sur 24 sept jours par semaine sans interruption, n'est-ce pas? L'élément du stigmate se produit à chaque niveau de contact. J'ai noté les domaines dans lesquels je pense que des protocoles communs sont essentiels: la famille, les amis, les salles d'urgence, l'assurance-maladie, le système juridique, la police, les tribunaux et la prison. Parmi toutes les choses que je vous ai entendu dire, un élément commun ressortait, à savoir l'absence d'un protocole national pour aider à comprendre et à traiter la personne atteinte d'une maladie mentale. J'aimerais avoir vos commentaires là-dessus. Cela fait partie du principe de vie de ce que nous essayons de faire. Au cours des 20 dernières années, ou à peu près, j'ai été membre d'un conseil et intervenante de première ligne dans un centre social pour consommateurs du système de santé mentale. C'est l'une des meilleures choses que j'ai faites dans ma vie, y compris de siéger au Sénat.
Mme Stuart: Je pense que vous avez vraiment mis le doigt sur le problème lorsqu'il s'agit de la santé mentale ou de la maladie mentale. Il y a tant d'intervenants différents concernés que c'est presque une tâche insurmontable de les amener tous à participer et de faire les mêmes choses, et d'ajouter à l'éventail, les ruptures idéologiques entre les disciplines, et les groupes de survivants de la consommation et de défense des droits qui veulent avoir certaines choses et pas d'autres. Comment faire le tri parmi toutes ces choses pour s'occuper des besoins des gens — quels besoins, dans quelles circonstances et à quel moment? Nous avons les systèmes provinciaux, chacun ayant une loi sur la santé mentale provinciale, chacun étant différent au pays même s'ils ont de nombreux éléments communs. Nous avons la législation fédérale — le Code criminel — qui aborde certains aspects lorsque la loi est concernée. Nous voulons avoir des logements, des services sociaux et des prestations d'invalidité. Nous voulons nous assurer que les gens sont en sécurité dans la collectivité et que la police n'adopte pas trop de mesures punitives. Comment faire en sorte que ces gens collaborent? Dans notre district, nous nous sommes débattus avec cela dans le contexte de la réforme de la santé mentale en Ontario. Même si nous ne le savons pas avec certitude, nous pensons que cela pourrait fonctionner si nous investissions dans un programme collectif de santé mentale communautaire ayant la pleine responsabilité pour suivre ses clients. Ce serait presque comme un modèle de soins primaires dans le cadre duquel les gens appartiennent à ce groupe, et votre travail consiste à vous assurer qu'ils obtiennent tout ce qu'il leur faut. L'une des premières choses que vous auriez à faire serait de déterminer leurs besoins. Cette information devrait provenir de protocoles communs. Ce sont des questions complexes.
C'est la raison pour laquelle il est si déconcertant pour moi de voir les actes d'omission parce que, si une agence gouvernementale ou un ministère décide qu'il n'est pas intéressé par la santé mentale cette année, le système commence à se désagréger. Nous sommes tributaires d'eux pour une partie importante du système. Il faut que tout le monde soit à bord en même temps et travaille dans la même direction. Jusqu'à présent, personne n'a été capable de donner à tout le monde les instructions pour travailler ensemble, si bien que nous continuons à nous battre et nous demeurons frustrés par le mode de fonctionnement du système.
Le sénateur Cook: Comment verriez-vous le rôle de l'infirmière praticienne dans les soins primaires dans un établissement de santé mentale?
Mme Chambers: Je ne suis pas certaine de pouvoir bien répondre à cette question.
Le sénateur Cook: Je devrais peut-être ajouter une phrase ou deux. Je voudrais connaître les délais que les gens endurent pour obtenir de l'aide. Il y a un groupe de personnes sous-utilisées qui pourraient dispenser les soins professionnels et pratiques qui sont nécessaires. Il est probable qu'elles pourraient également trouver des liens dans la collectivité. J'estime que l'infirmière praticienne serait probablement en mesure de fournir certains de ces éléments.
Mme Chambers: Vous parlez du goulot d'étranglement qui se produit parce que l'on tient exagérément à ce que tout le monde voit un psychiatre. Une infirmière praticienne constituerait une option pour contourner le problème. J'estime que nous devons nous pencher sur cette question mais la réponse est plus vaste que cela.
Patrick a parlé du personnel de soutien communautaire qui est nécessaire mais il ne s'agit pas forcément du personnel médical de soutien communautaire. Ce que nous voulons plus que toute autre chose, ce sont des gens qui les considéreraient comme des êtres humains à part entière et établiraient des rapports avec nous dans ce sens.
Je pense qu'il nous faut une stratégie nationale pour nous débarrasser des pires éléments du système, pour libérer les ressources pour tous les bons soutiens qui sont possibles et dont les gens ont besoin. Pour cela, il faut examiner l'ensemble du système.
Cela n'arrivera pas, à moins que le système n'ait davantage à rendre compte aux personnes qu'il dessert. Autrement, il y aurait simplement des gens aux intérêts dévolus, dans leurs tours d'ivoire, dont l'intérêt principal serait de conserver les ressources, ce qui est compréhensible, mais cela n'aboutirait pas à l'utilisation efficace des services et à de bons résultats pour les bénéficiaires.
Le sénateur Cook: Je voudrais vous laisser ce commentaire. Ma petite halte-accueil voit passer environ 95 à 100 personnes par jour. Les gens qui la fréquentent ont réussi à prendre en main leur propre vie à leur niveau actuel. Ils ont façonné difficilement une collectivité à l'intérieur d'eux-mêmes. Leur plus grande force est le sentiment communautaire dans cet environnement. C'est une bonne nouvelle.
Mme Chambers: Je suis tout à fait d'accord.
La vice-présidente: Je tiens à remercier nos témoins qui sont venus ici aujourd'hui.
La séance est levée.