Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule 10 - Témoignages du 27 mai 2003
OTTAWA, le mardi 27 mai 2003
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 9 h 34 pour examiner l'état actuel des industries de médias canadiennes; les tendances et les développements émergeant au sein de ces industries; le rôle, les droits et les obligations des médias dans la société canadienne; et les politiques actuelles et futures appropriées par rapport à ces industries.
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, je souhaite la bienvenue à nos témoins.
[Français]
Le comité examine quel rôle l'État devrait jouer pour aider nos médias d'actualité à demeurer vigoureux, indépendants et diversifiés dans le contexte des bouleversements qui ont touché ce domaine au cours des dernières années, notamment la mondialisation, les changements technologiques, la convergence et la concentration de la propriété.
[Traduction]
Aujourd'hui, nous accueillons la professeure Donna Logan, directrice de l'École du journalisme de l'Université de la Colombie-Britannique. Mme Logan a fait une longue et magnifique carrière dans les secteurs de la radiodiffusion et des médias imprimés, et elle a occupé de hautes fonctions à la SRC. De plus, elle a enseigné dans diverses institutions universitaires au Canada et à l'étranger et elle siège au sein du conseil d'administration de nombreuses organisations liées au journalisme.
Madame Logan, merci d'être venue nous rencontrer. À la suite de votre exposé, nous nous ferons un plaisir de passer à une période de questions et de discussion.
Mme Donna Logan, directrice, École de journalisme, Université de la Colombie-Britannique, à titre personnel: Merci, honorables sénateurs, de m'avoir invité à comparaître devant vous aujourd'hui. Le mandat de votre comité est très large. Vous avez déjà entendu tout un éventail de professionnels et de spécialistes sur une quantité de sujets touchant à la situation des médias au Canada. Les opinions dont je vais vous faire part dans le cadre de cette discussion sont celles d'une femme qui a habité toutes les régions du pays, qui a travaillé pour les médias imprimés et pour la radiodiffusion, tant dans le secteur public que dans le secteur privé, puis qui a fini par enseigner le journalisme.
J'ai lu transcription des réunions tenue jusqu'à présent par votre comité. Il semble que la discussion a porté en grande partie sur les questions de propriété et de contenu. Les enquêtes faites antérieurement au sujet de la situation des médias dans notre pays nous ont appris que le gouvernement ne pouvait pas faire grand-chose dans un cas comme dans l'autre. Davey, Kent et d'autres encore ont fait des recommandations dans ces secteurs, sans grande conséquence. Pour que les médias puissent jouer leur rôle dans une véritable démocratie, il faut qu'ils soient libres et indépendants. Par conséquent, il y aura toujours une résistance lorsque les gouvernements s'efforcent de contrôler la propriété et le contenu.
Toutefois, si l'on considère que les médias doivent jouir de la confiance du public et que la santé de la démocratie exige que la population soit suffisamment bien informée pour pouvoir se prononcer intelligemment sur son mode de vie et sur son pays, il faut alors que des institutions gouvernementales comme la vôtre examine à l'occasion dans quelle mesure les médias jouent bien ce rôle. La simple discussion a une valeur en soi. En dehors de cela, le mieux que puisse faire votre comité sénatorial est de s'efforcer de présenter des recommandations offrant un cadre dans lequel des médias libres et indépendants sont en mesure de présenter une grande diversité d'opinions à l'ensemble des Canadiens. Plutôt que de réglementer précisément les questions de propriété et de contenu, il vous faut étudier de nouveaux moyens de donner une voix au chapitre aux groupes qui se sentent aliénés par les grandes entreprises de communication en place. Il y a de nombreuses façons d'y parvenir.
Avant que nous nous lancions dans cette discussion, laissez-moi vous dire quelques mots de la situation des médias canadiens dans le cadre international. Lors de mon passage à la SRC, j'ai eu l'occasion d'avoir des collaborateurs ou de former des journalistes des États-Unis, du Mexique, d'Europe — la vielle comme la nouvelle — et d'Afrique. J'ai tiré de cette expérience à peu près la même conclusion que celle que d'autres ont faite avant moi: Le modèle de média mis au point dans notre pays est probablement le meilleur au monde. Le mélange de propriété publique et de propriété privée dans le secteur de la radiodiffusion fait l'envie de nombreux pays. Je n'ai pas changé d'avis sur notre système depuis mon départ de la SRC il y a six ans, mais ce système a subi de véritables bouleversements au cours de cette période — pour le mieux comme pour le pire.
Parmi les points positifs, il y a eu la poussée exponentielle de la câblotélédiffusion et la croissance d'Internet. Ces deux avancées techniques ont largement contribué à remédier aux préoccupations touchant la concentration de la propriété. Leur inconvénient, c'est qu'il en est résulté une fragmentation des auditoires, ce qui permet plus difficilement aux médias de jouer leur rôle traditionnel d'établissement d'un consensus au sein d'une société démocratique.
L'autre grande évolution, à peu près au cours de la même période, concerne l'apparition de la convergence au niveau de la propriété. Les progrès technologiques ont encouragé à la fois la fragmentation et la convergence en matière de propriété. L'apparition d'un nombre de chaînes pratiquement illimité a entraîné une fragmentation qui, à son tour, a amené les propriétaires à regrouper des fragments d'auditoire pour conserver leurs économies d'échelle. La diffusion des journaux étant en baisse depuis un certain nombre d'années, les propriétaires ont dû trouver de nouveaux supports pour rassembler un auditoire suffisant afin de faire face à l'augmentation de leurs coûts. Tous ceux qui recommandent qu'on limite les participations croisées doivent en tenir compte.
L'autre évolution qu'il faut prendre en compte pour évaluer nos besoins actuels — et surtout à l'avenir — c'est l'apparition d'Internet en tant qu'acteur au sein des médias. En travaillant auprès de jeunes étudiants de maîtrise, qui sont le plus souvent au début de la vingtaine, j'ai eu la chance de pouvoir apprécier toute l'ampleur de ce phénomène. L'un des étudiants de l'École de journalisme d'UBC a procédé cette année à une étude sur la façon dont les jeunes au début de la vingtaine prennent connaissance des nouvelles. Il a constaté qu'ils consacraient autant de temps à s'informer des sujets d'actualité que les générations précédentes, mais qu'ils le faisaient presque exclusivement en consultant Internet. Ils lisent les journaux, regardent la télévision et écoutent même la radio sur Internet. Ils consultent les sites traditionnels, mais aussi d'autres sites concurrents, et ils se réfèrent à CNN, à NSNBC et à Google News pour prendre rapidement connaissance des nouvelles internationales. S'ils consultent Internet pour prendre connaissance des nouvelles, c'est parce qu'ils ont pris l'habitude de s'informer au moment où ils le veulent et sans avoir à payer.
L'autre conclusion intéressante, c'est que les jeunes ont le sentiment que les grands médias ne répondent pas à leurs besoins et à leurs intérêts et qu'ils ont bien plus de chances de trouver l'information et les nouvelles qui leur conviennent en consultant Internet. Du fait de la mondialisation et de la facilité d'accès à l'information, leur façon de voir les choses est très différente de celle de la plupart de gens qui sont dans cette pièce lorsqu'ils avaient leur âge. Ils ne sont peut-être pas en mesure de réciter par coeur la liste des premiers ministres du Canada, mais ils en connaissent probablement bien plus sur l'Asie et sur l'Afrique que nous n'en savions à leur âge. Nombre de mes étudiants ont déjà largement voyagé dans le tiers monde avant d'entrer à l'école.
Le dernier facteur qui est venu modifier le monde des médias ces dernières années au Canada est celui du repli du radiodiffuseur public en raison des compressions budgétaires. Les propriétaires privés ont allégué qu'en raison du renforcement de leur secteur et de la technologie, il leur était plus facile de s'adresser à tous les Canadiens et que la présence d'un radiodiffuseur public devenait moins indispensable. Je suis prête à soutenir exactement le contraire. Plus la concentration augmente, plus il devient nécessaire de pouvoir compter sur un radiodiffuseur public fort, débarrassé des contingences du mercantilisme, pour garantir une diversité d'opinions et faire en sorte qu'on puisse parler du Canada. Vous avez déjà entendu d'autres témoins vous dire à quel point la BBC bénéficiait d'un financement supérieur par habitant, pour dispenser moins de services, dans moins de langues, au sein d'un pays qui n'a qu'un seul fuseau horaire. La SRC a des moyens trop limités pour s'acquitter du rôle que l'on attend d'elle, surtout lorsqu'il lui faut concurrencer un secteur privé en pleine expansion.
Ce qu'il faut vraiment regretter au sujet de toutes ces évolutions — la montée de la câblotélédiffusion, la convergence des propriétés, l'apparition d'Internet et le repli de la radiodiffusion publique — c'est que l'on a très peu de données concernant leurs effets dans la pratique. Contrairement aux États-Unis, le Canada n'a pas un Pew Center, un Poynter Institute ou un Freedom Forum pour étudier toutes ces questions. Savons-nous vraiment quelles sont les répercussions de la concentration de la propriété sur le contenu? Il y a beaucoup de protestations et de plaintes, on donne beaucoup d'avis et on fait part d'anecdotes, mais les preuves concrètes sont tout simplement absentes.
À une échelle limitée, l'École de journalisme d'UBC, en compagnie du programme de maîtrise sur la culture et les communications York-Ryerson et du Centre d'études sur les médias à Laval, a entrepris récemment de se pencher sur un certain nombre de questions entourant les médias au Canada. Financée par une subvention publique de Bell Globemedia, nous avons récemment entrepris de lancer notre première grande étude visant à examiner la crédibilité du journalisme canadien. Nous espérons pouvoir procéder à l'automne à une enquête globale sur le terrain et produire des résultats et des analyses au début de l'année 2004.
C'est un début, mais il reste encore beaucoup à faire. L'industrie des médias au Canada ne s'est jamais suffisamment intéressée à la R-D. Elle procède à d'innombrables études de marché, mais elle ne fait pas beaucoup de recherches sur ce qui se passe dans son propre secteur. Il y a bien peu de bourses décernées aux journalistes en milieu de carrière et l'aide financière apportée dans le cadre des cours et de la poursuite des études est bien maigre. La formation dispensée à la SRC est excellente mais, dans le secteur privé, très peu de gens peuvent s'en prévaloir. Comment cela se fait-il? Il semble qu'il s'agit là chaque fois d'un investissement dans la prospérité future du produit. Peut-on trouver des solutions pour encourager ce genre d'activité auprès des propriétaires — en augmentant les incitations fiscales, par exemple?
J'en viens à l'élaboration d'un cadre incitant les médias de notre pays à se montrer plus indépendants et plus responsables. Il est bon de trouver des moyens d'inciter les propriétaires des médias à investir davantage dans la R-D, mais il y a bien d'autres choses qui peuvent et qui doivent être faites. On a souvent dit que les médias — à l'exception de la SRC — sont des institutions publiques confiées à des propriétaires privés. Je considère que cela implique des responsabilités, non seulement pour les propriétaires, mais aussi pour les journalistes, les enseignants des écoles de journalisme et le public.
Nous avons besoin de données plus précises pour que le débat au sujet des médias s'appuie sur une meilleure information et soit moins polémique. Votre comité devrait pouvoir financer des recherches, mais l'on devrait surtout pouvoir établir des instituts et des centres permanents chargés d'étudier les questions fondamentales du jour. On pourrait alors se doter des moyens de quantifier et de mesurer la performance des médias et de publier les résultats annuels.
Aux États-Unis, il existe un comité de journalistes qui s'intéressent à la question et qui possèdent un service de recherche intitulé «Project for Excellence in Journalism». Ce centre est dirigé par l'un des journalistes les plus connus et il est associé à l'École de journalisme de l'Université de Columbia à New York. Ses activités sont financées par les organismes de bienfaisance Pew et par la fondation Knight. Il fait des recherches, procède à des études sur le contenu et patronne des ouvrages sur le journalisme. Dans ce cadre, l'organisation milite pour la réforme du journalisme. Elle a un excellent site Internet à l'adresse www.journalism.org.
La Fondation pour le journalisme canadien fait un travail semblable au Canada, mais à une échelle plus réduite, de son côté, l'Association canadienne des journalistes a fait de magnifiques efforts pour former ses membres. L'association Friends of Canadian Broadcasting intervient aussi activement dans ce domaine. L'inconvénient — c'est toujours la même chose dans un pays de cette taille — c'est que toutes ces organisations n'ont pas suffisamment de crédits pour influer véritablement sur la situation. Votre comité pourrait éventuellement se pencher sur les moyens d'accorder un financement stable et permanent à ces organisations pour qu'elles puissent apporter une contribution efficace dans le cadre que nous évoquons.
Je viens d'assister à la 25e conférence annuelle de l'Association canadienne des journalistes à Toronto. Pendant deux jours et demi, les journalistes ont pu assister au choix à différents colloques sur 63 sujets propres à l'industrie. Tout était organisé par des bénévoles et les discussions ont été excellentes. Ce groupe est financé avant tout par les grands propriétaires au sein de l'industrie, à l'exception de CanWest Global, qui refuse de financer l'organisation. L'ACJ hésite naturellement à rechercher un financement auprès du gouvernement, mais il faut d'une façon ou d'un autre trouver un moyen de lui permettre de poursuivre et d'élargir ses activités. Votre comité pourrait éventuellement se pencher sur la question.
Quelle est la responsabilité du public sur toute cette question? Dans l'idéal, le monde des affaires et les citoyens préoccupés par la question devraient être prêts à financer des organisations telles que la FCJ, l'AJC et Friends, mais je ne compte pas trop là dessus dans l'immédiat. Le public veut de toute évidence que l'on institue des mécanismes permettant de mieux rendre des comptes. Votre comité pourrait les étudier. Les conseils de presse sont sortis du rapport Davey. Ils font évidemment un bon travail, mais leur intérêt est limité. La plupart des gens n'en connaissent pas l'existence; il n'y en a pas dans certaines provinces; enfin, les pouvoirs dont ils disposent pour obliger les propriétaires et les journalistes à rendre des comptes sont insuffisants.
Votre comité pourrait-il faire des recommandations renforçant leur rôle ou proposant une solution de rechange? Un témoin précédent a préconisé que l'on se dote d'un protecteur national des citoyens; c'est une entreprise considérable qui pourrait cependant donner des résultats s'il se contentait d'examiner les plaintes sans chercher à en faire davantage.
Parmi les autres mécanismes permettant de rendre des comptes qui pourraient être envisagés ou recommandés, il y a la diffusion régulière d'articles dans les journaux et d'émissions à la radio et à la télévision permettant d'instaurer des échanges entre les personnes qui font les nouvelles et ceux qui les consomment. Des tentatives ont déjà été faites en ce sens aux États-Unis, au Royaume-Uni et, dans une certaine mesure, ici même au Canada. Les sites Internet peuvent aussi être utilisés dans ce but. Je suis stupéfaite de voir que ce n'est pas le cas. La plupart des sites des médias invitent les gens à envoyer des courriels ou à prendre part à des sondages d'opinion, mais il n'y a pas beaucoup d'échanges interactifs en direct.
J'aimerais souligner deux autres points qui méritent d'être considérés lorsqu'on envisage d'établir un cadre permettant à diverses opinions de s'exprimer. On n'a pas encore beaucoup parlé lors de ces audiences de la presse ethnique et des médias alternatifs dans notre pays. Quel est leur rôle dans ce débat? Un tiers de la population de la communauté urbaine de Vancouver est asiatique. Deux quotidiens et deux — bientôt trois — stations de télévision, plus un certain nombre de stations de radio, se font concurrence pour servir cette clientèle. On peut soutenir que la communauté asiatique a plus de choix que la communauté de langue anglaise pour ce qui est de la lecture des quotidiens. Pourtant, lorsqu'on se penche sur la situation à Vancouver, on mentionne rarement le rôle des médias ethniques. Les journaux alternatifs comme le Georgia Straight ou les journaux communautaires — qui sont florissants — n'entrent pas eux non plus dans la discussion, et pourtant ils ne sont pas tous la propriété de CanWest, Hollinger et David Black — qu'il ne faut pas confondre avec Conrad — possèdent plusieurs journaux en Colombie-Britannique dont certains sont des quotidiens.
Vancouver n'est pas la seule ville qui a des médias ethniques dynamiques. Ces médias sont d'ailleurs devenus si importants au Canada que le Toronto Star possède désormais 49 p. 100 des journaux Sing Tao au Canada.
Tout cadre d'action prévu à l'avenir devra faire appel à un secteur public renforcé, notamment en ce qui concerne la SRC. Cette entreprise a besoin de plus de ressources pour faire du bon journalisme d'enquête, diffuser des comédies et des émissions dramatiques canadiennes de qualité et couvrir toutes les nouvelles locales. Les nouveaux crédits devront être affectés à ces postes et non pas servir à acquérir d'autres droits de radiodiffusion des sports professionnels. Cela permettra aux radiodiffuseurs publics de contrebalancer efficacement le secteur privé — notamment là où un seul propriétaire contrôle à la fois les journaux et les postes de télévision. Le problème de la diversité se fait plus nettement sentir au niveau local. On a bien davantage le choix pour ce qui est des émissions nationales et internationales, et il faut donc que la SRC continue à assurer une bonne diffusion locale. Il convient aussi qu'elle reçoive des crédits pour développer son site Internet afin de devenir véritablement le journal public dont certains ont proposé la création ici.
Bien entendu, la question des participations croisées se pose en l'espèce et l'on peut se demander pourquoi elles seraient acceptables dans le secteur public mais non pas dans le secteur privé. La SRC fait depuis des années de la radio et de la télévision et elle a désormais un site Internet qui rencontre beaucoup de succès. Elle a récemment fusionné toutes ses activités concernant les nouvelles. La différence évidente entre le public et le privé, ce sont les impératifs commerciaux, mais le simple fait que l'on n'ait pas besoin de gagner de l'argent est-il le garant de la diversité des opinions? Pas nécessairement. En s'efforçant de combiner les nouvelles à la radio et à la télévision, on risque d'affaiblir le service qui a le plus de succès — en l'instance, la radio. C'est parce que les deux cultures sont très différentes et que les exigences de la télévision vont obligatoirement primer. La SRC a pour mandat d'être un radiodiffuseur polyvalent et, par conséquent, il lui appartient de discuter de ces changements avec le public par l'intermédiaire du CRTC ou par tout autre moyen. Au lieu de cela, je crois savoir que tout s'est fait en coulisse sans consulter les responsables de la production des nouvelles. La SRC est d'ailleurs allé encore plus loin que le secteur privé. Elle a fusionné la structure de gestion de ces deux médias différents — ce que le CRTC avait expressément interdit à Bell Globemedia et à CanWest.
Le paradoxe, c'est que même si votre comité recommandait l'interdiction des participations croisées, cela ne changerait pas la situation de la presse à Vancouver puisque les deux quotidiens de langue anglaise ont le même propriétaire.
J'ai voulu vous montrer ici que la solution n'était pas de réglementer la propriété ou d'intervenir au sujet du contenu. Si nous voulons vraiment pouvoir disposer de médias libres et indépendants responsables et répondant aux besoins de la population, toutes les parties concernées doivent s'engager et faire un effort concerté pour sensibiliser la population et lui faire mieux comprendre les enjeux, assurer une meilleure formation et un meilleur appui aux journalistes et rendre davantage de comptes. Comme l'a dit récemment Lee C. Bollinger, le président de l'Université de Colombia, dans une allocution portant sur l'enseignement du journalisme:
Il n'y a rien d'incompatible à la base entre un bon journalisme et la loi du marché. Le capitalisme a fait ses preuves lorsqu'il s'agit de répondre aux besoins et aux préférences du public, que ce soit pour fournir des biens et des services ou encore de l'information. Mais comme dans tout système, ces avantages se transforment en inconvénients s'il ne se fixe pas des limites en fonction d'un système de valeurs qu'il a fait sien.
Il est temps d'examiner et de renforcer notre système de valeurs. Je me suis efforcée ici de vous présenter un certain nombre de moyens d'y parvenir.
La présidente: Madame Logan, je crois savoir que vous avez déjà dit à notre personnel que vous alliez vous efforcer d'obtenir une copie de l'enquête faite par cet étudiant au sujet de la consommation de nouvelles par les jeunes. Nous serions très heureux que les résultats en cours — et certainement définitifs — de l'étude de crédibilité que vous venez d'évoquer soient connus au début de l'année prochaine. C'est un travail qui s'annonce intéressant.
Mme Logan: Je vous ferai parvenir le projet. J'ai une autre étude concernant les jeunes qui travaillent dans les salles de nouvelles et l'absence de débouchés dans ce domaine, qui me paraît elle aussi utile.
Le sénateur Graham: Madame Logan, vous avez évoqué un grand nombre de questions intéressantes que vous demandez à notre comité d'étudier. Vous nous avez dit que le modèle appliqué au Canada en ce qui concerne les médias est le meilleur au monde. Pouvez-vous nous préciser ce que vous entendez par «modèle»?
Mme Logan: Ce modèle, c'est tout simplement la façon dont notre système a été conçu.
Le sénateur Graham: Est-ce qu'on l'a fait par accident ou à dessein.
Mme Logan: C'est le résultat d'une évolution, j'imagine. La distinction que l'on peut faire, à mon avis, avec les autres systèmes dans le monde, c'est l'équilibre qui existe entre le secteur public et le secteur privé. Au Royaume-Uni, pendant de nombreuses années, le radiodiffuseur public a occupé une position tout à fait dominante et il reste encore très fort. Au Canada, nous sommes parvenus à un équilibre que bien des gens considèrent comme étant très sain, ou qui était très sain.
Le sénateur Graham: Estimez-vous que la couverture est équilibrée sur tous les sujets d'intérêt public?
Mme Logan: Il m'apparaît difficile de répondre à une question aussi vaste. Bien entendu, la couverture de la plupart des questions pose de nombreux problèmes. Pour avoir un point de vue équilibré sur toutes les questions d'intérêt public, tout dépend d'un nombre de journaux qu'on lit, du nombre d'émissions de télévision qu'on regarde et de la somme d'informations que l'on peut trouver sur Internet.
Les gens ont le tort de s'attendre à ce que chacun des médias soit équilibré en soi. Il m'apparaît qu'il nous faut mieux nous informer et nous rendre compte que l'on ne peut pas avoir un point de vue équilibré à partir d'un seul média; il faut consulter différentes sources et se faire sa propre idée.
Le sénateur Graham: Estimez-vous que les médias ont une responsabilité en matière d'éducation? Je ne parle pas d'enseigner aux employés ou aux journalistes à mieux faire des reportages, des entrevues ou des émissions, mais de manière plus générale à mieux éduquer le public.
Mme Logan: Oui. Nombre de sujets pourraient être mieux expliqués et l'on pourrait en les couvrant faire une meilleure éducation du public pour qu'il se rende compte pour quelle raison tel ou tel sujet est important et pourquoi telle ou telle situation qui se produit à l'étranger, loin de chez lui, le concerne directement. Les médias partent souvent du principe que les lecteurs, les auditeurs et les téléspectateurs savent où se trouvent les pays qui apparaissent soudainement dans les nouvelles et sur quel fond se déroulent les événements. Il manque parfois certains éléments pour comprendre l'ensemble de la situation. De ce point de vue, les médias pourraient faire un meilleur travail d'éducations.
Le sénateur Graham: Vous avez certainement pris connaissance de notre mandat. Nous nous penchons sur «l'état actuel des industries de médias canadiennes; les tendances et les développements émergeant au sein de ces industries; le rôle, les droits et les obligations des médias dans la société canadienne; et les politiques actuelles et futures appropriées par rapport à ces industries». Avez-vous quelque chose à changer ou à ajouter à ce mandat?
Mme Logan: Il me faudrait y réfléchir. C'est un mandat très global. Il me paraît difficile sur le coup de penser à y ajouter quoi que ce soit.
Le sénateur Graham: La question est peut-être injuste.
Le sénateur LaPierre: Il m'apparaît que lorsque l'on cherche à déterminer la qualité des médias imprimés dans notre pays, l'une des difficultés concerne la notion de liberté de la presse. On nous a dit que c'était le propriétaire qui était le garant de la liberté de la presse. C'est ce qui a déclaré solennellement, par exemple, à l'Institut d'études canadiennes de McGill, lors de sa dernière conférence.
J'aimerais toutefois me pencher sérieusement sur les dispositions de l'alinéa 2b) de la Charte des droits et libertés du peuple canadien, qui établit catégoriquement que tous les citoyens ont droit, entre autres, à la liberté d'opinion, qui englobe la liberté de la presse et celle qui concerne les autres médias. J'en ai conclu par conséquent que la liberté de la presse me concernait moi et non pas les propriétaires. Ce sont les journalistes, par leur professionnalisme, qui en sont les garants. C'est moi qui en suis le garant. Par conséquent, j'ai la responsabilité fondamentale d'intégrer la notion de liberté de la presse.
La plupart des gens ne savent pas le faire. La population canadienne ne peut pas exercer son droit fondamental à la liberté de la presse, qui se traduit inévitablement par la liberté d'opinion. Il est essentiel, pour que l'on puisse avoir une liberté d'opinion, qu'il y ait différentes opinions qui se présentent à vous pour pouvoir exercer le droit fondamental de la liberté de la presse que l'on trouve à la base. Est-ce que j'ai raison de m'exprimer ainsi?
Mme Logan: Absolument. J'ai toujours été sidérée de constater que les Canadiens passaient leur temps à se plaindre de la presse et de sa performance. Je suis sûre que n'importe lequel des journalistes dans cette salle est en mesure de rapporter les mêmes histoires que celles que j'ai pu rencontrer. Les gens se plaignent constamment d'un certain nombre de démêlés qu'ils ont eu avec la presse. Lorsqu'on leur demande: «Qu'avez-vous fait en conséquence? Avez-vous téléphoné au rédacteur en chef? Avez-vous envoyé une lettre? Vous êtes-vous adressé au conseil de presse?», ils vous répondent généralement «non».
Je n'ai jamais pu comprendre pourquoi il en était ainsi et pourquoi les Canadiens ne se sentaient pas plus concernés par l'exercice de la liberté de la presse. C'est un droit fondamental de tous les membres de notre société — j'en suis convaincue comme vous — qu'il faut faire respecter. J'ai voulu faire comprendre dans mon exposé qu'il nous fallait de meilleurs mécanismes pour que ça se produise. Internet va peut-être nous aider. Il faudrait peut-être un protecteur des citoyens dans la presse écrite. On pourrait se limiter à la presse écrite, si vous considérez que le gros problème est là.
Le sénateur LaPierre: L'individu dispose de plusieurs moyens pour exercer son droit à la liberté de la presse. L'un d'entre eux consiste à annuler son abonnement au journal ou à la revue en question. Il peut aussi envoyer des lettres au rédacteur en chef. Toutefois, en dernière analyse, c'est le rédacteur en chef qui choisit les lettres qu'il va publier. Ainsi, je n'ai pas vu dans l'Ottawa Citizen beaucoup de lettres envoyées au rédacteur en chef pour se plaindre de la situation dans laquelle se trouvent les Palestiniens. J'en ai lu une quantité qui plaignaient les juifs. Par conséquent, la liberté de la presse dont je peux me prévaloir ici est entre les mains du rédacteur en chef. Il y a un troisième moyen qui consiste à envoyer une lettre au conseil, qui est chargé de veiller à ce genre de chose. Toutefois, cela prend un temps considérable.
Votre proposition concernant un protecteur des citoyens, qui nous a été faite aussi par quelqu'un d'autre, revêt une grande importance. Pourriez-vous nous en dire davantage sur le forum des libertés que vous avez évoqué?
Mme Logan: Le forum des libertés est une organisation financée par un certain nombre de fondations aux États- Unis. Il avait des bureaux en Grande-Bretagne. Je ne sais pas si c'est toujours le cas. Il a subi de grosses compressions budgétaires il y a un an et il a fortement réduit ses activités.
Des colloques et des enquêtes étaient organisés dans tout le pays. J'ai assisté à de nombreuses réunions. Je suis sûre que c'est aussi le cas d'autres personnes dans cette salle. On y traitait publiquement de ces questions. Ce forum dispose d'un excellent site Internet à l'adresse www.freedomforum.org où la discussion est permanente. Les études rédigées sur les questions touchant la presse quotidienne y sont aussi affichées.
Le sénateur LaPierre: Est-ce que vous pourriez nous remettre une documentation au sujet de ce forum des libertés?
Mme Logan: Il recherchait un partenaire au Canada il y a cinq ans environ. Je commençais alors à travailler à UBC. Je voulais absolument que nous soyons ce partenaire, mais je n'étais pas en mesure d'y parvenir à l'époque parce que l'école venait tout juste d'ouvrir et n'avait pas d'antécédent. Il y a eu certains pourparlers avec l'Université de Toronto. Je ne sais pas ce qu'il en est résulté. Je dois vous dire toutefois qu'il fait un excellent travail et qu'il convient d'encourager ce genre d'évolution.
J'aurais dû le mentionner dans mon exposé. J'ai toujours pensé qu'il serait bon de donner à l'école des cours sur la façon d'interpréter les médias parce que les gens ne connaissent pas assez le fonctionnement et l'histoire des médias ainsi que la façon de les lire et de les évaluer. Il y a quelques cours dispersés dans les différentes écoles de notre pays. Un programme plus élaboré d'interprétation des médias serait toutefois une bonne chose.
Le sénateur LaPierre: Je voulais parler de l'Internet et du marché des idées, mais j'attendrai, madame la présidente.
Le sénateur Merchant: Je m'intéresse à la façon de s'impliquer dont parlait le sénateur LaPierre. Il est plus difficile pour les minorités visibles et pour les groupes ethniques de s'impliquer. Comme ce sont de nouveaux arrivants dans ce pays — je l'étais moi-même il y a 40 ans — il leur est difficile de se lancer dans ce genre d'entreprise. Nous faisons preuve de timidité dans ce cas-là parce que nous ne sommes pas tout à fait sûrs de pouvoir nous impliquer sans risquer ainsi d'attirer davantage l'attention sur nous-mêmes. Les minorités visibles ont le sentiment que les médias les dépeignent souvent sous un jour défavorable. Elles veulent changer la situation, mais elles ne savent pas comment le faire.
Avez-vous constaté ce genre de chose? Estimez-vous que ces gens sont désavantagés parce que ce sont de nouveaux arrivants? Comme ils veulent s'intégrer, ils s'efforcent de ne pas trop attirer l'attention sur eux.
Mme Logan: Oui, j'ai constaté tout ça. Ce que vous nous dites est en grande partie vrai. Les organisations, les radiodiffuseurs privés et les journaux font effectivement des efforts pour rencontrer les différents groupes au sein de la collectivité. À Vancouver, par exemple, le Vancouver Sun a fait certaines incursions au sein de la communauté asiatique. Il publiait régulièrement une rubrique résumant les éditoriaux des deux grands journaux asiatiques, le Sing Tao Daily et la Mingpao. Malheureusement, la nouvelle rédaction n'a pas poursuivi cette entreprise. On réussissait ainsi à combler le fossé — si vous voulez — dans une certaine mesure, mais pour une raison ou pour une autre on n'a pas poursuivi dans cette voie.
Il faut aller vers les gens. Le secteur public est bien plus porté à le faire que le secteur privé. Si vous interrogez certains commerciaux, ils vont vous répondre: «Ce n'est pas notre clientèle. Ces gens ne nous lisent pas. Nous nous occupons de nos clients.» C'est au secteur public qu'il incombe de le faire, et même s'il fait des efforts, ce n'est probablement pas suffisant.
Le sénateur Merchant: Vous avez parlé du devoir de rendre des comptes au sujet du radiodiffuseur public. Dans le journalisme privé, le journal peut cesser de paraître ou une forme quelconque de contrôle peut s'exercer sur la façon dont on dépense l'argent. Comment faire en sorte qu'un radiodiffuseur public puisse rendre des comptes? Que faire?
En parlant avec les membres de l'auditoire de la SRC, j'ai pu constater que l'on avait le sentiment que les journalistes avaient une certaine tendance — si je peux m'exprimer ainsi — à pencher davantage vers la gauche que vers la droite. Il y a des gens que cela dérange, parce qu'il s'agit d'un radiodiffuseur public et parce qu'ils aimeraient qu'il y ait un meilleur équilibre. Ils n'ont pas le sentiment que l'on maintient un équilibre suffisant au sein du radiodiffuseur public.
Comment faire en sorte qu'un radiodiffuseur public rende des comptes au public? Que peut-on faire pour donner au public l'impression qu'il en a pour son argent?
Mme Logan: Le radiodiffuseur public rend des comptes par l'intermédiaire du CRTC. Tout le monde peut se plaindre au CRTC. Les mécanismes permettant de rendre des comptes sont meilleurs que pour la plupart des médias au pays. Il y a là l'un des seuls protecteurs du citoyen au pays, qui fait un excellent travail et qui répond diligemment et avec beaucoup de soin à toutes les plaintes.
On pourrait probablement en faire davantage. Ainsi, je viens de lire dans le journal de ce matin que demain, à Toronto, les correspondants étrangers vont tenir toute la journée une séance de discussion ouverte à tout le monde. C'est une excellente initiative pour la population de Toronto, mais il en faudrait davantage dans tout le pays. Il y a effectivement des séances annuelles où le public est invité. Il faut bien reconnaître, toutefois, que ce sont davantage des rencontres informelles que de véritables séances de travail sur des sujets sérieux.
Je suis moins préoccupé par le secteur public que par le secteur privé lorsqu'il s'agit de rendre des comptes. Le secteur public, en raison de la présence du protecteur du citoyen et du CRTC, rend peut-être davantage de comptes que le secteur privé.
Le sénateur Merchant: Je suis sûre que vous avez raison, mais le public a l'impression qu'il n'a pas son mot à dire dans l'administration des affaires de la SRC. Il faut davantage s'impliquer et faire preuve d'un peu plus d'ingéniosité. Les gens se plaignent, mais ils ne font rien. Puis-je vous dire ce qu'ils font? Ils n'écoutent plus. Ils se contentent de ne plus écouter la SRC. Ils nous disent: «Je ne l'écoute pas. Lorsque je l'écoute, je m'énerve, et je ferme donc le poste. Pourquoi devrais-je subventionner avec mes impôts ce radiodiffuseur?»
C'est un sentiment de frustration chez ces gens. Je ne sais pas quelle est la réponse.
Mme Logan: Je conviens avec vous que l'éventail d'opinions devrait être plus large. La diversité est tout aussi importante dans le secteur public que dans le secteur privé. C'est ce que je voulais faire comprendre dans mon exposé. L'intégration d'un service de nouvelles n'est pas de nature à favoriser une plus grande diversité d'opinions. Il y aura moins de voix qui s'exprimeront, ce qui présente un risque. C'est un changement dont il aurait fallu discuter avec le public, ce qui ne s'est pas produit.
La présidente: Vous nous avez parlé d'une étude faite par un étudiant concernant la façon dont les gens s'informent au sujet des nouvelles. J'ai été frappée par le fait que vous nous avez fait observer que les jeunes au début de la vingtaine consultaient les nouvelles sur Internet parce qu'ils avaient pris l'habitude d'en prendre connaissance quand ils en avaient besoin et sans avoir à payer. Toutes les remarques empiriques que l'on peut faire démontrent que vous avez raison. Tous les jeunes que je connais, et en fait la plupart des moins jeunes, veulent pouvoir consulter les nouvelles gratuitement.
Toutefois, dans le modèle canadien que vous avez évoqué, le public paye pour consulter les nouvelles, à l'exception de celles de la SRC. Tous ces sites Internet proviennent de sources pour lesquelles le public paye. Si les jeunes ne veulent véritablement plus payer pour consulter les nouvelles et s'ils conservent cet état d'esprit en vieillissant alors que les plus vieux ne seront plus là, que va-t-il se passer?
Avez-vous étudié les implications de ces choix sur le modèle canadien?
Mme Logan: Oui, bien entendu. Cela ne signifie pas pour autant que j'ai une réponse. J'imagine que les nouvelles sur Internet ne seront pas toujours gratuites. Je pense qu'Internet deviendra le moyen de distribution des journaux. J'estime que c'est ce qui va se passer de plus en plus. Je considère qu'à l'avenir il y aura toujours une version imprimée du journal pour les quelques personnes qui voudront encore le consulter de cette manière, mais que la distribution s'orientera vers Internet. Lorsqu'il en sera ainsi, je pense qu'il n'y aura plus de possibilité d'accès gratuit à ces sites. La publicité va changer de support. Vous avez entendu des témoins précédents vous dire que les annonces classées sont en train de changer de support pour passer sur Internet. Dans cas, il m'apparaît qu'elles ne pourront plus être gratuites. Cette étude nous révèle qu'actuellement les étudiants veulent s'informer gratuitement. Je sais que c'est vrai simplement en les observant.
La présidente: L'un de nos témoins précédents a parlé de certaines études universitaires qui ont montré qu'il y avait une certaine uniformité dans la façon dont les écoles de journalisme apprenaient à leurs étudiants en quoi consistait une nouvelle et que s'il y avait des lacunes ou des insuffisances concernant la couverture de l'actualité ou la transmission des nouvelles au public, c'est en partie parce que les journalistes reçoivent tous la même formation. Je ne pense pas qu'il parlait ici d'idéologie — la droite contre la gauche; je pense qu'il se référait davantage aux règles du métier. Il y a un jugement instinctif qui fait que l'on considère qu'une nouvelle est digne ou non de mention. Comment savoir ce que l'on doit couvrir et ce qu'on doit écarter? Pensez-vous que cette analyse est juste? Dans l'affirmative, que doit-on faire?
Mme Logan: En effet, j'ai pris connaissance de cette déclaration. Ce qui me dérange, entre autres, lorsqu'on discute des écoles de journalisme, c'est qu'on les met toutes dans le même panier comme si elles étaient toutes les mêmes, ce qui n'est pas le cas. Il y a une quantité de programmes d'étude du journalisme dans les collèges communautaires. Il y a une quantité de programmes au-dessous de la maîtrise et quelques programmes de maîtrise dans notre pays. Ils sont tous très différents les uns des autres. Si vous voulez me dire par là que tout le monde estime qu'une nouvelle est une nouvelle — comme me l'a dit à une occasion l'un de mes rédacteurs en chef — il y a alors un problème.
J'ai toujours considéré qu'il fallait remettre en cause la définition traditionnelle des nouvelles, et je crois qu'elle a changé et évolué. Il faut qu'elle change encore. Nous ne manquons pas, dans nos cours, de remettre en question les définitions traditionnelles des nouvelles et les façons traditionnelles de les couvrir. Il est très important à nos yeux de tenir compte du contexte. Une déclaration qui met dans le même sac toutes les écoles de journalisme m'apparaît assez injuste. Il y a différentes écoles de journalisme; il ne faut pas toutes les confondre. L'une des façons de juger qui fait ou non un bon travail, j'imagine, est de regarder ce que font par la suite les diplômés.
La présidente: Vous plaidez donc non coupable?
Mme Logan: J'enseigne certaines valeurs et certaines structures traditionnelles en ce qui a trait aux nouvelles, mais l'une des raisons pour lesquelles je suis ici, c'est parce que je crois que nous avons besoin de revoir la définition des nouvelles.
Le sénateur Phalen: Lors d'une entrevue récente, vous avez laissé entendre que notre comité devrait se pencher sur la concentration de la propriété et se demander à quel point elle est pernicieuse, et faire des recommandations interdisant les participations croisées. Voilà 20 ans que les deux plus gros quotidiens de Vancouver appartiennent au même propriétaire. J'aimerais que vous nous donniez des exemples concrets qui témoignent des difficultés rencontrées.
Mme Logan: Je me demande à quel entrevue vous vous référez, parce que je ne me souviens pas d'avoir dit cela.
La présidente: Vous pourriez peut-être répondre à la question de fond concernant l'information à Vancouver.
Mme Logan: À Vancouver, comme vous le savez certainement, les deux quotidiens — le Vancouver Sun et le Vancouver Province — ainsi que la principale station de télévision, CH TV, sont la propriété de CanWest Global. L'acquisition de la station de télévision est relativement récente, mais en ce qui concerne les quotidiens, comme vous venez de le signaler, la situation existe depuis une vingtaine d'années. Je pense d'ailleurs que cela fait plus longtemps que cela; je crois que c'est en fait une des raisons pour lesquelles on a institué la Commission Kent.
Le problème ne se pose pas en matière de télévision. Il y a une grande possibilité de choix en ce qui concerne les stations de télévision étant donné que l'on peut regarder CBC, CTV, et Citytv, qui est le service de CHUM; enfin, il y a aussi toutes les autres stations dont j'ai parlé sur le plan ethnique. En matière de télévision, on a le choix.
Le problème, c'est la presse — un seul propriétaire ayant deux journaux qui expriment à peu près le même point de vue. Ces journaux sont différents; ils s'adressent à des clientèles différentes. C'est indéniable. Toutefois, en ce qui concerne leurs perspectives et leurs orientations politiques, ils parlent d'une seule voix. Le problème est là. J'ai évoqué le Georgia Straight, qui fait un excellent travail, mais c'est un hebdomadaire. Il n'y a pas beaucoup de choix pour ce qui est de la presse.
La presse est la principale source de nouvelles pour la plupart des gens à Vancouver. La diffusion de ces journaux, comme je vous l'ai indiqué, est à la baisse, et cela entraîne effectivement des frustrations. Ainsi, lors du référendum sur les jeux olympiques, le Vancouver Province comme le Vancouver Sun étaient résolument en faveur de cet événement — ils en faisaient pratiquement la réclame. Les gens qui étaient contre — et ils étaient nombreux — se sont sentis frustrés parce qu'ils n'avaient pas l'impression de pouvoir se faire entendre. Ils n'avaient personne pour représenter leur point de vue dans la presse. C'est le genre de situation que l'on retrouve fréquemment.
La présidente: Nous avons bien retrouvé la transcription de l'entrevue que vous avez donnée à la radio de CBC le 13 mai. Selon cette transcription, vous nous demandiez de voyager et de faire des recherches. Il nous fallait: Aller à Vancouver, parce que l'on dit que c'est là que l'on trouve la plus forte concentration de la propriété au pays... Si ce sujet les intéresse il faut qu'ils aillent voir sur place.» Vous avez ajouté: «Ils pourront se pencher sur la situation et juger à quel point elle est pernicieuse. Ils pourront aussi faire des recommandations pour interdire les participations croisées, par exemple.»
Je ne pense pas que vous considériez nécessairement cela comme une recommandation. J'ai l'impression que vous évoquiez tout un éventail de possibilités qui s'offraient au comité, mais personne n'a inventé ces mots.
Mme Logan: Non, on a laissé entendre que j'étais en faveur d'une interdiction des participations croisées, ce qui n'est pas le cas.
Le sénateur LaPierre: Madame, il y a deux choses ici. J'aimerais en revenir à l'alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés. Pour pouvoir jouir de la liberté d'opinion, il me faut avoir accès à une diversité d'opinions. Grâce à Internet, bien entendu, je pourrais avoir accès à différents types d'information. Toutefois, une grande partie de notre population — peut-être la majorité — n'a pas facilement accès à un ordinateur. En second lieu, bien des gens de ma connaissance ne savent pas se servir d'un ordinateur.
De plus, la politique de diffusion sur large bande du gouvernement fédéral, qui devait couvrir 95 p. 100 du pays à l'aide d'un satellite placé sur orbite basse auquel tout le monde aurait pu avoir accès, semble être sur le déclin. Par conséquent, je considère qu'Internet — même si j'y crois — est la voie de l'avenir. Il nous faudra tenir compte du fait que nous ne pouvons pas disposer de cet instrument national universel en ce moment. Toutefois, ce n'est pas de cela dont je voulais vous parler.
La plupart des gens se sont moqués de Patrick Watson et de son projet de journal public. On a allégué que l'on disposait déjà de la SRC et que cette société n'avait qu'à s'en charger. De plus, on a affirmé que la presse écrite était en quelque sorte une vache sacrée que l'on ne pouvait pas toucher parce qu'elle se trouvait au centre de l'échiquier et qu'il suffisait de l'adorer en courbant la tête. Je refuse cette idée.
Vous vous inquiétez du fait que la radio et la télévision de la SRC limitent la diversité des nouvelles et l'expression des opinions parce qu'elles s'adressent en grande partie à un auditoire qui attend des nouvelles. De plus, nous savons que bien souvent les journalistes qui sont aujourd'hui dans les salles de presse s'assoient pour rédiger un article puis se rendent dans la salle de maquillage pour jouer ensuite les vedettes de télévision. Ils condensent tout un article en un bulletin d'une minute et demie. On devrait l'interdire.
Il m'apparaît que la presse écrite est contrôlée par différentes lois qui existent déjà. Qu'y a-t-il de mal à ce qu'un journal public, financé par les contribuables canadiens, soit mis sur le marché pour exprimer des opinions susceptibles d'être très différentes de celles de la SRC? Autrement dit, pour exercer la liberté de la presse, il convient de multiplier les supports afin de propager davantage d'idées plutôt que de les limiter.
Je considère que Patrick Watson est un génie; il a présenté à notre comité l'une des recommandations les plus importantes qui ait été faite jusqu'à présent.
Mme Logan: Je pars du principe qu'il n'y a qu'un montant limité de crédits que le gouvernement peut consacrer à la propriété publique des médias dans notre pays. Étant donné que nous avons pour le moment un radiodiffuseur en difficulté, je n'aime pas beaucoup l'idée qu'on puisse lancer un journal financé par des fonds publics, même si je suis d'accord en principe pour dire que c'est une bonne idée.
Je ne pense pas que nous ayons les moyens de le faire; c'est la première chose. En second lieu, la SRC peut devenir en puissance ce journal, mais je crois que le CRTC était dans le vrai lorsqu'il a obligé le secteur privé à maintenir distinctes ses structures de gestion. Je crois qu'il en va de même pour la SRC: si on en fait une entreprise multimédia — radiodiffuseur, Internet, radio et télévision — si l'on veut que ses journalistes passent de l'un à l'autre — vous m'excuserez, mais si l'on veut qu'un journaliste de la presse devienne une personnalité de la télévision — je n'y vois pas vraiment d'inconvénient à condition que tout soit géré séparément. Il faut que ce soient des services séparés et distincts.
L'emploi de plusieurs médias par les journalistes pour transmettre des reportages courants présente un certain nombre d'avantages. Les autres journalistes deviennent alors libres de couvrir d'autres sujets qui sont méconnus. Ce serait magnifique si les choses se passaient de cette manière; malheureusement, ce n'est pas le cas. Lorsqu'on intègre les ressources au sein du secteur privé, la personne en trop est mise à la porte. C'est éventuellement une conséquence du climat économique dans lequel nous vivons. Si on améliore la situation, ça ne se passera peut-être pas ainsi.
Pour les reportages courants, je ne vois aucun inconvénient à ce qu'un journaliste passe sur deux médias. S'il en résultait une plus grande ouverture de l'information donnée aux nouvelles — événement auquel je serais très heureuse d'assister — ce serait alors une bonne chose.
La présidente: J'ai pensé qu'il serait bon pour nos téléspectateurs qu'on leur lise le texte de l'article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés, auquel s'est référé le sénateur LaPierre, pour ceux qui ne l'ont pas. L'article 2 dispose:
Chacun a les libertés fondamentales suivantes:
a) liberté de conscience et de religion;
b) liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;
c) liberté de réunion pacifique;
d) liberté d'association.
Le sénateur Graham: J'aimerais que l'on se pose une question plus pratique. En l'occurrence, que pensez-vous de la façon dont les médias canadiens ont couvert la guerre en Irak?
Mme Logan: Est-ce que vous parlez précisément des journalistes embarqués avec l'armée?
Le sénateur Graham: Nous avions de nombreux journalistes embarqués au Canada. Il me semble qu'ils opéraient de façon tout à fait indépendante.
Mme Logan: Parlez-vous de l'ensemble des médias, la presse, la radio et la télévision?
Le sénateur Graham: Vous nous avez dit tout à l'heure que les moyens de la SRC étaient trop limités pour qu'elle puisse concurrencer le secteur privé. Il me semble qu'elle a très bien su trouver les moyens de couvrir la guerre.
Mme Logan: Oui, effectivement. Je suis d'accord avec vous sur ce point.
Toutefois, étant donné que j'ai travaillé et que j'ai géré des budgets dans cette société, je me suis demandé quels étaient les sujets qui n'allaient pas être couverts du fait de tout l'argent qui a été dépensé pour faire cet excellent travail en ce qui a trait à la guerre en Irak. Ce qui m'a toujours étonnée, c'est que nous n'avions pas de trésor de guerre — du moins ce n'était pas le cas à la SRC à l'époque, et je suppose que la situation n'a pas changé. Lorsque survient un événement de ce genre qui exige des dépenses extraordinaires, tout le reste souffre en conséquence. Certes, je conviens que l'on a fait là un excellent travail, mais je pense que c'est probablement au détriment de bien d'autres sujets.
Le sénateur Graham: Est-ce que vous considérez que de manière générale, les autres médias canadiens, en dehors de la SRC, ont fait un bon travail? Est-ce que vous avez suffisamment suivi la chose?
Mme Logan: Bien sûr, je l'ai suivie de près. Je considère que de manière générale les médias canadiens ont fait un bon travail.
Je vous ai dit précédemment qu'à mon avis il fallait voir beaucoup de télévision et lire beaucoup de journaux pour se faire une idée générale.
CanWest Global a donné un bon exemple de convergence. Elle a fait largement appel aux journalistes de la presse dans les émissions de télévision. Sa couverture des événements, à la télévision notamment, a été largement rehaussée par la présence des journalistes de la presse. De son côté, le Globe and Mail a fait un excellent travail. Je pourrais toujours trouver à redire par-ci par-là mais, en règle générale, j'ai estimé que les médias s'étaient très bien acquittés de leur mission.
Vous ne m'avez pas interrogée au sujet de la propriété étrangère, mais je me suis demandé, en observant la couverture des événements pendant la guerre, ce qui se serait passé si les journaux et les chaînes de télévision avaient été au Canada la propriété des Américains.
Le sénateur Graham: Je vous aurais alors posé la question.
La présidente: Madame Logan, ce fut très intéressant. Je vous remercie. Comme vous pouvez le constater, nous regrettons de devoir interrompre cette partie de la séance. C'est toutefois le sort qui est réservé aux comités comme le nôtre. J'espère que nous nous reverrons lorsque nous serons à Vancouver.
Mme Logan: C'est moi qui vous remercie.
[Français]
La présidente: Je souhaile la bienvenue à nos prochains témoins, M. Neil Seeman et M. Patrick Luciani de l'Institut Fraser de Vancouver.
[Traduction]
M. Luciani est associé principal à l'Institut. M. Seeman est directeur du Canadian Statistical Assessment, service qui est géré par l'Institut. Je crois savoir que c'est M. Seeman qui va présenter l'exposé et que M. Luciani l'aidera ensuite à répondre aux questions. Je vous remercie d'être venus aujourd'hui.
M. Neil Seeman, analyste principal de la politique et directeur, Canadian Statistical Assessment Service, Institut Fraser: C'est un grand plaisir pour moi que d'avoir l'occasion de vous rencontrer aujourd'hui. Je suis très honoré de votre invitation. Je tiens à vous présenter mon collègue, Patrick Luciani, qui est associé principal à l'Institut. C'est aussi un économiste agrégé au Collège Massey de l'Université de Toronto.
Je suis venu en ma qualité de directeur du Canadian Statistical Assessment Service, projet de l'Institut Fraser fonctionnant à partir des nouveaux bureaux de l'Institut à Toronto. Notre mandat consiste en grande partie à encourager les médias à mieux couvrir les questions de politique publique en étudiant plus particulièrement la façon dont ils font état des recherches empiriques et communiquent les renseignements d'ordre quantitatif. Nous proposons également des ateliers aux journalistes et aux étudiants en journalisme un peu partout au pays. Nous travaillons avec un conseil consultatif autonome constitué d'économistes, de statisticiens, de savants, d'épidémiologistes et de chercheurs dans tout un éventail de domaines. J'encourage les intéressés à consulter notre site web, à l'adresse www.canstats.org, où nous diffusons certains des résultats de nos recherches.
Nous sommes un organisme unique en son genre au Canada, modelé sur son homologue américain, le Statistical Assessment Service de Washington, qui est affilié dans ce pays au Center for Media and Public Affairs. Ce groupe a réussi remarquablement bien à promouvoir un usage exact des statistiques par les médias américains.
La raison pour laquelle l'Institut a décidé de changer ce projet en particulier l'an dernier tient au fait que le rythme d'élaboration des politiques — comme vous le savez sans doute — est extrêmement lent, et que pourtant les médias réagissent extrêmement rapidement, et de plus en plus vite en cette ère d'Internet. Il résulte d'un tel état de fait que la presse présente souvent mal le produit des recherches portant sur les politiques publiques.
Il arrive parfois que des recherches importantes passent inaperçues. J'ai cherché à obtenir des renseignements sur le sujet — et les trois articles de fond que j'ai fournis l'illustrent bien — en étudiant empiriquement l'écart entre ce que divers spécialistes et les journalistes jugent important. Bien souvent, les seconds manquent de nuance, en omettant par exemple des précisions d'une importance critique au moment de faire connaître le fruit de certaines recherches. Ce n'est pas uniquement dans le domaine de la santé ou des sciences. Les reportages et les commentaires d'ordre économique sont particulièrement sujets aux erreurs statistiques. Le compte rendu d'études complexes dégénère souvent en véritable cirque politique, les extrémistes des deux camps ayant l'occasion de faire entendre leurs voix. Il est de plus en plus courant de «faire des nouvelles à partir des sondages», les médias interrogeant un petit échantillon de lecteurs, d'auditeurs ou d'utilisateurs de l'Internet, rendant compte du sondage et faisant des commentaires à son sujet.
Ce qui est peut-être encore plus inquiétant, c'est que j'ai la forte impression que dans bien des cas, les chercheurs refusent désormais d'avoir tout contact avec les médias de peur que leurs recherches soient mal interprétées. Comme l'ont bien prouvé des chercheurs comme Barry Glassner, de l'Université de la Californie du Sud, les médias ont tendance à accorder une importance exagérée aux conclusions qui suscitent un climat de crainte. Les mythes apparaissent souvent comme par magie — comme l'idée que des douzaines d'enfants chaque année meurent d'empoisonnement à l'Halloween, ou encore l'article de triste mémoire publié par le New York Times il y a bien des années pour dire que les hommes avaient davantage tendance à battre leur petite amie le dimanche du SuperBowl.
Les recherches ont prouvé que les études scientifiques qui montrent des corrélations de risque — par exemple, au début des années 90, celles qui avaient tendance à montrer que les implants en silicone causent le cancer du sein — font l'objet d'une couverture médiatique beaucoup plus importante que celles indiquant des corrélations d'absence de risque, comme l'étude publiée en 1999 par l'Académie nationale des sciences pour dire que les implants en silicone ne causaient pas le cancer. Lorsqu'une association est découverte, comme cela a été le cas l'an dernier à propos d'une étude portant sur le traitement hormonal substitutif, on exagère de beaucoup les risques, les médias ayant tendance à se concentrer sur la hausse du risque relatif. Dans ce cas, il y avait une augmentation de 50 p. 100 des risques lorsqu'on combine la thérapie à un certain nombre de médicaments. Les médias oublient souvent de faire état du fait que l'augmentation du risque absolu est si infime qu'elle ne signifie rien. Ce type de conclusions est beaucoup plus intéressant pour moi intellectuellement que les études plus théoriques sur les médias, portant notamment sur les préjugés.
J'aborde la question en tant qu'ancien journaliste. J'ai été membre fondateur du conseil de rédaction du National Post, où j'étais chargé d'un certain nombre de dossiers, notamment des plaintes, ce qui m'a amené à rencontrer régulièrement des membres du public et des lecteurs. Auparavant, j'étais avocat, puis j'ai suivi une formation de deuxième cycle en épidémiologie et en biostatistique.
J'ai découvert que ce que l'on reproche le plus aux médias d'aujourd'hui c'est que les journalistes rapportent souvent mal les faits, même si l'on entend souvent parler de préjugés. Il ne s'agit pas simplement de faire des erreurs de moindre importance mais de carrément dire le contraire de la réalité. C'est souvent le cas notamment des affaires judiciaires; certains journalistes peuvent confondre, par exemple, un acquittement et une absolution sous condition.
Que signifie tout cela pour les politiques publiques? Je dirai que les questions comme la concentration des médias et les participations croisées sont de fausses questions. Bien qu'il s'agisse là de sujets fort débattus dans certains cercles d'élites où se réunissent les journalistes, ce n'est pas ce dont se plaint le commun des mortels lorsqu'on parle de médias canadiens. Les Canadiens se soucient des faits à la base et recherchent l'exactitude.
Est-ce que la convergence ou les participations croisées ont quelque chose à voir avec tout cela? La professeure Logan a rapidement abordé la question pour dire que les recherches concernant l'impact de la convergence et des participations croisées dans les médias sur la qualité des nouvelles étaient parcellaires, contradictoires et avant tout superficielles. En passant en revue une grande partie des témoignages présentés devant votre comité et des avis exprimés dans les journaux canadiens sur ce sujet, je n'ai trouvé aucune référence à des recherches effectuées sur le terrain qui puisse corroborer l'opinion selon laquelle la convergence des médias a une quelconque influence sur les questions de qualité telles que la représentation fidèle des statistiques ou l'exposé de politiques complexes.
Les quelques études qui ont été faites l'ont été aux États-Unis. L'une d'entre elles a été effectuée par le Project for Excellence in Journalism, un groupe de réflexion affilié à la Columbia Graduate School of Journalism, auquel a fait allusion la professeure Logan. Cette étude, qui s'intitule «La propriété a-t-elle une importance pour les nouvelles locales à la télévision: une étude de cinq ans sur les questions de propriété et de qualité» a été mise à jour en avril. Après avoir passé en revue 172 émissions différentes d'actualités et 23 000 autres émissions, et après en avoir analysé le contenu, les auteurs ont conclu:
Lorsque qu'on réunit tous les éléments, on constate que la question de la propriété des médias est plus complexe que ne l'avaient imaginé les avocats des deux camps dans le débat sur la déréglementation. Un certain nombre des arguments en faveur des grosses entreprises ne sont pas corroborés, et sont même contredits, par les chiffres. De leur côté, certains arguments prônant le mérite d'un contrôle local semblent eux aussi difficiles à prouver.
L'étude a montré, par exemple, que les stations bénéficiant de participations croisées dans lesquelles la société mère possède en même temps un journal desservant le même marché, avaient tendance à produire des émissions d'actualités de meilleure qualité. Certains auraient pu penser le contraire.
Dans la stricte limite où il existerait même des recherches, un problème plus fondamental se pose en ce qui concerne la définition de la qualité. Dans le cadre de l'étude que je viens de mentionner, les chercheurs ont mesuré de façon traditionnelle la qualité en se demandant si les bulletins de nouvelles reflétaient l'opinion de l'ensemble de la collectivité; si s'ils couvraient une gamme élargie de sujets; s'ils présentaient un intérêt local; enfin, s'ils présentaient des points de vue équilibrés et multiples. Aucune, ou pratiquement aucune, étude qualitative n'est faite pour savoir si les sources utilisées font autorité ou si les résultats des recherches ou les statistiques sont présentés de façon exacte.
Si je dis tout cela, c'est pour indiquer que le principe selon lequel la concentration est mauvaise en soi — il y a bien des mythes dans ce domaine — s'appuie souvent sur des recherches très lacunaires. Si cette opinion s'appuie sur des faits, ils proviennent souvent des enquêtes d'opinion, qui nous laissent entendre qu'un certain nombre de Canadiens sont censés être préoccupés par la baisse de qualité du fait de la convergence. Toutefois, on n'en a pas beaucoup analysé les raisons. Je n'ai vu aucune enquête ayant été effectuée à ce sujet par une entreprise de sondage neutre — en l'occurrence, pour le compte d'un syndicat de journaux — qui fasse état du fait qu'une majorité de Canadiens sont vraiment préoccupés par la convergence des médias, même s'ils ne savent pas ce que recouvre cette préoccupation. Souvent, à mon avis, les préoccupations touchant la convergence s'expliquent tout simplement par une opposition sur le plan idéologique aux positions adoptées par le propriétaire des médias concernés sur une question politique très controversée, par exemple au Moyen-Orient.
Je dirai en résumé que le plus gros défi à relever en matière de qualité des nouvelles n'est pas celui de la concentration ou des participations croisées dans les médias. Il est de nature plus fondamental: Comment faire passer des politiques publiques complexes avec exactitude et de manière cohérente? Aucun média n'est plus coupable qu'un autre à ce sujet et nous ne pouvons pas nous fier davantage aux diffuseurs publics qu'aux entreprises privées pour obtenir des renseignements de meilleure qualité dans les médias. Rien ne prouve qu'un nouveau journal financé par des fonds publics fera un meilleur travail. La structure de propriété ou la convergence des médias n'influe pas sur le degré d'exactitude avec lequel les journalistes de telle ou telle compagnie rapportent les statistiques.
La seule solution, à mon avis, est de mieux éduquer les journalistes. Cela pourrait se faire dans les écoles de journalisme — mais ce n'est qu'une possibilité, parce que de plus en plus les services de nouvelles n'engagent pas directement les diplômés des écoles de journalisme. Lorsqu'ils les engagent, ils pourraient insister sur de meilleures connaissances en économie et en études quantitatives. Certaines améliorations pourraient venir de divers critiques indépendants, comme nous-mêmes. J'ai l'impression que les médias canadiens ont tendance à ne pas sélectionner ou recruter de journalistes ayant de solides connaissances en mathématiques ou en études quantitatives.
Pour améliorer la qualité des médias, il faudrait, à mon avis, non pas de nouvelles règles régissant la participation croisée ou la propriété, mais plutôt des encouragements pour former des journalistes mieux informés. La réglementation en matière de «diversité» ou de participation croisée n'assurera pas forcément la qualité des médias.
La présidente: Merci beaucoup. J'ai lu avec un certain intérêt les réimpressions des articles du colloque de l'Institut Fraser que vous avez fait parvenir au comité en citant des bases de données. J'ai relevé dans l'un de ses articles intitulés «Canada's Missing News Part I: A Dissent on Nancy Olivieri,» que dans le décompte des articles publiés dans les médias, on ne cite pas parmi les sources le Globe and Mail. Est-ce simplement parce qu'on l'a oublié dans les notes en bas de page?
M. Seeman: Non, pas du tout.
La présidente: Ces notes mentionnent CTV, la SRC, le Calgary Herald, l'Edmonton Journal, le National Post, le Toronto Star, le Montreal Gazette, l'Ottawa Citizen, le Vancouver Sun, et plusieurs autres journaux.
M. Seeman: Étant donné la nature de la base de données ayant servi à cette recherche en particulier, le Globe and Mail n'a pas été pris en compte. Vous avez raison. Pour être tout à fait complet, il aurait fallu que mon projet soit plus ambitieux, mais je devais veiller à l'intégrité de la base de données concernant cette recherche en particulier.
Le sénateur Graham: Dans vos évaluations, quelle attention accordez-vous à une couverture équilibrée? Accordez- vous une attention aux manchettes? Lorsque le rédacteur d'une manchette est assez malin et lorsqu'il veut laisser une certaine impression ou donner une certaine orientation à l'article, les lecteurs du journal vont s'apercevoir parfois que la manchette n'a absolument rien à voir avec les véritables faits ou avec le corps de l'article.
M. Seeman: Croyez-le ou non, mais l'on a très peu analysé le contenu des manchettes au Canada. Il est bien intéressant de constater que la plupart des analyses de contenu oublient de se pencher sur ce que vous venez d'indiquer. On a récemment procédé à une analyse de contenu des articles publiés par les médias canadiens au sujet des essais sur les médicaments prescrits afin de savoir dans quelle mesure les journalistes canadiens parlaient à la fois des avantages et des inconvénients des nouveaux médicaments pour éviter d'être sans le vouloir les marionnettes des sociétés pharmaceutiques lorsqu'elles publient des communiqués de presse. On n'a toutefois accordé aucun intérêt aux manchettes. Je suis tout à fait d'accord avec vous. Une analyse du contenu des manchettes permettrait éventuellement d'arriver à des conclusions tout à fait différentes. Je n'ai fait toutefois aucun codage à ce sujet.
M. Luciani: Parfois, un simple coup d'oeil sur la manchette nous montre qu'il n'y a en fait aucune relation entre la manchette et l'article lui-même. J'ai essayé de penser à certains exemples. Il y en a un qui me vient à l'esprit, c'est celui de la publication chez nous d'une étude dans le Journal de l'Association médicale canadienne au sujet des naissances à domicile. Les manchettes des trois ou quatre grands journaux donnaient l'impression que ces naissances ne présentaient pas plus de danger qu'à l'hôpital. Toutefois, lorsqu'on lisait tout l'article — dans les journaux comme dans la revue professionnelle elle-même — ce n'était pas les conclusions que l'on en tirait.
Le sénateur Graham: On citait peut-être une personne en particulier.
M. Luciani: Nous parlons des manchettes elles-mêmes. En ne lisant qu'elles, par exemple, on en aurait retiré l'impression totalement erronée que c'était là le sujet de cette étude. C'est une chose qui arrive assez souvent.
Comme l'a indiqué M. Seeman, les politiques publiques relèvent d'un processus lent alors que les médias vont très vite. Lorsque les deux choses entrent en concurrence, il y a des dommages collatéraux. On ne peut pas couvrir la politique comme on couvre le sport. Il faut une participation bien plus active de la part des lecteurs. Souvent, on retire une impression tout à fait fausse compte tenu de ce que l'étude de politique publique s'efforçait d'exprimer.
M. Seeman: Je peux citer un exemple très parlant sur un sujet d'actualité: la marijuana. Les effets de la marijuana ont une grande importance dans les politiques actuelles. Une étude a été faite l'année dernière sur les conséquences prétendues de l'usage de la marijuana sur les niveaux d'intelligence. Voici trois manchettes, de trois journaux différents, qui interprètent cette même étude. La première nous vient du Toronto Star: «Une étude nous révèle que le QI des gros consommateurs de marijuana baisse.» La deuxième, du National Post: «Les effets de la marijuana sur le QI sont temporaires, nous dit une étude.» La troisième, du Globe and Mail: «Fumer de la marijuana ne présente aucun risque pour le QI, selon une étude.» C'est comique, mais en même temps tragique. Ces manchettes sont apparues autour du 1er avril. Par ailleurs, il s'agissait là d'une étude importante qui a fait les premières pages des journaux.
Le sénateur Graham: On a l'impression que tout est mélangé. Est-ce que vous constatez que l'on a tendance à insister sur les éléments négatifs? Il y a bien des événements qui se passent dans notre pays et dans le monde. Il y a bien des choses positives à relater. J'ai l'impression que dans la presse imprimée on a davantage tendance à faire une manchette qui attire l'attention en privilégiant le côté négatif des choses plutôt que d'insister sur les éléments positifs.
M. Seeman: Oui, c'est tout à fait vrai. Toutes sortes de recherches effectuées sur le terrain ont permis de le constater. La couverture récente de la guerre peut être considérée comme un exemple typique.
Sur le plan quantitatif, nous avons constaté par exemple que l'on a beaucoup insisté sur les tirs accidentels ayant causé des morts parmi les alliés. On n'a pas parlé, toutefois, des progrès effectués par la médecine militaire, ce qui a entraîné bien moins de décès au cours des combats. La médecine militaire a tout simplement fait des progrès extraordinaires au cours des dernières années.
Le sénateur Merchant: J'ai trouvé votre exposé très intéressant. Je suis parfois confondu. Les journalistes jouissent d'un grand pouvoir d'influence sur la population. Lorsqu'on demande aux gens de noter les journalistes, je pense qu'ils leur donnent une note assez faible. Pourtant, lorsque les gens lisent quelque chose dans les journaux ou voient quelque chose à la télévision, ils semblent y croire, que ce soit vrai ou non d'un point de vue statistique. Il y a là à mon avis une certaine contradiction.
Parfois, je regarde les nouvelles à 22 heures, par exemple, à la SRC. Il y a ensuite les nouvelles de 23 heures. La nouvelle qui fait les manchettes à la SRC, par exemple, pourra très bien ne même pas être mentionnée à CTV. Il se peut aussi que la même nouvelle soit présentée sous deux angles très différents.
Comment les téléspectateurs vont-ils pouvoir déterminer ce qui se passe vraiment?
M. Seeman: Les téléspectateurs doivent se fier à leur intuition, à leur intelligence et à la crédibilité des sources. Toutefois, nous n'avons toujours pas fait de recherche au Canada pour savoir dans quelle mesure les sources des nouvelles sont véritablement crédibles. Il serait intéressant que la professeure Logan entreprenne des recherches de ce genre.
Je ne suis pas psychologue. Je ne sais pas de quelle façon les gens pondèrent ces différentes sources. En fin de compte, ce qui importe éventuellement, ce n'est pas tant quelle sera la source qui va l'emporter en cas de traitement contradictoire des nouvelles, mais le fait que la population va se désintéresser de tout ce qu'elle apprend aux nouvelles et remettre en cause tous les éléments d'information qu'on lui fournit. C'est ce qui se passe de plus en plus.
Le sénateur Merchant: Parfois, lorsqu'on s'aperçoit finalement qu'une information parue aux nouvelles ou dans la presse est inexacte, la rétractation va souvent apparaître, par exemple, dans une petite note en bas de la dernière page, alors que l'article lui-même avait fait à l'origine les manchettes de la une. Je considère qu'il y a là aussi un problème.
Je ne sais pas comment on peut le régler. Les gens deviennent tout simplement plus cyniques.
M. Luciani: Vous nous avez dit que les journalistes étaient tout au bas de l'échelle lorsqu'on classe les différentes professions suivant qu'elles sont plus ou moins respectées.
Le sénateur Merchant: Je n'ai pas dit qu'ils étaient tout en bas. Toutefois, vous connaissez comme moi le résultat des sondages.
M. Luciani: Je dois dire que la réputation de toutes les professions en a pris un coup au cours de la dernière génération. Je ne pense pas qu'il reste grand monde qui s'en sorte avec les honneurs. Je considère qu'il y a un scepticisme général au sujet de toutes les professions.
Le service canadien d'évaluation statistique, CANSTATS, s'efforce d'aborder un certain nombre des questions que vous venez d'évoquer. Finalement, que cherchons-nous à faire? Nous essayons de dire aux lecteurs et aux utilisateurs des médias comment il faut comprendre la façon dont opèrent les médias. Les médias vont faire du sensationnalisme. Ils vont s'efforcer de publier des nouvelles qui mettent en valeur le média lui-même. Ils vont chercher dans une certaine mesure à faire participer les gens, pas seulement sur le plan intellectuel, mais aussi d'un point de vue émotif. Par conséquent, il faut que les lecteurs et que les téléspectateurs classent l'information par ordre d'importance en fonction de leurs propres critères. Notre travail consiste essentiellement à faire en sorte que les gens se montrent sceptiques. Nous disons aussi que les gens qui s'intéressent à un sujet en particulier ne doivent pas se contenter des manchettes. On ne peut pas tout simplement accepter ce que disent les journaux, la radio ou la télévision.
Nous faisons aussi autre chose. Nous nous efforçons de regarder par-dessus l'épaule des journalistes pour leur faire comprendre qu'il y a des gens qui suivent de près leurs comportements et qui vont se pencher sur les chiffres dans toute la mesure du possible. Nous allons revenir sur les articles pour voir si nous parvenons aux mêmes conclusions. Si ce n'est pas le cas, nous le dirons.
Je considère que dans une certaine mesure c'est là essentiellement notre travail. Ce qui nous a surpris, lorsque nous avons lancé notre projet, c'est qu'il n'existait pas déjà quelque chose de ce type dans notre pays. J'espère que nous développerons nos activités et que nous aurons encore plus de succès dans notre travail.
La présidente: J'ai relevé avec intérêt que selon vous les services de nouvelles au Canada ne recrutaient pas ou ne choisissaient pas des journalistes ayant de solides compétences en arithmétique ou en statistiques. J'imagine que le mot clé ici, c'est «solide», étant donné que la plupart des journalistes ont à l'heure actuelle un diplôme universitaire au niveau de la licence, ce qui signifie qu'ils ont suivi des cours de mathématiques à l'école secondaire. Vous ne considérez pas qu'il s'agit là de solides connaissances en mathématiques et en statistiques?
Si je remonte à mes débuts dans le journalisme, je pense qu'il y a une certaine vérité dans ce que vous nous dites, car quand on embauche un journaliste, il faut qu'il soit en mesure d'écrire un article. Je ne veux pas dire par là inventer un article, mais rendre compte d'un événement. Nombre de mathématiciens et de scientifiques sont en mesure de le faire. Je pense que c'est Henry Luce qui a déclaré, lorsqu'il a créé la revue Fortune, qu'il avait le choix entre embaucher des économistes pour en faire des poètes et embaucher des poètes pour en faire des économistes. Il lui est apparu qu'il était plus facile de transformer des poètes en économistes, du moins en économistes suffisamment qualifiés pour rédiger une revue d'entreprise.
Ce long préambule nous amène, j'imagine, à la question suivante: N'êtes-vous pas ici en quelque sorte en train de nier une réalité de la vie, en l'occurrence qu'il est impossible d'avoir cette rigueur post-doctorale et cet esprit d'analyse statistique que vous voudriez exiger d'un journaliste professionnel?
M. Seeman: Je suis d'accord avec vous. Vous avez raison de le signaler. Je pense que tous les rédacteurs en chef sont de cet avis. Tous les rédacteurs en chef préféreraient prendre un Wordsworth pour en faire un Galilée.
Il est difficile de généraliser. Certains supports d'information sont meilleurs que d'autres. Certaines tendances récentes ont évolué. Nous constatons qu'il y a des journaux qui ont des besoins d'argent, ce qui influe sur tout le reste en matière de qualité. Sauf dans le Globe and Mail et éventuellement dans un ou deux autres journaux, il y a très peu de journalistes vraiment spécialisés dans le domaine médical et sur les questions de santé. De plus en plus, on fait appel à des généralistes qui un jour vont être chargés de rendre compte du dernier article du Journal de l'Association médicale canadienne pour commenter le lendemain les délibérations du Comité sénatorial permanent des transports et des communications. Ils ne sont pas nécessairement moins bien formés qu'il y a 10 ans, mais l'on exige davantage d'eux.
Je ne m'attends pas à la perfection. La solution se trouve en partie dans les écoles de journalisme. Nous sommes en train de faire une recherche préliminaire sur les programmes des écoles de journalisme et sur le degré de satisfaction des journalistes professionnels en ce qui concerne leurs études. Je suis d'accord avec votre observation.
La présidente: Allez-vous vous pencher sur les programmes des écoles de journalisme?
M. Seeman: C'est une idée qui nous est venue à l'esprit. Il s'agit d'avoir les budgets et les projets de recherche correspondants, mais c'est un sujet qui ne manque pas de nous intéresser.
La présidente: Avez-vous pris contact avec des éditeurs ou des rédacteurs en chef professionnels sur ce genre de projet? Que vous ont dit les professionnels?
M. Seeman: Ils y sont tout à fait favorables. Ils accueillent à bras ouverts ce genre de projet. Ils nous ont invité à parler devant les comités de rédaction et à collaborer avec les journalistes. Nous recevons des appels émanant de journalistes opérant dans tous les domaines, privé, public ou politique. Nous recevons des appels de la SRC ainsi que des entreprises du secteur privé.
Le sénateur Graham: Je m'intéresse particulièrement à ce que vous faites et j'espère que vous poursuivrez votre travail.
Est-ce que CANSTATS s'intéresse davantage à l'amélioration de la qualité des nouvelles qui paraissent actuellement dans les médias qu'à la promotion d'une plus grande diversité d'opinions?
M. Seeman: Les deux choses vont de pair. Nous mettons l'accent sur la qualité. Il serait trop ambitieux de s'attacher à la diversité, mais tout se tient évidemment. Nous nous intéressons avant tout à la qualité des nouvelles. Nous ne cherchons pas à favoriser une plus grande diversité d'opinions.
Parallèlement, nous cherchons à évaluer dans quelle mesure certaines nouvelles sont laissées de côté. Cette question nous intéresse, elle aussi. Lorsqu'une recherche qui rend compte de faits avérés ou qui remet en question l'exagération de certains risques n'est pas rapportée dans les médias, c'est une chose qui nous intéresse. Dans cette mesure, nous nous penchons aussi sur la diversité.
Le sénateur Merchant: Vous avez parlé d'information biaisée en matière de radiodiffusion. Quels sont vos constatations. Dans quelle mesure les informations sont biaisées dans le domaine de la radiodiffusion?
M. Luciani: Ce n'est pas l'information biaisée qui nous intéresse. Nous cherchons à savoir si elle est exacte. Par information biaisée, il faut entendre, j'imagine, que certains événements sont davantage couverts que d'autres, par exemple.
Le sénateur Merchant: Je me demande si vous n'avez pas relevé une tendance. Il est possible que vous ne le mesuriez pas directement.
M. Luciani: Non. Pas directement.
M. Seeman: Je ne fais pas généralement très confiance aux analyses de la qualité du contenu pour prouver l'existence ou non d'une information biaisée. La définition d'une information biaisée change bien entendu avec le point de vue de chacun. Dans ce domaine, la «sagesse des médias» est bien souvent parcellaire et superficielle. Souvent, on se contente de relever la fréquence de l'emploi du terme «libéral» par opposition de celui de «conservateur».
Je ne veux pas accabler les recherches universitaires portant sur l'analyse du contenu. Certaines d'entre elles sont en fait très bonnes et elles s'améliorent. Il faut bien dire cependant qu'elles sont limitées sur le plan intellectuel et universitaire. Si l'on veut véritablement améliorer la qualité des nouvelles, il est préférable de faire appel à l'exactitude — pour s'en tenir précisément à des questions de chiffres et d'exactitude statistique — plutôt que d'aborder la question de l'information faussée.
Le sénateur Merchant: Voulez-vous nous dire par là que l'on ne peut pas évaluer dans quelle mesure l'information est faussée? Est-ce que les éléments de preuve ne sont pas suffisamment précis?
M. Seeman: La méthodologie est très difficile à mettre en oeuvre. Cela prend beaucoup de temps et d'énergie. Il faut une armée de chercheurs pour coder les articles et chacune des phrases dans chaque article. C'est extrêmement pénible. En dernière analyse, l'exactitude et la fiabilité des résultats dépendent de l'exactitude des codes et de la façon dont on définit, par exemple, une «opinion de gauche» ou une «opinion de droite».
D'excellents travaux ont été faits en la matière. Je vous renvoie à ceux de ma collègue, Lydia Miljan, qui est actuellement à l'Université de Windsor. Elle est associée principale à l'Institut Fraser. Elle a dirigé le service des archives des médias nationaux à l'Institut Fraser et elle s'est penchée sur toutes ces questions. Elle a examiné en particulier la façon dont la SRC a rendu compte du débat sur le libre-échange.
Le sénateur Graham: Je pense vous avoir entendu dire que l'on entend souvent les gens parler d'information faussée dans les médias, mais que le plus gros reproche que la plupart des gens ont à faire aux médias, c'est le fait que les journalistes disent complètement le contraire de la vérité. C'est bien cela que vous voulez nous faire comprendre?
M. Seeman: Tout à fait. La gauche comme la droite parle aujourd'hui d'information «faussée». Ce n'est qu'une façon de parler aujourd'hui pour critiquer de manière générale les médias sans savoir exactement à quoi s'attaquer.
Nous nous efforçons de nous en tenir à l'exactitude des faits.
La présidente: Je pense que vous allez davantage attirer l'attention des médias si vous mettez l'accent sur l'exactitude des faits, qui sont après tout le fondement, la bible de la profession. Si l'on ne réussit pas dans ce domaine, cela veut dire que l'on n'a pas fait son travail.
M. Seeman: C'est vrai. Cela fait partie de la culture des médias; ils n'aiment pas faire leur autocritique.
La présidente: Alors que j'étais une jeune journaliste, j'ai pu voir, en quelque sorte, un exemple classique de ce que vous venez de dire. J'avais un diplôme en langue moderne et le petit journal pour lequel je travaillais m'avait confié des reportages dans le domaine scientifique. C'était merveilleux. J'ai beaucoup appris.
J'ai appris, à mes dépens, qu'il était important de se méfier des articles scientifiques publiés par les journalistes — notamment des résultats de ces études scientifiques — parce que la plupart des journalistes n'étaient pas en mesure en fait d'apprécier l'importance de ces articles. Je n'ai malheureusement pas d'exemples qui me viennent à l'esprit, mais vous avez bien souligné que certaines personnes vont monter en épingle un article et en passer un autre sous silence. Laissez-moi vous dire qu'ils vont parfois passer ce deuxième article sous silence tout simplement parce qu'ils ne le comprennent pas.
Comme dit le dicton: «En cas de doute, abstient-toi.» S'il en est ainsi, comment faire pour mettre en oeuvre un système qui permette de faire comprendre l'importance de toutes ces choses à la presse non spécialisée et, par conséquent, au public? Comment évaluer les choses? Quelle importance relative attribuer aux différents articles?
M. Seeman: En partie, le problème ne provient pas des journalistes. De plus en plus, les revues scientifiques font une promotion intensive, par exemple, et il en est de même des organismes de recherche. Ils vont présenter une nouvelle sous un angle favorable pour que les journalistes la reprennent. La solution relève en partie des chercheurs.
Vous avez raison. On ne peut pas s'attendre à ce que les journalistes puissent disséquer immédiatement une étude pour en révéler l'importance. On peut toujours essayer de créer un corps de conseillers scientifiques officieux. Les journalistes scientifiques pourraient alors s'adresser à une équipe de spécialistes chargés de les aider. Nous espérons pouvoir instituer des mesures de ce type. Oui, c'est un problème.
C'est le monde universitaire qui détient une partie de la solution. Je pense qu'il lui appartient de revenir sur la question quelques mois plus tard pour évaluer de quelle façon les médias ont interprété ses recherches. C'est ce qui a été fait, par exemple, au sujet des hormones de remplacement. Dans un certain nombre d'études, les universitaires ont critiqué la façon dont l'étude originale avait été interprétée par les médias. Il y a là un rapport de force, et les journalistes et les chercheurs ont chacun leurs responsabilités.
La présidente: Je vous remercie tous deux d'être venus nous voir. Ce fut tout à fait passionnant.
M. Seeman: Je vous remercie. C'était un plaisir pour moi.
La présidente: Nous vous sommes très reconnaissants d'être venus.
La séance est levée.