Aller au contenu
SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule 3 - Témoignages du 28 avril 2004


OTTAWA, le mercredi 28 avril 2004

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui à 12 h 07 pour examiner la nécessité d'une politique nationale sur la sécurité pour le Canada, et pour en faire rapport.

Le sénateur Colin Kenny (président) occupe le fauteuil.

Le président: Honorables sénateurs, je suis heureux de vous accueillir au Comité sénatorial de la sécurité nationale et de la défense. Aujourd'hui, nous entendrons des témoignages au sujet de l'examen prochain de la politique étrangère et de la défense.

Je m'appelle Colin Kenny. Je suis sénateur de l'Ontario et je préside ce comité.

À ma droite se trouve notre distingué vice-président, le sénateur Michael Forrestall. Après un début de carrière dans le journalisme, au Chronicle-Herald de Halifax, puis comme dirigeant d'une compagnie aérienne, il s'est lancé en politique et s'est fait élire pour la première fois à la Chambre des communes en 1965. Il défend les intérêts des électeurs de Dartmouth depuis plus de 39 ans. Il s'est intéressé aux questions de défense pendant toute sa carrière parlementaire et il a siégé à divers comités parlementaires, y compris, en 1994, le Comité mixte spécial de la politique de défense du Canada. Il a présidé le Comité sénatorial spécial de la sécurité des transports et le Sous-comité de la sécurité des transports. Il est actuellement membre du Comité mixte de la Bibliothèque du Parlement.

À sa droite se trouve le sénateur Norman Atkins, de l'Ontario. Il est arrivé au Sénat en 1986, fort d'une solide expérience dans le domaine des communications. Le sénateur Atkins a aussi agi à titre de conseiller de l'ancien premier ministre de l'Ontario, M. Bill Davis. Depuis qu'il est sénateur, il s'intéresse à diverses questions ayant trait à l'éducation et à la pauvreté; il s'est aussi fait le champion de la cause des anciens combattants de la Marine marchande canadienne. Au fil des ans, le sénateur Atkins a travaillé au service de la collectivité et d'un certain nombre d'œuvres de bienfaisance, dont l'Association canadienne du diabète. Le sénateur Atkins est également membre du Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration, et de notre Sous-comité des anciens combattants.

À mon extrême gauche se trouve le sénateur Michael Meighen, de l'Ontario. Il a bien réussi comme avocat et homme d'affaires, et il joue un rôle actif auprès d'un large éventail d'organismes de bienfaisance et d'établissements d'enseignement. Il est chancelier de l'Université King's College à Halifax et il a été nommé au Sénat en 1990. Il possède une vaste expérience des questions de défense et il a été membre du Comité mixte spécial de la politique de défense du Canada en 1994. Il préside actuellement notre Sous-comité des anciens combattants. Le sénateur Meighen est également membre du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce ainsi que du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans.

L'arrivée tardive de certains sénateurs est attribuable aux réunions des caucus. À mesure que ces réunions se termineront, les sénateurs se joindront à nous.

Le sénateur Tommy Banks vient d'arriver. Les Canadiens reconnaissent en lui l'un de leurs artistes les plus accomplis et les plus talentueux, ainsi qu'un représentant de calibre international de la culture canadienne. Lauréat d'un prix Juno comme musicien, le sénateur Banks a acquis une renommée nationale et internationale en tant que chef d'orchestre ou directeur musical à l'occasion de nombreuses activités prestigieuses, dont la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques d'hiver de 1988. En 2003, il a été coprésident du groupe de travail du premier ministre sur les questions urbaines. Il est membre de ce comité, mais il est aussi président du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, et président du caucus libéral de l'Alberta.

Notre comité est le premier comité permanent du Sénat à avoir pour mandat de se pencher sur les questions de sécurité. Depuis sa création au milieu de l'année 2001, il a publié une série de rapports, dont le premier s'intitulait L'état de préparation du Canada sur les plans de la sécurité et de la défense. Cette étude, qui a été déposée en février 2002, aborde les grandes questions qui se posent au Canada relativement à la défense et à la sécurité.

Le Sénat a ensuite demandé à notre comité de se pencher sur la nécessité d'une politique nationale en matière de sécurité. Nous avons publié cinq rapports sur les divers aspects de la sécurité nationale. Premièrement, «La défense de l'Amérique du Nord: une responsabilité canadienne», en septembre 2002; deuxièmement, «Mise à jour sur la crise financière des Forces canadiennes: une vue de bas en haut», en novembre 2002; troisièmement, «Le mythe de la sécurité dans les aéroports canadiens», en janvier 2003; quatrièmement, «Les côtes du Canada: les plus longues frontières mal défendues au monde», en octobre 2003; et cinquièmement, «Les urgences nationales: Le Canada, fragile en première ligne — Stratégie de renforcement», déposé en mars 2004.

Le comité poursuit son évaluation à long terme de la politique canadienne en matière de sécurité et de défense, et il examine actuellement les réponses du gouvernement aux recommandations faites à ce jour avant d'entamer de nouvelles phases de son évaluation.

Nous avons aujourd'hui la chance d'entendre M. Jack Granatstein, O.C., MSRC, qui est ici en sa qualité de président du Conseil pour la sécurité canadienne au XXIe siècle. M. Granatstein, un éminent auteur et historien, est diplômé du Collège militaire royal du Canada et il a servi pendant 10 ans dans l'Armée canadienne avant de se joindre au département d'histoire de l'Université York.

Ce membre de la Société royale du Canada et officier de l'Ordre du Canada s'est mérité de nombreuses récompenses. En 1997, il a été conseiller du ministre de la Défense nationale sur l'avenir des Forces canadiennes.

Monsieur Granatstein, bienvenue au comité. Je crois savoir que vous avez une courte déclaration préliminaire à nous faire; nous sommes impatients de l'entendre.

Monsieur J. L. Granatstein, président, Conseil pour la sécurité canadienne au XXIe siècle: Honorables sénateurs, j'aimerais évoquer quelques éléments liés aux examens de la politique étrangère et de la politique de défense prévus prochainement.

D'abord, d'après ce que nous savons à l'heure actuelle — et franchement, nous ne savons pas grand-chose — la politique de sécurité internationale fait actuellement l'objet d'un examen. Nous avons en main les résultats de ce qui ressemble à un examen provisoire de la sécurité nationale, résultats qui ont été annoncés hier par la vice-première ministre. Pourtant, personne ne s'attend à une activité vraiment sérieuse avant que des élections générales soient tenues. De plus, on peut s'attendre à ce qu'un livre blanc sur la défense paraisse en 2005, une fois ces examens terminés.

Il est encourageant de penser que la sécurité nationale et la sécurité internationale seront toutes deux prises en considération au même moment, sinon ensemble. La Défense nationale est le seul ministère important qui exerce des responsabilités dans les deux sphères, quoique son rôle en matière de sécurité nationale soit souvent oublié ou méconnu — ce qui semblait être le cas dans le document présenté hier par la vice-première ministre. Il est important de nous rappeler le rôle de la défense en cette époque, car le Canada est sérieusement menacé par le terrorisme, voire par des attaques au moyen d'armes de destruction massive. Si cela se produisait, les forces armées seraient certainement essentielles.

Il est également très important que les examens de la sécurité internationale et nationale soient coordonnés. À cet égard, votre comité pourrait jouer un rôle très utile en attirant l'attention là-dessus et en insistant pour que les rôles des Forces canadiennes dans les deux domaines soient reconnus, planifiés et correctement financés.

Plus précisément, il est indispensable que soit pris en compte le rôle joué par la Réserve des Forces canadiennes dans la sécurité nationale, que ses capacités soient améliorées et qu'elle-même soit suffisamment financée. Si un attentat terroriste devait se produire à Toronto, par exemple, la collaboration de 2 000 réservistes entraînés et capables de travailler avec la police et les pompiers serait précieuse.

Il ne s'agit pas d'intervenir dans la formation que les réservistes reçoivent, ni dans leur rôle en cas de mobilisation — si seulement nous pouvions obtenir un plan de mobilisation du Quartier général de la Défense nationale — mais la sécurité du territoire représente un besoin crucial aujourd'hui, un besoin pour lequel la Réserve doit recevoir un mandat et de la formation. Cela exigera des budgets et du personnel supplémentaires. La milice semble disposée à accepter ce rôle, mais les réserves navale et aérienne ne le sont pas encore. Il faut qu'elles le soient.

Hier, j'ai remarqué que le document de la vice-première ministre passait sous silence la Réserve. Le gouvernement doit reconnaître le rôle que joue la Réserve dans la sécurité nationale. Dans l'allocution qu'il a prononcée à la Base des Forces canadiennes de Gagetown le 14 avril 2004, le premier ministre Martin a énoncé quelques principes de la politique militaire du gouvernement. Ces principes sont justes, et il faut en féliciter M. Martin. Les dépenses gouvernementales qu'il a annoncées au titre du matériel militaire, si elles se concrétisent à terme, sont aussi les bienvenues, tout comme ses paroles sur les «trois D» — la défense, la diplomatie et le développement — ainsi que le commerce, en tant que moyens d'action privilégiés pour le Canada à l'étranger.

Là s'arrêtent mes éloges. Le gouvernement Martin a encore beaucoup à faire pour rattraper des déficiences vieilles de 40 ans et, plus précisément, les coupures budgétaires de la dernière décennie. L'effectif est tombé à 53 000 membres de la force régulière et à environ 20 000 réservistes. C'est beaucoup trop peu. Il nous faudrait au moins 80 000 membres de la force régulière et 40 000 réservistes, sans tenir compte des départs à la retraite et des démissions à prévoir au cours des cinq prochaines années, qui affaibliront encore les Forces canadiennes en les privant de techniciens compétents et de jeunes leaders. Le processus d'examen doit préciser comment le gouvernement fera face à ce problème et par quels moyens il donnera aux Forces canadiennes les ressources suffisantes.

Comme les membres de ce comité le savent, le matériel militaire est dans un état de vétusté avancé. Les problèmes les plus criants concernent les aéronefs et les navires vieux de 40 ans et les véhicules âgés de 20 ans. Il faudra entre cinq et dix ans pour que le matériel promis par le gouvernement Martin se rende jusqu'aux unités, et cela ne suffira pas. Les études et le futur livre blanc proposeront-ils un plan cohérent et des engagements financiers solides au titre de ces acquisitions? Il le faut.

Le budget des Forces canadiennes, qui s'établit à juste 1 p. 100 du PIB, se situe à moins de la moitié de la moyenne recommandée par l'OTAN et à la moitié de ce que le Canada devrait dépenser. Les études doivent proposer un plan détaillé d'augmentation des dépenses canadiennes en matière de défense, en vue d'atteindre la moyenne de l'OTAN dans les plus brefs délais.

Si les signes avant-coureurs sont bien décodés, les examens et le livre blanc sur la défense chercheront vraisemblablement à régler les problèmes d'effectif, d'équipement et de budget militaires en optant pour des rôles spécialisés. Cette solution sera suffisante à la condition expresse que le gouvernement ait la main heureuse en choisissant les spécialités en question. Nous savons que l'infanterie sera certainement nécessaire dans presque tous les rôles prévisibles; nous savons que les bâtiments de guerre et les appareils de transport aérien seront eux aussi absolument nécessaires. Mais nous semblons avoir décidé de supprimer les chars. Et beaucoup sont favorables à une élimination des sous-marins et au non-remplacement des destroyers de la marine.

Il y a peu de temps, le ministre de la Défense, M. McCallum, et le premier ministre Chrétien ont indiqué qu'ils préféraient louer ou emprunter des appareils de transport aérien lourd plutôt que de faire en sorte que l'aviation canadienne possède les siens. L'ancien chef d'état-major de l'armée de terre entrevoyait pour l'armée un rôle de petite ou de moyenne ampleur, et l'acquisition du système de canon mobile, déjà annoncée, coïncide avec ce rôle.

Ces décisions, qui ont précédé le processus d'examen, restreignent les choix à l'avance. Soyons clairs. Aucune force canadienne ne sera en mesure d'agir seule contre une force ennemie, même de petite taille, sans aéronef de transport lourd et sans char de combat principal. Aucune force opérationnelle navale sous commandement canadien ne pourra agir sans destroyer, à moins que quelques frégates ne soient munies, à grands frais, d'installations de commandement et de contrôle. Certaines forces de la coalition à laquelle nous pourrions souhaiter nous joindre pourraient ne pas vouloir de ce que nous avons à offrir ni en avoir besoin.

Il se pourrait que nos limitations n'aient pas d'importance, si nous avons de la chance. Mais si nous n'en avons pas, elles risquent d'avoir de très graves conséquences, et le coût en vies humaines et en prestige pourrait être lourd si, comme je le redoute, un futur gouvernement engage les Forces canadiennes dans des opérations pour lesquelles elles ne sont pas équipées. D'après notre expérience, il est à craindre que nos gouvernements ne déclarent, un jour ou l'autre, que le système de canon mobile est l'équivalent d'un char de combat principal: il ne l'est pas et ne le sera jamais. Autrement dit, les choix que nous ferons à la suite des études en cours auront des conséquences pendant une génération. Aussi est-il nécessaire de réfléchir à l'horizon lointain de la défense.

Permettez-moi de donner quelques petits exemples. La guerre contre le terrorisme durera sans doute très longtemps. Ne devrions-nous pas songer à ressusciter le Corps-école d'officiers canadiens (COTC) et ses équivalents pour l'aviation et la marine, afin de fournir des diplômés universitaires à la Réserve, notamment des diplômés possédant les compétences techniques dont nous savons que l'armée aura besoin? Une telle mesure ne pourrait-elle pas rétablir le contact entre les élites instruites du pays et les Forces canadiennes, de manière à combler un écart qui s'est élargi avec l'annulation du programme du COTC en 1968? Un gouvernement bien avisé pourrait voir au-delà des besoins actuels et envisager l'avenir. Le COTC aiderait des étudiants à financer des études supérieures de plus en plus coûteuses; voilà qui devrait pousser le gouvernement à agir dans ce sens.

Dans une perspective à long terme, on pourrait aussi prendre en compte les besoins de l'industrie. Nous avons créé un secteur de la construction navale pour nous doter de frégates de patrouille, mais nous l'avons délaissé depuis, ce qui représente un énorme gaspillage de fonds publics et de compétences chèrement acquises. Nous devons maintenant nous procurer des navires pour remplacer les ravitailleurs de type «Preserver», tandis que la marine a besoin de nouveaux destroyers. Les frégates de patrouille devront bientôt subir des radoubs de mi-durée, et nous devrions prévoir de les remplacer d'ici dix ans. Pourrions-nous répondre à ces besoins au Canada maintenant? N'aurait-il pas été raisonnable de reconnaître que le Canada et la marine allaient toujours avoir besoin de navires, de planifier à long terme en construisant, disons, un seul navire par année, de manière à maintenir une capacité suffisante — et à conserver des emplois à Saint John et à Lévis? Ne serait-il pas raisonnable de veiller à bien faire les choses, cette fois-ci?

Bien entendu, au cours des années 80 et 90, nous avons payé nos frégates plus cher en les construisant au Canada au lieu de les acheter à l'étranger. Je ne vois rien à redire à ce sujet. Il était avisé de payer 85 000 $ des jeeps Iltis construites par Bombardier, plutôt que 25 000 $ des jeeps allemandes. Tout cela à la condition que la capacité soit maintenue et que des emplois spécialisés soient créés et maintenus. Dans les deux cas, hélas, la capacité s'est dégradée, les emplois gagnés et les compétences acquises ont été gaspillés. Cela n'a absolument aucun sens. Il est également insensé d'imposer au budget de la Défense nationale les coûts supplémentaires que représenteraient des achats effectués au Canada; le ministère de l'Industrie — et non celui de la Défense — devrait les assumer.

Pour faire avancer le pays dans la bonne direction, il faudra plus que de l'argent. Il faudra un leadership politique pour persuader les Canadiens de toutes les régions du pays que la défense est importante. D'abord et avant tout, il y va certainement de l'intérêt national de tenir les ennemis loin de l'Amérique du Nord et, si nous devons combattre, de lutter contre eux à l'étranger. Deuxièmement, il est de l'intérêt national de pouvoir collaborer avec nos amis dans le cadre de coalitions et d'alliances à l'étranger, afin d'encourager et de soutenir la progression de la démocratie et de la liberté. Troisièmement, il est de l'intérêt vital du Canada de coopérer avec son grand voisin à la défense du continent. Et enfin, il y va de notre intérêt national de pouvoir défendre notre territoire, notre espace aérien et nos voies maritimes.

Qui plus est, nous devons être en mesure de persuader les États-Unis que nous pouvons le faire efficacement, car si nous ne le pouvons pas, ils nous défendront, que nous le voulions ou non. Ils y sont obligés dans leur propre intérêt. Les Américains ne peuvent pas tolérer un vide militaire au nord de leur frontière. Autrement dit, pour garantir notre souveraineté et notre indépendance, nous devons à tout prix posséder une armée crédible.

Depuis un certain temps, le leadership se fait rare à Ottawa. Je cite souvent Louis Saint-Laurent, qui a fait participer notre pays à l'OTAN et à la guerre de Corée, et qui a dirigé le grand réarmement de la guerre froide — le Canada a consacré plus de 7,5 p. 100 de son PIB à la défense au cours des années 50. Ce francophone faisait campagne dans toutes les parties du pays en disant la vérité sans détour et en expliquant pourquoi il fallait renforcer l'armée. Il a obtenu deux énormes majorités, en 1949 et en 1953, y compris des victoires écrasantes au Québec, parce qu'il était un vrai chef. C'est un leadership comme celui-là qu'il nous faudrait maintenant.

Nous avons besoin d'un gouvernement qui s'attachera d'abord aux intérêts nationaux et aux outils dont nous avons besoin pour faire progresser et protéger ces intérêts. À mes yeux, le Canada, c'est plus que l'assurance maladie, c'est plus que des valeurs éphémères. Les Canadiens possèdent des intérêts nationaux qui ont besoin d'être articulés et protégés. Après tout, nos valeurs ne représenteront pas grand chose si le pays ne survit pas. Si nous négligeons de protéger nos intérêts nationaux, cela risque bien d'arriver.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Granatstein. C'est toujours intéressant de vous accueillir à ce comité. C'est peut-être parce que nous sommes d'accord avec la majorité de ce que vous dites que nous croyons que vous êtes si sage. Merci pour votre exposé.

Le sénateur Forrestall: J'aimerais revenir sur quelques sujets que vous avez effleurés. L'un d'entre eux est la Réserve. Nous la considérons comme notre point d'ancrage dans les collectivités de tout le pays. Nous la considérons comme notre principale source d'augmentation de l'effectif. Je vais vous demander d'élargir votre perspective et de me donner votre avis sur un rôle plus vaste. Permettez-moi de vous dire ce que j'ai en tête.

Très régulièrement, je rappelle à ce comité que le Canada a des unités comme le Halifax Rifles. C'est dans cette voie que j'aimerais vous entraîner. Nous avons des milliers de kilomètres de côte. La marine ne peut pas les patrouiller. Elle ne peut pas aller en eau peu profonde. La Garde côtière ne dispose pas de la capacité ni du genre de navires nécessaires. Personne d'autre ne semble capable de surveiller toutes les baies qui bordent notre territoire.

Y a-t-il quelque chose que nous puissions faire? Tôt ou tard, la ministre McLellan ou quelqu'un d'autre devra colmater cette énorme brèche dans la sécurité maritime. Nous faisons de l'excellent travail dans le port d'Halifax, les principaux ports du Canada et les grands ports servant au transbordement d'une seule denrée. Nous faisons cela, mais nous ne pouvons pas nous occuper des points distants de nos côtes.

Pour la milice, j'ai en tête un rôle qui pourrait être permanent, un rôle qui ne serait pas complémentaire mais qui lui incomberait entièrement. Je m'illusionne peut-être. Est-il possible de réaliser cela? Je ne sais pas par quel autre moyen nous pouvons assurer la sécurité de nos côtes.

M. Granatstein: Je ne sais pas ce qu'il faudrait faire à ce chapitre. Avant la Deuxième Guerre mondiale, nous avions une milice de pêcheurs qui jouait en quelque sorte ce rôle dont vous parlez, mais il ne nous reste pas beaucoup de pêcheurs. Il est difficile de créer des flottes de pêche quand il n'y a pas de poissons. Je ne sais pas comment nous pourrions recréer ce genre de chose. Honnêtement, je me demande jusqu'à quel point nous en avons besoin si nous avons une surveillance suffisante par satellite, par exemple. Peut-être que la nouvelle technologie peut combler cette lacune.

Le sénateur Forrestall: La surveillance par satellite est aussi directe qu'elle le sera jamais. Mais il nous reste à trouver les ressources pour réagir aux alertes. Nous ne les avons pas dans nos forces régulières. Nous ne les avons pas dans la GRC. Nous ne les avons dans aucun autre groupe de sécurité terrestre.

M. Granatstein: Il serait peut-être plus facile de produire cette capacité que d'essayer d'inventer une réserve pour assurer le type de surveillance dont vous parlez. Ce serait probablement même moins cher.

Le sénateur Forrestall: C'est intéressant.

J'ai tendance à être d'accord avec quelque chose que vous avez dit non seulement dans votre déclaration d'aujourd'hui mais à d'autres occasions. Ce qui est arrivé aux Forces armées canadiennes depuis que je suis ici est en grande partie attribuable à la difficulté de susciter l'intérêt des Canadiens. Ainsi, on nous a dit que la politique de défense était déjà établie. Si c'est le cas, comment pouvons-nous intéresser suffisamment les Canadiens pour les amener à réfléchir à la question et à formuler leurs idées? Comment pouvons-nous y arriver?

M. Granatstein: Depuis cinq ou dix ans, le public canadien a manifesté un intérêt quasi inégalé à l'égard de la défense. Surtout après le 11 septembre, il y a eu une série de groupes de réflexion qui ont produit des rapports. Il y a eu un éventail d'organismes et d'associations qui ont entrepris des études sur la politique étrangère et de défense. La Chambre des communes a produit une série de rapports importants. Et surtout, l'ancien président du comité est maintenant le ministre de la Défense. Votre comité a produit une série de rapports importants et influents.

Je ne me souviens d'aucune époque en temps de paix au Canada où plus d'études ont été produites. Ce qui est frappant, c'est qu'elles disent toutes la même chose. Elles soulignent toutes les mêmes lacunes et déficiences. Je pense que nous avons réussi dans une certaine mesure à persuader le gouvernement qu'il doit intervenir.

Dans mes remarques préliminaires, j'ai dit que M. Martin avait pris la parole à Gagetown il y a deux semaines. Cela faisait longtemps qu'un premier ministre était allé dans une base des Forces canadiennes pour prononcer un discours. Cela faisait longtemps qu'un premier ministre avait prononcé un discours qui énumérait précisément ce que les Forces canadiennes devaient pouvoir faire.

Cela ne se serait pas produit il y a 10 ou 20 ans. Nous avons réalisé des progrès, en partie à cause du 11 septembre, et en partie parce que les Américains sont très mécontents de la manière dont nous nous conduisons sur les plans militaire et politique. Cette pression produit un effet. Toutefois, beaucoup de Canadiens tenaient déjà ce discours avant le 11 septembre. Il y a de l'intérêt. Les sondages le prouvent. Il est difficile de demander aux Canadiens de choisir entre les soins de santé et l'augmentation du budget des Forces canadiennes. Toutefois, si vous demandez aux gens d'énumérer leurs préoccupations par ordre de priorité, les questions militaires commencent à s'approcher de la première place dans les sondages, ce qui n'était pas arrivé depuis très longtemps. La situation n'est pas aussi sombre que vous le prétendez.

Le sénateur Forrestall: Vous semblez dire que la communauté de recherche et d'étude dont nous avons besoin est déjà en place. Voulez-vous dire que cette communauté est cohérente et consensuelle?

M. Granatstein: Oui, on constate une concordance extraordinaire dans les études réalisées à l'extérieur du gouvernement et les études faites par les comités parlementaires. Ce sera très intéressant de voir si le rapport provisoire de M. Calder reflète l'opinion extérieure.

Le sénateur Forrestall: Je l'espère, parce que j'ai tendance à partager votre point de vue. Il est trop tard de toute façon pour entreprendre des études approfondies sur le travail qui doit être fait. Merci.

Le sénateur Atkins: Avez-vous l'impression qu'il y a une rupture entre les engagements internationaux du Canada et l'état des Forces canadiennes?

M. Granatstein: Oui. Comme je l'ai mentionné, je crains que nous ayons, dans l'avenir, un gouvernement qui ne s'intéresse pas aux décisions prises aujourd'hui en matière d'équipement et de personnel. C'est ce qui s'est produit par le passé.

Au Quartier général de la Défense nationale, il y avait un planificateur supérieur de l'armée qui travaillait pour le chef d'état-major de la Défense et qui a démissionné lorsqu'il a été décidé d'envoyer 2 000 soldats en Afghanistan il y a environ un an. Selon ce que j'ai pu comprendre, il était d'avis que nous surchargions notre personnel, que nous avions utilisé nos ressources à leurs extrêmes limites. Le gouvernement ne s'en est pas préoccupé. Il n'a pas tenu compte des conseils militaires qu'on lui a donnés. C'est pour des raisons politiques — lesquelles auront toujours préséance — qu'il a décidé d'envoyer des militaires en Afghanistan.

Le président: Pour le compte-rendu, nous étions également d'avis qu'il ne fallait pas envoyer de soldats, ni à cet endroit, ni ailleurs.

M. Granatstein: Je me souviens que vous aviez proposé un moratoire de deux ans, ce qui me paraissait trop court.

Ce qu'il faut retenir, c'est que le gouvernement n'a pas tenu compte du conseil qu'il a reçu. Cette situation pourrait bien se répéter à l'avenir, parce qu'il y aura toujours des pressions. Si on opte pour les rôles spécialisés, quelqu'un se pointera dans cinq ans et décidera qu'il importe peu que nous n'ayons pas de char parce que le SCM est un véhicule blindé.

Je me souviens de l'époque de Diefenbaker, lorsque j'étais élève-officier et que je faisais mon entraînement au Camp Borden. L'équipement militaire laissait vraiment à désirer. Nous faisions des exercices où il fallait littéralement crier «bang, bang» parce que nous n'avions pas de munitions pour l'entraînement. Il fallait faire semblant d'être dans un char. Je ne veux pas que nous revivions cette situation.

Si nous devons jouer un rôle sérieux dans le monde — et c'est ce que souhaitent les Canadiens — et si nous devons être respectés de nos alliés — et c'est ce que croient les Canadiens, à tort — il faut faire les investissements nécessaires pour rebâtir nos Forces de manière à ce qu'elles puissent accomplir ce que nous voulons qu'elles accomplissent à l'étranger. Les Canadiens croient au maintien de la paix. Ils pensent que c'est tout ce que nous faisons. Ils ne réalisent pas que le maintien de la paix n'est plus ce qu'il était.

Maintenir la paix aujourd'hui, c'est ce que nous appelions faire la guerre autrefois. C'est une activité dangereuse. Il ne suffit pas de mettre un béret bleu sur la tête d'un jeune de 18 ans et de l'envoyer quelque part pour qu'il maintienne la paix. Il lui faut tout l'équipement militaire et la meilleure formation que nous pouvons lui donner.

Cette idée ne semble pas bien comprise au Canada. On ne doit pas envoyer des gens sans leur donner la formation ou l'équipement dont ils ont besoin; c'est un crime pour lequel les gouvernements devraient payer.

Le sénateur Atkins: Vous dites que les Canadiens sont en faveur de tout cela. Ne croyez-vous pas que ce soutien vient davantage des pays alliés avec lesquels nous travaillons? Ils veulent que le Canada joue un rôle plus important.

M. Granatstein: Absolument. Ce qui est extraordinaire, c'est que nos amis ont encore l'impression que nous produisons de bons soldats, de bons marins et de bons aviateurs.

Le sénateur Atkins: Ils ont raison.

M. Granatstein: Ils ont raison. Nos militaires sont bien formés et leur performance est généralement supérieure à celle de leur équipement — si je peux m'exprimer ainsi. Le gouvernement dit toujours que nous pouvons affronter des ennemis supérieurs. C'est ridicule, à moins que nous soyons des poids mouche.

Les soldats et les marins que nous envoyons à l'étranger font un travail extraordinaire avec ce qu'ils ont. Ils tirent le maximum du piètre équipement mis à leur disposition. Ils pourraient faire beaucoup mieux avec du matériel adéquat et le Canada aurait plus de mérite aux yeux de ses alliés, si nos militaires avaient ce dont ils ont besoin.

Le sénateur Atkins: J'aimerais parler de la question d'urgence. Vous observez la scène militaire depuis presque 50 ans, sinon plus. Vous semblez quand même optimiste. Ne trouvez-vous pas extrêmement frustrant de voir que le gouvernement ne semble pas tenir ses engagements en refusant d'appuyer les militaires comme il le devrait?

M. Granatstein: Oui, c'est très frustrant. C'est un manque de vision incroyable. Je suis historien, et j'ai étudié les guerres du XXe siècle et le rôle que le Canada y a joué. Il est clair qu'un grand nombre de Canadiens ne seraient pas morts si nous avions été prêts en 1914, en 1939 ou en 1950, lorsque nous avons envoyé des Canadiens à la guerre qui n'avaient ni la formation ni l'équipement nécessaires et à qui on accordait bien souvent très peu de soutien financier.

Je n'aime pas cette situation. Chaque Canadien a une police d'assurance incendie pour sa maison parce que nous présumons tous qu'il y a des risques contre lesquels il faut se protéger. Je ne comprends pas pourquoi nous n'avons jamais accepté l'idée que la présence d'une force militaire bien équipée et bien formée constitue une forme d'assurance nationale. Si on ne l'utilise pas — et la plupart de nous ne recevront jamais de prestation d'assurance incendie — on dit qu'on est chanceux, mais si ce feu éclate, si cette conflagration internationale est déclenchée, alors on aura ces gens-là. Je n'ai jamais compris le peu de prévoyance dont nos gouvernements et les Canadiens font preuve.

Le président: Je dois apporter une précision pour le compte rendu, sénateur Atkins. Je présume que vous parlez de notre rapport intitulé «Mise à jour sur la crise financière des Forces canadiennes: une vue de bas en haut», où nous avons affirmé que la prime devait passer de 440 $ à 580 $.

M. Granatstein: Je faisais effectivement référence à votre rapport. J'espérais que vous alliez reconnaître que vous m'aviez volé l'analogie de l'assurance, mais ce n'est qu'une parenthèse.

Le président: C'est ce que nous avons fait. Vous avez d'abord témoigné et nous vous avons écouté.

M. Granatstein: Très bien.

Le sénateur Atkins: Je présume que vous êtes en faveur d'une force militaire polyvalente.

M. Granatstein: Autant que possible. Nous sommes un petit pays et nous ne pouvons pas tout faire, mais je ne souhaite pas que nous options pour des rôles si spécialisés qu'ils ne seront jamais utilisés ou des rôles qui ne pourront jamais répondre aux exigences auxquelles nous pourrions être confrontés. On parle de spécialistes militaires civils, de police militaire, de troupes d'escalade, et cetera.

Il se peut que ces fonctions spécialisées soient nécessaires. Toutefois, nous savons que nous aurons certainement besoin d'une infanterie, de frégates ou de navires équivalents, de navires de ravitaillement et d'appareils de transport aérien. Nous savons que nous aurons besoin de ces choses. Il s'agit d'équipement très coûteux et c'est pour cette raison que les gouvernements chercheront désespérément à se doter d'une police militaire au lieu d'appareils de transport aérien lourd, parce que c'est moins cher de produire une police militaire. Or, les policiers militaires sont-ils utiles? Combleront-ils nos besoins? Protégeront-ils nos intérêts nationaux? Eh bien, pas vraiment. C'est là le problème.

Je souhaite que nous ayons une force aussi polyvalente et apte au combat que possible, dans les limites de notre budget et dans les limites d'une réflexion prospective éclairée. La plupart du temps, les tenants des rôles spécialisés semblent voir le monde à travers une lunette très étroite.

Le sénateur Atkins: En vous écoutant, j'avais le sentiment que vous donniez, autant que possible, la préférence aux produits canadiens. Toutefois, que pensez-vous de l'achat du matériel disponible dans le commerce?

M. Granatstein: C'est évidemment moins cher. Si nous pouvons aller en Europe ou aux États-Unis et acheter un aéronef lorsque nous en avons besoin, nous allons certainement économiser de l'argent.

Toutefois, je suis réaliste. Je comprends que l'emploi est important dans notre pays, et les gouvernements ont eu recours à maintes reprises à des processus contractuels pour l'achat d'équipement militaire, tant à des fins politiques et que pour favoriser l'emploi. D'un point de vue réaliste, cette situation ne changera pas.

Il y a un article sur la défense dans le numéro courant de Options politiques, selon lequel il faut abandonner l'idée d'utiliser les contrats du gouvernement pour créer de l'emploi. Je veux bien, mais d'un point de vue réaliste, nous ne le pouvons pas et nous ne le ferons pas.

Reste à savoir comment on peut maximiser les retombées de ces contrats. Il ne sert à rien de créer des emplois à court terme — disons 10 ans — dans la construction navale à Saint John, au Nouveau-Brunswick, si nous les abandonnons par la suite. On sait qu'on aura besoin de navires. Pourquoi ne pas maintenir ce chantier naval? Il y a assez de travail pour qu'il reste ouvert.

Le sénateur Atkins: C'est trop tard.

M. Granatstein: Trop tard maintenant, mais nous allons le refaire.

Le sénateur Forrestall: Ce n'est pas trop tard.

Le sénateur Atkins: Pour Saint John.

Le président: Concernant la construction navale, le programme des frégates a été une fraude pour le contribuable. Nous avons probablement payé quatre fois plus que si nous avions acheté les frégates ailleurs. Ce fut une supercherie pour les travailleurs de Lévis, qui ont été mis à pied. Ce fut une supercherie pour les travailleurs du Nouveau- Brunswick, qui ont été mis à pied également.

Comment pouvez-vous dire que la demande en navires sera suffisante pour permettre de maintenir un certain nombre de chantiers navals? S'il n'y a qu'un seul chantier, les prix ne sont pas concurrentiels. Pourquoi estimez-vous que c'est rationnel de procéder ainsi? Pourquoi ne pas envoyer tout simplement un chèque aux gens de South Shore et soustraire la subvention de l'enveloppe de la défense, si le gouvernement veut favoriser le développement régional? Ce serait tout à fait transparent. Tout le monde verrait ce qui se passe.

À l'heure actuelle, il y a une subvention cachée dans le budget du ministère de la Défense, et nous finissons par licencier ces gens-là après que les contribuables ont financé leur formation et leur équipement et payé une facture quatre fois trop élevée pour les frégates.

Le reste de votre discours est rationnel et à propos. Pourquoi maintenez-vous cette politique qui ne semble pas avoir les mêmes qualités?

M. Granatstein: Le gouvernement maintiendra cette politique, qu'elle soit rationnelle ou non. Je crois que nous devons trouver des façons d'en retirer des avantages à plus long terme, en espaçant la construction navale de manière à garder ouverts les chantiers navals que nous avons créés et subventionnés.

Le président: À l'heure actuelle, il n'y a plus de travailleurs à licencier, ils l'ont déjà tous été. Il existe des cales sèches, mais elles ne disposent pas d'équipement moderne. N'est-ce pas le temps de mettre fin au cycle? Qui plus est, les nouveaux navires envisagés sont trop gros pour les installations de Lévis.

M. Granatstein: Je lisais dans le Globe and Mail d'aujourd'hui un article selon lequel les syndicats craignent que le gouvernement envoie des contrats à l'étranger. En d'autres termes, il y a aura inévitablement des pressions politiques pour que les navires soient construits ici. Nous les construirons ici. Vous le savez autant que moi. Nous payerons quatre fois plus que si nous les achetions dans le commerce à l'étranger, et vous le savez également.

La question est la suivante: Comment faire pour que nous en retirions au moins quelques avantages, pour que ce ne soit pas un gaspillage ponctuel par lequel nous créons quelque chose, nous formons des gens, nous construisons des navires — nous avons au moins obtenu de bonnes frégates de ce programme — pour ensuite fermer les chantiers? Nous savons que nous allons devoir remplacer les frégates dans 10 ou 15 ans. Nous savons qu'il nous faudra de nouveaux navires de garde côtière et qu'il faudra quelque chose pour remplacer les NDC pour la patrouille côtière.

Par une planification rationnelle, nos chantiers navals pourraient être occupés à construire les navires dont nous aurons besoin. Comment un pays comportant un aussi vaste littoral que le nôtre peut-il prétendre qu'il n'aura jamais besoin de navires?

Le sénateur Atkins: Vous avez soulevé un point dans votre déclaration qui, à mon avis, constitue une excellente idée, et je parle du COTC. J'espère que vous poursuivrez cette idée, et que notre comité en fera de même. C'est une idée très judicieuse, qui permet aussi de traiter d'autres problèmes en ce qui a trait à la formation universitaire ou postsecondaire.

M. Granatstein: Je faisais partie de la commission spéciale chargée de la restructuration des réserves, avec l'ancien juge en chef Brian Dickson. Nous avons parlé de la nécessité de recréer le COTC et l'UNTD ainsi que le programme d'entraînement de la réserve aérienne. J'ai abordé la question avec le chef d'état-major de l'époque, le général de Chastelain. Il m'a dit qu'il s'agissait d'une bonne idée, mais que nous n'avions pas besoin de ces gens, ce qui, à mon avis, dénotait un manque de vision flagrant. D'abord, les réserves sont peu nombreuses et doivent être renforcées. En deuxième lieu, et cet aspect est presque aussi important, je suis convaincu — je ne peux le démontrer mais je crois que c'est vrai - - que l'abolition des programmes de formation universitaire des réserves a grandement contribué à creuser le fossé qui existe entre la population du Canada, les élites et les militaires.

Si vous avez des gens qui ont reçu une formation militaire à un moment donné dans leur carrière et qui, idéalement, poursuivent cet entraînement à titre de réservistes, vous créez une communauté qui croit que les forces militaires ne sont pas une chose si terrible et qu'elles peuvent être utiles. Les compétences que les réservistes, notamment ceux qui ont une formation universitaire, peuvent amener se font toujours trop rares. Il existe de nombreuses disciplines nouvelles dont les forces militaires ont besoin maintenant — par exemple, la géomatique. Je ne sais même pas ce dont il s'agit, mais les militaires disent qu'ils en ont besoin. Les médecins sont un autre exemple. Les Forces canadiennes payent plus d'un quart de millions de dollars pour attirer des médecins dans leurs rangs. Il serait peut-être plus simple d'avoir des programmes de formation universitaire qui offrent une subvention aux études. Certains de ces programmes sont déjà offerts dans une certaine mesure. Il faut grossir les réserves. À mon avis, cette idée est en train de refaire surface.

Le sénateur Atkins: Je suis entièrement d'accord avec vous. Cette formation devrait-elle être offerte aux réservistes?

M. Granatstein: Absolument. Elle l'a toujours été. Le COTC visait à former les officiers de la réserve. Les réservistes n'étaient pas obligés de servir dans les Forces, mais j'ai toujours été en faveur d'une certaine contrainte. À mon avis, si l'État vous paye pour aller à l'université et faire un peu d'entraînement militaire durant l'été, il devrait être en mesure de vous dire «Vous devez trois ans à la milice à la fin de vos études», en espérant que vous resterez plus longtemps.

Le sénateur Meighen: Bienvenue, monsieur Granatstein. J'ai un certain nombre de questions à vous poser et je suis ravi que le sénateur Atkins nous ait amenés à parler des réserves. Un ancien membre de notre comité, Jack Wiebe, tenait cette question bien à coeur. Je partage votre point de vue, mais je me demande si nous pouvons parler un peu du rôle des réserves.

Ils peuvent effectivement apporter certaines compétences, comme en géomatique — à nouveau, quelle que soit la signification du terme. Toutefois, j'ai eu l'impression qu'aux yeux de certains membres de la force permanente — peut- être l'impression s'estompe-t-elle actuellement —, les réservistes sont des bidasses. Ils ne sont pas en réalité suffisamment qualifiés; ils ne s'exercent pas assez souvent; ils ne sont pas suffisamment formés pour assumer le commandement d'un navire doté de tout cet équipement électronique ultraperfectionné. Ils conviennent parfaitement au maintien de la paix, dans le sens traditionnel du mot.En somme, ils sont parfaits comme bouche-trous, mais c'est à peu près tout.

Par conséquent, il existe un écart, des tensions indéniables entre la force permanente et la Réserve. Pouvez-vous nous fournir d'autres renseignements à ce sujet? Si l'écart existe bel et bien, s'est-il rétréci? Le rôle des réservistes est-il le même que celui des membres des forces permanentes ou sont-ils des bidasses?

M. Granatstein: C'est justement cet écart qui a entraîné ma nomination à la Commission spéciale sur la restructuration des réserves il y a neuf ans. On craignait que les relations entre les réservistes et les membres des forces régulières — particulièrement les miliciens et l'armée — n'en soient à un point toxique. La commission a formulé toute une série de recommandations, dont presque toutes ont été mises en oeuvre.

L'écart subsiste, mais il est moins grand actuellement, en grande partie grâce aux efforts du gestionnaire de projet chargé de la restructuration des réserves. Je parle du Général Ed Fitch. Il était membre des forces régulières, mais il a maintenant pris sa retraite. Il se trouve encore au QGDN, en tant que major-général de la Réserve. Il a fait preuve d'un doigté remarquable puisqu'il a réussi à obtenir la coopération des membres des forces régulières et des réservistes et à les convaincre de se parler, de reconnaître les tâches qu'ils partagent et leurs nombreux autres points communs.

Les critiques sournoises ont en grande partie cessé. Tout ce qu'il faut, c'est de l'argent pour exécuter le plan visant à reconstituer la Milice, dont les nombres continuent d'être bien inférieurs à ce qu'ils devraient être. Le plan prévoit une série d'étapes graduelles, et les fonds arrivent au compte-gouttes. Jusqu'à ce que l'argent soit là — des broutilles pour la Défense nationale —, il y aura beaucoup de tensions.

Il me semble que l'accent mis sur la sécurité nationale et la volonté actuelle d'avoir une véritable défense intérieure au pays sont l'occasion rêvée pour la Réserve d'agir, de demander les fonds, l'équipement et les troupes supplémentaires dont elle a besoin. Il est absolument crucial que nous puissions déployer dans les rues de Montréal quelques milliers de réservistes s'il y avait une attaque terroriste. Il n'existe pas d'autres sources immédiates de personnes disponibles. Les réservistes ont besoin de formation spécialisée. Il faut que nos réservistes commencent à travailler avec les services policiers et les services d'incendie dès maintenant, qu'ils suivent des cours de formation et qu'ils sachent comment fonctionner comme groupe et il faut leur donner le genre de formation spécialisée en GNBC dont ils ont besoin pour tenir le rôle qu'ils n'auront jamais à remplir, espérons-le.

Il importe au plus haut point que cela se fasse. Cet accent sur la sécurité nationale — sur la défense intérieure — donne aux réserves l'occasion de s'accaparer ce rôle, tout en maintenant leurs autres rôles sur le plan du renforcement, de la mobilisation et de la formation pour la guerre. Voilà quelque chose qui doit être fait.

Le sénateur Meighen: Accordez-vous de l'importance à la question qui est débattue depuis longtemps et qui, soutient-on, pourrait avoir un impact sur le recrutement des réservistes: faudrait-il avoir une loi, comme dans d'autres pays, qui obligerait l'employeur à protéger le poste du réserviste?

M. Granatstein: Oui. D'ailleurs, la commission spéciale de 1995 l'avait recommandé. C'est une des quelques recommandations que le gouvernement n'a pas acceptées. Nous estimons qu'il devrait le faire. C'est absolument essentiel.

Le gouvernement a pour position qu'il existe un organe consultatif qui travaille en collaboration avec l'industrie et qui a remporté un certain succès. Il fait effectivement du bon travail, mais ce sont des étudiants qui forment le gros des réserves actuellement. Si nous voulons y attirer des directeurs de banque, des avocats et du personnel qualifié — c'est- à-dire un groupe représentatif de Canadiens — et les conserver, ce genre de loi est essentiel.

Le sénateur Meighen: Le comité a entendu de nombreux témoignages selon lesquels il existe, entre autres, des obstacles bureaucratiques et administratifs au sein des forces armées qui empêchent les réservistes de passer facilement à la force permanente et vice-versa. Savez-vous s'il y a eu des progrès dans ce domaine?

M. Granatstein: J'en reviens constamment au rapport de 1995, mais nous en avons parlé au sein de la commission. Nous souhaitions une cloison moins étanche entre les forces régulières et les réserves pour que les membres puissent passer de l'une à l'autre à différents moments de leur carrière sans complication. J'ignore si beaucoup de progrès ont été accomplis pour régler ce problème, mais c'est un problème qu'il faut tout simplement régler. C'est important.

De plus, il importe que, lorsqu'un membre quitte la Force régulière, cette personne soit incitée à s'inscrire dans les réserves, car ses compétences sont très précieuses. En tant que contribuables, nous avons payé l'acquisition de ces compétences et nous ne tenons même pas de véritable liste d'où se trouvent ces retraités. Il est illogique de prendre cela tellement à la légère. Nous supposons que nous n'aurons jamais plus besoin de ces personnes, mais nous en aurons besoin. Il faut savoir où elles se trouvent. Il faut que leurs compétences soient maintenues à jour. Songez à ce qu'elles peuvent contribuer aux réserves si elles s'y inscrivent. Il est très important de le faire.

Le sénateur Meighen: Dans un autre ordre d'idées, vous pouvez peut-être jeter de la lumière impartiale sur la question des approvisionnements. Je ne comprends pas ce qui pose problème dans ce domaine. On a souvent critiqué au pays les acquisitions parce qu'elles prenaient beaucoup trop de temps. Il semblerait qu'il y ait une liste de biens d'équipement dressée par les militaires dont l'achat n'exige pas de nouveaux fonds, qui est déjà prévu au budget. Tous conviennent que la liste se trouve sur le pupitre du ministre Pratt depuis quatre mois, et le ministre a lui-même reconnu qu'elle n'exigeait pas sa signature.

Pouvez-vous m'aider à comprendre ce qui se passe si le ministre n'a pas besoin de signer la liste?

M. Granatstein: Non, je ne puis pas vous aider. Je suppose que certaines annonces seront faites durant la campagne électorale.

Le sénateur Meighen: Vous êtes plus partial que moi. Une pareille idée ne me serait jamais venue à l'esprit, mais vous avez peut-être raison. Il semble effectivement qu'on ait retardé le processus d'acquisition d'équipement.

M. Granatstein: Que sont quelques mois quand nous attendons depuis 20 ans?

Le sénateur Meighen: Je ne crois pas que nous attendions depuis 20 ans. Il s'agit d'équipement beaucoup plus courant, ordinaire.

Vous avez préconisé que nous participions davantage à la défense de l'Amérique du Nord avec nos amis américains. Si nous le faisons, faut-il forcément réduire notre intérêt et notre engagement à l'égard de l'OTAN et des Nations Unies, ou tout cela s'additionne-t-il?

M. Granatstein: Tout d'abord, l'intérêt que nous marquons à l'OTAN actuellement est déjà plutôt faible. Nous avons pris nos distances par rapport à l'OTAN. Il y a beaucoup de bonnes paroles, mais très peu d'action. Vous me permettrez de m'exprimer franchement. Les Nations Unies ont de moins en moins de pertinence, elles sont incompétentes et elles ont peu d'influence en termes réels, sauf à des fins politiques au Canada même.

La vérité pure et simple, c'est que ce sont les Américains qui importent. Les Américains estiment être menacés et ce qu'ils perçoivent comme étant un manque d'attention de notre part à l'égard d'une situation grave les préoccupe beaucoup. Dans l'ensemble, je crois que les Américains ont raison. Le gouvernement a effectivement fermé les yeux sur la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement.

En vérité, le soldat, le marin ou le pilote que nous formons pour assurer la défense intérieure ou la défense continentale ou encore pour collaborer avec nos amis, les États-Unis, est parfaitement capable d'assumer divers rôles au sein de l'OTAN ou des Nations Unies. Il me semble tout ce qu'il y a de plus sensé de se concentrer sur la principale préoccupation politico-militaire. L'argent ainsi dépensé, les ressources créées et les personnes formées peuvent plus tard être affectés à d'autres fins.

Les soldats peuvent accomplir de multiples tâches. Ils peuvent porter le casque bleu comme le casque en acier. Ce sont les mêmes soldats. Il s'agit qu'ils aient les compétences voulues et le bon équipement.

Ce qui me préoccupe, c'est qu'étant donné que 40 p. 100 de notre produit intérieur brut dépendent du commerce avec les États-Unis, que le tiers des emplois au Canada dépend de ces échanges commerciaux, nous avons été très peu attentifs aux préoccupations de la superpuissance voisine. Nous avons réussi à nous en tirer jusqu'ici, mais je ne crois pas que cela dure.

Le sénateur Meighen: Croyez-vous qu'il serait utile, pour faire connaître les préoccupations des forces armées dans les plus hautes sphères du gouvernement, que le chef de l'état-major de la Défense présente un rapport au premier ministre ou ait des réunions périodiques avec lui?

Le président: Une fois par année, par exemple?

Le sénateur Meighen: Plus d'une fois par année. Par exemple, en ce qui concerne toute la question de l'attribution des missions et de l'alourdissement excessif des tâches, tous sont d'accord pour dire que les forces armées sont trop mises à contribution. Toutefois, des gouvernements successifs y ont eu recours, mal selon moi, à des fins politiques. Je ne suis pas si sûr qu'il existe une tribune au sein de laquelle les plus hauts gradés peuvent faire connaître leurs véritables préoccupations aux grands manitous.

M. Granatstein: Il est très important que l'on ait pour principe de dire la vérité à ceux qui sont au pouvoir. La démission d'un major-général a été très utile à cet égard. Elle lui a permis de faire valoir un point très important auprès du gouvernement. La nouvelle n'a absorbé, bien sûr, que 20 secondes au téléjournal, mais c'est le genre de chose qu'il faut faire pour attirer l'attention du gouvernement sur la vérité.

Un des effets positifs de cette sortie du major-général, c'est que le chef d'état-major de la Défense produit maintenant un rapport annuel. Les rapports ont été en règle générale très explicites sur ce qu'il faut faire, ce qui cloche et les problèmes auxquels sont confrontées les forces. À vrai dire, c'est aussi efficace, si ce n'est plus, qu'une réunion de routine à intervalles réguliers avec le premier ministre. Dans ces rapports, le chef parle à la population canadienne. Ces rapports ont eu beaucoup d'échos. Ils renforcent ce qu'affirment depuis longtemps divers groupes et comités parlementaires. Ils sont très utiles.

Essentiellement, il est très important que les militaires aient dit qu'il existe un problème, parce que le gouvernement n'est pas attentif et que, s'il envoie des troupes quelque part et que cela tourne mal, il ne pourra pas plaider l'ignorance. C'est écrit noir sur blanc dans le rapport. C'est très utile pour obliger le gouvernement à répondre de ses actes.

Le sénateur Meighen: Des militaires seront probablement blâmés, comme ils l'ont été en Somalie.

M. Granatstein: Ils le sont toujours mais, dans 25 ans, des historiens souligneront le fait que c'était la faute du gouvernement, comme ce fut le cas en Somalie.

Le président: J'hésite à donner de l'ampleur aux propos du sénateur Meighen ou à les traduire pour lui, vu qu'il s'exprime si bien, mais je crois qu'il a presque demandé en fait à savoir s'il est inhabituel que nous n'ayons pas eu de premier ministre qui souhaitait rencontrer plus régulièrement son chef de l'état-major de la Défense. Ne vous semble-t- il pas un peu étrange que les premiers ministres n'aient pas cru intéressant de le rencontrer à l'occasion pour discuter de la situation?

M. Granatstein: Depuis Louis Saint-Laurent, les premiers ministres canadiens ne veulent pas se faire rappeler l'existence des militaires, point final. Ils ne s'en préoccupent pas parce qu'ils sont convaincus — à bon droit, la plupart du temps — que les électeurs, les députés et le Cabinet n'y accordent pas d'importance. À vrai dire, ils ont manifesté très peu d'intérêt pour les militaires.

Il ne faudrait pas s'attendre à un changement. Un premier ministre pourrait, comme l'a fait M. Martin, se rendre à une base des Forces canadiennes pour y faire un beau discours, mais c'est simplement pour la galerie, plutôt que la conséquence d'un véritable intérêt ou d'une vraie préoccupation pour les militaires. Je ne crois pas que les élus politiques canadiens aient vraiment à coeur les intérêts des militaires. Ils font peut-être de beaux discours à leur sujet, mais comme vous l'avez dit tout à l'heure, ils s'en servent comme des pions qu'on déplace, mais auxquels on ne s'intéresse pas vraiment.

Le sénateur Banks: Voilà qui n'est rien de nouveau ou d'unique au Canada, n'est-ce pas? Cela me rappelle ce qu'a écrit Rudyard Kipling lorsqu'il parlait du simple soldat auquel on demandait n'importe quoi et qu'on traitait comme une brute, mais qui devenait le sauveur de son pays quand les canons se mettaient à tirer.

Ce fut toujours ainsi, n'est-ce pas? Vous êtes historien. Y a-t-il déjà eu un pays qui, sauf lorsque les barbares étaient aux portes, accordait suffisamment d'attention à ses militaires?

M. Granatstein: Notre voisin le fait.

Le président: Oui, mais les barbares sont toujours à ses portes.

M. Granatstein: Depuis plus de 50 ans, certes, les Américains portent une vive attention à leurs militaires...

Le sénateur Banks: Je vous le concède, depuis 1940.

M. Granatstein: Je crois que les Britanniques l'ont fait eux aussi, dans une très grande mesure. Sauf ces deux-là, je ne crois pas qu'il y ait beaucoup d'autres pays qui le font.

Le sénateur Banks: Les empires en prennent soin, et les autres pas?

M. Granatstein: Non, ce sont les pays qui reconnaissent qu'ils pourraient peut-être avoir besoin d'utiliser la force militaire et qu'il est donc utile de toujours avoir cette capacité à portée de la main. Je suppose que les Soviétiques eux aussi prenaient les militaires au sérieux.

Le sénateur Banks: Oui, ils le faisaient, tant qu'ils en avaient les moyens. Je vais vous poser quelques questions litigieuses, non seulement parce que j'adore vous entendre en débattre, mais aussi parce que les réponses nous seront des plus utiles.

Vous avez soutenu, en réponse à une question du sénateur Atkins, que nous devions maintenir une espèce de force militaire offrant tous les services, avec chars d'assaut, infanterie et sous-marins. N'est-ce pas là vouloir livrer la dernière bataille? Ne suppose-t-on pas, ainsi, que la prochaine fois, nous aurons besoin d'une armée traditionnelle pour faire une guerre symétrique conventionnelle?

M. Granatstein: Oui, jusque dans une certaine mesure, parce qu'elle continue d'être une hypothèse réaliste pour nous. Il n'y a pas un an, les chars de combat principaux des Américains se trouvaient en Irak et roulaient à toute vitesse vers Bagdad. Toutefois, étant donné la tournure qu'ont pris ces événements particuliers depuis lors, les chars de combat principaux ont encore leur utilité. Il y a 10 ans seulement, ces mêmes chars étaient mis à contribution dans la première guerre du Golfe. Il est trop tôt pour dire que les chars sont désuets.

Ce qui m'inquiète, c'est que nous avons une capacité que nous avons mis 65 années à développer au pays, que nous avons élaboré des méthodes d'opération, formé les gens, acquis les compétences et appris comment utiliser cette arme particulière. Voilà maintenant que, sans étude sérieuse à l'appui, que je sache — en s'appuyant sur la décision d'un seul ministre de la Défense —, nous allons nous en débarrasser.

La décision est peut-être sensée. Le SCM, essentiellement un blindé muni d'un canon, suffit peut-être à nos besoins. Toutefois, une fois que nous l'aurons perdue, nous ne récupérerons pas cette capacité, à moins de dépenser des montants faramineux et d'y mettre beaucoup de temps. Cela m'inquiète.

Il en va de même pour les sous-marins. Bien des gens ont trouvé stupide notre décision d'acheter les sous-marins britanniques — à très bon prix —, mais nous avions là 40 années de compétences accumulées qui demeuraient utiles. Si nous n'avions pas acquis ces sous-marins, les compétences auraient été perdues. Elles ne seront peut-être plus jamais utilisées, mais la possibilité demeure, et je crois qu'elles serviront probablement à nouveau. On ne se débarrasse pas si facilement de compétences aussi durement acquises.

Ce sont là des choix difficiles, je vous le concède. Si le gouvernement choisit bien ses créneaux, il se peut que toutes mes craintes soient sans fondements. Tout ce que je peux dire, cependant, c'est qu'au pays, nous n'avons jamais fait nos choix en matière de défense de manière logique, jamais. Je ne vois pas pourquoi je supposerais que ce sera le cas maintenant.

Le sénateur Banks: La question des chars me tient particulièrement à coeur, puisque les Strathconas se trouvent chez moi. Qu'en est-il de l'argument selon lequel nous ne pouvons tout simplement plus nous payer ces armes comme nous le faisions, en raison de l'augmentation du coût de la technologie et du matériel, que nous ne sommes plus un joueur d'avant-plan et qu'il faut donc, par définition, se spécialiser si nous voulons être efficaces quelque part, si nous ne voulons pas tant disperser nos ressources que nous ne serons efficaces nulle part.

Par exemple, il pourrait s'agir de multiplier par vingt la FOI2, la dotant d'une capacité de transport qui lui permettrait — et vous avez entendu cet argument auparavant — d'être la meilleure force de première frappe pour intervenir dans certaines situations de par le monde. Est-il sensé de prétendre que nous ne posséderons plus d'infanterie classique, puisque quelqu'un d'autre peut s'en charger?

M. Granatstein: Je ne le crois pas. Je n'ai jamais compris l'argument selon lequel nous sommes un pays dépourvu de moyens. Nous sommes l'un des plus riches du monde. Nous sommes prêts à investir des milliards de dollars dans le gouffre de l'assurance-maladie, même s'il faut attendre deux ans avant de subir un examen par IRM et faire la queue interminablement avant de voir un médecin. Même en investissant davantage, nous savons tous qu'il faudra encore attendre deux ans parce que le nombre d'examens augmentera.

Nous pouvons obtenir ce que nous voulons. Si nous souhaitions une force militaire polyvalente, nous investirions en conséquence pour l'obtenir. Lors de la Deuxième Guerre mondiale, nous avons affecté 45 p. 100 de notre produit intérieur brut à la guerre parce qu'il nous était essentiel de le faire. Et voilà que nous plaignons de dépenser 1 p. 100 de notre PIB.

Nous devons décider ce que nous voulons accomplir. Nous devons décider quels sont nos intérêts, ce que nous voulons protéger et pourquoi nous devons le faire. Par la suite, il faut y affecter les montants nécessaires. Nous pouvons le faire si nous le souhaitons.

Nous devons effectuer des choix difficiles. Les gouvernements sont élus pour faire des choix et prendre des décisions difficiles. Si leurs décisions sont mauvaises, ce sont nous, les électeurs, qui devrions leur demander des comptes. Nous devrions tous faire valoir nos points de vue au moment où les décisions sont prises. C'est la raison pour laquelle cet examen est très important.

Il est absolument essentiel que, presque pour la première fois dans l'histoire de notre pays, nous tenions compte de nos intérêts nationaux en examinant notre politique de défense, au lieu de prendre en considération cette aberration que sont les valeurs sans cesse fluctuantes. Qu'est-ce qui est vraiment essentiel pour nous? De quel genre de force militaire avons-nous besoin pour protéger ce qui nous importe? Voilà le genre d'examen que nous devons effectuer.

Le sénateur Banks: Souhaitons-nous participer à la défense antimissile?

M. Granatstein: Je pense que nous devrions y participer, essentiellement parce que les Américains ont déjà signalé qu'ils adopteraient cette solution. Il n'est pas vraiment important que cela soit efficace ou non. Que la menace soit grande ou non importe peu. Le fait est que le gouvernement américain a pris cette orientation. Cela nous concerne. Il ne saurait tout simplement en être autrement. Il s'agit seulement de déterminer comment nous pouvons avoir voix au chapitre sur la façon dont fonctionnera ce système de défense contre les missiles balistiques, le système BMD. Nous ne pouvons peut-être pas persuader les Américains de nous donner voix au chapitre, car il commence plutôt à se faire tard.

Le sénateur Banks: Et nous ne sommes également pas prêts à y consacrer de l'argent.

M. Granatstein: Ils ne nous demandent même pas d'argent pour l'instant.

Le sénateur Banks: Alors, ils ne nous donneront certainement pas voix au chapitre, n'est-ce pas?

M. Granatstein: Ils nous consulteront probablement parce qu'il y va de leur intérêt de nous mettre à contribution et d'envisager le tout dans le cadre de la défense continentale. Sur le plan politique, cela est important pour les États- Unis, tout comme ce l'est pour le Canada, parce que l'anti-américanisme est omniprésent dans notre pays. Le quotidien The Globe and Mail a fait paraître des annonces de l'un des partis politiques sur le système BMD, y énumérant tous les arguments qui montrent qu'il s'agit d'une technologie de la guerre des étoiles et d'une militarisation de l'espace. Ce n'est pas le cas, mais toute la campagne lancée dans les journaux reposait sur l'idée de s'opposer aux États-Unis au cours des élections imminentes.

C'est absurde. La simple vérité, c'est que, si nous ne collaborons pas, nous ne serons pas consultés, et nous en subirons les conséquences. Si nous collaborons, nous n'aurons peut-être pas beaucoup d'influence sur la mise en oeuvre du système BMD, mais je sais cependant que notre influence sera nulle si nous refusons de participer. C'est la simple vérité. Il est important que nous ayons voix au chapitre dans ce dossier.

Le sénateur Day: Je voudrais formuler des commentaires sur plusieurs points qui ont été abordés et effleurer la question de la technologie militaire ainsi que celle de la formation et de la recherche dans ce domaine.

Vous avez fait valoir que les militaires ne sont que des participants dont il faut se servir. Je pense que votre argument à propos du COTC était excellent. Il était évident que, d'entrée de jeu, tous les membres du comité s'intéressent à cette question. Vous avez fait valoir que le COTC a contribué à faire connaître les Forces canadiennes.

Les forces armées et les questions militaires ne constituent un enjeu politique important qu'en cas d'urgence, parce qu'il y a moins de bases que les gens peuvent voir régulièrement? La Réserve est restreinte, l'effectif des Forces canadiennes étant moindre parce que nous n'avons pas de conscription. Et maintenant, nous ne pouvons plus compter sur le COTC, qui constituait notre présence dans les universités. Par conséquent, les Forces canadiennes ne sont pas un enjeu politique, parce que moins de gens sont au courant à leur sujet, n'est-ce pas?

M. Granatstein: C'est exact. Les militaires ne sont pas visibles au Canada. C'est partiellement parce que, généralement, nos bases militaires se trouvent dans des endroits éloignés, notamment à Petawawa.

Le sénateur Banks: Je vous demande pardon!

Le sénateur Day: Edmonton.

M. Granatstein: Le centre de l'univers — mais Gagetown, Valcartier ou Petawawa ne sont pas de grandes agglomérations. Généralement, les Forces canadiennes ne jouissent pas d'une grande visibilité auprès des Canadiens, ce qui est une lacune.

Il y a un autre facteur que vous n'avez pas signalé: les Forces canadiennes recrutent abondamment dans une seule partie du pays, c'est-à-dire dans les Maritimes, et particulièrement à Terre-Neuve. Dans de grandes parties du pays, non seulement les Forces canadiennes ne sont pas visibles, mais personne ne connaît quelqu'un qui en fasse partie, ce qui est également une lacune.

Le sénateur Day: Vous avez également signalé que la Réserve n'est pas dotée de l'effectif qu'elle devrait avoir. Par conséquent elle ne laisse pas son empreinte dans la collectivité.

M. Granatstein: Elle y laisse l'empreinte d'un effectif insuffisant. Sa présence et sa visibilité doivent être augmentées.

Le sénateur Day: Je suis heureux de vous informer qu'un projet de loi étudié actuellement par le Sénat a intégré une partie de votre recommandation sur la protection des emplois civils des réservistes qui sont appelés à intervenir lors d'une urgence nationale. Grâce à la collaboration des sénateurs, le projet de loi C-7 sera adopté sous peu. Cette mesure législative propose de protéger les emplois des réservistes auxquels on fait appel lors d'une urgence nationale.

M. Granatstein: Très bien.

Le sénateur Day: Nous y travaillons. Ceux qui sont patients sont récompensés.

Je suis au courant de votre rôle au sein du Bureau des gouverneurs du Collège militaire royal du Canada. Je tiens à signaler que, outre le COTC, il y a un élément important du programme de formation des réservistes du Collège militaire royal qui, pour une raison quelconque, fait l'objet d'une certaine résistance de la part des Forces canadiennes. Il est presque impossible d'obtenir des renseignements sur le programme. Pourquoi?

M. Granatstein: C'est peut-être parce que les diplômés du Programme de formation (Intégration à la réserve), le PFIR, du Collège militaire royal ne sont pas tenus de faire partie de la réserve. Cette question m'a préoccupé lorsque je faisais partie de la commission spéciale en 1995. Je voulais que le diplômé du PFIR, dont les études ont été payées au Collège militaire royal, soit tenu de servir immédiatement dans la Réserve pendant un certain temps.

Je pense que, pour inciter les Forces canadiennes à inscrire davantage de personnes à cet excellent programme du Collège militaire royal, il faut établir une telle obligation à la fin du programme, comme c'est le cas pour les diplômés du programme de formation des officiers de la Force régulière.

Le sénateur Day: J'espère que les membres de notre comité visiteront le Collège militaire royal dans un proche avenir. J'aimerais leur donner un aperçu de ce programme.

Cela m'amène à aborder la question de la formation dans le domaine de la technologie militaire et à insister sur la recherche. Vous avez signalé que, dans bien des cimetières militaires du monde, des soldats y reposent, peut-être faute de formation pertinente ou de matériel approprié.

Dans vos recherches exhaustives sur cette question, avez-vous indiqué si les Forces canadiennes ont actuellement l'intention d'acquérir du matériel perfectionné? Sommes-nous si préoccupés par la maintenance du matériel de 40 ans que nous ne songeons même pas à acquérir de l'équipement perfectionné au profit de nos militaires stagiaires qui ne peuvent pas communiquer avec le pilote d'un chasseur qui survole un champ, permettant ainsi que surviennent des situations qui ne devraient pas se produire? En faisons-nous assez?

Au cours d'une merveilleuse visite aux États-Unis, les membres de notre comité ont rencontré leurs homologues qui se penchent sur la recherche de pointe. La recherche militaire a déjà été à l'origine de nombreuses inventions commerciales de pointe. Quelle est la position du Canada à cet égard?

M. Granatstein: Je ne doute nullement que les Forces canadiennes consacrent leur temps à la maintenance de leur vieil équipement. La maintenance du matériel désuet nécessite beaucoup de temps et coûte très cher.

Selon moi, les militaires savent ce dont ils ont besoin et ce qu'ils veulent. Il ne leur manque que l'argent nécessaire. Ils connaissent l'équipement dont ils ont besoin. Essentiellement, certains de nos alliés se sont déjà dotés de cet équipement, et nous aimerions beaucoup les imiter.

Sur le plan de la recherche militaire, plusieurs entreprises effectuent des travaux dans des secteurs de pointe, mais la plupart du temps, ne vendent pas leurs produits aux Forces canadiennes, naturellement parce que nous n'évoluons pas habituellement sur ce marché. Ces entreprises vendent plutôt leurs produits aux Américains ou aux Britanniques, parfois. Cependant, nous avons des chercheurs efficaces qui font des travaux valables. C'est simplement que nous ne les appuyons pas sur le marché canadien, parce que les montants nécessaires n'ont pas été affectés ou ne l'ont pas été suffisamment.

La situation changera-t-elle? Je l'ignore, mais je dirais qu'elle ne changera probablement pas.

Le sénateur Day: En matière d'interopérabilité, il est important que le matériel de nos militaires puisse fonctionner de concert avec celui de nos alliés lors de nos missions. Je présume que, dans le nouveau livre blanc qui paraîtra, nous nous engagerons à participer conjointement avec les autres forces militaires.

M. Granatstein: Dans le discours qu'il a prononcé à Gagetown, le premier ministre a signalé que l'interopérabilité constituait l'un des objectifs. J'étais heureux de l'entendre s'exprimer ainsi, parce qu'il s'agit d'une question absolument essentielle. Nous mènerons presque toujours nos opérations de concert avec nos alliés. Nous devons nous entraîner avec eux. Nous devons avoir l'équipement, les systèmes et les méthodes qui assurent notre interopérabilité.

La Marine est de loin le meilleur de nos services sur le plan de l'interfonctionnement lors des opérations. L'Armée de terre est légèrement en retard, selon moi, mais il lui a été utile d'affecter un bataillon en Afghanistan pour y travailler avec une division américaine en 2002. Nous devons favoriser l'interopérabilité.

La Force aérienne continue de collaborer du mieux qu'elle le peut avec les Américains en utilisant son matériel qui est malheureusement désuet.

Le président: Monsieur Granatstein, je vous remercie, au nom du comité, d'avoir comparu aujourd'hui. Votre exposé, comme les précédents, a été utile et nous a interpellés. Nous accordons beaucoup d'attention à vos propos. Parfois, nous savons reconnaître une bonne idée et nous l'intégrons à nos rapports. Nous avons utilisé les vôtres plusieurs fois à cette fin.

M. Granatstein: Je vous remercie.

Le président: Si vous avez des questions ou des commentaires, je vous prie de consulter notre site Web à l'adresse www.sen-sec.ca. Nous y affichons les témoignages ainsi que l'horaire confirmé des séances. Vous pouvez également téléphoner à la greffière du comité au 1-800-267-7362 pour obtenir plus de renseignements ou de l'aide si vous souhaitez contacter les membres du comité.

La séance est levée.


Haut de page