Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense
Fascicule 3 - Témoignages du 3 mai 2004
OTTAWA, le lundi 3 mai 2004
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit ce jour à 17 h 25 pour examiner, pour ensuite en faire rapport, la nécessité d'une politique nationale sur la sécurité pour le Canada.
Le sénateur Michael Forrestall (vice-président) occupe le fauteuil.
Le vice-président: Je suis heureux de vous accueillir à cette réunion du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Aujourd'hui, nous entendrons des témoignages pour l'examen prochain de la politique étrangère et de la défense.
Je suis Michael Forrestall, sénateur de la Nouvelle-Écosse et vice-président du comité. Notre président n'est malheureusement pas en ville cette semaine, il est dans l'ouest du Canada. Permettez-moi de vous présenter les autres sénateurs.
Le sénateur Norman Atkins est de l'Ontario. Nommé au Sénat en 1986, il possède un riche bagage de connaissances dans le domaine des communications. Il a également déjà été conseiller de l'ex-premier ministre Davis en Ontario. En tant que sénateur, il s'est intéressé à certains dossiers touchant l'éducation et la pauvreté, en plus de défendre la cause des anciens combattants de la Marine marchande canadienne. Au fil des ans, le sénateur Atkins a été actif au sein de la collectivité et d'organismes de bienfaisance, dont l'Association canadienne du diabète. Il est aussi membre du Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration et de notre Sous-comité des anciens combattants.
À ma gauche, le sénateur Joseph Day, du Nouveau-Brunswick. Il possède un baccalauréat en génie électrique du Collège militaire royal de Kingston, un baccalauréat en droit de l'Université Queen's et une maîtrise en droit de la Osgoode Hall School. Avant d'être nommé au Sénat en 2001, il a fait une brillante carrière d'avocat. Ses champs d'intérêts sont notamment le droit des brevets et des marques de commerce ainsi que la propriété intellectuelle. Il est également vice-président du Comité sénatorial permanent des finances nationales et de notre Sous-comité des anciens combattants, en plus d'être membre actif de l'Association parlementaire canadienne de l'OTAN.
Le sénateur Jane Cordy a eu un empêchement et ne pourra être parmi nous ce soir.
À côté du sénateur Atkins se trouve le sénateur Tommy Banks qui est de l'Alberta. Il est reconnu au Canada comme l'un de nos artistes les plus accomplis et les plus polyvalents et un porte-étendard de la culture canadienne sur la scène internationale. Musicien lauréat d'un prix Juno, le sénateur Banks s'est fait connaître au pays et à l'étranger comme chef d'orchestre et directeur musical lors de nombreux grands événements comme les Cérémonies inaugurales des Jeux olympiques d'hiver de 1988. Il a coprésidé en 2003 le Groupe de travail du premier ministre sur les questions urbaines. En plus de servir au sein du comité, le sénateur Banks préside le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles et le caucus libéral de l'Alberta.
À ma droite se trouve le sénateur Jim Munson qui vient de l'Ontario. Il est surtout connu au Canada en tant que réputé journaliste et spécialiste des affaires publiques. À deux reprises, il a été mis en nomination pour un prix Gémeaux d'excellence en journalisme. Il a été journaliste pendant près de 30 ans, et jusqu'à récemment, il était correspondant pour le réseau de télévision CTV. Après avoir été brièvement conseiller auprès du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, il a commencé à travailler pour le bureau du premier ministre, d'abord en tant que conseiller spécial en communications puis comme directeur des communications. Le sénateur Munson est aussi membre du Comité sénatorial permanent de l'économie interne, des budgets et de l'administration et du Comité sénatorial permanent des langues officielles.
Le sénateur David Smith vient de l'Ontario. Il a été conseiller à Toronto puis maire adjoint de cette ville. Il a ensuite été élu à la Chambre des communes, servant comme ministre d'État dans le gouvernement de Pierre Elliott Trudeau avant d'être nommé au Sénat, en 2002. Il est devenu au cours de sa distinguée carrière spécialiste très réputé en droit administratif et municipal et en réglementation. Au moment de sa nomination au Sénat, le sénateur Smith était président et associé du cabinet Fraser Milner Casgrain. Il fait partie du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles et du Comité sénatorial permanent du règlement, de la procédure et des droits du Parlement.
Notre comité est le premier comité sénatorial permanent dont le mandat est d'examiner les questions de sécurité et de défense. Le comité a publié un certain nombre de rapports depuis le début de sa mission au milieu de l'année 2001, le premier s'intitulant L'état de préparation du Canada sur les plans de la sécurité et de la défense. Déposé en février 2002, ce rapport porte sur les principaux enjeux pour le Canada en matière de défense et de sécurité.
Le Sénat a ensuite demandé à notre comité de se pencher sur la nécessité d'une politique de sécurité nationale. Nous avons jusqu'ici publié cinq rapports sur différents aspects de la question. Le premier, «La Défense de l'Amérique du Nord: Une responsabilité canadienne» (septembre 2002); le deuxième, «Mise à jour sur la crise financière des Forces canadiennes: Une vue de bas en haut» (novembre 2002), le troisième: «Le mythe de la sécurité dans les aéroports canadiens» (janvier 2003); le quatrième, «Les côtes du Canada: Les plus longues frontières mal défendues au monde» (octobre 2003); et, le cinquième, «Les urgences nationales: Le Canada, fragile en première ligne», publié il y a quelques semaines, en mars.
Le comité poursuit son évaluation à long terme de la politique du Canada en matière de sécurité et de défense et prépare une analyse des réponses du gouvernement aux recommandations formulées jusqu'ici, après quoi il passera aux prochaines étapes de son évaluation.
Notre premier témoin ce soir sera le major-général (à la retraite) Lewis MacKenzie, qui est chargé de recherche à l'Institut canadien des études stratégiques. Le major-général a servi pendant 33 ans dans les Forces canadiennes. Il a pris sa retraite en 1993. Cet ancien commandant est connu pour son travail comme chef des forces de maintien de la paix, lui qui a eu neuf rondes d'affectation en Égypte, à Chypre, au Vietnam, en Amérique centrale et dans l'ex- Yougoslavie.
Le major-général MacKenzie est aussi l'auteur d'un livre publié en 1993, lequel fait autorité: Peacekeeper: The Road to Sarajevo, une chronique dans laquelle il partage les expériences qu'il a vécues un peu partout dans le monde dans le cadre d'activités de maintien de la paix.
Soyez le bienvenu, mon général. Sauf erreur, vous avez préparé une courte introduction.
Le major-général (à la retraite) Lewis MacKenzie, témoignage à titre personnel: Honorables sénateurs, j'aimerais commencer — et dans le monde militaire ce serait considéré comme du lèche-botte mais je tiens à vous assurer qu'il n'en est absolument rien — en disant que vous faites vraiment de l'excellent travail. Votre comité a produit d'excellents rapports. Ce n'est pas simplement le militaire qui vous le dit, mais l'ancien conseiller en sécurité des premiers ministres Harris et Eves; et il y avait beaucoup plus à faire en Ontario que dans n'importe quelle autre province.
Une grande partie de ce que vous proposez pour les frontières, et tout particulièrement les ports, est essentielle à la sécurité de notre nation. Je serais beaucoup plus heureux si un plus grand nombre de vos recommandations étaient appliquées. J'estime, quant à moi, que cela renforcerait d'une manière considérable la sécurité de notre nation.
Je tiens à rappeler que je suis ici à titre personnel. Contrairement aux propos de l'ancien premier ministre, je ne suis associé en aucune manière avec des industries travaillant dans le domaine de l'armement. C'est un commentaire fort désobligeant qui avait été fait à mon propos à l'époque. Depuis que j'ai quitté la carrière militaire, d'autres choix se sont offerts à moi et je m'abstiendrai de porter tout jugement sur mes collègues qui sont partis travailler pour l'industrie de l'armement. C'est une deuxième carrière tout aussi honorable.
Je viens vous parler aujourd'hui de questions militaires et d'affaires étrangères à titre purement personnel. Je ne parlerai pas argent. Je ne parlerai pas chiffres. Vous en savez plus que moi sur ces questions.
Vos rapports démontrent clairement votre compréhension de la crise à laquelle sont confrontées les Forces canadiennes d'aujourd'hui si on continue à leur imposer les tâches définies par le livre blanc de 1994. Je m'abstiendrai donc de tout commentaire sur cette question.
J'aimerais utiliser mon temps pour vous parler d'une question que nous avons volontairement abandonnée en 1969 alors que nous venions tout juste de dépenser 3 millions de dollars à la modernisation du Bonaventure et que nous l'avons bradé pour une misère, pour 800 000 $ que les Forces canadiennes ont perdu leur outil de corps expéditionnaire. Nous avons volontairement renoncé à cet outil. C'était une chose qui m'avait frappé quand j'avais 20 ans et que, lieutenant de l'armée de terre, je suivais le cours de premier niveau de l'école d'état-major de Toronto et que j'avais écrit un essai dans lequel je disais que si une seule nation du monde devrait avoir un outil expéditionnaire, une force interarmées réunissant l'armée de terre, la marine et l'aviation, c'était bien le Canada. C'est toujours le cas aujourd'hui, pour plusieurs raisons.
Pour commencer, prenez nos côtes. Encore plus, regardez les endroits où nous sommes intervenus dans le monde. Il y a très peu de missions auxquelles nous ayons participé où l'accès par la mer était impossible. Par conséquent, il me semble que recommander comme votre comité et beaucoup d'autres l'ont fait, et déclarer comme plusieurs législateurs et plusieurs décideurs l'ont fait, que nos militaires fassent une pause nécessaire et ne soient plus déployés outre-mer pour une période de 10 ou 15 ans, est totalement naïf. C'est tout simplement impossible. Il y aura toujours des crises aux quatre coins du monde, et notre intérêt national, c'est-à-dire la défense de nos intérêts et de nos valeurs, voudra que nous intervenions. C'est la réalité d'aujourd'hui. On ne peut pas mettre les militaires au repos pour qu'ils reprennent des forces et dire non au gouvernement s'il en a besoin. Par conséquent, il faut trouver des moyens de revitalisation tout en maintenant une capacité d'intervention significative dans les points chauds du monde qui demandent notre présence car c'est ça le Canada.
À mon avis, on peut y arriver en créant un corps expéditionnaire interarmées d'un effectif qui devrait atteindre les 4 000 à 5 000, en tout cas c'est ce que je recommanderais. Ce corps serait constitué de trois groupements tactiques et dans le jargon du quartier général l'effectif d'un groupement tactique est d'environ 1 000 soldats. Un de ces groupements tactiques serait composé d'une compagnie de parachutistes, les autres membres et le matériel de ce groupement étant aéroportés, plus deux groupements tactiques transportés par mer. Je commencerais seulement par un de ces deux derniers parce que je suis suffisamment réaliste pour savoir que nous n'arriverons pas d'un seul coup à avoir un effectif de 5 000, mais nous pourrions commencer par un des deux groupements tactiques transportés par mer.
J'approuve tout à fait l'annonce qui vient d'être faite de l'achat de trois bateaux ravitailleurs mais qui a malheureusement été comprise par certains Canadiens comme un outil pour corps expéditionnaire. Ce n'est pas le cas. Ces navires ravitailleurs ont pour premier rôle de ravitailler notre marine en mer. Ils peuvent transporter 200 personnes de plus mais ils ne peuvent pas transporter de soldats. Ces 200 personnes de plus seront les mécaniciens et les pilotes des hélicoptères, le personnel médical et le personnel du Centre de commandement et de contrôle. C'est un corps extrêmement valable et absolument essentiel pour les Forces canadiennes. Cependant, ce n'est pas un outil de corps expéditionnaire. Pour commencer, ils ne peuvent transporter, si tous les trois sont utilisés en même temps, que le matériel d'un groupement tactique et dans ce cas ils ne sont plus disponibles pour faire leur travail, c'est-à-dire ravitailler les navires de notre marine. C'est donc un apport valable mais qui ne constitue pas en soi un outil de corps expéditionnaire. Il reste que c'est un pas dans la bonne direction.
Il y a des navires aujourd'hui — et ils sont de plus en plus gros — qui peuvent transporter de 800 à 900 soldats avec tout leur matériel et leur soutien aérien, qu'il s'agisse d'hélicoptères ou d'avions à décollage vertical, et nous pouvons les louer. Cela ne prendra pas 12 ans comme les navires ravitailleurs. S'il y en a qui pensent qu'on ne peut pas les louer, donnez-moi une semaine au Pentagone et j'irai voir mon vieil ami, Colin Powell, et je reviendrai avec un contrat de location de navire qui reviendra beaucoup moins cher que d'en acheter un. Ils seront beaucoup plus heureux de nous en louer un que d'en donner un au corps des Marines car pour eux c'est géopolitiquement plus utile.
Il y a des navires. Cela ne devrait pas être un problème et cela ne coûterait pas les yeux de la tête.
Pour accueillir de tels navires, il faut des infrastructures. Il faut des quais, du matériel de chargement et de déchargement, une grande piste de décollage et d'atterrissage, une tour de contrôle, une voie de chemin de fer et des baraquements, ce qui coûte beaucoup d'argent — plus d'un milliard.
Nous avons ce qu'il faut à Shearwater à condition que la Société immobilière du Canada ne vende pas la base. D'après ce que je sais, il n'en sera plus question et j'espère que c'est vrai. Nous avons absolument besoin d'un tel corps expéditionnaire et nous n'avons pas à chercher la base pour l'héberger. Surtout, je vous en prie, n'y touchez pas.
Vous trouvez probablement surprenants qu'un type de l'armée réclame des ressources supplémentaires pour la marine. C'est tout le problème de l'unification. À partir du moment où nous avons été unifiés, tout l'argent du budget de la défense est allé dans la même enveloppe et les trois corps d'armée ont dû se battre comme des malades pour avoir leur part. Conséquence, sur certaines questions, les murs entre l'armée de terre, la marine et l'aviation sont montés encore plus hauts qu'ils n'étaient auparavant — et nous sommes censés être une force interarmées. Nous n'avons pas de petit corps expéditionnaire compact. Nous ne devrions pas envoyer des bribes un peu partout dans le monde pour s'intégrer à d'autres forces armées.
Je n'ai pas aimé du tout quand mon ami Art Eggleton a parlé d'envoyer des Coyotes. Quand vous envoyez une compagnie de Coyotes, le drapeau canadien disparaît. La compagnie est purement absorbée par une brigade britannique, par exemple. Pour le Canada cela représente beaucoup, mais à l'étranger personne ne s'en rend compte. Selon moi, nous marquons des points géopolitiques quand nous envoyons des forces équilibrées, bien composées, en l'occurrence, des forces interarmées.
Nous avons une armée de terre qui souffre mais qui peut faire le travail; le problème c'est qu'elle n'a pas les moyens pour se déplacer. Elle est là au Canada mais elle ne peut se rendre là où on a besoin d'elle que si quelqu'un veut bien l'emmener.
Depuis la fin de la guerre froide il y eu le Cambodge, la Croatie, la Bosnie, la Somalie, le Timor oriental et si nous y avions été, l'Irak. Ce sont tous des pays maritimes. Il n'y a que pour l'Afghanistan qu'il fallait des moyens de transport différents, mais pas tant que cela puisque les Américains envoyaient les troupes à partir de leurs bases en mer.
Haïti est un exemple récent parfait. Avoir un corps expéditionnaire permet de ne pas prendre des décisions à la hâte. Il n'y a plus ce même degré d'urgence puisque ce corps expéditionnaire est prêt et qu'il n'a besoin que d'un feu vert pour se déployer.
Au Canada nous devons prendre des décisions dans la précipitation parce que nous savons qu'une fois cette décision arrêtée, il nous faudra au moins trois mois pour envoyer des troupes, comme cela a été le cas pour l'Afghanistan. Pour Haïti, il a fallu trois semaines et c'est dans notre hémisphère.
Quand on a un corps expéditionnaire on peut le garder sur pied d'alerte dans les eaux internationales, et quand le gouvernement du Canada décide d'intervenir, il peut être sur place dans l'espace de quelques heures si ce n'est de quelques minutes. C'est comme ça qu'il faut faire, pas attendre des mois.
Un document beaucoup plus détaillé sur ce que je dis est en cours de rédaction par un groupe de spécialistes militaires et civils éminemment qualifiés et éminemment crédibles. La rédaction de ce document sera probablement terminée d'ici un mois, et je me ferai un plaisir de veiller à ce que vous en receviez une copie.
Ne vous méprenez pas. Ça ne suffit pas. Il ne s'agit pas des Forces armées canadiennes. C'est simplement la pointe de la baïonnette. Pendant que ces forces qui existent remplissent non seulement des missions nationales en cas de catastrophes au Canada mais aussi des missions internationales, le reste des effectifs militaires fait la pause que vous avez si judicieusement recommandée pour se régénérer. Une grande partie des cadres intermédiaires quittent l'armée parce qu'ils sont arrivés au bout de leurs 20 ans de service ou à 40 ans, l'un ou l'autre, et l'armée aura beaucoup de peine à trouver et à former leurs remplaçants. Cela ne se fera pas du jour au lendemain, mais pendant que cela se fera, l'existence d'une force de réaction rapide nous conserverait la réputation que nous nous sommes faite sur la scène internationale.
Je me hâte d'ajouter que les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, l'Espagne et l'Italie modernisent leur propre force de réaction rapide et l'Australie est en train de s'en constituer une.
J'ai dit que je ne parlerais pas chiffres, mais d'après moi 80 000 devraient être l'effectif optimum des Forces armées canadiennes, tout compte fait.
Clarke, le conseiller à la sécurité du président Bush, a tout faux. Il est beaucoup trop généreux pour nous. Il a dit dans le journal qu'avec 39 000 policiers, les effectifs de la police de New York sont supérieurs à ceux de l'armée de terre canadienne.
Je suis chef honoraire de la Police de la communauté urbaine de Toronto. Il y a 2 000 policiers de plus à Toronto qu'il y a de soldats d'infanterie dans l'armée canadienne, en comptant tous les effectifs, de simples soldats jusqu'au général. L'armée canadienne ne compte que 15 000 soldats pouvant être envoyés en mission. Le service de police de New York est deux fois et demie plus gros, comptant presque autant d'effectifs que l'ensemble des Forces canadiennes, y compris l'armée de terre, la marine et l'aviation. Vous voyez donc qu'il s'est montré généreux dans ses propos.
Depuis 12 ans, je suis invité deux fois par année à donner des conférences à Montgomery, en Alabama, à des officiers généraux des États-Unis qui suivent un cours sur l'art de la guerre. Je ne leur explique pas comment livrer des batailles, mais on m'invite à parler du commandement d'une force de coalition multinationale et des problèmes que cela comporte. On ne vous invite de nouveau à donner une conférence que si les élèves vous recommandent. Je suis ravi de pouvoir dire que Newt Gingrich et moi-même sommes les deux seuls conférenciers à avoir été invités chaque année pendant 12 ans.
Chaque année, je leur communique le même message. Je pensais bien qu'on ne m'inviterait plus après la première année, en 1993. Le général Powell avait alors fait le nécessaire. Je leur ai dit qu'en tant qu'Américains, ils feraient mieux de ne pas jouer le rôle d'intermédiaires. «Gardez vos forces pour vous occuper des poids lourds du monde, comme la Chine, la Russie et la Corée du Nord. Faites pression auprès des dirigeants d'autres pays, comme le mien, pour que nous nous chargions du travail d'intermédiaires à votre place, parce que nous le faisons mieux que vous. Gardez vos capacités militaires pour relever les importants défis qui vont se poser dans l'avenir.» Mon opinion n'a pas changé.
À titre de commandant international d'une force multinationale, je donnerais n'importe quoi pour que l'on constitue un corps expéditionnaire comme celui que je viens de recommander. Il ne serait pas obligé de compter sur des navires nolisés ou des avions civils nolisés, et il ne mettrait pas trois mois pour se rendre là où on voudrait l'envoyer. Ce corps expéditionnaire aurait ses propres navires, ses propres services de soutien, sa propre logistique, ses propres services médicaux et ses propres capacités de combat. Si c'est là un rôle-créneau, je préconise des rôles-créneaux. Mais je suis contre le fait d'envoyer des véhicules Coyote se joindre à une brigade britannique.
Le sénateur Atkins: Général MacKenzie, comme vous le savez, c'est notre vice-président qui préside la séance ce soir. Je suis sûr qu'il voudrait que je vous pose tout d'abord la question suivante: comment faire pour remettre en service les Halifax Rifles?
Le vice-président: Je vous invite à réfléchir sérieusement à la question.
M. MacKenzie: Je vais profiter de l'occasion pour dire quelque chose que je n'ai pas mentionné dans ma déclaration d'ouverture. Je vais jeter un pavé dans la mare. C'est ce que j'ai recommandé quand j'étais conseiller en matière de sécurité en Ontario. Étant donné la crise que traverse notre nation en ce moment, les menaces, la guerre au terrorisme, j'aimerais que les forces de réserve puissent répondre plus rapidement aux demandes des premiers ministres provinciaux. Ce pourrait être une structure analogue à celle de la garde nationale aux États-Unis, mais voilà ce qui serait souhaitable. Les gens n'auraient pas à venir à Ottawa pour demander l'autorisation d'utiliser les force de la Réserve. Au moyen de la planification, du soutien et de l'affectation des ressources, le premier ministre d'une province pourrait disposer des unités qui se trouvent à l'intérieur de sa province tant qu'il n'y a pas de mobilisation.
C'est un rôle très sérieux que la Réserve pourrait jouer tout de suite. Quand nous aurons subi notre premier attentat terroriste, la population s'en rendra compte. Alors, redonnons vie aux Rifles!
Le sénateur Atkins: Vous êtes manifestement pour que l'on investisse davantage dans la Force de réserve.
M. MacKenzie: Absolument. Chaque fois que l'armée doit faire davantage avec moins de ressources — et cela suppose parfois des missions à l'étranger — les dirigeants doivent puiser des ressources dans la Réserve pour accomplir les tâches que le gouvernement leur confie. Ils puisent donc dans ce bassin de main-d'oeuvre; même s'ils n'aiment pas le faire. En utilisant un nombre important de réservistes, on aide à maintenir nos militaires en mission à l'étranger.
À titre de commandant, j'ai dirigé certains membres de la Réserve, et je ne pouvais pas faire la différence entre eux et les membres de la Force régulière, s'ils étaient formés pour remplir une tâche précise. Si un militaire ne peut pas effectuer correctement son tour de garde, je me moque du reste. Mais quand les réservistes étaient en uniforme et faisaient le travail, il était impossible de les distinguer des membres de la Force régulière.
Je suis assez mécontent du traitement qu'on leur réserve après leur retour au pays.
Le sénateur Atkins: C'était le sujet de ma question suivante. Quelles mesures incitatives pourraient attirer les réservistes et les valoriser davantage au sein des forces armées?
M. MacKenzie: Monsieur le sénateur, c'est une question très vaste parce qu'elle nous ramène au recrutement. L'armée recrute ses gens dans le secteur le plus mobile et le plus instable de la société, entre autres parce que nous aimons bien recruter les étudiants d'université. Cependant, ce n'est pas nécessairement la catégorie de recrues qui resteront dans l'armée. Dans l'ancien temps, on recrutait dans les collectivités des gens qui étaient stables et qui exerçaient différents métiers, que ce soit celui de mécanicien ou d'instituteur. L'armée ne réussit pas très bien dans ce domaine. Il est plus facile de recruter des étudiants, qui ont besoin d'argent supplémentaire. Il faudra donc rajuster le tir en matière de recrutement.
Je suis mal à l'aise de le dire, parce que cela ternit ma propre profession. Il faut témoigner plus de respect aux réservistes, car il est absolument inacceptable qu'on les oublie une fois qu'ils sont rentrés au pays.
Je vais citer l'exemple du bataillon 2 PPCLI dirigé par Jim Calvin. Jim a servi comme capitaine dans mon unité pendant un certain temps quand j'étais commandant. C'était un excellent officier. Il était franc avec moi et je l'ai appelé avant son départ. Je lui ai demandé: «Qu'est-ce que tu peux faire, Jim, quand tu seras rendu là-bas?» Il m'a répondu: «Je peux faire du travail en peloton. Les commandants de compagnies et les sergents-majors sont bons, ils arriveront à faire le travail, mais ne me demandez pas de déplacer un bataillon par voie de terre parce que je n'en serais pas capable. Je n'ai pas fait d'exercices de ce genre parce que je dois intégrer plus de 400 membres des troupes d'appoint au bataillon. Il s'agit dans la grande majorité des cas de réservistes. Ils ne se connaissent pas.» Deux mois plus tard il s'est retrouvé dans l'enclave de Medak.
Les membres d'unités homogènes ne souffrent pas de l'état de stress post-traumatique. C'est mon avis, bien que je ne sois qu'un profane dans cette matière. Pourquoi n'y a-t-il pas eu de problèmes de ce genre au sein du bataillon R22eR qui m'a été envoyé à Sarajevo? Ces militaires ont été exposés à des facteurs de stress aussi puissants que tout autre bataillon canadien en mission là-bas. C'est parce qu'avant de venir à Sarajevo, ils sont passés par notre brigade de l'OTAN en Allemagne, où ils avaient pu dormir, se divertir, s'exercer et s'entraîner ensemble pendant deux ans et demi ou trois ans. La cohésion du groupe était très forte. Les soldats faisaient confiance à leur commandement et connaissaient le nom de tout le monde. Voilà ce que devrait être une unité; elle devrait ressembler à cette unité-là, à bord de ce navire. Ce n'est pas un ramassis d'individus.
Je me suis un peu écarté de mon propos. Quand ce bataillon est revenu de Croatie, les avions se sont posés à Trenton. Avant même que l'avion suivant arrive, les réservistes qui étaient à bord avaient disparu, reprenant le chemin de leur village natal dans le nord de la Saskatchewan ou l'ouest de la Colombie-Britannique. Cette unité qui avait fait un travail extraordinaire s'est tout simplement désintégrée. Ces gens sont retournés à Salmon Arm pour s'asseoir dans un bar, tout seul, et essayer de parler à quelqu'un de ce qui s'était passé dans l'enclave de Medak. Qui était au courant?
Le sénateur Atkins: Il y a aussi d'autres problèmes. Les réservistes qui veulent s'intégrer à la Force régulière éprouvent des difficultés à le faire.
M. MacKenzie: On devrait leur donner la priorité.
Le sénateur Atkins: Contrairement à ce qui se passe aux États-Unis, leur emploi n'est pas protégé lorsqu'ils rentrent chez eux, à Salmon Arm par exemple.
M. MacKenzie: Je ne sais plus si j'ai changé d'idée à ce sujet, ce qui montre à quel point je suis indécis. Je me suis acharné à faire valoir que nous ne devons pas avoir de loi immuable qui garantirait aux réservistes, de retour au pays, leur emploi et le respect de leur ancienneté et autres avantages. Pourquoi? Parce que lorsqu'ils postuleraient un emploi, l'employeur donnerait la préférence à quelqu'un qui ne fait pas partie de la Réserve sachant que s'il embauche un réserviste il devra accepter certains compromis et le perdre pendant peut-être une année. Mes amis australiens me disent que ce problème s'est posé lorsqu'ils ont opté pour cette voie.
Entre ce point de vue extrême et ce que nous faisons maintenant, il doit y avoir un juste milieu, une meilleure solution.
Le pire des employeurs, celui qui refuse d'autoriser des congés à ses employés réservistes pour qu'ils suivent de la formation ou qu'ils partent en mission, c'est le ministère de la Défense nationale, à moins que la situation n'ait changé depuis mon départ.
Le sénateur Atkins: J'ai une autre question. Nous avons entendu le témoignage du professeur Granatstein la semaine dernière. À son avis, il faudrait rétablir le Corps-école d'officiers canadiens, le COTC.
M. MacKenzie: J'ai fait partie du COTC pendant un an. À l'époque, l'idée de voir des uniformes sur le campus universitaire déplaisait beaucoup, en raison de la guerre du Vietnam. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Je serais favorable à ce qu'on rétablisse la formation militaire donnée dans un programme civil d'études universitaires. J'ai le plus grand respect pour le Collège militaire royal du Canada, bien que je n'en sois pas diplômé.
Le sénateur Atkins: Prenez garde. Il y en a un parmi nous.
M. MacKenzie: Dans certaines universités civiles, il y avait autant de disciplines militaires dans l'ancien COTC et d'autres programmes que dans les cours du Collège militaire royal.
Le sénateur Atkins: Les rédacteurs du livre blanc de 1994 n'avaient évidemment pas de boule de cristal. Ils ont défini un concept qui guide les forces armées même aujourd'hui. Et pourtant, nous avons connu les événements du 11 septembre. Personne n'aurait pu prédire tout ce que le gouvernement canadien allait exiger des forces armées au cours de la dernière année.
Vous avez préconisé la constitution d'un corps expéditionnaire. S'agit-il d'un corps polyvalent? La création de ce corps expéditionnaire serait-elle compatible avec le livre blanc ou faudrait-il le remanier?
M. MacKenzie: Tout le monde fait fi du livre blanc. Je recevais des instructions du Conseil de sécurité dans mon bunker à Sarajevo. On aurait pu les interpréter n'importe comment. C'était, du reste, fait exprès, parce que la décision avait été prise par un comité formé en 1945 et constitué de représentants de la Chine, de Russie, des États-Unis, de la France et du Royaume-Uni — bref du monde tel qu'il était en 1945. Les membres de ce comité étaient tous motivés par l'intérêt national de leurs pays respectifs. Ils envoyaient des instructions au commandant des troupes sur le terrain, qui, après en avoir pris connaissance, s'écriait «c'est ridicule». Ensuite, le commandait faisait ce que bon lui semblait, ce que permettaient ces instructions extrêmement vastes.
Il en va de même du livre blanc. Nous n'avons jamais été en mesure de faire ce que le livre blanc nous demandait en mobilisant un effectif de 10 000 personnes. Dans ces conditions, quelle est la valeur du livre blanc? Tout le monde parle de souveraineté. Nous nous sommes même engagés maintenant, à maintes reprises, à appuyer l'ONU. Or l'ONU a connu toute une série noire depuis la fin de la guerre froide, toute une suite de désastres complets, parce que ce Conseil de sécurité formé en 1945 est incapable de s'adapter aux nouveaux défis présents dans le monde; et pourtant nous devons encore jurer d'appuyer le processus de l'ONU. Les autres composantes de l'ONU, notamment l'Assemblée générale et les organes exécutifs comme le HCNUR, l'UNICEF, l'Organisation mondiale de la santé, font de l'excellent travail, mais le Conseil de sécurité est un désastre. Un livre blanc qui n'est pas assorti d'un budget, qui ne fait pas l'objet d'une vérification et qui ne définit pas vraiment d'orientations, cela ne me semble pas très utile. Bien qu'en même temps, les militaires affirment qu'ils suivent les grandes orientations du livre blanc.
Le sénateur Atkins: Que faut-il définir en premier, la politique étrangère?
M. MacKenzie: Oui, absolument. On peut la formuler en termes tellement vagues que cela permet de faire n'importe quoi. Je suis ravi de voir que cette fois, on étudie les deux sujets en parallèle. Je n'aime pas entendre certaines personnes dire que tout est décidé d'avance. J'espère que ce n'est pas vrai, mais vous êtes mieux placés que moi pour le savoir. Toutefois, s'il s'agit d'un authentique examen de la politique étrangère et de ce que les forces armées devraient être en mesure de faire, d'après les responsables de la politique étrangère, je suis d'accord. Je souscris à une perspective globaliste selon laquelle il faut faire intervenir différentes fonctions. Vous avez évoqué la possibilité de forces polyvalentes. De bons soldats, de bons marins et de bons aviateurs peuvent jouer des rôles multiples pourvu qu'ils soient bien entraînés. Ils peuvent passer presque sans transition d'une opération de maintien de la paix à des activités de combat pourvu qu'ils aient la formation et le matériel nécessaires. Autrefois, nous étions en mesure de le faire.
Le sénateur Atkins: Estimez-vous que la formation de nos militaires est aussi bonne qu'elle devrait l'être?
M. MacKenzie: Non, et ce n'est pas de leur faute. Si on envisage des activités où de grands groupes de gens qui vont devoir travailler en équipe, il faut faire des exercices en équipe. Si vous voulez que votre équipe de soccer se rende à la Coupe du monde mais que, pendant l'entraînement, vous ne pouvez faire jouer ensemble que six membres de l'équipe, vous aurez des difficultés. Quand j'étais chef d'état-major sous le commandement de John de Chastelain, j'ai dirigé la manoeuvre de plus grande envergure depuis la Deuxième Guerre mondiale. C'était un exercice de division réalisé en 1985, à Wainwright, auquel 14 000 soldats prenaient part. Ça été le dernier exercice du genre. L'année dernière, l'armée a effectué un exercice — très coûteux — que l'on a désigné comme exercice de niveau de brigade. La brigade était sur le terrain, mais le commandant de brigade ne participait pas à la manoeuvre. La brigade faisait un exercice pour ses bataillons et ses régiments.
L'argent manque. Lorsqu'on envoie des militaires à l'étranger, il faut avoir l'argent pour les payer. C'est pourquoi la formation a été laissée pour compte. Cela vaut aussi pour les deux autres corps d'armée, la marine et l'aviation. Nous sommes tous très fiers de voir décerner à nos pilotes de chasse le titre de «Top Gun», et c'est merveilleux, mais il faut accumuler beaucoup d'heures de vol pour atteindre ce niveau. On a réduit radicalement le nombre d'heures de vol. Malheureusement, on a également réduit les heures de navigation. La marine consacre 95 p. 100 de ses heures de navigation à des fonctions opérationnelles.
Le sénateur Atkins: Vous avez parlé de l'achat d'équipement de série.
M. MacKenzie: Je dirais plutôt la «location».
Le sénateur Atkins: D'une façon générale, que pensez-vous de l'achat de matériel de série?
M. MacKenzie: Personnellement, je suis pour, mais je connais tous les arguments politiques contre ce type d'achat. Cependant, comme la technologie évolue à un rythme effréné, si bien qu'on fait des découvertes tous les jours, et les entrepreneurs qui font affaire avec l'armée le font mieux que quiconque, et étant donné l'incroyable lenteur de notre processus d'approvisionnement, nous tirons toujours de l'arrière. Par conséquent, il peut être difficile d'obtenir des choses aussi simples que des gilets pare-éclats et des casques. En 1992, nous nous sommes retrouvés tout à coup en Bosnie, dans une zone d'opération, et nous nous préparions à aller en Somalie, mais nous avons quand même fait les démarches pour réunir tous les éléments. Nous voulions que toutes les pièces qu'équipement soient complémentaires. Nous avions envie de leur dire: «Désolés, les gars, mais on nous tire dessus; pourrions-nous s'il vous plaît avoir un casque convenable?» On pouvait acheter des casques de série dans le commerce.
Il y a des cas, comme celui que je viens de citer, ou encore lorsqu'on doit acheter des éléments d'équipement de grande envergure, où il serait plus logique, sur le plan opérationnel, d'acheter les produits de série, en écartant toutes considérations politiques.
Le sénateur Atkins: Vous avez évoqué le programme de défense antimissile balistique. J'imagine que vous êtes favorable à une certaine participation du Canada dans ce programme américain?
M. MacKenzie: Il ne faut jamais s'engager dans une bataille qu'on va forcément perdre. Le fait est que nous partageons le continent avec la seule super puissance mondiale qui subsiste et nous sommes le seul pays au monde qui puisse se désoler de se trouver à côté de cette super puissance. Il y a 190 autres membres de l'ONU qui donneraient tout pour avoir le privilège d'être les voisins des États-Unis, mais au Canada, cette proximité est perçue comme un problème.
Il vaut mieux se faire à l'idée que c'est inéluctable. Le Canada doit participer à la planification de manière à avoir une certaine influence sur le cours des événements, pour reprendre un argument souvent invoqué. De toute façon, le programme va aller de l'avant. La plus courte distance entre deux points sur la Terre n'est pas une droite mais bien une courbe. Cette courbe passe normalement au-dessus du Canada. Il faut donc se faire à l'idée. Oui, il faut rester à la table, malgré toutes les sensibilités politiques que cela peut heurter. Je dis bien rester à la table, et non pas aller à la table.
Le sénateur Smith: Général, vous avez parlé en termes très généraux. C'est ce genre d'échange que j'apprécie. Même si je n'ai pas une connaissance détaillée du domaine, j'ai réagi avec beaucoup d'ouverture d'esprit à votre idée d'un corps expéditionnaire. Cette idée semble bien correspondre au créneau dans lequel le Canada s'est spécialisé au cours des dernières décennies.
Je tiens à revenir à cette question de rationalisation du budget de la défense avec tous les changements entraînés par la fin de la guerre froide. Pendant mes années d'études supérieures à la fin des années 60, avec un groupe de 17 étudiants anglais je suis allé par le train à Moscou en passant par Checkpoint Charlie. Nous avons voyagé dans les pays du bloc de l'Est pendant trois semaines. À notre retour, nous étions tout à fait conscients de la guerre froide et de l'énorme appareil militaire auquel les pays de l'OTAN étaient confrontés. Vingt ans plus tard, je me souviens avoir été en Estonie quand le mur de Berlin a été démoli. Nous nous promenions dans la rue et des gens que nous ne connaissions absolument pas se précipitaient sur nous pour nous embrasser. Quels changements extraordinaires j'ai pu voir dans ma vie. Puis il y a eu le 11 septembre, un événement aussi important. Le week-end dernier, il y a eu tous ces anciens pays du Pacte de Varsovie qui sont entrés dans le club de la Communauté économique européenne. C'est incroyable.
Tout nous ramène à l'argent. Quelles économies, par exemple, pouvons-nous faire en rationalisant le budget d'une défense qui ne vit plus à l'ère de la guerre froide? Y a-t-il toujours des bases — et là il est difficile de rationaliser — qui continuent plus à exister pour des raisons politiques que des raisons stratégiques? Est-ce que nous avons toujours de gros blindés, du matériel de ce genre, que nous ne semblons jamais utiliser dans les missions de maintien de la paie auxquelles nous participons? J'ai parlé à un type en Bosnie qui avait participé à six missions et qui n'en avait encore jamais vu une où on avait utilisé des blindés.
Je juge depuis le début avec un certain cynisme l'argent englouti dans les sous-marins. Ils semblent symboliser la mentalité de la guerre froide, et le genre de chose que vous proposez, un corps expéditionnaire, me semble beaucoup plus séduisant que ces sous-marins. Tout finit toujours par des questions d'argent. Il est évident que les dépenses pour la santé resteront toujours de loin la première des priorités et on ne peut l'ignorer. Si nous nous décidons pour un corps expéditionnaire comme celui que vous proposez, y a-t-il moyen de trouver l'argent nécessaire et de justifier cette dépense alors que la guerre froide est finie?
M. MacKenzie: C'est le dilemme de tous ceux qui se penchent sur cette question. À tout prendre, pour être honnête, je regrette la guerre froide. Michael Ignatius l'a dit mieux que moi. Deux organisations soudaient les deux camps adverses, le Pacte de Varsovie et l'OTAN, et chacun connaissait son camp. Enfin, mis à part la Suisse et la Yougoslavie qui jouaient la neutralité. Il reste que les choses étaient assez simples. À l'époque, nous avions tout un matériel qui se faisait face sur le front central et dans l'Atlantique dans l'attente d'un incident qui aurait eu des conséquences horribles. Heureusement il n'y a pas eu d'incident.
Qui aurait pu deviner que le monde deviendrait un endroit plus instable et plus dangereux, et en plus, qui aurait deviné qu'après la guerre froide, la demande pour les services canadiens augmente? C'est pourtant ça. Nous avons rempli plus de missions à la demande du gouvernement canadien pendant les huit années suivant la fin de la guerre froide que pendant toute la guerre froide, pour ce qui est des déploiements, parce que nous avons le genre d'organisation militaire et le genre de population, multiethnique, qu'il semble intéressant d'envoyer dans ces régions — pas des missions de maintien de la paix. Nous ne sommes pas un pays de casques bleus. Je m'excuse. Il n'y a eu qu'une seule mission purement de maintien de la paix depuis la fin de la guerre froide, l'Érythrée et l'Éthiopie. Tout le reste a été autre chose, plutôt des opérations de gendarmerie, c'est-à-dire «Tenez-vous tranquille ou je vous tue». C'est ça et pas autre chose. Et cette autre chose c'est pas loin de la guerre. Ce genre d'opération — et je ne vois pas pourquoi ça changerait — réclame des forces beaucoup plus souples, beaucoup plus mobiles, beaucoup plus polyvalentes que celles qui étaient stationnées sur le front central en Allemagne pendant toutes les années de la guerre froide.
Pouvez-vous commencer à éliminer certaines de ces capacités de façon graduelle? Les Forces canadiennes évoquent déjà la possibilité de remplacer le char en tant que tel. Il ne s'agit pas de remplacer la capacité des chars, néanmoins, le système de canon mobile jouera ce rôle bien qu'il soit loin d'être aussi efficace. J'ai des préoccupations à cet égard, mais cela reviendrait à parler d'équipement très précis.
Si les Forces canadiennes au complet étaient logées sur une seule base, celle-ci serait la huitième en importance en Amérique du Nord. Pour ce qui est des sommes consacrées aux chars durant la majeure partie de l'époque d'après- guerre froide, soit pendant cinq ou six ans, il y avait au Canada davantage de chars allemands et britanniques que de chars canadiens. Nous ne constituons pas une importante menace militaire avec nos chars. Nous les avons déployés au Kosovo, mais il s'agissait seulement d'une troupe. Pire encore, nous avons déployé le Cougar, doté d'un canon de 76 millimètres, dans les Balkans. Je faisais partie du groupe d'officiers supérieurs qui, lorsque les chars sont arrivés, a affirmé aux soldats: «Ne vous inquiétez pas, ils ne seront pas déployés dans un théâtre d'opérations, ils ne sont que des jouets qui nous permettront de survivre aux années Trudeau.» M. Trudeau n'aimait pas les chars, alors nous avons dû accepter ce petit jouet. Nous avons fini par les déployer dans un théâtre d'opérations.
Il y a des façons d'économiser. Toutefois, parmi les recommandations de la vérificatrice générale, parmi les recommandations de David Pratt, que Dieu le protège, président du Comité permanent de la défense nationale de la Chambre des communes, figure une augmentation du budget de la défense de 1,5 milliard de dollars sur cinq ans pour rehausser la base de référence. Il s'agit seulement de maintenir la force, pas de changer d'orientation, ni de la bonifier. Ma suggestion consiste en la capacité de créer une force d'intervention rapide qui serait éminemment qualifiée, bien équipée, dotée du personnel nécessaire, entre autres, afin de mieux exécuter les tâches dont nous nous sommes acquittés au cours des 12 dernières années, et ce, au lieu de composer des unités avec des moyens de fortune avant de les envoyer à l'étranger. Celles-ci font un travail extraordinaire mais elles ont été rapiécées.
Le sénateur Smith: Lorsque je suis allé en Bosnie, à l'automne, par exemple, et que j'ai passé du temps avec les militaires, j'ai entendu des commentaires comme celui-ci: «Pourquoi y a-t-il autant de fonctionnaires en chemise blanche à Ottawa par rapport aux militaires en uniforme sur le terrain?», et il n'y a là rien de nouveau. En toute honnêteté, je n'ai pas pu répondre à cette question. J'étais sympathique à leurs observations, surtout au sujet de l'équipement de pointe. Je ne sais pas, vous pouvez peut-être m'éclairer. Ils étaient très enthousiastes, pas tellement au sujet des chars, mais au sujet des Hummer et des véhicules blindés légers plus grands et plus lourds. Lors des étapes initiales d'une guerre, les chars étaient nécessaires. À l'heure actuelle, cependant, il importe de pouvoir se rendre rapidement sur les lieux des incidents. C'est ce que me disaient les militaires.
Je ne veux pas vous placer dans une position inconfortable, mais un bon nombre d'entre eux ont soulevé le fait que des sommes considérables étaient consacrées aux sous-marins et ils se sont interrogés sur le motif de cette décision.
M. MacKenzie: Il aurait été possible de faire parvenir des chars en Bosnie dans un délai de six heures, car la force initiale provenait d'Allemagne. Nos Forces ont quitté l'Allemagne à la fin de l'année 1993 seulement. Vous vous souvenez sans doute du mandat paradoxal que nous a imposé l'ONU, ce merveilleux Conseil de sécurité. Alors que la guerre faisait rage et alors que nous devions faire face à l'une des forces militaires les plus imposantes du monde, c'est- à-dire l'Armée yougoslave nationale, dotée d'artillerie lourde, d'aéronefs et de chars, notamment, nous constituions une force d'intervention et de maintien de la paix très légèrement armée.
La brave vieille OTAN n'est arrivée en Bosnie qu'après le cessez-le-feu. C'est alors que les troupes ont fait leur entrée avec des chars, de l'artillerie et des aéronefs. Ils avaient tout compris de travers. Le secrétaire général des Nations Unies, M. Boutros-Gali, a dit à l'époque qu'ils avaient procédé à l'envers; ils auraient dû commencer de cette façon. En fait, cela s'est produit juste après la fin de la guerre froide; nous n'étions donc pas habitués à gérer ce genre de situation. Il n'était ni nécessaire, ni possible d'accepter d'inclure des chars dans le déploiement initial de la FORPRONU en Yougoslavie.
En ce qui concerne les sous-marins, je vous demanderais de comprendre que notre marine est la première responsable de la guerre anti-sous-marine, responsabilité dont elle s'acquitte très bien. Néanmoins, cela pourrait changer. La marine met à profit cette compétence précisément lorsqu'elle se joint à une force opérationnelle qui est souvent américaine. Afin de rehausser cette capacité, il faut disposer de l'équipement nécessaire pour donner la chasse et pour découvrir. En d'autres termes, les sous-marins sont importants pour la formation de nos forces navales. Il y a aussi beaucoup de gens qui rôdent dans les régions les plus boréales de notre territoire, et cela pose des questions de souveraineté. Il y en aura davantage à mesure que la calotte glaciaire fondera. Les sous-marins ont un rôle à jouer à cet égard.
Nous avons fait une bonne affaire, pour une fois. J'ai toujours dit que lorsque nous traitions avec les Forces britanniques, nous ne devions pas faire de concessions. Nous avons reçu une bonne compensation en contrepartie de notre entraînement à Suffield avec les sous-marins. De façon générale, je souscris à l'opinion de mes collègues des forces navales selon laquelle, lorsqu'on acquiert du matériel neuf, les problèmes liés à ces nouvelles acquisitions suscitent très souvent beaucoup d'attention. C'est encore plus vrai lorsqu'on achète du matériel légèrement usagé. Nous verrons avec le temps. Il a été jugé que nous devions maintenir cette capacité, dans les limites des directives très larges du livre blanc de 1994.
Le sénateur Smith: Oui, c'était en 1994. Peut-être qu'aujourd'hui, des arguments plus convaincants militeraient en faveur de matériel de transport, plutôt qu'en faveur de sous-marins bâtis à l'époque de la guerre froide qu'on a jugé bon de mettre en gardiennage.
M. MacKenzie: Il ne s'agit pas d'un jeu à somme nulle. Les deux ne sont pas mutuellement exclusifs.
Le sénateur Smith: Un élément m'a intriqué. Lorsque je me suis rendu là-bas, il y a environ cinq mois, il semblait y avoir une diminution des activités. J'ai eu l'impression, et il s'agit d'une impression personnelle, et non de celle de quelqu'un qui se trouvait là-bas, que lors des étapes initiales, les Serbes avaient leurs propres objectifs. Les Croates et les Bosniaques semblaient réagir aux initiatives des Serbes. Dans une certaine mesure, ces gouvernements perdaient leur temps et ne faisaient rien de bon; maintenant, cela n'est plus le cas. Ce changement d'attitude ne peut s'expliquer par la présence de notre équipement lourd. Ce changement résulte du fait que ces gouvernements souhaitent par-dessus tout adhérer à la CEE. La CEE a indiqué de façon très claire à ces gouvernements que s'ils ne cessaient pas de perdre leur temps, ils ne pourraient pas se joindre à la Communauté économique européenne.
Il est intéressant de constater qu'en Europe, on a de plus en plus recours à l'argument économique pour imposer une conduite à des gouvernements. Au bout du compte, ce type de pression est aussi puissant que tout autre facteur, une fois que la période initiale de guerre qui est chargée d'émotions est terminée et que les parties se dotent d'objectifs à long terme. Il est très intéressant de le constater.
M. MacKenzie: Vos observations sont intéressantes, sénateur. Il y a cinq ans, j'ai dit que nous devrions nous retirer de la Bosnie. Pourquoi? Lorsqu'une mission devient ennuyeuse, routinière et sûre, il est temps de partir. Une petite force d'observation composée d'observateurs non armés aurait pu mener à bien cette mission. Il faut garder à l'esprit le fait que l'OTAN se cherchait du travail. L'intervention en Afghanistan n'avait pas encore eu lieu. L'Afghanistan figure au premier rang parmi les missions qui jouent un rôle de justification, ainsi, les troupes sont retirées de Bosnie.
Je suis tout à fait d'accord avec vous. La CEE n'est pas le seul facteur; il y a aussi l'aide extérieure qui peut être destinée à l'une ou l'autre des deux entités qui se trouvent de chaque côté de la frontière, soit la République de Serbie ou la Fédération des Croates de Bosnie. Il s'agit d'un important facteur de dissuasion.
Le sénateur Day: Général MacKenzie, pouvez-vous nous donner des détails sur le type de navire, de navire de transport des troupes dont vous parliez tout à l'heure? Il me semble que, pour beaucoup de gens, il s'agit de trois ravitailleurs qui serviront également de navires de transport des troupes, et que c'est pourquoi cela exigera autant de temps, car il faudra concevoir un navire qui pourra répondre à tous ces besoins.
M. MacKenzie: Cela doit se faire en plusieurs étapes réalisables, d'où le premier groupe d'au moins 800 soldats. Je préfère m'abstenir d'utiliser des noms précis car je ne connais pas bien tous les détails, néanmoins, la classe San Antonio, qui consiste en un ravitailleur héli-plateforme, a une toiture-terrasse, selon le vocabulaire militaire. Il est possible de stationner des hélicoptères d'attaque ainsi que des avions largueur. Ce navire est doté d'un certain nombre d'étages sous le toit permettant de stationner des véhicules de même que du soutien logistique nécessaire pour 800 militaires. Il contient des cellules pour les conteneurs de fournitures médicales de même que des salles d'opérations. Ce navire est doté des capacités permettant de mettre à l'eau des aéroglisseurs à l'arrière pour transporter des militaires. Je ne parle pas ici d'un débarquement en milieu hostile, où un ennemi très lourdement armé oppose une résistance sur la plage. Il est impossible de composer avec une telle situation par ses propres moyens uniquement, toutefois, il est possible d'amener à terre un corps expéditionnaire par aéroglisseurs ou par hélicoptères. Des quilles sont installées à l'heure actuelle pour le Marine Corps, par exemple, aux États-Unis. Il y a des navires similaires à l'étranger, au sein des Forces espagnoles et italiennes. Il ne s'agit pas d'un cas unique.
Le sénateur Day: Est-ce qu'on est en train de construire des navires aux États-Unis?
M. MacKenzie: Oui.
Le sénateur Day: C'est utile.
M. MacKenzie: C'est dommage qu'Elsie Wayne ne soit pas ici.
Le sénateur Day: Malheureusement, le chantier naval de St. John n'existe plus. Il faudra se rendre à Halifax, je crois. J'aimerais obtenir des précisions sur le corps expéditionnaire. Cela me rappelle la Première Guerre mondiale. Est-ce semblable à une force d'intervention rapide qui est autosuffisante, qui dispose de tout ce qui lui est nécessaire, comme vous venez de le décrire au sujet du transport de troupes?
M. MacKenzie: Je ne voudrais pas exagérer, mais elle est certainement en mesure de fonctionner à partir d'une base navale. En fait, de nos jours, étant donné qu'on déploie nos Forces dans des zones bâties, les soldats pourraient également vivre à bord si c'était nécessaire. Les Américains sont en train d'élaborer un concept selon lequel les soldats seraient stationnés en mer, afin d'être déployés sur terre pour accomplir des tâches déterminées, que ce soit en Afghanistan, en Irak ou ailleurs. Ils ne doivent pas loger dans des casernes et se faire bombarder la nuit.
Par le passé, on considérait qu'une brigade de 4 000 à 5 000 soldats constituait un groupe qui pouvait réaliser par lui-même toutes ces activités de logistique. Le groupement tactique correspond à la taille de formation la plus utilisée depuis la fin de la guerre froide. Il serait autosuffisant en ce qui a trait à l'alimentation de son personnel, à l'approvisionnement en combustible et en munitions et pourrait être soutenu par des installations au large. On y trouverait, j'imagine, en plus du bâtiment de transport de troupes, un ou deux navires de ravitaillement de la capacité voulue pour être autosuffisants en plus d'assurer les activités de logistique et l'approvisionnement. Oui, un tel groupe est plus autosuffisant que n'importe quelle autre formation de la taille d'un bataillon que nous avons utilisée récemment.
Le sénateur Day: Pouvez-vous établir un parallèle entre cela et le concept dont on entend parler maintenant, c'est-à- dire une armée permanente au sein de l'OTAN ou une armée permanente, déployable rapidement au sein même de la structure des Nations Unies? Cela ne serait possible, bien entendu, que si l'on pouvait éviter qu'un des pays ne se serve de son droit de veto.
M. MacKenzie: Cela ne se produirait jamais; c'est exact.
Le sénateur Day: On assiste de plus en plus à la spécialisation, en particulier chez les petits pays qui souhaitent fonctionner de cette façon. Vous semblez suggérer que le Canada devrait continuer à pouvoir tout faire.
M. MacKenzie: Le Canada devrait disposer de forces autosuffisantes. Je n'arrive pas à m'imaginer un scénario où nos Forces ne seraient pas intégrées aux forces d'autres nations. Néanmoins, nous ne ferions pas qu'intégrer ici et là des éléments de nos Forces et perdre ainsi notre identité canadienne. Quant aux forces de l'OTAN, non. C'est un dossier très politique. Le débat se poursuit toujours pour déterminer si elles seront déployées à l'extérieur de la zone de l'OTAN ou si elles ne demeureront que dans les régions d'intérêt de l'Europe.
Les Nations Unies ne disposeront jamais d'une force d'intervention rapide pour plusieurs raisons. Le Conseil de sécurité ne permettrait jamais au secrétaire général de disposer de sa propre armée. Ce ne serait pas véritablement une force d'intervention rapide parce qu'elle ne pourrait se déplacer rapidement qu'une seule fois puisqu'elle ne serait pas remplacée et devrait demeurer longtemps au même endroit; elle ne serait donc plus rapide. On ne pourrait avoir une force de mercenaires. Donc, ce que l'on a réalisé jusqu'à maintenant est de loin le meilleur compromis. L'ONU dispose d'un inventaire. On dit au Canada ou à n'importe quelle autre nation: «Si nous étions confrontés à un problème et qu'il est dans l'intérêt de votre pays d'y participer, seriez-vous prêt à contribuer?» On dispose d'une liste à New York. On peut envoyer une force sur le terrain en environ six à huit semaines, et non pas six à huit mois, comme cela se faisait à la fin de la guerre froide. C'est le meilleur compromis.
Ce qui plus est, on a choisi un certain nombre de quartiers généraux. Par le passé, il fallait un an pour constituer les quartiers généraux et pour que tout le monde travaille de concert parce que les gens ne parlaient pas la même langue et que le personnel provenait d'un peu partout. Maintenant, on peut dire aux Norvégiens, aux Canadiens ou aux Néerlandais: «Allez là-bas établir les quartiers généraux et les faire fonctionner.» On peut le faire presque immédiatement, comme cela s'est produit en Érythrée et en Éthiopie. On a réalisé beaucoup de progrès, mais une force d'intervention rapide? Non, c'est le plus bel oxymoron. Cela ne se produira pas.
Le sénateur Day: Le comité a eu l'occasion de se rendre à Kingston, en Ontario, et de visiter les quartiers généraux déployables que l'on y retrouve. Nous l'avons beaucoup apprécié.
J'aimerais aborder en dernier lieu un autre domaine, celui de l'élaboration de politiques. Comme vous le savez, notre comité étudie la politique sur la sécurité nationale, la politique étrangère ainsi que la politique de défense et comment tout cela s'agence. Nous partageons tous l'avis que vous avez exprimé un peu plus tôt. Le livre blanc de 1994 et l'énoncé de politiques sur la défense présenté à l'époque semblent n'avoir jamais reçu l'appui nécessaire du gouvernement. Au cours des quelques dernières années, chacun des éléments des forces armées a présenté ce qui semblait être un énoncé de politiques, en fonction des ressources dont il disposait et non pas en fonction de nos attentes, du rôle que nous aimerions jouer dans le monde et de nos besoins.
Pourriez-vous nous suggérer une façon de présenter un énoncé de politiques en matière de défense qui porterait fruit? Comment le gouvernement pourrait-il se convaincre du bien-fondé d'un tel énoncé, si ce n'est pas lui qui affirme: «Voici notre énoncé»? Lorsque l'armée décide de se procurer un véhicule Striker, cela ne correspond-il pas à un énoncé de politique, c'est-à-dire d'abandonner les armements plus lourds qu'un char d'assaut, énoncé fondé sur des raisons pratiques, plutôt que de s'en remettre à ce que les gens en général peuvent penser sur le sujet?
M. MacKenzie:Oui.
«Ils sont en pleine production. Les Américains sont en train d'en acheter beaucoup. Nous pouvons obtenir une bonne aubaine, il faut donc passer à l'action maintenant, et soit dit en passant, ils pourraient peut-être s'intégrer éventuellement au plan de transformation». C'est faire preuve d'un manque atroce de gentillesse, parce qu'on réfléchit longuement à ces questions. Mais j'aimerais insister sur ce que vous avez dit à l'effet que les politiques sont élaborées à l'intérieur de l'armée et non pas de concert avec les responsables de la politique étrangère, qui vraisemblablement élaboreront les politiques qui entraîneront le déploiement des Forces. Que voulez-vous que l'armée soit en mesure de faire? On devrait clairement le définir puisque le choix de l'équipement en découle. Ça prend 10 ans, 12 ans pour obtenir les navires de ravitaillement dont vous parlez. Les rapports entre les deux ne sont pas simples, mais la responsabilité première de déterminer ce que le Canada veut faire à l'étranger revient aux Affaires étrangères.
Le sénateur Day: Lorsqu'un représentant du Quartier général de la Défense nationale affirme que la politique en matière de défense nationale est déjà rédigée, que peut-on dire du processus dans son ensemble?
M. MacKenzie: Cela me déçoit énormément. Je fais des affirmations que je n'aurais dû dévoiler, mais ce n'est pas la première fois. Avant de comparaître devant l'un de vos comités, lorsque j'étais toujours en fonction, on m'a remis une liste de déclarations préparées. J'ai alors dit: «Envoyez un pantin. Vous n'avez pas besoin que ce soit moi qui y aille. Si c'est là ce que je suis censée lire, je ne le ferai pas. J'exprimerai mon opinion personnelle.» Cette fois-là, je n'y suis pas allé. J'ai comparu une autre fois. Pourtant, lorsque j'ai comparu devant le Congrès des États-Unis, la Chambre des représentants des États-Unis, le Sénat et une séance conjointe du Congrès et du Sénat, on m'a dit d'exprimer mon opinion personnelle. Ce fut très bien. J'ai répondu à chacune des questions qu'on m'a posées. Toutefois, devant notre propre comité ici au Canada, j'ai dû m'en tenir à la ligne de parti. Je ne croyais franchement pas que vous obteniez ainsi des conseils de nature militaire exprimés librement. Si vous n'aimez pas notre position et que vous nous dites de passer à autre chose, nous le ferons, mais vous devriez au moins pouvoir bénéficier de conseils exprimés sans ambages.
Le vice-président: Hier, j'ai assisté à l'un des plus éloquents hommages que les forces armées ont rendus à l'un de leurs membres. La cérémonie a eu lieu à la place de rassemblement dimanche, en face de l'hôtel de ville de Halifax — la Bataille de l'Atlantique — lorsque le contre-amiral a pris la parole.
M. MacKenzie: Est-ce que c'était improvisé ou est-ce qu'on peut obtenir copie du script?
Le vice-président: Il n'y avait pas de script.
M. MacKenzie: C'est mieux comme ça.
Le vice-président: Il fallait être là pour en profiter. C'était extraordinaire.
Le sénateur Atkins: Vous avez parlé de la règle des 20-40. Nous avons remarqué, lorsque nous voyageons pour rencontrer des officiers de niveau intermédiaire et des colonels, que ce qu'ils ont à dire est bien différent de ce qu'on entend au quartier général. Les gens du quartier général ne prennent-ils pas de gros risques en donnant leur opinion personnelle?
M. MacKenzie: Paul Hellyer m'a appelé il y a environ six ans et m'a dit: «Voulez-vous cesser de m'accabler de reproches pour avoir réalisé l'intégration du quartier général du ministère de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes?» Après une pause impressionnante, il a dit: «Est-ce que je peux passer vous voir?» Il est arrivé et il a dit: «J'ai organisé l'unification de l'armée et je reste convaincu que c'était ce qu'il fallait faire, mais je serais tombé en bas de ma chaise si le premier ministre m'avait demandé d'effectuer l'intégration du quartier général. Mon successeur au poste de ministre de la Défense était Macdonald.» J'ai vérifié, et il avait raison.
Le ministre Young avait demandé à tous les Granatstein, Bercuson et Morton de rédiger des études et des recommandations sur la façon d'améliorer les Forces canadiennes, et leur première recommandation a été de séparer les éléments civils et militaires du ministère de la Défense nationale, car le quartier général des Forces canadiennes n'existe plus. Curieusement, c'est la seule recommandation qui n'ait pas été mise en oeuvre.
Je vous donne le point de vue d'un militaire qui a failli figurer dans le Livre Guinness des records car je n'ai passé qu'un an au quartier général de la Défense nationale en 33 ans de carrière, et je peux donc le considérer de l'extérieur. Dès qu'on a placé les uns et les autres côte à côte, les civils ont commencé à dire des choses terribles, comme «l'équivalent de deux étoiles» ou «l'équivalent de trois étoiles». Ils travaillaient côte à côte et les civils gagnaient plus que les militaires occupant des postes identiques. On a bâtardiser la hiérarchie en multipliant le nombre des généraux, parce qu'à ce niveau-là, la rémunération est identique, est c'est sans doute la seule raison pour laquelle je suis devenu général. Par contre, les généraux disparaissent après quelques années, comme les amiraux, alors que les fonctionnaires, qui sont de braves gens, restent en poste pour huit ou neuf ans. La tendance s'est donc infléchie dans cette direction.
Les généraux qui s'acquittaient bien de leurs fonctions à Ottawa, qui comprenaient bien la façon dont les choses se passent ici, avec la petite politique et tout le reste, ont été récompensés. Savez-vous comment? On les a gardés ici. C'était leur récompense. Le général Boyle, qui est arrivé ici avec le rang de général à une étoile, et qui est devenu chef d'état-major de la Défense à quatre étoiles, n'est jamais retourné sur le terrain. C'était quelqu'un de très bien avant qu'il arrive ici, et il est passé de brigadier à général quatre étoiles. Il aurait pu marcher sur l'eau sans pour autant acquérir de crédibilité auprès des simples soldats, parce qu'ils disaient: «De brigadier à quatre étoiles, il n'a jamais quitté Ottawa.»
Nous avons créé ce système qui nous a été imposé. Depuis la fin de la guerre froide, on a au moins essayé de créer un quartier général mixte, et ceux qui l'occupent font du bon travail malgré les contraintes.
J'ai dû supprimer un quartier général dans ma propre unité et j'ai toujours dit qu'on ne pouvait pas aller au quartier général de la Défense nationale à Ottawa en disant: «Il faut ici une réduction de 20 p. 100», parce qu'on a toujours trouvé des raisons de ne pas le faire. On va envoyer la formation et le recrutement à l'extérieur d'Ottawa, par exemple à Borden, et on donne l'impression d'avoir effectué une réduction, alors qu'on a tout simplement envoyé les services ailleurs.
Il faut leur dire: «Vous avez droit à 2 000 personnes. Organisez votre quartier général.» Il ne faut pas essayer de comprimer l'effectif actuel, qui doit être de 5 000 ou 6 000 personnes. Il faut dire: «Vous êtes plafonnés à 2 000. À vous de concevoir le quartier général.» Je recommande donc que l'on sépare les deux fonctions.
Le sénateur Atkins: J'aimerais que vous répondiez à la question suivante: si un officier du quartier général de la Défense nationale donne son avis personnel au lieu de s'en tenir à la thèse officielle, ne risque-t-il pas d'être renvoyé, ou du moins de ne jamais être promu?
M. MacKenzie: Si, et son attitude serait très mal accueillie. Vous vous souvenez de cette fameuse déclaration, il y a quelques années, selon laquelle les Forces canadiennes auraient davantage de capacité opérationnelle aujourd'hui qu'il y a dix ans. À l'Association canadienne de la défense, où je faisais un exposé, j'ai demandé aux personnes présentes de lever la main si elles reconnaissaient le bien-fondé de cette déclaration, et personne n'a levé la main. On peut jouer sur le sens des mots et dire que c'est vrai dans un secteur particulier, grâce à l'équipement qu'on a acheté, à la formation qu'on a donnée, et cetera. Cependant, il s'agit de savoir si notre ennemi a plus peur de nous aujourd'hui qu'il y a 15 ans; certains font un excellent travail. J'ai évité le quartier général comme la peste, et c'est sans doute une faiblesse de ma part. Mais la structure systémique de l'institution est défectueuse, et des esprits plus brillants que le mien ont considéré le problème et ont déclaré qu'il fallait en séparer les deux éléments.
Le sénateur Atkins: Si on vous avait proposé une promotion au rang de lieutenant-général, est-ce que vous seriez resté dans l'armée?
M. MacKenzie: Je n'étais pas parfaitement bilingue.
Mais je peux vous dire que j'aurais sans doute refusé, car 99 p. 100 des Canadiens considèrent que le major-général est au-dessus du lieutenant-général.
Le sénateur Day: D'après votre expérience dans l'armée ou, par la suite, à l'occasion de votre participation à des activités quasi militaires, pouvez-vous nous dire pourquoi la procédure d'approvisionnement en équipements militaires est aussi longue au Canada?
M. MacKenzie: Le ministère des Approvisionnements et Services est une grosse équipe qu'on a constituée pour faire les choses dans les règles de l'art. Je ne m'occupe pas des armements, mais je siège au conseil d'administration de Medemerg, qui offre des services médicaux d'urgence dans différentes salles d'opération au Canada pour Service correctionnel Canada, pour les Autochtones et pour le MDN. Savez-vous qui nous fait attendre le plus longtemps avant de nous envoyer les contrats, les factures et tout le reste? On pointe souvent la Défense nationale du doigt, mais en réalité, ce sont les Approvisionnements et Services qui posent problème. C'est un organisme très bureaucratique, de contact rébarbatif.
Le sénateur Day: Que nous recommandez-vous? Nous trouvons tous que ce sont des procédures interminables.
M. MacKenzie: On ne pourra pas étouffer le problème avec de l'argent, parce que personne ne sait ce que l'armée doit faire. Il faut d'abord déterminer ce qu'elle est censée faire en matière de sécurité nationale, de sécurité de l'Amérique du Nord et de politique étrangère. Une fois qu'on en aura décidé, on pourra reconfigurer l'armée. Après cela, on saura ce dont elle a besoin et ensuite, il y a toujours moyen d'accélérer la procédure, même si c'est très contesté au plan politique. Cela signifie qu'il y a exactement ce que nous voulons à un bon prix dans un entrepôt en Allemagne, en Italie ou aux États-Unis. «Vous voulez dire que nous n'allons pas le fabriquer nous-mêmes ici au Canada?» «Non, nous allons l'acheter là-bas et le mettre en service d'ici deux ans.» C'est très mal vu d'agir ainsi, mais vous savez mieux que moi comment contourner le problème.
Le sénateur Munson: Est-ce que le commandement militaire actuel accepte votre principe d'une force à déploiement rapide? Est-ce que vous lui avez fait part de vos idées?
M. MacKenzie: Je ne peux pas répondre pour lui. J'ai parlé hier à un général qui m'a dit de ne pas m'en faire. Je prêchais à un converti. Il venait de rencontrer des Américains à Norfolk, en Virginie. Il est tout à fait d'accord avec moi, mais je ne peux pas me prononcer pour les autres.
J'ai l'impression que la marine y est assez favorable. Mais curieusement, je ne sais pas à quoi m'en tenir pour ce qui est du corps auquel j'appartenais. Le commandant de l'armée est en train de prendre actuellement du bon temps en Afghanistan, et ce n'est pas le genre de chose auquel il pense.
Le sénateur Munson: Vous êtes tout à fait convaincant.
M. MacKenzie: Je ne m'adresse pas en priorité à ces gens-là. J'essaie d'abord de convaincre les Canadiens et ensuite, le gouvernement et le Parlement. Les militaires finiront par se ranger à l'avis des décisionnaires politiques. C'est du moins ainsi que les choses sont censées se passer.
Le sénateur Munson: Ça ne va pas fort en Irak ces jours-ci. Pensez-vous que l'armée canadienne puisse y jouer un rôle ou est-ce que nous perdons notre temps?
M. MacKenzie: Il fut un temps où j'envisageais un rôle pour l'armée canadienne en Irak. Pour différentes raisons avec lesquelles je ne vais pas vous ennuyer, il m'est difficile de nous voir jouer un rôle en Irak aujourd'hui. Cependant, nous pourrions en jouer un après la passation symbolique des pouvoirs prévue pour le 30 juin, si jamais elle se réalise. Il y a certainement des domaines dans lesquels nous pourrions être utiles.
Je trouve très irritant d'entendre certains éléments de la société canadienne qui se réjouissent en disant: «N'êtes-vous pas contents que nous n'y soyons pas allés? Vous voyez comme cette opération est difficile.» Est-ce cela le critère applicable? Ce n'est pas sur ces considérations qu'il faut fonder les décisions de politique étrangère.
Nous avons certainement des rôles à jouer. Nous avons un commandant adjoint sur place. Il y a des activités de police, des patrouilles, le fameux Coyote et des activités de reconnaissance. Si le gouvernement décide que le Canada apportera sa contribution à l'opération, nous pouvons intervenir dans plusieurs domaines.
Le sénateur Munson: Pour les activités de police, est-ce que vous dites la même chose que Richard Clarke, l'ancien conseiller antiterrorisme des présidents Clinton et Bush?
M. MacKenzie: Je ne suis pas du tout d'accord avec lui. Il envisageait des rôles-créneaux. Comme je l'ai indiqué, si l'un de ces rôles-créneaux concerne une force équilibrée en mer, prête à intervenir lorsque le gouvernement du Canada estime que son heure est venue, j'accepte ce principe.
On ne peut pas dire: «Nous sommes de bons gendarmes», ou «Nous allons garder les prisons pour vous» ou «Nous allons assurer les communications.» Il faut que le drapeau canadien soit visible. Il ne l'est pas dans des rôles-créneaux. Je ne suis pas d'accord avec M. Clarke sur ce point. Je crois qu'il a voulu nous forcer la main.
Le sénateur Munson: Je crois qu'il a dit que le Canada voulait voyager gratis.
Le vice-président: Sur la question du rôle-créneau, le rôle de la marine dans la zone de défense côtière en 2004 est très différent de celui qu'elle jouait du temps où les Américains ne voulaient pas qu'on s'approche à moins de 20 milles de leurs flottes.
Comment pourrait-il s'agir d'un rôle-créneau? Peut-on utiliser cette expression quand ont doit encore se préoccuper de la surface, de l'espace aérien et des eaux sous-marines? Nous faisons un travail quasi policier. Jusqu'à maintenant, nous n'avons pas transformé nos marins en chérifs. Ce n'est pas un rôle-créneau. C'est un rôle encore très compact, mais cependant beaucoup plus vaste qu'il y a 20 ans, quand les Américains cherchaient des sous-marins et disaient aux autres ce qu'il fallait en faire.
M. MacKenzie: Quand je parle d'un rôle-créneau, monsieur le président, ce n'est pas tout; ce n'est pas cela. Si l'on veut qualifier une force de réaction rapide de rôle-créneau, je m'en accommoderais, mais le reste de l'armée est encore en train de s'entraîner pour faire ce dont vous parlez. La force de défense côtière doit relever un plus gros défi, compte tenu de notre responsabilité envers notre propre sécurité, la sécurité de l'Amérique du Nord et la sécurité nationale.
Quant à M. Clarke, il disait: «Voici certains rôles-créneaux qui sont pour vous, et c'est tout ce que vous allez faire.»
Le vice-président: Je n'ai pas apprécié de l'entendre dire qu'il savait ce que nous devions faire d'une flotte de surface.
M. MacKenzie: Il a renoncé à compter sur nous. Il a dit que nous n'avons plus d'armée digne de ce nom.
Le sénateur Munson: Les Forces armées canadiennes semblent avoir du mal à attirer des membres des minorités visibles. Nous sommes un pays multiculturel. Où est le problème et comment pourrions-nous faire mieux?
M. MacKenzie: J'avais la même préoccupation en 1993, lorsque je commandais l'armée en Ontario, et j'ai rencontré un certain nombre de groupes ethniques à Toronto, qui est la ville la plus multiethnique au monde. Leur réponse m'a paru intéressante. Les Sikh ont dit: «Si vous voulez un bataillon, nous vous en fournirons un.» J'ai servi avec des Sikh à Gaza en 1962, et je connais leur valeur.
D'autres groupes ont dit: «Il va falloir au moins une génération avant qu'on puisse considérer les militaires comme des amis et des modèles. Dans les pays d'où nous venons, ce n'est pas ainsi qu'on les considère.» C'est en particulier ce que m'ont dit les Pakistanais. Ils ont dit: «Laissez-nous le temps, et nous y viendrons.»
J'ignore comment le pourcentage a évolué. Je crois qu'il augmente, mais il n'est pas représentatif de la population canadienne, loin de là. N'oubliez pas non plus que la majorité des militaires viennent du Canada atlantique et de Terre- Neuve, où la population n'est pas aussi multiethnique qu'ailleurs.
Le premier ministre Wells m'a appelé à mon retour de Sarajevo et m'a demandé pourquoi toutes les victimes étaient des gens de Terre-Neuve. Je lui ai expliqué que partout ailleurs au Canada, lorsque le bureau de recrutement a atteint son quota pour le mois, les candidats reviennent le mois suivant. À Terre-Neuve, lorsque le quota est atteint, les candidats s'en vont ailleurs. S'ils en ont l'occasion, ils iront s'engager à Winnipeg. Leur pourcentage est très élevé. La compagnie du RCR qui accompagnait le bataillon du 22e avait une très forte proportion de Terre-neuviens. J'ajouterais que ce sont des soldats exceptionnels.
Le sénateur Banks: Moi non plus, je n'ai pas aimé les propos de notre ami américain et je n'ai pas apprécié le créneau qu'il nous proposait. Mais comme on dit, «Nous savons déjà qui vous êtes; maintenant, parlons du prix». Nous avons une armée de créneau. Notre marine est une marine de créneau; nous n'avons pas de croiseurs; nous n'avons pas de porte-avions. Notre armée de l'air est une armée de l'air de créneau. Nous n'avons pas de bombardiers lourds; nous n'avons pas de moyens de transport de charges lourdes.
Nous assumons déjà des rôles-créneaux. Peut-être nous ont-ils été imposés pour des raisons qui ne nous plaisent pas, comme les insuffisances budgétaires, mais dans le contexte actuel, il nous faut accepter de jouer des rôles-créneaux.
À ce propos, notre comité a fait la semaine dernière une proposition très semblable à la vôtre, mais nous avons parlé de 2 000 plutôt que de 1 000.
M. MacKenzie: Mon 1 000 n'était que le premier de quatre.
Le sénateur Banks: Nous parlions de la possibilité d'assurer un service hautement spécialisé de classe mondiale. Nous avons parlé d'un JTF2 multiplié par 10.
Je ne pense pas que le mot «créneau» soit nécessairement un mot à proscrire car personne ne prétend qu'à moins d'une attaque contre le Canada, au quel cas nous ferons le même miracle qu'en 1939, nous puissions doubler ou tripler notre capacité de défense.
Un rôle-créneau n'est pas nécessairement une mauvaise idée, mais il faut le définir très soigneusement.
M. MacKenzie: Je suis tout à fait d'accord avec vous, et j'accepte votre formule de créneau. Le problème, c'est que récemment, certains ont prétendu que ce rôle-créneau ne pouvait être qu'un rôle de police militaire ou de reconnaissance. On a ramené le créneau à une activité de type constabulaire. Si les créneaux correspondent à ce que notre armée, notre marine et notre armée de l'air peuvent faire, j'en accepte parfaitement le principe.
Le sénateur Banks: Nous ne prétendons pas non plus qu'un comité du Sénat puisse reconfigurer l'armée canadienne. Tôt ou tard, on se heurte toujours à un problème d'argent.
Dans une certaine mesure, nous n'avons pas tenu compte des réponses que nous ont fournies certains officiers canadiens de haut rang, car ils ont été assimilés par le gouvernement ou la fonction publique. Vos propos d'aujourd'hui le confirment. J'espère que nous allons envisager sérieusement de recommander la séparation dont vous parlez au niveau du quartier général, car c'est ce vers quoi nous nous dirigeons.
Cela revient à une question d'argent. J'ai cru vous entendre dire qu'il n'y avait pas de mal à mener en parallèle, en simultané, les deux études, sur les affaires étrangères et la défense. Je ne comprends pas. J'ai toujours cru qu'il serait beaucoup plus logique de commencer par boucler une étude sur la politique relative aux affaires étrangères, ce qui répondrait à la question de savoir de quel genre de forces armées nous avons besoin. Ces deux études peuvent-elles se dérouler en même temps tout en arrivant à la bonne conclusion?
M. MacKenzie: Je ne voudrais pas exagérer ce que je comprends du processus, mais je sais qu'il y a des consultations régulières. J'espère qu'ils n'ont pas encore décidé de ce qu'il adviendra en définitive, mais je sais que les Affaires étrangères et la Défense se consultent régulièrement.
Je ne pourrais affirmer que cela devrait apaiser vos inquiétudes parce que j'ignore à quel point ces consultations sont intensives et à quelle étape les deux parties en sont rendues, mais je sais que certains d'entre nous ici, dans cette salle, ont déjà individuellement participé au processus, auprès de ceux qui nous assurent qu'ils consultent les deux ministères.
L'Australie, l'Espagne, l'Italie et le Royaume-Uni élaborent leurs politiques respectives en matière de relations étrangères et de défense dans une véritable tour d'ivoire en la seule compagnie des gens du ministère des Finances. Pourquoi tracer des plans grandioses s'ils n'ont aucune chance de recevoir le financement nécessaire?
Le sénateur Banks: Nous sommes en train de déclasser nos chars de combat pour les remplacer par des plates-formes Striker. Je ne pense pas toutefois que nous voudrions envoyer un peloton d'infanterie en terrain découvert derrière un affût Striker.
M. MacKenzie: Les Striker pourraient être installés à bord des navires dont nous parlions.
Le sénateur Banks: Mais moi je parle des forces terrestres. Les chars de combat sont toujours utilisés comme fer de lance lors des attaques d'infanterie, n'est-ce pas?
M. MacKenzie: Cela dépend de l'ennemi. Avec le genre d'ennemis auxquels nous sommes actuellement confrontés, surtout en Irak, qui ont pour principal armement des lance-grenades, des armes automatiques légères et quelques missiles sol-sol, c'est possible. Cette plate-forme est de loin préférable au Hummer. Elle n'est peut-être pas nettement meilleure, mais au moins est-elle armée d'un canon plutôt que d'une mitrailleuse de 50 millimètres avec un servant dans la tourelle.
Tout dépend donc de l'adversaire. J'imagine que, pour des raisons qui m'échappent, on a décidé d'accepter l'offre intéressante et d'acheter le Striker.
Le vice-président: Je voudrais appeler l'attention de mes collègues sur le sens du terme anglais «niche». D'après le Concise Oxford Dictionary, dixième édition, complètement révisée, c'est un substantif qui signifie un étroit enfoncement, le plus souvent dans un mur, destiné à recevoir un ornement. Il signifie également une place confortable ou convenable pour vivre ou travailler. C'est également un segment spécialisé mais rentable du marché.
Nous ne travaillons pas dans un créneau. Nous faisons notre travail. Nous vous demandons de faire le vôtre et nous avons le devoir de faire le nôtre.
Merci beaucoup d'être venu, général MacKenzie. Vous demeurez autant, sinon plus que tout autre Canadien, la voix de la compréhension et de la raison. Cela fait 15 ou 20 ans déjà que nous avons des compatriotes à l'étranger, et c'est toute la nation qui s'en est trouvée enrichie. Dieu sait que nous comprenons mal ce qui s'est produit, mais nous apprenons. Vous avez été un excellent pédagogue et cela a été pour nous un plaisir de vous recevoir.
J'espère que vous reviendrez nous voir.
Je voudrais maintenant accueillir très chaleureusement au nom du comité le brigadier-général Don Macnamara. Le général Macnamara est depuis 37 ans dans les Forces armées canadiennes où il a notamment occupé, pendant ses 15 dernières années de service actif, des postes d'état-major et d'enseignement dans les domaines de la sécurité, aussi bien nationale qu'internationale, et de l'analyse stratégique. Il est colonel honoraire du Collège des Forces canadiennes. Il siège également au conseil consultatif du ministre en matière d'éducation, au conseil consultatif du ministère de la Défense nationale en matière de ressources humaines, et il a été fait officier de l'Ordre du mérite militaire en 1978.
Le brigadier-général (à la retraite) W. Don Macnamara, président, Institut de la Conférence des associations de la Défense: Monsieur le président, cela fait deux fois maintenant que je suis Lewis MacKenzie devant un comité parlementaire. Une autre fois, je l'ai suivi lui et Jack Granatstein, ce qui est vraiment un double péril.
Le vice-président: Il faut que je dise au comité que vous êtes précédé ici par une excellente réputation de brillant stratège.
M. Macnamara: Je ne sais trop comment être à la hauteur de cette réputation. Si j'avais vraiment pratiqué mon art, je serais passé avant Lewis MacKenzie. Par contre, il est toujours facile de dire que je suis d'accord avec tout ce qu'il a dit.
Je vous remercie donc de me donner l'occasion de comparaître devant votre prestigieux comité. Au risque de vous donner l'impression d'une collusion entre M. MacKenzie et moi, je dois vous dire que je suis d'accord avec son introduction. J'ai suivi vos travaux au fil des ans et je les ai trouvés non seulement intéressants, mais également tout à fait pertinents et fort bien faits. Vos recommandations ont été tout à fait excellentes. Je puis vous dire en toute franchise que nous pouvons voir les résultats de vos efforts dans la politique sur la sécurité nationale annoncée la semaine dernière, en partie du moins, et à cette étape-ci de son élaboration parce qu'à mon sens, elle en est encore à ses premières étapes.
Même si je ne tiens pas à jouer aux définitions, je crois toutefois important de comprendre très clairement ce que la sécurité nationale signifie. C'est en effet un terme qui a été souvent galvaudé et auquel on a donné des acceptions différentes, et en particulier des acceptions différentes au Canada et aux États-Unis.
Pour moi, la sécurité nationale consiste simplement à prémunir nos valeurs nationales et nos intérêts nationaux contre tout danger à la fois interne et externe.
On trouve une définition plus élégante de notre sécurité nationale dans le document de référence publié il y a quelques années par l'IRPP. Je ne m'étendrai pas plus longuement sur la question, mais il n'empêche que certains volets du cadre stratégique que ce texte proposait se retrouvent également dans la politique annoncée la semaine dernière.
J'estime que cette politique est un excellent fondement, mais un fondement auquel doit encore se greffer un élément de sécurité internationale.
En ce qui concerne la protection des valeurs nationales et des intérêts nationaux, je tiens également à ce qu'on comprenne bien la signification du terme «valeur». J'entends par là les valeurs fondamentales essentielles pour lesquelles les gens sont prêts à mourir: la démocratie, la liberté et la justice, mais non pas l'assurance-maladie et la gratuité des études. Ces deux derniers éléments sont des valeurs secondaires qui ne peuvent exister que si les valeurs fondamentales essentielles sont bien assises.
La protection et la promotion de ces valeurs fondamentales doivent être au coeur de notre politique relative à la sécurité. D'aucuns se demandent si les valeurs ont bien leur place dans une politique étrangère ou dans une politique de la sécurité nationale, mais elles en sont les éléments fondamentaux et aussi les plus pertinents. Ces valeurs sont le point de départ de toutes nos politiques.
Pour ce qui est des intérêts nationaux du Canada, on semble également répugner un peu à dire de façon précise de quoi il s'agit. Certes, nous pouvons dire d'emblée que la défense du Canada et de notre souveraineté, la défense contre toute attaque extérieure menée contre notre territoire, cela représente un intérêt national vital. Ce n'est pas difficile à définir. Par ailleurs, il est également utile de regarder une mappemonde pour définir quels sont nos intérêts. Il m'arrive souvent de montrer à mes étudiants une photo du monde et une photo de l'Amérique du Nord prises la nuit depuis l'espace. Lorsque nous regardons ce genre de photo, nous comprenons beaucoup mieux. J'en tire une conclusion catégorique: l'important, c'est l'endroit où on se trouve. Comme l'a dit d'ailleurs M. MacKenzie, la plupart des autres habitants du monde meurent d'envie d'habiter à côté des États-Unis. Comme il l'a dit lui-même, nous sommes les voisins du pays le plus puissant qui soit, du point de vue économique et militaire. Nos intérêts doivent obligatoirement tenir compte des leurs. Il serait stratégiquement parlant naïf de ne pas le faire. Le rapport actuel avec les Américains comporte trois éléments: la sécurité, encore la sécurité et toujours la sécurité. C'est ainsi en effet que les Américains voient les choses.
Négliger cela risquerait de causer bien des préjudices au Canada, mais surtout des préjudices pour notre défense et notre économie. Nous admettons que notre dépendance commerciale à l'égard des États-Unis, qui représente 40 p. 100 de notre PNB, est une réalité omniprésente du point de vue de notre niveau de vie. Le fait que les intérêts américains en matière de sécurité sont essentiels aux nôtres est également une vérité incontournable.
Lorsque nous regardons la situation actuelle dans le monde, voici ce que nous voyons: terrorisme, conflits régionaux, États non viables, prolifération des armes de destruction massive, problèmes énergétiques et de ressources naturelles, migrations, VIH/sida et autres pandémies, dégradation de l'environnement et changement climatique, et enfin, quelque chose qui n'est pas le moindre des problèmes, crime organisé, qui comprend le trafic de stupéfiants et le blanchiment de l'argent sale. Nous ne saurions éviter de conclure que ces problèmes planétaires ont un impact direct sur notre propre sécurité physique et économique.
Tout cela veut dire que nous devons avoir les moyens de protéger nos intérêts, soit tout seul, soit de concert avec d'autres nations qui partagent les mêmes idées ou encore les Nations Unies, et dans ces moyens on doit assurément trouver les moyens militaires.
La Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des États a publié en 2001 un rapport intitulé «La responsabilité de protéger». Voilà qui fait également reposer clairement sur la communauté mondiale la responsabilité de soulager la condition des peuples opprimés par leur gouvernement. C'est un prolongement de la Charte des Nations Unies, la déclaration des droits de l'homme. Nous constatons des phénomènes comme celui des États faillis, qui est en quelque sorte un prolongement de la doctrine de la responsabilité de protéger. Nous devons reconnaître que ces États faillis peuvent être un sanctuaire pour les terroristes et le crime organisé en plus d'être à l'origine de certains mouvements de réfugiés et de toute une série d'autres bouleversements.
Haïti en est un excellent exemple. Haïti est l'un de ces endroits dont parlait M. MacKenzie au sujet des situations dans lesquelles les États-Unis ne doivent pas nécessairement intervenir.
Dans l'environnement international tout comme en Amérique du Nord, la sécurité doit être le point de départ parce que sans sécurité, rien d'autre ne compte. Sans sécurité, il ne peut y avoir de développement économique, un développement économique pourtant nécessaire pour alimenter un développement social et des services sociaux. La sécurité est fondamentale. C'est la condition sine qua non. Le développement économique tout comme le développement social contribuent à leur tour à alimenter et à renforcer la sécurité, mais il faut admettre que si, au départ, la sécurité est absente, rien d'autre ne peut survenir. Et je crois que cela vaut tout particulièrement sur l'entendement que nous avons de nos relations avec les États-Unis.
J'ai également la conviction que nos intérêts nationaux doivent être énoncés clairement afin que tous les Canadiens sachent et comprennent, parce que c'est précisément cela que l'armée est censée protéger et défendre. Il est tout aussi important que les Canadiens comprennent que le fait de défendre nos intérêts aussi loin que possible de notre sol empêchera peut-être que nous ayons à les défendre sur celui-ci. Si nous devions combattre sur notre sol, nous risquerions de mettre gravement en danger notre population et nos biens.
La population doit également comprendre que les Forces canadiennes, aussi bien régulières que de réserve, permettent au Canada d'utiliser une force mesurée jusqu'à hauteur de la violence ultime, la guerre, au nom de l'État canadien, au nom du peuple canadien et au nom des intérêts de celui-ci. En assumant cette responsabilité, la nation confie, par l'entremise de son gouvernement démocratiquement élu, à ses dirigeants militaires sa ressource la plus précieuse et la plus utile, la jeunesse, pour qu'elle subisse l'entraînement et la préparation nécessaires au service militaire dans l'intérêt du Canada. L'armée accepte le fait que ces jeunes gens doivent s'attendre à devoir le faire, et la population devrait également s'attendre à ce que ces jeunes gens le fassent sous couvert d'un contrat de responsabilité illimitée, ce qui veut dire qu'ils sont prêts à donner leur vie pour leur pays si on le leur demande.
Je vous dirais que ce genre de choses est moins bien compris ici au Canada que bien des gens ne le voudraient. Cela confère aux instances dirigeantes nationales, politiques et militaires du Canada une double responsabilité. La première consiste à faire en sorte que les forces armées aient suffisamment de ressources pour acquérir l'entraînement et l'équipement nécessaire pour les missions qu'on leur confie. Cela signifie qu'il faut que les instances dirigeantes militaires aient de l'instruction, et une formation, soient attentives aux besoins de la nation et soient également profondément acquises aux valeurs fondamentales de démocratie, de liberté et de justice qui sont celles de la nation. Les Forces canadiennes représentent le Canada et elles sont censées être efficaces et professionnelles dans leur conduite, dans leur éthique et dans leur leadership. Cela a en effet été corroboré par tous les constats de l'enquête sur la Somalie.
La seconde responsabilité, qui est fort importante, est que les instances dirigeantes canadiennes, qu'elles soient politiques ou militaires, ne permettront jamais un engagement ou un déploiement futile des forces armées, pas plus que toute autre action qui risquerait de mettre en danger la jeunesse de la nation, soit en ne protégeant pas les intérêts de la nation, soit en ne donnant pas aux forces armées l'entraînement, l'expérience et le matériel nécessaires pour les missions qui leur sont confiées. Il s'agit là d'une obligation morale de la part de l'État et du pays.
Une autre obligation ou responsabilité morale de tous les citoyens d'une démocratie est l'existence d'un électorat informé. Cela sous-tend que l'électorat doit avoir conscience des intérêts de la nation qui doivent être défendus et de la nécessité de se porter à la défense physique de notre territoire et de notre souveraineté; il faut également qu'ils puissent contribuer à la protection de nos intérêts hors frontières. Il s'agit là de la capacité de déploiement des Forces canadiennes.
Cette dernière contribue à la stabilité internationale en nous permettant de nous porter à la défense de nos intérêts politiques et économiques et partant, comme je l'ai déjà dit, nous empêche de devoir défendre directement notre sol sur celui-ci.
S'agissant maintenant de nos rapports avec les États-Unis, il importe à mon avis également de bien comprendre les besoins et les intérêts de ce pays en matière de sécurité. J'imagine que vous avez tous eu l'occasion de jeter un coup d'oeil sur le document de 2002 qui énonce la stratégie des États-Unis en matière de sécurité nationale. C'est un excellent point de départ. Ce texte est intéressant parce qu'il est vraiment l'écho de ce qui se dit au Canada. Les objectifs avoués en matière de sécurité nationale qu'on trouve dans ce document sont: en premier lieu, la liberté politique et économique; en deuxième lieu les relations pacifiques avec les autres États; et en troisième lieu, le respect de la dignité humaine.
Les têtes de chapitres sont plus intéressantes encore. Voici comment sont intitulés les chapitres: «Défendre les aspirations en matière de dignité humaine»; «Renforcer les alliances pour abattre le terrorisme planétaire et empêcher les attaques contre les États-Unis et leurs amis»; et «Travailler avec les autres pour mitiger les conflits régionaux». Cela a-t-il une consonance très canadienne? Ensuite il y a: «Empêcher les ennemis de menacer les États-Unis et leurs alliés au moyen d'armes de destruction massive; Amorcer une nouvelle ère de croissance planétaire par le libre-échange»; Ouvrir les sociétés et construire une infrastructure démocratique; Élaborer des programmes d'action en coopération»; et enfin, «Transformer les institutions de la sécurité nationale pour relever les défis du XXIe siècle».
Les buts et les objectifs énoncés par les différents chapitres ont une consonance très canadienne. Et pourtant, nombreux sont ceux qui disent; «Pourquoi se fait-il que nous soyons toujours à la remorque de la politique étrangère américaine?» L'une des raisons tient à ce que si l'on regarde ces objectifs en matière de sécurité nationale, on constate qu'ils sont très semblables à ceux du Canada, ou à ce que ceux-ci devraient être selon moi. Ils ne devraient pas s'étonner que les leurs finissent par ressembler aux nôtres. Après tout, nous nous trouvons confrontés au même monde.
De tout cela, je tire les conclusions suivantes: tout d'abord, nous devons admettre que le Canada évolue dans un monde turbulent et qu'il est vulnérable du point de vue physique, politique, économique, socioculturel et militaire; en second lieu, le Canada n'a malheureusement pas d'énoncé clair de ses intérêts nationaux — cela est aussi important pour le Canada et les Canadiens que pour nos adversaires et nos alliés; le Canada a une nouvelle politique cohérente en matière de sécurité nationale, mais celle-ci n'est pas définitive; comme je le disais, le Canada doit être attentif aux intérêts et aux politiques américaines en matière de sécurité nationale; au Canada, l'orientation, la coopération et la coordination interministérielle en matière de sécurité nationale ont toujours été très limitées, voire inexistantes, mais la situation est en train de s'améliorer; dans l'ensemble, la politique canadienne en matière de défense demeure sérieusement sous-financée et les Forces armées canadiennes trop sollicitées.
Je sais qu'il vous appartient, que vous en avez le droit ou le privilège, de poser les questions, mais j'ai jugé devoir en poser moi-même quelques-unes en guise de conclusion à tout cela, parce que ces questions sont au nombre de celles qui devront trouver une réponse dans nos futures politiques. Comment le Canada devrait-il et peut-il répondre à l'environnement complexe et interdépendant de la sécurité? Nous pouvons poser cette question en termes très simples: Quel genre de forces armées pour quel genre de Canada dans quel genre de monde? À qui devrait-il revenir de décider et de coordonner la réponse canadienne dans ce nouvel environnement? Voilà de quoi nous parlons dans cette nouvelle politique de la sécurité et de la défense. Quelles sont les véritables différences, si tant est qu'il y en ait, entre les intérêts du Canada et les intérêts des États-Unis en matière de sécurité nationale?
Les valeurs canadiennes exigent-elles que le Canada intervienne, au besoin avec des partenaires au sein d'une coalition, pour libérer les peuples opprimés et pour leur venir en aide? Dans les opérations humanitaires comme celles qu'évoque le rapport «La responsabilité de protéger», qui dirige, qui appuie et qui décide de la destination et du moment des opérations?
Quels sont les rôles et responsabilités des Forces canadiennes dans les opérations autres que de guerre, en particulier après les conflits? J'ai déjà évoqué la situation de la Bosnie. Quels sont les rôles et responsabilités des organismes non gouvernementaux dans la résolution des conflits et dans la reconstruction? Nous voyons les efforts déployés dans ce domaine en Afghanistan. Qui décide de la réaction nationale en pareil cas, et qui en assure la coordination? Combien les Canadiens devraient-ils payer pour l'armée et la sécurité publique par rapport à ce qu'ils paient pour la santé, le bien-être et l'éducation? Y a-t-il effectivement une politique de sécurité nationale dans ce contexte? J'aimerais qu'on en débatte.
Le vice-président: Peut-être serait-il intéressant de savoir à qui appartient ce choix. Je veux parler des budgets consacrés aux services sociaux, et cetera.
Le sénateur Banks: J'ai bien aimé votre argument qui fait de la défense une responsabilité sociale. Je vais m'en souvenir et je l'utiliserai souvent.
Je voudrais parler d'intervention, car c'est un point sur lequel les Canadiens sont parfois en désaccord avec nos voisins et amis. Quand il est question d'intervenir dans les affaires d'un autre pays, les critères que nous appliquons sont parfois un peu différents. J'en viens à une question précise, car j'ai besoin d'interroger le stratège que vous êtes. Pour utiliser l'exemple de l'Irak, les Britanniques avaient des tendances évangéliques et croyaient qu'il leur suffirait de montrer toute la magie de l'art de vivre à la britannique pour que tout s'arrange. C'est sans doute le point de vue qu'on a lorsqu'on est les plus forts, mais les Canadiens peuvent avoir une conception différente des choses.
Et que penser de l'information de l'électorat? Une bonne partie des électeurs — je ne connais pas les chiffres exacts; je ne pense pas qu'on puisse tenir un référendum à ce sujet, car le gouvernement doit gouverner — affirment ces jours- ci que même si, en pratique, on peut prétendre que le bouclier antimissiles se réalisera de toute façon, il vaut mieux que le Canada ne participe pas à cette initiative continentale. Que faut-il en penser, du point de vue du stratège?
M. Macnamara: M. MacKenzie a dit lui aussi que la réponse n'était pas difficile à trouver. Si les États-Unis décident d'assurer la défense de l'Amérique du Nord — et nous vivons en Amérique du Nord avec les États-Unis — ils vont réaliser ce projet, que nous y participions ou non. En revanche, ils le réaliseront en fonction de leurs seuls intérêts. Si nous ne voulons pas y participer, ils feront exactement ce qu'ils estiment nécessaire pour eux-mêmes. Si nous avons l'occasion d'y contribuer, nous aurons au moins notre mot à dire.
Il y a ici plusieurs questions à considérer. Certains évoquent des arguments pratiques, disant par exemple que le système ne fonctionnera pas, qu'il coûtera trop cher, et cetera. En revanche, il y a 100 ans, les gens étaient persuadés qu'Orville Wright était fou de croire qu'il pourrait voler plus de 300 pieds. Le système que l'on envisage de déployer a peut-être une capacité limitée. Mais en réalité, la technologie peut évoluer. Si nous contribuons à son développement, nous pourrons nous prononcer sur l'orientation qu'elle doit prendre.
Le sénateur Banks: Vraiment? C'est bien là la question. On faisait autrefois une blague sur les élections. Quelqu'un disait: «On m'a prévenu que si je votais pour Barry Goldwater, la guerre du Vietnam allait s'accélérer. J'ai voté pour Barry Goldwater et la guerre s'est accélérée.» Vous dites que les Américains vont le faire de toute façon, mais si nous y participons, nous pourrons infléchir sur l'orientation. Est-ce bien vrai?
M. Macnamara: Je pense que c'est possible. Les Américains ont toujours écouté attentivement les points de vue canadiens, en particulier dans les rapports qu'ils ont eus avec nous dans le cadre du NORAD. En utilisant judicieusement notre territoire pour y placer des radars pendant la guerre froide et en proposant aux Américains des bases avancées pour leur force de frappe et leurs installations de défense, nous avons contribué efficacement à la défense de l'Amérique du Nord, pour la sécurité du Canada aussi bien que des États-Unis. Notre géographie devrait nous inciter à contribuer à cette activité.
Si nous ne nous servons pas de notre géographie comme nous souhaiterions le faire, il se pourrait que les États-Unis se servent de la leur d'une façon qui ne coïnciderait pas avec nos intérêts, en prévoyant par exemple des interceptions au-dessus du territoire canadien.
Reste à savoir, évidemment, s'ils seraient prêts à intercepter un missile semblant se diriger vers Winnipeg ou Toronto.
Mais la véritable question, c'est peut-être celle-ci: si un missile dirigé vers New York tombe à court de carburant et atterrit à Toronto, ne serait-il pas préférable de participer à un système de défense qui puisse prévenir une telle éventualité?
Il faut considérer le problème dans le contexte des capacités et des intérêts à long terme du Canada, étant donné que nous partageons ce continent avec les États-Unis, et si nous ne sommes pas d'accord avec eux, nous savons que nous n'aurons pas notre mot à dire. Par ailleurs, nous avons beaucoup à offrir au plan technologique. La capacité technologique du Canada est supérieure à ce que bien des gens s'imaginent. Nous avons l'occasion de faire une contribution dans ce domaine.
On se demande également si ce système ne va pas entraîner la militarisation de l'espace. Si nous ne participons pas au débat, nous ne pourrons pas nous exprimer. Il est essentiel d'être présents à la table.
Le sénateur Banks: Le premier ministre a dit haut et fort que nous nous opposons à la militarisation de l'espace. Pensez-vous que ce soit un facteur à considérer? Si le Canada apporte son drapeau au bouclier antimissiles, est-ce que ce point de vue prévaudra? En définitive, s'il existe une plate-forme qui permet la militarisation de l'espace, le Canada pourra-t-il l'empêcher si les États-Unis l'estiment indispensable?
Si une telle plate-forme existe au départ dans le cadre du système de défense antimissiles et si une menace apparaît, pensez-vous que nous pourrions, pour des raisons d'ordre strictement moral, nous opposer à la militarisation de l'espace?
M. Macnamara: C'est une très bonne question. Est-ce que vous éprouvez le besoin de défendre vos actifs spatiaux? Que représentent ces biens? Actuellement, le Canada dépend considérablement de ses satellites de télécommunications. Nous devrons sans doute défendre nos biens spatiaux d'une façon ou d'une autre. Reste à savoir si l'espace offre la meilleure façon de les défendre. Si nous participons au débat, nous pourrons sans doute envisager des solutions de rechange, au lieu de tirer dans l'espace.
Deuxièmement, une bonne partie des actifs spatiaux qui peuvent contribuer à ces interceptions sont en fait des systèmes de surveillance et d'alerte rapide. Si nous ne participons pas au processus, nous n'aurons pas accès à l'information provenant de ces systèmes de surveillance et d'alerte rapide. D'où l'importance des discussions de la semaine dernière entre le premier ministre et le président des États-Unis sur la nécessité que le NORAD continue à faire partie de ce système d'alerte rapide. Si nous ne pouvons pas surveiller notre propre territoire grâce à des systèmes conjoints de télédétection, nous allons perdre une bonne partie de notre souveraineté.
Le sénateur Banks: En particulier si quelqu'un d'autre peut effectuer cette surveillance.
M. Macnamara: Les États-Unis ont cette capacité.
Le sénateur Munson: Général, j'ai remarqué le quatrième paragraphe de votre exposé:
En ce qui concerne la préservation de nos valeurs et de nos intérêts nationaux, je précise que par valeurs, j'entends les valeurs clés pour lesquelles les gens sont prêts à se battre et à mourir: la démocratie, la liberté et la justice [...]
Pourquoi ne trouve-t-on pas, dans ce pays, la volonté politique de payer le prix de la démocratie, de la liberté et de la justice? On la trouve pourtant aux États-Unis.
M. Macnamara: Je ne sais pas comment répondre à votre question. C'est sans doute notamment parce que la plupart des Canadiens ne pensent pas en ces termes, contrairement aux Américains.
J'ai enseigné à plusieurs milliers d'étudiants brillants à l'École de commerce de l'Université Queen's. Nous discutions souvent des valeurs fondamentales qui mènent notre pays. La majorité d'entre eux n'y ont même jamais réfléchi. Ces valeurs ne leur ont pas été enseignées. Ils n'en connaissent rien.
On n'insiste pas assez sur les fondements réels de notre société ni sur la façon dont ces valeurs ont une incidence sur tout ce que nous faisons. Si nous n'avons pas la liberté, la démocratie qui garantit la liberté de choix ni la primauté du droit et, par conséquent, le sens de la justice, nous ne pourrons plus avoir ces autres institutions qui nous semblent essentielles, comme l'assurance-maladie, l'éducation et les services sociaux. Ces programmes dépendent de la mise en oeuvre et du respect des valeurs fondamentales.
Notre système d'enseignement ne réussit pas à faire comprendre cela à nos citoyens.
Le sénateur Munson: Êtes-vous d'accord avec Richard Clarke, l'ancien conseiller en antiterrorisme, lorsqu'il dit que nous voulons voyager sans payer le prix du billet?
M. Macnamara: J'ai souvent entendu les Américains dire cela. Si l'on se place de leur point de vue, combien le Canada consacre-t-il à l'antiterrorisme par habitant? À peu près le tiers de ce que consacrent les États-Unis. Combien y consacrons-nous en pourcentage du PIB? À peu près le quart de ce qu'ils y consacrent. Est-ce qu'ils ont l'impression que nous voulons voyager gratis? Sans doute.
Est-ce que nous pourrions en faire plus? Est-ce que nous pourrions nous efforcer davantage afin d'apaiser leurs préoccupations et leurs soupçons? Je pense que la réponse est oui.
On peut manipuler les chiffres et les statistiques pour prouver ce que l'on veut. Si quelqu'un affirme quelque chose à partir de ces statistiques et que l'on n'a rien pour le réfuter, on est à sa merci. Les Américains ont formulé cet argument et nous avons bien du mal à le réfuter.
Le sénateur Munson: L'assurance-maladie et les programmes de santé nous coûtent très cher. Pensez-vous que les Canadiens devraient payer davantage d'impôt pour payer tout ce nouvel équipement que nous estimons nécessaire aux forces armées? Parfois, je me demande où il va falloir aller chercher cet argent.
M. Macnamara: Si vous reconnaissez que la sécurité est la principale responsabilité du gouvernement envers sa population, nous y consacrons beaucoup moins d'argent que les autres nations.
Par ailleurs, notre pays est riche. Nous faisons des choix, mais par rapport à d'autres pays beaucoup moins fortunés, nous consacrons beaucoup moins d'argent à notre sécurité. Voilà la conclusion inévitable, du point de vue des Américains et de nombreux Canadiens. Au cours de mes conférences, d'innombrables concitoyens m'ont dit: «Pourquoi faudrait-il dépenser davantage pour la sécurité, puisque les Américains vont nous défendre que nous le voulions ou non?» Et c'est vrai. Ils vont sans doute le faire, mais dans leur intérêt et non dans le nôtre. Ils ne nous défendront que parce qu'ils veulent utiliser notre espace géographique à des fins stratégiques.
Oui, vous pouvez être certains que les États-Unis vont défendre l'Amérique du Nord dans leur intérêt, mais est-ce une raison pour ne pas payer ce que nous devons? Comme l'a dit le ministre Manley, il n'est pas très élégant de se faire servir et de filer aux toilettes lorsque la facture arrive.
Si nous voulons nous considérer comme des chefs de file mondiaux en matière de promotion de la démocratie, de nos valeurs et si nous voulons contribuer à la sécurité et à la stabilité du monde, nous ne pouvons nous permettre de lésiner sur notre propre sécurité et sur celle de nos alliés.
Le sénateur Munson: À propos de nos intérêts, vous déclarez carrément que le Canada n'énonce pas ses intérêts nationaux.
Est-ce que vous pouvez expliciter cette affirmation?
M. Macnamara: Les autres pays énoncent clairement leurs intérêts nationaux. Les intérêts nationaux des États-Unis sont, tout d'abord, la défense du territoire national. La survie des États-Unis est fondée sur la défense du territoire contre toute attaque.
Le deuxième intérêt des États-Unis est la promotion de son bien-être et de sa sécurité économiques. Les Américains parlent ensuite de la promotion de leurs valeurs en tant qu'intérêt national.
Il est important pour un pays d'énoncer ses intérêts nationaux parce qu'ils forment la norme par laquelle on peut déterminer si le pays est prêt à verser son sang pour assurer sa défense.
Si les citoyens ne connaissent pas les intérêts nationaux, comment peut-on justifier de faire appel à eux pour les défendre? S'ils ne sont pas clairement énoncés à l'avance, comment savoir ce que les citoyens sont prêts à dépenser pour les défendre, ou même s'ils sont prêts à les défendre? Comment savoir même à partir de quel moment ces intérêts sont menacés?
Il est important d'énoncer clairement nos intérêts nationaux et c'est sans doute non pas la première, mais la seconde étape de la formulation de notre politique étrangère et de défense et par conséquent, de notre politique de sécurité nationale.
Le sénateur Munson: Notre intérêt national devrait-il nous amener à jouer un rôle dès maintenant en Irak?
M. Macnamara: Peut-être pas maintenant, mais plus tard. Nous avions plusieurs raisons de ne pas y aller dès le départ. En réalité, les Forces armées canadiennes avaient trop peu de capacité pour y aller.
Sur la question de l'Irak, il y avait deux choses à considérer. Tout d'abord, on craignait la présence, réelle ou non, d'armes de destruction massive. On savait qu'il n'y avait pas d'armes nucléaires, mais certains doutes subsistaient quant aux armes qui pouvaient se trouver sur place.
La deuxième question était l'oppression de la population irakienne et la façon dont Saddam Hussein s'en était pris systématiquement à certains groupes de population comme les Chiites et les Kurdes. Pour en revenir à la question de la responsabilité de protéger les opprimés, à quel point va-t-on décider d'intervenir avec une coalition internationale pour mettre un terme à ce genre d'exaction? Notre histoire n'était pas particulièrement glorieuse avant la Seconde Guerre mondiale, mais après avoir constaté ce qui se passait, nous étions prêts à nous battre pour défendre les intérêts de l'humanité dans cette guerre. Il est important de déterminer si nous sommes prêts à intervenir pour protéger les peuples opprimés.
Le sénateur Munson: Pour terminer, je vous renvoie votre propre question. Est-ce que les valeurs canadiennes exigent que le Canada intervienne avec des partenaires au sein d'une coalition pour libérer les peuples opprimés et pour leur venir en aide, et qui doit en prendre la décision? C'est un jeu dangereux dans certaines parties du monde.
M. Macnamara: Effectivement, mais prenons l'exemple d'Haïti. Lorsque les intérêts nationaux sont clairement énoncés et qu'ils nous imposent de promouvoir la démocratie, la liberté et la justice, nous devons, dans certaines circonstances, engager nos Forces pour défendre ces valeurs dans certaines régions du monde afin de favoriser la stabilité et l'enrichissement des populations en cause.
Le sénateur Atkins: Je suppose que vous avez lu notre rapport et nos recommandations concernant la Garde côtière. Est-ce que nos recommandations vous inspirent une réflexion quelconque?
M. Macnamara: Je n'entrerai pas dans le détail des recommandations, car je ne m'en souviens que dans les grandes lignes. Je suis d'accord pour dire que notre Garde côtière est actuellement dans un état lamentable.
Le sénateur Atkins: Est-ce qu'il faudra l'armer?
M. Macnamara: Oui, je crois. Dans sa forme actuelle, qui en fait essentiellement un instrument de sécurité et de navigation, comme vous le savez, la Garde côtière aurait bien du mal à participer comme elle devrait le faire à la défense du territoire. Je dirais même, en particulier, que la région des Grands Lacs aurait bien du mal à faire face aux attentes des États-Unis en matière de sécurité du territoire.
Je suis convaincu que la Garde côtière a besoin d'expansion en ce qui concerne aussi bien les effectifs que le matériel et que, tout dépendant de ses relations avec la marine, elle devrait sans doute être dotée d'une capacité d'intervention armée.
Le sénateur Atkins: Cela dépend, également du ministère dont elle relève.
M. Macnamara: Exactement.
Le sénateur Atkins: Nous avons recommandé d'en faire un organisme indépendant ne relevant ni des Transports, ni de Pêches et Océans. Nous avons envisagé de l'intégrer à la marine mais finalement, nous avons recommandé d'en faire un organisme indépendant.
M. Macnamara: Avez-vous préconisé un organisme distinct?
Le sénateur Atkins: Oui. Je suppose que comme le général MacKenzie, vous estimez que nous devrions collaborer avec les Américains à la sécurité de l'Amérique du Nord. Vous dites que ce faisant, nous aurions un siège à la table. À propos, je suis d'origine américaine. Je pense que les Américains seront absolument ravis du soutien que nous leur apporterons, quel qu'il soit. Je ne pense pas qu'ils nous demandent grand-chose en retour, car ils sont à la recherche de partenaires et d'amis. J'étais à Washington il y a un mois, et j'ai constaté la priorité en matière de sécurité de l'Amérique du Nord et du territoire américain. Ne voyez-vous pas une menace à notre souveraineté?
M. Macnamara: Au contraire, je pense que notre souveraineté est plus menacée si nous ne coopérons pas avec eux, parce que notre liberté de choix s'en trouve diminuée.
Par ailleurs, je suis tout à fait favorable à un périmètre de sécurité pour l'Amérique du Nord. En effet, j'habite à Kingston et je vois les États-Unis de la fenêtre de mon salon. Je sais qu'en un quart d'heure, n'importe qui peut débarquer en territoire américain sans que quiconque s'en rende compte aux États-Unis. Il est tout à fait illusoire de renforcer 150 postes frontaliers alors que plus de la moitié de notre frontière se présente sous la forme de plans d'eau ou d'étendues inhabitées. Pour celui qui veut se rendre aux États-Unis et causer des dommages aux États-Unis ou au Canada, il est très facile de traverser la frontière.
Si nous voulons assurer notre sécurité aux frontières, il faut se placer davantage au niveau du périmètre, assurer la sécurité de nos espaces maritimes et aériens et contrôler nos aéroports pour connaître l'identité et l'origine des arrivants.
Voilà comment j'entrevois nos relations avec les États-Unis dans le contexte d'un périmètre de sécurité.
Le sénateur Atkins: Dans des sondages, on a demandé aux répondants quelle était la question la plus importante à laquelle les Canadiens étaient confrontés aujourd'hui. La défense nationale et la sécurité se classent très bas sur l'échelle de l'opinion publique. J'aimerais savoir si ce n'est pas notamment parce qu'on ne demande pas aux Canadiens de faire de sacrifices et parce que l'opinion publique n'est pas véritablement orientée en matière de défense nationale. Est-ce que vous êtes d'accord avec moi?
M. Macnamara: De façon générale, je suis d'accord et j'ajoute un autre facteur: Le Canadien moyen ne se sent pas menacé. Immédiatement après le 11 septembre 2001, des sondages ont montré, je crois, que 80 p. 100 des Canadiens se sentaient menacés un mois après les événements et qu'ils estimaient que la sécurité était l'élément le plus important. Au cours des six à huit mois suivants, leur pourcentage est tombé à 15 p. 100, mais entre septembre et novembre, la Loi contre le terrorisme a été rapidement adoptée aux États-Unis; ensuite, la Loi sur la sûreté et la sécurité publiques a été quelque peu retardée à mesure que diminuaient l'intérêt et le sentiment de menace dans la population canadienne.
Il y a deux points à considérer ici. Tout d'abord, les Canadiens ne sont pas sensibilisés aux préoccupations de sécurité et ne se sentent donc pas particulièrement menacés. La question ne les intéresse pas.
Je peux vous dire que j'ai fait moi-même un petit sondage, car je voulais savoir comment les gens interprétaient la politique de sécurité divulguée la semaine dernière. J'ai interrogé plus de 100 personnes et je n'en ai trouvé qu'une qui savait qu'une nouvelle politique de sécurité avait été publiée la semaine dernière. Elle le savait parce qu'elle avait lu la dernière ligne d'un article rédigé dimanche dernier par Hugh Segal.
Le sénateur Atkins: Dans quel journal?
M. Macnamara: Dans le Kingston Whig-Standard.
Le sénateur Atkins: Je me demandais pourquoi je ne l'avais pas vu.
En ce qui concerne les approvisionnements, on semble considérer au Canada que si le gouvernement devait acheter de grosses pièces d'équipement, des navires, par exemple, les Canadiens ne seraient pas favorables à un tel investissement.
Dans le passé récent, lorsque l'armée a acheté les CF-18, il n'y a pourtant pas eu de tollé. L'achat des frégates n'a pas suscité de vives réactions. Ne pensez-vous pas qu'il est temps de prendre des décisions importantes concernant le l'achat des Sea King, des navires et de tout ce qu'il faut pour que nos militaires soient bien équipés?
M. Macnamara: Absolument. Il est non seulement temps, mais on aurait dû le faire depuis longtemps. Ces dernières années, j'ai vu de nombreux sondages indiquant qu'une bonne proportion des Canadiens sont favorables à ce genre de dépenses. Je n'ai jamais constaté de critiques à l'encontre des dépenses de renouvellement. D'après les sondages que j'ai pu voir, le remplacement des Sea King bénéficie d'un appui important.
Le sénateur Atkins: Il est toujours présent dans les esprits.
M. Macnamara: Les Canadiens en entendent parler.
Le sénateur Atkins: Ils ne connaissent pas grand-chose des autres achats possibles.
Comment pourrait-on rendre l'opinion publique plus favorable aux mesures de soutien dont l'armée a besoin?
M. Macnamara: Le sénateur Munson est ici. Je ne connais pas la réponse, alors que lui, c'est un expert en la matière. La Conférence des associations de défense publie un ou deux rapports par an et nous essayons de profiter de la publicité qu'ils nous donnent pour susciter l'intérêt des Canadiens.
De la même façon que le sentiment de menace s'est vite dissipé après le 11 septembre 2001, l'intérêt que suscitent ces rapports s'effrite lui aussi rapidement.
Nous avons publié l'automne dernier un rapport intitulé «Canada Without Armed Forces?» La publication de ce rapport et ses conclusions immédiates ont fait les manchettes de la plupart des journaux du pays dès le lendemain. En revanche, deux jours plus tard, personne n'en parlait et ce rapport est resté sans lendemain.
Le problème, c'est que de façon générale, dans un pays aussi grand, les questions locales sont prioritaires en particulier si les autres grandes questions comme les soins de santé et l'éducation affectent directement les Canadiens chez eux. Ils s'en préoccupent avant de s'intéresser aux questions de sécurité nationale.
Le sénateur Banks: C'est bien humain, n'est-ce pas? Dans votre document intitulé «Canadian Defence Policy — A Contemporary Historical Perspective», vous dites que la défense du Canada relève de la responsabilité de l'ensemble de la société canadienne. N'est-il pas vrai, cependant, qu'à l'exception des dictatures, et à défaut d'une menace ou d'un danger certain et immédiat, les gens de tous les pays du monde ne placent jamais les dépenses militaires en tête de leurs priorités? N'est-ce pas une tendance naturelle?
M. Macnamara: De façon générale, vous avez raison, sénateur. Il y a un facteur supplémentaire à considérer. Les pays qui soutiennent leur armée plus vigoureusement que nous le faisons au Canada, ont une armée plus importante, formée par un plus grand pourcentage de la population. En ce qui concerne les effectifs en pourcentage de la population, nous sommes 118e sur 160 pays.
Le Canadien moyen n'a aucun contact avec l'armée. C'est pourquoi je considère que les réserves sont un élément important. Nous n'avons pas suffisamment de réserves pour faire face aux demandes de réaction immédiate aux situations d'urgence telles qu'elles sont envisagées dans les nouveaux énoncés de politique.
Les réserves sont un point de contact entre l'armée et la population canadienne. Sur les deux côtes, où la présence de la marine est évidente, tout le monde, à Victoria ou Halifax, connaît assez bien la marine, mais l'armée de terre et l'armée de l'air sont loin des grandes villes.
Le sénateur Banks: À l'exception d'Edmonton.
M. Macnamara: Je ne parlerai pas de l'éloignement d'Edmonton.
Le Canadien moyen n'a pas de contact avec l'appareil militaire et n'a l'occasion de voir des soldats en uniforme qu'à la télévision.
Le vice-président: C'est pour moi très irritant. Le seul lien direct et non censuré qu'a le comité sénatorial, qui étudie pourtant une question grave, avec le peuple canadien, c'est la petite boîte là-bas. Nous n'intéressons pas la presse, qui estime qu'un article sur le Sénat par semaine est suffisant. La presse va s'occuper de la protection du Canada, nul besoin de notre aide. C'est uniquement par le biais de CPAC qu'on peut établir un lien direct et pur avec le peuple canadien.
Le sénateur Munson: Heureusement qu'il y a CPAC.
Le sénateur Atkins: Pour revenir à ce qu'on disait, nous avons publié cinq rapports. Il semble y avoir des divergences d'opinions avec les autres organisations qui s'intéressent aux dépenses militaires, à la réorganisation, entre autres.
Il est consternant de noter que quand un rapport pertinent est publié, les autres organisations n'expriment pas leur soutien, même si les témoins qui ont comparu devant le comité se sont montrés d'accord avec la plupart de nos arguments.
M. Macnamara: La Conférence des associations de la défense a soutenu ouvertement vos rapports.
Le sénateur Atkins: Mes propos ne ciblaient pas votre organisation en particulier.
M. Macnamara: Pour ce qui est de vos rapports, nous signifions systématiquement notre accord avec vos conclusions, et nos remarques au sujet de diverses questions par voie de communiqué de presse.
Par contre, il est vrai qu'on fait face à un manque d'intérêt pour les affaires touchant les domaines militaires et de sécurité, partout au pays. Les médias n'y trouvent pas leur compte, donc il n'y a pas de couverture.
Le sénateur Atkins: Ne diriez-vous pas qu'il y a aussi un manque d'intérêt de la part des hauts gradés qui sont à la retraite et qui en savent long sur les forces armées, étant donné qu'ils ne manifestent pas leur soutien pour les nouvelles initiatives? C'est surprenant.
M. Macnamara: Je ne pourrais vous répondre.
Sur la cote ouest du Canada, par exemple, il y a des centaines de hauts gradés à la retraite. Ces gens-là participent activement aux débats. Grâce à notre service de coupures de presse, nous pouvons lire les opinions qui sont exprimées dans les journaux là-bas. Mais le reste du pays n'a pas accès à ces articles. Nous y avons accès grâce à ce service de coupures de presse.
Permettez-moi de faire un peu de publicité pour le Collège des Forces canadiennes. Si vous vous intéressez à ce qui se passe dans le monde en matière d'affaires militaires, vous n'avez qu'à visiter le site www.cfc.dnd.ca. On y met l'accent sur les interventions militaires internationales. C'est d'ailleurs le meilleur site Web qui traite du secteur militaire au monde. On y trouve aussi des informations nationales et locales.
Le sénateur Atkins: Pensez-vous que les COTC devraient être réintégrés dans les universités?
M. Macnamara: Tout à fait, surtout s'il y avait un plan de formation universitaire à l'intention de l'armée de l'air et une division navale universitaire à l'intention de la marine. J'ai moi-même profité de cette formation et j'y crois fermement. À titre de professeur d'université, je me désole du fait que ces personnes ne soient pas présentes sur les campus.
C'est une occasion extraordinaire. Je pense que vous avez demandé au général MacKenzie comment il serait possible d'inciter les gens à s'inscrire. Moi, j'ai été motivé par deux ou trois facteurs. Premièrement, j'ai bénéficié d'une formation excellente; deuxièmement, j'ai appris à piloter un avion et suis devenu contrôleur aérien, tout en étant payé; troisièmement, j'ai gagné suffisamment d'argent l'été pour payer mes droits de scolarité.
Il existe maintenant un système qui permet de subventionner les droits universitaires pour les réservistes. Ce serait un bon processus qui permettrait d'alimenter les réserves. Que les personnes concernées soient inscrites à l'Université de Toronto, à Queen's, à Dalhousie ou encore à Victoria n'a pas d'importance parce qu'étant donné la mobilité de notre population, ces personnes se retrouveront réparties à l'échelle du pays. Si nous faisons un petit effort d'organisation, ces personnes pourraient intégrer des unités de milice ou de réserve là où elles se retrouvent.
C'est une excellente occasion de dynamiser le programme.
Le sénateur Atkins: Il permet de développer des qualités de chef.
M. Macnamara: Tout à fait. Très vite, dans ces organisations, les officiers en formation assument des responsabilités disproportionnées par rapport à leur âge. Parmi mes camarades de promotion de l'armée de l'air de 1952, on retrouve des présidents et vice-présidents de presque toutes les grandes sociétés constructrices d'avions au pays, ainsi que les vice-présidents de Bell Canada, d'entreprises du secteur du verre et de la peinture ainsi que de sociétés industrielles et immobilières. Aux réunions on retrouve une belle brochette de gens très haut placés, qui ont développé leurs qualités de chef dans l'armée de l'air. Il en va de même pour l'armée de terre et la marine.
Le sénateur Day: J'ai cru vous entendre dire au cours de la discussion qui a eu lieu plus tôt que pour fortifier les valeurs et les intérêts nationaux, c'était de définir une politique de sécurité nationale au Canada. Quelle était la première?
M. Macnamara: La première chose c'est de définir les valeurs et les intérêts qui en découleront.
Le sénateur Day: Nous avons maintenant une politique de sécurité nationale qui définit les grandes questions nationales. La prochaine étape sera de s'intéresser aux activités internationales, ce qui permettra d'établir une politique étrangère puis une politique en matière de défense où toutes ces activités se compléteront.
Combien de temps cela prendra-t-il et à quelle fréquence devrions-nous répéter cet examen?
M. Macnamara: Cela peut se faire assez rapidement avec un petit groupe d'experts. Au Canada, il y a un certain nombre de personnes pas directement intéressées qui pourraient contribuer au débat. Il s'agit de dégager les valeurs et les objectifs du pays, permettant ainsi de définir les intérêts nationaux. Puis, il faut savoir ce qui se passe sur la scène internationale et découvrir les tendances, les problèmes et les événements qui influent sur nos intérêts nationaux, et dans quel sens. Enfin, il importe d'analyser les conséquences — politiques, économiques, militaires, sociales, culturelles ou technologiques — et de formuler les moyens permettant de les contourner.
Il faut répondre aux questions suivantes: où en sommes-nous, quels sont nos objectifs et comment les atteindre? On ne vous demande pas de décrocher la lune. Dans le secteur privé, on se pose ce genre de questions tous les jours, comme vous le savez. Il s'agit de l'appliquer au niveau national, et c'est relativement simple à faire.
J'ai participé à la conférence sur la sécurité hémisphérique organisée par l'armée américaine, il y a quelques semaines. Le sous-ministre de la Défense argentin a prononcé un discours et a repris mes propos au sujet de l'établissement d'une stratégie nationale fondée sur les valeurs et les objectifs. C'était impressionnant d'entendre ses propos, étant donné que l'Argentine est en voie de reconstruction. Les Argentins sont sur le bon chemin car ils procèdent de façon systématique. C'est ce qu'il faut faire pour obtenir de bons résultats. C'est comme cela qu'on procède aux États-Unis, en Grande-Bretagne, ainsi qu'en France, en Allemagne et en Australie.
Le sénateur Day: Pensez-vous que nous nous orientons dans cette voie?
M. Macnamara: Jusqu'ici, tout va bien en ce qui concerne la politique de sécurité nationale. Je ne sais pas ce qu'il en est de la politique de sécurité internationale mais j'estime que, pour le moment du moins, c'est bien parti.
Le sénateur Day: Ce que vous venez de décrire m'incite à poser deux questions. Comment inciter la population à participer à ce processus? Vous avez indiqué qu'il existait un groupe d'experts au pays qui pouvait fournir cette information. Que faut-il faire pour que le public participe au débat et à quelle étape devrait-il participer? La politique est-elle dictée par les fonds disponibles et l'état des forces armées à l'heure actuelle ou devrions-nous écarter ces préoccupations, imaginer la situation parfaite pour ensuite demander par quels moyens y parvenir?
M. Macnamara: On aurait tort d'offrir un certain montant d'argent en contrepartie d'un certain niveau de sécurité. Il faut plutôt établir la liste des besoins en matière de sécurité ainsi que les risques qu'on est prêt à courir étant donné que le financement ne suffira pas à les prendre tous en compte.
Il y a cinq ans, les Britanniques ont envisagé une multitude d'options. Au sein du gouvernement, les ministères des Affaires étrangères, de la Défense et des ministères axés sur le développement ont tous procédé à un examen dont l'objet était de déterminer les mesures à prendre. Les conclusions ont ensuite été présentées au gouvernement. Par exemple, les fonctionnaires du ministère de la Défense ont dit «Nous avons conclu qu'il y a beaucoup de régions au monde où il y a des intérêts britanniques que le gouvernement veut défendre. Il faut que nous sachions quels sont les intérêts les plus importants.» Le gouvernement a établi une liste des intérêts qu'il jugeait importants. Les fonctionnaires du ministère de la Défense ont proposé de créer quatre ou cinq groupes de travail. Le gouvernement a voulu en connaître le coût. Les fonctionnaires du ministère de la Défense ont indiqué le coût que le gouvernement a trouvé trop élevé et il a voulu savoir quels risques on courait en ne mettant pas en place les mesures préconisées.
J'ai suivi des heures durant ces délibérations à la télévision. C'est une façon de faire participer la population. Par contre, si on demande aux citoyens leur avis, sachant qu'ils sont, en général, naïfs pour ce qui est des questions internationales et stratégiques, on risque de faire dérailler le processus qui pourrait s'éterniser, sans qu'il n'y ait véritablement d'apport significatif.
Par contre, je pense qu'il serait très utile de téléviser cette discussion. C'est ce qu'ont fait les Britanniques et ça s'est révélé très efficace.
Le sénateur Day: La cassette vidéo des délibérations britanniques est-elle disponible?
M. Macnamara: C'est le brigadier Chris Day, de l'état-major de liaison des Forces britanniques, qui l'a.
Le sénateur Day: Notre greffier pourra peut-être se la procurer.
J'essaie de déterminer ce qui vient en premier lieu: l'argent ou les valeurs. Vous avez décrit les valeurs et les principes. Je ne vois pas une grande différence entre le Canada et les États-Unis lorsqu'il s'agit de protéger ces valeurs fondamentales. Existe-t-il des différences fondamentales?
M. Macnamara: Non.
Le sénateur Day: Il y a peut-être des différences quant à nos interventions à l'étranger pour protéger nos valeurs chez nous, ce qui se rapporte plutôt au plan d'affaires annuel et non au plan à long terme de nature politique dont nous discutons.
M. Macnamara: Le plan à long terme fournit les options offertes lesquelles, à leur tour, permettent de prendre des décisions lorsque des événements se produisent mais il faut tenir compte de leur éventualité. Prenons l'exemple d'Haïti, qui est un État avorton. Nous le savons. Nous avons envoyé des troupes là-bas à deux ou trois reprises déjà. Les États- Unis, pour leur part, y sont présents depuis longtemps. On ne peut pas s'attendre à ce que la situation s'améliore dans les six prochains mois, ni même dans les six prochaines années. Il faudra peut-être attendre 30 ou 40 ans avant de voir une différence.
Tout d'abord, il faut instaurer un climat de sécurité en Haïti, ce qui explique la présence des forces armées. Ensuite, il faudra des forces policières et des tribunaux pour assurer le respect de la primauté du droit, puis des investissements pour assurer une forme quelconque de développement économique, accompagné d'un système d'éducation pour former la population. En procédant ainsi, on constatera peut-être d'ici deux générations, qu'Haïti connaîtra une issue raisonnable. Autrement, nos soldats seront obligés d'y retourner régulièrement.
Il s'agit donc d'un investissement à long terme en matière de sécurité et de projection de valeurs, si c'est vraiment cela qui nous tient à coeur.
Il y a quelques semaines, je m'entretenais avec un général américain. Je lui ai dit «Si nous intervenons réellement en Haïti, quand mon petit-fils de 15 ans aura mon âge, il votera pour un gouvernement qui maintient les Canadiens en Haïti». Le général m'a dit que j'avais tout à fait raison.
D'après mes recherches succinctes, je constate qu'il y a au Canada une population de 550 000 émigrés des Caraïbes, soit plus que l'ensemble des ressortissants du Moyen-Orient, d'Afrique et de l'Amérique latine, y compris le Mexique.
Montréal compte 100 000 Haïtiens, Toronto, 200 000 Jamaïcains, auxquels s'ajoutent les ressortissants des Bermudes, de Trinidad, d'Antigua, et cetera. Les Caraïbes présentent-elles un intérêt particulier pour le Canada? À n'importe quelle époque, on y retrouve entre 10 000 et 30 000 Canadiens. En parlons-nous suffisamment? Sommes- nous prêts à investir dans cette région? N'est-ce pas le genre de milieu où les trois D, tant vantés, à savoir la diplomatie, la défense et le développement, peuvent réaliser des merveilles.
Cela montre que nous pouvons trouver des choses utiles à faire quand nous cherchons à mettre à contribution nos valeurs et nos intérêts.
Soit dit en passant, cela éviterait les États-Unis d'avoir à se soucier de Haïti. Ils nous seraient sans doute reconnaissants pour cela également.
Le sénateur Day: J'espère que nous aurons l'occasion d'approfondir cet aspect. Toutefois, le temps file et j'ai encore quelques questions à poser. Il est important que nous puissions recueillir votre opinion d'expert à l'occasion de votre témoignage ici.
Vous avez pu, je crois, suivre la discussion de tout à l'heure concernant la distinction à faire entre le personnel civil et le personnel militaire au quartier général de la Défense nationale. Que pensez-vous de cette proposition?
M. Macnamara: Je suis tout à fait d'accord avec ce qui a été dit tout à l'heure. J'ai travaillé à la fois sous l'ancien et sous le nouveau régime. L'ancien régime avait beaucoup à offrir.
Le sénateur Day: Divers comités ont consacré beaucoup de temps ces dernières années à étudier la question qui a aboutit à la politique sur les Réserves 2000, laquelle, malheureusement, n'a pas donné de résultats pas plus du reste que le livre blanc de 1994. Il se trouve qu'un plan ou un énoncé de principes font l'objet d'un énorme travail mais ensuite, par manque de volonté politique ou pour une autre raison, le plan ne reçoit pas d'appui. Le processus que nous sommes en train de décrire réunit-il tous les intéressés afin que nous puissions aboutir à un résultat qui remportera un appui?
M. Macnamara: Parlez-vous du processus d'élaboration de la politique?
Le sénateur Day: Oui.
M. Macnamara: L'une des premières choses que j'explique aux gens, c'est la définition de «politique». Une politique est la réaction d'un ministère ou d'un organisme du gouvernement à l'incidence de certains enjeux sur leurs intérêts propres. On établit une politique, qui cerne et explique la question.
Le plan, que l'on confond souvent avec la politique, cerne la question, définit les intervenants, le calendrier et donne des explications. La définition de la question et les explications découlent de la politique. Tout le reste se dégage du plan.
Il faut que le plan soit assorti des ressources appropriées. À ces ressources doivent s'ajouter les qualités voulues de leadership, de gestion et un engagement pour la mise en oeuvre.
Vous demandiez tout à l'heure à quel rythme nous devrions examiner la stratégie. Selon moi, la stratégie est un processus dynamique. On ne peut qu'en avoir une idée ponctuelle à un moment donné. On sait très bien que dans les affaires, même si on établit une stratégie quinquennale, tous les ans, on l'examine pour voir si les prévisions correspondent au plan. Il faut toujours revenir au point central, veiller à ce que la mise en oeuvre se fasse selon le plan et voir si la politique réalise l'objectif visé. C'est un processus dynamique.
Le sénateur Day: C'est une chose que nous n'avons pas fait pas faite par le passé, n'est-ce pas?
M. Macnamara: Selon moi, cela a été fait partiellement mais seulement au ministère de la Défense nationale et non pas à l'échelle du gouvernement.
Le sénateur Day: Et pas non plus aux échelons inférieurs c'est-à-dire dans chaque secteur du ministère de la Défense nationale, pour chaque enveloppe.
Ma dernière question porte sur une remarque faite plus tôt par M. MacKenzie. Il a dit qu'il serait peut-être opportun de concevoir la force de réserve un peu comme la Garde nationale aux États-Unis. Il est allé encore plus loin et il a ajouté que cette force pourrait peut-être relever des premiers ministres provinciaux et j'ai trouvé cette idée assez intéressante. Avez-vous jamais songé à une telle façon de procéder, c'est-à-dire prendre exemple sur le modèle américain.
M. Macnamara: Comme vous le savez, la Garde nationale est sous le commandement des gouverneurs des États, aux États-Unis.
Il sera intéressant de voir comment cela va s'inscrire dans notre politique de sécurité nationale. La politique a été annoncée la semaine dernière et elle établit les tâches des premiers intervenants et le niveau des responsabilités. Toutefois, le plan n'a pas encore été élaboré. Il est clair que le rôle des réservistes sera capital quand il s'agira d'organiser les secours d'urgence au niveau de la province. Maintenant, pour ce qui est du contrôle et du commandement, la discussion promet d'être intéressante.
Je pense qu'il va nous falloir exercer un contrôle beaucoup mieux coordonné de nos actifs. Par exemple, supposons qu'il y ait une panne d'électricité en Ontario en même temps que des incendies de forêt en Colombie-Britannique et qu'il faille envoyer des troupes aux deux endroits; qui va décider de leur déploiement? Si c'était les provinces qui prenaient la décision, bien entendu les troupes de l'Ontario n'iraient pas en Colombie-Britannique mais où iraient les troupes du Manitoba, en Ontario ou en Colombie-Britannique?
Il faut donc être prudent quand il s'agit du contrôle et du commandement de ce genre d'actifs.
Le vice-président: Où ces troupes se cachent-elles?
M. Macnamara: Ce sont les troupes que nous aurons.
Le sénateur Day: La Loi sur la défense nationale a été modifiée et désormais l'aide accordée au pouvoir civil ne le sera plus à la demande d'un premier ministre provincial directement au chef d'état-major de la défense, mais elle le sera après consultation avec le ministre de la Défense nationale et ce, pour cette raison précisément — essayer de créer une certaine coordination. Tout cela figure dans les dispositions législatives dont il est question actuellement.
Je vous remercie de vos réponses. Je suis impatient de prendre connaissance de certains de ces documents et du film que le brigadier Chris Day pourrait nous aider à obtenir, avez-vous dit.
M. Macnamara: Il pourrait vous expliquer le processus. C'était fort intéressant et instructif. En effet, je le recommanderais certainement à notre gouvernement.
Le vice-président: Voilà pourquoi je ne cesse de réclamer que l'on ranime les Halifax Rifles. Voilà le rôle qu'ils pourraient jouer. Aujourd'hui, nous ne voyons pas comment, mais je peux très bien le concevoir pour demain.
Le sénateur Smith: Le témoin a soulevé certaines questions. Il serait tentant de parler de chacune d'entre elles mais je me limiterai à une seule.
Il s'agit de la militarisation de l'espace. Il va y avoir une grande discussion sur la politique et les aspects éthique et philosophique où les Canadiens pourront parler de leur degré de coopération dans cette entreprise, le cas échéant.
Je vais vous dire quelle est mon opinion, la façon dont j'envisage la question, et je voudrais que vous me disiez ce que vous en pensez. Un des aspects que vous avez bien expliqués est celui de savoir si le Canada paie sa quote-part. Par exemple, vous dites: «Si les États-Unis consacrent quatre fois plus que les Canadiens par personne en pourcentage du PIB, est-ce juste et équitable?» Je suppose que c'est une façon de voir les choses. On pourrait dire par ailleurs que si les Américains agissent ainsi, c'est parce qu'ils ont choisi cette voie en tant que pays, en tant que peuple et en tant que société. C'est parce qu'ils ont choisi d'être le pays le plus puissant du monde, ce qui est un fait. À la vérité, Dieu les bénisse étant donné les valeurs que nous avons en commun avec eux. D'une certaine façon, ils ont choisi d'être les gendarmes du monde. Ils ont découvert que cela pouvait être un rôle difficile mais ils l'ont choisi.
Les choses ne sont pas si simples car les démocrates dans la société américaine ne réclament pas cette orientation à grand cri. Il y a près de 50 ans, Eisenhower a lancé la célèbre expression en ce qui concerne le complexe militaro- industriel, laquelle appartient de façon générale un peu plus aux Républicains. Je suppose que c'est là l'origine.
J'ai eu la bonne fortune de pouvoir beaucoup voyager presque toute ma vie. Il y a environ 10 jours, j'étais en Ouganda. Parfois j'ai l'impression qu'il faut que j'enlève ma casquette du Canada pour mettre ma casquette d'être humain afin de penser au monde civilisé et à l'orientation que je voudrais qu'il prenne. Là où j'étais, des millions de gens sont en train de mourir.
L'été dernier, j'ai assisté à une conférence juridique, à laquelle j'assiste tous les deux ans, à l'Université de Cambridge en Angleterre. Le droit est ma véritable profession, pas ces considérations-là.
L'une des grandes questions que nous avons débattues est celle de savoir ce que les pays occidentaux devraient faire pour garantir que les pays du tiers monde aient accès à des médicaments à prix abordable, en Afrique en particulier. Les compagnies pharmaceutiques sont la propriété d'actionnaires qui veulent toucher des dividendes et des bénéfices. Cela fait donc apparaître de véritables questions d'éthique.
Quand on songe à la façon dont le Canada pourrait influencer la voie dans laquelle s'engage la civilisation, et quand on songe au talent scientifique que nous avons ici, on se demande si nous voulons les encourager à installer des armes dans l'espace ou si nous préférerions que ces talents servent à sauver des vies dans d'autres pays du monde qui n'ont pas les moyens de se procurer les médicaments existants?
Nous pouvons accepter l'affirmation de M. MacKenzie qui dit qu'il ne vaut pas la peine de subir les conséquences d'un refus de coopérer dans une certaine mesure. Toutefois, il y a peut-être deux façons différentes de coopérer. Dans un cas, il y a notre espace aérien. Je peux accepter que nous coopérions dans le cas de l'espace aérien. Peu m'importe que ces missiles dirigés sur New York soient interceptés au-dessus de Toronto car si ce système ne peut pas les intercepter bien plus au nord, dans des régions relativement peu peuplées, il ne servira à rien.
Je trouve tout à fait acceptable une coopération dans l'espace aérien mais il ne faudrait pas que cela implique une participation financière à l'installation d'armes dans l'espace. Nous avons d'autres priorités sur le plan des dépenses militaires, comme par exemple la force expéditionnaire dont on a parlée ce soir. Ce serait bien de pouvoir l'envoyer en Haïti ou dans d'autres pays où il y a des troubles. Je m'opposerai donc à ce que l'on dépense des espèces sonnantes pour installer des armes dans l'espace, et je me demande si cela sera acceptable.
Quand les Américains sont allés en Irak, certains pays qui n'avaient pas envoyé un seul militaire disaient «Nous sommes derrière vous». Pouvons-nous donc nous en tirer en participant sur le plan de l'espace aérien, sans avoir à verser de l'argent que nous n'avons pas de toute façon, quand nous savons que nous avons d'autres priorités qui nous semblent plus valables en tant que citoyens de cette planète.
M. Macnamara: De combien de temps est-ce que je dispose?
Tout d'abord, je ne pense pas que les États-Unis nous demandent de verser beaucoup d'argent. On nous demande de participer à des discussions et à une entente. Ce n'est pas avant très longtemps que nous discuterons de l'installation d'armes dans l'espace.
Notre participation à cette entreprise se fera sans doute sous forme d'espace terrestre ou aérien ou grâce à d'autres actifs, dans un premier temps, mais nous allons également apporter une capacité diplomatique et cérébrale et nous efforcer d'empêcher des missiles nucléaires de pénétrer sur notre territoire. Je ne conçois pas cela comme étant nécessairement un débours d'argent et assurément pas une installation d'armes dans l'espace. Ce n'est pas là l'objectif.
Essentiellement, je dis que si nous ne discutons pas avec les Américains, étant ce qu'il font eux, et si nous ne leur emboîtons le pas pour la défense de l'Amérique du Nord, c'est un faut départ. Les choses ne fonctionnent pas ainsi. Cela nous interdirait l'accès à bien d'autres choses.
Je me hâte d'ajouter que d'après mon expérience, d'après les entretiens que j'ai eus aux États-Unis, si nous ne comprenons pas que pour les États-Unis la sécurité est ce qui prime avant tout, il y a bien d'autres choses que nous ne comprendrons pas. Si les Américains constatent que nous ne contribuons pas à la sécurité commune, pourquoi souhaiteraient-il contribuer à notre bien-être commun, dans les dossiers du boeuf, du bois d'oeuvre ou d'autres? Pourquoi contribueraient-ils à notre zone de libre échange commune à l'avenir?
Il faut comprendre que les États-Unis n'ont que faire de liens psychologiques, voire francs. Cela n'intervient pas en matière de défense. Je reconnais qu'il faudrait que nous songions à d'autres rôles que nous pourrions jouer dans le monde. Quant au prix des médicaments, j'ai demandé à ma classe de stratégie l'année dernière de faire une analyse stratégique des médicaments en Afrique. Il y a 210 facteurs différents qui interviennent et le prix n'est que l'un d'entre- eux. Il ne faudrait pas simplifier à outrance les autres problèmes que nous voulons régler et négliger ces problèmes qui semblent plus compliqués et plus coûteux. Le véritable coût de la lutte contre le VIH en Afrique est probablement beaucoup plus élevé que le simple coût de l'approvisionnement en médicaments. Il faut tenir compte de l'éducation, de la construction de routes et de l'infrastructure, du personnel qui livre les médicaments et surveille les doses. C'est un processus compliqué. Il faut être prudent quand on compare les deux propositions d'une alternative.
Pour revenir à ce que je disais tout à l'heure, si nous ne participons pas de manière visible à la sécurité de notre territoire, et si quelque chose survient — et c'est plutôt quand que si — qui sera tenu responsable?
Le sénateur Smith: Ce sont des arguments valables. Je sais qu'il y a beaucoup de facteurs. J'ai cité le coût des médicaments à titre d'exemple. Si le prix est trop élevé, on n'a pas les moyens de les acheter de toute façon. Je posais un peu la question pour la forme parce que je voulais que le discours sur les valeurs soit plus équilibré.
Le sénateur Banks: En ce qui concerne la diffusion de nos valeurs, ce que l'on n'a jamais fait seul mais toujours en compagnie de nos alliés, prenez le cas de Haïti. Vous avez dit, justement, qu'il faudra là-bas plusieurs générations. Il y a un moment à partir duquel, dans bien des parties du monde, après que nous ou quelqu'un d'autre y aura été pendant 10, 15 ou 20 ans, ce qui a commencé comme une opération de boy scout pour faire une bonne action commence à ressembler à de l'impérialisme. Quand cela surviendra-t-il? Ce jour-là, nous accrochons-nous, tenons-nous bon et imposons-nous ce que nous pensons être la bonne solution ou filons-nous?
M. Macnamara: La réponse courte, c'est de ne pas agir seul. Dans le cas d'Haïti, nous pouvons mener la barque, mais ailleurs en Amérique latine il manque cruellement de chefs. L'Amérique latine aussi a des difficultés avec les valeurs démocratiques. Si nous assurons la direction et qu'eux fournissent les moyens — les enseignants et ainsi de suite — tout peut changer. Cela nous éloigne de l'impérialisme apparent, surtout si ce ne sont pas les États-Unis qui mènent. Le Canada peut être un chef en qui l'on a confiance.
Je ne pense pas que nous accordions suffisamment d'attention à ce qui se passe dans l'hémisphère occidental. Nous nous occupons beaucoup plus de ce qui se passe en Afrique qu'en Amérique centrale ou du sud. Il faudrait regarder davantage chez nous et voir quel leadership nous pouvons offrir pour le développement futur d'autres pays de l'hémisphère et le bien être futur des populations. Les valeurs qui sont les nôtres comme la liberté individuelle, la démocratie et la justice, combinées à notre croyance en l'économie libérale ont montré que c'est la voie la plus rapide pour enrichir une population. Regardez ce qui se passe dans les pays comme la Chine et l'Inde. Même si pour nous la Chine n'est pas le pays le plus démocratique qui soit, il y a eu de nombreux changements et les gens sont beaucoup plus riches qu'avant.
Le vice-président: Parfois, cela soulève plus de questions que de réponses.
Recevez notre plus vive gratitude pour le temps que vous nous avez accordé ce soir. Comme toujours, la discussion a été instructive. Comme toujours, vous exprimez les vues et la pensée de la Conférence, laquelle est très appréciée par les membres du Sénat, et pas seulement les membres du comité. Je peux parler au nom de la Chambre parce que j'y ai été longtemps. Nous souhaitons bonne chance à la Conférence des associations de la Défense et à vous dans vos fonctions de professeur.
Si les personnes qui nous écoutent ont des questions ou des observations, je les invite à consulter notre site Web à www.sen-sec.ca. Nous allons afficher le témoignage des témoins ainsi que le calendrier des audiences confirmées. Vous pouvez également communiquer avec le greffier du comité pour obtenir de plus amples renseignements ou de l'aide pour contacter les membres du comité en faisant le 1-800-267-7362. Le numéro est sûrement au dos de tous les annuaires du téléphone au pays.
La séance est levée.