Aller au contenu
RIDR - Comité permanent

Droits de la personne


Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 2 - Témoignages


OTTAWA, le lundi 22 mars 2004

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui à 16 h 40 pour procéder à l'étude des aspects juridiques clés ayant une incidence sur la question des biens immobiliers matrimoniaux situés sur une réserve en cas de rupture d'un mariage ou d'une union de fait ainsi que leur contexte politique particulier.

Le sénateur Shirley Maheu (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: J'aimerais souhaiter la bienvenue à tout le monde ici aujourd'hui, ainsi qu'à tous ceux et celles qui nous écoutent par le truchement de la radio, de la télévision ou de notre site Web.

Je vous souhaite la bienvenue, ministre Mitchell. C'est avec grand plaisir que nous vous accueillons. Je crois savoir que vous êtes au courant du contenu de notre dernier rapport, qui était intitulé «Un toit précaire: Les biens fonciers et matrimoniaux situés dans les réserves». La partie importante, c'est Un toit précaire. Nous devons analyser sérieusement les problèmes et les résoudre. Je crois savoir que vous êtes déjà bien avancé dans les questions qui nous préoccupent.

Dans la présente session, nous nous sommes entendus pour continuer l'étude, peut-être dans une perspective différente. Nous allons examiner l'interaction entre les lois provinciales et fédérales touchant le partage des biens matrimoniaux, aussi bien personnels qu'immobiliers, se trouvant sur une réserve et, en particulier, l'exécution des décisions des tribunaux.

Je ne suis pas certaine quel élément devient le plus déterminant. La pratique de l'attribution des terres sur les réserves, et en particulier l'attribution coutumière, constitue un problème en cas de rupture d'une union, en ce qui concerne la façon de partager les biens et en ce qui concerne les solutions possibles qui permettraient de maintenir un équilibre entre les intérêts personnels et les intérêts communautaires.

Nous devons également examiner la question du Québec où Statistique Canada nous révèle que les collectivités vivant sur des réserves font face à une pénurie de 7 000 unités de logement. À lui seul, le Québec fait face à une pénurie de cet ordre. Je pense que vos données statistiques et celles de Statistique Canada sont tout à fait inexactes. Je ne sais pas qui a raison, mais je préfère croire que le ministère est bien au courant de la situation qui prévaut au Québec. Nous ne donnons pas le financement promis. Nous devons commencer à examiner cette question très sérieusement. À mon avis, nous n'avons pas toujours été aussi justes que nous aurions pu l'être avec les collectivités autochtones —, ce qui pourrait ne pas vous sembler une bonne nouvelle, venant de moi. Cependant, j'ai écouté des femmes qui font face à des difficultés réelles et je n'ai d'autre choix que de les croire. Nous n'avons qu'effleuré le sujet. Nous n'en avons pas fait une analyse en profondeur, loin de là.

[Français]

Le comité a rencontré un nombre important de témoins, toutefois ce nombre est insuffisant. Au cours des prochaines semaines, bon nombre d'organismes, d'individus et d'experts auront la chance de comparaître devant notre comité. Madame Cornett a déjà comparu et je m'attends à ce qu'elle revienne. Ce sera la même chose pour Mme Ginnish.

Il serait essentiel de réinviter les fonctionnaires du ministère selon le cas. Il est aussi possible de soumettre à notre comité, par le biais de notre greffière, des commentaires écrits sur le sujet. Madame Gravel se chargera par la suite de les transmettre à chacun des membres.

[Traduction]

J'aimerais vous présenter les sénateurs présents: le sénateur Watt, le sénateur Ferreti Barth, le sénateur Plamondon et le sénateur Beaudoin.

Soyez le bienvenu, monsieur le ministre.

L'honorable Andrew Mitchell, c.p., député, ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien: Je vous remercie de l'occasion qui m'est offerte de prendre la parole devant le comité pour parler de cette question.

Je tiens à vous féliciter, madame la présidente, pour votre réélection à la présidence du comité. Je veux également exprimer ma gratitude au comité pour la poursuite de l'étude de cette question, au cours de la troisième session de la présente législature. Je veux vous remercier de faire ce travail. À mon point de vue, il s'agit d'une question importante et même critique.

Je tiens également à profiter de l'occasion pour féliciter le comité pour son rapport provisoire intitulé «Un toit précaire: Les biens fonciers et matrimoniaux situés dans les réserves». Je pense que le comité a fait un travail important à cet égard. Il faudra en faire bien davantage encore et je suis heureux de savoir que vous avez l'intention d'aller de l'avant dans cette question difficile et complexe, mais sur laquelle nous devons faire des progrès. Nous sommes impatients de travailler avec vous, moi et mes fonctionnaires, sur cette question, parce que je crois que nous pouvons apporter notre aide au comité. Je veux vous assurer que nous avons l'intention de collaborer et de vous aider dans toute la mesure du possible.

Je veux prendre quelques minutes pour vous donner une idée de mon point de vue, et pour faire peut-être quelques suggestions au fur et à mesure que nous avançons. Il y a une chose qui est absolument certaine: le statu quo n'est pas acceptable. À mon sens, c'est nettement le cas et c'est certainement sur cette base que je veux fonctionner dans notre quête.

Je veux parler de certaines des questions fondamentales auxquelles nous sommes confrontés, je crois, lorsque nous tentons de régler cette question particulière. Je veux énoncer certains principes qui, à mon avis, devraient se refléter dans les solutions qui pourront être envisagées et qui pourraient être recommandées dans le cadre de ce travail.

Je veux parler de certaines mesures que nous sommes en train de prendre concernant certaines de vos observations initiales. Enfin, je veux parler de certaines des approches possibles que nous pourrions adopter à moyen terme ainsi que de certaines approches et de certaines choses que nous pourrions envisager à plus court terme.

Comme je l'ai dit, le statu quo est inacceptable. Il n'est pas approprié, je pense, que les personnes vivant sur les réserves aient moins de droits au moment de la rupture d'un mariage que ceux qui vivent à l'extérieur des réserves. Il s'agit d'une situation fondamentalement injuste et je crois que tous les Canadiens la voient comme telle.

Mais il y a toutefois une énigme fondamentale. Le comité est parfaitement au courant de cette situation parce qu'il en a fait état dans son rapport. Il n'y a rien dans la Loi sur les Indiens qui traite des droits sur les biens immobiliers à la suite de la rupture d'un mariage; par ailleurs, la loi provinciale, qui traite de ce genre de questions, ne s'applique pas. Essentiellement, il y a un vide juridique autour de cette question et cette situation présente une certaine énigme pour nous.

De plus, pour ce qui est des principes fondamentaux que nous devons respecter lorsque nous traitons de cette question, il y a la nécessité de concilier les principes énoncés dans l'article 15 de la Charte des droits et libertés et ceux de l'article 25, qui protège les droits et libertés des Autochtones, et l'article 35, qui garantit les droits de la collectivité. Au fur et à mesure que nous proposerons des solutions potentielles, nous devrons le faire d'une manière qui puisse garantir que tous ces articles de la Constitution reçoivent l'attention nécessaire et qu'ils se reflètent dans les solutions proposées.

Pour simplifier les choses, la question, c'est de déterminer comment concilier les droits de la collectivité des Premières nations concernant la propriété collective avec les droits de ses membres individuels. C'est la question fondamentale à laquelle nous devons répondre dans notre démarche visant à résoudre cette difficulté.

Une autre question — et c'est une question qui est importante non seulement du point de vue des biens immobiliers matrimoniaux, mais également pour les questions plus larges auxquelles nous sommes confrontés dans les affaires autochtones —, c'est de savoir si ces modifications devraient être apportées par une approche normative, par la modification de la Loi sur les Indiens ou sous forme d'un autre texte législatif, ou si elles devraient être apportées par les Premières nations elles-mêmes par le biais d'ententes négociées d'autonomie gouvernementale. Il y a une différence fondamentale entre ces deux approches.Par conséquent, est importante non seulement la façon dont nous résolvons la question, mais également la façon dont sont mises en oeuvre les solutions que nous pourrions mettre de l'avant ou que vous pourriez recommander. La façon de mettre en oeuvre ces solutions est importante, aussi bien dans le contexte des droits régissant les biens immobiliers matrimoniaux que dans le contexte plus large des multiples autres questions touchant les Premières nations et les Canadiens autochtones.

Comme je l'ai dit au début de mon exposé, il y a un certain nombre de principes qui devraient, à mon avis, se refléter dans les solutions qui pourraient être proposées. Premièrement, il devrait y avoir un traitement égal des conjoints et des partenaires en ce qui a trait au domicile matrimonial durant l'union et au moment de la rupture, y compris la possession exclusive provisoire. C'est un principe auquel il faudrait adhérer. Le second principe, c'est la protection des intérêts collectifs de la bande sur les terres de réserve — par exemple, un non-membre ne peut pas acquérir un intérêt permanent dans les terres de réserve. Troisièmement, des mécanismes doivent être en place pour l'exécution des ordonnances des tribunaux. Quatrièmement, les solutions doivent s'harmoniser avec la question de l'autonomie gouvernementale et les processus liés à la Loi sur la gestion des terres des Premières nations. Cinquièmement, les solutions doivent permettre au Canada de s'acquitter de ses obligations internationales. Et sixième et dernier principe, toute solution doit faire l'objet de consultations poussées auprès des chefs et des membres des Premières nations.

Je veux parler d'initiatives potentielles appartenant à trois grandes catégories. Premièrement — et je pense que le comité a traité de cette question clairement dans son rapport initial —, c'est quelque chose d'important en termes d'activités de recherche et de diffusion. La question des biens immobiliers matrimoniaux doit faire l'objet de discussions aussi bien dans la collectivité des Premières nations que dans la collectivité canadienne plus vaste. Un des éléments déclencheurs qui nous permettra de résoudre ce problème, c'est d'avoir une discussion poussée entre les Canadiens de sorte que nous ayons la possibilité de comprendre exactement ce qui se passe.

À cet égard, un certain nombre des suggestions du comité en termes de diffusion et de recherche seront mises en oeuvre — par exemple, rédiger le matériel d'information sur les BIM dans une langue simple, le rendant ainsi plus accessible, ce qui, à mon avis, est une mesure indispensable. Nous allons appliquer votre recommandation et produire un document vidéo pour mettre les questions en évidence, encore une fois, à des fins d'information. Nous allons faire du travail de recherche sur l'expérience américaine, car j'estime que nous pourrions vouloir nous inspirer de l'approche que ce pays a adoptée dans la question des BIM. Nous continuerons la recherche poussée au sein du ministère — et, comme je l'ai dit au début, nous sommes tout à fait prêts à partager cette information avec le comité tout au long du déroulement des travaux.

De même, je pense qu'il est capital, dans le cadre de ce processus et d'autres encore, qu'il s'agisse d'une discussion active et approfondie qui a lieu entre les Canadiens et au sein des collectivités des Premières nations.

Pour ce qui est des approches à adopter, je les ai divisées en deux catégories. Je ne veux pas préjuger des travaux du comité, mais il est probable qu'il soit nécessaire d'apporter des modifications législatives. Mais ce n'est pas quelque chose qui surviendra du jour au lendemain; il faudra un certain temps pour y arriver.

Du point de vue législatif, il y a trois approches différentes que le comité pourrait vouloir étudier et traiter dans un rapport final pour donner une certaine orientation et des conseils. Vous avez également traité d'une partie de cette question dans votre rapport initial.

La première approche consiste à modifier la Loi sur les Indiens pour y incorporer par renvoi la législation provinciale et territoriale régissant les droits des conjoints relatifs aux BIM. Bien qu'il puisse s'agir de l'approche législative la plus rapide, je soupçonne qu'elle sera contestée, tant du point de vue du processus que de la substance, particulièrement en ce qui concerne les droits précisés dans les articles 25 et 35. Il y aura également les questions touchant les coutumes et une série de questions liées aux implications de l'appartenance à la bande. Il s'agit de l'une des possibilités, mais en l'envisageant, il est également important d'envisager le type de réaction et de problème qu'elle suscitera.

Une seconde approche consiste à élaborer un code de principes régissant les biens immobiliers matrimoniaux qui est fondé sur une conciliation des articles 15, 25 et 35, qui s'inspire des normes internationales et qui est mis en oeuvre par le biais des ententes d'autonomie gouvernementale ou par délégation d'autorité en vertu de la Loi sur les Indiens. C'est une autre approche. Il s'agirait d'une approche sans doute plus lente. Elle pourrait être plus acceptable que la première pour nombre de personnes et de groupes, mais dans la mesure où vous modifiez tout de même la Loi sur les Indiens, je soupçonne qu'il y aura des gens qui exprimeront leur inquiétude face à cette approche particulière.

Une troisième approche serait d'élaborer un code de principes sur les BIM, fondé sur une tentative visant à concilier les divers éléments des articles 15, 25 et 35, s'inspirant des normes internationales et que l'on ferait appliquer par l'intermédiaire des ententes négociées d'autonomie gouvernementale. Il s'agirait probablement de la plus lente des trois approches, étant donné que les ententes d'autonomie gouvernementale sont issues d'un processus de négociation et que, parfois, ce processus est très long. Cette approche est lente, mais elle est plus susceptible de faire l'objet d'un consensus.

Voilà certaines des approches possibles, et toutes font intervenir la législation et devront certainement respecter le principe dont j'ai parlé plus tôt, à savoir faire l'objet d'une consultation poussée.

Je serais très intéressé que le comité, s'il en décidait ainsi, donne son avis sur ces différents choix législatifs, qu'il s'agisse de l'avis des membres du comité directement ou d'avis fondés sur les témoignages entendus.

À plus court terme, toutefois, il y a certaines choses qui pourraient être utiles. Premièrement — et c'est quelque chose qui m'a beaucoup frappé dans votre rapport, et il est difficile, je suppose, d'exprimer par des mots toute l'émotion que ressentent certains membres du comité et certains de vos témoins. Il est très difficile de dire à des gens qui sont touchés par cette situation particulière: «Soyez patients, nous allons adopter une loi qui apportera une solution, mais cela prendra un certain temps». Je comprends que ce soit une situation difficile.

C'est pourquoi je demande au comité, s'il en décide ainsi, de s'intéresser également à certaines questions à court terme.

Premièrement, le comité pourrait faire savoir s'il croit ou non qu'il y a des mesures rapides, non législatives, qui pourraient être prises sur une base provisoire. Vous pourriez décider de convoquer des témoins pour obtenir des avis sur cette question. Y a-t-il des processus qui ne sont pas législatifs par nature et qui pourraient être mis en oeuvre à court terme pour apporter une solution provisoire? Attendre un changement législatif pourrait-être pour le moins frustrant pour les personnes concernées.

Deuxièmement, ce serait une bonne idée si le comité décidait d'entreprendre une étude des ententes d'autonomie gouvernementale qui sont en vigueur — non pas les ententes en soit, parce qu'il suffit de les lire —, mais, plutôt, comment ces ententes fonctionnent dans la pratique pour ce qui est des biens immobiliers matrimoniaux. Ce travail pourrait avoir une grande valeur. Un certain nombre d'ententes d'autonomie gouvernementale sont maintenant en vigueur et elles abordent la question des BIM de façons différentes. Il serait utile de voir ce qui arrive dans la réalité, sur le terrain, dans le cas de ces ententes et de discuter avec ces collectivités et avec les membres de ces collectivités.

Troisièmement, il serait utile que le comité fasse des suggestions ou des recommandations précises concernant les divers éléments que l'on pourrait inclure dans les codes régissant les biens immobiliers matrimoniaux.

Vous avez traité de certaines de ces questions dans votre rapport provisoire, mais il y a un corpus de travail qui est en train de prendre forme et enrichir ce corpus de travail serait particulièrement utile.

Voilà certaines de mes vues sur le sujet. Je vous remercie de l'occasion qui m'est donnée de vous parler et j'ai hâte de travailler avec le comité sur cette étude. Il s'agit d'un travail important et d'un travail que nous pouvons faire en collaboration. Un rapport final apporte une contribution précieuse à la résolution de ce problème difficile.

Nous avons une responsabilité collective de faire face à cette question, d'éliminer ce qui, à mon avis, est une iniquité évidente qui existe aujourd'hui. Il est important que nous travaillions à résoudre cette question d'une manière qui respecte les droits individuels et collectifs prévus par la Constitution et qui respecte les obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne.

La présidente: Merci, monsieur le ministre. Avant de donner la parole au sénateur Beaudoin, je me demande si vous êtes au courant du fait que la plupart des fonds attribués aux Premières nations sont demeurés très stables depuis 1982, c'est-à-dire depuis plus de 20 ans. Avez-vous eu le temps de réfléchir aux répercussions de cette situation et sur le fait que le financement n'a même pas suivi le rythme de l'inflation?

Si nous regardons la situation de la province de Québec — qui s'adonne à être la province d'où je viens, tout comme les sénateurs Watt, Beaudoin, Plamondon et Ferretti Barth. Dans ce comité particulier, nous sommes inondés par les préoccupations au sujet des différences énormes entre les chiffres qui circulent et les besoins réels des peuples autochtones.

Bien que le Canada ait joui — et j'ai bien dit «ait joui» — une réputation presque sans tache en matière de droits de la personne, le traitement que nous avons réservé à nos peuples autochtones nous a fait un tort considérable. C'est quelque chose dont on parle encore. J'ai participé à une réunion internationale la semaine dernière. Nous ne sommes pas aussi purs que nous voudrions le croire. Nous avons beaucoup de chemin à faire.

Dans mon cas, monsieur le ministre, vous obtenez exactement ce que vous voyez. C'est exactement ce que je pense. Nous avons beaucoup de chemin à faire — ce qui est une honte. Lorsque j'entends vanter le Canada comme un endroit où il fait bon vivre du point de vue des droits de la personne, je m'étouffe presque. À vrai dire, j'ai honte, lorsque je m'arrête et que je pense à ce comité et à ce que nous avons entendu — et nous avons à peine effleuré le sujet.

Nous parlons de statistiques qui nous disent que 30 p. 100 des Autochtones vivent sur des réserves. Ce n'est pas vrai. Au Québec, 70 p. 100 des Autochtones vivent sur les réserves. Il y a tellement de données statistiques qui sont fausses. J'espère que votre ministère se mettra au travail concrètement et non pas à parler d'une législation qui ne viendra que dans 10 ans; parlons d'une législation que nous pouvons mettre en oeuvre maintenant.

Monsieur le ministre, voulez-vous répondre?

M. Mitchell: Oui. Premièrement, je suis d'accord pour dire que la réalité canadienne, c'est qu'il y a une disparité entre les Canadiens autochtones et les autres Canadiens en matière de bien-être social et économique. Cette disparité a existé tout au long de notre histoire. Nous avons fait certains progrès pour combler cet écart, mais nous sommes loin de l'avoir comblé entièrement. Si vous examinez les questions de l'éducation, de la santé ou du développement économique, les résultats sont révélateurs.

Mon objectif général comme ministre est simple: combler cet écart. Les gestes que nous posons en tant que parlementaires, les gestes que je pose à titre de ministre et les gestes que le gouvernement posera devront être jugés en fonction de leur efficacité à combler cet écart. C'est là le premier point.

Deuxièmement, lorsqu'il est question de l'élaboration de programmes, quelqu'un a dit que la définition de l'aliénation mentale, c'est faire la même chose de la même façon tout en espérant obtenir des résultats différents. C'est quelque chose que nous devons reconnaître dans le ministère. Et je suis particulièrement sensible à cette question. Je crois que pour élaborer une politique, pour progresser, il faudra sortir des sentiers battus. En d'autres mots, refaire simplement la même chose n'est pas nécessairement la chose à faire.

Il y a deux parties dans cette question. Il y a la question de la substance avec laquelle nous devons traiter et il y a la relation qui existe entre le Canada et les peuples autochtones. Si nous voulons réussir, nous devons faire face à ces deux questions. En d'autres mots, non seulement nous devons nous préoccuper de faire de nouveaux investissements, mais nous devons également nous assurer que le processus par lequel ces investissements parviennent aux Premières nations et aux autres Canadiens autochtones fait en sorte que l'argent est affecté d'une manière efficace.

Je suis désolé d'avoir pris ce temps, mais je n'ai pas pu résister après l'ouverture que vous m'avez faite dans vos observations, madame la présidente.

Le sénateur Beaudoin: Je ne suis pas un admirateur de la Loi sur les Indiens. Nous avons beaucoup de lois qui sont bien meilleures, et j'en suis très heureux.

Nous avons raté le bateau en 1867. Le paragraphe 91.24 de la Constitution accorde au gouvernement fédéral l'autorité sur les Autochtones. L'autorité en matière de mariage est également de compétence fédérale. De plus, selon la jurisprudence, nous avons une obligation fiduciaire à l'égard des peuples autochtones. Par conséquent, il n'y a aucune raison au monde qui justifie pourquoi nous n'avons pas réglé ce problème. Ce n'est pas une question d'argent, parce que nous avons de l'argent.

Je ne comprends pas. Où est le problème? Nous avons le droit de légiférer, même sur la question de la propriété. Le droit de la propriété et le droit civil sont de compétence provinciale, je suis d'accord. Je viens du Québec et j'enseigne le droit au Québec. Je sais que c'est important.

Nous avons le pouvoir de faire quelque chose; qu'est-ce que nous attendons? En 1982, nous avons fait beaucoup de progrès pour les Autochtones. L'article 35 leur a donné des droits collectifs. Les autres n'ont que des droits individuels, mais les peuples autochtones ont des droits collectifs. Cependant, cela ne se reflète pas dans la législation — seulement dans certains jugements des tribunaux.

Ce rapport est intéressant. Nous savons quel est le problème, mais nous semblons hésiter à passer à l'action. Si nous devons modifier la Loi sur les Indiens, pourquoi ne pas le faire? C'est notre travail.

Il y a également la question de l'égalité entre les hommes et les femmes. Le gouvernement libéral a apporté la première modification à la Constitution après 1982 lorsque M. Trudeau a dit qu'il devrait y avoir égalité entre les hommes et les femmes chez les Autochtones. Cependant, ce n'est pas le cas. Il est dommage qu'après 20 ans, nous soyons encore en train de parler de l'égalité entre les hommes et les femmes sur les réserves indiennes. C'est dans la Constitution; nous n'avons pas le choix. Le mariage et le divorce relèvent de la compétence fédérale. En ce qui concerne la propriété, s'il est utile d'appliquer la loi des provinces, pourquoi ne pas le faire?

Nous devrions adopter, dès demain si la chose est possible, les modifications nécessaires pour assurer l'égalité entre les hommes et les femmes sur les réserves. C'est une honte que cette égalité n'existe pas déjà. Si une femme décidait de porter cette cause devant la Cour suprême, vous pouvez être certains qu'elle gagnerait facilement, de la même manière que Mme Lovelace a gagné sa cause devant les Nations Unies sur l'égalité entre les hommes et les femmes.

L'autorité fédérale a le pouvoir nécessaire pour changer toute cette situation. Pouvez-vous me dire pourquoi il faut autant de temps pour le faire?

M. Mitchell: Je vais essayer, sénateur, bien que je ne sois pas certain d'y parvenir.

Vous avez dit, et je ne suis pas en désaccord, que le Parlement a le pouvoir de modifier la Loi sur les Indiens. Nous pouvons le faire, mais je suppose que vous pourriez avoir un débat assez substantiel sur la question de savoir si la modification de la Loi sur les Indiens est le meilleur moyen de réaliser votre objectif. Je ne pense pas que vous trouviez beaucoup d'opposition pour ce qui est de l'objectif, mais il pourrait en être autrement pour ce qui est des moyens.

Vous avez également dit — et bon nombre de personnes et moi-même sommes d'accord avec vous — que la Loi sur les Indiens n'est pas le meilleur texte de loi. À maints égards, il s'agit d'un outil du XIXe siècle que l'on tente d'appliquer au XXIe siècle. Par conséquent, modifier la Loi sur les Indiens pourrait bien ne pas être la meilleure façon de réaliser notre objectif. Nous pourrions vouloir envisager plutôt le moyen de l'autonomie gouvernementale. Certains prétendront que c'est quelque chose qu'il appartient à la collectivité de résoudre.

Le sénateur Beaudoin: Vous dites qu'il appartient aux Autochtones de le faire. Je ne suis pas d'accord. C'est notre devoir ici de le faire. Il y a deux ordres de gouvernement dans ce pays — le fédéral et le provincial. Le peuple autochtone a des droits collectifs, mais c'est le Parlement du Canada qui est investi du pouvoir d'améliorer la situation et je ne pense pas que nous devrions attendre l'existence d'un troisième ordre de gouvernement, parce que le pouvoir réside au sein du Sénat et de la Chambre des communes. Nous pouvons faire participer les Autochtones et leur demander ce qu'ils veulent, comme nous devrions le faire. Nous pourrions même modifier la Loi sur les Indiens en totalité. Ce ne serait pas la fin du monde. Il est possible de le faire.

Cependant, à mon avis, un troisième ordre de gouvernement pour les Autochtones n'est pas la solution, parce que la Cour suprême n'a pas encore statué qu'ils avaient un troisième ordre de gouvernement. Le fédéralisme au Canada se passe entre Ottawa et les provinces. Les Autochtones ont un statut spécial. S'il y a une population dans ce pays qui a un pouvoir et qui est distincte, ce sont les Autochtones, en raison de l'article 35.

Cependant, je ne pense pas qu'en 1982, on pensait laisser aux Autochtones, de toutes les régions du Canada, la question d'imaginer un troisième ordre de gouvernement dans les réserves.

M. Mitchell: Je vais commenter cette observation ainsi que l'observation initiale.

Je ne suis pas ici pour dire au comité comment il doit fonctionner, mais il serait instructif, sénateur, de poser cette question aux témoins, non pas en termes d'objectif, mais en termes de processus, à savoir s'ils croient que modifier la Loi sur les Indiens est la meilleure façon de procéder. Il serait intéressant de connaître les opinions exprimées sur cette question.

Pour ce qui est des collectivités qui s'engagent dans la voie de l'autonomie gouvernementale, les articles 15, 25 et 35 de la Charte canadienne des droits et libertés s'appliquent dans toutes les ententes que nous avons signées jusqu'à présent. Il ne s'agit pas de suggérer qu'ils le feront en dehors des dispositions de la Constitution du Canada, mais il s'agit de savoir si oui ou non, par l'intermédiaire de l'autonomie gouvernementale, ces collectivités décideront comment elles appliqueront ces solutions tout en respectant les articles 15, 25 et 35. C'est une perspective légèrement différente de celle que vous présentez, sénateur.

Une des questions importantes — et je suis peut-être naïf ici — , c'est que dans cette situation, il est nécessaire de tenir compte à la fois, dans un même univers, des droits collectifs et des droits individuels; la solution ne doit empiéter ni sur l'un ni sur l'autre type de droits et nous devons trouver une solution qui respecte les deux.

Je suis d'accord avec vous, sénateur. Parce qu'il est nécessaire de faire cela, ce n'est pas une raison suffisante pour dire que la question est trop complexe et trop difficile et que, par conséquent, il faudrait la glisser sous le tapis. Je suis tout à fait d'accord que c'est là la chose à ne pas faire, parce que les iniquités qui existent, ainsi que les conséquences de ces iniquités, sont bien réelles. Nous avons l'obligation de trouver la solution. Je dis que dans la recherche de cette solution, il y a des considérations importantes. En bout de ligne, cela ne nous aidera pas beaucoup de procéder d'une manière que la collectivité en général n'estime pas appropriée.

Le sénateur Jaffer: Monsieur le ministre, comme vous le savez, le ministre précédent nous a demandé d'entreprendre cette étude. À sa demande, nous avons présenté un rapport provisoire. Avant de continuer avec ce travail, et pour ne pas avoir l'impression qu'il s'agit d'un projet de création d'emplois artificiel pour notre comité, il serait utile — et je sais que vous en avez parlé indirectement — de savoir ce que le ministère fera concrètement. J'aimerais que vous nous en parliez.

J'étais également très heureuse de vous entendre parler de l'écart, et je vous en félicite. Pour quelqu'un qui est arrivé récemment dans ce pays, j'ai toujours trouvé que j'avais plus de droits dans ce pays que les femmes autochtones dont les familles vivent ici depuis des générations. Mon inquiétude, c'est que nous avons suscité des attentes, si vous voulez. Nous avons vu et parlé à de nombreuses femmes autochtones. Les sénateurs qui siègent autour de cette table vous diront que ces femmes pensent maintenant que notre comité sera en mesure de régler les problèmes qu'elles ont exprimés.

Je veux en arriver à une question pratique, à savoir celle du logement. Le message le plus fort que nous ont transmis de nombreux témoins portait sur cette question. J'aimerais beaucoup, monsieur le ministre, que vous puissiez nous dire ce que vous faites en réponse à l'étude provisoire sur le logement. Quelles sont les mesures immédiates que le ministère prend? Et j'ai d'autres questions sur ce sujet.

M. Mitchell: Je suis d'accord avec vous, sénateur, pour dire que cette question particulière est liée à celle du logement. Il y a une pénurie de logements dans les collectivités des Premières nations.

Je pense que nous devons traiter cette question selon deux grands axes. Premièrement, nous avons besoin de faire une distinction avec ce que j'appellerais le besoin de logement social. Ce besoin est différent selon les différentes collectivités des Premières nations. Il y a certaines collectivités où la très grande majorité des logements seront du logement social. C'est la réalité à laquelle sont confrontées ces collectivités.

J'en reviens à l'idée de sortir des sentiers battus et de saisir l'occasion pour envisager des solutions qui peuvent être différentes. Il pourrait y avoir des moyens, et j'ai déjà signalé au chef national et à l'APN ma volonté de travailler avec eux, de trouver des solutions créatives pour le logement, où vous pourriez envisager un processus semblable à celui du marché — et j'utilise cette expression directement, délibérément, parce qu'il ne s'agirait pas d'un marché comme nous pouvons le concevoir. Nous pourrions envisager des processus qui permettent d'attirer des partenaires dans le processus de création de logements sur les réserves. Certaines Premières nations l'ont fait.

Ce faisant, je pense qu'il est important de rester conscient que les Premières nations ne sont pas toutes identiques. Une solution qui pourrait fonctionner en Colombie-Britannique pourrait ne pas le faire en Ontario. Nous devons en tenir compte.

Cependant, j'ai l'intention de travailler avec les fonctionnaires de mon ministère, l'APN, les autres Premières nations et les groupes autochtones, pour élaborer des approches différentes, des approches qui pourraient être efficaces pour faire face au problème du logement.

Lorsque nous parlons de combler l'écart, cela doit en faire partie, parce que cela fait partie de l'écart. Il y a interaction réelle avec cette question; il y a interaction entre la question du logement et de nombreuses autres questions également. Si vous n'avez pas un logement approprié, il est difficile d'envisager d'autres questions, comme l'éducation. Il y a toute une série de problèmes. Nous sommes prêts à travailler avec l'APN et d'autres organismes.

Au plan philosophique, une des approches fondamentales que j'applique dans ce portefeuille, c'est que le changement doit survenir à la suite d'une collaboration avec les collectivités des Premières nations. La connaissance ne réside pas nécessairement au 21e étage du ministère des Affaires indiennes et du Nord, à Hull. La connaissance réside en grande partie dans les collectivités elles-mêmes. C'est notre capacité d'aller chercher cette information et notre capacité de bâtir des solutions à partir de zéro qui nous permettront, à terme, de réussir.

Le sénateur Jaffer: Monsieur le ministre, je vous félicite d'avoir dit que la connaissance ne réside pas à Ottawa ou dans votre ministère, au 21e étage à Hull, et sur le fait qu'il faut un effort de collaboration. Cependant, je crois également que la responsabilité est ici à Ottawa. Nous devons prendre la responsabilité et nous assurer qu'il y a du logement. C'est la responsabilité qui incombe aux dirigeants et nous sommes également les dirigeants de ces femmes autochtones. Ma préoccupation est la suivante: quelles sont les étapes pratiques? Par exemple, à l'heure actuelle, combien de maisons sont construites chaque année par le gouvernement fédéral sur les réserves? Pouvez-vous nous donner cette information?

M. Mitchell: Je n'ai pas l'information ici, mais je l'obtiendrai pour vous.

Le sénateur Jaffer: J'aimerais également savoir à combien le ministère estime-il le nombre d'unités de logement qui seront nécessaires à la grandeur du pays pour répondre aux besoins actuels. Certains témoins nous ont dit que si un conjoint meurt, on demande parfois au survivant de déménager ailleurs parce qu'il n'y a pas suffisamment de logements et que ces gens n'ont pas les contacts qu'il faut pour rester dans le même logement.

Un grand nombre de ces problèmes sont liés à la question très pratique du nombre de logements disponibles. Je vous félicite de vouloir sortir des sentiers battus, mais que prévoit-on faire pour offrir des logements additionnels? Cette question est au coeur des témoignages que nous avons entendus.

M. Mitchell: J'obtiendrai les données statistiques que vous désirez. Il ne fait aucun doute qu'elles montreront un écart.

Je l'exprime un peu différemment, mais je le fais parce que je pense que c'est important. Je vois et j'accepte la responsabilité qui incombe au gouvernement fédéral. Cependant, ce n'est pas simplement une question d'aller sur place et de bâtir des logements. À mon sens, la question est d'être en mesure de renforcer l'autonomie des collectivités pour qu'elles aient la possibilité de construire du logement pour leurs membres. C'est important, parce que le type d'habitation qu'elles pourraient vouloir bâtir pourrait différer d'une collectivité à l'autre. Les types de partenariats qui seront accessibles seront différents d'une collectivité à l'autre. L'idée est de fournir les outils nécessaires aux Premières nations.

Dans certains cas, il pourrait s'agir de leur fournir les outils pour leur permettre de rassembler des capitaux sur le marché pour qu'ils aient l'argent à investir dans le logement. Ce n'est pas un outil qui fonctionnera partout, mais il y a certains cas dans votre province, par exemple, où cela pourrait très bien fonctionner. Il y a d'autres endroits, par exemple dans le nord de l'Ontario et, je présume, dans certains endroits au Québec, où cela pourrait ne pas être pratique.

Je veux travailler avec le chef national, son organisation et avec d'autres organismes pour déterminer quels types de modèles et d'approches nous allons adopter. Cela ne veut pas dire que, pendant que nous essayons d'élaborer ces nouvelles approches, nous ne ferons rien entre-temps, mais cela veut dire que cela fait partie intégrante de la façon dont nous allons progresser. Trouvons ces façons innovatrices. Trouvons des façons de créer des partenariats, là où cette solution sera possible.

Je suis bien la dernière personne à vouloir suggérer qu'il y a une solution qui s'applique à toutes les situations et qu'il y a une certaine panacée qui permettra de régler le problème dans sa totalité, parce que ce n'est pas le cas.

La présidente: Monsieur le ministre, vous avez parlé de logement social un peu plus tôt. Je veux que figure au compte rendu le fait que le logement peut être social, mais que cela ne diminue pas la pénurie à laquelle sont confrontées les collectivités autochtones. Appelez-le logement social ou quoi que ce soit d'autre, il reste qu'il y a une pénurie criante de logements dans les collectivités.

Sénateur Plamondon: Je veux faire des observations sur les approches. Vous avez proposé un code de principes. Chaque fois qu'on fait cette suggestion, parce que j'ai travaillé sur différents codes dans d'autres organisations, je pense que c'est pour éluder la question et gagner du temps, de manière à ne pas avoir à légiférer. Je me demandais s'il n'y a pas d'autres études qui sont en cours de réalisation dans votre ministère et si vous proposez un code de principes pour gagner du temps de manière à ce que ces autres études puissent être terminées. Le problème est connu. Le principe, c'est la justice et l'équité. Je procéderais par voie législative pour résoudre le problème, parce que dans un code, il n'y a pas de sanctions, uniquement des principes. Avec une loi, il y a des sanctions. Je pense qu'il est grand temps que nous ayons recours à la loi.

M. Mitchell: Sénateur, pour que ce soit clair pour vous et pour le comité, il n'est pas dans mes intentions, ni dans celles du ministère, d'éluder la question ou d'y échapper. Il s'agit d'un problème réel qui a des conséquences réelles sur la vie des gens et il faut y trouver une solution. Sans vouloir préjuger du résultat des consultations ou des recommandations du comité — cela pourrait très bien comprendre un texte de loi —, c'est le choix du véhicule législatif que nous utiliserons qui est également en jeu et qu'il faut prendre en considération. S'il s'agissait d'une modification directe de la Loi sur les Indiens, un gouvernement provincial pourrait faire des difficultés, parce que cela pourrait susciter un conflit avec d'autres parties de la Loi sur les Indiens qui traitent de la collectivité. Nous devons être conscients de cela.

Nous avons fait une quantité de travail importante sur cette question. Nous sommes heureux de partager cette information avec vous. L'idée que j'avais lorsque j'en ai parlé, c'était de demander au comité s'il voulait ajouter quelque chose ou approfondir cette question, ou me dire: «C'est une idée sotte, monsieur le ministre; je me demande même pourquoi vous voudriez suggérer cela dans un code». Cela pourrait très bien être une des suggestions formulées. Si, à un moment donné, vous décidez de régler ce problème, que ce soit par l'intermédiaire de l'autonomie gouvernementale ou, disons, d'une délégation d'autorité en vertu de la Loi sur les Indiens à des Premières nations individuelles, vous pourriez vouloir un ensemble de principes, selon votre description, sénateur, qui servirait de fondement à l'élaboration des codes des collectivités individuelles.

Par exemple, vous pouvez avoir un principe qui dit que vous devez avoir l'égalité entre les sexes dans la façon de traiter cette question. Je pense que nous, autour de cette table, dirions que c'est là une donnée incontournable, mais il y aurait une série de questions. Nous devons réfléchir pour savoir comment vous allez traiter la solution, dans l'optique d'un code. Ce code sera utile peu importe la façon que vous vous y prenez. Si vous décidez de le faire par l'intermédiaire d'une forme d'autonomie gouvernementale ou d'une délégation d'autorité de sorte que les collectivités règlent elles-mêmes le problème, alors, vous avez un ensemble de principes. Si vous décidez de le faire directement par des modifications à la Loi sur les Indiens, je soupçonne que l'ensemble de principes qui seraient élaborés serait celui qui trouverait son chemin jusque dans le texte de loi. Ce n'est pas un travail inutile, peu importe comment vous faites les choses. C'est un travail important à faire.

Le sénateur Watt: Monsieur le ministre, je vous offre moi aussi mes félicitations. Je vais tenter d'aborder ce que vous nous avez présenté comme étant le noeud du problème, à savoir les droits individuels par opposition aux droits collectifs. Si l'on remonte aux premières années de nos négociations avec le gouvernement, qu'il s'agisse du gouvernement provincial ou fédéral, nous estimions alors que nous finirions un jour ou l'autre par trouver une manière d'opérer un rapprochement entre les deux parties. Je pense que nous sommes maintenant engagés dans cette voie. Tout au moins, les particuliers et les collectivités en cause commencent à faire ressortir le fait qu'il s'agit là d'un problème auquel il faut remédier.

Ce n'est pas un problème facile, parce qu'il tient non seulement à la question des biens fonciers dans les réserves, mais aussi aux problèmes potentiels qui peuvent surgir dans d'autres domaines, par exemple le fait que les sociétés sont considérées en droit comme une personne artificielle, laquelle représente les gens au nom de la collectivité, ce qui pose un problème de temps en temps, autrement dit, une notion collective qui a prépondérance sur les intérêts d'une personne individuelle. C'est également un aspect qu'il faut examiner sérieusement si nous voulons progresser dans l'atteinte d'une solution au problème du conflit entre les droits individuels et les droits collectifs.

Nous, les Inuits, avons toujours su qu'un jour ou l'autre, il nous faudrait trouver un mécanisme pour nous protéger contre nous-mêmes.

Comment y arriver? Une manière de le faire serait de légiférer. Je vais vous donner un exemple qui pourrait nous rapprocher de la réponse. Les ministères qui administrent les ententes qui sont les traités de l'ère moderne sont ceux-là même qui éprouvent différents problèmes lorsque les gens fonctionnent et vivent sous le régime de la Loi sur les Indiens.

Cela revient à ce que j'ai dit tout à l'heure. Les sociétés prennent des décisions au nom de tous. Ces décisions peuvent très bien être prises à l'extérieur de la collectivité, mais il n'en demeure pas moins que c'est la société qui prend la décision.

Je suis nouveau à ce comité. C'est la première fois que je participe aux travaux de ce comité. J'aurais voulu en être membre avant, mais je le suis maintenant et mieux vaut tard que jamais. Je voudrais proposer une solution potentielle. Il nous faut notre propre déclaration des droits. Il faut une déclaration des droits des peuples autochtones. En l'absence d'une déclaration des droits, les Autochtones seront toujours aux prises avec ce conflit entre les droits individuels et collectifs.

Le comité s'efforcera de trouver une solution, mais seulement à partir de ce que vous avez fait jusqu'à maintenant. Vous devez aller beaucoup plus loin pour trouver les solutions.

Je ne suis pas certain qu'aujourd'hui, en l'absence d'une tentative sérieuse et solide et de la volonté politique qui l'accompagne, nous soyons vraiment sérieux pour ce qui est de mettre en oeuvre l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Je ne crois pas que nous allons dresser un portrait complet de la déclaration des droits à laquelle je fais allusion, parce que cela va ensemble. La déclaration des droits vient en premier, et l'autre suit. Peut-être pourrons-nous établir ultérieurement un mécanisme que nous pourrions appliquer pour modifier la déclaration des droits de temps à autre, selon la rapidité de la mise en oeuvre des droits constitutionnels. Voilà les facteurs que je perçois et sur lesquels il faut se pencher sérieusement. En l'absence d'une solide volonté politique de la part de notre gouvernement, je pense que nous ne ferons que nous agiter sans résultat.

Je sais que le premier ministre et que vous, à titre de ministre responsable du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, souhaitez sortir des sentiers battus et faire preuve de créativité pour trouver de nouvelles idées et de nouvelles formules.

À titre de sénateur autochtone, je demande au gouvernement de ne plus se contenter de voeux pieux. Soyons sérieux, passons aux actes et commençons à mettre en oeuvre ce qui est déjà inscrit dans la Constitution. Nous devons nous en accommoder. C'est déjà là. Il n'y a rien que nous puissions y faire.

Il n'est pas question de nouveaux droits. Il n'est nullement question de rouvrir le dossier constitutionnel. Il y a une manière de mettre cela en oeuvre en légiférant. C'est un domaine que nous pourrions utiliser comme point de départ pour commencer à élaborer la déclaration des droits, même si la Constitution n'est pas encore mise en oeuvre. Ainsi, nous commencerons à discerner ce qu'il nous faut faire par ailleurs. Il faut bien commencer quelque part.

Si j'ai bien compris la situation, il est urgent de régler le problème des droits relativement aux biens fonciers matrimoniaux. Il faut agir. Compte tenu de l'information dont nous disposons, nous devrions commencer à formuler une solution et à l'inscrire dans le projet de loi. Laissons de côté pour l'instant une éventuelle modification de la Loi sur les Indiens. Remettons cela à plus tard, beaucoup plus tard.

Quand on commencera à mettre au point les dispositions nécessaires, et il faut que ce soit inscrit à l'ordre du jour du gouvernement, alors nous pourrons commencer à nous inquiéter d'une éventuelle modification de la Loi sur les Indiens, mais pas avant. Voilà quel a été notre problème, je veux dire essayer de commencer par quelque chose que nous devrions plutôt remettre à une date ultérieure.

M. Mitchell: Sénateur Watt, je vous remercie pour votre intervention. En abordant cette question, l'ensemble des dossiers autochtones et dans vos discussions avec moi, vous tablez sur un bagage d'expérience accumulée tout au long de votre vie. Je vous suis reconnaissant d'être disposé à partager cette riche expérience.

C'est intéressant d'écouter les différents membres du comité autour de la table exposer leurs différents points de vue sur la manière de procéder, non pas sur la solution, mais bien sur la manière de procéder. Ce sont des conseils de ce genre de la part du comité qui me seront utiles.

Je n'ai pas l'intention d'éluder la question. Le sénateur Jaffer a évoqué un programme de création d'emplois. Ce n'est pas du tout le cas. Il existe un problème véritable et considérable pour un grand nombre d'Autochtones et de membres des Premières nations, principalement des femmes. Nous avons l'obligation de travailler avec elles pour trouver une solution. Nous sommes sur la même longueur d'ondes. Nous devons procéder d'une manière satisfaisante en utilisant le mécanisme approprié. Nous devons le faire d'une manière qui nous donnera peut-être une solution à court terme, pendant que nous tentons de résoudre les questions qui se posent à moyen terme. Nous devons le faire dans un contexte constitutionnel. Je ne suis pas en désaccord avec le sénateur Watt. J'ajouterais qu'il faut également s'attaquer aux articles 25 et 15, en plus de l'article 35. Notre objectif doit être de trouver une manière de mettre en application l'ensemble de ces articles, dans le même univers et durant la même période pendant laquelle nous nous efforçons de résoudre ce problème.

Le sénateur Beaudoin: Monsieur Mitchell, vous avez dit qu'une modification de la Loi sur les Indiens n'est pas la seule manière de résoudre le problème. Pouvez-vous me dire quelle est la meilleure manière? Est-il préférable de s'en remettre à chaque bande indienne ou à chaque province?

Certains domaines législatifs sont de ressort fédéral et d'autres sont de ressort provincial. La compétence sur les Autochtones a été conférée à l'autorité centrale. Depuis 1982, ils ont une sorte de déclaration des droits, l'article 35, qui stipule qu'ils possèdent des droits collectifs. Quand ils s'adressent à la Cour suprême, la plupart du temps, ils ont gain de cause. Les juges de la Cour suprême sont plutôt généreux, et j'en suis content.

Le sénateur Watt: Ils ne sont pas tellement généreux, ils ne font que respecter la Constitution.

Le sénateur Beaudoin: C'est vrai, mais c'est déjà quelque chose.

La Cour suprême a adopté un principe de droit voulant que si l'on peut prouver qu'un droit issu des traités existe, même en l'absence de tout document, en se fondant uniquement sur un témoignage verbal, la cour déclare que le droit en question existe effectivement.

Ils ont des droits que je ne possède pas. Je suis d'accord avec cela. Je n'ai aucune objection à cela. Je suis d'accord avec l'ensemble des droits collectifs. Cependant, vous dites que la première solution, à savoir une modification adoptée au Parlement, n'est pas nécessairement la meilleure. Nous devrions peut-être nous en remettre aux peuples autochtones. Il y aura de nombreuses différences d'une province à l'autre. Il y aura de nombreuses différences d'une bande indienne à l'autre. Qu'en sera-t-il alors de la loi?

Au Québec, nous avons un code civil; cela fonctionne bien. Les autres provinces ont la common law; cela fonctionne bien également. Cependant, cette common law ne change pas de Toronto à Kingston à Montréal à Québec. C'est la loi du Québec et c'est la loi des autres provinces. Nous avons des Autochtones dans toutes les régions du Canada, si je ne me trompe pas. Si l'on s'en remet aux bandes indiennes dans les réserves pour régler cette question, je ne pense pas que nous réussirons.

Il nous faut une seule loi pour le pays tout entier. Si la loi varie d'une province à l'autre, nous pouvons stipuler dans une loi fédérale ce que les Autochtones peuvent faire. Je suis d'accord avec cela. Cependant, nous devons avoir une législation uniforme dans cette immense pays qui est le nôtre. Pour en arriver à un régime qui soit efficace, je ne vois pas d'autre solution.

La présidente: Sénateur Beaudoin, on est actuellement en train de négocier l'autonomie gouvernementale sur une base individuelle. Cela ne se fait pas à l'échelle de la province, mais bien bande par bande.

Le sénateur Beaudoin: Chaque bande a sa propre loi?

Le sénateur Jaffer: Oui.

Le sénateur Beaudoin: Cela fonctionne-t-il? Je ne vois pas comment cela peut fonctionner.

La présidente: Peut-être leur faut-il leur propre déclaration des droits.

Voulez-vous un troisième ordre de gouvernement dans la fédération canadienne?

Le sénateur Watt: Je pense que nous devrions négocier pour voir si l'on peut nous faire de la place. C'est tout ce que nous demandons.

Le sénateur Beaudoin: J'accepte, en principe, parce que c'est dans la Constitution, qu'à chaque fois que le Parlement du Canada légifère, nous devrions consulter les Autochtones.

Le sénateur Watt: Seriez-vous disposé à faire un pas de plus et à nous faire de la place?

Le sénateur Beaudoin: Oui, parce que je respecte les Autochtones.

Le sénateur Watt: Êtes-vous en train de me dire que non seulement vous êtes prêt à me consulter, mais que vous êtes aussi disposé à me faire de la place?

Le sénateur Beaudoin: Cela dépend de la définition que vous donnez du mot «place».

Le sénateur Watt: Faire de la place; nous donner un siège.

Le sénateur Beaudoin: Chaque semaine, au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, nous nous penchons sur le Code criminel. Le Code criminel est le même dans toutes les provinces, à quelques menues différences près. Un code autochtone devrait être le même d'un bout à l'autre du pays. Si vous soutenez que nous devons accorder un traitement spécial à certaines populations, je suis certainement disposé à écouter cet argument.

Je crois sans réserve à l'égalité. Le plus important dans la Constitution, c'est l'égalité entre l'homme e la femme.

Le sénateur Watt: Le problème est que nous ne pouvons pas mélanger des pommes et des oranges.

La présidente: Monsieur le ministre, voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Mitchell: Le sénateur Beaudoin a demandé si cela fonctionnait. Comme je l'ai dit au comité, nous avons actuellement des ententes d'autonomie gouvernementale qui sont en vigueur, et elles ne sont pas toutes exactement pareilles. Ce serait un exercice utile pour le comité de discuter avec les collectivités pour savoir quels en sont les résultats.

Comme le montrent les observations des deux sénateurs siégeant de part et d'autre de la table, il y a des divergences d'opinion quant à la meilleure manière de procéder. En réfléchissant aux différents points de vue et en écoutant les opinions sur le meilleur moyen de s'y prendre, après avoir consulté les témoins que vous convoquerez, le comité pourra jouer un rôle utile. Je vous fais cette demande non pas dans une tentative pour retarder la solution, mais plutôt pour nous assurer d'avoir la bonne solution. Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas très patient devant la lenteur des processus. J'aime aboutir à des résultats. Cela vient peut-être des 20 ans que j'ai passés dans le secteur privé avant d'être élu au Parlement. Je veux obtenir des résultats. Cependant, pour trouver la bonne solution, il nous faut des résultats positifs et utiles qui nous permettront de résoudre le problème.

Le sénateur Jaffer: Monsieur le ministre, nous avons publié un rapport provisoire parce que nous avions le sentiment que nous devions faire quelque chose après avoir entendu de nombreux témoins. J'ai demandé si c'était un projet de création d'emplois non pas parce que je ne prends pas la question au sérieux, mais parce que nous ne serons pas jugés crédibles si nous faisons encore un autre rapport avant d'opérer le moindre changement dans la foulée de ce rapport provisoire. Si tel doit être le cas, nous n'avions nul besoin de faire un rapport provisoire.

Par conséquent, monsieur le ministre, je crois que nous devons travailler de concert avec votre ministère pour aboutir à des solutions pratiques avant d'aller plus loin. Je ne parle pas de manoeuvres de grande envergure comme de modifier la Loi sur les Indiens. C'est d'une trop vaste portée pour aujourd'hui.

Nous aimerions par exemple constater une différence dans le domaine du logement, en conséquence de notre rapport intérimaire. Dans son rapport, la vérificatrice générale a dit qu'il faut 8 500 maisons dans l'ensemble du pays. Pourtant, au Québec seulement, ils disent qu'il y a une pénurie de 7 000 maisons.

Je me concentre sur des aspects pratiques comme le logement parce que je crois que vous pouvez faire une différence. Vous avez parlé d'outils. Les outils doivent s'accompagner de ressources et je crois que notre gouvernement doit fournir immédiatement les ressources voulues pour remédier au problème du logement.

Quand je demande si c'est un projet de création d'emplois, je demande en fait si l'on est encore en présence d'un rapport qui va s'empoussiérer sur les tablettes. Ayons l'esprit pratique. Il y aura bientôt des élections et nous serons donc encore en train de discuter de ce rapport l'année prochaine.

Nous ne pouvons pas réinviter les témoins que nous avons déjà entendus, les regarder dans les yeux et leur dire que nous avons fait quelque chose, parce que ce n'est pas vrai. Si nous sommes incapables de faire quoi que ce soit, nous ne devrions pas créer des attentes.

La présidente: Je suis entièrement d'accord avec le sénateur Jaffer.

M. Mitchell: Je répondrai à cette question de diverses manières.

Premièrement, en ce qui concerne spécifiquement la question du logement, aussi importante soit-elle, elle est beaucoup plus vaste et ne se limite pas exclusivement au problème des BIM. Il faut s'attaquer à ce problème dans un contexte beaucoup plus large, et l'on s'y attaque d'ailleurs. Si l'on réglait le problème du logement sans toucher à quoi que ce soit d'autre par ailleurs, cela ne réglerait nullement le problème des BIM. Nous devons concentrer précisément nos efforts sur une question en particulier.

Pour ce qui est des travaux futurs du comité, le comité a fait certaines recommandations jusqu'à maintenant et l'on s'affaire en ce moment même à donner suite à certaines de ces recommandations. Je suis d'accord avec la vision qui est exprimée dans les ententes d'autonomie gouvernementale et, pour l'essentiel, nous allons de l'avant.

Le sénateur Jaffer: Pouvez-nous dire en quoi les mesures que vous avez prises ont fait une différence?

M. Mitchell: Par exemple, dans l'entente Nisga'a, une loi provinciale s'appliquera. Il y a une entente d'autonomie gouvernementale aux termes de laquelle, à cause de la forme de l'entente et des décisions prises par les Premières nations dans le cours des négociations, la loi provinciale s'appliquera. C'est un modèle sur lequel le comité pourrait se pencher.

Le sénateur Jaffer: Si je me rappelle bien, l'entente Nisga'a était en place avant que notre comité commence à étudier cette question. Je veux parler des négociations qui sont en cours.

Est-ce que cette question est abordée? Nous aimerions connaître les détails de ces négociations pour avoir la satisfaction de savoir que nous avons été entendus.

Nous avons le sentiment que vous accueillez très favorablement notre travail et nous vous en sommes reconnaissants, mais il nous faut plus que cela. Pour poursuivre nos travaux, nous avons aussi besoin de savoir qu'il y a des changements, même si ce ne sont que des changements infimes. Si une femme venait s'asseoir à votre place et nous demandait: «Quelle différence votre rapport provisoire a-t-il fait»? j'aimerais pouvoir lui dire que l'on a construit quatre maisons.

Vous avez été un homme d'affaires avant d'entrer en politique. Je suis une personne pratique. Avant d'aller plus loin, je veux pouvoir dire que notre rapport provisoire a fait une différence.

M. Mitchell: Je vais répondre à cela, sénateur, mais je tiens à apporter une précision: si vous mesurez le succès de votre comité au nombre de maisons qui sont construites, alors je ne crois pas que ce soit la bonne mesure.

Le sénateur Jaffer: Ce n'est pas ce que je dis, et vous le savez. Je dis qu'avant d'aller plus loin, nous devons pouvoir dire aux femmes qui ont comparu devant nous que nous avons formulé des recommandations et que monsieur le ministre a pris telle ou telle mesure. En l'absence de cela, nos efforts pour aller plus loin ne seraient pas crédibles.

M. Mitchell: Le comité a formulé dans son rapport provisoire trois grandes suggestions sur lesquelles on est en train de se pencher. Premièrement, il y a toute la question de faire comprendre au gouvernement que les BIM sont une question à prendre en compte dans les négociations d'autonomie gouvernementale. Il faut examiner ce qui s'est fait jusqu'à maintenant et en tirer les leçons. Par contre, il faut aussi se tourner vers l'avenir. Le comité a insisté sur ce point. C'est un argument valable et le gouvernement l'accepte assurément.

Deuxièmement, vous avez exprimé l'opinion qu'il est important d'essayer d'élaborer un code. Le comité en a fait la suggestion. Je suis d'accord et je dis que nous y travaillons. Il reste du travail à faire dans ce dossier et nous nous faisons un plaisir de le faire conjointement avec le comité.

Le comité a fait une autre suggestion, et je dis qu'il faut l'étoffer davantage. Le comité s'est penché sur une approche législative en particulier. Je vous dis que oui, c'est peut-être une option, mais qu'il est peut-être important également de considérer les autres possibilités qui pourraient fonctionner en matière législative, qu'il s'agisse de la Loi sur les Indiens, de l'autonomie gouvernementale ou d'un quelconque autre outil législatif. En ce sens, le travail du comité est pris en compte.

J'ai déjà été président de comité dans le passé. Je suis d'avis que du travail a été fait et que des suggestions ont été formulées. Il reste beaucoup de travail à faire pour déblayer le terrain dans ce dossier.

Nous nous pencherons sur la question des biens immobiliers matrimoniaux. Le comité peut jouer un rôle important dans cet examen. Comme je l'ai dit dans mon allocution, il existe une injustice qui a une incidence négative sur la vie des gens et nous sommes dans l'obligation d'y remédier. À mon avis, nous devons assumer cette obligation dans un esprit de collaboration avec les Premières nations et les Canadiens autochtones. Nous devons le faire d'une manière qui sera efficace et qui débouchera sur la protection et l'égalité que nous recherchons.

Le sénateur Jaffer: Monsieur le ministre, j'ai cru vous entendre dire que vous allez vous pencher sur la question du droit de propriété des biens immobiliers matrimoniaux. Pouvez-vous expliciter votre pensée? Que voulez-vous dire par là, monsieur?

M. Mitchell: Premièrement, par l'entremise de votre comité, à titre d'exemple, et d'autres manières également, il faut établir des conversations — j'ai utilisé le mot «conversation», mais il y aurait probablement un mot plus juste — avec les Premières nations et les collectivités autochtones.

Comme nous commençons à acquérir un bagage d'enseignements tirés de nos ententes d'autonomie gouvernementale, nous devons en examiner l'incidence concrète. Il sera également nécessaire, dans le cadre de la Loi sur la gestion foncière, d'examiner les ententes fonctionnant dans le cadre de ce régime particulier et d'en étudier l'impact. Il faut également — et je crois que c'est important — mettre au point un code de principes qui devraient s'appliquer, que ce soit dans le cadre d'un régime d'autonomie gouvernementale, au moyen d'un changement apporté à la Loi sur les Indiens ou dans un régime de délégation. C'est du travail important qu'il faut effectuer également.

Il serait logique d'examiner l'expérience des États-Unis. Bien que je n'aie pas fait d'analyse approfondie de leur rapport, j'ai noté certaines observations générales sur le système américain et il pourrait y avoir des leçons à en tirer. Il y a une série d'activités qui se déroulent en ce moment même, avec l'objectif de trouver la solution idoine.

J'en reviens à mon allocution préliminaire. Nous essayons de trouver une solution unique qui englobe les articles 15, 25 et 35. Si l'on aboutit à une solution qui règle le cas de l'article 15 mais qui laisse de côté les articles 25 et 35, on ne pourra pas la mettre en oeuvre de manière satisfaisante. De la même manière, si l'on règle le cas de l'article 25 en laissant de côté l'article 15, je ne pense pas que l'on puisse aller très loin non plus. Il faut régler le problème d'une manière globale recouvrant l'ensemble de ces dispositions. Je crois que le travail du comité progresse dans cette voie. Je crois que mes fonctionnaires progressent dans cette voie également.

J'aimerais pouvoir dire: «J'ai trouvé la solution. Voici exactement la manière de procéder. J'ai obtenu l'appui de tous pour la mettre en oeuvre et je vais le faire tout de suite». Ce serait la solution idéale. Je ne pense pas que nous en soyons là, pas encore. Cependant, ce n'est pas parce que c'est un problème épineux et difficile qu'il ne faut pas s'efforcer de trouver la solution appropriée.

Le sénateur Jaffer: Monsieur le ministre, si légiférer ou trouver des solutions était aussi facile que de savoir exactement quoi faire, cela aurait déjà été fait.

Ma seule expérience d'une loi qui a fonctionné date de 20 ou 25 ans, dans le dossier de la conduite en état d'ébriété. Les attitudes étaient différentes. Je ne dis pas que c'est la même chose dans le cas qui nous occupe, mais nous avons légiféré; il y a eu un changement d'attitude; ensuite, nous avons adopté une nouvelle loi qui a débouché sur un nouveau changement d'attitude. Je dis que nous n'avons pas nécessairement besoin d'une loi, mais il nous faut quelque chose pour amorcer le mouvement. Nous ne pouvons pas attendre la solution idéale. Je ne dis pas qu'en fournissant des logements, nous réglerions le problème, mais c'est un début.

Je vous invite aussi à réfléchir à ce que nous avons entendu de la part de nombreux témoins, à savoir la situation des gens qui vivent en union de fait. La situation des femmes mariées est mauvaise, mais c'est encore pire pour les femmes qui vivent en union de fait. Je ne veux pas que l'on oublie cette question, parce qu'il y a beaucoup de femmes qui vivent en union de fait. Votre ministère possède-t-il des chiffres sur le nombre de personnes qui vivent en union de fait et avez- vous réfléchi à la manière d'accorder la protection maximum à ces femmes?

M. Mitchell: J'ignore si nous possédons des chiffres sur le nombre d'unions de fait, mais je vais vérifier.

Je veux commenter votre première suggestion, sénateur Jaffer, parce que je suis d'accord avec vous pour dire qu'il faut que les gens affrontent la réalité en face, si je peux m'exprimer ainsi. C'est pourquoi j'ai dit dans mon allocution — vous n'étiez peut-être pas présente dans la salle à ce moment-là — que les activités de diffusion que nous menons en matière d'éducation, le travail de recherche que nous faisons, la nécessité de faire en sorte que les gens participent et aient accès à toute l'information voulue, tout cela est essentiel. Pour que les gens adoptent un point de vue différent, il est important qu'ils aient toute l'information voulue et une information facilement utilisable.

Je crois que cela fait partie de ce que nous devons faire à court terme. Nous sommes déterminés à le faire.

Le comité a fait savoir que c'était un élément important de ce que nous devons faire et je suis entièrement d'accord avec cela. Les fonctionnaires y travaillent et prennent un certain nombre de mesures pour s'assurer que cela se fasse. Vous avez raison. Il doit y avoir une discussion et une compréhension de cette question mettant en cause le plus grand nombre de personnes possible, les membres des Premières nations, les Autochtones aussi bien que la population canadienne dans son ensemble. Cette question doit être bien comprise et discutée sur la place publique.

La présidente: Monsieur le ministre, je me demande si vous pourriez envisager que votre ministère entreprenne une consultation massive, au lieu de compter sur notre comité pour entendre le plus grand nombre possible de témoins et vous remettre encore un autre rapport qui pourrait se retrouver sur les tablettes. Si vous commencez à essayer de résoudre le problème de votre côté, avant d'en arriver à un règlement négocié, ce que l'exécutif a entrepris de faire, le Parlement ratifiera ce que l'exécutif voudra bien décider dans ce dossier. Vous, en tant que membre de l'exécutif, serez responsable de formuler les recommandations voulues. Votre ministère a également du travail à faire et je pense que ce travail aurait dû être fait depuis au moins 10 ans. Notre comité ne peut pas tout faire seul. Votre ministère doit se mettre en branle dans ce dossier et peut-être revenir nous voir à l'avenir, peut-être dans un mois, quand vous aurez eu le temps de faire un peu de consultations, de voir ce que avez à offrir et ce que les collectivités autochtones jugent acceptable. Est-ce possible?

M. Mitchell: J'ignore si c'est possible de faire tout cela en un mois, sénateur.

La présidente: Peut-être deux, au besoin.

M. Mitchell: Je conviens qu'il est nécessaire d'avoir cette discussion, que nous le fassions directement ou par l'entremise de très bonnes organisations qui existent et qui font de l'excellent travail et qui pourront peut-être nous aider. C'est certainement une possibilité.

J'en reviens à ma déclaration d'ouverture: je cherche une manière de travailler avec le comité. Il ne s'agit pas de dire: «Vous avez étudié la question; il n'est pas question que nous le fassions», ou l'inverse. Je veux travailler en collaboration avec le comité pour élaborer des solutions. Le Sénat a énormément d'expertise parmi ses membres et je veux utiliser la sagesse qui réside en cette enceinte.

La présidente: Je lisais ce matin dans le journal que nous avons un tiers monde chez nous, dans notre arrière-cour. Je n'aime pas lire des manchettes de ce genre. Je ne pense pas que le Canada devrait laisser sans broncher les journaux publier de telles manchettes.

Le sénateur Watt: J'en reviens au point que vous avez soulevé quand vous avez répondu au sénateur Jaffer au sujet des articles 25, 35 et 15. À moins de régler le cas de tous ces articles, il vous sera impossible d'en arriver à ce que vous recherchez.

Si ma mémoire est fidèle, l'article 15 traite du droit à l'égalité entre les hommes et les femmes. Je suppose que ce droit existe dans certaines collectivités autochtones, mais pas nécessairement dans chaque réserve ou chaque communauté. Je veux dire que nous ne remettons pas en question notre égalité. Quand il s'agit de l'article 15, cela va sans dire. Cela existe. Nous ne voulons pas remettre en question l'article 15. C'est important. N'y touchons pas. N'essayons pas de trouver des solutions de rechange à l'article 15, parce qu'il reconnaît que les hommes et les femmes sont égaux en termes d'égalité des chances ou quoi que ce soit.

L'article 25 est, à mes yeux, un sceau. C'est une disposition de la Constitution qui vise à protéger les droits des peuples autochtones au cas où l'intérêt d'un tiers ou une initiative gouvernementale viendrait faire obstacle aux droits des peuples autochtones. L'article 25 est très important pour nous. C'est l'une des raisons pour lesquelles, quand une mesure législative proposée peut potentiellement avoir une incidence sur nos droits, nous essayons toujours de nous assurer qu'une clause de non-dérogation soit inscrite dans cette mesure législative.

Je l'ai dit assez souvent, au fil des années, et depuis que vous occupez le poste de ministre des Affaires indiennes: nous devons mener les peuples autochtones jusqu'au point où ils pourront être efficaces — et je ne parle pas seulement de consultations, parce que nous vivons cette situation depuis des années et cela ne veut pas dire grand-chose. Ils envoient un document et le font parafer, et s'en servent parfois pour dire «Voilà, je les ai consultés».

Envisagez-vous que des négociations auront lieu, au lieu de traiter l'article 35 à la pièce, comme nous sommes actuellement en train de le faire? Le sénateur Beaudoin en a parlé. Comment cela peut-il fonctionner? Ce n'est pas l'égalité. On se trouve à créer un damier d'un bout à l'autre du pays. Un jour, peut-être dans 10 ou 15 ans, nous reviendrons là-dessus et dirons: «Qu'avons-nous donc fait en 2004, comment avons-nous pu diviser ainsi notre pays en une séries de cases formant un damier»?

Je vais être direct. Que devons-nous faire pour faire comprendre notre message? Il faut de toute urgence mettre en application l'article 35. Tout le reste en découle. Nous laisserons l'article 25 de côté pour voir si nous avons besoin de protection. Peut-être que dans certains cas nous n'aurons plus besoin de protection. Penchons-nous en même temps sur l'article 15 et sa mise en oeuvre pour nous assurer que s'il y a la moindre inégalité entre nos peuples, nous pourrons régler la question.

Il nous faut de véritables négociations sur l'article 35. Envisagez-vous que cela puisse se faire dans un délai raisonnable?

M. Mitchell: Si j'ai bien compris votre question, sénateur, vous demandez si nous pourrions, au lieu de négocier une série d'ententes sur l'autonomie gouvernementale, négocier plutôt de façon générale? Voici ce que j'ai à dire là-dessus: je soupçonne que, dans certains milieux, on dirait que c'est une approche souhaitable. Je dirais que si l'on examine la question du point de vue de l'efficacité et de la rapidité d'exécution, les gens pourraient dire que c'est la bonne manière de procéder. Je soupçonne toutefois que dans d'autres milieux, on émettrait l'opinion suivante: «Est-il possible de faire cela, compte tenu de la diversité des communautés des Premières nations d'un bout à l'autre de notre grand pays? Est-il possible d'avoir un cadre national, négocié à l'échelle nationale, pour ensuite régler les détails au niveau de chaque collectivité»?

Il vaut probablement la peine d'explorer cette possibilité, sénateur, mais pas dans le contexte de votre comité. Encore une fois, je demanderais l'avis des Premières nations et des Canadiens autochtones pour savoir s'il serait valable de procéder de cette manière. Je soupçonne que l'on entendrait des opinions différentes quant à savoir si c'est une bonne idée ou non.

Le sénateur Watt: L'une des difficultés que j'ai constatées au fil des années, c'est que le gouvernement fédéral, en tant qu'instrument central, a la volonté de négocier réserve par réserve ou bien collectivité par collectivité. Je ne dis pas qu'il faut éliminer cela complètement. Il y a des dossiers qui peuvent être réglés au moyen de négociations bilatérales entre la collectivité et le gouvernement fédéral. Je n'en doute absolument pas.

Cependant, mon problème en tant qu'Autochtone — je ne suis pas le seul à penser de cette manière — est que les dirigeants désirent conserver leur système tel quel. Nous avons été divisés et conquis bien souvent dans la manière dont nous traitons avec le gouvernement. Ne pourrions-nous pas tirer les leçons des erreurs passées? Cela ne fonctionne pas. Nous pouvons commencer à dresser la liste de ce qui compte pour la collectivité, de ce qui fait l'objet de négociations bilatérales, et en faire tout un inventaire. En même temps, nous pourrions dresser une liste ou un inventaire de ce qui est d'un intérêt national, ce qui compte pour tout le monde. C'est là que le gouvernement national doit jouer son rôle.

Par exemple, nous avons conclu avec le gouvernement du Québec la convention de la Baie James et du Nord québécois, qui est très satisfaisante, mais les choses ne vont pas très bien quand il s'agit du gouvernement national. Il y a quelque chose qui cloche et il faut y remédier.

Autrement, cela continuera d'être très coûteux pour les Autochtones et pour la population canadienne, je veux dire les contribuables. Nous devons progresser vers l'atteinte d'une solution. Je ne pense pas que nous en soyons encore là, mais je trouve que la porte est ouverte, que la possibilité nous est offerte et que nous devons essayer de régler l'affaire.

Le premier ministre a déjà invité les dirigeants nationaux à participer au niveau du cabinet. Peut-être que cela donnera des résultats concrets qui pourraient déboucher sur une solution. Cependant, l'absence d'un ordre du jour clair n'aide pas les Autochtones dans l'ensemble du pays, pas plus que cela n'aide le gouvernement.

D'autre part, les Autochtones qui sont à l'extérieur du processus disent: «Assurons-nous que le gouvernement ne rédige pas encore d'autres lois pour les Autochtones. Ils en font tout un fouillis. C'est un dossier trop touffu pour s'en occuper maintenant. Faisons-le nous-mêmes». Nous devons nous efforcer sérieusement de mettre en oeuvre l'article 35 afin de régler les deux problèmes et de voir ce que nous pouvons faire collectivement.

La présidente: J'ose dire que vous constateriez énormément de divergences d'opinion sur ce point particulier. Monsieur le ministre, je vous invite à dire le mot de la fin. J'espère que vous nous donnerez l'occasion de vous inviter de nouveau.

M. Mitchell: Madame la présidente, c'est toujours avec plaisir que je viens ici pour discuter avec les sénateurs. Je voudrais terminer brièvement en réitérant notre désir de travailler avec vous à ce dossier particulier ou dans tout autre dossier que l'on pourra soulever. Vous savez, et le premier ministre l'a dit avec insistance et à maintes reprises, toute l'importance des dossiers autochtones pour notre gouvernement et pour lui personnellement. Il est animé du désir de progresser pour combler ce fossé. Il l'a dit d'une manière parfaitement claire.

Je pense que le sénateur Watt a absolument raison de souligner l'importance d'établir des relations entre les Autochtones et le Canada comme partie intégrante de toute solution qui nous permettrait de progresser. Merci.

La présidente: Merci et au revoir. Madame Ginnish et madame Cornet, nous espérons que vous serez également disponibles pour revenir avec le ministre ou seules, au besoin. Je déclare que la séance est levée, non pas que je le souhaite, mais j'en ai l'obligation.

La séance est levée.


Haut de page