Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne
Fascicule 3 - Témoignages du 19 avril 2004
OTTAWA, le lundi 19 avril 2004
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 17 heures, pour examiner la résolution qui renferme la résolution de l'OSCE (PA) mise de l'avant à Berlin en 2002.
Le sénateur Shirley Maheu (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Aujourd'hui, nous allons commencer notre étude de la résolution qui renferme la résolution de l'OSCE (PA) mise de l'avant à Berlin en 2002. Dans le contexte du tragique incendie qui a été allumé récemment dans la bibliothèque d'une école juive de St-Laurent — c'est pratiquement dans ma cour, donc je suis personnellement touchée par cet acte comme par les autres actes de vandalisme dirigés contre la communauté juive canadienne —, il devient extrêmement important que nous nous penchions sur ce problème.
Comme vous le savez bien, les incidents antisémites se multiplient au Canada et ailleurs dans le monde. On remarque que la gravité de ces incidents augmente. Les crimes de propagande haineuse, qu'ils soient perpétrés contre les Juifs ou contre n'importe quel autre groupe de notre société, sont tout simplement irresponsables et inacceptables aux yeux de notre comité.
À la demande du Sénat et du sénateur Grafstein, parrain de cette résolution, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne va se pencher sur la résolution qui a été adoptée à l'unanimité par les États membres à Berlin, en 2002, afin de réfléchir à des solutions possibles pour reconnaître, combattre, condamner et éliminer l'antisémitisme au Canada. Ce faisant, le Sénat s'assurera que le Canada condamne haut et fort cette discrimination et qu'il remplit son rôle de pays membre de l'OSCE. Nous nous sommes toujours fait entendre haut et fort dans ce dossier et nous voulons le rappeler.
Aujourd'hui, notre comité commencera ses audiences en accueillant des témoins du Congrès juif canadien, de B'nai Brith Canada, de la Fondation canadienne des relations raciales, de Statistique Canada, du ministère du Patrimoine canadien et du ministère de la Justice.
Avant de céder la parole à notre premier témoin, le sénateur Grafstein, je vais vous présenter les membres de notre comité. Voici le sénateur Ferretti Barth, du Québec; le sénateur Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique; le sénateur Plamondon, du Québec, et bien sûr, le sénateur Jerry Grafstein, de Toronto.
Je souhaite la bienvenue à tous ceux qui sont parmi nous aujourd'hui, de même qu'à tous ceux qui nous regardent à la CPAC, qui nous écoutent à la radio ou qui suivent nos délibérations sur le site Web du comité. La transcription de nos délibérations sera publiée sur le site Web parlementaire, au www.parl.gc.ca.
Je vous souhaite la bienvenue, sénateur Grafstein.
L'honorable Jerahmiel S. Grafstein: Honorables sénateurs, madame la présidente, je suis profondément honoré d'être ici aujourd'hui pour témoigner devant ce comité. Il est plus facile de siéger à un comité et de poser des questions que de soumettre ses propres idées à l'examen de ses collègues du Sénat, donc je le fais en toute modestie et humilité, en espérant que vous ne serez pas trop durs avec moi, parce que je connais bien votre compétence et votre intelligence à tous.
C'est la troisième fois que je comparais devant un comité du Sénat. La première fois, c'était en vue de l'adoption d'un projet de loi d'initiative parlementaire que j'avais proposé. Il s'agissait du projet de loi sur le poète officiel du Parlement, qui est finalement passé après plusieurs années et qui porte maintenant fruit. Ma deuxième comparution n'a pas été aussi fructueuse. Je défendais un projet de loi visant à modifier la Loi sur les aliments et drogues afin que l'eau soit considérée comme un «aliment». J'espère que cette question sera réexaminée, peut-être dans un contexte différent, pour que nous puissions en reparler.
Aujourd'hui, nous sommes ici pour nous pencher sur une question que je suis de très près, particulièrement depuis deux ans et demi. Laissez-moi vous expliquer pourquoi.
Permettez-moi tout d'abord de vous rappeler brièvement les origines de la résolution de l'OSCE, que renferme cette résolution, adoptée à l'unanimité par le Sénat du Canada et renvoyée au comité pour étude et rapport.
La dernière semaine de mai 2002, j'ai reçu un appel de M. Chris Smith, membre du Congrès du New Jersey et président de la Commission Helsinki du Congrès américain, qui est responsable de la surveillance du processus d'Helsinki, maintenant devenu l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, soit l'OSCE.
Les honorables sénateurs se souviendront que l'Assemblée parlementaire de l'OSCE est un prolongement du traité d'Helsinki inauguré en 1974, lequel a débouché sur le «processus d'Helsinki». Son but était de promouvoir les droits de la personne, la démocratie et la coopération économique dans tous l'espace de l'OSCE.
À titre de trésorier de l'Assemblée parlementaire de l'OSCE, j'ai aussi le privilège de diriger le groupe politique de la réforme démocratique libérale.
Je suis donc le chef d'un groupe partisan en Europe. C'est en ces doubles qualités que j'ai été appelé à participer à l'établissement de cette résolution. Le territoire des États membres de l'OSCE s'étend de Vladivostock à Vancouver, de la Russie à l'Amérique du Nord. Le Canada joue un rôle actif dans deux organisations en Europe: l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, l'OCDE — son unité économique — et l'OSCE. Ce sont les trois tribunes où nous avons une voix, mais les deux tribunes où nous avons une voix parlementaire sont celles de l'OTAN et de l'OSCE.
Ce sont également les deux organismes dans lesquels les États-Unis sont actifs. En ce sens, votre délégation canadienne appuie activement l'organisme et en fait partie depuis 15 ou 20 ans.
Les Canadiens sont actifs à tous les niveaux. M. Clifford Lincoln, député et chef de la délégation canadienne, est également président du comité politique de l'OSCE. Svend Robinson y siège lui aussi. Il fait rapport au comité politique de l'OSCE.
Le nombre des pays signataires, qui était de 15 au début du processus d'Helsinki, de 1974 à 1976, est passé à 55 depuis que les anciens pays satellites de l'URSS ont acquis leur indépendance.
Tous les États et leurs Parlements se sont engagés aux termes de nombreux traités et résolutions à promouvoir les droits de la personne, les droits politiques et la coopération économique dans l'espace de l'OSCE et au-delà. L'Organisation elle-même compte deux divisions. Le conseil ministériel est situé à Vienne, où se rendent régulièrement des ambassadeurs de chaque État. Le Canada y a une ambassadrice à temps plein, qui s'acquitte de sa tâche de façon exemplaire. La direction parlementaire, dont le quartier général se trouve à Copenhague, est dirigée par un petit secrétariat professionnel qualifié et dynamique. Nous rencontrons souvent cette direction. Je vais d'ailleurs être à Copenhague mercredi soir pour la prochaine réunion du bureau élargi.
Les parlementaires tiennent une assemblée annuelle tandis que le bureau élargi, les parlementaires et les dirigeants parlementaires, se réunissent régulièrement un peu partout en Europe tout au long de l'année. Nous travaillons à faire avancer l'OSCE sur trois fronts: la coopération économique, les droits politiques — essentiellement la démocratie — et les droits de la personne.
En ma qualité de membre de l'Assemblée parlementaire, poste pour lequel j'ai été élu, et de la délégation canadienne, on m'a demandé, en mai 2002, de coparrainer une résolution sur l'antisémitisme rédigée par un membre important de la délégation allemande, Gert Weissenkirchen du Parlement allemand, et la délégation américaine dirigée par M. Smith, de la Chambre des représentants des États-Unis, ce que je me suis empressé de faire.
Lors de la rencontre annuelle de l'Assemblée parlementaire de l'OSCE, qui s'est tenue à Berlin en juillet 2002 au Reichstag — là même où Hitler a promulgué ses fameuses lois de 1933 —, la résolution a été adoptée à l'unanimité à la suite d'un débat vigoureux, d'abord en comité, puis en assemblée plénière.
La résolution a été adoptée à l'unanimité par les 55 États membres, et elle est au coeur du mandat dont vous êtes saisi.
Depuis ce temps, des conférences sur l'antisémitisme ont eu lieu dans tout l'espace de l'OSCE, parallèlement à presque toutes les réunions parlementaires et ministérielles. J'ai assisté personnellement à quelques-unes des réunions tenues à Washington, Copenhague, Vienne, Porto au Portugal, Berlin, Rotterdam, Varsovie et Maastricht. Le conseil ministériel de l'OSCE prévoit maintenant tenir une réunion de suivi à Berlin à compter du 28 avril 2004 et travaille actuellement à un plan d'action qui sera d'abord examiné à Berlin et ensuite à la prochaine assemblée des parlementaires, qui aura lieu à Édimbourg au cours de la première semaine de juillet.
Chaque État membre s'est engagé à placer la question au premier rang de ses préoccupations. Pourquoi? Pourquoi cette question a-t-elle tant retenu l'attention des parlementaires de la Russie aux États-Unis, de la Finlande à l'Italie, de l'Allemagne à la France?
Parce qu'ils ont malheureusement pu constater par eux-mêmes que l'ombre sordide de l'antisémitisme est revenue hanter toute l'Europe, et ils n'aiment pas ça. Ils ont de plus en plus de difficulté à accepter que l'antisémitisme ne rencontre aucune résistance. L'histoire leur rappelle, et devrait nous rappeler à nous aussi, que si l'antisémitisme est toléré et ne se heurte à aucune résistance, il peut mener à une discrimination irrationnelle et à la violence. La haine a peut-être les Juifs pour cible, mais elle ne s'arrête jamais là.
Que peut donc faire le comité sénatorial? Il va s'en dire qu'il ne peut pas régler le problème à l'échelle de la planète. Il doit se contenter d'essayer, au nom des Canadiens, de savoir pourquoi le fléau de la discrimination continue à hanter l'esprit des Canadiens et ce qu'il serait possible de faire, dans la pratique.
À mon avis, une pathologie de la haine est à l'origine profonde de l'antisémitisme. L'élimination de la haine demeure le grand objectif de tous les efforts de rétablissement des droits de la personne. Si nous ne pouvons pas éliminer la haine, nous ne pourrons réaliser les objectifs de notre programme de lutte pour les droits de la personne. L'envie, la peur, le dégoût, l'aliénation et la haine qui alimentent la violence envers autrui sont au coeur même de tout programme de lutte pour les droits de la personne.
Le comité peut donc diriger l'attention des Canadiens sur les ennemis de notre société civile, les ennemis de la tolérance, les promoteurs de la haine. À mes yeux, la haine n'est pas un phénomène humain naturel. Nous ne sommes pas nés pour haïr. Nous sommes nés pour aimer. La haine ne fait pas fondamentalement partie de la condition humaine. La haine est apprise. Si elle s'apprend, qui l'enseigne et comment?
Chaque membre du comité doit commencer par se poser des questions. Ce sont des questions théoriques auxquelles seul chacun d'entre vous peut répondre. Ce sont des questions que je me pose moi-même depuis longtemps.
Avez-vous déjà été témoin d'une haine irrationnelle? D'une haine dirigée contre vous? Avez-vous déjà été victime de discrimination à cause de votre religion, de votre nom, de votre langue, de votre apparence, de vos origines ethniques ou de votre race? Avez-vous déjà fait preuve de discrimination envers les Juifs dans vos pensées, vos paroles ou vos gestes? Si oui, pourquoi? Sinon, pourquoi pas? Ce sont de simples questions qu'il vous faudra vous poser au cours de ces audiences historiques, car ce sont, honorables sénateurs, des audiences historiques. D'après mes vérifications, c'est la première fois qu'un comité du Parlement se penche sur cette question.
Le comité peut chercher à découvrir les causes de l'antisémitisme, s'interroger sur les leçons de haine enseignées expressément ou implicitement à des enfants innocents. Ce faisant, il sera parvenu à trouver des pistes de solutions.
Vous pourriez vouloir convoquer non seulement des membres de la communauté juive, mais aussi des dirigeants et des experts d'autres confessions religieuses. J'ai regardé votre liste. Vous pourriez vouloir convoquer des enseignants — d'universités et d'écoles publiques et privées. Des journalistes! Qu'ont-ils à voir là-dedans? Vous pourriez convoquer des dirigeants d'organismes de défense des droits de la personne — et j'en vois quelques noms ici — ou des employés des commissions fédérales et provinciales. Vous pourriez inviter des organismes des secteurs public et privé intéressés à vous faire part de leur analyse et de leurs réponses.
Je crois que les instruments chirurgicaux de localisation de l'antisémitisme que vous réussirez à mettre au point dans le cadre de ces audiences vous aideront à explorer d'autres racoins sombres de la discrimination et les couloirs de la haine dans notre société civile.
Venons-en au terme «antisémitisme» et à sa signification. L'origine moderne du terme peut être retracée à un raciste allemand du nom de Wilhelm Marr, qui l'aurait apparemment inventé autour des années 1880 pour remplacer le mot allemand «Judenhass», ou haine envers les Juifs.
Honorables sénateurs, cette résolution se veut donc une invitation à explorer la haine envers les Juifs, ni plus ni moins. M. Trudeau a exhorté le Canada à devenir une société juste. La haine n'a pas sa place dans une société juste. Certains parlent d'un nouvel antisémitisme. Pour moi, il n'y a ni vieil ni nouvel antisémitisme. Il y a tout simplement de la haine.
Ce qui est différent, c'est l'industrialisation moderne de l'antisémitisme. La haine et l'antisémitisme se propagent plus rapidement aujourd'hui et envahissent tout, en raison de la convergence des médias. L'outil de communication a pris la place du message. Il faudrait donc s'arrêter aux médias, surtout aux sites Web haineux qui font leur apparition partout sur Internet.
Je suis tombé sur plusieurs d'entre eux et je ne cesse d'en trouver davantage. Il y a littéralement des douzaines de sites Web haineux sur l'Internet.
Qu'allons-nous faire à ce sujet? Nous croyons en la liberté de parole — qu'allons-nous faire?
Vous pourriez vouloir examiner l'efficacité de nos lois actuelles, surtout l'application des lois conçues pour lutter contre la haine et la discrimination. Vous pourriez vouloir chercher à savoir quelles statistiques il serait utile de recueillir pour mesurer cette forme de discrimination. Vous pourriez analyser les droits et responsabilités de chaque citoyen dans la lutte contre la haine et la discrimination menée en vertu de nos lois concernant notre régime de citoyenneté actuel.
Je souhaite que vos délibérations sur l'antisémitisme, honorables sénateurs, constituent une étude de première importance qui prendra des proportions historiques et servira de fondement à d'autres études visant à mieux définir l'essence du mandat du comité — les droits de la personne.
Honorables sénateurs, j'admire l'oeuvre pionnière dans le domaine des droits de la personne que vous avez accomplie dans le passé. Je me réjouis à l'avance des fruits que donneront vos efforts à l'avenir.
Si je pouvais vous être utile dans vos délibérations, honorables sénateurs, ce serait pour moi un privilège. Je suis maintenant prêt à répondre du mieux que je le peux aux questions que vous pourriez avoir à me poser.
La présidente: Merci beaucoup, sénateur Grafstein.
Comme je l'ai dit plus tôt, l'attentat à la bombe dans la bibliothèque de l'école s'est produit tout près de chez moi et je suis probablement un peu trop touchée émotivement, puisque je connais bien des familles dont les enfants fréquentent cette école.
Le sénateur Jaffer: Sénateur Grafstein, je tiens à vous remercier pour le travail que vous faites. Ce n'est pas simplement du travail pour les Juifs canadiens, mais pour tous les gens, puisque, comme vous l'avez dit si clairement, cela ne s'arrête pas aux Juifs. Je tiens à vous féliciter pour votre travail passé qui a permis que nous ayons un jour de commémoration de l'Holocauste, ainsi que pour votre travail actuel et futur.
Vous avez dit que vous voulez soumettre les résultats de ces délibérations du Sénat à une réunion de l'Assemblée parlementaire de l'OSCE qui se tiendra le 28 avril de cette année. Qu'espérez-vous présenter à l'OSCE ce jour-là?
Le sénateur Grafstein: Je ne m'attends pas à ce que vos délibérations se terminent au cours des prochaines semaines. Comme vous le savez, j'ai déposé cette résolution il y a un an environ, au Sénat, et pour toutes sortes de raisons, elle n'est pas parvenue jusqu'au comité. Nous en sommes maintenant arrivés à une réunion de clôture à Berlin, mais le sujet n'est pas épuisé.
Le rapport, ou ce qui va sortir de Berlin, sera renvoyé à l'assemblée parlementaire en juillet. J'ose espérer qu'une fois que le comité aura entendu certains des témoignages, on pourrait nous fournir — le gouvernement canadien, la délégation — des opinions provisoires qui pourraient être utiles. Si le comité n'est pas en mesure de le faire, avec d'autres membres qui seront à Berlin, je leur ferai part de nos opinions sur ce que nous avons appris. Il serait bon d'avoir quelques idées en attendant.
Je ne pense pas que vous soyez en mesure de terminer votre travail de manière fructueuse d'ici une semaine ou deux, sans compter l'éventualité d'élections, ce qui pourrait rendre les choses encore plus difficiles.
À mon avis, vous devez accomplir ce que vous pouvez. Si vous pouviez donner des opinions provisoires, ce serait bien. Si non, je crois que votre comité devrait se pencher davantage sur le problème, qui est beaucoup plus complexe que j'ai moi-même été amené à le croire. Par conséquent, je ne pense que vous êtes en mesure d'arriver rapidement à des résolutions, mais toute opinion provisoire pourrait être utile.
L'antisémitisme ne va pas disparaître le 28 avril, il sera toujours là.
Je ne veux pas résoudre les problèmes du monde au Canada. J'ai toujours dit que si je ne peux pas résoudre les problèmes à Toronto, comment puis-je espérer le faire en Ontario, et si je ne peux pas le faire en Ontario, comment puis-je espérer le faire au Québec ou ailleurs? J'aimerais savoir comment résoudre les problèmes chez moi tout d'abord, avant d'essayer de montrer aux autres comment résoudre leurs problèmes.
De graves problèmes se posent au Canada et je suis certainement prêt à en parler, si vous le souhaitez.
Le sénateur Jaffer: Sénateur, je suis attristé de voir qu'une présidente fort expérimentée devienne émue en abordant pareille question aujourd'hui. Nous ne pouvons pas nous contenter de croire que ce problème se pose uniquement dans les pays d'Europe et peut-être pourriez-vous simplement leur dire ce qui se passe ici. C'est arrivé chez nous. Le problème est plus profond. Bien sûr, je ne cherche pas à minimiser ce que vous faites en Europe, ce dont je vous félicite, mais je crois que le plus gros problème, comme vous l'avez clairement dit, c'est ce qui se passe chez nous.
Vous travaillez sur le sujet depuis longtemps. J'aimerais saisir l'occasion pour dépasser le cadre du débat relatif à vos rencontres en avril et juillet et pour vous entendre dire ce que nous devons faire pratiquement parlant. Nous avons des lois, mais que devons-nous faire à toutes fins pratiques pour éliminer l'antisémitisme dans notre pays?
Le sénateur Grafstein: Permettez-moi de commencer par deux points, qui ne sont pas compliqués.
Les sénateurs ne devraient pas citer leurs propres allocutions, mais si vous lisez les allocutions que j'ai prononcées au Sénat au sujet de cette résolution il y a un an et demi si pas plus, vous vous apercevrez que le nombre d'actes de vandalisme dans les synagogues du Canada est un point qui me dérange. Une synagogue à Québec a été incendiée alors que la communauté juive y est très petite; elle est maintenant pratiquement inexistante. À un moment donné, elle était importante et en plein essor. La synagogue de mon grand-père maternel a été dévastée par une bombe incendiaire. La police n'est toujours pas arrivée au fin mot de l'histoire. Une autre synagogue a été incendiée en Saskatchewan et, si je ne me trompe, une autre en Alberta. Ce sont donc quatre événements et pourtant aucun leader politique n'a eu le courage de dire que ce n'était pas acceptable.
Lorsque cela s'est produit plus récemment à Toronto, il y a quelques semaines à peine, j'ai été ravi de la réaction, car il n'y a pas eu un seul politicien de quelque genre que ce soit — le maire, le premier ministre provincial, le premier ministre, les leaders de la communauté — qui n'ait pas parlé. Lorsque nous sommes confrontés à un acte haineux, qu'il vise les Juifs, les femmes ou les Noirs, chaque fois que nous sommes témoins d'un tel acte, il faudrait en premier lieu déclarer publiquement que ce n'est pas acceptable. Le maire Miller a fait une déclaration intéressante, puisqu'il a dit que ceux qui commettent de tels actes de violence n'ont pas leur place à Toronto. Il n'y a pas déclaration plus forte que celle-ci, puisque cela veut dire qu'il est socialement inacceptable de se comporter de la sorte.
La première chose dont ont besoin les gens, si vous voulez, c'est un fil-piège. Si l'on est pris au piège, quelle que soit la question, qu'elle soit importante ou non, les leaders politiques doivent avoir une réaction toute prête et dire que c'est inacceptable.
Deuxièmement, nous avons célébré hier, comme vous l'avez fait remarquer, sénateur, la fête du Yom HaShoah. Le Sénat a adopté le projet de loi C-459, qui fait maintenant de la commémoration de l'Holocauste un événement annuel au Canada; j'ai d'ailleurs publié un petit livre à ce sujet dont je crois vous avez copie. Ce sont les débats du hansard. C'est à mon avis une leçon de civisme qui devrait être envoyée à chaque église, à chaque établissement religieux et à chaque école du pays. Ce jour-là, il faudrait consacrer 24 heures ou une heure à l'examen de la pathologie de la haine. Je pense que la réponse serait d'envergure, même si l'on n'en faisait pas plus.
Soyons francs. Notre attitude à propos de certains aspects de la société a évolué, tout comme notre attitude envers les homosexuels, les femmes en milieu de travail, ou à propos de l'usage du tabac. Lorsqu'un comportement de la part du public est indésirable ou extrême et qu'il va à l'encontre de la Charte, il ne faut pas hésiter à réagir.
Je vais maintenant conclure, car je n'ai pas l'intention de continuer ad nauseam.
Beaucoup de choses me dérangent, mais certaines me dérangent profondément. Ainsi, chaque fois que je vais à la synagogue à Toronto — et je ne suis pas une personne dévote, mais un observateur minimaliste de ma foi — je suis scandalisé par le fait que je doive y entrer par le terrain de stationnement. Pourquoi cela? Parce que ces quelques dernières années, nous avons des gardes en poste à la synagogue de la rue Bathurst, qui regroupe la congrégation la plus importante au Canada. À quelques pas de là se trouve une cathédrale catholique romaine et aucun garde ne s'y tient, pas plus qu'à la mosquée, à quelques kilomètres de là. C'est la même chose pour l'église commémorative. Je me dis alors: non seulement faut-il des gardes à la synagogue, mais encore la congrégation doit-elle les payer. Je ne pense pas que ce soit acceptable.
Lorsque je me suis rendu à Berlin pour cette résolution, j'ai voulu aller dans une synagogue, mais je ne l'ai pas trouvée tout de suite, simplement parce qu'il n'y avait pas d'indication dans ce sens à la porte d'entrée. Tout a été supprimé. Un agent de police faisait les cent pas; j'ai dû lui dire qui j'étais, lui donner mon nom, ce qui a pris pas mal de temps avant que je ne puisse entrer dans la synagogue. Mon épouse était avec moi. J'ai trouvé des gardes à la porte et à l'intérieur et j'ai dit: «Qui vous paie»? Ils ont répondu «l'État fédéral» Pourquoi? Parce que, en Allemagne, on considère que c'est à l'État fédéral qu'il revient de mettre en valeur et de protéger la liberté de religion. Il s'agit peut-être d'un point que le comité voudrait peut-être envisager.
Le sénateur Jaffer: Sénateur Grafstein, nous tirons fierté de notre liberté de religion. Si nous ne pouvons l'exercer, cela veut dire qu'elle ne veut pas dire grand chose. Vous avez dit qu'il faudrait peut-être faire comprendre certains points. Après le 11 septembre, je me souviens parfaitement du cas de la mosquée qui a fait l'objet de vandalisme et de destruction; la police et nos leaders ont clairement indiqué que ce n'était pas un comportement acceptable. Je crois que cela a mis un terme à tout acte criminel contre des mosquées.
Nous allons certainement y réfléchir en tant que comité et j'aimerais vous inviter plus tard pour voir si nous pouvons faire d'autres recommandations dans notre rapport. Nous allons certainement envisager la possibilité d'un rapport provisoire. Merci.
[Français]
Le sénateur Ferretti Barth: Sénateur Grafstein, j'aimerais vous poser une question que ma collègue vous a déjà posée. Vous parlez de haine, d'antisémitisme; est-ce que vous pouvez m'expliquer d'où vient cette haine contre les juifs? Qui a provoqué cette haine contre les juifs? Quel est le point de départ de cette haine? Et, selon vous, qu'est-ce que c'est l'antisémitisme? Comment pourriez-vous me l'expliquer?
[Traduction]
Le sénateur Grafstein: Il s'agit d'une expérience personnelle. Je suis originaire d'une petite ville où j'ai fréquenté l'école publique. J'ai dû en quelque sorte me battre tout au long de ces années, parce que j'étais le seul Juif de l'école; je m'en souviens parfaitement bien. C'est une expérience assez difficile pour un jeune. C'était une petite ville, la collectivité était peu importante. Il s'agit de London, en Ontario, et l'école était la Governor Simcoe Public School, la plus ancienne école publique de la ville. C'est ce que j'ai connu dans ma jeunesse, mais je ne me suis jamais laissé abattre pour autant. Franchement, plus je faisais l'objet de discrimination, plus j'espérais par la suite pouvoir changer les choses pour que cela ne se reproduise plus.
Lorsque je suis allé à la faculté de droit de l'Université de Toronto, j'ai décidé d'étudier l'enseignement spirituel des Jésuites, puisque l'église catholique, en tant qu'organisation politique, m'intéressait beaucoup.
J'ai suivi des cours dans l'une des grandes institutions du monde, l'Institut pontifical de l'Université de Toronto, St. Michael's. Lorsque j'ai commencé à étudier le catéchisme et certains des dogmes, j'ai été frappé d'horreur. J'ai eu l'impression que l'église, à cette époque, essayait probablement de régler cette question, mais pas de façon très favorable. Je tiens à rester aussi aimable que possible.
Depuis, l'Église catholique romaine a beaucoup évolué. J'ai suivi l'encyclique du pape Jean. Le travail du pape actuel est certainement extraordinaire et j'ai eu le privilège d'avoir été reçu par lui à plusieurs reprises. J'ai lu chacune de ses encycliques. Il a réussi de façon remarquable à épurer le catéchisme et les dogmes de l'Église catholique romaine en ce qui concerne les Juifs.
Plus récemment, je crois que l'Église luthérienne du Canada a fait la même chose. Je n'ai pas vraiment suivi ce que font les Anglicans ou d'autres dénominations, mais je remarque une évolution dans la pensée des églises.
Je me rappelle très bien que dans mon enfance, avant l'école secondaire, c'est lorsque je jouais avec de jeunes sportifs catholiques que j'avais les plus grandes difficultés. Mes opposants les plus féroces à l'école publique étaient les enfants catholiques qui se montraient sarcastiques à mon égard. Ce n'était pas vraiment si grave, car je pouvais faire la même chose et que, à l'époque, j'étais assez fort pour mon âge, mais c'était toute une expérience. Ce n'était pas quelque chose qui leur venait naturellement. Il est vrai que les enfants aiment se moquer des autres, pourtant, c'est plus grave lorsqu'ils le font dans un contexte religieux. Tout en se moquant de moi en tant que Juif, ils n'étaient pas non plus très aimables envers un autre jeune, un Noir.
Je peux vous raconter une histoire intéressante au sujet de M. Suzuki, le grand écologiste d'origine japonaise. Il a fréquenté la même école secondaire que moi, le London Central Collegiate Institute. Je remarque que dans sa biographie, il indique que j'étais devenu son ami. La raison en est fort simple, c'était le premier Japonais que je rencontrais. Il n'a pas été très bien accueilli dans notre école, mais comme lui-même et son cousin étaient de grands athlètes, ils ont en quelque sorte brisé le moule. Il se passait beaucoup de choses dans les écoles et sans savoir ce qui s'y passe vraiment aujourd'hui, je peux vous dire que c'était un milieu tonifiant, c'est le moins qu'on puisse dire.
C'est la raison pour laquelle je suis arrivé à la conclusion que ce n'est pas quelque chose que les enfants apprennent naturellement. C'est quelque chose qu'ils apprennent à l'école, dans la cour de récréation, à l'église ou chez eux. C'était une expérience de vie. C'est l'un des points sur lequel il faut se pencher et c'est la raison pour laquelle je crois que vous devriez entendre les leaders des autres dénominations, car des progrès remarquables ont été accomplis au Canada sur tous ces fronts. Nous évoluons dans la bonne direction, mais peut-être n'avons-nous pas travaillé assez rapidement ni assez fort.
[Français]
Le sénateur Ferretti Barth: Sénateur Grafstein, pouvez-vous m'expliquer ce que veut dire antisémitisme? Est-ce une prise de position envers un peuple bien distinct comme les Juifs? L'antisémitisme se propage-t-il vers d'autres gens d'origines diverses?
[Traduction]
Le sénateur Grafstein: La haine est un état d'esprit global. Les gens qui haïssent les Juifs sont certainement animés d'autres sentiments de haine également, puisque de tels sentiments sont profondément ancrés en eux.
Honorables sénateurs, c'est la question que vous devez vous poser. Je ne suis pas victime d'antisémitisme, bien au contraire. Cela me réconforte et me convainc encore davantage, en tant que sénateur et Canadien — citoyenneté que je chéris — que nous avons un travail difficile à accomplir.
Je sais ce qu'est l'antisémitisme. Lorsque j'ai commencé à exercer le droit à Toronto, je n'ai pas pu obtenir d'emploi dans un cabinet — ce n'est plus le cas aujourd'hui — et pourtant je me classais dans le tiers supérieur de ma promotion. Je ne pouvais pas obtenir d'emploi dans un cabinet d'avocats important, non juif. J'ai fait mon stage en droit pour le sénateur Croll et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle je me suis intéressé au Sénat. Cette situation a considérablement changé. Il suffit d'examiner le milieu juridique, le judiciaire, le milieu des médecins et des dentistes pour s'apercevoir que notre pays a fait de remarquables progrès en matière d'intégration.
Il y a certainement des choses que nous pouvons faire. Il serait intéressant de demander à des groupes de discussion d'écoles publiques canadiennes ce qu'ils pensent des Noirs ou des Juifs. Que savent-ils? Il faudrait examiner scientifiquement les problèmes, car ils existent bel et bien.
Permettez-moi de vous donner un exemple. Il y avait à Québec une petite synagogue qui n'était pas très utilisée et qui a été incendiée. On a découvert celui qui avait mis le feu. Il s'est avéré que c'était quelqu'un de déséquilibré mentalement, atteint d'un problème mental. Tout le monde a dit: «Vous voyez, c'est simplement quelqu'un de la ville de Québec qui avait un problème, un problème mental». Ma question est la suivante: pourquoi cette personne a-t-elle choisi une synagogue comme cible? Que savait-elle? Pourquoi a-t-elle agi de la sorte? C'est la question la plus fondamentale qu'il faut se poser.
Il n'y a pas de solution facile. Toutefois, il est important de se poser la question suivante: «Est-ce que j'y vois là un problème? Est-ce un problème individuel? Un problème collectif»? Je le pense, oui.
Les événements qui se sont produits récemment à Toronto sont fort décourageants. Je suis contre la profanation de pierres tombales dans un cimetière. Qu'est-ce qui pousse des enfants, des hommes ou des femmes à poser un tel geste? Qu'est-ce qui les pousse à agir de la sorte? Je ne le sais pas. C'est inquiétant.
[Français]
Le sénateur Plamondon: J'aimerais revenir à la définition de l'antisémitisme. Vous avez parlé d'une haine envers les Juifs et je suis d'accord avec cette définition. Souvent, la nation juive perçoit une critique contre Israël comme étant une critique contre les Juifs. Qu'en pensez-vous? Faites-vous la différence entre critiquer l'État d'Israël et avoir une haine contre les Juifs?
[Traduction]
Le sénateur Grafstein: Le sénateur Jaffer et la présidente ont tous les deux répondu à la question. Or, ce que je me demande, c'est pourquoi profaner des pierres tombales à Toronto? Quel est le lien avec l'État d'Israël? Pourquoi lancer une bombe incendiaire dans la bibliothèque d'une école à Montréal? Quel est le lien avec l'État d'Israël? Pourquoi brûler une synagogue du centre-ville de Toronto, synagogue qui fait partie de la collectivité multiculturelle depuis 50 ou 75 ans — qui n'a jamais fait l'objet d'un incident et qui est pleinement intégrée — et quel est le lien avec l'État d'Israël? Cela n'a rien à voir avec l'État d'Israël, mais avec le fait qu'il y a des personnes qui croient qu'il existe, en quelque sorte, un lien viscéral. Je ne suis pas d'accord.
Nous devons trouver la source du problème au Canada. L'antisémitisme au Canada date d'avant la création de l'État d'Israël. Or, il est vrai que l'existence de cet État peut inciter certaines personnes à poser des gestes haineux. Je trouve cela fort préoccupant. Nous avons appris, au Canada, à régler les différends politiques par le dialogue, et non par la violence. Les actes de violence ne sont pas acceptables en vertu de la Charte. Ils vont à l'encontre des valeurs chères aux Canadiens. Rien ne justifie ces gestes.
[Français]
Le sénateur Plamondon: Il n'y a pas d'erreur, nous sommes d'accord avec le fait que des actes de violence ou des actes inspirés par la haine n'ont pas leur place. Ma question était tout autre.
Je vous demande si vous percevez une critique contre Israël comme étant de l'antisémitisme?
[Traduction]
Le sénateur Grafstein: Je pense qu'il est possible d'avoir un débat sur le bien-fondé et la pertinence des politiques d'un État. La démonisation ou la délégitimisation d'un État démocratique ne doit toutefois pas faire partie de ce dialogue. Vous posez là une question difficile.
Nous faisons partie des Nations Unies, et Israël aussi. Nous disons vouloir entamer un dialogue authentique et sincère sur Israël. Or, pourquoi les résolutions émanant de cette organisation, qui est censée être juste et objective, ont- elles tendance à porter sur un État démocratique en particulier? Est-ce juste? Je ne le crois pas. L'approche est parfois valable; la plupart du temps, elle ne l'est pas. Je ne veux pas que les gens arrivent à la conclusion que les actes de violence n'ont rien à voir avec la discussion démocratique au sujet de la pertinence ou de la non-pertinence de la politique israélienne.
Il y a beaucoup de confusion entourant cette question. Les gens ont tendance à rationaliser, et je trouve cela inacceptable. Cette résolution ne porte pas sur l'État d'Israël, mais sur les actes de violence antisémites qui sont commis dans les États membres de l'OSCE.
Permettez-moi de vous donner un exemple intéressant. De nombreux actes antisémites ont été commis en France. Les parlementaires, quand ils ont été saisis de cette résolution, se sont immédiatement attachés à examiner les lois françaises sur les crimes haineux. L'État d'Israël fait l'objet d'un grand débat politique en France. La situation pour eux était très claire. Ils ont décidé qu'ils devaient examiner leurs lois sur les crimes haineux. Ils ont conclu que celles-ci n'étaient pas suffisamment rigoureuses et ils se sont empressés, l'an dernier, de les améliorer. La situation pour eux était très claire.
La même chose est en train de se produire en Russie. L'État russe n'est pas exactement un défenseur de l'État d'Israël. Toutefois, les parlementaires russes ont jugé qu'ils devaient s'attaquer au problème de l'antisémitisme, parce que la situation était en train de déraper.
Nous pouvons très bien avoir un débat sur les politiques d'Israël. Cela ne me pose aucun problème, mais je ne veux pas que cela jette la confusion parmi le public. Il y a un problème au Canada, et j'espère que nous allons pouvoir le résoudre. Il existe divers moyens d'y venir à bout.
[Français]
Le sénateur Plamondon: Vous ne seriez donc pas d'accord avec l'article paru récemment dans le quotidien The Gazette dans lequel on peut lire «no easy way to distinguish antisemites from Israel critics»?
[Traduction]
Le sénateur Grafstein: Regardons un peu ce qui s'est passé du côté de Doha. Est-ce que les discussions de Doha constituaient une critique valable de l'État d'Israël? Est-ce qu'elles étaient teintées d'antisémitisme? Où, quand et comment ces discussions sont-elles devenues antisémites? Il ne fait aucun doute dans mon esprit que cette rencontre internationale qui portait sur le respect des droits de la personne s'est transformée en forum où l'on a tenu des propos alarmistes, antisémites, ainsi de suite.
Permettez-moi de vous donner un exemple. L'Égypte diffuse maintenant, sur les ondes de la télévision d'État, une émission intitulée The Protocols of Zion, qui reprend la propagande antisémite désobligeante lancée par le gouvernement russe dans les années 1880, alors qu'il tentait de venir à bout d'un problème politique particulier. Cette émission est maintenant diffusée, en couleur, sur la télévision d'État.
Que faut-il en penser? Est-ce là une façon légitime de dénoncer l'État d'Israël, ou est-ce une critique antisémite? Je pense que c'est une critique antisémite. Il faut bien faire la distinction entre une critique valable d'un État démocratique, et la promotion de la haine et de la violence au sein de la société. C'est une question très délicate. Toutefois, pour moi, la situation est très claire.
[Français]
Le sénateur Plamondon: À votre avis, comment pouvons-nous distinguer la critique valable de l'État d'Israël de l'antisémitisme?
[Traduction]
Le sénateur Grafstein: On pourrait en débattre au Sénat, si vous voulez. On pourrait demander au Sénat de se pencher là-dessus. J'accepterais volontiers qu'on tienne un tel débat, mais il n'est pas question de cela aujourd'hui.
Tenir un débat où l'on formule des critiques valables sur l'État d'Israël n'a rien à voir avec la haine dont sont victimes les juifs au Canada, même si c'est ce que croit le public. C'est peut-être pour cela que les sénateurs sont réunis ici pour en discuter.
La présidente: Sénateur, j'aurais aimé qu'on ait plus de temps. Une heure, ce n'est pas suffisant. Puis-je vous demander de revenir? Je sais que vous devez prendre l'avion à 18 heures, et que nous allons entendre plus tard, après les ministères, le CJC et le groupe B'nai Brith. Nous allons faire une pause pour que les gens puissent manger un morceau et boire un café. Pouvons-nous vous inviter à revenir avant qu'on ne mette fin aux discussions? J'aimerais moi-même vous poser quelques questions.
Le sénateur Grafstein: Madame la présidente, je ne serai peut-être pas ici quand vous allez déposer votre rapport provisoire. Comme je l'ai indiqué, je dois partir pour l'Europe mercredi soir. Je serai de retour dans une dizaine de jours. Après cela, je serai à votre disposition.
Encore une fois, je tiens à vous remercier, honorables sénateurs, d'avoir accepté de vous pencher sur cette question, question qui, comme je l'ai mentionné, suscite chez moi la colère quand je lis les journaux.
La présidente: Merci beaucoup, sénateur.
Nous accueillons maintenant M. Jones, directeur du Centre canadien de la statistique juridique, de Statistique Canada; Mme Lafontaine, avocate-conseil, et Mme Connidis, avocate, du ministère de la Justice; M. Wilczynski et Mme Nassrallah, du ministère du Patrimoine canadien.
M. Roy Jones, directeur, Centre canadien de la statistique juridique, Statistique Canada: Madame la présidente, je suis heureux d'avoir l'occasion de vous présenter quelques données à tout le moins préliminaires sur les crimes haineux, données qui ont été compilées par Statistique Canada. Mon exposé sera bref. Nous n'avons pas beaucoup d'information sur les crimes haineux au Canada. Toutefois, nous avons des résultats d'enquêtes importants et intéressants à vous communiquer.
Je vais d'abord vous donner un bref aperçu de la diversité ethnique au Canada. Comme vous le savez, la population du Canada est de plus en plus diversifiée. D'après le recensement de 2001, environ 13 p. 100 des Canadiens estiment être membres d'une minorité visible. Depuis 1991, le nombre de personnes faisant partie d'une minorité visible augmente six fois plus vite que le taux de la population générale. Statistique Canada a commencé à faire l'analyse de certains problèmes sociaux potentiels et des crimes déclarés par les victimes en procédant à des enquêtes auprès de la population, comme l'Enquête sociale générale de 1999 et l'Enquête de 2002 sur la diversité ethnique, qui était une enquête post-censitaire.
Nous sommes en train de mettre au point un système qui permet de recueillir les statistiques sur les crimes haineux déclarés par la police. Il s'agit des incidents qui sont portés à l'attention de la police.
Mon exposé aujourd'hui porte sur les crimes motivés par la haine qui ont fait l'objet d'enquêtes auprès de la population. Nous nous sommes fondés, dans chacun des cas, sur l'article 718 du Code criminel, et plus précisément sur les circonstances aggravantes définies en vertu des principes de détermination de la peine. Sont considérées comme des circonstances aggravantes des éléments de preuve établissant que l'infraction est motivée par des préjugés ou de la haine fondés sur des facteurs tels que la race, l'origine nationale ou ethnique, la langue, la couleur, la religion, le sexe, l'âge, la déficience mentale ou physique ou l'orientation sexuelle.
Il est question, dans la première diapositive, de l'Enquête sociale générale de 1999, une enquête-ménage aléatoire menée auprès de Canadiens âgés de 15 ans et plus. Elle portait sur leurs expériences et leur crainte d'être victime d'un crime. L'enquête a été menée auprès d'un échantillon d'environ 25 000 personnes.
Ceux qui ont dit être victimes d'un crime contre la personne ou contre les biens du ménage dans les 12 mois qui ont précédé l'enquête ont été invités à dire s'ils croyaient que le crime était motivé par la haine et, si oui, à en préciser le motif.
C'est en 1999 que Statistique Canada a commencé à recueillir des données sur les motifs des crimes. Nous avons constaté que, dans l'ensemble, environ 4 p. 100 des 6,5 millions d'incidents déclarés par les répondants étaient directement motivés par la haine. Cela représente, pour les 12 mois précédents, un peu plus de 250 000 incidents.
D'après les résultats, les Canadiens qui ont déclaré avoir été victimes d'un crime contre la personne, c'est-à-dire de voies de fait et des vols, étaient beaucoup plus susceptibles d'indiquer que l'affaire était motivée par la haine. Il en va de même pour ceux qui ont déclaré avoir été victimes d'un crime contre les biens, comme une entrée par effraction, un vol de biens du ménage, du vandalisme ou un vol de véhicule automobile. Comme l'indique la diapositive, d'après les victimes, 6 p. 100 des incidents de crimes contre la personne et 2 p. 100 des incidents de crimes contre les biens étaient motivés par la haine.
Passons à la deuxième diapositive. Les répondants ont été invités à préciser le motif du crime; ils pouvaient donner plusieurs réponses. L'enquête de 1999 révèle que la race ou l'origine ethnique était le facteur le plus souvent invoqué par les personnes qui se disaient avoir été victimes d'un crime motivé par la haine. Environ deux crimes sur cinq étaient attribuables à ce facteur.
Environ une victime sur cinq a dit croire que le sexe de la personne constituait le motif du crime — environ 18 p. 100, et la grande majorité des victimes étaient des femmes. Parallèlement, environ une victime sur cinq a déclaré que la culture semblait être le facteur de motivation.
Je tiens à préciser que certaines catégories de crimes haineux n'ont pas généré suffisamment de réponses pour produire des données fiables. Nous avons donc regroupé certains facteurs dans la catégorie «autre». Près de deux tiers des victimes ont déclaré que les crimes avaient été motivés par un autre facteur. Ceux-ci englobaient, dans l'ordre, l'âge, l'orientation sexuelle, la religion, la langue et la déficience mentale ou physique.
Comme on peut s'y attendre, il y a chevauchement entre le facteur race/origine ethnique et le facteur culture — plus de la moitié des répondants ont déclaré que la culture, mais aussi la race et l'origine ethnique constituaient un facteur de motivation.
Il y a un fait intéressant qui se dégage des résultats de l'Enquête sociale générale de 1999, à savoir le nombre de cas signalés à la police. D'après l'enquête, les crimes haineux sont beaucoup plus susceptibles d'être portés à l'attention de la police que les crimes non motivés par la haine. La différence, quoique peu importante, est significative sur le plan statistique. Environ 43 p. 100 des incidents qui, d'après les répondants, étaient motivés par la haine ont été portés à l'attention de la police. Dans tous les autres cas, 37 p. 100 l'ont été.
Cette situation est peut-être attribuable, en partie, au nombre élevé de crimes haineux qui sont attribués à des étrangers. Nous savons, d'après les recherches effectuées dans le passé, que les personnes sont davantage portées à signaler un incident à la police quand elles ne connaissent pas l'accusé.
La troisième diapositive fait état de données plus récentes qui sont tirées de l'Enquête sur la diversité ethnique, enquête post-censitaire qui a été menée entre avril et juillet 2002. Statistique Canada a reçu une aide financière de Patrimoine canadien pour ce sondage.
Cette enquête avait pour objet d'aider les Canadiens à comprendre comment les antécédents d'une personne influent sur sa participation à la vie socio-économique et culturelle du Canada, et aussi de nous aider à comprendre comment les Canadiens d'une origine ethnique différente interprètent leur ethnicité et la déclarent.
Encore une fois, ont participé à cette enquête des Canadiens âgés de plus de 14 ans — c'est-à-dire, 15 ans et plus — vivant dans des ménages privés dans les 10 provinces. Environ 42 500 personnes ont participé au sondage.
Nous avons demandé aux répondants s'ils avaient été victimes d'un crime au cours des cinq dernières années — par opposition à une seule année — ou depuis leur arrivée au Canada, dans le cas d'immigrants récents. Ces crimes pouvaient comprendre les voies de fait, les fraudes, les vols et le vandalisme.
Ceux qui ont indiqué avoir été victimes d'un crime au cours des cinq dernières années ont également été invités à dire s'ils croyaient que le crime pouvait être considéré comme un crime haineux et, si oui, s'ils croyaient que le motif était lié à la race, à l'origine ethnique, à la couleur de la peau, à la langue, à l'accent, à la religion ou à un autre facteur. L'enquête n'englobait pas les crimes contre les entreprises ou les institutions.
On peut voir, sur la quatrième diapositive, certains résultats de l'enquête. Les pourcentages sont assez élevés. Environ 3,7 millions de Canadiens ont indiqué avoir été victimes d'un crime au cours des cinq dernières années. Dans près de 1 cas sur 10, ou dans 9 p. 100 des cas, la victime croyait que l'incident était motivé par la haine. Cela représente environ 1 p. 100 de la population canadienne âgée de 15 ans en plus en 2002.
La cinquième diapositive montre les raisons citées par les victimes pour ce qui est des motifs. Dans l'ensemble, 60 p. 100 des personnes qui ont déclaré avoir été victimes d'un crime haineux ont indiqué que l'incident n'était pas motivé par la race, l'origine ethnique, la langue, l'accent ou la religion. Il était motive par un autre facteur, et encore une fois, cela pourrait comprendre l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'incapacité, ou une combinaison d'autres facteurs.
Toutefois, parmi les facteurs d'ordre ethnoculturel mentionnés par les victimes, la race ou la couleur de la peau était celui qui revenait le plus souvent — 25 p. 100 des victimes ont laissé entendre que la race ou la couleur de la peau constituait un motif. Venaient ensuite l'origine ethnique, à 15 p. 100, et la langue et l'accent, à 9 p. 100. La religion a été citée comme motif par 5 p. 100 des répondants. Cette catégorie englobe toutes les religions. Le 5 p. 100 ne s'applique pas à une religion en particulier.
La sixième diapositive montre les caractéristiques des répondants qui ont déclaré avoir été victimes de crimes haineux. Les pourcentages sont plus élevés dans le cas des minorités visibles. La différence est d'environ deux contre un — 2 p. 100 pour les membres de minorités visibles, contre 1 p. 100 pour les non-membres de minorités visibles.
Pour ce qui est des minorités visibles — et je vous renvoie au côté gauche du tableau — le pourcentage dans le cas des personnes nées au Canada est plus élevé. La différence n'est pas tellement importante, mais encore une fois, elle est significative sur le plan statistique. On note une différence de 3 p. 100 contre 2 p. 100.
Plusieurs raisons ont été fournies pour expliquer cette différence entre les membres des minorités visibles nés au Canada et ceux nés à l'étranger. Mentionnons, entre autres, le fait que les immigrants récents ont tendance à être plus âgés, en moyenne, que les membres des minorités visibles nés au Canada. Aussi, les immigrants relativement nouveaux ont peut-être moins tendance à participer aux activités communautaires ou sociales. Ensuite, il peut y avoir des distinctions culturelles dans certains cas qui font que certains membres de minorités visibles nés à l'étranger hésitent à faire part de toute expérience de victimisation criminelle ou à lier tout incident à un crime motivé par la haine.
La septième diapositive compile les réponses données à des questions précises, à savoir si le répondant craignait ou non d'être victime d'un crime haineux. Les facteurs cités étaient encore une fois l'origine ethnique, la culture, la race, la couleur de la peau, la langue, l'accent ou la religion. Dans l'ensemble, 5 p. 100 des Canadiens âgés de 15 ans et plus disent craindre de devenir victimes d'un crime d'ordre ethnoculturel motivé par la haine.
En général, il est clair que les minorités visibles craignent beaucoup plus les crimes de haine d'ordre ethnoculturel que les minorités non visibles.
Parmi les divers groupes de minorités, les Noirs, les Asiatiques du Sud ainsi que les Asiatiques orientaux ou du Sud- Est présentent les pourcentages les plus élevés de personnes qui craignent d'être victimes de ces crimes.
La huitième diapositive montre le pourcentage de personnes qui craignent d'être victimes de crimes motivés par la haine, en fonction de l'affiliation religieuse déclarée par l'intéressé. Globalement, on constate que 5 p. 100 des Canadiens de 15 ans et plus se disent préoccupés ou très préoccupés par la possibilité d'être victimes de ces crimes. Toutefois, parmi les divers groupes religieux, ce sont les juifs et les musulmans qui sont les plus nombreux à se dire préoccupés ou très préoccupés par les crimes de haine d'ordre ethnoculturel, dans une proportion de 10 et 11 p. 100, comme on le voit sur le graphique. On peut considérer qu'il s'agit d'une personne sur dix dans les deux groupes.
La dernière diapositive montre quelques-uns des plus récents travaux préparatoires que nous menons en vue de mieux comprendre la nature et l'ampleur des crimes de haine à l'échelle nationale. J'ai déjà mentionné que l'Enquête sociale générale de 1999 et le Programme de déclaration uniforme de la criminalité de 2002 nous ont beaucoup aidés à reconnaître les personnes qui risquent d'être victimes de crimes motivés par la haine et à comprendre les répercussions sur les Canadiens, y compris leur crainte à l'égard des crimes.
Pour parfaire davantage la cueillette de données nationales sur les crimes de haine, Statistique Canada continuera de recueillir les renseignements fournis par les victimes de crime de haine par le truchement de sondages menés auprès de la population, comme l'Enquête sociale générale de 2004. La cueillette de ces données a lieu présentement.
Toutefois, compte tenu des limites connues des enquêtes menées auprès de la population, comme la taille insuffisante des échantillons ou le nombre insuffisant de personnes présentant certaines caractéristiques, il est difficile d'en extraire des estimations concernant des sous-groupes d'intérêt particulier. Par ailleurs, les enquêtes menées auprès de la population ou auprès des ménages ne permettent pas de recueillir des données sur les incidents impliquant des entreprises ou des institutions.
En 2005, Statistique Canada commencera à recueillir des données détaillées et continues sur les crimes de haine auprès des services de police du Canada. Ces enquêtes visent à recueillir des données à la fois sur la motivation des crimes et les groupes visés. Encore une fois, ces données seront classées selon les facteurs énumérés à l'article 718 du Code criminel.
Comme ce sera la première fois que les services de police nous communiqueront cette information, ce sera un nouveau commencement pour la cueillette de ces données. Chaque fois que nous demandons à des organismes officiels de communiquer des renseignements en conformité avec une nouvelle norme nationale, ils doivent modifier leurs systèmes de cueillette, et les services de police doivent aussi offrir une formation pour garantir que les données sont dûment classées et rapportées de manière fiable. Je précise sur la diapositive que nous avons mené une étude pilote auprès de 12 services de police, qui traitent environ 43 p. 100 du nombre total de crimes commis au Canada. Je dois vous présenter mes excuses: le service de police de Toronto a été omis dans la version anglaise, mais il figure dans la version française. Nous avons bel et bien travaillé avec le service de police de Toronto dans le cadre de cette étude pilote.
Les résultats de l'étude pilote seront connus au début de l'été. Nous avons hâte de rendre cette information accessible, et nous cherchons actuellement des moyens de financer les travaux nécessaires pour accélérer la mise en oeuvre de ce processus auprès de tous les services de police du pays.
La présidente: Merci, monsieur Jones.
Mme Lisette Lafontaine, avocate-conseil, ministère de la Justice: Comme nous venons de l'entendre, et comme nous avons pu le constater récemment, le Canada n'est pas immunisé contre les incidents racistes, notamment antisémites. Je vais traiter de la législation pénale qui s'applique à ces incidents.
[Français]
Ces récents incidents antisémites constituent des crimes, quelles que soient les motivations de leurs auteurs. Lorsque ces actes sont motivés par des préjugés ou de la haine fondés sur des facteurs tels que la race, l'origine nationale ou ethnique ou la religion, facteurs qui s'appliquent à l'antisémitisme, le Code criminel prévoit que les motivations de ce genre constituent des circonstances aggravantes aux fins de la détermination de la peine.
Ainsi, dans les cas de circonstances aggravantes, la peine imposée par le juge se rapprochera davantage du maximum prévu par la loi que dans d'autres circonstances.
Les autres dispositions du Code criminel qui s'appliquent au racisme et à l'antisémitisme sont celles qui portent sur la propagande haineuse. Dans certains cas, les discours haineux constituent un premier pas vers d'autres crimes haineux.
[Traduction]
Les dispositions sur la propagande haineuse répriment trois genres d'agissements. Le premier consiste à préconiser ou à fomenter le génocide contre un groupe identifiable, c'est-à-dire tout segment de la population qui se différencie des autres par la couleur, la race, la religion ou l'origine ethnique. Le deuxième consiste à inciter à la haine contre un groupe identifiable par la communication de déclarations en un endroit public lorsqu'une telle incitation est susceptible d'entraîner une violation de la paix. Le troisième agissement consiste à communiquer des déclarations, autrement que dans une communication privée, afin de fomenter volontairement la haine contre un groupe identifiable. Préconiser ou fomenter le génocide constitue un acte criminel dont l'auteur est passible d'un emprisonnement maximal de cinq ans. Les deux autres agissements constituent des infractions mixtes, dont l'auteur est passible d'un emprisonnement maximal de deux ans en cas de déclaration de culpabilité par mise en accusation.
Le Code criminel prévoit aussi la saisie et la confiscation de publications contenant de la propagande haineuse qui sont gardées aux fins de vente ou de distribution, et la suppression de la propagande haineuse qui est accessible au public par Internet.
L'utilisation d'Internet pour diffuser de la propagande haineuse pose un nouveau défi en matière de preuve et de juridiction. La propagande haineuse est devenue un problème auquel on ne peut s'attaquer sans une coopération à l'échelle internationale.
Pour cette raison, le Canada a participé, avec le Conseil de l'Europe, aux négociations concernant un protocole additionnel à la convention sur la cybercriminalité, qui prévoit une définition commune des infractions de racisme commises au moyen de systèmes informatiques, et la coopération en matière de répression. Ni la convention ni le protocole ne sont encore en vigueur.
Bien que le Canada ne soit pas exempt de racisme et d'antisémitisme, nous pouvons dire qu'il dispose d'une législation pénale réprimant avec fermeté les crimes haineux. Ma collègue parlera maintenant de la législation sur les droits de la personne.
Mme Angela Connidis, avocate, ministère de la Justice: Madame la présidente, je vais vous parler des dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui portent sur la discrimination.
La Loi canadienne sur les droits de la personne constitue un aspect important de la politique du Canada qui vise à combattre et à enrayer la discrimination, dont l'une des formes est l'antisémitisme. Cette loi s'applique au gouvernement fédéral et aux entreprises privées qui relèvent de la compétence fédérale. Elle ne s'applique pas aux domaines de compétence provinciale. À cet égard, chaque province a sa propre législation pour réprimer la discrimination.
La Loi canadienne sur les droits de la personne n'interdit pas à proprement dit l'antisémitisme; elle établit plutôt des motifs de distinction illicite, comme la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur et la religion. Un acte antisémite constitue clairement un acte discriminatoire fondé sur ces motifs. Si pareil agissement donne lieu à une discrimination dans le domaine de l'emploi, dans la prestation d'un service ou dans l'accès à un logement, il contrevient à la Loi canadienne sur les droits de la personne.
La Loi canadienne sur les droits de la personne est aussi un outil important pour lutter contre la propagande haineuse et renforce l'interdiction pénale des crimes motivés par la haine. L'article 13 de la loi interdit d'utiliser un téléphone pour traiter de questions susceptibles d'exposer une personne ou un groupe à la haine ou au mépris fondé sur un motif de distinction illicite, comme la race. Cette disposition vise également les communications par ordinateur et par Internet.
En conséquence, un discours antisémite qui ne peut constituer un crime motivé par la haine peut être interdit par la Loi canadienne sur les droits de la personne. Dans certains cas, un tribunal des droits de la personne peut être plus efficace pour traiter de propagande haineuse ou d'un discours antisémite parce qu'il exige une norme de preuve moins lourde que les cours pénales et parce qu'il peut appliquer ses propres règles de preuve, lesquelles peuvent être plus libérales que celles prévues par le Code criminel.
Les dispositions sur la propagande haineuse ont été utilisées avec succès à maintes occasions pour enrayer des pratiques antisémites. Dans deux de ces cas, des personnes qui exploitaient des services téléphoniques diffusant des messages antisémites ont été trouvées coupables de s'être engagées dans une pratique discriminatoire contraire au paragraphe 13(1) de la loi.
Parmi les recours possibles, mentionnons l'ordonnance de cesser et de s'abstenir. Dans un des cas, où il y a eu outrage au tribunal pour non-respect de l'ordonnance, l'organisation s'est vue imposer une amende et son dirigeant a été condamné à l'emprisonnement.
Il est important de savoir que la Loi canadienne sur les droits de la personne vise les manifestations extérieures de haine, et non les expressions de haine faites en privé par une personne, laquelle serait protégée par les dispositions sur la liberté d'expression que comporte la Charte canadienne des droits et libertés.
Je vais exposer brièvement le processus prévu par la Loi canadienne sur les droits de la personne pour l'application de ces protections. Des plaintes concernant un acte discriminatoire ou la diffusion de messages haineux peuvent être portées par une personne ou un groupe de personnes ayant des motifs raisonnables de croire que quelqu'un s'est engagé dans une pratique discriminatoire. Une plainte peut aussi être logée par la Commission canadienne des droits de la personne.
Une fois la plainte déposée, la Commission canadienne des droits de la personne mène une enquête, entreprend une démarche de médiation ou de conciliation, s'il y a lieu, et peut décider par la suite de renvoyer la plainte devant le tribunal pour la tenue d'une enquête et la prise de décisions. Dans ces cas, la commission se chargera souvent de la plainte par son processus d'audience.
Lorsqu'on conclut qu'il y a eu discrimination, le Tribunal canadien des droits de la personne dispose d'un éventail de recours, y compris des ordonnances pour faire cesser la pratique discriminatoire, des mesures pour empêcher qu'une pratique identique ou semblable ne se reproduise, des ordonnances pour donner à la victime les droits, les possibilités ou les privilèges qui lui ont été refusés, une compensation pour salaires perdus, une indemnité maximale de 120 000 $ pour souffrances et douleurs et une indemnité maximale de 20 000 $ si la pratique discriminatoire était délibérée ou irréfléchie. En outre, le tribunal peut ordonner une peine maximale de 10 000 $ pour la diffusion de messages haineux.
Ces ordonnances ont un caractère davantage correctif que punitif, ce que visent les lois anti-discriminatoires.
Mme Christine Nassrallah, directrice, Politique et recherche, Direction générale du multiculturalisme et des droits de la personne, ministère du Patrimoine canadien: Je vous remercie ainsi que les membres du Comité sénatorial permanent des droits de la personne de me permettre de m'adresser à vous ce soir. Je représente le programme du multiculturalisme de Patrimoine canadien, et mon collègue et moi allons vous parler de nos programmes qui touchent le sujet à l'étude.
La question de l'antisémitisme est une question de la plus haute importance et qui inquiète profondément les Canadiens. Les événements survenus au cours des dernières semaines confirment l'importance d'une action concertée à l'échelle nationale pour rejeter toutes les formes d'expression du racisme et de la haine, pour promouvoir le respect de la diversité et pour consolider la citoyenneté partagée parmi les Canadiens.
[Français]
Le vandalisme, l'intimidation et les incendies criminels dont sont victimes synagogues, écoles et autres, sont les manifestations violentes et répugnantes de l'antisémitisme. Ces actes criminels minent les valeurs d'une société inclusive telle que vue par les Canadiens. Ces crimes haineux violent le principe fondamental de compréhension et de respect mutuel qui est au cœur du multiculturalisme.
Ces actes suscitent de la peur parmi les membres de la communauté juive et parmi d'autres collectivités ethnoculturelles. Cette recrudescence de crimes haineux atteste clairement que malgré les progrès importants que nous avons faits dans l'édification d'un Canada cohésif, nous avons encore beaucoup à faire.
L'expression de la haine à l'égard d'un groupe quelconque n'a pas sa place dans la société canadienne, comme on vient de l'entendre. L'efficacité de la lutte contre ces manifestations de haine passe par des mesures collectives à l'échelle communautaire et gouvernementale.
Les incidents racistes au Canada et dans le monde soulignent l'importance du dialogue. Nous devons continuer à participer à des dialogues constructifs au sujet de la compréhension interculturelle et de l'élimination de toutes les formes de racisme, de discrimination et de haine, dont l'antisémitisme.
La perspective du gouvernement du Canada en matière de lutte contre toutes les formes de racisme et de discrimination, notamment pour des raisons religieuses, est multiple. Nous nous sommes dotés d'un cadre exhaustif comportant des lois, des politiques et des programmes.
Je voudrais vous parler des activités et du rôle du programme de multiculturalisme de Patrimoine Canada, eu égard aux enjeux du racisme et de la discrimination. Selon le mandat de ce programme, nous sommes tenus aux priorités suivantes: favoriser la compréhension interculturelle, lutter contre le racisme et la discrimination, promouvoir la citoyenneté partagée et créer des institutions traduisant mieux la diversité canadienne.
Aux termes de la Loi sur le multiculturalisme et de la politique qui en découle, les responsables du programme et d'autres ministères fédéraux abordent les enjeux du racisme, de la discrimination, dont l'antisémitisme, par le biais de l'éducation de la population, du développement de la capacité, de la transformation institutionnelle et de projets de recherche.
[Traduction]
Cette perspective large vise à lutter contre toutes les formes de discrimination et à tenir compte de la réalité démographique multiple de la société canadienne. Elle s'appuie sur l'évidence que beaucoup de Canadiens sont encore victimes de discrimination en raison de leur race, de leur origine ethnique, de leur religion ou de leur langue, comme mon collègue l'a souligné. Le gouvernement n'est pas indifférent à cette réalité.
La récente Enquête sur la diversité ethnique a permis d'obtenir des données sur l'existence apparente du racisme au Canada. D'après les résultats d'enquête, 23 p. 100 des juifs du Canada déclarent avoir fait l'objet de discrimination au cours des cinq dernières années, ou depuis leur arrivée au Canada, en raison de leur origine ethnique, de leur culture, de leur race, de la couleur de leur peau, de leur langue, de leur accent ou de leur religion.
Dans le cadre de notre approche générale de lutte contre la discrimination, les responsables du programme du multiculturalisme ont collaboré avec de nombreuses collectivités différentes, dont la communauté juive, pour éliminer le racisme. Plus précisément, le ministère finance la Ligue des droits de la personne de B'Nai Brith pour offrir 20 ateliers de formation des formateurs en matière de lutte contre la haine dans tout le pays, de façon à développer une capacité communautaire et à prévenir le racisme, la haine et les préjugés motivés par la haine.
Le programme permet également d'aider le Congrès juif canadien à organiser un colloque national sur le «maintien du discours civil dans un climat d'instabilité», qui aura lieu à l'automne 2004. Ce colloque réunira différents protagonistes pour discuter des moyens d'entretenir le respect mutuel dans des situations de tension, de partager les leçons tirées de l'expérience et de circonscrire des stratégies pour cultiver la compréhension entre les divers secteurs de la société.
En mars 2004, le programme a permis de financer une conférence intitulée «Haine et racisme: recherche de solutions», organisée par l'Association du Barreau autochtone. Cette conférence était un projet de collaboration destiné à trouver des solutions aux crimes haineux et à rassembler toutes sortes de groupes pour mieux comprendre ces crimes et partager les pratiques optimales à cet égard.
Nous continuerons à collaborer avec diverses collectivités ethnoculturelles et confessionnelles pour créer des produits de sensibilisation publique destinés à détruire les mythes et les stéréotypes et à faciliter le dialogue.
La lutte contre le racisme, la haine et toutes les formes de discrimination est la responsabilité de tous. Nos stratégies continueront d'évoluer en fonction de l'évolution démographique de notre pays et des nouvelles formes d'expression du racisme et de la discrimination.
Le ministère du Patrimoine canadien continuera de collaborer avec d'autres ministères et organismes, avec la société civile, avec des groupes communautaires et avec d'autres administrations gouvernementales pour lutter contre toutes les formes d'expression du racisme, de la discrimination et de la xénophobie. Notre engagement à lutter contre le racisme et la discrimination reste plus urgent que jamais.
Honorables sénateurs, notre ministère collabore également à l'échelle internationale à cet égard. Mon collègue, M. Wilczynski, va maintenant vous donner un aperçu de certaines de nos activités sur la scène internationale.
[Français]
M. Artur Wilczynski, directeur par intérim, Relations internationales et développement des politiques, Direction générale des affaires internationales, ministère du Patrimoine canadien: Permettez-moi de vous décrire brièvement une partie du travail accompli par le ministère du Patrimoine canadien à l'échelle internationale pour lutter contre toute forme de racisme, de discrimination et de xénophobie, dont l'antisémitisme.
Patrimoine canadien collabore étroitement avec ses collègues du ministère des Affaires étrangères pour promouvoir les valeurs canadiennes sur la scène internationale. L'un des principaux volets de ses activités est l'élimination du racisme et de la discrimination ainsi que la lutte contre l'antisémitisme.
Au cours des dernières années, le ministère a également collaboré avec un certain nombre d'organismes internationaux pour promouvoir les valeurs d'inclusion et de respect de la diversité.
L'Organisation des États américains (OSCE), l'UNESCO et le Conseil de l'Europe ne sont que quelques-uns de nos partenaires. Avec ces partenaires internationaux, nous partageons des stratégies et des expériences en matière de lutte contre le racisme et la discrimination. L'objectif de ces échanges, pour le Canada, est de promouvoir une plus grande compréhension des valeurs fondamentales que sont la diversité et le respect des droits de la personne. De plus, ces tribunes nous permettent de comprendre comment les autres pays font face à ces enjeux.
Citons, à titre d'exemple, la participation du Canada à la première conférence de l'OSCE sur l'antisémitisme qui s'est tenue à Vienne l'an dernier. Des fonctionnaires du ministère du Patrimoine canadien, du ministère des Affaires étrangères, des représentants de la communauté juive ainsi que des députés ont pris part à ce forum. Cette conférence fut une occasion importante pour la délégation canadienne de partager ses expériences et faire le bilan de la situation à l'OSCE en matière de lutte contre l'antisémitisme.
[Traduction]
Madame la présidente, cette conférence faisait partie d'une vaste stratégie de l'OSCE pour lutter contre toutes les formes de discrimination et de racisme. Par la suite, l'OSCE a organisé une conférence sur le racisme, la xénophobie et la discrimination, en septembre 2003, où les participants ont cherché à renforcer l'importance de la lutte contre toutes les formes de racisme. La délégation canadienne était dirigée par l'honorable Jean Augustine, ministre d'État au Multiculturalisme et à la Condition féminine. Au cours de cette conférence, la ministre a souligné les cinq volets de la stratégie canadienne d'élimination du racisme, à savoir: un solide cadre législatif, un système judiciaire accessible, une société civile saine, des campagnes d'éducation et de sensibilisation de la population et, enfin, la reconnaissance du racisme comme réalité socio-économique. Le ministère du Patrimoine canadien continuera de participer aux activités de l'OSCE en matière d'antiracisme dans le but l'élaborer des stratégies internationales exhaustives pour la lutte contre toutes les formes de discrimination, dont l'antisémitisme. Nous continuerons d'alimenter le débat, dans diverses tribunes régionales et internationales, sur l'importance de la lutte contre le racisme. Le développement de la compréhension et du respect mutuels des différences culturelles, linguistiques et ethnoculturelles et la lutte contre toutes les formes de racisme sont les principaux éléments de nos activités internationales à cet égard.
Le sénateur Jaffer: J'aimerais donner la parole au dernier intervenant, mais je voudrais auparavant vous demander comment vous engagez le dialogue dans une collectivité multiculturelle. À quels groupes vous adressez-vous? Je ne vous demande pas de donner une liste, mais comment assurez-vous ces dialogues?
M. Wilczynski: Sur la scène internationale?
Le sénateur Jaffer: Non, excusez-moi.
Mme Nassrallah: Dans la prestation de notre programme, nous avons établi des partenariats avec des groupes et des organisations communautaires. Nous travaillons en étroite collaboration avec eux afin de définir leurs besoins, les aider à développer leurs capacités et nous concentrer sur ce qui est prioritaire pour combattre le racisme et la discrimination dans la collectivité, à la base.
Le sénateur Jaffer: Avez-vous un comité consultatif?
Mme Nassrallah: Nous n'avons pas de comité consultatif, mais notre personnel régional ainsi que nos agents de programme travaillent en étroite collaboration avec les organisations communautaires.
Le sénateur Jaffer: Existe-t-il un comité en particulier qui conseille la ministre?
Mme Nassrallah: Dans la période qui a suivi le 11 septembre, il y avait un comité consultatif interconfessionnel qui facilitait le dialogue avec la communauté.
Le sénateur Jaffer: Pareil comité n'existe plus depuis le 11 septembre?
Mme Nassrallah: Je n'en ai pas eu connaissance.
Le sénateur Jaffer: J'aimerais que vous reveniez à l'avant-dernière page de votre présentation. Pouvez-vous m'aider à comprendre? Vous dites que la ministre Augustine a souligné qu'il y avait cinq recommandations. Qu'est-ce que cela signifie? Qu'entendez-vous par un «solide cadre législatif»? M. Wilczynski pourrait peut-être répondre à cette question.
Mme Nassrallah: Y a-t-il un cadre législatif?
Le sénateur Jaffer: Oui. Y a-t-il un solide cadre législatif, et quel est-il?
Mme Nassrallah: Nous pensons avoir un solide cadre législatif avec la politique sur le multiculturalisme, la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Loi sur le multiculturalisme canadien, la Loi sur l'emploi dans la fonction publique et la Loi sur l'immigration. Toutes ces mesures constituent un cadre législatif pour protéger les droits de la personne, dans le but d'éliminer le racisme et la discrimination et d'assurer l'égalité des chances aux personnes de toutes origines.
Le sénateur Jaffer: Merci d'avoir énuméré toutes ces lois. Y a-t-il un mécanisme de reddition des comptes pour fournir des preuves à la population du Canada? Je sais qu'il y en a un dans le cas de la loi sur le bilinguisme. Y en a-t-il un pour la Loi sur le multiculturalisme?
Mme Nassrallah: Il est prévu dans la Loi sur le multiculturalisme que le ministre d'État fasse rapport tous les ans au Parlement des activités à l'appui de la loi.
Le sénateur Jaffer: Y a-t-il des objectifs fixés par la Loi sur le multiculturalisme, comme c'est le cas dans la Loi sur le bilinguisme, que le ministre doit atteindre?
Mme Nassrallah: Les ministères et organismes fédéraux doivent remplir certaines exigences pour favoriser les principes du multiculturalisme énoncés dans la loi.
Le sénateur Jaffer: Comme il est presque 19 heures, je vais demander à la présidente s'il est possible de nous répondre par écrit plutôt sur la façon dont chacun des cinq volets énoncés sur cette page ont été réalisés? Quand nous aurons pris connaissance de vos réponses, nous pourrons alors peut-être vous demander de revenir.
La présidente: Merci.
[Français]
Le sénateur Plamondon: Ma question s'adresse à M. Artur Wilczynski. De quelle façon le Canada se compare-t-il aux autres pays dans cette lutte contre l'antisémitisme?
[Traduction]
M. Wilczynski: La comparaison devrait être faite par d'autres organismes. Par exemple, les Nations Unies disposent d'un mécanisme spécial permettant d'évaluer nos efforts dans la lutte contre le racisme. Le rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et d'intolérance est venu au Canada en septembre dernier et a présenté son rapport à la Commission des droits de l'homme des Nations Unies ce printemps. Sénateurs, nous pouvons vous envoyer copie de ce rapport pour que vous puissiez avoir une évaluation indépendante de la situation de la lutte contre le racisme au Canada.
[Français]
Le sénateur Plamondon: Lors des réunions tenues à l'extérieur du pays, le Canada a-t-il fait bonne figure dans sa lutte contre l'antisémitisme?
[Traduction]
M. Wilczynski: Je peux vous dire que le Canada participe à différentes activités internationales pour lutter contre l'antisémitisme — par exemple, à la conférence de l'OSCE contre l'antisémitisme qui a eu lieu l'an dernier à Vienne, nous avons énoncé des mesures précises pour combattre toutes les formes de discrimination, y compris l'antisémitisme. Cependant, encore une fois, je pense qu'il vaudrait mieux que ce soit des évaluateurs indépendants, plutôt que moi, qui vous indiquent comment nous nous comparons aux autres dans ce domaine.
Le sénateur Jaffer: Vous avez parlé du rapport du rapporteur spécial et je vous remercie de proposer de nous le fournir. J'ai cru comprendre, et vous pouvez me corriger si je me trompe, que le rapporteur a indiqué que la loi n'était pas appliquée de façon uniforme dans l'ensemble du pays. J'aimerais savoir si vous avez réagi à ce qui a été indiqué. Quand vous allez nous envoyer le rapport, j'aimerais avoir votre réaction aux conclusions du rapporteur spécial.
M. Wilczynski: Le rapport a été déposé devant la Commission des droits de l'homme il y a environ deux semaines. C'est un rapport très exhaustif qui traite de beaucoup de questions où il y a chevauchement des compétences. Par conséquent, nous n'avons pas encore réagi de façon officielle. Je sais que notre ambassadeur du ministère des Affaires étrangères, qui se trouvait à Genève, est intervenu au moment du dépôt du rapport. Je peux transmettre votre demande à nos collègues du ministère des Affaires étrangères.
Le sénateur Jaffer: Vous pourriez peut-être aussi nous transmettre copie de son intervention, je vous prie.
[Français]
Le sénateur Ferretti Barth: Je me réfère à la version française du rapport concernant la Loi sur le multiculturalisme. Vous dites que d'autres programmes fédéraux veulent aborder les enjeux de racisme et de la discrimination, dont l'antisémitisme, par le biais de l'éducation de la population.
Comment vous y prendrez-vous pour éduquer la population? Allez-vous instaurer des programmes dans les écoles?
Mme Nassrallah: Une de nos priorités est vraiment la sensibilisation de la population par le biais des projets que nous avons avec le groupe communautaire auquel on a fait référence auparavant. Ces programmes ciblent la jeunesse. Chaque année, une campagne antiracisme a lieu pour marquer le 21 mars, la Journée internationale pour l'élimination de la discrimination. Cette campagne est très effective et efficace concernant l'envoi de messages dans le but de réduire ou d'éliminer le racisme. C'est une approche à plusieurs volets dont: l'éducation de la jeunesse, le partenariat avec la société civile ainsi qu'un programme de sensibilisation de la société en général.
Le sénateur Ferretti Barth: De quelle façon vous y prendrez-vous pour rejoindre la population en général? Avec des conférences, de la documentation?
Mme Nassrallah: Cela comprend tous les moyens que vous avez mentionnés.
Le sénateur Ferretti Barth: Ne pensez-vous pas qu'il serait plus efficace d'aller dans les écoles? C'est souvent là qu'on perçoit les débuts de la rivalité, de la haine et du racisme. Pouvez-vous m'expliquer clairement la différence entre la discrimination, le racisme et l'antisémitisme? Qu'est-ce que l'antisémitisme en fin de compte? Un cocktail de tout cela?
Mme Nassrallah: Nous traitons le racisme et la discrimination avec une approche très générale. On ne cible pas une communauté, une race ou une religion spécifique. Notre approche est très globale et comprend tous les volets, tous les secteurs, toutes les religions ou tous les groupes ethniques.
Quelles sont les distinctions entre le racisme et la discrimination? La discrimination, c'est vraiment la distinction des personnes en se basant sur l'origine ethnique, raciale, l'âge, ainsi de suite. Le racisme, c'est quand on cible un groupe ou un individu en se basant sur leur race. L'antisémitisme fait vraiment partie de l'approche générale sans être spécifique.
Le sénateur Ferretti Barth: Je sais que les juifs parlent toujours de l'antisémitisme. C'est ce que je veux savoir. L'antisémitisme comprend-t-il le racisme et la discrimination? Est-ce seulement envers les Juifs ou envers les autres groupes discriminés en raison de leur religion, leur race ou leur couleur? Je veux comprendre cela. Personne ne me donne une réponse qui satisfait mon besoin intérieur.
Pouvez-vous m'expliquer ce que veut dire la «citoyenneté partagée»?
Mme Nassrallah: C'est le concept où chaque citoyen a la responsabilité de contribuer dans la société et, en même temps, a le droit et le privilège en tant que citoyen. Cela fonctionne des deux côtés. Chaque citoyen doit contribuer au développement de la société comme chaque individu a ses droits et ses responsabilités.
Le sénateur Ferretti Barth: Est-ce une chose à la mode? Est-ce récent? C'est la première fois que je vois les mots «citoyenneté partagée».
Mme Nassrallah: On l'a entendu plus souvent en anglais «shared citizenship». Ce n'est pas nouveau. Cela fait longtemps que cela existe.
Le sénateur Ferretti Barth: Je vous avoue mon ignorance, c'est la première fois que je l'entends.
Le sénateur Plamondon: Le Canada a des lois visant à défendre toute forme de discrimination et les propos haineux et se conforme à des ententes internationales. Si le Canada adopte des mesures spécifiques sur l'antisémitisme, ne contrevient-il pas à ce moment à des ententes internationales étant donné qu'il privilégie un peuple par rapport aux autres?
Mme Lafontaine: Le Canada n'a adopté — du moins pas dans le Code criminel — aucune mesure spécifique à l'antisémitisme. On adopte des mesures contre la propagation de la haine.
Le sénateur Plamondon: J'ai déjà posé la question à quelqu'un d'autre dans un autre contexte et on m'a répondu qu'on a déjà ratifié, en novembre 1970, la Convention internationale sur l'élimination de toute forme de discrimination raciale et que cette convention couvre tous ces points. Donc, si on adoptait un peu plus tard une mesure spécifique à l'antisémitisme, cela ne viendrait-il pas brouiller les cartes avec ce qui a été adopté par le Canada?
Mme Lafontaine: Il pourrait y avoir des difficultés au point de vue des règles de l'égalité. Je ne veux pas vous donner une réponse abstraite. Il faudrait voir quelle est la mesure proposée et savoir si c'est compatible avec le droit à l'égalité de la Charte et avec d'autres principes du droit canadien. Dans l'abstrait, il est difficile de vous donner une réponse.
Le sénateur Plamondon: Vous n'avez pas la réponse à ma question?
Mme Lafontaine: Il faudrait vraiment regarder ce qui est proposé pour voir si c'est possible ou non.
[Traduction]
Le sénateur Jaffer: Je ne sais trop comment la Fondation des relations raciales fonctionne. Relève-t-elle du ministère du Patrimoine?
Mme Nassrallah: C'est une société indépendante créée à la suite de notre politique sur le recours japonais.
Le sénateur Jaffer: Je sais. Je m'intéresse beaucoup à cette question. J'aimerais savoir quelles sont vos relations avec elle et si elle collabore avec vous dans la lutte contre l'antisémitisme?
Mme Nassrallah: Je pense que c'est une question...
Le sénateur Jaffer: Collaborez-vous?
Mme Nassrallah: Dans certains cas, le dialogue est constant entre nous, dans la mesure du possible.
Le sénateur Jaffer: Je ne comprends pas ce que vous voulez dire.
Mme Nassrallah: Elle a un mandat. C'est une société qui fonctionne indépendamment de nous. Nous avons des programmes de sensibilisation du public sur le racisme. Nous développons des capacités avec des organismes et des groupes communautaires, et la FCRR a ses propres programmes.
Le sénateur Jaffer: Madame la présidente, les témoins nous ont fourni beaucoup d'informations que nous devons examiner. Une fois que ce sera fait, j'aimerais qu'ils puissent revenir répondre à d'autres questions.
La présidente: Oui, dans la mesure où ils sont d'accord.
Le sénateur Jaffer: Puis-je demander que la ministre soit aussi invitée?
La présidente: Nous allons inviter trois ministres et peut-être un quatrième. Celui des Affaires étrangères a aussi demandé de comparaître.
Merci beaucoup de vos interventions.
Nous allons maintenant accueillir Mme Karen Mock, de la Fondation canadienne des relations raciales, M. Steve Scheinberg, président national de la Ligue des droits de la personne de B'Nai Brith Canada, et Keith Landy, Eric Vernon et Manuel Prutschi du Congrès juif canadien.
M. Keith Landy, président national, Congrès juif canadien: Sénateurs, j'aimerais d'abord remercier les leaders des deux partis du Sénat qui ont rendu ces audiences possibles. J'aimerais également vous remercier, madame la présidente, ainsi que tous les membres de votre comité de reconnaître l'importance de l'antisémitisme, tant au Canada qu'ailleurs dans le monde, et de tenir ces audiences.
Nous sommes très heureux de pouvoir apporter notre contribution à cet examen parlementaire vraiment historique sur les formes contemporaines de l'antisémitisme au Canada.
Je profite aussi de l'occasion pour remercier M. Clifford Lincoln du rôle qu'il a joué en étant un des représentants du Parlement canadien à l'OSCE, ainsi que son collègue du comité, le sénateur Grafstein, dont la détermination à l'égard de l'antisémitisme ne peut-être surpassée que par sa ténacité à faire examiner par votre comité la résolution de l'OSCE mise de l'avant à Berlin en 2002.
Nous espérons sincèrement que votre comité va recommander que le Sénat du Canada appuie la résolution de l'OSCE sur l'antisémitisme avant la conférence de suivi qui aura lieu la semaine prochaine à Berlin. Nous espérons également que notre témoignage de ce soir va vous aider à vous prononcer.
Il y a des Juifs au Canada depuis le XVIIIe siècle. Aujourd'hui, nous sommes environ 370 000, soit 1,1 p. 100 de la population. Plus de la moitié des Juifs habitent dans les trois principales villes du pays. Il y a en a environ 180 000 à Toronto, 93 000 à Montréal et 22 500 à Vancouver. Il y a aussi des Juifs qui se retrouvent en groupes plus restreints mais autonomes dans beaucoup d'autres villes.
Je suis fier de dire que la communauté juive du Canada est l'une des plus prospère de la Diaspora. C'est une minorité qui s'est bien adaptée à la vie dans une démocratie occidentale. Tout en conservant notre identité propre, nous sommes heureux de vivre au Canada.
En tant que minorité, nous comprenons qu'il existe au Canada un contrat social fondamental qui permet aux minorités de bien s'intégrer sans être assimilées. On encourage le caractère distinctif des minorités, en présumant qu'elles vont adopter les valeurs propres aux Canadiens et s'y attacher.
Parmi ces valeurs, citons un gouvernement démocratique, les libertés fondamentales, la liberté individuelle, la dignité et la sécurité de la personne, la règle de droit et la conciliation dans le règlement des conflits.
C'est dans ce contexte, sénateurs, que nous envisageons notre examen de l'antisémitisme, un fléau qui menace la communauté juive canadienne depuis ses origines. L'antisémitisme n'a jamais cessé d'exister sauf de façon temporaire au début des années 40 quand le Canada a participé à la guerre contre les puissances de l'Axe.
Le Congrès juif canadien, qui s'intéresse depuis sa création en 1919 aux droits de tous les Canadiens et surtout ceux appartenant à des minorités ethniques, religieuses et autres et à des groupes qui recherchent l'égalité, a pour préoccupation centrale la lutte contre l'antisémitisme.
Pour le Congrès juif canadien, l'antisémitisme est une hostilité irrationnelle dirigée contre les Juifs, pris individuellement et collectivement, uniquement parce qu'ils sont Juifs, et contre l'État d'Israël, le seul État juif du monde.
Sénateurs, il est important de souligner qu'on ne peut comprendre l'antisémitisme contemporain ou «nouveau» comme on l'appelle, qui existe au Canada ou ailleurs, sans tenir compte de la situation sur la scène internationale et particulièrement au Moyen-Orient.
Le sionisme, avec l'État d'Israël, qui en est l'expression tangible, est, pour le peuple juif, l'aboutissement de sa lutte pour mettre fin à la persécution qu'il n'a jamais cessé de subir, atteindre l'autodétermination et l'épanouissement et accomplir sa destinée. Pour la communauté juive canadienne, Israël est donc essentiel et les liens avec ce pays sont solides.
L'antisémitisme qui sévit depuis trois ans, comme on ne l'avait pas vu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, est un phénomène mondial qui dépasse les frontières. Il s'attaque à la fois aux Juifs et au sionisme, c'est-à-dire qu'il rejette l'autodétermination nationale des juifs sur notre terre ancestrale et le droit d'Israël d'exister comme État juif au Moyen-Orient.
La communauté juive est ciblée par ses concitoyens et elle est aussi peut-être le seul groupe ethno-religieux victime de terrorisme dans le monde. La terreur exercée contre les Juifs fait suite à la campagne meurtrière de terrorisme dirigée contre l'État d'Israël dans une guerre géopolitique implacable.
En revanche, l'antisémitisme, qui est un phénomène de la Diaspora, est aussi venu cibler Israël après le rétablissement, en 1948, de l'État juif moderne.
Le nouvel antisémitisme touche autant la gauche et la droite que les mondes arabe et musulman, y compris en Occident et au Canada. Il est au coeur d'une théologie de la haine chrétienne et musulmane, et il est plus viscéral qu'idéologique.
L'antisémitisme atteint aussi des membres des mouvements nouvel âge et antimondialisation et beaucoup trop d'antiaméricains. Le nouvel antisémitisme rallie des groupes qui autrement seraient opposés, sinon carrément hostiles les uns aux autres.
La situation du Canada n'est pas aussi grave qu'en Europe et ailleurs, mais le Canada n'est pas épargné. On a propagé et ravivé la haine. Des synagogues ont été profanées et visées par des bombes incendiaires, des écoles et d'autres immeubles vandalisés et incendiés. Beaucoup trop de tombes ont été profanées, et des particuliers, des groupes et des collectivités entières ont été harcelés, maltraités, menacés et agressés.
Les actes de violence antisémites qui se sont produits en mars et en avril 2004 au Québec, en Ontario et à Terre- Neuve montrent clairement que l'antisémitisme se porte bien au Canada. On a mis le feu à la bibliothèque d'une école de Montréal, on a vandalisé des synagogues à Toronto et à St. John's, on a renversé des pierres tombales dans quatre cimetières juifs, deux situés à Toronto, un à Kitchener et un autre à Brantford, et on a endommagé des maisons, des voitures, des affiches et d'autres biens dans la région métropolitaine de Toronto.
L'impact sur la communauté juive est psychologique et financier. Une communauté craintive est forcée de prendre des mesures sécuritaires coûteuses pour protéger ses écoles, ses synagogues et d'autres établissements. C'est une atteinte à nos droits en tant que Canadiens, et nous encourageons nos gouvernements à songer à nous aider à ce sujet.
La propagande haineuse et l'enseignement du mépris sont à l'origine de ce phénomène. Des propos dangereusement irresponsables, incendiaires et carrément infâmes sont la condition préalable à l'exécution d'actes ignobles.
Guy Graviel Kay, le romancier et poète juif canadien bien connu, attribue avec justesse l'origine de l'antisémitisme canadien à ce qu'il appelle le climat du discours et au fait qu'aujourd'hui on peut dire publiquement des choses répugnantes.
Nous devons lever le voile de l'impunité qui permet à beaucoup de gens de dire ou de faire des choses qui sont absolument contraires aux valeurs canadiennes. Le ton du discours public sur la question israélo-arabe a assurément beaucoup dégénéré, pour passer de l'expression légitime d'une opinion politique à de l'antisémitisme.
L'assimilation de l'antisionisme et de l'antisémitisme s'est manifestée le plus concrètement sur les campus d'universités canadiennes. L'hostilité, la diffamation, la confrontation et l'intimidation dans certains cas ont souvent remplacé l'échange salutaire d'idées et les débats intellectuels.
Mesdames, il est certain que si l'antisémitisme commence avec les Juifs, il ne finit jamais avec eux. S'il commence aujourd'hui par menacer les communautés juives et le seul État juif dans le monde, son objectif ultime est la destruction des sociétés démocratiques, ouvertes et pluralistes, comme le Canada, que nous avons tous bâti et que nous chérissons.
C'est dans la nature de l'antisémitisme, autant à l'échelle nationale qu'internationale, de toujours essayer d'aller de la périphérie vers le centre. Il a peut-être déjà atteint en partie son objectif en Europe mais, au Canada, nous croyons que sa tentative a échoué. C'est notre responsabilité de l'éloigner du centre ou de le repousser en marge, là où il s'est trop avancé.
Voici nos recommandations: Les mesures pour lutter contre l'antisémitisme doivent être de portée nationale et internationale et toucher tous les aspects de la société, sur les plans politique, intellectuel, culturel, juridique, éducatif et économique. Les manifestations d'antisémitisme doivent être dénoncées publiquement et sans équivoque par le milieu politique à tous les niveaux pour montrer qu'il y a une politique de tolérance zéro au Canada pour des actes de ce genre.
Aujourd'hui, le Canada est un regroupement de communautés. Le racisme n'est plus un phénomène qui ne touche que les autres. Les membres des minorités peuvent aussi être tentés par le racisme et font autant partie du problème que de la solution. Les communautés ethnoculturelles et religieuses doivent donc reconnaître la gravité de l'antisémitisme et le condamner. Il faut que la société soit solidaire pour qu'un groupe ne se sente jamais victimisé.
Des programmes d'information sont essentiels pour sensibiliser la population, surtout les jeunes, aux dangers redoutables de l'antisémitisme et du racisme et pour offrir des enseignements universels et durables sur les droits de la personne, la tolérance et le multiculturalisme. L'antisémitisme et toutes les expressions du racisme et de la haine vont à l'encontre des valeurs canadiennes, tout comme l'absence de civilité et de respect pour la diversité.
Le gouvernement doit faire la promotion d'un concept de citoyenneté et de civisme fondé sur des valeurs, selon lequel il est possible de conserver sa culture et son identité dans une société multiculturelle tout en adoptant des valeurs canadiennes fondamentales.
Il faut rétablir un discours civil au Canada pour instaurer un climat de confiance et de respect et élaborer un cadre pour pouvoir discuter entre nous de questions géopolitiques litigieuses tout en respectant les valeurs canadiennes. Comme l'a fait remarquer le témoin du service du multiculturalisme, le Congrès juif canadien, avec l'aide généreuse du ministère du Patrimoine canadien, organise cet automne trois conférences sur le discours civil, à l'intention du Canada central, de l'ouest et de l'est du pays.
Depuis un demi-siècle, le Canada a établi une jurisprudence sur les droits de la personne pour lutter contre la haine et les préjugés à l'égard de groupes identifiables. Les autorités doivent continuer d'utiliser ce bagage de ressources juridiques contre ceux qui commettent des actes d'antisémitisme, en tenant compte du fait que les crimes qui semblent être de nature politique, comme des brochures avec des thèmes judéophobes, des allégations voulant qu'il y ait une conspiration juive dans le monde et des graffitis qui confondent l'étoile de David et la croix gammée, sont en fait des actes antisémites. Les recours juridiques ont été bien indiqués par les témoins du gouvernement pour ce qui est du Code criminel et des lois sur les droits de la personne et, pour gagner du temps, je ne reviendrai pas là-dessus.
Nous souhaiterions également signaler les lignes de conduite interprétatives de Douanes Canada régissant l'application des articles du Tarif des douanes, les règlements du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, les autres lois dans les domaines de la radiodiffusion, de l'éducation et de l'immigration ainsi que les autres dispositions pertinentes. Le Canada devrait également tabler sur l'autorité morale qu'il a acquise au cours des ans grâce à sa réputation de pays voué aux droits de la personne, à la démocratie et à la sécurité, pour être davantage un chef de file dans la campagne internationale contre l'antisémitisme, notamment en condamnant toutes ses manifestations dans les tribunes multilatérales, y compris les Nations Unies et l'OSCE, ainsi que dans ses relations internationales bilatérales.
Le Canada a adopté plusieurs mesures importantes dans la foulée des événements du 11 septembre, en vue de renforcer sa sécurité intérieure et de participer à la guerre menée contre le terrorisme international. Je n'examinerai pas cette question exhaustivement, encore une fois pour économiser du temps.
Honorables sénateurs, nous savons que vous avez fait vôtres nos profondes préoccupations à propos de l'antisémitisme qui refait surface. Nous comptons sur vous, qui êtes des parlementaires défendant l'intégrité, la civilité, le pluralisme et les droits de la personne, pour jouer un rôle actif afin de débarrasser le Canada et le monde de ce fléau.
Mme Karen Mock, directrice générale, Fondation canadienne des relations raciales: Madame la présidente, je suis très heureuse de comparaître devant vous ce soir. J'ai déjà remis au comité notre documentation. C'est avec beaucoup de plaisir que je répondrai ultérieurement aux questions sur notre fondation, si cela se révélait utile. Cependant, qu'il me suffise de dire que notre fondation est une société d'État indépendante du gouvernement. Contrairement aux autres sociétés d'État, nous ne recevons pas de montants d'argent de la part du gouvernement, mais nous disposons d'un budget provenant des revenus du fonds de dotation qui nous a été accordé aux termes de l'Entente de redressement à l'égard des Canadiens japonais. C'est grâce à la générosité de la communauté japonaise qu'a pu être négociée la création d'une fondation indépendante qui, vouée à la défense des droits de la personne, lutterait contre toutes les formes de racisme, ferait l'historique du racisme au Canada, poursuivrait les recherches, jouerait un rôle d'intermédiaire, fournirait des ressources et serait un centre d'information.
Je comparais devant vous à double titre. Beaucoup de ceux qui travaillent dans ce domaine occupent diverses fonctions, mais je ne témoigne pas uniquement à titre de directrice générale de la Fondation canadienne des relations raciales, poste que j'occupe depuis octobre 2001. J'ai été honorée d'y être nommée, mais cette nomination est survenue à peine quelques semaines après la tenue de la Conférence mondiale contre le racisme à Durban et, naturellement, peu de temps après le 11 septembre. C'est avec beaucoup d'émotion que j'ai assumé ce poste à ce moment-là, parce que je suis également juive et parce que j'avais à coeur le mandat de la fondation qui consiste à surveiller la situation et à être aux aguets pour que «plus jamais» les droits de la personne ne soient violés au Canada, comme ils l'ont été pendant et après la Deuxième Guerre mondiale.
Je vous ai remis de la documentation, mais je ne l'aborderai pas. Dix minutes ne suffisent pas pour résumer 30 ans de réalisations dans ce domaine. De plus, j'ai occupé auparavant le poste de directrice nationale de la Ligue des droits de la personne de B'nai Brith Canada, pendant 12 ans. Comme vous l'apprendrez ultérieurement, cette organisation collabore avec le congrès et d'autres organismes canadiens pour rassembler des informations sur l'incidence de l'antisémitisme et des activités haineuses au pays.
Je suis également enseignante et psychologue de formation. Si vous êtes d'accord, je remettrai à la greffière de la documentation donnant un aperçu historique. Cette documentation vous sera peut-être utile lorsque vous rédigerez votre rapport.
Si je puis me le permettre, je vous dirai qu'étant donné que nous manquerons certainement de temps, je serai très heureuse de comparaître ultérieurement, si je puis vous être utile en vous fournissant, par l'intermédiaire de mon organisation, les résultats de nos recherches et des idées sur la façon dont nous pourrions faire progresser notre plan d'action.
Je vous citerai la conclusion figurant dans l'un des documents que je vous ai remis:
À l'heure actuelle au Canada, ceux qui mènent la lutte contre le racisme manifestent clairement le désir d'intensifier cette lutte. Un effort concerté a été déployé pour exercer des pressions sur le gouvernement afin qu'il applique, dans un plan d'action national, les mesures convenues à Durban, dont l'objet est de créer de nouvelles dispositions législatives et de renforcer celles qui existent déjà contre le racisme, la discrimination raciale et toutes les formes d'intolérance. Nous attendons ce plan avec impatience.
Cependant, l'expression «toutes les formes d'intolérance» a même été employée par les Nations Unies pour englober antisémitisme, ce dernier terme ne pouvant pas pu figurer dans ses documents en raison de la pression énorme exercée, des négociations incessantes et de l'incapacité totale de parvenir à un consensus.
Ce fut, pour nous, l'occasion de nous attaquer également à d'autres formes d'intolérance. Cependant, le combat n'est pas terminé, même s'il fait rage depuis fort longtemps — un documentaire de la BBC s'intitulait The Longest Hatred. Ces dernières années, il est devenu encore plus difficile de taxer l'antisémitisme de phénomène haineux contre lequel nous devons tous lutter. Parallèlement, nous devons naturellement nous attaquer aussi à toutes les autres formes de discrimination.
Dans ce document, j'ai abordé les problèmes auxquels nous sommes confrontés. Je m'en servirai pour formuler des recommandations positives.
Premièrement, nous devons établir un véritable dialogue, ce qui a déjà été abordé. «Établir un véritable dialogue» équivaut réellement à se mettre à la place de l'autre et à ne pas craindre de recourir aux intermédiaires et aux experts pour réunir autour d'une table les intervenants canadiens — et internationaux, bien que le mandat de notre fondation ne dépasse pas nos frontières — afin d'instaurer un véritable dialogue en vue de résoudre les problèmes. D'une certaine façon, il s'agit de se mettre à la place de l'autre.
Deuxièmement, il faut comprendre le concept d'antisémitisme sous toutes ses formes, y compris l'antisémitisme systémique. Bon nombre de ceux ici présents, qui travaillent dans le domaine des droits de la personne et qui sont appelés à qualifier toutes les formes de racisme, éprouvent de la difficulté à le faire lorsqu'il s'agit de l'antisémitisme.
Troisièmement, nous devons reconnaître la distinction entre la critique légitime des politiques du gouvernement israélien, s'il y a lieu — c'est en réponse à la question du sénateur Plamondon —, et une critique versant dans l'antisémitisme. Il existe une stratégie ou des moyens pour faire la part des choses dans notre domaine. Parallèlement, on peut critiquer le Canada, mais quand cela devient-il une trahison? On peut certainement critiquer Israël sans être antisémite. Cependant, je vous donnerai sous peu quelques exemples de moyens à notre disposition.
Quatrièmement, il est essentiel, de la même façon que nous protestons contre toutes les formes d'islamophobie, de dénoncer le racisme, l'homophobie et toutes les formes de discrimination. Il ne faut pas craindre de se prononcer contre l'antisémitisme. Soit dit en passant, je dois vous dire que les juifs qui travaillent dans le domaine des droits de la personne et de la lutte contre le racisme, voire ceux qui enseignent dans ces domaines, craignent de s'exprimer ouvertement aujourd'hui. On les fait taire et on les marginalise, même dans les établissements où l'enseignement consiste notamment à créer un environnement sûr pour traiter de ces questions.
Enfin, la solidarité manifestée entre les groupes raciaux et religieux est extrêmement importante. La solidarité exprimée après les incidents récents a été rassurante, mais il a fallu une série d'événements déplorables comme des bombes incendiaires, la profanation de synagogues et de cimetières, ainsi que le vandalisme dans les écoles. Je n'aborderai pas ces questions puisqu'il existe des documents que vous pouvez lire à ce sujet. Cependant, j'ai constaté malheureusement — et nous composons avec cela — qu'on me félicite lorsque mes fonctions m'ont amené à convoquer un sommet contre le profilage racial ou à manifester ma solidarité haut et fort contre les incidents visant des musulmans et des Arabes après le 11 septembre. Cependant, lorsque je m'oppose ouvertement à l'antisémitisme, on me critique sous prétexte que je suis partial étant juive. Comme je l'ai déjà signalé à d'autres tribunes, il y a un terme pour désigner une telle attitude, et c'est «antisémitisme».
Comme nous n'avons pas le temps d'examiner exhaustivement les définitions, je présente à la greffière un document qui, je l'espère, sera reproduit. Je regrette de ne pas l'avoir fait parvenir auparavant. J'aurais probablement dû le faire, mais je ne voulais pas vous inonder de documents de recherche. Dans celui qui a été distribué, j'ai fait allusion à un chapitre intitulé «Anti-semitism in Canada: Realities, remedies and implications for anti-racism».
L'antisémitisme comporte une forte connotation raciste et doit être visé par le programme de lutte contre le racisme. Qu'est-ce que l'«antisémitisme»? Vous avez déjà entendu quelques définitions. Je vous donnerai celle de l'Anti- Defamation League: l'antisémitisme peut être défini le plus simplement comme désignant l'hostilité à l'endroit des juifs pour le seul motif qu'ils sont juifs. Malgré ce que prétendent les antisémites, l'antisémitisme ne découle pas des actions ou des croyances des juifs — ou encore de l'État juif, en passant soit dit —, mais plutôt des attitudes et des comportements qui sont adoptés, quelles que soient les actions ou les croyances des juifs. Les antisémites sont hostiles aux juifs pour ce qu'ils sont et ce qu'ils représentent. Il s'agit d'un antagonisme qui remonte à très loin.
J'en dresse l'historique dans un document qui, je l'espère, vous sera remis.
Je souhaiterais présenter brièvement quelques recommandations concrètes. Encore une fois, nous pourrons vous transmettre, à cet égard, un document plus exhaustif, si vous le souhaitez.
Quelles mesures les gouvernements et les parlementaires peuvent-ils prendre pour tabler sur les progrès accomplis par les ONG — certaines d'entre elles sont représentées ici aujourd'hui — et sur le travail effectué par les autres et nous pour mettre en oeuvre des programmes ayant une influence concrète qui est importante et soutenue?
Dans les années 30, les juifs et d'autres peuples ont fait confiance aux institutions civiles — gouvernements, organismes d'application de la loi et organisations religieuses — pour les protéger avant que ne survienne l'inévitable, mais nous avons eu tort de le faire. Notre confiance excessive nous a appris une leçon fondamentale.
Je veux signaler des signes porteurs d'espoir. Naturellement, l'un d'entre eux a été lorsque le premier ministre a dit: «Ce n'est pas l'idée que je me fais du Canada». Nous tablons sur de tels moments. Des dirigeants internationaux se sont élevés contre l'antisémitisme. Dans à peine deux semaines, les dirigeants de 55 pays de l'OSCE se réuniront à Berlin. Cependant, il n'en demeure pas moins que bon nombre de ces pays souhaiteraient plutôt ne pas s'y rendre et ils espèrent ne plus devoir répéter l'expérience ultérieurement. Comme je l'ai dit auparavant, le monde des ONG et même l'appareil gouvernemental considèrent que lutter contre l'antisémitisme au Canada, voire le condamner ou exercer une surveillance à cet égard sont de nature à susciter des controverses.
Voilà quelques défis à surmonter, mais il existe des propositions pratiques. Premièrement, il est essentiel de constituer une volonté politique; deuxièmement, il faut assurer une surveillance accrue — une surveillance éclairée et encadrée; troisièmement, la participation à la conférence de Berlin et aux autres assemblées internationales est essentielle; quatrièmement, il faut des pratiques prometteuses. Je n'ai même pas parlé de «pratiques exemplaires», parce que nous ne les avons pas encore trouvées. J'aborderai plus exhaustivement ces quatre propositions.
La volonté politique. J'aimerais citer les propos du ministre Natan Charansky d'Israël sur la façon de distinguer l'antisémitisme de tout autre discours politique. Selon lui, il faut envisager le problème sous l'angle des trois D, c'est-à- dire diabolisation, double échelle de valeurs et délégitimisation. Une diabolisation des juifs, du peuple juif ou de l'État juif dénote un antisémitisme et un discours politique dénué de toute légitimité. À titre d'exemple, il y a deux poids deux mesures pour la délégation juive à la Conférence mondiale contre le racisme ou aux Nations Unies où l'État juif, qui est l'un des moins peuplés, fait face à des accusations disproportionnées de violation des droits de la personne alors que sont passées sous silence de graves violations commises par beaucoup d'autres pays. Aux yeux de ceux qui luttent contre le racisme, c'est ce qu'on appelle le «traitement différent», c'est-à-dire la politique de deux poids deux mesures. Lorsqu'il y a un examen minutieux à la frontière avec un État musulman ou arabe, c'est deux poids deux mesures si le tout est vraiment aléatoire. C'est le principe de deux poids deux mesures si le seul délit d'une personne est le «délit de faciès au volant». Il faut recourir à la même analyse. C'est un autre signe qu'il s'agit d'antisémitisme, ce qui nous autorise à infléchir la volonté politique.
La délégitimisation de tout un état est un indice. Autrement dit, nous pouvons critiquer le Canada d'être raciste et nous pouvons décrire ce que cela implique, comme le rapport spécial l'a fait, mais cela ne signifie pas que les Canadiens ou les parlementaires revêtent leurs draps blancs la nuit et brûlent des croix, car nous sommes dotés du meilleur système de droit et du meilleur régime de lois au monde pour nous attaquer à ce genre de problème. Cependant, nous pouvons souligner ce qu'est le racisme systémique, et cela ne signifie pas que nous pourrions affirmer par conséquent que l'État canadien ne devrait pas exister. Tout ce que nous proposerions ne délégitimiserait pas un autre État. C'est là un indice qu'il s'agirait d'un commentaire antisémite.
Il est effectivement essentiel de pouvoir critiquer, mais voici quelques caricatures. Celle-ci est une caricature politique qui est parue en Angleterre il y a quelques mois et qui critique le premier ministre Sharon en le montrant en train de mordre dans la chair d'un bébé palestinien. Cette caricature aurait pu figurer dans un journal allemand ou nazi pendant la période précédant la guerre ou même pendant la guerre. C'est aller trop loin. C'est de la diabolisation. C'est de l'antisémitisme et non pas une critique d'un parti politique.
Le Canada doit continuer de s'attaquer sans équivoque à la nature et à la source du problème. Il doit obtenir la condamnation de ce qu'on appelle le «nouvel» antisémitisme — le vieil et le nouvel antisémitisme reviennent au même — dans des tribunes comme l'ONU, l'Union européenne et l'OSCE. Je n'ai pas le temps d'aborder exhaustivement les questions comme la nécessité d'assurer une surveillance accrue. On a évoqué plus tôt la collecte de données, mais il nous faut former les services de police à cet égard. Nous possédons les compétences pour ce faire. En passant, j'offre encore une fois l'aide de la Fondation canadienne des relations raciales. Le sénateur Grafstein s'apprête à partir pour Berlin. J'espère que le Canada préconisera que tous les pays adoptent des lois exhaustives régissant la collecte de renseignements sur les crimes haineux et forment les professionnels des organismes d'application de la loi sur la façon d'identifier, de signaler et de traiter les crimes haineux. Nous devons financer les évaluations nationales de la violence haineuse.
Je conclurai par les pratiques prometteuses. Notre fondation souligne les pratiques exemplaires dans le domaine de la lutte contre le racisme. Cependant, tout comme nous avons financé, de concert avec Patrimoine canadien, une étude des pratiques exemplaires à l'échelle nationale et internationale en matière de profilage racial, il faut se pencher sur les pratiques exemplaires en matière de sensibilisation à la lutte contre le racisme et les préjugés. La sensibilisation à l'holocauste en est certes un exemple. Elle devrait être mise en oeuvre parallèlement à la formation des organismes d'application de la loi et de concert avec les établissements religieux, dans le cadre de la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et les crimes haineux au sein des Forces canadiennes et des autres institutions. Il faut certainement faire connaître à l'échelle internationale et nationale les pratiques exemplaires mises en oeuvre.
Je regrette d'avoir pris si longtemps, mais comme vous pouvez le constater, je suis convaincue que, si notre pays ne peut y parvenir, aucun autre ne le pourra.
M. Steve Scheinberg, président du Comité des droits de la personne, B'nai Brith Canada: J'ai été professeur d'histoire à l'Université Concordia pendant 41 ans, jusqu'à ma retraite en juin dernier. J'occupe actuellement le poste de président du Comité des droits de la personne de B'nai Brith Canada, la plus ancienne organisation juive au Canada. Ayant été fondée en 1875, notre organisation existe depuis près de 130 ans. Dans les années 60, nous avons commencé à nous occuper des droits de la personne par l'intermédiaire de la Ligue des droits de la personne. Par conséquent, nous sommes également l'une des plus anciennes organisations des droits de la personne au Canada. Au cours des 12 années où Karen Mock a travaillé au sein de la direction de la ligue, nous nous sommes mis en évidence dans notre lutte non seulement contre l'antisémitisme mais également contre toute forme de haine, faisant front commun avec toutes les minorités pour essayer de construire un Canada meilleur.
À titre d'historien et d'universitaire, j'ai effectué de la recherche sur l'antisémitisme en examinant les données des enquêtes et en rassemblant celles de notre évaluation annuelle des incidents antisémites. Je suis également auteur et coéditeur du livre intitulé The Extreme Right: Freedom and Security at Risk, qui a été publié en 1997.
À ce stade-ci, j'aimerais vous présenter mon collègue, Joseph Ben-Ami, notre directeur des relations avec le gouvernement.
Comme je l'ai dit, nous effectuons deux types de recherches. Premièrement, les enquêtes. Il y a une quinzaine d'années, nous avons commencé à faire diverses enquêtes, non seulement sur l'antisémitisme mais sur le racisme au Canada. Dans ce contexte, nous avons utilisé divers groupes témoins pour essayer de cerner les attitudes des Canadiens. À l'époque, il y a 10 ou 12 ans, le niveau de préjugés dans l'ensemble du Canada s'établissait autour de 20 à 25 p. 100. Ces préjugés étaient variés et allaient de faibles à forts. En Colombie-Britannique, les Sikhs auraient pu en être les cibles.
À Toronto, ils auraient visé davantage les Asiatiques orientaux et les Chinois et, au Québec, les Juifs, mais cela se limitait à des attitudes et non à des incidents matériels.
Deuxièmement, au fil des ans, nous avons produit une «Compilation des incidents antisémites», publiée annuellement. J'espère que ce document a été communiqué aux membres du comité. Cette compilation est sans doute la meilleure source pour recenser les incidents antisémites à long terme. Nous avons compilé ces données de rapports d'incidents communiqués à notre service d'écoute téléphonique sur les crimes haineux et l'antisémitisme. En outre, vers la fin de l'année, nous avons commencé à nous rendre dans les synagogues et dans d'autres organisations juives un peu partout dans le pays, à communiquer avec les autorités policières, et cetera pour étoffer nos données et déceler des lacunes éventuelles, par exemple des chiffres trop faibles ou trop forts en comparaison à ceux de la police, et cetera. Cette compilation est considérée par diverses agences du gouvernement canadien comme l'une des meilleures sources pour tracer un portrait de l'antisémitisme.
L'une des tâches de votre comité, je présume, est de déterminer s'il y a une montée de l'antisémitisme. Et dans l'affirmative, quelle en est la cause?
Voici une anecdote. Il y a environ deux ans, un de nos collègues de la Ligue des droits de la personne, notre conseiller juridique national, Marvin Kurz, qui travaille à Toronto, a écrit un article pour le Globe and Mail dans lequel il affirmant que l'antisémitisme n'est plus un grave problème chez les Canadiens. Nous nous sommes demandés pourquoi il affirmait cela alors que les données de notre compilation tracent un portrait bien différent. Quelle est la contradiction? Peut-être est-ce la même contradiction dont nous sommes témoins aujourd'hui.
J'ai en main une enquête récemment menée par le M. Conrad Winn, de l'organisme COMPAS, et qui n'a pas encore été publiée. Encore là, on note un progrès dans le domaine des relations raciales et de la tolérance au sein de la population canadienne. Il y a moins de préjugés aujourd'hui que jamais. Avant la Seconde Guerre mondiale, des études américaines — nous n'avons pas d'études canadiennes pour cette période — faisaient état d'un niveau d'antisémitisme de l'ordre de 50 p. 100 dans la population. Nous supposons que c'était la même chose au Canada également.
Aujourd'hui, nous avons affaire au pays à un taux de 15 à 20 p. 100, le sentiment antisémite allant de faible à très prononcé. Les attitudes des Canadiens ne posent pas un gros problème.
Si nous ciblons l'ensemble des Canadiens dans nos efforts pour contrer l'antisémitisme, il se peut que nous fassions une grave erreur. Pourtant, la compilation des incidents antisémites affiche les chiffres les plus élevés jamais enregistrés: 585 incidents, soit une hausse de 27 p. 100 par rapport à 2002, et pratiquement le double par rapport à 2001. C'est un niveau alarmant.
À notre avis, les incidents qu'on nous signale représentent la pointe de l'iceberg. Ils sont indicatifs et représentent sans doute 10 p. 100 seulement du chiffre réel. Comment concilier ces deux conclusions opposées, d'une part que les Canadiens en général sont plus tolérants que jamais et d'autre part, qu'il y ait davantage d'incidents de nature antisémite? C'est un gros problème, et un problème pour vous aussi.
J'ai étudié l'extrême-droite au Canada et aux États-Unis. Je peux vous dire qu'en ce moment, il y a au Canada une extrême-droite qui fait toujours problème, mais la situation ne se compare pas à ce qu'elle était il y a cinq ou dix ans alors que pratiquement chaque jour, on pouvait lire dans les journaux des articles sur les organisations de Skinhead, sur le Heritage Front et sur M. Zundel, qui est maintenant incarcéré et qui, nous l'espérons, sera éventuellement déporté dans son pays natal, l'Allemagne.
Qu'en pensons-nous? Qu'en pense l'Union européenne? Cette dernière a effectué une étude très sérieuse qui est disponible sur le Web. Nous pouvons vous la communiquer si vous ne l'avez pas. Elle fait état de taux de croissance alarmants de l'antisémitisme. Dans les pays de l'Union européenne, des synagogues, des institutions juives, des pierres tombales, et cetera font l'objet d'attaques que nous attribuons pour la plupart à l'extrême-droite.
L'Union européenne a gardé par devers elle la deuxième partie du rapport pendant des mois. Soit dit en passant, ses auteurs sont des Allemands de Berlin. Il s'agit d'érudits allemands non juifs qui travaillent à l'institut sur l'antisémitisme à l'Université technique de Berlin. D'après eux — et c'est là la partie difficile pour vous comme pour nous —, dans de nombreux cas, ce sont de jeunes Musulmans marginaux qui sont responsables de ces crimes contre des Juifs et des propriétés juives. Vous pouvez consulter ce rapport.
D'après moi, j'en conclus que c'est à peu près la même chose au Canada. Si l'extrême-droite n'est plus aussi présente ici qu'avant, il reste toujours des racistes et des antisémites individuels. Quoi qu'il en soit, notre compilation a permis d'identifier 35 perpétrateurs comme étant probablement de jeunes Arabes. Je n'utilise pas le terme Musulman»; ils ont été identifiés comme étant de jeunes Arabes. Toute identification est suspecte. Il s'agit de 35 cas sur 585. Cependant, la plupart des perpétrateurs d'incidents antisémites demeurent inconnus. Ils frappent au milieu de la nuit. Nous ignorons qui ils sont, pour la plupart. Cependant, un grand nombre de ceux qui ont été vus et qui ont commis des actes de harcèlement, et cetera, étaient malheureusement de jeunes Musulmans.
Il faut s'interroger sur le contexte de cette flambée du nombre d'incidents antisémites au Canada. Nous sommes aux prises avec un réel problème sur lequel votre comité doit se pencher. Je me suis rendu à l'école Talmud Torah le matin suivant l'attentat à la bombe. J'ai vu l'école et j'ai vu la note écrite au nom du Sheik Yassin, qui disait:le jour où Sharon arrêtera, nous arrêterons. En passant, cela ne signifie pas que son auteur soit Musulman ou Arabe. Je ne peux décrire le perpétrateur. N'importe qui aurait pu commettre cet acte et dissimuler son identité derrière ces mots. Pourtant, il y a un contexte. Quel est-il? On y a déjà fait référence auparavant ici, à cette table. Le contexte est celui des manifestations d'incivilité dont nous sommes témoins à répétition. Au cours de ces manifestations, on peut lire sur des pancartes: «Sionisme égale racisme». Qu'est-ce que le sionisme? C'est le mouvement national du peuple juif. Pourquoi s'en prendre au sionisme? Pourquoi ne pas critiquer Israël? Si vous voulez critiquer Israël, faites-le directement au lieu d'invoquer une conspiration mondiale quelconque appelée le «sionisme».
Pourquoi brandir une pancarte affirmant que l'étoile juive égale la swastika? De quelle façon cela influence-t-il les jeunes? Pourquoi recourir à l'hyperbole du génocide et d'un autre holocauste?
Chacun d'entre nous dans cette salle regrette que plus de 4 000 personnes soient mortes depuis les trois ans que dure l'Intifada. Quelles qu'en soient les causes et notre perception du phénomène, 4 000 personnes, cela ne se compare pas aux 1 000 personnes par semaine qui sont tuées au Soudan sous les auspices ou avec le soutien du gouvernement arabe soudanais. Voilà un exemple de la norme différente que l'on applique à Israël, et dont Mme Mock a parlé.
De quelle façon cela influence-t-il les jeunes gens, notamment ce jeune homme qui a lancé un cocktail Molotov contre la synagogue à Edmonton? Il a été arrêté. C'était un jeune Arabe qui a dit être frustré et en colère et qui a lancé ce cocktail Molotov contre les Juifs, et non contre Israël — où il n'est jamais allé — mais contre les Juifs, par haine des Juifs.
Quelles sont les réponses à ce problème? Quel genre de recommandations puis-je offrir? Certaines ont déjà été évoquées. Les programmes antiracistes dont Mme Mock et M. Landry ont parlé, ainsi que le discours civil sont de bonnes choses.
À l'Université Concordia, on a mis sur pied des programmes de résolution de conflits à la suite des manifestations qui ont eu lieu sur le campus. C'est bien beau pour les personnes qui y ont assisté, mais je peux vous assurer que ceux qui avaient vraiment besoin de ces ateliers n'y étaient pas.
Une partie du problème tient au fait que ce ne sont pas seulement les participants à des manifestations qui suscitent l'antisémitisme, mais des organismes légitimes. Permettez-moi de citer non pas un groupe marginal au sein de la communauté arabe, mais la vice-présidente du Congrès islamique du Canada. Cela est tiré du site Web de l'organisation. Vous pouvez le consulter maintenant.
Le sénateur Jaffer: Rappel au Règlement.
M. Scheinberg: Elle affirme dans un article...
La présidente: Monsieur Scheinberg, nous sommes saisis d'un rappel au Règlement.
[Français]
Le sénateur Plamondon: Je suis désolée, mais nous nous éloignons du sujet qui nous préoccupe aujourd'hui, c'est-à- dire l'antisémitisme au Canada. Nous devrions revenir à cette question.
[Traduction]
M. Scheinberg: Je suis d'accord avec cette remarque. Je ne veux pas parler de ce qu'ont fait les Arabes. Je parle du Canada. Je veux parler d'éléments qui attisent le climat d'antisémitisme ici, au Canada. Permettez-moi seulement de citer un passage de ce document.
La présidente: Je suis désolé, mais il est déjà 20 h 15 et les sénateurs souhaitent vous poser quelques questions, monsieur Scheinberg.
M. Scheinberg: Puis-je conclure en une minute avec cette citation?
L'auteur évoque le bilan de l'Islam, notamment son indifférence à la race. Fort bien, mais ensuite elle ajoute: plus spécifiquement le Coran rejette le concept juif...
La présidente: Je suis désolé, monsieur Scheinberg, mais ce n'est pas du tout ce dont nous discutons. Puis-je vous demander de vous en tenir là, je vous prie?
M. Joseph Ben-Ami, directeur des Communications, B'na Brith Canada: Madame la présidente, avec tout le respect que je vous dois, je voudrais savoir comment la présidence peut porter un jugement sur le bien-fondé d'une citation sans l'avoir d'abord entendue.
La présidente: J'ai déjà entendu deux objections de la part de deux sénateurs à la table.
M. Ben-Ami: Je comprends. Sur le plan de la procédure, la présidence ne doit-elle pas entendre d'abord la citation avant de la juger irrecevable?
M. Scheinberg: Puis-je vous expliquer encore une fois le contexte de la citation?
La présidente: Nous sommes ici pour poser des questions, et non pour y répondre.
M. Scheinberg: C'est pour montrer comment on établit le contexte de l'antisémitisme, si cela vous intéresse, que j'offre cette citation...
La présidente: Selon l'opinion de l'auteur.
M. Scheinberg: Étant donné la recrudescence de l'antisémitisme dans notre pays, l'une des choses qu'il vous faudra déterminer, c'est s'il y existe un sentiment antisémite, des préjugés d'une communauté envers une autre qui seraient susceptibles d'inspirer certains de ces incidents. Puis-je simplement conclure avec cette citation?
La présidente: Très bien, allez-y.
M. Scheinberg: Plus particulièrement, elle affirme que le Coran rejette le concept juif de la supériorité raciale. Autrement dit, son statut de peuple élu. Selon elle, ce concept est non seulement raciste, mais il contredit directement la vision coranique de l'égalité raciale. Malheureusement, elle conclut que cette idée qu'ont les Juifs de faire partie du peuple élu a conduit à l'institutionnalisation du racisme mais a aussi établi un précédent terrible pour l'histoire de l'humanité en général, histoire au cours de laquelle les prétentions à la supériorité raciale sont devenues la norme.
Un représentant officiel du Congrès islamique blâme le peuple juif pour la doctrine de la supériorité raciale. Nous ne parlons pas en l'occurrence de jeunes étudiants de Concordia qui brandissent des pancartes dans les rues, mais de groupes légitimes au sein de la société canadienne qui utilisent des moyens illégitimes pour avancer leurs idées.
La présidente: Sénateur, avez-vous des questions ou commentaires?
Le sénateur Plamondon: Non.
La présidente Je vous remercie de votre exposé, et je regrette que votre comparution ait pris fin sur cette note.
La séance est levée.