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RPRD - Comité permanent

Règlement, procédure et droits du Parlement

 

Délibérations du Comité du
Règlement, de la procédure et des droits du Parlement

Fascicule 3 - Témoignages du 17 mars, 2004


OTTAWA, le mercredi 17 mars 2004

Le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement, auquel a été renvoyé le projet de loi C-4, Loi modifiant la Loi sur le Parlement du Canada (conseiller sénatorial en éthique et commissaire à l'éthique) et certaines lois en conséquence, pour lequel il sollicite l'agrément du Sénat, se réunit aujourd'hui à 10 h 04 pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, je vois que nous avons le quorum. Je déclare ouverte cette troisième séance du Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement, portant sur le projet de loi C-4. Sénateurs, nous accueillons aujourd'hui quatre témoins. Nous commencerons avec les professeurs Gélinas, de l'Université McGill, et Saint-Martin, de l'Université de Montréal. Je propose ensuite une pause de quelques minutes, le temps de nous sustenter en vue de l'après-midi, puis nous passerons aux professeurs Sharon Sutherland et Ian Greene.

C'est vous qui commencerez, monsieur Gélinas, et je vous laisse le soin des présentations.

[Français]

M. Fabien Gélinas, professeur, Université McGill: Je voudrais d'abord remercier le Comité sénatorial permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement de m'avoir invité à participer à ses délibérations sur le projet de loi C-4 concernant la création d'un commissaire à l'éthique pour la Chambre des Communes et la création d'un conseiller à l'éthique pour le Sénat. C'est un honneur pour moi d'être ici aujourd'hui. J'ai pris connaissance des Débats du Sénat et de son comité au sujet du projet de loi C-4. J'ai pris connaissance, en particulier, des échanges concernant le processus de nomination du conseiller sénatorial prévu à l'article 2 du projet de loi, ainsi que des suggestions faites par le leader du gouvernement au Sénat selon lesquelles un engagement pris par le leader au Sénat au nom du gouvernement, au sujet du processus qui mène à la nomination d'un conseiller en éthique, pourrait constituer une convention constitutionnelle. J'ai compris que c'est sur ce sujet particulier que le comité désire entendre mon témoignage aujourd'hui.

Je vais vous entretenir pendant quelques minutes avant de vous laisser poser des questions et la discussion pourra s'étendre un peu plus au moment de la période de questions.

Sur la notion de convention constitutionnelle, les définitions reconnues par la doctrine, ainsi que, dans une certaine mesure, par la jurisprudence, sont assez uniformes. Je me permettrai de vous citer la définition donnée par Marshall et Moodie dans leur ouvrage Some Problems of the Constitution, publié en Angleterre en 1959; les conventions constitutionnelles sont définies comme suit:

[Traduction]

Les règles obligatoires de conventions constitutionnelles, considérées obligatoires par et pour ceux qui gèrent la Constitution, mais qui ne sont appliquées ni par les tribunaux judiciaires, qui peuvent cependant en reconnaître l'existence, ni par les présidents des Chambres du Parlement.

[Français]

C'est une définition qui reconnaît, d'une part, le caractère obligatoire des conventions constitutionnelles, et qui reconnaît, d'autre part, qu'elles ne font pas partie du droit parce qu'elles ne sont pas appliquées par les tribunaux judiciaires. Elles ne font pas partie non plus de ce qui concerne l'application des privilèges du Parlement par les leaders de chacune des chambres, donc ce n'est pas appliqué non plus par « the presiding officers in the Houses of Parliament ». Cela veut dire que lex et consuetudo parliamenti est quelque chose de complètement différent des conventions constitutionnelles. C'est quelque chose de séparé et c'est ce qui fait en sorte que l'orateur ou le Président du Sénat ne peut pas appliquer les conventions constitutionnelles.

Le fait que les conventions constitutionnelles ne soient pas appliquées par les tribunaux judiciaires ne veut pas dire qu'elles ne sont pas obligatoires. Comme le souligne la Cour suprême du Canada, dans le Renvoi sur le rapatriement, la violation de certaines conventions constitutionnelles pourrait équivaloir à un coup d'État, rien de moins. On pense notamment aux conventions constitutionnelles qui concernent le gouvernement responsable au Canada, tant au palier fédéral que provincial. Cela ne veut pas dire que les conventions ne sont pas importantes, elles le sont plus pour certaines d'entre elles que la plupart des règles juridiques que l'on retrouve dans notre pays.

Il est donc extrêmement important d'arriver à définir ce qu'est une convention constitutionnelle. Selon la théorie constitutionnelle canadienne, on a la chance d'avoir eu une déclaration de la Cour suprême du Canada sur la définition d'une convention constitutionnelle et, plus précisément, sur les critères qui permettent de reconnaître une convention constitutionnelle au sens strict d'une règle politique obligatoire pour les acteurs politiques.

En nous entretenant sur les conventions constitutionnelles et en prenant cette décision importante au sujet du rapatriement de la Constitution, la Cour suprême s'est référée à Jennings dans son livre The Law and the Constitution. Les critères mis de l'avant par la Cour suprême pour reconnaître une convention constitutionnelle ont été empruntés directement à Jennings. Ce n'est pas très compliqué, mais vous allez voir l'importance de la notion «précédent» dans la reconnaissance d'une convention constitutionnelle. Il y a trois questions importantes à considérer.

[Traduction]

D'abord, quels sont les précédents? Ensuite, les intervenants dans ces précédents croyaient-ils être assujettis à une règle? Troisièmement, la règle est-elle justifiée? On peut déduire de tout cela l'importance du précédent dans la détermination d'une convention constitutionnelle.

Il me paraît aisé d'appliquer ces critères à la situation qui vous intéresse. Il faut se demander si l'engagement pris, de manière officielle par le gouvernement, par le truchement du leader du gouvernement au Sénat, est l'équivalent d'une convention constitutionnelle. À mon avis, ce n'est pas le cas, clairement. La convention nécessite un précédent, qui n'existe pas dans ce cas-ci. Il ne s'agit en fait que d'un engagement officiel du gouvernement.

Cela ne veut pas dire pour autant que l'engagement est sans valeur. Il s'agit bien entendu d'une sorte d'obligation, du moins pour le gouvernement actuel. Je dirais que c'est un engagement qui lie très certainement le gouvernement actuel, dans le sens normatif. Il peut y avoir un lien avec la question de la convention, puisqu'on jette peut-être les bases d'une convention future, qui évoluera avec le temps. Mais tant qu'un gouvernement futur ne sera pas prêt à s'acquitter de cet engagement, je ne pourrais pas dire que cela ressemble à une convention constitutionnelle.

Voilà qui situe nettement mon point sur la question au sujet de laquelle vous m'avez demandé de témoigner. Je pourrais m'arrêter ici et répondre aux questions des sénateurs. J'aimerais cependant ajouter ceci: J'ai parlé de la possibilité d'une convention future mais pour cela, l'engagement pris par le leader du gouvernement au Sénat devrait avoir un peu plus de substance. Je n'ai pas vu la clarté ou la substance de l'engagement consigné au compte rendu du Sénat.

La présidente: Merci, monsieur Gélinas. Nous passons maintenant aux questions.

Le sénateur Andreychuk: J'aimerais avoir quelques éclaircissements. Monsieur Gélinas, vous affirmez que ce genre d'engagement a une valeur normative. Si vous permettez, je parlerai en termes non juridiques: Il s'agit plutôt d'un voeu pieux, si je puis m'exprimer ainsi, ou d'un engagement moral de la part du gouvernement à faire quelque chose, plutôt que d'une affirmation exécutoire, du point de vue législatif, n'est-ce pas? Si des gouvernements successifs suivaient cet engagement, on pourrait un jour y voir une convention, mais pour le moment, il ne s'agit que d'une bonne déclaration. En outre, si j'ai bien compris, il faudrait que cette déclaration soit plus ferme.

M. Gélinas: Je pense qu'il a une valeur normative, tant au sens moral que politique. Tout le monde s'attend à ce que le gouvernement tienne promesse. Il ne s'agit certainement pas du genre de valeur normative attribuée à la définition formelle des «conventions constitutionnelles» de la tradition britannique. Ai-je bien répondu à votre question?

Le sénateur Andreychuk: Je sais que les gouvernements précédents ont affirmé que le ministre entreprendrait la fusion des deux ministères tout en respectant leur indépendance budgétaire. C'est ce qui nous rassurait, au moment de l'adoption de la loi. À l'époque, on comprenant bien qu'il ne s'agissait pas d'une convention constitutionnelle, que cela ne liait personne d'autre et que le nouveau gouvernement aurait encore le droit de déterminer les ministères et les questions de budget. Le nouveau gouvernement aurait toutefois à expliquer, peut-être, la raison de ces changements, pour des raisons morales, s'il agissait à l'encontre de ce qu'un autre ministre avait dit.

M. Gélinas: On pourrait dire cela du gouvernement actuel. On devrait s'attendre à une explication, si le gouvernement revient sur l'engagement qui a été pris. Un gouvernement ultérieur pourrait évoquer l'engagement qui avait été pris auparavant. Mais dans notre régime, il est clair que le nouveau gouvernement n'est pas tenu de respecter l'engagement pris par un gouvernement précédent. C'est un aspect fondamental de nos institutions: le gouvernement qui vient d'être élu est libre de revenir sur les engagements du gouvernement précédent. Bien franchement, même si le nouveau gouvernement est du même parti politique, je ne crois pas que le nouveau premier ministre soit prêt à s'acquitter de tous les engagements pris par le gouvernement précédent.

Le sénateur Austin: Monsieur Gélinas, pour commencer, je dirais qu'il va de soi que la règle selon laquelle aucun Parlement n'est lié par le Parlement précédent s'applique aux lois, aux règles et aux conventions, ne pensez-vous pas?

M. Gélinas: Oui, je dirais comme vous que le nouveau Parlement n'est pas lié par ce qu'a fait un Parlement précédent.

Le sénateur Austin: Ainsi, les lois adoptées par les Parlements précédents ne sont pas contraignantes pour le nouveau gouvernement.

M. Gélinas: À moins qu'elles n'imposent une forme prescrite.

Le sénateur Austin: Pourriez-vous nous expliquer cela?

M. Gélinas: Notre théorie de la souveraineté parlementaire a reconnu au Parlement le pouvoir d'imposer des exigences aux Parlements ultérieurs, au sujet de la procédure. Par exemple, pour contraindre un Parlement ultérieur, comme celui d'aujourd'hui, vous pouvez dire que toutes les lois futures n'auront pas d'effet sur telle disposition, à moins de le dire expressément. Il s'agit d'une prescription de forme qui contraint les Parlements futurs, dans leurs façons de faire, mais pas sur le fond.

Le sénateur Austin: Mais un Parlement ultérieur pourrait abroger cette disposition.

M. Gélinas: En suivant à la lettre la procédure prescrite oui, en effet.

Le sénateur Austin: Le principe général veut qu'aucun Parlement ne puisse contraindre un Parlement antérieur.

M. Gélinas: C'est un principe général, qui nécessite une explication.

Le sénateur Austin: Au sujet de votre témoignage, je n'ai aucune objection quant à votre description des conventions parlementaires. Notre travail porte toutefois sur le caractère exécutoire de l'engagement que j'ai pris au Sénat, au nom du gouvernement. Les précédents viennent de quelque part, comme vous le disiez, et pour que cela soit un précédent, il faudra voir quelles seront les pratiques ultérieures et si d'autres gouvernements y verront un précédent en matière de procédure. Je ne vois pas très bien comment un engagement devient un précédent ou une convention, sinon par la pratique. Je crois que c'est ce que vous nous avez dit.

Voici un paragraphe très intéressant de la page 6 de la sixième édition de la Jurisprudence parlementaire de Beauchesne:

Le droit parlementaire diffère beaucoup du droit civil ordinaire et de la common law. Il est fondé sur des siècles de tradition et de précédents qui ont marqué l'évolution des libertés parlementaires, de l'époque où les parlements étaient régis selon le principe du droit divin des monarques et jusqu'à l'actuelle souveraineté parlementaire.

Comme Beauchesne, nous parlons d'une chose qui ne relève pas de la compétence des tribunaux, mais du fonctionnement interne du Parlement. Comme le dit Beauchesne, les engagements sont traités comme relevant du droit parlementaire. Souscrivez-vous à l'énoncé que je viens de vous lire, tiré du Beauchesne?

M. Gélinas: Beauchesne parle de droit parlementaire, des lois et coutumes du Parlement, qui sont distinctes des conventions constitutionnelles. Elles se rapportent au fonctionnement interne des Chambres du Parlement et en sont bien distinctes, dans la mesure où les hauts fonctionnaires du Parlement, comme le Président du Sénat, n'ont pas à appliquer les conventions constitutionnelles. On m'a demandé si l'engagement pouvait être assimilé à une convention constitutionnelle. La réponse est non.

Je ne saurais me prononcer sur l'opportunité de qualifier autrement cet engagement selon les traditions du droit parlementaire.

Le sénateur Austin: En terminant, madame la présidente, je tiens à signaler qu'outre l'engagement que j'ai pris, une sanction est prévue en cas de manquement à cet engagement. On le voit à l'article 20.1:

Le gouverneur en conseil nomme le conseiller sénatorial en éthique par commission sous le grand sceau, après consultation du chef de chacun des partis reconnus au Sénat et après approbation par résolution du Sénat.

En cas de manquement à l'engagement, le Sénat peut toujours décider de ne pas étudier la résolution relative à la nomination.

Vous dites qu'il y a du flou dans cet engagement et qu'il faudrait quelque chose de plus. Pourriez-vous nous dire quoi, s'il vous plaît?

M. Gélinas: Ce que je voulais dire, c'est que pour qu'une convention constitutionnelle soit créée et reconnue, elle doit avoir un minimum de substance. Ainsi, on reconnaîtra cette chose pour ce qu'elle est et on parlera de la même règle exécutoire quand la convention sera évoquée et qu'on essaiera de la suivre. Le flou dont je parlais, c'est que dans la déclaration, le leader du gouvernement au Sénat sera autorisé à consulter de façon officieuse. Tout dépendra de la définition qu'on donnera aux mots «consulter», «officieuse» et «autorisé». Il ne semble y avoir aucune obligation de le faire, pour le leader. À la lecture de cette déclaration, je ne vois pas très bien quel engagement est pris, exactement. Je vois toutefois très bien qui aura le dernier mot, au sujet de la nomination. C'est ce que je voulais dire. À ce sujet, pour la dernière approbation donnée, le projet de loi est très clair.

Le sénateur Austin: Autrement dit: «par résolution du Sénat».

M. Gélinas: Oui.

Le sénateur Smith: Je veux vous dire où j'en suis dans ma réflexion et ensuite, j'aimerais connaître votre réaction, particulièrement en ce qui touche l'indépendance du commissaire à l'éthique. Au sujet de la convention, dans les années 30, Fred Astaire a rendu populaire une chanson qui disait essentiellement: «Je mets tous mes oeufs dans le même panier, je mise tout ce que j'ai sur toi».

Certaines personnes qui avaient des objections au sujet du projet de loi l'automne dernier peuvent croire que leurs problèmes sont résolus grâce à une convention étanche, mais vous leur répondez qu'une convention n'est pas si étanche, après tout. Ce n'était pas du tout ce que je croyais.

Je pense que la convention, au sujet de laquelle je félicite le sénateur Austin, est un pas dans la bonne direction. Cela ne m'a jamais préoccupé, parce que je pensais que de toute façon, c'est ainsi que les choses se passeraient. Au Sénat, nous n'avons jusqu'ici que deux partis officiels. Mais les choses pourraient changer. Quand ce projet de loi a été déposé, il y avait cinq partis à la Chambre des communes. Si vous optez pour le consentement unanime, vous ne savez pas quelles seront les intentions des uns et des autres. Je ne pense pas que ce soit le choix qui avait été retenu.

Ce qui m'intéresse, c'est l'indépendance. Dans leur libellé actuel, ces dispositions créent un juste équilibre, parce que si l'amendement proposé était adopté, et sauf le respect que j'ai pour le sénateur Bryden avec qui j'ai une divergence de vues là-dessus, je crois que cela signifierait que le Sénat peut embaucher ou congédier à sa guise, alors que cette personne est censée être indépendante.

Je pense qu'on a là un juste équilibre, puisque nous devons approuver la nomination par voie de résolution. Le vote de l'automne dernier sur l'amendement du sénateur Bryden montre bien que les sénateurs peuvent avoir un point de vue très différent de celui du gouvernement sur un projet de loi qui les dérange. Je rappelle que le whip était là. L'amendement a été adopté, par une bonne majorité.

Je crois que les termes «par résolution du Sénat» signifient que si le Sénat n'approuvait pas le nom qui lui était soumis, la nomination ne serait pas faite. C'est ce que je crois vraiment. Je ne peux m'imaginer pourquoi un leader du gouvernement ne pourrait pas s'entendre avec l'opposition sur le choix d'un nom. Je ne peux pas croire qu'autre chose pourrait être acceptable. Je pense toutefois qu'il est important de l'écrire ici, de préciser les deux aspects de cette indépendance, afin que le libellé soit exactement le même que pour la Chambre. Que pensez-vous de la question de l'indépendance?

M. Gélinas: Corrigez-moi si j'ai tort, mais vous semblez dire que le libellé actuel du projet de loi est suffisant et que l'engagement qui a été pris n'est pas nécessaire.

Le sénateur Smith: Je crois que l'engagement est positif et utile, que c'est un pas dans la bonne direction, mais je ne crois pas qu'une étanchéité absolue et éternelle soit nécessaire, puisque comme l'a dit le sénateur Austin, aucun Parlement n'est lié par ce que fait un Parlement ultérieur.

M. Gélinas: Je ne suis pas un expert en la matière, mais il semble que le Sénat n'était pas satisfait du libellé lorsqu'il a adopté une modification, à la session dernière.

Le sénateur Smith: C'est vrai. Je ne parle jamais de «second examen objectif», mais nous avons peut-être un cas où ce serait utile.

M. Gélinas: Si vous permettez, Talleyrand aimait à dire...

[Français]

«Si cela va sans dire, cela ira encore mieux en le disant».

[Traduction]

Le sénateur Joyal: Dans votre exposé, vous avez parlé de clarté et de substance, si vous permettez que je répète vos paroles. L'engagement devrait être clair et substantiel pour qu'il soit considéré comme compris par la majorité.

Dans le discours du leader et dans son témoignage au comité, quelle partie de l'engagement n'est pas assez claire et n'a pas suffisamment de substance pour qu'il devienne, avec le temps, un engagement contraignant les gouvernements futurs?

M. Gélinas: À mes yeux, il y a trois mots dans cette déclaration qui ne sont pas clairs. «Autorisé», «consulter» et «officieuse». Je pense que ces mots ne disent pas clairement ce qui va se produire. Quoi qu'il en soit, j'irais jusqu'à dire que cet engagement en soi ne va pas devenir une convention. Une convention pourrait en découler, à mon avis, si le Sénat adopte des procédures pour ce processus consultatif, si les procédures sont survies au fil du temps et si, dans chaque cas, le gouverneur en conseil retient le nom approuvé dans le cadre de cette consultation.

Je pense que l'engagement ne suffit pas en soi à créer une convention. Il faudra autre chose. Il faudra que des personnes autres que le gouvernement agissent. Il faudra aussi que des choses soient faites et que des engagements soient pris au Sénat.

Le sénateur Joyal: Autrement dit, pour revenir à votre dernier commentaire, si le Sénat adoptait une règle interne, dans son Règlement, établissant un processus de consultation au Sénat, cela serait à votre avis plus utile et plus contraignant pour les gouvernements futurs?

M. Gélinas: Cela pourrait être un aspect des précédents qui seront considérés afin de déterminer s'il existe une convention. Il s'agira alors d'un élément parmi un ensemble de facteurs.

Le sénateur Joyal: Selon vous, quels sont les autres aspects essentiels?

M. Gélinas: Il serait également essentiel que le gouvernement s'estime lié par les résultats du processus utilisé au Sénat.

Le sénateur Joyal: Faudrait-il vérifier si, une fois les règles appliquées, le gouvernement a reçu les résultats du processus et a agi en conséquence?

M. Gélinas: En effet, une telle façon d'agir pourrait créer une convention constitutionnelle.

[Français]

Le sénateur Losier-Cool: Ma question fait suite à ce que le sénateur Joyal vient de dire et à vos mots «more would be necessary» à propos de ce qui forme une convention constitutionnelle selon la définition de la Cour suprême.

Si l'entente du gouvernement proposée par le leader du gouvernement en Chambre était inscrite dans le Règlement du Sénat, est-ce que cela serait suffisant pour en faire une convention constitutionnelle?

M. Gélinas: Non, il faudrait qu'il y ait une pratique et des précédents qui indiquent que le gouvernement, selon la Loi du gouverneur en conseil — qui nomme le conseiller en éthique — se sente lié par une convention constitutionnelle et par les règles du Sénat. Selon moi, l'adoption des règles par le Sénat serait insuffisante au sens de la convention constitutionnelle.

[Traduction]

Le sénateur Carstairs: Il me semble que l'une des différences fondamentales entre une convention constitutionnelle et un précédent réside dans le fait que l'une est inscrite dans la Constitution alors que l'autre exige une série d'actes. Ainsi, il faut d'abord qu'un gouvernement pose un geste et que ce geste soit répété par les gouvernements suivants jusqu'à ce que cela devienne un précédent. Pour qu'un précédent soit créé, il faut sûrement un acte initial. Ne s'agit-il pas ici d'une proposition portant sur une telle action initiale?

M. Gélinas: Je suis tout à fait d'accord. C'est ce que j'ai suggéré. Cet engagement n'est ni inutile, ni dénué de sens. Cet engagement pourrait servir de fondement à une future convention. Je suis tout à fait d'accord là-dessus.

Le sénateur Carstairs: Permettez-moi de poser une question supplémentaire. Croyez-vous qu'un premier ministre à venir pourrait, de façon réaliste, rejeter cet engagement à titre de précédent? Une fois qu'un précédent est créé, est-il réaliste de croire qu'un futur premier ministre pourrait simplement en faire fi et procéder de façon différente malgré les dispositions du projet de loi au sujet de la consultation et de la résolution? Ce futur premier ministre pourrait-il tout simplement faire fi du précédent créé par l'ancien premier ministre?

M. Gélinas: Oui, je crois qu'il est possible qu'un gouvernement à venir s'écarte du précédent.

Le sénateur Carstairs: Est-ce probable?

M. Gélinas: D'après mon expérience, oui. Je n'utiliserais peut-être pas le terme «probable», mais je ne dirais pas non plus que c'est invraisemblable. Le gouvernement doit se conformer à la loi. Si la loi prévoit une consultation, alors il doit y avoir une consultation. Toutefois, comme nous le savons tous, il y a plusieurs façons de mener des consultations.

Le sénateur Carstairs: Oui, je suis d'accord. Néanmoins, je connais bien cette Chambre, car j'y siège depuis 10 ans. Il me semble que si un précédent était créé et que si un premier ministre décidait d'en faire fi, alors ce premier ministre se retrouverait dans une situation très difficile.

M. Gélinas: Je répète que je ne suis pas un expert en la matière, mais je dirais que cela dépend d'un certain nombre de facteurs, y compris des facteurs politiques.

Le sénateur Bryden: Premièrement, est-ce qu'il faut du temps pour créer un précédent en vue d'une convention? Une hirondelle ne fait pas le printemps. On peut supposer qu'un engagement de la part d'un ministre ou d'un gouvernement à l'égard d'une telle question ne crée pas de convention. Cela ne s'établit-il pas avec le temps?

Deuxièmement, il y a la référence au «dernier mot», soit l'approbation de la nomination par résolution du Sénat. J'estime que c'est inexact, car la seule sanction serait l'absence de résolution du Sénat. Si c'était le cas, alors en vertu du paragraphe 20.2(2), lorsqu'il y a vacance de poste, et il y aurait vacance de poste, le gouverneur en conseil peut nommer quelqu'un pour six mois. De plus, le projet de loi donne le droit de reconduire le mandat du conseiller sénatorial en éthique.

Troisièmement, au lieu de s'attendre à ce que chaque nouveau ministre, chaque nouveau gouvernement et chaque nouveau premier ministre soient prêts à se conformer à ce que nous ferons la semaine prochaine, je présenterais les choses de la façon suivante. Supposons qu'après les prochaines élections un autre parti forme le gouvernement. Si Stephen Harper devenait le premier ministre du Canada et s'il nommait le conseiller sénatorial en éthique, il serait lié par la loi telle qu'adoptée. Y a-t-il quoi que ce soit qui oblige le premier ministre à respecter l'engagement du sénateur Austin, engagement qui consiste à dire: «Nous vous soumettons une liste et vous nommez l'un des candidats qui y figurent»?

Je ne crois pas que cet engagement ait force exécutoire. Le sénateur Austin a dit qu'un gouvernement nouvellement constitué pourrait ne pas respecter l'engagement. Toutefois, un nouveau gouvernement pourrait-il modifier les dispositions législatives? La réponse est oui. Cependant, il faut une loi du Parlement, une loi adoptée par les deux Chambres du Parlement, pour modifier ce texte législatif. Aucune action n'est exigée du premier ministre s'il décide d'écarter toute entente subsidiaire qui a été conclue et s'il décide de se conformer à la loi dont il a hérité au moment où il a pris le pouvoir. Pourriez-vous me faire part de vos observations à ce sujet?

Le sénateur Austin: Puis-je faire une correction? Je n'ai jamais dit que je soumettrais une liste à partir de laquelle un candidat devrait être choisi. Cette affirmation est inexacte.

Le sénateur Bryden: Pourriez-vous me dire exactement ce que vous ajoutez dans votre engagement?

Le sénateur Austin: J'ai dit que je consulterais le chef de l'opposition ainsi que les partisans du gouvernement et les partisans de l'opposition relativement à la nomination. Il n'y a rien dans cette offre de consultation qui indique que je ferais des suggestions. Au contraire, j'ai dit que le gouvernement attendrait la suggestion du Sénat. En termes clairs, je n'ai pas indiqué que je transmettrais au Sénat un nom provenant du gouverneur en conseil.

Le sénateur Bryden: Vous dites que le gouverneur en conseil s'engage à attendre la recommandation du Sénat avant de procéder à la nomination?

Le sénateur Austin: C'est exact.

Le sénateur Bryden: Je le répète, cela n'est pas prévu par la loi. J'accepte la correction du sénateur Austin; néanmoins, le nouveau premier ministre est lié par le projet de loi et non par l'engagement.

M. Gélinas: J'aimerais revenir à la question du facteur temps par rapport à la création de conventions constitutionnelles. J'aimerais également revenir sur les exigences en matière de précédents. Il est généralement entendu qu'il n'est pas impossible qu'une convention constitutionnelle soit créée assez rapidement, voire à partir d'un seul précédent. Cette possibilité est même reconnue dans la doctrine constitutionnelle en Angleterre et au Canada.

J'ajouterais toutefois une réserve: seules les conventions constitutionnelles ayant mené à l'indépendance des États du Commonwealth par rapport à la mère patrie sont citées à titre d'exemples. Nous savons tous qu'en 1926 et qu'en 1930, les premiers ministres des États du Commonwealth et le premier ministre britannique se sont réunis à Londres lors de deux conférences impériales. De l'avis général, cette conférence impériale avait donné lieu à la création instantanée d'une convention constitutionnelle. Je précise qu'il s'agit du seul exemple dont nous disposons et que les circonstances actuelles sont fort différentes.

La différence réside dans le fait qu'on a reconnu la possibilité qu'une convention soit créée de façon instantanée, grâce à cette notion d'une entente. Dans le cas de notre exemple, il s'agit davantage d'un traité international que d'une convention constitutionnelle au sens traditionnel.

Je ne crois pas que cet exemple puisse être utile dans la situation que nous étudions. Pour appuyer cette affirmation, je vous renvoie à l'ouvrage de M. Latham, publié en 1949, qui s'intitule The Law and the Commonwealth. La citation est tirée de la page 610, où M. Latham affirme ce qui suit:

En ce qui concerne les affaires intérieures, les ententes ne créent que rarement, voire même jamais, de convention constitutionnelle, car les parties qui concluent généralement de telles ententes, à savoir des ministres, des députés, les Chambres du Parlement de même que le roi, n'ont pas l'autorité morale nécessaire pour lier leurs successeurs avec une simple entente, sauf s'il s'agit d'un précédent. Toutefois, en ce qui concerne les relations entre les membres du Commonwealth, il est reconnu de longue date qu'une entente conclue par le gouvernement de l'un des membres lie ses successeurs, car l'autonomie de ce gouvernement serait affaiblie si d'autres membres cherchant à faire valoir leurs droits et obligations relativement à cette entente étaient contraints d'en examiner les affaires internes.

Cela démontre par des arguments convaincants que les conventions portant sur l'indépendance sont tout à fait différentes de la question dont nous sommes saisis. Le principe voulant qu'un gouvernement ne peut lier ses successeurs l'emporterait dans les circonstances actuelles. Cela répond à la première question sur la notion de précédent, à la question du facteur temps et la formation d'une convention constitutionnelle.

La deuxième question cherche à savoir qui a le dernier mot. En vertu de ces arrangements, qui l'emporte? Je vous suis reconnaissant de la poser, car je tenais justement à préciser qu'en la matière, je pense que ce n'est pas le Sénat. À mon avis, le projet de loi donne au gouverneur en conseil la latitude de nommer quelqu'un et de faire adopter la résolution pertinente au Sénat. Toutefois, compte tenu de la réalité politique, c'est le gouvernement qui a le dernier mot et non le Sénat. Le Sénat peut bloquer cela. Il dispose d'un pouvoir négatif et non positif.

Pour la troisième question, on demande si l'engagement du gouvernement actuel est contraignant pour un gouvernement ultérieur, par exemple, pour un gouvernement qui serait dirigé par M. Harper, dans l'éventualité où il remporterait les prochaines élections. La seule chose à laquelle serait tenu le futur premier ministre de votre exemple serait peut-être d'expliquer pourquoi il ne se conforme pas à l'engagement pris par le gouvernement précédent. Bien sûr, il y aurait moyen de trouver une explication simple. M. Harper pourrait toujours affirmer que le gouvernement précédent avait fait preuve d'hypocrisie en prenant cet engagement seulement quelques mois avant le scrutin et que, par conséquent, il ne se sent pas lié par cet engagement.

Le sénateur Smith: Par rapport à ce que M. Harper pourrait décider après avoir donné ses raisons, comment obtiendrait-il ce qu'il veut contre 65 sénateurs libéraux, quand on sait que la résolution doit être adoptée à la majorité au Sénat?

Le sénateur Andreychuk: C'est maintenant que la vérité sort au grand jour. C'est maintenant que nous comprenons.

Le sénateur Smith: Je parle de freins et de contrepoids, ce qu'il nous faut si nous voulons quelqu'un d'indépendant et qui n'est redevable à aucun des partis.

M. Gélinas: À cela, je répondrai que si nous songeons à des conventions constitutionnelles, alors nous envisageons la question à long terme.

Le sénateur Smith: Je suis d'accord avec cela.

Le sénateur Stratton: Je ne m'étendrai pas trop longtemps là-dessus, mais si je peux défendre ici M. Harper, je suis certain que s'il devait modifier cela, ce serait pour créer davantage de transparence car même si le gouverneur en conseil nomme cette personne, ou si nous le faisons, on se plaindra d'un manque de transparence. À mon avis, et vous pouvez me donner votre avis là-dessus, nous faisons les premiers pas vers une plus grande transparence, et le premier ministre à venir, qu'il s'agisse de M. Harper ou de quelqu'un d'autre, ne se sentira pas lié par les mesures législatives qu'on nous soumet, et s'orientera plutôt vers autre chose. Pouvez-vous me donner votre avis à ce sujet, est-ce que ça n'en vaut pas la peine?

M. Gélinas: Je suis d'accord pour dire que nous en sommes à une première étape. Il ne fait aucun doute que nous entreprenons quelque chose de tout à fait novateur.

[Français]

Le sénateur Ringuette: J'aurais besoin d'un éclaircissement. Vous avez commencé vos propos en disant que l'on vous avait particulièrement chargé de nous parler de conventions constitutionnelles.

Comme expert, je croyais que vous pouviez nous entretenir sur tout le projet de loi. Y a-t-il un malentendu? Qui vous a recommandé de nous parler particulièrement de conventions constitutionnelles?

M. Gélinas: Je ne crois pas avoir utilisé le mot «chargé». Ce que j'ai compris, c'est que mon expertise particulière en rapport avec le projet de loi, ce sont les conventions constitutionnelles, pour la simple raison que j'ai rédigé une thèse de doctorat à l'Université d'Oxford sur le rapatriement, dont une grande partie traitait de la notion de conventions constitutionnelles. C'est vraiment mon expertise.

Je ne prétends pas être un expert en matière de Loi du Parlement ou de privilèges parlementaires, par exemple.

Le sénateur Ringuette: On peut quand même vous questionner sur d'autres champs particuliers à ce projet de loi?

M. Gélinas: Je verrai à chaque question si je suis habilité à y répondre.

Le sénateur Ringuette: Êtes-vous au courant de la formule de nomination des greffiers, tant à la Chambre des communes qu'au Sénat? Êtes-vous au courant qu'il y a eu, depuis la Confédération, des moments où un greffier, nommé par le gouverneur en conseil, ait été jugé comme n'étant pas indépendant? Comme vous avez fait l'étude de la Constitution, vous connaissez son l'histoire. Y a-t-il des moments où vous pouvez nous dire que les greffiers qui sont nommés, tant à la Chambre des communes qu'au Sénat, n'ont pas démontré, par leurs actions, leur indépendance auprès du gouvernement?

M. Gélinas: Je ne pourrais pas vous citer un cas où les greffiers ne se sont pas comportés de manière indépendante. C'est tout à l'honneur de l'institution. Par contre, il y a des situations où des personnes nommées par le gouverneur en conseil se sont comportées de façon contraire à l'éthique fondamentale. Il y a des exemples, au niveau de la charge du commissaire à la vie privée par exemple, qui ont été assez clairs.

Le sénateur Ringuette: La charge que vous mentionnez, celle du commissaire à la vie privée, avait-elle rapport à sa situation d'indépendance?

M. Gélinas: Pas nécessairement.

Le sénateur Ringuette: Il n'y a donc pas d'histoire ou de précédent pour indiquer la non-indépendance d'une personne nommée par le gouverneur en conseil?

M. Gélinas: Je dirais qu'un processus de nomination, qui se veut plus transparent et plus indépendant, offre non seulement des garanties d'indépendance, mais aussi des garanties d'intégrité. C'est mon avis personnel.

Le sénateur Ringuette: Comment voyez-vous, en tant que payeur de taxes et citoyen, tout le scénario selon lequel les sénateurs nommés par le gouverneur en conseil questionnent le processus d'indépendance de la nomination d'un officier du Sénat?

M. Gélinas: Je ne comprends pas votre question.

Le sénateur Ringuette: Je vais reformuler ma question. Les sénateurs sont nommés au Sénat par le gouverneur en conseil. Les citoyens et les sénateurs remettent actuellement en question l'indépendance et l'intégrité du processus de nomination. En tant que citoyen, comment voyez-vous ce phénomène?

M. Saint-Martin: C'est une question de contexte. Ce qui assure l'indépendance des sénateurs, c'est la durée de la charge de sénateur, ce qui n'est pas du tout le cas dans la situation qui nous est présentée ici puisque nous avons une charge limitée dans le temps.

Le sénateur Ringuette: Le fait qu'il y ait des limites de temps devrait remettre en question l'indépendance des individus quels qu'ils soient?

M. Saint-Martin: Ce n'est pas ce que j'ai dit, non.

[Traduction]

Le sénateur Joyal: J'invoque le Règlement. Je tiens seulement à ce que nous comprenions bien que c'est le gouverneur général qui nomme les sénateurs, et non le gouverneur en conseil. Il y a une distinction entre ces deux choses. On trouve cela à l'article 34 de la Constitution.

La présidente: Le gouverneur en conseil.

Le sénateur Joyal: Non, le gouverneur général. C'est le gouverneur général. À l'article 34 de la Constitution, il est dit, et je cite:

Le gouverneur général pourra, de temps à autre, par instrument sous le grand sceau du Canada, nommer un sénateur comme orateur [...]

Il s'agit du gouverneur général; ce n'est pas le gouverneur en conseil qui nomme les sénateurs. À l'article 32, il est dit:

Quand un siège deviendra vacant au Sénat par démission, décès ou toute autre cause, le gouverneur général remplira la vacance en adressant un mandat [...]

C'est le gouverneur général. Il faut souligner cette distinction.

La présidente: Sénateur Joyal, ce n'est pas un rappel au Règlement. C'est plutôt un éclaircissement.

Le sénateur Joyal: Je m'excuse. C'est un éclaircissement.

La présidente: Nous devrions permettre au professeur Gélinas d'y répondre brièvement.

M. Gélinas: Je dirais seulement que c'est un bon exemple d'une convention constitutionnelle, d'après laquelle le gouverneur général agit sur l'avis du Cabinet, qui ne constitue qu'une partie du conseil.

Le sénateur Andreychuk: Si je peux résumer vos propos, l'objectif avoué du gouvernement est de créer un processus indépendant et quelque peu transparent de nomination d'un conseiller sénatorial en éthique.

Si nous emboîtons le pas à cet engagement cependant, nous nous trouverons en terrain inconnu. Nous ignorons en effet si le processus deviendra une convention, et si on s'en servira de nouveau. De plus les modalités de la consultation ainsi que les règles déterminant le choix des personnes consultées ne sont pas vraiment précisées.

Ne serait-il pas préférable d'inscrire simplement dans le projet de loi que le premier ministre ou le gouverneur en conseil consultera le parti minoritaire, ou qu'il faudra obtenir l'accord des leaders?

Autrement dit, si l'on inscrivait les critères et la marche à suivre pour nommer le commissaire indépendant dans le projet de loi, nous n'aurions pas besoin de vos lumières au sujet des engagements, des conventions, et cetera, et il y aurait certitude et clarté dans le texte législatif.

M. Gélinas: C'est exact. Le seul moyen d'avoir une certitude quelconque est d'inscrire cela dans le projet de loi, malgré le fait que dans le contexte politique réel, le futur gouvernement serait en mesure d'amender la loi, mais alors, ce serait une loi du Parlement, ce qui est plus difficile à modifier qu'un engagement.

La présidente: Merci beaucoup, monsieur Gélinas. Je vais maintenant demander à M. Saint-Martin de bien vouloir s'asseoir à la place des témoins. Nous tenons à lui donner le plus de temps possible.

Honorables sénateurs, je précise que le M. Saint-Martin nous a remis les copies de ses notes, mais en anglais seulement. Elles ont été distribuées à tous.

M. Denis Saint-Martin, professeur, Université de Montréal: C'est un honneur pour moi d'être ici aujourd'hui et de pouvoir vous entretenir d'une question que je juge très importante à la fois pour le Parlement et pour les Canadiens en général.

Au cours de ces dernières semaines, j'ai examiné les procès-verbaux de vos discussions, et il semble que le problème de l'indépendance soit l'une des préoccupations majeures exprimées par nombre d'entre vous au sujet du projet de loi C-4. Tout en partageant vos préoccupations, je vois la question sous un autre angle. Pour moi, il ne s'agit pas de savoir si le Parlement est indépendant du gouvernement et si, d'une manière ou d'une autre, le pouvoir exécutif empiète sur l'indépendance du Parlement en faisant nommer un commissaire à l'éthique par le gouverneur en conseil. Dans un régime de type britannique caractérisé par un gouvernement de parti, croire que le Parlement puisse être indépendant du gouvernement relève de la fiction politique, parce que, compte tenu de la majorité qu'il détient, ce dernier contrôle en fait le Parlement.

Au cours des 20 dernières années, dans la plupart des démocraties occidentales, la façon dont les parlementaires règlent les normes qui doivent guider leur conduite publique a évolué. Si nous comparons les mécanismes utilisés par le corps législatif pour s'assurer que ses membres respectent un code d'éthique, nous constatons généralement qu'ils sont de trois types: la plupart des systèmes de normalisation en matière d'éthique s'inscrivent sur une échelle allant de l'autorégulation pure et simple à une régulation entièrement externe, avec, entre les deux, une forme ou une autre de corégulation. C'est le régime en vigueur au Royaume-Uni.

Ainsi que je le précisais, l'autorégulation est ce qui existe actuellement — un genre de système d'évaluation par les pairs, c'est-à-dire que certains parlementaires jugent la conduite d'autres membres. Vous savez mieux que moi qu'il s'agit là d'un mode de régulation ancré dans la tradition et l'histoire.

Antérieurement, les assemblées législatives au Canada et ailleurs ont farouchement résisté à toute proposition voulant que la conduite de leurs membres soit soumise à l'autorité d'un organe ou d'une personne externe. Le principe constitutionnel de l'autonomie législative signifie au moins deux choses: qu'il appartient exclusivement aux assemblées législatives de discipliner leurs propres membres et que cette prérogative ne peut être contestée devant les tribunaux.

[Français]

Ce principe est ancien et vénérable. C'est un principe fondamental de la démocratie. Il protège votre droit de parole. Cependant, ce principe est en train de changer. Dans le monde contemporain, nous retrouvons facilement 60 juridictions: des pays, des États, des provinces, des régions comme l'Écosse et le Pays de Galle, où l'assemblée législative a peu à peu laissé de côté son système traditionnel d'autorégulation en ce qui concerne l'éthique des parlementaires.

[Traduction]

De plus en plus, les assemblées législatives tournent vers une forme plus extérieure de réglementation de l'éthique, comme c'est le cas pour le projet de loi C-4 qui cherche à faire participer un organe ou une personne externe — le commissaire à l'éthique — au processus traditionnel d'autoréglementation et d'évaluation par les pairs.

Pourquoi cela? En fait, pour rétablir la confiance dans la vie publique parce que, de plus en plus, l'autoréglementation éveille des soupçons. Elle crée un conflit d'intérêts institutionnel. Elle contrevient au principe selon lequel «personne ne devrait être juge de sa propre cause». Le fait que des parlementaires puissent juger d'autres parlementaires soulève des doutes raisonnables quant à l'indépendance, à l'équité et à l'obligation redditionnelle du processus. C'est en cherchant à régler le problème entourant les «doutes raisonnables» qu'un nombre croissant d'assemblées législatives se sont tournées vers des systèmes qui font appel, sous une forme ou une autre, à une réglementation externe de l'éthique.

Il s'agit notamment de promulguer une loi établissant un organe externe, indépendant de l'assemblée législative, chargé de gérer les règles d'éthique, de surveiller la conduite des membres et d'en rendre compte à l'assemblée législative. Ce modèle a été adopté dans les provinces canadiennes et c'est ce que le projet de loi C-4 cherche à mettre en place au fédéral.

Au Royaume-Uni, la Chambre des communes et la Chambre des lords ont choisi quelque chose de différent. Bien que les deux Chambres aient adopté des codes d'éthique, contrairement à ce qui s'est passé à la Chambre des communes, la Chambre des lords a décidé de ne pas opter pour la coréglementation. Il n'y a donc aucun tiers de l'extérieur qui participe au processus de réglementation de l'éthique de la Chambre haute. C'est donc différent du projet de loi C-4. De plus, au Royaume-Uni, tous les mécanismes de réglementation de l'éthique reposent sur le Règlement, mais ils ne sont nullement fondés en droit. Je le répète, c'est très différent du projet de loi canadien.

Pour revenir à la question de l'indépendance, j'aimerais aborder deux points: d'abord, la procédure de nomination du commissaire à l'éthique, qui aura une incidence primordiale sur son indépendance.

Dans toutes les provinces canadiennes et les États américains où l'on a créé un poste de commissaire à l'éthique, c'est toujours le pouvoir exécutif qui l'a nommé, après avoir tenu des consultations auprès de l'assemblée législative. Cela se rapproche de ce qui est proposé dans le projet de loi C-4. Bien entendu, certains d'entre vous estiment peut-être qu'un commissaire à l'éthique est différent des autres chiens de garde parlementaires. L'exercice de ces fonctions doit en effet se fonder sur la confiance mutuelle entre le commissaire et les parlementaires, car, contrairement à ce qui se passe avec le vérificateur général ou le commissaire à la protection de la vie privée, le commissaire à l'éthique examinera les questions relevant de la vie privée des parlementaires.

Le commissaire à l'éthique est un haut fonctionnaire du Parlement qui ne ressemble à aucun autre et on peut donc faire valoir que les parlementaires devraient participer beaucoup plus étroitement que ce qui est prévu à sa nomination. Après tout, cela fait partie de la promesse du premier ministre de renforcer et de renouveler le rôle du Parlement. Si l'on doit faire participer les comités parlementaires au processus de nomination des dirigeants des sociétés d'État, alors nous pouvons aussi les faire participer au processus de nomination des hauts fonctionnaires du Parlement.

Il y a des précédents à cela, peut-être pas au sein de l'administration fédérale, mais dans les provinces. Il vous intéressera peut-être d'apprendre qu'en Alberta, un comité de neuf membres provenant de tous les partis a interviewé tous les candidats retenus en sélection finale pour le poste de commissaire à l'éthique. À la suite des entrevues, le comité a communiqué ses recommandations au lieutenant-gouverneur.

Ensuite, si le Parlement tient à protéger le bureau du commissaire à l'éthique d'une influence indue du pouvoir exécutif, et si l'on veut que le commissaire soit un véritable chien de garde et non un béni-oui-oui, alors il importe d'examiner les articles 72.05, 72.06 et 72.07 du projet de loi C-4 portant sur la Loi du Parlement du Canada.

Ma principale préoccupation est qu'avec ces trois dispositions, le projet de loi crée un commissaire à l'éthique qui relèvera tantôt du Parlement, tantôt du pouvoir exécutif. Je pense que cela pourrait causer des problèmes, car la même personne ne peut, en même temps, jouer le rôle d'un fonctionnaire qui conseille le gouvernement et celui d'un «chien de garde» veillant au maintien de l'éthique parlementaire. Ce qui m'inquiète le plus, c'est que le projet de loi C-4 créerait un hybride constitutionnel, puisque le nouveau commissaire à l'éthique serait chargé de gérer deux ensembles de règles: celles pour les parlementaires et celles pour les titulaires d'une charge publique.

Tout comme le vérificateur général, le nouveau commissaire serait un fonctionnaire du Parlement, mais comme l'indique clairement l'article 72.07, il agirait aussi comme conseiller auprès du premier ministre en ce qui a trait à l'éthique des ministres. À ce titre, il jouerait exactement le même rôle que celui de l'actuel conseiller à l'éthique — un rôle associé à un fonctionnaire de l'État. Quand le commissaire agirait comme conseiller auprès du premier ministre, ses avis seraient confidentiels tels qu'indiqués à l'alinéa 72.07b). Toutefois, si un sénateur ou un député demandait au commissaire à l'éthique d'enquêter sur un cas présumé de conduite répréhensible d'un autre parlementaire, les résultats du travail du commissaire seraient publics, selon l'article 72.08.

Au plan politique, le commissaire serait donc au service de deux maîtres distincts: l'exécutif et le législatif. Il servirait l'un de manière transparente et l'autre derrière des portes closes, ce qui risque non seulement de créer un problème de conflit d'appartenance pour le commissaire, mais aussi de miner sa crédibilité.

Pour ces raisons, ma seule recommandation aux membres du comité serait d'examiner soigneusement le libellé de l'alinéa 72.07b).

La présidente: Pardonnez-moi, monsieur Saint-Martin, je ne cherche pas à vous presser, mais j'aimerais souligner le fait que les articles dont vous traitez se rapportent au commissaire à l'éthique de la Chambre des communes, et non au conseiller sénatorial en éthique. Cela dit, poursuivez; la question sera soulevée à nouveau plus loin.

M. Saint-Martin: Je tenais à parler de cela aujourd'hui afin que les sénateurs soient au courant. À l'article 72.07 du projet de loi, il est dit que le commissaire a pour mission:

b) de donner, à titre confidentiel, des avis au premier ministre sur toute question d'éthique et notamment sur ces principes, règles et obligations;

c) de donner, à titre confidentiel, des avis au titulaire de charge publique [...]

À mon avis, la formulation est trop générale et trop vague. En français, c'est plus large encore, puisqu'on dit que le commissaire à l'éthique doit donner des avis confidentiels au premier ministre «sur toute question d'éthique». On ne sait pas vraiment si cela sous-entend qu'il faille également donner des avis confidentiels au premier ministre concernant les allégations de conduite répréhensible de titulaires d'une charge publique.

Si c'est le cas, quels critères objectifs permettront de déterminer à quel moment le commissaire joue le rôle d'un fonctionnaire du Parlement ou celui d'un fonctionnaire de l'État? Si, dans un esprit de prévention, le premier ministre sollicite d'abord le commissaire pour lui demander conseil à propos de rumeurs voulant qu'un ministre ait failli à l'éthique, personne ne pourrait connaître la teneur de ces conseils. Cependant si c'est un député qui, le premier, prend contact avec le commissaire pour demander une enquête sur la conduite de ce même ministre, les résultats de cette enquête seront communiqués publiquement.

En l'occurrence, il semble donc que le moment où a lieu l'intervention soit un facteur clé qui déterminera si le commissaire est un fonctionnaire de l'État ou du Parlement et si son travail sera ou non rendu public.

Voilà des critères qui paraissent bien fragiles et subjectifs pour une fonction que beaucoup jugent cruciale pour aider à rebâtir la confiance du public dans le gouvernement.

La présidente: Je vous remercie, monsieur Saint-Martin. Il faut que vous sachiez que certains membres de notre comité se sont prononcés très fermement dans le même sens que vous, lorsque nous avons discuté de ce projet de loi la présente session parlementaire. Ils ont carrément averti les membres du comité de la Chambre des communes que ces questions constitueraient un véritable problème pour eux, mais ils ont choisi de ne pas tenir compte de notre avertissement.

M. Saint-Martin: Je m'en réjouis.

Le sénateur Andreychuk: Ainsi que l'ont déjà relevé certains sénateurs, l'un des problèmes dans toute cette question de l'éthique, c'est que même s'il y a un grand débat pour savoir si l'on doit maintenir le Sénat dans sa forme actuelle de Chambre composée de membres nommés, les cas qui ont eu un écho dans le public ne portaient pas sur des cas d'inconduite grave. Je pense que le public s'en rend bien compte. Aussi, bon nombre de ces cas sont le fait de ministres.

Je fais partie de l'opposition et le système de gouvernement du Canada, un système politique multipartite, me paraît comporter certains problèmes. L'un des partis dispose d'une majorité écrasante, tant à la Chambre qu'au Sénat. Je me demande donc dans quelle mesure il y aura de véritables consultations auprès du Sénat ou des leaders des autres partis politiques? J'aimerais des éclaircissements là-dessus.

Par ailleurs, vous avez affirmé qu'il existe déjà des postes de commissaire ou de conseiller à l'éthique indépendant dans les provinces et dans les États américains. Dans certaines provinces, pour que le candidat choisi jouisse de vastes appuis, on fait adopter une résolution à la majorité des deux tiers.

Compte tenu de notre bicaméralisme et du fait que le même parti peut être majoritaire à la Chambre et au Sénat, quelles assurances avons-nous ou quelles consultations y a-t-il auprès des partis minoritaires pour faire en sorte qu'il n'y ait pas de perception donnant à penser que la majorité obtient automatiquement ce qu'elle veut? Le projet de loi peut-il corriger cette perception lorsqu'il parle d'une «consultation du chef de chacun des partis reconnus au Sénat»?

M. Saint-Martin: Pour tout dire, non. Selon le projet de loi, il doit y avoir consultation. Toutefois, ce sont des facteurs politiques qui détermineront la participation des parlementaires au processus de nomination. Cela dépendra de la dynamique politique à l'oeuvre au Parlement.

Cela dit, il y va aussi de la crédibilité et de la légitimité de ce poste. Si les parlementaires ont l'impression de ne pas avoir été vraiment consultés par le gouvernement au sujet des nominations, alors ils se montreront très critiques à l'égard du commissaire à l'éthique. Pensons par exemple à ce qui s'est passé lorsqu'on a nommé le conseiller en éthique. On avait promis qu'il serait indépendant et qu'il y aurait des consultations. Il y a eu des consultations. Il n'empêche que, de l'avis de l'opposition, son poste n'avait aucune légitimité. Il a d'ailleurs été politisé, en ce sens qu'on s'en est servi à la Chambre des communes comme d'une arme partisane.

Par conséquent, tout ce que je peux répondre, c'est que si le gouvernement souhaite éviter cela et cherche plutôt à créer l'impression d'un poste indépendant, neutre et objectif, alors il a intérêt à faire preuve d'ouverture d'esprit en ce qui a trait à la participation de l'opposition au processus de nomination.

Pour ce qui est de la seconde partie de votre question, madame le sénateur, il faut imposer certaines limites à la participation de tous les partis au processus de nomination. Aux yeux du public, le nouveau commissaire aura beau avoir les coudées franches par rapport au gouvernement, il ne paraîtra pas indépendant des parlementaires en général du fait de leur forte participation au choix du titulaire. Il faut donc équilibrer les choses en fonction de cela aussi.

Le sénateur Andreychuck: Le simple terme «consultation» peut être utilisé à des fins très partisanes. À la place, pourrait-on plutôt choisir un critère plus transparent à mettre dans le texte de loi? Si, par exemple, on inscrivait «avec le consentement des chefs des principaux partis», ou quelque chose de ce genre, on ne pourrait pas dire que le processus manque d'équité; on aurait retiré l'élément subjectif, à savoir si la consultation a été bien menée ou non.

M. Saint-Martin: Si je ne m'abuse, tel était le sens de l'amendement apporté au projet de loi C-34. Le texte disait qu'il y aurait consultation et approbation des chefs des grands partis, ou quelque chose d'approchant. Ce serait préférable à un terme aussi vague que «consultation», et un tel libellé se prêterait moins à une récupération partisane.

La présidente: Par souci de rétablir les faits, je précise que l'amendement apporté au projet de loi n'était pas celui-là. Il s'agissait plutôt d'exclure du texte toute la partie portant sur le Sénat.

Le sénateur Andreychuck: Il parle de l'amendement du sénateur Bryden. Ce dernier pourra nous l'expliquer.

Le sénateur Bryden: Ce dont nous avons eu le temps de traiter portait sur le Sénat. Cette partie figure au début du projet de loi C-4, qui se rapporte surtout à ce dont notre témoin nous a entretenus, c'est-à-dire le poste de commissaire à la Chambre des communes. L'amendement aurait substitué aux dispositions relatives à la Chambre des communes une obligation pour le Sénat de «nommer un conseiller en éthique». C'est d'ailleurs l'amendement qui a été adopté en novembre dernier, par 47 voix contre 32.

Cette fois-ci, l'amendement proposé sera plus détaillé et tiendra compte d'un certain nombre de questions qui vous préoccupent.

Le sénateur Andreychuck: Ce que vous êtes en train de dire, c'est qu'on peut donner un sens partisan à des termes comme «consultation», mais que c'est moins probable si on inscrit aussi des notions telles que «consentement» et «procédure appropriée».

M. Saint-Martin: Tout à fait.

Le sénateur Andreychuck: C'est de cela que je veux parler, et non des amendements que je ne connais pas.

Le sénateur Smith: À la page 4 de vos notes, vous faites une seule recommandation au comité, soit d'étudier attentivement l'alinéa 72.07 b). Pour l'essentiel, cela revient à s'interroger sur le partage d'un conseiller en éthique et de ses services administratifs avec la Chambre des communes. Je suis tout à fait d'accord avec cela. Depuis le début, j'ai d'ailleurs dit à maintes reprises que j'avais des réserves au sujet de cette disposition du projet de loi.

J'ai cependant examiné le texte plusieurs fois, et la question qu'il faut maintenant se poser est la suivante: Que faire à ce sujet? C'est de la Chambre des communes qu'il s'agit ici. Elle a choisi d'adopter ce projet de loi deux fois dans la même forme. Lors du premier débat qui portait là-dessus, quatre des cinq partis ont donné leur appui.

Comment pouvons-nous conseiller la Chambre sur l'opportunité de partager un conseiller? J'ai moi-même siégé à ce comité de la Chambre des communes il y a des années. Si j'y étais encore et si le sénateur Joyal y était encore, on aurait séparé la fonction. Je pense aussi que l'administration de l'époque aurait accepté cela. Cependant, nous en avons discuté avec certains députés, et c'était comme si nous leur parlions dans une langue inconnue. Ils ne comprenaient pas. C'était comme parler à un sourd. À mon avis, et que je sois d'accord avec eux ou non, nous ne devons pas dire quoi faire aux députés de la Chambre des communes et eux non plus ne doivent pas nous dire quoi faire.

Je crois que le Sénat a eu le mérite — et ici j'applaudis ses leaders — de dire «nous tenons à notre propre conseiller», et nous l'avons obtenu. Certains ont bien essayé d'éclairer les esprits et de les inciter à réagir. Il se serait passé la même chose si la Chambre des communes avait agi comme nous, mais elle ne l'a pas fait, et le projet de loi a maintenant été adopté deux fois. Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez du fait que malgré l'adoption de l'amendement du sénateur Bryden, la Chambre des communes a quand même choisi une autre voie?

M. Saint-Martin: J'ignore pourquoi la Chambre des communes n'a suivi ni votre avis ni celui d'autres personnes bien intentionnées.

Si vous vous reportez à la situation en Grande-Bretagne, encore une fois, la gestion du code d'éthique régissant les titulaires de charges publiques incombe au secrétaire du Cabinet ou au greffier du Conseil privé, car il s'agit d'un agent de la Couronne conseillant d'autres agents de la Couronne. Pour conseiller les parlementaires, on dispose là-bas d'une commission parlementaire des normes, car ainsi que vous le savez sans doute, les deux codes de déontologie sont différents. De la part des ministres et des procureurs, le public attend le respect de normes de conduite plus strictes, du fait qu'ils détiennent beaucoup plus de pouvoir que les députés d'arrière-banc. Les deux codes sont donc différents. Nous nous attendons aussi à ce que ces deux codes soient administrés par deux personnes différentes.

Pourquoi le gouvernement n'a pas scindé la fonction? C'est un mystère. Je l'ignore. Toutefois, cela pourrait revenir le hanter éventuellement, tout comme cela a été le cas pour une promesse faite en 1993 à savoir que le gouvernement s'engageait à créer un poste de conseiller en éthique indépendant. Cela lui a été constamment remis sous le nez.

Le sénateur Smith: Nous sommes du même avis.

[Français]

Le sénateur Fraser: Votre description de trois approches pour la réglementation de déontologie au Sénat m'intéresse beaucoup. Je ne sais pas si vous avez suivi de près nos débats au moment de l'étude préliminaire d'un ancien projet de loi. C'était au tout début du processus.

À l'époque, nous ne voulions pas établir notre code d'éthique dans la législation. C'était pour préserver nos privilèges, nos droits et ceux du Parlement. À mon avis, ces raisons étaient tout à fait légitimes et même fondamentales.

Ai-je raison de croire qu'à la fin de son étude préliminaire, le Sénat a recommandé pour lui-même un système qui correspond plutôt à la deuxième approche que vous décrivez ici? S'il existe une différence dans ces catégories, est-ce que le système que la Chambre des communes a adopté pour elle-même tombe dans une autre catégorie de vos approches?

M. Saint-Martin: Si j'ai bien compris, le commissaire à l'éthique que le projet de loi C-4 va créer est responsable pour les deux chambres.

Le sénateur Fraser: Non, non.

M. Saint-Martin: Le Sénat et la Chambre des communes auront leur propre commissaire à l'éthique. Le commissaire à l'éthique est tout de même créé par une loi et non par convention parlementaire.

Le sénateur Fraser: Oui, mais toutes ses fonctions, ses obligations et ses pouvoirs seront définis par notre code d'éthique.

M. Saint-Martin: L'existence du commissaire à l'éthique est autonome des conventions parlementaires du Sénat et dans ce sens, cela correspond davantage au modèle de réglementation externe. L'officier qui sera responsable de la gestion du code d'éthique que le Sénat aura adopté provient de l'extérieur au Sénat.

Par exemple, Westminster a adopté le système de corégulation. Ils ont embauché un officier externe pour la Chambre des communes seulement.

Le sénateur Fraser: Pas pour la Chambre des lords.

M. Saint-Martin: Cet officier externe est dans une position subalterne par rapport à un comité composé de députés.

Le sénateur Fraser: Ce sera notre cas. C'est exactement ce que nous avons recommandé.

M. Saint-Martin: Sauf que là-bas l'officier n'a pas d'existence légale tandis que le vôtre en aura une. Il s'agit d'une distinction très importante.

[Traduction]

Le sénateur Joyal: J'ai trois questions. La première concerne la distinction à faire entre le statut du vérificateur général, qui est un agent du Parlement, et le statut et le rôle prévus du commissaire à l'éthique ou du conseiller en éthique.

J'ai lu votre article de juin dernier intitulé «Le conseiller en éthique fédéral doit-il devenir un agent indépendant du Parlement?». Vous y disiez que deux caractéristiques distinguent le vérificateur du commissaire à l'éthique. Tout d'abord, le vérificateur général publie un rapport. Naturellement, ce rapport constitue un élément clé de son travail. En fait, c'est sur ce rapport que repose l'efficacité de ce poste.

Le deuxième élément, comme vous le dites dans votre article, c'est que le rapport du vérificateur général nomme rarement des personnes. Plutôt que de se concentrer sur les responsables, il adopte une démarche systémique et administrative.

Ici, avec le commissaire à l'éthique, nous n'avons pas ces deux aspects. Il n'y a pas de publication d'un rapport en soit. D'après le projet de loi, un rapport serait présenté à un comité.

Il y a, bien sûr, le fait nouveau que le rapport peut mentionner une personne en particulier. Il peut porter sur une personne puisque, comme vous le savez, il y a deux aspects. Le commissaire peut conseiller une personne qui en fait la demande, ou il peut être saisi d'une allégation d'actes répréhensibles, de violation du code, qui peut déclencher une enquête. Il peut enquêter sur une personne et il fait rapport à l'autorité interne du Sénat. Il y a donc deux fonctions ou caractéristiques bien distinctes pour chacun de ces deux rôles.

Je trouve cela assez troublant. Je crois que vous le dites bien dans votre article; il est troublant de dire que le commissaire sera comme le vérificateur général.

Je crois que c'est un élément important à comprendre avant d'adopter ce projet de loi. C'est ma première question.

Ma deuxième question concerne votre opinion selon laquelle il y aurait maintenant une tendance à faire participer les parlementaires aux nominations, par exemple à la tête de sociétés d'État, comme vous l'avez bien souligné. On a l'impression que le gouvernement a tendance à s'orienter plus qu'avant dans cette direction, en tout cas dans le cas des sociétés d'État. On nous a parlé hier de la Commission de l'immigration, qui semble être un autre cas des nominations faites par le gouverneur en conseil qui seront examinées. En ce moment même, le premier ministre est peut-être en train de faire d'autres déclarations. Il est censé faire un discours important sur cette question aussi.

À votre avis, la participation des parlementaires n'est-elle pas une sorte de contre-poids à la prérogative du privilège de l'exécutif de manière à préserver l'intégrité du rôle, comme vous l'avez bien montré avec l'exemple de l'Alberta? En un sens, cet exemple paraphrase ce que le leader lui-même a proposé, à savoir qu'il doit y avoir une forme quelconque de consultation. En Alberta, comme vous l'avez dit, le processus semble plus précis. Qu'en dites-vous?

M. Saint-Martin: En ce qui concerne votre première question, à propos de l'idée erronée selon laquelle le commissaire à l'éthique serait comme le vérificateur général simplement parce qu'ils sont tous les deux des agents du Parlement, vous avez parfaitement raison: ils ont des rôles fondamentalement différents. En me fondant sur mes recherches, je dirais que les commissaires à l'éthique sont moins indépendants que le vérificateur général car l'indépendance repose non seulement sur des règles juridiques officielles, mais aussi sur des ressources. Les commissaires à l'éthique des provinces canadiennes disposent de budgets très restreints et d'un personnel très limité. Le vérificateur général du Canada dispose en revanche d'un budget énorme. Ma collègue, Mme Sutherland, a souvent dit que le Bureau du vérificateur général était indépendant non seulement du gouvernement, mais aussi du Parlement. Vous voudrez peut-être en discuter avec elle. C'est là une autre différence fondamentale. Les commissaires à l'éthique peuvent généralement déclencher des enquêtes sur des allégations d'inconduite seulement lorsqu'une partie externe intervient. Ils ne peuvent pas le faire d'eux-mêmes, contrairement au vérificateur général qui peut décider de faire enquête sur n'importe qui. Il y a donc là une différence fondamentale.

À propos de votre deuxième argument, je dirais que la légitimité du commissaire à l'éthique ne pourrait qu'être renforcée s'il était nommé grâce à un processus faisant intervenir la participation des parlementaires. C'est indéniable.

Je voudrais de nouveau reprendre cette notion qui veut que l'indépendance ne soit pas fondée uniquement sur des règles juridiques explicites. L'indépendance comporte une sorte de connotation sociologique. On ne peut pas créer une commission qui ait tous les attributs de l'indépendance en vertu des règles — et cela s'est déjà produit — pour ensuite y nommer un ancien politicien qui est un ami. C'est courant. Bien des gens sont amis avec des députés ou des sénateurs ou d'autres titulaires de charges publiques. Toutefois, une telle nomination peut donner l'impression que cette personne n'est pas véritablement indépendante parce que c'est un ancien politicien. Il est tentant pour les politiciens, et je comprends cela tout à fait, de se dire: «Si cette personne a pour tâche de s'occuper non seulement de mes propres intérêts, mais de ceux de ma conjointe, de mes enfants, de mon entreprise, et cetera, je tiens à ce qu'elle connaisse bien ma culture». On souhaite que cette personne sache ce que c'est que la vie politique au quotidien. La tentation de nommer un ex-parlementaire est forte parce que cette personne connaît la culture du Parlement. Toutefois, le public pourrait estimer que la personne nommée fait partie de la «clique». Même si la loi crée une entité indépendante, cette personne ne sera pas considérée comme véritablement indépendante. Voilà pourquoi dans bien des provinces canadiennes — et mon collègue, M. Greene, est mieux au courant que moi de ce fait — on nomme d'anciens juges parce que leur indépendance est considérée comme supérieure.

Le sénateur Ringuette: Je trouve cela très intéressant. Cela reprend ce que vous avez dit à propos du public qui perçoit un commissaire à l'éthique comme étant soit un chien de manchon, soit un chien de garde.

Quelle serait, selon vous, la perception de la population si le Sénat avait la responsabilité exclusive de nommer, de licencier ou de renommer son propre conseiller en matière d'éthique?

M. Saint-Martin: Tout dépendrait des circonstances. S'il y avait une allégation d'inconduite ou un scandale dans l'air — c'est-à-dire, s'il y avait des rumeurs qu'un sénateur avait mal agi — et si le commissaire, après enquête, affirmait que ces rumeurs ne sont pas fondées, alors, tout comme moi, vous savez que l'opposition et les médias s'écrieraient: «Bien sûr, il tire cette conclusion. Il n'est pas totalement indépendant, car il peut être licencié selon leur bon vouloir». Voilà pourquoi je vous réponds que cela dépend des circonstances politiques.

Le sénateur Austin: Monsieur Saint-Martin, je voudrais signaler, pour mémoire, qu'il n'y a qu'un seul parlementaire qui relève à la fois du commissaire à l'éthique de la Chambre et du conseiller en éthique du Sénat, et c'est le leader du gouvernement au Sénat.

Je reviens à la question que le sénateur Ringuette a posée. En novembre dernier, le sénateur Bryden a proposé un amendement qui a été adopté afin que la nomination du conseiller sénatorial en éthique relève entièrement du Sénat. Par conséquent, on a dit — et vous en avez parlé à deux ou trois reprises dans votre témoignage — qu'on aurait l'impression qu'une telle personne est une créature du Sénat. À vouloir éviter que ce conseiller ressemble à une créature de l'exécutif, on a renversé la vapeur.

Le projet de loi, auquel s'ajoute l'engagement pris par le leader du gouvernement au Sénat, essaie d'offrir un mécanisme de poids et de contrepoids pour que cette personne occupe un juste milieu entre les deux pouvoirs. Étant donné l'engagement pris, le Sénat aura le rôle de proposer un candidat choisi par la majorité des sénateurs du parti ministériel et la majorité des sénateurs de l'opposition. Avec l'assentiment du leader de l'opposition et du leader du gouvernement au Sénat, ce candidat sera proposé au gouverneur en conseil par voie de résolution du Sénat.

Monsieur Gélinas, qui témoignait tout à l'heure, a dit que rien n'exige que le gouverneur en conseil accepte ce candidat. Autrement dit, il y a un véritable déséquilibre de pouvoirs. Avec ce mécanisme de poids et de contrepoids, nous espérons pouvoir garantir l'indépendance de ce haut fonctionnaire et supprimer toute apparence d'influence indue venant d'un côté ou de l'autre. C'est l'élément qu'apporte l'engagement qui a été pris.

Vous avez également dit que dans toutes les autres assemblées législatives — en Alberta, en Ontario, dans d'autres provinces, et également dans les États américains — on combine la responsabilité. La reddition de comptes se fait à la fois au premier ministre, ou au premier ministre provincial, et aux parlementaires. C'est le précédent qui sans doute a influencé les gens de ce que nous appelons l'autre endroit et les a poussés à essayer la même formule. Vous avez entendu ce qu'avaient à dire certains de nos collègues — tout comme eux et tout comme vous, je pense que cela a soulevé des problèmes. La Chambre des communes est prête à faire avec ces problèmes.

Voilà ce que j'avais à dire et j'aimerais entendre ce que vous avez à dire là-dessus.

M. Saint-Martin: Je suis d'accord avec vous. Le juste milieu, lorsque l'on veut nommer quelqu'un qui connaît votre culture et vos usages et qui, aux yeux du public, est véritablement indépendant, est difficile à atteindre. C'est difficile parce que vous ne voulez pas que le public croit que vous nommez tout simplement un chien de manchon. Mais par ailleurs, il y a le principe de l'imputabilité. Vous ne voulez pas que le bureau de ce titulaire soit totalement libre de dépenser les deniers publics à sa guise. Vous ne voulez pas une bureaucratie qui s'emballe. Après tout, ce haut fonctionnaire est un bureaucrate. Il ne tient pas sa légitimité de lui-même. C'est un équilibre difficile sur lequel il faut travailler — c'est indéniable.

Le sénateur Austin: Monsieur Saint-Martin, il me semble que nous avons absolument rejeté l'idée de nommer un ancien sénateur. Même si cette personne comprenait la culture de l'institution, il faut sauver les apparences. Nous n'avons peut-être pas exclu la possibilité de nommer un professeur.

Le sénateur Stratton: Je reviens à la question que j'ai posée au témoin qui vous a précédé. Il s'agit ici d'un premier petit pas dans un processus qui va évoluer. Si c'est un processus qui va évoluer, ne vaudrait-il pas mieux que le Sénat nomme son propre conseiller en éthique de sorte que s'il voulait modifier et accroître la transparence du poste, par exemple, ce serait beaucoup plus facile que de devoir demander au premier ministre de changer les choses?

M. Saint-Martin: C'est un point de vue raisonnable et j'y adhérerais. Vous avez tout à fait raison de dire qu'il y aura évolution. C'est un processus évolutif. Je le répète, d'après les cas que j'ai étudiés, je constate que nous apprenons à l'usage. Les choses évoluent constamment.

Ce qui me frappe, à la lecture du projet de loi C-4, c'est que vous mettez la charrue avant les boeufs. En général, d'après tous les cas que je connais, on formulait d'abord un code de déontologie qui a une base parlementaire et non pas législative. Un code fondé sur les conventions parlementaires. Les parlementaires appliquaient le code à l'interne. Puis, il y avait un scandale et le public s'indignait. On décidait alors de nommer un commissaire à l'éthique de l'extérieur pour appliquer le code. Dans le cas qui nous occupe, on vous demande d'adopter un projet de loi qui crée une sorte de police de la déontologie, mais vous n'avez aucune idée du genre de «code pénal» que cette nouvelle force policière va devoir appliquer; je comprends que cela inquiète un peu, parce que vous ne voulez pas signer un chèque en blanc.

Il y a le code Oliver-Milliken, qui va sans doute être mis sous forme de loi. Toutefois, dans tous les cas que je connais, le code précède la création de l'organe chargé de l'appliquer. Ici, en l'occurrence, c'est l'inverse.

Bien sûr, on peut soupçonner que si l'on veut créer d'abord le poste de commissaire à l'éthique et rédiger le code par la suite, cela a quelque chose à voir avec les élections.

La présidente: Jamais, bien entendu.

Le sénateur Bryden: Je voudrais faire porter la discussion sur le Sénat et sur ce qui nous tracasse. Nous supposons que nous avons fait de notre mieux pour aider les gens de la Chambre des communes et maintenant, nous essayons de servir au mieux nos intérêts. Permettez-moi de vous donner quelques compléments d'information sur ce qui s'est passé, car nous...

La présidente: Vous disposez de cinq minutes, sénateur Bryden.

Le sénateur Bryden: Nous sommes vraiment sous pression, mais ce n'est pas parce que le Sénat a posé un problème majeur d'éthique au gouvernement ou aux yeux du public, ou que sais-je encore. Deux ou trois personnes ont été inculpées, mais il ne s'agissait pas d'éthique dans leur cas. Certaines ont été exonérées et d'autres ont été mises derrière les barreaux. Toutefois, ces affaires n'avaient rien à voir avec ce qui se passe au Sénat. Même le problème du pauvre sénateur Thompson n'aurait pu être résolu grâce aux dispositions de ce projet de loi en matière d'éthique. Pour finir, il a décidé de prendre sa retraite. Ce n'est donc pas vraiment nous qui sommes le problème. Toutefois, tous les sénateurs ici présents souhaitent ardemment trouver la solution, étant donné la perception du public.

Je suis convaincu que le Sénat est sans doute l'organe législatif le plus indépendant au Canada et je parle ici de l'indépendance par rapport à l'exécutif. Le lien se fait grâce au leader du gouvernement au Sénat qui également, je l'espère, agit en tant que leader du Sénat auprès du gouvernement. C'est le lien.

Pendant 137 ans, nous avons essentiellement géré nos propres affaires de façon indépendante.

L'automne dernier, lors de l'étude du projet de loi, le débat a été houleux. Quand on y regarde de plus près, on constate que la question a été débattue de part en part. Le temps pressait, car, comme toujours, on craignait la prorogation et il fallait faire quelque chose. Malheureusement, le sénateur Austin était malade à ce moment-là et n'a pas pu participer au débat, mais je suis sûr qu'il en a lu le compte rendu. Néanmoins, l'amendement a été fait, dans les temps, et il disposait que «le Sénat nomme un conseiller en éthique».

Quand on se reporte aux dispositions du projet de loi C-4, on constate que beaucoup de travail sera accompli par les comités. Les règles doivent être fixées par les comités, et cetera.

Étant donné notre situation, le Sénat peut très bien fixer un processus pour le choix du conseiller en éthique lequel constituera un juste équilibre entre le parti ministériel représenté au Sénat et le parti d'opposition représenté au Sénat, fixant ainsi le mandat, la reconduction et prévoyant que cette personne appliquera les règles établies par le comité pertinent — et, j'y arrive — et en effet, le processus peut prévoir que ce conseiller, à la suite d'un vote majoritaire des sénateurs du parti ministériel et de ceux de l'opposition, pourra être destitué pour motif valable.

Je ne vais pas poursuivre mais le fait est que nous avons la possibilité de créer un poste qui sera indépendant au plus haut point et qui aura assurément un haut degré de transparence. Étant donné votre expérience, dites-nous si ce genre de démarches seraient acceptables de façon générale aux yeux du public?

M. Saint-Martin: Vous avez dit au début que les sénateurs, ce n'était pas eux le problème, mais je n'en sais rien et je ne peux que conjecturer là-dessus. Le public est sensibilisé dans la mesure où le problème vient de ceux qui détiennent le pouvoir — les ministres et les hauts fonctionnaires. On peut dire que moins l'on a de pouvoir — et je ne veux pas vous manquer de respect — moins le problème est grave. Toutefois, vous l'avez dit, il faut que l'on sente que vous participez à la solution.

D'après les recherches que j'ai faites, je sais que pour les politiciens, la question est très épineuse. Qu'ils choisissent d'agir ou de ne rien faire, ils s'attirent les critiques. S'ils ne font rien, on dit qu'ils cachent quelque chose, s'ils agissent, les règles d'éthique seront sans doute très souvent utilisées comme armes dans les combats politiques comme on a pu le constater depuis quelques années au Canada.

À ma connaissance, mes collègues ne seront peut-être pas d'accord, il n'existe aucune preuve empirique démontrant un accroissement de la confiance publique dans les institutions politiques dans les pays qui ont adopté le principe d'un commissaire à l'éthique indépendant. Je n'en connais aucune preuve. Par conséquent, prétendre que nous avons besoin de créer ces nouvelles bureaucraties pour renforcer la confiance du public, c'est un argument purement politique. C'est un bon argument politique, mais sans fondement empirique.

La présidente: Nous accueillons maintenant Mme Sharon Sutherland, de l'Université Queen's, et M. Ian Greene de l'Université York — et anciennement de l'Université de Toronto — qui vont faire un exposé jumelé, je crois. Nous commencerons par vous, monsieur Greene.

M. Ian Greene, professeur, Université York: J'ai fait mes études supérieures à l'Université de Toronto, mais j'exerce au sein d'une bien meilleure institution, l'Université York. Naturellement, elle est bien meilleure parce que notre président est un ancien sénateur.

La présidente: Elle a un joli nom aussi.

M. Greene: En effet.

Je vous suis reconnaissant de m'avoir invité à comparaître devant votre comité. C'est pour moi un grand honneur et j'espère pouvoir vous être de quelque utilité.

Permettez-moi de commencer par quelques brèves remarques. J'ai lu le projet de loi C-4 ainsi que les délibérations de votre comité hier et mercredi dernier. Tout d'abord, le projet de loi C-4 constitue un pas important dans la bonne direction si l'on veut promouvoir l'éthique dans la démocratie. Il va contribuer à renforcer la confiance que les Canadiens doivent avoir dans leurs institutions politiques. Il sera aussi utile pour contrer le cynisme de nombreux Canadiens quand on leur demande dans quelle mesure ils font confiance à leurs institutions politiques.

Le Sénat du Canada fait du bon travail, mais c'est un travail qui est sous-estimé et, par conséquent, moins efficace qu'il ne pourrait l'être à cause de l'absence d'une bonne législation en matière d'éthique couvrant le Sénat.

Je suis spécialiste des sciences politiques et je donne des cours en administration publique, en droit public et en éthique politique. Dernièrement, je me suis concentré plus particulièrement sur le régime des tribunaux au Canada et l'éthique au gouvernement. Il y a quelques années, j'ai contribué à l'analyse des résultats d'une enquête sur l'attitude des Canadiens face aux questions éthiques en politique, étude qui avait été organisée par Maureen Mancuso, professeure à l'Université de Guelph. Je suivais avec beaucoup d'intérêt l'évolution et l'amélioration des règles d'éthique dans la politique canadienne depuis le début fracassant de ce phénomène à la fin des années 80.

La démocratie est en perpétuel devenir. Le Canada a énormément contribué à promouvoir une politique éthique au sein de la démocratie en mettant en place des lois sur l'éthique dans toutes les provinces et tous les territoires, des lois visant à éviter les conflits d'intérêt, en créant des commissariats à l'éthique indépendants dans toutes les provinces et tous les territoires, en élaborant progressivement une réglementation pour limiter les abus du lobbyisme, et en adoptant une réglementation destinée à limiter les abus d'influence dans le financement électoral et le financement des partis.

Il est intéressant que M. Saint-Martin vous ait signalé ce matin que le genre de loi dont vous parlez lorsque vous examinez le projet de loi C-4 existe déjà au sein d'une soixantaine de pays ou d'entités gouvernementales. Treize de ces pays ou entités gouvernementales se trouvent au Canada, qui représente donc de 20 à 25 p. 100 de l'ensemble. Le Canada est reconnu comme l'un des chefs de file mondiaux de la promotion de l'éthique en politique. Si le projet de loi C-4 est adopté, nous représenterons près de 25 p. 100 du total de ces entités.

Il y a une grande lacune dans le régime d'éthique politique au Canada, c'est l'absence d'un régime complet régissant les conflits d'intérêt aussi bien pour les députés que pour les sénateurs. Si le Sénat n'approuve pas le projet de loi dont il est saisi, il va affaiblir la crédibilité de cette Chambre.

Je pense que les débats du 10 et du 16 mars ont été particulièrement axés sur les questions de privilège parlementaire et d'indépendance du conseiller sénatorial en éthique proposé. Dans le cas du privilège parlementaire, A. V. Dicey, l'éminent juriste britannique du XIXe siècle, écrivait en 1885:

Il n'est rien de plus difficile à définir que la portée des pouvoirs ou droits indéfinis dont jouissent les deux Chambres du Parlement au titre du privilège ou du droit et de la coutume du Parlement.

C'est tiré de son ouvrage intitulé Introduction to the Study of the Law of the Constitution, et je cite ici la note 1, page 56, de la sixième édition, 1902.

Il fait remarquer que l'essence du principe du privilège parlementaire est que «les Chambres et leurs membres jouissent de tous les privilèges en matière de liberté de parole, et cetera, nécessaires pour l'accomplissement de leurs fonctions». C'est assez proche de la définition de l'essence du privilège que donnait M. Maingot hier.

Je ne crois pas que le projet de loi C-4 empiète de quelque façon que ce soit sur les privilèges du Sénat. Au contraire, il les renforce, car il permet aux sénateurs, dans la mesure où ils sont à l'abri de tout conflit d'intérêt éventuel et sont publiquement perçus comme tels, d'exercer leur liberté de parole et de pensée à l'abri de toute influence malencontreuse.

Le projet de loi C-4 deviendra un important pilier du privilège parlementaire sur la question de l'indépendance. Grâce à ce projet de loi, nous aurons un conseiller sénatorial en éthique aussi indépendant que n'importe quel juge canadien et auquel on pourra faire confiance pour agir en toute impartialité.

Il n'existe pas de mécanisme parfait pour assurer l'indépendance des autorités qui ont besoin d'une certaine indépendance. En fin de compte, ce qu'il faut, c'est prendre des mesures raisonnables pour promouvoir l'indépendance et faire confiance à l'intégrité de nos dirigeants politiques pour honorer le principe de l'indépendance.

La clé de la réussite du nouveau régime d'éthique sera le code de déontologie dont le Sénat se dotera. À mon avis, c'est dans ce domaine que vos efforts et votre énergie pourraient être mis à contribution de la façon la plus utile.

[Français]

Mme Sharon Sutherland, professeure, Université Queen's: Je suis très heureuse de participer aux délibérations sénatoriales sur la déontologie. Si vous désirez poser des questions ou faire des observations en français, je tenterai d'y répondre.

[Traduction]

Depuis que j'ai été invitée à venir comparaître il y a une semaine environ, j'ai détruit l'équivalent d'une petite forêt en imprimant toutes les délibérations de votre comité en 2003, plusieurs documents de la Bibliothèque du Parlement, de nombreux documents de la Chambre des communes et divers documents de la Chambre des lords et de la Chambre des communes de Grande-Bretagne.

J'ai réuni et agrafé tous ces documents. J'en ai plusieurs dans ma serviette. Je ne peux cependant pas vous garantir que j'ai tout assimilé. J'ai lu certains documents dans le mauvais ordre, de sorte qu'il m'est arrivé de croire que nous progressions vers l'auto-réglementation pendant un certain temps à partir d'un régime restrictif pour les hauts fonctionnaires du Parlement. J'ai dû revenir en arrière et vérifier. Je sais que mes dates sont approximatives, de même que mon souvenir de certaines questions sur lesquelles vous me demanderez peut-être de vous donner des détails.

D'autres témoins, notamment M. Saint-Martin, ont cherché à déterminer si le projet de loi C-4 proposait un modèle susceptible de fonctionner correctement. En gros, notre tâche consiste à déterminer si un agent, lié au gouvernement du fait qu'il est nommé par le gouvernement, peut fonctionner de façon indépendante par rapport à ce même gouvernement.

Je me méfie des agents indépendants, c'est-à-dire que je me méfie des agents du Parlement, car ils doivent être surveillés de très près. Je m'inquiète aussi de l'évolution progressive des délibérations depuis 1995, date à laquelle on a commencé à définir le code Milliken-Oliver.

Votre tâche en 1995 était bien différente de ce qu'elle est aujourd'hui. Ce que je vous conseillerais aujourd'hui, c'est de refuser non seulement la nomination d'un conseiller sénatorial en éthique, mais aussi la création d'un bureau indépendant situé au-dessus du Sénat ou au sein du Sénat. Quelle que soit sa forme, vous devriez rejeter un tel bureau.

La progression graduelle des délibérations et l'acceptation de ce que l'on considère comme le point de vue du public ont fait que l'on est maintenant confrontés à un ensemble de situations malencontreuses.

Pour reprendre une remarque de feu J.R. Mallory il y a bien longtemps, à propos du Parlement, toute réforme est fatalement porteuse de nouveaux problèmes.

[Français]

J'ai comparu devant le comité mixte en 1995.

[Traduction]

À ce moment-là, j'aurais pu mieux donner suite à mon souci premier, faire comprendre que la transparence, la divulgation et l'information devraient faire partie intégrante de la stratégie associée à un code de conduite quel qu'il soit. Par «divulgation», je ne veux pas dire dénonciation, mais simplement expliquer ses faits et gestes. La transparence, la divulgation et la publicité constituent un acte de protection préventive pour quiconque évolue dans la vie publique. Je constate d'ailleurs que M. Saint-Martin utilise le même terme.

M. Saint-Martin a fort bien décrit les choix de mécanismes, l'autoréglementation, la présence d'un chargé de réglementations indépendant qui travaille à l'interne et également d'un chargé de réglementations internes comme il se fait aux États-Unis.

Nous avons beaucoup entendu parler de la nécessité, pour le Sénat, de faire partie d'une solution ou, à tout le moins, d'apaiser cette créature fictive qu'on appelle l'opinion publique, le cynisme populaire à l'endroit des institutions politiques. Il ne serait pas mauvais de réfléchir encore une fois à ce que disait M. Saint-Martin, en l'occurrence que rien ne prouve que la perception populaire s'améliore avec l'adoption de mécanismes très lourds.

J'appelle également à ce qu'on étudie plus avant la tendance à long terme manifestée par le cynisme populaire telle qu'elle est mesurée par les sondages, cynisme non seulement à l'endroit des politiciens ou de l'énorme appareil de l'État, mais également à l'endroit de la grosse entreprise, des gros mouvements religieux, bref de tout ce qui est gros. Peut-être y a-t-il une tendance générale parmi la population, ou une tendance à répondre d'une certaine façon aux questions lorsque l'individu qui est ainsi interrogé mentionne son point de vue moral. Certes, je condamne le scandale et l'abus de biens publics parce que je suis une honnête personne et que je gère bien mes propres finances. Par contre, cela ne prouve rien qu'il n'y ait qu'une seule façon d'avancer, en l'occurrence de grever la Chambre d'un fonctionnaire indépendant.

Je voudrais dire rapidement deux mots au sujet de la possibilité, pour un responsable de l'éthique au Sénat qui soit nommé par le gouvernement, d'être indépendant de ce dernier. Je le ferai sans prendre de gants étant donné que nombreux sont les honorables sénateurs qui sont extrêmement versés en droit constitutionnel. Vous l'avez entendu ce matin de la bouche d'un professeur qui, dirais-je, a fait un extraordinaire travail. Ces gens savent beaucoup mieux que moi ce qui se produit du point de vue de la convention et des constitutions. Je me contenterai d'ajouter qu'il est manifeste et important à la fois, qu'on puisse facilement déterminer si un fonctionnaire ainsi nommé par le gouvernement peut travailler en parfaite indépendance sans jamais penser ne serait-ce qu'un seul instant aux désirs de celui-ci. J'ajouterais également, et c'est là où réside le danger, qu'une telle personne pourrait également fonctionner en parfaite indépendance de l'entité réglementaire qui l'a nommé, si c'est cela qu'elle veut.

Il n'y a que deux conditions nécessaires pour que le Parlement soit indépendant dans le cas d'un fonctionnaire du Parlement, et elles sont énoncées en termes généraux: tout d'abord, en raison de la probité associée à la charge, ni le gouvernement, ni l'organisme auquel il est subordonné ne passeront tant sans faut à la loupe les activités de cette nouvelle charge, et en second lieu, la transparence ou la publicité volontaire associée à cette charge sera minime, voire totalement absente. Pour être plus précis, cette fonction ne sera pas assujettie à la loi sur l'accès à l'information, et il n'en émanera aucune information publique potentiellement délicate au sujet de ses activités et de ses membres.

Vous me permettrez d'être d'une franchise inopportune en parlant de la définition de l'indépendance d'un fonctionnaire nommé. J'ai ici deux thèmes: tout d'abord, dans le cas de la plupart des fonctionnaires du Parlement, on constate une dérive vers l'autonomie étant donné qu'il est difficile pour une entité composée de plusieurs parties de se concerter et de contrôler de près un organisme qui est censé travailler pour lui — d'où la dérive vers l'autonomie — et en second lieu, il peut se produire un genre d'acharnement institutionnel accompagné d'un élargissement de son mandat.

La véritable question qui se cache derrière tout cela est celle-ci: qui gouverne? Dans le cas du gouvernement et du Cabinet, s'il doit sauter d'un scandale déjà fort ancien mais découvert de fraîche date seulement au scandale suivant, s'il a le sentiment de devoir répondre à toutes les accusations en s'activant dans le domaine de l'éthique, alors il y a quelque chose d'un peu bizarre qui se passe. Le gouvernement se trouve incapable d'attaquer le problème sous-jacent et de contrôler son propre agenda. Un conseiller en éthique au Sénat ou un commissaire à l'éthique à la Chambre des communes pourrait ainsi élargir son rôle dès lors qu'un autre intervenant exigerait un contrôle fin si tant est que l'intention, à l'origine, était de tenir la bride aux fonctionnaires.

Dans son témoignage, M. David Smith relève que les fonctionnaires du Parlement assument, dans le système parlementaire, un pouvoir qu'on était loin de s'imaginer, selon moi, au départ. Le professeur Smith a expliqué pourquoi il connaît bien la question des fonctionnaires du Parlement. Par contre, l'ex-sénateur John Stewart, qui est maintenant M. Stewart, dont l'opinion est beaucoup plus proche de la perception populaire, revient devant le Sénat et déclare que dans le cas du vérificateur général, le fait que celui-ci soit nommé par le gouvernement ne pose pas problème puisqu'il n'a qu'une seule tâche monolithique, vérifier les comptes de l'État et les résultats financiers du gouvernement et en faire rapport au Président de la Chambre des communes.

M. Stewart part du principe qu'une vérification concerne les questions d'argent. Le professeur est l'un des plus fins spécialistes de la procédure à la Chambre des communes du Canada et l'un des plus proches observateurs de cette institution que nous connaissions. J'admire beaucoup et j'utilise souvent son ouvrage publié dans les années 70. Or, ce qui lui a échappé et ce qui échappe aussi à un grand nombre de Canadiens, c'est que le Bureau du vérificateur général utilise environ 10 p. 100 de son budget pour quelque chose qui ressemble à un audit financier interne des ministères. Je parle seulement des ministères parce qu'il y a un budget distinct pour la vérification des comptes des sociétés d'État.

Il y a un peu plus d'une semaine, Mme Fraser qui est l'actuelle vérificatrice générale a prononcé une allocution à l'Atlantic Centre for Ethics and Public Affairs de l'Université St. Mary's. Elle a dit en substance que c'était par l'éthique et non pas des vérifications comptables qu'on pouvait juguler les écarts de conduite. Pour moi, cela constitue ce que nous avions coutume d'appeler «l'absence de liens». Il y a des abus de biens publics, mais nous ne remettons pas en question les méthodes financières d'enquête et l'utilisation des mécanismes de contrôle financier par les organismes financiers. Nous répondons plutôt en créant tout un nouveau régiment de fonctionnaires du Parlement et aussi quelque chose qui a encore plus de probité et qui est encore plus proche des deux Chambres. J'imagine qu'il s'agirait de fonctionnaires des deux Chambres, un peu comme le sont les présidents de celles-ci. Nous créerions, nous les sanctifierions même, des personnages pour enseigner et faire respecter l'éthique.

Où est le «lien»? Nous répondrions au cynisme des gens, pensons-nous, à l'endroit des abus de biens publics en créant des mécanismes de contrôle déontologique, au sein d'une assemblée qui n'a pas connu de scandale financier majeur depuis très longtemps. J'ai lu les précédents, mais je ne les ai pas tous compris. Cela ne semblait de toute façon pas terriblement sérieux.

Je recommanderais au Sénat d'adopter un modèle entièrement différent. Dans sa sagesse, le comité a voulu entendre à deux reprises, le 7 avril et le 9 juin 2003, des gens de la Chambre des lords. À la Chambre des lords, le contrôle de l'éthique semble produire de bons résultats, et il ne mobilise que le tiers du temps de travail d'un seul juriste. Ce système est basé sur la transparence et l'ouverture, vous savez comment cela se passe. Les membres de la Chambre divulguent spontanément leurs intérêts aux légistes de l'assemblée. L'assurance que celui-ci a que les membres ont fait leur devoir est ce qui cimente le fait que la transaction a eu lieu. Il existe un registre détaillé des intérêts des membres, ce registre est publié à différents endroits, il est notamment affiché sur l'Internet, et il est actualisé une fois par semaine, de façon générale, sans autre quantification.

Dans leurs discours, les membres prennent un raccourci pour signaler leurs intérêts. De cette façon fort simple, leur ouverture les prémunit contre les soupçons ainsi que contre toute tentative d'influence qui pourrait être le fait de leurs proches et de leurs êtres chers. C'est à cela que le professeur Saint-Martin faisait allusion en parlant d'auto- réglementation. C'est la méthode la moins lourde pour contrôler et policer la conduite d'environ 700 personnes.

Je sais que les lords ne sont pas rémunérés. Cela dit, ceux-ci ont dû faire un véritable acte de foi parce que si vous siégez à la Chambre des lords, vous n'êtes pas rémunérés, si par ailleurs vous ne touchez pas une très grosse pension parlementaire et si vous n'êtes pas financièrement à l'aise, vous exercez par exemple votre influence auprès des deux Chambres contre rémunération. Pour une raison ou une autre, le système fonctionne bien.

Mais je vais arrêter d'essayer de vous vendre l'idée que l'information est le seul moyen de favoriser l'éthique parce que j'ai une foi aveugle en la sagesse de ce corps législatif. Par contre, j'aimerais signaler quelques-uns des dangers que présente, selon moi, le projet de loi C-4.

Pour commencer, je pense que le Sénat a proposé d'actualiser les dispositions les plus abstruses de la Loi sur le Parlement du Canada et du Code criminel qui concernent les parlementaires, ou à tout le moins qu'il s'est rangé à l'avis du gouvernement à ce sujet. Ces dispositions seront intégrées à un code qui, comme il ne sera pas sanctionné dans une loi, ne sera pas justiciable. Par conséquent, ce code pourra être modifié à l'interne. Je dirais que cela est patent d'une institution qui n'a pas réfléchi à la perception que ce genre de changement pourrait susciter.

La plupart d'entre nous avons grandi en sachant que le fait d'essayer d'acheter un parlementaire est un acte criminel — c'est ce qu'on nous apprend au secondaire — et qu'il est interdit aux parlementaires et aux membres de leurs familles de profiter d'un marché public. Ce qui est moins facile à comprendre immédiatement, c'est que si vous commettez ce genre d'actes, ce sont certes des actes criminels, mais que ce n'est pas du fait qu'ils sont mentionnés dans la Loi sur le Parlement du Canada ou dans une partie distincte du Code criminel.

Ce qui m'inquiète donc, c'est que les gens puissent penser que le Sénat a tenté de se rendre la vie plus facile. Il y aura par conséquent pendant un fugitif instant une méprise totale à ce sujet. Et je sais que c'est précisément le contraire de ce que les constitutionnalistes ont dit au Sénat. Par contre, ce qui serait selon moi plus rassurant pour la population, ce serait qu'on modernise toutes ces vieilles lois dans toute la mesure du possible, et puis qu'ensuite on en ajoute la liste au code que vous jugerez peut-être bon d'élaborer et d'adopter.

Je pense que le Sénat prend un trop grand risque lorsqu'il essaie de répondre à ce que disait Mme la juge en chef Beverly McLachlin au sujet de l'ethos de la gouvernance en démocratie. Cela ne saurait être confié à un conseiller en éthique à mi-temps utilisant un code qui n'est pas justiciable; c'est tout simplement trop.

La population pourrait fort bien demander aux conseillers en éthique qui détiennent à titre parfaitement confidentiel toute l'information concernant les sénateurs: «Pourquoi devrions-nous vous croire?» À ce moment-là, on pourrait ouvrir ces dossiers dans l'urgence pour répondre à tel ou tel événement terrible qui, de toute façon, se produira si l'on en croit la loi des moyennes, et les médias constateront alors immédiatement ce qu'ils jugeront être une foule de conflits en instance depuis longtemps.

De la même façon, à mon avis, les témoignages du 10 mars 2004 sont en adéquation peu appétissante avec le secret qui nimbe les relations entre le conseiller en éthique et les sénateurs.

Je ne sais pas si vous y avez déjà réfléchi, mais qu'est-ce qui pourrait prémunir les sénateurs contre la connaissance intime qu'aura ce fonctionnaire de leurs intérêts et de leurs activités? J'ignore si je suis le seul à regarder les feuilletons policiers à la télévision.

J'aimerais qu'on accorde davantage d'attention aux mécanismes de transparence idéaux qu'on trouve dans certaines agences et autres organes publics. J'ai récemment conduit quelques recherches sur les mécanismes de gouvernance des agences et entreprises publiques. Je pense que les deux qui s'auto-réglementent le mieux sont les deux grandes institutions britanniques de financement, avec leurs codes de pratique respectifs. Je songe ici à l'Economic and Social Research Council et au Biotechnology and Biological Sciences Research Council. Ces deux organismes rendent publiques des choses comme les registres de présence, les registres de congés avec les motifs, la présence en comité et ainsi de suite. Toutes ces choses sont publiées régulièrement et sont dès lors du domaine public.

La dernière question que je vous poserais est celle-ci: dans une démocratie, les organismes qui constituent ces mécanismes représentatifs devraient-ils être privés de la liberté de se faire valoir eux-mêmes auprès de la population? Je sais que c'est une phraséologie complexe, mais je ne saurais faire mieux, du moins ici et maintenant. En termes plus simples, pourquoi ne pouvez-vous parler et agir en votre nom propre? Pourquoi vos propres résultats ne sauraient-ils être votre caution? Pourquoi ne pouvez-vous pas montrer vous-mêmes ce que nous voyons de vous?

Dans ce contexte, je me pose la question suivante: pourquoi le Sénat ou l'autre endroit comme vous l'appelez, confierait-il l'examen des questions éthiques à un fonctionnaire?

Feiner, pas celui qui est l'auteur de la pièce de théâtre Beggar on Horseback, mais son frère, a dit il y a longtemps que par définition, les démocraties ne sont pas gouvernées par des fonctionnaires. Je suis personnellement d'avis que nous devons faire de notre mieux pour éviter de se retrouver dans des situations comme celle dans laquelle vous vous retrouvez maintenant. La divulgation et la transparence sont les meilleures façons de se sortir de cette situation.

Le sénateur Andreychuk: Monsieur Greene, j'ai compris le point que vous avez fait valoir et j'en prends bonne note.

Madame Sutherland, vous avez abordé des questions qui vont au-delà de la portée du projet de loi. Je vous en remercie. Vous nous avez ainsi permis de replacer les choses dans leur contexte. Vous nous avez rappelé ce qu'a dit la juge en chef au sujet de l'importance des valeurs démocratiques. J'ai l'impression que ce que vous nous dites est ceci: «Si nous constituons vraiment une démocratie, le dialogue au sujet de notre comportement, de nos normes et de notre rendement devrait s'engager avec les citoyens». La difficulté, c'est que les sénateurs ne sont pas élus. Voilà un obstacle.

Pour parler sans détour, vous nous dites que nous demandons au public d'acheter chat en poche en leur demandant d'accepter tout simplement le projet de loi C-4 sous prétexte qu'il réglera tous les problèmes d'éthique. D'après vous, nous devrions plutôt nous préoccuper de la perception publique ou de la réalité qui existe pas seulement au Canada, mais dans tous les pays du monde. Le monde entier cherche maintenant à établir des normes en matière d'honnêteté et d'intégrité et à faire en sorte que les intérêts des citoyens priment sur les intérêts personnels. Ce ne devrait pas être mes intérêts ou les nôtres collectivement qui priment sur ceux des citoyens.

Vous ai-je bien compris? N'êtes-vous pas d'avis que le projet de loi C-4 n'est pas une panacée et qu'il serait possible de prendre de meilleures mesures pour régler le problème de l'éthique? Vous nous avez d'ailleurs donné de nombreuses suggestions à cet égard.

Mme Sutherland: Vous m'avez comprise aussi bien que je me comprends moi-même. J'ai rédigé mon exposé cette nuit à 2 heures du matin et je l'ai détruit en vingt minutes pendant que M. Saint-Martin parlait. Je crois effectivement que le Sénat doit se caractériser à partir de ses propres actes et comportements. Le fait que les sénateurs ne soient pas élus n'est pas vraiment selon moi un obstacle qui empêcherait le Sénat de bien montrer qu'il se préoccupe de la qualité des lois et des normes de conduite proposées par le Parlement. Le peuple choisit évidemment ses représentants par scrutin, mais cela n'empêche cependant pas un organisme comme le vôtre de jouer un rôle utile.

D'après ce que j'ai pu constater et d'après les courriels que je reçois, le public est préoccupé par les cas de malversation financière. Les gens ne font pas un lien entre cela et l'éthique. Tout ce qui ne va pas est maintenant considéré comme une question d'éthique.

Je me rappelle de mon témoignage en 1995. Je crois que c'était soit le sénateur Stratton, soit le sénateur Joyal qui m'a reproché de confondre deux notions, l'éthique et la probité. J'ai pris bonne note de cette observation, mais je dirais qu'à compter de 1995, il n'a plus été possible de faire cette distinction puisque ces notions sont maintenant considérées comme ne faisant qu'une. Essayer de rassurer le public qui s'inquiète de la perte de contrôle sur les finances et de la malhonnêteté de certains fonctionnaires ou membres du gouvernement en lui présentant un projet de loi sur l'éthique m'indique qu'on comprend mal où se situe le problème. Le dialogue voulu ne s'est pas établi avec le public pour qui ces deux notions ne font qu'une.

Le sénateur Fraser: J'aurais une observation à faire au sujet de l'exposé de Mme Sutherland et j'aimerais ensuite poser une question à M. Greene.

Permettez-moi d'abord de vous dire, madame Sutherland, que je crois que tous les sénateurs partagent vos préoccupations. Le comité et le Sénat lui-même se sont en particulier efforcés de veiller à ce que les vendettas que vous craignez ne soient pas possibles.

Le projet de loi propose la nomination d'une personne qui a) ne ferait que ce que nous lui demanderions de faire et b) fournirait des conseils, mais ne prendrait pas de décisions — puisque ces décisions appartiendraient à l'organe sénatorial voulu. Les débats animés qui ont eu lieu pendant la majeure partie de l'année sur ce projet de loi ne portaient pas sur ces principes, mais sur le fait que, tout en ayant un système qui fonctionne assurément sans pour autant compromettre l'intégrité du Sénat, nous devons aussi savoir que le public ne sera peut-être pas rassuré si nous établissons un système sur lequel nous exerçons une maîtrise complète. Si les sénateurs sont en mesure de décider qui portera un jugement sur leur comportement — en choisissant ces personnes, en leur disant ce qu'elles doivent faire et en les payant —, ils seront perçus comme cherchant à protéger leurs propres intérêts.

Comme le sénateur Austin l'a fait remarquer, un système de veto mutuel pourrait constituer un bon équilibre. Le gouvernement ne pourrait pas imposer au Sénat un conseiller en éthique que celui-ci ne veut pas, mais il pourrait imposer son veto si le Sénat choisissait un candidat qui ne conviendrait pas pour ce poste ou qui serait à la solde du Sénat.

Cela m'amène à la question que je veux poser à M. Green. Vous avez dit, monsieur, avoir étudié des sondages d'opinion publique et que vous êtes politicologue. Pourriez-vous nous dire ce que les gens pensent en bien et en mal du Sénat? Je ne vous demande pas de dire si les gens ont raison ou tort de penser comme ils pensent, mais simplement de nous transmettre leur opinion. Que pense la population de nous?

M. Greene: En un mot, les sondages que j'ai vus montrent que la plupart des Canadiens considèrent que le Sénat n'est pas très important, qu'il constitue un gaspillage de fonds publics et — d'après le grand titre du National Post ce matin — un grand nombre de personnes du Canada central pensaient que le Sénat devrait être aboli.

Dans l'Ouest canadien, d'où je suis originaire, des gens ont bon espoir que le Sénat peut devenir une entité pertinente.

Voilà donc ce qui en est pour l'opinion publique. Je pense personnellement que le Sénat fait beaucoup de travail utile. J'ai trouvé très instructifs bon nombre de rapports sénatoriaux que j'ai lus. Je crois que le Sénat pourrait jouer un rôle encore plus utile dans l'avenir.

Pour ce qui est de l'opinion publique, tant Mme Sutherland que M. Saint-Martin ont dit qu'il n'existait pas de preuve empirique montrant que le système de commissaire à l'éthique dans les provinces ait donné de bons résultats, mais ce n'est pas vrai. J'ai mené une étude en 1991 pour le compte de la Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis. J'ai compté tous les scandales liés à l'éthique qui ont eu lieu au cours des années 80 et jusqu'en 1991. L'apogée pour ce qui est des scandales liés à l'éthique mettant en cause surtout des ministres a eu lieu lors de l'affaire Sinclair Stevens, mais il y a eu aussi des scandales en Ontario, en Colombie-Britannique et dans d'autres parties du pays. Un professeur de sociologie de l'Université de Lethbridge a alors évalué le niveau de cynisme du public, et la confiance de la population dans les élus était à son plus bas pendant cette période en raison de tous ces scandales.

Lorsque des commissaires à l'éthique ont été nommés en Ontario et en Colombie-Britannique, le nombre de scandales a chuté parce que les commissaires ont bien avisé les élus sur ce que constituait un conflit d'intérêts. Les textes de loi étaient clairs et les élus savaient alors comment éviter ces conflits. Le nombre de scandales a chuté et la confiance du public dans les élus a augmenté. Si j'ai bonne mémoire, vers le milieu des années 90, la confiance du public était deux fois plus élevée qu'elle ne l'était à la fin des années 80. Je ne peux pas prouver qu'il y ait un lien entre ces deux choses, mais je soupçonne que c'est le cas.

Le sénateur Fraser: Pour revenir à ce que pense la population des sénateurs, pense-t-elle que nous sommes honnêtes et que nous sommes des modèles d'intégrité ou pense-t-elle plutôt que nous sommes des politiciens corrompus? Qu'en est-il?

M. Greene: Très honnêtement, il s'agit de questions auxquelles les Canadiens ne réfléchissent tout simplement pas. En sciences politiques, il existe une théorie que nous appelons le flux des communications en deux temps. Qui sont les leaders d'opinion et qui sont les suiveurs?

Chaque matin, je lis au moins deux journaux et j'essaye de découper tous les articles qui se rapportent à des questions d'éthique politique. Je pense que les leaders d'opinion, du moins ceux du Globe and Mail, du National Post et du Toronto Star, pensent que les règles régissant les conflits d'intérêts sont encore plus nécessaires pour le Sénat que pour la Chambre des communes. Cette opinion semble faire l'objet d'un consensus.

Les chroniqueurs de ces quotidiens lisent les études qui portent sur ce sujet. Le professeur Colin Campbell est l'auteur d'un livre fameux sur le Sénat canadien. Il occupe maintenant une chaire de recherche du Canada à l'Université de la Colombie-Britannique. Avant cela, il était professeur d'élite à l'Université Georgetown, et avant cela encore, il enseignait à l'Université York. Il a expliqué que, selon lui, un certain nombre de sénateurs se trouvaient en situation de conflit d'intérêts, mais qu'il n'existait aucune règle en la matière. Je crois que de nombreux leaders d'opinion sont d'avis que ces règles sont nécessaires au Sénat et que le Sénat sera plus crédible et plus efficace lorsque ces règles existeront.

Le sénateur Bryden: Que pense Mme Sutherland de cette réponse et de ce qu'ont dit les sénateurs?

Mme Sutherland: Je crois que ce que les sénateurs ont fait remarquer est juste. Compte tenu du contexte en 2004, vous essayez de trouver une façon de concilier divers types de besoins. J'ai simplement suggéré l'adoption d'un autre modèle bien que je sois consciente que ma suggestion vient un peu tard. Certaines choses pourraient cependant se produire. La Chambre pourrait cesser ses travaux et ce projet de loi ne serait pas adopté. Cette question est à l'ordre du jour depuis 1997. Tout porte à croire que vous aurez une autre occasion de réfléchir aux notions de transparence et de divulgation ou à la possibilité de créer un poste de registraire qui serait occupé par une personne ayant une formation juridique et dont le rôle serait de conseiller le comité. Ce registraire n'aurait pas un bureau au sein du Sénat.

Je ne crois pas que l'existence de règles prévienne quoi que ce soit. Voici ce que nous pouvons dire au sujet du fonctionnement des règles. Les gens étudient d'abord très soigneusement les règles et cherchent des façons de les contourner. C'est le comportement qu'adoptent les personnes qui cherchent des échappatoires. Les règles peuvent aussi donner aux gens un sentiment de sécurité trompeur. C'est un élément de groupe. À mon sens, le modèle axé sur la transparence est plus individualisé et il permet à chacun de parler pour soi en gestes et en actes.

Pour ce qui est des sondages d'opinion, l'une des deux cordes à mon arc — et je n'en ai que deux — sont les méthodes de recherche. Je n'ai pas grande confiance dans les méthodes sur lesquelles reposent les sondages. Les questions peuvent être formulées de différentes façons. On sonde habituellement le public après un important événement. Les gens ont alors des opinions très fermes et ils les expriment, ce qui suscite une réaction excessive chez certains.

Les sondages mènent le monde, je le sais bien. Il serait peut-être bon d'effectuer vos propres recherches. Je crois que les gens se font une opinion plus juste des personnes et des entités publiques quand ils apprennent à les connaître. Les gens n'aiment pas un appareil étatique tentaculaire, mais ils aiment les programmes dont ils font eux-mêmes usage. Les Canadiens aiment le système de santé. Ce n'est pas par hasard. C'est parce que tout le monde est malade à un moment donné au cours de sa vie ou connaît quelqu'un qui lui est cher qui est malade. Plus une personne connaît intimement un système, plus elle en a une opinion juste. Pourquoi devrait-on se servir des sondages comme des épouvantails? Je suis consciente du fait qu'on pourrait penser que j'exagère l'incidence de la création de ce haut fonctionnaire du Parlement. Ce poste peut devenir un poste autonome. Nous érigeons cependant aussi les sondages d'opinion en épouvantail.

La présidente: Je commençais à penser que nous avions mal choisi les témoins qui comparaissaient ensemble.

Le sénateur Austin: Nos témoins ont des points de vue complètement opposés. La divergence des avis qui nous sont donnés est fascinante et cela nous permet de faire des comparaisons. Le point de départ de nos deux témoins est de toute évidence très différent.

Le sénateur Sutherland a parlé de «réaction excessive». Nous avons déjà constaté des réactions excessives de ce genre. Au XIXe siècle, dans l'affaire Russell c. La Reine, les tribunaux ont jugé que l'alcoolisme était une question liée à la paix, à l'ordre et au bon gouvernement. La pratique a par la suite démontré le contraire. Il s'agissait peut-être d'une réaction excessive des tribunaux en réponse à l'opinion publique.

Il est question ici, sénateur Sutherland, de mesures qui ont été prises sur une longue période. Pouvez-vous dire qu'il s'agit d'une réaction excessive des milieux politiques canadiens? L'assemblée législative de la Colombie-Britannique a nommé un commissaire aux conflits d'intérêts; l'assemblée législative de l'Alberta a nommé un commissaire à l'éthique; l'assemblée législative de l'Ontario a nommé un commissaire à l'intégrité; il existe un commissaire aux conflits d'intérêts au Nouveau-Brunswick; l'Île-du-Prince-Édouard a nommé un commissaire aux conflits d'intérêts; Terre- Neuve s'est donnée un commissaire aux intérêts des députés; les Territoires du Nord-Ouest ont un commissaire aux conflits d'intérêts; et le Nunavut a un commissaire à l'intégrité. En Saskatchewan et au Yukon, il y a aussi des commissaires à l'éthique. Dans ces deux derniers cas, les commissaires ne sont pas nommés par le gouvernement, mais directement par l'assemblée législative. Voilà donc ce qui en est pour les 13 organes politiques.

Au Parlement fédéral, le premier ministre a nommé un conseiller à l'éthique qui est chargé de conseiller les ministres.

La question est de savoir si tous ces organes politiques ont réagi de façon excessive aux demandes du public en vue du relèvement et de l'objectivation des normes de probité. Nous pourrions nous inspirer du système américain qui prévoit une divulgation totale mais qui n'interdit rien à qui que ce soit; ou nous pourrions conserver l'ancien système, comme vous le recommandez, et faire de l'intégrité une question de responsabilité personnelle. Vous recommandez de considérer les gens innocents jusqu'à preuve du contraire.

Je pense plutôt que le train est déjà parti. Il s'agit peut-être d'une réaction excessive, mais c'est en réponse à la demande du public que le Parlement est saisi du projet de loi C-4. Nous saurons plus tard s'il s'agit d'une réaction excessive ou de la réaction qui s'imposait. Je suppose qu'on peut dire que cela reste à voir.

Je voulais vous poser une question précise. Vous avez dit que vous ne pensiez pas que ce projet de loi reflète une bonne politique publique, mais j'aimerais savoir si vous pensez que les deux Chambres du Parlement devraient se donner un code de conduite ou si vous pensez que le système d'honneur suffit? Pourriez-vous nous le préciser?

Mme Sutherland: Certainement. Je regrette de vous dire que j'ai tout intérêt à ce que vous ayez raison à partir de maintenant parce que vous m'avez donné deux fois le titre de sénateur.

Le sénateur Austin: Je suis de très bonne humeur aujourd'hui.

Mme Sutherland: Tout ce que j'ai à dire, c'est ceci: «Je vous remercie et j'accepte cet honneur».

Le sénateur Austin: Je regrette cependant de dire que cela n'a pas de réelle valeur législative.

Mme Sutherland: Je sais qu'il ne faut pas s'en prendre au sénateur Austin.

Je préconise le système britannique qui ne repose pas seulement sur la responsabilité personnelle. Dans le système britannique, les élus doivent divulguer tous les renseignements possibles, y compris leurs liens d'amitié qui, d'après l'un de vos témoins, sont plus importants que les liens familiaux.

J'ai examiné le registre des intérêts de la Chambre des lords et j'ai constaté que c'était vrai. Tous les intérêts y sont énumérés. J'ai même vu les intérêts de lord Black de Cross Harbour. La liste qui doit être mise à jour chaque semaine date de quelques jours. Elle est aussi longue qu'elle ne l'a jamais été dans son cas. Peut-être qu'il n'est pas allé à la Chambre des lords dernièrement.

Il reste que cette forme de transparence et le passage à des méthodes modernes de communication, comme un site Web, peuvent avoir le même effet que la formule du conseiller en éthique.

Je suis d'accord pour dire que le monde politique canadien est très préoccupé. À mon avis, c'est de probité qu'il se préoccupe, et l'éthique est devenue un mot très général qui ne signifie pas grand-chose; je préférerais que l'on travaille spécifiquement sur la probité avec beaucoup plus d'énergie, et que l'on traite d'éthique par la transparence et la publicité. Je peux vous signaler que le président du comité de la Chambre des lords qui a instauré le registre des intérêts des lords a dit que dès que ce registre a été affiché sur Internet, les gens s'en sont complètement désintéressés et l'ont oublié. Ce site n'a rien de palpitant et n'est pas consulté très souvent.

Le sénateur voudrait également savoir, dans le cas où votre comité adopterait un code de conduite dans le cadre du règlement, si vous devriez opter pour le système britannique ou pour celui qu'on vous a soumis pour approbation. Je crois qu'il faudrait adopter un code de conduite dans le cadre du règlement, et il me semble avoir vu plusieurs témoignages demandant que ce code ne soit pas soumis au contrôle des tribunaux, qui n'auraient pas à en vérifier le contenu. C'est pour cela que j'ai proposé que les dispositions les plus rigoureuses traitant des sénateurs demeurent dans la Loi sur le Parlement et dans le Code criminel.

Le sénateur Austin: Merci, madame Sutherland. Excusez-moi de vous avoir rétrogradée ou promue. Je ne suis pas certain.

Monsieur Greene, j'ai pris connaissance de votre témoignage devant le comité des communes et le sénateur Fraser vous a demandé si le régime législatif dont nous sommes saisis est susceptible de renforcer la confiance des Canadiens. Vous avez dit ici comme devant le comité des communes que la confiance des Canadiens s'en trouverait améliorée.

Pourquoi pensez-vous que ce soit le cas en ce qui concerne ces travaux d'analyse, pensez-vous que ce sera vraisemblablement le cas ici, et pourquoi?

M. Greene: En prenant de l'âge, j'ai remarqué que je changeais parfois d'avis sur certains sujets. À la fin des années 80, je partageais l'essentiel des préoccupations que Mme Sutherland a si bien exposées aujourd'hui quant au nouveau système mis en vigueur en Ontario. Je pensais que des choses très graves allaient se passer, que le système ne fonctionnerait pas et qu'il ne ferait qu'accentuer le cynisme des citoyens. Or, j'avais tort.

Le système ontarien a bien fonctionné tout d'abord parce que le premier commissaire permanent à l'éthique, Greg Evans, était extrêmement talentueux. L'assemblée législative et le gouvernement ont fait un bon choix. Deuxièmement, il a tenu à expliquer les règles à chaque député. Nous sommes presque tous convaincus de respecter l'éthique et de ne pas avoir besoin d'explications sur les règles, mais parfois, nous les comprenons différemment, et il est donc utile que quelqu'un comme Greg Evans ou Ted Hughes les explique concrètement, de façon intelligible. Ainsi, les députés ne font plus le même genre d'erreurs. Ils comprennent les règles. Voilà deux des principales raisons pour lesquelles le système fonctionne si bien.

Évidemment, Greg Evans n'a pas voulu d'un énorme service bureaucratique. Il était fier de son budget modeste. Voilà encore un élément à prendre en compte lors du choix du candidat au poste de conseiller en éthique pour le Sénat.

Le sénateur Carstairs: Mme Sutherland a fait, me semble-t-il, une distinction qui m'a paru intéressante entre les malversations financières et la pratique de l'éthique. Les deux éléments me semblent indiscutablement liés. Certains font des erreurs assimilables à des malversations financières parce qu'ils ne suivent pas les règles appropriées de pratique éthique. J'aimerais savoir ce que M. Greene en pense.

M. Greene: Eh bien, c'est certainement lié. À l'origine, les règles sur les conflits d'intérêts ne tenaient compte que des gains financiers personnels des titulaires de charges publiques et l'utilisation d'une charge publique à des fins de gains personnels, ce qui va manifestement à l'encontre des règles d'éthique. Avec le temps, je pense qu'on a élargi les règles. Nous voulons que les législateurs soient le mieux placés possible pour faire leur travail de législateurs, veiller à ce qu'ils ne remplissent pas leurs fonctions dans un but de gain personnel ni ne concèdent des faveurs à leurs amis et à leurs associés, qu'ils fassent de leur mieux pour servir l'intérêt public. C'est pourquoi il existe ces règles. Elles dépassent largement les simples questions financières, qui sont certainement des questions d'éthique; elles vont au-delà de cela et au-delà des conflits d'intérêts.

Le sénateur Carstairs: Madame Sutherland, la plupart des sénateurs doivent composer avec le fait qu'on a largement interprété la Loi sur le Parlement du Canada. Dans de nombreux cas, des sénateurs ont été informés qu'ils ne peuvent pas accepter des postes de professeurs parce que le gouvernement du Canada, au moyen de subventions, finance indirectement les universités et qu'ils ne peuvent pas non plus siéger au conseil d'administration de sociétés de bienfaisance parce qu'ils pourraient indirectement toucher des fonds du gouvernement. Pour ma part, j'étais la présidente de la Prairie Action Foundation, qui recueille des fonds en vue de la recherche sur la violence familiale, et si des chercheurs devaient recevoir un financement, cela m'aurait mise dans une situation de conflit d'intérêts en vertu de la Loi sur le Parlement du Canada. Le dilemme tenait au fait que ce n'était pas l'endroit idéal pour traiter de certaines de ces questions.

Cela dit, je crois qu'il doit y avoir des règles. Les sénateurs, quand ils sont nommés au Sénat, doivent disposer de directives et de règles afin de savoir ce qui constitue un conflit d'intérêts et dans quelles circonstances il peut y avoir conflit d'intérêts. Par exemple, une personne travaillant pour une compagnie est assujettie à certaines règles concernant la divulgation de ses éléments d'actifs et a un certain délai pour se départir d'actions. J'imaginerais bien le même genre de dispositions dans un code d'éthique. Une fois qu'on a un code d'éthique, il faut en assurer l'application.

Le comité a examiné le code de la Chambre des lords, soit dit en passant. J'ai examiné les mêmes divulgations qu'a examinées le comité et j'ai découvert qu'un bon nombre de lords n'avaient divulgué que très peu de ce qu'ils possédaient. J'ai l'impression que le régime de confiance ne suffit plus aux yeux du public. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

Mme Sutherland: Sénateur Carstairs, vous êtes sans doute mieux informée que moi sur l'exactitude du registre ou sur le montant des éléments divulgués dans le registre. J'aime bien le principe parce qu'il indique la bonne direction à suivre, qu'il permet essentiellement que le public en sache davantage sur eux. De cette façon, c'est un peu plus moderne. Les gens n'ont pas tous le même degré d'objectivité ni de certitude dans leur jugement. Ils divulguent cependant leur appartenance comme membre à des groupes, leur fonction de direction, la propriété d'actions, et cetera. Les sénateurs devraient en prendre note. Je ne suis ni offusquée ni atterrée par cela.

Par conséquent, je dirais que vos observations constituent une perspective intéressante et sont éclairantes. Je reconnais avec vous que la Loi sur le Parlement du Canada est tout à fait vétuste. Je dirais que dans la mesure où le public ou des commentateurs dans les journaux peuvent avoir l'impression que la sévérité des punitions ou la solidité des mesures de protection visant les titulaires de charges publiques sont atténuées, ils en prendront ombrage. M. Greene a établi une distinction entre les meneurs d'opinion et les autres. Les meneurs d'opinion sont les rédacteurs, les chroniqueurs des journaux et ceux qui montent la garde à la télévision. Ce ne sont plus ceux qui écrivent des livres.

Le sénateur Carstairs: C'est une chose que de parler des meneurs d'opinion. Je ne pense pas que beaucoup de Canadiens passent tellement de temps chaque jour à s'interroger sur leurs sénateurs. C'est une chose acquise. Cependant, je trouve important que les meneurs d'opinion écrivent sur ce que nous faisons. S'ils ne le font pas, je dirais que nous n'avons alors aucune légitimité. Je mets en question notre légitimité et le fait que nous ne soyons pas élus. Cela dit, quelle légitimité avons-nous si personne ne parle de nous, n'écrit à notre sujet ou ne discute de ce que nous faisons?

Mme Sutherland: Vous voulez que cela vous aide dans vos enquêtes et pour le Comité des finances publiques, pas pour connaître le dossier d'assiduité de quelqu'un il y a de nombreuses années. À mon sens, il faut se présenter sous son meilleur jour.

M. Greene: Ce qui me préoccupe, c'est que pour l'instant, je ne pense pas que le Sénat ait une grande légitimité. Si l'on ne mettait pas sous peu en place une mesure législative sur les règles d'éthique concernant le Sénat, alors le Sénat aurait encore moins de légitimité qu'il n'en a maintenant. Ce ne serait pas bon pour le Canada.

Vous avez tout à fait raison, je pense que le régime de confiance fonctionne dans bien des cas. Cependant, dans le passé, le problème qu'a posé le régime de confiance, c'était que les gens en interprétaient différemment les règles, ce qui entraînait bien sûr des problèmes, et c'est pourquoi toutes les assemblées législatives canadiennes ont désigné une personne indépendante pour les conseiller sur la signification des règles et pour juger si on les avait enfreintes.

Le sénateur Joyal: J'aimerais dire à M. Greene que j'espère que le dernier ouvrage qu'il a lu au sujet du Sénat n'était pas celui de Colin Campbell, plus précisément, sa thèse à la Duke University. De nombreux ouvrages ont été écrits sur le Sénat, et je vous recommanderais l'ouvrage que David Smith a publié l'an dernier. Il a procédé à un examen complet du travail de M. Campbell et il l'a fait dans une perspective canadienne.

Cela dit, nous essayons peut-être de donner l'impression que nous voulons légiférer en matière de moralité. Pour bien des gens, la question de l'éthique touche un vaste ensemble de valeurs, la transparence, la probité, le dévouement et la capacité professionnelle au service de la communauté, surtout quand on a affaire à la classe politique.

Comme l'ont dit M. Greene et le sénateur Carstairs, les gens ne font pas de différence entre les conseillers municipaux, les députés provinciaux, les sénateurs et les députés fédéraux. Le public dans son ensemble a une perception qui est le résultat de bien des circonstances et de bien des comptes rendus des médias.

Nous nous sommes concentrés sur la question des conflits d'intérêts d'ordre financier. Un sénateur qui détient un intérêt financier devrait placer l'intérêt public au-dessus de ses intérêts financiers personnels. Nous le comprenons tous et c'est bien simple.

Dans leur vie de tous les jours, ce n'est pas un grand enjeu pour les sénateurs. La preuve en est qu'il y a peu de cas où ce que l'on reproche aux sénateurs a trait à un conflit d'intérêts. C'est plus fréquent dans le cas de ministres parce qu'ils ont un pouvoir de décision en matière de finances et, bien sûr, concernant leurs amis. Nous le savons tous. Je ne pense pas que nous ayons à citer ici des exemples précis.

À mes yeux, les aspects les plus importants de l'éthique ont trait à ce qui est juste et à ce qui ne l'est pas. C'est la définition de l'éthique. C'est presque instinctif. On sait ce qui est bien et ce qui est mal. Le grand reproche que nous pouvons faire au Sénat, de façon générale, a trait à l'assiduité et à l'indépendance.

Mme Sutherland a parlé de la question de l'assiduité. La grosse affaire qui a nui au Sénat avait trait à l'assiduité.

L'ébauche de code que nous avons maintenant porte essentiellement sur les conflits d'intérêts d'ordre financier mais ne traite pas de la règle sur l'assiduité. Elle ne modifie pas le système ni n'améliore le registre des présences des sénateurs. C'est une catastrophe qui nuirait grandement à la légitimité de cette entité tant qu'elle sera reconnue par la Constitution du Canada.

L'autre question est celle de l'indépendance. La raison d'être de cette entité est d'exercer son indépendance dans l'examen des mesures législatives et des décisions du gouvernement.

Qu'est-ce qui peut nuire à l'indépendance? Vous avez dit que les conflits d'intérêts de nature financière pouvaient nuire à l'indépendance. En fait, les plus récents sondages montrent qu'en ce qui concerne les députés, c'est surtout la discipline de parti et l'imposition de directives par les whips qui semblent retenir davantage l'attention des Canadiens. Dans cet exercice que nous entreprenons, je me demande si en fait nous ne détournons pas l'attention sur quelqu'un qui deviendra le prétendu ange gardien de l'éthique. Nous essayons de mettre en place quelqu'un qui n'aura pas le mandat de fournir aux Canadiens ce qu'ils attendent de l'ensemble des politiciens, qu'ils soient élus ou non. Cela dit, la plupart des scandales qui ont éclaté au cours de la dernière année mettaient davantage en cause des élus que des non élus.

Cet aspect de nos discussions et de notre travail est tout à fait essentiel au système que nous sommes en train de mettre en place parce qu'il sera encore dépourvu de ce que nous visons, soit de faire en sorte que le processus demeure sain, crédible et, surtout, légitime. C'est-à-dire que les décisions venant d'ici soient acceptées. Cela, pour moi, c'est la plus importante mesure de légitimité. Quand nous prenons une décision dans cette Chambre, que nous publions une étude, examinons une question et amendons ou adoptons une mesure législative, cette décision est-elle perçue comme légitime? Quel processus avons-nous suivi pour prendre cette décision? Pour moi, c'est le plus important critère de légitimité.

Pourriez-vous me dire ce que vous en pensez?

M. Greene: Le projet de loi C-4 n'est pas une solution magique. Il ne résoudra pas tous les problèmes. C'est une chose qu'il faut faire pour résoudre diverses questions d'éthique. L'éthique n'est rien d'autre que des normes prescrivant les comportements appropriés, comme vous l'avez dit.

La question de l'assiduité doit être réglée. La question du comportement à adopter à de nombreux égards doit être examinée.

Si le projet de loi C-4 est adopté, j'espère que le Sénat sera perçu comme imposant des normes d'éthique supérieures et que davantage de gens bien accepteront une nomination au Sénat. Pour être indépendant, le Sénat a besoin de nominations de gens très qualifiés.

Mme Sutherland: Je crois m'acharner inutilement. Si j'ai une dernière chose à dire, je dirais que si vous vous apprêtez à adopter le projet de loi C-4, réfléchissez à ce qu'il y a dans le code d'éthique, réfléchissez à la lourdeur de ce que sera cette fonction. Pensez aux genres de choses qu'a faites la Chambre des lords pour assurer la transparence, notamment la transparence concernant l'assiduité et l'examen de possibles conflits d'intérêts ou la publicité à laquelle ils pourraient donner lieu.

Vos comités produisent d'importants rapports qui sont largement lus. Certains d'entre eux viennent enrichir les centres de documentation des universités et y restent aussi longtemps que vos propres ouvrages probablement plus éphémères.

Comme nous avons brièvement parlé de livres, il y a un livre qui date du milieu des années 80 et qui a été rédigé par Bernard Manin, et qui s'intitule The Principles of Representative Government. Il y établit clairement que nous sommes entrés dans un nouvel âge. Il fait l'apologie des sondages. Il dit dans son ouvrage que nous en sommes à une troisième étape du gouvernement représentatif, où l'image des politiciens, en l'occurrence des politiciens élus, se négocie avec le public. Je trouve que c'est une image très désolante pour ce qui est de la Chambre des communes.

Je me suis cependant dit que, peut-être, ce pourrait être une stratégie positive en ce qui concerne le Sénat. Vous avez la possibilité de négocier une image auprès du public. Je pense qu'une partie importante de cela peut être obtenu en s'inspirant de la divulgation dans le sens de publicité et de la transparence dont fait preuve la Chambre des lords britanniques.

La présidente: Je remercie les témoins d'être venus et d'être restés pendant toute cette très longue séance.

La séance est levée.


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