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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 1 - Témoignages du 18 février 2004


OTTAWA, le mercredi 18 février 2004

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi C-6, Loi concernant la procréation assistée et la recherche connexe, se réunit aujourd'hui à 15 h 33 pour en faire l'examen.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui pour entamer notre première séance de travail consacrée à ce projet de loi que nous connaissons tous sous le numéro C-13 mais qui est devenu le C-6, Loi concernant la procréation assistée et la recherche connexe.

Comme vous le savez pour avoir lu votre ordre du jour, nous aurons trois séances aujourd'hui. S'il y a des écrans derrière vous, c'est que certains des témoins du deuxième groupe vont témoigner par vidéo conférence et ils voulaient pouvoir au préalable écouter le ministre et ses fonctionnaires. Ils sont donc branchés et ils peuvent nous entendre. Lorsque nous passerons au deuxième groupe de témoins, nous pourrons également entendre leurs interventions.

Nous commencerons aujourd'hui par entendre le nouveau ministre de la Santé et les fonctionnaires du ministère.

Pour commencer, monsieur le ministre, permettez-moi de vous féliciter. En fait, ceux d'entre nous qui avons passé des mois, voire des années, à étudier le dossier de la santé devrions plutôt vous offrir nos condoléances. Mais en tout état de cause, nous vous félicitons de votre nomination.

Le ministre Pettigrew est accompagné aujourd'hui par Ian Shugart, le sous-ministre adjoint responsable de la Direction générale de la politique de la santé et des communications, et que le comité connaît d'ailleurs fort bien, et par Glenn Rivard, l'avocat général des services juridiques du ministère, qui va devoir prendre son mal en patience et souffrir encore une fois des blagues avocassières que je ne manque jamais de raconter lorsque nous avons un avocat parmi nous.

Nous sommes ravis que vous soyez ici.

Sénateurs, le ministre va commencer par nous livrer son exposé, après quoi nous pourrons lui poser des questions. Cela fait, il devra nous quitter, mais M. Shugart et M. Rivard continueront à répondre à nos questions. Ces deux messieurs seront des nôtres aussi longtemps qu'il le faudra pour arriver à comprendre le projet de loi. M. Shugart aura recours à des diapositives qui sont reproduites dans le cahier que vous avez tous reçu.

Monsieur le ministre, commencez je vous prie.

L'hon. Pierre Pettigrew, ministre de la Santé, ministre des Affaires intergouvernementales et ministre responsable des langues officielles: Je suis très heureux d'être ici aujourd'hui et pour vous prouver l'importance que j'accorde à cette comparution devant vous, j'ai fait retarder d'une heure une réunion du comité du cabinet sur les affaires intérieures qui se réunit normalement à 15 h 30. C'est un comité fort important que je préside, mais j'ai retardé la séance d'aujourd'hui pour pouvoir passer un peu de temps en votre compagnie pour vous entretenir de ce projet de loi extrêmement important dont vous êtes actuellement saisis au Sénat.

[Français]

J'avais l'intention de parler du projet de loi C-6, concernant la procréation assistée et la recherche connexe, mieux connu sous le nom de la Loi sur la procréation assistée. Ce projet de loi est l'aboutissement d'une démarche à la fois importante et urgente. Elle est importante par ce qui est en jeu, c'est-à-dire la santé, la sécurité des femmes et des enfants ainsi que le bien-être de tous les Canadiens et Canadiennes. Elle est urgente parce que les citoyens canadiens attendent cette loi depuis trop longtemps déjà.

Ce projet de loi représente la culmination de plusieurs années d'études et d'efforts. La tâche n'a pas été facile. Il s'agit d'un projet de loi important qui traite de questions éthiques, médicales, scientifiques, des questions complexes, et qui les traite dans son ensemble. Il est important, d'abord et avant tout, parce qu'il nous est impossible de demeurer plus longtemps avec le statu quo que nous connaissons à l'heure actuelle.

Présentement, à titre d'exemple, il n'y a rien dans le droit canadien qui empêche quiconque de cloner un être humain. Rien dans le droit canadien ne nous en empêche. En conséquence et sans plus tarder, le temps est venu de faire preuve de courage et d'agir dans ce domaine. Il faut établir une fois pour toutes quelles sont les activités acceptables pour les Canadiens et les Canadiennes par rapport à celles auxquelles ils sont tout à fait opposés et qui justifieraient une sanction pénale.

Malgré les percées scientifiques et techniques, le Canada ne dispose, à ce jour, d'aucun cadre législatif pour protéger la santé et la sécurité des Canadiens et des Canadiennes qui recourent à la procréation assistée et pour protéger la santé et la sécurité de leur progéniture.

Ce projet de loi, qui est attendu depuis longtemps, a trois objectifs principaux: protéger les Canadiens et les Canadiennes qui ont recours aux techniques de procréation assistée pour fonder une famille, sans compromettre leur santé et leur sécurité; interdire les pratiques inacceptables comme le clonage humain et assurer que la recherche connexe à la procréation assistée, qui pourrait mener à des traitements contre l'infertilité et de graves maladies, soit effectuée dans un environnement réglementé. Ce projet de loi prévoit également la création de l'Agence canadienne de contrôle de la procréation assistée, laquelle aura plusieurs tâches importantes.

Notamment, elle aura celle de délivrer des autorisations pour les activités réglementées, de surveiller et d'appliquer la loi et le règlement. De plus l'Agence aura pour mandat de fournir à la population canadienne l'information juste et fiable à ce sujet.

La procréation assistée est devenue une question très importante dans la vie de nombreux Canadien et Canadiennes. On dit qu'un couple canadien sur huit est aux prises avec un problème d'infertilité et que près de 1 000 enfants naissent chaque année au Canada grâce à cette procréation assistée. Ces gens veulent avoir l'assurance que les services offerts par les cliniques de fertilité sont sûrs, appropriés et qu'ils représentent une option valable pour établir une famille.

Sans loi pour interdire ou réglementer les activités liées à la procréation assistée, nous ne pouvons assurer la santé et la sécurité des Canadiens et cela a des conséquences non seulement sur les personnes infertiles et celles issues des techniques de procréation assistée, mais aussi sur notre société dans son ensemble. Conscients de ce fait, les Canadiens ont clairement fait savoir qu'ils voulaient un leadership national sur cette question.

Par exemple, plusieurs experts canadiens, en matière d'éthique, de la santé et de droit de la santé, la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada, des groupes associés à une maladie ainsi que la Fédération du Québec pour le planning des naissances ont diffusé récemment des communiqués affirmant leur soutien au projet de loi.

Des sondages indiquent également que les Canadiens appuient l'approche de notre gouvernement.

À titre d'exemple, en 2003, un sondage effectué par la firme Léger Marketing révélait que 84 p. 100 des Canadiens s'opposaient au clonage des êtres humains. Il est maintenant temps pour le gouvernement de faire preuve de leadership et de légiférer dans ce domaine. Sans ce projet de loi, les enfants nés d'un don de gamète n'auront aucune assurance de pouvoir obtenir des renseignements médicaux ou génétiques au sujet du donneur; les milliers de femmes qui ont recours à la procréation assistée ne disposeront pas d'une source fiable d'information sur les répercussions des techniques de procréation assistée sur leur santé; la recherche sur les embryons in vitro demeurera non réglementée et les expériences menant au clonage humain seront légales.

[Traduction]

Tel que mentionné dans le discours du Trône du 2 février dernier, notre gouvernement s'est engagé à renforcer nos assises sociales, à développer une économie du XXIe siècle et à renforcer notre rôle sur la scène internationale. Ce projet de loi illustre bien ces engagements. En effet, il a été développé de façon à concilier le respect des valeurs de notre société et les défis posés par le développement rapide de la science dans le domaine de la procréation assistée tout en permettant de fonder une famille en toute quiétude.

Le renforcement de nos assises sociales et la protection de la santé et de la sécurité des Canadiens et Canadiennes en matière de procréation assistée sont des objectifs importants du gouvernement et le projet de loi C-6 aide à réaliser ces objectifs. Ces objectifs vont de pair avec le fait de vouloir bien outiller notre société afin de faire face adéquatement aux nouveaux défis du XXIe siècle. Le projet de loi concilie les questions d'éthique soulevées par l'application de ces technologies et les objectifs de protection de la santé pour les Canadiens. Il permet de favoriser le développement et l'application des technologies d'avant-garde, notamment dans les domaines de la recherche pour traiter l'infertilité et trouver des thérapies pour traiter les maladies graves tout en encadrant cette recherche. Il permet d'assurer les conditions nécessaires pour permettre à nos professionnels oeuvrant dans ce domaine, de parfaire leurs connaissances et leurs techniques dont bénéficient par la suite les Canadiens qui ont recours à ce savoir pour fonder leur famille.

Pendant trop longtemps, nous avons tiré de l'arrière par rapport à d'autres nations industrialisées qui ont un cadre législatif leur permettant de faire face aux techniques de procréation assistée et à la recherche connexe. Ce projet de loi nous permettra enfin de nous aligner sur ces autres pays industrialisés. Le Canada aura une approche globale comparable à celle qui existe au Royaume-Uni, en Australie et en France depuis près de 10 ans.

Par exemple, au Royaume-Uni, la Human Fertilisation and Embryology Act a été adoptée en 1990. Cette loi, en plus d'interdire des activités comme le clonage reproductif, a créé la Human Fertilisation and Embryology Authority, une agence chargée de délivrer des autorisations aux cliniques de procréation assistée en plus de faire l'inspection et la surveillance de ces dernières. Un processus similaire a aussi été développé dans l'État de Victoria en Australie. En effet, la Infertility Treatment Act de 1995 a prévu la création d'une agence chargée de l'application de la loi et de ses règlements. Plus récemment, en 2002, l'Australie a adopté deux projets de loi au niveau fédéral. Ces deux lois interdisent le clonage humain, que ce soit à des fins de reproduction ou thérapeutiques, et régissent l'utilisation des embryons humains. Pour sa part, la France s'est dotée depuis 1994, de trois projets de loi sur la bioéthique qui établissaient des règles par rapport à la procréation assistée. Ces lois ont fait l'objet d'une révision en 1999.

La nature des enjeux a fait en sorte qu'il a fallu développer un processus unique et avant-gardiste de consultations, de discussions et de débats pour en arriver à la proposition qui est devant vous aujourd'hui. Ce processus est important à nos yeux et reflète bien comment notre gouvernement cherche à mettre nos institutions démocratiques à l'oeuvre.

Comme nombre d'entre vous le savent déjà, l'origine de ce projet de loi remonte au rapport final de la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, présenté il y a plus de 10 ans. Ce rapport avait provoqué d'innombrables discussions et tentatives pour parvenir à développer un cadre législatif répondant aux nombreuses questions complexes et délicates, soulevées par l'application de ces technologies. En effet, depuis la mise en place de la Commission royale établie en 1989, de nombreux forums et divers groupes et personnes représentant tous les segments de la société canadienne ont été consultés. Le gouvernement a fait preuve d'ouverture et d'innovation en permettant dès le début d'impliquer les députés dans le développement des différentes propositions législatives. Les sénateurs également se sont intéressés à titre individuel à la question, et nous avons eu de très nombreux entretiens ainsi que de nombreuses contributions de leur part à ce sujet.

En mai 2001, le Comité permanent de la santé de la Chambre des communes a été investi du mandat de revoir un avant-projet de loi sur la procréation assistée. Les questions soulevées par les techniques de reproduction sont complexes et le gouvernement souhaitait que ces questions fassent l'objet d'une discussion ouverte et franche entre les députés et les Canadiens. Le comité de la Chambre a par ailleurs entendu de nombreux témoins représentant un large éventail de points de vue. Ce comité a aussi été appelé à donner son avis sur les différentes options concernant la création possible d'un organisme de réglementation qui serait chargé de la mise en oeuvre de la législation.

[Français]

Le projet de loi devant vous aujourd'hui se veut donc la réponse aux recommandations faites par le Comité permanent de la santé de la Chambre des communes. Il comprend des modifications issues de recommandations faites par ce comité et il reflète ainsi un consensus sur des questions complexes et difficiles.

Le côté novateur de ce projet de loi ne s'arrête pas là. Il prévoit également un examen parlementaire obligatoire dans les trois ans suivant la création de l'agence. À ce moment, la pertinence de toutes les dispositions de la loi pourra être évaluée.

Cette même loi oblige également que les projets de règlement soient déposés devant les deux Chambres du Parlement aux fins d'examen avant leur promulgation. Cela s'inscrit dans les objectifs de ce gouvernement, tel que stipulé dans le discours du Trône du 2 février dernier.

Ce projet de loi a fait l'objet d'échanges constructifs avec les gouvernements provinciaux et territoriaux, en s'assurant qu'il respecte leurs champs de compétence. La législation s'inscrit dans un esprit de collaboration. En effet, elle contient plusieurs dispositions qui permettront aux deux paliers de gouvernement d'exercer leur responsabilité respective dans ce domaine.

Les provinces et les territoires vont continuer d'être des participants importants au dialogue continu sur la loi, notamment grâce à leur présence au conseil d'administration de l'agence. Le gouvernement s'est engagé à consulter rapidement les provinces et les territoires au sujet de l'élaboration du cadre réglementaire de la loi.

Bref, le chemin emprunté par ce projet de loi est novateur et illustre bien la façon dont ce gouvernement veut procéder dorénavant dans la formulation d'une législation axée sur les Canadiens et les Canadiennes, en mettant nos institutions démocratiques au cœur de son élaboration et de sa mise en œuvre.

Honorables sénateurs, il me fera plaisir de demeurer avec vous encore un peu, quitte à ce que mes collaborateurs demeurent plus longtemps.

[Traduction]

Le sénateur LeBreton: Je souscris effectivement à vos propos lorsque vous dites que ce projet de loi se fait attendre depuis trop longtemps. J'étais au cabinet du premier ministre il y a 15 ans lorsque nous avons institué la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction qui a déposé son rapport en 1993.

J'aurais de très nombreuses questions et observations à ce sujet, mais je voudrais plutôt vous interroger sur l'agence de contrôle de la procréation assistée dont vous parlez à la page 3 de votre texte et également à la fin de votre exposé.

Pourriez-vous nous expliquer un peu comment cette agence sera structurée? S'agira-t-il d'un groupe imposant? Comment sera-t-il composé? Quelles seront ses relations avec le milieu de la médecine et les autres milieux professionnels ainsi qu'avec les provinces et territoires? Où aura-t-elle son siège? Quel sera son mandat?

M. Pettigrew: Cette agence comptera 13 administrateurs, mais peut-être pourrais-je demander à M. Rivard de prendre le relais.

Le sénateur LeBreton: Fort bien.

M. Glen Rivard, avocat général, Services juridiques, Santé Canada: Je vais me faire un plaisir de répondre à cette question. Cette agence est subordonnée au ministre de la Santé. Elle compte 13 administrateurs dont le président du conseil et le président-directeur général, et elle est pour l'essentiel chargée du volet opérationnel du projet de loi, c'est-à- dire émettre des licences, inspecter les cliniques de fertilisation in vitro et autres établissements autorisés et faire respecter les règlements d'application de la loi.

Le sénateur LeBreton: À quelle catégorie de gens pensez-vous pour occuper ces postes? Des médecins? Et est-ce que tous les groupes d'intérêt pourront consulter cet organisme, ou s'agira-t-il plutôt d'un petit groupe hyper-contrôlé, qui sera principalement chargé d'exécuter la loi?

M. Pettigrew: Non, je pense qu'il s'agira d'un large éventail de gens représentant les différents groupes qui s'intéressent à la question. Bien sûr, il pourra y avoir des médecins, mais pas nécessairement.

Le sénateur LeBreton: L'Agence aura-t-elle son siège à Ottawa?

M. Pettigrew: Oui.

Le sénateur LeBreton: Et quels seront ses rapports avec les provinces? Ce domaine est tellement complexe qu'il ne suffit pas de créer une agence pour ensuite seulement inviter tout le monde, ne serait-ce qu'à cause du temps qu'il a fallu jusqu'à présent pour en arriver là. Comment cette agence deviendra-t-elle opérationnelle afin de pouvoir répondre aux besoins urgents, en particulier dans le milieu scientifique?

M. Pettigrew: L'un des administrateurs sera nommé par les provinces, et cela précisément pour rappeler à l'agence qu'elle a le devoir de coopérer avec les provinces. Le conseil d'administration aura donc une présence provinciale.

Le sénateur LeBreton: C'est le milieu scientifique qui m'inquiète un peu. En effet, ce projet de loi ne cesse pas de l'inquiéter. J'essaie de me faire une idée du mandat et des attributions de cette agence. Comment tiendra-t-elle compte des préoccupations et comment deviendra-t-elle opérationnelle rapidement? C'est en fait cela que je voudrais savoir.

M. Pettigrew: M. Shugart pourrait peut-être vous renseigner, ou encore M. Rivard.

M. Ian Shugart, sous-ministre adjoint, direction générale de la politique de la santé et des communications, Santé Canada: Le projet de loi porte expressément que le comité voudra peut-être examiner de façon plus approfondie les ententes d'équivalence qui sont prévues, qui sont l'un des vecteurs de collaboration possible avec les provinces.

Le cadre d'intervention du projet de loi a été minutieusement orchestré afin qu'il n'y ait pas ingérence dans le champ de compétence des provinces pour ce qui est de la réglementation et de la régie de l'exercice de la médecine, par exemple. Nous avons déjà eu des pourparlers avec les provinces dans le but d'élaborer avec elles la réglementation d'application. Mais votre question est importante. Ces règlements d'application devront être un vecteur important pour assurer la collaboration avec les provinces à l'entière satisfaction de celles-ci et, comme je l'ai déjà dit, les ententes d'équivalence pourraient être examinées de façon plus approfondie également, et j'entends par là en tant que vecteur d'exécution de la loi sous l'angle de la réglementation. Si une province venait à légiférer de son côté, les ententes d'équivalence respecteraient la loi provinciale et la loi fédérale lui céderait le pas sur le territoire de la province en question.

C'est donc une question importante mais le projet de loi en tient compte.

Le sénateur Roche: Personnellement, je suis en faveur des éléments du projet de loi qui interdisent le clonage et c'est à ce titre que je prends la parole. Je ne voudrais pas que mes propos vous poussent à conclure que je suis contre le projet de loi tout entier. En réalité, vous me mettez dans une situation difficile — et j'entends par là le gouvernement que vous représentez, monsieur le ministre — étant donné que ce projet de loi comporte une série de dispositions concernant la recherche sur les cellules souches embryonnaires, un domaine extrêmement controversé et qui, de l'avis de très nombreux spécialistes de la déontologie dans le monde entier, est contraire à l'éthique. De sorte que vos propos m'inquiètent un peu.

Vous nous avez dit que le projet de loi conciliait également les questions d'éthique, mais je ne pense absolument pas que ce soit le cas. Vous faites la louange de ce qui a été fait au Royaume-Uni mais je vous rappelle, monsieur, que ce qui a été fait au Royaume-Uni s'est traduit par l'assassinat de 40 000 embryons.

Je ne pense absolument pas qu'on puisse donc présenter sous un jour favorable ce genre de recherche et de nouveauté technologique.

Vous nous dites également que le gouvernement a fait preuve d'ouverture, mais je ne pense pas non plus que cela ait été le cas. La Chambre des communes et le Sénat lui ont demandé à plusieurs reprises de scinder le projet de loi. S'il cela avait été fait, son volet clonage, qui reçoit l'appui de quasiment tout le monde, aurait pu être adopté presque immédiatement, et tout ce qui concerne la recherche et la réglementation dans ce domaine aurait pu faire l'objet d'un examen beaucoup plus attentif.

Ma première question concerne le fait que le projet de loi n'a pas été scindé. Vous nous dites que vous l'avez proposé dans un esprit de coopération, mais je ne pense pas qu'il s'agissait de coopération, je vous le dis en toute déférence monsieur. Pour moi, le gouvernement, qui craignait beaucoup les factions qui, à la Chambre, étaient contre le projet de loi, a retardé le dépôt de celui-ci pendant très longtemps précisément parce qu'il n'y avait pas consensus — il y avait plutôt au contraire des graves dissensions — et parce qu'il n'y avait pas de coopération.

J'aimerais donc vous demander pour commencer si vous pourriez envisager de scinder le projet de loi. Je suis certain que vous allez dire non, mais je vous laisse quand même une chance.

M. Pettigrew: Donner moi la chance de commencer par répondre à cela.

Le sénateur Roche: Je vais vous donner la chance de dire non, mais comme je n'ai que deux ou trois questions à vous poser, je vais enchaîner immédiatement sur celle qui, à mon avis, est beaucoup plus pertinente. Accepteriez-vous un amendement qui interdirait toute recherche sur les cellules souches embryonnaires? Je manque de temps ici, et je ne pourrais probablement pas non plus entrer dans tous les aspects techniques que cela suppose, mais je crois comprendre que les recherches sur les cellules souches adultes sont beaucoup plus productives et prometteuses que les recherches sur les cellules souches embryonnaires.

Alors je vous pose la question: accepteriez-vous un amendement qui interdirait toutes recherches sur les cellules souches embryonnaires, le reste du projet de loi étant adopté en l'état? Je pense que vous bénéficieriez alors de cette coopération, de ce consensus que vous semblez rechercher, monsieur, et auquel je souscrirais assurément moi aussi.

M. Pettigrew: Je comprends votre point de vue et le respecte, sénateur, mais j'ai la conviction que le projet de loi traduit très sincèrement les valeurs des Canadiens. Ce projet de loi baliserait très rigoureusement toutes recherches effectuées sur des embryons humains, alors qu'à l'heure actuelle il n'existe aucune contrainte de ce genre. Le projet de loi interdirait la création d'embryons pour toute fin autre que la reproduction. Il faut absolument reconnaître que le projet de loi a pour principal objectif de protéger la santé et la sécurité des femmes qui ont recours à des services de procréation ainsi que les enfants issus de ces technologies. Il s'agit là d'un besoin important et l'adoption de ce projet de loi est indispensable pour y répondre.

S'agissant maintenant de scinder le projet de loi. Nous estimons que la procréation et la recherche sont indissociables si nous voulons vraiment interdire la création d'embryons à des fins de recherche, ou si nous voulons vraiment interdire la commercialisation du potentiel reproducteur humain. Il s'agit d'un projet de loi important qui concerne des questions de déontologie, médicales et scientifiques complexes de façon holistique et vouloir le scinder selon tel ou tel domaine nuirait à la réalisation de ces objectifs.

Le Comité permanent de la santé de la Chambre des communes a conclu que sa portée était adéquate et il n'a pas recommandé sa scission. Les questions d'éthique n'ont pas été prises en compte sous tous les angles. Lorsque vous me dites que nous n'avons pas tenu compte des problèmes d'éthique, vous me permettrez de ne pas être d'accord avec vous. C'est précisément l'éthique qui a été au centre même d'un grand nombre de ces discussions et elle est sans conteste l'axe porteur du projet de loi.

L'éthique est quelque chose de complexe. Ce sont-là des choses aussi complexes que délicates.

Le sénateur Roche: Et l'interdiction de toutes recherches sur les cellules souches embryonnaires? Un amendement?

M. Pettigrew: Comme je l'ai déjà dit, le projet de loi représente en l'état actuel des choses un juste milieu que nous jugeons adéquat. Personnellement, j'estime qu'il serait préférable de l'adopter plutôt sous sa forme actuelle.

Le sénateur Roche: Mais accepteriez-vous à un amendement qui aurait pour effet d'interdire la recherche sur les cellules souches embryonnaires?

M. Pettigrew: Je ne le pense pas.

Le sénateur Roche: En accepteriez-vous un?

M. Pettigrew: Non, j'ai dit que je ne pense pas que nous accepterions cela.

Le sénateur Roche: Vous n'accepteriez pas d'amendement dans ce sens.

Vous avez pourtant dit que le projet de loi traduisait les valeurs des Canadiens ou la façon dont vous percevez ces valeurs. Le point est discutable. Quoiqu'il en soit, je ne pense pas que nous puissions en débattre ici.

Il y a au pays des spécialistes de renom qui affirment que le projet de loi est truffé de lacunes et qu'il place bien des gens dans une situation délicate. C'est certainement mon cas. Vous me mettez en demeure d'accepter le projet de loi parce que si je ne vote pas en sa faveur — et il renferme bien des dispositions que je juge indispensables — le projet de loi ne sera pas adopté, et nous aurons perdu l'occasion d'examiner toutes les questions qui entourent la technologie de la procréation. Or, je ne tiens pas particulièrement à voir mon nom associé à la perte d'éléments salutaires en matière de technologie de la procréation.

Le choix est clair: ce sera ce projet de loi ou rien. J'en suis contrarié comme bien d'autres. Dans sa recherche de consensus et de coopération, le gouvernement aurait dû veiller à respecter le point de vue de ceux qui jugent répréhensible la recherche sur les cellules souches embryonnaires.

Je vais toutefois vous suggérer une solution — du moins pour moi. Nous sommes en train d'élaborer une politique pour servir l'intérêt public. Ce n'est pas une chose à prendre à la légère. Je pourrai peut-être me résoudre à apporter mon soutien au projet de loi, si je pouvais prendre connaissance des règlements avant la troisième lecture au Sénat. Allez-vous vous engager à publier les règlements d'application avant le vote en troisième lecture au Sénat?

M. Shugart: Peut-être puis-je fournir ici une réponse technique. Notre ministère et d'autres également ne sont pas habilités à élaborer les règlements avant l'adoption du projet de loi.

Le sénateur Roche: C'est une situation qui s'est déjà présentée. Nous avons eu une ébauche des règlements.

M. Shugart: Il n'y a pas eu de version préliminaire des règlements, sénateur.

Le sénateur Roche: Monsieur le ministre, m'entendre dire cela accentue ma colère et me porte à rejeter ce projet de loi alors qu'il s'agit d'une mesure si importante qu'on y travaille depuis trois ou quatre ans. Dieu sait depuis combien de temps elle est à la Chambre des communes. Et maintenant le gouvernement veut qu'on l'adopte toutes affaires cessantes, pour des raisons ayant trait à une question dont on ne discutera pas aujourd'hui. Dire que vous n'ayez pas de version préliminaire des règlements à nous soumettre est tout à fait inacceptable.

M. Shugart: Comme vous le savez, il y a dans le projet de loi des dispositions prévoyant le dépôt des règlements dans les deux chambres du Parlement, ce qui en contraste avec la majorité des mesures législatives. On a rarement vu un projet de loi aller plus loin en ce sens qu'il soumet les règlements à l'examen des parlementaires.

Le sénateur Roche: Pourquoi ne pas nous remettre une ébauche des règlements pour qu'on puisse y jeter un coup d'oeil?

Le président: N'accablons pas les témoins, sénateur Roche. Ils ont bien précisé que les règlements n'étaient pas disponibles pour le moment, ce qui n'a rien d'extraordinaire. Que je sache, les règlements ne sont pas présentés en même temps que le projet de loi.

M. Rivard: Effectivement, mais il y a dans le projet de loi une disposition, à l'article 66, selon laquelle, avant adoption, tout projet de règlement devra aux deux chambres du Parlement pour l'étude et conclusions. Si le ministre alors en poste décide de ne pas adopter une recommandation faite par l'une ou l'autre chambre, lors de l'examen du projet de règlement, ledit ministre est tenu de fournir une explication par écrit. C'est un droit de regard sur les règlements qui n'existe pas dans la plupart des mesures législatives. On n'est jamais allé si loin.

Le président: Bien franchement, j'ignore où on en trouverait un autre exemple.

Le sénateur Fairbairn: Monsieur le ministre, dans vos observations, vous avez fait allusion aux pourparlers qui ont déjà eu lieu avec les provinces et les territoires.

Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur les accords d'équivalence qui sont prévus dans le projet de loi — les accords qui permettraient aux provinces et territoires, selon leurs pratiques propres, d'adopter des mesures législatives distinctes, qui pourraient sans doute différer un peu de la position fédérale, tout en restant conformes à son esprit?

Pourriez-vous nous expliquer quels éléments seraient intégrés, au registre fédéral, même s'il y avait des différences, ou s'il y aurait un registre similaire dans le champ de compétence des provinces? Avec ces accords d'équivalence, est-ce qu'une province pourrait négocier une réglementation plus stricte ou plus rigoureuse dans certains domaines? Comment est-ce que ça fonctionnerait? Je sais que vous avez une grande expérience des accords entre les gouvernements fédéral et provinciaux. À mon sens, cela risque d'être un de vos plus grands défis. Vos pourparlers ont- ils déjà facilité les choses en ce qui concerne cet aspect particulier du projet de loi?

M. Pettigrew: Vous savez que je m'occupe non seulement de la santé et des langues officielles, mais aussi des affaires intergouvernementales.

Le sénateur Fairbairn: Je le sais.

M. Pettigrew: Mais votre question est pertinente, puisque la procréation assistée est un domaine de compétence partagé. Le projet de loi inclut d'ailleurs plusieurs mécanismes permettant la collaboration entre les deux paliers de gouvernement; mais cette collaboration varie énormément et est plus ou moins rapide en fonction du domaine.

Mais il est possible que certaines provinces aillent plus loin que leurs homologues, ou même que ce que nous proposons dans notre projet de loi. Je vais laisser M. Shugart vous parler des divers mécanismes que nous sommes en train de mettre au point.

Le sénateur Fairbairn: Des normes plus élevées mais certainement pas moins élevées, n'est-ce pas?

M. Pettigrew: En effet.

M. Shugart: C'est bien cela. En premier lieu, soyons très clairs. En ce qui concerne ce que nous nous proposons d'interdire dans le projet de loi, comme par exemple le clonage humain, il faut comprendre que cela ne relève pas des provinces. Si vous adoptez le projet de loi, la loi interdira ces activités partout au Canada. C'est parce que ces dispositions, de même que l'ensemble du projet de loi, reposent sur le droit pénal que les actes interdits seront interdits partout au Canada.

Toutefois, comme nous pourrions vous l'expliquer plus en détail, la partie du projet de loi qui traite des activités réglementées, par exemple, permet celles-ci dans la mesure où elles sont autorisées et régies par des règlements; dans ce cas précis, elles pourraient faire l'objet d'une équivalence dans les provinces. Contrairement au gouvernement fédéral qui a proposé ce projet de loi-ci, aucune province n'a encore légiféré dans ce domaine; mais si elle devait le faire, la disposition d'équivalence s'appliquerait alors si, de l'avis du ministre, le contenu de la loi provinciale équivaut à celui de la loi fédérale. C'est une question de politique qui dépend du contenu de la loi provinciale.

Le gouvernement fédéral — c'est-à-dire le conseil des ministres — devra alors être convaincu que le contenu législatif est véritablement équivalent, c'est-à-dire qu'il répond au moins aux critères minimaux de la loi fédérale. Le cas échéant, la loi fédérale ne s'appliquerait donc pas dans cette province. Ce serait la loi provinciale qui s'appliquerait.

Le sénateur Fairbairn: Pourriez-vous nous dire, par exemple, ce qu'une province pourrait vouloir faire à la différence de ce que propose le gouvernement fédéral?

M. Shugart: Puis-je demander à M. Rivard de répondre?

Le sénateur Fairbairn: Nous voudrions avoir une idée de la façon dont tout cela fonctionne.

Le président: Je voudrais faire remarquer quelque chose. Cette disposition est identique à celle qui se trouve dans la Loi sur la protection des renseignements personnels en vertu de laquelle c'est la loi fédérale qui s'applique à moins qu'il n'existe déjà une loi provinciale en matière de protection des renseignements personnels. Dans la loi fédérale, il y a quelque chose qui dit, à peu près, que si une loi provinciale est réputée être essentiellement la même, c'est la loi provinciale qui s'applique. C'est une façon de faire qui est utilisée ailleurs aussi.

M. Rivard: Il est difficile de vous donner un exemple plus précis, puisque aucune province n'a présenté de régime différent. Comme le signalait M. Shugart, aucune province n'a encore voulu légiférer ce domaine.

Notons, ce qui est important, que la disposition n'exige pas que ce que propose la province soit identique à tous égards à ce que propose le régime fédéral, mais qu'il est uniquement stipulé que la province doit offrir un même niveau de protection à l'égard de ce que la loi est censée protéger, en particulier les femmes qui entreprennent ces traitements. De plus, la disposition porte que la province qui décide vouloir réglementer ce secteur, doit préparer une proposition et en discuter avec le gouvernement fédéral. Ensuite, les deux paliers doivent convenir qu'il y a bien une protection équivalente, à la suite de quoi le gouvernement fédéral suspend l'application des dispositions sur des activités réglementées dans cette province.

M. Shugart: On pourrait imaginer, par exemple, qu'une province décide d'autoriser par voie de permis la présence de cliniques de fertilisation in vitro et veuille s'occuper de l'inspection de ces cliniques; voilà le genre de régime de surveillance réglementaire prévu dans le projet de loi.

Si les critères gouvernant les procédures de sécurité, la formation du personnel, et cetera, sont tels que le niveau de protection dans la province est équivalent à celui que propose le gouvernement fédéral, il pourrait alors y avoir accord d'équivalence à ce sujet avec la province.

Le sénateur Fairbairn: Le gouvernement fédéral a-t-il songé à financer les provinces qui songeraient à mettre sur pied leur propre régime d'équivalence?

M. Pettigrew: Non.

Le sénateur Fairbairn: Très bien.

M. Pettigrew: Si vous le permettez, je vais demander à mes adjoints de rester avec vous pour poursuivre la discussion, car je dois me rendre à une autre réunion.

Le président: Je comprends.

M. Pettigrew: Je suis déjà une heure en retard, et si je tardais encore plus, je négligerais mes fonctions.

Le président: Nous comprenons fort bien, monsieur le ministre. Merci d'avoir comparu.

Monsieur Shugart, nous allons d'abord entendre les questions des trois membres du comité qui ont demandé la parole, puis vous voudrez peut-être nous signaler les points saillants des diapositives que nous n'avons pas encore vues, ce qui serait utile.

Le sénateur Callbeck: Je vais enchaîner sur la question des accords d'équivalence. D'après la disposition, les provinces peuvent assumer la responsabilité d'octroyer des permis, de surveiller les activités réglementées, de tenir un registre et de faire les inspections.

L'accord d'équivalence pourrait-il s'appliquer dans un seul des domaines ou doit-il porter sur tout?

M. Rivard: Il peut ne s'appliquer qu'à un seul. Ce serait à la province de décider du point de vue opérationnel de ne s'occuper que d'un seul domaine. Ainsi, si elle souhaitait réglementer uniquement les cliniques de fertilisation in vitro, elle pourrait demander à ce qu'un accord d'équivalence soit conclu uniquement en ce qui concerne les cliniques en question.

M. Shugart: La loi fédérale s'appliquerait ensuite à toutes les autres dispositions. La situation pourrait varier d'une province à l'autre, puisqu'en principe, les accords d'équivalence ne sont pas obligatoirement identiques d'un territoire à l'autre.

Le sénateur Callbeck: Autrement dit, si une province décide de demander l'équivalence uniquement pour les questions d'autorisation, il est tout à fait possible que l'accord d'équivalence s'applique dans cette province-là et dans ce domaine-là uniquement, dans la mesure où le gouvernement fédéral, c'est-à-dire le conseil des ministres, est d'accord.

M. Shugart: Oui.

Le sénateur Callbeck: Vous avez dit avoir eu des pourparlers avec les provinces au sujet des règlements. Où en êtes- vous? Dans quelle mesure les provinces auront-elles voix au chapitre en ce qui concerne les règlements?

M. Shugart: Les pourparlers sont amorcés. D'ailleurs, avant même que nous discutions avec elles de l'élaboration des règlements, nous avions eu — il y a de cela un certain temps — des entretiens sur le principe du projet de loi et la façon dont il devait être interprété. Mais les provinces se sont intéressées particulièrement aux règlements, puisque c'est dans ce domaine qu'elles sont le plus sensibles pour des raisons de compétence.

Permettez-moi de vous présenter les collègues qui se sont jointes à moi à la table, Mmes Caroline Weber et Francine Manseau: toutes deux se sont intéressées de près au projet de loi et pourraient peut-être vous parler des pourparlers qui ont eu lieu.

Mme Caroline Weber, directrice générale, Direction des politiques, de la planification et des priorités, Direction générale de la politique de la santé et des communications, Santé Canada: En premier lieu, précisons que nous n'avons pas été beaucoup mises à contribution, puisque les consultations avec les provinces n'ont pas commencé. J'hésiterais d'ailleurs à le faire, tant que le projet de loi n'a pas reçu la sanction royale.

Toutefois, certaines discussions bilatérales ont eu lieu avec certaines provinces sur les consultations qui pourraient être amorcées en vue d'élaborer les règlements. Nous n'avons pas fini de rencontrer toutes les provinces jusqu'ici, mais certaines des provinces plus grandes sont très intéressées à contribuer à l'élaboration des règlements. Nous songeons d'ailleurs à créer un groupe de travail qui permettra aux provinces et aux territoires d'entrer en scène, ou même de créer des sites Web qui nous permettraient de les tenir au courant de tout ce que nous apprenons en cours des consultations. Nous n'avons pas encore abordé les questions de fond, puisque nous en sommes encore à la façon dont nous allons nous prendre. Mais nous avons l'intention d'inclure tout le monde, puisque le projet de loi touche un domaine de compétence partagée.

Le sénateur Callbeck: Voulez-vous dire que, jusqu'à maintenant, vous n'avez rencontré que deux provinces?

Mme Weber: Non. Avant de déposer le projet de loi, nous avons bien entendu eu des entretiens avec toutes les provinces mais depuis que le projet de loi est à l'étude à la Chambre des communes et maintenant au Sénat, nous poursuivons nos pourparlers avec le Québec et l'Ontario. Il y a peut-être eu un bref échange avec l'Alberta, mais nous n'avons pas eu d'entretiens approfondis au sujet des prochaines étapes et de la façon dont nous entendons procéder.

M. Shugart: Nous nous sommes engagés à faire participer toutes les provinces au processus, mais les différentes provinces ne réagiront pas toutes de la même façon à cette offre. Cela dépend de la mesure dans laquelle chacune d'elle veut contribuer à l'élaboration des règlements, si nous parvenons à cette étape.

Sénateur Callbeck: Les provinces sont-elles toutes favorables à ce projet de loi?

M. Shugart: Toutes les provinces tiennent à ce que l'on respecte leurs champs de compétence. Je ne vais pas m'aventurer à parler en leur nom parce que la plupart d'entre elles ne se sont pas prononcées de façon définitive sur ce projet de loi. Nous sommes cependant persuadés que les champs de compétence provinciaux sont respectés. Nous avons examiné les arguments formulés avec les provinces qui ont soulevé de telles questions. À notre avis, ce sont les règlements qui apaiseront les dernières inquiétudes au sujet du respect des champs de compétence.

Le sénateur Robertson: Je ne comprends pas tout à fait le processus d'élaboration des règlements ni pourquoi les provinces n'y ont pas davantage participé, mais c'est probablement en raison de questions de compétence. Peu importe les questions de compétence, nous cherchons tous une issue satisfaisante.

Passons à une autre question. L'Association canadienne de l'infertilité s'oppose à ce projet de loi, estimant qu'il limitera, voire supprimera, le droit des couples infertiles de choisir le traitement qui leur convient le mieux. Elle craint également que le projet de loi ne compromette la santé des personnes infertiles. Que répondez-vous à cela?

Ma question suivante a trait à la société ReproMed, le plus grand centre de recrutement de donneurs au Canada. Selon les porte-parole de cette société, 71 p. 100 des donneurs de sperme ont dit qu'ils cesseraient de participer au programme s'ils ne recevaient pas un dédommagement approprié. S'il n'est pas amendé, le projet de loi éliminera les services de sélection des donneurs et de collecte de sperme offerts aux Canadiens.

Qu'a fait le gouvernement pour tenir compte des préoccupations exprimées par des gens comme le directeur des services cliniques de ReproMed? Je vous laisse répondre à ces deux questions.

Mme Weber: Sans vouloir parler au nom de l'Association de l'infertilité, je crois comprendre que leur opposition au projet de loi tient surtout à la question de la commercialisation. Le projet de loi interdit la commercialisation des fonctions reproductives humaines. Un des principes fondamentaux sur lequel il repose est que nous devons pas payer des gens pour les dons de sperme ou d'ovules et que nous ne devons pas permettre la rémunération des mères porteuses.

L'application de ce principe pourrait avoir des effets sur la disponibilité de services de mères porteuses et de gamètes, c'est-à-dire le matériel reproductif humain, qu'il s'agisse de sperme ou d'ovules. L'opposition de cet organisme au projet de loi découle essentiellement de ces craintes. Il se peut cependant que beaucoup d'autres questions entrent en ligne de compte.

Quant à la question de compromettre la santé de personnes infertiles, je ne comprends pas sur quoi repose cette idée. La société ReproMed affirme de plus que le projet de loi interdira certaines interventions que nous savons essentielles, mais celles-ci sont en fait prévues par le projet de loi qui en garantit l'approvisionnement sûr. Cette affirmation est donc fausse.

Il est peut-être vrai, comme l'affirment les représentants de ReproMed, que 71 p. 100 des donneurs de sperme cesseront de participer. Je n'ai pas vu les résultats de tels sondages, mais on sait, d'après l'expérience d'autres pays qui sont passés d'un système de dons de nature commerciale à un système fondé sur l'altruisme que le nombre de donneurs a diminué au début, mais qu'avec le temps on a réussi à recruter d'autres genres de donneurs. C'est ce qui est arrivé en France, en Nouvelle-Zélande et, dans une certaine mesure, au Royaume-Uni. Nous étudions actuellement ces systèmes pour trouver les moyens proactifs d'atténuer les répercussions défavorables que l'adoption de ce projet de loi pourrait avoir sur l'approvisionnement.

Le président: Vous dites que ce que vous appelez «la commercialisation» est la pierre angulaire du projet de loi; c'est ce qui apparaît lorsqu'on le lit. Cela ne nous dit pas pourquoi c'est la pierre angulaire du projet de loi.

Je regarde mes collègues qui ont voté contre la dernière tentative pour limiter l'avortement au Canada. Nous nous sommes appuyés sur le fait que les femmes ont le droit de prendre des décisions à propos de leur utérus et que cette décision doit être prise par la personne intéressée et par elle seule. Par conséquent, il semble que ces restrictions aillent à l'encontre des raisons qui ont motivé le Sénat à faire échouer la dernière tentative de limiter les avortements.

Je comprends que ce soit une pierre angulaire du projet de loi. C'est facile à dire. Cependant, cela ne justifie pas la politique.

Mme Weber: Très bien. En fait, je ne conviens pas que ce projet de loi restreint de quelque façon que ce soit la capacité d'une femme à décider de ce qu'elle veut faire de son corps. Nous n'avons pas interdit la maternité de substitution, ici. Nous disons que la maternité de substitution à des fins commerciales devrait être interdite. On part du principe selon lequel en autorisant un échange de paiement pour ce genre de services, pourrait en réalité mettre en danger les plus vulnérables.

Le président: C'est une approche paternaliste; on va s'occuper des personnes qui ne sont pas capables de s'occuper d'elles-mêmes; c'est ça?

Mme Weber: Non, je ne pense pas que ce soit une approche paternaliste.

Le président: Lorsque vous me dites que vous protégez les plus vulnérables de la société, cela ressemble à une approche teintée de paternalisme.

Mme Weber: C'est un élément de l'argument. Cela va sûrement plus loin que cela. Il y a aussi la question des enfants qui sont créés par ces procédés. Nous interdisons également la commercialisation de sperme et d'ovules, par exemple, pour que les enfants n'aient pas le sentiment que la personne qui a donné son sperme ou ses ovules l'a fait pour s'acheter de la bière pour la fin de semaine, par exemple, ou pour des raisons lucratives; nous voulons au contraire que ces enfants soient créés parce qu'une personne avait le désir sincère de contribuer à leur création et à la rendre possible pour leurs parents sociaux.

M. Shugart: Il existe un parallèle au fondement de notre système de don d'organes et de sang, par lequel nous exprimons en tant que société notre solidarité envers autrui en faisant don d'un élément de notre corps. Dans le cas de la maternité de substitution, il s'agit de donner avec notre corps. Ce principe s'applique également à la reproduction assistée, ce qui signifie que le don de gamètes et le sacrifice humain d'une mère porteuse sont purement volontaires. Ce principe est clairement établi dans d'autres aspects de la santé.

C'était l'une des premières questions soulevées par la Commission royale. Loin de nous l'idée de suggérer que tout le monde est unanime sur les questions qui concernent les positions éthiques ou l'expression des valeurs canadiennes, les rédacteurs du projet de loi et les membres de la Chambre des communes se sont certes reportés aux recommandations prudentes et réfléchies de la Commission royale sur cette question précise.

Le président: Je ne peux pas m'empêcher de vous signaler que la Chambre des communes a aussi adopté la loi sur l'avortement en 1993.

[Français]

Le sénateur Plamondon: Appuyer ce projet de loi me pose un dilemme. En votant pour l'adoption de ce projet de loi, je vote contre le clonage et, en même temps, pour la recherche sur les embryons. Il m'embête de devoir voter sur ces deux questions à la fois. Dans sa présentation, le ministre Pettigrew a indiqué que 84 p. 100 des Canadiens croient que le clonage humain devrait être interdit.

Toutefois, je n'ai pas vu dans le document de sondage demandant aux Canadiens s'ils étaient en faveur de la recherche sur les embryons. Si un tel sondage a été mené, combien se sont prononcés en faveur de la recherche sur les embryons?

J'aurais préféré qu'il y ait deux projets de lois, car l'une des questions est de juridiction fédérale. Il aurait donc été plus facile de rallier tout le monde et procéder de la sorte. Les Canadiens semblent s'opposer au clonage humain, et les sondages en font foi. Cette question aurait donc pu être réglée facilement.

Tandis que lorsqu'il est question de la recherche sur les embryons, on doit s'harmoniser avec les provinces. On est inquiet parce qu'il n'y a pas de réglementation. On a mentionné qu'il y avait eu deux projets de loi en Australie. Ces deux projets de loi avaient-ils séparé les deux problèmes? Je ne le sais pas. Je me sens mal à l'aise parce que si je vote au Sénat en faveur de ce projet de loi, on va dire que j'ai voté pour la recherche sur les embryons. Donc, je devrai répondre à ceux que je rencontrerai à savoir pourquoi j'ai voté sur la recherche sur les embryons sans en connaître plus long à ce sujet. Si je vote contre, on me dira que j'ai voté pour le clonage humain. C'est ce que les journaux véhiculent comme information en ce moment. Cela a été refusé au Sénat, à tel endroit, les gens ont voté parce qu'ils étaient en faveur du clonage humain. On soulève des arguments pour me forcer la main. Je n'aime pas cette façon de faire.

M. Shugart: Ma collègue Francine Manseau pourra répondre à la question, particulièrement sur le parallèle international que le sénateur a mentionné.

Mme Francine Manseau, gestionnaire, Groupe du développement de la politique, Direction des politiques, de la planification et des priorités, Direction générale des la politique de la santé et des communications Santé Canada: Au sujet de la recherche sur les embryons, le projet de loi ne va pas faciliter ou encourager la recherche sur les embryons. Cette recherche a lieu en ce moment.

Le projet de loi essaie d'encadrer cette recherche et de s'assurer qu'elle se fait en suivant des règlements et des critères importants. Il faut être clair là-dessus; la législation ne va pas, du jour au lendemain, permettre la recherche. La recherche se fait déjà. Dans les cliniques de fertilité, juste par le fait de créer des embryons in vitro, ils ont dû faire de la recherche même pour permettre de pouvoir arriver à des applications qui font en sorte qu'ils accordent une certaine sécurité aux femmes traitées. Le projet de loi ne facilite pas et n'encourage pas, mais veut au contraire encadrer pour réglementer ce domaine. Sans ce projet de loi, cela va continuer. Cela se fait déjà.

On veut commencer à réglementer autant la recherche effectuée avec les fonds publics que la recherche faite avec des fonds privés. En ce moment, personne ne réglemente ce domaine. En ce qui a trait aux législations dont vous avez parlé dans les États de l'Australie, il y a eu des législations qui ont été élaborées; on pourrait dire qu'elles étaient similaires à l'aspect de la législation qui veut essayer de réglementer ces pratiques au Canada. Les législations nationales en Australie ont été élaborées pour les questions de recherche en utilisant des embryons et des types de pratiques telles que le clonage; elles ont été réglementées au palier national.

Dans l'équivalent d'une province canadienne, il y a eu des législations dans différents États, mais pas dans tous les États. Presque tous ont une forme de législation pour réglementer la pratique.

Le sénateur Plamondon: Je ne comprends pas la rationalité. Vous dites que sans réglementation et sans projet de loi, il peut y avoir des recherches sur le clonage humain dans le moment. C'est ce qui est écrit. On a décidé de bannir le clonage humain. Comme il se fait encore de la recherche sur les embryons, on veut l'encadrer. Comment décidez-vous de bannir l'un et d'encadrer l'autre? Des décisions ont été prises dans ce projet de loi. Elles me sont proposées et me demandent une réflexion différente.

Mme Manseau: La partie du projet de loi où l'on réglemente des procédures interdit toute activité, sauf qu'il y en a certaines qui vont être permises dans la mesure où une personne aura une autorisation pour le faire et va suivre les règlements. Effectivement, la décision a déjà été prise que le clonage est interdit. Mais pour faire quelques recherches que ce soit, en utilisant un embryon, une personne devra obtenir une autorisation et suivre les règlements. Mais la législation délimite certaines recherches ou activités utilisant un embryon, celles-ci seront interdites; l'une d'entre elles est le clonage.

Le sénateur Plamondon: Cela ne répond pas à ma préoccupation.

Le sénateur Morin: Le sénateur Plamondon veut savoir pourquoi on autorise la recherche sur les embryons dans les cliniques de fertilisation in vitro? Elle veut savoir pourquoi on ne la bannit pas en voulant dire qu'on fermerait les cliniques in vitro.

Le sénateur Plamondon: Ce n'est pas ce que je veux dire. Vous interprétez ce que je viens de dire. Dans le clonage humain, vous avez décidé de bannir le clonage humain aux fins que vous mentionnez.

Mme Manseau: N'importe lesquelles.

Le sénateur Plamondon: Vous décidez de permettre la recherche sur les embryons, qui ressemble un peu au clonage, parce que vous prenez un embryon. Je ne suis pas médecin, mais pour moi, c'est un commencement d'embryon, c'est de la vie au commencement. Vous décidez que celle-là, vous allez l'encadrer plutôt que la bannir. Jusqu'où prendrez-vous des embryons? Je ne sais pas moi. Répondez-moi.

Mme Manseau: La technique et la pratique de fertilisation in vitro parce qu'on permet cette pratique — et on la permet au Canada — fait en sorte que ces procédures ne feront pas des femmes des cobayes. Il a dû y avoir des recherches pour s'assurer, lorsqu'on prenait le sperme et un ovule et que l'on faisait une fertilisation in vitro à l'extérieur du corps d'une femme, que ces procédures étaient vérifiées pour s'assurer de la santé et de la sécurité des femmes qui recevront ce traitement et des enfants issus de cela. Il y a toujours eu nécessité d'avoir de la recherche. Si on ne permet aucune forme de recherche, on ne pourra pas permettre l'acte d'une fertilisation in vitro.

Le sénateur Plamondon: Je vais laisser faire, mais cela ne s'adressait pas à la fertilisation in vitro mais à l'autre type de recherche sur les cellules souches et les embryons.

[Traduction]

Le sénateur Cook: Honorables sénateurs, merci beaucoup. Je vous remercie à l'avance de votre patience pour essayer de me comprendre.

Il semble que nous soyons passés du fond, c'est-à-dire, le projet de loi, au processus, par lequel nous faisons participer les provinces, et à vrai dire, tout le monde, à la mise en oeuvre de ce projet de loi.

Je veux m'en tenir aux règlements pour le moment, et j'ai un certain nombre de questions sous les yeux. Je vais vous les poser et je vous invite à me faire part de vos observations.

Plusieurs personnes ont exprimé leurs préoccupations au sujet de certains éléments qui seront couverts par les règlements. Pouvez-vous me donner des exemples d'autres lois qui contiennent des dispositions réglementaires semblables, et pouvez-vous me dire comment ces dernières seront élaborées? Quelles devraient être les priorités couvertes par ces règlements? Également, Santé Canada a-t-il présenté un avant-projet de règlements sur des questions tels que le consentement informé, le counselling ou la tenue de dossiers? Qu'en est-il des règlements plus techniques et scientifiques?

Étant donné que des règlements relatifs à la sécurité du sperme existent déjà, Santé Canada a-t-il commencé à les adapter pour qu'ils couvrent les questions de sécurité relatives aux ovules et aux embryons? Enfin, puisque ces questions évoluent avec le temps et que des changements sont nécessaires, qui exercera un contrôle sur celles-ci, qui approuvera les règlements s'il fallait les modifier ou les adapter?

M. Shugart: Honorables sénateurs, je vais répondre à la dernière question et mon collègue, M. Rivard, répondra aux autres.

Le projet de loi prévoit de manière explicite, à l'article 20, il me semble, que le ministre de la Santé conserve une responsabilité politique dans ce domaine, ce qui, à toutes fins pratiques, signifie que lorsque les règlements doivent être modifiés conformément à l'évolution de la science, ou de nouvelles connaissances, ou de circonstances différentes, il incombe au gouvernement, et non de l'Agence, de présenter les règlements. Par conséquent, le gouvernement conserve un contrôle politique sur ces questions. C'était un élément important du débat lors de la conception du projet de loi, et nous avons soulevé cette question à la Chambre des communes également.

Le projet de loi établit un certain nombre de catégories pour lesquelles il faudrait élaborer des règlements, et peut- être que M. Rivard voudra en parler plus en détail.

M. Rivard: Vous avez soulevé plusieurs points. Je vais répondre au premier, à savoir s'il existe d'autres lois où l'on a ainsi recours aux pouvoirs de réglementation. Celle qui me vient d'emblée à l'esprit c'est la Loi sur les aliments et drogues, une autre loi du ministère de la Santé, qui existe depuis 50 ans. La loi établit les principes juridiques fondamentaux, puis, par le biais d'une longue série de règlements, aborde la façon dont les médicaments et les appareils médicaux doivent être approuvés, la façon dont doivent être menés les essais cliniques, et ce genre de choses. Voilà un exemple qui me vient spontanément.

En ce qui concerne le processus, la méthode normale d'élaboration des règlements, c'est qu'une fois le projet de loi adopté, le ministère consulte les intervenants, notamment les provinces, les groupes d'intérêt, et cetera. Ensuite, il prépare un avant-projet de règlements qui est publié dans la Gazette du Canada. Dans les trois mois qui suivent sa publication, les intéressés peuvent formuler des observations sur l'avant-projet. Le gouvernement tient compte de ces remarques avant l'adoption finale des règlements. Le processus de consultation est assujetti à une série d'exigences.

Ce projet de loi ajoute une nouvelle exigence, dont j'ai parlé plus tôt, à savoir que lorsque le gouvernement élabore un projet de règlements en vertu dudit projet de loi, l'article 66 exige qu'il soit déposé devant chacune des chambres du Parlement, pour qu'elles puissent procéder à l'étude de celui-ci et faire part de leurs conclusions à la chambre. Si elles font des recommandations, le ministre doit soit les accepter, soit expliquer par écrit au Parlement pourquoi il ou elle a choisi de ne pas le faire.

Le degré de contrôle de la rédaction des règlements d'application concernant projet de loi est unique en son genre parmi les lois fédérales.

Enfin, vous avez parlé des priorités à respecter dans la préparation des règlements. La première priorité concerne les dispositions de l'article 8, qui exigent le consentement du donneur pour l'utilisation des gamètes, des embryons, et cetera. Ensuite, il est probable qu'il y aura une série de consultations sur les règlements, notamment sur les questions du consentement informé, l'information fournie aux personnes qui participent à ces procédures, le counselling, la création de dossiers, la création de normes de santé et de sécurité pour diverses procédures telles que la fertilisation in vitro, et la façon dont les permis et les inspections devraient être gérées en vertu du projet de loi.

M. Shugart: Honorables sénateurs, je recommande à votre attention l'article 65 du projet de loi, qui donne une longue liste des domaines où des règlements seraient nécessaires. Ces domaines, comme M. Rivard l'a signalé, concernent surtout des questions de santé et de sécurité. Je cite par exemple, l'alinéa g), qui concerne le nombre d'enfants qui peuvent être créés à partir des gamètes d'un seul donneur, ou l'alinéa o), relatif au genre de renseignements médicaux exigés, pour que le dossier médical des donneurs figure dans le registre et puisse être communiqué aux enfants créés par ces technologies.

Le sénateur Cook: Je comprends ce fonctionnement, mais il faudra un jour ou l'autre modifier les règlements, et si j'ai bien compris la façon dont on fait les choses, ces règlements doivent être assortis à la mesure législative à laquelle ils se rapportent. Quel contrôle le Parlement exerce-t-il lorsqu'on modifie un règlement? Celui-ci reviendra-t-il au comité pour étude, ou est-ce le ministère qui apportera ces modifications?

M. Shugart: Le gouvernement doit proposer ces modifications, et le processus qu'a décrit M. Rivard serait celui qui serait suivi pour toutes modifications aux règlements. Le projet de règlements doit être déposé auprès des deux chambres comme on le décrit à l'article 66. Ces règlements font l'objet du même processus réglementaire — publication dans la Gazette du Canada et j'en passe, et du même contrôle parlementaire prévu à l'article 66 — cependant le gouvernement est responsable de l'adaptation de ces règlements au fil des ans, et c'est à lui qu'appartient de proposer de nouveaux règlements.

Si le projet de loi est adopté, la nouvelle loi fera l'objet d'un examen parlementaire dans les trois ans suivant l'entrée en vigueur des dispositions créant l'Agence.

Le sénateur Cook: Des modifications pourraient donc être apportées à ce moment-là?

M. Shugart: Oui, on pourrait alors proposer des modifications à la loi.

Le sénateur Keon: J'aimerais revenir à la maternité de substitution et aux interdictions visant la rétribution. Le projet de loi indique clairement que la mère porteuse ne peut pas être remboursée simplement pour qu'elle agisse à ce titre. Cependant, le paragraphe 12(3) précise qu'on peut rembourser à la mère porteuse la perte de revenu de travail s'il y a un risque pour sa santé ou celle de son foetus. C'est une question fort complexe. Je ne sais pas comment on pourra refléter ces distinctions dans les règlements. Par exemple, une technicienne en rayons X pourrait-elle devenir mère porteuse? Si elle continuait à travailler, il y aurait nettement un risque pour la santé de son foetus.

Il y a certainement un très grand nombre de jeunes femmes qui ne pourraient donc pas devenir mères porteuses. En fait, cette disposition pourrait créer toutes sortes de situations; par exemple, une femme pourrait décider de devenir mère porteuse et, par la suite, pourrait simplement obtenir un remboursement en disant que sa santé ou celle de son foetus est en danger si elle continue à travailler. Comment pourrait-on contrôler par voie de règlements le niveau de remboursement?

Par exemple, une jeune femme qui a un revenu très élevé décide de devenir mère porteuse en raison d'un attachement émotif à une personne ou des raisons du genre, pourrait-elle être remboursée en raison de la perte de son revenu de 500 00 $ par an, ou devrait-elle accepter un salaire moins important pendant sa grossesse?

M. Rivard: Permettez-moi de me servir des deux exemples que vous venez de donner. Le premier était celui de la technicienne en rayons X. Le projet de loi ne prévoit aucune restriction quant à qui pourrait devenir mère porteuse, ainsi toute femme pourrait devenir mère porteuse si elle choisissait de le faire, peu importe sa profession ou son métier. Pour recevoir un remboursement en raison de perte de revenu, il faut qu'un médecin atteste par écrit que la mère porteuse doit cesser de travailler car son travail peut constituer un risque pour sa santé ou celle de son foetus. Cependant le projet de loi indique clairement que la mère porteuse ne peut être remboursée que pour la perte de revenu. Vous devez donc démontrer quel était son salaire, et elle pourrait recevoir un remboursement en fonction de son revenu. Cette disposition vise à éviter que les mères porteuses ne tirent un avantage financier de leur grossesse. Cependant les rédacteurs ont estimé que, puisque l'objectif du projet de loi était de promouvoir la santé et la sécurité, nous ne voulions pas que les mères porteuses se sentent forcées de continuer à travailler si leur médecin leur avait dit que leur travail pouvait constituer un risque pour leur santé ou celle de leur foetus. Cette disposition a été ajoutée parce que nous voulions assurer la santé de la mère porteuse et du foetus.

Passons maintenant à votre deuxième exemple de la mère porteuse qui reçoit un salaire élevé; aucun plafond n'a été établi pour le remboursement tant qu'on peut démontrer que ce remboursement est établi en fonction du revenu de la mère porteuse et qu'il n'y a aucun gain financier. Cela dépend également de la capacité du couple qui a fait appel au service de la mère porteuse de la rembourser pour cette perte de revenu. Je ne dirais pas que ça ne pourrait jamais se produire, mais ce niveau de revenu n'est pas celui de la mère porteuse type.

Le sénateur Keon: Je crois que la première ébauche du projet de loi est beaucoup plus claire, parce que cette disposition n'existait pas. Elle a été rajoutée sous forme d'amendement plus tard.

Le président: Sénateur Keon, de quelle disposition parlez-vous?

Le sénateur Keon: Je m'excuse, il s'agit du paragraphe (3) de l'article 12. Je pense que le projet de loi serait un meilleur document sans ce paragraphe.

Cette question pourrait être fort complexe. Il est difficile d'aborder ce sujet en milieu de travail actuellement, sans même penser à la question des mères porteuses.

M. Shugart: Sénateur, cette intervention est valable. Comme M. Rivard a signalé plus tôt, tout cela fait partie du processus d'élaboration des règlements et de cette façon, il y a aura une meilleure consultation et une étude plus approfondie de la question.

Il est très difficile de faire la part des choses entre le principe, d'un côté, la non-commercialisation du rôle de la mère porteuse, car nous essayons d'éviter qu'on ne profite financièrement de la maternité de substitution, mais nous ne voulons pas non plus que les mères porteuses éprouvent des problèmes financiers en raison du rôle qu'elles ont accepté de jouer. Nous reconnaissons qu'il ne sera pas facile de refléter dans les règlements, les intentions visées dans ces dispositions.

Le sénateur Keon: Croyez-vous vraiment que vous pouvez inclure tout ça dans les règlements?

M. Shugart: Oui. Je ne suis pas un expert en matière de règlements, et c'est une question pour laquelle nous devrons faire appel aux experts afin de nous assurer que nous atteignons vraiment l'objectif visé.

Le sénateur Trenhome Counsell: Il est clair que nous passons tout cela à la loupe. Je suis du même avis que le sénateur Callbeck; elle a parlé de la consultation des provinces, mais si j'ai bien compris, l'application de cette loi se fera au niveau fédéral. Ne nous fiions pas aux provinces pour assurer le respect de cette loi puisqu'il s'agit d'une loi fédérale.

J'essaie d'étudier ce document en détail. L'alinéa 5b) précise «créer un embryon in vitro à des fins autres que la création d'un être humain ou» — et c'est le «ou» qui me chicote — «que l'apprentissage ou l'amélioration des techniques de création assistée.» Quelle est exactement la portée du terme «ou»? Dans quelle mesure pourrait-on créer un embryon pour cet apprentissage? J'ai eu l'impression à la lecture de cette disposition que c'est peut-être un peu vague.

M. Shugart: Sénateur, nous voulons simplement autoriser certaines activités fort limitées qui visent à améliorer des techniques de procréation assistée. Mme Manseau ou Mme Weber pourrait vous en dire un peu plus long. C'est pourquoi cette exception a été incluse, et les paramètres seraient fort stricts.

Mme Weber: Cette disposition vise d'abord à interdire la création d'embryons in vitro à des fins autres que la reproduction. Nous savons qu'à l'occasion dans des cliniques de fertilité, des embryons sont créés et utilisés pour l'apprentissage et aussi peut-être à des fins de recherche qu'on ne qualifierait pas nécessairement de «classique» dans le sens de projet désigné. Les intervenants du secteur cherchent à améliorer les techniques, et créent des embryons à cette fin, mais ces embryons ne serviraient qu'à améliorer les techniques de procréation assistée. Nous avons ajouté ce passage simplement afin d'éviter de créer un obstacle à la prestation de traitement. Les exceptions devraient être définies et décrites plus précisément.

Mme Manseau: Il importe de noter qu'il faudra détenir un permis et respecter des règlements avant d'être autorisé à manipuler du matériel reproductif humain pour créer un embryon; de cette façon, les responsables de l'application de la loi pourront s'assurer que l'objectif visé par la création de cet embryon respecte les paramètres établis dans la loi.

Le sénateur Trenholme Counsell: Oui, je le comprends. Je crois simplement au lieu qu'employer la conjonction «ou», il aurait peut-être fallu avoir deux phrases distinctes. C'est un peu comme si c'était une arrière pensée. Il faut quand même préciser ce qu'on entend par là, et s'assurer que le règlement le reflète bien. J'ai trouvé bizarre que ces deux choses se trouvent dans le même paragraphe.

M. Rivard: J'essaierai de répondre à votre question. La disposition énumère les actes interdits, et la conjonction «ou» annonce une exception à ces actes interdits.

C'est pourquoi cette disposition a été libellée de cette façon. Il importe de noter que seule une clinique autorisée, ou peu importe, peut se livrer à une activité qui représenterait une exception à cette disposition; de plus tout cela doit être un fait conformément aux règlements. Ce n'est pas comme s'il n'y avait aucune surveillance ou aucun contrôle.

Le sénateur Trenholme Counsell: Cette disposition est-elle plus claire lorsqu'on lit les dispositions sur le type d'autorisations qui peuvent être délivrées, et cetera?

M. Rivard: Certainement.

Le sénateur Trenholme Counsell: J'essaie de lire certains des documents scientifiques sur la question. Le prochain alinéa qui m'intéresse est le c). Est-ce que cela veut dire qu'une fois que vous avez créé un embryon il est sacro-saint et que vous ne pouvez pas en prélever une cellule pour en créer un autre?

M. Shugart: C'est exact. Cette précision est apportée parce qu'il serait hypothétiquement possible de créer un être humain en se servant de ce qui n'a jamais été en soi un être humain. En d'autres termes, il n'y aurait aucun lien avec un parent. On pourrait créer toute une série d'êtres humains qui ne viennent pas en fait d'un être humain.

Tout cela irait clairement à l'encontre du principe de la dignité de chaque être humain.

Le sénateur Trenholme Counsell: Aucune mention n'est faite de la recherche sur les embryons? En parle-t-on dans le projet de loi?

Mme Weber: Non. Il faut absolument faire la distinction entre l'utilisation de l'embryon humain in vitro et la recherche sur la cellule souche.

Le sénateur Trenholme Counsell: Oui je voulais dire la cellule souche, je m'excuse.

Mme Weber: La recherche sur la cellule souche n'est pas mentionnée dans cette mesure législative parce qu'une fois que les cellules souches ont été obtenues à partir d'un embryon humain, elles ne sont plus visées par les dispositions du projet de loi. Ceux qui se servent de cellules souches ne sont plus visés par les dispositions de ce projet de loi.

Le sénateur Trenholme Counsell: Est-il vrai que les cellules souches ne sont pas mentionnées du tout dans ce projet de loi?

Mme Weber: Il y a en fait les lignes directrices des IRSC, et donc on laisse entendre les «cellules souches».

Le sénateur Trenholme Counsell: Mais le terme «cellules souches» n'apparaît pas du tout dans ce projet de loi? Je pense qu'on nous posera la question.

Mme Manseau: Les cellules souches ne viennent pas exclusivement d'embryons. Un embryon est une source de laquelle vous pouvez obtenir des cellules souches, mais vous pouvez également obtenir ces cellules d'adultes.

Le sénateur Trenholme Counsell: C'est vrai.

Mme Manseau: Le projet de loi vise l'utilisation d'un embryon humain, et on pourrait s'en servir comme source de cellules souches, mais également pour la recherche sur la stérilité, les fausses couches et j'en passe. Cependant, on parle ici exclusivement de l'utilisation de l'embryon. Une fois les cellules souches isolées, les dispositions de ce projet de loi ne s'appliqueraient plus. C'est pourquoi on mentionne la création d'un embryon in vitro à «des fins autres [...]». Cela viserait donc la recherche ou la reproduction.

Le sénateur Trenholme Counsell: Où se trouve cette disposition?

Mme Manseau: Sur l'utilisation de l'embryon... il s'agit du paragraphe 10(2).

Le président: Cela se retrouve à l'article 40 n'est-ce pas?

Mme Manseau: Oui, mais au paragraphe 10(2) on parle des activités réglementées, et on précise «il est interdit, sauf en conformité avec les règlements et avec une autorisation, de modifier, manipuler, traiter ou utiliser un embryon in vitro».

Le sénateur Roche: On a déjà posé la question qui m'intéressait. Je voulais simplement qu'on me précise que le projet de loi autorise l'utilisation d'embryons pour la recherche sur les cellules souches. Et c'est justement là où le bas blesse n'est-ce pas?

Mme Manseau: C'est exact.

M. Shugart: C'est exact.

Le président: Monsieur Shugart, vous avez déjà abordé les principales questions d'intérêt dans ce projet de loi et il n'est donc pas nécessaire que vous lisiez votre document. Y a-t-il dans les diapositives une autre question qui nous aurait échappé? Pendant que vous y réfléchissez, je laisserai le sénateur Roche poser une question.

Le sénateur Roche: Je reviens aux règlements. Monsieur Shugart, je comprends que, comme vous l'avez dit lorsque le ministre était présent, vous ne pouvez élaborer les règlements tant que le projet de loi n'a pas été adopté. Toutefois, comprenez-vous que mes inquiétudes, qui sont peut-être partagées par d'autres, seraient quelque peu apaisées si nous connaissions l'orientation du projet de règlements que le ministère entend rédiger? Je suis persuadé que vous ferez de votre mieux pour éviter tout dérapage, mais vous-même avez cité l'exemple du Royaume-Uni, où 40 000 embryons ont été détruits dans le cadre de recherches sur des cellules souches, ce qui est très troublant. Il est donc légitime de se poser la question suivante: Le projet de règlements adopté au Canada sera-t-il assez rigoureux pour prévenir une telle situation? Voilà pourquoi j'aimerais connaître les grandes lignes de votre raisonnement.

Pour certains d'entre nous, la façon dont nous voterons sur ce projet de loi est une question de conscience. Je n'entretiens pas de soupçons a priori, mais j'ai besoin que l'on m'assure que les règlements seront assez stricts. N'est-ce pas là une question légitime, monsieur le président?

Le président: Oui, tout à fait.

M. Shugart: Je comprends effectivement votre point de vue. Si j'ai fait référence à l'article 65, c'était entre autres pour indiquer quels domaines seraient visés par les règlements. Ce n'était cependant qu'une réponse partielle. En ce qui concerne le cas que vous avez évoqué, je crois comprendre que si on a détruit ces embryons au Royaume-Uni, c'était parce que le délai de consentement à leur utilisation avait expiré. Mes collègues et moi-même serions tout à fait disposés à examiner l'information générale que nous avons à ce sujet et à la mettre à la disposition de votre comité. Toutefois, il faut également souligner qu'a priori, le projet de loi ne traite pas des questions que vous avez soulevées. Il n'essaie pas de dissimuler le fait que la recherche sur les embryons surnuméraires sera autorisée. Elle sera assujettie à l'octroi d'une autorisation.

Le sénateur Roche: Je le sais.

M. Shugart: Les dispositions réglementaires prévoiront sans aucun doute l'examen de ces activités par un comité d'éthique. Votre comité entendra le témoignage du Dr Bernstein qui pourra décrire de façon plus détaillée les principes et les modalités de tels examens. Il y a donc des dispositions qui régissent même cette activité-là, à propos de laquelle nous savons très bien que les points de vue diffèrent.

Je voudrais réitérer que personne ne prétend que ce projet de loi tienne compte de tous ces points de vue ou rallie une certaine unanimité. De toute évidence, les points de vue sont très différents sur ces questions et le projet de loi ne peut pas les refléter tous parfaitement.

Quant à l'élaboration des règlements, je ne crois pas pouvoir ajouter quoi que ce soit pour l'instant mais nous sommes prêts à fournir plus d'information.

Le sénateur Roche: Je vous signale que le ministre a bel et bien dit que ce projet de loi fait l'objet d'un consensus. J'ai contesté son affirmation et vous semblez dire qu'effectivement, il existe une diversité de points de vue.

Enfin, vous avez dit que vous alliez examiner l'information pertinente dès les premières étapes du processus. Dois-je comprendre que cet examen pourrait aboutir à la rédaction d'un document quelconque dont nous pourrions prendre connaissance? Pourriez-vous nous faire parvenir notre examen de la documentation pertinente avant la troisième lecture du projet de loi au Sénat?

M. Shugart: Je voulais dire que nous allions examiner la documentation pertinente en vue d'en faire part à votre comité.

Je vais demander à Mme Weber de donner plus de précisions à ce sujet. Je tiens cependant à signaler que si le ministre a parlé d'un «consensus», il n'a pas affirmé, à mon avis, qu'il y avait unanimité sur ces questions.

Le sénateur Roche: Voilà qui nous amène à la définition du mot «consensus».

Le président: Je ne peux résister à la tentation de dire que le sénateur LeBreton et moi-même avons participé à des débats du Cabinet, à l'issue desquels le premier ministre disait toujours qu'il y avait consensus. Le mot consensus correspondait à la définition que le premier ministre voulait bien y donner.

M. Shugart: Il y a consensus sur plusieurs éléments du projet de loi, même si tous n'estiment pas qu'il faut légiférer dans ce domaine. À l'issue de la commission royale, il y avait également consensus sur le fait qu'il fallait interdire certaines activités et en réglementer d'autres. Enfin, il y avait consensus au comité de la Chambre des communes qui a étudié ce projet de loi; les membres du comité ont jugé que, malgré les divergences de vues, le projet de loi devant aller de l'avant. Le ministre a expressément reconnu qu'il existe des opinions très variées sur ces questions. Cependant, Mme Weber pourra donner plus de précisions au sujet de la question soulevée par le sénateur.

Mme Weber: Nous n'avons pas de projet de règlements. Nous n'avons pas non plus reçu d'instructions relatives à sa rédaction.

Le sénateur Roche: Vous l'avez indiqué sans équivoque.

Mme Weber: Nous travaillons cependant sur des documents d'information portant sur nos domaines prioritaires; le document sur le consentement devra paraître sous peu. Je ne sais pas s'il aborde les aspects qui vous intéressent, qui semblent correspondre plutôt à l'octroi des autorisations et peut-être à l'inspection. En toute franchise, nous ne sommes pas aussi avancés que cela. J'ai cependant un document d'information générale sur le projet de loi et nous en rédigeons en ce moment un autre sur le consentement.

Le sénateur Roche: Pourriez-vous le faire parvenir au comité?

Mme Weber: Oui, je m'y engage.

Le sénateur Roche: Avant le vote à l'étape de la troisième lecture?

Mme Weber: Oui.

M. Shugart: Nous vous donnerons ce que nous avons.

Le sénateur Roche: Merci.

Le sénateur Robertson: Manifestement, vous discutez du sujet de ce projet de loi depuis nombre d'années avec différentes associations et, avec la communauté médicale et les milieux de la recherche. Je serais cependant fort étonné que, pendant tout ce débat, le ministre n'ait pas cherché à connaître l'opinion publique à propos de la recherche sur les cellules souches embryonnaires. J'aimerais connaître les résultats des sondages d'opinion publique que vous avez effectués à ce sujet. Quels sont-ils? Quelqu'un doit bien avoir réalisé de tels sondages.

M. Shugart: Effectivement, et certains de ces sondages n'ont pas été réalisés à notre demande mais leurs résultats sont du domaine public. Mme Weber pourra en parler. Je ne pense pas que nous ayons des sondages récents.

Mme Weber: Vous trouverez cette information dans le classeur qui vous a été remis, mais pour résumer, la population canadienne est favorable dans son ensemble à ce qu'on utilise les embryons pour obtenir des cellules souches qui serviront à des recherches susceptibles d'avoir des retombées thérapeutiques. Elle est peut-être même favorable au clonage thérapeutique, bien que je ne suis pas sûre que tout le monde comprenne bien le sens de ce terme.

On a fait des sondages sur beaucoup d'autres sujets sur une longue période. Je pense aux résultats des enquêtes menées vers l'an 2001, qui portaient davantage sur le recours aux mères porteuses, par exemple. Encore une fois, il faut rappeler qu'on obtient des résultats différents selon les questions que l'on pose.

Mme Manseau: Dans votre classeur, à l'onglet 5, nous avons essayé de résumer tous les sondages d'opinion réalisés depuis 1999.

Le sénateur Robertson: Merci. Je n'étais pas encore rendu là.

Mme Manseau: C'est à l'onglet 5.

Le sénateur Robertson: Parcourir toute cette documentation n'est pas chose facile.

Mme Manseau: En effet, mais nous avons tâché de vous résumer presque toute l'information dont nous disposons.

Le sénateur Robertson: Fort intéressant.

Le sénateur Milne: J'ai certaines réserves au sujet de la communication de renseignements médicaux, prévus aux articles 14 à 19. Bien que cela dépende des règlements qui n'ont pas encore été rédigés, j'aimerais connaître les mesures qu'on prendra, notamment pour limiter le nombre d'enfants conçus par l'entremise du même donneur, pour faciliter le contact donneur-enfant et enfant-enfant, sous réserve du consentement mutuel des intéressés. Si un trop grand nombre d'enfants sont issus du même donneur, je crains que les cas d'inceste puissent se produire assez facilement.

M. Shugart: La cueillette des renseignements biologiques vise essentiellement à donner des informations de base aux cliniques qui dispensent des informations et des conseils aux couples faisant appel à ces techniques, à faire en sorte que l'on obtient un consentement éclairé de ces personnes, qu'il y a un suivi satisfaisant du début à la fin et, en effet, que l'on évite certains risques médicaux en refusant, par exemple, les gamètes de certains donneurs en raison de leurs antécédents.

Pour ce qui est de l'identité du donneur et des questions de ce genre, il importe de savoir que tout un débat entoure la question de savoir si les enfants biologiques des donneurs auront le droit de connaître l'identité de celui-ci — encore une fois, c'est une question délicate qu'on ne réglera qu'en trouvant le juste équilibre. Le registre est utile à cet égard, car l'identité des donneurs fait partie des renseignements biologiques transmis mais ne peut être communiquée aux enfants sans le consentement du donneur. Le registre facilitera donc la communication d'information en fonction de certaines balises protégeant les renseignements personnels.

Si, plus tard, le donneur décide de se faire connaître, encore une fois, ce sera possible grâce au registre, mais ce n'est pas une obligation.

Plus tôt, le sénateur Kirby nous a demandé si nous aimerions attirer votre attention sur un sujet en particulier: les renseignements biologiques et le registre sont, à notre avis, des éléments essentiels du projet de loi.

Le sénateur Milne: Vous avez parlé de consentement mutuel, mais le problème, c'est que, souvent, il n'y a même pas connaissance mutuelle.

M. Shugart: En effet.

Le sénateur Milne: Ces enfants grandissent sans connaître leurs origines génétiques.

M. Shugart: C'est vrai.

Mme Weber: Nous comptons conserver ces informations dans un dépôt central de sorte que, quand une personne décidera de se marier, par exemple, et qu'elle voudra savoir...

Le sénateur Milne: Justement, il faut d'abord savoir qu'on a été conçus ainsi.

Mme Weber: C'est exact. C'est une question qui se pose dans ce domaine, en effet; certains des couples qui ont recours à ces services préfèrent ne pas le dévoiler. De plus en plus, la tendance est à l'ouverture et ce, surtout, sous la pression de certains intéressés, probablement les enfants.

Toutefois, pour l'instant, l'information n'est pas encore conservée de façon à ce que nous puissions la rassembler et déterminer quelles personnes ont des liens biologiques.

Le sénateur Morin: C'est peut-être votre frère.

Le sénateur Milne: Il faudrait des tests d'ADN pour tout le monde.

M. Shugart: Pour les collègues proches, en tout cas.

Le risque de consanguinité est toutefois limité par la disposition réglementaire qui limite le nombre d'enfants pouvant être conçus à partir des gamètes d'un seul donneur.

Le sénateur Milne: Quel genre de limite envisagez-vous, approximativement?

M. Shugart: Cette limite sera fixée en fonction des avis des experts qui seront recueillis pendant l'élaboration des règlements, madame. Je n'oserais pas vous donner une réponse au jugé.

Mme Weber: Nous ne savons vraiment pas, parce qu'il faut que les experts déterminent pour nous le nombre d'enfants et le nombre de fois les parents adoptifs peuvent utiliser les mêmes gamètes à partir desquels on doit s'inquiéter du risque de consanguinité.

Le sénateur Milne: On dit qu'au Canada, nous sommes tous parents au quatrième degré. Alors, soyez prudents.

Le sénateur Callbeck: J'aimerais revenir à ces accords qui sont intervenus avec les provinces. Vous avez dit qu'une province pourra négocier un accord plus strict qui ne s'appliquerait qu'à un domaine bien précis. Est-ce que cela signifie qu'une province pourrait conclure un accord qui interdirait la recherche à partir de cellules souches embryonnaires?

M. Rivard: C'est tout à fait concevable, oui.

Mme Weber: Le jeu de mots n'est pas intentionnel.

M. Shugart: Nous ne sommes pas les premiers à faire ce jeu de mots cet après-midi. En théorie, oui, ce serait possible.

Le sénateur Trenholme Counsell: Quand vous avez répondu à la première question concernant les provinces, je me suis dit que cet accord constituait le minimum et que, si elles le souhaitaient, les provinces pouvaient y ajouter des éléments. Je croyais que vous aviez dit que c'était là un accord de base que les provinces pouvaient étoffer. Il me semble que c'est ce que vous avez dit. Je ne croyais pas que les provinces pourraient prévoir d'autres interdictions; je croyais qu'elles ne pourraient qu'ajouter des exigences en matière de permis, par exemple.

Mme Manceau: Elles ne peuvent prévoir davantage de restrictions.

Le sénateur Trenholme Counsell: Je croyais que c'est ce que vous aviez dit.

M. Rivard: La recherche est un cas particulier. De toute évidence, s'agissant d'un service comme la fécondation in vitro, il faut protéger la santé et la sécurité du public. La recherche à partir d'embryons constitue une toute autre question, car elle ne présente pas les mêmes risques pour la santé et la sécurité du public que le fait pour une personne de subir une opération lui permettant de procréer. Tout ce que je peux vous dire, c'est ceci: Le régime réglementé prévu dans le projet de loi permet simplement ce genre de recherche dans certaines circonstances. Si une province veut limiter cette recherche, on peut, dans cette province, se conformer à la loi provinciale sans pour autant enfreindre la loi fédérale. Il n'y a pas de conflit de lois. La question est donc de savoir si la province a le pouvoir d'agir ainsi aux termes de la Constitution. Ce projet de loi ne confère aucun droit aux provinces; il prévoit simplement la non-application de notre loi. Il reste encore à trouver une réponse à la question fondamentale de savoir si les provinces ont le pouvoir constitutionnel de réglementer ce genre de recherche?

Le sénateur Trenholme Counsell: Le ministre de la Santé a déjà...

Le sénateur Robertson: Je crois savoir que les provinces auront le droit d'interdire ce genre de recherche.

M. Rivard: Je ne peux vous dire si les provinces auront le pouvoir constitutionnel d'interdire certaines formes de recherche. Il incombera à chaque province de le déterminer. Je vous dis simplement qu'une telle interdiction n'entraînerait pas un conflit avec la loi fédérale.

Le président: C'est le parfait exemple du genre de réponse catégorique qu'on peut recevoir d'un avocat du ministère de la Justice.

M. Shugart: Sénateur, ce projet de loi ne modifie en rien le partage des compétences. Autrement dit, si les constitutionnalistes concluent qu'il est de la compétence d'une province d'interdire la recherche à partir d'embryons — et je crois que M. Rivard se fait très humble à cet égard — ce projet de loi ne changerait en rien cette réalité.

Le président: Monsieur Shugart, je tiens à vous remercier, vous et vos collègues, d'être venus cet après-midi. Je crois savoir que certains de vos collègues resteront avec nous au cas où nous aurions besoin de vos lumières sur les déclarations des autres témoins.

Mme Weber: C'est exact.

Mme Manceau: Oui.

M. Shugart: Monsieur le président, nous sommes à la disposition de votre comité chaque fois que nous pourrons vous être utiles.

Le président: Voici maintenant les prochains témoins: Le Dr Alan Bernstein et la Dre Barbara Beckett, des Instituts de recherche en santé du Canada, le Dr Timothy Caulfield, du Health Law Institute, à Edmonton, et la professeure Maria Knoppers, de l'Université de Montréal.

Le Dr Bernstein et la professeure Knoppers ont entendu tous les témoignages et les questions qui ont été posées au ministre et à ses fonctionnaires. Si, d'après les questions qui ont été posées par les membres du comité, vous souhaitez aborder une question en particulier — il semble y en avoir plusieurs concernant la recherche — n'hésitez pas à le faire dans le cadre de votre exposé afin que nous connaissions tous les faits. Merci beaucoup d'être venus. Docteur Bernstein, vous avez la parole.

Le Dr Alan Bernstein, président, Instituts de recherche en santé du Canada: Nous sommes heureux de témoigner devant votre comité sur le projet de loi C-6, loi sur la procréation assistée. Comme vous le savez, les IRSC et le milieu de la recherche en santé du Canada ont bien accueilli ce projet de loi et appuient sans réserve l'objet, le contenu et l'esprit des mesures législatives proposés.

[Français]

Nous attendons avec intérêt l'adoption du projet de loi puisqu'il fournira les indications et le cadre dont ont grand besoin la population canadienne et les chercheurs canadiens. Je crois que le projet de loi permettra d'établir une approche nationale cohérente dans la recherche, à la fois dans le secteur privé et le secteur public.

[Traduction]

Cela permettra de s'assurer que la recherche est faite conformément à un cadre de réglementation cohérent qui respecte les valeurs éthiques, sociales et culturelles des Canadiens. Le projet de loi à l'étude fournit une approche équilibrée et donne la bonne orientation à la recherche sur les cellules souches humaines qui est faite ici au Canada.

Jusqu'à présent, l'IRSC a soutenu le financement de la recherche sur les cellules souches adultes humaines et animales. Le comité aimerait peut-être savoir que depuis plus de 40 ans le Canada est l'un des principaux pays au monde à faire de la recherche sur les cellules souches. Plus récemment, au cours des six dernières années, des chercheurs canadiens comme Derek van der Kooy, Sam Weiss, John Dick, Keith Humphries, Andras Nagy, Janet Rossant et Freda Miller ont fait de la recherche novatrice et vraiment d'avant-garde sur les cellules souches de la rétine, du cerveau, du sang, des embryons de souris et de la peau humaine.

Comme vous le savez, la recherche sur les cellules souches est extrêmement prometteuse pour de nouvelles thérapies pour le traitement de maladies graves, notamment la maladie de l'Alzheimer, la maladie de Parkinson, le diabète, l'insuffisance rénale et les maladies du coeur, et des traumatismes médullaires.

Reconnaissant les nombreuses questions délicates qui entourent la recherche sur les cellules souches embryonnaires, et le travail que le Parlement a fait dans le cadre du projet de loi C-6, l'IRSC s'est engagé en avril 2002 à ne financer aucune nouvelle recherche sur les cellules souches embryonnaires pendant un an. En fait, voilà maintenant presque deux ans que l'IRSC n'a financé aucune nouvelle recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines.

Vous n'êtes pas sans savoir que l'IRSC a élaboré des lignes directrices pour la recherche sur les cellules souches. Elles comprennent une norme éthique que la recherche financée par le secteur public doit respecter. Les lignes directrices complètent les objectifs du projet de loi, et sont en fait mentionnées dans le projet de loi C-6.

Conformément à ces lignes directrices, l'IRSC a récemment créé un comité de surveillance des cellules souches. Sa composition a été annoncée en novembre dernier. Le comité comprend 12 spécialistes exceptionnels provenant du Canada et de trois autres pays, dans divers domaines dont la déontologie, le droit et la biologie.

Selon le mandat qui nous a été confié par le Parlement, nous devons nous assurer que la recherche financée par le secteur public respecte la norme d'éthique la plus élevée. C'est pourquoi l'IRSC a présenté des lignes directrices et décidé de créer le Comité de surveillance des cellules souches. Le mandat du comité consiste à examiner les demandes de recherche sur les cellules souches pluripotentes humaines et d'autres recherches sur les cellules souches humaines afin de s'assurer qu'elles se conforment aux lignes directrices de l'IRSC.

Le Comité de surveillance des cellules souches s'est réuni pour la première fois le mois dernier, et au cours de cette réunion, il a examiné et commenté 18 demandes de recherche qui portaient toutes sur les cellules souches pluripotentes humaines. Les demandes qui ont été examinées provenaient à la fois de l'IRSC et d'autres organismes de financement, du secteur bénévole et de l'industrie. Je prévois que le comité se réunira de nouveau au cours de l'été 2004.

En conclusion, j'encourage votre comité à adopter le projet de loi C-6 afin que les Canadiens et les chercheurs aient non seulement un code d'éthique, mais aussi les paramètres et le cadre législatifs nécessaires pour guider leurs travaux.

Il est essentiel de combler le vide qui existe à l'heure actuelle, et je félicite les députés et les sénateurs de toute l'attention qu'ils accordent à cette question importante. Je serai heureux de répondre à vos questions.

M. Timothy Caulfield, Chaire de recherche du Canada, Health Law Institute: Merci de l'occasion qui m'est donnée de parler aujourd'hui. Je félicite le gouvernement et les sénateurs de s'attaquer à un domaine qui est extrêmement ambitieux.

Je pense qu'il est juste de dire qu'il y a un certain consensus, que la plupart des gens au Canada — la plupart des gens qui se sont penchés sur la question — estiment que la société canadienne bénéficiera d'un cadre de réglementation clair et approprié dans ce domaine.

Le projet de loi à l'étude n'est pas parfait. Votre défi consistera à décider jusqu'à quel point il doit être parfait avant d'aller de l'avant. Dans le peu de temps dont je dispose, j'aimerais vous parler de ce qui est toujours à mon avis l'élément le plus problématique du projet de loi.

Bon nombre de mes collègues qui sont dans la pièce — M. Shugart, Mme Weber et M. Rivard — m'ont déjà entendu parler de cette question. Plus précisément, je veux parler de l'usage continu des interdictions législatives, qui à mon avis sont très problématiques, surtout dans le domaine de la recherche. Comme je l'ai fait auparavant, je vous parlerai surtout de ce qu'on appelle le clonage thérapeutique, le clonage pour la recherche, ou le transfert de noyau d'une cellule somatique — une interdiction qui, à mon avis est extrêmement difficile à justifier, et que le gouvernement n'a pas encore justifiée de façon appropriée jusqu'à présent.

Je reconnais que je recommande ici un changement draconien, et je comprends que vous estimiez que d'importantes questions politiques à considérer ne permettent peut-être pas d'apporter des changements importants à ce moment-ci. Cependant, j'espère que le Sénat pourra tout au moins envisager la possibilité de faire des recommandations pour influencer des décisions futures.

Pourquoi suis-je d'avis que les interdictions criminelles sont si problématiques dans ce domaine? Tout d'abord, il va de soi qu'elles n'ont pas la souplesse voulue pour réagir à l'évolution de la science dans ce domaine. Nous avons pu le constater à la suite de certains événements récents dans le monde.

Je suis d'avis qu'un cadre de réglementation doit être à même de réagir rapidement à la fois aux nouveaux progrès et aux nouvelles préoccupations sociales qui émergent. En effet, un rapport publié par le gouvernement du Canada en 1982 intitulé «Le droit pénal dans la société» souligne la difficulté inhérente à modifier la législation pénale. Il stipule:

La pratique depuis un siècle au Canada a démontré que [...] lorsqu'un acte devient criminel, il est difficile d'éliminer ou de réduire les pénalités criminelles, même en réponse à des changements d'attitude du public, au manque de cohérence perçue dans l'application ou à l'expérience émergente démontrant que le recours au droit pénal est peut-être excessif [...]

La deuxième raison pour laquelle je suis d'avis que les interdictions que prévoit le Code criminel sont problématiques, c'est qu'elles ne reflètent tout simplement pas la complexité et la diversité des points de vue associés à bon nombre de ces technologies, plus particulièrement au clonage pour la recherche. J'ai fait de mon mieux pour prendre connaissance de toute la recherche par sondage, de toute la recherche qualitative qui a été faite au Canada et ailleurs dans le monde.

Le gouvernement canadien a prétendu que le grand public voulait l'interdiction, ou qu'il y avait un certain degré de consensus au sujet des interdictions dans le projet de loi; mais à ma connaissance toutes les études qui ont été faites au Canada ont démontré qu'en fait, la population est en faveur du clonage pour la recherche ou du transfert de noyau d'une cellule somatique — tout au moins il y a un certain degré d'appui pour cette recherche. Tous les sondages indiquent un appui de 60 à 75 p. 100 pour la création d'embryons humains clonés en vue de recueillir des cellules souches.

On pourrait faire valoir que les gens ne comprennent pas ce qu'est le clonage thérapeutique; mais même des recherches faites par des groupes de consultation, comme la recherche qui a été faite par le groupe Grace Reid à Calgary, révèlent un appui presque total pour le clonage à des fins de recherche. Même le comité conservateur du président Bush sur la bioéthique a laissé entendre qu'il était prématuré d'interdire toutes les formes de clonage, puisqu'il faudrait un certain temps pour obtenir le consensus moral.

La troisième raison, je pense, c'est que nous devons réfléchir au fait que le droit pénal est le principal instrument de réglementation du gouvernement. Le droit pénal devrait être un instrument de dernier recours. Encore une fois, le gouvernement le souligne dans son rapport, et la Cour suprême du Canada l'a réitéré lorsqu'elle a dit que les interdictions pénales devraient être un instrument de dernier recours réservé pour les cas de conduite coupable, gravement préjudiciables et généralement considérés comme méritant un châtiment.

Je ne crois pas que le clonage à des fins de recherche réponde à bon nombre de ces critères. En effet, le comité sénatorial voudra peut-être tenir compte du fait qu'une interdiction absolue pourrait aller à l'encontre de l'alinéa 2b) de la Charte, soit la disposition relative à la liberté d'expression, plus particulièrement étant donné qu'à l'article 1 il n'y a aucune subtilité permettant d'équilibrer les intérêts en jeu. D'autres instruments de réglementation pourraient être utilisés pour atteindre l'objectif du gouvernement à cet égard. Je suis également d'avis que les autres explications du gouvernement au sujet de l'interdiction, et je n'en parlerai pas en détail maintenant, ne suffisent pas à la justifier.

N'oublions pas que le public a fait la distinction entre clonage thérapeutique et clonage pour la reproduction. Selon une étude d'Ipsos Reid en 2001, 33 p. 100 seulement de la population appuient une interdiction complète de toute forme de clonage; le reste pensent qu'il faudrait réglementer le clonage à des fins de procréation. Compte tenu de cette ambiguïté morale, est-il vraiment approprié de faire appel au droit criminel dans ce contexte?

Toute cette histoire tourne en grande partie autour du statut moral de l'embryon, et c'est manifestement quelque chose de légitime, et il faut respecter les divers points de vue. Je pense que c'est un truisme de dire qu'il n'y a pas de consensus et qu'il n'y aura jamais de consensus sur le statut moral de l'embryon. Les religions diffèrent sur la question et nous devons tenir compte, comme nous l'avons fait dans d'autres contextes canadiens, de la nature pluraliste de notre société.

J'aimerais vous citer James Childress, le bioéthicien bien connu des États-Unis qui critiquait l'interdiction proposée aux États-Unis. Il disait qu'une politique publique en matière d'éthique dans notre société pluraliste doit prendre en compte les diverses croyances fondamentales sans être néanmoins paralysée par un point de vue particulier sur la vie embryonnaire.

Comment le comité sénatorial peut-il faire avancer ce débat? Premièrement, de préférence — et je sais que ce serait un pas radical — je crois que nous devrions imiter le Royaume-Uni, la Californie, le New Jersey et de nombreuses autres instances à travers le monde, c'est-à-dire faire du clonage pour la recherche une activité réglementée et non interdite. Il faudrait simplement décréter que le clonage à des fins de recherche ne fait plus partie des activités interdites à l'Agence. À titre provisoire, le Sénat pourrait recommander que le clonage thérapeutique demeure interdit mais relève de l'Agence.

J'invite au minimum le Sénat à réfléchir à la pertinence des interdictions criminelles dans ce contexte et à saisir cette occasion pour se prononcer sur le recours à des interdictions criminelles et sur la nécessité de justifications plus claires. J'espère qu'au moins cela servira à guider des amendements futurs à cet important projet de loi.

Mme Bartha Maria Knoppers, professeure et chaire de recherche du Canada en droit et médecine, Université de Montréal: Il y a 30 ans, j'ai montré dans des recherches sur l'insémination artificielle qu'il s'agissait d'une pratique qui ne faisait l'objet d'aucune interdiction et d'aucun contrôle. Il y a 20 ans, quand j'ai terminé ma thèse de doctorat, il n'y avait que des lignes directrices au Canada. Il y a 10 ans, quand nous avons publié le rapport de la commission royale, on a recommandé d'inclure certaines activités de recherche dans le Code criminel.

Aujourd'hui, je souhaiterais dire que je suis favorable à ce que certaines activités de recherche figurent dans le Code criminel, compte tenu des remarques de mon collègue sur l'efficacité et l'importance du Code criminel, mais aussi sur ses limites. Tout d'abord, il ne doit pas y avoir de recherche sans le consentement du donneur. Deuxièmement, on ne devrait pas maintenir des embryons à l'extérieur du corps, c'est-à-dire in vitro, pendant plus de 14 jours. Je dirais non au clonage pour la procréation, à la maternité de substitution à des fins commerciales et à la création d'hybrides.

J'ai toutefois deux recommandations de fond à présenter, comme mon collègue Tim Caulfield, mais avec quelques remarques préliminaires.

En laissant de côté pour l'instant les activités de recherche, je voudrais vous rappeler que nous donnons à une grande partie du traitement médical ordinaire des couples stériles, de citoyens canadiens, une «teinte» d'activités criminelles.

Par ailleurs, nous approuvons un projet de loi qui va non seulement exacerber l'inégalité d'accès des couples stériles au Canada, selon leur revenu, au traitement de l'infertilité. Je souhaiterais vous rappeler que ni l'avortement ni la stérilisation ne sont limités de cette façon.

Troisièmement, l'obligation de recourir au counselling constitue à mon avis un empiétement sur la vie privée et l'autonomie des Canadiens et risque de ne pas résister à une contestation constitutionnelle.

Enfin — et j'ai déjà fait ce plaidoyer au comité de la Chambre des communes — quand on parle de dignité humaine dans un texte, il convient que les juristes spécialistes des droits de la personne nous rappellent que la dignité humaine est source de droits humains et ne doit pas être classée sous les rubriques de l'environnement, de la sécurité, de la santé, et cetera.

Quels sont les deux changements de fond auxquels le Sénat devrait sérieusement réfléchir à mon avis? Premièrement, je suis entièrement d'accord avec mon collègue Tim Caulfield quand il dit que le clonage thérapeutique devrait être au maximum une activité contrôlée. Vous trouverez aussi les chiffres qu'il a cités dans les documents préparatoires que le Dr Ron Worton vous remettra demain. Ce sont des chiffres publics. Ce sont les Canadiens qui s'expriment de façon démocratique, et les Canadiens savent faire la distinction entre le clonage à des fins de procréation qui visent à créer un être humain identique et la création d'embryons dans des conditions rigoureusement contrôlées à des fins thérapeutiques.

À l'époque où les lignes directrices de l'IRSC ont été rédigées, les merveilleuses publications de nos grands chercheurs dans tout le Canada nous laissaient penser que la plasticité nous permettrait de développer des thérapies reposant sur les cellules souches d'adultes. Cela ne s'est pas avéré et le Dr Worton vous en parlera demain.

D'autre part, si vous demandez à des chercheurs qui travaillent sur les cellules souches adultes où en seront leurs thérapies dans cinq ans, ils vous répondront qu'avant même de les utiliser de manière sécuritaire, ils devront retourner à l'embryon pour comprendre la différenciation. À partir de quel moment une cellule décide-t-elle de devenir de la peau, des cheveux, et cetera? Par conséquent, dans tous les cas de figure, nous devrons retourner à l'embryon avant de pouvoir dire que ces thérapies sont sûres.

Enfin, à propos de cette première recommandation de conserver le clonage thérapeutique comme activité contrôlée, je précise que je m'occupe beaucoup de suivi international. Comme l'a dit le professeur Caulfield, la Californie, le New Jersey, Shanghai, Israël, le Royaume-Uni, la Belgique — et Dieu sait qui encore le mois prochain — ont décidé d'examiner la question au cas par cas dans des conditions très contrôlées avec un examen d'ordre scientifique et éthique, et je pense que c'est la bonne voie à suivre pour le clonage thérapeutique au Canada.

Ma deuxième recommandation de fond porte sur un sujet que personne n'a encore évoqué et qui n'a pas reçu la même attention que le clonage thérapeutique. À l'alinéa 5(1)f) du projet de loi C-6, on dit qu'on ne peut pas modifier le génome d'une cellule d'un être humain ou d'un embryon in vitro de manière à rendre la modification transmissible aux descendants. C'est ce qu'on appelle la modification de la lignée germinale ou la thérapie germinale.

Est-ce que nous voulons vraiment interdire cela dans le Code criminel? Depuis 1990, il y a tout un débat pour savoir si nous souhaitons vraiment avoir une interdiction criminelle universelle.

Si nous sommes vraiment honnêtes, n'est-il pas vrai que nous empêchons déjà, avec le diagnostic prénatal et maintenant le diagnostic préimplantation, la transmission de gènes délétères aux générations suivantes? Est-ce que nous ne sommes pas déjà en train de faire indirectement ce que ce projet de loi nous amènerait à interdire directement pour toujours? Je sais bien qu'on parle d'un examen sur trois ans mais, comme le dit le professeur Caulfield, les Français ont mené un examen sur trois ans après le projet de loi sur la bioéthique et sept ans après ils n'ont toujours pas été capables d'adopter la moindre modification.

En conclusion, je conviens avec le ministre Pettigrew que nous ne pouvons pas continuer à nous en tenir au statu quo. Toutefois, c'est contre les usages erronés que nous devons légiférer et non contre des technologies que nous ne comprenons pas encore et dont nous aurons peut-être besoin un jour pour le bien et la santé des générations futures.

Le président: Merci, madame Knoppers. Avant de donner la parole au sénateur Morin et ensuite au sénateur Keon, j'aimerais vous demander si vous-même et M. Caulfield pourriez aider les membres de notre comité à résoudre un dilemme concret auquel ils sont confrontés. Si nous modifions ce projet de loi, il faudra le renvoyer à la Chambre des communes et il est donc vraisemblable que ce sera la fin de ce projet de loi et qu'il faudra tout reprendre à zéro lors de la prochaine législature. En revanche, ce projet de loi comporte de nombreux éléments qui ne sont pas du goût de plusieurs d'entre nous. Il peut d'ailleurs s'agir d'aspects très différents selon les uns ou les autres, mais il n'en reste pas moins que ces éléments dérangeants sont bien là.

Vous avez tous deux parlé de la criminalisation de certaines de ces activités, et c'est l'un de ces éléments. Durant toutes les années que j'ai passées à Ottawa, je n'ai jamais vu un projet de loi aussi paternaliste que celui-ci. C'en est choquant à bien des égards, et les réponses initiales des hauts fonctionnaires n'ont fait que confirmer à quel point cette vision paternaliste était profondément ancrée dans la bureaucratie.

Il faut donc se demander si nous prenons le projet de loi et, en essayant de l'améliorer, si nous l'assassinons, ou si nous admettons que, peu importe que nous ayons l'impression qu'il ait des lacunes, il commence néanmoins à encadrer de façon juridique, réglementaire et législative à un domaine de recherche et une branche scientifique qui demeure, sinon, totalement non réglementée. Voilà le dilemme qui va devoir tôt ou tard nous interpeller tous ici à cette table. Peut-être pourriez-vous tous les deux nous conseiller en nous disant ce que vous feriez face à ce dilemme. Professeur Caulfield?

M. Caulfield: J'avais espéré que vous commenceriez par la professeure Knoppers ce qui m'aurait permis de réfléchir davantage.

Le président: Je voyais bien que vous aviez du mal et je ne voulais pas vous donner le loisir de vous en tirer.

M. Caulfield: Très franchement, je dois admettre qu'effectivement il s'agit d'un dilemme que j'affronte depuis huit mois. Quand faut-il accorder son appui à une loi qui comporte manifestement des lacunes pour la seule raison que cette loi est nécessaire? C'est pour cette raison que je me suis défilé et que je vous ai donné trois pistes dont la première consiste à modifier le projet de loi.

Si je regarde les choses avec optimisme, je dirais que la loi sera adoptée et que l'Agence deviendra un organisme qui décidera en connaissance de cause. Dans une certaine mesure, c'est ce qui s'est passé aux États-Unis avec la HFEA. Lorsque je suis optimiste, j'ai le sentiment que nous avons à ce point désespérément besoin d'un cadre réglementaire qu'il faut aller de l'avant même avec ces lacunes, dans l'espoir que ce qu'en aura dit le comité et les autres comités, et qu'avec l'Agence qui fonctionnera en devenant un organe décisionnel bien informé, il pourra y avoir des amendements circonstanciels.

Par contre, comme vous le savez probablement mieux que moi, étant donné qu'il n'y a pas encore eu véritablement de campagne pour ce genre d'amendements, lorsque je suis pessimiste je pense qu'il serait peut-être préférable de laisser le projet de loi mourir de sa belle mort, quitte à tenter ensuite de le ressusciter, mais je crains que cela soit impossible. Sans un cadre réglementaire, comme l'a bien dit le Dr Bernstein, les scientifiques canadiens évoluent dans une incertitude qui les laissent très frileux.

Que pensez-vous de cette façon de contourner la question?

Le président: Ayant donné la réponse classique de l'avocat «d'une part et d'autre part», je conclus que, sans l'avoir vraiment dit, vous semblez pencher pour l'option d'un cadre réglementaire légèrement imparfait plutôt que pour celle du vide complet, n'est-ce pas?

M. Caulfield: Effectivement. Je ne veux pas faire dire à ma collègue ce qu'elle n'a pas dit, mais je pense qu'elle privilégie plutôt l'autre option, de sorte que nous sommes, elle et moi, relativement complémentaires.

Mme Knoppers: Je ne voudrais pas voir adopter un projet de loi imparfait qui représenterait la vision que le Canada a de ces technologies. Certes, cela fait plus de 10 ans que nous débattons de la chose, et peut-être est-ce ainsi que la législation et la réglementation avancent-elles au Canada. Vous avez dit que ce domaine n'était pas du tout réglementé, mais je ne suis pas d'accord avec vous. Je ne pense pas que ce soit le cas. Dans toutes les provinces, il y a des lois qui protègent les enfants dont la procréation s'est faite par ces moyens. Nous avons des directives professionnelles, comme l'Association médicale canadienne, les sociétés d'andrologie et de fertilité vous le confirmeront. Il y a aussi les directives des ICRS qui, pour autant qu'elles soient véritablement des directives, devraient être constamment remaniées et remises à jour. Personnellement, je préférerais que ce projet de loi imparfait meurt de sa belle mort, mais comme je le disais dans mon exposé, je serais plutôt favorable à ce qu'on mette dans le Code pénal un simple article concernant certaines activités interdites qui pourraient faire l'unanimité au Canada, et pour qu'on crée ensuite un organisme interprovincial chargé notamment de la sécurité.

Le sénateur Morin: Madame Knoppers, je constate avec intérêt que lorsque vous êtes venue témoigner devant le comité de la Chambre, vous avez dit: «Je sais qu'il est temps d'agir. Je ne suis pas contre le projet de loi». Mais tout ce que vous avez dit dans votre exposé préliminaire laisse entendre que vous êtes opposée à certains éléments, mais vous avez néanmoins dit qu'il était temps d'agir et que vous n'étiez pas contre le projet de loi. Je suis d'accord avec ce que vous avez dit devant le comité de la Chambre, mais pas avec ce que vous venez de nous dire ici. Il est regrettable que le sénateur Roche n'ait pas entendu votre exposé liminaire.

Comme vous l'avez probablement entendu déjà, madame, il y a des gens qui s'opposent à quelque travail de recherche que ce soit mené sur des embryons. Ils sont catégoriquement opposés à toute recherche sur des cellules souches embryonnaires. Ils sont catégoriques à ce sujet. Ils croient que nous allons trop loin. Manifestement, vous pensez pour votre part que nous n'allons pas suffisamment loin.

Je peux comprendre le clonage à des fins thérapeutiques. J'ai ici une liste de pays qui ont légiféré dans ce sens. Il est intéressant de constater que la Corée du Sud, où la chose a été pratiquée, n'a pas légiféré dans ce domaine. L'immense majorité des pays qui ont légiféré récemment ont interdit tout clonage, que ce soit pour la reproduction ou à des fins thérapeutiques. Le Royaume-Uni est un cas d'espèce parce qu'il a dix ans d'avance sur nous. Les Britanniques ont adopté une loi en 1990, et n'en déplaisent à ceux qui pensent qu'il est impossible de modifier une loi comme celle-là, les Britanniques ont effectivement modifié la leur et y ont introduit une nouvelle disposition qui permet le clonage à des fins thérapeutiques.

En ce qui me concerne, la recherche est importante, mais l'élément le plus important, et de loin, de ce projet de loi, c'est la protection qu'il donne aux enfants issus de ces technologies et la protection qu'il accorde aux femmes qui ont recours à ce genre de service. Croyez-moi, et nous allons en entendre de plus en plus parler, il y a au Canada un vide effrayant dans ce domaine. Il est faux de dire que les provinces ont déjà réglementé. Ces cliniques sont tout à fait autonomes. Elles ne dépendent d'aucun hôpital. Elles ne font l'objet d'aucun contrôle. Contrairement aux autres pays, nous n'avons rien qui nous permette de voir ce que ces cliniques font vraiment. Je pense qu'il est urgent d'agir dans ce domaine. Je suis extrêmement inquiet lorsque j'entends des gens dire qu'à leur avis, nous pourrions encore nous passer de lois pendant dix ans. Le clonage à des fins thérapeutiques qui a tout juste commencé il y a une semaine était une expérience extrêmement limitée. C'était une question de sexe et l'intervention s'est faite sur l'ovocyte.

Nous savons que dans trois ans, ce texte de loi sera réexaminé de fond en comble par le Parlement. Peut-être faudrait-il dès maintenant nous atteler au dossier du clonage thérapeutique, mais sans pour autant dire qu'il faut laisser le projet de loi mourir et accepter un vide juridique. Je suis d'ailleurs moi-même interloqué par toutes ces interdictions. Je ne sais pas si votre sentiment est que, moyennant certaines interdictions comme la production d'hybrides de chimères et ainsi de suite, l'implantation d'embryons dans des animaux et ainsi de suite, nous pourrions ne pas légiférer pendant dix ans encore. Je pense que c'est un domaine extrêmement important et cela pour une raison très précise, qui ne représente pas un besoin scientifique très pressant pour l'instant, la question du clonage.

Je suis tout à fait catégorique à ce sujet. Nous ne sommes pas tout seuls. Nous ne sommes pas le seul pays. Seul le Royaume-Uni a déjà pris l'initiative et, comme je le disais, il l'a fait dix ans avant tout le monde, et nous, nous pourrions fort bien le faire dans trois ans. Mais je pense qu'il serait tout à fait irresponsable de laisser mourir ce projet de loi maintenant.

Mme Knoppers: Je ne change pas d'avis en disant que je ne suis pas contre le projet de loi. Je ne suis pas contre le fait que le Canada légifère dans ce domaine. Je ne suis pas contre les interdictions que contient l'article 5, qui concerne par exemple les hybrides, si ce n'est lorsqu'il s'agit du clonage thérapeutique. Non, ma position aujourd'hui ne repose pas uniquement sur les potentialités que cette technique de recherche pourrait offrir.

Il y a bien d'autres éléments dans ce qui devrait être, m'a-t-on dit, un exposé de cinq minutes qui, dans le projet de loi, représentent une mesure excessive en ce qui concerne l'absence de registre, un registre qui devrait exister pour toutes les activités dans le domaine de la santé — les résultats, ce qui est sécuritaire et ce qui ne l'est pas, combien d'enfants sont nés avec telle ou telle maladie, la naissance des enfants qui sont le produit de traitements contre la stérilité par exemple. Nous devrions avoir de meilleurs registres sur toutes les naissances, des registres qui donnent les raisons des malformations ou des naissances multiples et ainsi de suite.

Mais nous nous en prenons à des particuliers, à des couples, qui ont des antécédents médicaux particuliers, et nous nous ingérons d'une façon particulière dans leur vie privée avec tous ces donneurs qui téléphonent et tous ces enfants qui essayent de retrouver leurs parents et ainsi de suite. Les couples ne vont sans doute jamais dire à leurs enfants comment ils ont été conçus ne serait-ce qu'à cause de cette possibilité de consentement mutuel et ainsi de suite. Il y a dans ce projet de loi tant d'autres aspects encore.

Quoi qu'il en soit, je serais en faveur de l'imposition d'interdictions en vertu du Code criminel, et je suis certainement en faveur de la création d'un organisme interprovincial pour la protection de la santé des enfants et des femmes qui participent à toutes sortes d'activités dangereuses. Je ne m'oppose certainement pas à cela. C'est peut-être parce que je travaille dans le domaine du droit et que je sais comment les gens voient le droit pénal, leur réaction face au droit pénal étant surtout la peur, que je pense que nous devrions tout inclure dans une seule proposition, alors que nous pouvons aussi diviser le tout en deux activités distinctes.

Le Dr Bernstein: Il est rare que je sois en désaccord avec mes collègues qui apparaissent à l'écran derrière moi, et je le fais avec un peu d'inquiétude.

Le président: N'oubliez pas qu'ils sont derrière vous.

Le Dr Bernstein: Vous comprendrez que j'ai réfléchi longuement et sérieusement à cette question et que j'ai suivi le cheminement du projet de loi au Parlement depuis la parution des lignes directrices des IRSC il y a plus de deux ans. Je partage les préoccupations du sénateur Morin. Je commente seulement, je le répète, les éléments du projet de loi qui concernent la recherche.

Je crois qu'il est préférable d'avoir un projet de loi qui est peut-être moins que parfait, bien qu'il soit tout près d'être parfait en ce qui concerne la recherche. Il nous amène à nous demander s'il y a lieu d'incorporer dans une loi des dispositions concernant un domaine scientifique qui évolue rapidement. Il est très important que le Parlement et donc le Sénat revoient le projet de loi dans trois ou quatre ans. Qui sait de quoi le monde aura l'air à ce moment-là. Il est également important, cependant, d'instituer le plus tôt possible une structure pour encadrer la recherche dans les secteurs public et privé. Cela a préséance sur les questions soulevées par mes collègues.

M. Caulfield: Premièrement, docteur Bernstein, je ne pense pas que nous soyons vraiment en désaccord. L'argument présenté par le sénateur Morin concorde en réalité très bien avec ma vision des choses et c'est pourquoi j'ai éprouvé tellement de difficultés à établir ma position au cours des huit derniers mois. Je suis en effet d'accord avec lui pour dire que nous avons dix ans de retard sur la HFEA, et c'est pourquoi j'espère que si ce projet de loi est adopté, l'agence agira comme cet organisme et deviendra cet éminent agent de changement qui sera également le point de convergence de l'engagement public, ce qui est également important.

Sénateur Morin, il est important de signaler que cette question du clonage à des fins thérapeutiques n'est peut-être pas aussi restrictive que vous le suggérez. Pour moi aussi, la grande question consiste à déterminer comment nous allons élaborer notre politique en matière scientifique au Canada, comment nous allons élaborer au Canada une politique concernant des domaines où il y a beaucoup d'ambiguïté sur le plan moral. À mon avis, le clonage à des fins thérapeutiques — je suis d'accord avec vous pour le dire — est une question d'une importance restreinte, bien que ses avantages ne se limitent plus à ceux de l'expérience coréenne, car d'autres types de recherche fondamentale montrent qu'il peut présenter des avantages réels.

À mon avis, c'est une question symbolique qui montre à quel point il est difficile de légiférer dans des domaines qui présentent une ambiguïté sur le plan moral. Il ne s'agit pas tellement de cette seule question, pour moi, il s'agit plutôt de voir comment nous pourrons progresser sur tous les fronts. J'ai utilisé cette question seulement à titre d'exemple, mais on peut dire la même chose au sujet de plusieurs autres actes interdits. Comme l'a fait remarquer le sénateur Kirby, c'est la raison pour laquelle je suis finalement en faveur de l'adoption de la loi.

Nous avons aussi oublié le sujet central de la mesure. Il s'agit des techniques de procréation assistée, et non pas nécessairement de la recherche sur les cellules souches ou du clonage à des fins thérapeutiques.

Le sénateur Keon: Je ne répéterai pas ce que le sénateur Morin a dit au sujet de la protection des femmes et des enfants, parce que nous sommes tous d'accord sur cette question. Je ne connais personne qui n'approuve pas cet aspect du projet de loi ou qui met en doute la nécessité d'adopter une telle mesure.

En ce qui concerne les questions relatives aux autres domaines dont vous avez parlé, certains de vos collègues croient fermement que si les interdictions continuent, vous prendrez énormément de retard par rapport à vos collègues de la Grande-Bretagne et d'autres pays.

Par conséquent, du point de vue des scientifiques, le problème consiste à savoir dans quelle mesure vous prendrez du retard, si le projet de loi est adopté sans amendement. D'un autre côté, si le projet de loi n'est pas adopté, quelle liberté aurez-vous pour continuer vos recherches, étant donné que vous serez assujettis dans vos laboratoires aux lignes directrices des IRSC, ainsi qu'à l'influence des IRSC et des comités de déontologie des universités? Si le projet de loi n'est pas adopté, quelle liberté aurez-vous pour découvrir les connaissances scientifiques nécessaires pour élaborer des règlements intelligents?

Le Dr Bernstein: Votre question comporte deux volets, sénateur Keon. Pour ce qui est de la première partie, rappelez-vous que le projet de loi permet aux chercheurs canadiens, dans certaines conditions, d'effectuer des recherches à l'aide de cellules souches d'embryons humains. Ce qui n'est pas permis, c'est le clonage reproducteur ou thérapeutique. Le projet de loi permet certainement à la recherche d'avancer. Nous avons eu ce document de la Corée. Nous ne savons pas encore vraiment où ce type de recherche nous mènera et si ces sortes de cellules permettront éventuellement de guérir des maladies comme celles que j'ai mentionnées dans ma déclaration liminaire.

Je suis satisfait de l'équilibre qu'on a trouvé dans le projet de loi et qui se trouve également dans nos lignes directrices. Il y a une chose qu'on n'a pas encore mentionné et j'aimerais le faire maintenant; M. Caulfield y a fait allusion quand il a parlé de la HFEA, la Human Fertilization and Embryology Authority au Royaume-Uni. Il est très important que nous ne perdions pas la confiance de la population canadienne quand nous irons de l'avant. Si nous perdons cette confiance dans ce domaine scientifique, il y aura des répercussions et au lieu d'aller de l'avant, nous reculerons. En ce moment, ce n'est pas une erreur que d'opter pour la ligne conservatrice. Je crois que c'est un choix sage.

C'est probablement le cas, et je vais généraliser comme vous, professeur Caulfield, dans tous les domaines scientifiques. C'est là mon premier commentaire.

Deuxièmement, si le projet de loi n'est pas adopté — et encore là, je tiens à signaler qu'il est très important de l'adopter —, il y a quand même les lignes directrices des IRSC qui sont en vigueur. Elles concernent seulement la recherche sur les cellules souches. Elles ne concernent pas du tout les questions dont vous avez surtout parlé, tout comme le sénateur Morin — la reproduction humaine assistée, la fécondation in vitro et la nécessité d'avoir un cadre législatif pour protéger les femmes et les enfants du pays, de même que les couples. Nos lignes directrices, tout d'abord, concernent seulement la recherche effectuée dans le secteur public. Nous n'avons manifestement rien à voir avec le secteur privé.

Le sénateur Keon: Puis-je demander une précision au Dr Bernstein? Aux États-Unis, le secteur privé pose un problème. En d'autres termes, il peut oeuvrer en dehors du régime de subventions du NIH et on peut essentiellement faire tout ce qu'on veut dans les laboratoires privés, mais ce n'est pas vraiment la même situation au Canada, n'est-ce pas?

Le Dr Bernstein: À l'heure actuelle, il n'y a pas de loi. Tout ce que nous avons, ce sont les lignes directrices des IRSC. Nos lignes directrices comportent ce que nous appelons une disposition d'application indirecte, si l'on veut. Si une entreprise privée voulait financer des travaux de recherche dans une université ou un hôpital du pays, les lignes directrices des IRSC s'appliqueraient. Cependant, si une entreprise privée créait son propre laboratoire et voulait effectuer ce type de recherche, y compris du clonage reproducteur, il n'existe pas de loi à ce sujet, et les lignes directrices des IRSC ne s'appliqueraient pas. Il n'y aurait rien qui pourrait les empêcher de faire cela.

Le sénateur Keon: En toute objectivité, il faut dire qu'il n'est absolument pas question pour l'instant d'une telle chose au Canada, contrairement aux États-Unis, n'est-ce pas?

Le Dr Bernstein: Je ne suis pas tout à fait certain de ce que vous voulez dire par là. Il est certainement question d'établir des entreprises de recherche sur les cellules souches au Canada, en partie à cause du cadre législatif qu'on envisage d'instituer, car à ce moment-là les entreprises sauraient qu'elles peuvent fonctionner dans le respect de la loi. Cela représenterait un apport important pour le Canada, mais ce n'est pas une raison pour rejeter cette loi. Elle fournit une structure claire au secteur privé, ce qui n'est pas le cas aux États-Unis, comme vous l'avez signalé.

Le sénateur Keon: Qu'en pensez-vous?

Mme Knoppers: Je ne suis ni sociologue ni scientifique. Pour ce qui est des compagnies installées à l'étranger et de la possibilité que la non-adoption de cette loi aboutisse à la création d'une sorte de paradis pour le tourisme procréatif ou la commercialisation au Canada, la réalité canadienne ne m'incite pas à imaginer une explosion d'activités incontrôlées nécessaires à interdire en son absence.

J'ai toute confiance dans notre système de réglementation actuel qui va bien au-delà des directives des IRSC — limitées aux cellules souches — des directives d'éthique du Conseil tripartite, des directives de nos différentes associations professionnelles, des différentes législations qui régissent la pratique médicale ou la recherche médicale dans les différentes provinces, les lois d'information sur la santé, et cetera. Il n'y a pas de vide juridique.

Il est possible que cela soit le cas en ce qui concerne certaines des activités que j'ai mentionnées et qui relèvent de l'article 5 avec lequel je suis d'accord. Comme je vis au Québec, les gens ne cessent de me poser des questions sur les Raéliens. Même l'avocat courageux qui s'est attaqué aux Raéliens en Floride l'a fait en invoquant la loi de protection de la jeunesse, disant que cet enfant naîtrait dans des circonstances susceptibles de mettre sa santé et sa vie en danger.

Je suis professeur de droit et j'affirme qu'il n'y a pas de vide juridique au Canada. Cependant, nous avons besoin de précisions et de contrôles et selon moi, nous avons d'autres outils qui nous permettent d'exercer ce contrôle au Canada.

Le sénateur Keon: Monsieur Caulfield, du point de vue scientifique, de quelle marge de manoeuvre bénéficiez-vous pour, avec ou sans cette loi, dénicher des renseignements qui rendraient possible une réglementation intelligente.

M. Caulfield: Prenons la situation où il n'y aurait pas de loi. Si je vous ai bien compris, une absence de loi laisserait- elle plus de liberté à nos chercheurs qu'ailleurs?

Le sénateur Keon: Exactement.

M. Caulfield: Je sais, et je suis sûr que le Dr Bernstein le sait aussi, que les chercheurs canadiens aimeraient pratiquer le clonage thérapeutique, ici, en particulier, à l'Université d'Alberta où ils font beaucoup de recherche sur le diabète, et qu'ils aimeraient explorer les possibilités du recours au clonage thérapeutique dans l'espoir de créer des oeillets pancréatiques pour contrer le diabète. C'est un objectif à très long terme mais l'intérêt est là. Si cette loi est adoptée il est évident que cette voie de recherche sera fermée.

Ceci dit, selon moi — et le Dr Bernstein ne me contredira certainement pas — la majorité des Canadiens qui font de la recherche sur les cellules souches veulent avant tout un certain degré de certitude. À tort ou à raison, c'est ce que fait la loi.

L'argument de Mme Knoppers est aussi important: c'est un domaine qui n'est pas complètement déréglementé. Il y a des codes professionnels, et cetera, qui s'appliquent en l'occurrence, mais une loi offrirait un peu plus de certitude à la communauté scientifique.

J'aimerais parler d'une question pratique qui me semble tout à fait pertinente. Dans un avenir peut-être rapproché, une des applications du clonage thérapeutique sera la création de modèles de maladie, par exemple, de lignées cellulaires contenant un modèle de maladie. Pour examiner une certaine forme de cancer ou d'Alzheimer, vous pourriez créer une ligne cellulaire contenant l'Alzheimer ou le cancer du patient, ce qui se révélerait être un outil de recherche très utile. C'est une possibilité dans un proche avenir. Cette lignée cellulaire serait certainement brevetée aux États- Unis. Rien n'empêche de la breveter au Canada.

Les chercheurs canadiens pourraient-ils se servir de ce modèle, de ces cellules, pour faire de la recherche au Canada. Ces cellules pourraient-elles être brevetées au Canada?

Encore une fois, pour répondre à la question du sénateur Morin, dans une société démocratique, il faut clairement expliquer les raisons pour lesquelles nous voulons criminaliser certaines activités et être prêts à en subir les conséquences.

Le sénateur Roche: Lorsque je suis arrivé, j'ai entendu Mme Knoppers dire qu'il était préférable d'enterrer ce projet de loi. Le sénateur Morin m'a signalé que j'avais raté sa déclaration préliminaire. J'aimerais que les membres des comités, ainsi que Mme Knoppers, sachent que je suis très sensible aux arguments avancés par le sénateur Morin, à savoir, qu'il est urgent de prendre une décision. Cependant, j'ai des réserves surtout quand j'entends le sénateur Morin, qui est médecin, citer comme pays chef de file dans ce domaine le Royaume-Uni où 40 000 embryons ont été tués. C'est 40 000 êtres humains. Je me refuse à choisir le Royaume-Uni comme arbitre en la matière.

Mes questions s'adressent en premier à Mme Knoppers, mais j'aimerais également que le Dr Bernstein y réponde.

Madame Knoppers, pourriez-vous nous expliquer pourquoi vous pensez qu'il est préférable d'enterrer ce projet de loi? Nous savons tous quelles en seraient les conséquences. Nous ne voulons pas de clonage thérapeutique au Canada. Cependant, si nous enterrons ce projet de loi, cela incitera-t-il le gouvernement à proposer immédiatement un projet de loi sur le clonage thérapeutique qui, j'en suis certain, sera rapidement adopté et nous donnera plus de temps pour étudier les effets de la recherche sur les cellules souches embryonnaires?

Je crois, madame Knoppers, que vous étiez présente au début de la réunion quand les fonctionnaires étaient là. Cette recherche n'est pas réglementée. Pourtant, on nous demande d'adopter un projet de loi qui a une conséquence positive dans la mesure où il interdit le clonage thérapeutique, mais aussi, de mon point de vue, une conséquence négative puisqu'il permet la recherche sur les cellules souches des embryons.

Je dois vous avouer, monsieur le président — et ce sera mon dernier commentaire avant de donner la parole à Mme Knoppers — qu'au cours de mes six ans au Sénat, je considère que c'est peut-être la décision la plus difficile que j'ai eu à prendre. Je ne me considère pas comme un législateur, pourtant l'autre jour une décision a été prise à 32 voix contre 31.

Le président: Permettez-moi de vous rappeler que lorsque le projet de loi sur l'avortement a été rejeté, il a été rejeté à égalité de voix.

Le sénateur Roche: Il est donc tout à fait possible, honorables sénateurs, que chacun de nos votes compte. Monsieur le président, j'assume mes responsabilités avec le plus grand sérieux.

Le président: Absolument.

Le sénateur Roche: Je ne dis pas que j'ai raison. Je ne suis pas certain d'avoir raison, mais c'est horriblement difficile. Je préfère ne pas aller plus loin dans mes commentaires sur ce point.

J'aimerais que Mme Knoppers, compte tenu de sa réputation considérable dans notre pays, réputation que je respecte, nous explique pourquoi elle estime préférable que ce projet de loi soit abandonné. Je demanderais ensuite au Dr Bernstein de me dire ce qu'il en pense.

Mme Knoppers: Sénateur Roche, je m'excuse de parler en anglais mais nous sommes sur une seule ligne avec mon collègue, M. Caulfield. Je répondais à une question posée par le sénateur Kirby qui a commencé par nous dire qu'il considérait que c'était une approche très paternaliste pour une question délicate. Je veux que ce projet de loi défectueux soit abandonné. Je ne suis pas contre la pénalisation de certaines activités de recherche ou de certaines activités commerciales. Je suis tout à fait pour une approche législative créant une agence interprovinciale pour protéger la santé et le bien-être des couples et des enfants mêlés aux technologies de reproduction. Tout comme mon collègue, M. Caulfield, je suis contre l'utilisation d'un outil pénal — c'est un domaine juridique très lourd de symboles. Le droit pénal est censé être confiné à des activités moralement répréhensibles. Je m'excuse, mais les candidats à un traitement contre l'infertilité ne sont pas coupables d'activités moralement répréhensibles. J'aimerais faire la distinction entre la nécessité d'une agence de réglementation pour la santé et le bien-être et la protection des enfants, et certaines activités criminelles telles que par exemple la reproduction humaine par clonage qui, tous les Canadiens en conviennent, devrait être interdite. Nous pouvons respecter l'intimité et l'autonomie de couples qui sont, néanmoins, assujettis aux lois provinciales et aux directives professionnelles; nous pouvons avoir une agence de réglementation pour la sécurité et la protection et des dispositions du Code criminel régissant les valeurs que partagent tous les Canadiens.

Le Dr Bernstein: Permettez-moi de commencer par vous dire que je n'envie pas les sénateurs qui ont à prendre une décision aussi difficile, aussi importante.

Le sénateur Roche: C'est le métier.

Le Dr Bernstein: C'est un dur métier. Je me limiterai aux aspects du projet de loi concernant la recherche. Le groupe de travail des IRSC a produit des directives pour la recherche sur les cellules souches. Ils se sont réunis il y a trois ans pour essayer de trouver un équilibre, dans un vide législatif, entre les questions éthiques entourant la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines, étant donné la source de ces cellules, et le potentiel offert par ces cellules pour guérir des maladies graves.

Le sénateur Roche: Docteur, il y a le potentiel offert par les cellules souches adultes pour guérir des maladies graves, et il y a le potentiel offert par des cellules souches embryonnaires pour guérir des maladies graves. Pourquoi insistons- nous sur les cellules souches embryonnaires quand les résultats de recherche que j'ai lus montrent que les cellules souches adultes peuvent permettre d'aboutir au même résultat?

Le Dr Bernstein: C'est un domaine de recherche très actif. Il y a environ deux ans il était beaucoup question de la plasticité, ou de la capacité des cellules souches adultes à créer toutes sortes de différents types de cellules dans le corps. Sans vouloir entrer dans les détails techniques, il y a aujourd'hui réinterprétation des données dans ce domaine qui remet en question la validité de ces conclusions. La majorité de ceux qui travaillent aujourd'hui sur les cellules souches adultes reconnaissent la nécessité de comprendre que pour commencer les cellules souches embryonnaires sont beaucoup plus porteuses de promesses que les cellules souches adultes pour créer tous les types de cellules que nous aimerions pouvoir un jour générer. Après tout, c'est l'embryon qui fabrique l'être humain.

Deuxièmement, et cela me ramène à un des arguments de Mme Knoppers, si nous voulons pouvoir manipuler ces cellules pour qu'elles fassent ce que nous voulons, il nous faut comprendre le processus biologique de développement ou de différenciation. Encore une fois, c'est à ce niveau que les cellules souches embryonnaires interviennent. Je ne vous dirai pas que ce sera la meilleure source de cellules d'ici cinq ans; ce serait stupide. Il est possible qu'en fin de compte ce soit les cellules adultes dans certaines conditions. Cependant, je peux vous affirmer qu'aujourd'hui ce sont les cellules souches embryonnaires qui sont le plus porteuses de promesses.

Le sénateur Roche: Je devrais peut-être aussi questionner mon compatriote d'Edmonton, M. Caulfield, monsieur le président. Je ne veux pas l'exclure. Monsieur Caulfield, selon vous, est-il préférable d'aller de l'avant avec ce projet de loi? Quel est votre point de vue?

M. Caulfield: Vous avez raison. J'y suis favorable, à l'instar de ceux qui l'emportent par une très faible marge, pour nombre des raisons invoquées par le sénateur Morin, y compris l'objectif principal de ce projet de loi: la protection des femmes et des enfants. Si nous perdons ce cadre aujourd'hui je crains que nous ne le récupérions pas de sitôt.

Cependant, j'en profite pour vous demander de bien vouloir considérer ma troisième option: demander une clarification de l'application des interdits criminels dans ce contexte, de leur opportunité et de la nécessité de motifs valables. Si nous demandons aux Canadiens s'ils sont pour une interdiction du clonage thérapeutique, je ne suis pas sûr que c'est la réponse qu'ils nous donneraient. Tout porte à croire que les Canadiens sont favorables au clonage thérapeutique.

Le sénateur Roche: Ma question s'adresse au Dr Bernstein. Je ne pense pas que les Canadiens soient favorables au clonage thérapeutique. C'est une question qui pourrait être rapidement réglée mais je n'en dirai pas plus pour le moment.

Docteur Bernstein, vous avez dit, en réponse à la question sur l'abandon de ce projet de loi, que nous avons, en place, de bonnes directives. Mon problème, c'est que d'après moi, il n'y a pas de telles directives en place. J'ai essayé tout l'après-midi de convaincre le gouvernement de convertir ses directives en règlements ou tout du moins en proposition de règlement. Qu'avez-vous à dire sur cette question pour dissiper les craintes ancrées des sénateurs au moment de voter en troisième lecture le projet de loi C-6 sans savoir ce que seront ces directives?

Le Dr Bernstein: Je m'abstiendrai de tout commentaire sur ces éventuelles directives. Je sais que ce qui vous préoccupe cet après-midi c'est ce degré d'incertitude. Cependant, toutes choses étant égales, il importe d'avoir un cadre législatif tant pour la procréation assistée que pour la recherche sur les cellules souches. Sans un tel cadre, il est impossible de réglementer les activités cliniques et de recherche. Nos directives ne concernent pas le secteur privé. L'IRSC n'a pas de mission législative. Je crois que le pays, la communauté scientifique en tout cas, attend un cadre législatif.

Le sénateur Trenholme Counsell: Je me suis peut-être trompé, mais j'ai noté, docteur Bernstein, que cette loi offrirait un cadre clair pour la recherche sur le clonage dans le secteur privé. C'est bien ce que vous avez dit?

Le Dr Bernstein: J'ai dit que c'était pour la recherche privée sur les cellules souches. Si j'ai dit clonage, je voulais dire recherche sur les cellules souches.

Le sénateur Trenholme Counsell: Très bien. Vous avez donné l'impression que cela ne criminaliserait pas nécessairement ni n'interdirait pas nécessairement la recherche sur le clonage humain faite par les firmes privées. N'est- ce pas?

Le Dr Bernstein: Je faisais référence aux directives de l'IRSC qui de toute évidence ne s'appliquent pas au secteur privé.

Le sénateur Trenholme Counsell: Ce projet de loi, lui, si, n'est-ce pas?

Le Dr Bernstein: Oui, absolument.

Le président: Madame Knoppers, pourriez-vous nous donner un peu plus d'explications sur un point contenu dans votre déclaration liminaire? Selon vous, il est évident que limiter l'accès des couples à faible revenu à la technologie de reproduction ne peut que favoriser les couples à revenu supérieur. Comment aboutissez-vous à une telle conclusion?

Mme Knoppers: Pour commencer, comme vous le savez, c'est la situation actuelle. Il y a toutes sortes de variantes d'une région à l'autre du pays. La majorité des provinces ne couvrent pas les examens d'infertilité et ensuite c'est au patient de trouver les ressources financières pour payer les traitements, quand il y en a qui sont offerts.

Cela signifie que ce ne sont pas toutes les Canadiennes et tous les couples qui peuvent se payer le traitement leur permettant d'avoir des enfants.

Ce projet de loi ne dit pas si les traitements contre l'infertilité sont une activité médicale nécessaire conformément à la Loi canadienne sur la santé. Faire relever tout le reste du fédéral, par le biais du Code criminel, puis garantir la sécurité par le biais d'une agence de réglementation, ce à quoi je ne m'oppose pas, ne règle pas la question de l'iniquité d'accès.

Le président: Je conviens absolument avec vous que l'accès actuel est inéquitable mais j'avais pensé que vous laissiez entendre que cela le rendrait encore plus inéquitable. En réalité, vous dites que cette mesure ne le rendra pas plus inéquitable pas plus qu'elle ne le rendra moins inéquitable; elle ne concerne tout simplement pas cet aspect.

Mme Knoppers: Ce projet de loi exacerbe la situation actuelle en prenant tout en charge — de la pédagogie à la thérapie — sauf le traitement.

Le président: Merci à tous les trois d'être venus. Nous vous sommes reconnaissants de nous avoir accordé votre temps. En attendant de passer au groupe suivant, je demanderais à mon assistante de vous distribuer un article que j'ai écrit pour le Globe and Mail en décembre. Je le fais parce que trois ou quatre d'entre vous m'ont posé la question aujourd'hui à la lumière de la déclaration scandaleuse de Svend Robinson à la Chambre des communes. Cette même question est revenue sur le tapis en décembre, soulevée par différents gens de gauche — Shirley Douglas, Roy Romanow et d'autres — et le Globe and Mail m'a demandé d'écrire un article en réponse, ce que j'ai fait. Je vous le redistribue maintenant afin que vous compreniez la raison pour laquelle leur position est incroyablement scandaleuse.

Le sénateur Roche: Seriez-vous d'accord à une réunion à huis clos de cinq minutes après les témoignages?

Le président: Sur quel sujet?

Le sénateur Roche: L'affaire Svend Robinson.

Le président: Avant grand plaisir, quand nous aurons fini.

Notre groupe suivant est constitué de M. Calvin Green, le président du Comité des relations gouvernementales de la Société canadienne de fertilité et d'andrologie; de Mme Beverly Hanck, la directrice exécutive de l'Association canadienne de sensibilisation à l'infertilité, de M. Eugene Bereza, le président du Comité d'éthique de l'Association médicale canadienne; et de M. Arthur Leader, membre de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada.

Le Dr Calvin Green, président, Comité des relations gouvernementales, Société canadienne de fertilité et d'andrologie: Honorables sénateurs, je tiens tout d'abord à vous remercier de cette occasion de témoignage devant le comité permanent sur cette importante question. Je suis professeur clinique d'obstétrique et de gynécologie à l'Université de Calgary et directeur médical du programme régional de fertilité, l'une des cliniques de fécondation in vitro les plus occupées du pays.

Je suis venu aujourd'hui à titre de porte-parole de la Société canadienne de fertilité et d'andrologie, que je désignerai sous l'acronyme de SCFA si vous le voulez bien. La SCFA est une association volontaire de plus de 500 médecins, scientifiques et professionnels de la santé. Chaque année, nos membres s'occupent de milliers de cycles de traitement pour aider plus de un couple sur six au Canada qui ont des problèmes de conception.

Nous comprenons que le gouvernement veuille adopter une loi pour régir les questions complexes sur le plan psychologique et technique dans le domaine de la procréation assistée. La SCFA a participé au long processus d'élaboration du projet de loi et appuie la plus grande partie des dispositions du projet de loi C-6.

Nous avons cependant de sérieuses réserves. Je suis venu poser les questions qui suivent aux membres de cette chambre de second examen modéré et réfléchi. Le projet de loi C-6 atteint-il les objectifs prévus, c'est-à-dire protéger la santé et la sécurité des Canadiens qui ont recours aux techniques de procréation assistée pour les aider à constituer leur famille? Certaines dispositions du projet de loi actuel vont-elles à l'encontre de ces objectifs et devraient-elles être modifiées? C'est ce que pense la SCFA.

Notre opposition au projet de loi porte sur trois principales questions que j'examinerai successivement. La première concerne l'accès, la deuxième, la confidentialité et la troisième, l'interdiction de la recherche médicale légitime.

Relativement à l'accès, le projet de loi limitera l'accès aux traitements pour les Canadiens qui ont des problèmes de fertilité. L'article 7 interdit la rémunération des donneurs de gamètes sauf pour le remboursement des frais sur présentation de reçus. Si cette disposition est maintenue, elle interdira le système actuel de dons d'ovules et de sperme qui existe depuis des décennies et qui a produit des milliers d'enfants.

Le système actuel prévoit une indemnisation raisonnable versée au donneur pour son temps et ses services. Une indemnisation raisonnable ce n'est pas la commercialisation ou la banalisation. La commission royale a reconnu ce principe dans le cas des donneurs de sperme et ne considère pas le montant que nous versons aux donneurs comme une banalisation ou une commercialisation de ce service.

Si l'on interdit le système actuel de don de gamètes et que l'on doive mettre sur pied un nouveau système, qui s'en occupera? Qui paiera pour ce système et qui l'administrera? Cela n'est pas prévu dans le projet de loi.

Même le système actuel d'indemnisation limité ne nous permet pas de recruter suffisamment de donneurs de gamètes. On estime aujourd'hui que 80 p. 100 du sperme utilisé par les cliniques de fertilité canadiennes viennent des États-Unis. Même si c'est une idée fort noble, toute tentative visant à instaurer un système altruiste ne ferait qu'aggraver la pénurie de gamètes. Vous entendrez des témoignages passionnés lors de vos audiences, notamment de ceux qui ont eux-mêmes eu recours au système.

Si nous ne pouvons pas fournir de gamètes au Canada, nos patients devront aller ailleurs. Il est même question que des cliniques s'établissent juste de l'autre côté de la frontière aux États-Unis pour traiter les patients canadiens.

Encore plus de Canadiens que maintenant devront aller à l'étranger s'ils ont besoin d'ovules et de sperme de donneurs pour avoir des enfants. Cela deviendra du tourisme de procréation et limitera l'accès aux plus riches de notre société qui ont les moyens de faire de tels voyages.

D'autres pourraient décider d'utiliser du sperme de sources douteuses. Les sources de ces spermes ne seraient pas assujetties à des mécanismes de contrôle appropriés et il y aurait risque de transmission de maladies infectieuses. Cela pourrait compromettre la santé des femmes et des enfants.

Nous incitons donc le Sénat à modifier le projet de loi pour que, au lieu d'interdire une indemnisation directe raisonnable, on régisse la pratique pour inclure des mécanismes dans le système afin d'empêcher la commercialisation du sperme. Si vous ne modifiez pas le projet de loi en ce sens, certains couples ne deviendront parents et certains enfants ne naîtront pas.

Un autre facteur qui réduit encore plus l'accès au traitement médical pour les Canadiens qui ont un problème de fertilité est lié au fait que les régimes de soins de santé provinciaux ne financent pas les traitements de fertilité. Le Canada est l'un des rares pays dotés d'un régime de soins de santé universels à laisser tomber ses citoyens qui ont besoin de traitements de fertilité. Il y a maintenant un régime à deux vitesses pour ceux qui peuvent payer et pour les autres qui n'en ont pas les moyens.

La commission royale d'enquête disait dans son rapport qu'une société qui se soucie d'autrui devrait fournir des services de santé en procréation assistée dans le cadre de son régime de soins de santé. Nous recommandons donc au Sénat d'adopter un amendement disant que les traitements de fertilité seront considérés nécessaires sur le plan médical aux termes de la Loi canadienne sur la santé et qu'ils doivent donc être financés par les régimes de soins de santé provinciaux. Il me semble que c'est un amendement sur lequel nous pourrions tous nous mettre d'accord dans une société juste et équitable.

Je voudrais maintenant parler de la confidentialité.

L'article 17 du projet de loi stipule que l'Agence canadienne de contrôle de la procréation assistée doit tenir «un registre ou figurent les renseignements médicaux sur les donneurs de matériel reproductif humain et d'embryons in vitro, les personnes ayant eu recours à une technique de procréation assistée et les personnes qui sont issues d'une telle technique».

Les couples infertiles que je rencontre tous les jours ne veulent pas que leurs dossiers médicaux confidentiels soient envoyés à Ottawa. Ils seraient encore plus angoissés si l'État se mêlait sans raison de leur difficulté de procréation. Nos patients ne veulent pas d'un registre public et d'après les avis juridiques que nous avons entendus aujourd'hui, un tel registre pourrait même faire l'objet de contestations en vertu de la Charte. Nous incitons donc le Sénat à modifier l'article 17 pour que le registre fédéral contienne des renseignements uniquement sur ceux qui reçoivent des ovules, du sperme et des embryons et que l'on n'exige pas que les couples infertiles qui veulent un traitement de fertilité et leurs enfants y soient mentionnés.

Je parlerai maintenant de l'interdiction de la recherche légitime dont nous avons déjà entendu beaucoup parler aujourd'hui. Dans mon travail, je parle à des couples qui ont des problèmes d'infertilité. Je dois aussi essayer de jouer mon rôle comme scientifique. On a beaucoup parlé aujourd'hui de transfert du noyau d'une cellule somatique, autrement dit le clonage thérapeutique, qui est interdit par le projet de loi C-6. Pourtant, cette technique et la science de cellules souches pourraient devenir l'un des miracles de la médecine moderne, même si ce n'est pas pour demain.

Un article publié la semaine dernière dans le prestigieux journal Science signalait que les scientifiques ont non seulement réussi à appliquer cette technique, mais aussi à produire une ligne de cellules souches. C'est la première étape essentielle pour trouver des traitements pour diverses maladies, comme la maladie de Parkinson, la dystrophie musculaire, le diabète et bien d'autres. C'est le but de ce genre de recherche. Allons-nous lier les mains de nos chercheurs qui ont jusqu'ici joué un rôle de premier plan dans ce domaine et empêché les Canadiens de profiter des résultats de ces recherches? Vu qu'ils ne pouvaient pas poursuivre leur recherche au Canada, bien des scientifiques ont déjà quitté le pays et d'autres suivront leur exemple pour s'établir dans des pays plus progressistes qui ont des règlements différents pour la recherche, par exemple le Royaume-Uni.

La SCFA déplore le clonage de procréation, mais elle prie le Sénat de modifier l'article 5 pour autoriser le transfert du noyau d'une cellule somatique pour que cela devienne une activité contrôlée plutôt qu'une activité interdite.

La SCFA appuie les bonnes intentions des rédacteurs du projet de loi C-6. Cependant, dans sa forme actuelle, ce projet de loi crée plus de problèmes qu'il n'en règle. La SCFA veut aider le gouvernement à améliorer cette mesure législative afin qu'elle soit à l'avantage de tous les Canadiens; nous collaborons à cette fin avec le gouvernement depuis 1995.

Le projet de loi actuel, s'il n'était pas modifié, irait à l'encontre des valeurs des Canadiens en limitant davantage l'accès aux traitements de l'infertilité, en s'ingérant inutilement dans la vie privée des patients stériles et en interdisant les travaux de recherche médicale légitimes qui pourraient être à l'avantage de tous les Canadiens.

Les services de traitement de l'infertilité devraient être financés dans le cadre des régimes de soins de santé provinciaux, pour que tous, peu importe leurs revenus, puissent y avoir accès.

Nous exhortons le Sénat à modifier ce projet de loi afin d'améliorer la santé et le bien-être de tous les Canadiens pour que nous puissions vraiment assurer la santé et la sécurité des Canadiens qui ont recours aux techniques d'assistance à la procréation pour créer leurs familles.

Le Dr Eugene Bereza, président, Comité d'éthique, Association médicale canadienne: Je suis médecin et éthicien clinicien au Centre de santé de l'Université McGill à Montréal et je préside le Comité d'éthique de l'Association médicale canadienne. Notre directeur de l'éthique, le Dr Jeff Blackmer, m'accompagne.

Je représente aujourd'hui l'AMC, mais je prends aussi la parole au nom non seulement des médecins, mais aussi des patients touchés par l'infertilité et de ceux qui souffrent ou souffriront de la myriade de maladies que la science médicale cherche à guérir.

Au cours des dix dernières années, on a assisté à de nombreux débats sur les questions d'éthique et de morale liées à la procréation humaine assistée, mais la dimension santé de la question a été négligée. Il ne faut pas oublier qu'il s'agit de la pratique de la médecine et, avant tout, de la santé des Canadiens. Mes remarques porteront avant tout aujourd'hui sur l'inopportunité du recours aux sanctions pénales pour traiter d'activités médicales et scientifiques. Précisons d'abord que l'AMC ne s'oppose pas à l'interdiction de certaines activités médicales et scientifiques. D'autres intervenants ici aujourd'hui sont en meilleure position pour traiter des préoccupations que suscitent les interdictions proposées dans le projet de loi. Les moyens appliqués pour mettre en vigueur ces interdictions et leurs répercussions possibles sur la capacité des médecins de veiller au mieux-être de leurs patients, voilà ce qui retient notre attention.

Le droit pénal est un marteau-pilon et vous, les parlementaires, savez à quel point il peut être difficile de modifier la loi. Pour certaines activités interdites en vertu du droit pénal, notamment le meurtre et le vol, la question de modifier la loi ne se pose pas. La science de la médecine, pour sa part, évolue constamment, son corpus de connaissances doublant tous les 18 à 24 mois.

Je suis président du Conseil d'éthique en recherche de l'Institut de neurologie de Montréal, et certains des scientifiques qui travaillent à l'Institut me disent que nous en avons appris plus long sur le cerveau humain au cours des quatre dernières années que pendant tout le reste de l'histoire de la médecine.

Étant donné les progrès de la science et de la pratique médicale, ainsi que la difficulté de prévoir les développements à venir, il serait difficile d'avoir à modifier la loi pour retirer des interdictions criminelles à mesure que se transforment la science et la société.

Dans un contexte où l'on interdit des activités médicales et scientifiques, l'Association médicale canadienne est d'avis qu'il ne convient pas d'avoir recours à cette fin au droit pénal car en bout de ligne, cela irait à l'encontre des meilleurs intérêts de nos patients.

Des mesures beaucoup moins draconiennes que la criminalisation devraient s'appliquer aux interdictions, y compris celles prévues dans cette mesure législative. L'AMC propose que l'organisme de réglementation proposé, à l'aide d'information scientifique à jour, détermine les activités autorisées, temporairement ou à plus long terme, et prévoie notamment à cette fin des consultations publiques et des examens éthiques.

Le projet de loi C-6 commence par l'énoncé suivant:

Le texte interdit les techniques de procréation assistée jugées inacceptables sur le plan éthique.

Beaucoup de Canadiens, et en particulier ceux qui sont infertiles, de même que les nombreux médecins qui les soignent, ne considèrent cependant pas que toutes ces interventions ou certaines d'entre elles sont inacceptables sur le plan éthique. L'AMC se demande si les interdictions criminelles conviennent dans le cas d'activités au sujet desquelles les Canadiens ne s'entendent pas du tout sur le plan éthique.

Au Canada, les législateurs ont hésité avec raison par le passé à recourir au droit pénal dans le cas de questions médicales et scientifiques comme l'avortement, le retrait de traitements de maintien de la vie et la poursuite de certaines recherches médicales. Pourquoi faire exception dans le cas de la procréation assistée? Quelles sortes de précédents cette exception établira-t-elle dans le cas d'autres questions controversées en bioéthique, tout particulièrement à ce qui a trait aux soins prodigués aux patients? Et qu'en est-il de l'effet paralysant qu'aura la criminalisation sur la recherche dans cet important domaine?

Voici la plus importante question de l'Association médicale canadienne: a-t-on pensé aux patients? Je ne pense pas simplement aux patients d'aujourd'hui mais également à ceux de demain. Les soins prodigués à l'avenir dépendront de la recherche effectuée aujourd'hui, comme vous le savez parfaitement.

Nous parlons de patients souffrant de problèmes qui pourraient être guéris par une recherche qui se trouve interdite. Faudrait-il leur refuser la possibilité de bénéficier d'une telle recherche?

Le projet de loi C-6 cible injustement les patients et nous jugeons que ses pénalités pour infraction ciblent injustement les médecins et ceux qui oeuvrent dans le domaine de la recherche médicale. Des peines de prison pouvant atteindre dix ans et des amendes maximales de 500 000 $ donneront naissance à un climat de crainte et de précautions excessives chez les médecins et les scientifiques travaillant dans ce domaine. Ces pénalités seront à ce point paralysantes que les scientifiques pourraient éviter toute activité susceptible d'être visée par le projet de loi, même au détriment du soin des patients. C'est ce que nous craignons.

L'AMC reconnaît la bonne foi des parlementaires qui proposent des interdictions légales de certaines activités; nous sommes cependant convaincus dans ce cas que les dommages possibles dépassent les avantages éventuels. Il y a un meilleur moyen d'interdire ces activités, tout en favorisant la recherche importante et les traitements nécessaires. Une chose n'empêche pas l'autre.

Au lieu d'intégrer des interdictions criminelles au projet de loi, l'Association médicale canadienne propose que l'Agence canadienne de contrôle de la procréation assistée se charge de gérer les interventions considérées admissibles. À cette fin, il suffirait de retirer certaines interventions de la liste des activités interdites et de les ajouter aux activités contrôlées. Nous recommandons que des sanctions pénales s'appliquent aux infractions aux directives de l'Agence, notamment à la poursuite d'activités interdites par l'Agence et à la poursuite d'activités contrôlées sans permis. Ce genre d'approche aurait deux avantages: interdire les activités considérées contraires à l'éthique et maintenir la flexibilité nécessaire pour garantir les progrès scientifiques et médicaux légitimes aux fins du traitement de l'infertilité.

Bref, notre principale préoccupation dans notre examen de cette loi est le mieux-être des patients, et dans ce cas, des patients infertiles et de ceux qui souffrent de problèmes pour lesquels la recherche médicale est prometteuse. Nous soutenons les efforts gouvernementaux de réglementation de la procréation humaine assistée, y compris l'interdiction provisoire ou permanente de certaines pratiques au besoin. Nous sommes cependant convaincus que la criminalisation des activités médicales et scientifiques inscrites dans le projet de loi ne constitue pas le moyen approprié pour atteindre ces objectifs. Nous proposons une solution de rechange raisonnable, conforme à l'esprit du projet de loi.

Le Dr Arthur Leader, membre, Société des obstétriciens et gynécologues du Canada: La Société des obstétriciens et gynécologues du Canada vous remercie de lui offrir l'occasion de présenter ses vues sur cette importante mesure législative. Nous tenons à féliciter le gouvernement pour le projet de loi C-6 et proposons que votre comité en fasse rapport au Parlement sans modification.

Le projet de loi traite de questions médicales et scientifiques, éthiques, juridiques et d'ordre public souvent complexes dont on discute cet après-midi et qui feront sans aucun doute l'objet de bien des débats. Nous croyons que cette mesure législative s'impose depuis longtemps. Le projet de loi C-6 est en fait le premier pas vers l'adoption d'une loi et de règlements judicieux sur les plans médical, social, et éthique. La position de la SOGC sur les technologies de procréation assistée est décrite dans la note d'information qui aurait dû vous être distribuée et est énoncée en détail dans la déclaration de principes commune SOGC/SCFA qui a également été distribuée au comité. Je rappellerai dans mon exposé les points forts du projet de loi C-6 qui sont beaucoup plus importants que les faiblesses que certains ont mentionnées plus tôt.

Les principes de la législation sont valables, particulièrement en ce qui a trait à la reconnaissance des avantages de la procréation assistée et la nécessité d'assurer le bien-être de l'enfant, tout autant que la santé et la sécurité de la femme. Le projet de loi comporte une liste clairement définie d'activités prohibées et restreintes. Les besoins en information des personnes ayant recours à la procréation assistée y sont traités et sont estimés essentiels. Les taux de réussite des thérapies de PAP par centre seront accessibles au public et permettront aux femmes de faire des choix éclairés en matière de service. La mise sur pied de l'agence canadienne de contrôle de la procréation assistée, laquelle dispose du pouvoir de réglementer la procréation assistée et la recherche connexe, est un autre point fort de cette mesure législative. La SOGC est d'avis que tout système de réglementation doit être en mesure de réagir efficacement aux modifications rapides que connaissent les sciences et la médecine génésiques et génétiques.

Puisque nous progressons vers l'ouverture du système de don de gamètes, le projet de loi veille à protéger l'identité publique des donneurs de sperme, d'ovules et d'embryons. L'accès des descendants de donneurs aux antécédents médicaux complets de ces derniers y est cependant assuré. Le projet de loi reconnaît l'importance de la recherche dans le progrès des soins aux patients et des connaissances scientifiques. Le projet de loi reconnaît le rôle du remboursement des dépenses dans les programmes altruistes de don de sperme, d'ovules et d'embryons. Enfin, les mesures de contrôle prévues dans ce projet de loi sont semblables à celles prévues actuellement au Royaume-Uni, en Union européenne, aux États-Unis et en Australie.

Toutefois, la SOGC reconnaît que ce projet de loi comporte également des lacunes, et on vous en a déjà parlé. Tout d'abord, tout comme l'AMC et la Société canadienne de fertilité et d'andrologie, nous ne croyons pas qu'il est juste de désigner des procédures médicales et scientifiques particulières comme étant des actes criminels. La nouvelle agence n'est nullement tenue d'élaborer des activités pédagogiques centrées sur les technologies de procréation assistée, la prévention de l'infertilité et d'autres questions pertinentes d'ordre génésique, mais devrait être tenue de le faire tout particulièrement puisque nous avons noté une augmentation du nombre de victimes de l'épidémie de la chlamydia.

Le projet de loi devrait rendre les traitements contre l'infertilité médicalement nécessaires en vertu de la Loi canadienne sur la santé. La SOGC est consciente de l'importance de la structure et de la composition de l'agence en question ainsi que du rôle important que jouent les règlements dans la concrétisation des désirs du Parlement, et nombre de sénateurs l'ont déjà mentionné. L'article 70 du projet de loi prévoit l'examen parlementaire de la mesure législative dans les trois ans suivant la création de l'agence; nous exhortons votre comité à tenir compte des recommandations présentées dans notre mémoire.

J'aimerais passer en revue quelques-unes de ces recommandations: nous recommandons que la structure, la fonction et la composition de l'agence soient modifiées pour inclure des représentants du public, y compris les personnes stériles, nous recommandons qu'elle soit composée de personnes provenant d'une grande variété de disciplines pertinentes, et troisièmement, nous recommandons que l'agence soit indépendante; que son processus décisionnel soit aussi transparent que possible; qu'on s'engage à lancer une consultation générale avant d'adopter des règlements et enfin que l'agence assume une fonction pédagogique auprès du public et des professionnels.

Nous proposons également que l'agence tienne compte lors de la formulation des règlements des travaux déjà effectués par les professionnels de la santé et les scientifiques sur les normes d'accréditation des cliniques de procréation assistée et de surveillance des cellules et des tissus utilisés pour la procréation assistée. Nous croyons qu'il faudrait prévoir un modèle de gouvernance partagée pour l'agence au lieu d'avoir recours au modèle classique. Nous croyons que les règlements devraient assurer un équilibre entre le respect de la vie privée des donneurs de gamètes, des femmes infertiles et des enfants issus de la procréation assistée. Nous proposons que le gouvernement fédéral établisse un système national de dons altruistes/de banques de sperme et d'ovules semblables à ceux qui existent pour le sang et les produits sanguins.

Nous proposons que le counselling soit offert et non pas prescrit. Nous proposons également que les processus d'appel soient décrits en détail dans le règlement, tout comme le sont les processus entourant la délivrance, la modification, le renouvellement et la suspension des autorisations. Enfin, nous proposons que le paragraphe 40(2) ne s'applique qu'à la recherche n'étant pas directement liée aux soins offerts aux Canadiens et aux Canadiennes stériles. Cette disposition devrait réglementer les nouvelles utilisations de l'embryon humain, mais nous craignons qu'un autre processus d'examen des activités d'amélioration de la qualité ralentisse l'application des meilleures idées de recherche aux soins des patients.

En conclusion, la SOGC est la plus ancienne et l'une des plus grosses organisations de médecine spécialisée au Canada. Depuis 60 ans, elle a pour mission de promouvoir la santé reproductive par le leadership, la collaboration, l'éducation, la recherche et la promotion des meilleures pratiques d'obstétrique et de gynécologie. La SOGC et le gouvernement ont suivi un long et tortueux chemin pour parvenir jusqu'ici, mais nous estimons que nous ne sommes qu'au début d'un processus encore plus long visant à créer un mécanisme plus sûr et mieux informé de surveillance de la recherche et de meilleures pratiques cliniques en procréation humaine assistée.

Nous exhortons le comité à faire rapport du projet de loi C-6 sans amendement. Dans vos recommandations sur le projet de loi, nous vous demandons de respecter les personnes stériles et le modèle médical de soins. Comme le taux de natalité du pays atteint maintenant des planchers record, il nous faut adopter une approche équilibrée qui protège les femmes et leurs enfants tout en aidant et soutenant celles qui souhaitent fonder une famille.

Mme Beverly Hanck, directrice exécutive, Association canadienne de sensibilisation à l'infertilité: Honorables sénateurs, je représente l'Association canadienne de sensibilisation à l'infertilité, qui compte actuellement 22 groupes de soutien répartis dans l'ensemble du Canada. Nous avons pour objectif de proposer du soutien et de l'éducation aux patients de façon qu'ils puissent choisir en toute dignité. Nous mettons tout en oeuvre pour réhabiliter le patient qui doit surmonter les nombreux obstacles associés à l'infertilité. Je me suis personnellement entretenue avec des centaines, sinon des milliers de patients sur notre ligne de soutien 1-800, et notre site Web accueille actuellement de 6 000 à 7 000 visiteurs par mois.

Je vous demande d'écouter attentivement le récit de notre expérience, de nos réalisations et de nos espoirs. On a dit que ce projet de loi visait à apporter les garanties dont les patients ont besoin, mais nous considérons que le projet de loi C-6 va avoir pour résultat de fermer de nombreuses portes devant les personnes stériles et d'en ouvrir d'autres à des services non réglementés où la santé, le bien-être et la sécurité de toutes les parties en cause seront menacés.

Si nous ne sommes pas en mesure d'offrir un dédommagement modique aux donneurs en contrepartie de leur temps et des frais qu'ils assument, nous allons perdre des donneurs de gamètes au sein de nos programmes. Est-ce la bonne façon de promouvoir et de protéger la santé, la sécurité, la dignité et les droits de la personne dans l'utilisation de ces technologies? Certainement pas. Nos patients ont été gravement sous-représentés à une période où les parlementaires s'occupaient de questions de clonage et de cellules souches, qui n'ont rien à voir avec la reproduction humaine assistée.

Nous profitons de l'occasion pour expliquer qu'à notre avis, il est totalement inacceptable d'intégrer dans un projet de loi concernant le clonage des procédures de reproduction humaine assistée. Le gouvernement a toujours fait la sourde oreille à cet argument formulé à maintes et maintes reprises.

Les patients infertiles ont besoin de gamètes, de sperme ou d'ovules, et ils ont besoin d'un approvisionnement suffisant en sperme et d'une quantité d'ovules supérieure à celle dont on dispose actuellement. Dans la majorité, sinon dans la quasi-totalité des cas, c'est essentiel au traitement de l'infertilité. La suppression de l'indemnisation des donneurs aura vraisemblablement pour effet d'assurer une élimination quasi totale des approvisionnements. Où les patients vont-ils pouvoir se procurer du sperme et des ovules? Qui peut répondre à cette question? Le gouvernement se l'est-il posée? Peut-il assurer aux patients qu'ils auront accès à un approvisionnement suffisant en sperme et en ovules?

L'adoption du projet de loi C-6 dans sa forme actuelle va condamner les patients infertiles, ceux-là mêmes qui ont besoin de notre aide pour réaliser leur rêve de fonder une famille.

D'après une étude récente, l'une des plus importantes réalisées dans le domaine, la densité des spermatozoïdes chez l'homme a diminué de près d'un tiers depuis 1989. Les conclusions de cette étude corroborent les preuves selon lesquelles un nombre croissant d'hommes risquent d'avoir des difficultés à engendrer. Des chercheurs d'Aberdeen affirment que leurs conclusions, fondées sur 16 000 échantillons de semence prélevés auprès de 7 700 hommes, sont «préoccupantes».

L'Australie, qui applique pourtant une législation sévère et restrictive, fait actuellement de la publicité dans les universités canadiennes pour inciter nos jeunes gens à passer des vacances en Australie. Que leur propose-t-on? Les jeunes étudiants universitaires canadiens sont invités à compléter les approvisionnements de l'Australie en sperme en contrepartie d'un billet d'avion et du remboursement de leurs frais d'hébergement. Les lois australiennes sont-elles efficaces? Et nous, qui allons-nous pouvoir convaincre? Et comment parviendrons-nous à les convaincre? Certainement pas grâce à nos températures de -40.

Par ailleurs, j'ai vu récemment un courriel provenant de la CBC, selon lequel les autorités britanniques s'inquiètent gravement du fait que des patients achètent du sperme par Internet. À mon avis, ce n'est pas non plus la solution.

L'approvisionnement insuffisant des banques de sperme ne peut qu'entraîner ce que l'on connaît déjà dans d'autres pays sous le terme de tourisme de fertilité, c'est-à-dire les voyages de vacances à vocation médicale. Il faut évaluer soigneusement ce que l'on s'apprête à réaliser. Nos patients fortunés pourront aller à l'étranger, où ils auront accès à ce service. Certains patients pourront être contraints de se procurer du sperme dans des pays où ne s'appliquent aucune norme ni aucune réglementation. Pour l'essentiel, le système de soins de santé canadien va renoncer au contrôle du processus qui consiste à proposer aux patients des échantillons contrôlés et sûrs, quitte à en accepter toutes les conséquences sanitaires, à savoir des bébés et des mères qui contractent des maladies infectieuses comme le sida, l'hépatite, la syphilis, et cetera, à cause d'échantillons de sperme infecté et de pratiques médicales douteuses. Peut-on laisser une telle catastrophe se produire? D'autres obtiendront une grossesse en utilisant des semences de donneurs qui n'ont pas subi tous les contrôles médicaux. Les conséquences en matière de transmission de maladies infectieuses et génétiques risquent d'être catastrophiques.

Est-ce que quelqu'un s'est demandé si ce projet de loi ne présentait pas un caractère ethnocentrique? Le gouvernement semble avoir totalement perdu de vue la vaste société multiculturelle qui existe au Canada. Compte tenu des restrictions que le projet de loi C-6 menace d'imposer, les quelques donneurs de sperme d'origine ethnique vont cesser leur don.

Quant aux ovules, ils font déjà l'objet d'une pénurie considérable au Canada et les femmes qui en ont besoin font généralement face à une longue liste d'attente. Il n'est pas raisonnable de prétendre qu'on aura des approvisionnements suffisants et sûrs en sperme et en ovules au Canada si aucune indemnisation n'est permise.

Le partage d'ovules peut apporter une solution à certains couples. Un couple peut obtenir gratuitement une fécondation in vitro en échange du don de quelques ovules dont profitera une autre femme qui a besoin d'un don d'ovules. De toute façon, la donneuse et la bénéficiaire ont une chance d'avoir des enfants qu'elles n'auraient pu avoir autrement, puisque l'une d'entre elles manque d'ovules tandis que l'autre manque de moyen financier.

En ce qui concerne l'Association canadienne de sensibilisation à l'infertilité, il faut bien comprendre que dans la maternité par substitution, le couple achète un service médical professionnel, et non pas un bébé. Qui plus est, nous considérons qu'on ne mettra pas un terme à la maternité de substitution d'ordre commercial, pas plus qu'on a mis un terme à l'avortement. Lorsque l'avortement était illégal, les Canadiennes ont continué à se faire avorter malgré tout, sans garantie et sans norme de protection. Le projet de loi C-6 invite l'histoire à se répéter. La maternité de substitution sans indemnisation va inciter les parents infertiles à conclure des ententes, devenant ainsi une activité occulte. Il serait préférable d'élaborer des critères et des paramètres visant à traiter équitablement toutes les parties et permettant à cette activité de rester légale.

Nous recevons des appels de femmes qui souffrent du syndrome Mayer-Rokitansky. Elles sont nées sans utérus. Pouvons-nous priver ces femmes de la joie de la maternité, alors qu'une maternité de substitution pourrait apporter l'enfant qu'elles désirent naturellement? Il en va de même pour les patientes souffrant de diabète, de la maladie de Crohn, du lupus et du cancer, et des femmes qui ont dû subir une hystérectomie pour cause de maladie.

Les patients veulent que l'on respecte leur vie privée et qu'on les traite avec dignité. Il est indispensable de reconnaître immédiatement la détermination et la persévérance des patients infertiles qui font face à une situation éprouvante. Il faut rendre hommage à leur courage et à leur amour de la famille. Ceux et celles qui demandent des traitements de reproduction assistée revendiquent à tout le moins le privilège de la protection de leur vie privée, au même titre que tous les autres patients qui reçoivent des soins médicaux.

La création d'un registre des patients infertiles constitue une atteinte à la vie privée et aux droits de la personne. Au Canada, il n'existe pas de registre pour quelque autre maladie ou procédure médicale que ce soit. Le projet de loi C-6 exige qu'un couple qui doit faire appel à une banque de sperme ou à une maternité de substitution au Canada devra s'inscrire et inscrire ses enfants auprès d'un organisme fédéral. Leur identité figurera dans ce registre de renseignements médicaux personnels. Combien de personnes stériles souhaitent que leur nom et ceux de leurs enfants apparaissent dans un registre fédéral de l'infertilité? En outre, un registre de ce genre correspond-il à la meilleure utilisation de nos maigres ressources financières destinées à la santé? Il faut par ailleurs se demander si ce registre n'entre pas en conflit avec les principes de la Loi sur la protection personnelle et les documents électroniques, entrée récemment en vigueur.

Veuillez noter que les amendements suivants sont essentiels si nous voulons répondre aux besoins des patients qui ont des problèmes d'infertilité. Il faut continuer d'autoriser le versement d'une indemnité raisonnable aux donneurs de sperme. Le don d'ovules oblige la donneuse à se soumettre à une procédure beaucoup plus longue et envahissante. Il serait donc sage de continuer à indemniser les donneuses, compte tenu du fait que celles-ci doivent chaque fois passer 56 heures dans des établissements de santé. On devrait aussi continuer de permettre le versement d'une indemnité raisonnable aux mères porteuses, pour leur temps et leurs efforts pendant la grossesse.

Il y a une dizaine d'années, la Commission Baird sur les nouvelles techniques de reproduction humaine et de manipulation génétique a consulté 40 000 Canadiens et a conclu qu'une société compatissante devait offrir des services de santé de la reproduction dans le cadre de son système de santé. Quoi qu'il en soit, le nombre de fécondations in vitro par habitant effectuées au Canada est beaucoup moins élevé que dans les autres pays développés, où l'on offre le soutien financier nécessaire pour subir ce genre de traitements.

Ainsi, on dénombre à peine entre 5 000 et 6 000 fécondations in vitro par année au Canada, contre 47 000 en France et 26 000 en Angleterre. La population dans ces deux pays est deux fois plus élevée qu'au Canada.

Chaque Canadien veut conserver sa liberté de choix. Il s'agit vraiment de vivre et de laisser vivre, permettant à tous de continuer à faire des choix éclairés en toute liberté, avec dignité.

Le président: Le Dr Leader a précisé clairement sa position et vous trois avez entendu ce que nous avons dit plus tôt sur votre position lorsqu'il faut choisir entre modifier le projet de loi comme vous le souhaiteriez, l'éliminant ainsi, ou aller de l'avant avec le projet de loi tel qu'il est, malgré ses imperfections.

Si vous aviez ce choix à faire, docteur Green, que feriez-vous?

Le Dr Green: Je citerais le titre du rapport de la Commission royale: Fixer des limites et protéger la santé. Je ne peux pas faire de compromis; je suis médecin. Vous me demanderiez de trahir le serment que j'ai prononcé de rechercher la guérison et d'éliminer la maladie. Je pense qu'il faut bien faire les choses.

Le président: Je comprends.

Le Dr Green: Essentiellement, j'appuie bon nombre des dispositions de ce projet de loi. Si vous lisez mon mémoire, vous constaterez que je fais d'autres propositions tout comme l'a fait le Dr Leader.

Le président: Je posais la question à cause de notre dilemme.

Le Dr Bereza: Je m'excuse je ne vais pas vous donner une bonne réponse. Je peux vous dire ceci: Je ne pense pas que l'Association médicale canadienne m'a envoyé ici pour représenter les médecins canadiens et tuer ce projet de loi. Ce ne sont pas les instructions qu'on m'a données. C'est le cas.

Nous sommes peut-être naïfs, mais nous sommes également persuadés que dans sa formule actuelle, à cause des discussions qu'il suscite, ce projet de loi comporte un si grand nombre de failles qu'il présente des risques considérables et nous comptons sur vous pour changer les choses. C'est peut-être naïf de notre part, mais c'est ce que nous recherchons.

Le sénateur Morin: Je vais donner suite. Est-ce qu'il y a quelqu'un de l'AMC qui peut répondre à cette question? Est- il en faveur d'éliminer le projet de loi ou de le laisser aller de l'avant malgré ses failles? Il représente l'AMC et il nous faut une réponse claire.

Le Dr Bereza: J'aimerais être encore plus clair. J'ai précédé mes commentaires d'une excuse. Alors que mes distingués collègues qui m'ont précédé et qui sont avocats ont réussi à contourner la question, c'est l'exemple d'un cas où un médecin ne peut pas prétendre être omniscient et tout-puissant. Je ne sais pas. Nous n'avons pas pu résoudre votre dilemme. Je vous ai entendu utiliser le mot «dilemme». Je vous fais respectueusement remarquer, mesdames et messieurs les sénateurs, que cette décision vous revient. C'est une question de jugement bien légitime. Je ne peux pas le faire.

Le président: Vous avez tout à fait le droit de présenter les choses ainsi. J'essayais simplement d'obtenir des conseils.

Le Dr Bereza: J'aimerais pouvoir le faire, mais c'est impossible.

Le président: Je comprends. C'est un dilemme parce que vous êtes ici pour représenter un groupe. Vous ne vous représentez pas vous-même.

Mme Hanck: Éliminer le projet de loi.

Le sénateur LeBreton: Votre témoignage est convaincant.

Docteur Green, j'ai déjà entendu ces arguments, tout comme Mme Hanck. J'ai vu la publicité qui attirait nos étudiants en Australie. Vous avez parlé d'une indemnisation raisonnable pour les donneurs de sperme et vous avez dit que 80 p. 100 du sperme vient des États-Unis.

Quelle serait l'incidence de l'adoption de ce projet de loi dans sa forme actuelle sur l'offre en provenance des États- Unis? Quelles procédures sont actuellement en place pour un contrôle approprié du sperme en provenance des États- Unis?

Le Dr Green: Il existe une réglementation sur le sperme. Des dispositions existent qui régissent la transformation, la distribution et l'utilisation du sperme au Canada. Bien que 80 p. 100 de nos approvisionnements viennent des États- Unis, les entreprises américaines qui fournissent le sperme au Canada doivent se conformer à toutes ces exigences, et le Canada a les exigences les plus strictes. Le Dr Leader et moi-même, de même que Santé Canada, avons joué un rôle dans la mise en place de cette réglementation.

Le président: Vous dites que 80 p. 100 des dons de sperme actuels proviennent des États-Unis.

Le Dr Green: Oui.

Le président: Par conséquent, ce changement à la loi canadienne n'aura pas d'incidence.

Le Dr Green: Ce qu'envisage Santé Canada, et il y a ici des représentants de Santé Canada qui pourront me corriger si je fais erreur, c'est que très bientôt, si le projet de loi est adopté, les banques de sperme canadiennes ne pourront plus payer les donneurs. Le montant habituel est de 50 à 75 $.

Le sénateur LeBreton: Et qui paie pour les 80 p. 100 qui viennent des États-Unis?

Le Dr Green: Nous payons lorsque nous nous procurons le sperme d'une banque aux États-Unis. Santé Canada va fermer les banques de sperme au Canada en disant essentiellement: «Vous ne pouvez plus payer vos donneurs». ReproMed est la plus grande banque au Canada. On y a fait un sondage de la clientèle qui a répondu à 70 p. 100 qu'il ne participerait plus dans le programme. Je dirais que nous allons très rapidement perdre notre source canadienne d'approvisionnement.

Le sénateur LeBreton: Vous paierez quand même pour le sperme en provenance des États-Unis.

Le Dr Green: Santé Canada affirme que deux ans, elle ne permettra plus que l'on importe du sperme des États-Unis. Cela nous donnera deux ans pour mettre en place un système altruiste.

Le sénateur LeBreton: Mon autre question s'adresse au Dr Bereza. En ce qui concerne les sanctions pénales, je pense, docteur Bereza, que vous offrez quelques solutions dans votre mémoire. Je suis curieuse de savoir pourquoi lorsque vous parlez de solutions de rechange, Santé Canada n'a pas confié l'application de cette partie du projet de loi à l'agence.

Peut-être qu'un représentant de Santé Canada pourra nous le dire. Chacun d'entre vous, y compris le Dr Leader qui appuie le projet de loi, avez du mal à accepter les sanctions pénales. Lorsque Santé Canada a élaboré ce projet de loi, n'aurait-il pas été préférable de confier à l'agence toute éventuelle interdiction d'ordre criminel plutôt que d'inclure des dispositions à cet effet dans le projet de loi?

Le président: Lorsque nous aurons terminé avec ce groupe, je demanderai aux représentants de Santé Canada de répondre à cette question.

Le Dr Bereza: Je ne sais pas pourquoi Santé Canada n'a pas vu les choses de cette façon. C'est justement ce que nous faisons valoir. Du point de vue de l'AMC, vous auriez pu jouer sur les deux tableaux, à savoir, mettre en place des interdictions et prévoir des sanctions s'il y a infraction. Vous auriez pu avoir tous ces mécanismes en place sans les répercussions négatives qu'entraîne la criminalisation de la médecine.

Le sénateur Robertson: J'ai une question supplémentaire à la première question du sénateur LeBreton. Je me reporte à ce que Mme Hanck dit dans son rapport qui prétend que ce projet de loi va grandement limiter, sinon éliminer, le droit des personnes qui souffrent d'infertilité de choisir les meilleurs traitements, et même menacer la santé des personnes atteintes d'infertilité. De plus, 71 p. 100 des donneurs de sperme ont affirmé qu'ils cesseraient de participer au programme sans indemnisation appropriée, et cetera.

Dans les deux cas, Santé Canada me dit qu'en Grande-Bretagne, en France et ailleurs, où les mêmes interdictions existent, l'offre n'a pas été touchée. Les préoccupations sont extrêmement différentes. J'aimerais que ce soit très clair dans mon esprit, si c'est possible.

Le Dr Leader: En Grande-Bretagne, la HFEA, la Human Fertilization and Embryology Authority, réglemente la conception humaine assistée. Il y a un barème. On dit que le don de sperme est un devoir public et donc il n'y a pas d'indemnité. Toutefois, on dit aussi que de faire partie d'un jury est un devoir public et donc on vous donne la même chose que si vous aviez fait partie d'un jury pendant une journée. Le barème prévoit aussi que si vous habitez à 100 milles, vous avez droit à une allocation de déplacement.

Par conséquent, les gens touchent la même chose qu'avant la mise en place du nouveau régime. Il y a un barème qui prévoit une indemnisation des donneurs de sperme.

Le sénateur Morin: Ils touchent 15 livres.

Le Dr Leader: En plus des frais de déplacement.

Le sénateur Morin: À Londres, c'est 15 livres.

Le Dr Leader: Ça semblerait adéquat.

En Grande-Bretagne, l'agence a récemment annoncé que l'on fera connaître le nom de tous les donneurs de gamète et que cette perte d'anonymat risque d'avoir une incidence beaucoup plus grande. Ici, d'après ce qu'on me dit du droit familial dans les provinces, il ne serait pas permis de faire la même chose.

Dans le cas des donneuses d'ovules, c'est plus compliqué comme on l'a dit, à cause de l'effort que doit faire la femme pour faire un don d'ovules. À Ottawa, les gens font appel à des donneuses d'ovules connues, en général une amie ou une parente, et que les coûts se limitent à la procédure. Nous semblons pouvoir répondre à la demande avec ce genre de régime. Toutefois, ce ne sera peut-être pas le cas dans un plus grand centre tel que Toronto.

En France, il y a un régime national appuyé par le gouvernement français. Si vous présentez un donneur de sperme disposé à donner, vous pouvez faire un retrait de sperme, non pas de ce donneur, mais d'un compte, si vous voulez. Pour chaque échantillon que vous amenez à la banque, vous pouvez en retirer un. Voilà comment les Français gèrent leur régime sans indemnisation.

Le sénateur Morin: Pouvez-nous dire quelque chose des régimes en Australie, en Nouvelle-Zélande et en Suède?

Le Dr Leader: En Suède, on a réglé le problème en faisant connaître les donneurs de spermes, mais sans les rémunérer. J'ai parlé à quelqu'un qui gère la plus grande banque de sperme au Danemark et plus de 60 p. 100 de ses patients viennent de Suède. La Suède a réglé son problème en l'exportant au Danemark. La question soulevée au cours de discussions précédentes sur l'identité et le partage d'information explique pourquoi les gens quittent la Suède. Ils ne veulent pas d'un régime où ils doivent s'identifier ou identifier le donneur. Ce que nous avons dans ce cas-là, dans l'ensemble, c'est un bon compromis entre l'idéal et le moins qu'idéal dans le cas des dons de gamètes.

Le sénateur LeBreton: Docteur Green vous avez mentionné que les régimes d'assurance santé provinciaux ne paient pas pour les traitements de fertilité. Je ne peux que m'imaginer le coût de ce traitement. Pour les membres du comité, pouvez-vous nous dire ce qu'il en coûte pour un couple non assuré par un régime provincial? De combien s'agit-il? Y a- t-il un coût moyen pour réussir?

Le Dr Green: Dans le cas de la fécondation in vitro, le coût de base est de 4,500 $. C'est un peu comme acheter une voiture, car vous pouvez ajouter des options. Si le couple a besoin d'autre chose telle que la fécondation assistée ou l'éclosion d'un embryon, les coûts s'additionnent. Si le couple n'a pas d'assurance médicaments, il peut en coûter 8 ou 9 000 $. S'il a l'assurance médicaments, il peut en coûter 2 000 $ de moins. C'est approximatif. Dans notre clinique, les chances de devenir enceinte sont de 50 p. 100; 50 p. 100 de nos patientes deviennent enceintes avec le premier transfert d'embryons, mais 50 p. 100 ne le deviennent pas. Si au cours de la procédure de fécondation in vitro, elles produisent plus d'embryons que nécessaire pour le transfert d'embryons frais, elles ont des chances additionnelles de devenir enceinte en utilisant des embryons congelés. Dans notre clinique, les chances de tomber enceinte à chaque fois que l'on fait un transfert d'embryons congelés sont de 40 p. 100.

Le sénateur LeBreton: Les couples peuvent-ils se procurer une assurance-santé privée?

Le Dr Green: Non. Certains patients bénéficieront d'une assurance qui couvre les inducteurs de l'ovulation. Dans le cas de l'Ontario, si un certain test révèle que les deux trompes utérines de la femme sont obstruées à un moment donné de sa vie, la province finance trois cycles de FIV, mais non pas les médicaments.

Le sénateur LeBreton: C'est en raison d'un état médical visant l'obstruction des trompes.

Le Dr Green: En effet.

Le sénateur Morin: J'aurais quelques commentaires avant de poser une question au sujet de la situation actuelle. Nous sommes l'un des rares pays où l'on ne connaît pas les résultats des cliniques de fertilité à l'échelle nationale. Il s'agit d'une lacune importante. Aux États-Unis, où aucun système n'est en place, on dispose de tels renseignements.

N'est-il pas vrai que si nous dépendons autant des États-Unis, c'est parce qu'un grave problème s'est manifesté au Canada en 1999 concernant le sperme, qui a été mis en quarantaine? À cette époque, nous avons dû dépendre complètement de sperme en provenance des États-Unis.

Le Dr Green: L'observation est valable.

Le sénateur Morin: C'est notamment à cause de cela que l'on a posé tant de questions à ce sujet. Vous avez parlé du chiffre de 80 p. 100, et je suis étonné que ce fait n'ait pas été relevé.

Le Dr Green: La réglementation visant le sperme a été adoptée en 1996. En 1999, un employé mécontent d'une clinique de fertilité a signalé à Santé-Canada que cette clinique ne respectait pas les lignes directrices. Le gouvernement a mis en application la réglementation concernant le sperme. Les lignes directrices, que j'avais fait modifier pour la Société canadienne de fertilité et d'andrologie décrivaient une façon d'établir une banque de sperme à Ottawa.

C'est sans consultation que le gouvernement avait intégré à la loi le document sur les lignes directrices. Il ne convenait pas de le faire, étant donné qu'il ne s'agissait que de l'une des façons de faire les choses. Il correspondait largement à ce que nous faisions à Calgary, mais nous ne faisions pas exactement ce qui était décrit dans le document. Je ne veux pas dire par là qu'il présentait des dangers.

Le sénateur Morin: Le sperme a tout de même été mis en quarantaine.

Le Dr Green: À ce moment-là, le ministère a envoyé un questionnaire pour déterminer jusqu'à quel point toutes les lignes directrices prévues dans la loi étaient respectées. On a alors constaté que personne au Canada ne le faisait.

Le sénateur Morin: Voilà l'explication. J'aimerais revenir sur la question de la rémunération des donneurs. Le système est soit commercial, soit altruiste. Il faut choisir. Il en va de même de la question du rejet de ce projet de loi: nous l'acceptons ou la rejetons.

Je n'arrive pas encore à cerner la notion d'indemnisation raisonnable. Qu'entend-on par le mot «raisonnable»? Quelle est l'indemnisation raisonnable pour un donneur de rein? Au Canada, certaines personnes meurent en attendant une transplantation de rein. Je suis convaincu que les spécialistes du rein seraient d'accord pour rémunérer les donneurs de rein. Ils ne seraient pas d'accord sur le plan éthique, mais ils le seraient sur le plan pratique, étant donné que cela augmenterait le nombre de donneurs de rein. On peut en dire autant des transplantations de moelle osseuse. Certains préconisent la rémunération des donneurs de moelle osseuse, mais les Canadiens ne sont pas d'accord. Certains enfants meurent de leucémie à cause de l'absence de moelle osseuse compatible pour la transplantation. Je suis convaincu que si l'on offrait une indemnisation raisonnable, on trouverait des donneurs de moelle osseuse. On pourrait en faire autant dans le cas du sang. Je ne vois pas vraiment où est la différence.

Je comprends les arguments des personnes infertiles mais, dans d'autres cas, il est question de vie et de mort. Comme nous l'a signalé le Dr Leader, d'autres pays comme le Royaume-Uni, la France, l'Australie et la Nouvelle-Zélande s'acheminent vers ce genre de solution. Il s'agit d'une tendance. Le monde évolue et les gens n'acceptent pas la commercialisation des parties du corps humain, des tissus, ainsi de suite. Tel est, malheureusement, l'état de la situation. Comme vous le savez, le comité de la Chambre et la Commission royale ont débattu la question à fond. La position de la SOGC est claire sur le plan de l'éthique: non à la commercialisation. Je ne sais pas si votre société a participé au débat concernant l'aspect éthique.

Ce sera donc le principe de l'altruisme ou celui d'une indemnisation raisonnable. Nous devons choisir. La situation est la même que dans les autres exemples que j'ai cités.

Quelle serait votre position sur les interdictions? Ce que vous avez dit n'était pas clair, docteur Bereza. Retireriez- vous toutes les interdictions que comporte le projet de loi du Code criminel?

Le Dr Bereza: Oui, sénateur.

Le sénateur Morin: Cela voudrait dire que des inspecteurs feraient respecter des dispositions réglementaires en visitant les cliniques et fermeraient au besoin celles qui auraient, par exemple, introduit du sperme animal dans un ovule humain, introduit un embryon humain dans le corps d'un animal, ou effectué un clonage. De telles pratiques ne relèveraient donc pas du Code criminel, tout en étant répugnantes sur le plan moral. Lorsqu'il est question d'actions que toutes les religions jugent répugnantes comme le meurtre, l'inceste ou le viol, je suis étonné qu'elles ne devraient pas relever du Code criminel, étant donné qu'elles répugnent à tous les Canadiens.

J'aimerais maintenant aborder le fait que vous avez déclaré que la procréation assistée était une procédure médicale parmi tant d'autres. Il me semble qu'elle est complètement différente et donc qu'elle devrait être traitée de façon différente.

Cette procédure concerne la création de la vie humaine.

Je sais que les avis sont partagés sur l'état de l'embryon, mais tout le monde est d'accord pour dire qu'il s'agit d'une première étape vers l'état de personne humaine. De nombreuses personnes, qui constituent une minorité d'importance au Canada, estiment que l'embryon est un être humain. C'est pour cela que j'estime que cette procédure doit être traitée de manière différente. Il est inexact de dire qu'elle ne diffère pas des autres procédures médicales ou actes médicaux et qu'elle doit relever de la réglementation et des organismes professionnels.

Je ne suis pas certain d'avoir bien compris ce que disais le Dr Green et le Dr Bereza au sujet de la recherche, à savoir qu'elle serait désormais impossible et cetera. Parlons-nous strictement du clonage thérapeutique? Est-ce le seul aspect où la recherche est impossible? Tout le reste de ce domaine demeure assez ouvert du point de vue de la recherche. Le clonage thérapeutique est une procédure bien précise. Les travaux de laboratoire de la Corée du Sud n'ont pas été reproduits. Les gens s'interrogent à leur sujet.

Le président: Je vous prie d'aboutir à votre question.

Le sénateur Morin: Ma question est posée.

Le Dr Green: J'estime que le clonage thérapeutique et la recherche sur les cellules souches n'en sont qu'à leur tout début, mais je suis convaincu que les travaux à cet égard vont finir par porter fruit.

Le sénateur Morin: Oui, mais la recherche sur les cellules souches est autorisée dans le...

Le Dr Green: J'ai précisé qu'il était question de transfert de noyaux de cellules somatiques, ou de clonage thérapeutique. Il s'agit d'un domaine de recherche très prometteur. Je crois bien que vos témoins vont vous le répéter au cours des prochaines audiences. Vos témoins vont vous le dire: le clonage thérapeutique, combiné à la recherche sur les cellules souches, pourrait donner lieu à l'une des plus grandes percées médicales de l'histoire.

Le sénateur Morin: Je suis d'accord. Cependant, la recherche sur les cellules souches est autorisée tandis que le clonage thérapeutique ne l'est pas. Cependant, de là à dire que ce genre de recherche est impossible, selon votre expression...

Le Dr Green: Non, je n'ai pas dit que ce genre de recherche était impossible.

Le sénateur Morin: Donc, votre commentaire ne vise que le clonage thérapeutique.

Le Dr Green: Je fais partie d'un milieu universitaire. Je me conforme à toutes les lignes directrices qui me concernent. Ce que je dis, c'est que ce projet de loi ne ferait obstacle qu'au clonage thérapeutique. Par contre, si le projet de loi n'est pas adopté, les activités en cours vont se poursuivre. En théorie, le clonage thérapeutique pourrait avoir lieu.

Le sénateur Morin: Le clonage et...

Le Dr Green: Non, clonage de reproduction. Je ne connais aucun scientifique digne de ce nom — et vous avez dit la même chose dans votre discours au Sénat à l'étape de la deuxième lecture en octobre...

Le sénateur Morin: Mais ce sont des extraterrestres.

Le Dr Green: Ce ne sont pas des scientifiques.

Le sénateur Roche: Je tiens à remercier les témoins de leur comparution. Leurs témoignages ont été fort instructifs. Monsieur le président, j'estime qu'ils ont donné une nouvelle dimension à la question.

Le président: Je suis d'accord.

Le sénateur Roche: Avant cette rencontre, j'estimais que les représentants de la société de fertilité étaient favorables au projet de loi, du fait qu'il allait aider à résoudre les problèmes des couples infertiles. C'était l'idée que je me faisais avant d'arriver ici. Je constate maintenant que les experts en fertilité s'opposent au projet de loi. Voilà qui ajoute une nouvelle dimension à la question, comme je l'ai dit. Je croyais, en abordant nos délibérations d'aujourd'hui, que c'était la recherche sur la production de cellules souches qui causait le plus de difficulté. Maintenant, il y a une nouvelle dimension.

En posant en premier lieu ma question au Dr Green — ce qui ne veut pas dire que j'exclus les autres témoins — je tiens à les assurer tous que nous ne voulons aucunement nous décharger de notre responsabilité collective qui est d'adopter ou de rejeter le projet de loi. Mais si nous leur posons ces questions, c'est parce que leurs opinions sont très importantes et que nous constatons qu'il y a ici des spécialistes dont l'avis est partagé.

Le Dr Bereza parle de graves vices de fond mais hésite pourtant à recommander le rejet du projet de loi. J'imagine que c'est parce qu'il ne se sent pas investi de ce pouvoir. C'est d'ailleurs ce qui m'amène à recommander à notre président de demander à l'Association médicale canadienne de se prononcer de façon définitive sur le projet de loi. Personnellement, cette prise de position m'influencerait énormément.

Le président: Je veux bien le demander, mais je serais sidéré de recevoir une réponse.

Le sénateur Roche: D'accord. Quoi qu'il en soit, Mme Hanck nous demande résolument de rejeter le projet de loi, tandis que le Dr Leader nous demande de l'adopter sans amendement.

C'est le Dr Green qui représente pour moi le dilemme le plus intéressant. Il a suggéré un amendement qui, s'il était adopté, lui permettrait de se satisfaire plus ou moins du projet de loi. Malheureusement, si nous devions renvoyer le projet de loi amendé à la Chambre des communes, je suis convaincu que celle-ci ne nous le retournerait pas au cours de la législature actuelle, ce qui reviendrait dans les faits à torpiller le projet de loi. Je veux bien croire qu'un nouveau projet de loi déposé lors d'une prochaine législature pourrait être grandement amélioré, mais je ne voudrais pas être hanté par le spectre d'un projet de loi que nous aurions coulé.

Pour le Dr Green, le projet de loi tel qu'il est actuellement libellé fait plus de tout que de bien. C'est ce que je l'ai entendu dire, et cela m'a beaucoup impressionné. C'est le jugement que nous devons rendre. À mon point de vue, ce projet de loi-ci contient des éléments positifs, mais aussi des éléments négatifs. Comment faire pour pondérer le tout? La Société canadienne de fertilité et d'andrologie est d'avis, pour sa part, qu'il fera plus de tort que de bien.

Je vous demande donc ceci: si nous ne présentions pas d'amendement, quelle serait votre opinion du projet de loi tel qu'il est actuellement libellé? Que diriez-vous de sa validité?

Le Dr Green: À mon avis, le projet de loi contient d'excellents aspects et de bonnes dispositions. Le Dr Leader et moi-même, et d'autres, avons au fil des ans accordé tout notre appui à Santé Canada pendant la gestation du projet de loi. Toutefois, j'ai consulté la Société canadienne de fertilité et d'andrologie, et ses 500 membres ont tous eu l'occasion de se prononcer. Ils ont dit que le projet de loi faisait plus de tort que de bien, car il compromettrait les soins que nous accordons à nos patients, et nos patients nous disent qu'ils n'en veulent pas. Par conséquent, si vous me demandez si j'appuie le projet de loi et ce qui arriverait s'il devait être torpillé, je vous répondrai qu'il coulera avant que nous cédions sur la question des amendements. Nous, nous exigeons des amendements.

Le sénateur Roche: Moi aussi, j'aimerais bien que le projet de loi soit amendé. Lorsque le ministre a comparu plus tôt, je lui ai demandé s'il accepterait, par voie d'amendement, d'interdire la recherche sur les cellules souches embryonnaires, et il a refusé. Par conséquent, je ne crois pas que le gouvernement acceptera quelque amendement que ce soit, ce qui revient à dire, comme je l'ai dit plus tôt, que ce sera à nous, du Sénat, de nous prononcer. Nous ne vous demandons de vous substituer à nous.

Monsieur le président, j'adresse ma dernière question à Mme Hanck. Vous dites que ce projet de loi fermera la porte pour aux patients infertiles et les condamnera irrémédiablement. En tant que non-initié, je trouve les mots un peu durs. C'est vous-même qui avez utilisé le terme et dit qu'il condamnera les patients souffrant d'infertilité. Vous avez également, ce qui était intéressant, affirmé qu'il mènerait à de l'ethnocentrisme, ce qui apporte une nouvelle dimension qui ne m'avait pas frappé à propos de ce projet de loi. Monsieur le président, les témoignages de ce soir sont des plus intéressants. Je veux demander à Mme Hanck si elle accepterait de nous expliquer pourquoi elle a dit que le projet de loi «condamnerait» irrémédiablement les gens souffrant d'infertilité, car si tel est le cas, cela justifierait sans doute que nous hésitions à adopter le projet de loi.

Mme Hanck: Comme je le disais, je parle à des centaines de patients qui appellent notre ligne d'aide sans frais. Ce qui ressort sans cesse clairement des demandes et des besoins exprimés c'est qu'un grand nombre de femmes atteintes de diverses maladies ont besoin d'ovules et qu'il y en a très peu de disponibles. On peut en obtenir un à McGill, mais il faut attendre cinq ans.

Certaines de ces femmes ont 35 ans; elles ne peuvent se permettre d'attendre cinq ans. Je pense que nous serions mieux disposés à accepter ce projet de loi s'il y avait un système altruiste efficace en place, mais ce n'est pas le cas. Lorsqu'on demande aux fonctionnaires de Santé Canada ce qu'ils comptent faire, ils nous répondent: «Eh bien, nous y réfléchissons. Vous devez faire de la publicité».

En outre, des médecins m'ont dit que le sperme d'hommes âgés de plus de 40 ans est davantage associé à des problèmes neurologiques chez les bébés. C'est un autre facteur; tout cela est compliqué.

Le sénateur Roche: Ça, vous pouvez le dire.

Le Dr Leader: Il y a un certain nombre de problèmes. Le premier étant qu'à l'heure actuelle la réglementation au Canada est comparable à celle de la Bulgarie, du Bangladesh, de l'Équateur, du Salvador, de la Corée et de la Roumanie. Tout comme le Canada, ces pays n'ont ni lignes directrices ni lois. Si ce projet de loi n'est pas adopté, chacun fera ce que bon lui semblera, malgré ce que certains en disent. Que les Canadiens soient ou non intéressés à aller de l'avant, c'est une activité commerciale pour ceux qui les entreprennent. Ils sauront profiter de l'absence de réglementation.

Malheureusement, il faut des interdictions législatives. M. Rivard et d'autres m'ont expliqué que le gouvernement fédéral n'a pas le droit d'intervenir dans ce domaine sauf au moyen du droit criminel, ce qui est malheureux. Soyons francs, les provinces n'ont pas envie de réglementer cette question. L'Ontario aurait pu le faire au moyen de la Loi sur les établissements de santé autonomes, il y a déjà quelques années. Je pense que les sanctions pénales sont malheureusement nécessaires.

Le président: Étant donné l'angoisse et la vive opposition suscitée par ce projet de loi, il est facile de comprendre pourquoi les provinces laissent volontiers au gouvernement fédéral le soin de s'en occuper.

Le sénateur Roche: Docteur Bereza, vous comparaissez ce soir à titre de président du Comité d'éthique et vous avez exprimé votre opinion de votre mieux, mais je sens que vous hésitez à prendre une position définitive. Vous nous avez très bien expliqué la faiblesse du projet de loi. Lorsque j'ai proposé de demander à l'Association médicale canadienne d'exprimer une opinion définitive, le président, et d'autres peut-être ont pensé que ce serait peut-être difficile à faire.

Le président: Soyons clairs, j'ai dit à leur directeur des relations gouvernementales que j'aimerais une réponse à la question. J'ai également dit que je ne serais pas surpris de ne pas en obtenir une, mais que nous devions poser la question.

Le sénateur Roche: Puis-je raisonnablement vous demander, docteur Bereza, de transmettre cette demande aux dirigeants de l'Association médicale canadienne envers qui je ressens un profond respect, en tant que non-initié? J'ai besoin de leurs lumières. Seriez-vous prêt à demander à l'Association médicale canadienne d'exprimer une position définitive à l'égard de ce projet de loi? Puis-je raisonnablement vous demander cela, monsieur?

Le Dr Bereza: Oui, tout à fait, mais je promets seulement de faire de mon mieux pour convaincre le conseil d'administration et les autres de vous répondre.

Le sénateur Roche: Pouvez-vous vous en charger assez rapidement?

Le président: J'ai dit que j'aimerais qu'elle exprime son appui ou son opposition, ou alors qu'elle déclare ne pas vouloir répondre. Nous aimerions une réponse définitive, quelle qu'elle soit, avant la fin de nos audiences.

Le sénateur Roche: C'est-à-dire dans une semaine.

Le sénateur Keon: Le Dr Leader dit qu'il croit qu'il faudrait établir un système de don altruiste. On nous a dit que les gens sont vraiment préoccupés par le nombre d'embryons créés. Apparemment, il existe maintenant des médicaments qui permettent de prélever de 30 à 40 ovules chez une seule femme. Le domaine est si nouveau qu'on pourrait avoir le même genre de problèmes qu'on a eus dans le cas des dons de sang, et cetera.

Vous, vous connaissez très bien le domaine, mais ce n'est pas le cas de l'ensemble de la population. Elle n'y est pas encore sensibilisée et on n'a pas mis sur pied les programmes d'éducation qu'il aurait fallu.

Le Dr Green a mentionné que cette intervention devrait être considérée comme un acte médicalement nécessaire. Il est très inquiétant que toute cette affaire se passe en dehors du système de soins de santé et qu'elle ne soit pas réglementée. Nous entendons des histoires d'horreur au sujet de certaines cliniques.

Pour en revenir aux déclarations du sénateur Morin, nous devons vraiment faire quelque chose. Vos témoignages ce soir ne sont qu'un infime exemple de l'information dont nous sommes inondés. Vous êtes tous très bons dans votre domaine, mais vous avez tous des opinions différentes.

Le Dr Green: Sauf votre respect, la dernière fois que j'ai vérifié, 40 p. 100 du sang qui se trouve dans notre système de collecte et de distribution provient des États-Unis où les donneurs se font payer. Voilà pour notre système altruiste canadien.

Le sénateur Morin: Ce n'est pas le cas au Québec.

Le Dr Green: Le Québec fournit son propre sperme également, sénateur. Il ne veut pas l'obtenir des États-Unis.

Le sénateur Morin: Permettez-moi de dire que c'est le meilleur.

Le Dr Green: C'est justement ce que j'allais dire.

Il est faux de dire que les cliniques de fertilité ne sont pas réglementées. Par exemple, cette année, nous avons été agréés par le Conseil canadien d'agrément des services de santé, tout comme l'Hôpital Civic et l'Hôpital Général d'Ottawa. Ce sont les mêmes personnes qui s'occupent du même processus d'agrément.

En outre, Santé Canada inspecte le sperme que nous obtenons de donneurs. Il y a environ huit mois, nous avons été agréés par l'Alberta College of Physicians and Surgeons.

Le sénateur Morin: Pourquoi n'y a-t-il pas de résultats?

Le Dr Green: Nous obtenons des résultats. Chaque année, la Société canadienne de fertilité et d'andrologie publie dans un communiqué les résultats globaux.

Le sénateur Morin: Ça ne veut rien dire. Quels sont les résultats par clinique? Nous sommes un des rares pays où ces données ne sont pas connues, mais avec ce projet de loi nous aurons ces résultats.

Le Dr Green: À la dernière assemblée générale de la Société canadienne de fertilité et d'andrologie, tenue à Victoria en novembre, les directeurs se sont engagés à préparer des données pour chaque clinique. Nous avançons à peu près à la même vitesse que le gouvernement.

Le Dr Bereza: À une question du sénateur Keon, vous avez donné une réponse partielle, disant que nos témoignages sont un petit exemple d'opinions très divergentes. Je vois les choses un peu autrement. Je pense que ce sont des dilemmes légitimes qui nous obligent à exercer notre jugement pour déterminer quels avantages nous souhaitons obtenir et quels risques nous souhaitons éviter. Cela étant dit, je vois les choses autrement. Je n'ai entendu personne dire que la criminalisation était une bonne idée. Tous étaient contre. Tout le monde a dit que les dispositions du projet de loi qui interdisent certains gestes comportent de sérieuses faiblesses. J'ai entendu un seul organisme dire sans équivoque que le projet de loi devrait être adopté.

Le sénateur Morin: C'est quand même le plus important. L'AMC ne s'est pas prononcée.

Le Dr Bereza: Je voulais simplement répondre au sénateur Keon qui disait qu'il y a d'importantes divergences. Il n'y en a peut-être pas tant que cela. Il n'y a qu'une personne qui a dit sans équivoque que le projet de loi devrait être adopté dans sa forme actuelle.

Le sénateur Keon: Je pense que vous avez raison. Je pense que personne n'est satisfait de ce projet de loi. Cependant, ils sont nombreux aussi à dire que la situation actuelle ne peut plus durer.

J'ai dit que ce projet de loi avait été mal rédigé et qu'il aurait dû être divisé en deux projets de loi et peut-être plus. Toutefois, de nombreux témoins nous ont dit que nous ne pouvons plus simplement attendre. Il faudra peut-être trouver le moyen de corriger les faiblesses du projet de loi plus tard. Nous devons avancer.

Le sénateur Callbeck: Je voudrais poser une courte question sur les cliniques de fertilité. Docteur Green, vous en avez parlé il y a un instant lorsque vous avez mentionné l'agrément. J'ai entendu dire que ces cliniques ne sont pas réglementées et qu'elles ne font l'objet d'aucune inspection, puis j'entends dire que Santé Canada fait des inspections dans certaines d'entre elles. Vous dites que vous êtes agréés, du moins en Alberta. Quelle est la situation?

Le Dr Green: Tout organisme qui manipule du sperme de donneurs est inspecté par Santé Canada, généralement tous les deux ans. En Alberta, nous sommes inspectés tous les deux ou trois ans par le Collège des médecins et des chirurgiens de la province qui s'assure que nous respectons les règles qui s'appliquent aux cliniques. Le troisième agrément — et le plus important — est ce à quoi le Dr Leader et moi-même, la SCFA et la SOGC, travaillons depuis 1992. Nous avons le même agrément, tout comme sept autres cliniques de traitement de l'infertilité du pays, et 13 autres cliniques se sont engagées à suivre ce processus au cours des deux années à venir. Comme je l'ai signalé tout à l'heure, il s'agit du même processus d'agrément qui s'applique à l'Hôpital Civic ou à l'Hôpital général d'Ottawa. C'est la même organisation. Il n'y a pas d'obligation légale. Les cliniques le font sur une base volontaire. Nous sommes très surveillés.

Le sénateur Léger: Je dois préciser que, tout comme le sénateur Roche, je suis une profane dans ce domaine. Je voudrais tout d'abord vous remercier, docteur Bereza, de nous rappeler la nature du dilemme auquel nous sommes confrontés. C'est notre responsabilité. Même si je ne suis pas une spécialiste, je suis sénatrice, ce qui me rend la tâche difficile. Par ailleurs, j'ai entendu de nombreux plaidoyers présentés au nom des patients.

Après avoir entendu tous les points de vue, nous devons aller de l'avant, sinon la commercialisation risque de prendre le dessus. On nous a dit que ces interventions pourraient coûter 9 000 $, si je ne m'abuse, et qu'il y aurait une amende 500 000 $ si les coupables de certains délits se font prendre. Tout cela me semble bel et bien commercial.

Il existe également des risques pour les professionnels. Il y a la recherche universitaire. Il faut soupeser les dangers scientifiques par rapport aux applications chez l'être humain. C'est une question extrêmement grave.

J'en viens à ma question. Je suis d'une génération où les familles avaient souvent 9, 12 ou 15 enfants. Qu'est-il arrivé? Pourquoi la baisse du nombre de spermatozoïdes? Pourquoi la diminution du nombre d'ovules? Pourquoi l'infertilité est-elle si fréquente de nos jours? Je sais bien que ce n'est pas le sujet de nos discussions et que cette question n'est pas abordée dans le projet de loi, mais j'aimerais bien savoir ce qui arrivé. Et c'est arrivé rapidement.

Le Dr Leader: Les gens de votre génération et des générations précédentes se mariaient probablement beaucoup plus jeunes. L'âge moyen au Canada, l'âge moyen de la mère à la première naissance est 30 ans. Il y a 10 ans, c'était 28 ans, et il y a une trentaine d'années, c'était vers 25 ans. Or, la fertilité diminue avec l'âge. De plus, ces femmes plus âgées épousent des hommes plus âgés.

Le président: Pour mettre les choses en perspective, la donnée démographique qui a changé le plus radicalement depuis 25 ans au Canada est l'âge des femmes à la naissance de leur premier enfant. Si on pense à la taille de l'échantillon, le fait que cet âge soit passé de 22 ans à 30 ans, et c'est ce qui est arrivé grosso modo au cours des 25 dernières années, est un changement absolument renversant dans la nature de notre société. Tous ceux qui ont des enfants vous le diront.

Le sénateur Léger: Mais ces personnes de 15 à 30 ans, elles doivent avoir beaucoup d'ovules et beaucoup de spermatozoïdes, n'est-ce pas?

Le Dr Leader: Oui, mais elles utilisent des moyens de contraception. Elles se marient plus tard, parce que les femmes peuvent faire carrière, ce qui est fort heureux, et qu'elles retardent le moment de fonder une famille jusqu'à un âge où leur capacité de reproduction diminue. Par ailleurs, nous sommes exposés à plus de toxines, comme la fumée de cigarette, l'alcool et les substances toxiques présentes dans l'environnement, qui se répercutent sur notre fonction reproductrice. Mis ensemble, tous ces facteurs expliquent la baisse de la fertilité. L'aspect économique a également été étudié. Les gens comprennent que le fait d'avoir moins d'enfants permet de jouir d'un meilleur niveau de vie. Beaucoup de raisons expliquent ce phénomène. Le changement a été vraiment extraordinaire. Notre taux de natalité est maintenant bien inférieur au taux de renouvellement de la population, si bien que les couples infertiles revendiquent le droit d'avoir des enfants au moment même où nous avons besoin qu'ils le fassent.

Le président: Je remercie tous nos témoins. Je demanderais aux fonctionnaires de Santé Canada de nous faire parvenir, par écrit, la réponse à nos deux questions, d'ici mercredi prochain.

Pourquoi avez-vous choisi l'option du Code criminel? Quelles autres options avez-vous étudiées? S'agissait-il de la seule option qui, comme l'a dit le Dr Leader, s'offrait à vous dans les domaines de compétence fédérale? J'aimerais connaître les autres options qui ont été examinées et rejetées, et savoir pourquoi elles l'ont été.

Deuxièmement, quant à la remarque faite par Mme Hanck voulant que si l'on interdit la commercialisation, il sera très difficile d'obtenir un approvisionnement adéquat en sperme et en ovules, et quant à votre réponse dans un précédent témoignage sur le fait que d'autres pays ont des systèmes soi-disant altruistes, j'aimerais connaître les données sur les résultats, quel que soit le terme correct pour désigner ces résultats, pour les pays qui ont de tels systèmes.

Si nous pouvions avoir ces données en main avant mercredi prochain, cela serait très utile. Merci beaucoup.

Nous avons presque terminé; il nous reste une question. Je crois qu'à 20 heures, sénateur Roche, il est difficile de tenir une séance à huis clos. Permettez-moi de mettre mes collègues au parfum de l'affaire dite Chaouilli. La Cour suprême a accepté un certain nombre d'intervenants qui représentent la gauche, le centre et la droite. Les requérants veulent un système privé parallèle. Ils ont reçu l'appui de certaines cliniques privées, dont la clinique Cambie dirigée par le Dr Brian Day, entre autres. À l'extrême gauche, vous avez la Coalition canadienne de la santé, les coalitions antipauvreté et le Congrès du travail du Canada qui sont contre toutes mesures visant à apporter des changements au système. D'une certaine façon, à l'extrême centre, se trouvent ce comité ainsi que l'Association médicale canadienne qui défendent ardemment l'idée d'une garantie des soins. Il y a des variantes d'importance très secondaires, mais il s'agit essentiellement de la même position. Nous ne disons absolument rien dans ce rapport que nous n'avons pas dit dans le cadre du litige. Il s'agit principalement des chapitres 5 et 6 qui ont été comprimés pour respecter les exigences relatives à la longueur du mémoire. Franchement, on est témoin de la démagogie de la gauche, telle que représentée par la Coalition canadienne de la santé — quand nous faisions autre chose —, telle que représentée entre autres par Svend Robinson, par opposition à la démagogie de la droite. Ceux qui se trouvent au centre sont l'Association médicale canadienne, l'Association canadienne d'orthopédie et notre comité. Je crois que si la Cour suprême a accepté toute cette gamme d'opinion, c'est parce qu'elle garantit un éventail authentique de tous les points de vue. J'ai répondu dans le Globe and Mail lorsqu'on m'a demandé de le faire. Avez-vous été satisfait de cela?

Le sénateur Fairbairn: Tout à fait.

Le président: Nous devons comprendre qu'au fur et à mesure que cette affaire se rapproche les attaques de la gauche, qui sont franchement tout à fait illogiques, vont continuer. Je ne crois pas que nous puissions y faire grand-chose.

Le sénateur Fairbairn: Si vous ne l'avez pas fait, lisez cet article. Le premier article que j'ai lu récemment portait sur le fait que le Sénat et certains sénateurs appuyaient...

Le sénateur Roche: J'invoque le Règlement, monsieur le président. Je suis très respectueux des questions qui sont soulevées, mais je crois vraiment que cette discussion devrait avoir lieu à huis clos.

Le sénateur Fairbairn: Nous sommes en réunion publique.

Le président: Je m'en rends compte mais après cinq heures, c'est difficile.

Le sénateur Roche: Je comprends que les gens ne veulent pas avoir une réunion à huis clos après cinq heures de séance, mais nous devons tenir une réunion à huis clos pour discuter de cette situation. Les observations que je vais faire, je veux les faire à huis clos.

Le président: C'est très bien. J'essayais de mettre nos collègues au parfum de l'opinion de la Cour suprême sur ces différentes questions.

La séance est levée.


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