Aller au contenu
SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 1 - Témoignages du 19 février 2004


OTTAWA, le jeudi 19 février 2004

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi C-6, Loi concernant la procréation assistée et la recherche connexe, se réunit aujourd'hui à 11 heures pour étudier ce projet de loi.

[Traduction]

M. Daniel Charbonneau, greffier du comité: Honorables sénateurs, je dois vous informer de l'absence du président et du fait que le vice-président nous quittera bientôt pour prononcer une allocution. Conformément au Règlement du Sénat, on m'a demandé de présider à l'élection d'un président suppléant. Je suis prêt à recevoir les candidatures.

Le sénateur LeBreton: Je propose que le sénateur Yves Morin soit élu président suppléant pour cette réunion.

M. Charbonneau: Honorables sénateurs, adoptez-vous cette motion?

Des sénateurs: D'accord.

Le sénateur Yves Morin (président suppléant) occupe le fauteuil.

Le président suppléant: Merci. Certains d'entre nous ont une réunion spéciale à 13 heures, ce qui signifie que nous devrons suspendre nos travaux un quart d'heure auparavant. Nous avons suffisamment de temps, mais je voulais vous le préciser.

Avant de commencer, j'aimerais souligner que Sonya Norris, recherchiste à la Bibliothèque, travaille à ce projet de loi depuis 12 ans. Elle compte parmi les experts du domaine au Canada. Elle est prête à rencontrer les sénateurs qui voudront de l'information générale sur le projet de loi ou des éclaircissements sur un point particulier, en ce qui a trait aux cellules souches ou à quoi que ce soit d'autre. Ce projet de loi est complexe et technique, de sorte que si vous souhaitez rencontrer Sonya, appelez-la au 995-3475. Téléphonez-lui et elle vous rencontrera à votre bureau. Elle est très serviable.

Sénateurs, ce matin nous accueillons un groupe d'experts. Nous suivrons l'ordre indiqué à l'ordre du jour. Chaque témoin parlera pendant environ dix minutes et après le dernier témoin, nous aurons une période des questions. J'ai le plaisir d'accueillir en votre nom Mick Bhatia, du Robarts Research Institute à London.

M. Mick Bhatia, directeur, Robarts Research Institute: Je vais commencer par me présenter. Je fais essentiellement de la recherche fondamentale dans le domaine biomédical, au Robarts Research Institute. J'ai récemment été nommé directeur du groupe de biologie des cellules souches et de médecine régénératrice, et je suis professeur agrégé à la faculté de médecine.

À l'heure actuelle, j'agis comme expert-conseil, sans intérêt financier, auprès de quelques entreprises qui travaillent dans le domaine des cellules souches aux États-Unis — Geron, Advancell, Chiron et Biopure. Toutefois, récemment, je me suis orienté vers le domaine des cellules souches provenant d'embryons humains. Je crois que mon laboratoire a publié les trois seuls articles jugés par des pairs dans le domaine des cellules souches provenant d'embryons humains. C'est de cet aspect du projet de loi que je vous entretiendrai.

Dans le contexte du projet de loi, je parlerai surtout de l'emploi des souches cellulaires existantes, des cellules souches embryonnaires et de la création de nouvelles cellules souches à l'aide d'éléments du corps humain servant à la reproduction. À titre introductif, je commencerai par vous donner ma propre perspective des cellules souches. L'un des emplois, celui qui est à mon avis le plus évident et incontestable pour la plupart des gens, est celui des possibilités de traitement. Je ne vais pas m'arrêter sur cette question, mais je vais préciser que les cellules souches ont la capacité de devenir des types de cellules mûres qui peuvent être transplantées et, par conséquent, remplacer des cellules endommagées par une blessure ou une maladie génétique.

J'ai pensé insister sur les aspects méconnus des cellules souches, c'est-à-dire leur emploi pour comprendre les processus biologiques fondamentaux, comment les cellules décident de se transformer pour appartenir à un type ou à un autre, de reprendre leur croissance ou de mourir. Certains de ces processus ne peuvent pas être étudiés avec d'autres cellules; les cellules souches sont donc indispensables pour comprendre ce phénomène biologique.

En outre, les cellules souches offrent une occasion unique de comprendre l'expression génétique et protéinique. On ne peut pas le faire avec d'autres types de cellules, qui n'expriment pas ces gènes particuliers; les cellules souches offrent donc des possibilités de développement que n'offrent pas les échantillons humains.

Au sujet du projet de loi, cependant, cela ne nous dit pas quelles cellules souches seraient nécessairement les meilleures. J'ai pensé que je les diviserais en deux groupes. Il y a d'abord, assurément, les cellules de souris, d'où provient l'essentiel de nos connaissances sur les cellules souches; il y a par ailleurs les cellules humaines. Dès qu'il est question de cellules souches, on songe à diverses possibilités. L'une de ces possibilités, c'est évidemment les cellules de souris. Les modèles de souris et l'utilisation de cellules souches de souris nous permettent d'acquérir de riches connaissances, mais il y a quelques difficultés à comprendre dans quelles mesures les connaissances sur la souris permettent de prédire le comportement chez les humains. Certains exemples sont très clairs. Cela inclut la pharmacothérapie pour lutter contre le cancer, qui n'a pas vraiment été couronnée de succès dans le scénario clinique, alors que cela donne de très bons résultats chez la souris. Il existe un immense besoin de trouver des modèles de prévision. Par conséquent, les cellules souches de souris, même si elles nous fournissent de l'information, ne sont pas très utiles si nous voulons une application directe.

La deuxième possibilité est l'utilisation de cellules humaines, mais de l'autre type de cellules souches, nommément les cellules souches adultes. Un bon exemple serait les cellules de la moelle osseuse qui fabriquent le sang. On les transplante déjà dans plusieurs organes et il se fait donc déjà au Canada des transplantations de cellules souches. L'une des difficultés dans l'utilisation des cellules souches, à mon avis, c'est le fait qu'il y a un grand écart entre la quantité de tissus qu'il est possible de donner et le grand nombre de personnes qui ont besoin d'une greffe. Par conséquent, le nombre de cellules est limité. On a fait beaucoup de travail pour essayer de cultiver ces cellules et de les faire se reproduire en grand nombre pour compenser cette déficience; cependant, les cellules souches adultes ont un potentiel de croissance limité. Par conséquent, le problème est d'obtenir suffisamment de cellules à transplanter.

Une idée qui a suscité beaucoup d'enthousiasme dans le monde entier, c'est la possibilité que les cellules souches sanguines puissent produire non seulement du sang, mais aussi d'autres types de cellules, par exemple des cellules du foie, des neurones du cerveau, et diverses autres cellules. Toutefois, on a démontré récemment qu'il s'agit là d'un événement extrêmement rare qui est probablement limité à des modèles expérimentaux très étroitement définis chez la souris. De plus, on a montré que beaucoup de laboratoires sont incapables de reproduire certaines découvertes antérieures, ce qui rend très difficile d'aller plus loin et d'étudier le phénomène au niveau du processus fondamental, ou même de laisser entendre qu'il pourrait être utilisé à un niveau clinique.

Cela nous laisse une dernière possibilité, nommément les cellules souches embryonnaires humaines, dont il est question dans ce projet de loi. La fonction immunitaire de ces cellules est très faible et le rejet n'est pas aussi énergique qu'il le serait dans le cas de cellules souches adultes. Telle est la différence entre les propriétés des cellules adultes et embryonnaires. De plus, les cellules souches embryonnaires ont une très forte croissance. Elles peuvent croître presque indéfiniment en milieu de culture, dans une soucoupe, et les problèmes qui se poseraient dans le cas des cellules adultes n'existent certainement pas pour les cellules souches embryonnaires humaines, ce qui est l'une de leurs propriétés intrinsèques.

Encore plus important est le potentiel de développement unique des cellules souches embryonnaires. Elles peuvent devenir de multiples types de cellules. Elles peuvent être utilisées, ou l'on pense en tous cas qu'elles peuvent être très importantes, dans la transplantation de ces types de cellules dans des patients qui souffrent d'une maladie ou d'une lésion.

Encore une fois, j'insiste sur le fait qu'en plus de les utiliser directement, parce que l'on peut différencier ou changer ces cellules dans un modèle expérimental, et à titre de scientifique qui s'intéresse à la question, j'estime que nous pouvons apprendre à partir des cellules souches beaucoup de choses qui pourraient ensuite être applicables à l'utilisation des cellules souches adultes d'une manière que nous n'aurions jamais pu prédire. Cela devient presque un outil nous permettant d'acquérir une connaissance des cellules souches embryonnaires humaines qui pourrait potentiellement être ensuite appliquée au scénario des cellules souches adultes.

Si l'on se penche maintenant sur les cellules souches embryonnaires humaines, il est certain qu'il y a déjà des cellules souches qui sont disponibles. Les États-Unis avaient fait savoir à l'origine qu'ils possédaient plusieurs lignées cellulaires qu'ils étaient disposés à distribuer. Après l'annonce faite le 9 août 2001 par le président Bush, on a bloqué la création de nouvelles lignées, tout au moins en utilisant les fonds du National Institutes of Health.

Le problème des lignées existantes est que même si le laboratoire possède actuellement six lignées que nous avons pu importer de différents endroits, chacune d'elles réagit d'une manière complètement différente. C'est donc très difficile à étudier. C'est la propriété inhérente de ces cellules.

De plus, à l'origine, on avait affirmé qu'il y avait 98 lignées cellulaires disponibles, mais en fin de compte, ce nombre a été réduit à seulement 11. Il semble maintenant qu'il n'y en a vraiment que quatre qui peuvent réellement être utilisées d'une manière reproductible. Il y en a donc très peu et l'accès est également difficile.

Beaucoup de ces lignées cellulaires ont été élaborées un peu partout dans le monde en utilisant des processus ou des valeurs, y compris les formulaires de consentement, qui ne correspondent pas vraiment à ce que le Canada voudrait établir comme pratique au terme des lignes directrices des Instituts canadiens de recherche en santé et aux termes de ce projet de loi. De plus, une grande partie du financement provenait de compagnies, et puis il y a beaucoup de contraintes qui pèsent sur l'utilisation de ces cellules, sur la liberté des chercheurs universitaires et les ententes de transfert de matériaux qu'il faut signer, et cetera.

D'un point de vue plus pragmatique, toutes les lignées cellulaires actuellement disponibles sont par ailleurs, à mon avis, contaminées par des protéines bovines ou de souris, ce qui rend très difficile de croire que l'on puisse les transplanter dans des patients, parce que ces cellules pourraient être considérées comme des cellules d'espèces différentes ou des xéno-organismes.

D'un point de vue canadien, il est nécessaire de mettre au point de nouvelles lignées de cellules souches embryonnaires qui seraient libres de ces contraintes.

J'ajoute qu'à l'heure actuelle, si l'on compte les travaux publiés et non publiés, il y a 11 pays dans le monde possédant d'un à sept laboratoires qui sont déjà en train de reproduire des lignées cellulaires. Dans mon bref témoignage d'il y a quelques mois, j'ai dit que le Canada avait l'occasion de prendre de l'avance dans le domaine des cellules souches embryonnaires humaines. Aujourd'hui, la situation a changé du tout au tout. Beaucoup d'autres pays ont déjà pris de l'avance. Compte tenu du projet de loi à l'étude, pour que nous puissions être au moins à la hauteur de ces autres pays, nous devons obtenir une décision ferme sur la manière dont nous allons procéder dans ce dossier, en allant de l'avant ou en marquant un temps d'arrêt, dans un domaine de recherche qui m'apparaît d'une extrême importance.

M. Clément Persaud, professeur de biotechnologie à la retraite, témoignage à titre personnel: Honorables sénateurs, j'ai fait distribuer un document auquel je vous demanderais de vous reporter pendant mon allocution. Si vous voulez bien le consulter, je vais le passer rapidement en revue.

Comme je le dis à la page 2, je vais traiter des aspects suivants: la recherche sur les embryons, la science et l'éthique. Je ferais la proposition que la destruction d'embryons pour l'obtention de cellules souches n'est pas nécessaire et que les cellules souches du sang, du cordon ombilical et de la moelle épinière représentent une solution de rechange valable.

Je vais commencer par la définition d'un «zygote». Un zygote est la cellule qui résulte de l'union d'un ovule et d'un spermatozoïde. Un zygote, c'est le début d'un nouvel être humain, un embryon. Ce point de vue a été énoncé par Moore et Persaud — aucun lien de parenté — pour bien faire ressortir qu'un être humain commence à ce moment-là. C'est une définition scientifique: c'est une entité scientifique qui n'a aucun rapport avec des considérations religieuses.

Cela étant dit, je voudrais passer en revue les actes interdits dans le projet de loi C-6. Le paragraphe B dit qu'il est interdit de:

Créer un embryon in vitro à des fins autres que la création d'un être humain ou que l'apprentissage ou l'amélioration des techniques de procréation assistée.

Cela laisse entendre que nous allons légiférer la création d'embryons uniquement à des fins d'études ou d'enseignement. Je peux imaginer qu'un jour, j'aurai — je demande votre indulgence car cela peut sembler dramatique, mais on me permettra cette licence — 20 étudiants dans mon laboratoire et je leur dirai: «nous avons vingt embryons: voyons comment ils peuvent survivre. Vous en prenez 10 et vous en prenez 10 autres, et l'on comparera ensuite les résultats». La définition vient de le dire: «ce sont des êtres humains».

Le corollaire de cela, c'est que nous faisons des expériences avec des êtres humains innocents et sans défense, chacun étant à l'image de son créateur et possédant des caractéristiques uniques. Cette approche consiste purement et simplement à créer des embryons pour les jeter ensuite, et c'est un affront à notre humanité.

Qu'est-ce que je propose comme solution de rechange? Il y a des solutions de rechange. Par exemple, il y a des scientifiques à l'Université de Guelph qui utilisent des embryons de chien pour en tirer des cellules souches. À Ottawa, le Dr Jay Baltz, à l'Institut de recherche en santé d'Ottawa, utilise des embryons de souris pour étudier le recaptage de l'acide aminé glycine et a obtenu des résultats intéressants, à savoir que cela peut causer un grossissement des embryons et peut faciliter une éventuelle implantation ou même en augmenter les chances de réussite.

J'ai une suggestion à faire aux membres du comité, en vue d'ajouter quelque chose aux actes interdits. Il s'agirait d'ajouter la sélection d'embryons pour l'obtention de caractéristiques spécifiques. Par exemple, des parents peuvent s'adresser à une clinique, si nous ne comblons pas cette brèche, et le scientifique leur dira: «Voici un embryon doté d'un complexe de gènes pour un individu de petite taille, et voici un autre embryon doté celui-là d'un complexe de gènes pour un individu de grande taille». Les parents pourraient dire: «Nous allons prendre l'embryon doté du gène de la grande taille». Cela ne change pas le génome ou la lignée génétique; c'est seulement une sélection d'une certaine caractéristique. Vous conviendrez, j'en suis certain, que nous ne sommes pas loin de l'eugénisme.

Ce qui m'inquiète le plus, dans les actes interdits, c'est que la loi proposée permettrait le maintien d'un embryon à l'extérieur du corps d'une personne de sexe féminin après le 14e jour de son développement à la suite de la fécondation. Jusqu'au 14e jour, l'embryon peut être détruit pour en extraire les cellules souches. Je crois que cela va trop loin. Puis-je me lever pour que tous puissent bien voir ceci? Je sais que c'est approximatif, mais disons que ceci représente un embryon; à la seule fin de faire valoir mon argument, ceci pourrait être un embryon d'une semaine. Disons qu'il compte environ 200 cellules en tout. Ce que nous proposons, c'est de couper ou de détruire cet embryon. Quand on fait cela, on regarde à l'intérieur et voici ce que l'on peut y voir après environ une semaine: on aurait ici les cellules souches, appelées masse cellulaire intérieure.

Honorables sénateurs, après une semaine, cet embryon a déjà commencé à se différencier. Le placenta est formé. La couche interne formera éventuellement le bébé. Nous sommes en présence d'un embryon d'une semaine. Même si l'on prenait les cellules souches embryonnaires, si l'on s'en servait pour en tirer des percées médicales, et il est possible que cela arrive, il n'en demeure pas moins que nous serons toujours confrontés à la question fondamentale: cela vaut-il le prix de la destruction d'êtres humains?

À la page suivante, on trouve une comparaison entre les cellules embryonnaires et les cellules souches adultes, mais j'attire votre attention sur un fait qui est apparu assez récemment dans la littérature. Après une croissance de plusieurs mois en laboratoire, les cellules souches embryonnaires humaines acquièrent des anomalies génétiques. Les cellules ont acquis des morceaux supplémentaires du chromosome 12 ou 17. Cela a été constaté par Andrews, en Grande-Bretagne, et James Thomson, qui est l'un des pionniers de la culture des cellules souches.

À la page suivante, je traite des cellules souches adultes, qui sont au nombre de trois, les cellules souches périphériques du sang, les cellules souches du sang du cordon ombilical, et les cellules souches de la moelle épinière. Je suis personnellement d'avis que nous avons là trois des domaines de recherche les plus passionnants sur des cellules souches non embryonnaires. Les résultats sont probants. Je dois dire également que les travaux évoluent constamment et qu'il est bien possible que l'on bute sur des difficultés, mais à l'heure actuelle, ces travaux débouchent sur les meilleurs résultats thérapeutiques. Je n'en mentionnerai qu'un seul, qui a soulevé beaucoup d'enthousiasme dans la communauté des cardiologues. En Allemagne, aux États-Unis et à Ottawa, des cardiologues ou scientifiques ont pris des cellules souches du sang ou de la moelle épinière, les ont transformées et les ont injectées dans le coeur de patients, et l'on a constaté en Allemagne que le coeur battait mieux après l'injection de cellules souches. Il semble que les cellules souches se sont greffées avec succès et fonctionnement normalement.

Reste à savoir maintenant quelles sont les attitudes des Canadiens? En voici un aperçu. Si l'on en croit un récent sondage Léger effectué en octobre 2003, sur 1 500 répondants, 21 p. 100 ont déclaré que la recherche sur les cellules souches ne pose pas de problème, qu'il s'agisse de cellules provenant d'embryons ou d'autres sources; 37 p. 100 ont dit préférer des sources autres que les embryons; à partir du moment où ils ont appris — et c'est important — que les cellules provenant d'embryons nécessitaient la destruction d'embryons, 33 p. 100 ont dit qu'ils étaient contre, jugeant que c'était inacceptable. Si vous ajoutez les deux derniers chiffres, 70 p. 100 des Canadiens, si l'on en croit ce sondage, ont déclaré que l'extraction de cellules souches d'embryons n'est pas un procédé satisfaisant, qu'il s'agit même de quelque chose d'inacceptable.

C'est ce qui m'amène donc à proposer d'interdire la recherche sur les embryons et la destruction d'embryons, puisqu'elles soulèvent des problèmes d'ordre moral et social qui, à mon humble avis, l'emportent sur des considérations scientifiques et utilitaires, malgré la réglementation et le consentement éclairé. En fait, selon un principe immuable de moralité, nous ne devrions jamais adopter un processus indéfendable dans l'espoir qu'il devienne défendable. Il ne suffit pas de réglementer un processus non pertinent ou indéfendable — ni d'exiger un consentement éclairé à son sujet — pour le rendre convenable.

Je propose un moratoire de trois ans sur la destruction d'embryons ou l'extraction de cellules souches en attendant les résultats provenant des cellules souches adultes. C'est ainsi que je conclus mon exposé. Cette question dépasse le cadre de la science, puisqu'elle touche également l'éthique, la moralité et la justice; il faut débattre de toutes ces réalités ainsi que des considérations médicales et scientifiques, que je respecte malgré tout. Je termine en faisant mention de la sagesse de Salomon qui déclarait que nous devons défendre ceux qui ne peuvent se défendre eux-mêmes, juger avec équité et défendre les droits des pauvres et des nécessiteux; par ailleurs, les lois que nous proposons devraient être compatissantes.

M. Samuel Weiss, professeur, Université de Calgary: Honorables sénateurs, merci de me donner l'honneur et le privilège de comparaître devant votre comité pour vous donner quelques-unes de mes impressions au sujet du projet de loi C-6, Loi concernant la procréation assistée. Avant de faire des commentaires sur le projet de loi et sur certains de ses articles en particulier, veuillez me permettre de vous donner un bref aperçu de la raison pour laquelle je pense que l'on m'a demandé de comparaître.

Je suis spécialiste des sciences fondamentales et je cherche à comprendre comment le cerveau est formé et comment il peut être régénéré après une blessure ou une maladie. En 1992, mon laboratoire a été le premier au monde à découvrir des cellules souches adultes dans le cerveau des mammifères, notamment chez les souris. Au cours des 12 dernières années, des cellules souches adultes ont également été trouvées dans les cerveaux humains et les efforts mondiaux en matière de recherche laissent entendre que ces cellules souches peuvent faire partie d'une nouvelle approche en matière de régénération et de réparation du cerveau. Vous avez peut-être entendu des scientifiques ou des non-spécialistes suggérer que les cellules souches adultes du cerveau et les cellules souches adultes de la moelle osseuse peuvent être reprogrammées pour produire d'autres cellules comme des cellules sanguines, et cetera. Toutefois, je devrais indiquer, en ma qualité de biologiste de cellules souches adultes, que la plupart des études actuelles montrent que l'utilisation la plus probable de cellules souches adultes du cerveau vise la réparation des tissus dont elles sont extraites.

Mes activités et intérêts professionnels dans le domaine des cellules souches ne portent pas uniquement sur le cerveau et c'est pourquoi j'ai joué avec d'autres un rôle actif afin que l'on comprenne mieux la réalité des diverses cellules souches d'âges et de tissus différents, ainsi que la façon dont elles peuvent être utilisées pour faire progresser la santé et le bien-être des Canadiens. J'ai appris que dans certains cas évidents — je vais m'attarder sur l'un d'eux dans un instant — les cellules souches provenant d'embryons peuvent permettre d'espérer la guérison de maladies autrement incurables et débilitantes. Cela me pousse par conséquent à croire que nous sommes aux avant-postes de la recherche sur les cellules souches, notamment au Canada où des études parallèles sur les cellules souches adultes et provenant d'embryons offrent le plus grand espoir pour les millions de Canadiens qui souffrent de maladies dévastatrices. C'est dans ce contexte que je comparais devant vous aujourd'hui.

Le projet de loi C-6 est à mon avis important et fondamental pour les Canadiens. Protéger la santé et le bien-être des Canadiens et assurer la dignité et la protection de la vie humaine sont un objectif essentiel. La création d'une agence de contrôle qui surveille les activités relatives à la procréation est importante et perspicace; toutefois, je considère toujours que plusieurs articles du projet de loi méritent un examen plus approfondi, puisque sous leur libellé actuel, ils risquent en fait d'aller à l'encontre des principes déclarés du projet de loi.

Les alinéas 5(1)a)et b) sont ceux qui me préoccupent le plus, puisqu'ils interdisent et criminalisent la création d'un clone humain ou d'un embryon in vitro, à des fins autres que la création d'un être humain selon des techniques de procréation assistée. Je soutiens que cet article et ces deux alinéas notamment, peuvent aller à l'encontre du principe de promotion de la santé humaine.

Pour ce qui est de l'alinéa 5(1)a) pour commencer, je conviens effectivement que l'on ne devrait pas permettre la création de clones humains pour produire des copies identiques d'êtres humains, passés ou présents. Par contre, interdire complètement la création de clones humains selon la définition de la version actuelle du projet de loi engloberait l'interdiction de la création de cellules semblables à celles provenant d'embryons qui permettent en fait de générer de nouveaux tissus susceptibles d'être transplantés sans rejet. En outre, si la science des cellules souches adultes du cerveau de l'être humain, par exemple, devait progresser jusqu'au point où il serait possible de programmer ces cellules de façon qu'elles agissent comme des cellules provenant d'embryons — sans compter la possibilité de produire bien d'autres types de cellules —, cet article pourrait être interprété comme interdisant et criminalisant leur utilisation. Est-ce l'intention du projet de loi? Est-ce dans le meilleur intérêt des Canadiens? Je dirais que non.

En ce qui concerne l'alinéa 5(1)b), je suis sûr que vous connaissez tous l'impact dévastateur du diabète tant sur les enfants que sur les adultes qui ont la malchance d'avoir cette maladie, auparavant incurable. Cette maladie pousse à un compromis de taille en ce qui concerne la qualité et la durée de vie de ceux qui en sont atteints et qui, toute leur vie, dépendent d'injections quotidiennes d'insuline. En outre, je suis sûr que vous savez que l'incidence du diabète parmi les Autochtones du Canada atteint des proportions épidémiques. Vous avez peut-être entendu parler du Protocole d'Edmonton pour le diabète, réalisation canadienne connue dans le monde entier, qui montre pour la première fois qu'il est possible de guérir le diabète en transplantant des cellules des îlots pancréatiques de donneurs, permettant ainsi aux receveurs de vivre longtemps et normalement. Malheureusement cependant, alors que des milliers de Canadiens supplient leur médecin d'avoir accès à cette thérapie, ceux qui peuvent être traités sont extrêmement peu nombreux, car les cellules des îlots pancréatiques ne peuvent à l'heure actuelle être extraites que de cadavres sains, c'est-à-dire de personnes qui ont fait don de leurs organes après la mort.

Par ailleurs, il se peut fort bien que seules les cellules souches provenant d'embryons puissent générer les cellules des îlots pancréatiques saines qui pourraient améliorer la santé et assurer une longue vie à des milliers de Canadiens. Autant que nous le sachions, il n'y pas de cellules souches adultes qui peuvent générer de cellules des îlots pancréatiques. L'alinéa 5(1)b) limitera — voire même empêchera — la guérison de nombreux Canadiens diabétiques. Ceux qui ont les ressources financières voulues pourront choisir d'aller à l'étranger pour bénéficier de cette thérapie prometteuse, tandis que des milliers d'autres continueront à souffrir.

En outre, — et je le répéterai lorsque je vous ferai part de mes préoccupations au sujet d'un autre article — il est probable que les pionniers d'Edmonton, et d'autres, seront contraints de déménager aux États-Unis ou en Europe, où le clonage thérapeutique et la création d'embryons humains en vue de générer des cellules souches vont probablement continuer d'être réglementés sans toutefois être interdits ou criminalisés. Là encore, je soutiens que cet alinéa ne respecte pas les principes du projet de loi.

Fort de mon expérience de leader universitaire, je sais que si l'on critique une proposition, on doit en proposer une autre. Je propose soit de revoir et corriger l'article 5 pour faire la différence entre l'utilisation de clones et/ou l'utilisation d'embryons in vitro à des fins thérapeutiques, cette dernière activité devenant réglementée plutôt qu'interdite, soit de prévoir des dispositions pour revoir ces activités interdites dans un avenir raisonnablement proche.

Ce qui m'inquiète enfin, c'est l'article 11 en vertu duquel combiner une partie ou une proportion du génome humain avec une partie du génome d'une autre espèce est une activité contrôlée exigeant une autorisation. Ces 25 dernières années, les progrès réalisés dans le domaine des technologies de recombinaison de l'ADN ont permis de faire des recherches incroyables à propos des maladies humaines et d'y trouver une thérapie. En particulier, le transfert d'éléments minuscules d'ADN humain dans des souris, ce qui a donné les souris transgéniques, représente le fondement de la recherche dans le domaine des maladies génétiques et la découverte de nouvelles guérisons dans des centaines de laboratoires et de sociétés de biotechnologie de notre pays.

Si, chaque fois qu'une nouvelle expérience de cette nature était envisagée, il fallait obtenir une nouvelle autorisation, l'importance et la compétitivité des activités biomédicales du Canada en pâtiraient considérablement. En outre, un autre groupe de chercheurs et d'entrepreneurs quitterait probablement notre pays. Là encore, je suis convaincu que ce n'est pas le but de cet article. Je propose donc de rédiger de nouveau cet article afin de préciser le matériel génétique envisagé, par exemple, des chromosomes entiers, qui peuvent être considérés comme pouvant donner des caractéristiques humaines à une espèce non humaine.

Pour terminer, permettez-moi de résumer: selon de nombreux sondages récemment effectués dans notre pays et dans le monde entier, il apparaît clairement que les non-spécialistes comprennent la différence entre d'une part la manipulation d'embryons humains et de matériel de procréation à des fins non thérapeutiques et d'autre part, la manipulation à des fins thérapeutiques. Interdire et criminaliser indéfiniment de telles activités, c'est-à-dire l'utilisation et/ou la création de clones humains et/ou d'embryons in vitro à des fins thérapeutiques aura les résultats suivants: premièrement, on limitera de façon irréversible la capacité du Canada de produire et d'offrir à ses citoyens l'espoir de guérison de maladies dévastatrices grâce à des cellules souches; deuxièmement, on diminuera la capacité des scientifiques canadiens, tant dans le secteur public que privé, de soutenir la concurrence avec leurs homologues dans le monde entier; troisièmement, on portera préjudice à la position future du Canada dans le domaine de la prestation des soins de santé et à celle des industries développantes qui dépendent des biotechnologies biomédicales fondées sur le savoir, ce qui à l'avenir placera le Canada au rang des pays du Tiers monde.

Je sais que ce n'est pas votre intention, ni celle du projet de loi C-6 et, par conséquent, je vous incite à vous pencher de près sur ces questions.

Dr Ronald Worton, président-directeur général et directeur scientifique, Institut de recherche d'Ottawa: Merci, honorables sénateurs, de me donner la possibilité d'être parmi vous aujourd'hui. Je vous ai transmis une lettre que j'adresse à tous les sénateurs et vous devriez en avoir copie. Je l'ai écrite avant d'avoir reçu votre invitation à venir aujourd'hui et cette lettre visait davantage à vous renseigner qu'à exprimer un point de vue particulier. J'ai pensé qu'il serait utile de faire en sorte que vous ayez cette lettre avant la séance d'aujourd'hui. Je ne vais pas la lire, car elle est longue, mais j'ai pensé la résumer et souligner certains des points essentiels.

Je suis chef du Réseau de cellules souches. Je ne fais plus personnellement de recherche sur les cellules souches même si j'en faisais beaucoup sur les cellules souches adultes provenant de la moelle osseuse.

Le réseau a été mis sur pied il y a près de trois ans en réponse à la demande du gouvernement de créer un réseau de centres d'excellence. Notre objectif consiste à faire de la thérapie à base de cellules souches une réalité dans notre pays, d'une manière qui ne heurte ni la compréhension ni les points de vue de la population canadienne et, bien sûr, du Parlement du Canada.

Le réseau a décidé de façon tout à fait délibérée d'englober un groupe de personnes qui ne sont pas uniquement des spécialistes des sciences fondamentales travaillant sur les cellules souches, même si vous venez juste d'entendre deux de ces personnes aujourd'hui même. Il comprend également des cliniciens qui traitent des patients chaque jour pour des maladies qui pourraient faire l'objet de thérapie à base de cellules souches; citons la maladie de Parkinson's, la maladie d'Alzheimer, le diabète dont vous venez juste d'entendre parler, la dystrophie musculaire et d'autres.

Le réseau comprend également des spécialistes des sciences sociales, des éthiciens, des avocats et des professeurs de droit qui ont réfléchi sur certaines de ces questions et si je ne me trompe, deux d'entre eux vous ont adressé la parole hier — Mme Maria Knoppers et Tim Caulfield.

Le réseau cherche à regrouper toute l'expertise nécessaire pour prendre de bonnes décisions et agir de façon responsable.

Dans ma lettre, je passe beaucoup de temps à faire la distinction entre une cellule souche embryonnaire par rapport à une cellule souche adulte, ainsi que les avantages de chacune; je ne vais pas maintenant revenir sur ce point. Je tiens toutefois à souligner que sous son libellé actuel, le projet de loi permettrait d'obtenir de nouvelles cellules souches embryonnaires d'embryons très précoces produits in vitro et congelés une fois que les couples à l'origine de ces embryons ont eu le nombre d'enfants qu'ils souhaitaient.

En fait, le modèle que l'on vous a montré il y a quelques minutes, c'est l'étape du blastocyte dans lequel se trouvent des cellules souches embryonnaires. Je tiens à souligner que ces embryons, s'ils ne sont pas utilisés pour la recherche, sont en général éliminés — même si ce n'est pas nécessairement la règle — ou sont congelés, car les couples qui ont eu le nombre d'enfants qu'ils souhaitaient ne s'en serviront pas et ces embryons ne produiront pas d'êtres humains.

À mon sens, il ne s'agit pas de détruire la vie humaine, mais plutôt d'utiliser quelque chose qui de toute façon va être éliminé, puisque le potentiel en est énorme. Je crois que les avantages sont considérables et je vais d'ailleurs y revenir dans un instant.

Je suis d'accord avec M. Weiss lorsqu'il dit que le projet de loi C-6 est important. C'est en effet un projet de loi que l'on attend depuis longtemps et dont on s'occupe, dans un certain sens, depuis la Commission royale Patricia Baird, depuis donc 12 ans; on en discute activement depuis maintenant trois ans. Il prévoit un cadre de réglementation à l'intérieur duquel les scientifiques peuvent travailler, et il respecte dans une très vaste mesure les souhaits du gouvernement et des Canadiens.

Ce n'est pas un projet de loi parfait. Vous avez entendu M. Weiss ainsi que M. Bhatia, dire qu'il prévoit certaines interdictions qui, d'un point de vue scientifique sont troublantes, car elles peuvent nous empêcher d'avancer vers de nouvelles thérapies qui pourraient devenir très importantes à l'avenir. Il n'est pas parfait parce que d'autres, bien sûr, considèrent que même l'utilisation d'embryons créés in vitro pose un problème, même si ces embryons ne vont pas être utilisés pour créer la vie.

Dans ma lettre, je vous donne un bref historique de la situation. Je ne vais pas non plus m'y attarder.

Il faut revenir au début des années 60, lorsque mes directeurs de doctorat, James Till et Ernest McCulloch de l'Institut du cancer de l'Ontario, à Toronto, ont découvert les cellules souches dans la moelle osseuse — les cellules souches sur lesquelles travaillent M. Bhatia et dont elle vous a parlé.

Je fais mention dans ma lettre de Sam Weiss que vous venez juste d'entendre, qui a découvert des cellules souches neurales dans le cerveau; de Derek van der Koody à Toronto, qui a découvert les cellules souches rétiniennes dans l'oeil; et de Freda Miller, anciennement de l'Institut neurologique de Montréal, qui travaille maintenant au sein de l'Hospital for Sick Children de Toronto, qui a découvert des cellules souches en mesure de fabriquer du tissu nerveux à partir de la peau.

Le Canada a joué un rôle important dans le domaine de la recherche sur les cellules souches adultes et continue sur cette lancée. En fait, la plupart des membres de notre réseau travaillent sur les cellules souches adultes qui représentent le gros de nos recherches; autant dire que nous sommes donc vivement intéressés par les cellules souches adultes. Nous voulons également pouvoir travailler avec d'autres genres de cellules souches provenant d'embryons, car tout porte à croire qu'elles peuvent, à long terme, se prêter à des usages thérapeutiques. Elles sont dotées d'une plus grande capacité de produire une grande variété de tissus et de se reproduire indéfiniment par division cellulaire tout en présentant d'autres caractéristiques, ce qui rend leur utilisation séduisante.

À long terme, nous serions ravis si les cellules souches adultes s'avéraient des cellules de choix et que nous pouvions travailler uniquement avec elles. Cela éliminerait la nécessité de travailler avec des embryons, mais nous n'en sommes pas encore là. Sur le plan scientifique, nous ne pouvons pas encore tirer cette conclusion. Il nous faut pouvoir travailler avec des cellules souches d'embryon de même qu'avec des cellules souches adultes et comparer leurs propriétés respectives afin de vraiment comprendre leurs différences.

Sous sa forme actuelle, la mesure proposée nous permettrait de faire cela. Evidemment, nous pourrions uniquement obtenir des cellules embryonniques à partir d'embryons issus de la fertilisation in vitro qui ne sont plus nécessaires à des fins de procréation.

Je vais vous donner certains exemples de l'utilisation de cellules souches adultes pour générer divers tissus:on peut prendre une cellule souche de la moelle épinière qui fabrique normalement le sang et s'en servir pour traiter une maladie musculaire, ou encore prendre une cellule souche du muscle et s'en servir pour s'attaquer à un trouble du cerveau. Certaines expériences menées entre 1998 et 2001 ont d'ailleurs été fort prometteuses à cet égard. Des expériences subséquentes, comme l'ont signalé mes deux collègues, n'ont pas tenu leurs promesses. D'ailleurs, il est ressorti que des artéfacts étaient présents dans certaines des premières expériences. Je ne dis pas cela pour critiquer ces expériences ou les scientifiques qui les ont effectuées. C'est simplement la réalité scientifique. C'est ainsi que progresse la science; on fait des découvertes initiales qui, par la suite, nous amènent à procéder à des expériences plus poussées pour vérifier les résultats obtenus dans un premier temps.

Je persiste à croire qu'il demeure possible qu'il y ait une certaine plasticité entre les tissus et que l'on puisse se servir des cellules souches d'un tissu pour traiter les maladies afférentes à un tissu différent. J'espère encore que nous serons en mesure d'utiliser les cellules souches de la moelle épinière pour traiter la dystrophie musculaire chez les enfants. Je travaille dans le domaine de la dystrophie musculaire depuis 15 ans et je rêve qu'un jour nous serons en mesure de corriger ce défaut, de générer de nouveaux muscles et de permettre à ces enfants de quitter leur fauteuil roulant, de marcher de nouveau, ou même de respirer.

Certaines expériences ont fait la démonstration de l'existence d'une plasticité d'un tissu à l'autre. L'une des pionnières dans ce domaine est Catherine Verfaillie. Je crois que le comité l'a invitée à témoigner, mais je suis sûr qu'il aurait été difficile pour elle de venir. Nous avons été en contact fréquent avec la Dre Verfaillie. Nous avons même obtenu une déclaration de sa part il y a environ un an. Même si c'est une chercheure dévouée qui a étudié les cellules souches adultes, elle a déployé de grands efforts pour voir si l'on ne pourrait pas se servir des cellules souches de la moelle épinière pour traiter les maladies touchant d'autres tissus. Elle est la première à dire que cela ne signifie pas nécessairement que les cellules souches adultes soient la réponse. Elle ne le sait pas encore, et nous ne le savons pas encore non plus. Elle souhaite fortement pouvoir utiliser les cellules souches embryonniques une fois que nous aurons déterminé de façon concluante quelle est la meilleure approche.

Sommes-nous en présence d'un battage publicitaire ou d'une véritable source d'espoir? Un peu des deux. Je considère que la plupart des articles que l'on peut lire dans les journaux relèvent du battage publicitaire. En revanche, si l'on écoute certains des scientifiques parmi les plus modérés qui oeuvrent dans ce domaine et qui ont mûrement réfléchi à la question depuis cinq ans, il y a aussi beaucoup d'espoir, et cet espoir est exprimé par des experts qui savent de quoi ils parlent.

Dans les milieux scientifiques, on croit qu'un jour nous serons en mesure de traiter certaines de ces terribles maladies pour lesquelles il n'existe pas de traitement à l'heure actuelle avec les cellules souches, que nous serons capables de régénérer des tissus qui ont subi une dégénération, que nous pourrons rebâtir une partie du cerveau pour guérir la maladie de Parkinson, par exemple.

Cependant, personne ne croit que cela se fera d'ici quelques jours, quelques semaines et même quelques mois. Il faudra encore plusieurs années de recherche intensive pour tenter de comprendre ce qu'est une cellule souche et de savoir ce qui en régit le comportement. Avant d'implanter dans le cerveau une cellule souche, de quelque source que ce soit, pour traiter la maladie de Parkinson, nous voulons être absolument certains au préalable qu'elle fabriquera des neurones capables de réparer le cerveau du patient. Nous ne voulons qu'elle fabrique de la matière osseuse; cela compliquerait les choses. Voilà ce que je veux dire lorsque je parle de la capacité de réguler le comportement de la cellule souche dans un cas de transplantation, et cela exige de nombreuses autres années de recherche.

S'agissant du clonage, j'ai parlé assez longuement dans ma lettre de la relation entre le clonage et les cellules souches. Je tiens à signaler que je suis personnellement contre le clonage aux fins de créer un individu. Je suis contre depuis le début, non seulement parce que c'est mauvais au plan scientifique, mais aussi parce que c'est une mauvaise idée. Cependant, ce n'est pas la même chose que de créer un embryon au moyen du transfert du noyau d'une cellule somatique et de la cultiver pour l'amener au stade que vous voyez ici, où elle contient des cellules souches embryonniques et ensuite, de prélever ces cellules. Cela présente un avantage en ce sens que si je prélève une cellule de votre corps, de n'importe quel tissu de votre corps, et que je l'injecte dans cet oeuf, dans cet ovocyte, et que je lui permets de se transformer en blastula et que je prélève ensuite les cellules souches, ces dernières sont génétiquement identiques à la personne qui a fait don du noyau. Par conséquent, on peut se servir de ces cellules souches pour traiter une maladie quelconque sans craindre de rejet. Cela pourrait s'avérer un avantage énorme à l'avenir bien que, comme l'a fait remarquer un de mes collègues, les cellules souches embryonniques, de quelque source qu'elles proviennent, sont généralement moins susceptibles de provoquer une réponse immunitaire et, partant, un rejet, que les cellules souches adultes.

On peut faire valoir l'intérêt d'un transfert de noyau d'une cellule somatique ainsi que de la création d'embryons pour ce que la presse profane appelle «le clonage thérapeutique». C'est un argument valable. Personnellement, comme bon nombre de mes collègues du réseau, j'ai choisi de ne pas me prévaloir de cette option, si je peux dire. Nous ne sommes pas certains que le gouvernement soit prêt pour cela. Dans toutes mes discussions avec les représentants du ministère de la Santé lors des phases préliminaires de l'élaboration de la mesure, nous nous sommes montrés disposés à écarter cette option pour l'instant. Étant donné que nous n'en avons pas vraiment besoin à l'heure actuelle, il nous semble préférable d'attendre pour voir si nous en aurons besoin à l'avenir car si nous insistons pour qu'on nous accorde l'autorisation de recourir au clonage thérapeutique, cela risque de susciter une réaction qui se traduirait par l'échec de la mesure proposée.

Je suis encore de cet avis. Je souhaite que la mesure soit adoptée. Je suis prêt à faire un compromis sur l'usage d'embryons clonés pour la recherche, mais je vous encourage à faire en sorte que nous puissions réexaminer la mesure proposée d'ici trois ans. En effet, la semaine dernière, on a annoncé qu'à la suite d'expériences menées en Corée du Sud, on avait réussi pour la première fois à extraire des cellules souches d'un embryon humain cloné, ce qui montre que c'est faisable. Nous n'avions aucun doute qu'un jour ce serait faisable, mais c'est maintenant le cas. Cela pourrait s'avérer la meilleure approche thérapeutique. S'il en est ainsi, nous ne voulons pas que le Canada soit à la remorque. Nous ne voulons pas que les Canadiens n'aient pas accès à ces traitements, alors que dans le reste du monde, il serait possible de se faire traiter. Il faut que nous puissions revenir sur la question et je pense qu'un délai de trois ans serait une bonne chose.

Le sénateur Roche: Monsieur le président, ma première question s'adresse au Dr Worton. Toutefois, j'invite les autres témoins à intervenir.

Docteur Worton, le témoignage que j'ai entendu ce matin me rend encore plus nerveux que je ne l'étais au sujet de ce projet de loi. Je décèle que pour vous, et peut-être pour vos collègues à votre gauche, le projet de loi ne va pas suffisamment loin, que vous voulez, en fait, être en mesure de cloner des embryons pour pousser plus loin votre recherche, ce qui amène la question qu'a précisément soulevée M. Persaud, c'est-à-dire la création d'embryons et la possibilité que l'eugénisme ne soit pas loin derrière. Il a proposé un moratoire de trois ans pendant que la communauté scientifique examine plus avant l'efficacité de la recherche sur les cellules souches adultes. Autrement dit, vous ne savez pas vraiment dans quelle mesure la recherche sur les cellules souches d'embryon sera valable.

D'après ce qu'ont dit de nombreux témoins ce matin, la recherche sur les cellules souches d'embryon représenterait une amélioration par rapport aux méthodes actuelles, qui s'attachent à la recherche sur les cellules souches adultes. Certes, j'aimerais que vous me considériez comme une personne qui souhaite aussi que l'on trouve un traitement pour la maladie de Parkinson et d'autres maladies connexes. Cependant, une question s'impose à moi: peut-on moralement permettre la destruction de la vie? Je suppose que vous ne contestez pas la prémisse selon laquelle un embryon est un être humain, ce qui évoque toute la question, de l'élimination délibérée de la possibilité de vie d'une part et si l'on va plus loin, comme vous le souhaitez, de la création scientifique de cette vie.

Je ne suis pas vraiment convaincu. J'aimerais pouvoir agir de façon responsable dans ce dossier. Les témoignages conflictuels que nous avons entendus ce matin de personnes éminentes de la communauté scientifique n'ont fait qu'accroître mon inquiétude.

D'après M. Persaud, la destruction d'embryons est inutile et l'on peut faire suffisamment de recherches scientifiques pour trouver un traitement à partir de cellules souches adultes.

Ce que je crains, c'est que d'ici trois à cinq ans, si la mesure est adoptée, on procédera certes à un examen, mais vous direz: «Allons maintenant plus loin et procédons au clonage d'embryons».

L'incertitude entourant l'évolution du dossier devrait donner à réfléchir aux politiques chargés d'élaborer la législation. Pour ma part, je préfère fonder ma décision sur le principe voulant que l'on adopte des lois en se fondant sur des faits plutôt que sur des hypothèses, sans savoir vraiment où cela nous mènera.

J'ai essayé de formuler ma question en termes généraux pour que vous et vos collègues puissiez me fournir une réponse qui me permettra de savoir si vous pouvez vous accommoder de la situation actuelle, accepter un moratoire et donner à la recherche sur les cellules souches adultes la possibilité de faire la démonstration de son utilité pour apaiser les souffrances humaines.

Docteur Worton, voulez-vous commencer, je vous prie.

Le Dr Worton: Cela a toujours été pour nous un sujet de préoccupations Si un grand nombre de mes collègues et moi-même avons appuyé ce projet de loi, c'est en partie parce qu'il est équilibré. Il établit un équilibre entre la destruction de la vie et la collecte de cellules souches à partir d'embryons, mais uniquement à partir d'un sous-ensemble d'embryons. Il s'agit d'embryons créés au moyen de la fertilisation in vitro, et qui sont à l'extérieur du corps humain. C'est un sous-ensemble d'embryons qui, autrement, ne serait pas réimplantés dans l'utérus pour créer la vie.

Concrètement, aucune vie ne sera perdue si ces embryons sont utilisés pour créer des cellules souches. Il est vrai qu'il faut détruire l'embryon pour recueillir les cellules souches, mais si on va s'en débarrasser toute façon, je pense que c'est un moindre mal, en tout cas pour moi. Je préfère que l'on utilise ces embryons pour faire du bien, particulièrement pour les enfants atteints de dystrophie musculaire, auxquels je consacre tout mon temps, plutôt qu'ils soient jetés au rebut. Voilà qui explique ma réponse à cette partie de votre question, sénateur.

Pour ce qui est de la prochaine étape, je conviens que c'est une étape qu'il faut aborder après mûre réflexion. Ce n'est pas une décision que M. Weiss ou moi-même devrions prendre. C'est une décision qui, collectivement, appartient à la société. Cela englobe les mécanismes législatifs appropriés, et c'est précisément la raison pour laquelle nous sommes ici.

Le processus qui permet de créer des cellules souches d'embryon grâce au transfert de noyau d'une cellule somatique est le suivant: on prend tout d'abord un ovocyte non fécondé dont on prélève le noyau, lequel contient le matériel génétique, et on l'injecte dans un noyau dérivé du tissu d'une cellule adulte. On laisse l'évolution normale suivre son cours jusqu'à l'étape du blastocyste.

Est-ce une vie humaine? Est-ce un embryon? Ou est-ce un noyau issu d'une cellule adulte qui a été reprogrammée pour adopter le comportement d'un embryon? Je ne veux pas me lancer dans une discussion sémantique, mais il s'agit d'un noyau issu d'un adulte qui est reprogrammé dans l'environnement de l'oeuf pour qu'il se comporte davantage comme une cellule souche d'embryon, ce qui le rend plus susceptible d'être utile à des fins thérapeutiques. Je ne pense pas que l'on puisse dire clairement si cette entité devrait être définie comme un embryon, puisqu'il ne s'agit pas du produit d'un oeuf fécondé.

J'ignore la bonne réponse. ll y a des arguments valables d'un côté comme de l'autre. Ce que je peux prédire, c'est que s'il s'avère, pour une raison quelconque, que les cellules souches d'embryon, qu'ils soient issus d'embryons surnuméraires découlant de la fertilisation in vitro ou d'embryons clonés, sont le meilleur traitement pour la maladie de Parkinson, par exemple, je ne pense pas que le gouvernement puisse dire, en bonne conscience: «Nous ne permettrons pas aux citoyens canadiens d'être traités avec ces cellules souches. Ils devront continuer à vivre avec la maladie de Parkinson».

Le sénateur Roche: Monsieur Persaud, vous m'avez entendu exprimer mes préoccupations, et je ne me répéterai pas. Vous avez maintenant entendu la réponse du Dr Worton. Pourriez-vous nous donner votre point de vue?

M. Persaud: J'aimerais aborder un ou deux aspects.

Le premier concerne la possibilité de revenir sur l'idée du clonage. Les lignes directrices dont nous sommes présentement saisis devraient interdire la création d'un clone humain à l'aide de quelle que technique que ce soit.

Je pense que l'esprit et l'intention de la mesure sont clairs. Nous ne devrions pas tenter de clonage humain, et je vous donnerai un exemple. Le Dr Worton a mentionné les expériences menées en Corée, mais en fin de compte, le chercheur concerné a déclaré: «Je ne recommanderais pas cela pour les humains à cause de la possibilité d'anomalies congénitales.» Si l'embryon cloné était mené à terme et qu'il affichait des anomalies congénitales, ne devrait-on pas conclure que l'embryon lui-même, à un stade précoce, aurait des anomalies génétiques? Pourquoi voudrions-nous opter pour le clonage thérapeutique dans un contexte de grande instabilité génétique? Deuxièmement, l'argument selon lequel si nous n'utilisons pas les embryons des cliniques de fertilité, ils seront détruits de toute façon semble raisonnable. Cependant, je vous rappelle que l'embryon en question a été retiré du congélateur, qu'on l'a traité, cultivé et nourri jusqu'au septième ou huitième jour, uniquement dans le but de cannibaliser ses parties. Cela pose un problème pour moi. Il s'agit d'un embryon et, en dehors de toute intervention, dans les conditions propices, il pourrait naître. J'ai parlé d'«embryon», et je n'ai pas encore été sensibilisé au fait qu'il pourrait ne pas s'agir d'un embryon. Voilà mes commentaires préliminaires.

Le sénateur Roche: J'ai pris suffisamment de temps. En conclusion, je reviens sur la dernière phrase de la deuxième intervention du Dr Worton, soit qu'il y a des arguments pour et contre. Monsieur le président, cela montre sans contredit que lorsque le ministre a affirmé ici hier qu'il existait un consensus sur le sujet, il était mal informé, et j'espère que les hauts fonctionnaires le reconnaîtront.

Le président suppléant: Monsieur Weiss, je sais que vous voudriez répliquer, mais je souhaite donner à tous les sénateurs la possibilité de poser leurs questions. Si le temps le permet, je vous reviendrai sur ce sujet, mais il est important que tous les sénateurs puissent poser leurs questions car certains d'entre nous avons une réunion à 13 heures.

Le sénateur Spivak: Il s'agit de décider si ces activités vont se pratiquer, et si elles vont se pratiquer en vertu d'une réglementation et d'une supervision rationnelles dans l'intérêt des Canadiens.

Le projet de loi est vraiment équilibré et on devrait l'adopter, même avec ses imperfections. La question que je vais poser relève vraiment de la curiosité, si vous me permettez, monsieur le président. Elle ne porte pas directement sur les aspects litigieux du projet de loi. Monsieur Weiss, vous nous avez dit qu'on avait trouvé jusqu'ici des cellules souches adultes surtout à deux ou trois endroits et qu'elles servaient principalement à réparer ces organes. Où en sont les connaissances à ce sujet? Sont-elles solides, ou restent-elles à confirmer? Ensuite, les scientifiques pensent-ils qu'il existe des cellules souches adultes ailleurs dans le corps, comme il y en a dans le cerveau, et j'oublie les deux autres endroits dont vous avez parlé? C'est encore un domaine à explorer.

M. Weiss: Je vais répondre à vos deux questions en commençant par celle sur l'état des connaissances sur les cellules souches adultes et la possibilité qu'elles puissent servir à réparer seulement le tissu d'où elles proviennent et non d'autres parties du corps. Je vais d'abord parler des cellules souches du cerveau adulte, que je connais bien, et les cellules de moelle épinière adulte, dont il a déjà été question. Pour ce qui est des cellules souches du cerveau, un rapport préliminaire indiquait il y a quatre ans que ces cellules pouvaient se transformer en d'autres cellules souches. On s'est maintenant rendu compte que c'est complètement faux. Cette possibilité a été réfutée par au moins trois publications et dans au moins cinq ou six grandes conférences scientifiques. Il semble que, normalement, et même quand on cherche à les transformer par toutes sortes de moyens, elles forment des cellules du cerveau. On a démontré sur des animaux que ces cellules souches de cerveau adulte peuvent aider à réparer des tissus après un accident cérébrovasculaire.

Les cellules souches de moelle épinière revêtent beaucoup plus d'intérêt parce qu'elles peuvent être intégrées à d'autres tissus du corps, étant donné qu'elles y ont accès en circulant dans le sang. Dans certains cas, ces tissus semblent mieux fonctionner. Cependant, les données scientifiques indiquent que les cellules souches ne deviennent rien de plus que des cellules sanguines dans le tissu hôte. On pense que si l'organe se rétablit, c'est principalement parce que ces cellules libèrent une substance qui aide à réparer les tissus. Ce sont des données biologiques très intéressantes mais, ce qui est certain, c'est que des cellules souches de moelle épinière adulte mélangées à d'autres tissus du corps restent, en grande partie, des cellules de moelle épinière. Voilà pour votre première question.

Ensuite, vous m'avez demandé s'il existait des cellules souches adultes ailleurs que dans la moelle épinière et le cerveau. D'une manière générale, nous ne le savons pas encore. Cependant, des données semblent indiquer que certains tissus, comme le pancréas adulte, pourraient avoir des cellules souches. Cependant, ce sont des données très préliminaires, qui sont dignes d'intérêt, mais qui ne sont pas encore prouvées, et même s'il y a des cellules souches adultes dans ces tissus, on ne sait pas si elles peuvent être stimulées ou isolées pour servir à des fins médicales.

Le sénateur Spivak: Tout l'objectif du projet de loi est d'améliorer la santé et le bien-être et de corriger les effets de la maladie. Pourquoi des scientifiques voudraient-ils manipuler des cellules souches adultes quand ils peuvent produire d'autres cellules souches? Il me semble que c'est contre nature. Que pensent les scientifiques de ces recherches, quand les ressources scientifiques, financières et autres pourraient être mobilisées plus utilement pour mettre au point des traitements thérapeutiques pour les gens très malades?

M. Weiss: C'est une excellente question, qui soulève certains aspects d'ordre général très importants dont je veux parler, mais je vais d'abord répondre à la question directement.

Les biologistes étudient les cellules souches adultes et la possibilité de les modifier pour qu'un tissu puissent servir à en réparer un autre pour deux raisons. Premièrement, d'un point de vue purement biologique, la notion de plasticité, c'est-à-dire la possibilité de transformer une cellule en une autre, est incroyablement intrigante. La question est intéressante d'un point de vue biologique. Cependant, pour beaucoup de ceux qui y travaillent, c'est loin d'être gagné et c'est contraire aux principes normaux de la biologie. Deuxièmement, en général, les biologistes et les chercheurs médicaux ne travaillent pas uniquement pour satisfaire leur curiosité intellectuelle mais pour améliorer la santé et le bien-être des Canadiens. Nous effectuons des expériences de cette nature précisément pour déterminer si nous pouvons contribuer à améliorer la santé et le bien-être des Canadiens tout en respectant la dignité de la vie. Il y a une question dont je veux discuter, parce que vous et le sénateur Roche en avez parlé, et c'est le fait que le projet de loi n'interdit aucune activité.

En fait, il interdit le clonage thérapeutique.

Je vais revenir sur ce que le sénateur Roche a dit. Il s'est inquiété du fait que nous demandions l'autorisation de faire du clonage thérapeutique pour poursuivre nos recherches. À mon humble avis, ce n'est pas le cas. En fait, quand nous proposons d'envisager le clonage thérapeutique, c'est parce que nous voulons sauver des vies et améliorer le bien-être de milliers d'enfants et d'adultes qui souffrent de maladies incurables. Nous n'effectuons pas ces recherches pour notre propre bien-être, mais pour celui des citoyens de notre pays.

Le sénateur Spivak: Monsieur le président, vous devriez peut-être organiser un colloque sur toute cette question parce que c'est un sujet fascinant. J'aimerais aussi savoir s'il est opportun de transférer les gênes d'un poisson, par exemple, à une plante — pas seulement opportun, mais moral.

Le président suppléant: Il n'en est pas question dans le projet de loi, comme vous le savez.

Le sénateur Pearson: Ma question est d'un autre ordre, parce que je m'intéresse davantage aux donneurs, ou à ceux qui ont permis de créer l'embryon. Ma première question montre mon ignorance sur le plan scientifique. Vous avez parlé des ovocytes. Est-ce que l'ovocyte contient toutes les informations génétiques de l'ADN de la mère? C'est ma première question. Pourriez-vous y répondre avant que j'en pose une autre?

Le Dr Worton: L'ovocyte contient la moitié de l'ADN de la mère. La plupart des cellules de notre corps compte deux séries complètes de marqueurs génétiques — une qui vient de la mère et l'autre du père. Quand l'ovocyte apparaît, l'information génétique est réduite de moitié, c'est-à-dire qu'il y a une seule série de chromosomes. C'est la même chose pour le sperme, qui a aussi une seule série de chromosomes. Quand l'oeuf est fécondé, les deux séries de chromosomes se retrouvent dans l'embryon.

Le sénateur Pearson: Quelle moitié? C'est l'information de base, mais si on retrouve seulement la moitié de l'ADN, que manque-t-il?

Le Dr Worton: C'est aléatoire. Des soeurs ne se ressemblent pas nécessairement ou ne se comportent pas de la même façon parce qu'elles ont reçu des parties différentes de l'ADN de la mère et des parties différentes de celui du père. Des jumeaux identiques, par contre, reçoivent la même série de marqueurs génétiques de la mère et du père, et c'est la raison pour laquelle ils sont identiques.

Le sénateur Pearson: Non, ils ne le sont pas. J'ai des petits-enfants identiques.

Dr Worton: Ils sont identiques du point de vue génétique.

Le sénateur Pearson: Oui, mais sûrement pas autrement.

C'est la question du consentement qui m'intéresse vraiment. J'ai accepté avec enthousiasme qu'il soit possible de recourir à la fécondation in vitro. Ce n'est pas un problème pour moi. Ce que je constate, pour en avoir fait l'expérience assez directement, c'est un peu du temps perdu. Le taux de succès est d'environ un sur cinq dans les meilleures cliniques. Il y a beaucoup d'embryons créés qui disparaissent d'une façon ou d'une autre — parce qu'ils ont été congelés ou rejetés, ou pour une autre raison, ou encore parce qu'ils ont été implantés sans succès.

Cela ne me pose pas de problème. Je sais qu'on va perdre beaucoup d'embryons d'une façon ou d'une autre et, donc, je n'ai pas d'objection à ce qu'on les utilise, si les parents sont d'accord. Cependant, c'est ici que la question du consentement entre en ligne de compte. Je pense qu'il est important pour le couple qui est à l'origine de l'embryon de consentir en toute connaissance de cause parce qu'on leur demande, et j'ai constaté en discutant avec des jeunes qui ont fait cette démarche qu'ils sont nombreux à être très mal à l'aise de savoir que toutes les informations de leur ADN servent à autre chose. Je pense qu'il faut réfléchir sérieusement à la question du consentement, aux informations qui sont requises et à toutes les répercussions psychologiques liées au fait de savoir qu'à un moment donné votre ADN et celui de votre mari existent ailleurs. Je pense que ce sont des questions très importantes. Je ne sais pas si c'est une question ou un commentaire, mais j'aimerais avoir votre avis là-dessus.

Le Dr Worton: Je vais répondre brièvement et donner la parole au Dr Bhatia, si vous n'avez pas d'objection.

Le consentement est requis, selon les règles. En tant que scientifiques, nous ne sommes pas autorisés à nous servir d'embryons à des fins de recherche sans avoir le consentement explicite du couple en question. Même sans loi, l'IRSC a établi des directives bien claires à ce sujet.

Le sénateur Pearson: Je sais qu'on demande déjà le consentement des parents.

Le Dr Worton: C'est exact. Le Réseau des cellules souches a décidé et convenu que, si on se lançait dans la création de lignées cellulaires embryonnaires, on allait procéder très lentement, de façon prudente, sérieuse et planifiée pour éviter les pertes et optimiser les méthodes avant d'en faire trop; de plus, on ne le ferait que dans les laboratoires les plus perfectionnés du pays et en collaboration avec les cliniques de fécondation in vitro qui possèdent les meilleures banques de matériel, toujours pour éviter les pertes. C'est ce qu'on veut faire; et c'est ce qui a été proposé au Comité de surveillance de l'IRSC. Il ne nous a pas encore indiqué si ce sera accepté ou non. Le laboratoire du Dr Bhatia est un de ces laboratoires.

M. Persaud: Pour ce qui est des pertes, je peux donner un exemple — et je suis d'accord avec ce que disent mes collègues. Les techniques de reproduction assistée sont très complexes. Par exemple, en Corée, 242 ovules ont été fécondés, 30 embryons ont été produits et il n'en a résulté qu'une seule lignée de cellules souches — 242 ovules et une seule lignée de cellules souches. Imaginez le coût humain. Il y a des pertes.

Ensuite, à propos de ce que vous avez dit concernant le consentement, j'espère que vous allez bien faire savoir aux donneurs que l'implantation, même de trois embryons, est peut-être nécessaire dans le cas de la fécondation in vitro. Si les trois sont implantés avec succès, on peut avoir à en détruire un ou deux — et j'espère que ce sera bien expliqué aux futurs candidats.

M. Bhatia: Je pense que la question du consentement est très importante. Dans le cas de l'ADN, on peut aussi songer à l'analyse des dons de sang. Le fait est que, dans cette situation également, l'ADN d'une personne est à la disposition de qui le veut bien. Par conséquent, les questions de consentement s'appliquent non seulement à ce projet de loi, mais de façon plus générale. Voilà ce que je voulais dire.

Au sujet du projet de loi à l'étude, pour ce qui est des dons d'embryons, comme le Dr Worton l'a indiqué, les deux donneurs de gamètes doivent fournir un consentement éclairé. Ce qui est plus important encore, c'est que les embryons utilisés à cette fin ne seront pas confiés à une mère porteuse ou menés à terme et serviront uniquement à la recherche ou seront rejetés. Il n'y a probablement aucune autre information à fournir, même aux donneurs de gamètes, sur le plan du consentement. Nous avons vraiment le sentiment, autant moi que mes collègues, qu'on nous fait un don précieux dont nous sommes responsables, et nous devons en tenir compte et agir avec précaution.

Si je peux revenir sur l'expérience faite en Corée dont M. Persaud a parlé, il est vrai que 240 ovocytes ont été utilisés pour produire une seule lignée de cellules. Il vous faut toutefois considérer le nombre d'ovules qui sont nécessaires pour mener une naissance à terme. Il faut en tenir compte quand on pense aux 240 ovules, et pas seulement à la création d'une lignée de cellules. Ensuite, les 240 ovocytes en question n'étaient pas destinés à mener une naissance à terme.

Le sénateur Keon: D'abord, j'aimerais m'excuser de mon retard auprès des témoins. J'avais deux séances de comité en même temps, et j'ai dû aller assister à la moitié de l'autre.

Ensuite, comme je n'étais pas ici pour entendre vos exposés, j'aimerais savoir si M. Bhatia — parce que je sais ce que pense le Dr Worton — recommanderait l'adoption du projet de loi sans amendement.

M. Bhatia: À mon avis, et d'après mon expérience, il y a certains aspects du projet de loi à l'égard desquels il faut être prudent, surtout en ce qui concerne l'interdiction du transfert de noyaux de cellules somatiques. Je suis inquiet à ce sujet, et je le suis encore plus à propos de ce qu'on dit dans les journaux sur le «clonage thérapeutique». Le transfert de noyaux de cellules somatiques pourrait aussi permettre la création de modèles des maladies humaines. Actuellement, le Canada investit dans l'étude du génome pour essayer de comprendre la base génétique de certaines maladies. À mon avis, il est clair qu'il n'y a pas un seul gène en cause, mais probablement plusieurs.

Le sénateur Keon: Vous aimeriez qu'on amende le projet de loi en conséquence.

M. Bhatia: Il limiterait nos activités, c'est certain.

M. Weiss: J'ai donné mon avis sur les articles 5 et 11 du projet de loi et je suis d'accord avec M. Bhatia au sujet du transfert du matériel nucléaire de cellules somatiques. Je suis aussi préoccupé par le fait qu'on interdise d'utiliser à d'autres fins les lignées de cellules souches embryonnaires. Je crois qu'il faut examiner sérieusement, sinon revoir, cette question dans un délai raisonnable. Je m'inquiète enfin de la teneur de l'article 11, qui traite du transfert du matériel génétique humain à d'autres espèces. On propose que cette activité soit réglementée, et je crois qu'il n'était pas prévu à l'origine d'obliger les scientifiques à obtenir un permis. Essentiellement, on forcerait entre 500 et 1 000 laboratoires dans l'ensemble du pays à obtenir un permis tous les mois pour des activités qui se pratiquent depuis que la technologie de la recombinaison de l'ADN a été mise au point il y a 25 ans. Je propose de revoir de près ces dispositions dans un certain délai, si le projet de loi n'est pas amendé.

Le sénateur Keon: Auriez-vous des objections à ce qu'on adopte le projet de loi maintenant et qu'on revoie ces mesures dans trois ans?

M. Weiss: Compte tenu de l'importance de l'adoption de ce projet de loi, j'imagine qu'il vaudrait probablement mieux y donner suite maintenant que de ne pas avoir de loi du tout. Je crains que le projet de loi ne soit pas adopté s'il est renvoyé à la Chambre, ce qui nous laisserait dans l'incertitude.

M. Persaud: En somme, je crois que le projet de loi comporte de bons éléments et je recommanderais d'accepter la partie 1, qui interdit le clonage, et la partie 2, sur la réglementation de certaines cliniques de fertilité. Mais je ne suis pas du même avis pour la troisième partie du projet de loi. Compte tenu des désaccords sur la question de la cellule souche, son origine et son utilisation, je pense qu'il serait imprudent d'adopter maintenant cette partie du projet de loi.

Le sénateur Keon: Je veux revenir à la question de la production des embryons. Nous avons reçu des informations contradictoires à ce sujet. Hier, des témoins nous ont dit qu'en raison de la pénurie d'ovules et de sperme, ils seraient en situation de crise s'ils ne payaient pas les donneurs. D'autres, par contre, nous ont dit qu'ils en avaient tellement qu'on devrait les utiliser pour faire des expériences. J'ai entendu dire ailleurs, de gens à qui j'ai téléphoné et écrit, que certaines cliniques donnent des médicaments aux femmes pour qu'elles produisent une trentaine d'ovules. Docteur Worton, toute cette question ne semble pas avoir atteint un stade de maturité assez avancé pour qu'on permette l'utilisation des embryons pour des activités qui ne sont pas réglementées par le projet de loi. Je n'approuvais pas le projet de loi au départ. D'après moi, il aurait fallu au moins deux projets de loi ou peut-être plus. Je ne veux pas non plus qu'on ne fasse rien. Un compromis est peut-être justifié. Pourriez-vous répondre à mes questions dans ce contexte?

Le Dr Worton: Il est vrai que nous n'avons pas autant de renseignements que nous le voudrions. Il y a dans les congélateurs de diverses cliniques canadiennes des embryons qui proviennent de la fécondation in vitro. Il n'y en a pas des masses: quelques centaines et non quelques milliers. Il est vrai aussi qu'il y a des failles dans le système, parce que ce ne sont pas tous les embryons gardés dans ces congélateurs qui serviront à l'extraction d'une lignée de cellules souches embryonnaires, même s'ils ont été conservés à cette fin. Les seules données publiées à ce sujet sont celles de la Dre Françoise Baylis, qui laisse entendre que leur nombre est relativement petit. J'aurais dû revérifier ces données avant de me présenter aujourd'hui, mais je crois que le Dr Bhatia pourra probablement vous les donner.

Le nombre de lignées de cellules souches qu'on peut s'attendre à voir extraites de l'ensemble des embryons disponibles est relativement petit. C'est de l'ordre de 15 ou 20 environ. Dans son étude, Mme Baylis n'a pas tenu compte de toutes les cliniques de FIV du pays et n'a pas inclus trois ou quatre des cliniques les plus importantes qui affirment conserver beaucoup de matériel dans leurs congélateurs. Compte tenu de cela, son estimation est fort probablement un peu trop faible, d'un facteur d'environ trois ou quatre.

La quantité de lignées est quelque peu limitée, mais il y a suffisamment d'embryons disponibles, à notre avis, pour la poursuite de nos recherches pendant encore deux ou trois ans, au moins.

Le sénateur Trenholme Counsell: Il est merveilleux d'accueillir des gens de votre calibre venus nous aider. Je détecte presque un consensus parmi vous que le contenu de ce projet de loi est mieux que ce que nous avons vu dans le passé, mais qu'il mérite encore révision. Beaucoup semblent en arriver à cette conclusion.

Dans votre exposé, docteur Worton, vous dites que les scientifiques canadiens n'ont pas participé du tout à l'étude des cellules souches provenant d'embryons humains parce qu'ils ont décidé volontairement d'attendre quatre ans pour que ce projet de loi soit adopté.

J'avais l'impression, et je me trompe probablement, que vous pouviez faire des recherches sous l'égide des IRSC et de leurs règlements. Je me trompe?

Le Dr Worton: Il y a deux éléments de réponse à cette question. D'abord, les IRSC nous permettraient de créer de nouvelles lignées de cellules souches. Le comité de supervision a été établi en octobre dernier et s'est réuni pour la première fois en janvier 2004. Le comité a étudié la proposition du Réseau de cellules souches de créer de nouvelles lignées, mais nous n'avons toujours pas reçu de réponse de sa part. Je m'attends à ce que le comité nous donne son approbation, parce que tout ce que nous proposons de faire est totalement conforme aux lignes directrices qu'il a établies.

Il n'y a rien qui empêche les scientifiques canadiens de travailler avec les lignées de cellules souches existantes, que l'on peut obtenir des États-Unis, de l'Australie ou d'Israël. En fait, vous avez entendu M. Bathia vous parler de quelques-unes des expériences qu'il a tentées avec ces lignées cellulaires.

Le sénateur Trenholme Counsell: Est-il vrai que les chercheurs canadiens ne travaillent pas encore sur les cellules souches embryonnaires?

Le Dr Worton: Je me suis trompé, parce que je ne connaissais pas l'étendue des expériences de M. Bhatia. Je me suis trompé, et je vais me corriger ici. Lorsque j'ai écrit mon mémoire, j'avais en tête le fait que nous ne participions pas encore à la création de lignées de cellules souches embryonnaires et que nous ne travaillions qu'avec les lignées existantes, ce qui est permis partout dans le monde.

Je ne crois pas qu'il y ait un endroit où cette activité est interdite.

Le sénateur Trenholme Counsell: J'aimerais poursuivre un instant sur ce sujet, monsieur Weiss. Dans votre mémoire, à la page 4, vous semblez dire qu'il s'agit d'un bon premier pas. Vous avez souligné verbalement que non seulement il s'agit d'un bon premier pas, mais que nous devons passer à la deuxième étape, c'est-à-dire réfléchir à la façon dont la société et la science évoluent. Cependant, il sera possible d'utiliser des embryons créés in vitro à des fins thérapeutiques si le projet de loi est adopté. Est-ce bien ce que le deuxième article nous dit?

M. Weiss: Oui, en effet.

Le sénateur Trenholme Counsell: Le clonage de nouveaux embryons ne sera pas permis pour l'instant, mais l'utilisation de...

M. Weiss: Je faisais allusion à tous les embryons pouvant être générés par fécondation in vitro, parce que pour l'instant, on ne peut utiliser qu'un sous-groupe des embryons créés in vitro.

Le sénateur Trenholme Counsell: Les autres sont sacrifiés?

M. Weiss: C'est juste.

Le sénateur Trenholme Counsell: Dans son mémoire, le Dr Worton souligne l'importance d'une révision dans les trois à cinq ans, et M. Weiss dit à peu près la même chose.

Avant de m'arrêter, j'aimerais revenir un peu aux statistiques. Sans vouloir contester ce que vous dites, le sondage d'Environics de 2002 — selon lequel 76 p. 100 des Canadiens seraient favorables à l'utilisation des cellules souches provenant des embryons surnuméraires — semble donner raison à M. Persaud, qui affirme que 33 p. 100 des gens ne veulent pas que ces embryons soient détruits. Je sais que j'ai l'air de jouer sur les chiffres, mais lorsque vous dites que seulement 21 p. 100 estiment que c'est acceptable, l'écart me semble énorme. Je ne suis pas certain que ces deux chiffres concordent. Environics dit que 33 p. 100 des gens estiment inacceptable de détruire des embryons. En tant que législateurs, nous sommes sensibles à l'opinion publique. Je crois que nos citoyens appuient le contenu de ce projet de loi. Êtes-vous d'accord avec moi tous les quatre?

M. Persaud: Puis-je seulement répondre à la question du sondage? Le sondage Léger est plus récent; et selon ce sondage, 21 p. 100 des Canadiens sont favorables à la recherche sur les cellules souches. Cependant lorsqu'on leur explique — et c'est là le plus important — que la création de cellules souches embryonnaires nécessite la destruction d'embryons, mais qu'il y a d'autres options, si on additionne les deux chiffres, on constate que 70 p. 100 des Canadiens préféreraient favoriser les sources de cellules souches non embryonnaires. C'est ce que nous dit le sondage Léger, c'est un fait.

Le sénateur Trenholme Counsell: Je crois qu'on pourrait également affirmer que 67 p. 100 des gens jugent acceptable d'utiliser des embryons à des fins de recherche si seulement 33 p. 100 croient que c'est inacceptable.

Le président suppléant: Nous pourrions discuter des sondages ad vitam aeternam. M. Weiss fera le dernier commentaire.

M. Weiss: Je dois dire que lorsqu'on pose la deuxième question, les résultats obtenus ne s'additionnent pas à ceux de la première réponse. Un tel pourcentage reste un peu faible, mais selon tous les sondages que j'ai consultés depuis trois ans, c'est une majorité de Canadiens qui appuie la recherche sur les cellules souches. Cela ne fait aucun doute.

Le sénateur Roche: Sur les cellules embryonnaires?

M. Weiss: Oui.

Le sénateur Roche: Qu'est-ce qui prouve qu'on les interroge sur leur opinion concernant la recherche sur les cellules souches embryonnaires?

Le Dr Worton: Vous avez accès aux résultats de tous les sondages sur le site Web du Réseau de cellules souches, dont vous trouverez l'adresse au bas de la lettre que je vous ai envoyée.

Le président suppléant: Pouvons-nous demander au Dr Worton et à M. Persaud d'envoyer tous les détails de ces sondages au greffier pour qu'il les fasse circuler?

[Français]

Sénateur Plamondon, je vous invite à poser les dernières questions.

Le sénateur Plamondon: Je commencerai par un commentaire. Étant un sénateur indépendant et nouveau membre du Sénat — ce n'est que ma deuxième journée au sein de ce comité — j'aurais aimé obtenir un curriculum vitae de tous les témoins afin de savoir un peu d'où ils viennent, la nature de leurs intérêts et si certains de leurs intérêts se croisent avec les différents témoins et le comité. Cela me permettrait de mieux connaître les enjeux avant de parler du contenu. Cette suggestion pourrait s'appliquer à tous les comités.

Vous êtes pour moi des figures nouvelles. Je m'aperçois, par les questions posées, que certains d'entre nous sommes très familiers avec vos travaux. Je n'ai malheureusement pas la même familiarité. Nous connaissons déjà quelques-unes de vos positions par rapport à certains membres du comité.

Ma question est la suivante. Nous avons appris qu'aux États-Unis il n'existe pas de fonds publics consacrés à la recherche conduisant à la destruction d'embryons. Cette recherche n'existe que dans le secteur privé.

Par conséquent, la recherche subventionnée à l'aide de fonds du secteur public canadien ira vers le domaine des cellules souches adultes. Cette subvention, à partir des fonds publics, favorise alors chez nous ce type de recherche par rapport aux États-Unis.

Nous avons entendu le ministre de la Santé nous dire que le projet de loi doit être accepté tel quel. Dans le cas contraire, où le projet de loi ne serait pas accepté, on a avancé certains commentaires, en guise de menace, selon lesquels les États-Unis viendraient s'installer au Canada — il s'agit sans doute du secteur privé — pour pouvoir faire de la recherche facilement sur les embryons. J'ai senti que ce commentaire était un peu destiné à nous forcer la main.

Il existe donc une certaine contradiction. D'une part, le ministre dit que ce projet de loi passera tel quel ou il ne passera pas. En même temps, l'industrie a indiqué à maintes reprises qu'elle n'accepte pas le projet de loi tel qu'il se présente et que l'on doit apporter des amendements.

Comme l'industrie au Canada bénéficie de fonds publics, est-ce que cela signifie que l'industrie ne veut pas du projet de loi comme tel, mais veut continuer à jouir de fonds publics pour poursuivre sans encadrement?

Ma deuxième question est la suivante. Nous avons entendu hier un témoin dont la fonction est de s'occuper des patients. Ce témoin affirmait en anglais « kill the bill », car faute de subvention pour le sperme et les œufs, les fonds seront inexistants. On nous a indiqué que 80 p. 100 du sperme est acheté aux États-Unis. Bien qu'on emploie le terme «donneur de sperme», on ne donne pas le sperme; on le vend.

Par conséquent, soyons clair. Il s'agit d'une industrie dans laquelle il existe des fournisseurs, des détaillants et des acheteurs. Nous parlons donc d'une industrie et d'une éthique allant au-delà que de prétendre simplement vouloir sauver les personnes malades et les enfants ou faire de l'encadrement. Il ne faudrait pas confondre des intérêts purement commerciaux avec les motifs plus louables d'améliorer la santé des individus.

Le président: Sénateur Plamondon, j'ai le regret de vous annoncer qu'il ne reste que cinq minutes.

Le sénateur Plamondon: Ce sont mes questions.

[Traduction]

Le président suppléant: C'est une question complexe. Je vais demander au Dr Worton d'y répondre le premier.

Le Dr Worton: Je ne suis pas certain de pouvoir répondre à la deuxième question, celle sur les donneurs de sperme, parce que ce n'est pas mon domaine de compétence et que je ne possède pas suffisamment de renseignements pour y répondre.

Pour ce qui est de la première question, je crois que nous y avons tous déjà répondu en disant que le projet de loi, dans sa forme actuelle, est acceptable, mais imparfait de différents points de vue. S'il est adopté, il établira le cadre législatif dans lequel nous pourrons travailler, ce qui est très bien. Nous pourrions vouloir le revoir au fur et à mesure que la science évoluera, et je crois que ce serait acceptable.

Je crois que les quatre témoins ici présents, dont moi, seront très heureux d'envoyer nos CV respectifs au comité. Nous ne mêlons pas les intérêts commerciaux, du moins en ce qui me concerne, avec les intérêts scientifiques. Je ne possède aucun intérêt dans une entreprise commerciale liée aux cellules souches et je n'en posséderai probablement jamais, parce que c'est risqué et que je ne suis pas du genre à prendre des risques de ce genre.

Ma grande motivation consiste à faire avancer la recherche en vue de trouver de nouvelles thérapies dont profiteront tous les Canadiens. Je ne suis pas du tout contre le fait que parfois, ces nouvelles thérapies doivent être commercialisées, faute de quoi elles ne seraient jamais rendues accessibles. Il n'y a pas suffisamment de fonds venant du gouvernement pour que nous puissions prendre un concept et le concrétiser en un médicament. Les sociétés pharmaceutiques doivent prendre le relais à un certain moment. C'est la façon normale de faire les choses.

M. Weiss: J'aimerais réagir à la première question posée par le sénateur Plamondon, celle sur les États-Unis. Il est vrai qu'on interdit l'utilisation de fonds publics pour financer la recherche sur les cellules souches au-delà des lignées établies. Pour ce qui est de l'origine des autres fonds, ils ne viennent pas nécessairement du secteur privé ou des entreprises, parce qu'aux États-Unis, on constate actuellement un grand appui de la part des ONG, dont les fondations sur le diabète juvénile, qui sont assez nombreuses, de même que de la part des divers États. L'État de la Californie étudie actuellement une proposition visant à permettre l'utilisation des fonds publics pour la création d'un centre de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines à l'Université de Stanford. Il y a beaucoup de projets qui ne sont pas financés par les fonds publics fédéraux et l'argent des contribuables, mais plutôt par des organisations non gouvernementales qui appuient la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines aux États-Unis. La grande majorité de ces organisations ne sont pas présentes au Canada.

Le sénateur Johnson: Je tiens d'abord à vous féliciter tous, parce que c'est un enjeu bien complexe, que je suis avec beaucoup d'intérêt.

Je serais très réticent à ne pas adopter ce projet de loi. Je l'appuie, même s'il est imparfait, mais il faut dire que les lois sont rarement parfaites. Je crois que la santé de notre nation est primordiale, et que tout ce que nous pouvons faire pour améliorer la recherche scientifique en vue de nouveaux traitements est plus important que tout le reste.

Ainsi, j'endosse les observations de mes collègues sur l'utilisation d'embryons pour faire avancer la recherche scientifique. Je suis certain que c'est ce que vous essayez tous de faire. Pour cela, nous devons pouvoir utiliser les cellules souches extraites d'embryons surnuméraires. Je ne vois pas comment vos travaux pourraient progresser au Canada sans cela.

Ne vous retrouverez-vous pas les mains liées si nous n'adoptons pas ce projet de loi? Les autres pays, pas seulement les États-Unis, ne s'en occuperont-ils pas dans le secteur privé de toute façon? Qu'en est-il des autres pays? Pourquoi voudrait-on freiner ce type de recherche? Vous nous avez donné maintes explications sur les embryons, et j'ai énormément de respect pour votre travail. Ma soeur travaille dans ce domaine depuis 20 ans, et tout le monde est en quête de lignes directrices.

M. Persaud: J'aime le concept de la loi canadienne, qui comporte le même attrait pour le secteur privé que pour le secteur public, et qui est bien préférable au fouillis qu'on voit aux États-Unis.

Le Dr Worton: Je conviens que le fait que ce projet de loi porte sur toute la recherche, peu importe où elle est faite, crée une situation bien meilleure que celle qui prévaut aux États-Unis, où il y a un ensemble de règles applicables au secteur privé et un ensemble de règles applicables, à tout le moins, aux organismes gouvernementaux fédéraux.

Je suis d'accord avec ce que vous venez de dire. Nous devons faire adopter ce projet de loi, mais s'il n'est pas adopté, pour répondre à votre question, nous retournerons là où nous en étions il y a trois ans, sans loi ni cadre réglementaire. Nous serons alors contraints de suivre les lignes directrices des IRSC dans nos travaux financés par les IRSC. Toutefois, toute personne entreprenant des recherches financées par d'autres organismes ne sera astreint à aucune règle.

M. Bhatia: J'ajouterais quelque chose à cela. L'autre conséquence, si ce projet de loi n'est pas adopté, c'est qu'il n'y aura aucun cadre réglementaire sur la recherche en général. Cela pose certains problèmes. Les enjeux commerciaux seront le moteur de certaines recherches, et certains chercheurs, si je me fie à mes propres sondages, ne seront pas à l'aise à l'idée de ne pas étudier parallèlement les cellules souches adultes et les cellules souches embryonnaires, ce qui pourrait les pousser à effectuer leurs recherches dans d'autres pays.

Le président suppléant: Nos discussions de ce matin ont été extrêmement intéressantes; vous avez exprimé des points de vue très importants qui aideront énormément le comité. Je vous remercie.

La séance est levée.


Haut de page