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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 8 - Témoignages du 5 mai 2004 - Séance du soir


OTTAWA, le mercredi 5 mai 2004

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 19 heures pour étudier des questions qu'ont suscité le dépôt en octobre 2002 de son rapport final sur le système de soins de santé au Canada et les faits nouveaux survenus depuis lors. Plus particulièrement, le comité est autorisé à examiner la santé mentale et la maladie mentale.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Bonjour, je suis Mike Kirby, président du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

Je vous remercie d'être venus pour cette téléconférence. Je sais que vous êtes au courant de l'étude que nous entreprenons. Nous en sommes encore aux premiers stades.

À part nos entretiens avec un grand nombre de groupes canadiens, nous avons choisi quatre pays dont nous voulons étudier les réalisations. Nous avons choisi la Nouvelle-Zélande à cause des commentaires très positifs que nous avons entendus sur beaucoup des changements que vous avez faits ces dix dernières années. Nous souhaitons en apprendre le plus possible afin de déterminer si nous pouvons adopter certaines de vos idées chez nous. En effet, il serait insensé de chercher à réinventer la roue.

Je tiens à vous dire d'entrée de jeu que nous sommes actuellement très loin derrière vous. Nous n'avons pas et n'avons jamais eu une politique nationale de santé mentale au Canada. Nous n'avons pas de lois nationales régissant ce domaine. Certaines de nos provinces ont de telles lois, mais elles sont, dans une grande mesure, périmées. Beaucoup de gens, dans le secteur de la santé, conviennent qu'il est nécessaire de commencer à examiner la santé mentale et la toxicomanie dans le cadre de l'ensemble de notre système de soins de santé. Pour être franc, je dirais que les gouvernements ont pris beaucoup de retard dans ce domaine. Bien sûr, cela ne veut pas dire que nous n'avons aucune forme de système de santé mentale. Il est évident que nous en avons un.

Toutefois, nous n'avons ni politique nationale ni coordination nationale. Les politiques provinciales varient énormément d'une province à l'autre. En fait, ces politiques sont tellement différentes qu'il n'est même pas possible de faire des comparaisons entre les données provinciales de rendement.

Notre étude en est encore au stade embryonnaire. Nous venons tout juste de commencer à essayer de trouver des moyens de nous attaquer aux problèmes de la santé mentale et de la toxicomanie dans une perspective nationale. Je tenais à vous donner une idée générale de la situation pour que vous puissiez comprendre à la fois la complexité et la simplicité du problème auquel nous sommes confrontés. Le problème est complexe, mais notre situation est extrêmement simple à saisir car nous n'avons encore rien fait.

Nous sommes très heureux que vous ayez pu trouver le temps de nous parler. On nous a dit que Mme Wilson, directrice générale adjointe, présenterait un exposé ou une série d'observations préliminaires. Madame Wilson, auriez- vous l'obligeance de nous présenter vos collègues aux fins de notre compte rendu? S'ils souhaitent aussi présenter des exposés préliminaires, nous sommes prêts à les entendre.

Nous aurons ensuite une période de questions.

Mme Janice Wilson, directrice générale adjointe, Direction de la santé mentale, ministère de la Santé, gouvernement de la Nouvelle-Zélande: Honorables sénateurs, je vous remercie de nous avoir demandé cet entretien. C'est un honneur pour nous. Comme vous le savez, notre pays est bien plus petit que le vôtre et nos systèmes sont assez différents. Ce sera très intéressant de discuter avec vous de ce que nous faisons, de ce que vous faites et des problèmes que vous avez à affronter.

Je demande à mes collègues de se présenter et de parler de leur rôle.

M. David Chaplow, directeur et conseiller principal en santé mentale, gouvernement de la Nouvelle-Zélande: Honorables sénateurs, l'essentiel de mon travail consiste à administrer, au nom du gouvernement, la Loi sur la santé mentale ainsi que trois ou quatre autres mesures législatives et d'assurer la liaison entre le secteur et le gouvernement.

Mme Phillipa Gaines, gestionnaire, Développement des systèmes de santé mentale, gouvernement de la Nouvelle- Zélande: Je m'occupe principalement de l'utilisation des données pour informer, suivre les progrès et concevoir des services. J'examine également l'intégration des services au moyen d'ensembles de données.

Mme Arawhetu Peretini, gestionnaire, Santé mentale des Maoris, gouvernement de la Nouvelle-Zélande: Certains des secteurs qui relèvent de mon service vont au-delà des questions aborigènes, s'étendant à des problèmes tels que l'alcool et la drogue. Depuis le 1er juillet, nous nous occupons également des problèmes de jeu, dans le cadre de la lutte contre la toxicomanie, ainsi que des données relatives aux services médico-légaux.

Toutes les personnes présentes s'occupent en outre de développement de la main-d'œuvre. Ce sont là quelques-uns des principaux secteurs d'activité de l'équipe que je dirige.

Le président: Veuillez poursuivre, madame Wilson.

Mme Wilson: Je me demandais si vous trouveriez utile de voir notre présentation. Nous avons fait un certain nombre de présentations internationales sur le système de santé mentale de la Nouvelle-Zélande.

Le président: Oui, bien sûr.

Mme Wilson: Je suis très heureuse de commencer. Je crois savoir que notre personnel technique vous a transmis la présentation et que vous pourrez donc la suivre au fur et à mesure. Nous nous arrêterons de temps en temps pour vous permettre de poser des questions.

Je vous parlerai d'abord de la structure de la Nouvelle-Zélande, puis je vous présenterai quelques données démographiques et vous expliquerai l'organisation de notre système de santé, car vous devez comprendre le contexte général pour vous faire une idée de l'environnement dans lequel nous appliquons notre politique de santé mentale.

Vous savez probablement que nous avons une population de 4 millions d'habitants. Nous avons en fait dans notre pays dix fois plus de moutons que d'habitants. La Nouvelle-Zélande est à 75 p. 100 urbaine et à 25 p. 100 rurale. Près de 80 p. 100 de la population est d'origine européenne, surtout par suite de l'immigration en provenance du Royaume- Uni. Je crois que la situation est à peu près la même au Canada. Quelque 15 p. 100 de notre population est composée d'aborigènes maoris, 6 à 7 p. 100 viennent des îles du Pacifique et près de 5 p. 100 sont d'origine asiatique. Voilà pour la démographie.

Notre Parlement est assez semblable à celui du Royaume-Uni. Notre système de gouvernement se base sur le modèle britannique, sauf que nous avons la représentation proportionnelle. Nous avons un système électoral mixte avec des cycles de trois ans. Notre économie est essentiellement agricole. Le taux de croissance de notre PIB a atteint environ 3,2 p. 100, par rapport à une moyenne 1,3 p. 100 pour les pays de l'OCDE. Notre taux de chômage se situe actuellement aux alentours de 4,7 p. 100.

Nous avons un système de santé universel, assez semblable à celui du Royaume-Uni, depuis 1938. Le Canada a un système universel d'assurance-maladie, qui diffère donc du nôtre sur le plan du financement.

Toutefois, notre système n'est pas intégralement financé. Les patients ont à verser une quote-part pour les médicaments, les frais de laboratoire, les radiographies, et cetera. La seule différence par rapport au Royaume-Uni est que les soins de santé primaires ne sont pas universellement couverts. Ils font l'objet d'un financement ciblé fondé sur le revenu et les maladies chroniques. L'année dernière ou la précédente, nous avons mis en œuvre une stratégie de soins primaires qui permettra d'étendre progressivement les paiements universels, d'ici cinq à dix ans, à près de 80 p. 100 de la population.

Comme je viens de le dire donc, les nouveaux organismes de soins de santé primaires en viendront avec le temps à s'occuper de 80 p. 100 de la population. Cela est important car la couverture de la santé mentale dans le secteur des soins primaires n'était pas très bonne. À cet égard, nous nous distinguons de certains autres pays. Nous avons réalisé des progrès sensibles dans le secteur secondaire ou spécialisé de la santé mentale, mais pas nécessairement dans le secteur des soins primaires. Nous avons également un régime d'indemnisation hors-faute à financement public qui couvre les accidents et les traumatismes. Le régime s'applique à la santé mentale si les troubles sont liés à un accident ou à un traumatisme.

Les crédits totaux consacrés à la santé s'élèvent à environ 8 p. 100 du PIB. Je mentionne ce chiffre à des fins de comparaison, mais je ne dispose pas des données canadiennes, car nos données ont été calculées à d'autres fins. Je vais passer rapidement sur cette question. Ce chiffre est utilisé dans la comparaison de notre système avec le vôtre sur ce graphique.

Nous avons eu une décennie de réforme dans le domaine de la santé. À l'heure actuelle, notre système comprend un ministère central de la Santé. Notre système de soins est financé par l'entremise de 21 commissions de district qui offrent aussi d'importants services hospitaliers et communautaires. Cela se base sur une stratégie de santé et d'invalidité et, comme je l'ai dit, sur une stratégie de soins primaires. La majorité des membres des commissions de santé de district sont élus par la collectivité locale tous les trois ans. La plupart de nos services de santé mentale sont organisés ou financés par l'entremise de ces commissions de district.

Nous n'avons que peu de cabinets privés en Nouvelle-Zélande. Notre première stratégie nationale de santé mentale remonte à 1994. Nous travaillons actuellement à notre deuxième plan décennal. Par suite de la désinstitutionnalisation de la dernière décennie, nous n'avons plus d'hôpitaux psychiatriques autonomes. Nous avons plutôt des services de santé entièrement communautaires.

Nous avons un organisme nommé Commission de la santé mentale, qui a été formé après une importante enquête menée en 1996. C'est un organisme indépendant nommé par le gouvernement pour surveiller la santé mentale et, plus particulièrement, la mise en œuvre de la stratégie ainsi que la progression et le développement des services de santé mentale. Jusqu'ici, notre stratégie était concentrée sur les 3 p. 100 de la population qui, d'après les études épidémiologiques, souffrent des troubles les plus graves.

Au début des années 90, nous avions 10 hôpitaux psychiatriques autonomes. Nous avons connu une croissance assez rapide, surtout dans le domaine des services communautaires de santé mentale. Nous avons maintenant une gamme beaucoup plus étendue de services, qui sont dispensés dans les hôpitaux généraux et dans la collectivité. L'important secteur non gouvernemental, essentiellement sans but lucratif, assure une grande partie des services communautaires de soutien et des services résidentiels dans la collectivité.

Ce diagramme représente notre situation. Le ministère s'occupe des politiques, de la réglementation et de la surveillance. Les commissions de santé de district sont chargées du financement et de la prestation des services ainsi que du financement des soins primaires et de la communauté des ONG. La Commission de la santé mentale surveille le tout.

Depuis 1993, le financement des services de santé mentale a augmenté de près de 150 p. 100. Ce chiffre tient compte de l'inflation et d'autres facteurs. Le gouvernement actuel s'est engagé à maintenir le financement à ce niveau au moins jusqu'en 2007 parce que nous n'avons pas encore terminé tous les éléments de notre programme de réforme.

Le financement de la santé mentale est réparti de telle sorte qu'environ 70 p. 100 des fonds vont aux services communautaires, qui comprennent le secteur des ONG, et que les 30 p. 100 restants sont consacrés aux malades hospitalisés. Cela vous donne une idée des stratégies et des plans que nous avons établis dans les années 90, notamment pour les Maoris, les enfants et les jeunes, la lutte contre l'alcool et la drogue et le développement de la main-d'œuvre.

En 1994, la stratégie était surtout axée sur la désinstitutionnalisation, qui a consisté à sortir les malades des grands établissements pour changer le mode de prestation des soins de santé mentale. Dans cet effort, nous avons bénéficié d'une participation très active des patients et des familles. Le graphique suivant montre la baisse du nombre de lits en Nouvelle-Zélande depuis les années 70, avec une accélération du taux de diminution pendant les années 90. Le taux s'est stabilisé parce que nous avons maintenant un équilibre raisonnable entre les lits d'hôpitaux, les lits résidentiels dans la collectivité et d'autres services communautaires.

Si vous n'y voyez pas d'inconvénients, je crois qu'il vaudrait mieux que je m'arrête maintenant pour que vous puissiez poser des questions.

Le président: Madame Wilson, vous avez lancé votre première stratégie nationale en 1994. Quels facteurs politiques ou publics ont joué dans cette décision? Il y a sûrement eu un ou plusieurs déclencheurs qui ont entraîné l'élaboration d'une politique nationale. C'est peut-être simpliste de poser la question, mais pourquoi la question a-t-elle été inscrite au programme national? Nous n'en sommes pas encore là au Canada.

Mme Wilson: Petit à petit, les gens ont commencé il y a quelques années à sortir les malades des hôpitaux psychiatriques. Cela a suscité des préoccupations croissantes tant dans la collectivité qu'au gouvernement à cause de l'absence d'une politique cadre pour orienter cette transition. Celle-ci se produisait à cause du dynamisme de certains fournisseurs de services, psychiatres, infirmières et patients et de l'action d'un mouvement de consommateurs de plus en plus fort. Même si, dans l'ensemble, tout se passait relativement bien, il n'y avait ni soutien financier ni structure officielle. Bien sûr, la collectivité s'inquiétait aussi du fait que des patients quittaient les hôpitaux psychiatriques pour vivre dans leur propre localité. Toutefois, le principal objet de la politique, à ce moment, était de rationaliser ce qu'on appelle la désinstitutionnalisation.

On a cependant choisi de ne pas insister tant sur la désinstitutionnalisation que sur l'efficacité et sur ce qu'il fallait pour dispenser une gamme de services. Qu'est-ce qui donne à un service ou à un système de santé mentale un caractère adéquat? Que faut-il pour que la collectivité soit persuadée que ses besoins en matière de santé mentale sont satisfaits? C'est dans cette perspective que la politique cadre a été élaborée.

Le président: Peut-on dire que, la désinstitutionnalisation étant en cours, la politique publique a découlé des préoccupations relatives aux conséquences de cette transition sur le reste de la collectivité? Et que cela entraîné l'élaboration d'une politique qui, entre autres résultats — nous parlerons dans quelques minutes des communications et de la honte ressentie —, permettrait à la collectivité de mieux accepter la politique de désinstitutionnalisation?

Mme Wilson: Cela en faisait partie. Il y avait aussi les enseignements tirés des pratiques exemplaires relatives aux services de santé. Comment dispenser les meilleurs services de santé mentale qui répondent aux besoins des gens? Les pratiques exemplaires d'autres pays nous indiquaient clairement qu'il fallait rapprocher les services de la collectivité et les intégrer dans les autres services de santé. Il fallait adopter une approche plus globale au niveau du gouvernement, en faisant le lien avec d'autres secteurs, comme le logement, l'emploi, la main-d'œuvre, et cetera. Ces facteurs commençaient à jouer un rôle central.

Le sénateur Kinsella: Pendant que vous étiez en train de créer des systèmes communautaires de santé mentale, quels critères quantitatifs avez-vous utilisés pour calculer le coût de ces systèmes et les ressources publiques à y affecter?

Le processus de normalisation a parfois des conséquences qui ne sont pas très salutaires. Avez-vous conçu des indicateurs pour calculer combien il faut dépenser par personne? Comment avez-vous mesuré les ressources publiques nécessaires pour financer un système communautaire permettant d'éviter les effets négatifs de la désinstitutionnalisation? Par exemple, certains affirment que l'augmentation du nombre des sans-abri est directement liée à la désinstitutionnalisation.

Mme Wilson: C'est une très bonne question. En Nouvelle-Zélande, la transition a été amorcée par une grande enquête nationale, l'enquête Mason, du nom d'un juge à la retraite de la Cour supérieure, Ken Mason, qui a dirigé l'enquête. Celle-ci a entraîné la création de la Commission de la santé mentale en 1996. La Commission a rédigé un document très détaillé, le plan directeur des services de santé mentale en Nouvelle-Zélande, dont les auteurs avaient calculé les nombres de lits et d'équivalents plein temps (ETP) de personnel nécessaires pour établir un système complet et intégré. Le document abordait des questions telles que le nombre de lits pour malades de soins aigus par 100 000 habitants, le nombre d'ETP par rapport au nombre d'équipes communautaires et le nombre de lits résidentiels nécessaires dans la collectivité. Ainsi, si l'on a des lits communautaires pour soins aigus qui nécessitent davantage de personnel des niveaux inférieurs, quels autres services communautaires de soutien sont nécessaires?

La Commission a examiné les services de santé mentale pour adultes, pour enfants et jeunes et pour personnes âgées ainsi que les services médico-légaux. Le document est très détaillé. Ensuite, elle a calculé les coûts — prix du lit, prix d'un ETP, et cetera — par 100 000 habitants. Tout a été compté en dollars de 1996, et les chiffres ont été rajustés une fois en 2000. Cela a abouti à un chiffre total exprimant le nombre de millions de dollars nécessaire sur une période de 10 ou 20 ans pour mettre en œuvre la stratégie.

C'est sur cette base que notre financement a été établi. Nous avons reçu des subventions supplémentaires de 20 à 25 millions de dollars par an, qui augmentaient progressivement, pour nous permettre d'offrir ces services. La Commission a fixé des objectifs et nous avons atteint un taux de couverture d'environ 75 p. 100. Le pourcentage est proche de 60 p. 100 dans certaines régions du pays, tandis qu'il est de presque 100 p. 100 dans d'autres. Nous avons des écarts régionaux qui dépendent de la croissance démographique et d'autres facteurs.

Je dois dire que nous sommes toujours un peu surpris que notre gouvernement ait pris ce risque, en laissant un organisme indépendant estimer le prix des services. Des gouvernements successifs de partis différents ont en fait accepté cela et ont maintenu la croissance du financement en attendant que la couverture atteigne 100 p. 100.

Cela s'est produit dans le milieu des années 90. Les choses changent. En ce moment, tandis que nous élaborons notre deuxième plan, un réexamen de la situation est probable. La structure des services est-elle adéquate? Devrions-nous insister davantage sur l'édification du système, sur les liens entre les composantes pour réduire la fragmentation, puisqu'il y en a encore? Cela aura-t-il des répercussions matérielles? Nous ne connaissons pas la réponse encore.

M. Chaplow: Permettez-moi d'aborder certains aspects de votre question, sénateur. Je dois dire, en premier, qu'il s'agit d'un processus qui dure assez longtemps. Dix ans après le lancement de la stratégie, nous n'en avons réalisé qu'une partie. Pendant les premières années, tout incident qui survient est attribué au nouveau modèle.

Pendant que les fonds augmentaient progressivement pour permettre la mise en œuvre du plan directeur, il n'y a pas de doute que les commissions de santé de district qui dispensent les services ont dû faire une gestion très stratégique pour minimiser les conséquences négatives.

L'année dernière, nous avons fait faire des recherches pour déterminer si la collectivité est plus en danger aujourd'hui qu'elle ne l'était avant la réalisation de ce programme. La réponse a été un non clair. Il faut néanmoins beaucoup de soutien et de communication avec la collectivité pour faciliter ce qui se produit.

Le sénateur Kinsella: Je note que votre modèle est clairement psychosocial. Avez-vous dû affronter la résistance de ceux qui favorisent un modèle médical de prestation des soins de santé mentale?

M. Chaplow: Je n'ai pas de doute que cette polarisation existera encore à ma mort. C'est le genre de tension que nous devons constamment gérer. Tous les partis politiques acceptent maintenant le fait qu'il est impossible de revenir en arrière. Il ne s'agit non de rejeter un modèle ou l'autre, mais de prendre les meilleurs éléments de chacun.

Je dois ajouter, sénateur et monsieur le président, que nous n'avons jamais diminué le nombre total de lits qu'il y avait dans les anciens asiles. Nous avons réparti ces places sous diverses formes: il y en a encore dans les hôpitaux et il y en a dans la collectivité. Il suffit d'expliquer le modèle.

Mme Peretini: Dans les 10 ou 15 dernières années, nous avons eu deux éléments essentiels, les champions et les leaders, pour assurer la continuité nécessaire.

Le président: J'ai une question rapide à poser au sujet de vos champions et leaders.

Vos champions et leaders étaient-ils des politiciens d'un niveau ou d'un autre, s'agissait-il de ce qu'on pourrait appeler des «leaders communautaires» dans le sens large, ou bien était-ce seulement des leaders du domaine de la santé mentale?

Mme Wilson: Heureusement, je crois qu'il y en avait de toutes les sortes. Nous avons eu la chance d'avoir un leadership fort dans la personne d'un certain nombre de ministres successifs de la Santé. Nous avons également eu un leadership politique énergique et beaucoup d'engagement au niveau national. Nous avons eu des leaders communautaires qui ont prêté leur concours. En psychiatrie, dans les services de santé mentale et parmi les groupes représentant les patients, nous avons aussi eu un leadership énergique et équitable qui, comme M. Chaplow l'a dit, a réussi à communiquer sa vision et sa stratégie et à gagner l'appui des gens.

Le président: Je suppose que les dirigeants politiques appartenaient à différents partis. Ce n'était pas le dada d'un parti ou d'un autre, n'est-ce pas?

Mme Wilson: C'est exact.

Le président: Cela est très important pour l'orientation d'ensemble.

Le sénateur Morin: Je crois que votre transition entre les hôpitaux psychiatriques et les services communautaires s'est produite plus tard que la nôtre et a été probablement mieux contrôlée et moins radicale. Cela a pu jouer un rôle dans le succès que vous avez obtenu.

Je voudrais aborder un grand problème que nous avons ici, au Canada. Je crois que vous en avez un semblable et que vous avez mieux réussi que nous à vous y attaquer. Nous parlons chez nous d'Autochtones, tandis que vous parlez chez vous de populations aborigènes. Je crois que dans les deux pays, nous avons une prévalence supérieure de maladie mentale, de suicide, et cetera parmi ces populations. Je remarque que, dans votre plan directeur de 1998, la prestation de services de santé mentale à la population maorie constituait votre deuxième priorité, immédiatement après les services communautaires de santé mentale.

Avez-vous eu des programmes qui ont réussi? Comment vous êtes-vous attaqués à ce problème et avez-vous enregistré des succès ou des échecs? Comme vous le savez, c'est un problème très sérieux au Canada, avec lequel nous nous débattons encore, sans savoir où aller. Nous y avons consacré des ressources, mais en vain. Nous aimerions beaucoup savoir ce que vous avez à dire à ce sujet.

Mme Peretini: L'une des approches nous avons adoptées, qui est exposée dans le plan national de santé mentale et dans le plan directeur, c'est que nous avons cherché à déterminer la flexibilité à prévoir dans les services généraux, dans ceux des commissions de santé de district et dans les services communautaires, comme ceux que dispensent les organisations non gouvernementales. Dans les 10 dernières années, par suite de la désinstitutionnalisation et de l'expansion des services communautaires, les services aborigènes se sont développés, surtout dans le secteur des ONG. L'expansion a été vraiment considérable: je crois que le chiffre est passé de 11 il y a 10 ans à 80 aujourd'hui.

Certains des problèmes découlent du fait que beaucoup de Maoris tendent à se présenter dans les services à des stades aigus de maladie mentale. Le secteur des ONG a beaucoup travaillé avec les collectivités pour mieux comprendre la maladie mentale. Nous n'avons pas résolu beaucoup de problèmes, mais il y a au moins de la bonne volonté dans les relations entre les services généraux et les services aborigènes, le but étant de trouver les domaines dans lesquels il est possible de partager des connaissances et de former les partenariats dont nous avons besoin.

Nous avons enregistré des succès là où les services généraux ont su montrer la flexibilité nécessaire pour donner des soins culturellement adaptés aux patients aborigènes qui se présentaient. M. Chaplow dirigeait l'un des principaux services médico-légaux du pays, où la proportion des Maoris dépassait les 50 p. 100. M. Chaplow pourra vous parler de quelques programmes qu'il a mis en œuvre pour répondre aux besoins culturels.

Nous avons aujourd'hui un problème qui découle des efforts déployés dans les années 70 et 80 en faveur des langues aborigènes. Les services généraux — beaucoup plus que le secteur des ONG — doivent maintenant s'occuper d'enfants qui ont été élevés dans la langue aborigène. Lorsqu'ils se sentent mal, ils reviennent à leur langue maternelle. Dans les services généraux, où ils sont le plus souvent admis, la communication devient très difficile. C'est un problème que nous n'avions pas prévu.

Il y avait un risque à prendre sur le plan de la flexibilité des services généraux en favorisant la croissance du secteur des ONG. Comment faire? De concert avec d'autres secteurs importants, le ministère de la Santé a beaucoup investi, surtout ces sept ou huit dernières années, dans la R et D. Nous avons essayé d'élaborer un outil de mesure des résultats spécialement conçu pour les aborigènes, pour être en mesure de définir de meilleurs indicateurs des résultats dans leur cas.

Nous avons également mené de nombreuses recherches pour obtenir de bonnes données. Cela fait partie des fonctions de Mme Gaines. Il reste encore des lacunes dans notre connaissance de choses telles que les taux d'admission et de réadmission. Ayant réalisé une enquête il y a trois ans, nous savons que certains des 21 districts répondent vraiment aux besoins des Maoris parce qu'ils ont inclus dans leur évaluation clinique une composante d'évaluation culturelle. Très peu le faisaient auparavant. Sur neuf commissions de santé de district, sept seulement avaient, à un moment ou un autre, envisagé d'adopter des politiques visant à répondre aux besoins des aborigènes admis dans les services généraux. Sur ces 7, trois seulement avaient des outils d'évaluation culturelle assez développés pour être utiles.

Beaucoup de choses ont évolué.

Le sénateur Morin: Dois-je comprendre que vous n'avez pas à l'heure actuelle des résultats concrets à mesurer, comme la prévalence de la maladie mentale, les incidents de suicide et ainsi de suite? Je comprends la nature de vos programmes, mais vous voulez dire que vous n'avez pas encore de résultats concrets? Est-ce exact?

Mme Wilson: Nous connaissons les taux de suicide car, comme vous le savez, nous avons l'un des taux de suicide les plus élevés du monde. Nous avons de bonnes statistiques dans ce domaine.

Toutefois, pour ce qui est de la prévalence générale, nous sommes actuellement en plein milieu d'une grande enquête nationale sur la santé mentale. Nous connaîtrons les résultats vers 2006.

Pour cette enquête, non seulement nous interrogeons une dizaine de milliers de personnes, mais nous procédons à un suréchantillonnage dans la population maorie, où nous recruterons 2 500 enquêtés de plus, et parmi les gens des îles du Pacifique.

Mme Peretini: Nous savons que les taux d'admission de Maoris dans les services généraux sont disproportionnés, mais nous n'avons pas encore analysé les statistiques. Nous avons cependant des chiffres.

Le sénateur Morin: Y a-t-il beaucoup de professionnels de la santé dans la population aborigène? Je veux parler d'infirmières et de médecins maoris.

Mme Peretini: C'est une excellente question. Il y a deux ans, le ministère de la Santé a pris la décision, dans le cadre de notre stratégie de développement de la main-d'œuvre, d'établir une organisation axée sur les Maoris pour la formation et le perfectionnement de la main-d'œuvre. Il y a environ un an, cette organisation a réalisé une série d'enquêtes sur notre population active. Plutôt que de vous donner les détails des résultats, je dirai que nous n'avons pas une main-d'œuvre très importante. À l'heure actuelle, elle se limite probablement à cinq psychiatres en formation.

M. Chaplow: Nous avons cinq psychiatres praticiens et une trentaine en formation.

Mme Peretini: Le nombre de nos professionnels de la santé est très limité, que ce soit dans le domaine des toxicomanies ou dans celui de la santé mentale.

Le président: Les cinq praticiens aborigènes et les 30 en formation sont tous maoris. C'est bien cela?

Mme Peretini: Oui.

Le président: D'une façon générale, est-ce que ces gens s'occupent de la population maorie? Au Canada, nous n'avons sûrement pas suffisamment d'Autochtones ayant la formation nécessaire pour assurer des services de santé mentale à plus qu'une petite minorité de notre population. Le sénateur Morin, qui a été doyen d'une faculté de médecine, dit qu'il ne croit pas qu'il y ait un seul psychiatre autochtone.

En êtes-vous arrivés à ce stade à cause d'un effort délibéré d'éducation? Comment avez-vous réussi à obtenir ce résultat très positif sur le plan des ressources humaines?

Mme Wilson: Notre approche y a beaucoup contribué. Nous avons appliqué des politiques ciblées conçues pour accroître le nombre des professionnels de la santé parmi les Maoris. Nous avons parlé des médecins et des infirmières, qui représentent un sous-ensemble de tout cela. Oui, nous avons adopté des politiques ciblées comprenant des bourses d'études.

Mme Peretini: Comme Mme Wilson vient de le dire, nous avons fixé des quotas pour l'enseignement de certaines disciplines en Nouvelle-Zélande. Nous le faisons depuis au moins 20 ans. Nous avons également quelques leaders maoris du domaine de la santé qui sont devenus psychiatres.

Pendant une période de deux ans et demi, nous avons offert des bourses en psychiatrie et avons cherché à augmenter l'attrait d'une carrière dans ce domaine. Nous travaillons dans tout le domaine de l'éducation.

Le président: Nous utilisons une terminologie différente, mais je crois que vous avez mis en œuvre d'excellents programmes d'action positive.

Mme Peretini: C'est tout à fait cela.

Le président: Il est difficile pour moi d'imaginer à quel point nos situations sont différentes. La proportion d'Autochtones canadiens qui finissent ne serait-ce que leurs études secondaires est très sensiblement inférieure à la moyenne du reste de la population. Est-il raisonnable de conclure que non seulement vous avez appliqué un programme d'action positive pour attirer des aborigènes dans les professions de la santé, mais que vous avez aussi beaucoup insisté sur l'éducation, d'une façon générale, pour l'ensemble des Maoris? Est-ce exact?

Mme Peretini: Les chefs de tribu y ont participé. Nous avons en effet beaucoup insisté sur l'éducation. Notre taux de succès dans le système éducatif reste encore assez médiocre. Près de 50 p. 100 des aborigènes n'atteignent pas le niveau du certificat. Je ne sais pas quel est l'équivalent chez vous. Le niveau de scolarisation est encore peu élevé, mais il est suffisant pour nous fournir la main-d'œuvre dont nous avons besoin.

Le président: Dans quelle mesure le succès de vos programmes destinés à la population maorie dépend-il des professionnels de la santé maoris? Si vous étiez à notre place et que vous n'aviez pas de professionnels de la santé aborigènes, vous seriez obligés de recourir à des non-Maoris pour dispenser les mêmes services.

Je sais bien que tout cela est hypothétique, mais, à votre avis, quelles en seraient les conséquences sur le succès de votre programme?

Mme Peretini: C'est une excellente question à laquelle il est très difficile de répondre.

Mme Wilson: La maladie mentale a ceci de particulier qu'elle touche la façon dont vous vous envisagez vous-même ainsi que vos croyances sur le plan spirituel et culturel. Les gens communiquent beaucoup mieux avec ceux de leur propre culture. Si vous êtes un patient, votre relation avec la personne qui vous soigne, que ce soit un médecin ou une infirmière, est probablement le facteur le plus critique qui agisse sur la guérison. Si cette personne peut comprendre votre culture et vos croyances, les chances d'un résultat positif sont sensiblement meilleures.

C'est ce qui se produit, à notre avis. En réalité, nous n'avons procédé à aucune recherche comparative pour déterminer si cela est vrai.

M. Chaplow: Ayant monté des services, il y a 15 ans, qui se débattaient avec tous ces problèmes de main-d'œuvre, je crois qu'il faut reconnaître que la Nouvelle-Zélande a connu une renaissance sur le plan de la langue. Le gouvernement a reconnu que pour permettre aux aborigènes de s'épanouir, il fallait qu'ils agissent par eux-mêmes, qu'ils aient eux- mêmes l'initiative.

Les services ont augmenté progressivement. Le fait qu'ils empruntent des connaissances à une autre culture est une question un peu différente. Je veux dire que l'un des aspects les plus importants des progrès réalisés est que les Maoris s'occupent eux-mêmes de leurs services et relèvent eux-mêmes les défis. Nous sommes dans une étape de transition. Il faudra augmenter le nombre de psychiatres aborigènes ou leur adjoindre d'autres. C'est l'une des réalités que nous devons affronter.

Le président: Vous dites donc que, même si vous agissez ainsi, les Maoris ont pris leur programme en main, indépendamment du personnel qui dispense les services. Ils savent que le programme leur appartient. Ce n'est pas comme s'ils l'avaient reçu de gens de l'extérieur. C'est pourtant là que nous devons commencer. Vos observations nous seront néanmoins utiles à long terme.

M. Chaplow: Nous avons parlé du modèle médical et du modèle d'intervention psychosociale. Le modèle aborigène y ajoute, aux côtés du médecin ou du psychiatre, un partenariat avec les Aînés. Je crois qu'il pourrait en être de même chez vos Autochtones. Si les Aînés et les spécialistes peuvent travailler ensemble, vous aurez de bons résultats.

Le sénateur Cook: J'essaie de faire un parallèle entre votre système et le nôtre. Je vais poser des questions en essayant de comprendre votre système. Ce sera ainsi plus facile pour nous tous.

La Nouvelle-Zélande a une population de 4 millions d'habitants. Combien avez-vous d'aborigènes? Vivent-ils à part ou bien sont-ils intégrés dans le reste de la population? Au Canada, nous avons des réserves, nous avons l'autonomie gouvernementale, et cetera. Il y a aussi des Autochtones dans nos villes. Y a-t-il des Maoris dans les zones urbaines? J'essaie de savoir où vit la population maorie avant de poser d'autres questions.

Mme Peretini: Nos aborigènes représentent actuellement 15 p. 100 de la population totale. Ils vivent surtout en milieu urbain. Nous n'avons pas de réserves. Les aborigènes sont dans une grande mesure intégrés dans le reste de la société. La majorité vit probablement dans une ville du nord de l'île. Ces 10 dernières années, nous avons eu un mouvement préconisant le retour des Maoris dans leurs terres tribales, dont environ 90 p. 100 se trouvent dans des régions rurales. Toutefois, beaucoup n'ont pas suivi le mouvement parce qu'ils travaillent dans des agglomérations urbaines.

Le sénateur Cook: La population maorie est-elle entièrement desservie par les 35 à 40 psychiatres maoris et d'autres professionnels ou bien la prestation des soins est-elle intégrée? Les psychiatres maoris s'occupent-ils d'autres patients?

Mme Peretini: Ils travaillent surtout dans les services généraux, c'est-à-dire partout.

Le sénateur Cook: La toxicomanie est-elle plus fréquente parmi les aborigènes de la Nouvelle-Zélande? L'État finance-t-il les études des Maoris pour qu'il devienne médecins ou bien doivent-ils payer eux-mêmes leurs études?

Mme Peretini: Nous avons quelque programme d'intervention à l'appui du système des quotas pour l'éducation des Maoris. Nous avons aussi des bourses d'études. Nous offrons de l'aide, mais la plus grande part du financement pour tous les Néo-Zélandais vient des gens eux-mêmes.

Le sénateur Cook: Cela s'applique-t-il à d'autres professionnels de la santé aborigènes?

Mme Peretini: La population des îles du Pacifique a aussi un quota, et nous avons des fonds pour la formation d'infirmières et d'autres professionnels de la santé.

Le sénateur Cook: Vous avez dit que vous dispensez des services communautaires par l'entremise de commissions de santé de district. Assurez-vous d'autres services ou essentiellement des services de santé mentale? S'agit-il d'un système public de soins de santé? Ou bien les commissions de district s'occupent-elles seulement de santé mentale?

Mme Wilson: Elles ne s'occupent pour le moment que de santé mentale. Nous avons des centres ou des équipes communautaires de professionnels de la santé mentale qui travaillent ensemble. C'est essentiellement un système de santé mentale.

Toutefois, M. Chaplow a précisé que le processus est évolutif. Il semble bien qu'au cours des 10 prochaines années, nous aurons à examiner les moyens d'intégrer le système communautaire de santé mentale dans le système de santé primaire. Dans certaines régions du pays, il peut y avoir des centres qui offrent des services de santé mixtes. Nous nous orientons vers des services intégrés dans quelques régions.

Le sénateur Cordy: Madame Wilson, vous avez dit que, lorsque vous avez appliqué votre stratégie nationale sur la santé, vous aviez deux grands objectifs. L'un concernait la famille. Il s'agissait d'atténuer l'impact sur les patients, les familles et les dispensateurs de soins. Un témoin canadien nous a parlé aujourd'hui du fardeau caché que les malades mentaux constituaient pour les familles. Ce fardeau, c'est le regard de la société, les contacts exaspérants avec le système, l'accompagnement du membre de la famille qui est malade et n'est pas toujours aussi rationnel qu'on le souhaiterait.

Que faites-vous pour aider les familles des malades mentaux, puisque c'était l'un de vos objectifs principaux? Comment leur procurez-vous les systèmes de soutien dont ils ont besoin?

Mme Wilson: Excellente question. Je vais essayer de répondre. D'autres pourront ajouter leur grain de sel. Au niveau national, nous avons aidé à financer une organisation nationale de la famille qui est issue d'une organisation appelée Schizophrenia Fellowship. Comme vous le savez, il s'agit d'une organisation internationale. Grâce à cette organisation, nous avons établi un solide réseau de promotion et offert du matériel de formation et du soutien aux familles de tout notre pays. Ce fut la première étape.

En outre, nous avons élaboré des lignes directrices sur les services à utiliser pour permettre aux familles de faire face à la situation et de participer lorsqu'il s'agit de leurs membres. C'est une chose d'élaborer des lignes directrices nationales, mais c'en est une autre d'amener les gens à les appliquer. C'est là que réside la difficulté.

Depuis cinq ou six ans, c'est un lourd défi à relever, en partie parce que nous avons des lois très fermes qui protègent la vie privée. Les professionnels de la santé mentale ont eu tendance à interpréter ces lois de telle sorte qu'ils se sentent obligés d'exclure la famille. Nous avons beaucoup travaillé sur ce point. Je demanderais à M. Chaplow d'expliquer certains des moyens que nous avons pris pour nous attaquer à ce problème.

Dans notre plan directeur, nous avons prévu pour nos services des postes de conseillers familiaux. Ils n'ont pas été créés aussi rapidement que nous l'aurions souhaité, mais les services commencent à nommer des gens qui jouent un rôle de conseiller familial auprès des services et leur expliquent comment faire participer les familles beaucoup plus et comment faire face à des problèmes souvent très complexes de protection de la vie privée, surtout lorsqu'un malade refuse que sa famille soit mise au courant. Ma réponse reste assez vague.

M. Chaplow: Sénateur, la question est fort pertinente, et nous n'avons pas encore réussi à tout régler. La première plainte que nous entendons, c'est que les familles ne sont pas consultées. La deuxième, c'est que le fardeau des soins devient parfois trop lourd, notamment à cause de la désinstitutionnalisation. Aux environs de 2001, nous avons modifié notre loi sur la santé mentale pour en raffermir les dispositions sur la consultation obligatoire des familles. Il a été long et difficile d'en arriver là. Comme vous le savez, il est difficile de traiter avec certaines familles, et elles font partie du problème plutôt que de la solution. Nous avons donc été obligés d'agir prudemment.

Le deuxième élément, à propos du fardeau des soins, c'est que, dans l'immédiat, il n'y a pas toujours de place pour un malade dans un établissement. C'est là une critique du système. Les services essaient de résoudre le problème, encore une fois en utilisant une partie de l'argent prévu pour le plan directeur, afin d'offrir à la famille un service de relève et d'autres formes de soutien. Tout n'est donc pas réglé, et nous travaillons sur toutes ces questions très pertinentes.

Mme Gaines: Je voulais vous parler de nos efforts de R et D. Nous en sommes aux premières étapes dans l'élaboration et la mise en place de mesures régulières des résultats pour le patient. Mme Peretini a parlé du Hua Oranga, la mesure de résultats des Maoris, qui comprend expressément un «whanau», c'est-à-dire une optique de soin, une optique familiale. Nous cherchons à élaborer une façon particulière d'aborder les soins, en ce qui concerne les mesures des résultats comme ensemble de mesures pour l'avenir.

Le sénateur Cordy: Vous avez parlé d'un conseiller qui peut aider la personne à se débrouiller dans le système. Je vous demanderais de donner un peu plus de précisions au sujet des enfants qui ont des problèmes de santé mentale. À une autre époque de ma vie, j'ai enseigné à l'élémentaire. J'ai constaté que, parfois, les parents étaient tirés dans tous les sens. Des responsables scolaires, des psychologues, des responsables des hôpitaux et des amis qui essayaient de les aider leur donnaient des conseils contradictoires.

Le conseiller dont vous parlez aide-t-il les parents dont les enfants sont atteints d'une maladie mentale à se débrouiller face au système?

M. Chaplow: Ces postes de conseiller sont relativement nouveaux. En un sens, on peut dire qu'ils sont là pour assurer un équilibre du point de vue du consommateur. Souvent, il existe une tension entre la famille et le consommateur. La plupart des conseillers agissent comme des défenseurs qui soutiennent la famille. Ils agissent aussi comme intermédiaires ou facilitateurs. Ils peuvent aider à travailler avec la famille et l'équipe. C'est exactement ce qui se passe.

Le sénateur Cordy: Je suppose que nous présumons ici que les familles veulent travailler avec le système, n'est-ce pas?

M. Chaplow: Absolument.

Le sénateur Cordy: Parfois, elles font partie du problème.

M. Chaplow: Effectivement.

Le sénateur Cordy: En ce qui concerne les ressources humaines, avez-vous assez de psychologues et de psychiatres ou avez-vous de longues listes d'attente comme nous en avons au Canada?

M. Chaplow: Dans les statistiques sur la santé dans le monde, on dit qu'il faudrait avoir un psychiatre pour 10 000 personnes. Nous n'en avons qu'un pour 15 000. Il nous en manque donc une centaine. Mais souvent, le problème n'est pas là. Le problème, c'est de savoir comment utiliser les psychiatres comme membres de l'équipe. De plus, les psychiatres ont tendance à se regrouper autour des universités ou établissements d'enseignement. Souvent, il y a déséquilibre entre la ville et la campagne, pour ce qui est de l'accès à de bons services de psychiatrie.

Pour le moment, ce n'est pas un obstacle important au bon fonctionnement de nos services. Nous constatons que nos psychiatres sont compétitifs sur le plan mondial — sans doute comme les vôtres. Nous importons des psychiatres du Canada, du Royaume-Uni et des États-Unis. Nous en exportons vers l'Australie, le Royaume-Uni, et cetera. Environ 50 p. 100 de nos psychiatres reviennent, et l'un des défis que nous avons à relever est de les ramener tous pour constituer une capacité solide. Notre stratégie sur la population active a fixé cet objectif, entre autres.

Mme Wilson: Dans l'ensemble de l'effectif, il va sans dire que nous sommes à court dans tout le système. Il n'y a pas que les psychiatres. Nous avons des pénuries d'infirmières, de psychologues et de toutes sortes d'autres professionnels. C'est pourquoi nous avons une initiative importante qui porte sur le recrutement et le maintien à l'effectif.

Le président: Vous avez parlé de modifications législatives rendant obligatoire la consultation des familles. Je présume que cela veut dire que la consultation est obligatoire si le patient y consent. Est-ce juste?

M. Chaplow: Cette modification est assortie de réserves. Il faut que la consultation semble avantageuse pour le patient. Très souvent, si, par exemple, une personne n'est pas un patient au sens strict ou si elle n'est pas tenue d'accepter un traitement, il ne peut y avoir une consultation obligatoire sans sa permission, bien entendu.

Si le patient fait l'objet d'une contrainte, il faut réfléchir sérieusement à la possibilité de faire intervenir la famille dans ce contexte.

Le président: En réponse au sénateur Cook, Mme Peretini a signalé que, dans les régions rurales, vous vous acheminiez vers une approche plus holistique, plus englobante. Pourriez-vous expliquer plus longuement ce que cela comprend et ce qui est visé par cette approche, et comment on l'applique?

Mme Peretini: L'approche holistique intègre la spiritualité, la participation de la famille, la culture, l'identité tribale et sous-tribale. Ce sont là certains des éléments clés. Dans l'ensemble, il ne s'agit pas seulement de santé mentale. On aborde aussi les questions de chômage, de logement, d'éducation et de santé physique.

Le président: Quels sont les antécédents, la formation, et cetera? Il faut évidemment toute une équipe. Ce n'est pas l'affaire d'une seule personne. Pourriez-vous nous parler de la composition de l'équipe?

Mme Peretini: Certaines entités qui fournissent des services sont très bien développées et ont des structures intégrant des personnes qui s'occupent des aspects cliniques et culturels. Certaines petites organisations non gouvernementales se spécialisent plus du côté culturel que clinique. Une grande partie du soutien assuré aux patients et à leurs familles est le fait de travailleurs communautaires. Une partie du travail primaire consiste à assurer la coordination entre le culturel et le clinique. Si cela ne peut se faire à l'intérieur du service en cause, on assure une coordination pour voir quels autres services pourraient assurer le soutien à la famille et à la personne en cause.

Le président: D'après votre expérience, du moins aux premières étapes, l'ajout de la dimension holistique et culturelle a-t-il eu un impact notable sur la prestation des services et sur le patient?

Mme Peretini: Nous n'avons pas d'éléments de preuve très nets. Cependant, d'après des éléments observés de façon non scientifique par beaucoup d'entre nous dans l'ensemble du service, et pas uniquement en santé mentale, la participation communautaire et la participation des familles ont amélioré l'état de santé de façon marquée.

Dans la région tribale d'où je viens, avec la participation de la famille, de la personne en cause et de la sous-tribu, avec l'accent qui est mis sur la santé mentale, l'asthme et le diabète, notamment, la coordination est bien meilleure et il y a des résultats plus positifs lorsqu'on agit au niveau sous-tribal. Dans ma propre région tribale, j'ai observé des changements significatifs.

Le président: Je suis sûr que vous répondrez à ma question en disant que vous n'avez pas fait l'essai. Néanmoins, si l'accent qui est mis sur l'approche holistique et le contexte culturel du patient donne des résultats pour les aborigènes, pourquoi le reste d'entre nous, dans le reste de la société, supposons-nous que cela ne marcherait pas pour nous? Nous n'essayons jamais d'appliquer ces approches de la prestation des services auprès de la population caucasienne blanche ordinaire. Quelqu'un a-t-il étudié cette question?

Mme Peretini: Il y a deux choses que j'ai sans cesse répétées. D'abord, les peuples aborigènes disent: ce qui est bon pour nous sera bon pour vous tous. Les personnes qui ne sont pas aborigènes disent: nous sommes des personnes complètes, avec un élément spirituel. Le fait d'être aborigène ne vous exclut de rien de tout cela.

M. Chaplow: Je crois que cela tient beaucoup à une conception culturelle, à la façon dont les Caucasiens peuvent faire des distinctions dans leur vie. En étudiant les statistiques sur les aborigènes, les questions d'accès, d'acceptabilité et de conformité sont très importantes du point de vue des résultats. Un engagement qui vise à accroître l'accès, l'acceptabilité et la conformité, cela tient en grande partie à des facteurs culturels. Ce sont ces aspects que nous essayons d'utiliser pour améliorer les résultats.

Le président: Je partage le point de vue de Mme Peretini. Cette approche devrait marcher pour tout le monde, mais les non-Autochtones ont peut-être trop peur d'essayer, trop peur d'admettre qu'ils ont en eux une dimension spirituelle. Je crois que le problème réside là.

Le sénateur Morin: Je voudrais en revenir à votre stratégie de 1998 sur la santé mentale. Comme le sénateur Kirby l'a dit tout à l'heure, le Canada n'a pas de plan national en matière de santé mentale.

À la lumière de votre expérience, va-t-il la peine d'essayer ce plan directeur? Je constate qu'il a été doté de ressources supplémentaires extrêmement généreuses. En peu de temps, votre budget est passé de 270 à 725 millions de dollars. C'est là un financement généreux.

Pensez-vous qu'un plan national comme le vôtre peut s'appliquer sans ressources supplémentaires. Si vous pensez qu'il a été une réussite, est-ce que le succès est attribuable aux ressources, au plan ou aux deux?

Je remarque que vous aviez sept orientations stratégiques. Ont-elles toutes été suivies? Avez-vous eu la possibilité de faire une évaluation?

Il ne fait pas de doute que vous avez remporté des succès que nous sommes loin d'avoir obtenus chez nous. Recommanderiez-vous d'appliquer un plan semblable? Sur le terrain, est-ce qu'on s'y reporte? Y a-t-il eu des rapports annuels? Est-ce que cela a été un élément majeur dans le domaine de la santé mentale depuis 1998?

Mme Wilson: La réponse rapide est oui, c'est un élément majeur. On s'y reporte presque comme à la Bible. C'est le point de repère qu'on utilise et qu'on cherche à atteindre. Il y a des problèmes parce que l'accent est mis généralement sur les intrants, mais nous essayons de nous éloigner de cette approche dans notre deuxième plan. Nous pourrons y revenir plus tard, si vous voulez.

Le financement a-t-il été important? L'histoire des soins en santé mentale dans ce pays fait penser à Cendrillon, pour ce qui est du financement. Au départ, il n'y avait sans doute pas des ressources suffisantes. Il fallait débloquer des ressources. Deuxièmement, si on veut appliquer une importante réforme qui remplace l'institutionnalisation par une façon plus complexe de traiter les patients, il faut des ressources pour appliquer le programme de réforme en soi.

Il y a donc ces deux éléments. D'abord, les soins en santé mentale étaient très en retard. Il fallait un rattrapage. Deuxièmement, il faut reconfigurer totalement la façon de penser la santé mentale et la façon de traiter les malades mentaux. Il s'agit de changer les attitudes et d'essayer de changer la façon dont la société perçoit ces malades, les met à part et fait de la discrimination. Pour un important programme de réforme comme celui-là, il faut des ressources.

Est-ce que ce fut une réussite? Nous avons déjà des rapports provisoires. La Commission de la santé mentale doit chaque année faire rapport au Parlement des progrès accomplis. Globalement, nous sommes à 75 p. 100 du parcours. Dans certaines orientations stratégiques, nous sommes plus avancés que dans d'autres.

La plupart des objectifs que nous avons fixés dans le plan de santé mentale ont été atteints. Nous en sommes à formuler le deuxième plan, qui comprend de nouveaux objectifs.

M. Chaplow: Il y a une autre question à ajouter, celle de la promotion. Les hommes et femmes politiques demandaient, à propos du secteur de la santé mentale: «Pourquoi est-ce que ça va si mal? Que pouvons-nous faire?» Un plan assorti de données sur les coûts de réalisation, avec une analyse de l'écart entre ce qui existait et ce dont nous avions besoin a été un outil de promotion très puissant. Au Trésor, on a regardé tout cela et on a dit: «Vous avez un plan. Vous avez une façon d'aborder le problème. Nous allons essayer de combler l'écart.» Cette étape a été très importante.

Le président: Madame Wilson, tout à l'heure, vous avez parlé des programmes que vous appliqueriez pour atténuer la discrimination. Le titre «Like Minds, Like Mine» m'a semblé très astucieux.

Si je comprends bien, vous avez appliqué pendant un certain nombre d'années un programme de sensibilisation. Vous êtes ensuite allés au-delà de la sensibilisation pour essayer d'atténuer l'opprobre et la discrimination. Si vous avez encore des exemplaires de votre ancien matériel de communication, des documents employés au cours de la campagne de sensibilisation, je voudrais bien que vous nous les fassiez parvenir. Cela nous donnerait une idée plus concrète de ce dont il s'agit. Nous aimerions aussi avoir des exemples des documents de votre programme actuel.

Pouvez-vous me donner une idée des ressources que vous avez consacrées au programme? Comment l'ensemble de la population a-t-elle réagi? Au Canada, on aime à dire que le système de soins en santé mentale est le parent pauvre du système de santé en ce sens qu'on prétend qu'il n'existe pas et qu'on n'en parle certainement pas en public. Dans quelle mesure le programme a-t-il été efficace? En avez-vous mesuré l'efficacité? En quoi cela consistait-il?

Mme Wilson: D'abord, il est très important de comprendre que, au tout début de cette initiative ou de ce programme, des recherches de base considérables ont été entreprises. Elles ont porté sur les attitudes dans la population et sur les réactions que susciterait une campagne de sensibilisation. Cette démarche s'est déroulée parallèlement à notre approche de développement communautaire.

Cette campagne n'est pas menée par des experts en santé mentale, mais par des experts en santé publique qui s'y connaissent en campagnes sur des choses comme le VIH, le tabac, l'alcool, les drogues, et cetera. De ce point de vue, il y a des compétences considérables. On utilise l'approche du développement communautaire dans laquelle tout un ensemble de professionnels de la santé publique et d'autres personnes, comme des consommateurs de soins en santé mentale, établissent des relations avec l'administration locale et des petits groupes communautaires pour assurer la sensibilisation d'une manière différente.

La première campagne nationale a eu lieu, et les recherches qui ont suivi ont révélé une évolution étonnante de l'attitude. On semblait mieux comprendre les troubles mentaux courants comme la dépression, les troubles anxieux, l'alcoolisme, et cetera.

La campagne faisait appel à des Néo-Zélandais très connus qui étaient disposés à parler publiquement de leurs problèmes de dépression et de troubles anxieux. J'ai ici quelques clips. Je vais vous en montrer un. Vous avez probablement entendu parler des All Blacks, l'équipe nationale de rugby de la Nouvelle-Zélande. L'un de ses joueurs a participé à la campagne nationale. Chaque élément du programme a fait l'objet d'une évaluation approfondie, avec des recherches indépendantes qui montrent les changements dans la sensibilisation et les attitudes de la collectivité. Cela a été fait avec beaucoup de soins.

La campagne actuellement en cours a laissé tomber les personnalités connues pour faire appel à des gens ordinaires qui ont été atteints de maladies assez graves, comme la manie-dépression ou le trouble bipolaire, la schizophrénie, et cetera. L'accent est mis sur ces personnes, leur famille, leur vie.

Quant à l'ampleur des ressources, je n'ai pas les chiffres, mais je pourrais certainement vous les communiquer. Ils peuvent avoir un budget de base assez modeste, comme 2 millions de dollars par année. Chaque campagne reçoit un financement supplémentaire. Tous ont donné leur temps gratuitement. Les personnalités connues qui ont participé aux annonces l'ont fait gratuitement, volontairement. Chez les Néo-Zélandais, il y a beaucoup de bonne volonté, lorsqu'il s'agit de donner de son temps. Bien entendu, il y a eu parallèlement une campagne dans les médias — on a établi des relations avec des organisations comme la police et d'autres services et des organismes communautaires au sujet de leur façon d'aborder les malades mentaux. Je pourrais faire parvenir au comité une volumineuse documentation. Ce n'est pas un problème.

Le président: Ce serait magnifique. Je suppose que les attitudes ont changé plus rapidement chez les jeunes que chez les personnes de notre âge. Ai-je raison?

Mme Wilson: D'emblée, je ne pourrais pas dire si c'est vrai ou non. Vous avez peut-être raison. Il faudrait que je voie les statistiques.

Le président: Par exemple, il y a eu un certain nombre de sondages sur le mariage entre conjoints de même sexe, ce qui est la question de l'heure, au Canada. Les sondages montrent que chez les personnes de moins de 35 ans, entre les deux tiers et 70 p. 100 n'ont rien contre. Chez les 65 ans et plus, entre les deux tiers et 70 p. 100 disent que c'est une idée atroce. Il semble qu'il soit plus facile de modifier les attitudes fondamentales lorsqu'on est jeune et tout neuf que lorsqu'on est vieux et grincheux comme nous le sommes. Je me demandais si c'était la même chose chez vous.

Le sénateur Cordy: Je suis toujours étonnée de la façon dont vous avez pu convaincre tout le monde de consacrer autant d'argent au plan, qui est une excellente idée. Est-ce qu'il y a eu un effet boule de neige? Vous avez eu des chefs de file qui sont venus du milieu médical, du niveau communautaire et des patients. Comment cela a-t-il commencé? Le mouvement a-t-il commencé lentement pour s'amplifier par la suite? Est-ce ainsi que les appuis sont venus? Y a-t-il eu un point tournant où vous avez pu vous dire que c'était gagné?

Mme Wilson: Les gens peuvent avoir des points de vue différents — et cela peut sembler cynique — mais la vérité, c'est que nous avons eu une série d'incidents graves. Une certaine personne atteinte d'une maladie mentale a commis un homicide. La Nouvelle-Zélande est un petit pays et tout le monde se connaît, plus ou moins. Ces incidents sont douloureux, difficiles et tragiques et ils sont souvent entourés d'une certaine publicité négative.

Pour être honnête, je ne crois pas que nous ayons plus d'incidents semblables que n'importe quel autre pays. C'est simplement que la Nouvelle-Zélande est ainsi faite. Et nous avons un service de santé publique qui est entièrement financé par l'État. L'affaire prend une dimension politique. Nous avions une stratégie et des ressources pour l'appliquer, mais le secteur en général et la collectivité n'étaient pas satisfaits. Il y a donc eu une longue enquête qui a duré plus d'un an. Pour mener l'enquête, on a consulté des gens un peu partout en Nouvelle-Zélande et à l'étranger, exactement comme vous le faites. L'enquête a accouché d'un certain nombre de recommandations, dont celle prévoyant une augmentation marquée des ressources et l'élaboration de ce plan directeur visant à analyser avec plus de précision la nature des ressources nécessaires. Je dois dire que les hommes et femmes politiques de l'époque ont serré les dents et sont allés de l'avant.

Ma façon d'aborder la question est-elle la bonne?

M. Chaplow: Oui, c'est passablement juste.

Mme Wilson: Cela répond-il à votre question?

Le sénateur Cordy: Oui, je vous remercie.

Quand vous avez parlé de désinstitutionnalisation, j'ai trouvé intéressant d'apprendre que vous aviez gardé le même nombre de lits dans les hôpitaux, même si les patients recevaient les services dans la collectivité, mais il y a eu reconfiguration. Je ne vois pas très bien ce que vous vouliez dire. S'agissait-il de foyers collectifs où les patients vivaient ensemble comme dans une maison ordinaire? Pourriez-vous préciser?

Au Canada, nous avons perdu des lits dans les hôpitaux, mais cet argent ne va pas nécessairement dans la collectivité, ce qui était pourtant prévu au départ. Comment cela fonctionne-t-il?

M. Chaplow: Cela dépend souvent de la façon de compter. L'une des caractéristiques de l'asile, du grand établissement, c'était que tous les lits se trouvaient au même endroit. L'avantage, c'était la capacité et la souplesse. Nous avons séparé les divers types de soins. Par exemple, il nous a semblé bien préférable d'avoir les lits pour soins actifs dans les hôpitaux universitaires, où on peut faire des diagnostics. Dans l'ensemble, les services de psychiatrie légale doivent être à part. Même chose pour les personnes âgées et les enfants, et cetera.

Lorsque nous avons fait le décompte des lits des divers types de services, nous avons constaté que nous n'avions rien perdu. Nous avons dû mettre en place une capacité de service dans la collectivité. Par exemple, de quel soutien une personne a-t-elle besoin dans la collectivité? Avons-nous des services de relève. Un patient n'a peut-être pas à être hospitalisé, mais nous devons donner quelques jours de répit à sa famille ou à ceux qui s'occupent de lui. Ce genre de chose.

Le sénateur Cordy: L'argent nécessaire pour le logement communautaire est-il venu du budget de la santé? Y a-t-il eu des querelles entre les différents ministères au sujet de la responsabilité du logement? Tous les ministères travaillent-ils de concert?

Mme Wilson: Excellente question. Au début des années 90 à peu près au moment de l'élaboration de la première stratégie sur la santé mentale —, il y a eu une politique gouvernementale qui a fait passer au crédit de la santé le financement qui était prévu dans le crédit des affaires sociales pour aider les personnes handicapées qui habitent dans leur propre logement ou dans des foyers collectifs. Cela veut dire que nous avons hérité de la majeure partie des ressources utilisées pour assurer un soutien aux patients.

Nous avons défini des niveaux différents. Les niveaux 4 et 3 correspondaient à un soutien plus intensif. Ils ont donc reçu un financement par personne plus élevé. Pour le niveau 1, le soutien était moins considérable. Nous avons des foyers collectifs prévus pour quatre ou cinq personnes. Nous avons évolué vers des établissements plus petits, semblables à des maisons comme nous les connaissons tous. Depuis lors, nous avons eu tendance à placer les gens dans leur propre chez-soi, seuls ou avec qui ils veulent, des amis ou des membres de leur famille. C'est là une évolution plus récente.

Comment on obtient une maison? En réalité, le financement des logements relève toujours de Housing New Zealand, le ministère chargé du logement. Il incombe toujours au ministère de trouver un logement. En ce moment, le soutien pour entretenir le logement vient du crédit de la santé.

M. Chaplow: Puis-je ajouter que tout ne se passe pas toujours de façon agréable et sans difficultés, en Nouvelle- Zélande. Un ou deux conseils ont essayé de prendre des règlements pour empêcher cette évolution. Généralement, ils n'ont pas réussi, mais cela équivaut à une lutte d'arrière-garde de la part de ceux qui ne veulent pas voir ces malades dans leur collectivité.

Le deuxième problème, c'est l'attente pour obtenir un logement. Nous avons essayé d'obtenir un traitement préférentiel pour les patients ayant des troubles mentaux qui réintègrent la collectivité. Il a fallu parfois lutter. Parfois, tout s'est passé à merveille, mais, à d'autres moments, il y a eu des luttes dans certains secteurs.

Le sénateur Cordy: Merci beaucoup. Ces renseignements sont très utiles. Nous avons aussi chez nous le syndrome «d'accord, mais pas dans ma cour». Ce n'est pas aussi courant que par le passé, Dieu merci.

Le président: Je voudrais terminer en vous demandant de faire des observations générales sur la façon dont vous élaborez en ce moment votre deuxième plan directeur. Vous avez publié un document sur les enjeux le mois dernier pour demander des commentaires. Quel est le calendrier que vous voulez respecter pour produire le plan directeur? Je pose la question en partie parce que le sénateur Morin vient de me murmurer: sommes-nous toujours en retard sur eux? C'est tout à fait vrai.

Dans la mesure où nous pouvons tirer des enseignements de ce que vous faites et plagier la prochaine version de votre plan directeur, cela nous serait utile. Pourriez-vous nous dire un mot de votre calendrier, de l'orientation de la démarche et des repères dans le temps?

Mme Wilson: Au préalable, il me semble important que vous compreniez clairement que nous avons eu une stratégie et un plan. La première s'appelait «Looking Forward» et le plan «Moving Forward». Le plan directeur, qui a été publié en 1998, a été l'œuvre de la Commission de la santé mentale plutôt que du gouvernement, bien que le gouvernement en ait ensuite fait sa politique. Nous sommes en train d'élaborer le deuxième plan national, et nous ignorons s'il y aura une nouvelle version du plan directeur ou non. Cela viendra après le second plan.

Nous sommes sur le point de présenter une version provisoire au Cabinet. Il y aura ensuite de vastes consultations publiques. Nous espérons que notre deuxième plan sera terminé et accepté par le gouvernement d'ici novembre ou décembre.

Nous ne partons pas de zéro. Nous essayons de repartir de là où nous en sommes. La poursuite de l'application du plan directeur fait toujours partie du plan. Nous insistons encore beaucoup sur les Maoris, notre peuple aborigène. Nous insistons également sur le perfectionnement de la main-d'œuvre, le développement de l'infrastructure et de l'information, l'élaboration d'un système de gestion du rendement pour savoir si nous faisons ce que nous sommes censés faire, si le système fonctionne, si l'investissement en vaut la peine. Nous avons une importante orientation stratégique en santé mentale dans le secteur des soins de santé primaire, la prévention et la promotion et, enfin, l'intégration sociale.

Nous allons nous attaquer aux problèmes d'exclusion sociale qui ont pour conséquence que les malades mentaux ont du mal à s'intégrer dans les collectivités et la société en général. Nous examinerons aussi les conséquences de leur maladie mentale sur leur revenu, leur emploi et leurs possibilités de faire des études. Enfin, nous allons intégrer de façon plus officielle la toxicomanie dans le plan.

Le président: Nous sommes enchantés de ce dernier élément, car nous avons également englobé la toxicomanie dans notre mandat.

Lorsque vous diffusez le plan provisoire pour ce que vous appelez de vastes consultations, cela en fait-il un document public? Si oui, pourriez-vous nous en envoyer un exemplaire? Je présume que, comme chez nous, les vastes consultations, par définition, veulent dire que ce peut être un document public, puisqu'il y aura des fuites de toute façon.

Mme Wilson: Les médias le recevront. Aussi bien que vous l'ayez aussi.

Le président: Si vous pouviez nous l'envoyer, nous vous en serions reconnaissants. Ce serait magnifique.

Le sénateur Cook: J'ai parcouru votre plan directeur qui commence en 1998, et j'en suis rendu à avril 2004. J'ai trouvé particulièrement intéressant le passage qui dit: «Un nouvel effectif non clinique est apparu, surtout dans les ONG, avec des normes de formation minimums acceptées au niveau national». Pourriez-vous expliquer ce que vous entendez par «normes de formation minimums acceptées au niveau national»?

Mme Wilson: Nous avons une organisation, le National Qualifications Framework, qui définit toutes les compétences qui se situent à un niveau inférieur à celui des universités. Cela comprend les certificats et les diplômes. Nous avons un certificat pour le travail de soutien communautaire en santé mentale. Environ 2 000 nouveaux travailleurs ont reçu cette formation.

Nous avons un nouveau groupe de travailleurs, les travailleurs du soutien communautaire en santé mentale, qui reçoivent une formation depuis probablement cinq ans. Ils travaillent surtout dans le secteur des ONG, mais ils travaillent aussi dans le secteur public principal. Ils reçoivent une formation pour aider les patients ou consommateurs qui ont des troubles mentaux, que ce soit à domicile ou dans des unités résidentielles communautaires, ou pour les aider à se débrouiller avec le système. Ils peuvent par exemple les accompagner au service du soutien du revenu, au service de l'emploi, pour les aider à surmonter les obstacles sociaux.

Cela vous semble logique?

Le sénateur Cook: Bien sûr. Je m'intéresse particulièrement à la question parce que, au Canada, et surtout là où j'habite, ce genre de chose se fait de façon occasionnelle, mais pas de façon organisée. Il n'y a pas de normes de formation et de prestation des services. C'est par compassion et bonté que les gens rendent service lorsqu'ils s'aperçoivent qu'il y a une lacune. Je suis particulièrement intéressée par la façon dont vous avez géré ce dossier et êtes parvenus à ces normes nationales.

Merci.

Le président: Madame Wilson, au nom de mes collègues, je tiens à vous dire à quel point nous vous sommes reconnaissants d'avoir bien voulu prendre le temps de venir nous rencontrer aujourd'hui. Vous nous avez été très utiles. Il est presque embarrassant de constater à quel point nous tirons de l'arrière. Par ailleurs, votre témoignage suscite énormément d'optimisme, en ce sens que vous avez accompli de grands progrès en seulement dix ans. Ce serait un grand progrès pour nous d'arriver à lancer un processus semblable chez nous l'an prochain.

Merci de toute votre aide. J'ai hâte de recevoir la documentation que vous nous avez proposée. Inévitablement, d'autres questions surgiront. Nous nous réservons donc unilatéralement le droit de vous ennuyer de nouveau pour essayer d'obtenir un complément d'information, lorsque la documentation nous parviendra.

La séance est levée.


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