Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule 2 - Témoignages du 11 mars 2004
OTTAWA, le jeudi 11 mars 2004
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 10 h 52, pour étudier l'état actuel des industries de médias canadiennes; les tendances et les développements émergeant au sein de ces industries; le rôle, les droits et les obligations des médias dans la société canadienne; et les politiques actuelles et futures appropriées par rapport à ces industries.
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Bienvenue aux sénateurs, aux témoins, aux membres du public et aux téléspectateurs à cette réunion du Comité sénatorial permanent des transports et des communications.
[Français]
Le comité poursuit son étude sur le rôle que devrait jouer l'État afin d'aider les médias d'actualité à demeurer vigoureux, indépendants et diversifiés dans le contexte des bouleversements qui ont touché ce domaine au cours des dernières années, notamment en ce qui a trait à la mondialisation, aux changements technologiques, à la convergence et à la concentration de la propriété.
[Traduction]
Nous accueillons aujourd'hui des représentants de divers syndicats de journalistes — les journalistes qui produisent les nouvelles. Nous recevons M. Arnold Amber, directeur de la Newspaper Guild of Canada, M. Jan Ravensbergen, président de la Montreal Newspaper Guild, et Mme Lois Kirkup, présidente de la Ottawa Newspaper Guild. Merci beaucoup de vous joindre à nous.
Comme vous le savez, nous procédons habituellement par une période de déclarations liminaires des témoins d'approximativement 15 minutes, avant de passer à une période de questions. J'imagine que vous vous êtes entendus pour savoir qui allait commencer. Aux fins du compte-rendu, veuillez indiquer le syndicat que vous représentez. Est-ce M. Amber qui commence?
M. Arnold Amber, directeur, The Newspaper Guild of Canada: Merci beaucoup, sénateur Fraser. Nous sommes bien sûr très heureux d'être parmi vous aujourd'hui. Lorsque nous faisons du travail syndical dans le contexte des médias au Canada, les questions dont nous débattons — dont nous sommes saisis, remontent en fait à dix ans, soit au début de la concentration massive des médias, en 1996, avec l'émergence de Conrad Black et de Hollinger.
Notre organisation existe cependant au Canada depuis plus longtemps, soit depuis 50 ou 60 ans. Nous comptons maintenant d'autres adhérents, comme ceux qui travaillent dans le secteur de l'imprimerie et dont l'histoire remonte à pratiquement cent ans.
La Newspaper Guild of Canada, TNG Canada, se compose de ce que nous appelons des «sections locales», c'est-à- dire des regroupements syndicaux à l'échelle du pays. Le volet médias de notre syndicat regroupe environ 8 000 spécialistes du domaine qui travaillent dans toutes les chaînes et tous les genres de médias: journaux, services de presse, radio-télévision et nouveaux médias. Nous sommes le syndicat d'institutions canadiennes comme la Presse canadienne, la SRC/CBC, ainsi que de tous les journaux, petits et grands.
Nous sommes membres de Communications Workers of America, organisme présent dans toute l'Amérique du Nord et regroupant 750 000 adhérents. Si nous sommes ici aujourd'hui, c'est pour vous faire part de ce que nous pensons au sujet de la question que vous examinez. Nous sommes heureux de cette occasion, car, au Canada, c'est le Sénat qui a toujours fait le meilleur travail qui soit au sujet des médias. Nous espérons que votre comité respectera cette tradition, ce d'ailleurs nous sommes persuadés.
Pour commencer, mes deux collègues vont vous parler de leurs perspectives, de Montréal et d'Ottawa. Je parcourrai ensuite avec vous un document que nous vous avons remis un peu plus tôt aujourd'hui. En guise de préparation et pour refléter le mieux possible ce que pensent nos membres, nous avons fait un sondage parmi ceux qui travaillent dans les chaînes importantes, surtout celles qui, au cours des dernières années, ont subi un changement de propriété. Je vais le parcourir avec vous, car il jette de la lumière sur les perspectives à l'échelle du pays.
M. Jan Ravensbergen, président, Montreal Newspaper Guild: La Montreal Newspaper Guild compte 350 membres. Nous représentons les rédacteurs, les représentants à la vente et au service à la clientèle, le personnel commercial, les employés chargés du traitement électronique des données, les représentants aux ventes publicitaires et les représentants aux ventes d'annonces classées à The Gazette à Montréal. Il se trouve qu'aujourd'hui, deux témoins sur trois représentent des employés qui travaillent pour les journaux CanWest Global — moi-même et Mme Kirkup.
Nous pensons que notre expérience peut s'appliquer à la question globale de la concentration et de la propriété croisée des médias et, plus précisément, au choix de politiques pertinentes, ce qui fait partie du mandat fort important de votre comité.
Lorsque CanWest Global a fait l'acquisition de la chaîne Southam — les journaux Black — en 2001, cette société ne connaissait que le volet télévision de l'entreprise. Elle savait vaguement que la convergence de différents médias serait rentable. Nous avons vu énormément de publicité croisée entre les deux et parfois, des articles écrits par des reporters Global apparaissent à l'agence de presse CanWest ainsi que dans les journaux CanWest, sans compter que plusieurs présentations spéciales se font conjointement. Par ailleurs, on a assisté à un resserrement spectaculaire du contrôle de ce qui avait été une chaîne peu structurée de journaux indépendants.
Dans le passé, ces journaux fonctionnaient avec beaucoup plus d'autonomie; les exemples en sont nombreux. Les éditeurs locaux sont remplacés par des directeurs généraux, ce qui correspond à une façon très visible d'affirmer et de consolider le contrôle centralisé. C'est apparu très clairement dans la ville d'Ottawa, au Ottawa Citizen, après le renvoi de Russell Mills. Il y a maintenant un directeur général plutôt qu'un éditeur à Calgary, au Calgary Herald. Nous pouvons dire sans crainte de nous tromper que cette politique va s'appliquer à l'échelle du pays au fur et à mesure que partent d'autres éditeurs. J'ai écouté en 2002 une entrevue où M. Mills disait que l'une des principales responsabilités de l'éditeur consistait à défendre la salle de nouvelles et à permettre aux journalistes de faire leur travail sans avoir à subir de pressions excessives. Ce moyen de défense est en train de disparaître grâce à CanWest, ce qui est inquiétant.
Les critiques locaux ont été écartés au bénéfice de critiques nationaux qui travaillent à l'administration centrale ou sous la supervision directe de celle-ci lorsqu'ils se trouvent dans d'autres villes. Il n'y a plus de critique de télévision à The Gazette à Montréal. Autant que je sache, c'est la même chose à Ottawa. Certaines fonctions comme la liste de paye, le service à la clientèle et les comptes créditeurs ont été transférées à Winnipeg. Le travail informatique a été retiré de diverses villes et déplacé à Winnipeg.
Il a été question il y a deux jours de la formation et de l'expansion d'un bureau central d'informations — le Canada news desk. Les répercussions pour l'avenir de la Presse canadienne en sont considérables et madame le sénateur Carne s'en est tout de suite aperçue.
Ces quelques dernières années, la compression du personnel dans divers services, comme la salle de nouvelles à The Gazette ainsi qu'à d'autres journaux CanWest, s'est fait durement sentir et s'est traduite par la perte d'emplois locaux. En tant que représentants syndicaux, c'est un problème qui nous préoccupe énormément, alors que votre comité s'intéresse davantage à la disparition de liens directs entre journaux et collectivités locales.
Il apparaît clairement aux lecteurs canadiens que les journaux locaux sont appauvris et que l'identité locale s'efface progressivement. On assiste à une homogénéisation qui est extrêmement inquiétante, assortie d'un changement de philosophie — l'un parmi tant d'autres — entre l'époque de Southam et les deux ou trois dernières années. Vous vous rappelez sans doute, et M. Davy a été explicite en juin dernier à ce sujet, que Southam tirait fierté du fait que les comités de rédaction locaux étaient indépendants et pouvaient ainsi mieux refléter les collectivités qu'ils desservaient. Il n'est pas surprenant pour votre comité de voir que CanWest a tenté d'imposer «le même point de vue pour tous» dans tout le pays. L'effort visant à imposer des éditoriaux uniques jusqu'à trois fois par semaine dans chaque grand quotidien qu'elle possède au pays a suscité une vague de protestations. Il semble pour l'instant que cette idée ait été mise de côté, mais elle révèle le genre de philosophie qui se met en place et qui exige que votre comité prenne des décisions et fasse des recommandations d'importance.
On a assisté à d'autres approches relativement plus subtiles. Je souligne le mot relativement. Des initiatives et des changements qui ont également profondément touché l'ensemble de CanWest — et certainement à Montréal — n'ont pas attiré autant l'attention du public que l'affaire des éditoriaux uniques.
Les directeurs de divers journaux ont péniblement pris conscience des points de vue du propriétaire sur toute une gamme de questions comme la politique fiscale, la politique étrangère et quand et de quelle façon le parti au pouvoir devrait changer de chef. Les directeurs intelligents — ou, à tout le moins, ceux qui veulent survivre dans ce nouvel environnement — savent qu'il ne faut pas trop s'écarter de la position organisationnelle prescrite.
Une position établie veut souvent dire, en pratique, qu'il faut ignorer ou minimiser les avis contraires. La liste des chroniqueurs qui ont quitté CanWest, volontairement ou non, est longue et célèbre. Il en découle une perte de diversité d'opinions, ce qui entraîne, à long terme, une perte de crédibilité du public et une réduction de la portée du débat. C'est le coeur du problème, puisque la viabilité des journaux dont nos membres dépendent pour gagner leur vie est mise en danger.
Les bénéfices eux, ne risquent rien. Les journaux sont ordinairement une entreprise très rentable. Nous savons que les journaux CanWest réalisent quelque 0,30 $ de bénéfice avant les paiements d'intérêts — qui sont lourds — pour chaque dollar de recettes. Il s'agit de chiffres énormes.
Je me souviens des plaintes formulées il y a quelque 15 ans. À l'époque, Southam visait un bénéfice de 0,15 $ par dollar. Je vois que le sénateur Fraser se souvient de cette époque également. Aujourd'hui, le bénéfice est passé du simple au double; bien des choses ont été éliminées et nos membres en ont certainement fait les frais.
Nous reconnaissons que les journaux, comme n'importe quelle entreprise, doivent être rentables pour rester viables et florissants. Le grand danger — et nous en avons déjà vu de nombreux signes avant-coureurs — c'est qu'ils vont cesser de jouer le rôle clé qu'ils ont toujours joué au Canada — dans notre société, dans nos collectivités locales — qui consiste à favoriser un débat public libre et ouvert. Ils ne devraient pas simplement permettre un tel débat à contrecoeur, mais l'éveiller, l'attiser et le stimuler activement et, dans certains cas, le provoquer. Susciter le débat fait partie de l'intérêt public.
Comment corriger la situation? Structurellement, le CRTC ne s'intéresse qu'au volet électronique des médias. Le Bureau de la concurrence ne s'intéresse qu'aux aspects financiers de la concentration des médias. Qui s'occupe de l'intérêt public?
Peu de villes sont suffisamment importantes pour avoir plus d'un grand journal. La propriété croisée pose maintenant un grand problème, puisque c'est le même propriétaire qui possède une chaîne importante de télévision dans beaucoup de villes, comme nous l'avons remarqué. La diversité des agences de presse qui fournissent les nouvelles aux journaux du pays, qu'ils soient importants ou non, est lourdement menacée.
Vous avez entendu mardi dernier que l'agence de presse CanWest prend plus d'ampleur et d'importance. Vous avez entendu mardi que le National Post a apparemment remis un avis de retrait à la Presse canadienne. Nous ne pouvons nous empêcher de croire qu'il s'agit là d'un signe avant-coureur d'un avenir plus sombre. Par exemple, que se passera-t- il si la douzaine de quotidiens CanWest se retirent de la Presse canadienne et dépendent des agences de presse CanWest centralisées à Winnipeg?
Ce serait catastrophique en matière de diversité, mais nous craignons qu'il soit possible que la situation évolue dans ce sens. À l'heure actuelle, à l'intérieur de CanWest, les journaux individuels sont fortement encouragés à publier le texte CanWest de l'agence de presse CanWest, même si la Presse canadienne a fait le même reportage plus succinctement, plus tôt et mieux. L'existence de la Presse canadienne est profondément mise en danger. Le sénateur Carney a dit qu'il était inconcevable d'envisager le Canada sans la Presse canadienne, sous sa forme actuelle à tout le moins. Je crains que ce ne soit maintenant une possibilité.
Ce problème est directement lié à votre mandat. La démocratie dépend d'un débat éclairé, ouvert, libre. Toute tentative d'encadrement du débat par des moyens institutionnels ou idéologiques, restreint la démocratie. C'est notre expérience.
Que faire? Jusqu'à présent, les journalistes ont toujours catégoriquement résisté à toute ingérence ou intrusion du gouvernement dans leurs affaires, sous prétexte que leur indépendance en serait nécessairement compromise. Toutefois, nous sommes enfermés dans un dilemme. Si nous continuons à envisager la concentration et la propriété croisée des médias uniquement comme une question commerciale, ce qui semble être le cas pour l'instant, nous courons le risque qu'un jour, un conglomérat américain ou étranger s'empare de la principale chaîne canadienne de journaux et, avec elle, de l'agence de presse qui transmet aux Canadiens la plupart des points de vue et de l'information qu'ils reçoivent.
Dans une certaine mesure, on craint beaucoup que les journaux canadiens soient intégrés par un conglomérat, comme l'a fait la Knight Ridder. Je devrais vous donner quelques explications. Bon nombre d'entre vous voyagent aux États-Unis. Par rapport à leurs concurrents américains ayant un tirage comparable, les journaux canadiens ont toujours fait meilleure figure et traité l'information plus exhaustivement. Dans l'ensemble, ils offrent un meilleur produit, qui est davantage axé sur l'actualité locale. Nous craignons que la coquille vide que risquent de devenir les journaux canadiens entraîne une réduction de la qualité qui permettrait à un grand conglomérat médiatique de faire des acquisitions, dans l'hypothèse où la loi serait modifiée pour autoriser une plus grande propriété étrangère. Je sais que beaucoup de pressions sont exercées de la part de différents intérêts commerciaux à cet égard.
Notre souveraineté et notre indépendance nationale seraient grandement mises en péril. C'est une voie qui interdit toute marche arrière. Il ne faut pas s'y engager.
Que faisons-nous à partir de maintenant? Votre documentation souligne des questions secondaires très intéressantes. Lorsque nous parlons de liberté de la presse, à quoi faisons-nous allusion? Dans un éditorial national publié dans le journal The Gazette, Murdoch Davis, qui était à l'époque le rédacteur en chef de ce quotidien, avait défini la liberté de la presse comme étant la liberté de toute ingérence de la part du gouvernement, une approche très étroite.
Au cours des deux dernières années, nous avons été mis à très rude épreuve lorsqu'on nous a imposé la consigne du silence, par une ordonnance de secret. Cette situation a suscité beaucoup la controverse. Nous avons publié une lettre ouverte, dont les termes étaient très directs et très forts. Nous nous rendions compte que l'entreprise restreignait le débat et altérait la couverture médiatique ainsi que les commentaires journalistiques pour mieux défendre ses intérêts. La direction a lancé des menaces de suspension ou de congédiement. Nous avons eu recours à la procédure qui s'offrait à nous, c'est-à-dire la procédure de règlement des griefs. Nous sommes parvenus à une entente avec le journal The Gazette sur les principes fondamentaux qui, selon nous, devraient régir et régiront les relations et les conditions de travail des journalistes du quotidien.
Je finirai en lisant ces principes fondamentaux parce qu'ils sont susceptibles de nous montrer une façon d'envisager les choses qui nous permettra de conserver ou parfois de rétablir les libertés fondamentales dans les salles de rédaction de notre pays.
Premièrement, la liberté d'expression et la liberté de la presse sont des éléments essentiels pour le public, pour The Gazette et pour les journalistes à son emploi, des éléments protégés par la Charte des droits et libertés. Tous les éditeurs doivent préserver et défendre ces droits.
Deuxièmement, les journalistes et les autres personnes qui travaillent pour The Gazette reconnaissent qu'ils sont les employés d'une entreprise. Légalement, ils sont liés par les mêmes obligations que les employés de toute autre entreprise, dans tout autre secteur de l'économie.
Troisièmement, les parties reconnaissent toutes deux qu'elles ont l'obligation de servir la confiance du public. À cet égard, les journalistes et The Gazette doivent s'efforcer d'assurer la liberté de presse et la liberté d'expression. Les journalistes doivent avoir la liberté de rédiger des articles et des analyses justes, exactes et équilibrées, de participer à l'élaboration de politiques rédactionnelles qui tiennent compte du droit ultime de l'éditeur de déterminer ces politiques, ainsi que de contribuer et de participer à des débats publics. C'était une question très importante à nos yeux.
Quatrièmement, les parties reconnaissent la nécessité de respecter et d'équilibrer à la fois les obligations légales et les droits des journalistes et du journal The Gazette en tant qu'employeur. Ces droits comprennent ceux des propriétaires, représentés par l'éditeur, de gérer le journal conformément à la loi, ainsi qu'aux pratiques du journalisme et de l'éthique. Les propriétaires et les journalistes doivent faire preuve de prudence, de diligence, d'honnêteté et de fidélité envers le public.
L'une des principales questions est la suivante: nous avons une situation qui est claire depuis le début et qui s'impose encore aujourd'hui. Nous nous engageons certes à ce que les choses ne changent pas à l'avenir. Les journalistes ne peuvent pas être bâillonnés. Ils ne se laisseront pas bâillonner, pendant que les éditeurs mettront en veilleuse la liberté d'expression et la liberté de la presse en faveur de leurs propres programmes politiques, culturels et commerciaux. Toutes ces démarches juridiques nous ont appris que notre pays perdra graduellement ses libertés démocratiques, si nous, les journalistes, ne combattons pas toute tentative de censure et de contrôle sur l'opinion. Ces paroles ont été prononcées par Bill Marsden, qui a participé activement à cette lutte.
La présidente: Monsieur Ravensbergen, auriez-vous l'amabilité de remettre au comité les exemplaires des documents auxquels vous avez fait allusion, en l'occurrence, les ordonnances de silence, l'entente de principes acceptée et le rapport des médiateurs?
M. Ravensbergen: Il y avait également la décision arbitrale. Je vous transmettrai le tout.
La présidente: Je vous remercie infiniment.
Mme Lois Kirkup, présidente, Ottawa Newspaper Guild: L'Ottawa Newspaper Guild représente environ 200 employés du journal Ottawa Citizen, ainsi que 130 du service de l'éditorial. Je vous donnerai quelques exemples de ce qui est survenu au journal.
De nombreux changements se sont produits au Ottawa Citizen depuis que CanWest Global a acheté la chaîne de journaux Southam de Conrad Black. L'un des plus connus est la publication occasionnelle d'éditoriaux nationaux. Cette modification de la politique rédactionnelle a contribué au congédiement de Russ Mills, l'éditeur, et, ultérieurement, à la démission de l'éditorialiste en chef.
Le déménagement à Winnipeg des représentants du service à la clientèle au sein de notre département des ventes et des services aux lecteurs — nos employés qui sont en contact direct avec nos lecteurs — a constitué le début de la centralisation dans les domaines autres que la rédaction. Par la suite, nous avons assisté à la centralisation du département des comptes créditeurs, du service de la paie et des autres fonctions liées aux finances. De prime abord, ces modifications peuvent être perçues comme étant de simples mesures de réduction des coûts, mais un examen plus attentif révèle que certains de ces changements ont privé les lecteurs du contact local essentiel avec le journal.
La centralisation des emplois ne s'est pas restreinte à ces services. En fait, elle n'a pas tardé à viser la salle de presse. Il y a les éditoriaux nationaux, mais nous comptons aussi dorénavant sur un rédacteur pour la télévision et deux critiques de cinéma nationaux. Ces postes ont remplacé ceux des chroniqueurs locaux de l'Ottawa Citizen.
La salle de presse a également subi les conséquences des récentes retraites et indemnités forfaitaires. Le service de l'éditorial a perdu plus d'une douzaine d'employés qui n'ont pas été remplacés en raison du gel du recrutement imposé par le siège de CanWest. Entre-temps, CanWest a cependant embauché des rédacteurs qui ont été affectés à la salle de rédaction de l'information nationale. Il en a découlé une augmentation considérable de la charge de travail des employés qui restaient en poste. Parfois, nous étions aux prises avec une grave pénurie de reporteurs pour couvrir les actualités locales importantes. Certains directeurs de la rédaction sont maintenant responsables de plus d'une section, tandis que nos réviseurs de textes sont gravement surtaxés. Les employés sont démoralisés et stressés.
Ce qui contribue à augmenter le stress, c'est la crainte de la centralisation de la mise en page de certains cahiers, comme ceux sur les spectacles, l'automobile, l'alimentation et les voyages. Ainsi, des cahiers complets déjà mis en page seraient envoyés aux journaux locaux. Les rédacteurs en chef locaux n'auraient plus que quelques pages à remplir avec l'actualité locale. Il pourrait en découler d'autres pertes d'emploi au niveau local et une homogénéisation accrue de nos journaux et de nos sites Web.
Il convient de souligner une tendance inquiétante: le flou entre les manchettes et la publicité. Par exemple, un article sur les allergies figurait à la partie supérieure d'une page consacrée à la santé tandis que nous retrouvions à la partie inférieure une publicité sur les médicaments pour lutter contre les allergies. La mise en page avait été effectuée par la salle de rédaction nationale, et les directeurs de la rédaction locaux ont reçu l'ordre de la publier sans y apporter aucune modification. Cette page a paru dans de nombreux journaux de la chaîne CanWest.
Récemment, un détaillant national de téléviseurs a fait paraître des annonces. Habituellement, les images apparaissant sur les téléviseurs des annonces sont générales. Les téléviseurs de ce détaillant montraient plutôt des images des émissions de Global. Ce ne sont là que quelques exemples des effets de la convergence et de la centralisation avec lesquels nous sommes aux prises quotidiennement à l'Ottawa Citizen.
La présidente: Merci.
M. Amber: Plus tôt ce matin, nous vous avons distribué un sondage que nous avons mené auprès de 14 journaux. Je souhaiterais vous donner des précisions et vous signaler quelques-unes des constatations les plus importantes qui s'en dégagent.
En comparaissant devant le comité sénatorial, nous voulions, outre vous faire part des commentaires comme ceux formulés par mes deux collègues, essayer de vous transmettre certaines des opinions que nous avons pu dégager en demandant l'avis des employés des services de l'éditorial des journaux dont la propriété a changé de main au moins trois fois et parfois quatre fois depuis 1996. Par conséquent, nous n'avons pas soumis le sondage aux employés du Chronicle-Herald d'Halifax notamment, parce qu'il s'agit d'une entreprise familiale qui n'est pas visée par la question de la concentration des médias.
Nos questions s'adressaient aux employés des journaux visés par cette concentration des médias. Nous leur avons demandé de nous décrire les effets du changement le plus récent. Vous n'êtes pas sans savoir que nous avons été aux prises avec la concentration des médias et, de surcroît, avec la convergence. De plus, 2001 a été le théâtre d'acquisitions importantes, CanWest achetant les journaux de Black, et CTV acquérant le Globe and Mail.
Comme nous le soulignons à la page 2, il s'agit d'un sondage d'opinion publique exécuté par Viewpoints Research de Winnipeg. Le sondage a été mené à l'échelle du pays la semaine dernière et il comportait la fameuse expression: «Les résultats sont considérés exacts à l'intérieur d'une marge d'erreur de 7,5 p. 100, 19 fois sur 20». Je n'aborderai pas les questions où le nombre est si élevé que la marge d'erreur de 7,5 p. 100 n'est pas un facteur. Cette marge d'erreur est importante de 49 à 56 ou de 60 à 44. Lorsque vous vous retrouverez dans les 80 ou près de 80, la marge d'erreur ne constitue plus un facteur.
Je voudrais notamment attirer votre attention sur la question 2, qui vient après la page 2. Je pense que c'est une question importante que la maison de sondage nous a incités à ajouter. La question était la suivante: «Quel est votre degré de satisfaction par rapport à votre emploi»? Nous l'avons posée pour connaître le degré de satisfaction des employés à l'égard de leur travail. Le degré de satisfaction s'établissait à 82.4 p. 100. C'est un chiffre intéressant, parce que les autres résultats du sondage indiquent que les journalistes sont aux prises avec de graves préoccupations. Cependant, je veux que vous sachiez que ce résultat permet d'établir qu'il s'agit de journalistes qui occupent depuis de nombreuses années un travail qui les comble, mais qui sont très malheureux de l'effet de la concentration des médias.
La question 5 demande si le moral a augmenté ou diminué depuis le dernier changement de propriétaires. Pour un peu plus de 65 p. 100 des répondants, le moral a baissé. Lorsqu'on leur a demandé si leur charge de travail avait augmenté à la suite du changement de propriétaires, 66 p. 100 ont répondu par l'affirmative. Ces résultats nous indiquent que les journalistes ne souhaitent pas changer d'emploi et veulent encore faire de l'excellent travail, mais qu'ils éprouvent de graves problèmes.
Les questions 9 et 10 portent sur la modification du contenu rédactionnel et la qualité des journaux. Sur la modification du contenu rédactionnel, 20 p. 100 des répondants ont affirmé qu'aucune modification importante n'était survenue depuis le dernier changement de propriétaires. Cependant, il semble y avoir eu une énorme diminution dans la qualité du contenu. Si vous examinez les réponses à la question 10 et faites le total des réponses «a baissé» et «a baissé beaucoup», vous obtiendrez un total de 71,3 p. 100 qui disent que la qualité a diminué. Le stress a-t-il augmenté? Il a augmenté pour 58 p. 100 des répondants.
Dans les questions ultérieures, nous avons demandé aux répondants de préciser pourquoi la qualité du contenu avait baissé. Pour les questions 23 à 26, 86,1 p. 100 ont indiqué que la qualité avait diminué à cause d'un manque de personnel. Au cours des dernières années, on nous a souligné constamment, comme mes collègues vous l'ont précisé, qu'on diminuait le nombre d'employés au sein des services de l'éditorial. Ces services ne font pas d'argent. Ils en dépensent. Réduire le personnel constitue l'une des premières mesures qui est prise. Conrad Black et ses collègues avaient l'habitude de dire: «Quelle que soit la salle de rédaction, je peux en réduire l'effectif du tiers». Cependant, ils n'ont jamais pu répondre à la question sur les conséquences de telles mesures sur les journaux en question.
Parmi les autres causes de la diminution de la qualité, 74 p. 100 des répondants sont d'avis que c'est le manque de temps et de ressources. Un peu plus de 57 p. 100 en attribuent la raison au contrôle de la politique rédactionnelle depuis l'extérieur de la ville. Enfin, 60 p. 100 affirment que c'est imputable à la diminution du volume des nouvelles.
Nous comprenons pourquoi la qualité du contenu a diminué. Ces facteurs sont tous une manifestation du problème que pose la concentration des médias.
Nous avons demandé aux participants d'évaluer la gravité des problèmes qu'éprouvent les journaux appartenant aux grandes chaînes: 71 p. 100 des répondants soutiennent que la perte de contrôle, au niveau local, de la politique rédactionnelle est sérieuse; 67 p. 100 estiment que la réduction de la diversité des opinions exprimées dans leur journal est, elle aussi, sérieuse. On remarque donc, de plus en plus, que la politique rédactionnelle du journal — je ne fais pas allusion à la couverture de l'actualité — a un impact, puisque les chroniqueurs émettent de moins en moins d'opinions adverses. Enfin, 68 p. 100 des répondants affirment que, dans l'ensemble, la qualité du journalisme diminue.
À la question de savoir s'il faut limiter la concentration des médias au Canada, 77,6 p. 100 des répondants soutiennent que oui. Quant aux moyens de restreindre la concentration, 27 p. 100 affirment qu'il faut interdire la propriété croisée des médias; 14 p. 100 jugent qu'il faut limiter le nombre de journaux dont une chaîne peut être propriétaire; et 30,9 p. 100 préconisent l'établissement de garanties de contrôle rédactionnel local.
Nous avons ensuite abordé un thème qu'examinent deux comités de la Chambre des communes, soit la propriété étrangère dans le secteur des télécommunications et des médias. D'après nos résultats, deux tiers des répondants — soit 64,9 p. 100 — «s'opposent vivement» et «s'opposent» à l'achat de médias par des intérêts étrangers.
Cela fait presque dix ans que le milieu journalistique compose avec la concentration et la convergence médiatiques. Nous lui avons demandé de nous dire ce qui risque de se produire si la tendance se maintient. Au total, 89 p. 100 des répondants croient que le contrôle des nouvelles et des décisions de programmation sera assuré par un petit groupe de responsables; 87 p. 100 craignent que la situation n'entraîne une augmentation de la commercialisation des nouvelles et de la programmation; 83 p. 100 prédisent que les médias vont offrir moins de points de vue; 86 p. 100 soutiennent que ce phénomène va entraîner une perte de crédibilité au niveau du public. Ce dernier point est très important. Il va y avoir des élections cette année. Nous allons tous déplorer, après le jour du scrutin, le taux de participation. Nous savons que les Canadiens —surtout les plus jeunes — ne se tiennent pas au fait de l'actualité, ne lisent pas les journaux, ne regardent pas les nouvelles à la télé, ce qui pose problème. Or, plus votre crédibilité diminue, plus vous perdez de lecteurs.
Pour ce qui est de la qualité de la couverture des nouvelles, 82 p. 100 des répondants affirment qu'elle va diminuer, et 75 p. 100, qu'elle va manquer davantage d'objectivité. Environ 67 p. 100 des répondants estiment que la concentration des médias va entraîner une baisse de la couverture médiatique locale. Honorables sénateurs, une des premières choses que l'on fait pour économiser de l'argent quand on dirige un journal, c'est de réduire la couverture locale parce qu'il faut aller à la recherche des nouvelles. Vous pouvez remplir un journal d'articles tirés de la Presse canadienne, de l'Associated Press, de Reuters ou de l'Agence France Presse, mais vous devez payer pour obtenir des nouvelles locales. Or, la couverture locale est la première chose à disparaître.
Enfin, nous rejetons ce que d'autres témoins vous ont dit. Nous avons cherché à savoir si la concentration des médias apporterait une plus grande stabilité à l'industrie: 30 p. 100 seulement des journalistes ont dit oui; 57 p. 100 ont dit non. Si nous avons posé la question, c'est parce que ceux qui croient que la concentration médiatique devrait poursuivre son petit bonhomme de chemin — et des témoins, le comité en a entendu — soutiennent, en fait, le contraire. Ils insistent pour dire qu'il faut de la stabilité. Or, pour eux, stabilité est synonyme d'entreprises toujours plus grandes.
Au Canada, un journal qui est bien dirigé réalise toujours des profits. Les journaux qui fonctionnent bien affichent, en fait, des marges de profit supérieures à celles de la plupart des autres industries. La taille de l'entreprise importe peu; ce qui compte pour les Canadiens, ce sont la qualité du journal, la diversité des opinions, la liberté qu'ont les journalistes de faire leur travail.
À mon avis, ce sont ces raisons qui poussent le comité à consacrer son temps et son énergie à la question de la concentration des médias. Nous représentons certains travailleurs à l'emploi des grandes chaînes. Bien que mes collègues viennent tous les deux de CanWest, nous représentons les travailleurs, comme l'indique la deuxième question, de la chaîne Irving, qui n'a pas été vendue, mais qui a plutôt élargi son empire. En effet, au cours des deux dernières années, Irving a acheté presque tous les autres médias du Nouveau-Brunswick. Nous représentons les travailleurs de Transcontinental, un nouveau groupe émergent qui s'occupe de revues et de journaux, d'Osprey, la principale chaîne médiatique régionale de l'Ontario, de Sun Media Group et, bien entendu, de CanWest.
Les défis auxquels fait face l'industrie sont énormes. Les défis auxquels font face les Canadiens sont plus importants encore.
La présidente: Merci beaucoup. Avant de passer aux questions, je voudrais savoir qui a financé ce sondage.
M. Amber: C'est à la demande du syndicat que le sondage a été réalisé. C'est nous qui l'avons financé.
Le sénateur Phalen: Merci, madame la présidente. Merci de votre exposé. Je voudrais vous poser quelques questions au sujet du contenu. Mais avant, j'aimerais savoir si vous êtes affilié au groupe Communication Workers of America?
M. Amber: Nous le sommes.
Le sénateur Phalen: Y a-t-il une grande différence entre le rôle joué par les journalistes aux États-Unis et au Canada? Sont-ils traités différemment?
M. Amber: Je ne saurais vous le dire, puisque je n'ai jamais travaillé aux États-Unis. Toutefois, on remarque très peu de différence dans bon nombre des grandes chaînes. Parce que nous sommes affiliés à un groupe qui représente de nombreux travailleurs — ils sont environ 30 000 aux États-Unis qui travaillent pour l'industrie des médias, surtout les journaux — nous savons que les changements opérationnels qui surviennent quand les chaînes prennent de l'expansion, surtout après avoir acheté de nouveaux actifs, sont les mêmes. On coupe dans le personnel de rédaction, et on centralise davantage les pouvoirs.
Le sénateur Phalen: Vous dites que les résultats de votre sondage montrent que la question du contenu rédactionnel soulève beaucoup d'inquiétudes. D'après un des témoins qui a comparu devant le comité, les propriétaires de nombreux journaux pourraient utiliser un journal comme porte-voix, et accorder aux autres l'indépendance rédactionnelle dont ils ont besoin au chapitre des nouvelles et des éditoriaux. Croyez-vous que cette approche ou que l'imposition de restrictions législatives à la propriété multiple contribuerait à améliorer la qualité du contenu?
M. Amber: Il suffit de jeter un coup d'oeil à ce qui se passe en Europe, où certains journaux sont assujettis à des conventions de fiducie, et je pense que c'est à cela que vous faites allusion. Ces conventions, à notre avis, fonctionnent très bien en Europe de l'Ouest. En Amérique du Nord, le gouvernement a toujours été responsable de la politique de la radiodiffusion et des télécommunications, parce qu'il est question ici d'ondes publiques. On pourrait faire appel aux pouvoirs de persuasion des politiques dans ce cas-ci, car il existe des modèles beaucoup plus efficaces que celui qui permet à un groupe de personnes de posséder 15 ou 20 grands journaux au Canada.
Le sénateur Phalen: M. Russell Mills, lorsqu'il a témoigné devant le comité, a dit, et je cite: «Les dirigeants des compagnies médiatiques doivent mettre dans la balance la qualité de l'information qu'ils fournissent au public et les exigences quant à la hausse des bénéfices par action et autres impératifs commerciaux». Comment pouvons-nous établir un meilleur équilibre entre les besoins du public et les impératifs commerciaux des entreprises?
M. Amber: L'affaire CanWest nous a fait comprendre certaines choses, surtout à Montréal, où bon nombre des membres de l'équipe journalistique souhaitent qu'on insiste davantage là-dessus. Par exemple, mon collègue a lu les quatre points qui servent de fondement à l'entente conclue entre la direction et le syndicat du journal The Gazette, et qui mettent l'accent sur l'intérêt public. Notre syndicat a mis de l'avant une proposition qui repose sur le même principe. Les journaux doivent être considérés comme des biens différents. C'est là un point important, parce que les journaux et le journalisme dans ce pays font partie du processus démocratique. Il faut faire preuve d'une plus grande transparence afin d'aider le public à mieux comprendre le fonctionnement des journaux, et afin d'amener les propriétaires de journaux à prendre conscience du fait qu'ils doivent tenir compte à la fois de leurs intérêts commerciaux et de l'intérêt public. On pourrait très bien, par exemple, obliger les propriétaires à souscrire au principe d'intérêt public.
Le sénateur Graham: Merci de votre exposé et des opinions que vous avez exprimées. Est-ce que la Guilde des employés de journaux du Canada/TCA possède des journaux hebdomadaires?
M. Amber: Oui, nous possédons quelques petits journaux hebdomadaires.
Le sénateur Graham: Pouvez-vous nous dire où?
M. Amber: En Alberta. Certains de nos journaux provinciaux possèdent également des hebdomadaires. Dans certains cas, nos membres fournissent une bonne partie du contenu rédactionnel de ces hebdomadaires. La plupart des hebdomadaires, des bihebdomadaires et des trihebdomadaires se trouvent en Alberta.
Le sénateur Graham: J'ai trouvé intéressant le sondage que vous nous avez présenté. Pouvez-vous nous dire quelle était la taille de l'échantillonnage? Était-ce 125?
M. Amber: Nous avons sondé 125 personnes sur un total de 485.
Le sénateur Graham: Pouvez-vous nous dire comment le sondage a été réalisé? En face à face ou par téléphone?
M. Amber: Par téléphone.
Le sénateur Graham: Est-ce que le sondeur vous a dit combien de temps a duré chaque interview? A-t-il, dans chaque cas, procédé à une interview en profondeur?
M. Amber: L'interview durait une quinzaine de minutes.
Le sénateur Graham: Madame Kirkup, vous avez parlé, ce matin, de la centralisation des comptes créditeurs et de la feuille de paye. Je ne sais pas si cela a quelque chose à voir avec le contenu rédactionnel ou la couverture de l'actualité, mais un propriétaire ne considérerait-il pas cela comme une pratique de saine gestion?
Mme Kirkup: Oui.
Le sénateur Graham: Est-ce que cela influe sur le moral?
Mme Kirkup: Absolument, en raison de l'incertitude qui existe et de l'absence de contacts personnels. Les frustrations sont nombreuses, surtout à l'interne, parce que la feuille de paye est préparée à Winnipeg. Il n'est pas simple de corriger une erreur qui a été commise par inadvertance. Il faut envoyer beaucoup de courriels avant qu'un problème ne soit réglé.
Je m'occupe des feuilles de paye dans mon service. Il m'est déjà arrivé de recevoir le mardi soir, alors que je ne suis plus là, un courriel me disant qu'ils n'ont pas reçu la feuille de paye pour la semaine, alors que, dans les faits, ils l'ont reçue. Cela crée de la frustration. Il y a également des problèmes du côté des comptes créditeurs, dont je m'occupe également. Je commande de nombreuses revues pour la bibliothèque. Les factures doivent être acquittées immédiatement, sauf que je reçois souvent des avis de paiement en retard et d'abonnements échus parce que les factures ne sont pas payées à temps. Nous ne pouvons pas communiquer avec le client pour régler la question. Il s'agit d'un problème à l'interne.
Dans le cas de la section des ventes et services, les préposés au service à la clientèle doivent composer avec beaucoup de frustration parce que les clients qui n'ont pas reçu leur journal ce jour-là ne savent tout simplement pas où se trouve Harrington Court, à Kanata. Il y a des problèmes à l'interne et à l'externe. Les employés à l'interne sont démoralisés et stressés.
Le sénateur Graham: Ce sont là les deux facteurs importants qui doivent être pris en compte.
Je voudrais vous poser une question au sujet de la centralisation rédactionnelle. Je suppose que le problème se pose quand un propriétaire propose des éditoriaux qui sont très subjectifs. Est-ce que cela a un impact sur la couverture de l'actualité? Dans quelle mesure les opinions exprimées influent-elles sur les nouvelles et les informations qui sont communiquées?
M. Ravensbergen: Il n'est pas facile de répondre à cette question. Les résultats du sondage indiquent que nos membres sont assez satisfaits de leur travail, car ils essaient de faire de leur mieux. Je ne connais aucun journaliste qui prépare un reportage en gardant à l'esprit la politique de... par exemple, nous devons publier plusieurs articles qui insistent sur le fait que les organismes de bienfaisance doivent bénéficier d'un traitement fiscal exceptionnellement favorable. Cela peut être dangereux à long terme, au fur et à mesure que les gens partent. Si vous venez d'arriver dans le milieu et que vous avez de l'ambition, vous pouvez être tenté d'adopter une telle approche si cela a pour effet de faire de l'excellente copie.
Ce sont des questions très complexes. Je sais qu'il a beaucoup été question mardi de l'absence de recherches là- dessus. Franchement, personne ne peut être parfaitement objectif à ce sujet. À long terme, il y a sûrement glissement d'un côté à l'autre. Quand il y a eu des éditoriaux uniques sur tel ou tel sujet, je n'ai pas remarqué une augmentation notable d'articles favorisant le point de vue exprimé au détriment d'un autre. Les journalistes ont l'obligation de rapporter honnêtement la nouvelle et de le faire du mieux qu'ils peuvent, et c'est énoncé dans les principes.
Le sénateur Graham: Est-ce que l'équilibre dans les reportages — auxquels on peut peut-être ajouter le contenu éditorial et l'opinion qui y est exprimée — est influencé par les propriétaires?
M. Ravensbergen: Cet équilibre est influencé indirectement par le nombre d'employés. Mme Kirkup l'a bien dit et nous le constatons chaque jour. Il y a des nouvelles dont on ne parle pas. Des sujets moins importants sont parfois mis de côté parce qu'il n'y a personne pour les couvrir. Il y a des nouvelles qui passent inaperçues parce qu'il n'y a personne sur place. Il y en a cependant d'autres qui peuvent exiger un peu plus de journalisme d'enquête. Il n'est plus beaucoup possible d'en faire à CanWest. Nous avons des membres qui ont gagné des prix dans le domaine, et ces activités ont beaucoup diminué et parfois même disparu.
Parler d'équilibre dans le traitement de la nouvelle est une chose. Cependant, il y a déséquilibre dans ce que les gens ont à lire, parce que certaines nouvelles qu'on relaterait normalement, qui sont intéressantes et qui contribuent à informer le grand public ne sont simplement plus couvertes parce que nous n'avons personne pour le faire.
Le sénateur Graham: J'ai déjà touché un petit peu au journalisme. On dirait qu'on énonce plus de commentaires qu'il y a dix ans dans les reportages. Des commentaires sont plus souvent formulés et le journaliste, qui est censé rapporter simplement la nouvelle, exprime parfois un point de vue subjectif. Pourquoi en est-il ainsi?
M. Amber: C'est à ceux qui le font que vous devez poser la question.
Le sénateur Graham: Êtes-vous d'accord avec ce que j'ai dit?
M. Amber: Oui. Comme dans bien d'autres domaines de la vie, les choses évoluent. Ce n'est pas nécessairement attribuable à la concentration des médias. C'est qu'il y a vingt-cinq ou trente ans, les journalistes ont commencé, à tort ou à raison, à rechercher non plus l'objectivité, mais la sincérité. Les journalistes ont commencé à percevoir leur travail autrement.
Tout à coup, nous sommes entrés dans l'ère du journalisme personnel avec des reportages relatant les expériences vécues par le journaliste en nous permettant parfois, mais pas toujours, d'en apprendre sur les événements qu'il couvrait. C'est un débat sur le journalisme. Le balancier va dans un sens, puis dans l'autre.
Par exemple, après un débat important à la Chambre ou au Sénat, mais surtout à la Chambre sur des sujets comme le budget, votre long article pouvait rendre compte des faits — ce qu'il a dit, ce qu'ils ont dit, ce qu'il a répondu, réfuté, et cetera. Aujourd'hui, les articles sont beaucoup plus courts et on a pour principe de replacer les événements dans leur contexte, ce qui laisse davantage place à l'interprétation qu'un compte rendu textuel.
Le sénateur Eyton: Vous avez dit avoir effectué un sondage auprès de 125 personnes, employés des services des éditoriaux et journalistes. Pouvez-vous expliquer qui étaient les 125 personnes à qui vous vous êtes adressés?
M. Amber: À la fin des documents, il y a des chiffres qui indiquent la proportion d'hommes et de femmes, les catégories d'âge des répondants, et cetera.
Le sénateur Eyton: Est-ce à la toute fin?
M. Amber: À la question Z5, vous remarquerez que près de la moitié des répondants sont journalistes.
La présidente: Dans le communiqué du début, il est question des employés des services des éditoriaux. Quand je l'ai lu, j'ai présumé, et vous pourrez me le préciser, que le mot «éditoriaux» désignait tout ce qui ne touche pas la publicité ou les finances. Autrement dit, ces employés sont aussi journalistes et pas seulement rédacteurs?
M. Amber: Je m'excuse d'employer des termes qui peuvent porter à confusion. Nous parlons des employés qui pratiquent toutes les formes de journalisme, tous les rédacteurs et tous ceux qui leur assurent des services de soutien. Par exemple, Mme Kirkup travaille au Ottawa Citizen, à la bibliothèque du service des éditoriaux comme attachée de recherche. C'est le genre d'employés visés.
Le sénateur Eyton: Dans tous les médias, y compris les journaux, il y a, d'après moi, les propriétaires, les employés et le grand public. Je considère que c'est un sondage effectué auprès des employés. Je serais curieux de voir les résultats d'un sondage semblable s'adressant au public. Je fais partie du grand public. J'estime pour diverses raisons avoir énormément de choix. J'ai probablement trop de choix chaque jour. Je ne peux absorber tout ce qui m'est offert. De plus, la qualité des choix qui me sont présentés s'est améliorée, elle n'a pas diminué. Vous avez parlé du journalisme d'enquête. Nous devons sûrement avoir atteint un sommet dans le journalisme d'enquête, parce qu'il y a quelque chose à lire tous les jours ou peut-être deux fois par jour.
Je pense que le grand public croit être bien servi. Par exemple, à Toronto, d'où je viens, je suis bien servi par les journaux et divers autres médias. Je trouve que la qualité de nos journaux n'a jamais été aussi bonne, ce qui va à l'encontre de certains de vos mémoires. Pouvez-vous me dire ce que vous en pensez?
M. Amber: Vous dites que le journalisme d'enquête ne s'est jamais aussi bien porté. Au sujet de l'origine des événements récents survenus au Parlement, même si un reportage d'enquête a paru dans le Globe and Mail il y a quelques années, les journalistes sont actuellement en train de faire le suivi des enquêtes menées par l'un et l'autre services du gouvernement fédéral.
Je pense qu'il y a journalisme d'enquête quand des journalistes ou des rédacteurs en chef mettent au jour les aspects essentiels des faits qui sont ou ont été dévoilés. C'est différent.
Vous avez parlé de Toronto. Moi aussi, je vis à Toronto, dans cette ville dont la situation est unique dans toute l'Amérique du Nord. Si on compte le journal du métro, nous avons cinq ou six quotidiens. Chacun d'entre eux s'adresse à des gens de différentes tendances politiques et de différents groupes sociaux. Ce n'est pas la même chose ailleurs au pays, comme à Regina. Dans la plupart des villes du pays — sauf à Vancouver, Montréal et Toronto — vous avez un journal ou, si vous êtes chanceux, comme à Halifax, peut-être deux. La situation est différente ailleurs.
Pour ce qui est de la qualité des journaux, les gens croient généralement qu'elle a diminué. Évidemment, comme pour autre chose, les opinions diffèrent. Personnellement, je ne trouve pas que la qualité des journaux soit nécessairement excellente. Certains ont une plus belle présentation, une meilleure mise en page, et c'est beaucoup grâce à la technologie.
Pour ce qui est du contenu et des sujets traités, ma collègue a parlé du fait que, sans personnel, on ne peut pas rendre compte de certaines informations. On évalue un bon journal non seulement à la façon dont les informations sont traitées, mais aussi à ce qui est traité et à ce qui ne l'est pas.
Par rapport à il y a 20 ans, où sont les journalistes qui couvraient le secteur de l'éducation aujourd'hui, et les questions municipales? Vous seriez surpris de voir à combien d'hôtels de ville est aujourd'hui affecté un journaliste aux reportages généraux. Il y a 20 ans, tous les journaux avaient un journaliste à l'hôtel de ville, un journaliste à l'assemblée législative et, pour les plus gros journaux, un journaliste spécialisé dans la politique fédérale, et cetera. Bien des journaux du pays négligent un secteur ou l'autre. Je suis toutefois d'accord avec vous pour dire que la situation est différente à Toronto.
Le sénateur Eyton: Je voyage beaucoup. Je pense que nous sommes bien servis dans l'ensemble du pays, si je compare avec les choix que j'ai en Arizona, à Mexico et à d'autres endroits. En général, nos journaux sont de bien meilleure qualité que ceux que je lis dans beaucoup d'autres pays.
Vous avez bien expliqué que les journaux et ceux qui y travaillent devraient être traités différemment en raison de leur rôle et de l'importance qu'ils ont pour le public en général. Diriez-vous que les valeurs, si je peux paraphraser, que sont l'indépendance, l'intégrité, le professionnalisme et la libre expression du public, devraient s'appliquer à d'autres médias, comme la radio, la télévision et Internet?
M. Amber: Oui, sans aucun doute. On ne peut pas obliger les gens à recourir à l'un ou l'autre médium pour se renseigner. Il est opportun de dire que c'est applicable à tous.
Il est intéressant de noter que la direction du CRTC a dit que le Conseil n'avait pas les ressources pour faire de la surveillance, qu'il pouvait accorder des licences et qu'il examinait les plaintes reçues. C'est un problème. D'autres pays ont un système semblable pour les radiodiffuseurs. S'il n'y a pas de plaintes, l'organisme de réglementation n'intervient pas. Curieusement, dans d'autres secteurs, comme la santé, nous n'attendons pas nécessairement que quelqu'un se plaigne avant d'agir.
Le sénateur Eyton: Je posais une question, sans énoncer de principe. À la radio et à la télévision, les responsables de la réglementation disent que c'est une tâche impossible. Êtes-vous d'accord avec cela?
M. Amber: Rien n'est possible à moins de décider que c'est une fonction essentielle. J'ai suivi les activités du CRTC pendant un certain nombre d'années. Il dispose de tout un mécanisme d'octroi des licences, et je ne vois pas pourquoi il ne pourrait pas charger deux ou trois personnes de contrôler ce qui est fait. C'est une façon étrange de fonctionner.
Le sénateur Eyton: En affaires, j'ai toujours cherché un concurrent. Avez-vous un modèle? Y a-t-il quelqu'un qui fait exactement ce qu'il faut avec les meilleurs paramètres et dans le milieu idéal?
M. Amber: Nous sommes ici pour discuter de la concentration des médias. Le seul endroit où je trouve qu'on fait bien les choses, c'est en Europe de l'Ouest — y compris en Grande-Bretagne — où c'est l'intérêt public ou un document de principe qui sert en bout de ligne à surveiller les publications. C'est ce qui semble être le point de départ pour trouver un juste équilibre entre les préoccupations commerciales légitimes, le droit des actionnaires de s'attendre à obtenir un rendement et le fonctionnement d'un journal.
Le sénateur Merchant: Merci de votre exposé. J'ai pensé intervenir parce que vous avez parlé de Regina. Je viens de Regina. Je suis tout à fait d'accord avec ce que le sénateur Eyton a dit. C'est ma façon de voir l'information. J'estime que nous sommes très bien servis. À Regina, il y a trois journaux le matin et je n'ai habituellement pas le temps de les lire.
Notre mode de vie a changé à tous les égards. C'est pourquoi nous avons divers moyens de nous renseigner. Je trouve que, depuis que nous avons un deuxième journal national, le premier a amélioré sa façon de présenter l'information. Nous avons donc profité de l'arrivée d'un deuxième grand journal. Je ne sais pas combien de gens lisent les journaux.
Bien souvent, lorsqu'il se produit un événement quelque part, je regarde les différents journaux. Je constate que toutes les unes se ressemblent. La photographie à la page frontispice du Globe and Mail est exactement la même que celle qui apparaît à la une du National Post. Pourquoi donc? Est-ce que deux journalistes devraient voir les choses différemment ou de la même façon? Pourquoi en est-il ainsi?
M. Amber: Parfois, la photographie que vous voyez est celle qui devrait apparaître à la une de tous les journaux. Pensez par exemple aux éditions de lundi dernier. On pouvait voir à la une du Globe and Mail une photo incroyable d'une jeune Canadienne qui venait de gagner un championnat. Dans le milieu de l'athlétisme, elle est reconnue pour l'expression de son visage qui transmet bien sa joie à tout le monde. On peut y lire une sensation formidable d'allégresse, de bonheur et de réussite.
Je me trouvais dans la salle des nouvelles de CBC. Dans une main, j'avais le Globe and Mail et, dans l'autre, le Toronto Star. Les deux journaux affichaient une photo couleur. J'essayais de déterminer laquelle était la plus efficace. Pour finir, j'ai choisi celle du Globe and Mail parce qu'elle était mieux recadrée.
Mardi, de nombreux journaux — y compris le New York Times — ont repris l'histoire de la signature d'une déclaration devant mener à un nouveau mode de gouvernement en Irak. Est-ce que cela aurait dû être le sujet de la photo en page frontispice des journaux les plus sérieux? Je dirais que oui, sauf en cas d'événements locaux d'importance.
La présence d'une même photo ou d'un même article à la une de différents journaux est l'aboutissement d'une réflexion à trois niveaux. On se demande d'abord qu'est-ce qui devrait figurer à la une. Dans certaines agences, les rédacteurs en chef discutent entre eux pour déterminer quel devrait être le centre d'intérêt qui orientera la couverture du journal.
Pour les plus petits journaux des différentes régions du pays, le processus n'est pas le même. Il arrive souvent que la Presse canadienne transmette les nouvelles publiées dans les grands journaux. Il y a quelques années, c'était un peu un signal pour les journaux locaux: si ces nouvelles faisaient la manchette de certains grands journaux, c'était peut-être une bonne idée de les publier également. On ne forçait personne, mais c'était une suggestion.
Il faut toujours décider entre nouvelles locales, nationales et internationales. Parfois, les rédacteurs en chef prennent les mêmes décisions parce que, de par la formation reçue, ils partagent le même sens de la nouvelle et les mêmes valeurs.
Le sénateur Day: Je voudrais vous interroger sur deux sujets: premièrement, l'impact d'Internet sur la presse écrite traditionnelle et, deuxièmement, les hebdomadaires.
Mais avant de passer à ces questions, je voudrais obtenir une précision. Vous représentez tous les deux un syndicat connu sous le nom de TNG Canada. Est-ce exact?
M. Amber: Tout à fait.
Le sénateur Day: Il est indiqué ici que votre syndicat représente non seulement les personnes qui travaillent directement dans les médias, dont les journalistes, comme on pourrait généralement s'y attendre dans le cas d'une guilde nationale des journalistes canadiens. Il représente aussi les interprètes, les traducteurs, les fournisseurs de services sociaux, les commis et le personnel administratif et technique. Tous ces gens sont-ils également membres de votre syndicat?
M. Amber: Oui.
Le sénateur Day: Êtes-vous affilié au Congrès du travail du Canada, aux Communications Workers of America et à différentes organisations internationales, y compris la Fédération internationale des journalistes?
M. Amber: Oui.
Le sénateur Day: Pour quelle raison avez-vous conclu toutes ces affiliations? Est-ce que vous recherchez la force du nombre? Est-ce que c'est ce que vous essayez de nous dire?
M. Amber: Ce n'est pas seulement une question de force du nombre. Parlons simplement de la dernière organisation que vous avez citée, la Fédération internationale des journalistes. C'est assurément une bonne chose pour le journalisme que des professionnels de toute la planète puissent échanger des points de vue, discuter de normes et explorer des grands dossiers.
Par exemple, la Fédération internationale des journalistes travaille actuellement à la mise sur pied d'un institut de la sécurité pour protéger les journalistes en mission dans des environnements dangereux. Au cours des dernières années, un certain nombre de journalistes affectés à la couverture des guerres en Irak et en Afghanistan ont été tués. La Fédération assure également la protection des gens se retrouvant dans des situations dangereuses. La Fédération internationale des journalistes, le plus grand syndicat mondial dans cette profession, représente quelque 500 000 journalistes qui y sont affiliés à la grandeur de la planète.
Nous avons conclu un pacte avec quelques-unes des principales agences de presse du monde — y compris la CBC et bon nombre des agences et grands journaux internationaux — prévoyant que tout journaliste dépêché dans une zone de conflit devait préalablement suivre une formation en matière de sécurité. C'est une mesure très coûteuse, mais c'est la raison d'être même de l'institut. L'objectif est donc toujours la sécurité. Toutes ces organisations offrent des services à nos membres.
Vous avez parlé du syndicat des Communication Workers of America (CWA). Le CWA est le plus grand syndicat nord-américain dans le secteur des communications. Nous sommes privilégiés d'en faire partie. Le sondage que nous avons mené auprès des travailleurs visait bien sûr à mettre le Sénat au fait de leurs points de vue. Nos homologues des États-Unis ont réalisé, en collaboration avec plusieurs autres syndicats américains, un sondage semblable auprès des travailleurs pour connaître leur opinion sur la propriété réciproque et la concentration des médias.
Nous avons échangé ces données dans le but d'améliorer les conditions d'exercice de la profession de journaliste.
Le sénateur Day: Je pense à l'une des questions du sondage à laquelle les gens ont répondu qu'ils croyaient que la concentration des médias n'améliorait pas la qualité du journalisme, mais contribuait plutôt à la détériorer. Ainsi donc, lorsque l'on considère les entreprises employant des journalistes dans le secteur de la presse écrite et des médias en général, la concentration n'offre pas d'avantages au niveau de la stabilité. Par contre, vous voyez un certain gain de stabilité au chapitre de la concentration et de la collaboration.
C'est un peu à cela que je pensais.
M. Amber: Si vous receviez un éditeur, il vous dirait qu'il appartient à l'Association canadienne des éditeurs qui elle- même membre de l'Union internationale des éditeurs. C'est la même chose dans tous les secteurs. Les médecins appartiennent à des associations pour discuter de questions professionnelles; les syndicats se regroupent avec d'autres syndicats. Tous les syndicats canadiens sont affiliés au Congrès du travail du Canada (CTC).
Le sénateur Carney: Monsieur Amber, vous avez mentionné que vos homologues américains avaient effectué le même genre de sondage auprès de leurs membres. Est-ce que ces deux sondages ont donné les mêmes résultats? Également, pourriez-vous transmettre au comité toutes les données qu'il vous est possible de lui communiquer à ce sujet?
M. Amber: Je sais que les résultats du sondage mené aux États-Unis seront présentés au Sénat américain dans environ deux semaines. J'en ai bien une copie, mais je ne peux pas en divulguer les détails. Je vais toutefois m'assurer d'en transmettre un exemplaire aux membres de votre comité dès que possible.
La présidente: Nous comptons sur vous.
Le sénateur Day: Merci. L'un d'entre vous a souligné que l'une des premières mesures à prendre pour un propriétaire souhaitant améliorer la rentabilité de son entreprise médiatique est de réduire le nombre de journalistes locaux pour s'alimenter davantage auprès des agences de presse. J'aimerais en savoir davantage à ce sujet.
Dans certaines régions du Canada où les reportages d'intérêt local sont publiés dans les hebdomadaires, on constate que les propriétaires de quotidiens achètent un certain nombre de ces hebdomadaires. Cette tendance se manifeste-t-elle dans différentes régions et contribue-t-elle à une recrudescence du journalisme local? Une partie des reportages des hebdomadaires ne se retrouvent-ils pas ainsi dans les quotidiens? Avez-vous noté un tel phénomène de transfert?
M. Amber: Cela se produit de plus en plus. Ainsi, dans la grande région de Toronto, le Toronto Star est l'exemple parfait du cas d'un propriétaire qui possède le principal quotidien et tous les hebdomadaires. Il y a synergie pour la production et la vente de publicité. Un représentant des ventes peut vous offrir de la publicité dans un hebdomadaire, le quotidien, et cetera. C'est l'une des transformations en profondeur que connaît l'industrie du journalisme et celle de la presse au Canada. Et cette transformation se produit à un rythme accéléré.
L'an dernier, il y a eu échange de journaux entre le Osprey Media Group et le Toronto Star pour contribuer à ce processus. Aucun hebdomadaire n'a été créé. On n'a fait que changer de propriétaire. Ainsi, on n'assure pas une couverture plus grande de l'actualité: on opère seulement un changement de propriétaire pour des motifs essentiellement administratifs.
Le sénateur Day: Est-ce que ces changements profitent au public, dans le sens que certains reportages locaux qui seraient normalement diffusés dans un hebdomadaire sont désormais publiés dans le quotidien?
M. Amber: Non.
Le sénateur Day: Vous ne constatez pas de tels transferts?
M. Amber: Absolument pas.
Le sénateur Day: Par conséquent le problème demeure: la couverture des événements locaux diminue de plus en plus, dans la presse écrite du moins.
M. Amber: Tout à fait. Une étude réalisée à l'Université de Regina concernant la concentration des médias a effectivement noté une telle diminution. Il existe très peu d'études universitaires sur ces questions au Canada. Nous, les membres de la profession, prétendons savoir ce qui se passe et d'autres pourraient soutenir que ce n'est pas le cas, mais reste quand même que le nombre d'études est insuffisant. La faculté de journalisme de l'Université de Regina a entrepris quelques études immédiatement après la vente d'un réseau local au groupe Black. Trois ou quatre ans plus tard, on a ainsi constaté que les craintes étaient fondées.
Le sénateur Day: Considérez-vous qu'Internet a une influence positive ou négative sur le journalisme écrit traditionnel?
M. Amber: Je crois que cela joue dans les deux sens. On ne peut pas dire aux gens où ils doivent trouver l'information. Il est préférable que certaines personnes, les jeunes notamment qui connaissent mieux Internet et sont plus disposés à l'utiliser, y trouvent l'information recherchée, plutôt que d'en être totalement privés.
Le problème avec Internet, qui en est encore à ses balbutiements, c'est que des gens prétendent souvent y transmettre des faits, alors qu'ils ne présentent que leur opinion personnelle. C'est l'aspect négatif d'une partie de ce médium.
Le sénateur Day: Est-ce que les journalistes utilisent Internet davantage que dans le passé?
M. Amber: Il ne fait aucun doute que le recours à Internet pour les recherches prend une importance capitale. Ainsi, les journalistes peuvent maintenant suivre de nombreux cours sur la façon d'utiliser Internet afin de trouver l'information dont ils ont besoin.
Le sénateur Gustafson: Cette étude visait notamment à déterminer les répercussions au Canada. Je suis convaincu que le sénateur Eyton ne sera pas de mon avis, mais nous sommes en voie de devenir une société urbanisée.
Lorsque j'ai été élu une première fois, il y a 25 ans, Alvin Hamilton m'a dit qu'il y avait une guerre non déclarée entre le Canada rural et le Canada urbain. Il avait raison. Les gens de Toronto profitent d'une excellente couverture médiatique, mais à Macoun (Saskatchewan), il est impossible d'obtenir chaque jour le Globe and Mail ou le National Post.
Notre société évolue très rapidement. Les transformations que vivent les médias influent sur l'ensemble de la nation. Le monde agricole ne représente plus qu'à peine 3 p. 100 de l'ensemble de la population canadienne, et cette proportion chute rapidement. Les répercussions ne se limitent donc pas aux seuls médias; elles touchent aussi l'économie.
Nous pouvons suivre les actualités internationales à la télévision et nous sommes bien informés au sujet des événements qui se déroulent en Irak et en Iran. Il suffit de tourner un bouton et tout est là.
Auriez-vous des suggestions quant aux correctifs à apporter à cet égard?
M. Amber: Je l'ignore. Peu importe qui est propriétaire, un journal desservant une communauté a besoin d'un certain lectorat. Je ne connais pas aussi bien cette partie de la Saskatchewan que d'autres, mais évidemment, s'il n'y a pas suffisamment de gens pour assurer la survie d'un journal, vous aurez beaucoup de difficulté à obtenir la couverture locale que vous recherchez.
Le sénateur Gustafson: Je vis à seulement 20 milles de la frontière américaine. Le premier ministre de la province a signalé l'autre jour que les données statistiques révélaient que 24 p. 100 de la population de la Saskatchewan serait d'accord pour se joindre aux États-Unis. Ce chiffre a été publié dans les journaux. Ce chiffre a augmenté rapidement en 10 ans. Les médias ont une certaine responsabilité dans ce qui arrive au Canada et dans la direction que nous prenons.
La présidente: C'est pourquoi nous sommes ici. Nous avons besoin d'une couverture des questions d'intérêt national et de l'unité nationale.
Le sénateur Gustafson: Peut-être que nous qui gravitons dans l'univers politique avons une certaine responsabilité d'informer le public, comme l'a fait votre premier ministre au sujet de ce qui arrive.
La présidente: Merci, sénateur Gustafson. Y a-t-il des réponses? Cette question nous dépasse.
Le sénateur Spivak: Nous avons un vieux problème, et peut-être qu'il s'agit d'un problème qui a été reconnu il y a longtemps et qui donne ses fruits maintenant — à savoir, comme quelqu'un l'a déjà dit: «Ce qui est bon pour General Motors est bon pour le pays».
Il y a une sorte de voile sur les valeurs des entreprises — bonnes, mauvaises ou indifférentes — qui explique le commercialisme rampant que l'on observe partout, y compris la frustration que l'on éprouve lorsqu'on appelle à Toronto pour réserver une chambre d'hôtel et que l'on s'aperçoit que l'on parle à quelqu'un en Inde. Cela a conduit à des prises de position extrêmes, comme chez Fox Television ou à CNN. Cela a également amené la multiplication des chroniqueurs et de l'infodivertissement, à la place des bons reportages objectifs.
Il est trop tard pour régler ce problème. L'Internet a débuté comme un merveilleux média diffus, démocratique, et il a rapidement été perçu par les intérêts corporatistes comme un endroit où l'on pouvait faire quelques dollars. Ils n'ont pas réussi totalement à le faire.
J'ai la même question que le sénateur Day. Que croyez-vous que nous puissions faire? Nous allons recourir de plus en plus aux nouvelles électroniques. Cela ne fait aucun doute. Si vous regardez les jeunes, c'est ce qu'ils utilisent presque exclusivement.
Comment croyez-vous que nous puissions empêcher la commercialisation complète de l'Internet? La législation peut être la seule façon de le faire. Pouvons-nous avoir sous forme électronique ce que nous souhaitons obtenir, idéalement, dans les médias imprimés?
M. Amber: Nous sommes dans une phase de transition. Nous parlons fondamentalement des vieux modèles de «transmission des messages». Je n'utilise pas le mot communication. Les journaux nous transmettent des messages et nous les acceptons à notre gré. Le journal est très ancien. Il y a la radio et la télévision. Le domaine sur lequel porte votre question est véritablement en train de faire l'objet d'une vaste transition.
Vous avez demandé comment nous pouvions contrôler ou légiférer l'Internet face aux intérêts commerciaux. Nous avons même de la difficulté à réglementer l'Internet face aux activités criminelles. Je n'ai aucune expertise pour dire ce qui peut être fait dans le dossier de l'Internet. Et je présume également que la législation sera toujours en retard d'un certain nombre d'années sur la technologie. Il est possible que l'on n'adopte jamais de législation parce que nous avons en tête une certaine idée de la liberté, du droit d'aller sur Internet pour dire ce que nous avons à dire. Même si vous pouviez obtenir un texte législatif, quelqu'un trouvera une autre façon de le contourner. Je n'ai pas de réponse.
Le sénateur Spivak: Laissez-moi formuler la question autrement. Jusqu'ici, les gens ont baissé les bras. Ils ont dit que nous ne pouvions pas contrôler l'Internet. Les sociétés peuvent le faire. Toutefois, je ne propose pas un contrôle. Je parle d'une vision démocratique de l'Internet, plutôt qu'une vision corporatiste, monopolistique de l'Internet. Il s'agit ici d'un coup de pinceau très large. Ce n'est pas vrai partout dans les médias imprimés. Je ne veux pas laisser entendre que cela existe partout, mais nous avons un modèle corporatiste, monopolistique. Et il le devient de plus en plus.
Devrions-nous envisager la législation? Si nous pouvons mettre le pied sur la lune, nous pouvons faire n'importe quoi. C'est simplement une question de volonté. Devrions-nous examiner cette question ou devrions-nous tout simplement baisser les bras et dire que nous ne pouvons pas contrôler l'Internet, qu'il n'y a rien à faire?
Je présente la question d'une manière un peu oblique. J'aimerais savoir comment vous envisagez cette question pour l'avenir.
M. Amber: Dans cette période de transition, une chose que l'on peut faire, c'est de s'assurer qu'il y a de bons services Internet. Par exemple, comme vous le savez peut-être, à l'heure actuelle, le service de nouvelles le plus populaire sur Internet pour l'information canadienne est le site Web de la CBC. La CBC a obtenu ce succès pour deux ou trois raisons. Cette dernière a pris la décision, il y a environ quatre ans, d'éliminer toute forme de publicité de son site Web. Deuxièmement, aucun des journaux ou des agences de nouvelles qui assure ce genre de service n'a fait d'argent. CanWest Global travaille actuellement à mettre sur pied un système dans lequel vous allez devoir payer pour avoir accès à ses sites. Parfois, dans les périodes de transition, le mieux que l'on puisse faire peut-être, c'est d'encourager la création du meilleur site possible.
Le sénateur Spivak: Laissez-les se multiplier?
M. Amber: Je sais qu'un nombre incroyable de personnes étudient cette question — aussi bien dans les services de l'UNESCO qu'aux Nations Unies. Tous les pays étudient cette question. Personne n'est parvenu à trouver de solution, autrement que pour les questions que ce pays, les valeurs de ce pays, ne toléreront pas. Je ne veux pas vivre dans une dictature totalitaire où l'on vous dit à quelles fins vous pouvez utiliser l'Internet.
[Français]
Le sénateur Corbin: J'ai quatre questions que je poserai seriatim et on nous répondra en conséquence.
[Traduction]
L'automne dernier, un important séminaire a eu lieu à l'Université de Moncton sur la propriété des médias. Avez- vous participé ou avez-vous été représentés? Avez-vous des observations? C'est là ma première question.
Est-ce que les gouvernements provinciaux participent à l'étude des quasi-monopoles, de la question de la propriété croisée et tout le reste? Devraient-ils s'y intéresser? Devraient-ils être très inquiets? Voilà ma deuxième question.
Quelle est l'utilité de votre association, pour un journaliste qui travaille dans les journaux d'Irving au Nouveau- Brunswick? En fait, si ce n'est pas pour vous un secret commercial, j'aimerais savoir combien il y a de membres de votre guilde qui proviennent du groupe de journaux Irving. C'est là ma troisième question.
Pouvez-vous nous dire quel est le taux de renouvellement des journalistes dans le groupe de journaux Irving. C'est ma quatrième question.
Et enfin, à l'exception de CPAC, les médias nationaux n'assurent pas la couverture des présentes réunions. Ne s'agit-il pas là d'une véritable honte? Que faites-vous pour sensibiliser le public à vos préoccupations légitimes?
M. Amber: Pour ce qui est de la question de la concentration des médias au Nouveau-Brunswick, c'est la pire la situation que l'on retrouve au pays. Vous connaissez mieux que moi le nombre exact des acquisitions faites par Irving au cours des deux dernières années.
Le sénateur Corbin: Nous essayons de suivre.
M. Amber: C'est très difficile. Non seulement le groupe a-t-il acheté des hebdomadaires et des petits quotidiens, mais il a également acheté la presse francophone.
Le sénateur Corbin: Oui, il a acquis Le Madawaska, qui est une entreprise familiale vieille de 90 ans — encore quelque chose de honteux.
M. Amber: C'est incroyable. Il y avait des gens de notre association à la conférence des médias dont vous parlez.
J'ai deux choses à dire au sujet de la propriété croisée. En ce qui concerne les provinces et la propriété croisée, la plupart des provinces voient cette question comme n'étant pas de leur compétence, parce que les permis de diffusion sont accordés à l'échelon fédéral, alors ils ne font pas cela. Cependant, au Québec, lorsque Québecor Média s'est mis à acheter de nombreux médias, le gouvernement du Québec de l'époque, et l'opposition de l'époque, ont joué un rôle très actif pour faire des pressions sur la situation de manière que les ententes de fusion et d'achat et le droit de fonctionner de la façon dont Québecor le fait, prévoient la séparation la plus stricte entre les éditoriaux dans les journaux, les éditoriaux dans les autres journaux et les éditoriaux du côté radiodiffusion.
Pour ce qui est des journaux d'Irving au Nouveau-Brunswick, nous représentons des employés du journal de Moncton, du journal de Saint John et du journal de Fredericton. Je ne peux vous dire le nombre exact d'employés, à brûle-pourpoint, mais je sais que leur nombre diminue sans cesse, parce qu'on n'a pas changé la propriété, mais chaque année on cherche d'autres façons de centraliser le travail davantage, de sorte qu'une seule presse imprime deux ou trois journaux. Du côté des services des éditoriaux, le nombre de personnes qui assurent la couverture des nouvelles a été réduit de manière draconienne au cours des dix dernières années dans ces trois journaux.
Pour ce qui est de votre question sur le renouvellement des effectifs chez Irving, il n'a pas été très élevé. Les gens choisissent de vivre au Nouveau-Brunswick. Beaucoup d'entre eux viennent du Nouveau-Brunswick même et beaucoup parmi ceux qui viennent de l'extérieur semblent aimer vivre dans cette province et, de fait, le taux de renouvellement chez Irving n'est pas plus élevé qu'ailleurs.
En ce qui concerne la question de CPAC — je suis évidemment d'accord avec vous. Comment diffusons-nous notre message? Dans environ une semaine, un site Web verra le jour, site que nous avons créé pour les Canadiens et pour les gens qui participent à cette activité afin de permettre une discussion sur les questions touchant les médias et le journalisme et la qualité des journaux. Nous espérons déclencher un débat national qui fournira une certaine information et une certaine continuité de pensée qui pourra être utile dans tout ce domaine. Il s'appelle yourmedia.ca.
M. Ravensbergen: Le site sera lancé le 17 mars. Surveillez-le. Tout le monde au pays peut le visiter. Il est sur Internet.
Le sénateur Corbin: Y avait-il d'autres observations concernant mes questions?
M. Amber: Je croyais avoir répondu à toutes les cinq, mais peut-être ne l'ai-je pas fait.
M. Ravensbergen: Il est certain qu'au Québec, nous avons ou nous avions, une position plus active de la part du gouvernement précédent. Lorsque les éditoriaux nationaux ont été introduits, l'Assemblée nationale a constaté le tort que cette mesure a fait à un journal local très important, The Gazette, à Montréal, et a adopté à l'unanimité une motion condamnant le concept des éditoriaux imposés de l'extérieur. Cette question fait beaucoup jaser, mais nous n'avons encore rien vu de concret en termes d'initiatives législatives particulières. Y aura-t-il une suite? Je ne crois pas.
Le sénateur Carney: J'aimerais poser des questions dans deux domaines. Premièrement, le sondage et, ensuite, j'aimerais revenir sur les préoccupations exprimées par le sénateur Gustafson concernant le Canada rural.
J'aimerais attirer votre attention sur la page 9 du sondage dont vous avez discuté. Vous avez indiqué quelque chose que je trouve intéressant. Si vous regardez la question Z2, 66 p. 100 des répondants de votre sondage étaient âgés de 40 à 59 ans, alors, on pourrait dire qu'ils ont atteint l'âge mûr. Seulement le tiers des répondants appartiennent au groupe d'âge le plus jeune. Soixante-quinze pour cent d'entre eux travaillent pour CanWest, alors que la moitié — 48 p. 100 — évidemment, sont des reporters, ce qui est normal puisque la guilde représente les reporters, et pas nécessairement les rédacteurs en chef et les gestionnaires. Les deux tiers des répondants sont de sexe masculin. Vous présentez une main- d'oeuvre d'âge mûr, à prédominance masculine et travaillant majoritairement pour CanWest. Dans ce sens, le sondage est biaisé.
Ma question concerne la main-d'oeuvre que l'on retrouve parmi vos membres. Pourquoi n'y a-t-il pas plus de jeunes? Êtes-vous en train de nous décrire une industrie où il est difficile de percer, ou est-ce que vos jeunes travailleurs se font congédier? Pourquoi avez-vous une main-d'oeuvre qui est en majorité plus âgée, de sexe masculin et qui, de toute évidence, travaille pour CanWest? Qu'arrive-t-il aux gens qui fabriquent les nouvelles?
J'aimerais entendre votre réponse à tous les trois. Je pense qu'il s'agit d'une question intéressante. Que se passe-t-il avec le marché du travail dans le cas de la presse écrite?
M. Ravensbergen: À Montréal, nous vivons une situation où, au moment où on laisse diminuer le nombre d'équivalent temps plein, ETP, accordés à la gestion, il y a moins de postes qui sont offerts. Il y a eu des rachats et des incitations au départ. Pour les jeunes gens qui arrivent — et cela a été un problème très difficile —, le terme que nous employons couramment dans notre domaine, c'est «permatemps». Ils ont une affectation temporaire. Il s'agit de merveilleux reporters, très brillants, âgés de 25 ou 30 ans dans certains cas, mais lorsqu'ils se rendent à la banque pour obtenir un prêt-auto, ils sont considérés comme des travailleurs temporaires.
Le sénateur Carney: Ils n'ont pas d'avantages sociaux.
M. Ravensbergen: Ils obtiennent des avantages sociaux après six mois. Nous poussons très fort pour que ces gens fassent partie du personnel, mais vous avez tout à fait raison. C'est la réduction du nombre de cadavres — si vous me permettez cette expression plus percutante employée dans notre milieu — qui fait en sorte qu'il est difficile de faire entrer ces jeunes gens. Lorsqu'ils mettent les pieds dans la boîte, ils ont des conditions de travail très précaires; ils remplacent des gens en congé ou quelque chose du genre et ne peuvent pas vraiment planifier une carrière. À notre point de vue, il s'agit évidemment du résultat direct des efforts entrepris pour réduire la main-d'oeuvre locale.
Le sénateur Carney: Je voudrais également vous signaler que 56 p. 100 de vos répondants travaillent depuis 15 ans ou plus pour leur employeur. Peut-être que je me trompe, mais j'interprète ces chiffres comme indiquant qu'il y a une main-d'oeuvre permatemp. Lorsque j'étais journaliste, il fallait compter cinq ans avant de devenir reporter principal dans le système de la guilde. Est-il vrai que nous ne formons pas, n'encourageons pas et ne gardons pas les gens dans les médias dont nous aurons besoin?
Ce n'est pas une question dominante. Je vous pose la question. On parle d'un milieu de personnes d'âge mûr, stable et à prédominance masculine. Je n'y vois pas beaucoup de flexibilité. J'aimerais entendre les autres.
Mme Kirkup: Au Ottawa Citizen, la dernière fois que nous avons embauché des gens, c'était en 1988 lorsque nous sommes passés d'un journal qui publie six jours à un journal qui publie sept jours par semaine. Dernièrement, nous n'embauchons pas. Nous n'embauchons tout simplement pas. Tous les jeunes gens qui arrivent sont des stagiaires. Nous avons un programme de stage où des gens viennent travailler pendant 12 mois, mais il s'agit d'un poste temporaire. Chaque année, nous avons six nouveaux stagiaires qui sont là pendant une période de temps très courte. Au cours des cinq dernières années, un ou deux stagiaires ont été embauchés. Les autres jeunes qui arrivent sont des employés de bureau et travaillent à temps partiel. Très peu de gens à plein temps sont embauchés. Ce sont des jeunes. Nos stagiaires viennent des universités et collèges pour des périodes de deux, trois et six semaines.
Le sénateur Carney: Devrions-nous nous inquiéter de cette situation?
Mme Kirkup: Je le crois.
Le sénateur Carney: Je vais maintenant revenir sur les préoccupations soulevées par le sénateur Gustafson. Il y a deux questions au sujet du Canada rural. Il y a d'abord la distribution des nouvelles et l'incapacité d'avoir accès aux journaux nationaux.
Je vis sur une île de 300 personnes, à un demi-mille de la frontière américaine, où il y a deux traversiers, et nous recevons par bateau postal et par une femme qui circule à bicyclette dans le système de traversier, le Globe and Mail, le National Post, le Vancouver Sun, le Vancouver Province, le Victoria Times-Columnist, plus trois ou quatre petits journaux locaux, dont le Saturna Scribbler, et nous avons Internet. Nous avons beaucoup d'accès, mais nous n'avons pas la couverture du Canada rural. C'est une préoccupation. Nous ne pouvons faire connaître nos problèmes dans les journaux. Le chômage et les difficultés économiques sont graves, mais à moins que quelqu'un tire sur quelqu'un d'autre ou brûle une maison, nous ne pouvons faire en sorte que les questions qui nous préoccupent soient diffusées dans les médias.
Les grandes villes bénéficient des services de la Presse canadienne et peuvent faire circuler des nouvelles et des choses du genre. Que devrions-nous faire pour régler le problème d'inaccessibilité qui touche 20 p. 100 des Canadiens qui vivent à l'extérieur des trois grandes villes qui font l'objet d'une couverture médiatique? Ce sont des questions qui méritent d'être dans les nouvelles, mais elles ne parviennent pas au grand public. Avez-vous une observation à cet égard?
M. Amber: Aucune qui pourrait être utile. Nous représentons des gens qui travaillent pour des gens qui, eux, prennent les décisions. Par exemple, dans cette ville, lorsque j'étudiais à l'université, les journaux d'Ottawa assuraient une couverture très étendue et très vivante de la vallée de l'Outaouais. Je ne vis plus ici maintenant et je ne lis plus le journal aussi souvent qu'avant, mais je présume que l'on a réduit considérablement cette couverture. Cela illustre ce que nous disions auparavant, que les choses se désintègrent tout simplement. Un des problèmes, c'est que lorsque l'entreprise qui possède le journal grossit, qu'elle possède plus de journaux, la première chose à disparaître, c'est la sensibilité locale et les intérêts locaux.
L'espoir que vous nourrissez est raisonnable. Même si nous n'allons pas couvrir tous les petits événements locaux qui se déroulent dans la partie sud de la Colombie-Britannique, des sujets universels ou du moins de portée nationale concernant la situation de gens vivant dans de petites communautés devraient être dans la mire au niveau national. Le problème tient du fait que les propriétaires ou les administrateurs d'un grand nombre des médias ont tendance à ne pas s'intéresser à genre de sujet.
Le sénateur Carney: Cela résulte-t-il des compressions de personnel? Les événements se déroulent, mais n'est-il pas vrai qu'il n'y a pas de journalistes sur place pour les couvrir? Quand les gens lisent de tels articles, ils les trouvent aussi intéressants qu'un fait qui se serait déroulé dans un aréna de hockey à Vancouver. Est-ce à cause du personnel ou des coûts de distribution? Comment se fait-il que 20 p. 100 du Canada échappe pratiquement à la couverture médiatique?
M. Amber: Le manque de personnel en est la première raison, mais pourquoi décide-t-on ces licenciements? Si la communauté dans laquelle vous viviez avait une banque de publicités complémentaires pour des ventes de publicité, le journal adopterait peut-être une approche différente.
L'autre raison tient du fait que les personnes qui choisissent parfois les articles à publier dans les journaux se font une idée de ce à quoi s'attendent leurs lecteurs. C'est l'une des plus grandes faiblesses du journalisme. Quelquefois, les gens aux plus hauts échelons se font une idée de ce que les journaux doivent offrir aux lecteurs sans se rendre compte que beaucoup de gens vivant dans cette région peuvent en fait être originaires d'une de ces petites villes dont vous parlez. Il s'agit d'un enjeu important.
Le sénateur Carney: Le gouvernement peut-il jouer un rôle à ce chapitre? Je ne pense pas que cette question ait été posée. À votre avis, quel rôle le gouvernement devrait-il jouer, le cas échéant?
M. Amber: Je ne préconiserai pas que le gouvernement intervienne dans tous les domaines et qu'il élabore des programmes qui ne donneront pas les résultats escomptés. J'aimerais un cas de figure où le «gouvernement» interviendrait pour garantir que la couverture médiatique, pour employer les termes consacrés, touche les zones rurales. Je ne sais pas trop comment y arriver.
Le sénateur Carney: Je ne parle pas que des zones rurales. D'une façon générale, pour tout ce qui intéresse le Comité des médias, le gouvernement peut-il intervenir quelque part? Le comité a reçu un grand nombre de demandes.
M. Amber: Tout à fait. Nous pensons qu'il faudrait revoir la décision autorisant la propriété mixte. Nous avons constaté que c'était une grave erreur; nous n'avons aucun problème à dire que le gouvernement devrait intervenir pour faire quelque chose à cet égard.
Je pense que le gouvernement peut aussi établir le rôle démocratique qu'il juge approprié pour l'industrie dans le pays. Ce pays repose sur la bonne gouvernance et le bon gouvernement et il y a un rôle à jouer du côté positif, plutôt que du côté législatif punitif, et cela pourrait être très intéressant.
La présidente: J'ai une demande entièrement factuelle. Serait-il possible de nous fournir des données sur le nombre de journalistes qui ont été membres de votre association au fil des ans, toute donnée que vous pouvez avoir, comportant suffisamment de renseignements qui nous permettront de comprendre si les changements dans ces nombres résultent de l'accréditation de nouvelles unités de négociations ou du retrait d'accréditation, et si ces changements sont dus à l'embauche de nouveaux journalistes, aux réductions des effectifs ou à toute autre raison? Je ne parle que des journalistes. Si vous voulez aussi nous fournir des données sur les autres, tant mieux, mais vous pouvez vous limiter aux journalistes, je pense que cela se rapproche plus de ce qui intéresse vraiment le comité.
Vous avez dit — et vous n'avez pas à répondre, car nous manquons de temps, mais vous pouvez nous envoyer une lettre d'explication — que votre sondage a été effectué auprès de 425 journalistes.
M. Amber: 485.
La présidente: Ce que je veux dire, c'est que vous représentez beaucoup plus de journalistes que cela, aussi pourriez- vous peut-être nous éclairer un peu plus sur ce dont vous parliez.
J'aimerais que l'on éclaircisse votre réponse au sénateur Merchant, il me semble. Vous avez dit que les rédacteurs en chef dans les chaînes de journaux ont de plus en plus tendance à décider en commun du contenu de la première page. Parlez-vous de décisions centralisées concernant le contenu de la première page des journaux locaux? Est-ce que cela se passe vraiment?
M. Amber: Je crois qu'il existe quelques cas. On parle beaucoup de CanWest, mais pour ce qui est de la façon dont les chaînes se développent, vous pouvez aussi voir une organisation comme Osprey où des personnes ont été nommées pour contacter divers journaux afin de discuter de leurs éditoriaux. Je ne pense pas qu'ils iraient jusqu'à téléphoner à tout le monde à 20 heures pour leur dire de mettre telle photo, tel article en première page, ce n'est pas ce que je veux dire. Je veux dire qu'il y a des politiques et des perceptions des rôles du journal et si vous allez discuter avec quelqu'un au sujet de ce que votre journal publie, cette discussion peut inclure le genre d'histoires qu'il faut couvrir, les événements que la chaîne considère comme étant des nouvelles ou non.
Je ne veux pas trop m'étendre là-dessus, mais, par exemple, les réunions des rédacteurs en chef de la chaîne de journaux Sun sont certainement très différentes de celles des rédacteurs en chef d'un journal grand format. C'est ce que je voulais dire. Je dirai que c'est bien le contexte.
La présidente: J'ai l'impression qu'une partie de ce que vous venez de dire ne pourrait être que des tentatives communes visant à mieux comprendre ce qui peut intéresser «mes lecteurs en comparaison à vos lecteurs» ou à trouver de bonnes idées sur la façon de servir les lecteurs. Il y a une différence entre essayer de mieux comprendre le fonctionnement d'une industrie ou d'un corps de métier et un contrôle centralisé sur la manière de l'appliquer.
De même, Mme Kirkup a parlé de ce que l'on appelle dans le métier les «cadres». Je crois que l'exemple que vous avez mentionné concernait un article sur les allergies qui devait être imprimé à côté d'une publicité pour un médicament. Nous en avons déjà entendu parler — peut-être de la part de Clark Davey qui a cité le même exemple. En quoi est-ce différent du modèle classique et bien connu d'articles sur les voyages dans la section où il y a beaucoup de publicité sur les voyages ou de critiques de films dans la section réservée à la publicité de films? Quelle est la différence?
Mme Kirkup: Je ne sais pas si c'est différent, c'est simplement nouveau. Nous n'avions jamais vu cela dans les pages réservées à la santé. Ce qui est aussi un peu différent de ce dont nous avons l'habitude est le fait que cette page est arrivée à l'Ottawa Citizen avec la mise en page déjà faite. On a demandé aux réviseurs de ne rien toucher. Quelquefois, on reçoit la copie par moyen électronique et l'on y ajoute le reportage local, mais dans ce cas, on leur a dit qu'ils ne pouvaient pas changer cette page et elle est arrivée déjà faite.
M. Ravensbergen: C'est un exemple très effrayant de ce qui pourrait se produire dans de nombreuses autres circonstances. Pouvez-vous imaginer cela dans d'autres sections — peut-être celles des spectacles et des affaires — qui sont produites de manière centralisée dans un endroit au pays, puis publiées dans 14 quotidiens différents? L'engrenage a commencé pour ce qui est d'imposer des informations, la centralisation, la réduction des coûts et le contrôle. C'est ce qu'on appelle une compagnie qui veut commander et contrôler.
Je veux aussi parler des cadres, qui ont été utilisés pour des antiallergiques, si je me souviens bien. C'était un projet qui émanait du siège, cela ne fait aucun doute. Il s'agit de la même compagnie qui a exercé d'énormes pressions, comme vous le savez, pour être autorisée à diffuser de la publicité de médicaments sur ordonnance dans ses stations de télévision, comme c'est le cas aujourd'hui aux États-Unis. Une publicité sur deux vous invite à consulter votre médecin et, au fait, la mort fait partie des effets secondaires.
Nous devons envisager la question dans un cadre plus vaste. Nous ne pouvons pas prétendre voir l'ensemble de la situation, mais nous avons un nombre très dérangeant d'éléments qui semblent tous pointer dans la même direction. Nous manquons de renseignements fiables. Nous avons essayé de vous en fournir quelques-uns à cette table. Amber a mentionné l'initiative de la Guilde des employés de journaux du Canada qui sera communiquée la semaine prochaine — yourmedia.ca —, nous espérons fournir plus de renseignements de cette façon.
Le sénateur Corbin: J'aimerais savoir quels services vous offrez à vos membres — à part l'épanouissement professionnel, l'aide juridique et ce genre de services. L'avers de cette question serait, acceptez-vous les plaintes du public dénonçant le mauvais journalisme et comment y réagissez-vous, par exemple? Sans viser qui que ce soit.
M. Amber: Nos membres bénéficient des services traditionnels offerts par les syndicats. Nous leur venons en aide en cas de conflit de travail avec arrêt de travail; en cas de grief contre leurs propriétaires qui, ensuite, passe à l'arbitrage. Nous avons des avocats. Nous leur fournissons un certain nombre d'avantages — au moyen de notre système, ils peuvent acheter beaucoup moins cher des produits grâce à divers programmes. Nous leur offrons des cours sur les codes du travail et les questions relatives au travail. En pratique, notre syndicat fournit tous les services.
Le sénateur Corbin: Organisez-vous des colloques?
M. Amber: Oui, et d'autres choses de ce genre. Les plus grandes sections les organisent elles-mêmes; le syndicat national aide les plus petites sections.
Le sénateur Corbin: Qu'en est-il de la réaction du public et des plaintes? En recevez-vous?
M. Amber: De manière générale, on n'en reçoit pas parce que les gens font la différence entre le syndicat et le journal. Si des gens ont une plainte contre, disons le Sudbury Star, je suppose qu'ils s'adresseront au Sudbury Star plutôt qu'au syndicat. Au niveau personnel, quand vous travaillez dans un journal, vous avez toujours l'impression d'être assiégé par des personnes qui ont des plaintes.
Le sénateur Merchant: J'ai une question à vous poser puisque vous représentez des journalistes. Vous nous avez dit que vous teniez beaucoup à ce que le public soit bien servi.
Les journalistes choisissent les histoires qu'ils présenteront au public. Ce n'est pas une critique de ma part, mais je crois que des journalistes s'intéressent plus à certains sujets. Qui supervise l'éventail des histoires pour s'assurer que tous les segments de la société sont satisfaits d'être représentés dans la presse? Je ne parle pas des histoires locales seulement mais plutôt d'un parti pris journalistique. Certains segments de notre société pensent que leurs histoires ne sont pas publiées parce que les journalistes ne sont pas intéressés à ce genre d'histoires. Nous avons une notion erronée de ce qui est important et de ce qui se passe dans le monde autour de nous. Quelles sont les mesures à adopter dans ce cas?
M. Ravensbergen: En fait, les journalistes qui rédigent les histoires ne prennent pas les décisions concernant le reportage. Quand un journaliste a une idée de reportage, il la présente à l'agent des affectations. Étant donné la situation présente au point de vue du manque de personnel et des articles qui doivent être publiés, il nous arrive régulièrement d'éliminer beaucoup d'articles. Nous ne publions pas les articles qui demandent du temps supplémentaire. Je me souviens qu'à Calgary, après la grève, Peter Menzies a envoyé une note de service demandant à ses journalistes d'écrire trois articles par jour. Un article écrit si rapidement ne peut pas être exhaustif. Un journaliste sera obligé de réécrire les communiqués de presse pour respecter cette norme de productivité. Est-ce ainsi que l'on gagne la confiance des lecteurs? Je vous laisse le soin d'y réfléchir.
Une façon pour garantir un plus grand nombre de reportages sur les groupes dans la société qui s'estiment lésés ou qui pensent que leurs histoires ne sont pas rapportées est de le signaler à ceux qui prennent les nouvelles décisions d'affectation — au bureau des affectations, au chef des nouvelles locales et au rédacteur en chef. Vous trouverez certainement des échos favorables chez les journalistes. Ils vous diront tous plus ou moins la même chose à ce sujet — il n'y a pas assez de journalistes pour couvrir les événements qu'il faut suivre. Voilà où nous en sommes.
Le sénateur Merchant: Tous ceux qui prennent des décisions sont des journalistes — les rédacteurs, et cetera. Ils ont des vues similaires sur la question.
M. Ravensbergen: Oui.
Le sénateur Merchant: Nous avons — surtout par la télévision où tout est si vivant — l'impression que cet événement est le plus important pour le moment. Vous l'avez dit il y a une minute, lorsque j'ai mentionné l'utilisation de la même photographie dans plusieurs journaux, que les journalistes décident quelle histoire aura la priorité. D'accord pour les grands événements, mais pour les autres choses dont la société se préoccupe, les sujets qui nous intéressent ne sont pas toujours présents dans les médias. Peut-être que les journalistes ne sont pas à l'aise avec certaines histoires ou la promotion de certaines causes. Cela ne nous donne pas un tableau d'ensemble de ce qui passe dans la société. Nous recevons toutes nos informations des médias.
M. Amber: La semaine dernière, dans Inside Media Television, qui examine les médias et avec laquelle je collabore, nous avons parlé des reportages sur la religion. L'un des participants, qui préconise des reportages plus approfondis et en plus grand nombre sur la religion, a déclaré que nous ne l'avions pas parce que de nombreux journalistes ne connaissent pas suffisamment la religion pour la traiter de façon appropriée. Cela me ramène à quelque chose dont nous avons parlé tout à l'heure — dès l'instant où vous réduisez le nombre de journalistes spécialistes — qui ont une spécialité et qui connaissent leur sujet — plus vous aurez de ces examens rapides, ou bien il n'y aura ni discussion ni débat dans la salle de presse. Les anciens journalistes et ceux qui sont présents dans cette salle vous confirmeront que c'est ainsi que les choses fonctionnent.
C'est souvent dû à un manque de sensibilité, particulièrement alors que le Canada change. Connaissons-nous suffisamment les diverses communautés et les sujets d'intérêt que nous devrions traiter? À mon avis, c'est l'un des plus gros problèmes, et il n'a rien à voir avec la concentration. Cela fait partie du métier de journaliste omniprésent. Les raisons pour lesquelles le journalisme n'est pas aussi bon qu'il devrait l'être sont nombreuses.
On pourrait espérer qu'en réglant les problèmes de l'industrie, la situation s'améliorera. Ce que nous disons, et la raison pour laquelle nous sommes venus vous voir avec ce sondage, c'est que nous ne pensons pas que la situation s'améliorera avec une plus grande concentration de la propriété.
Je remercie tous les sénateurs de nous avoir donné cette occasion. Je n'aurais pas pensé que vous seriez aussi patients; ce fut un plaisir d'avoir cette discussion. Nous avons hâte de voir les résultats de vos délibérations.
La présidente: Merci. Comme vous le savez, les sénateurs ont été extrêmement intéressés par vos propos et nous vous remercions d'être venus témoigner devant le comité.
Le comité poursuit ses travaux à huis clos.