Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule 4 - Témoignages du 23 mars 2004
OTTAWA, le mardi 23 mars 2004
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 9 h 35 pour faire l'étude du projet de loi C-7, Loi modifiant certaines lois fédérales édictant des mesures de mise en œuvre de la convention sur les armes biologiques ou à toxines, en vue de renforcer la sécurité publique.
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente: Honorables sénateurs, nous poursuivons aujourd'hui notre étude du projet de loi C-7, Loi modifiant certaines lois fédérales édictant des mesures de mise en œuvre de la convention sur les armes biologiques ou à toxines, en vue de renforcer la sécurité publique.
Nous accueillons ce matin des fonctionnaires du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration et de l'Agence des services frontaliers du Canada.
[Traduction]
Nous accueillons aujourd'hui M. Daniel Jean, sous-ministre adjoint de l'Élaboration des programmes et des politiques au ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration du Canada; Mme Caroline Melis, directrice générale de la Direction générale de l'admissibilité; Mme Julie Watkinson, conseillère juridique; et de l'Agence des services frontaliers du Canada, nous accueillons M. Mark Connolly, chef, Contrebande douanière, renseignements et enquêtes, et M. Denis Lefebvre.
Je crois que vous avez décidé entre vous qui commencerait. Nous allons donc commencer sans plus tarder car comme vous le savez, notre temps est très limité.
[Français]
M. Daniel Jean, sous-ministre adjoint, Développement des politiques et des programmes, Citoyenneté et Immigration Canada: Il nous fait plaisir de comparaître au nom de Citoyenneté et Immigration Canada à ce comité sénatorial, suite à la deuxième lecture de cet important projet de loi.
Je tiens à souligner brièvement certains aspects du projet de loi qui touchent plus particulièrement Citoyenneté et Immigration Canada, soit les parties 5 et 11.
La ministre de la CIC, en vertu de l'article 5 de la Loi sur le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration, a le pouvoir de conclure avec une province, un groupe de provinces, des gouvernements étrangers ou des organisations internationales un accord visant à faciliter la formulation, la coordination et l'application des politiques et programmes relevant de sa compétence.
L'article 7 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés confirme aussi le pouvoir qu'a la ministre de conclure des accords avec le gouvernement d'un État étranger ou avec une organisation internationale.
L'article 33 du projet de loi C-7 modifie le paragraphe 5(1) de la Loi sur le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration en y ajoutant une mention explicite en ce qui a trait à la collecte, l'utilisation et la communication de renseignements. On reconnaît ainsi de façon explicite le pouvoir qu'a le ministre de conclure des accords pouvant être utilisés à des fins d'échange de renseignements et à d'autres fins énoncées dans la Loi.
L'article 33 crée également une nouvelle disposition dans la Loi sur le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration. Le paragraphe 5(2) donne au ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration le pouvoir spécifique de conclure des ententes aux mêmes fins pour lesquelles elle peut conclure des accords, soit la collecte, l'utilisation et la communication de renseignements.
La distinction entre les deux dispositions tient au fait que le terme «accord» au paragraphe 5(1) comporte une obligation en droit international correspondant à un traité; alors que le terme «entente» s'applique aux protocoles d'entente et aux autres instruments moins formels.
Il est essentiel que CIC ait le pouvoir explicite de conclure les deux types d'instruments d'échange de renseignements pour remplir efficacement son mandat en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Ces dispositions de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et de la Loi sur le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration sont conformes à l'alinéa 8)2)(f) de la Loi sur la protection des renseignements personnels qui autorise la communication de renseignements personnels dans le cadre d'un accord ou d'une entente avec une province, un État étranger ou une organisation internationale.
Un des éléments fondamentaux du Plan d'action pour une frontière intelligente signé par l'ex-vice-premier ministre, M. Manley, et le Secrétaire américain de la sécurité intérieure, M. Tom Reach, le 12 décembre 2001 est d'étendre l'échange de renseignements. Ce que la ministre de la CIC cherche à obtenir dans le projet de loi C-7 est le pouvoir légal explicite de remplir cet engagement.
L'article 72 du projet de loi C-7 crée une nouvelle disposition dans la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. L'alinéa 150.1(1)a) prévoit la possibilité d'élaborer des règlements régissant la collecte, la conservation, le retrait et la communication de renseignements pour l'application de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Entre autres, l'alinéa 150.1(1)b) donne la possibilité d'élaborer des règlements régissant la communication de renseignements en matière de sécurité nationale et de défense du Canada ou de conduite des affaires internationales, y compris la mise en œuvre d'accords ou d'ententes conclues aux termes de l'article 5 de la Loi sur le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration.
En vertu de ces nouvelles dispositions, CIC pourrait élaborer des règlement lui permettant d'échanger des renseignements en matière d'immigration avec certains partenaires-clés afin d'empêcher les individus constituant une menace d'entrer et de séjourner au pays.
Notons que CIC peut utiliser ces instruments d'échange d'information dans le cadre d'entente de facilitation. Par exemple, CIC accueille à chaque année plus de 10 000 travailleurs saisonniers dans le domaine agricole en vertu d'ententes conclues avec des pays étrangers. Par conséquent, ces échanges d'information contribuent au mandat de facilitation et de contrôle de CIC.
[Traduction]
Dans la réorganisation gouvernementale du 12 décembre 2003, CIC a conservé la responsabilité de traiter les demandes de toutes les catégories de personnes qui cherchent à entrer au Canada, de même que les demandes de modification du statut présentées au Canada. Pour être en mesure de rendre des décisions judicieuses, il faut s'appuyer sur les renseignements les plus complets possible en provenance de toutes les sources pertinentes.
Dans le cas de ressortissants de pays tiers qui demandent à entrer au Canada, la décision peut devoir s'appuyer sur des sources à l'extérieur du Canada. L'échange de renseignements pour ces fins avec nos partenaires internationaux est justement l'intention de la disposition sur la communication de renseignements dans la conduite des affaires internationales.
CIC doit rendre un million de décisions par année, à l'étranger et au Canada, et pour rendre des décisions justes dans chaque cas, CIC doit pouvoir compter sur les meilleurs renseignements possible. Les clients ne sont pas des citoyens canadiens ou, pour la plupart, des résidents permanents du Canada, mais des étrangers qui cherchent à entrer au Canada pour visiter, étudier, travailler temporairement ou immigrer. CIC veut s'assurer que les clients ne posent aucun risque en matière de sécurité.
L'échange de renseignements est crucial aux activités de CIC visant le maintien de la sécurité du Canada. Nous voulons nous assurer que nous continuons de disposer de tous les outils nécessaires pour garantir l'intégrité de notre processus décisionnel, de sorte que les Canadiens puissent avoir confiance dans l'efficacité des contrôles effectués par CIC.
Parallèlement, nous reconnaissons que les renseignements doivent être protégés contre l'accès inapproprié, l'utilisation incorrecte et la communication non autorisée. Pour cette raison, l'article 72 du projet de loi C-7 prévoit aussi que les règlements pris en vertu de l'article 150.1 peuvent aussi comprendre des conditions régissant et/ou restreignant les fins pour lesquelles Citoyenneté et Immigration Canada peut recueillir, conserver, retirer et communiquer des renseignements.
L'article 70 du projet de loi C-7 modifie en outre l'article 5 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, la LIPR, de manière à ajouter les règlements pris au titre de l'article 150.1 aux projets de règlement pris au titre de la LIPR qui doivent être déposés devant chaque Chambre du Parlement et que celle-ci renvoie à son comité compétent.
Les comités peuvent tenir des audiences publiques sur ces règlements, permettant au public et à d'autres groupes intéressés de présenter des observations. Cet examen servira à accroître la transparence et la responsabilisation globale. Le projet de loi C-7 est une des nombreuses mesures efficaces prises par le gouvernement pour contribuer à la protection de la sécurité des Canadiens. Le Canada et les Canadiens bénéficieront de l'échange de renseignements puisque nous aurons accès aux renseignements que détiennent les autres pays. Cela accroîtra notre capacité d'éloigner les terroristes, les criminels et autres personnes constituant une menace.
[Français]
M. Denis Lefebvre, vice-président-directeur général, Agence des services frontaliers du Canada: À une séance antérieure, Mme Debra Normoyle a fait une présentation au nom de l'Agence des services frontaliers du Canada. Nous avons une nouvelle équipe pour répondre aux questions des sénateurs au nom de l'Agence des services frontaliers.
[Traduction]
La présidente: Les discours les plus courts sont les meilleurs. Y a-t-il d'autres témoins qui souhaitent prendre la parole avant que nous passions aux questions?
Le sénateur Beaudoin: Ma question concerne l'article 72 du projet de loi C-7. C'est une chose de prendre des règlements pour obtenir certains renseignements, mais la semaine dernière, un aspect en particulier nous a préoccupés: le droit relatif à la protection de la vie privée, qui est inscrit dans les articles 7 et 8 de la Charte des droits et des libertés. Bien sûr, il n'existe aucun droit absolu au Canada en vertu de la Charte, à l'exception peut-être de l'article 28.
Je comprends que nous vivons une période très difficile. Nous devons protéger la sécurité, et nous devons prendre des mesures positives. Cependant, c'est tout à fait autre chose lorsqu'il s'agit de communiquer à d'autres pays des renseignements que nous détenons. Je peux convenir avec vous qu'il faut détruire les documents que l'on obtient après un certain temps, mais que se passe-t-il dans le cas des autres pays ou des autres bureaux qui peuvent recevoir ces renseignements? Quelle est la situation? Leur demandez-vous de détruire ces documents après un certain temps?
M. Jean: Habituellement, sénateur Beaudoin, ces instruments d'échange de renseignements renferment des dispositions qui prévoient des règles concernant la conservation, la communication, et cetera. Lorsque nous concevons ces dispositions, nous tâchons de nous assurer qu'elles prévoient tous les mécanismes appropriés de protection de la vie privée et que les renseignements seront utilisés uniquement pour les raisons pour lesquelles ils ont été obtenus.
[Français]
Le sénateur Beaudoin: De plus en plus dans notre système moderne, on obtient des informations. Je commence à être un peu inquiet de constater que cet ensemble s'attaque, à un moment donné, au droit à la vie privée, un droit fondamental reconnu par la jurisprudence qui est ainsi un peu battu en brèche. C'est une question d'interprétation. Je veux bien croire qu'avec les événements du 11 septembre, on vit dans une période difficile, mais on n'a jamais proclamé l'urgence nationale. Je suis d'accord que l'on donne plus de pouvoirs pour protéger le public, oui. Mais il faut arrêter quelque part. On s'est aperçu, ces derniers mois, que les forces de l'ordre n'ont pas toujours respecté le droit à la vie privée. Je pense que cela devient un peu discutable.
M. Jean: Le sénateur Beaudoin soulève un excellent point. Comme vous le savez, depuis des années, notre loi — autant celle de notre ministère que celle qui concerne l'immigration et la protection des réfugiés — accorde au ministre le droit de conclure des ententes internationales. Dans le cadre du projet de loi C-7, on rend cette autorité plus explicite car elle comprend la question d'échanges d'informations. Effectivement, cela peut affûter les outils dans le cadre de cibler les risques. Mais en adoptant des règlements, le Parlement peut ainsi s'assurer que ces échanges d'informations se font avec les sauvegardes en place pour les questions de protection de vie la privée. De la même façon que le projet de loi C-7 va nous permettre de rendre plus explicite les outils d'échanges d'informations, la réglementation va également gouverner les questions de collecte, de rétention et d'échanges d'informations. Le Parlement aura l'opportunité de s'assurer que ces sauvegardes sont en place.
M. Lefebvre: Je ne peux résister à engager un autre débat avec mon ex-professeur de droit constitutionnel sur ce sujet très intéressant. Les ententes d'échanges d'informations sont faites sur une base réciproque. Et la seule raison pour laquelle on s'engage dans ces ententes, c'est que nous avons besoin d'informations. C'est dans notre intérêt. Donc les limites que l'on négocie et que l'on impose à nos partenaires sont celles que nous sommes prêts à accepter nous-mêmes au sujet d'une information qu'ils nous donnent.
Lorsqu'on travaille dans le domaine de l'immigration ou des services frontaliers, l'essence même de notre travail est international. Nous avons des chapeaux blancs et des chapeaux noirs: on ne peut pas, sous prétexte que la personne change de juridiction, dire qu'on arrête — lorsque les cowboys de l'Ouest s'arrêtaient à la frontière, ils ne poursuivaient pas dans l'autre juridiction — à la frontière. On le fait encore. Toutefois, pour être capable de travailler de façon efficace, cet échange d'informations avec les autres juridictions est absolument essentiel.
Le sénateur Beaudoin: Pour ce qui est du Canada, j'ai bonne confiance. Mais parfois je m'interroge. Je ne veux pas critiquer les autres, chacun a son système. Mais j'ai un peu moins la foi. Je reviendrai en deuxième ronde, et on reparlera.
[Traduction]
Le sénateur Jaffer: Avant de commencer, j'aimerais présenter une requête. J'ai relu le témoignage du commissaire Zaccardelli. Il a parlé d'un comité consultatif. J'aimerais qu'il nous fournisse plus d'information sur le comité consultatif, si nous pouvons en faire la demande, je vous prie, madame la présidente.
Mme Normoyle vous a bien représentés ici, et nous vous souhaitons la bienvenue.
Je crois comprendre que le projet de loi S-23 a été adopté récemment. Est-ce exact? J'adresse ma question à M. Jean, mais tous ceux qui souhaitent y répondre peuvent le faire.
M. Jean: L'immigration concerne la circulation des personnes. Je crois comprendre que le projet de loi S-23 était un projet de loi sur les douanes, donc il s'agit de la circulation de marchandises. M. Lefebvre serait mieux en mesure de répondre à des questions portant sur la circulation des marchandises.
Le sénateur Jaffer: Vous traitez avec des non-Canadiens et il traiterait avec des Canadiens, n'est-ce pas?
M. Jean: En ce qui concerne les douanes, dans l'exercice de ses fonctions, il devrait traiter avec des Canadiens, effectivement.
Le sénateur Jaffer: Les Canadiens n'ont pas besoin de l'immigration.
M. Lefebvre: Le projet de loi S-23 était un projet de loi destiné à modifier la Loi sur les douanes, et les douanes s'occupent de tout produit que ramène au Canada un citoyen canadien ou un non-citoyen.
Le sénateur Jaffer: Traitait-il uniquement de produits ou de marchandises?
M. Lefebvre: Oui, il portait sur les produits et les marchandises. Avant la création de l'Agence des services frontaliers du Canada, l'administration des douanes avait aussi pour mandat, par décret du conseil, à la frontière, au niveau de la première inspection, d'exécuter les fonctions d'agent d'immigration.
Le sénateur Jaffer: Quel pouvoir le projet de loi S-23 vous a-t-il donné?
M. Lefebvre: Le projet de loi S-23 a apporté un grand nombre de modifications à la Loi sur les douanes. Par exemple, il nous a autorisés à utiliser d'autres méthodes pour traiter les personnes qui se présentent à la frontière. Il nous a permis de mettre en place de nouvelles méthodes de contrôle à la frontière — comme le système FAST, le système de contrôle d'identité informatisé, et le système NEXUS. Le projet de loi renfermait également une disposition concernant le droit de recueillir et d'échanger des renseignements.
Le sénateur Jaffer: Je crois comprendre que le projet de loi S-23 vous accordait déjà le droit d'échanger des renseignements avec des pays étrangers, n'est-ce pas?
M. Lefebvre: Oui, en vertu des pouvoirs qui nous sont accordés par la Loi sur les douanes, mais qui ne comprend pas tous les renseignements que détient par exemple le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration au sujet des particuliers, des demandeurs du statut d'immigrant et de réfugié.
Le sénateur Jaffer: Pourtant il vous fournirait suffisamment de renseignements en ce qui concerne les Canadiens, n'est-ce pas?
M. Lefebvre: Oui, je le crois.
Le sénateur Jaffer: Vous dites que les pouvoirs supplémentaires que fournit le projet de loi C-7 ont trait aux non- Canadiens. Est-ce exact?
M. Jean: À l'heure actuelle, dans la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et la loi qui régit le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration, notre ministre a le droit de conclure des ententes et des accords internationaux. Il s'agit d'une disposition très générale dont nous nous sommes servis pour établir des instruments d'échange de renseignements. Bien entendu, ces instruments prévoient des mécanismes de protection de la vie privée. Nous avons en fait un processus par lequel chaque instrument d'échange de renseignements fait l'objet d'une évaluation de facteurs relatifs à la vie privée par le commissaire à la protection de la vie privée. On y détermine les risques pour la vie privée, et nous prenons des mesures pour atténuer ces risques.
Le projet de loi C-7 précise, dans la conduite des affaires internationales et l'établissement de ces accords, l'existence de cette capacité à échanger des renseignements. Comme je l'ai dit plus tôt, cela donnera également l'occasion au Parlement de s'assurer que les mécanismes de protection de la vie privée sont en place.
Le sénateur Jaffer: Je vous demanderais, monsieur, de passer à la page 33 du projet de loi et d'examiner l'article 33 qui traite du paragraphe 5(1) proposé. D'après ce que je crois comprendre des documents qui nous ont été fournis plus tôt en prévision de cette réunion — veuillez me corriger si je n'ai pas bien compris — le paragraphe 5(1) vous confie déjà tous ces pouvoirs. Vous avez le pouvoir de conclure des accords avec une province ou un groupe de provinces ou avec des gouvernements étrangers ou des organisations internationales. CIC a ces pouvoirs «visant à faciliter la formulation, la coordination et l'application». Est-ce exact?
M. Jean: Oui.
Le sénateur Jaffer: Vous possédez aussi le pouvoir — non explicite mais implicite — de recueillir et de communiquer des renseignements. Le paragraphe 5(1) proposé ajoute uniquement la précision suivante: «la collecte, l'utilisation et la communication de renseignements».
M. Jean: Vous avez tout à fait raison, sénateur Jaffer.
Le sénateur Jaffer: En ce qui concerne le reste des dispositions du paragraphe 5(1), vous possédez déjà ces pouvoirs.
M. Jean: C'est exact.
Le sénateur Jaffer: Quelle est la loi qui vous confère ces pouvoirs?
M. Jean: Il s'agit de l'article 7 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et également de la Loi qui régit le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration.
Le sénateur Jaffer: Je comprends que vous exercez déjà ces pouvoirs, mais vous voulez que ce soit énoncé de façon explicite, n'est-ce pas?
M. Jean: Nous voulons qu'il soit énoncé de façon explicite que cela comprend le partage de renseignements, effectivement.
Le sénateur Graham: Monsieur Jean, à la fin de votre déclaration, vous avez dit que le Canada et les Canadiens bénéficieront de l'échange de renseignements, puisque nous aurons accès aux renseignements que détiennent les autres pays. Monsieur Lefebvre, en réponse à une question du sénateur Beaudoin, vous avez dit qu'il s'agirait d'une mesure réciproque.
Je me demande s'il est possible de surveiller la façon dont les autres gouvernements et organisations internationales utilisent les renseignements qui leur sont communiqués. Est-il possible de surveiller ce genre de choses?
M. Lefebvre: Le sénateur Beaudoin a soulevé la même question. Je parlerai d'après ma propre expérience et au nom de mon agence.
Nous ne concluons d'accords de ce genre qu'à moins d'être convaincus que les partenaires avec lesquels nous concluons un accord respectent la primauté du droit. Nous énonçons dans nos accords toutes les conditions que doivent suivre nos partenaires, et nous entreprenons d'adopter essentiellement les mêmes mécanismes de protection.
Les pays avec lesquels nous avons conclu des accords ont, comme nous, des commissaires à la protection de la vie privée qui ont le droit de vérifier ce qui se passe dans leur organisation. Ils ont aussi chacun un vérificateur général qui examine s'ils respectent les procédures appropriées, et cetera. Nous avons des régimes très similaires pour assurer l'application de ces accords. Nous n'avons pas l'habitude d'envoyer des vérificateurs dans des pays étrangers pour vérifier comment ils mettent en oeuvre les mécanismes de protection, mais comme je l'ai dit, il s'agit au départ de conclure des ententes avec des pays que nous croyons capables de respecter leurs engagements.
Le sénateur Graham: Le commissaire à la protection de la vie privée pourra-t-il consulter vos dossiers?
M. Lefebvre: Oui.
M. Jean: Chaque fois que nous faisons une évaluation des facteurs relatifs à la vie privée, le commissaire à la protection de la vie privée soulève l'importance de pouvoir avoir accès à des dossiers qui indiquent quand les renseignements ont été utilisés et à quelles fins pour permettre ce genre de contrôle.
Le sénateur Graham: En ce qui concerne vos sources d'information, je suppose qu'il s'agit des sources habituelles comme la GRC, le SCRS, Transports Canada et les Douanes. Avez-vous d'autres sources de renseignements?
M. Lefebvre: Nous avons deux sources principales. La première, ce sont les renseignements qui proviennent des intéressés eux-mêmes. En vertu de la Loi sur l'immigration, ils présentent une demande d'immigration au Canada. En vertu de la Loi sur les douanes, ils doivent faire rapport des produits qu'ils importent.
Le sénateur Graham: J'ai mentionné la GRC, le SCRS, les Transports et les Douanes. Je me demande s'il existe d'autres sources?
M. Lefebvre: Les informateurs peuvent être des sources de renseignements.
Le sénateur Graham: Vraiment?
M. Lefebvre: Bien sûr.
Le sénateur Graham: Sont-ils nombreux?
M. Lefebvre: Ils ne sont pas très nombreux, mais il y en a quelques-uns. C'est une source de renseignements. Nous accepterons les renseignements fournis par des informateurs comme point de départ d'une enquête si ces renseignements semblent valables.
Le sénateur Graham: Dans ces cas-là, est-ce vous qui en prenez l'initiative, ou s'agit-il simplement de renseignements qui vous arrivent dans une enveloppe brune?
M. Lefebvre: Nous avons un programme plus ou moins organisé pour saisir les renseignements que nous recevons et pour contrôler la façon dont nos agents le font. Nous déciderons ensuite s'il est justifié de tenir des enquêtes.
[Français]
Le sénateur Corbin: Monsieur Jean, à la page 7 de votre texte anglais, on retrouve l'énoncé suivant:
[Traduction]
CIC doit rendre un million de décisions par année, à l'étranger et au Canada, et pour rendre des décisions justes dans chaque cas, CIC doit pouvoir compter sur les meilleurs renseignements possible.
Vous avez des agents d'immigration à l'étranger, n'est-ce pas?
M. Jean: Oui, nous avons des agents.
Le sénateur Corbin: Ils ne sont pas tous forcément des ressortissants canadiens?
M. Lefebvre: En vertu de notre loi et de nos règlements, nous avons des agents que nous engageons sur place qui peuvent avoir un pouvoir attribué par désignation de délivrer des visas.
Le sénateur Corbin: Quelles sont les vérifications de sécurité dont font l'objet ces personnes?
M. Jean: Ces personnes font l'objet d'une vérification approfondie de la fiabilité. Elles n'ont pas la cote sécuritaire qui est accordée à nos agents, mais elles n'ont accès à aucun type de renseignements sensibles. Seuls les Canadiens ayant une cote de sécurité de niveau très secret s'occupent des cas de nature délicate.
Le sénateur Corbin: Ce n'est pas vraiment cet aspect qui me préoccupe, mais plutôt la corruption généralisée qui existe dans certains pays où des ressortissants non canadiens reçoivent des demandes d'immigration au Canada et aussi, bien sûr, des agents terroristes possibles.
À quel stade ce type de contrôle est-il effectué outre-mer?
M. Jean: La vérification approfondie de la fiabilité est effectuée au moment où une personne est engagée. Vous faites allusion à un problème qui nous préoccupe beaucoup. De fait, chaque année CIC publie un rapport qui rend publique toute irrégularité de la part du personnel. Tout bien considéré, même si cela n'est pas forcément réconfortant, les problèmes dont vous parlez ne sont pas trop fréquents. Dans l'ensemble, notre personnel est vraiment digne de confiance. La plupart de nos employés travaillent pour nous depuis un certain nombre d'années. Il existe des pays où la corruption est tellement répandue ou des pays qui connaissent des pressions familiales telles que nous ne déléguons jamais de pouvoir aux agents recrutés sur place. Il y a des endroits où nous avons décidé de ne pas mettre nos gens dans ce genre de situations.
Nous avons établi des mesures d'assurance de la qualité dans nos activités outre-mer pour nous assurer que toute irrégularité quelle qu'elle soit est signalée. Lorsque nous découvrons des agissements de ce genre, nous sévissons. Nous nous sommes fixé un degré de tolérance zéro pour ce genre de comportement.
Nous avons obtenu d'assez bons résultats et, comme je l'ai mentionné, un rapport est publié chaque année qui indique le nombre d'enquêtes que nous avons faites, le nombre d'irrégularités qui ont été constatées et les mesures correctives qui ont été prises.
Le sénateur Corbin: La GRC ou le SCRS participe-t-il à ces vérifications outre-mer dont font l'objet vos agents ou vos employés?
M. Jean: Lorsque nous avons des indications — que nous avons obtenues nous-mêmes ou autrement — qui laissent entendre qu'un employé a commis un acte répréhensible, nous demandons habituellement à la Division de l'immigration et des passeports de la GRC de faire enquête. Nous avons pris des dispositions en ce sens avec la GRC.
Le sénateur Corbin: Je suis toujours sidéré de constater l'ignorance de la part des médias, des politiciens, des chroniqueurs américains et même des pharmaciens locaux, à propos de la sévérité des lois canadiennes en ce qui concerne l'entrée au pays des immigrants. Je dois dire que dans l'ensemble notre système est tout aussi bon, sinon meilleur, que celui en vigueur aux États-Unis.
Vous vous rappellerez que lorsque les avions ont percuté les tours jumelles, les premiers commentaires que nous avons entendus c'est que les auteurs des attentats avaient traversé la frontière à partir de Yarmouth en Nouvelle-Écosse — ce qui, à mon avis, relève de la fiction. Il est important que les Canadiens réagissent à ces propos persistants. Je ne veux pas dire que les risques n'existent pas. Cependant, dans l'ensemble, les commentaires provenant de tous les milieux aux États-Unis ont été exagérés.
Si vous avez effectivement un programme de relations publiques, ou si quelqu'un d'autre a un programme de ce genre, comment pouvons-nous faire pour contrer cette image négative du Canada? C'est très important pour notre fierté nationale et sûrement important pour faire respecter des personnes comme vous et les milliers d'employés qui font du très bon travail.
M. Jean: C'est une question qui me tient à coeur, sénateur. Avant d'exercer mes fonctions actuelles, j'ai travaillé cinq ans à Washington où j'étais le principal attaché pour l'immigration à l'ambassade et je peux dire que je m'y connais un peu en ce qui concerne les politiques en vigueur au Canada et aux États-Unis. Je dois dire que nous ainsi que le ministère des Affaires étrangères en particulier déployons, avec le reste du gouvernement du Canada, d'énormes efforts pour démystifier certaines des choses que vous avez décrites.
Vous me donnez l'occasion de présenter un exemple concret de la raison pour laquelle il est parfois dans l'intérêt du Canada de partager des renseignements. Il y a quelques années, lorsque je travaillais à Washington, nous recevions en moyenne 100 demandes d'asile de personnes relativement riches d'un pays d'Afrique qui essayaient de venir ici pour abuser de la générosité et de la protection que nous offrons aux personnes qui ont vraiment besoin de cette protection. Leur tactique consistait à obtenir des visas américains de l'ambassade locale des États-Unis.
Le sénateur Graham: Pourriez-vous nous préciser avec quelle fréquence vous receviez ces demandes?
M. Jean: Nous recevions 100 demandes d'asile de ce pays par mois.
En utilisant des articles de la Loi sur la protection des renseignements personnels qui était alors en vigueur — à l'époque nous n'avions pas les instruments de partage des renseignements que nous avons maintenant avec les États- Unis — nous avons réussi à montrer aux États-Unis comment on abusait de leur système de contrôle des visas dans ce pays en particulier. Ces personnes utilisaient un système de contrôle des visas relativement libéral dans ce pays pour venir au Canada et abuser de notre système d'asile alors qu'ils ne faisaient en fait l'objet d'aucune forme de persécution dans leur pays.
En utilisant ainsi ce partage de renseignements, nous avons réussi à réduire le nombre de demandes d'asile qui est passé de 100 à moins de dix par mois. Il s'agit d'un exemple. Nous avons fait la même chose avec des pays de l'Europe de l'Est.
Le partage des renseignements joue dans les deux sens. Le sénateur a fait valoir avec raison que la migration irrégulière et les menaces à la sécurité vont dans les deux sens. La solution n'est pas de porter des accusations mais de coopérer. Cependant, pour coopérer, il faut pouvoir partager des renseignements sur les cas qui présentent un risque.
Je vous donnerai un autre exemple concret. Lorsque je travaillais à Washington, chaque mois nous recevions une liste à jour des terroristes les plus recherchés dont se servaient les États-Unis pour effectuer le contrôle des visas. Ils ont éliminé de leur liste les noms des citoyens américains. Depuis 1999, nous avons réciproqué et sommes en train d'éliminer aussi les noms canadiens, pour les raisons valables de protection dont nous avons discuté ici.
J'utilise ces exemples pour vous montrer qu'il est souvent dans notre intérêt mutuel de partager ce genre de renseignements. C'est ce que nous faisons depuis des années et il n'y a jamais eu d'abus. Lorsqu'ils doivent utiliser les renseignements dans le cadre de poursuites, ils suivent toujours la marche à suivre appropriée.
J'ai dit plus tôt que tous nos instruments de partage des renseignements prévoient des dispositions sur l'utilisation appropriée des renseignements en question et sur les mécanismes de protection qui devraient être appliqués. Bien entendu, si les États-Unis, ou tout autre pays — parce que nous avons conclu des accords de partage de renseignements avec d'autres pays également — faisaient un usage abusif de ces renseignements, nous annulerions alors l'instrument de partage des renseignements.
La présidente: J'aimerais avoir un éclaircissement. Lorsque vous partagez ces listes de terroristes, éliminez-vous les noms des citoyens canadiens?
M. Jean: Il était très important pour les États-Unis lorsque nous avons pris cet arrangement particulier, étant donné que notre mandat consiste à vérifier les ressortissants des pays tiers — je parle ici sur le plan de l'immigration — que l'on élimine les noms des ressortissants canadiens et américains des listes de noms échangées dans ce contexte.
Je dois également dire que dans le contexte de l'immigration, nous ne fournirions de renseignements à propos d'un Canadien que si nous soupçonnions fortement ce Canadien d'être impliqué dans des activités de contrebande. Car dans un tel cas il ne s'agirait plus d'une question d'immigration; il s'agirait d'une question criminelle et nous travaillerions en collaboration avec la GRC parce que cette personne se livre à une activité criminelle.
La présidente: Un crime transfrontalier.
M. Jean: Oui.
La présidente: Mais dans le cas d'immigrants reçus?
M. Jean: Nous avons la possibilité de partager des renseignements sur les immigrants reçus; toutefois, la plupart des renseignements que nous partageons concernent habituellement les résidents temporaires comme nous les appelons, c'est-à-dire des personnes qui demandent à entrer au Canada comme touristes, visiteurs commerciaux, étudiants, travailleurs temporaires, ou qui présentent une demande d'immigration.
La présidente: Je vois. Merci beaucoup.
Le sénateur Day: Le paragraphe 71(2) de la partie 11 du projet de loi indique que «l'utilisation doit être notifiée à l'intéressé». Pouvez-vous me dire comment vous notifiez l'intéressé? Nous avons discuté l'autre jour de la notification — en ce qui concerne l'article 149 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Comment notifiez-vous l'intéressé de l'utilisation des renseignements le concernant?
Mme Julie Watkinson, conseillère juridique, Citoyenneté et Immigration Canada: CIC travaille avec l'Association du transport aérien international, IATA, et certains des transporteurs aériens pour notifier l'intéressé aux comptoirs d'enregistrement. Je ne peux pas vous affirmer si les intéressés sont effectivement notifiés.
Le sénateur Day: La personne serait notifiée au moment où elle s'enregistre et on l'informerait que les renseignements qu'elle va fournir pourraient être communiqués et utilisés. Est-ce exact?
Mme Caroline Melis, directrice générale, Direction générale de l'admissibilité, Citoyenneté et Immigration Canada: Honorables sénateurs, cette notification peut aussi figurer sur le billet que vous recevez. Elle figure probablement parmi tous les renseignements en petits caractères qui se trouvent sur le billet.
Le sénateur Graham: Avez-vous déjà eu l'occasion de lire cet avis?
Le sénateur Day: Le projet de loi exige expressément, une fois qu'il sera adopté, que l'intéressé soit notifié à cet égard?
M. Lefebvre: J'aimerais intervenir. Le projet de loi S-23, dont on a parlé plus tôt, qui modifie la Loi sur les douanes, prévoit aussi une disposition qui permet à l'Agence des douanes d'alors de demander des renseignements que renferme le SIPV/PNR. Le présent projet de loi ne prévoit aucune disposition obligeant à notifier les voyageurs. Depuis octobre 2002, nous avons instauré un système selon lequel les compagnies aériennes nous envoient — auparavant ces renseignements étaient envoyés aux Douanes mais désormais ils sont envoyés à l'Agence des services frontaliers du Canada — les renseignements du SIPV. Les renseignements du PNR ont aussi commencé à être envoyés.
Le sénateur Day: Je vous remercie.
La présidente: De quoi parlez-vous, que signifient ces acronymes?
M. Lefebvre: Les renseignements concernant les passagers aériens sont divisés en deux catégories: le SIPV, qui est simplement le système d'information préalable sur les voyageurs; et le PNR ou dossier du passager qui correspond aux renseignements qui se trouvent dans le système de réservations.
La présidente: Le dossier du passager.
M. Lefebvre: Le dossier et l'enregistrement qui se trouvent dans le système de réservations.
Le sénateur Day: Si cette notification est par écrit, pourriez-vous nous en envoyer un exemple? Vous pourriez peut- être le faire à une date ultérieure?
La présidente: C'est tout, sénateurs. Le sénateur Graham aura le dernier mot.
Le sénateur Day: Pourriez-vous nous indiquer au Canada maintenant le nombre approximatif de gens dont Immigration a perdu la trace? Quel est leur nombre?
On a dit à des demandeurs d'asile de rentrer chez eux dans un délai d'une semaine ce qu'ils n'ont pas fait, ou il s'agit d'étudiants qui prolongent indûment leur séjour.
Le sénateur Spivac: Ou qui sont simplement censés être expulsés et dont on perd la trace.
Le sénateur Day: Quel est leur nombre?
M. Jean: Nous ne tenons pas ce genre de statistiques et nous n'essayons pas de le faire parce que nous n'avons pas de mécanismes de contrôle à la sortie, sénateur, et il s'agit alors d'estimations. Il y a des pays qui essayent de le faire. Les États-Unis, d'après les études, évaluent à 5 ou 12 millions le nombre de migrants clandestins.
Nous pouvons vous donner le nombre d'infractions commises chaque année au Canada ainsi que le nombre de renvois. Les gens liront peut-être dans les journaux un extrait du rapport de la vérificatrice générale qui affirme qu'il y a 36 000 personnes — il s'agit du nombre de mandats non exécutés, du point de vue de l'immigration, qui sont dans le système. Certains d'entre eux remontent à il y a 20 ans. D'autres visent des gens qui ont quitté le pays sans nous l'avoir dit.
L'Immigration se sert des mandats comme le font les corps policiers. C'est un outil. Si la personne visée est toujours au pays et entre en contact avec un policier, celui-ci saura qu'il y a un mandat d'arrêt non exécuté émis par l'Immigration parce que la personne a enfreint le règlement. Elle était censée partir et ne l'a pas fait.
Le sénateur Graham: Pourriez-vous nous dire quelle est la différence entre un accord et une entente et pourquoi le gouverneur en conseil, c'est-à-dire le Cabinet, doit-il approuver l'accord? Pourquoi pas l'entente aussi?
M. Jean: L'accord est juridiquement contraignant, c'est la principale différence. Pour cette raison, nous devons comparaître devant le gouverneur en conseil.
Ce n'est pas le cas de l'entente. C'est plus officieux. Les parties conviennent de respecter les dispositions de l'entente. Toutefois, ce n'est pas contraignant du point de vue juridique.
L'entente peut être de nature diplomatique, l'échange de notes, par exemple; ce peut être un échange de lettres ou un protocole d'entente.
Le sénateur Graham: Comment le Cabinet passe-t-il en revue l'accord?
M. Jean: Le rôle principal revient au commissaire à la vie privée. Chaque fois que nous voulons signer un de ces accords ou une de ces ententes, il faut procéder à ce que l'on appelle une «évaluation des facteurs relatifs à la vie privée». Le personnel du Commissariat à la protection de la vie privée les passe en revue à la recherche de tous les risques pour la vie privée. Il fera des suggestions sur la façon de les atténuer. Nous travaillons avec le Commissariat pour nous assurer d'inclure dans les ententes et les accords des mesures destinées à réduire les risques.
Le sénateur Corbin: Les cow-boys m'intéressent.
M. Lefebvre nous a dit que les cow-boys de l'Ouest sont très respectueux de la frontière, de la frontière internationale. Il semble que ce ne soit pas le cas des Américains. Il est arrivé que des policiers forcent la barrière, à Windsor, n'est-ce pas? C'était il y a quelques semaines. Qu'est-il arrivé depuis?
M. Lefebvre: La police a fait une enquête. L'incident s'est produit à Niagara. Ils pourchassaient un malfrat aux États-Unis. Ils ont traversé le point de passage et ont roulé quelques centaines de mètres au Canada avant de s'arrêter. Le fuyard a continué et un accident est survenu dans la rue un peu plus loin.
La police a fait enquête. Elle a conclu qu'aucun crime n'avait été commis, mais qu'il y avait eu une infraction douanière et l'affaire fait l'objet de consultation par les voies diplomatiques. Il est certain que c'est inacceptable et le Canada a bien fait savoir aux États-Unis que c'était le cas et que des mesures seraient prises pour que cela ne se reproduise plus.
La présidente: Merci.
[Français]
Le sénateur Beaudoin: Vous avez employé le terme «rule of law». Qu'est-ce qui se produit quand il ne s'agit pas de la même loi?
[Traduction]
M. Lefebvre: Sénateur, il y a des différences entre notre Loi sur la protection de la vie privée et celles des pays avec lesquels nous traitons. Elles se ressemblent, mais ne sont pas identiques. Je l'admets. Nous avons bon espoir que nos partenaires respecteront les conditions que nous avons mises dans l'accord sur la façon dont les renseignements seront partagés et en quelles circonstances.
Le sénateur Beaudoin: Votre entente n'est pas juridiquement contraignante.
La présidente: Je sais que les sénateurs Beaudoin et Jaffer ont des questions. Je sais aussi que nous sommes pressés par le temps. Je vais vous demander de poser vos questions et aux témoins de vous répondre par écrit dans les 24 heures.
Le sénateur Beaudoin: Ma question est simple. Si l'entente n'est pas juridiquement contraignante, quelle est son utilité?
Le sénateur Jaffer: Je n'ai pas compris ce que vous vouliez dire par «chapeau noir» et «chapeau blanc». Je voudrais aussi que l'on m'explique ce qu'est un «centre national d'expertise» et le «cadre de cotation des risques».
La présidente: Nous vous serions reconnaissants de nous faire parvenir la réponse à cette question par écrit.
Merci beaucoup d'être venus. Vous avez couvert énormément de terrain en très peu de temps. Il est toujours frustrant de ne pas pouvoir passer deux jours à entendre chaque témoin, qui ont tous tant à nous dire.
Notre prochain témoin est connu de nous tous, j'en suis sûre. Il s'agit du directeur du Service canadien du renseignement de sécurité, M. Ward Elcock. Nous vous sommes reconnaissants d'être venu parce que le SCRS occupe une place importante dans ce projet de loi.
Je vous cède la parole.
M. Ward P.D. Elcock, directeur, Service canadien du renseignement de sécurité: Madame la présidente, mon exposé d'aujourd'hui a pour but de fournir au comité une mise à jour sur la menace terroriste compte tenu des répercussions du projet de loi C-7 en matière de sécurité nationale et/ou de sécurité publique, particulièrement en ce qui a trait à l'aviation.
Dans mon exposé, je décrirai brièvement la menace terroriste dans son ensemble, et je présenterai en détail sa manifestation la plus grave et la plus imminente, à savoir les groupes, les militants et les partisans qui font partie de l'extrémisme islamique sunnite.
Vers la fin, je soulignerai quelques-uns des défis que doivent relever le Service et le gouvernement pour protéger les Canadiens contre les actes de violence grave commis au nom de causes politiques, religieuses ou idéologiques. Plus particulièrement, il sera question de la menace que posent des groupes terroristes qui veulent exploiter le secteur de l'aviation afin de lancer des attaques ou d'appuyer d'autres activités terroristes. Enfin, j'expliquerai comment le SCRS a l'intention de mettre en application ses responsabilités en vertu des dispositions prévues dans le projet de loi, si celui- ci est promulgué.
Contrairement à la croyance populaire, l'histoire du Canada n'est pas dépourvue de violence terroriste. Des terroristes d'origine canadienne et étrangère mènent depuis longtemps des activités au Canada pour atteindre des objectifs nationaux ou planifier des opérations qui seront exécutées à l'étranger.
Pour beaucoup de gens, le Canada demeure une terre d'asile. Chaque année, le Canada accueille près de 250 000 immigrants, dont environ 30 000 sont des réfugiés. L'immense majorité d'entre eux viennent s'établir au Canada pour améliorer leur sort, mais certains de ces nouveaux venus cherchent à importer les tensions politiques et les conflits de leur pays d'origine.
Fait encore plus inquiétant, les extrémistes religieux cherchent à trouver asile au Canada afin de mener leurs guerres respectives à l'abri des pressions exercées par les forces de sécurité de leur pays d'origine. Plusieurs pays continuent d'appuyer des groupes terroristes en leur fournissant des fonds, un entraînement ou un refuge.
Les actes de violence liés à des causes nationalistes sécessionnistes trouvent leurs racines dans la composition multiculturelle de notre société. À titre d'exemple, la plupart des groupes terroristes sikhs importants au monde sont représentés au Canada. Au cours des ans, ils ont utilisé le Canada comme refuge et ils y ont coordonné des opérations terroristes exécutées en Inde ou contre des intérêts indiens. L'attentat à la bombe contre le vol 182 d'Air India en 1985, qui a fait 329 morts, est un exemple saisissant des répercussions du terrorisme sikh sur le secteur de l'aviation, le Canada et les Canadiens. Il s'agit de l'acte terroriste le plus meurtrier de l'histoire du pays et, jusqu'aux attentats du 11 septembre 2001, dans l'histoire des temps modernes.
De nos jours, l'extrémisme religieux est l'une des principales forces motrices du terrorisme. Toutes les grandes religions ont leurs fanatiques, mais l'extrémisme sunnite est à l'origine du «jihad mondial» actuel, lancé par les adeptes fanatiques du sunnisme, un courant de l'Islam.
Les musulmans représentent un cinquième de la population mondiale. Quatre-vingts pour cent d'entre eux vivent à l'extérieur du monde arabe et 85 p. 100 d'entre eux sont sunnites. Même si seule une petite minorité de sunnites préconisent et appuient le recours à la violence, le terrorisme sunnite est un phénomène d'envergure internationale. Contrairement aux autres types de terrorisme, il transcende les frontières.
Les islamistes sunnites s'appuient sur une interprétation militante du Coran pour justifier la violence grave et leur jihad mondial. Ils sont persuadés que les valeurs occidentales infectent les États musulmans et que l'Occident a pour mission de détruire l'Islam. Pour eux, les États-Unis dirigent cette campagne antimusulmane. Par conséquent, un combat — le «jihad mondial» — doit être livré contre les complots occidentaux et la trahison des sociétés musulmanes laïques et des régimes nationalistes.
En février 1998, le Front islamique mondial pour le jihad contre les juifs et les croisés a prononcé un décret religieux, ou fatwa, selon lequel il est du devoir de tout musulman de tuer les Américains et leurs alliés, civils et militaires. En novembre 2002, le dirigeant du mouvement al-Qaïda, Oussama ben Laden, a désigné nommément le Canada comme une cible légitime, en raison de sa participation aux opérations en Afghanistan et de sa prise de position en faveur de mesures musclées dans la lutte contre le terrorisme. Dès lors, le Service est toujours d'avis que des extrémistes islamiques pourraient mener des opérations au Canada ou contre des intérêts canadiens à l'étranger. Le Service reste très vigilant et poursuit ses activités contre al-Qaïda et les groupes qui lui sont associés.
Ce serait de la pure folie de croire que les terroristes du jihad mondial limitent leurs attaques aux régimes autocratiques ou autoritaires du Moyen-Orient ou que tous les terroristes islamiques sont des étrangers recrutés pendant leur séjour à l'étranger.
Les extrémistes islamiques ont fondé le concept d'«État islamique non territorial» pour incorporer les immigrants musulmans à leur lutte mondiale. Les extrémistes islamiques qui ont quitté leur patrie ont cherché à préserver leur culture d'origine dans sa totalité, contrairement aux générations antérieures qui ont tout fait pour s'adapter à la culture de leur nouveau pays.
Les terroristes islamiques utilisent également le concept du «taqiyah» ou dissimulation, pour éviter de se faire repérer. On parle aussi parfois de la «tactique de l'agent dormant». Les auteurs des attentats du 11 septembre ont appliqué ce concept avec succès dans la planification de leur action.
Beaucoup de terroristes islamiques sont bien instruits et savent se servir d'un ordinateur. Ils ne ressemblent pas nécessairement à des moudjahidines endurcis. À l'extérieur d'un cercle fermé de personnes en qui ils ont confiance, ils n'exprimeront pas de points de vue extrémistes.
Cette tromperie leur permet aussi de recueillir des fonds destinés aux jihads partout dans le monde.
Dirigée par le grand argentier du terrorisme, Oussama ben Laden, al-Qaïda est un réseau d'individus et de groupes qui ont un but en commun: fonder un nouveau califat libre de populations non musulmanes. Ces groupes sont en mesure de mener des opérations seuls et de concert. Comme l'a déclaré un spécialiste de la lutte contre le terrorisme: «al-Qaïda est autant une idéologie qu'une organisation».
De quoi al-Qaïda est-elle capable à l'heure actuelle? Des membres d'al-Qaïda, dont des hommes importants comme Abou Zoubeïda et Khaled Cheikh Mohammed, ont été tués ou capturés. Mais beaucoup d'autres membres, notamment des hauts dirigeants, sont toujours en liberté. Des milliers de moudjahidines de partout, dont certains du Canada, ont séjourné dans divers camps d'entraînement d'al-Qaïda au cours des ans. Parmi ce nombre, on compte beaucoup de vétérans endurcis dont la plupart sont capables de recruter et d'entraîner d'autres extrémistes pour former de nouvelles cellules.
Al-Qaïda continue d'utiliser des groupes autonomes qui rappellent les cellules et la tactique de l'agent dormant. Ses opérations sont devenues plus régionalisées. Les dirigeants locaux fixent vraisemblablement leurs objectifs en fonction des conditions et des possibilités à l'échelle locale et s'attardent aux cibles jugées vulnérables, comme les lieux où se concentrent beaucoup de civils. Il est toutefois impossible d'écarter complètement la possibilité d'une autre attaque dirigée par al-Qaïda comme celle qui a visé le World Trade Center.
Al-Qaïda ne s'embarrasse pas des règles de la guerre et ne fait aucune distinction entre les civils et les militaires. Le 11 septembre, ben Laden et ses partisans ont montré d'une manière flagrante qu'ils sont prêts à avoir recours à la violence catastrophique. Les attentats du 11 septembre et la défaite des Talibans en 2002 n'ont pas marqué la fin de ce phénomène. La fréquence des attentats inspirés par al-Qaïda et le nombre de pays ciblés sont à la hausse depuis le 11 septembre 2001. Bien que cela n'ait pas encore été confirmé, il est probable qu'al-Qaïda et les groupes associés ou qui souscrivent à son idéologie sont responsables des attentats contre des trains de voyageurs à Madrid, en Espagne.
Il est bien connu qu'al-Qaïda s'intéresse aux armes chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires (CBRN). Une récente interprétation des communiqués d'Oussama ben Laden diffusés entre septembre et décembre 2003 permet de penser qu'al-Qaïda aurait changé de stratégie et intensifié la fréquence de ses attentats contre les intérêts américains partout dans le monde. Bien qu'aucun attentat contre des aéroports ou des compagnies aériennes au moyen d'armes CBRN n'ait été signalé, al-Qaïda ou des groupes de même tendance pourraient chercher à utiliser des armes CBR pour perpétrer une attaque contre le secteur de l'aviation.
Jusqu'à maintenant, les Canadiens qui ont été victimes d'attentats se trouvaient au mauvais endroit au mauvais moment. Toutefois le Service estime qu'il ne faut plus se demander «si» des citoyens et des intérêts canadiens seront la cible d'attentats, mais plutôt «où et quand» ils le seront. Même s'ils ont toujours recours aux moyens traditionnels, comme les engins explosifs conventionnels, les terroristes ont tenté de mettre au point de nouveaux moyens d'attaque qui sont préoccupants. Parmi ces nouveaux moyens, citons: l'explosion simultanée d'engins puissants; les kamikazes, munis de charges explosives; les missiles sol-air portatifs; les armes chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires; et même les cyberattaques.
Les terroristes d'aujourd'hui peuvent être très ingénieux, comme en témoignent récemment les récents attentats à multiples sacs à dos contre des trains de voyageurs à Madrid.
Les enquêtes que le Service mène depuis le début des années 90 ont révélé, même avant le 11 septembre, qu'il y avait au Canada des partisans de plusieurs groupes liés au réseau al-Qaïda. Ahmed Ressam, ancien résident du Canada d'origine algérienne, est probablement le plus connu d'entre eux, encore qu'il ne représentait pas la menace la plus grave. Il s'est rendu en Afghanistan pour suivre un entraînement terroriste dans un des camps d'al-Qaïda et il est entré au Canada déterminé à contribuer au jihad mondial. En décembre 1999, il a été arrêté au moment où il tentait de franchir la frontière américaine, son projet étant de faire exploser une bombe à l'Aéroport international de Los Angeles. Après son arrestation, Ressam a reconnu avoir discuté avec un autre jihadiste, Samir Ait Mohamed, du ciblage de quartiers juifs à Montréal, avant décembre 1999.
Le Canada a eu sa part de jihadistes entraînés et endurcis. Nous serions naïfs de penser que leur participation au jihad mondial se limite à la collecte de fonds et à l'obtention de faux documents au Canada. Nous serions également naïfs de penser que la perpétration d'attentats en territoire canadien ne fait pas partie de leurs projets.
Dans un avenir prévisible, ce sont les intérêts américains qui risquent le plus d'être la cible d'opérations dirigées d'al- Qaïda. Des cibles occidentales inopinées pourraient être visées à tout moment dans le cadre d'opérations à demi- dirigées ou non dirigées.
À notre avis, le Canada est actuellement une cible d'al-Qaïda. Dans son message de novembre 2002, dans lequel il menaçait le Canada, ben Laden a aussi affirmé: «l'Australie a été mise en garde pour sa participation en Afghanistan [...] mais elle a ignoré cet avertissement jusqu'au jour où elle a été réveillée par les échos des explosions à Bali.»
En réalité, comme l'Australie et d'autres pays qui participent activement à la guerre contre le terrorisme, le Canada est maintenant vulnérable aux attaques d'al-Qaïda, particulièrement à celles qui sont lancées par des agents n'agissant pas directement et officiellement sous les ordres des dirigeants d'al-Qaïda. Les terroristes islamiques privilégient les cibles qui permettent de faire un maximum de dégâts et de victimes. Bien qu'il soit beaucoup plus probable qu'un attentat soit commis contre des intérêts canadiens à l'étranger, notamment contre des ambassades, des consulats ou des établissements commerciaux canadiens, surtout dans les pays où les mesures de sécurité sont moins strictes et où il existe une infrastructure terroriste, un attentat terroriste en sol canadien est possible.
Les terroristes ont exploité les vulnérabilités de l'aviation civile et d'autres secteurs des transports tant comme cibles que comme moyens d'attaque, et ils continueront de le faire. Le Canada présente un intérêt particulier pour les terroristes en raison de sa proximité des États-Unis et de son éloignement des zones de conflit qui engendrent le terrorisme. Que ce soit pour trouver refuge au Canada ou pour mener des activités terroristes ici et peut-être aux États- Unis, le transport aérien demeure le moyen le plus viable pour entrer au pays. Nous devons donc en profiter pour mettre en place des mécanismes qui permettront d'identifier les individus associés à des activités terroristes qui prennent l'avion pour entrer au Canada, puis de prendre les mesures qui s'imposent.
La stabilité du contexte mondial de la sécurité est plus précaire aujourd'hui qu'elle ne l'a jamais été depuis des années. Éviter que des attentats terroristes soient commis ou planifiés au pays demeure notre priorité. Une intervention énergique s'impose dans le domaine de la sécurité nationale pour protéger les intérêts du Canada, au pays et à l'étranger, et pour ne pas compromettre le statut des Canadiens à l'échelle internationale.
La nature transnationale de plusieurs organisations terroristes, dont al-Qaïda est la plus connue, exige des organismes chargés de la sécurité publique un partage efficace des informations pertinentes.
Deux des pirates de l'air responsables des attentats du 11 septembre — Khalid Al Midhar et Nawaf Al Hazmi — étaient déjà inscrits sur des listes de surveillance, mais comme il n'était pas possible de consulter les manifestes des passagers pour repérer leurs noms, ils ont pu prendre l'avion dont ils se sont servis pour percuter le Pentagone.
Pour ce qui est de la façon dont le SCRS prévoit mettre en oeuvre les dispositions du projet de loi C-7, voici ce que nous envisageons actuellement comme système. Le Service dressera une liste de surveillance informatisée distincte. Seules les personnes qui ont été fichées comme étant favorables ou soupçonnées d'être favorables à l'usage de la violence grave ou de menaces de violence, suivant la définition de l'alinéa 2c) de la Loi sur le SCRS, figureront sur cette liste. Chaque nom inscrit sur la liste devra avoir été approuvé par un cadre supérieur du Service. Il s'agit d'un processus semblable à celui qui est appliqué pour dresser la liste que le Service fournit déjà à l'Agence des services frontaliers du Canada pour tenter d'empêcher les terroristes d'entrer au pays.
Le Service recevra les listes de passagers des compagnies aériennes par voie électronique. Il comparera ensuite ces listes, toujours par voie électronique, à sa propre liste de surveillance des personnes qui ont été légitimement fichées comme étant favorables ou soupçonnées d'être favorables à l'usage de la violence grave ou de menaces de violence suivant la définition de l'alinéa 2c). Le système informatique sera programmé de manière à effacer automatiquement après sept jours tous les renseignements sur les passagers, à l'exception de ceux qui concordent avec les renseignements figurant sur la liste de surveillance. Ce n'est que lorsqu'il y a concordance de renseignements que l'identité du voyageur en question sera révélée à un employé du service, que j'aurai désigné expressément pour recevoir cette information. Autrement dit, non seulement il n'y aura pas concordance de renseignements pour la vaste majorité des passagers, mais encore nous ne saurons même pas qu'ils ont voyagé étant donné la façon dont le système informatique sera structuré.
À ce stade-ci, seuls quelques agents spécialement désignés au sein du SCRS auront accès à ces renseignements. Lorsqu'une concordance, ou une concordance potentielle, sera signalée à un agent désigné, ce dernier prendra connaissance des renseignements, les vérifiera et les évaluera, initialement pour les besoins de la sûreté des transports. S'il juge que ces renseignements — la concordance, autrement dit — présentent un intérêt pour la sûreté des transports, il les communiquera à la GRC.
En plus d'évaluer la menace pesant sur un aéronef, l'agent désigné peut en outre, aux termes des dispositions du projet de loi C-7, juger que les renseignements sur l'itinéraire du passager pourraient être utiles à l'enquête du Service sur les menaces terroristes. En pareil cas, un superviseur désigné devra déterminer l'intérêt que les renseignements présentent pour l'enquête du Service sur le terrorisme. S'il décide de communiquer les renseignements sur le passager aux enquêteurs du Service, les renseignements et les motifs à l'appui de la communication seront consignés, comme le prévoit la loi.
Nous procéderons alors comme nous le faisons pour tous les autres renseignements de nature délicate que nous recueillons, que ce soit aux termes de mandats, grâce à la surveillance, par l'intermédiaire de sources humaines ou autrement. Nous conserverons les renseignements, nous les analyserons et nous les communiquerons conformément à nos politiques et procédures habituelles, qui toutes sont soumises à l'examen minutieux des organismes de l'extérieur chargés de surveiller nos activités, bien sûr. Par exemple, les renseignements pourront être communiqués à un service allié avec lequel nous collaborons dans le cadre d'une enquête.
J'aimerais cependant que nous examinions rapidement les mesures de protection qui ont été prévues dans le projet de loi et le processus que nous adoptons à cet égard. D'abord, tous les renseignements sur les passagers seront automatiquement détruits dans les sept jours suivant leur obtention ou réception, sauf s'ils sont raisonnablement nécessaires pour les besoins de la sûreté des transports ou d'une enquête sur le terrorisme. Les renseignements sur les passagers ne seront comparés qu'avec ceux qui figurent sur une liste distincte de personnes dont on sait déjà qu'elles sont favorables à l'usage de la violence grave ou de menaces de violence ou qui sont soupçonnées de l'être. Toutes les communications de renseignements seront consignées, et pourront être vérifiées en tout temps. Dans un premier temps, seuls les agents désignés auront accès aux renseignements et ce n'est que lorsqu'ils auront décidé que ces renseignements satisfont aux dispositions de la loi que ceux-ci pourront être communiqués à l'intérieur ou à l'extérieur du Service.
Et il ne s'agit là que des mesures de protection prévues dans le projet de loi C-7. Outre ces mesures de protection, nous devons aussi respecter notre propre Loi sur le SCRS. Comme vous le savez peut-être, cette loi nous autorise à recueillir uniquement les informations et les renseignements qui sont strictement nécessaires à l'enquête sur les menaces envers la sécurité du Canada, l'expression étant définie dans la loi.
De plus, nous pouvons communiquer des informations et des renseignements à d'autres services avec lesquels nous avons conclu des ententes d'échange de renseignements. Ces ententes sont toutes approuvées par la ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, qui doit à son tour consulter le ministre des Affaires étrangères s'il s'agit d'un service à l'extérieur du Canada. Et, bien sûr, toutes les activités opérationnelles du Service sont examinées de près en permanence par l'inspecteur général, au nom de la ministre, et par le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, qui est un organisme indépendant.
Le sénateur Beaudoin: J'approuve tout à fait la collecte d'information. Je veux que le Canada soit bien protégé, ce n'est pas là que se trouve la difficulté.
Ce qui fait problème, c'est la communication de l'information. Dans votre déclaration, vous dites: «Ces ententes sont toutes approuvées par la ministre [...] qui doit à son tour consulter le ministre des Affaires étrangères...». Vous employez le mot «entente». Cette entente est-elle juridiquement contraignante?
M. Elcock: Nous ne considérons pas nos ententes avec les autres services comme juridiquement contraignantes, dans un sens ou dans l'autre. Il n'existe aucun tribunal qui puisse statuer.
La survie d'un service dépend entièrement de la manière dont il se conforme à l'entente conclue avec un autre. Nous cessons sur-le-champ de traiter avec un service qui ne remplit pas ses engagements.
Le sénateur Beaudoin: Quand cela se fait à l'intérieur du pays, je n'ai rien à redire, car j'ai tellement confiance dans le système canadien.
Vous dites avoir besoin de pouvoirs supplémentaires. Le projet de loi C-7 prévoit des garanties. Je comprends fort bien qu'il vous faille communiquer avec d'autres pays. Cela nous profite à tous les deux puisque nous obtenons de l'information de l'étranger. C'est ce que j'appellerais toutefois des échanges entre amis. C'est une entente qu'ils respecteront, espère-t-on. Nous espérons que cette entente sera contraignante dans une certaine mesure, mais nous savons que nous ne pouvons pas en saisir un tribunal.
M. Elcock: Vous avez raison. Il y a hélas des zones grises. Nous prenons grand soin toutefois de communiquer l'information avec prudence. Nous examinons au préalable l'information que nous comptons communiquer ainsi que les conséquences que cela peut avoir dans le cas de tel ou tel service. Nous évaluons à intervalles réguliers les services avec lesquels nous traitons et leur bilan dans plusieurs secteurs, y compris celui des droits de la personne, pour juger au mieux si la communication de tel ou tel renseignement est indiquée.
Par la suite, tous les cas de communication sont consignés et passés en revue par l'inspecteur général et le CSARS, qui vérifie régulièrement les missions auxquelles nous avons communiqué de l'information pour s'assurer que nous avons bien respecté nos règles et que la communication était justifiée.
Le sénateur Beaudoin: Êtes-vous arrivé à la conclusion qu'il faut procéder ainsi et qu'il n'y a pas d'autres façons de faire?
Le sénateur Elcock: Madame la présidente, il est quasi impossible de créer un système en tous points parfait. La communication est un élément essentiel de cette activité. Si nous ne disons rien aux autres, ils ne nous diront rien non plus et nous ne recevrons pas les avertissements dont nous avons besoin pour protéger la sécurité du pays et de ses citoyens. Cette relation est indispensable. La Loi sur le SCRS encadre cette communication et fait en sorte que celle-ci se fait comme il se doit.
Le sénateur Jaffer: Monsieur Elcock, je tiens à vous dire que j'appuie sans réserve ce que vous faites. Il est évident que nous voulons assurer la sûreté des citoyens. J'apprécie la façon dont vous avez décrit comment l'information est recueillie et l'usage que vous en faites.
Avez-vous eu recours aux dispositions de la Loi contre le terrorisme, l'ancien projet de loi C-36, dans votre travail?
M. Elcock: Le projet de loi C-36 ne conférait aucun pouvoir à notre service. Nous prenons certaines mesures en vertu du projet de loi C-36. Par exemple, nous participons à l'établissement de la liste des organismes terroristes en signalant ceux qui doivent y être inscrits, mais les pouvoirs que l'on trouve dans le projet de loi C-36 visent davantage les services policiers que les services de renseignement. Cette loi n'a aucunement modifié nos pouvoirs.
Le sénateur Jaffer: Si j'ai bien compris votre exposé, le projet de loi C-7 vous permet d'obtenir de l'information sur les personnes qui voyagent par avion. Est-ce exact?
M. Elcock: Oui
Le sénateur Jaffer: Avez-vous un comité consultatif composé de Canadiens chargé d'examiner les questions qui touchent les Canadiens de toutes les communautés du pays?
M. Elcock: Non, madame la présidente, nous n'avons pas de comité, mais nous discutons régulièrement avec un certain nombre de communautés de tout le pays ainsi qu'avec leurs chefs de file. Compte tenu de la nature du SCRS, il est plus difficile pour nous que pour d'autres organismes de mettre en place des mécanismes officiels de ce genre.
Le sénateur Jaffer: Vous dites clairement dans votre document que le problème vient des sunnites.
La présidente: De certains sunnites.
M. Elcock: De quelques-uns.
Le sénateur Jaffer: De très peu d'entre eux. Avez-vous dans votre organisation une formation qui permet de faire la différence entres les sunnites, les chiites ou simplement les gens qui ont la peau brune?
M. Elcock: Oui, madame la présidente. Mais plus encore, il est important dans une organisation comme la nôtre de recruter des gens de toutes les communautés du Canada — et c'est en fait ce que nous faisons. Nous comptons dans notre service des sunnites, des chiites et des représentants de divers groupes ethniques. Nous n'en avons pas autant que nous le voudrions, mais nous recrutons constamment des gens qui possèdent ce genre d'antécédents ainsi que d'autres compétences.
Le sénateur Jaffer: Monsieur Elcock, je tiens à vous signaler que j'ai tenu des tables rondes partout au Canada. L'une des plaintes que j'ai entendues à peu près à chacune de ces occasions porte sur la façon dont les agents du SCRS ont traité avec la communauté.
Je vous ferai part de ces observations ainsi que des noms de certaines personnes que votre service a harcelées. Il n'y a pas eu de plainte au sujet du CSARS dans ce domaine. Mais d'après ce qu'on m'a dit, les agents du SCRS disent aux gens que s'ils ont recours au CSARS, le SCRS communiquera avec eux de nouveau. Je vous en parlerai en privé une fois que j'aurai terminé mes tables rondes.
Le sénateur Graham: Monsieur Elcock, je vous remercie de votre témoignage très détaillé. Vous avez dit quelque chose qui a piqué ma curiosité. À la page 5 de votre document, vous parlez des attaques menées contre les trains de passagers à Madrid. On peut lire ce qui suit dans votre texte: «Bien que cela n'ait pas encore été confirmé, il est probable qu'al-Qaïda et les groupes associés ou qui souscrivent à son idéologie sont responsables des attentats contre des trains de voyageurs à Madrid».
Dans la version anglaise de votre texte, on utilisait le mot «possible». Dans votre témoignage verbal, vous avez utilisé l'adjectif «probable». Ce dernier adjectif a un sens plus fort. L'avez-vous utilisé parce que vous avez reçu de nouveaux renseignements?
M. Elcock: Non, madame la présidente, j'estime qu'à mon avis il s'agit d'une probabilité. D'autres analystes vous diront peut-être qu'aucune décision n'a été prise à ce sujet. Pour ma part, j'estime difficile de ne pas conclure que ces actes ont été commis par al-Qaïda ou par un groupe qui lui est associé.
Le sénateur Graham: Certaines personnes pourraient s'inquiéter de ce que le SCRS peut conserver des renseignements à leur sujet en application du paragraphe 4.82(14) proposé de la Loi sur l'aéronautique. Ces personnes pourront-elles consulter leur dossier en vertu de la Loi sur l'accès à l'information et auront-elles de ce fait la possibilité de se défendre?
M. Elcock: Madame la présidente, ces personnes pourront certes se prévaloir des dispositions de la Loi sur l'accès à l'information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Je ne saurais toutefois vous dire honnêtement que cela leur donnera la possibilité de se défendre, sans égard aux dispositions de ces lois qui s'appliquent à notre service dans bien des cas, puisque nous pourrions ne pas être en mesure de révéler ces renseignements en raison de leur nature.
Nous pourrons leur communiquer les renseignements que nous possédons à leur sujet en tant que passagers, mais peut-être pas les autres renseignements qui figurent à nos dossiers, compte tenu de la façon dont ces renseignements ont été recueillis.
Le sénateur Graham: Ces personnes peuvent-elles communiquer directement avec le SCRS?
M. Elcock: Elles devront présenter une demande sous le régime de la Loi sur l'accès à l'information ou de la Loi sur la protection des renseignements personnels, ou encore, elles pourraient communiquer avec le CSARS, si elles s'inquiétaient de l'utilisation que nous avions faite de ces renseignements.
Le sénateur Graham: Serait-il possible qu'à leur demande vous éliminiez des renseignements de leurs dossiers s'il est prouvé que ces renseignements sont inexacts?
M. Elcock: Madame la présidente, nous ne sommes pas un organisme d'exécution des lois. Nous n'utilisons pas nos renseignements pour prendre des mesures contre les gens. Nous protégeons très soigneusement les renseignements dont nous disposons. Nous ne divulguons pas le fait que nous faisons enquête sur une personne. Bon nombre de gens s'imaginent faire l'objet d'une enquête, d'autres peuvent conclure que c'est leur cas, et d'autres encore faire l'objet d'une enquête à leur insu. Nous faisons tout ce que nous pouvons pour garantir que le fait que nous menons une enquête sur une personne demeure secret. Nous ne divulguons pas d'information au sujet des personnes qui sont nos cibles ou de celles qui, à notre avis, sont susceptibles de poser des problèmes.
Nous ne révélons pas qu'une personne pose un problème, et personne n'a de problème jusqu'à ce que les renseignements soient communiqués à des services policiers ou à d'autres organismes qui prennent des mesures, l'immigration, par exemple, à l'égard de cette personne.
Le fait d'être fiché au SCRS n'a pas d'autre conséquence que celle d'être fiché. Peut-être ferons-nous une enquête, mais nous n'avons pas à expliquer que nous faisons une telle enquête tant que nous n'avons pas à transférer le dossier à des services policiers ou à d'autres organismes, ou encore à fermer le dossier.
Le sénateur Graham: Si mon nom figurait à vos dossiers, il ne me serait pas possible de l'en faire retirer, n'est-ce pas?
M. Elcock: Le fait que votre nom figure à nos dossiers n'entraîne aucune conséquence, à moins que des services policiers prennent des mesures à votre sujet ou qu'on fasse à votre sujet une vérification de sécurité. Dans de tels cas, vous auriez tous les droits qui peuvent s'exercer dans ce genre de cas.
La présidente: Supposez que les renseignements qui figurent à vos dossiers soient faux. Vous semblez dire qu'une fois inscrits dans vos dossiers, ces renseignements ne peuvent jamais en être retirés, quel que soit le cas. C'est bien cela?
M. Elcock: Madame la présidente, un renseignement isolé ne peut pas nous être particulièrement utile. Il peut nous donner un point de départ, mais ce n'est généralement pas suffisant pour lancer une enquête. Il nous faut des renseignements que nous pouvons corroborer, vérifier, et qui viennent de plus d'une source avant de juger que nous avons suffisamment d'information pour entamer une enquête.
Dans la plupart des renseignements que nous avons sur des personnes dans nos dossiers, l'information ne fait qu'y figurer à moins que les noms ne soient inscrits par référence à une autre enquête. Par exemple, si vous correspondiez à un des groupes cibles du Service, votre nom pourrait figurer à nos dossiers pour cette simple raison et il serait un nom parmi tant d'autres. Toutefois, ces noms figureraient à nos dossiers dans le contexte d'une enquête beaucoup plus vaste dans le cadre de laquelle les renseignements seraient corroborés, vérifiés, trouvés à diverses sources pour voir si le dossier devrait être communiqué à la GRC pour de plus amples mesures.
Le sénateur Graham: Comment pouvez-vous corroborer les renseignements si vous ne communiquez pas avec la personne en cause, qui a demandé à connaître ces renseignements par le truchement de l'accès à l'information?
M. Elcock: Dans certains cas, nous pouvons corroborer les renseignements au moyen d'une entrevue avec cette personne. Dans d'autres cas, nous ne souhaitons pas tenir une entrevue avec cette personne parce que nous pensons que le fait de tenir cette entrevue révélerait notre connaissance de ses activités.
Le sénateur Graham: Vous est-il déjà arrivé de déchiqueter un dossier?
M. Elcock: Si nous fermons un dossier et que nous avons conclu que la personne ne constitue pas une menace à la sécurité du Canada, la procédure normale consiste à éliminer le dossier.
Le sénateur Merchant: Les Américains ont réagi instinctivement aux actes terroristes du 11 septembre. Les services policiers ont reçu des pouvoirs accrus et les libertés civiles ont été diminuées. Ces mêmes pouvoirs n'auraient pas été jugés acceptables avant le 11 septembre. Aux États-Unis, il s'avère que certains des renseignements ainsi recueillis ont servi à des enquêtes sur d'autres types d'actes criminels, et non seulement sur les actes terroristes.
Je vais vous donner l'exemple d'une personne qui voyageait de l'Alberta jusqu'au Mexique. Cet homme devait passer par l'aéroport de Los Angeles. Il a rencontré l'agent d'immigration, et il semble que figurait à son dossier une déclaration de culpabilité par procédure sommaire remontant à une vingtaine d'années. Il avait bousculé quelqu'un dans une affaire quelconque de remboursement d'une dette. L'agent d'immigration l'a interrogé à ce sujet et ne lui a pas permis de continuer son voyage. Et pourtant, le fils de cette personne est dentiste aux États-Unis, et il fait souvent des aller-retour aux États-Unis.
Est-ce bien là le genre de renseignements que nous devons communiquer? Nous causons des problèmes à bien des gens. Est-ce bien nécessaire?
M. Elcock: Je ne saurais commenter cet incident en particulier. De toute façon, notre travail n'est pas de communiquer des renseignements sur les actes criminels.
Notre service est foncièrement une organisation de contre-terrorisme. Nous faisons également d'autres choses, mais notre priorité la plus élevée, à l'heure actuelle, ce sont les enquêtes de contre-terrorisme. Nous communiquons à d'autres services partout au monde des renseignements relatifs au contre-terrorisme, ainsi que des renseignements sur les cibles et groupes qui sont considérés comme une menace par le Canada et par un certain nombre d'autres pays.
Tous ces renseignements sont communiqués dans une structure. Cette structure se fonde sur nos accords avec d'autres pays, en vertu de l'article 17 de notre loi, ainsi que sur nos politiques quant aux renseignements à communiquer à d'autres services et aux conséquences de la communication de ces renseignements. Nous fixons des limites à l'utilisation de ces renseignements. Le CSARS et l'inspecteur général examinent les renseignements que nous communiquons.
Il n'y a aucune garantie absolue de ce qu'il n'y aura jamais de problème, mais c'est une façon très efficace de gérer un domaine très difficile, c'est-à-dire la communication des renseignements. Toutefois, c'est une activité nécessaire. Cela fait simplement partie de la protection du Canada et des Canadiens. Dans le cadre de cette protection, il est essentiel que nous échangions des renseignements avec d'autres pays du monde au sujet des organisations qui pourraient prendre ces pays et le Canada pour cibles.
Le sénateur Merchant: Cela pose néanmoins un problème, car nous ne savons pas très bien comment les autres utiliseront les renseignements que nous leur fournissons. Chacun applique ses propres normes. Je sais que les Américains sont très inquiets au sujet de leur sécurité et je le comprends.
M. Elcock: Comme je l'ai dit, nous examinons soigneusement les conséquences de la communication des renseignements et nous fixons des limites à leur utilisation. Autrement dit, dans la plupart des cas, ces renseignements ne peuvent être divulgués à d'autres ou utilisés à des fins de poursuite judiciaire sans notre consentement, selon les limites que nous avons fixées dans chaque cas. En fin de compte, un service pourrait décider de ne tenir aucun compte de ces limites et d'utiliser l'information à d'autres fins, mais cela aurait des conséquences quant aux renseignements que nous pourrions communiquer à l'avenir à ce service.
Le sénateur Day: J'aimerais avoir quelques précisions. Vous avez parlé de votre façon de procéder pour aller chercher l'information du SCRS — des renseignements que vous obtenez je suppose en vertu de la loi —, et dans le cas de la sécurité des transports, vous avez dit que vous communiquez ces renseignements à la GRC.
M. Elcock: Il s'agit des renseignements au sujet des passagers. Autrement dit, si notre système nous signale une occurrence, nous en informons la GRC.
Le sénateur Day: La GRC procède-t-elle de la même façon? Aux termes de l'article 4.82, elle obtient des renseignements semblables sur les passagers des avions et elle compare ces renseignements à sa base de données pour voir s'il y a correspondance. Peut-on supposer que la GRC procède d'une façon semblable?
M. Elcock: Je crois que la méthode sera semblable.
Le sénateur Day: Serait-il possible que la GRC communique ces renseignements, une occurrence, à votre service?
M. Elcock: Non, c'est surtout nous qui communiquons des renseignements à la GRC. La GRC est l'organisme d'exécution des lois qui prendra des mesures relativement à l'occurrence. Nous ne prenons aucune mesure. Nous n'allons pas dans les aéroports pour arrêter quelqu'un. Nous ne disons pas aux gens qu'ils ne peuvent pas monter à bord d'un avion. Cela relève des services policiers ou du ministère des Transports.
Le sénateur Day: Vous recevez des renseignements de la société aérienne ou d'un agent de voyages. Vous faites un recoupement avec les renseignements de la base de données que vous avez créée au sujet de terroristes éventuels ou de personnes qui pourraient causer des problèmes. C'est bien cela?
M. Elcock: Oui.
Le sénateur Day: Tout cela se fait de façon électronique — du moins au départ. Un délai de sept jours, c'est une éternité à notre époque de traitement électronique. Si les renseignements sont recoupés de façon électronique, pourquoi devez-vous les conserver sept jours, qu'il y ait ou non une occurrence?
M. Elcock: Nous estimons que, dans ces cas, nous devons conserver les données pour une période suffisante. Sept jours nous semblent une période raisonnable. Par la suite, les noms sont éliminés automatiquement. Il ne conviendrait pas de les faire examiner par le système et de les éliminer immédiatement. Nous avons jugé qu'il valait mieux les garder quelques jours, juste au cas.
Le sénateur Day: Avez-vous prévu que durant cette période de conservation «juste au cas», il puisse y avoir une vérification manuelle des renseignements électroniques?
M. Elcock: Nous aurions un problème si nous devions procéder de cette façon et éliminer les renseignements électroniques.
Le sénateur Day: Ce délai de sept jours que vous avez ajouté au système est donc une mesure de sécurité?
M. Elcock: Oui. Cela ne modifie en rien l'accès aux données. Cela signifie simplement que le système comporte une marge d'erreur.
Le sénateur Day: Durant cette période de sept jours, que faites-vous des noms des personnes qui voyagent en avion et pour lesquels il n'y a pas d'occurrence?
M. Elcock: Ces noms demeurent dans une base de données et ils sont ensuite éliminés automatiquement après sept jours.
Le sénateur Day: Comment peut-on savoir que ces noms seront éliminés automatiquement après sept jours? Le CSARS a-t-il le pouvoir d'examiner cette question, de voir à ce que vous ayez un programme dans lequel les noms sont effectivement éliminés?
M. Elcock: Oui.
La présidente: J'ai moi aussi plusieurs questions à vous poser, monsieur Elcock. Vous avez dit que seul sur un petit nombre d'agents spécialement désignés du SCRS pourront consulter ces renseignements. Je suppose que ça signifie que des agents devront être en service 24 heures par jour, 7 jours par semaine, puisque les sociétés aériennes ont des vols en tout temps. Combien de personnes croyez-vous devoir désigner? Ai-je raison de croire que quelqu'un devra être en service 24 heures par jour?
M. Elcock: Oui, vous avez raison en gros, bien que le système informatique puisse fonctionner tout seul, jusqu'à ce que l'alerte soit donnée pour signaler une occurrence. Dans ce cas, quelqu'un va vérifier les résultats de l'ordinateur.
Je ne peux pas vous donner d'estimation précise, mais il n'y aurait pas plus de 10 à 15 agents.
La présidente: Vous avez mentionné qu'il s'agirait de personnes plus élevées dans la hiérarchie. Jusqu'où seraient- elles élevées dans cette hiérarchie?
M. Elcock: Les décisions seraient prises à différents niveaux. Un agent de niveau supérieur serait chargé de prendre la décision de transférer les renseignements de Transports Canada vers la base de données du SCRS. L'agent qui ferait la première vérification, pour voir si l'occurrence est pertinente, ne serait pas nécessairement à un échelon aussi élevé que celui qui fait la seconde vérification. Cela dépend du niveau de vérification.
La présidente: Je comprends que vous n'ayez pas encore entrepris ces travaux, du moins pas de façon officielle, mais à combien d'occurrences vous attendez-vous en gros? Combien y en aura-t-il probablement, d'après vos prévisions? Et de ces occurrences, combien de noms aurez-vous probablement à communiquer à la GRC ou aux sociétés aériennes?
M. Elcock: À l'heure actuelle, madame la présidente, tout cela relève entièrement de l'hypothèse. Nous n'en savons rien. Tant que nous n'aurons pas parcouru la liste une première fois, nous ne saurons pas ce que nous pouvons en retirer — combien de personnes inscrites à la liste voyageront. Je ne crois pas que le nombre sera très élevé. Comme je l'ai déjà dit, le nombre de terroristes est assez restreint de toute façon, toutes proportions gardées.
La présidente: Comment les Canadiens peuvent-ils être informés de la façon dont ce dossier évolue? Nous comprenons tous que le travail du domaine de la sécurité est confidentiel par nature. Vous avez expliqué les différents mécanismes de protection institutionnels. Mais sera-t-il possible à un moment donné à votre service, au SCARS ou à quelqu'un d'autre de dire à la population canadienne si ce système a été utile et à combien de reprises sur une période donnée des renseignements ont dû être divulgués?
Il serait très important pour la confiance de la population dans l'intégrité du système de savoir s'il y aura trois cas ou s'il y en aura 300 000.
M. Elcock: Madame la présidente, je soupçonne que cette question sera posée par votre comité ou un autre comité de la Chambre des communes à un directeur du SCRS. Même si la question n'a pas été posée par un comité, je suppose que le CSARS mentionnera ces questions dans son examen des éléments du projet de loi C-7 et de nos responsabilités connexes.
La présidente: Mais vous ne présenteriez pas ces renseignements sans qu'on vous les demande?
M. Elcock: Nous préparons chaque année un rapport public, mais c'est un rapport relativement général. Le CSARS prépare lui aussi un rapport public annuel, et je crois que ces renseignements se trouveraient dans ce rapport. Je comparais devant des comités du Parlement et je crois que mes successeurs comparaîtront également à plusieurs reprises au cours des années à venir. Le directeur du SCRS aura de nombreuses occasions de répondre à ces questions. Je soupçonne qu'il ne sera pas nécessaire d'attendre pour cela 10 ou 15 ans.
Le sénateur Corbin: Je connais bien M. Elcock. J'ai eu le privilège de travailler avec le sénateur Bill Kelly, il y a quelques années, et M. Elcock avait entre autre organisé pour nous une très agréable visite de son établissement.
Toutefois, j'entends M. Elcock répéter bon nombre de choses que j'ai déjà entendues. Oui, des événements se produisent. Je ne sais pas comment poser cette question de façon diplomatique, mais n'êtes-vous pas un peu trop excédés par certains groupes ou certaines possibilités?
Le terrorisme ne nécessite pas de grands raffinements. Par exemple, les portes de la Colline parlementaire ont été fermées sur la rue Wellington et nous devons tous passer par l'entrée de la rue Bank. Et pourtant, des piétons viennent ici, portant des cadeaux qui contiennent Dieu sait quoi. Il y a des vérifications à l'intérieur des édifices du Parlement, mais des événements catastrophiques pourraient se produire avant l'arrivée au point de vérification. Ce n'est qu'un exemple.
Dans ce cas-ci, on semble mettre l'accent sur les listes des passagers, les listes des sociétés aériennes. Qu'en est-il des autres modes de transport? Ils ne vous inquiètent pas? Nous réagissons bien sûr de façon instinctive à la catastrophe des tours jumelles, et nous aurons d'autres réactions de ce genre à d'autres incidents. L'esprit humain peut se concentrer sur ce genre de choses et les possibilités nous donnent tous le frisson. Je sais que vos remarques étaient de nature générale. Il serait intéressant que nous puissions avoir avec vous une réunion secrète, comme nous en avons eue par le passé.
Je suis sûr que l'objectif n'est pas de tenir la population en état d'alerte. La vie continue. Nous semblons nous aligner sur ce que font les Américains, sans tenir compte de ce que les politiques et les initiatives américaines sont en train d'être examinées et qu'elles sont fort critiquées. Je ne veux pas être enchaîné à une politique américaine contre le terrorisme.
Qu'est-ce que votre service a de particulièrement canadien? Que faisons-nous, que faisons-nous de mieux que d'autres ne font pas? Qu'est-ce qui distingue le Service canadien du renseignement de sécurité des autres organismes du même genre?
M. Elcock: Je suppose que dans les faits, il n'y a pas cent façons de diriger un service de renseignements. Recueillir des renseignements, c'est toujours pareil. Cela dit, le SCRS est dans son genre un organisme très compétent et il est respecté à ce titre partout au monde.
La principale différence réside dans le degré d'examen qu'effectue le SCRS comparativement à d'autres services de renseignements au monde. Aucun autre service de renseignements au monde ne fait des examens aussi poussés que le SCRS. Cela fait de nous un organisme différent à cet égard. Il ne fait aucun doute que ce degré d'examen modifie en profondeur la nature du service.
Le sénateur Corbin: Je ne sais pas si vous pourrez répondre à ma question, mais je vais la poser néanmoins. Comment peut-on éviter les problèmes de renseignements comme ceux qui ont précédé les incidents du 11 septembre?
M. Elcock: Le renseignement de sécurité est imparfait par nature. Il n'existe aucune garantie absolue qu'on disposera des renseignements nécessaires, au moment nécessaire, pour prévenir une attaque. Par définition, dans une certaine mesure, les services de renseignements du monde courent à l'échec s'ils n'ont pas les renseignements dont ils ont besoin.
Nous savons que ce n'est pas un domaine parfait, et nous essayons par conséquent de doter notre organisme de renseignements de la capacité, de la souplesse et des compétences nécessaires pour réduire les possibilités de ne pas pouvoir prédire la prochaine attaque. Comme je l'ai dit, il n'y a pas de garantie absolue. Il faut simplement de l'application, des effectifs compétents, de bons systèmes, une bonne structure, et dans notre cas également, un examen a joué un rôle important à ce titre. Cela nous a permis de faire notre travail un peu différemment des autres services, d'être peut-être un peu plus prudents qu'eux, un peu plus disciplinés.
Une organisation de renseignement compétente a besoin de toutes ces choses pour pouvoir fonctionner dans un univers imparfait.
Le sénateur Jaffer: Monsieur Elcock, je crois savoir que les États-Unis éliminent les renseignements après 24 heures. Savez-vous si c'est exact?
M. Elcock: Je n'en suis pas certain. Je vais devoir vérifier.
Le sénateur Jaffer: Outre ce que vous nous avez dit au sujet des renseignements sur les listes de passagers, ce projet de loi vous donne-t-il d'autres outils?
M. Elcock: Non.
Le sénateur Beaudoin: Permettez-moi de vous poser la même question qu'au premier groupe de témoins. Si ces mesures ne sont pas exécutoires du point de vue légal, dans quelle mesure sont-elles utiles? Sont-elles nécessaires, si elles ne sont pas exécutoires légalement?
M. Elcock: Les ententes que nous avons avec d'autres services sont en fin de compte essentielles. Mais ce ne sont pas nos seules opérations. Nous avons bien sûr nos propres opérations au Canada et à l'étranger. En fin de compte, aucun service au monde n'est capable de nos jours de surveiller tous les problèmes du monde. Par conséquent, il est essentiel qu'il y ait une certaine coopération avec d'autres services, après avoir vérifié la nature de ces services, et évalué leurs forces et leurs faiblesses, leurs antécédents, et cetera, afin que nous puissions contrer efficacement les diverses menaces — que ce soit en matière de contre-terrorisme, de contre-espionnage, de contre-prolifération ou dans d'autres domaines.
Nous avons parlé brièvement des fonctions du SCRS en matière de contre-terrorisme. Nous avons d'autres fonctions également. Il y a d'autres domaines où différents services et le SCRS collaborent pour traiter des questions importantes pour la sécurité du Canada. Dans chaque cas, il faut voir à qui les renseignements sont communiqués et évaluer si cette collaboration est justifiée, s'il est justifié de communiquer les renseignements à d'autres. Toutefois, cette collaboration est essentielle.
Le sénateur Andreychuk: Il me semble qu'on peut faire du meilleur travail avec un personnel bien formé qui comprend le monde d'aujourd'hui. Dans quelle mesure avez-vous concentré vos efforts depuis le 11 septembre à revoir la façon dont vous recueillez l'information plutôt que de compter sur les lois pour vous offrir de nouveaux outils?
M. Elcock: Nous n'avons reçu aucun pouvoir supplémentaire. Le projet de loi C-36 ne nous a conféré aucun pouvoir. Nous n'avons réclamé aucun pouvoir général supplémentaire à quelque égard que ce soit.
C'est à tort qu'on croit que le 11 septembre a été un point tournant pour les services de renseignement de sécurité. Cela a peut-être été le cas pour bon nombre d'autres sociétés, mais pour les service de renseignement de sécurité — et le SCRS en est un exemple —, ces événements nous ont simplement obligés à intensifier ce que nous faisions déjà. Tout compte fait, ces événements nous ont permis de constater que nous faisions du bon travail. La réalité, c'est qu'il faut en faire encore plus.
Le sénateur Andreychuk: Nous avons des ententes avec d'autres pays et nous avons signé des protocoles avec d'autres nations dans le cadre de notre travail de diplomatie, pour lequel on recueille certains renseignements de sécurité. Si cette loi ne devait vous conférer aucun pouvoir supplémentaire, continueriez-vous d'avoir des ententes et des protocoles d'entente avec vos homologues?
M. Elcock: Oui, madame la présidente.
La présidente: Merci, monsieur Elcock. Cette réunion a été très instructive et nous vous en sommes très reconnaissants.
Honorables sénateurs, notre prochaine réunion aura lieu le jeudi 25 mars à 10 h 45. Nous y entendrons des témoins d'Air Canada, de l'Association du transport aérien du Canada et peut-être aussi d'autres organismes.
La séance est levée.