Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 2 - Témoignages du 1er décembre 2004
OTTAWA, le mercredi 1er décembre 2004
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui à 18 h 15 pour étudier, afin d'en faire rapport, la participation des peuples et entreprises autochtones aux activités de développement économique au Canada.
Le sénateur Nick G. Sibbeston (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, le témoin de ce soir sera le professeur Cornell. Monsieur Cornell, bienvenue au Canada.
Nous avons invité M. Cornell en raison de son expertise sur les entreprises autochtones aux États-Unis. Il est codirecteur du Harvard Project on American Indian Economic Development. Lui et son collègue, le professeur Kalt, sont cofondateurs du projet qui a été lancé à la fin des années 80. Malheureusement, le professeur Kalt ne peut être avec nous ce soir. Nous l'avions invité, mais il a téléphoné de Boston pour dire que son vol avait été retardé et qu'il ne pourrait pas arriver à temps. C'est regrettable.
Le professeur Cornell est également directeur du Udall Centre for Studies in Public Policy et professeur de sociologie ainsi que d'administration et de politiques publiques à l'Université de l'Arizona.
Je crois, professeur, que vous êtes au courant de la nature et des paramètres de l'étude que nous entreprenons. Nous vous écoutons.
M. Stephen Cornell, professeur, codirecteur, Harvard Project on American Indian Economic Development : Honorables sénateurs, c'est un plaisir d'être ici. Je vous remercie de votre invitation. Veuillez excuser mon collègue, le professeur Kalt, que le mauvais temps a retenu à l'extérieur d'Ottawa. Comme je viens de l'Arizona, je suis heureux de faire l'expérience de l'hiver.
Je suis ravi d'avoir été invité parce que, à mon avis, les questions que vous commencez à examiner sont extrêmement importantes, et j'espère que mon témoignage vous sera utile. Je dois vous avertir que je vais vous parler surtout en fonction de l'expérience américaine. J'ajouterai toutefois quelques remarques sur certaines expériences que nous avons eues au Canada. Notre travail a surtout été centré sur les États-Unis, mais au cours des cinq dernières années, nous avons commencé à prêter plus d'attention aux Premières nations du Canada et aux peuples aborigènes de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande. Nous avons réussi à tirer certaines conclusions comparatives préliminaires.
Le président du comité a mentionné que le professeur Kalt et moi-même étions les codirecteurs du Harvard Project on American Indian Economic Development. Mon collègue et moi avons élaboré ce projet lorsque nous enseignions tous deux à Harvard à la fin des années 80. Le professeur Kalt y est toujours, à la Kennedy School.
Pour vous situer brièvement en contexte, nous nous interrogions sur le fait qu'aux États-Unis comme au Canada, les peuples autochtones sont parmi les citoyens les plus pauvres, comme vous le savez probablement. Toutefois, parmi les progrès les plus frappants qui se sont produits aux États-Unis au cours des trois dernières décennies, on remarque que certaines Premières nations se sont détachées du modèle de pauvreté persistante.
Aujourd'hui aux États-Unis, la pauvreté s'est profondément enracinée chez la plupart des peuples autochtones, mais partout au pays, on remarque çà et là une activité économique durable et productive sur les terres autochtones. Vous avez peut-être entendu qu'une partie de cette activité est attribuable à l'industrie du jeu et à son expansion sur les terres amérindiennes, mais ce n'est pas tout. Certains des projets de développement économique les plus intéressants que les Autochtones ont mis sur pied aux États-Unis ont été réalisés sans l'apport du jeu.
À la fin des années 80, nous avons essayé de comprendre pourquoi certaines nations autochtones aux États-Unis réussissaient mieux que d'autres à se doter d'une économie durable et productive. Nous avions une idée des facteurs qui pouvaient être en cause — c'était peut-être l'éducation, ou encore l'emplacement. Les nations qui se trouvent à proximité des grands marchés urbains s'en tirent beaucoup mieux que celles qui ne le sont pas. C'était peut-être la présence de ressources naturelles, le genre de ressources qui contribuent à la création de grandes entreprises qui génèrent des revenus. C'était peut-être l'accès au capital financier. Nous voulions savoir.
Nous avons entrepris un vaste programme de recherche, qui se poursuit encore aujourd'hui et qui a pris de l'ampleur à mesure que nous cherchions à comprendre quelles étaient les conditions nécessaires au développement économique durable sur les terres autochtones. Pour ce faire, nous avons effectué des travaux considérables sur le terrain, sur les terres amérindiennes des États-Unis. Nous avons aussi examiné toutes les données numériques que nous pouvions obtenir des organismes gouvernementaux américains et d'autres sources.
Je vais vous donner un bref aperçu des premiers résultats de ce projet. Il ressort que les facteurs que j'ai déjà mentionnés — l'éducation, l'emplacement, les ressources naturelles, l'accès aux capitaux, et cetera — sont tous importants; ils sont tous utiles. Toutefois, ils ne peuvent à eux seuls produire un développement durable sur les terres autochtones à moins qu'un ensemble de conditions existe au préalable. Il s'avère que ces conditions sont largement politiques.
Notre recherche a permis de dégager trois conditions extrêmement importantes pour le développement durable sur les terres autochtones. Il y a d'abord la compétence. Toutes les nations prospères que nous avons observées aux États-Unis ont revendiqué une compétence accrue sur leur forme de gouvernements, sur leurs avoirs, leurs ressources naturelles et autres, sur leurs affaires internes et sur les stratégies de développement. Essentiellement, là où les pouvoirs décisionnels d'une nation autochtone se sont accrus, les possibilités de développement ont aussi augmenté. Nous croyons que plusieurs raisons sont rattachées à cela, mais la plus importante, c'est la responsabilisation. Lorsque les pouvoirs décisionnels sont transférés aux Autochtones, ces derniers récoltent les bénéfices des bonnes décisions et paient le prix des mauvaises décisions, ce qui, avec le temps, contribue à améliorer la qualité des décisions prises.
Tant que la principale agence fédérale des États-Unis, le Bureau of Indian Affairs, décidait pour les nations autochtones, de mauvaises décisions pouvaient être prises impunément. Ce sont les nations autochtones, et non l'agence fédérale, qui subissaient les conséquences des mauvaises décisions de l'agence. Par conséquent, aucune mesure disciplinaire n'était prise à l'endroit de l'agence pour l'inciter à prendre de meilleures décisions, mais lorsque les pouvoirs décisionnels ont été confiés aux Autochtones, la responsabilité des décisions allait de pair.
Nous croyons aussi que la compétence est importante parce qu'elle met le développement entre les mains des Autochtones. Aux États-Unis, pendant presque tout le XXe siècle, le développement économique était conceptualisé à Washington et proposé ensuite aux nations autochtones. À mesure que les pouvoirs décisionnels ont été confiés aux Autochtones, ce sont leurs idées qui se sont retrouvées au premier plan des efforts de développement.
La compétence, ou ce qu'on appelle aux États-Unis la souveraineté des tribus, devient, à notre avis, une condition nécessaire au développement durable sur les terres autochtones. Toutefois, ce n'est pas une condition suffisante. Notre recherche nous a permis aussi de constater que la compétence doit être assortie d'une gouvernance efficace; en d'autres termes, le pouvoir décisionnel n'est pas suffisant. Les décisions doivent être prises intelligemment. Il faut créer un environnement qui incite les citoyens et les non citoyens de ces nations à investir du temps, de l'énergie et des idées dans l'avenir de ces nations. Cette constatation est universelle. Avant d'investir, les investisseurs d'aujourd'hui qui lorgnent l'Europe de l'Est ou les pays en développement d'Afrique tiennent compte de la qualité de la gouvernance. Existe-t-il une règle de droit? Serais-je traité équitablement par les tribunaux, et cetera?
Les gens qui ont des idées et de l'énergie font la même chose, y compris les citoyens de ces pays. Nous croyons que c'est vrai pour les sociétés en général, et très certainement pour les sociétés autochtones. La deuxième conclusion de notre recherche, c'est que la compétence doit être assortie d'institutions dirigeantes efficaces.
Troisièmement, nous avons constaté que ces institutions doivent toutefois correspondre à l'idée que se font les Autochtones de l'organisation et de l'exercice de l'autorité, parce que pour donner de bons résultats, les gouvernements autochtones doivent être légitimes aux yeux des gens qu'ils dirigent.
Mon pays, c'est-à-dire les États-Unis, ne cesse de dire à l'étranger « Vous avez besoin de bonnes institutions. Essayez les nôtres. » Je ne sais pas dans quelle mesure ça fonctionne ailleurs dans le monde. Ça ne fonctionne pas bien chez les Autochtones. L'administration américaine est en train d'apprendre que les idées autochtones sur la manière de se gouverner sont celles qui sont les plus susceptibles d'être perçues comme légitimes par les gens qui sont gouvernés.
Cela signifie évidemment qu'il y a parmi les nations autochtones prospères aux États-Unis des modes de gouvernements très différents, que ce soit les tribus confédérées de Salish et de Kootenai de la réserve Flathead, au Montana, dont le gouvernement tribal semble sortir tout droit du manuel de cours d'éducation civique de mon école secondaire, ou encore Cochiti Pueblo, au Nouveau-Mexique, qui n'a aucune constitution, aucune élection, aucun code juridique ou commercial, mais l'une des nations les plus prospères aux États-Unis, qui se gouverne avec des outils qui ont été créés avant l'arrivée des Espagnols.
La diversité est très grande. Là où ces trois conditions sont réunies, la compétence, la gouvernance efficace et les institutions culturellement appropriées, les chances de développement semblent augmenter considérablement. Là où ces trois conditions sont réunies, d'autres éléments favorables, comme l'éducation, les ressources naturelles, l'accès aux capitaux et l'emplacement, commencent à porter fruit. Lorsque ces conditions n'existent pas, on risque de gaspiller ces facteurs favorables. En effet, nous croyons que vous irez plus loin si vous avez la compétence et une gouvernance efficace même s'il vous manque des facteurs favorables au développement, que si vous avez à votre actif de nombreux facteurs de développement, mais pas de compétence ni de gouvernance efficace.
Les exemples que je vais vous donner, très brièvement, sont, d'une part, la tribu Crow du Montana, qui est probablement la plus riche des États-Unis en raison de ses ressources naturelles, mais dont le taux de chômage s'élève à 80 pour 100 et, d'autre part, les Mississippi Choctaw, qui occupent des terres fragmentées de plantations brûlées, dans des conditions d'extrême pauvreté, et qui importent aujourd'hui de la main-d'œuvre parce qu'ils ont créé tellement d'emplois qu'il n'y a pas assez de citoyens Choctaw pour les occuper. Ils ont réussi à le faire parce qu'ils se sont affirmés en prenant le contrôle de leurs propres affaires et en se dotant d'institutions Choctaw efficaces.
Dans les faits, qu'est-ce que cela signifie? Selon nous, cela signifie que les gouvernements comme le mien doivent investir dans la capacité de gouvernance, c'est-à-dire la capacité d'une nation de poursuivre ses propres objectifs efficacement. Cette capacité comporte trois éléments, qui vous paraîtront familiers, du moins les deux premiers.
D'abord, votre capacité de gouvernance augmente à mesure que votre autorité augmente. Si vous n'avez pas de pouvoir décisionnel sur vos affaires, vous n'avez pas la capacité de poursuivre vos propres objectifs efficacement. Vous devez avoir un certain pouvoir pour faire ce que vous avez à faire.
Deuxièmement, il vous faut de bonnes règles et de bonnes institutions. C'est ce que fait une gouvernance efficace. Comment l'autorité est-elle organisée et exercée? Qui peut faire quoi? Qui a quels droits et quels pouvoirs? Comment les différends sont-ils réglés entre nous? Un ensemble de règles rigoureuses et efficaces augmente la capacité de gouvernance. Un ensemble de règles qui encourage la corruption ou qui encourage les gens à considérer le système comme un outil qu'ils peuvent utiliser à leurs propres fins décourage ou affaiblit la capacité de gouvernance.
Troisièmement, vous devez avoir des ressources et des compétences avec lesquelles vous pouvez travailler. Vous devez former des gens. Vous devez leur fournir les ressources nécessaires pour qu'ils fassent ce qu'ils doivent faire.
Malheureusement, dans mon pays du moins, nous avons mis l'accent sur le troisième élément. Lorsque nous parlons d'établir une capacité de gouvernance, nous disons qu'il faut persuader Bill Gates de donner des ordinateurs aux nations amérindiennes et d'envoyer de jeunes autochtones à l'école de comptabilité. Or, ce n'est pas une capacité de gouvernance que nous créons ainsi, mais seulement une capacité administrative. Nous ne parlons pas d'apprendre à gouverner, mais plutôt de former des gens à administrer des programmes, qui sont conçus à Washington et présentés ensuite aux nations amérindiennes.
Ce que nous devons plutôt faire, c'est accroître l'autorité autochtone et investir dans la création d'institutions autochtones. Nous n'y arriverons pas en imposant des institutions aux nations autochtones, mais bien en les aidant à mettre sur pied des institutions toutes aussi efficaces qui reflètent leurs propres idées sur la gouvernance.
J'aimerais soulever une autre question qui est préoccupante au Canada et, je crois, dans certaines parties des États-Unis. Si nous prenons la capacité de gouvernance au sérieux, il faut se poser une autre question : qui désigne-t-on dans l'expression « autonomie gouvernementale »? C'est à la fois une question de légitimité et une question d'efficacité. Permettez-moi de vous donner un exemple. Aujourd'hui, dans le sud de la Californie, on retrouve un certain nombre de nations autochtones qui sont trop petites pour établir seules des structures de gouvernance. Leur taille a été tragiquement réduite par l'expérience de la colonisation américaine. Pour certaines de ces nations, la seule façon de se gouverner efficacement est de partager des institutions, par exemple, en créant un tribunal commun à toutes ces nations pour régler les différends. Aujourd'hui, le peuple Kumeyaay du sud de la Californie tient précisément ce langage. Comment créons-nous un tribunal dans lequel nous croyons tous parce qu'il s'agit de notre tribunal, que nous partageons tous la même culture et la même langue, un tribunal où les juges seront des nôtres et dont la compétence sera reconnue par chacune des nations?
Lorsqu'il s'agit de Premières nations isolées et de petites tailles, il devient extrêmement important de savoir qui on désigne dans l'expression « autonomie gouvernementale » et il faut bien jongler avec les questions de légitimité et les questions d'efficacité. Vous devez établir un noyau qui sera investi du pouvoir de gouvernance, qui sera accepté par les gens qui sont gouvernés, mais qui sera également efficace. C'est difficile de réunir les deux éléments. Les gens de l'extérieur ne peuvent faire cela. Ce sont les Autochtones eux-mêmes qui seront les meilleurs juges de ce qui va fonctionner et ce en quoi les gens vont croire.
Enfin, ce qu'on désigne dans l'expression « autonomie gouvernementale » peut aussi varier selon les fonctions. Certaines fonctions, comme la résolution des conflits, peuvent être exercées à un niveau supérieur ou plus général que d'autres fonctions gouvernementales, qui sont plutôt localisées. Je ne vois pas pourquoi un gouvernement doit exister à un seul niveau, à un seul palier de la vie sociale. On pourrait imaginer une structure avec les fonctions gouvernementales au niveau supérieur et les unités qui exercent ces fonctions du côté gauche en dessous et une organisation érigée par les peuples autochtones qui serait chargée d'accomplir ce qu'ils souhaitent réaliser. Qu'est-ce que nous organisons au niveau de la tribu ou de la Première nation ou au niveau d'une association de tribus?
Comme vous pouvez le voir, je mets l'accent sur la gouvernance et non sur le sujet que vous avez présenté, c'est-à-dire le développement économique ou commercial. En effet, nous avions entrepris un vaste projet de recherche sur le développement économique, mais nous avons fini par parler de gouvernance. Nous sommes convaincus que nous ne pourrons régler les problèmes économiques sans régler le problème politique. Nous avons tourné notre attention sur la compétence et la souveraineté, sur les institutions efficaces et sur la légitimité culturelle.
Comment ces conclusions peuvent-elles s'appliquer au Canada? Nous avons effectué certains travaux ici. Aux fins de la présente audience, le travail le plus marquant que nous avons effectué a été l'étude de quatre Premières nations qui se trouvent dans la région de l'Alberta visée par le traité no 8. Deux de ces nations étaient situées à proximité des grands centres démographiques et les deux autres étaient isolées dans le nord de la province. Le MAINC nous a demandé d'étudier ces quatre nations pour déterminer si leur performance économique était différente et, le cas échéant, pourquoi. Nous avons constaté que l'emplacement n'était pas le meilleur facteur pour présager du succès de ces nations. La nation qui réussissait le mieux était la plus isolée. Nous avons constaté que c'est la gouvernance efficace qui différenciait ces nations. Là où une nation avait décidé de prendre le contrôle de ses affaires, mais s'était mise également à la tâche d'établir des institutions dirigeantes efficaces, nous avons observé un développement économique qui n'existait pas chez les trois autres.
En bref, nous sommes conscients qu'il existe des différences importantes entre les peuples autochtones aux États-Unis et ceux au Canada. Ces différences sont certes importantes, mais à la lumière des travaux que nous avons effectués jusqu'à présent dans différentes régions du Canada, il n'y aucune raison de croire que les conclusions de nos travaux aux États-Unis ne s'appliquent pas ou ne sont pas pertinentes ici.
Le président : Nous allons passer aux questions.
Le sénateur St. Germain : Ma question porte sur une de mes bêtes noires, c'est-à-dire la comparaison entre la U.S. Indian Agency et le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. La vérificatrice générale vient de nous donner un rapport sur l'éducation, qui montre que le MAIDN consacre des ressources à la solution des problèmes, mais ne produit pas les résultats escomptés. La situation dans laquelle nous nous retrouvons aujourd'hui est telle que, même si nous commencions à améliorer le système, il faudra 28 ans pour que les enfants autochtones arrivent à un niveau d'éducation équivalent ou comparable à la norme non-autochtone. Les États-Unis ont-ils déjà envisagé de démanteler son organisation complètement? Comment pouvez-vous contrôler l'énorme bureaucratie tant que vous avez ces structures en place? Au Canada, la bureaucratie et les budgets sont énormes. Je crois que le budget pour l'éducation seulement s'élève 1,1 milliard de dollars et pourtant, la situation lamentable de nos peuples autochtones ne semble pas s'améliorer beaucoup. On note un léger progrès et, comme vous l'avez souligné, la gouvernance a été confiée aux tribus, que ce soit les Nisga'a ou d'autres. Nous avons marqué des points depuis le début des années 80.
Le sénateur Watt : Depuis 1975.
Le sénateur St. Germain : Est-ce que ce n'était pas l'accord avec les Sechelt?
Le sénateur Watt : C'était la Convention de la Baie James.
Le sénateur St. Germain : Croyez-vous qu'il serait réaliste de penser que nous pourrions lancer une initiative qui rationaliserait cette opération pour en arriver à une disposition de temporisation? Quelle a été votre expérience avec la U.S. Indian Agency?
M. Cornell : Cette question a été problématique aux États-Unis, tant au sein des nations autochtones qu'au sein de l'administration américaine. Ce qui s'est produit aux États-Unis au cours des dernières années, c'est un changement de rôle du Bureau of Indian Affairs. Durant presque tout le XXe siècle, je dirais que le Bureau of Indian Affairs a été le principal décideur dans ce qu'on appelle le « pays indien », c'est-à-dire les terres autochtones. Le Bureau of Indian Affairs a été le principal décideur pendant longtemps.
Au début des années 70, son rôle a changé considérablement et le bureau allait devenir une ressource plutôt qu'un décideur. Le changement n'a pas été fait de façon intentionnelle par le gouvernement des États-Unis. Il s'est produit surtout parce que les nations autochtones ont commencé à s'emparer du pouvoir décisionnel du bureau, ce qui s'est fait parfois de façon plutôt abrupte.
J'aimerais faire remarquer que les Premières nations aux États-Unis s'appellent des « tribus ». Dans les années 60, la tribu Apache en Arizona fonctionnait de la façon suivante : le conseil tribal prenait une décision et le surintendant de l'agence fédérale, du Bureau of Indian Affairs, assistait à la réunion. Les membres du conseil votaient et le président comptait les votes, disons six voix contre trois, puis se tournait vers le surintendant et lui demandait si c'était acceptable. Le surintendant disait alors « D'accord. Ça nous convient. » Finalement, dans les années 60, un nouveau président a informé le surintendant du Bureau of Indian Affairs qu'il n'avait plus besoin d'assister aux réunions. Il lui a dit « Nous vous dirons lorsque nous aurons besoin de vous ». Le surintendant a été littéralement exclu. Le conseil a ainsi forcé le Bureau of Indian Affairs à devenir une ressource. Sa position a été la suivante : « Lorsque nous aurons besoin de votre aide, nous la demanderons, mais désormais, c'est nous qui allons décider de l'échiquier. » Là où on a adopté cette position, les relations entre les nations autochtones et l'agence se sont grandement améliorées et de meilleures décisions ont été prises.
D'une certaine façon, la question n'est pas de savoir si pareille agence doit exister. La plupart des dirigeants autochtones aux États-Unis diraient qu'ils dépendent du Bureau of Indian Affairs à certains égards. L'agence a une expertise technique et peut conserver les dossiers beaucoup mieux que ne le ferait une seule nation. Certaines de ses fonctions seraient difficiles à remplacer. La vraie question est la suivante : quel rôle l'agence doit-elle jouer auprès des nations autochtones pour les aider à poursuivre leurs objectifs?
C'est là l'essentiel. En d'autres termes, nous devons penser à ce qui ne va pas, du moins aux États-Unis. Je ne connais pas suffisamment le MAINC pour dire si cela s'applique ici.
Le sénateur St. Germain : L'agence a-t-elle joué un rôle paternaliste?
M. Cornell : Extrêmement. L'histoire est très semblable. C'était un décideur paternaliste pour les peuples autochtones. L'agence avait cette présomption fondamentale du colonisateur : nous savons ce qui est meilleur pour vous.
Le sénateur St. Germain : L'établissement de gouvernements autonomes dans les diverses tribus a-t-il été un processus coûteux pour les bandes autochtones? Au Canada, des sommes faramineuses sont dépensées en honoraires d'avocats durant le processus de négociation, et il faut attendre de 5 à 15 ans pour que les bandes autochtones obtiennent leur autonomie lorsqu'elles traitent avec les provinces. Nos provinces sont l'équivalent de vos États. Quelle a été l'expérience aux États-Unis? A-t-on réussi à atténuer les coûts d'une façon ou d'une autre?
M. Cornell : Le processus a été coûteux, et le gouvernement fédéral a assumé une grande partie de ces coûts. Toutefois, un des aspects les plus frappants que nous observons, c'est que cette gouvernance déterminée et efficace conduit à un accroissement de l'activité économique, laquelle génère d'autres sources de revenus qui permettent à ces nations d'être moins dépendantes du financement fédéral.
Le processus de création de ces gouvernements peut être coûteux. L'augmentation des gouvernements autochtones aux États-Unis a souvent été le résultat de programmes fédéraux; chaque fois qu'un nouveau programme est annoncé à Washington, partout au pays, les nations autochtones disent « Il nous faut un bureau à cette fin ». Elles créent un bureau financé par le gouvernement fédéral. Ce n'est pas une façon très productive de créer la gouvernance.
Les tribus plus avisées et dont les dirigeants sont parmi les plus futés se sont rendu compte que la gouvernance doit être assortie d'une logique différente — c'est-à-dire qu'elle ne doit pas être créée en fonction des secteurs financés par le gouvernement fédéral. La structure de nos gouvernements doit refléter ce que nous tentons de faire pour notre propre peuple sur nos propres terres; nous chercherons ensuite le financement nécessaire pour réaliser les projets que nous souhaitons. Au lieu d'examiner les activités qui sont financées et de se lancer ensuite dans ces activités, décidons plutôt ce que nous voulons faire et cherchons ensuite le financement nécessaire. Il s'agit d'une façon plus efficace de réaliser certains projets, mais il faut un changement de mentalité. Il ne faut pas oublier qu'aux États-Unis, nous avons passé plus d'un siècle à enseigner la dépendance. Nous avons besoin aujourd'hui d'une génération de dirigeants qui ne se tournent pas vers le gouvernement fédéral pour trouver des solutions.
Toutefois, nous avons eu la chance d'avoir certains dirigeants autochtones qui se sont affirmés dans ce sens, y compris le dirigeant d'une tribu qui, l'an dernier, nous a dit « Mon but est de ne pas recevoir un seul dollar du gouvernement fédéral. Voilà ma stratégie de développement économique. » Il a ajouté « Il me doit tout l'argent qu'il peut nous donner, parce que la terre qu'il nous a prise vaut beaucoup plus que ce qu'il ne pourra jamais nous donner, mais je sais par expérience que chaque dollar fédéral nous enchaîne. Par conséquent, ma stratégie de développement consiste à remplacer ces dollars par nos propres revenus. » Il a aussi admis « Nous ne réussirons peut-être jamais, mais c'est ce que nous essayons de faire. Nous essayons de créer les entreprises qui vont générer les revenus qui, au bout du compte, me donneront la liberté. La liberté, parce que cet argent m'appartient et que je peux en faire tout ce que je veux, et personne du gouvernement américain ne peut me dire que je dois obtenir sa permission. »
Voilà le genre de dirigeant qui comprend qu'on a besoin du gouvernement fédéral aujourd'hui, mais qu'il faut une stratégie différente de celle de la dépendance. Nous observons un revirement qui sera financièrement avantageux du point de vue du gouvernement américain. Toutefois, ce revirement prend du temps.
J'aimerais aussi faire remarquer que le développement des terres autochtones comporte des retombées intéressantes pour les peuples non autochtones. Nous n'avons pas encore trouvé de façon d'examiner la chose systématiquement, mais on constate de plus en plus que le développement durable des terres autochtones entraîne une diminution de l'aide sociale, une réduction du fardeau des contribuables fédéraux et une augmentation des retombées pour les communautés non autochtones. Si vous allez aujourd'hui dans la réserve des White Mountain Apache, en Arizona, et que vous dites que vous voulez interdire le jeu chez les Autochtones, toutes les communautés non autochtones à proximité de cette réserve vous répondront « Ne faites pas cela. C'est une ressource essentielle ici. »
La Citizen Potawatomi Nation, en Oklahoma, qui possède aujourd'hui la First National Bank of Shawnee, et les habitants de Shawnee, une communauté interraciale de l'Oklahoma où se trouve le quartier général de la Citizen Potawatomi Nation, se fient aujourd'hui sur Rocky Barrett, le président de cette tribu, pour faire fonctionner la machine économique de cette communauté. Cet endroit était sans vie depuis des décennies, jusqu'à ce que cette tribu se lève et commence à être productive.
C'est le genre de résultats que génèrent les projets de développement économique. Je pense que, à long terme, la souveraineté tribale, alliée à une gouvernance efficace, ne peut être que bénéfique sur le plan économique pour les Autochtones et pour les non-Autochtones.
Le sénateur Hubley : Vous avez dit que les questions de compétence, la gouvernance efficace et les institutions culturelles sont peut-être aussi importantes, et même plus, que l'éducation, l'emplacement, les ressources naturelles, ainsi de suite. Ces facteurs nous viennent automatiquement à l'esprit quand nous envisageons de fournir un soutien aux collectivités autochtones. Vous dites qu'il existe peut-être de meilleures façons de les aider, que notre financement est peut-être mal ciblé. Pouvez-vous nous donner plus de précisions, en vous fondant sur les études sur les peuples autochtones que vous avez menées aux États-Unis?
Vous avez également parlé du jeu. Il y a déjà certaines réserves, au Canada, qui exploitent des maisons de jeu. Êtes-vous à l'aise avec cette idée? Est-ce que seules les retombées économiques comptent, ou est-ce qu'il existe, à votre avis, de meilleures façons pour une collectivité de développer son économie?
M. Cornell : Pour ce qui est de la première question, je préférerais vous parler des programmes qui devraient être financés, et non de ceux qui ne devraient pas l'être. Je ne saurais vous dire si les fonds, à l'heure actuelle, sont bien ciblés, puisque je ne sais pas vraiment comment la répartition du financement est assurée au Canada.
Aux États-Unis, il y a certains programmes qui, même s'ils ne ciblent pas ces domaines particuliers, demeurent indispensables. Les collectivités qui éprouvent des difficultés sur le plan des soins de santé, du logement, ainsi de suite, sont littéralement tributaires de ces programmes. J'hésiterais donc à dire qu'il faut cesser de les financer.
Ce qui m'inquiète, c'est l'absence de financement pour les activités qui pourraient générer des retombées plus importantes. Prenons l'exemple du renforcement des capacités en matière de gouvernance — et cela s'applique peut-être davantage aux États-Unis qu'au Canada. Aux États-Unis, la plupart des nations autochtones disposent de cours tribales. Elles ont accès à des mécanismes de règlement des différends. Ces cours détiennent de vastes pouvoirs en matière civile, mais des pouvoirs limités en matière criminelle. Elles jouent un rôle clé en matière de développement économique, car si un investisseur a un différend avec la nation elle-même, il faut qu'il sache qu'il sera traité de façon équitable par ces tribunaux.
D'après nos données, le fait de séparer le politique du judiciaire — autrement dit, instaurer une zone tampon entre les dirigeants élus et les juges qui proviennent de la même nation — a des conséquences positives sur le taux d'emploi. Nous avons dit à certains conseils de bande que s'ils veulent réduire leur taux de chômage de cinq points de pourcentage, ils doivent interdire aux dirigeants politiques de faire partie des cours tribales. De cette façon, ils vont envoyer un message clair aux investisseurs, soit qu'ils vont être traités de façon équitable. Ils peuvent perdre ou gagner, mais ils vont être traités de manière équitable par la cour tribale. Ils seront beaucoup plus enclins à faire des investissements, ce qui favorisera le développement économique.
Or, qu'est-ce que cela signifie en termes de financement? Pourquoi le gouvernement américain ne met-il pas en place un programme pour aider les nations autochtones à mettre sur pied des cours tribales? C'est à cela que je fais allusion quand je parle du renforcement de la capacité institutionnelle. Nous devons élaborer un programme pour les nations qui veulent se doter d'assemblées législatives formelles, qu'il s'agisse de conseils tribaux ou autres, et non laisser Washington dire, « Nous savons quels sont vos besoins; nous venons d'adopter un projet de loi qui vous permettra de mettre sur pied des assemblées législatives. » Nous avons besoin de fonds pour élaborer six, voire douze, modèles d'assemblées législatives pour les Autochtones. Nous devons enregistrer ces modèles, les décrire sur papier, les rendre accessibles à toutes les nations autochtones qui veulent entreprendre des pourparlers constitutionnels. Le gouvernement des États-Unis devrait financer les projets d'élaboration de constitutions, les projets de réforme constitutionnelle, aider les Autochtones à se doter de constitutions qui cadrent avec leur ligne de pensée, leur culture politique, leurs objectifs. Voilà ce à quoi devraient servir les fonds fédéraux.
Pour ce qui est des maisons de jeu, je pense que les nations autochtones devraient être libres de choisir la stratégie qui les intéresse pour assurer leur développement économique. Si cela englobe le jeu, alors tant mieux. Aux États-Unis, plusieurs nations participent à l'industrie du jeu, une industrie qui a été fort productive, sauf que les retombées ne sont pas largement distribuées. Il semblerait que deux facteurs contribuent au succès de cette entreprise : l'emplacement et la concurrence. Les nations autochtones qui sont situées près de marchés importants et qui ne font pas face à une grande concurrence de la part d'autres maisons de jeu se débrouillent fort bien. Certaines connaissent un succès très limité sur le plan économique ou ne réalisent que très peu de profits parce qu'elles sont mal situées ou qu'elles sont confrontées à une vive concurrence.
La question qu'il faut se poser est la suivante : que faire avec les recettes ainsi générées? Les lois qui régissent les maisons de jeu autochtones aux États-Unis exigent que les nations autochtones investissent les recettes dans la collectivité. Elles ne doivent pas servir à remplir les poches des gestionnaires des maisons de jeu, ainsi de suite.
Or, fait impressionnant, c'est justement ce qu'ont fait de nombreuses nations autochtones aux États-Unis. Par exemple, la collectivité autochtone de Gila River, en Arizona, a investi beaucoup dans la sécurité publique. Elle dispose de ses propres services policiers, incendies et ambulanciers. Elle a réussi à réduire le délai d'intervention au sein de la collectivité, celui-ci étant passé de 45 minutes, en moyenne, à moins de 12 minutes. Ce changement a grandement contribué à améliorer la qualité de vie des habitants de la collectivité. C'est un investissement qu'elle a choisi de faire en priorité et qui a donné des résultats.
La bande Grand Traverse, au Michigan, se sert des profits tirés du jeu pour diversifier son économie. Je lui ai demandé, il y a 10 ans, qu'elle était sa stratégie de développement économique. Elle m'a répondu qu'elle se servait de l'argent ainsi généré pour bâtir une économie qui n'était pas tributaire des maisons de jeu. C'est ce qu'elle est en train de faire.
Certaines nations se servent des profits pour améliorer leur qualité de vie, leur avenir économique. D'autres utilisent des approches différentes qui donnent des résultats moins satisfaisants. Or, lorsque nous confions ce genre de responsabilité aux nations autochtones, nous devons nous attendre à ce qu'elles commettent des erreurs. Elles sont humaines. Nous commettons tous des erreurs.
Le sénateur Hubley : Il est rafraîchissant de vous entendre parler de tout ce que vous avez appris sur le sujet, de la façon dont vous encouragez les nations à se prendre en main. Vous ne le faites pas à leur place. Avez-vous l'impression que les gouvernements adoptent une approche différente pour ce qui est de l'aide accordée aux collectivités autochtones? Est-ce que cela change quelque chose? Est-ce que votre rapport a été examiné par ceux qui se chargent d'élaborer les politiques dans ce domaine?
M. Cornell : Ils ont examiné le rapport. Toutefois, la situation n'est pas la même aux États-Unis. Les peuples autochtones, aux États-Unis, ne représentent qu'un très petit point sur l'écran radar politique. Les Autochtones au Canada ont peut-être l'impression qu'ils ne constituent pas une priorité pour le gouvernement canadien, mais du point de vue des États-Unis, ils occupent une place très importante dans les politiques gouvernementales. Il est difficile d'amener le gouvernement américain à s'intéresser au dossier autochtone. Celui a tendance à être supplanté par de nombreuses autres questions.
Nous avons été invités à témoigner devant le Congrès à plusieurs reprises. Nous avons organisé des séances d'information à l'intention des responsables du Bureau des affaires indiennes pour les mettre au courant de la situation. Est-ce que cela a changé quelque chose? Je pense que certaines politiques ont été abandonnées, en partie à cause de ce que nous avons dit. À l'heure actuelle, la Cour suprême des États-Unis se montre plutôt négative à l'égard des questions touchant la compétence et la souveraineté des Autochtones.
Nous luttons contre l'inaction du gouvernement. Nous essayons de faire comprendre au gouvernement américain que cela fait presque 100 ans, 80 ans en tout cas, qu'il examine toutes les politiques possibles et imaginables qui pourraient contribuer à améliorer la situation des peuples autochtones. Pendant tout ce temps-là, seule une mesure a donné des résultats concrets et durables, soit la politique sur l'autodétermination des peuples autochtones, politique que notre propre Cour suprême est en train de saper. C'est l'avenir des nations autochtones qui est en jeu. Si nous arrivons à contrer la démarche de la Cour suprême, nous aurons accompli quelque chose.
Le sénateur Watt : Ce que nous entendons aujourd'hui est fort encourageant. Je suis un Inuit originaire de l'Arctique. J'ai, dans le passé, vivement encouragé mon peuple à entreprendre des négociations avec la province du Québec et le gouvernement du Canada. Vos propos sont fort révélateurs, surtout quand vous décrivez les facteurs qui doivent être pris en considération, puisque nous avons vécu la même chose. Il est bon d'entendre ce genre de propos, car nous avons justement essayé de tenir compte de ces facteurs quand nous avons entrepris le processus de négociation.
On remarque des différences dans la terminologie qu'utilisent parfois le Canada et les États-Unis. Le gouvernement du Canada n'aime pas parler de « souveraineté ». Nos peuples, qu'ils soient Indiens, Métis ou Inuits, ne peuvent en discuter ouvertement. Le fait est qu'ils ne peuvent utiliser le mot « souveraineté », bien qu'ils aient essayé de le faire à plusieurs reprises. Le mot « souveraineté » n'est pas accepté ou bien perçu au Canada. On le voit comme un obstacle. Je ne comprends pas pourquoi on hésite tant à l'utiliser.
Ce mot ne pose aucun problème au gouvernement américain. C'est ce que j'ai constaté au fil des ans. Vous avez parlé de gouvernance. Il est vrai qu'il faudrait confier cette responsabilité aux Autochtones. Ce sont eux les principaux intéressés.Ce sont eux qui doivent vivre avec les conséquences de leurs gestes. Ce sont eux qui sont les mieux placés pour remplir ce rôle. Si vous n'exercez aucun pouvoir, si vous n'êtes responsable d'aucune sphère de compétence, vous risquez d'être influencé par le monde extérieur. Or, cette influence, comme nous le savons, peut parfois nuire au bien-être de la collectivité.
Au Canada, la question des compétences n'est toujours pas réglée. Cette situation est due au fait que les Autochtones, dans certains cas, ne vivent pas à l'intérieur de petites réserves bien délimitées. De nombreux Autochtones continuent de revendiquer l'accès à une grande partie du territoire, ce qui crée une rivalité d'intérêts.
Je comprends ce que vous dites, et j'appuie d'emblée l'approche que vous préconisez. C'est la seule façon de procéder.
Le problème, c'est qu'il y a aux États-Unis des gouvernements au niveau des États, en plus du gouvernement fédéral. Au Canada, nous avons des gouvernements provinciaux, en plus du gouvernement fédéral, et les deux ont le pouvoir d'adopter des lois. J'aimerais vous parler d'un sujet qui me préoccupe depuis des années. Quand vous entreprenez des négociations sur des revendications globales avec le gouvernement du Canada ou les gouvernements des provinces, vous devez accepter le fait que les lois d'application générale s'étendent à des domaines autres que ceux qui sont de votre ressort. Ce qu'ils vous donnent de la main droite, ils vous l'enlèvent de la main gauche. La question des compétences ne relève pas des Autochtones.
Ce n'est pas nous qui avons créé les institutions gouvernementales d'Inuvik; nous les avons empruntées d'autres sociétés. J'espère que, lorsque nous commencerons à fusionner les deux, nous aboutirons à un mécanisme que l'ensemble de la société sera en mesure de comprendre. C'est quelque chose que nous devons faire, même si ce n'est pas facile.
La route risque d'être longue si le Canada continue d'hésiter à parler de souveraineté, de compétences, d'autonomie gouvernementale.
Votre expérience met en lumière le fait qu'une nation a tout intérêt à se prendre en main, à ne pas demeurer tributaire de l'État. À votre avis, que doit faire le comité pour amener le gouvernement fédéral, les provinces, les Canadiens en général à reconnaître sans plus tarder les principes de souveraineté et de compétence, et ce, afin d'éviter que l'on consacre encore plus de temps et d'argent à ce dossier?
Le sénateur St. Germain a comparé le ministère des Affaires indiennes à une entreprise énorme. Il s'agit, en fait, d'une industrie. Il ne faut pas, pour l'instant, chercher à l'éliminer. Toutefois, il faut donner à un petit groupe de personnes, aux Autochtones, les outils dont ils ont besoin pour acquérir plus de confiance. Tant que l'on continuera à nous imposer des restrictions, parce que le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux édictent des lois qui influent sur notre quotidien, on arrivera difficilement à trouver une solution. Que devons-nous faire?
M. Cornell : La question est fort intéressante. D'abord, vous avez raison de dire que les États-Unis ne prêtent pas le même sens au mot « souveraineté ». Certaines de nos études sont bien connues des nations autochtones, et du Canada aussi. Or, on a parfois eu tendance à croire, à tort, que l'on prônait la souveraineté totale. Cette situation est attribuable au fait qu'on ne comprenait pas vraiment bien le sens qu'avait le mot « souveraineté » au Canada.
Aux États-Unis, la souveraineté tribale n'implique pas une situation gagnante-perdante. Parfois, la souveraineté est partagée entre les gouvernements autochtones et non-autochtones. Il y a, aux États-unis, des champs de compétence gouvernementale dans lesquels les nations autochtones jouissent d'un haut degré de souveraineté. Autrement dit, elles y exercent une grande compétence. Ce sont elles qui décident. En revanche, il y a d'autres secteurs où elles exercent une compétence limitée.
Lorsqu'on utilise le mot « souveraineté » au Canada, on a tendance à penser qu'il signifie souveraineté totale. Si vous êtes souverain, que faites-vous du Canada? De la province? On ne voit pas les choses de la même façon aux États-Unis. Je dois tenir compte de ce facteur. Par conséquent, au lieu de parler de « souveraineté », je parle de compétence. On semble mieux comprendre le sens de ce mot. Le terme souveraineté, lui, signifie, ici, tout ou rien.
Je pense que le travail de sensibilisation auquel vous faites allusion comporte de nombreux défis. Aux États-Unis, on arrive à bien sensibiliser les gens en évitant d'avoir recours à des universitaires comme moi qui ne connaissent rien à la situation. Ce qu'il faut faire, c'est donner des exemples de réussite. C'est l'approche qui s'est révélée la plus efficace aux États-Unis. Il est important de le souligner. Et je ne fais pas uniquement allusion aux exemples de réussite d'une nation qui est prospère sur le plan économique.
Vous avez parlé des relations entre les nations et les provinces. Nous sommes en train de réaliser une étude sur les ententes intergouvernementales conclues entre des nations autochtones et des gouvernements au niveau des États, ou le gouvernement fédéral, pour assurer la gestion de certaines ressources naturelles qui traversent les frontières. Prenons l'exemple de la faune. Il est difficile de gérer les populations de wapitis quand vous avez deux gouvernements qui ne communiquent pas ensemble. Pendant ce temps-là, les wapitis continuent de passer d'un territoire à l'autre.
Au Nouveau-Mexique, la tribu apache Jicarilla collabore avec l'État pour gérer les wapitis qui passent sur ses terres. Quand les wapitis se trouvent sur leurs terres, ils revendiquent et exercent une souveraineté presque absolue sur cette ressource. Quand les wapitis se trouvent au Nouveau-Mexique, l'État du Nouveau-Mexique fait la même chose. Ils ont été à couteaux tirés jusqu'ils trouvent une façon de collaborer ensemble. Bien entendu, la gestion des troupeaux de wapitis s'est grandement améliorée depuis. Cet exemple de réussite montre aux autres États en conflit avec des nations autochtones qu'il est possible de trouver une solution qui, non seulement réduit le nombre de différends, mais améliore également la qualité de la ressource. Les wapitis en bénéficient.
Il existe également des exemples de réussite ou de collaboration dans le domaine de l'éducation. Il a été question, plus tôt, de cas où les nations autochtones collaborent de concert avec les États et les municipalités en vue d'améliorer le système d'éducation, de l'adapter davantage aux besoins des nations autochtones.
Quand nous faisons l'analyse de ces expériences réussies, les gens commencent à changer d'attitude. Aux États-Unis, nous avons tendance à croire que les collectivités autochtones sont pauvres. Or, lorsque nous sommes mis en présence de leurs innovations, de leurs succès, nous constatons que ce n'est pas le cas. Ces exemples de réussite ne font peut-être pas la une des journaux, parce que ces derniers passent bien des choses sous silence, mais ils sont nombreux. Quand vous commencez à les documenter, les gens disent, « Mon Dieu, je ne savais pas que les maisons de jeu, par exemple, donnaient ce genre de résultats. » Par conséquent, l'idée de maisons de jeu autochtones commence à faire son chemin. Je ne savais pas que la tribu apache Jicarilla possédait des données scientifiques de calibre mondial, et que l'État du Nouveau-Mexique s'est tourné vers elle pour lui dire, « Pouvons-nous collaborer avec vous dans le dossier de la gestion des wapitis? Vos données sont plus précises que les nôtres. » Ces exemples de réussite ont tendance à entraîner un changement d'attitude chez les gens.
Nous avons un programme aux États-Unis qui est financé par la Fondation Ford et administré par le projet Harvard; il s'intitule « Honouring Nations ». C'est une forme abrégée du titre complet du programme : « Honouring Contributions in the Governance of American Indian Nations ». C'est un programme concurrentiel. Chaque année, les nations autochtones elles-mêmes désignent des programmes qui témoignent de l'excellence dans la gouvernance autochtone selon elles. Les juges font des visites sur les lieux, et huit des candidats sont honorés. Cela est publié et diffusé dans les médias. La nouvelle paraît à la télévision. On en parle dans le New York Times. La nouvelle se répand partout et les gens se disent : « Wow, je viens d'entendre parler du système tribunal de la nation Navajo », qui se veut un système brillant et novateur qui combine la jurisprudence occidentale avec la loi autochtone du peuple Navajo, expliqué dans un document brillant que les Navajos ont passé des années à produire. Aujourd'hui, leur tribunal traite 9 000 affaires par année, et c'est un système judiciaire exemplaire. Si on n'en relate pas l'histoire, les gens croient que les tribunaux tribaux sont incompétents et dysfonctionnels. Ce n'est pas vrai.
À mon avis, la façon la plus efficace d'éduquer les gens, c'est de parler des succès des peuples autochtones. L'un des investissements à faire dans mon pays, à tout le moins, c'est de faire connaître ces succès et d'aider les autres peuples autochtones à se demander comment ils peuvent faire aussi bien que ce que les Apaches Jicarilla ont fait avec les wapitis et ce que la tribu Swinomish a fait en coopération avec le comté de Skagit pour la gestion des terres. Plus nous le ferons, plus les attitudes changeront.
Le sénateur Watt : Ma prochaine question touche plus l'aspect économique, mais elle touche aussi l'aspect de la gouvernance, dans une certaine mesure. Un peu plus tôt, vous avez mentionné que le capital était important. Sans capital, vous ne pouvez rien faire. Vous pourriez faire des choses, mais vous ne réussiriez pas à générer autant de revenus que si vous aviez du capital.
À ce chapitre, je dirais que je fais partie d'un groupe qui réussit très bien à créer des débouchés économiques et d'autres choses du genre. En fait, nous sommes le troisième plus grand transporteur aérien du Canada, si ce n'est le deuxième. Nous l'avons créé de toutes pièces. Il appartient aux Innu, aux Esquimaux, et nous connaissons beaucoup de succès dans la pêche internationale de crevettes; ce sont des choses que nous connaissons et que nous pouvons gérer. Lorsqu'on a du capital, il y a des choses qu'on peut faire qu'on ne peut pas faire sans capital. Le capital nous permet de faire des choses.
Lorsque la structure gouvernante du conseil tribal prend des décisions d'affaires, je suppose qu'elle prend des décisions collectives au nom de groupes. Ai-je raison jusqu'ici?
M. Cornell : C'est ce qu'elles sont censées faire.
Le sénateur Watt : Lorsqu'elles étudient des débouchés économiques, mais qu'elles doivent en même temps exercer leurs pouvoirs de gouvernance, jouent-elles deux rôles ou un seul? Est-ce que vous comprenez le scénario?
M. Cornell : Absolument. C'est l'une des principales conclusions qui se dégagent des recherches sur la gouvernance efficace. L'une des clés de ce processus consiste à garder la politique en-dehors de la gestion des affaires courantes. Cela ne signifie pas de la garder en-dehors des décisions économiques stratégiques. Par exemple, la nation Navajo, la tribu Hopi et plusieurs autres ont décidé à de nombreuses reprises de ne pas participer à l'industrie du jeu. Dans certains cas, cette décision a été prise par vote populaire. Dans d'autres, elle a été prise par des conseils. C'est exactement ce à quoi nous nous attendrions de dirigeants élus, à mon avis. Avons-nous l'impression que notre nation devrait être dans ce secteur : oui ou non?
Pour ce qui est de l'administration des affaires, il est essentiel que les dirigeants élus ne fassent pas interférence. Invariablement, les politiques ont des préoccupations liées à leurs électeurs, voire à leur réélection et à tout le reste, ce qui les rend susceptibles de prendre de mauvaises décisions d'affaires, tout comme les gens d'affaires sont susceptibles d'avoir des préoccupations qui les portent à prendre de mauvaises décisions politiques.
Le sénateur Watt : Il y a des distinctions entre les deux.
M. Cornell : Il y a des distinctions entre les deux. Nous avons sondé 125 entreprises administrées par des tribus et appartenant à des tribus et nous leur avons posé la question suivante : votre entreprise ou ceux qui l'administrent (les gestionnaires) font-ils rapport directement au conseil tribal ou à un conseil d'administration indépendant pouvant avoir été nommé par le conseil, mais qui a ses propres règles et qui n'a pas à agir sur les ordres du conseil? Lorsque nous constatons un lien quelconque entre le leadership politique et la gestion d'affaires quotidienne de l'un de ces 125 entreprises, il y a presque cinq fois plus de chance que l'entreprise soit rentable que s'il n'y a pas de lien entre les deux.
Nous effectuons beaucoup de travail, pas seulement de la recherche, mais du travail sur le terrain aussi, avec les nations autochtones afin d'essayer d'améliorer la gouvernance et tout le reste. Nous consacrons beaucoup de temps à cette question de la gestion des liens entre le gouvernement et les entreprises. Certaines nations n'ont pas d'entreprises appartenant au gouvernement. Les entreprises gouvernementales sont assez communes en territoire autochtone aux États-Unis. Depuis quelques années, nous observons une intensification des efforts pour développer l'entrepreneurship chez les citoyens autochtones : cela se traduit essentiellement par de petites entreprises personnelles ou familiales. Cette stratégie semble se développer rapidement.
Un autre morceau important du casse-tête, c'est la résolution des conflits, vous l'avez dit. Non seulement faut-il que les politiciens restent en dehors de la gestion quotidienne de l'entreprise, mais si l'on veut favoriser les entreprises, celles-ci doivent savoir qu'en cas de conflit, elles seront traitées équitablement. Ces deux questions sont très importantes.
Il y a quelques tribus qui ont essayé de le faire. Au début des années 90, on m'a demandé de travailler avec une tribu dont le conseil tribal était le conseil d'administration de la société de développement locale. Les membres se rencontraient le matin pour le conseil tribal et l'après-midi, pour le conseil d'administration. Ils ont eu le mérite de se rendre compte que c'était une façon malsaine d'administrer une entreprise rentable et nous ont demandé conseil afin de briser ce cycle et de faire les choses différemment.
Le sénateur Christensen : C'est un bon exercice que d'examiner deux pays différents. Les façons de faire sont considérablement différentes. Au sujet des questions que vous avez soulignées : le fait d'avoir certaines compétences, d'être propriétaire, de rendre des comptes et d'exercer un bon leadership dans des institutions établies; je conviens avec vous que ces éléments sont essentiels pour créer un bon climat dans lequel une entreprise peut croître, être stable et avoir les mesures de secours nécessaires pour réussir.
Il y a du capital de risque lorsque des personnes investissent en leur propre nom, qu'elles investissent leurs propres capitaux et les gèrent. Elles sont alors beaucoup plus motivées à réussir, c'est certain, parce qu'elles courent des risques personnels.
Dans les exemples que vous nous avez donnés, les entreprises étaient-elles des entreprises tribales ou de bande ou étaient-elles des entreprises personnelles? D'où venait le capital de risque investi pour les mettre sur pied?
Mon autre question porte sur les terres. Vous avez des réserves. Ces réserves sont-elles situées sur des territoires fixes? Y a-t-il des négociations pour qu'elles soient agrandies? Dans la négative, comment les bandes ou les tribus gèrent-elles la croissance de leur nation? Dans certaines régions d'ici, les réserves sont très petites, et beaucoup de personnes sont confrontées au problème du manque d'espace pour la croissance de leur nation, ce qui les pousse à partir. En vertu de notre Loi sur les Indiens, lorsque des personnes quittent la réserve, elles ne sont plus admissibles à beaucoup d'avantages associés à la vie dans la réserve et elles deviennent perdues. Elles se retrouvent dans un no man's land.
Dans les systèmes dont vous parlez, où les gouvernements autochtones s'insèrent-ils dans la structure gouvernementale des États-Unis? Où se situent les conseils de bande et les conseils tribaux? Sont-ils autonomes? Sont-ils seulement autonomes sur leurs terres? Lorsqu'ils font affaire avec des gouvernements municipaux, d'État ou fédéraux, quelle est leur structure?
Je viens du Yukon. Nous avons un accord-cadre sur les revendications territoriales avec 14 bandes, qui ont toutes le pouvoir de négocier des ententes d'autonomie gouvernementale. Par l'entremise du Conseil des Premières Nations du Yukon, elles négocient d'égal à égal avec les gouvernements fédéral et territoriaux. Elles constituent un troisième ordre de gouvernement. Sur leurs propres terres, elles ont une autorité complète et partagent les compétences de la gestion des autres terres.
Pouvez-vous nous en dire plus long à ce sujet?
M. Cornell : D'abord, pour ce qui est du capital, dans la plupart des cas, le capital de départ vient de l'extérieur, de façon plutôt opportuniste parfois. Par exemple, il peut venir du règlement de revendications territoriales, d'une aubaine quelconque ou d'une bonne affaire concernant les ressources naturelles. L'un des avantages du jeu pour certaines nations autochtones, c'est qu'il crée un fonds de capital qui peut être investi dans diverses choses.
Si l'on se reporte aux années 60, outre les revendications territoriales, il y avait peu de richesses fongibles en territoire autochtone. Il y avait peut-être des richesses dans le sol, mais on ne pouvait utiliser aucun sou pour faire quoi que ce soit. Le défi a été de retirer de l'argent des ressources présentes dans le sol, de subventions fédérales, des règlements de revendications territoriales ou d'autres types d'aubaines. Cela vaut pour la plupart des initiatives commerciales.
Aujourd'hui, la plupart des entreprises privées qui appartiennent à des citoyens autochtones sont petites. Je pense à la tribu Oglala Sioux de la réserve de Pine Ridge, au Dakota du Sud, qui connaît actuellement une vague d'entreprenariat au sein de sa population. Beaucoup d'entreprises sont des gîtes du passant ou de modestes entreprises du bâtiment d'hommes qui ont pris leurs propres outils et deux employés pour construire des maisons et des édifices. Au fur et à mesure qu'ils ont commencé à faire un peu d'argent, leurs entreprises ont pris de l'ampleur. Le meilleur exemple est celui de cette femme qui remplit des commandes postales, des commandes par catalogue, qui organise des événements, fait du télémarketing et diverses autres choses au centre du Dakota du Sud. Elle a installé 50 postes de travail dans un hangar et emploie des femmes oglala. Son entreprise s'appelle Lakota Express et connaît un succès fulgurant. Elle a des contrats avec Microsoft et le département américain de l'Intérieur. Comment a-t-elle commencé? Elle a passé dix ans à ramasser un dollar ici et là, à essayer d'amasser suffisamment d'argent pour démarrer son entreprise. C'est un exemple classique de démarrage de petite entreprise comme nous en voyons chez les immigrants. Nous en voyons dans les deux pays, j'en suis sûr.
Les grandes entreprises de propriété tribale dépendent habituellement du capital de démarrage. Il vient le plus souvent des revendications territoriales, du jeu ou d'autres choses du genre. Ceci dit, bon nombre de ces entreprises sont très prospères, elles ont payé leurs dettes et rapportent des revenus à la nation. Nous avons fait quelques études de cas d'entreprises et certaines d'entre elles sont exceptionnelles. Dans les années 90, la tribu apache de White Mountain exploitait la scierie la plus productive de l'Ouest des États-Unis. C'était une entreprise de propriété tribale, gérée par la tribu, dont les résultats dépassaient ceux de Weyerhauser et de tous les autres exploitants forestiers privés de l'Ouest. Il y a quelques cas semblables et ils sont très impressionnants.
Pour ce qui est des réserves, elles ont effectivement des frontières fixes. Cependant, les tribus peuvent essayer d'obtenir plus de terres par ce qu'on appelle le statut de fiducie. La nation exerce alors les mêmes pouvoirs sur les terres nouvellement acquises que sur les terres de la réserve originale.
Le sénateur Christensen : Ce sont des terres achetées?
M. Cornell : Oui. Les tribus peuvent essayer d'en acheter. Ce n'est pas chose facile, et le gouvernement fédéral doit l'approuver. C'est l'aboutissement d'une démarche complexe qui n'est pas toujours fructueuse.
Pour revenir à votre question sur la croissance, beaucoup de réserves des États-Unis sont bien plus grandes qu'ici, mais la croissance demeure un problème. Ce l'est particulièrement dans les toutes petites réserves situées dans les régions où il y a moins d'exode des cerveaux parce qu'elles se trouvent proches de grands marchés d'emploi. Si une petite réserve se trouve près d'une zone urbaine, beaucoup de personnes voudront y vivre, parce qu'elles pourront assurer leur subsistance en travaillant dans la ville avoisinante, mais continuer d'habiter dans la réserve et de faire partie de la collectivité. Il y a toutefois des limites extrêmes dans le stock de logements, la quantité de terres et j'en passe. C'est un problème. Je ne suis pas certain que nous ayons des solutions à ce problème dont vous n'auriez entendu parler. Certaines nations autochtones commencent à s'attaquer au problème. Celui-ci est moins présent aux États-Unis qu'ici, parce que le territoire propre aux Autochtones est plus grand chez nous.
Où s'insèrent les gouvernements? Vous avez décrit le problème en décrivant la situation du Yukon. La Constitution des États-Unis reconnaît trois ordres de gouvernement : fédéral, d'État et tribal. Dans nos processus politiques, nous avons tendance à oublier le troisième ordre : l'ordre tribal. C'est le propre d'être un si petit élément du tableau. Le fait est que les relations entre les tribus et les États et celles entre les tribus et le gouvernement fédéral sont considérées comme des relations de gouvernement à gouvernement. Elles sont contraintes par les limites de souveraineté dont j'ai déjà parlé. La plupart des tribus ont des droits et des pouvoirs comparables à ceux des États.
Le sénateur Christensen : Elles peuvent établir des systèmes scolaires et des systèmes de logement.
M. Cornell : Elles peuvent administrer leurs propres systèmes scolaires; elles peuvent émettre des obligations; elles peuvent avoir leurs propres institutions d'application de la loi; elles peuvent administrer leurs propres tribunaux. Certaines tribus administrent leurs propres systèmes scolaires.
Le sénateur Christensen : Sur leurs propres terres?
M. Cornell : Sur leurs propres terres. Elles peuvent faire beaucoup de choses en-dehors de leurs terres sur le plan économique en investissant. Beaucoup de nations autochtones suivent une démarche extérieure-intérieure pour favoriser la croissance économique, en prenant de l'argent obtenu d'une façon ou d'une autre et en l'investissant en-dehors de la réserve pour commencer à générer de l'activité sur la réserve en exploitant une possibilité ailleurs. Nous avons vu des entreprises autochtones très astucieuses le faire. Leur objectif, c'est l'amélioration économique de la réserve, mais elles commencent par investir ailleurs pour produire une source de revenus qu'elles pourront réinvestir dans la réserve.
Le sénateur St. Germain : J'aimerais avoir une précision sur le territoire propre aux Autochtones. Y a-t-il des revendications en suspens, de la part des peuples autochtones des États-Unis, qui peuvent encore être négociées? Y a-t-il eu des abus de confiance de la part du gouvernement des États-Unis qui permettraient aux bandes des Premières nations de revenir revendiquer des terres qui leur ont été soutirées injustement?
M. Cornell : Oui, il y a quelques revendications en ce moment. Il y en a une qui dure depuis longtemps au Dakota du Sud, où le gouvernement des États-Unis a offert aux tribus de Sioux de la région, qui sont plusieurs, une somme qui s'élève à presque 200 millions de dollars, y compris les intérêts. Cette somme se trouve dans un compte de garantie bloqué. Elle vise à compenser la perte d'un territoire qu'on appelle Black Hills. Jusqu'à maintenant, les Sioux ont refusé de prendre l'argent parce qu'ils disent vouloir récupérer Black Hills et non obtenir de l'argent. Cette affaire reste irrésolue. Du point de vue du gouvernement des États-Unis, elle est résolue; du point de vue des Sioux, elle ne l'est pas non plus.
Il y a d'autres affaires moins connues aux États-Unis où des revendications territoriales demeurent irrésolues. L'une a été résolue récemment pour la nation Oneida au Wisconsin. Il y a aussi des revendications dans l'État de New York. Il y a aussi plusieurs groupes autochtones qui veulent être reconnus par le gouvernement fédéral en tant que tribus. En règle générale, cela comprend l'établissement d'une réserve pour eux. C'est un autre mécanisme très complexe.
Le sénateur St. Germain : Est-ce que cela comprend des terres privées, des terres en fief simple possédées par des non-Autochtones, ou s'agit-il seulement de terres de la Couronne, en général?
M. Cornell : Ce sont des terres publiques des États-Unis. Certaines revendications touchent certainement des terres publiques. Je ne suis au courant d'aucune tentative d'une tribu pour déplacer un propriétaire privé. Elles veulent que leurs revendications soient reconnues, puis négocier le recouvrement de certaines terres en compensation d'autres. La réponse à votre question est donc oui, certaines de ces revendications ne se limitent pas aux terres publiques.
Le sénateur Christensen : J'essaie de mieux comprendre votre système. Sur les terres tribales, les particuliers peuvent-ils posséder des terres ou les terres appartiennent-elles toutes à la tribu par concession?
M. Cornell : La situation est extrêmement diversifiée. Il y a des réserves où pratiquement toutes les terres appartiennent à la tribu. Je dirais que ce titre est entre les mains de la tribu; il est généralement entre les mains du gouvernement des États-Unis au nom de la tribu, mais il s'agit essentiellement d'un territoire appartenant à la tribu.
Il y a d'autres réserves, toutefois, dans lesquelles, à cause de certaines politiques du gouvernement fédéral plutôt malheureuses, vers la fin du XIXe siècle, en vertu desquelles des lots de terrains individuels ont été donnés à des membres de tribus. Une telle réserve se compose de terrains communs appartenant à la tribu et d'autres terrains privés appartenant quelquefois à des membres de la tribu. Dans certains cas, les membres de la tribu ont vendu la terre. Il y a donc dans des réserves des propriétaires qui ne sont pas Indiens. Ce n'est pas pareil partout et il faut examiner les différentes régions du pays pour se faire une idée de la situation dans ces régions. L'autorité de la tribu sur des terrains individuels appartenant à des personnes non membres de la tribu est à l'origine d'affaires judiciaires parmi les plus épineuses.
Le sénateur Christensen : Dans les réserves dans lesquelles la tribu est propriétaire de terrains, où doivent s'adresser les personnes pour obtenir une garantie pour fonder une entreprise privée?
M. Cornell : Les terres appartenant à des tribus ne sont pas vendues à des particuliers. La tendance est de donner des terrains appartenant à la tribu à des membres de la nation. Il n'y a pas de transactions financières. Le gouvernement américain a simplement déclaré que les tribus avaient trop de terres et ils les ont donc divisées en petites parcelles qu'il a données à des particuliers. Il n'y avait pas de transaction. Si vous possédez aujourd'hui un terrain dans une réserve, vous pouvez vous servir de cette terre comme garantie car vous avez un droit de propriété de cette terre.
Le sénateur Léger : Vous avez dit qu'aux États-Unis, il y avait trois ordres de gouvernement. Pourquoi ai-je un sentiment de crainte de seulement parler de ce troisième ordre de gouvernement? Est-ce à cause de notre tradition britannique? Qu'en dites-vous? Nous avons des systèmes différents, mais j'ai très peur de faire ce pas.
M. Cornell : C'est une question très intéressante, sénateur. Tout d'abord, le qualifier d'ordre du gouvernement lui donne une sorte de statut auquel nous ne sommes pas habitués; que nous n'avons pas vu aux États-Unis. Si vous demandez à un grand nombre d'Américains si les nations indiennes constituent un troisième ordre de gouvernement au même titre que l'État et que le gouvernement fédéral, ils répondront non, évidemment. Si vous vous reportez à ce que dit la Constitution, ce que disent les traités et aux déclarations de la Cour suprême, vous découvrez en fait que c'est bien le cas. Quand les gens n'ont pas l'habitude de penser en ces termes, on ne sait pas ce qui se passera quand ils commenceront à changer d'avis, on pourrait donc voir des possibilités qui peuvent ne pas être vraies.
Cela me ramène à la question du sénateur Watt concernant la façon d'éduquer les gens. Aux États-Unis, le fait de penser à une nation indienne comme un pouvoir dépend de la perception des gens à l'égard des Autochtones. Dans le sud-ouest des États-Unis, et surtout dans les collectivités situées à proximité des réserves, l'époque des conflits, qui était plus virulente aux États-Unis qu'au Canada, est encore vive dans les esprits. Les guerres indiennes ont été longues et destructives. Dans les petites villes à proximité des réserves, il y a quelquefois des relents de haine, de méfiance et de stéréotype issus de cette période. Dans ce genre de situation, il est difficile pour les gens de considérer que les peuples autochtones sont des égaux et un palier de gouvernement.
Pour ceux qui n'ont pas cet héritage, mais qui sont des professionnels qui n'ont jamais eu affaire avec les Autochtones, le fait de commencer à considérer les nations indiennes comme un gouvernement constitue une étape conceptuelle importante. Les expériences que nous avons recueillies concernant les progrès remarquables accomplis par les nations autochtones constituent un moyen de triompher de cette attitude parce qu'elles renforcent le concept des gouvernements autochtones. Certaines nations autochtones ont apporté des changements dans les soins de la santé, par exemple. La tribu de Grand Traverse au Michigan a repris au gouvernement fédéral le contrôle de son système de santé. Ils ont recruté des médecins et gèrent la clinique. Ils l'ont fait car ils estimaient que l'agence fédérale, le Service de santé des Indiens, ne règlerait pas les problèmes de santé critiques de leurs collectivités. Ils ont décidé d'utiliser les revenus tirés des jeux pour reprendre le contrôle du système et le réorganiser. Les résultats ont été positifs. En apprenant cela, des gens qui peuvent être comme moi, mais qui n'ont aucune expérience ni connaissance des contrées indiennes, commencent à analyser différemment la situation.
Il y a quelques mois, quelqu'un m'a dit : « Ces Indiens sont tous riches aujourd'hui, n'est-ce pas? » Quand j'ai commencé à parler de la réalité du jeu et de ses conséquences, à la fin de la conversation cette personne avait un point de vue totalement différent de ce que les nations indiennes essaient de faire. Elles essaient de se reconstruire et de modeler leur avenir, quelquefois de façons extrêmement intéressantes qui pourraient servir de modèle à un grand nombre d'entre nous. C'est un concept différent.
Le sénateur Léger : Je pense que ce n'est pas le citoyen ordinaire, mais plutôt le gouvernement et les gens qui ont tout ou rien — exactement le contraire de ce qu'il faut. L'enseignement que nous devons dispenser existe. Il est dans le corps administratif lui-même. Peut-être est-ce en raison du fait que vous deviez examiner tous les aspects, mais le véritable enseignement existe.
M. Cornell : Je fais une autre remarque qui peut être pertinente. Si l'on donne aux Autochtones des pouvoirs importants, quelqu'un devra céder quelque chose, que ce soit l'AINC, le Bureau des affaires indiennes ou l'État du Nouveau-Mexique. À un moment donné, quelqu'un devra faire un compromis pour les rejoindre. Il était difficile pour le Bureau des affaires indiennes d'abandonner sa compétence décisionnelle. Ça lui est encore difficile dans la contrée indienne, de même qu'il est difficile pour un conseil tribal d'abandonner le contrôle de ces affaires afin qu'elles puissent prospérer.
Je comprends ce que vous avez dit au sujet du gouvernement qui affronte, peut-être le plus grand défi. Pour le gouvernement fédéral et les gouvernements au niveau des États américains, accepter que les nations indiennes puissent trouver de meilleures solutions que nous pour régler leurs problèmes est un grand pas en avant.
Le sénateur Léger : C'est ce qui se passe, oui.
Le sénateur St. Germain : Dans les réserves, il y a des propriétés communes, mais aussi des propriétés privées.
M. Cornell : Cette situation se retrouve souvent.
Le sénateur St. Germain : Quand vous avez parlé de la propriété privée, était-ce en référence aux cinq tribus de l'Oklahoma?
M. Cornell : Absolument. De l'Oklahoma et aussi d'autres endroits.
Le sénateur St. Germain : Ma prochaine question est inspirée par toutes vos études et votre expertise. Je suis très dur avec le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien car j'ai vu les erreurs qui y ont été commises. Ils ont aussi fait de bonnes choses pour les peuples autochtones. Le côté paternaliste de l'organisation sape les capacités de nos peuples autochtones. Il les limite de tellement de façons. J'ai été dans le gouvernement et dans l'opposition — aujourd'hui, je suis dans l'opposition — et mes points de vue n'ont jamais dévié. Si mon parti était dirigeait de nouveau notre pays, ma position resterait la même.
J'ai adopté une attitude agressive à leur égard parce que personne ne veut écouter. Tout le monde veut continuer à faire ce qu'ils ont toujours fait. Tant que nous continuerons à faire ce que nous avons toujours fait, nous arriverons toujours aux mêmes résultats.
C'est énorme et les gouvernements semblent hésiter à faire ce grand pas. L'agence indienne aux États-Unis est toujours là. Pensez-vous qu'un jour elle deviendra inutile dans la gestion des affaires des peuples autochtones américains? Pouvez-vous nous suggérer la meilleure approche pour atténuer ou minimiser la participation de notre agence et donner à nos peuples autochtones une meilleure chance?
Les rapports de la vérificatrice générale et tous les divers aspects, nous avions une Commission royale qui avait fait une étude exhaustive des questions liées aux Autochtones, on y voit les mêmes choses que vous avez dit ici ce soir. Vous l'avez dit plus clairement avec des exemples et de la substance. Je vous prie de nous donner des suggestions qui nous permettraient d'inciter l'actuel gouvernement à penser qu'il est peut-être temps de vraiment réévaluer notre position à ce sujet. Je ne vois pas beaucoup de progrès dans ce domaine.
M. Cornell : Je dirais de nouveau que la question critique est la suivante : Quel rôle jouent-t-ils? Si l'AINC limite la marge de manœuvre des nations autochtones pour choisir un mode de développement, je penserai alors que c'est un obstacle majeur qui freinera tout effort de développement. Cela veut-il dire qu'il faut se débarrasser de l'AINC? Je n'en sais rien. À vrai dire, je ne sais pas si le Bureau des affaires indiennes américain devrait être supprimé ou non. À mon avis, la question est différente : Quel devrait être le rôle du Bureau des affaires indiennes? Si c'est un rôle de décisionnaire où on verrait une nation autochtone déclarer : « Nous voulons faire cela et il faut que nous en demandions l'autorisation au Bureau des affaires indiennes », c'est un problème. Pourquoi doit-elle demander l'autorisation au Bureau des affaires indiennes?
On pourrait dire que c'est parce qu'elle utilise l'argent du gouvernement fédéral. D'accord, il faut donc rendre des comptes aux bailleurs de fonds, mais cela veut-il dire que je dois soumettre ma stratégie de développement au Bureau? Les fonctionnaires du Bureau ne connaissent pas ma nation, ils ne connaissent pas notre situation. Je dois soumettre ma stratégie à un groupe de fonctionnaires à Washington et leur demander si je peux faire cela, c'est insensé.
D'autre part, cela veut-il dire qu'ils n'ont aucun rôle à jouer? Je ne sais pas. J'estime qu'ils peuvent jouer des rôles. Aujourd'hui, ils font des choses aux États-Unis que je trouve importantes. Je m'élève contre le fait qu'ils deviennent une partie de ce rocher que les nations indiennes doivent pousser jusqu'au sommet de la colline chaque fois qu'elles veulent faire quelque chose. Je pense qu'il faut mettre fin à cette situation. Je pense que cela doit cesser également ici, si cette situation existe. C'est plus une question de rôle qu'une question d'existence.
Je ne suis pas convaincu qu'aux États-Unis, une campagne visant à éliminer le Bureau des affaires indiennes est la solution — cela pourrait avoir des conséquences imprévues inimaginables aujourd'hui — mais une campagne visant à donner au Bureau un rôle approprié dans le processus de développement et à reconnaître que nous ne résoudrons pas les problèmes indiens à Washington, D.C. serait une campagne valable.
Le sénateur Watt : Je continue sur ce que disait le sénateur St. Germain. Plusieurs rapports ont été fait. Le sénateur St. Germain a mentionné le rapport de la Commission royale, mais il y a aussi deux autres séries de rapports. Un a été fait avant cela par le gouvernement, il s'agit du rapport Penner dont le contenu se rapproche beaucoup à vos propos. Le troisième rapport, le dernier, a été fait quand j'étais président du comité. Un comité dont faisaient partie le sénateur St. Germain et plusieurs autres membres. Il y a trois séries de rapports qui ramassent de la poussière aujourd'hui dans la bibliothèque et qui ne servent pas à grand-chose.
En écoutant ce que vous disiez à propos de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas et du gouvernement qui essaie d'imposer sa volonté sur d'autres groupes de gens, probablement il ne devrait pas le faire car il ne connaît pas la région, les gens, ni la culture, le langage ou les questions qui se posent. C'était un gros problème.
L'autre problème tient au fait qu'une seule loi régit tous les concepts. C'est ce que nous devons affronter en tant que sénateurs. Nous devons parfois adopter une position ferme car nous savons très bien que certains projets de loi auront un effet négatif sur les peuples autochtones aux plans économique, social, culturel et autres. Nous n'arrivons pas à nous faire entendre — ils ne nous écoutent pas.
Je me demande si le moment est arrivé que nos voisins, les Américains, ont appris à vivre avec leurs concitoyens, les peuples autochtones, en considérant leurs institutions et le respect qu'ils se portent mutuellement. Peut-être, parce que les États-Unis sont si grands, cela passe inaperçu, mais ici, au Canada, je pense que les Autochtones sont perçus de façon très négative. Il n'y pas d'aspect positif du tout.
C'est un obstacle que nous, Autochtones, essayons de franchir. Même nos résultats positifs dans certains domaines, comme je l'ai souligné — secteur pétrolier, pêche à la crevette et conditionnement, lignes aériennes et d'autres activités — ne semblent pas être appréciés, le fait que nous réussissons.
Les deux pays essaient de trouver la solution, de collaborer et de partager leurs connaissances sur cette question. Peut-être avons-nous besoin de quelqu'un comme vous qui a une expérience légèrement différente et qui sait comment le système fonctionne aux États-Unis et de quelle façon les deux groupes négocient dans des cas similaires.
Vous avez parlé du ministère des Affaires indiennes. Je me demande aussi si nous devons nous concentrer là-dessus. Je crois que nous devrions nous concentrer sur le développement plutôt que d'essayer de trouver une solution au moyen des instruments dont dispose le gouvernement. C'est quelque chose que nous pourrions voir plus tard.
Le sénateur St. Germain : Sénateur Watt, je me demande si au lieu de chercher un résultat intermédiaire, nous ne devrions peut-être pas tout démolir puis en réutiliser quelques éléments.
Le sénateur Watt : Je trouve que c'est réagir trop vite.
De toute façon, que diriez-vous si le comité tenait compte de ce qu'il a appris et décide de faire des recommandations au gouvernement du Canada et déclare qu'il a besoin d'aide dans ce domaine?
Le sénateur Christensen : Non, non.
Le sénateur Watt : Attendez, vous ne savez pas ce que je vais dire. L'aide sous un aspect positif, quelque chose qui donne des résultats positifs. Je sais que notre voisin du Sud n'aime pas s'inspirer des autres pays ou en être influencé, mais cela dure depuis très longtemps, mes amis. Nous devons agir. Autrement, la situation au Canada n'est pas économiquement bonne pour vous ni pour moi. Non seulement, vous touchez à la vie sociale des gens, mais nous sommes aussi touchés tous les jours — notre économie, notre droit à la survie. Je crois que le moment est venu de demander de l'aide à nos voisins.
M. Cornell : Tout ce que je peux dire, c'est que j'apprécie votre point de vue, mais il y a des choses extrêmement positives qui se passent ici au Canada dans ce domaine. Une des choses que je vous encourage à faire, car je sais que le comité se déplacera dans plusieurs régions du pays pour étudier la situation, serait d'examiner non seulement les problèmes, mais aussi les solutions proposées par les peuples autochtones. Quand je visite le Membertou, à Mikisew Cree, Meadow Lake, ou Ktunaxa Kinbasket, ou Osoyoos, Lac La Ronge ou ailleurs au Canada et je viens assez souvent, j'entends beaucoup parler de ce qui ne fonctionne pas dans les affaires autochtones. Puis, je me rends auprès des Premières nations et je suis surpris par les réalisations de certaines d'entre elles. Je retourne aux États-Unis et, croyez-le ou non, je parle des réussites accomplies au Canada. Quand je retourne aux États-Unis, je parle — pas à un comité du Congrès — mais aux Premières nations de ce que j'ai vu au Canada. Donc, certaines solutions peuvent en fait être appliquées par les Premières nations ici même, mais beaucoup de solutions sont bien à l'écart du radar.
Le sénateur Watt : S'il y a une hésitation à déléguer des pouvoirs aux gens, nous continuerons à avoir ce problème.
M. Cornell : C'est un fait et c'est un problème.
Le sénateur Watt : Nous devons apprendre à franchir cet obstacle et je n'ai pas de solution. C'est la raison pour laquelle je demande votre aide.
Le sénateur St. Germain : Je crois qu'il y a de vrais cas de réussites ici et cela a commencé dans les années 80. Je suis certain que nous avons des gens qui ont votre capacité, mais vous avez présenté ce soir, professeur Cornell, une analyse très compréhensible de la situation, je n'avais jamais entendu cela auparavant. Votre explication était sans détours; ce sont des cas vraiment importants de réussites; voilà le message que vous avez transmis.
Il y a eu des réussites dans ce pays, mais mon peuple, les Métis de ce pays ont été reconnus comme étant des Autochtones en 1982 par la Constitution, pourtant rien n'a été fait. La seule fois où l'on s'est intéressé aux Métis de ce pays, c'était l'année dernière à l'occasion de l'affaire Powley qui a été renvoyée devant la Cour suprême. C'était une affaire de chasse intentée contre un Métis au nord de l'Ontario. Jusqu'alors, les Métis étaient en quelque sorte reconnus et il y avait un service pour la forme, on donnait de l'argent à des associations de Métis à travers le pays, mais rien d'autre. Il n'y a jamais eu de règlement en matière de revendications territoriales ni quoi que ce soit de cet ordre.
Il faut, quelquefois, utiliser le facteur choc sinon, la plupart des gens ne savent même pas que cette partie de la population connaît des difficultés ou des succès. Je ne crois pas que ce soit différent ici. Le pourcentage des Autochtones par rapport à la population globale est supérieur au Canada, mais en même temps, ce sont les réussites qui seront une partie intégrante.
Je suggérerais qu'au fur et à mesure de notre étude, il se pourrait que nous demandions de revenir. Je pense à voix haute, mais je pense que votre capacité à relater les faits est importante car il est difficile d'expliquer d'une manière qui soit acceptable aux collectivités extérieures le problème essentiel de la souveraineté ou de la compétence. On se demande, dans la communauté blanche, la raison pour laquelle ces gens devraient avoir un troisième ordre de gouvernement. Voilà les choses au sujet desquelles vous pouvez peut-être nous aider à l'avenir. Je me permets de penser à voix haute, monsieur le président, mais il incombera à l'ensemble du comité de prendre une décision à cet égard.
Le sénateur Christensen : Je ferai observations plus qu'autre chose. Nous étions certainement confrontés à une situation complexe et difficile. C'est l'histoire de la poule et de l'oeuf. L'idéal serait de se débarrasser de la Loi sur les Indiens, car elle est paternaliste, dégradante et elle freine le développement. Mais, en même temps, la majorité de nos Premières nations estiment que cette loi lie le gouvernement fédéral à ses responsabilités fiduciaires à leur égard et que si cette loi disparaît alors cette responsabilité disparaîtra aussi et il n'y aura aucun moyen de la ramener. Elles ne l'aiment pas, mais elles ne veulent pas l'abandonner parce qu'elle oblige le gouvernement fédéral à continuer à assumer ses responsabilités.
Je ne sais pas très bien de quelle façon nous pourrons apporter les changements nécessaires pour conserver cette responsabilité fiduciaire dans des domaines où elle sera positive plutôt que négative. Comme l'a indiqué le sénateur St. Germain il y a des réussites, mais les échecs sont plus nombreux. C'est l'effet de générations successives du ministère travaillant et disant aux gens ce qu'il faut faire, ils leur font perdre la capacité de prendre des initiatives pour améliorer leur sort. Il y a beaucoup de jeunes intelligents qui peuvent aujourd'hui faire ces choses, améliorer leur sort et diriger leurs nations, mais c'est difficile. Comme je l'ai dit, c'est l'histoire de la poule et de l'oeuf : comment se débarrasser d'un aspect tout en conservant ce qui est nécessaire?
M. Cornell : Ce que vous avez dit à propos de la crainte de ce qui se passerait si on abandonnait la Loi sur les Indiens me renvoie à la question du Bureau des affaires indiennes. Les populations des contrées indiennes des États-unis ont peut de ce qui se passera si le Bureau des affaires indiennes est vraiment supprimé, car supprimerons-nous en même temps le sens des responsabilités du gouvernement fédéral?
D'autre part, je pense que la situation est beaucoup plus complexe ici. Vous parlez d'un projet de loi, je suis tout à fait d'accord. Après avoir jeté un coup d'œil rapide sur la Loi sur les Indiens, je me demande comment pouvons-nous nous attendre à ce que des nations se gouvernent avec un ensemble de moyens lamentables qu'elles n'ont pas mis au point, qui ne signifient rien pour elles, que quelqu'un d'autre leur a apportés. Il ne s'agit même pas vraiment d'autonomie gouvernementale, il s'agit d'autonomie administrative ou quelque chose de ce genre. C'est un ensemble de pouvoirs modestes exercés avec des outils, qui si j'étais une Première nation me sembleraient étrangers, ils ne fonctionnent pas, et cetera. Il faut les remplacer, mais le point de vue du sénateur est tout à fait juste : comment y arriver sans saper ce qui est une relation fondamentale importante? Le remaniement des moyens utilisés pour la gestion des affaires publiques exige que l'on aille au-delà de cet ensemble de moyens. Ils ne fonctionnent pas. C'est l'opinion d'un observateur.
Le sénateur Watt : Professeur Cornell, nous avons réussi à négocier nos droits constitutionnels seulement en 1982, au moment du rapatriement de la Constitution de la Grande-Bretagne au Canada. Peut-être étions-nous au bon endroit au bon moment et nous avons été inclus dans la Constitution. Par conséquent, nous avons des droits. Chaque fois que des Autochtones ont fait appel devant les tribunaux, ils ont toujours eu gain de cause. Je ne pense pas pouvoir même me rappeler un cas où nous avons perdu, nous avons presque toujours gagné.
Toutefois, ce qui se passe normalement, c'est que même si la décision est en faveur des peuples autochtones, le fait que le gouvernement hésite à reconnaître que les droits ont été de nouveau restaurés par des tribunaux nous oblige à reprendre ce cycle vicieux interminable. Que dites-vous de cela? Nous sommes presque arrivés à la mise en application. Le fait est que le gouvernement du Canada, qu'il soit conservateur ou libéral, hésite à mettre en application l'article 35 des droits constitutionnels car il faut une définition. C'est la raison pour laquelle je vous ai invité à nous aider, pour mettre en application l'article afin que nous puissions commencer à fonctionner comme nos voisins au nom de leur souveraineté, dans leur territoire avec la capacité d'adopter des lois et des choses de ce genre. Les lois que nous voyons arriver empiètent sur nos vies. Elles nous font mal au niveau du portefeuille.
M. Cornell : Je peux simplement vraiment vous répondre de la même façon que je répondrais à cette question aux États-Unis. Je crois que nous avons un problème similaire. Le message que nous essayons d'envoyer au gouvernement américain, c'est qu'il agirait en fait dans son intérêt, pratiquement et matériellement, s'il suivait la voie que vous venez de décrire. Si nous voulons soutenir la pauvreté dans les contrées indiennes, garder ces problèmes pour quelques autres générations et les coûts pour maintenir des collectivités face à ces problèmes, nous devrions donc conserver l'autorité, imposer notre idée sur la façon qu'ils devraient se gouverner, maintenir une approche paternaliste à leur égard et dans trois générations, un comité siégera ici et dira : « Que faire pour régler ce problème? » Nous serons beaucoup plus pauvres et cela aura coûté une fortune.
Notre témoignage montre que si nous voulons régler sérieusement ce problème, nous devons commencer à penser à l'autorité. Il nous faudra abandonner l'idée d'une gouvernance pour tout le monde et reconnaître que la population autochtone est diversifiée, qu'elle trouvera des solutions différentes aux problèmes de gouvernance. Cela ne pose pas un problème; c'est une réponse. Nous devons commencer à reconnaître qu'ils commettront des erreurs et nous devrons les accepter car, à long terme, nous économiserons de l'argent et nous éviterons les sentiments de détresse et d'amertume.
Nous croyons qu'aux États-Unis, nous avons au moins des données qui appuient cet argument. C'est, pour les responsables politiques, le meilleur des arguments.
Le président : Nous faisons cette étude car nous estimons que c'est un sujet très important pour les Autochtones de notre pays. Nous reconnaissons que bien qu'il y ait beaucoup de problèmes, il y a beaucoup de situations dans lesquelles les Autochtones commencent à participer très activement dans les affaires et le développement économique, surtout dans le secteur du développement des ressources.
Dans les Territoires du Nord-Ouest, où je réside, il y a deux importants développements des ressources. D'abord, celui des diamants où les Autochtones sont très actifs. Le deuxième projet propose la construction d'un gazoduc dans la vallée du Mackenzie, depuis delta à travers tout notre pays jusqu'aux États-Unis, la participation des Autochtones commence à être très active.
Nous assistons au commencement. C'est un phénomène que l'on peut voir dans tout le pays. Je viens juste de visiter l'Okanagan où j'ai rencontré des membres de la Première nation de Westbank. Dans tout notre pays, on peut voir que les Autochtones commencent à s'engager et à participer au développement économique. Je considère le développement économique, la question des entreprises, est un effort important. Il faut posséder un niveau élevé d'organisation et de discipline pour évoluer dans ces domaines. C'est quelque chose qui nous intéresse beaucoup.
Alors que nous commençons notre étude et que nous formulons des plans dans ce domaine, quels conseils pouvez-vous nous donner pour définir le cadre de l'étude? Quelles sont les choses importantes que nous devrions, à votre avis, étudier afin de continuer notre étude, découvrir le plus grand nombre de faits, arriver à de bonnes conclusions et peut-être fournir quelques réponses au gouvernement et aux peuples autochtones?
M. Cornell : Il faudrait que je réfléchisse pendant deux jours avant de pouvoir répondre à ce genre de question. Deux ou trois idées me sont venues à l'esprit, l'une est tout à fait conforme aux remarques que j'ai faites ce soir, c'est de vous assurer de ne pas limitez pas votre étude aux entreprises et au développement économique. Cela ne veut pas dire que vous devriez seulement étudier la gouvernance, mais étudiez aussi les systèmes de gouvernance qui, d'après notre expérience, sont des facteurs déterminants du succès et du développement économique. Il ne suffit pas simplement de rencontrer et de parler avec les gens des milieux d'affaires. Il faut essayer de comprendre la façon dont ces entreprises fonctionnent.
Je vous recommanderais aussi d'examiner les expériences positives et les expériences négatives. Aux États-Unis, les responsables des initiatives stratégiques vont généralement sur le terrain pour confronter les problèmes. Le président Clinton est allé à Pine Ridge, l'un des endroits les plus pauvres aux États-Unis, pour essayer de comprendre la situation qui prévaut dans une contrée indienne. Il faut aller à Pine Ridge, mais il faut aussi visiter d'autres collectivités, comme Flathead, pour comprendre la situation. Assurez-vous d'examiner les pires situations, mais aussi les meilleures afin de déterminer systématiquement ce qui est différent dans ces endroits.
Vous n'avez pas le temps qu'il faut pour faire cela, mais pendant plusieurs années nous avons écouté avant de commencer à parler.
Le sénateur Watt : Combien d'années?
M. Cornell : Plusieurs. Les décideurs politiques n'ont pas le temps dont disposent les universitaires pour étudier ces problèmes de manière approfondie, mais je pense qu'il est important d'écouter pour essayer de comprendre le monde à partir de leur point de vue. Quelquefois, cela peut même se limiter à ce qui constitue une réussite ou non. Ce que je qualifierais de réussite peut ne pas en être une pour d'autres personnes. Ce qui peut ne pas être intéressant pour moi peut être une réalisation extraordinaire à leurs yeux. Dans deux jours, j'aurai beaucoup plus de choses à vous dire, monsieur.
Le président : Finalement, quand nous examinons le sujet et la documentation qui pourrait s'appliquer et qui serait pertinente, nous nous apercevons qu'il n'y a pas eu beaucoup de travail fait au Canada. Nous avons vu votre étude, le travail que vous avez fait aux États-Unis. Peut-être connaissez-vous quelques professeurs ou collègues qui ont fait un travail similaire au Canada et que nous pourrons peut-être contacter?
M. Cornell : Je ne crois pas qu'il y en ait beaucoup. Je pense à un professeur nommé Cynthia Chataway qui a travaillé sur certains aspects de la gouvernance. Quelqu'un ici présent peut connaître l'affiliation avec une université. Elle ne me vient pas à l'esprit.
Je crois que le Centre de gouvernance des Premières nations qui vient d'être fondé sous la direction de Herb George de Colombie-Britannique est une initiative très intéressante car son objectif est exactement ce qu'il faut : les questions liées à la gouvernance. Le personnel de ce centre apprécie la bonne recherche. Ce n'est pas un organisme de recherche, mais ils encouragent la bonne recherche. Nous avons fait du travail pour ce centre.
Il me semble que quelques universités que je connais, comme Simon Fraser et certaines autres s'intéressent à ce domaine d'études, mais je n'ai pas encore vu grand-chose au plan d'une réelle productivité que je qualifierais de pertinente. Je crains de ne pouvoir vous recommander qui que ce soit. Cela peut être une indication des limites de ma propre expérience dans ce domaine.
Le président : Professeur Cornell, au nom du comité, je tiens à vous remercier pour votre témoignage et d'être venu nous le présenter au Canada. Tout ce que vous avez dit est enrichissant et nous aidera beaucoup dans notre étude.
M. Cornell : Je vous remercie beaucoup de m'avoir invité.
La séance est levée.