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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones


Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 8 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 17 mai 2005

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, qui a été saisi du projet de loi S-16, Loi prévoyant la reconnaissance par la Couronne de l'autonomie gouvernementale des Premières nations du Canada, se réunit aujourd'hui à 9 h 34.

Le sénateur Nick G. Sibbeston (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je déclare la séance ouverte. Nous allons poursuivre notre examen du projet de loi S-16, Loi prévoyant la reconnaissance par la Couronne de l'autonomie gouvernementale des Premières nations du Canada. Aujourd'hui, deux témoins comparaissent devant nous : MM. Patrick Macklem et Donald Laverdure. Je vais laisser au vice- président, le sénateur St. Germain, le soin de vous les présenter.

Le sénateur St. Germain : Bienvenue à vous deux, messieurs. Merci d'être venus. M. Macklem sera le premier à intervenir. Il fera une brève déclaration au terme de laquelle nous lui poserons des questions.

M. Patrick Macklem est professeur de droit et membre de la Société royale du Canada. Il est entré à la faculté en 1988. Il détient des diplômes en droit de Harvard et de l'Université de Toronto ainsi qu'un diplôme de premier cycle en sciences politiques et en philosophie de l'Université McGill. Il a travaillé comme légiste auprès du juge en chef Brian Dickson, de la Cour suprême du Canada, et est conseiller en matière constitutionnelle auprès de la Commission royale sur les peuples autochtones. Il a été chercheur invité à la Faculté de droit de Stanford, en 1988, et à la Faculté de droit de l'UCLA, en 1992. En 2003, il a obtenu une bourse dans le cadre du Fulbright New Century Scholar Program. Il a enseigné à l'Institut Universitaire Européen et a été chercheur invité à la Faculté de droit de Harvard. Il est professeur invité à la Central European University où il enseigne le fédéralisme comparé et le droit international en matière de droits de la personne. Au fil des ans, il a conseillé de nombreuses Premières nations, des organisations et des gouvernements autochtones sur les dimensions légales et constitutionnelles des droits autochtones et issus de traités.

M. Macklem est l'auteur de nombreux articles sur les peuples autochtones et le droit, les droits de la personne, le droit constitutionnel et le droit international des minorités. Il a également écrit et publié plusieurs ouvrages. Le dernier a reçu le prix Donald Smiley 2002 de l'Association canadienne de science politique du meilleur livre de l'année 2001 sur l'étude du gouvernement canadien. M. Macklem s'est également vu décerner le prix Harold Adams Innis de la Fédération canadienne des sciences humaines du meilleur ouvrage de langue anglaise sur les sciences sociales. M. Macklem vous avez fait un parcours sans faute.

Je vous présenterai M. Laverdure après que M. Macklem aura fait son exposé et répondu à nos questions.

M. Patrick Macklem, professeur de droit, Faculté de droit, Université de Toronto, à titre personnel : Merci, sénateur St. Germain. Je vous remercie également de faire la promotion de mes livres. J'aimerais faire une déclaration; elle sera peut-être plus longue que prévu. Si c'est le cas, n'hésitez pas à m'interrompre et nous passerons aux questions.

Je vous parlerai tout d'abord de l'importance de cette mesure législative. Si le Parlement devait adopter le projet de loi S-16, toutes les Premières nations, d'un bout à l'autre du pays, seraient immédiatement investies de compétences législatives étendues leur permettant véritablement de gérer leurs affaires. Il est probable que mon collègue, M. Laverdure, vous explique à quel point sont étroits les liens entre autonomie gouvernementale et autosuffisance. Je ne m'attarderai pas beaucoup là-dessus, mais l'autonomie gouvernementale, lorsqu'elle est définie adéquatement et bien délimitée, est un élément essentiel de la durabilité et de l'autosuffisance des collectivités autochtones. Beaucoup de Premières nations éprouvent d'ailleurs des problèmes précisément à cause du fait qu'elles ont peu de contrôle sur leurs destinées.

L'autonomie gouvernementale ne suffit pas. Il faut aussi garantir l'éducation, l'accès à l'emploi et aux ressources — il y a beaucoup d'autres domaines dans lesquels les Premières nations doivent devenir autosuffisantes. L'autonomie gouvernementale est évidemment nécessaire. Elle donne du pouvoir aux collectivités et leur permet de faire des choix délibérés. Les communautés ont ainsi le sentiment d'avoir un avenir et d'en être maîtres. Cela leur permet donc de prendre en main leurs destinées.

L'autonomie gouvernementale responsabilise également les individus. Elle permet aux personnes de participer aux décisions qui auront une incidence sur leur avenir, et elle leur donne aussi voix au chapitre sur ce qui se passe dans leur communauté. Elle reconnaît le droit démocratique fondamental des individus à participer à l'élaboration des lois qui régissent leur vie. Les collectivités et les peuples autochtones ont trop longtemps été incapables de présider à leurs destinées. Le projet de loi S-16 change la donne, la change immédiatement et pour le mieux.

Il existe d'autres façons d'acquérir une plus grande autonomie gouvernementale. La première, c'est en s'adressant aux tribunaux. La politique du gouvernement fédéral sur le droit inhérent reconnaît le fait que la Constitution considère l'autonomie gouvernementale comme un droit inhérent. Les Premières nations ont mené des batailles juridiques pour tenter de faire reconnaître ce droit. Les recours aux tribunaux ont leurs avantages. Lorsqu'une Première nation obtient gain de cause, les gouvernements doivent l'écouter. Cela a pour effet de modifier le pouvoir de négociation que possède une Première nation pour disposer d'une plus grande capacité de contrôle sur son avenir. Toutefois, les procédures judiciaires prennent du temps, sont coûteuses et comportent de nombreux risques. Elles génèrent des incertitudes : une décision donnée s'applique-t-elle uniquement à une Première nation ou bien à l'ensemble des Premières nations? Qu'est-ce qui découle d'une déclaration de droit abstrait?

L'autre voie à suivre est celle de la négociation. Des pourparlers concernant des traités trilatéraux sont à différents stades d'avancement en Colombie-Britannique. L'entente finale avec les Nisga'a est déjà en vigueur. Le gouvernement fédéral a négocié des accords bilatéraux avec les Premières nations de Westbank et Tlicho. On a conclu environ 20 accords sur les revendications territoriales partout au pays. Mais les négociations sont aussi coûteuses et inopportunes. Elles durent des années et nécessitent d'importants investissements. Il faut également trouver des partenaires pour négocier. Même s'il y a eu quelques initiatives réussies, nous devons être francs quand vient le moment de se demander jusqu'à quel point les gouvernements fédéral et provinciaux sont prêts à négocier coûte que coûte des ententes et jusqu'à quel point ils sont véritablement désireux de remettre fondamentalement en question le statu quo, sur le terrain, pour les collectivités autochtones.

La troisième façon d'acquérir une plus grande autonomie gouvernementale, c'est au moyen de lois, comme le démontre, évidemment, le projet de loi S-16. Cette mesure législative permet aux Premières nations de se doter d'une constitution et de se prévaloir des pouvoirs fédéraux pour faire leurs propres lois. C'est facultatif. Aucune Première nation n'est obligée de le faire. Elle peut choisir les compétences législatives qui lui conviennent, selon ses circonstances particulières.

Il convient de souligner que ces trois façons d'atteindre une plus grande autonomie gouvernementale sont complémentaires. Chacune atténue les risques et les inconvénients que présentent les autres. Les négociations permettent de dissiper les incertitudes relatives aux procédures judiciaires ou au processus législatif. Les recours aux tribunaux et la négociation permettent de faire des lois. Il ne s'agit donc pas de choisir entre l'une ou l'autre des possibilités. L'enjeu est important et le projet de loi S-16 l'illustre bien. Il permet de consolider et de codifier les approches adoptées dans les négociations sur les traités, celles qui ont été proposées dans la politique fédérale, et plus particulièrement la politique sur le droit inhérent, ainsi que d'autres approches adoptées et requises suite à des décisions de justice.

J'ai eu l'occasion de revoir le témoignage de Mme Maureen McPhee, directrice générale de la Direction générale de l'autonomie gouvernementale du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, et celui de M. Allan Cracower, du ministère de la Justice du Canada. Si vous le voulez, quand viendra la période de questions des membres du comité, j'en profiterai pour répondre aussi à quelques-unes de leurs préoccupations.

M. Cracower a fait une déclaration singulière. Il a affirmé qu'on ne pouvait surestimer l'importance de la certitude et de la prévisibilité juridiques. À mon avis, il se trompe complètement sur ce point; on peut au contraire le faire. Il faut trouver un juste équilibre entre le besoin de certitude et le besoin de souplesse. Comme le projet de loi S-16 est habilitant et non contraignant, il n'impose pas de cadre uniforme; il confère une certaine liberté. En fait, il laisse beaucoup moins de place à l'incertitude et à l'imprévisibilité qu'on a pu le faire croire.

Permettez-moi de parler brièvement de deux questions particulières : celle visant les compétences et celle concernant la qualité de membre.

En ce qui concerne les compétences, il ne fait aucun doute que le Parlement peut autoriser une Première nation à légiférer dans des domaines qui semblent être de compétence provinciale. C'est ce que propose le projet de loi S-16, à l'annexe 2, en incluant une liste de domaines dans lesquels une Première nation a le pouvoir de légiférer : l'administration de la justice; la désignation d'infractions mineures; le mariage, le divorce et les biens matrimoniaux; la santé et l'hygiène; l'aide sociale et autres services sociaux; les successions et fiducies; et la gestion des ressources naturelles, entre autres dispositions.

Cela ressemble à des domaines de compétence provinciale, et certains ont dit craindre que le projet de loi S-16 ne vienne entraver les pouvoirs des provinces et empiéter sur les domaines de compétence provinciale. Toutefois, la constitutionnalité d'investir les Premières nations du pouvoir de légiférer dans les domaines cités à l'annexe 2 découle directement et de manière indiscutable du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle. L'annexe 2 n'est pas plus discutable, du point de vue constitutionnel, que les dispositions que renferme la Loi sur les Indiens et qui permettent à une Première nation de prendre des règlements dans des domaines qui s'avèrent être de compétence provinciale. Le fait est que ces domaines semblent être de compétence provinciale, mais qu'ils ne le sont pas. Le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle confère au Parlement le pouvoir de légiférer dans des domaines concernant les Indiens et les terres réservés aux Indiens qui autrement sont de compétence provinciale.

M. Peter Hogg, maintenant juge à la Cour d'appel de l'Ontario, a écrit que si le paragraphe 91(24) ne faisait qu'autoriser le Parlement à faire des lois pour les Indiens qu'il pourrait faire pour les non-Indiens, il serait inutile.

La liste des compétences législatives de l'annexe 2 du projet de loi est également conforme à la politique sur le droit inhérent du gouvernement fédéral qui, de manière générale, confirme la volonté fédérale de négocier une entente selon laquelle une Première nation, si elle le désire, peut être investie du pouvoir de légiférer dans pratiquement tous les domaines précisés dans cette liste. À un égard important, le projet de loi S-16 est beaucoup plus modeste que la politique sur le droit inhérent. En effet, celle-ci indique la volonté de conférer des compétences législatives dans les domaines cités en ce qui concerne les droits garantis par la Constitution, alors que le projet de loi S-16 ne suit pas la voie constitutionnelle; ce n'est qu'une mesure législative.

En ce qui concerne l'interaction entre les lois fédérales, provinciales et autochtones, par opposition à l'interaction entre les compétences législatives de ces gouvernements — l'interaction entre les lois adoptées par ces gouvernements —, il faut savoir qu'en vertu de ce projet de loi, dans la plupart des cas, les lois des Premières nations auraient préséance sur les lois fédérales et provinciales en cas de conflit. Cela permet donc à une Première nation de supplanter les lois fédérales et provinciales en adoptant les siennes propres.

D'ailleurs, c'est déjà ainsi que fonctionne la Loi sur les Indiens puisqu'elle passe avant les lois provinciales. Il n'y a là rien de nouveau. Un règlement indien pris en vertu de la Loi sur les Indiens a préséance sur une loi provinciale en cas de conflit. Pour ce qui est des lois fédérales, il y a des choses nouvelles, mais moins qu'il n'y paraît. L'article 35 stipule que les lois fédérales existantes qui servent un objectif législatif impérieux et réel d'une manière compatible avec les obligations fiduciaires de la Couronne ne peuvent être supplantées. Autrement dit, le projet de loi permet à une Première nation de contourner certaines lois fédérales existantes en adoptant sa propre loi en la matière. Après tout, la législation sur l'autonomie gouvernementale établit que la collectivité sera régie, de manière générale, par ses propres lois et non par des lois fédérales ou provinciales. Ce n'est pas un chèque en blanc. Les compétences sont limitées. Les lois fédérales existantes importantes et nécessaires continueront de s'appliquer.

Quant aux lois fédérales à venir, le projet de loi S-16, s'il est adopté, ne sera qu'une mesure législative fédérale. Ce n'est pas une loi constitutionnelle. Le Parlement conserve sa suprématie. On pourra adopter, à l'avenir, des lois qui l'emporteront sur les lois des Premières nations. En général, lorsqu'il y a conflit entre deux lois fédérales, c'est la plus récente qui est censée l'emporter sur les dispositions incompatibles de la précédente. Comme il a seulement force de loi, le projet de loi S-16 ne va pas aussi loin que l'entente finale avec les Nisga'a, qui consiste à accorder de manière générale la primauté aux lois Nisga'a sur les lois fédérales et provinciales existantes et futures sur le plan constitutionnel.

J'aimerais maintenant parler de la notion de statut et d'appartenance. Le projet de loi S-16 ne modifie en rien le statut indien des individus. Celui-ci est déterminé par une loi fédérale. Cette mesure législative ne permet pas à une Première nation de déterminer qui est ou n'est pas membre pour les fins de participation à un gouvernement autochtone. Les personnes membres d'une bande indienne, que ce soit en vertu du projet de loi C-31, d'une loi fédérale, d'un code d'appartenance qui régit une bande ou d'une décision judiciaire, sont membres de la Première nation et ont le droit de voter sur une constitution proposée. Lorsqu'une Première nation se prévaudra des compétences législatives conférées en vertu du projet de loi S-16, elle pourra adopter un code d'appartenance pour régler les questions futures. Là non plus, il n'y a rien de nouveau. Certaines Premières nations ont déjà des codes d'appartenance, comme vous le savez. Ces codes, y compris ceux prévus par le projet de loi S-16, doivent respecter les droits constitutionnels des membres actuels et à venir de la collectivité et être conformes aux décisions judiciaires concernant les droits et les responsabilités des membres. C'est vrai pour toutes les lois, et pas simplement pour les codes d'appartenance, qu'une Première nation peut adopter en vertu des pouvoirs que lui confère le projet de loi S-16. Ces lois doivent être adoptées en vertu des compétences législatives dévolues à la Première nation et conformes à la Constitution et à la Charte.

Le projet de loi S-16 ne peut pas répondre à toutes les questions que peuvent se poser les avocats. Il ne peut spécifier en détail et d'avance quelles lois fédérales tomberont dans la catégorie des objectifs législatifs impérieux et réels. Il ne peut préciser dans le détail et à l'avance quelles lois fédérales et provinciales coexisteront avec les lois autochtones à l'avenir. Il ne peut nous laisser entrevoir ce qui arrivera dans 15 ans ni nous indiquer quel sera l'effet d'un code d'appartenance donné sur les individus. C'est une mesure législative, pas un traité. C'est ainsi que fonctionnent les lois. Ce projet de loi établit un équilibre entre généralité et spécificité et entre certitude et souplesse. Une loi commence à prendre vie lorsqu'elle fait partie du droit d'un territoire. Lorsque l'Acte de l'Amérique du Nord britannique a été adopté, nous ignorions beaucoup de choses. Notre compréhension de cet acte a évolué et est devenue plus nuancée avec le temps. C'est le cas avec toutes les lois, que cela concerne le droit de la famille ou le Code criminel.

Le projet de loi S-16 codifie, de manière modeste mais réaliste, la plupart des meilleures pratiques relatives à l'autonomie gouvernementale autochtone qui sont apparues à la suite des recours juridiques, des négociations et des lois. Il offre ces meilleures pratiques aux Premières nations qui n'ont peut-être pas la capacité ou les ressources pour aller devant les tribunaux ou négocier. Il respecte la répartition des compétences législatives fédérales et provinciales. Il est conforme aux exigences de la Constitution et de la Charte. Il fournit de nombreux mécanismes d'équilibre démocratique. Il garantit ce qu'il y a de mieux en matière d'obligation de rendre compte sur les plans budgétaire et financier. À ce chapitre, il est bien meilleur que le projet de loi C-7, déposé sans grand enthousiasme à la Chambre des communes il y a quelque temps. Le projet de loi S-16 prévoit davantage de consultations que ne l'avait fait le projet de loi C-7. Il favorise une véritable participation démocratique des peuples autochtones dans le but de modifier la façon dont ceux-ci sont actuellement gouvernés. Il pourrait aussi permettre de mettre un terme aux séries d'études, de rapports et de séances de négociation. Il offre une véritable autonomie gouvernementale aux Premières nations de partout au pays. C'est un très bon projet de loi et il mérite qu'on en discute sérieusement, tant au Sénat qu'à la Chambre des communes.

Le sénateur Watt : Je pense qu'il y a deux domaines essentiels sur lesquels nous devons nous pencher. Le premier concerne les compétences, et cela relève de l'article 35 de la Loi constitutionnelle; de temps en temps, cela relève aussi du paragraphe 91(24).

D'après la façon dont ce projet de loi d'initiative parlementaire a été rédigé, il semble qu'on veuille en faire une loi habilitante conférant aux Premières nations le pouvoir de légiférer. On est en train d'examiner l'instrument pour déterminer jusqu'où il ira et quels domaines de compétences il couvrira. Y a-t-il une possibilité que les Autochtones se retrouvent avec un instrument tellement vaste et tellement mal défini qu'il n'y aura d'interactions entre les deux pouvoirs gouvernementaux qu'à l'initiative du gouvernement territorial, provincial ou fédéral ou encore de la Première nation?

Comment atténuer les conflits pouvant être provoqués par les mouvements de ces trois ordres de gouvernement? Y a-t-il une possibilité de voir la situation de manière novatrice pour étendre la portée de cette mesure législative, pour ne pas qu'elle soit trop définie et pour pouvoir aller de l'avant, c'est-à-dire vouloir s'asseoir pour négocier? Je ne suis pas sûr d'être clair.

Ce que je dis, c'est que vous avez fait remarquer qu'on pouvait recourir aux tribunaux, parfois, et que c'est utile. Oui, c'est vrai; c'est très utile parfois, mais cela dépend de la nature des problèmes traités.

Y a-t-il une autre façon de bâtir un pont entre les Autochtones et les institutions gouvernantes — je veux parler des gouvernements fédéral et provinciaux —, plutôt que d'être constamment, année après année, en conflit? Comment mettre un terme à cette situation? Il y aura toujours des conflits, mais comment en arriver au point où on sera en mesure de les régler?

Je pense que c'est là que réside le véritable problème. À moins de vouloir s'adresser aux tribunaux pour demander de clarifier ce point. Je me demandais si vous pouviez nous faire part de votre point de vue à cet égard. Ce serait utile.

M. Macklem : Permettez-moi de commencer ma réponse en vous disant que dans son témoignage, M. Cracower avait souligné le caractère imprévisible et incertain du projet de loi S-16. L'incertitude et l'imprévisibilité potentielles caractérisées par le projet de loi S-16 doivent être vues avec, en toile de fond, l'incertitude et l'imprévisibilité existantes concernant la nature et les pouvoirs d'un gouvernement autochtone.

Les recours aux tribunaux ont rendu ces questions hautement incertaines. Les tribunaux n'ont pas conclu explicitement qu'il existait un droit étendu et inhérent à l'autonomie gouvernementale reconnu par l'article 35 de la Constitution. Toutefois, ils sont arrivés à la conclusion que s'il y avait un droit d'autonomie gouvernementale, on procéderait au cas par cas, compétence par compétence, de manière très détaillée et spécifique. Ils ont aussi indiqué, dans une certaine mesure, qu'ils étaient désireux d'envisager la possibilité que l'article 35 reconnaisse effectivement les droits de gouvernance, mais ils disent du même coup qu'ils doivent procéder de manière très prudente et progressive. Cette approche prudente et progressive génère beaucoup d'incertitude partout au pays. Les Premières nations ignorent, tout comme les gouvernements, quelles sont la nature et la portée des pouvoirs d'un gouvernement autochtone.

Il y a donc un degré élevé d'incertitude et d'imprévisibilité que le projet de loi S-16 permettrait d'atténuer en codifiant, au travers de la constitution que mettraient en œuvre les Premières nations, la nature et l'étendue des pouvoirs de ces Premières nations en ce qui a trait à leurs compétences législatives. Cette mesure législative clarifierait également la nature de ces compétences. À première vue, celles-ci ne seraient pas de nature constitutionnelle. Le pouvoir de légiférer serait conféré par la loi fédérale. À bien des égards, cela ressemble au pouvoir de prendre des règlements qu'une bande indienne possède actuellement; cela s'apparente à de la législation déléguée.

Il y a une autre façon de comprendre ce projet de loi que nous devrions examiner. Cela diffère de la législation déléguée, mais ce serait la principale interprétation qu'on pourrait en faire actuellement. Cela permet également de comprendre avec plus de clarté la nature des compétences législatives.

Ceci dit, l'annexe 2 comporte une liste très détaillée de compétences législatives qui ne sont pas beaucoup sujettes à débat ou à interprétation quant à leur portée, mais elle en comporte aussi d'autres, formulées de manière plus générale, qui elles le sont. À cet égard, cela ressemble aux articles 91 et 92 de l'AANB.

Certains chefs de compétence sont très spécifiques et d'autres non limitatifs. Ces derniers, en particulier, ont donné lieu à l'établissement d'une jurisprudence en vertu de laquelle on se demande : « Qu'en est-il de la nature et de la portée des pouvoirs fédéraux et provinciaux depuis 1867? » À mon avis, si le projet de loi S-16 devait être adopté, les tribunaux auraient encore un rôle à jouer pour clarifier le lien entre les trois ordres de gouvernement et préciser l'étendue des chefs de compétence de l'annexe 2. La plupart des éclaircissements viendraient des Premières nations investies de ces pouvoirs, les exerçant et testant leurs limites.

Une Première nation qui déciderait de faire une constitution et userait de quelques-uns des pouvoirs conférés en vertu de l'annexe 2 — le fait qu'une Première nation ait la capacité de le faire — inviterait les provinces et le gouvernement fédéral à venir négocier à la table des ententes appropriées pour l'harmonisation des lois. Cela aurait pour effet de changer les rapports de force et la répartition du pouvoir de négociation entre les trois acteurs. Actuellement, la Première nation a la possibilité de ce prévaloir de ce pouvoir et de l'exercer, ce qui incite les provinces et le gouvernement fédéral à venir négocier des ententes convenables pour se préparer à cette éventualité.

Le sénateur Watt : Si je puis me permettre d'aller un peu plus loin, je dirais, à propos de la question des compétences, que ce projet de loi a pour but de faire réagir le gouvernement à des initiatives proposées par des Autochtones, à moins que l'on choisisse la voie des tribunaux. Ce n'est pourtant pas clairement reconnu ou considéré comme tel. Cela restera toujours un problème, à moins que nous clarifions le rôle des institutions régissant les Premières nations et, en passant, le rôle du gouvernement du Canada et des provinces.

Le problème demeure. Cela a toujours été difficile de savoir comment dépasser ce stade. D'après ce que je comprends, si l'autonomie gouvernementale véritable devait se concrétiser dans l'avenir, je pense qu'il y aurait de nombreux changements : la volonté des Autochtones de s'asseoir pour négocier et la volonté des gouvernements provinciaux et fédéral de s'asseoir, de négocier et de corriger ce qui ne va pas. Tant que nous n'aurons pas trouvé de solution, cela restera un problème.

Si on ne développe pas de mécanisme pour forcer le gouvernement à s'asseoir et à nous écouter, je me demande si un jour on réglera les questions relatives aux problèmes et aux besoins fondamentaux des Autochtones. Même si nous allons devant les tribunaux, le gouvernement n'écoute pas la plupart du temps, et ce, même si la décision est très claire et qu'elle lui exige de prendre certaines dispositions. Parfois, les gouvernements ne veulent pas bouger et cela nuit aux Autochtones du point de vue économique, social, culturel et autre. C'est là qu'est le problème.

Quelle que soit la mesure législative proposée, nous devons régler ce problème et comprendre clairement, une fois pour toutes, quelles sont les règles du jeu à Ottawa que doivent connaître les Autochtones pour traiter avec le gouvernement.

L'article 35 a-t-il un sens quelconque aux yeux des bureaucrates, des politiciens et des juristes? Parce que le manque de volonté pour l'appliquer est toujours manifeste. C'est l'un des plus grands obstacles auquel nous sommes confrontés.

Vous avec indiqué que le projet de loi S-16, qui est devenu un projet de loi distinct, ne découle pas de l'article 35. Je ne suis pas sûr que ce soit ainsi qu'il faille l'interpréter. Je crois qu'il devrait découler de l'article 35 plutôt que du paragraphe 91(24) puisque c'est de là que vient le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale. Si c'est ce que l'on veut, faisons en sorte de mettre en œuvre l'article 35 pour régler ce genre de questions et corriger les problèmes s'il y a lieu.

M. Macklem : D'après ce que j'ai compris, le projet de loi S-16 est rédigé de telle sorte qu'il permettrait à un tribunal de l'interpréter comme étant une loi d'application, c'est-à-dire une mesure législative permettant d'appliquer un droit inhérent reconnu par l'article 35. L'avenir nous dira si un tribunal l'interpréterait de cette façon, mais c'est certainement une interprétation plausible.

En même temps, celui-ci est également conforme, dans un sens, à des approches fédérales plus traditionnelles à l'égard de l'autonomie gouvernementale, dans la mesure où il adopte certaines techniques prévues par la Loi sur les Indiens à l'égard du gouvernement de la bande et de l'article 83, ainsi que des dispositions de la Loi sur les Indiens concernant le pouvoir que les bandes ont de prendre des règlements. Toute la question est de savoir s'il s'agit d'un droit inhérent ou délégué. D'après la lecture que j'en fais, ce projet de loi tente d'éluder la question et fournit un modèle et un instrument aux Premières nations pour que celles-ci puissent se prévaloir de certaines compétences ou de leur propre droit inhérent pour disposer d'un plus grand pouvoir de légiférer qui serait reconnu dans l'ordre constitutionnel canadien.

Le sénateur Watt : Êtes-vous en train de dire que cette mesure législative, selon votre interprétation, semble tourner autour du pot alors qu'elle devrait aller au cœur des problèmes?

M. Macklem : Absolument pas. Je pense qu'il est sage qu'on ait rédigé ce projet de loi de cette façon.

Le sénateur Watt : Dans un sens, c'est comme si on s'excusait soi-même. La raison pour laquelle on essaie de contourner ces problèmes tient-elle au fait qu'on ne peut pas les traiter directement? Cela ne crée-t-il pas un problème justement?

M. Macklem : Je ne crois pas. Cela ouvre la porte à de nombreuses solutions étant donné qu'on ne s'accroche pas à la distinction entre les pouvoirs de légiférer inhérent et délégué. Ce projet de loi offre des compétences législatives. Les gens peuvent l'interpréter comme ils le veulent, mais cette mesure législative donne aux Premières nations la possibilité d'exercer leur pouvoir de légiférer, en vertu des droits inhérents qui leur sont conférés. Elle leur reconnaît ces compétences législatives et permet de coordonner ces pouvoirs avec ceux du gouvernement fédéral et des provinces.

Ce n'est pas une excuse. Il ne s'agit pas d'esquiver un problème. Il s'agit de passer outre cette distinction. Pour revenir à vos questions et à vos commentaires de tout à l'heure, il y a deux façons de considérer le projet de loi, notamment en tenant compte de sa valeur propre. D'un point de vue normatif, est-ce la bonne chose à faire? Les compétences législatives des Premières nations sont-elles bien soupesées? Trouve-t-on à l'annexe 2 la liste des pouvoirs qu'une Première nation devrait avoir, dont une Première nation pourrait avoir besoin? Prévoit-on une souplesse suffisante? Il y a toute une série de questions qui visent cet aspect du problème.

Une autre façon de considérer le projet de loi, qui n'exclut pas la première mais lui est complémentaire, c'est de se demander comment ce projet de loi, s'il est adopté, pourrait modifier la dynamique qui existe entre les trois paliers de gouvernement. Quelles mesures d'encouragement ou de dissuasion seraient créées si on permettait à une Première nation d'utiliser certaines compétences législatives? Je crois que vous avez raison : la tâche véritable des trois gouvernements est de faire appliquer les droits prévus à l'article 35, de favoriser une plus grande autonomie gouvernementale tout en respectant les autres obligations constitutionnelles. La question est de savoir comment enclencher ce processus.

Vu de cet angle, le projet de loi S-16 enclenche ce processus, parce qu'il permet à une Première nation d'assumer certains pouvoirs législatifs, ce qui inciterait les gouvernements fédéral et provinciaux à entamer des discussions.

Le sénateur St. Germain : La principale opposition à ce projet de loi a commencé bien avant le projet de loi C-31. La question de l'appartenance a toujours soulevé la controverse, a toujours été la bête noire : « Ne touchez pas à cela, parce que vous allez brimer des droits », et cetera. L'autre question qui a été soulevée porte sur les droits matrimoniaux. Des membres du comité en ont parlé pas plus tard qu'à notre dernière séance.

Évidemment, vous avez étudié toutes les lois existantes, concernant les Nisga'a et les divers autres gouvernements autonomes. L'accord d'autonomie gouvernementale des Tlichos a récemment été adopté, mais d'autres ont été conclus avec divers peuples autochtones, dont la Première nation de Westbank et les Sechelts.

À votre avis, le projet de loi S-16 entre-t-il en conflit avec d'autres mesures législatives? Comme je suis l'auteur de ce projet de loi, je demande que les mesures législatives déjà adoptées en matière d'autonomie gouvernementale soient reflétées dans celle-ci. Nous avons entendu Mme McPhee, d'AINC, qui a exposé ce que le ministère a toujours fait valoir par le passé. Le projet de loi S-16 entre-t-il en conflit avec d'autres lois qui ont déjà été adoptées?

M. Macklem : À de nombreux égards, le projet de loi S-16 est plus modeste que d'autres mesures législatives. Il existe deux catégories de lois concernant la gouvernance. Il y a d'abord les lois qui visent la mise en œuvre des traités et des accords de revendication territoriale. Certains de ces accords de revendication territoriale — dont l'Accord définitif Nisga'a, le plus connu — font de l'autonomie gouvernementale des Premières nations un droit constitutionnel. Ces traités sont mis en œuvre en vertu de lois fédérales et provinciales.

Le pouvoir législatif des Nisga'a par traité est fondé sur le droit constitutionnel fondamental. Des droits issus de traités sont prévus au sens de l'article 35 de la Constitution.

Le projet de loi S-16 ne dit pas et ne peut être interprété comme s'il établissait, en soit, que l'un ou l'autre des pouvoirs législatifs énumérés à l'annexe 2 découle d'un traité et qu'il a automatiquement un caractère constitutionnel. C'est plus modeste que l'Accord définitif Nisga'a. Ce n'est qu'une loi. Ce n'est pas un traité et cette loi n'a pas d'importance constitutionnelle immédiate. Il n'y a pas de conflit à cet égard, mais cette loi n'aurait pas autant d'effet que l'Accord définitif Nisga'a et d'autres accords de revendication territoriale ainsi que les textes législatifs qui prévoient leur mise en œuvre.

Quant à la deuxième catégorie de lois visées par votre question, ce serait des mesures législatives comme le projet de loi C-31, qui consiste essentiellement à modifier la Loi sur les Indiens et à changer les relations entre les bandes et les membres, et cetera. Il a été adopté principalement par souci d'égalité des sexes. Il n'y a rien dans le projet de loi S-16 qui, à mon avis, compromet ces autres engagements.

D'abord, selon mon interprétation, le projet de loi S-16 dit clairement que les listes existantes de membres doivent être respectées par les Premières nations qui choisissent de se soustraire à la Loi sur les Indiens pour adopter ce régime, qu'une Première nation ne pourrait pas rayer des personnes qui étaient inscrites sur la liste des membres avant que la Première nation opte pour ce régime. Ces membres sont protégés en vertu du projet de loi S-16.

Par ailleurs, le projet de loi prévoit qu'une Première nation peut légiférer à l'égard de ses membres dans l'avenir. Bien qu'elle ne puisse aller à l'encontre des droits des membres existants, elle peut légiférer dans ce domaine dans l'avenir, ce qui fait craindre l'adoption d'une loi qui pourrait être discriminatoire. Reste à savoir ce qui arriverait si une Première nation adoptait une loi qui serait discriminatoire à l'égard des femmes et de certains éléments de la communauté autochtone.

Le pouvoir législatif d'une Première nation, que ce soit sur la qualité de membre ou d'autres questions énumérées dans les annexes, serait assujetti à la Charte. À l'instar des gouvernements fédéral et provinciaux, une Première nation ne peut exercer son pouvoir législatif en violant les droits à l'égalité et d'autres garanties de la Charte. Par conséquent, à ce chapitre également, le projet de loi S-16 reconnaît le pouvoir législatif d'une Première nation, mais ce pouvoir doit être exercé d'une manière qui soit cohérente avec les obligations constitutionnelles.

Le sénateur St. Germain : Le ministère a affirmé que le projet de loi S-16 ne tient pas compte du fait que la plupart des terres qui pourraient être touchées relèvent de la compétence provinciale. Pourtant, nous disons que ce sont des terres autochtones telles qu'elles sont définies par les lois canadiennes. Pouvez-vous donner des précisions à ce sujet? Ça n'a pas de sens.

Dans son exposé, la porte-parole du ministère a déclaré ceci « Le projet de loi S-16 ne tient aucunement compte du fait que la plupart des terres qui seraient en cause relèvent de la compétence provinciale. Là encore, les relations fédérales-provinciales en subiraient des conséquences. »

Je ne suis pas avocat. C'est pour cette raison que nous nous fions sur les gens de votre profession. Selon moi, s'il s'agit de terres de réserve, la province n'a aucune compétence de toute façon. Pourquoi disent-ils cela? Y a-t-il quelque chose que j'ignore et que nous devrions savoir? Ce n'est pas une question piège. Je ne comprends pas. Les peuples qui voudraient utiliser cette loi auraient une terre autochtone clairement établie et désignée pour cette Première nation ou cette bande, peu importe. Pourquoi disent-ils pareille chose? C'est un mystère pour moi. Mme Hurley n'a pas posé cette question, et je n'y comprends rien. Vous pourriez peut-être faire des commentaires à ce sujet.

M. Macklem : Si les lois provinciales d'application générale s'appliquent aux Indiens sur les terres de réserve, c'est avant tout parce que le Parlement permet leur application. La plupart des lois provinciales d'application générale s'appliquent aux terres de réserve et aux Indiens sur les terres de réserve principalement parce que le Parlement le permet. Le Parlement permet l'application des lois provinciales là où elles ne s'appliqueraient pas autrement en raison de la Constitution et de la compétence fédérale sur les Indiens.

Le Parlement permet l'application de certaines lois provinciales en vertu de l'article 88 de la Loi sur les Indiens. Cet article intègre les lois provinciales qui ne s'appliqueraient pas sur le fondement du droit constitutionnel, mais il les intègre quand même. C'est comme si le Parlement disait « Nous savons que vous ne pouvez pas à vous seuls réglementer certains domaines, parce que vous n'en avez pas le pouvoir. Nous avons ce pouvoir, mais nous allons vous permettre de le faire. Nous allons exercer notre pouvoir en vous laissant réglementer certains domaines. »

La compétence provinciale ici n'est pas vraiment une compétence provinciale. Elle existe essentiellement par une permission du gouvernement fédéral.

À l'heure actuelle, un règlement adopté par une Première nation a préséance sur une loi provinciale lorsqu'il y a conflit entre les deux. C'est le modèle à retenir ici. C'est pourquoi j'ai dit tout à l'heure que les relations entre une Première nation et une province ne changaient pas vraiment, même si les domaines dans lesquels une Première nation peut adopter les lois sont plus nombreux à l'annexe 2 que ce que prévoit la Loi sur les Indiens. Le même principe s'applique. Lorsqu'une bande indienne adopte un règlement en vertu de la Loi sur les Indiens sur un aspect quelconque dans la réserve et si une loi provinciale existait avant ce règlement et lui était contraire, le règlement indien a préséance. Ce n'est pas quelque chose d'inusité ni pour nous, ni pour les provinces.

D'après ce que je comprends de la définition de terres autochtones, le projet de loi tente de couvrir les situations où une réserve, au sens technique qu'on lui donne dans la Loi sur les Indiens, ne serait pas seulement le territoire d'une Première nation qui aurait opté pour ce régime, parce que la Première nation pourrait avoir d'autres intérêts juridiques en vertu d'un traité, d'un arrangement, d'un achat, d'une restitution — techniquement parlant, des intérêts qui n'entreraient pas dans la définition de réserve. C'est une définition élargie qui fait en sorte que ces autres intérêts juridiques sont inclus dans la terre de la Première nation lorsqu'elle opte pour ce nouveau régime. Selon mon interprétation, le projet de loi S-16 n'élargit pas de façon spectaculaire le territoire de la Première nation tel qu'il est déjà compris.

Le sénateur St. Germain : Merci. Je voudrais m'excuser auprès de Mme Hurley. Elle a posé cette question, et très clairement.

Le président : Nous devons entendre le prochain témoin. Sénateur St. Germain, auriez-vous l'obligeance de nous le présenter?

Le sénateur St. Germain : Sénateurs, le prochain témoin est M. Donald Laverdure, professeur adjoint de droit et directeur fondateur du Indigenous Law Program, Michigan State University College of Law. Il est membre du corps enseignant du American Indian Studies Program de la MSU. Il est juge en chef de la Nation Crow depuis juillet 2002. Il est président du Crow Nation Judicial Ethics Board et juge d'appel de la Keweenaw Bay Indian Community. Le professeur Laverdure a fourni des témoignages d'expert, verbalement et par écrit, devant le Crow Tribal Legislature concernant des accords de gouvernements locaux — les droits relatifs à l'eau et les taxes sur le tabac —, l'utilisation des terres et le zonage, les lois concernant l'attribution des terres fédérales et les programmes de réacquisition des terres tribales, les lois sur l'imposition des tribus, les normes et les procédures de destitution des juges, les compétences des juges de tribu et la séparation des pouvoirs au sein des gouvernements tribaux.

Le professeur Laverdure est né dans la réserve indienne Crow; il est l'auteur de nombreux ouvrages et donne des conférences partout au pays sur les systèmes judiciaires tribaux, l'imposition dans le pays indien, l'identité autochtone et la participation politique, les droits des Indiens issus de traités et le statut juridique et politique des peuples autochtones. Plus précisément, le professeur Laverdure est un expert au chapitre de l'imposition des peuples autochtones et de leurs pouvoirs d'imposition, la structure des gouvernements tribaux et la mise sur pied et le fonctionnement des systèmes judiciaires tribaux. Il a publié un ouvrage intitulé A Historical Braid of Inequality : An Indigenous Perspective of Brown v. Board of Education, et rédige actuellement plusieurs autres ouvrages, dont Selection and Regulation of Judges in Indian Country, Tribal Government Land Trusts et The Source and Scope of Tribal Government Tax Powers. Outre les cours de droit concernant les Autochtones, le professeur Laverdure enseigne le droit constitutionnel, la propriété ainsi que les pouvoirs de taxation des États et des gouvernements locaux.

Avant son arrivée à la MSU, le professeur Laverdure a été chargé de cours en matière de droit fédéral et de tribus indiennes, a été nommé William H. Hastie Fellow et a été directeur exécutif du Great Lakes Indian Law Centre de la University of Wisconsin Law School. Lorsqu'il travaillait dans un cabinet privé, il s'est occupé de droit fiscal, faisant notamment de la planification fiscale et de la représentation dans des dossiers controversés, pour divers gouvernements tribaux, des entreprises et des organismes sans but lucratif. À l'automne 2000, le professeur Laverdure a participé à l'initiative sur les universités et les collèges tribaux lancée par le président Clinton. Il est candidat à la maîtrise en droit et a obtenu un baccalauréat en droit de la University of Wisconsin Law School. Il est aussi bachelier ès sciences en génie civil de la University of Arizona.

M. Donald Laverdure, professeur adjoint de droit, directeur du Indigenous Law Program, Michigan State University College of Law, témoignage à titre personnel : Pour gagner du temps, je vais faire une synthèse de mes observations. J'ai en partie un rapport et en partie une déclaration dans le document que j'ai fourni aux traducteurs. Je vais indiquer les pages sur lesquelles je vais me pencher brièvement.

Tout d'abord, merci, sénateur St. Germain, de votre présentation. Merci, honorables sénateurs, de m'avoir invité à témoigner ici aujourd'hui. Je suis heureux d'accepter cette invitation parce que vous vous penchez sur une loi qui a des répercussions importantes sur des communautés qui ont depuis toujours été marginalisées ou oubliées. En effectuant une analyse comparative des gouvernements autochtones aux États-Unis et en évaluant certaines dispositions de la First Nation Act, j'espère pouvoir apporter un certain éclairage à vos discussions sur ce projet de loi.

Je dirige le Indigenous Law and Policy Center, qui offre des services juridiques et des services d'orientation, grâce à du personnel expérimenté, à des gouvernements tribaux principalement aux États-Unis, bien que ces services soient en expansion, afin de les aider à atteindre leurs objectifs d'ordre judiciaire, communautaire et gouvernemental. Jusqu'à présent, le Indigenous Law and Policy Center a travaillé auprès d'une vingtaine de gouvernements tribaux aux États- Unis concernant diverses questions liées à l'autonomie gouvernementale.

Je suis ici pour présenter quelques commentaires sur le projet de loi que vous étudiez, qui assure un processus de reconnaissance de l'autonomie gouvernementale des Premières nations.

Je vais sauter une partie de ce rapport pour lire quelques paragraphes concernant la Cour suprême du Canada.

Comme bon nombre d'entre vous le savent, la Cour suprême du Canada a rendu une série de décisions qui confirment les droits des Premières nations. Mentionnons l'arrêt Guérin c. La Reine, qui reconnaît la relation fiduciaire entre le gouvernement fédéral et les Premières nations; l'arrêt R. c. Sparrow, qui a donné un cadre analytique pour les mesures législatives qui touchent les droits des Premières nations; et l'arrêt Delgamuukw c. Colombie-Britannique, qui reconnaît que l'histoire orale autochtone constituait une preuve acceptable pour faire valoir les titres autochtones et les revendications d'autonomie gouvernementale.

Les droits autochtones et les droits conférés par traités aux peuples autochtones du Canada ont maintenant un caractère constitutionnel et sont protégés expressément par l'article 35 de la Constitution canadienne.

De plus en plus, les Autochtones vont valoir leurs droits à l'égard des terres et en matière d'autonomie gouvernementale, comme M. Macklem l'a montré, d'un certain nombre de façons : des litiges, des négociations et maintenant, peut-être, une mesure législative.

Dans ce contexte de décisions judiciaires favorables aux Premières nations, à mon avis, le Parlement canadien est bien placé pour offrir un moyen plus efficace de créer un troisième ordre de gouvernement, qui inclut les Premières nations au côté du gouvernement fédéral du Canada, des provinces et des territoires.

Je vais poursuivre avec l'analyse de la Indian Reorganization Act, mais je crois qu'il est possible d'établir de nombreux parallèles avec le projet de loi S-16. La IRA est une loi fédérale adoptée en 1934 par le Congrès, qui a aussi changé l'ordre des choses pour divers gouvernement; il permettra, je l'espère, d'analyser les conflits de compétences entre les Premières nations, les autres gouvernements locaux et le gouvernement national.

Je vais passer outre la partie du rapport qui porte sur les terres, parce que j'aimerais ouvrir le débat aux discussions. Toutefois, j'aimerais mentionner les cours tribales, notamment parce que je suis juge en chef de la nation Crow, et également la création de nombreuses cours tribales aux États-Unis aujourd'hui.

Si nous prenons la page 5 du document que j'ai distribué, concernant le système judiciaire, la constitution modèle prévue par la Indian Reorganization Act omettait de séparer les pouvoirs pour chaque organe du gouvernement tribal. La plupart des pouvoirs gouvernementaux étaient imputés à un conseil tribal ou son équivalent, les décisions du conseil faisant l'objet de peu de surveillance interne et l'appareil judiciaire étant souvent inexistant. Aujourd'hui, les tribus continuent de composer avec les conséquences créées par cette absence de séparation des pouvoirs. Malgré les efforts visant à créer un ordre judiciaire, les gouvernements tribaux sont souvent critiqués par les non-Indiens et même leurs propres citoyens qui leur reprochent de ne pas mettre en place un système judiciaire indépendant.

Plusieurs gouvernements tribaux ont récemment fait des efforts pour réviser ces anciennes constitutions afin de séparer les pouvoirs pour donner l'assurance juridique et la prévisibilité dont les entreprises ont souvent besoin, afin de favoriser et de stimuler le développement économique. Toutefois, il a fallu plus de 60 ans pour que les gouvernements tribaux mettent en œuvre ces changements, et le processus de décolonisation longtemps attendu, prévu par la IRA, vient tout juste de commencer.

Passons maintenant au pouvoir judiciaire prévu par le projet de loi sur les Premières nations, à la page 6. À l'instar de la constitution modèle de l'IRA, la constitution modèle du projet de loi sur l'autonomie gouvernementale des Premières nations ne prévoit pas la séparation des pouvoirs, ni un appareil judiciaire indépendant. Le projet de loi permet à une Première nation d'adopter une loi pour établir une cour ou un tribunal de compétence criminelle ou civile. Le projet de loi exige aussi que les juges soient nommés pour une assez longue période de temps pour assurer leur indépendance ou l'apparence d'indépendance par rapport à l'organisme dirigeant. D'autres mécanismes sont prévus pour le versement des honoraires et l'impartialité. Plus particulièrement, j'ai beaucoup d'expérience concernant les processus de destitution des juges tribaux, la sélection de ces juges au sein des cours tribales et la réglementation connexe dans les 48 États américains du sud.

Une des préoccupations, c'est que le projet de loi permet aux tribunaux fédéraux et provinciaux de faire observer les lois d'une Première nation, selon sa constitution. De plus, si une Première nation décide de ne pas poursuivre un contrevenant, le gouvernement fédéral peut le faire. J'aimerais ouvrir brièvement une parenthèse. La décision permettant aux tribunaux provinciaux de revoir dans l'avenir les décisions des tribunaux tribaux, si ce projet de loi est adopté, sera problématique. Cela va à l'encontre du concept d'appareil judiciaire indépendant, qui est la marque d'une souveraineté stable et qui assure typiquement une perspective de contre-pouvoir pour préserver les droits de chacun au sein de divers ordres de gouvernement.

Le projet de loi S-16 est dans l'ensemble une mesure législative positive parce qu'il permet aux Premières nations du Canada d'assurer efficacement le niveau d'autonomie dont elles ont besoin pour établir leurs propres gouvernements reconnus par le fédéral. Toutefois, à l'instar de l'IRA, la constitution-type ne prévoit pas la souplesse nécessaire à chaque collectivité tribale pour établir adéquatement un gouvernement répondant à ses normes. De plus, les collectivités autochtones doivent jouer un rôle dans la création de leurs propres gouvernements, autrement, ceux-ci pourraient être perçus comme un autre outil fédéral. Ce qui est encore plus important, c'est que la loi devrait être amendée pour exiger la création de tribunaux tribaux indépendants — qui est une démarche essentielle pour assurer l'autonomie gouvernementale véritable des Autochtones ou, dans le contexte international, l'autodétermination.

Comme l'illustre l'expérience des tribus indiennes relativement à la Indian Reorganization Act, ça prend des décennies — dans certains cas plus de 60 ans — pour transformer des textes standards en documents de gouvernance tenant compte des normes de la collectivité autochtone. De plus, des représentants fédéraux ont abusé à maintes reprises de leur pouvoir administratif discrétionnaire dans la mise en œuvre de politiques et de programmes fédéraux, y compris la Indian Reorganization Act — et peut-être la First Nation Act —, ainsi que dans le processus d'amendement constitutionnel subséquent. La surveillance fédérale n'est pas, en général, conforme aux normes internationales actuelles concernant l'autodétermination des peuples autochtones. Le Canada, comme l'a prouvé à répétition sa Cour suprême, peut s'avérer un chef de file pour ce qui est de la façon dont il traite ses peuples autochtones en allégeant ses mesures de contrôle non nécessaires, en favorisant la création de tribunaux autochtones indépendants et en instaurant un mécanisme efficace permettant aux Premières nations de devenir un troisième ordre de gouvernement.

Il me fera plaisir de répondre à vos questions concernant l'expérience des États-Unis et ma lecture préliminaire du projet de loi S-16.

Le sénateur Tardif : À la page 6 de votre rapport, vous dites que la constitution-type semble s'intéresser davantage aux affaires financières des Premières nations qu'à la création d'un gouvernement équilibré. Vous citez un rapport rédigé par le professeur Cornell, selon lequel cette mesure législative n'accorde pas beaucoup d'attention à la concordance culturelle ou à la légitimité, mais met plutôt l'accent sur la reddition de comptes. Pouvez-vous nous donner plus de détails sur ce qu'on entend par la concordance culturelle par rapport à la reddition de comptes?

M. Laverdure : Les professeurs Cornell et Kalt sont les fondateurs du Harvard Project on American Indian Economic Development. Ce qui distingue nombre des éléments qu'ils ont soulevés, c'est essentiellement que toute forme de gouvernance doit partir du bas vers le haut afin d'assurer cette soi-disant concordance culturelle. Souvent, l'utilisation d'une constitution-type qui manque de souplesse peut empêcher la collectivité de donner ou de revoir son opinion sur la constitution de son gouvernement. C'est principalement une critique tirée d'un rapport qu'ils ont publié en 2002, peut-être sur une version antérieure du projet de loi.

Néanmoins, le projet de loi prévoit non seulement une constitution-type et un processus d'adhésion, mais il stipule aussi qu'une Première nation peut adopter sa propre constitution. Cependant, si elle veut que sa constitution soit approuvée par le vérificateur général, elle doit contenir certains éléments requis. Ainsi, le deuxième mécanisme prévu qui permet à la collectivité de participer à la rédaction et au processus aide à remédier aux problèmes pouvant être associés à une constitution-type.

Le sénateur Tardif : La mise en œuvre du projet de loi comporte-t-elle, à votre avis, d'importantes conséquences financières? On entend toujours ce reproche, c'est-à-dire que la mise en œuvre de ce projet de loi représentera un énorme fardeau financier pour la population. Quel est votre avis?

M. Laverdure : Aux États-Unis, par exemple, les gouvernements tribaux obtiennent leur financement principalement auprès de deux grandes sources. La première provient de l'exploitation de ressources naturelles qui leur appartiennent. Dans une affaire remontant à 1938, il a été déterminé qu'à toutes fins pratiques, les tribus indiennes étaient propriétaires des ressources naturelles souterraines de leur territoire. Les activités d'extraction leur permettent de se doter de mécanismes financiers indépendants pour gérer leurs gouvernements. La deuxième grande source, c'est les subventions fédérales et les sommes allouées au Bureau of Indian Affairs, qui joue un rôle semblable à celui d'AINC. Il y a différentes formes d'applications judiciaires, comme les projets de tribunaux consacrés aux affaires de drogue. Les gouvernements tribaux ont aussi accès à d'autres fonds et ils doivent soumettre une demande de subvention, en concurrence avec d'autres administrations locales. Vu sous cet angle, on pourrait dire que c'est un fardeau financier pour le grand public. Je vois ça plutôt comme des collectivités autochtones qui ont recours à leurs propres types de gouvernements historiques gérés localement pour répondre aux préoccupations de leurs membres. Ces gouvernements doivent typiquement rendre des comptes à leurs membres ou citoyens. Dans un cadre d'autonomie gouvernementale, lorsque des dirigeants prennent de mauvaises décisions financières, ils en sont tenus responsables en bout de ligne. De cette façon, c'est conforme à l'idée qu'on se fait de l'autonomie gouvernementale. Je ne sais pas comment les choses se dérouleront ici sur le plan financier une fois que ces gouvernements auront été constitués. Je suppose que la collectivité soumettra au gouvernement fédéral un budget pour examen et révision, puis l'argent sera versé pour tout programme visé par l'autonomie gouvernementale. Voilà ce que comporte aujourd'hui le programme d'autonomie gouvernementale des États-Unis.

Le sénateur St. Germain : Monsieur Laverdure, vous dites dans votre conclusion que les collectivités autochtones doivent jouer un rôle dans la création de leurs propres gouvernements, autrement, ceux-ci pourraient être perçus comme un autre outil fédéral. Vous poursuivez en disant que ce qui est encore plus important, c'est que la loi devrait être amendée pour exiger la création de tribunaux tribaux indépendants — qui est une démarche essentielle pour assurer l'autonomie gouvernementale véritable des Autochtones et leur autodétermination.

Dans beaucoup de cas, cela voudrait dire qu'on placerait un énorme fardeau financier sur les petites collectivités qui aspirent à l'autonomie gouvernementale par le biais de cette loi. Je me trompe peut-être, mais depuis que nous travaillons sur ce projet de loi, je prends pour acquis que la plupart des Premières nations qui adhéreront à cette loi le feront pour améliorer leur viabilité économique et qu'elles seraient déjà viables économiquement au sens de la loi. Si nous devions établir un appareil judiciaire tribal indépendant, le fardeau financier sur ces tribus serait assez important. Avez-vous des solutions à proposer pour atténuer ça?

M. Laverdure : Dans les 48 États américains du Sud, il y a diverses situations. Par exemple, en Californie, les petites tribus n'ont pas d'appareil judiciaire tribal. Elles préfèrent avoir recours à un plus gros système judiciaire, habituellement les tribunaux fédéraux ou ceux des États. Bon nombre ont décidé de ne pas en établir pour diverses raisons. Ainsi, il est possible que des collectivités s'étant dotées d'un gouvernement et ayant trouvé la stabilité économique n'aient pas d'appareil judiciaire.

Il y a quelque 560 gouvernements tribaux, et je sais que vous avez 630 communautés; on voit que les chiffres sont proches. Pour ce qui est de la nation Crow, dont je suis le juge en chef, nous sommes d'avis que l'établissement d'un appareil judiciaire et l'application et l'interprétation de nos propres lois nous permettent de préserver notre culture et notre langue et de nous assurer une certaine stabilité favorisant le développement économique.

Le système judiciaire est grandement sous-financé, ce qui entraîne des problèmes. Par exemple, le secteur financier peut ne pas se sentir à l'aise de rendre des comptes à un appareil judiciaire autochtone sous-financé. Nous avons constaté que bon nombre d'entreprises ont réussi à obtenir que tout tribunal compétent puisse rendre une décision dans une affaire. Ça semble faciliter l'investissement économique et la stabilité que vous recherchez par le truchement de ce projet de loi.

J'ai dit ouvertement que le projet de loi S-16 stipule modestement que les Premières nations ne sont pas tenues de se doter d'un appareil judiciaire indépendant, mais nous voyons de bonnes raisons que ce soit inscrit. Cela dit, ça ne fait peut-être qu'illustrer les différences entre les deux pays.

Le sénateur St. Germain : Monsieur Macklem, la question du vérificateur général a été soulevée. Cette intervention a été prévue dans le projet de loi pour assurer la transparence, la reddition de comptes et la solvabilité. Avez-vous des choses à dire, bonnes ou mauvaises, sur le recours au vérificateur général pour examiner la constitution? Cette disposition a été insérée, logiquement, parce que le vérificateur général du Canada est le chien de garde en ce qui a trait aux dépenses et aux ministères gouvernementaux, et nous avons estimé que c'était une bonne chose. Certains doutent de la légitimité de cette intervention par ceux qui ont participé à la rédaction du projet de loi. Avez-vous des commentaires à cet égard?

M. Macklem : Je crois que c'est une excellente idée. Plus on exigera de transparence et de reddition de comptes tout en reconnaissant le besoin pour les gouvernements autochtones d'être constitués du bas vers le haut, mieux ce sera. Que ce soit un secrétariat qui approuve les constitutions ainsi que les ententes fiscales et financières, ce qui avait été recommandé initialement il y a longtemps dans le rapport Penner, ou que ce soit un bureau plus contemporain, comme le Bureau du vérificateur général, qui examine les propositions et les constitutions, peu importe. J'avais pris connaissance des versions antérieures du projet de loi, mais quand j'ai vu les dispositions concernant le vérificateur général, j'ai été agréablement surpris. D'après moi, c'est une excellente idée. Je me suis dit, pourquoi pas? Si j'ai bien compris, c'est facultatif. C'est-à-dire qu'une Première nation n'est pas tenue d'obtenir l'approbation du vérificateur général, mais le mécanisme est là. Ça me semble une bonne idée.

Le sénateur Watt : J'ai une question assez directe à vous poser. Lorsqu'une loi est adoptée, que ce soit par un gouvernement fédéral ou provincial, et sachant que cette loi aura des conséquences culturelles, sociales et économiques pour nous, que proposez-vous que nous fassions? En tant que peuple autochtone, comment gérer ça si nous avons des institutions gouvernementales? Comment les transactions entre les deux gouvernements se passeront-elles? Quels mécanismes doit-on établir pour que des mesures soient prises des deux côtés?

Supposons que le gouvernement du Canada adopte une loi sur les armes à feu, qui aura un impact sur des peuples autochtones du pays dont la survie est liée à une activité connexe. Sachant qu'une telle loi aura des conséquences néfastes, notamment, sur le plan économique, social et culturel, comment devrons-nous réagir? Comment devons-nous nous comporter avec le gouvernement et les autorités de l'autre côté pour défendre nos propres droits? Nos droits ne sont pas sérieusement pris en compte et on nous désavantage économiquement. Ça arrive tous les jours.

M. Macklem : C'est une excellente question, sénateur. Permettez-moi d'essayer de vous répondre en vous présentant deux scénarios différents. Je vais vous présenter les résultats dans les conditions actuelles et les résultats qu'on pourrait avoir en vertu du projet de loi S-16. Comparons les deux situations. Disons qu'une loi provinciale est adoptée qui a des effets importants sur les intérêts d'une Première nation, que ce soit au niveau culturel, économique, et cetera. Que peut faire une Première nation pour répondre...

Le sénateur Watt : Si la Première nation s'est dotée d'institutions gouvernementales.

M. Macklem : Tout à fait. L'institution gouvernementale à la disposition de la Première nation dans le cadre de ce scénario serait le conseil de bande. Celui-ci aurait quatre options : il peut engager une poursuite; il peut revendiquer le fait que cette loi interfère avec certains droits conférés par l'article 35; il peut essayer de négocier un compromis acceptable; ou il peut se fier au cadre légal dans lequel cette mesure existe. Si une loi provinciale interfère avec un règlement déjà adopté par une bande indienne qui traite du même sujet, bien que différemment, ce règlement aura préséance en cas de conflit.

Le projet de loi S-16 élargit les options parce qu'il fait plus de place à la gouvernance. Il augmente le nombre de domaines dans lesquels les Premières nations peuvent légiférer. Dans un monde où le projet de loi S-16 est en vigueur, si une loi provinciale devait interférer avec les intérêts fondamentaux d'une Première nation, celle-ci pourrait aussi engager des poursuites en vertu de l'article 35. Elle pourrait dire que l'intervention de la province est inconstitutionnelle. Elle pourrait essayer de négocier une entente ou exercer ses pouvoirs législatifs pour supplanter l'application de cette loi provinciale. Les pouvoirs législatifs de la Première nation sont déterminés par les compétences législatives dont elle s'est prévalue dans l'annexe 2 et des domaines de compétence visés par la loi provinciale. Pour répondre à votre question hypothétique, le projet de loi S-16 accroît les possibilités à la portée d'une Première nation.

Le sénateur Watt : Est-ce que ça permet de présenter un projet de loi sans que celui-ci n'entre en vigueur avant que les deux parties aient réglé les problèmes? Vous pouvez peut-être nous aider vu la connaissance que vous avez de l'expérience américaine. Aux États-Unis, il n'y a pas de problème de domaine de compétence, de pouvoirs et de choses de ce genre comme au Canada. Comment ça se passe?

M. Laverdure : En réalité, il y a beaucoup de problèmes relatifs aux domaines de compétence aux États-Unis. Il y a quelques règles et cas qui s'appliquent dans la loi. D'abord, les lois fédérales de portée générale ne s'appliquent pas aux tribus ni à leurs membres à moins que ça ne soit expressément dit dans la loi. Deuxièmement, lorsque la Constitution a été adoptée, les États ont délégué leurs pouvoirs concernant les affaires indiennes à l'administration fédérale. Par conséquent, à moins que le gouvernement fédéral ne dise précisément dans une loi qu'un État peut adopter des mesures législatives concernant des terres autochtones ou les membres d'une tribu, cet État ne peut pas le faire, et s'il le fait, il peut faire l'objet d'un litige.

Le sénateur Watt : C'est uniquement fondé sur la délégation de pouvoir?

M. Laverdure : Les administrations locales n'auraient aucun pouvoir dans ce domaine; ça ne serait qu'une question touchant la tribu. Cela dit, à savoir s'il y a des domaines où les tribus ne peuvent pas assurer la prestation de services à leurs membres et ainsi exercer leur pleine autonomie gouvernementale, disons qu'il arrive souvent que la prestation d'un service soit prévu dans des conventions locales ou des ententes entre une Première nation — la communauté tribale — et l'administration locale. Par exemple, la Première nation peut demander d'avoir des services d'égout et d'adduction d'eau et, en tant que gouvernement, elle négociera en vertu de sa constitution un accord pour la prestation de ces services. Il se peut que la Première nation décide de gérer elle-même son programme, mais qu'elle demande d'avoir accès à notre système.

Ce type d'entente est possible, que vous ayez une loi qui prévoit ça ou non.

M. Macklem : Votre question renvoie à une dimension très profonde du système fédéral canadien. Mettons de côté pour un moment les Premières nations. Si on prend une définition simplifiée du fédéralisme canadien, on peut dire qu'il y a deux ordres de gouvernement, chacun étant relativement souverain dans son domaine de compétence et suivant certaines règles pour gérer les différends. Une définition un peu plus approfondie prévoit toutes sortes d'ententes, d'échanges et de conversations entre les deux ordres de gouvernement en raison de leurs domaines de compétence souverains, comme des négociations fédérales-provinciales, des occasions de tenir des consultations et des discussions et des ententes fédérales-provinciales qui n'ont pas force de loi, mais qui facilitent néanmoins le fonctionnement du système fédéral.

Vu que les gouvernements des Premières nations ne sont pas reconnus comme faisant partie du système fédéral, cela signifie que des ententes moins formelles mais plus concrètes entre, d'un côté, le gouvernement fédéral et les provinces, et, de l'autre côté, les Premières nations, n'ont pas pu être établies. Nous ne faisons que commencer à envisager la possibilité que les Premières nations constituent un troisième ordre de gouvernement. La fédération n'a pas encore eu le temps d'établir des relations trilatérales informelles mais plus concrètes favorisant les consultations et les discussions entre ces différents joueurs politiques avant l'adoption d'une loi. Puisque nous n'en sommes qu'au début du processus, nous n'avons pas encore abordé les autres aspects du système fédéral qu'a soulevés votre question.

Le sénateur Watt : Cela signifie-t-il que nous allons attendre encore 100 ans avant de nous attaquer au cœur des questions dont il faut s'occuper?

M. Macklem : Non. Cela signifie que le processus visant à conférer aux Premières nations la capacité juridique d'exercer le pouvoir d'édicter des lois contribuera à établir des relations constitutionnelles et juridiques beaucoup plus complexes entre les trois paliers de gouvernement qui donneront lieu à l'élaboration des pratiques, des conventions et des normes nécessaires à une bonne compréhension de l'ordre fédéral, qui inclura les Premières nations.

Le sénateur Watt : Il faut donc faire notre part.

M. Macklem : Tout à fait.

M. Laverdure : La Constitution américaine ne contient aucune disposition qui reconnaît les gouvernements tribaux. Malgré l'absence de cette reconnaissance constitutionnelle, il existe de tels gouvernements à de nombreux niveaux, qui bénéficient d'une reconnaissance juridique et politique, en majeure partie grâce à la Indian Reorganization Act de 1934. Je crois que le projet de loi S-16 pourrait déclencher le même type de statut légal et politique au sein des différents ordres de gouvernement que l'on a pu observer aux États-Unis au cours des 70 dernières années.

Le président : En ce qui concerne l'acquisition de l'autonomie gouvernementale par les Premières nations, vous ne vous attardez probablement qu'à la légalité et à la constitutionnalité des dispositions de la loi. Cependant, aux yeux des Premières nations, il s'agit d'un processus très lourd. En vertu du paragraphe 4(5), la proposition doit contenir l'identité de la Première nation, la dénomination proposée pour la Première nation, une description des terres autochtones de la Première nation, les détails des traités et accords antérieurement conclus, une description du patrimoine tribal et une copie de tout rapport provenant du vérificateur général.

Cela me semble être un processus lourd. Si je me souviens bien, ce qu'on reprochait entre autres au projet de loi C-7, c'était la lourdeur du processus.

On pourrait aussi dire que le gouvernement canadien essaie de modeler les gouvernements autochtones sur le sien. Je sais que l'un des principaux enjeux de l'autonomie gouvernementale est la reddition des comptes. Le gouvernement fédéral est très préoccupé par la reddition des comptes, alors j'aimerais que vous émettiez des commentaires à ce sujet. Vous êtes-vous interrogé sur la lourdeur du processus et la tentative du gouvernement fédéral de rendre les Premières nations identiques au reste des Canadiens, leur enlevant par le fait même leur individualité et leur caractère unique?

Monsieur Macklem, je m'adresse à vous parce que vous êtes le spécialiste canadien de ce domaine, dans un sens, et vous avez peut-être une opinion sur le sujet.

M. Macklem : Il y a longtemps que je me suis penché sur le projet de loi C-7 et le débat qu'il a suscité, surtout l'argument selon lequel il s'agissait d'un processus lourd et trop réglementé.

À mon avis, les problèmes que comportait le projet de loi C-7 ne concernaient pas tant ce qui était proposé, mais plutôt ce qui était omis. Il ne proposait pas grand-chose et en plus il comptait de nombreuses exigences, tandis que le projet de loi S-16 propose un changement véritable et considérable.

Une Première nation qui cesse d'être assujettie à la Loi sur les Indiens en établissant une constitution qui lui confère le pouvoir d'élaborer des lois au sujet des éléments énumérés à l'Annexe 2 procède à une transformation de grande ampleur. Puisqu'il s'agit d'une transformation de grande ampleur, le processus est nécessairement très complexe; il est technique et il est lourd. Pour cesser d'être assujettie à la Loi sur les Indiens, une Première nation doit respecter de nombreuses exigences et prendre un grand nombre de mesures. Il s'agit d'une décision sérieuse qui entraîne de grandes conséquences, alors j'estime que la complexité du processus est justifiée.

Supposons qu'une Première nation envisage de procéder à cette transformation. Les membres de cette Première nation devront débattre des mérites de cette décision; ils devront procéder à un autoexamen très rigoureux. Cette Première nation devra examiner ses ressources et sa situation financière ainsi que les fonds détenus actuellement en fiducie par la Couronne qui lui seraient transférés. Elle devra se poser les questions suivantes : que pouvons-nous nous permettre? pouvons-nous véritablement nous permettre de procéder à cette transformation? quels pouvoirs pouvons- nous réellement nous permettre d'exercer? quels pouvoirs parmi ceux énumérés à l'Annexe 2 avons-nous véritablement besoin d'exécuter? quel sera notre avenir sur le plan de la gouvernance?

Ce sont des questions très sérieuses, et il existe des règles strictes relatives à la majorité renforcée qui régissent l'adoption de la constitution ainsi que des exigences liées à la responsabilité financière que j'estime entièrement justifiées, étant donné l'ampleur de la décision.

Le président : J'ai remarqué que le projet de loi présente aussi deux définitions, qui ne font pas partie des définitions que nous connaissons données par les tribunaux canadiens. Je parle de la définition du terme « titre autochtone », qui se lit comme suit : « À l'égard d'une terre, les droits permanents d'une Première nation sur une terre. »

Deux pages plus tôt, il est écrit : « `` Premières nations '' : selon le cas : tout groupe d'autochtones qui a des terres autochtones et est reconnu en tant que nation, tribu, bande, peuple ou autre groupe autochtone. » Le terme « groupe d'autochtones » est nouveau. Je me demande si ces nouveaux termes risquent de causer des problèmes. J'imagine que les tribunaux auront beaucoup de difficulté à définir ce qui est « permanent » et ce qui est « autochtone ». Voyez-vous cela comme un problème?

M. Macklem : Mme Hurley a posé des questions similaires, qui sont de bonnes questions.

Permettez-moi d'abord de me pencher sur la définition de « Première nation ». Cette définition englobe, d'après ce que je comprends, les Premières nations assujetties à un régime particulier de gouvernance établi par la première entente. Je pense en particulier à la Première nation sechelte de la Colombie-Britannique, qui a fait l'objet d'une autre question posée par Mme Hurley, à savoir qu'en est-il de la Première nation sechelte dans le cadre du projet de loi S-16? Ce projet de loi concerne-t-il uniquement les bandes indiennes qui sont régies sans équivoque par la Loi sur les Indiens, ou concerne-t-il les Premières nations qui ont conclu une forme de traité ou d'entente particulière en matière de gouvernance? À moins qu'il n'existe des dispositions visant les Premières nations qui disposent d'ententes particulières, je crois comprendre que la définition qui figure dans le projet de loi S-16 pourrait concerner une Première nation, comme la Première nation sechelte, qui souhaiterait exercer un plus grand pouvoir législatif. Le premier objectif de cette définition est d'inclure non seulement les Premières nations assujetties sans équivoque à la Loi sur les Indiens, mais aussi les Premières nations qui bénéficient d'ententes particulières, comme la Première nation sechelte.

L'utilisation du terme « groupe d'autochtones » est conforme au droit international et aux définitions qui sont actuellement élaborées dans le domaine du droit international relativement aux droits des peuples autochtones. Elle cadre avec la jurisprudence à laquelle on a recours pour régler au pays les problèmes liés aux Premières nations ou aux communautés autochtones qui ne sont pas, pour une raison ou pour une autre, entièrement reconnues en tant que bandes indiennes en vertu de la Loi sur les Indiens, ou en tant que Première nation ou peuple autochtone en vertu de l'article 35. Elle vise à établir un lien avec les perceptions internationales au sujet des peuples autochtones pour permettre de régler ce genre de problèmes que nous connaissons au pays.

Cette définition est axée sur les terres autochtones, ce qui signifie que le projet de loi S-16 s'applique aux Premières nations qui possèdent des terres autochtones. Ainsi, une Première nation, selon la définition, est tout groupe d'autochtones qui a des terres autochtones. C'est donc dire que le projet de loi S-16 ne concerne pas une collectivité autochtone qui ne possède aucune terre autochtone. Cela peut se révéler un problème pour certaines Premières nations du pays, mais ce n'est pas un problème que tente de régler le projet de loi S-16. Cette mesure législative vise les Premières nations qui possèdent des terres autochtones.

Quant à la définition du terme « titre autochtone », je trouve étrange qu'elle se trouve dans le projet de loi. Je crois qu'elle figure dans le projet de loi en raison des Premières nations qui ont des droits constitutionnels sur certains territoires, en vertu de l'article 35 de la Loi sur les Indiens, qui ne sont pas considérés comme étant des réserves, au sens de la Loi sur les Indiens. Cependant, une Première nation qui veut cesser d'être assujettie à la Loi sur les Indiens pour adopter le régime proposé dans le projet de loi S-16 pourrait revendiquer les terres de sa réserve, mais aussi les terres qui constituent un titre autochtone, au nom d'un droit constitutionnel. Elle serait en mesure de revendiquer ces terres dans le cadre de la nouvelle structure de gouvernance proposée dans le projet de loi S-16.

Ce que je crois, c'est que les rédacteurs ont tenté de rendre la définition du terme « titre autochtone » aussi identique que possible à la définition utilisée par la Cour suprême du Canada, conformément à l'article 35. Elle s'apparente à la définition que la cour a donnée dans la décision qu'elle a rendue dans le cadre de l'affaire Delmagamuuk c. Colombie- Britannique à propos de la nature et de la portée du terme « titre autochtone ». Toute modification à la définition du terme « titre autochtone », conformément à l'article 35, devrait être prise en compte lors de l'application de la définition qui figure ici dans le projet de loi. Ainsi, la présente mesure législative doit respecter l'évolution de la définition du terme « titre autochtone » en ce qui a trait aux questions d'ordre constitutionnel. Elle doit tenir compte de la jurisprudence.

Le sénateur Tardif : D'après les commentaires de M. Laverdure, j'ai cru comprendre que toute décision rendue par une Première nation pourrait faire l'objet d'un appel aux échelons fédéral et provincial, ce qui constitue une entrave considérable, et que les décisions devraient être rendues par un tribunal d'un système judiciaire tribal indépendant.

Le projet de loi S-16 serait-il assez souple pour permettre la création d'un tel système dans l'avenir, parce que ne nous voulons pas nécessairement que cela ait lieu maintenant? Si cette mesure législative était adoptée, serait-elle suffisamment souple pour permettre la création d'un système judiciaire tribal indépendant dans l'avenir? Vous avez dit qu'elle était modeste à certains égards.

M. Macklem : D'après ce que je comprends, le projet de loi S-16 confère le droit de faire appel auprès d'un tribunal provincial ou fédéral, selon l'affaire en cause. Par conséquent, les tribunaux provinciaux de haute instance, comme la Cour supérieure de l'Ontario, pourraient entendre un appel d'une décision rendue par un tribunal d'une Première nation. De tels appels pourraient au bout du compte être entendus par la Cour suprême du Canada, si la permission est octroyée. Si le projet de loi S-16 est adopté, il faudra modifier cette mesure législative pour empêcher que des appels soient entendus par des tribunaux provinciaux. Il faudra apporter des modifications législatives dans l'avenir. Cette question me préoccupe moins que mon collègue. Au Canada, il n'existe pas de système judiciaire des Premières nations, tandis qu'aux États-Unis, des tribunaux tribaux existent depuis passablement longtemps.

De même, le système judiciaire du Canada est différent de celui des États-Unis, où il existe des tribunaux étatiques et de district. Nous avons l'habitude que des tribunaux provinciaux d'instance supérieure traitent certaines affaires et que la Cour supérieure du Canada traite d'autres affaires. Nous avons aussi des cours d'appel, mais je ne prétends pas que les États-Unis ne soient pas habitués à ce que des cours d'appel aient une opinion qui diverge de celle des tribunaux d'instance inférieure et des décisions rendues à propos de certaines questions de droit. Même si des tribunaux des Premières nations, s'ils venaient à exister, rendaient des décisions, ces décisions pourraient faire l'objet d'appels auprès des tribunaux du système judiciaire actuel. Il serait tout à fait approprié que la Cour fédérale d'appel et la Cour suprême du Canada renversent des décisions rendues par un tribunal d'une Première nation. On prend un risque en incluant les gouvernements autochtones dans l'ordre constitutionnel, mais on prend aussi un risque en les excluant. Il faut trouver un équilibre entre l'autonomie et l'intégration, et le fait qu'il existe un ou deux mécanismes d'appel ne me préoccupe pas autant que mon collègue.

Le sénateur Watt : J'ai une question à vous poser au sujet du fait que le projet de loi soit trop axé sur la réserve. Dans le projet de loi S-16, cela pourrait être dans l'intérêt de la réserve et des environs, même si cela ne relèverait pas de la compétence des autorités de la réserve. Est-ce que le projet de loi tient compte de la contiguïté? Le projet de loi tient-il compte de l'utilité des lieux environnants sur les plans économique et social, comme les lieux de pêche, qui sont adjacents à la réserve? Le projet de loi en tient-il compte ou est-il trop axé sur la réserve? Comment peut-on l'améliorer si c'est le cas?

M. Macklem : En général, le pouvoir législatif conféré à une Première nation en vertu du projet de loi peut être exercé uniquement sur le territoire de cette Première nation. Elle peut édicter des lois qui régissent des activités qui ont lieu sur ses terres.

Le sénateur Watt : Voulez-vous dire sur la réserve?

M. Macklem : Elle peut édicter des lois régissant des activités qui ont lieu sur son territoire. On n'utilise pas le mot « réserve », et c'est pourquoi je suis réticent à l'employer.

Le sénateur Watt : Dans un sens, c'est une réserve.

M. Macklem : Oui, dans un sens. Une loi édictée par une Première nation ne s'appliquerait pas à l'extérieur de son territoire, quoi qu'il existe deux exceptions à cela. L'une concerne certaines questions liées au droit de la famille, et l'autre concerne l'éducation, dans certaines circonstances. En général, les lois ne s'appliquent que sur les territoires.

Le sénateur Watt : Si un ministre provincial de l'Éducation dispose du pouvoir de révoquer une loi, en vertu de la Constitution, que prévoit le projet de loi dans ce cas-là? Est-ce que ce serait le gouvernement de la réserve ou de la bande qui disposerait de ce pouvoir plutôt que le ministre dans le cas d'une loi concernant la langue d'enseignement? Qu'arriverait-il dans ce cas-là?

À plusieurs égards, les Inuits sont différents des Autochtones qui habitent dans les réserves en ce sens que la Loi sur les Indiens ne s'applique pas nécessairement toujours aux Inuits. Je viens de l'Arctique, et c'est pourquoi je pose ces questions sur l'aspect du projet de loi qui concerne les territoires. Je proviens d'un grand territoire et non d'une réserve. Cette mesure législative pourrait avoir des répercussions sur la vie quotidienne si elle était adoptée sans tenir compte de cela. Elle pourrait s'avérer défavorable pour les Inuits.

M. Macklem : Une loi en matière d'éducation édictée par une Première nation pourrait remplacer une loi provinciale actuelle portant sur l'éducation dans une réserve.

Le sénateur Watt : Cela pourrait-il être fait uniquement par l'entremise d'une entente parallèle?

M. Macklem : L'Annexe 2 autorise une Première nation à exercer un pouvoir législatif dans le domaine de l'éducation sur son territoire.

Le sénateur Watt : Le pouvoir serait conféré à la Première nation en question.

M. Macklem : Oui, mais il y a bien plus que cela. La Première nation en question pourrait édicter ses propres lois en matière d'éducation, lesquelles, si elle le souhaite, pourraient remplacer les lois provinciales. Dans ce cas, le ministre n'exercerait plus aucune autorité sur les questions liées à l'éducation dans la réserve.

L'éducation est l'un des quelques domaines où l'exception domine, de sorte que les lois en matière d'éducation adoptées par une Première nation puissent s'appliquer à l'extérieur de son territoire. L'article 22 de l'Annexe 2 stipule qu'une Première nation peut édicter des lois en matière d'éducation des membres, indépendamment de leur lieu de résidence. C'est là un exemple d'un domaine où il faudrait procéder à un processus d'harmonisation. Si une Première nation adopte une loi en matière d'éducation des membres qui ne résident pas sur son territoire, cette loi devrait être harmonisée avec les lois provinciales sur la même question.

Le projet de loi S-16 prévoit que, s'il y a un conflit, les lois d'une Première nation auraient préséance sur les lois provinciales. Cette règle inciterait fort probablement les deux parties à négocier une certaine entente visant à harmoniser leurs intérêts concurrents.

Le président : Je remercie M. Laverdure et M. Macklem pour leurs témoignages, qui seront utiles au comité. Au cours des dernières années, le comité a étudié de nombreux projets de loi sur l'autonomie gouvernementale des Premières nations, et il est certain qu'il en examinera d'autres.

La séance est levée.


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