Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 10 - Témoignages du 15 juin 2005
OTTAWA, le mercredi 15 juin 2005
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui à 18 h 20 pour étudier, afin d'en faire rapport, la participation des peuples et entreprises autochtones aux activités de développement économique au Canada.
Le sénateur Nick G. Sibbeston (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, nous entendrons ce soir des témoins de l'Assemblée des Premières nations. J'invite le chef régional de l'Alberta pour l'Association des Premières nations, le chef Jason Goodstriker, à prendre place.
Le chef Jason Goodstriker, chef régional de l'Alberta, Assemblée des Premières nations : Bonsoir. Ma collègue, Mme Judy Whiteduck, est directrice du développement économique à l'Assemblée des Premières nations. M. Dean Polchies est un ancien leader de la région de l'Atlantique. Nous sommes très heureux d'avoir du personnel compétent pour s'occuper de ce dossier de plus en plus important. Nous nous y intéressons depuis quelques années et nous sommes très heureux d'avoir une continuité. Nous sommes également ravis que ce soit une priorité majeure pour les gens de nos Premières nations.
Distingués membres du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, je vous remercie, au nom de l'Assemblée des Premières nations — l'APN —, ainsi que de nos comités de chefs chargés du développement économique et du développement des ressources humaines, de nous avoir invités à comparaître devant votre comité.
À titre de responsable du portefeuille des partenariats économiques à l'APN, je suis heureux que votre comité réalise une étude sur le développement économique autochtone. Je tiens cependant à préciser que ma présentation portera expressément sur la situation relative à la politique économique des Premières nations.
Le 31 mai 2005, le chef national, au nom de l'Assemblée des Premières nations, et le ministre des Affaires indiennes et du Nord, au nom du gouvernement fédéral et de la Couronne, ont signé un accord politique visant la reconnaissance et la mise en place de gouvernements des Premières nations. Le chef national a qualifié cet accord d'étape historique dans les relations entre les Premières nations et le gouvernement fédéral, et d'occasion de donner vie aux droits ancestraux inhérents et aux droits issus de traités que l'article 35 de la Constitution canadienne reconnaît aux Premières nations.
Cet accord décrit les éléments qui vont orienter nos rapports pendant un bon bout de temps. Il contient des descriptions des importantes priorités de développement politique et culturel de nos communautés, depuis la gouvernance et la langue jusqu'à la santé des individus et au développement économique.
Un des articles du protocole est consacré spécifiquement à l'importance de la mise en place de gouvernements des Premières nations et de leur développement socioéconomique. J'ai remis un exemplaire de ce protocole à la greffière du comité à votre intention. L'article dont je parle évoque la nécessité que les Premières nations aient des gouvernements forts, une bonne capacité économique et la possibilité d'établir des partenariats; il fait également état des questions de partage des compétences.
Dans l'espoir de faire avancer le débat, je veux vous présenter nos recommandations — qui se rattachent toutes à cette nouvelle relation — au sujet de ce qui peut être fait pour permettre aux économies des Premières nations d'enregistrer des résultats positifs.
À partir des résultats obtenus par les Premières nations par suite des travaux de la Table ronde Canada- Autochtones sur les perspectives économiques, de même que des directives qui ont été données à l'Assemblée des Premières nations selon les mécanismes qui nous sont propres, par exemple les résolutions nationales des chefs réunis en assemblée, les travaux des comités de chefs et le travail technique de notre secrétariat, nous proposons l'élaboration d'une nouvelle stratégie économique commune au gouvernement fédéral et aux Premières nations. Cette stratégie viserait à réitérer l'importance d'établir une assise économique solide dans nos communautés, et à réunir les Premières nations et les autres intéressés dans un sommet économique qui permettrait de dialoguer sur les recommandations soutenant cette stratégie.
Nous estimons que ces efforts, et leurs résultats, pourraient très bien faire l'objet des prochaines étapes des discussions dans le cadre de la Table ronde Canada-Autochtones, dans le respect de nos mécanismes et des travaux fédéraux antérieurs, par exemple la Commission royale sur les peuples autochtones et même les évaluations de programmes au niveau des bureaucrates.
Nous savons que toute nouvelle stratégie devra être suffisamment souple pour encourager la croissance économique à tous les stades. Elle devra inclure une approche dynamique pour aider nos économies en dépression et contenir des initiatives particulières pour poursuivre le développement de nos économies plus dynamiques.
Un sommet économique permettrait aux Premières nations, à tous les stades de leur développement économique, de porter les discussions sur la transformation des politiques à un niveau supérieur. Même s'il faudra prendre plusieurs mesures conjointement, ce sommet économique devrait susciter à notre avis des discussions stratégiques sur au moins cinq grandes questions.
La première de ces questions, c'est l'examen de l'infrastructure économique nécessaire dans les communautés, à l'échelle régionale et nationale. L'infrastructure peut inclure par exemple le cadre de financement budgétaire, les programmes, les mesures incitatives, les ressources humaines, les capacités gouvernementales et les besoins de financement innovateur. La stratégie devra établir les moyens de placer les Premières nations à la proue des processus décisionnels pour les questions favorisant notre croissance économique.
Le deuxième point, c'est l'identification de nouveaux niveaux de soutien et d'activité pour les priorités universelles que sont les femmes, les jeunes, la connectivité et la mobilité.
Le troisième élément, ce sont les moyens de favoriser la collaboration avec le secteur privé non autochtone. Cette collaboration est essentielle pour examiner et élaborer les mécanismes qui aideront à avoir accès aux processus d'achat de la société non autochtone.
Le quatrième élément, c'est l'exploration de nouveaux outils pour soutenir notre activité touchant l'exploitation des ressources, le partage de ces ressources, le développement de liens commerciaux, et le perfectionnement de notre main- d'œuvre et de nos compétences.
La dernière de ces grandes discussions stratégiques consisterait à établir des systèmes pour favoriser le développement régional et trouver des moyens d'amener les gouvernements, les provinces et les Premières nations à travailler ensemble à des initiatives économiques.
Cet exercice nécessitera sans aucun doute des changements législatifs, une modification des politiques, des ajustements dans les pouvoirs de financement et une clarification des champs de compétence.
Nous reconnaissons qu'il sera important, dans cet exercice, de travailler avec des partenaires fédéraux comme Affaires indiennes et du Nord Canada, Industrie Canada, Ressources humaines et Développement des compétences Canada, Environnement Canada, Ressources naturelles Canada et d'autres. Nous allons continuer de travailler avec les partenaires qui sont déjà là et nous allons tenter d'établir de nouveaux rapports de travail. Nous reconnaissons pleinement l'importance de suggestions éclairées sur la coordination.
Nous reconnaissons également depuis plusieurs années que les règles et les cadres existants pourraient avoir besoin d'une cure de rajeunissement. La Stratégie canadienne de développement économique des Autochtones, adoptée en 1989, représentait une approche innovatrice et intéressante pour l'époque, mais elle sert toujours de modèle à presque tous les programmes économiques visant nos communautés. Or, nos économies ont changé depuis 16 ans. À notre avis, il est temps de discuter d'une nouvelle approche repensée afin d'aider les Premières nations dans leurs efforts pour rebâtir leurs économies.
De nombreux facteurs rendent cette nouvelle stratégie nécessaire. Non seulement nos jeunes sont rendus à l'âge où ils doivent être prêts à s'intégrer à la population active, mais nous vivons dans une ère où l'économie canadienne est forte et où il serait possible de réaliser de nouveaux progrès grâce à l'entreprenariat des Premières nations et au succès économique accru de nos communautés.
Nous nous rappelons les rapports du vérificateur général dans lesquels on recommandait une meilleure coordination économique et des capacités économiques accrues pour nos communautés. Nous nous rappelons aussi d'autres événements importants qui ont contribué à faire évoluer les rapports entre les Premières nations et la Couronne, ou le gouvernement fédéral, et qui ont aidé à jeter de nouvelles bases pour de meilleures relations économiques entre les Premières nations et le Canada.
Ces événements incluent notamment la reconnaissance des droits des Autochtones en vertu de la Loi constitutionnelle de 1982. L'année suivante, dans le rapport Penner, le Comité spécial des Communes sur l'autonomie politique des Indiens préconisait le partage des revenus tirés des ressources naturelles comme source indépendante de financement pour les Premières nations jouissant de l'autonomie gouvernementale et recommandait que la doctrine de l'extinction des droits ne soit plus appliquée dans le règlement des revendications.
En 1985, le Groupe d'étude de la politique des revendications globales prônait le partage des revenus provenant des ressources naturelles comme solution de rechange à l'extinction des droits sur ces ressources, tout comme l'honorable A.C. Hamilton dans son rapport intitulé « Un nouveau partenariat », qu'il a présenté en 1995 au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien.
Quelque temps après, en 1996, la Commission royale sur les peuples autochtones présentait ses recommandations. En 1997, la Cour suprême du Canada précisait dans l'arrêt Delgamuukw que le titre autochtone s'applique autant aux droits miniers qu'aux terres. Et, plus récemment, il a été établi que le gouvernement fédéral devait consulter les Premières nations avant de pouvoir exploiter les ressources naturelles présentes sur leurs terres traditionnelles.
Nous avons donc des rapports, des jugements et des conclusions qui aident à jeter les bases d'une nouvelle stratégie économique. Nous pouvons aussi nous appuyer sur des arrêts récents qui font état des changements nécessaires, comme dans le récent exercice d'examen des dépenses fédérales qui a touché les programmes économiques des Premières nations et des Inuits. Nous devons élaborer de nouveaux mécanismes pour protéger les enveloppes de développement économique contre les compressions massives.
D'après ce que nous avons entendu dire, l'exercice d'examen des dépenses qui se déroule en ce moment pourrait entraîner des pertes d'au moins 107 millions de dollars au cours des quatre prochaines années, et des pertes nettes qui pourraient s'élever à 300 millions de dollars. La décision de supprimer ces programmes a été rejetée par notre comité des chefs sur le développement économique, et une résolution nationale en ce sens a été adoptée en mars dernier.
La définition pratique du développement économique se rattache aux résultats et aux changements à long terme. Comme vous le savez, les compressions dans les programmes visant ces changements à long terme feront augmenter les coûts sociaux.
J'aimerais terminer sur une note positive, en vous disant que nous devons poursuivre nos efforts en vue de l'adoption d'une politique significative par le gouvernement fédéral et les Premières nations. Ensemble, nous pouvons améliorer l'économie de toutes les communautés du Canada. Nos rapports sont bien établis. Nous avons maintenant besoin de politiques.
Le sénateur Watt : J'ai participé à la table ronde au cours de laquelle le premier ministre a exprimé sa volonté de s'occuper plus en profondeur du droit des Indiens à l'autonomie gouvernementale et de continuer à améliorer les perspectives économiques offertes aux Autochtones de tout le pays. Je suis content qu'il y ait une nouvelle idée, une nouvelle approche; il y a longtemps que nous l'attendions.
Les droits constitutionnels ont été négociés en 1982, mais le gouvernement s'est montré réticent à mettre en œuvre l'article 35. Cela aurait dû se faire il y a longtemps. Vous avez bien résumé la situation en faisant le lien entre les droits et les perspectives économiques. C'est une bonne idée. Nous ne voulons pas de cadeaux; nous cherchons plutôt des moyens de développement économique et nous essayons de les relier au mouvement vers l'affirmation de nos droits. Si nous ne le faisons pas nous-mêmes, personne ne le fera. C'est une bonne chose pour toute la population canadienne.
Je vous félicite de nous avoir présenté cette idée, et nous ferons maintenant notre part pour poursuivre le travail. Quand nous nous réunirons entre nous, nous examinerons attentivement les questions que vous avez soulevées. Merci.
M. Goodstriker : La région d'où je viens, en Alberta, a certainement du potentiel. Mon amie Audrey Poitras, un des leaders métis, peut attester qu'il y a dans le sud de l'Alberta une communauté des Premières nations bien établie, visée par un traité. Un des articles du traité no 7, qui s'applique à tous nos gens, indique que nous avons un nouveau mode de vie. Comme les bisons ne sont plus là, notre mode de subsistance traditionnel n'est plus là non plus. Il y a des dispositions négociées sur l'éducation. Dans le traité no 7, il y a des dispositions exclusives sur le bétail et les charrues. Une entente fiduciaire a été conclue.
Je suis très enthousiaste au sujet des moyens que nous voulons prendre pour donner vie à ce processus vieux de 130 ans, qui est vital pour nos gens. Le logement et l'éducation sont maintenant des priorités, mais le développement économique doit en être une aussi parce que c'est une pièce clé du casse-tête. C'est très intéressant pour nous.
Le sénateur Fitzpatrick : Bienvenue, chef. Merci de vos commentaires très intéressants et très utiles.
Nous avons souvent entendu dire que toutes les politiques sont locales. En un sens, les économies sont locales aussi, et notre économie globale, au Canada, est la somme de nos économies locales.
J'aimerais que vous nous dressiez la liste des problèmes que vous anticipez pour le développement d'une économie et d'une industrie dans votre région. Je viens de l'Okanagan; nous en avons déjà parlé. Plusieurs des bandes de l'Okanagan ont fait des progrès, et je comprends les difficultés qu'elles doivent surmonter. Pouvez-vous nous parler des difficultés que vous devez surmonter dans votre région, et en Alberta en général?
M. Goodstriker : Ce que je constate, dans nos communautés, c'est que nous devons en faire encore plus avec notre argent.
J'ai déjà présidé le comité des finances de la tribu des Blood. C'était intéressant. C'est la plus grosse bande au Canada, et nous avions un très gros budget. J'examinais les salaires pour voir combien il restait d'argent dans la communauté et combien il en sortait. Dans l'ensemble, il y avait plus de sorties que d'entrées, et c'est la même chose dans toutes les communautés du pays, dans toutes les économies locales, pas seulement chez nous.
De façon plus générale, comme nous ne possédons pas nos terres en fief simple, c'est un processus bureaucratique extrêmement lourd, pour une bande ou une communauté, de lancer un projet de développement et de le mener à bien du début à la fin. Il faut consulter cinq ou six ministères avant de pouvoir lancer un projet, par exemple Justice Canada et Affaires indiennes et du Nord Canada. N'importe quel leader vous dira que c'est toute une affaire de passer du point A au point B dans un projet de grande envergure.
Ce sont les deux éléments qui ressortent tout particulièrement, mais mes collègues voudront peut-être ajouter quelque chose.
Mme Judy Whiteduck, directrice, Secrétariat des partenariats économiques, Assemblée des Premières nations : Les Premières nations doivent avoir des capacités accrues et disposer des outils nécessaires pour influer sur leur économie au niveau local. À l'heure actuelle, les moyens de financement sont en bonne partie entre les mains des autres gouvernements, et non des Premières nations. Les Premières nations doivent avoir plus de moyens de ce genre pour pouvoir déterminer à quoi leur économie devrait ressembler et être en mesure de répondre à leurs propres besoins en fonction des priorités de leurs communautés. Il est certain que, si leurs efforts visent à régionaliser les économies, elles devraient avoir ces moyens à leur disposition aux niveaux régional et local.
Le sénateur Fitzpatrick : Nous avons adopté récemment une loi sur le financement autochtone. Avez-vous eu l'occasion d'en profiter? Pensez-vous qu'il s'agit d'une étape positive?
Si j'ai bien compris, vous aimeriez pouvoir hypothéquer vos biens et vos propriétés, comme les gens peuvent le faire en dehors des réserves. Vous ne pouvez pas contracter d'hypothèques. J'ai cru comprendre également que vous trouviez qu'il y a trop de tracasseries administratives dans vos rapports avec Ottawa, n'est-ce pas?
M. Goodstriker : C'est le plus important, en fait. La privatisation et les hypothèques sont des choses que les chefs voudraient régler individuellement. Il faut en discuter. La position de l'Assemblée des Premières nations, c'est que, comme il s'agit de terres domaniales et à cause de la façon dont les communautés sont établies, il faut des mesures législatives pour régler cette question, de manière à ce que les systèmes économiques de prêts puissent faire partie de nos communautés sans que nous ayons à passer par un processus aussi long.
Le sénateur Gustafson : Bienvenue. Je pense que nous étions en déplacement avec le Comité de l'agriculture et des forêts à Lethbridge la dernière fois que nous vous avons rencontré. Ma question porte sur un élément d'information qui se trouve à la page 5 de votre mémoire, où vous dites que vous voudriez participer à l'activité du secteur privé non autochtone. Pouvez-vous nous en dire plus long là-dessus? Dans quels secteurs d'investissements privés travaillez-vous actuellement?
M. Goodstriker : Merci de votre question, sénateur. Dans la région de Lethbridge, vous avez vu les terres que nous exploitons. Nous en avons profité pour y construire le plus grand réseau d'irrigation au monde. Nous mettons le foin en balles, nous le transportons et nous l'expédions à une entreprise japonaise. Nous avons de bons rapports avec cette entreprise. Il y a aussi d'autres projets. Nous constatons que le marché international est très respectueux de nos communautés, et nous avons un assez bon accès à ce marché.
J'ai eu la chance, récemment, de participer à la mission commerciale Canada-Inde. L'Inde est un pays agricole. À mon avis, quand on veut augmenter ses débouchés sur les marchés internationaux, il est logique de parler aux gens des pays qui ne réussissent pas très bien. De cette façon, il est possible d'être les premiers sur plusieurs fronts. Nous sommes ravis d'avoir participé à ces discussions, et les gens étaient intéressés à nous parler. Nous aimerions certainement continuer de participer à des exercices de ce genre et de voir nos économies respectées, de façon à ce que les dollars restent dans nos communautés. C'est essentiel pour nos économies.
Le sénateur Gustafson : Vous avez des terres irriguées?
M. Goodstriker : Oui. Ces projets de grande envergure sont intéressants et stimulants pour les communautés. Un certain nombre de chefs, et d'autres, m'ont demandé comment ils pourraient lancer des projets de ce genre. Les idées sont là. C'est difficile quand une communauté ne peut offrir que trois ou quatre bons emplois, par exemple un siège au conseil. Il faut renverser la situation; c'est une priorité.
Le sénateur Gustafson : À la page 7 de votre mémoire, vous dites que le titre autochtone s'applique aux droits miniers tout autant qu'aux terres. Vous faites allusion aux revenus pétroliers, n'est-ce pas? Pouvez-vous nous expliquer ce qui se passe à cet égard?
M. Goodstriker : Nous avons signé des traités il y a un certain nombre d'années. Vers 1930, le gouvernement fédéral a transféré la propriété des ressources naturelles aux provinces. Nos communautés sont toujours très déçues que le gouvernement ne nous ait pas consultés au sujet de ce transfert. C'est encore un sujet de discussion. Mais le transfert s'est fait, et les compagnies font de bonnes affaires. Dans ma région, les choses bougent vite; nous devons donc nous rattraper et prendre notre part de ces revenus. Normalement, les communautés devraient être conjointement propriétaires de ces revenus parce que le transfert aux provinces n'a jamais été négocié.
Le sénateur Gustafson : Je pense que la situation n'est pas la même en Alberta et en Saskatchewan. En Saskatchewan, les Premières nations ont obtenu des droits miniers en même temps que leurs terres dans une section sur deux. Dans la plupart des sections sur lesquelles elles ont des droits miniers, leur part est de 12 p. 100. Autrement dit, chaque fois qu'il y a 100 barils vendus, elles touchent des revenus sur les 12 premiers. Mais on me dit que ce n'est pas la même chose en Alberta.
M. Goodstriker : Non. Les différences entre les provinces sont complexes. Nous aimerions participer à ces activités. Mes chefs ont dit que nous voulions plus d'argent pour transporter les scies mécaniques, pour couper les piquets et pour les planter. Nous voulons être à la tête des puits de forage, et nous voulons être propriétaires de ces puits.
Le sénateur Gustafson : C'est compréhensible.
M. Goodstriker : Vous avez mentionné la Saskatchewan, où j'ai habité un certain temps. Nous assistons à une migration vers l'extérieur. Bien des gens ont quitté la Saskatchewan, pas seulement dans les communautés des Premières nations, mais aussi dans les villes. Nous proposons de développer ces économies pour garder les gens. Autrement, qui est-ce qui va rester? Nous souhaitons de tout cœur trouver des moyens d'amener les gens à rester et à bâtir des économies plus fortes. C'est un autre élément clé.
Le sénateur Gustafson : Les gens quittent aussi les petites communautés pour les grands centres urbains.
M. Goodstriker : Oui. Dans ma région de l'Alberta, nous commençons à constater une certaine frustration dans les villes, et il y a bien des gens qui retournent dans les petites communautés. On parle de migration depuis des années, mais, dans ma région, les gens retournent dans les communautés. Je pourrais essayer d'obtenir des statistiques à ce sujet-là pour le comité.
On se sert des mêmes chiffres aujourd'hui qu'il y a cinq ou dix ans pour évaluer les besoins en matière de logement et d'infrastructure dans les communautés. Les logements et les autres installations sont désuets; c'est inacceptable. Comment pourrons-nous accueillir les gens qui reviennent? Où vont-ils vivre? Cela aussi, c'est intéressant.
Le sénateur Gustafson : J'ai toujours soutenu que la majeure partie des ressources du Canada viennent des régions rurales et qu'il y en a très peu qui retournent dans ces régions. Vous connaissez le problème. Les revenus s'en vont plutôt vers les centres urbains et c'est pourquoi, comme l'a dit Alvin Hamilton, il y a une guerre larvée entre le Canada rural et le Canada urbain. C'est une façon crue de dire les choses, mais il y a probablement du vrai dans cette observation.
Le sénateur Peterson : Vous parlez d'un retour dans les réserves; y a-t-il des emplois pour ces gens-là?
M. Goodstriker : C'est un problème, parce qu'il est important d'avoir une économie bien construite. J'aime présenter les choses selon le modèle d'une grande entreprise, comme Ford par exemple, qui existe depuis des années. Cette entreprise a des politiques et des pratiques industrielles bien établies et bien réfléchies. Pour prendre de l'expansion, toute entreprise doit se développer prudemment, surtout si, comme Ford, elle est là pour durer 80 ou 100 ans.
En pays indien, nous sommes aux commandes de nos économies depuis seulement 15 ou 20 ans. Nous connaissons une croissance rapide, mais nous devons rester aux commandes pour pouvoir régler les problèmes qui se posent, par exemple la migration à rebours. J'aimerais demander à M. Polchies de commenter.
M. Dean Polchies, analyste des politiques, Secrétariat des partenariats économiques, Assemblée des Premières nations : Nous avons eu le 1er juin 2005 une petite idée de ce que nous réserve l'avenir, quand le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, Andy Scott, a déposé le projet de loi C-54, la Loi sur la gestion du pétrole et du gaz et des fonds des Premières nations. Ce projet de loi accorde aux Premières nations la compétence et le contrôle relatifs aux revenus tirés du pétrole et du gaz et aux revenus connexes; c'est une étape vers l'autonomie gouvernementale. C'est une mesure législative qui a été élaborée conjointement, au cours des dix dernières années, par les Premières nations dont les terres contiennent d'importantes réserves pétrolières et gazières. Les trois Premières nations visées pour le moment — la Première nation White Bear, en Saskatchewan, et les Premières nations Blood et Siksika, en Alberta — ont travaillé de concert avec le gouvernement fédéral pour élaborer un régime complet qui leur permettra de superviser la mise en valeur des ressources pétrolières et gazières sur leurs terres, afin d'accélérer le développement économique de leurs communautés respectives.
Le sénateur Buchanan : J'aimerais poser une question au sénateur Gustafson. Que vouliez-vous dire quand vous avez dit qu'il y avait certaines terres, en Saskatchewan, sur lesquelles il y avait des droits relatifs aux ressources minières et d'autres sur lesquelles il n'y en avait pas?
Le sénateur Gustafson : Les droits miniers sont liés aux terres dans une section sur deux. Les agriculteurs à qui appartiennent les terres sont aussi propriétaires des droits miniers, s'ils ne les ont pas vendus ou s'ils ne se les sont pas fait enlever. En Alberta, je pense que c'est différent.
Le sénateur Buchanan : C'est différent aussi dans les provinces de l'Atlantique, où les ressources minières appartiennent aux provinces en vertu de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique.
Avez-vous dit, chef, que le gouvernement fédéral avait transféré ses droits miniers à la province de l'Alberta?
M. Goodstriker : Oui, en vertu des lois sur le transfert des ressources naturelles touchant le Manitoba, la Saskatchewan et l'Alberta, je crois.
Le sénateur Buchanan : Quand les provinces sont entrées dans la Confédération, tous les droits miniers qui appartenaient à la colonie auparavant sont allés à ces provinces, et non au gouvernement fédéral. C'est la différence entre les provinces de l'Ouest et les provinces de l'Atlantique. Je ne sais pas ce qui se passe en Ontario et au Québec.
Le sénateur Peterson : Vous avez souligné tout à l'heure que le développement économique faisait partie intégrante de la marche vers l'autonomie gouvernementale. Vous avez indiqué également qu'à votre avis, les compressions effectuées jusqu'ici représentent un montant d'environ 100 millions de dollars. Je pense que c'est plus proche de 300 millions. Les Premières nations devront soulever cette question avec les gens du ministère des Affaires indiennes et du Nord parce qu'il ne s'agit pas de dépenses discrétionnaires. Ils ont réduit ce financement en disant que c'étaient des dépenses discrétionnaires. Pourtant, c'est intrinsèquement lié à la réussite que vous aurez dans ce nouvel univers. Il faudrait donc récupérer ces fonds.
En Saskatchewan, il y a beaucoup de bandes — parfois à l'aide de l'argent auquel leur donne droit le traité visant leurs terres — qui forment des partenariats, souvent entre une petite bande et une plus forte. Est-ce que c'est faisable dans votre région? Est-ce que vous préconiseriez ce genre de chose chez vous?
M. Goodstriker : C'est faisable, et d'ailleurs, il y a des partenariats entre nos communautés. En même temps, grâce à ces nouveaux partenariats et à nos bonnes relations, nous nous rendons compte que les Premières nations tirent parti de la situation, et que les gouvernements fédéral et provinciaux bénéficient également de ces ententes. Cependant, les gens de l'industrie commencent à être nerveux parce qu'ils sont pris dans un partenariat d'une manière ou d'une autre. En Alberta, certains d'entre eux respectent les décisions de la Cour suprême et les mécanismes établis pour traiter avec les communautés des Premières nations, par exemple quand un pipeline traverse nos territoires traditionnels. Mais il y en a d'autres qui n'ont encore aucun respect pour nos communautés et qui négligent les mécanismes établis. Les partenariats sont absolument cruciaux. Il est également très important d'avoir les gens de l'industrie comme partenaires intéressés à part entière.
Le sénateur Peterson : Vous avez indiqué tout à l'heure que l'éducation était primordiale pour pouvoir progresser. Comment envisagez-vous de régler la question de l'éducation, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des réserves?
M. Goodstriker : Il nous faut des initiatives pour garder les enfants et les adolescents à l'école jusqu'au secondaire, et même au-delà, et pour les sensibiliser à l'importance et à la valeur de l'éducation pour le reste de leur vie. Nos jeunes doivent apprendre à quoi servent les universités, à quoi servent les collèges, comment l'industrie fonctionne, comment hypothéquer une maison et une foule d'autres choses du genre. Si nous pouvions leur apprendre cela assez tôt, peut- être vers la huitième année, les taux de persévérance scolaire augmenteraient, et aussi la scolarisation après le secondaire, que ce soit à l'école de métiers, au collège ou à l'université. Le processus qui va de l'obtention d'un diplôme d'études secondaires au chèque de paie qu'on rapporte à la maison est la clé du succès. C'est une question qui préoccupe énormément tous mes chefs au Canada; ils veulent tous que leurs membres aient un revenu.
Le sénateur Léger : Dans quelle mesure cette information est-elle diffusée dans le reste du pays, parmi les non- Autochtones? Pendant des années, tout comme vous, j'ai vu tout ce qui se faisait, mais rien de tout cela n'a été largement publicisé à la télévision. Les gens de l'industrie jugent-ils important que nous soyons au courant de votre croissance, de votre participation aux changements qui s'en viennent? Y a-t-il un intérêt pour présenter aussi le côté économique de l'histoire?
M. Goodstriker : Vous avez raison de poser la question. Nous avons effectivement une très belle histoire. Le processus de signature des traités fait partie de l'histoire canadienne. Il faudrait que plus de gens le connaissent. Mais l'histoire de notre réussite n'est pas terminée. Nous en sommes seulement au chapitre 2, et ce qui s'en vient, c'est la participation des Canadiens et de l'industrie, de même qu'un bon gouvernement sain qui nous mènera du point A au point B. Il est essentiel que les gens le comprennent, mais c'est difficile. J'ai participé à des émissions de radio et j'ai parlé aux médias, et il y a là une attitude très difficile à changer. Mais nous allons continuer à essayer de raconter notre histoire et de faire notre chemin.
Le sénateur Léger : Cela ne devrait pas être la principale priorité, à mon avis, mais nous sommes toujours prêts à vous aider pour contribuer à ce que vous êtes.
J'ai une autre question, puisque je viens du Nouveau-Brunswick, où il n'y a pas de pétrole et de gaz.
Le sénateur Buchanan : Vous avez du gaz naturel près de Moncton.
Le sénateur Léger : Vraiment? Enbridge est là, je le sais. Je pense que c'est du gaz qui vient de l'île de Sable.
Le sénateur Buchanan : On pompe du gaz naturel près de Moncton depuis 40 ans.
Le sénateur Léger : J'ai bien l'impression que ce ne sont pas les Micmacs qui le pompent.
En Colombie-Britannique, ils ont probablement des ressources naturelles comme celles-là. Nous sommes très contents que vous les ayez, et maintenant, nous écoutons parce que nous en avons besoin. J'allais dire que, si vous n'en aviez pas, vous n'aviez peut-être pas besoin de cela pour le moment. Il m'a prise par surprise parce qu'il y en a à Moncton.
Le sénateur Buchanan : Je suis désolé; ce n'était pas mon intention.
M. Goodstriker : Nos communautés ne sont pas contre l'industrie ou contre le développement. Nous voulons être des partenaires de plus grande importance et continuer d'avoir une place dans l'équation.
Le sénateur Léger : La dernière chose dont je veux vous parler, c'est l'éducation, dont le sénateur Peterson a déjà parlé. Nous avons toujours été de cet avis et vous avez tout à fait raison : l'éducation est absolument primordiale.
Y a-t-il beaucoup de jeunes qui s'en vont en informatique? Nous disons que nous avons besoin de mécaniciens, mais il doit y avoir bien des jeunes qui sont capables de faire plus et qui vont se lancer dans le domaine de la technologie.
M. Goodstriker : C'est un élément important de ce qui se développe, de ce qui s'en vient. Il y a de très bons collèges qui ont établi des partenariats avec nos communautés, et il nous en faudrait beaucoup plus. L'importation de main- d'œuvre est une réalité dans tout le pays. C'est un gros problème en Alberta. Nous sommes ici pour dire : « Importez- nous si vous voulez importer de la main-d'oeuvre. » Nous avons une population jeune et pleine d'avenir, qui est très enthousiaste.
Le sénateur Gustafson : À Fort McMurray, dans l'exploitation des sables bitumineux, quel est le pourcentage des Autochtones qui travaillent à un projet comme celui-là?
M. Goodstriker : Il y a un certain nombre de camps là-bas. Environ 10 p. 100 des travailleurs sont Autochtones, mais leur nombre augmente. Les communautés de Fort MacKay, de Fort Chipewyan et de Grande Prairie se débrouillent très bien, mais d'autres ont encore besoin d'aide.
Le sénateur Gustafson : S'agit-il surtout de travailleurs à contrat?
M. Goodstriker : Oui. Quand une compagnie vient développer le gaz naturel ou installer un pipeline, par exemple, il y a certainement des communautés qui participent. Il faut toutefois faire plus de sensibilisation et favoriser cette participation, et il devrait y avoir des mesures législatives en ce sens parce que la Cour suprême a orienté les choses dans une certaine direction, c'est certain. La situation s'améliore, mais vous avez raison de soulever la question.
Le sénateur Peterson : J'aimerais revenir à la question de l'éducation et à ce que vous avez dit au sujet de la possibilité de « vous importer ». D'ici quelques années, la population des 18 à 25 ans, à Regina, sera majoritairement autochtone. Notre industrie touristique et nos entreprises de vente au détail auront besoin de ces gens-là. C'est maintenant qu'il faut travailler sur le plan de l'éducation pour favoriser et développer ce potentiel. Cela prendra un effort collectif. Le système scolaire de Santa Fe, au Nouveau-Mexique, est un modèle intéressant.
M. Goodstriker : Nos artistes canadiens sont réputés dans le monde entier. Ce serait merveilleux pour Regina si nous avions une école ou un programme d'art qui attirerait ce genre de clientèle. Nous réussissons déjà assez bien dans l'industrie du divertissement, mais nous pourrions augmenter notre présence dans cette autre industrie.
Le sénateur Peterson : Nous avons une université maintenant, comme vous le savez. Nous devons y attirer des étudiants.
M. Goodstriker : Certainement.
Le président : Chef Goodstriker, vous avez parlé de la nécessité d'un nouvel engagement du gouvernement fédéral et d'une nouvelle stratégie, qui vous rapprocherait d'un sommet économique. Je suppose que l'Assemblée des Premières nations jouerait un rôle de premier plan dans ce sommet.
Nous étudions toute la question de la participation des Autochtones aux projets économiques, dans l'ensemble de notre économie, parce que nous comprenons l'importance, pour les Autochtones, de participer aux entreprises et aux divers projets de développement des ressources humaines dans tout le pays.
Je viens des territoires du Nord-Ouest, où les Autochtones participent énormément à tous les grands projets de développement économique, notamment les mines de diamant et le gazoduc projeté dans la vallée du Mackenzie; ils seraient propriétaires des deux tiers de ce gazoduc. Nous avons fait des progrès significatifs dans le Nord, où les Autochtones possèdent des terres et où leurs revendications territoriales ont été réglées, ce qui fait qu'ils ont du capital pour investir dans ces projets. Ils ont un actif. Ils ont aussi des instruments de gouvernance. Des universitaires qui ont témoigné devant le comité nous ont dit que, pour réussir, les Autochtones devaient avoir la gouvernance, le contrôle et la compétence.
Nous voulons examiner les facteurs de réussite pour les Autochtones. C'est un des principaux aspects de notre étude. Nous allons nous rendre plus tard dans les différentes régions du pays pour parler aux gens des Premières nations et aux propriétaires d'entreprises. Il y a des gens qui réussissent partout, et nous voulons entendre leurs histoires; nous voulons savoir ce qui a rendu leur succès possible. Le développement économique est extrêmement important.
En même temps, il y a bien des cas où les gens ne réussissent pas et où il y a une certaine apathie. Il est difficile, pour ces gens-là, de se tenir debout et de progresser. Nous allons examiner cela aussi. Cela nous permettra de voir ce qui manque parmi les éléments essentiels au succès.
Il est certain que l'Assemblée des Premières nations a un rôle à jouer dans les rapports avec les gouvernements et les efforts pour attirer l'attention sur les difficultés des Autochtones de notre pays. Si jamais vous menez à bien votre projet de tenir un sommet économique, ce serait une façon d'amener tout le pays à se pencher sur votre situation.
M. Goodstriker : Vous avez tout à fait raison.
Nos voisins du Sud, les Américains, ont un style législatif différent du nôtre. Aux États-Unis, un certain nombre de lois fédérales ont permis aux bandes d'entreprendre leur marche vers le développement économique; il y a par exemple depuis les années 1980 une loi fédérale sur les entreprises de jeux de hasard exploitées par les Indiens. Ottawa, en revanche, n'a pas adopté de loi fédérale sur la question; c'est pourquoi la réglementation des jeux de hasard varie selon les régions du Canada.
Il y a de grandes réussites. Les entreprises de jeux de hasard ont certainement aidé certaines communautés, aux États-Unis, à atteindre les buts que nous visons dans ma région. Il y a là-bas deux ou trois communautés qui ont tellement bien réussi qu'elles sont en mesure d'embaucher des gens de l'extérieur. Dans la région du Connecticut, après une élection fédérale, des contrats militaires ont été annulés et jusqu'à 10 000 personnes se sont soudainement retrouvées sans emploi. Les casinos les ont toutes embauchées. Il y a aussi une bande, au Mississipi, qui a très bien réussi en amenant des entreprises de sous-traitance à venir s'établir chez elle. Elle emploie jusqu'à 35 000 personnes, ce qui est un record pour l'ensemble du Mississippi.
En Asie, dans certaines zones de développement économique, la principale préoccupation, c'est que les entreprises s'en vont. Le niveau des échanges commerciaux internationaux est très élevé grâce à ces zones. Le gouvernement perçoit de l'impôt sur le revenu des travailleurs, mais les entreprises se débrouillent quand même très bien. Nous avons- nous aussi des zones comme celles-là; c'est ce qu'on appelle les réserves indiennes. Voilà ce que je pense des questions de compétence et de contrôle.
Quand une bande réussit bien, elle n'emploie pas seulement ses propres membres. Dans le contexte canadien, nous n'avons pas encore exploré la possibilité de faire partie de cette équation. C'est une excellente chose que nous discutions de cette question.
Le président : Je vous remercie infiniment de votre présentation. Nous allons tenir compte de vos vues dans notre rapport.
M. Goodstriker : L'exploitation du pétrole et du gaz soulève bien des questions. Un chef m'a déjà dit que sa communauté essayait d'obtenir un contrat pour défricher le terrain en vue de cette exploitation. La compagnie ne voulait pas lui donner ce contrat sous prétexte que la communauté n'avait pas la capacité ni la formation nécessaires pour faire le travail. Il y a eu des négociations, et finalement, le chef a dit : « Si nous sommes capables de mettre le feu à un wagon qui roule à 25 milles à l'heure, nous sommes certainement capables de brûler des arbres qui ne bougent pas. »
Madame et messieurs les sénateurs, merci.
Le président : Sénateurs, nous entendrons maintenant des témoins du Ralliement national des Métis.
Mme Audrey Poitras, vice-présidente, Ralliement national des Métis : Bonsoir. Je suis en compagnie de Valerie Nicholls, qui est directrice des affaires intergouvernementales au Ralliement national des Métis.
Au nom de la nation métisse, je tiens à remercier votre comité sénatorial d'étudier la participation des peuples et entreprises autochtones aux activités de développement économique au Canada. C'est un sujet de toute première importance pour la nation métisse. Pour vous situer un peu, je commencerai par vous dire que la nation métisse est représentée par des structures de gouvernance démocratiquement élues d'envergure provinciale, en Ontario et dans les provinces plus à l'ouest. Ces structures sont la Nation des Métis de l'Ontario, la Fédération des Métis du Manitoba, la Métis Nation-Saskatchewan, la Métis Nation of Alberta et le Métis Provincial Council of British Columbia.
Ces gouvernements métis régionaux se sont regroupés pour former le Ralliement national des Métis, qui a le mandat de représenter la nation métisse aux niveaux national et international. Le Ralliement national des Métis est dirigé par un conseil d'administration de six membres, à savoir les présidents des cinq gouvernements métis régionaux et notre président national élu. Nos gouvernements métis modernes sont l'expression contemporaine de la lutte que mène la nation métisse depuis un siècle pour atteindre l'autodétermination au sein de la fédération canadienne.
Vous savez peut-être que la nation métisse a joué un rôle de premier plan dans l'expansion du commerce vers les Grands Lacs et le Nord-Ouest historique avant que le Canada se cristallise comme nation. Notre identité comme nouveau peuple autochtone a été façonnée par la traite des fourrures. Les Métis sont reconnus pour leur esprit d'entreprise. Tout le monde sait que nous sommes d'ardents défenseurs du libre-échange et que nous avons contribué à briser le monopole de la traite des fourrures que détenait la Compagnie de la Baie d'Hudson.
Cependant, parallèlement à notre attachement au libre-échange, nous souhaitons aussi l'application de pratiques commerciales loyales et nous avons besoin que les règles du jeu économique soient les mêmes pour tout le monde. Pour les Métis, ces règles ne sont pas équitables depuis le déclin de la traite des fourrures. En un mot, nous n'avons pas eu la chance de participer pleinement à l'économie canadienne.
Si j'en avais le temps, je pourrais vous raconter en détail la longue histoire sordide des terres octroyées par des moyens frauduleux au Canada et du régime de certificats des Métis qui nous a été traîtreusement imposé, ce qui a fait que les Métis sont aujourd'hui en bonne partie, à l'aube du XXIe siècle, privés de leurs terres sur leur propre territoire. Le fait que nous n'ayons pas de terres ni de ressources à nous est toujours le principal obstacle à l'autonomie de nos communautés.
Les questions touchant les terres métisses et l'accès aux ressources pour les Métis demeurent prioritaires pour nous. Lors de la signature de l'Accord-cadre avec la nation métisse, au cours de la récente réunion de réflexion entre membres du Cabinet et leaders autochtones, l'Interlocuteur fédéral pour les Métis et les Indiens non inscrits a accepté, au nom du Canada, d'engager des discussions avec nous au sujet de la question des terres. Je vous ai apporté pour référence un exemplaire de cet accord.
En vertu de cet accord-cadre, le Canada s'est engagé à explorer diverses options pour examiner ces questions avec la nation métisse dans le cadre d'un processus multilatéral réunissant l'Ontario et les provinces plus à l'ouest. C'est un progrès important puisque nous sommes toujours exclus du processus qui permet aux Premières nations et aux Inuits de régler leurs revendications territoriales avec le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. Nous espérons que ce nouveau processus multilatéral débouchera sur des mécanismes propres aux Métis pour régler nos revendications. De plus, nous espérons pouvoir entamer maintenant des négociations avec le Canada, en dehors des tribunaux, pour régler enfin la question des droits des Métis.
Comme vous le savez peut-être, la Cour suprême du Canada a confirmé en rendant l'arrêt Powley, le 19 septembre 2003, que les Métis constituent un peuple à part entière ayant des droits spécifiques et que leurs droits constitutionnels sont protégés par l'article 35 de la Loi constitutionnelle. Le résultat de cette décision historique, c'est que la Couronne — au fédéral et au provincial — ne peut plus fermer les yeux sur l'existence des droits des Métis. Plutôt que de devoir continuer à avoir recours aux tribunaux pour obtenir justice, nous espérons être à l'aube d'une nouvelle ère de négociations. Je demande donc au comité d'insister auprès du gouvernement du Canada pour qu'il respecte ses engagements et qu'il réalise des progrès réels et mesurables dans le sens des objectifs énoncés dans l'Accord-cadre avec la nation métisse.
J'attire particulièrement votre attention sur deux engagements qui sont énoncés dans cet accord-cadre et qui ont un rapport avec vos travaux en cours. L'article 3 porte sur les questions devant faire l'objet de négociations, ce qui inclut notamment :
e. examiner les programmes et les services susceptibles d'être transférés aux membres dirigeants du Ralliement national des Métis;
j. explorer des options en vue de créer des mesures de développement économique afin de rendre la nation métisse autosuffisante.
Ces dispositions reflètent le désir qu'ont les Métis, depuis longtemps, de retrouver la liberté économique dont leurs ancêtres jouissaient autrefois, ainsi que de lancer des projets de développement de leur choix et de leur cru.
Depuis un an, dans le cadre des activités de suivi de la Table ronde Canada-Autochtones, la nation métisse a tenu des consultations, et élaboré des approches et des recommandations visant à exploiter nos perspectives économiques. Le tout est présenté dans un énoncé de politique, que nous vous avons également fourni pour référence. J'encourage les membres du comité à étudier ce document en détail afin de mieux comprendre les réalités, les aspirations et les stratégies de développement économique de la nation métisse. Puisque nous n'avons pas beaucoup de temps ce soir, je vais me contenter de vous en résumer quelques éléments et quelques recommandations.
D'abord et avant tout, je tiens à souligner que les Métis ne demandent pas la charité au gouvernement. Ce que nous voulons, ce sont des investissements stratégiques dans notre communauté. Si les gouvernements métis ont de l'aide pour améliorer la situation socioéconomique de leur population, les Métis pourront être plus nombreux à s'engager productivement dans l'économie. Nous sommes convaincus que c'est la voie à suivre pour assurer l'autosuffisance et la prospérité des Métis.
Pour y arriver, notre principale recommandation porte sur le transfert des programmes et des services de développement économique du gouvernement fédéral aux gouvernements de la nation métisse. Cette dévolution est conforme à la reconnaissance, par le gouvernement fédéral, du droit inhérent à l'autonomie gouvernementale pour les Autochtones; elle est aussi parfaitement justifiée du point de vue stratégique. À l'heure actuelle, 11 ministères fédéraux administrent 48 programmes de développement économique, dont 27 s'adressent expressément aux Autochtones. Il en résulte un ensemble disparate de mesures de développement économique très difficiles d'accès pour les Métis. La gestion horizontale de ces ressources, par la dévolution et l'amélioration de ce qui fonctionne déjà bien, est tout à fait logique.
Les structures de gouvernance de la nation métisse, en Ontario et plus à l'ouest, sont bien placées pour assumer la responsabilité de ces programmes. Nous avons démontré que nous étions capables d'administrer efficacement des programmes et des services. Par exemple, dans ma province, en Alberta, notre société de financement métisse, Apeetogosan (Metis) Development Inc., a prêté plus de 32 millions de dollars depuis dix ans à des entrepreneurs qui voulaient lancer ou agrandir une entreprise dans la province. En tout, plus de 800 entreprises ont été créées et ont pris de l'expansion grâce aux prêts d'Apeetogosan, ainsi qu'à ses services de conseils et de soutien aux entreprises. En outre, nos programmes de développement des ressources humaines, soutenus par Ressources humaines et Développement des compétences Canada dans le cadre de la Stratégie de développement des ressources humaines autochtones, ont connu un immense succès. Depuis dix ans, les gouvernements métis régionaux ont offert près de 300 millions de dollars à nos gens, dans le cadre de programmes de main-d'œuvre, avec des résultats mesurables et impressionnants.
Ces ententes sur le marché du travail signées par les Métis nous ont aussi permis d'établir de solides partenariats avec des entreprises, des universités et des établissements de formation. La Nation des Métis de l'Ontario a mis sur pied une fiducie de 4,2 millions de dollars pour des bourses dans 32 collèges et universités de l'Ontario. La Fédération des Métis du Manitoba a lancé des initiatives de recrutement auprès d'employeurs comme les Aliments Maple Leaf et Hydro-Manitoba. La Metis Nation of Alberta a tiré parti des fonds alloués aux programmes de main-d'œuvre pour acheter des installations de forage pétrolier et former des Métis afin qu'ils puissent faire fonctionner et gérer ces installations. Je pourrais vous donner beaucoup d'autres exemples, mais mon message est clair : nous devons continuer à développer ces infrastructures de la nation métisse, qui ont fait leurs preuves.
Nous recommandons qu'Industrie Canada commence à travailler avec nous en vue du transfert de ses programmes économiques à nos plates-formes de développement. Dans la pratique, il serait possible de transférer par exemple à nos institutions une part équitable des dépenses fédérales dans le cadre du programme Entreprise autochtone Canada.
Pour ce qui est des autres programmes qu'administre actuellement la nation métisse, nous estimons que le développement des compétences demeure un élément crucial de toute stratégie de développement économique efficace. La nation métisse recommande d'étendre la Stratégie de développement des ressources humaines autochtones, qui connaît un immense succès. Nous insistons sur la nécessité d'une hausse des ressources consacrées à cette stratégie, puisque ces ressources n'ont pas augmenté depuis 1990. Il s'agit du fer de lance du développement économique des Métis, mais l'inflation continue d'éroder la portée de ce programme dans nos communautés.
En outre, les Métis ne doivent plus être exclus de tous les programmes de développement économique d'Affaires indiennes et du Nord Canada. Il faut investir des ressources réservées spécifiquement aux Métis afin de combler l'écart que nous connaissons actuellement au chapitre des programmes de développement économique de moyenne et de grande envergure. Il faut mettre fin aux injustices actuelles, qui obligent les Métis à rester à l'écart et à demeurer de simples spectateurs du développement qui se passe dans leur propre cour.
Enfin, la nation métisse recommande que le gouvernement fédéral travaille avec elle à la création d'une société métisse de capital-risque, soit par une contribution directe unique visant à capitaliser ce fonds, soit par un crédit d'impôt.
Pour terminer, je vous signale qu'Adam Smith, dans The Wealth of Nations, associait la poursuite des intérêts économiques au bien public et parlait par métaphore de « la main invisible du marché » pour justifier notre système économique. Nous avons vu, au Canada, que le marché était loin d'être parfait et que les gouvernements devaient intervenir pour promouvoir d'importants intérêts régionaux, sociaux et économiques. La nation métisse recommande toute une gamme d'interventions sur le marché, ainsi que des outils de développement spécifiques fondés sur les meilleures pratiques et les approches qui ont fait leurs preuves dans notre communauté. Nous croyons que, grâce aux interventions stratégiques de ce genre, les Métis, qui faisaient autrefois office d'intermédiaires dans la traite des fourrures, pourront reprendre leur juste place dans l'économie canadienne. Merci beaucoup.
Le sénateur Peterson : Avez-vous une définition unique de ce qu'est aujourd'hui un Métis?
Mme Poitras : Nous avons une définition nationale. Le Ralliement national des Métis a consulté toutes nos communautés, et chacune de nos organisations provinciales a fait adopter des motions au cours de ses assemblées annuelles, de même qu'à l'assemblée générale annuelle du Ralliement national des Métis. Nous avons une définition pour tout le Ralliement national des Métis, pour la nation métisse du Canada.
Le sénateur Peterson : Sur le plan économique, vous avez évoqué la nécessité d'investissements stratégiques dans vos communautés. Que voulez-vous dire par là? Comment définissez-vous vos communautés ? Est-ce que cela passe par votre organisation?
Mme Poitras : Oui, par le Ralliement national des Métis et ses membres dirigeants, à savoir la Nation des Métis de l'Ontario, la Fédération des Métis du Manitoba, la Métis Nation-Saskatchewan, la Métis Nation of Alberta et le Métis Provincial Council of British Columbia.
Le sénateur Peterson : Les fonds iraient à ces groupes, et ils détermineraient chacun de leur côté ce qu'il faudrait en faire. C'est bien cela?
Mme Poitras : La Métis Nation of Alberta compte six bureaux régionaux et un bureau central, et nous avons un conseil provincial de 14 membres qui prennent des décisions sur les questions d'économie, de santé et d'éducation au nom des Métis de l'Alberta. Les autres provinces peuvent avoir des structures différentes.
Le sénateur Buchanan : Ce que je vais vous dire va vous paraître naïf. Entre 1978 et 1991, j'ai assisté à des conférences fédérales-provinciales de toutes sortes, y compris à bien des conférences sur les droits des Autochtones. L'élément que j'ai trouvé le moins clair, pendant toutes ces années, c'est la définition du terme « Métis ». Je n'en suis toujours pas certain. Les Métis sont issus des mariages mixtes entre des Indiens — ou plutôt des Indiennes — et des Européens, n'est-ce pas?
Mme Poitras : Je ne dirais pas que c'est faux, mais c'est loin de définir entièrement la nation métisse.
Le sénateur Buchanan : Alors, essayez de me la définir pour que ce soit un peu plus clair.
Si c'est le cas, pourquoi la nation métisse est-elle concentrée de la Colombie-Britannique à l'Ontario, en incluant les Territoires du Nord-Ouest? Que faites-vous des gens des provinces de l'Atlantique et du Québec qui sont également issus de mariages entre des Européens et des Autochtones de ces régions? Pourquoi ne sont-ils pas considérés comme des Métis?
Mme Poitras : L'appartenance à la nation métisse n'est pas seulement une affaire de sang mêlé. La nation métisse est un groupe de gens dont la langue, l'histoire, la culture et même le territoire étaient en place bien avant que le Canada existe. Le premier drapeau de la nation métisse date de 1816.
Le sénateur Buchanan : Mais depuis cette époque-là, si je comprends bien, les Métis se sont intégrés à la société en général dans toutes les régions où on reconnaît l'existence d'une nation métisse. Les Métis ne vivent pas dans certains endroits en particulier, n'est-ce pas?
Mme Poitras : C'est vrai dans la plupart des régions. Mais il y a aussi en Alberta des terres conférées officiellement aux Métis; ce sont huit parcelles de territoire où les Métis vivent vraiment à l'intérieur de limites établies. Mais il est certain qu'il y a des Métis qui vivent dans des villes, grandes ou petites, dans des communautés rurales, dans le Nord et partout ailleurs.
Pour ce qui est la définition du terme « Métis », les gens qui s'identifient comme Métis doivent effectivement avoir une ascendance européenne et autochtone. Cette définition se rattache aussi à la communauté historique, qui correspond au territoire de la nation métisse dont nous parlons, en Ontario et plus à l'ouest. Le territoire de la nation métisse existe depuis longtemps, et cela fait partie de la définition adoptée par le Ralliement national des Métis.
Le sénateur Buchanan : Est-ce que je me trompe ou si vous nous dites que le Ralliement national des Métis n'a aucune difficulté à identifier les Métis du Canada, à reconnaître qui est membre des communautés métisses et qui ne l'est pas?
Mme Poitras : Toutes nos organisations provinciales ont un service d'enregistrement, qui applique des critères très clairs que les gens doivent suivre pour devenir membres de la nation métisse.
Le sénateur Buchanan : Et qui a établi ces critères? Est-ce votre organisation?
Mme Poitras : La définition adoptée par l'organisation nationale a été approuvée par nos membres dans les cinq provinces.
Le sénateur Buchanan : L'identification et l'enregistrement des Métis ont été établis par le Ralliement des Métis et non par le gouvernement fédéral, par l'intermédiaire des Affaires indiennes, n'est-ce pas?
Mme Poitras : Les Métis ont toujours dit que personne d'autre qu'eux ne devrait pouvoir définir qui est Métis et qui ne l'est pas. Nous étions là bien avant le Canada.
Le sénateur Buchanan : Je comprends cela. Vous dites que vous avez un service d'enregistrement dans chaque province. Je n'ai jamais entendu dire qu'il y en avait un en Nouvelle-Écosse.
Mme Poitras : Je veux parler de l'Ontario et des provinces plus à l'ouest.
Le sénateur Buchanan : Le Ralliement national des Métis couvre donc la Colombie-Britannique, les provinces de l'Ouest et les Territoires du Nord-Ouest?
Mme Poitras : Dans les Territoires du Nord-Ouest, les Métis faisaient partie du Ralliement national des Métis, mais ils ont décidé de s'en séparer parce qu'ils étaient en train de régler une revendication territoriale. Notre règlement indique clairement que le Ralliement national des Métis est composé uniquement de Métis; or, cette revendication territoriale touchait aussi d'autres Autochtones, et c'est pourquoi les Métis des Territoires du Nord-Ouest ont décidé de se retirer de notre organisation pour pouvoir poursuivre le règlement de leur revendication.
Le sénateur Buchanan : Je ne connaissais pas l'arrêt Powley. La Cour suprême a confirmé que les Métis forment un peuple à part entière ayant des droits spécifiques, et que leurs droits constitutionnels sont protégés par l'article 35. Je connais bien l'article 35 parce que je suis un de ceux qui l'ont signé. Je ne me rappelle pas si, à l'époque, l'article devait inclure les Métis. La Cour suprême reconnaît-elle maintenant que l'article 35 s'applique aux Métis, en ce qui concerne les droits issus de traités?
Mme Poitras : Les Métis sont visés depuis 1982 par l'article 35 de la Constitution canadienne. Il a fallu tout ce temps pour que ce soit finalement reconnu. C'est grâce à la Cour suprême du Canada que les Métis ont enfin pu faire reconnaître qu'ils forment, aux termes de la Constitution, un peuple autochtone ayant les mêmes droits que les autres.
Le sénateur Buchanan : J'étais là de 1978 à 1982, et notamment quand nous avons mis le point final à tout cela en 1981. Je suppose que, comme nous n'avons pas de Métis dans la région de l'Atlantique, d'où je viens, personne parmi nous ne s'est rendu compte que les Métis jouissaient des droits protégés par l'article 35 de la Constitution. On en apprend tous les jours.
Le président : J'aimerais rappeler à l'ancien premier ministre de la Nouvelle-Écosse que l'article 35 de la Constitution contient une disposition selon laquelle les peuples autochtones du Canada incluent les Indiens, les Inuits et les Métis.
Le sénateur Léger : Je viens de l'Est moi aussi. Votre nation métisse est établie en Ontario et dans les provinces plus à l'ouest, mais vous êtes une organisation nationale. Est-ce que vous trouvez frustrant ou préoccupant que d'autres personnes se définissent aussi comme des Métis? Vous intéressez-vous au sort des autres nations qui avaient des terres avant que le Canada soit créé? Quand on parle des Métis dans la Charte de 1982, est-ce que cela inclut seulement les Métis des provinces de l'Ouest? Et quand les tribunaux emploient ce terme, est-ce que cela désigne seulement les Métis qui vivent à l'ouest de l'Ontario?
Mme Poitras : Je ne peux pas vous dire à quoi correspondait exactement le terme « Métis » quand il a été inclus dans la Charte en 1982. Le sénateur Buchanan le sait peut-être mieux que moi.
Ce que je sais, c'est qu'il y a bien sûr des gens qui s'identifient comme Métis dans d'autres régions du Canada. Nous avons d'ailleurs eu l'occasion de nous rendre au Nouveau-Brunswick, où le ministre Scott nous a présenté des gens qui nous ont dit clairement qu'ils étaient de sang mêlé, mais qu'ils ne se considéraient pas comme des Métis. Nous savons qu'il y a aussi des gens qui se considèrent comme des Métis et dont l'histoire ne correspond pas à celle que nous avons vécue dans l'Ouest. La décision de la Cour suprême a certainement ouvert une porte aux gens qui veulent prouver leur ascendance, comme nous avons dû le faire. Le Ralliement national des Métis a dû faire la preuve de ses antécédents historiques devant le tribunal.
Le sénateur Léger : J'imagine qu'il doit y avoir beaucoup de Métis au Québec. Même au Nouveau-Brunswick, j'ai entendu des gens s'identifier comme Métis. J'aimerais savoir si cela inquiète les Métis de l'Ouest ou si cela les intéresse. Vous nous avez dit que le ministre Scott vous avait présenté des Métis au Nouveau-Brunswick; c'est intéressant. Je suis contente. J'ai l'impression que ces gens-là se sentent rejetés. Il y a le mot « national » dans votre nom. Je comprends que cela date d'avant le Canada, mais ils étaient là aussi avant le Canada. Je suis vraiment perplexe, mais je comprends un peu mieux maintenant.
À la page 3 de votre mémoire, vous énumérez toutes vos réussites : 32 millions de dollars de prêts à des entrepreneurs, 800 entreprises, et ainsi de suite. Pourtant, j'ai trouvé le ton général de vos commentaires plutôt négatif; j'ai eu l'impression que vous n'insistiez pas beaucoup sur les choses positives que vous faites. Est-ce qu'il y a une raison à cela?
Mme Poitras : Nous voulions faire ressortir le fait que les seuls outils dont nous disposons nous viennent de Ressources humaines et Développement des compétences Canada et de la Stratégie de développement des ressources humaines autochtones. C'est le seul élément à avoir été transféré à la nation métisse. Nous avons été autorisés à concevoir et à mettre en œuvre des programmes pour former nos gens afin qu'ils soient capables de répondre aux besoins de nos communautés. Nous avons eu un franc succès. Nous espérons que le Canada constatera ce succès et qu'il verra que nous pouvons faire la même chose sur le plan économique. Nous avons les structures nécessaires. Nous pouvons réussir.
J'ai mentionné aussi une réussite de la Métis Nation of Alberta. Nous nous sommes lancés dans l'arène économique en élaborant une stratégie de développement économique. Nous avons notamment mis l'accent sur l'industrie du pétrole et du gaz, à cause de ce qui se passe en Alberta. Nous avons eu cette possibilité grâce à une entreprise et à une banque qui croyaient en nous. Nous avons des installations de forage qui appartiennent à 100 p. 100 à la Métis Nation of Alberta. Pour en arriver là, nous avons mis sur pied un programme de formation. Jusqu'ici, nous avons formé plus de 50 personnes pour qu'elles puissent gérer ces installations et travailler dans d'autres installations de la région. Nous avons terminé la troisième année d'un contrat de quatre ans avec la société En Canada, une des plus grandes entreprises au Canada. Nous nous apprêtons maintenant à prendre de l'expansion et à passer à la phase suivante.
Au moment même où la nation métisse se lançait dans cette affaire, le gouvernement du Canada versait des subventions de 1,5 million de dollars aux Premières nations pour qu'elles s'implantent dans ce secteur et qu'elles fassent exactement la même chose que nous. Nous n'avons pas eu droit à ces fonds. C'est ce qui nous dérange le plus. Nous espérons que notre victoire devant la Cour suprême fera en sorte que nous soyons reconnus et que nous puissions profiter des programmes réservés aux Autochtones.
Nous en profitons depuis quelque temps, mais à ce moment-là, même s'il y avait des mesures visant à aider les Autochtones à participer aux activités de l'industrie du pétrole et du gaz en Alberta, nous n'avions pas accès à ces fonds. Nous étions probablement trop entêtés, et trop avancés pour risquer de laisser passer cette occasion. Nous avons eu un banquier qui croyait en nous. Nous avions une excellente collaboration avec l'industrie, qui employait déjà nos gens. Nous avons amené tous ces gens-là à croire en nous et nous avons réussi à trouver un moyen de nous débrouiller sans les subventions accordées à d'autres Autochtones.
C'est un des éléments que nous voulons faire ressortir : Ressources humaines et Développement des compétences Canada est le seul à nous avoir donné la chance de concevoir et de développer des programmes, et de former nos gens dans les domaines où ils en avaient besoin. Autrement, nous n'avons rien eu. Nous espérons que, dans le cadre de votre examen des perspectives économiques, nous aurons l'occasion de présenter notre position sur la façon dont les entreprises autochtones pourraient faire la même chose à notre avis.
Dans nos ententes sur le développement des ressources humaines, il n'y a rien de prévu au sujet de la garde des enfants. Il est clair que les projets en matière de garde des enfants visent uniquement les Premières nations et les Inuits. Si nous voulons former des gens qui ont des enfants et qui doivent les faire garder, nous devons en trouver les moyens à l'intérieur de nos propres programmes de formation. Cela ne vient pas d'un projet en matière de garde des enfants. C'est une des injustices que nous constatons.
Le sénateur Léger : Si je comprends bien, les Premières nations, les Métis et les Inuits ont toujours été inclus dans la Loi. Il y a trois éléments, mais vous dites qu'ils ne sont pas égaux.
Mme Poitras : En effet. Le gouvernement du Canada reconnaît notre existence depuis quelque temps, et nous avons eu l'occasion de faire valoir notre point de vue au cours de la réunion de réflexion. Nous espérons que la situation va changer.
Le sénateur Peterson : Les Métis ont-ils été privés de certains droits dans le passé?
Mme Poitras : S'ils ont été privés de certains droits?
Le sénateur Peterson : Est-ce qu'ils ont été privés de certains droits, comme citoyens du Canada, parce qu'ils étaient Métis?
Mme Poitras : Nous n'avons pas les mêmes droits que les autres peuples autochtones.
Le sénateur Peterson : À l'heure actuelle, diriez-vous que votre principal problème, ce sont — et ce seront — les droits territoriaux ? Est-ce le prochain défi à relever?
Mme Poitras : L'accord-cadre que nous venons tout juste de signer avec le Canada soulève la question des terres et des ressources, mais aussi celles du développement économique et de l'éducation. Nous n'avons pas accès aux mêmes programmes d'éducation que les autres Autochtones.
Je ne dirais pas que les droits territoriaux sont le seul enjeu. Il y a dans l'accord-cadre d'autres éléments dont nous aimerions discuter avec le Canada, notamment la santé, l'éducation, le développement économique, les terres et les ressources. Il y a une foule de choses.
Le sénateur Buchanan : Merci, monsieur le président, de m'avoir appris une chose que j'aurais dû savoir il y a longtemps. Il est intéressant que le paragraphe 35(2) inclue les Métis. Je l'avais oublié. Ou peut-être que ce n'est pas un oubli; peut-être que cela ne me disait rien en 1981 parce que nous n'avions pas de Métis. Mais peut-être que nous en avions?
Comme le sénateur Léger, je me pose encore des questions sur les critères que vous appliquez pour déterminer qui est Métis et qui ne l'est pas. Nous avons eu nous aussi, dans les provinces de l'Atlantique, des mariages mixtes entre Européens et Autochtones. La plupart des gens issus de ces mariages sont reconnus par le ministère des Affaires indiennes et du Nord. Je ne saisis toujours pas les critères que vous appliquez à la nation métisse.
Mme Poitras : Notre définition se trouve dans le document que vous avez en main. Les Métis sont les gens qui s'identifient comme tels, qui sont distincts des autres Autochtones, dont les ancêtres appartenaient historiquement à la nation métisse — c'est-à-dire qu'ils vivaient sur notre territoire historique — et qui sont acceptés par la nation métisse. C'est la définition adoptée par le Ralliement national des Métis.
Le sénateur Buchanan : Le Ralliement national des Métis doit-il accepter comme membre de la nation métisse toute personne qui s'identifie comme Métisse?
Mme Poitras : Non. Si une personne se présente à notre bureau et prétend qu'elle est Métisse, nous appliquons un processus bien établi. Il y a un formulaire de demande et une liste d'autres critères. La personne doit établir sa généalogie pour montrer qu'elle se rattache au territoire de la nation métisse.
Le sénateur Buchanan : Est-ce que c'est très compliqué?
Mme Poitras : En Alberta, notre personnel compte un généalogiste qui travaille avec nos membres. Il y a 33 000 membres de la Métis Nation of Alberta qui ont suivi le processus : ils se sont présentés chez nous, ils se sont identifiés comme Métis et ils ont demandé à devenir membres. Ils sont ensuite retournés chez eux et ils ont tâché d'établir leur arbre généalogique avec leur famille, ou alors ils ont travaillé avec notre généalogiste. Ils ont dû ensuite fournir leur certificat de naissance avant d'obtenir une carte. C'est la marche à suivre.
Le sénateur Buchanan : À votre connaissance, avez-vous déjà refusé des gens qui disaient être des Métis mais qui n'avaient pas réussi à le prouver?
Mme Poitras : Je ne pourrais pas vous dire combien de gens nous avons refusé.
Nous avons travaillé avec des gens qui croyaient sincèrement appartenir à notre nation, mais qui n'ont pas pu établir leur arbre généalogique, ou qui ne savaient pas comment faire. Il y a aussi des gens qui n'avaient absolument pas d'ancêtres métis et qui ne pouvaient nous fournir aucune preuve.
Le sénateur Buchanan : Il me semble vous avoir entendu dire que vous aviez eu du mal à négocier avec le gouvernement fédéral, en tant que nation métisse, au sujet de différentes questions mentionnées dans votre mémoire. C'est bien cela?
Mme Poitras : Pour que nous puissions négocier en tant que nation métisse, il fallait d'abord que les gouvernements reconnaissent que nous formons une nation, un des peuples autochtones.
Le sénateur Buchanan : Seriez-vous d'accord si le gouvernement se disait prêt à reconnaître les Métis et à négocier avec vous à condition d'avoir son mot à dire dans les critères appliqués pour déterminer qui est Métis et qui ne l'est pas?
Mme Poitras : Je me demanderais quelles sont les raisons du gouvernement.
Le sénateur Buchanan : Il l'a déjà fait.
Mme Poitras : Pour moi, tout se rattache à l'histoire que j'ai apprise dès que j'ai été assez grande pour marcher. Ce que nous sommes, c'est une nation fière qui a hissé son drapeau pour la première fois en 1816. Ce n'est pas simplement une question de sang mêlé. Nous formons une nation, avec une histoire, une culture, une danse. Nous avons pris le meilleur des Européens et le meilleur des Autochtones, et voilà ce que nous sommes.
Le sénateur Buchanan : Très intéressant. En passant, je dois vous dire qu'à mon avis, le Ralliement national des Métis est très chanceux de vous avoir; vous êtes une porte-parole très convaincante pour votre nation.
Mme Poitras : Merci. Si notre président était ici, il pourrait vous expliquer le terme « Métis » mieux que moi. C'était un des avocats dans l'affaire Powley.
Le président : S'il n'y a pas d'autres questions, je vous remercie infiniment de votre présentation. Je suis sûr que vous avez aidé nos collègues à comprendre la nation métisse, et à savoir qui elle regroupe et quels sont ses problèmes.
L'accord-cadre dont vous avez parlé nous sera très utile dans nos discussions. Si je comprends bien, c'est pour vous un document très important qui vous aidera, dans vos rapports avec le gouvernement, à vous faire reconnaître et à obtenir un jour le même statut, les mêmes droits et les mêmes programmes que les autres Autochtones.
Nous avons besoin d'une motion pour que le comité accepte ce document et pour qu'il soit consigné au compte rendu. Le sénateur Buchanan, appuyé par le sénateur Peterson, propose que le document intitulé « Accord-cadre avec la nation métisse » soit déposé auprès de la greffière. Tous ceux qui sont pour?
Des voix : D'accord.
Le président : La motion est adoptée.
Avant de clore la séance, je voudrais remercier le sénateur Léger. C'est votre dernière séance avec notre comité?
Le sénateur Léger : Oui, en effet.
Le président : Merci beaucoup au nom de tous mes collègues. Vous avez été un membre très fidèle de notre comité. Je vous remercie de votre contribution, de votre sagesse et de votre intérêt pour les peuples autochtones. Vous avez dénoncé énergiquement la situation déplorable des Autochtones à toutes nos séances. Nous ne vous oublierons pas. Comme nos travaux sont télévisés à l'occasion, vous pourrez y assister de chez vous au Nouveau-Brunswick au cours des prochaines années.
Le sénateur Léger : J'ai appris énormément. Merci.
Le président : S'il n'y a rien d'autre, je vais lever la séance pour aujourd'hui.
La séance est levée.