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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts


Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 5 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 14 décembre 2004

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 17 heures pour étudier l'état actuel et les perspectives d'avenir de l'agriculture et des forêts au Canada.

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Chers collègues, merci d'être ici. La séance d'aujourd'hui promet d'être intéressante.

Pour ceux qui nous regardent à la télévision, nous sommes le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Nous recevons ce soir le ministre du Commerce international, M. Jim Peterson, qui est accompagné de Mme Elaine Feldman et de Mme Suzanne Vinet.

Monsieur le ministre, si vous voulez nous présenter une courte déclaration préliminaire, nous pourrons ensuite passer directement aux questions.

L'honorable Jim Peterson, C.P., député, ministre du Commerce international : Merci beaucoup, madame la présidente. Je suis très heureux d'être ici et je vous remercie d'avoir organisé la séance d'aujourd'hui. Je suis toujours content d'avoir votre avis pour tenter de régler un dossier très difficile et très complexe, celui du bois d'œuvre résineux, qui traîne depuis plus de 20 ans. Je prévoyais vous présenter une déclaration préliminaire d'une quinzaine de minutes, mais comme nous n'avons pas beaucoup de temps, je me contenterai de dire quelques mots, après quoi nous pourrons passer tout de suite à vos questions et à vos commentaires.

Je suis accompagné de deux personnes très brillantes. Elles pourront répondre à toutes les questions difficiles, et je m'occuperai des plus faciles.

Il s'est produit quelque chose d'important aujourd'hui dans le dossier du bois d'œuvre résineux. Le département américain du Commerce a rendu à midi sa décision finale sur les droits antidumping et les droits compensateurs, qui ont été abaissés de 27,22 à 21,21 p. 100.

Ce taux de 21,21 p. 100 demeure supérieur aux 13,24 p. 100 annoncés par le département du Commerce en septembre dernier. On ne peut que spéculer sur ce que le département cherchait à faire en imposant des droits aussi élevés alors que les groupes spéciaux de l'ALENA et de l'OMC ont toujours nié aux États-Unis la capacité d'imposer des droits sur le bois d'œuvre résineux canadien. Les Américains essaient peut-être d'amener notre industrie à négocier. Il y a une rencontre prévue pour le 16 à Chicago, d'industrie à industrie. Il y sera question de ce que notre ministère a toujours privilégié, c'est-à-dire une approche en deux volets pour résoudre le conflit du bois d'œuvre résineux.

Nous allons porter la question devant les instances compétentes, et j'ai confiance que nous allons encore gagner. D'un autre côté, nous demeurons ouverts à l'idée d'un règlement négocié, à condition qu'il soit dans les meilleurs intérêts de tous, au Canada, notamment l'industrie et les provinces. C'est pourquoi nous avons encouragé les gens de l'industrie à se réunir pour voir s'ils pouvaient définir un point de vue national cohérent pour l'ensemble du Canada.

J'ai beaucoup travaillé avec les gens de l'industrie et avec mes homologues provinciaux pour essayer de résoudre cette question. Ce n'est pas un dossier que le gouvernement fédéral peut régler seul. Vous vous rappellerez que nous avons encouragé les provinces à négocier avec le département américain du Commerce, le printemps dernier, au sujet d'une réforme des politiques forestières qui pourrait déboucher sur le libre-échange. J'étais optimiste à ce moment là, parce que nous espérions mettre fin à nos différends une fois pour toutes et avoir un véritable libre-échange en Amérique du Nord dans le domaine du bois d'œuvre résineux.

Il y a eu des négociations entre les gouvernements de la Colombie-Britannique et de l'Ontario et le département du Commerce, mais elles ont échoué. Il est apparu évident à ce moment-là que la coalition américaine du bois d'œuvre ne voulait pas du libre-échange, même si nous changions nos pratiques forestières ici au Canada. Les gens du département américain du Commerce nous ont dit : « Ce n'est pas à nous — au gouvernement — qu'il faut parler, c'est à la coalition du bois d'œuvre. »

Notre position demeure celle qui est issue des nombreuses décisions des groupes spéciaux de l'OMC et de l'ALENA, à savoir que notre industrie du bois d'œuvre a des pratiques commerciales loyales, que les droits imposés ne sont absolument pas justifiés et que les 3,8 milliards de dollars et plus déjà perçus à ce chapitre doivent être remboursés aux producteurs canadiens.

Nous avons un problème. C'est l'amendement Byrd, que l'OMC a déclaré illégal et qui permettrait à l'industrie américaine de bénéficier de tous ces droits. Il a été déclaré illégal parce qu'il nous pénalise deux fois : non seulement nous devons verser des droits, censément pour rendre les règles du jeu plus équitables, mais ces droits vont à nos concurrents. Ils en profitent, et nos gens en souffrent deux fois plus. Cela favorise la champartie et le soutien délictueux aux producteurs américains. S'ils peuvent avoir cet argent-là, pourquoi est-ce qu'ils n'intenteraient pas des recours contre nous à la moindre occasion?

De plus, il aurait fallu ajouter à cela l'amendement Baccus, selon lequel l'argent qui est actuellement conservé par le Trésor aurait été remis à l'industrie, avant même que les causes soient réglées. C'est tout à fait illégal. Heureusement, l'amendement Baccus est mort au Feuilleton quand le Congrès a ajourné ses travaux. Voilà le genre de harcèlement dont nous sommes victimes. Il est très inquiétant de voir que les États-Unis ne respectent pas les règles du jeu dans le conflit du bois d'œuvre résineux.

Mais nous ne lâcherons pas. Sur ces quelques mots, je suis prêt à lancer la discussion.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Peterson. Mes collègues, autour de la table, sont intéressés à vous entendre parler des perspectives qui s'ouvrent pour le Canada à la suite de la publication, récemment, d'information de l'Organisation mondiale du commerce sur des sujets comme la Commission canadienne du blé et nos programmes de gestion de l'offre, par exemple. Je pense que vous pouvez vous préparer à répondre à des questions à ce sujet-là.

Le sénateur Gustafson : Bienvenue, monsieur Peterson. Chers collègues, je connais M. Peterson depuis longtemps, et ce n'est pas vraiment un mauvais bougre, vous savez.

M. Peterson : Ils pourraient bien vous répondre que vous ne me connaissez peut-être pas aussi bien que vous le pensez. C'est très aimable à vous, sénateur.

Le sénateur Gustafson : Ma question porte sur les droits imposés, qui sont très élevés. Vous avez parlé de 27 p. 100. Est-ce que c'est payable tout de suite?

M. Peterson : Oui, c'est payable tout de suite. En fait, par suite de la décision annoncée aujourd'hui, il y a même une compagnie — Tembec — qui va payer plus que 27,22 p. 100. Le département du Commerce a augmenté les droits antidumping spécifiquement pour cette entreprise.

Le sénateur Gustafson : À votre connaissance, dans nos négociations avec eux, est-ce que les Américains demandent des compromis?

M. Peterson : Nous n'avons rien entendu à ce sujet-là. J'aimerais vous ramener un peu en arrière. J'ai été nommé il y a un an environ. Le 6 décembre de l'an dernier, les Américains avaient mis sur la table une offre qui aurait donné aux Canadiens 31,5 p. 100 du marché du bois d'œuvre résineux. Il aurait fallu que les provinces apportent certains changements et que toutes respectent les règles pour que les autres puissent bénéficier du libre-échange. Quand j'ai consulté les gens de l'industrie et mes collègues des provinces, ils ont rejeté rapidement cette offre des Américains. Ma première tâche a été de me rendre à Washington, le 11 janvier, pour rencontrer le secrétaire américain au Commerce, Donald Evans, et lui dire que son offre était malheureusement inacceptable pour notre industrie. Depuis ce moment-là, il n'y a eu vraiment aucune rencontre de gouvernement à gouvernement, mais il y a eu des entretiens au niveau de l'industrie.

Bien sûr, un des gros problèmes de cette offre, pour nous, c'est qu'elle nécessitait des quotas pour différentes provinces. C'est un exercice qui crée des dissensions très sérieuses au Canada. À cause des droits de 27,22 p. 100, les répercussions variaient selon les régions. La Colombie-Britannique a accéléré et a commencé à produire beaucoup, mais les choses ont été beaucoup plus difficiles pour le Québec et l'Ontario, où la forêt est différente.

Pour répondre à votre question, non, il n'y a rien de conditionnel à autre chose.

Le sénateur Gustafson : Qu'en est-il des volumes d'expédition? J'habite le long de la ligne du Sault. Entre la Colombie-Britannique et Minneapolis, les trains de bois se suivent de près sur cette ligne.

M. Peterson : Nos volumes sont en hausse. Nous occupons aujourd'hui plus de 34 p. 100 du marché américain, malgré ces droits de 27,22 p. 100. Cela montre à quel point nos producteurs sont capables de surmonter les obstacles. Et c'est la preuve que la demande aux États-Unis est très élevée, à cause de la construction résidentielle. Nous avons vu en août des prix records d'environ 470 $ les 1 000 pieds-planche. Ils ont maintenant baissé à 371 $, ce qui demeure rentable à expédier pour la plupart des producteurs canadiens.

Une des conséquences de ces mesures commerciales contre le Canada — de ce harcèlement de nos producteurs —, c'est que nos producteurs ont rationalisé leurs opérations et qu'ils sont maintenant plus compétitifs. Il y a eu des pertes d'emplois, ce que je trouve déplorable, mais l'industrie s'est consolidée et modernisée. Le résultat de ce harcèlement, c'est que nous avons aujourd'hui une industrie très solide au Canada.

Le sénateur Gustafson : Est-ce que cette pression des Américains découle du fait que l'industrie américaine du bois d'œuvre est elle-même en train de s'affaiblir?

M. Peterson : Mme Feldman pourra m'aider à répondre à cette question. Leur bois n'est pas aussi bon que le nôtre; il n'est pas aussi prisé par l'industrie américaine de la construction. Leur pin des marais est un peu plus cassant et plus difficile à clouer que le nôtre. Le nôtre est plus droit et de meilleure qualité. Comme je le dis souvent, les arbres ne naissent pas tous égaux. À mon avis, il s'agit évidemment d'une tentative de la coalition américaine du bois d'œuvre pour maintenir la valeur des réserves américaines, qui sont privées, et pour garder le prix du bois d'œuvre à un niveau relativement élevé par ce moyen artificiel.

Le sénateur Gustafson : J'ai un frère qui a travaillé pendant des années pour Weyerhaeuser, dans la région de Seattle. Il me dit que la production n'est plus ce qu'elle était dans l'État de Washington.

Mme Elaine Feldman, sous-ministre adjointe associée, Politique commerciale, économique et environnementale, Commerce international Canada : C'est exact. Il y a quelques années, différents problèmes environnementaux comme celui de la chouette tachetée, par exemple, ont ralenti l'exploitation forestière dans l'Ouest. C'est un des problèmes qu'ont connus les États-Unis.

Le sénateur Hubley : Bienvenue, monsieur le ministre, madame Feldman et madame Vinet. Je suis très heureuse que vous soyez ici.

Je voudrais vous poser une question sur l'EBS. Le 23 octobre 2004, le Japon et les États-Unis ont conclu une entente cadre qui prévoit la reprise des échanges de bœuf entre les deux pays. Le Japon révise actuellement ses règlements intérieurs afin de modifier ses exigences et ses autres pratiques relatives aux tests de dépistage de l'EBS. Un programme de commercialisation spécial sera mis en place pour le Japon, en vertu duquel le département américain de l'Agriculture certifiera que les produits exportés sont conformes aux exigences de l'entente.

Le Japon a-t-il abaissé ses normes? À une certaine époque, je pense que les Japonais faisaient des tests de dépistage de l'EBS sur tous les produits bovins ou sur tous les animaux.

Le gouvernement du Canada a-t-il cherché à conclure une entente similaire avec le Japon?

M. Peterson : Je vais demander à Mme Vinet de répondre à cette question.

Mme Suzanne Vinet, directrice générale, Direction générale de la politique commerciale multilatérale, Commerce international Canada : Je ne suis pas au courant des détails, mais je sais que des vétérinaires de l'ACIA travaillent en étroite collaboration avec leurs homologues japonais. On nous a donné l'assurance que nous serions traités sur le même pied que les Américains. Si vous voulez plus de détails sur ce qui se passe, vous devriez plutôt vous adresser à l'Agence canadienne d'inspection des aliments.

Le sénateur Hubley : Le Canada pourrait-il être en mesure d'augmenter ses exportations vers ce pays?

M. Vinet : Le ministre de l'Agriculture, les fonctionnaires d'Agriculture Canada et les gens de l'Agence canadienne d'inspection des aliments ont certainement été en communication avec les Japonais, et ils ont fait des efforts soutenus pour essayer d'ouvrir le marché et d'obtenir pour les exportations canadiennes un traitement aussi favorable sur les marchés japonais. Je sais qu'il y a eu des efforts importants.

Le sénateur Hubley : Les Américains ont-ils déjà fait des pressions en vue d'isoler le Canada, par exemple, d'un marché donné? Est-ce que c'est possible? Avez-vous déjà entendu parler d'un cas où ils auraient pu faire pression sur les Japonais, par exemple, pour qu'ils prennent leurs produits plutôt que des produits canadiens?

M. Peterson : Je ne connais pas la réponse en ce qui concerne le Japon, mais cela s'est déjà vu dans le cas du Mexique. Les Mexicains sont tout à fait prêts à ouvrir leurs frontières à notre bœuf, mais les Américains leur ont dit : « Si vous faites cela, nous allons fermer notre frontière avec le Mexique. »

Cet exemple reflète l'intégration du marché du bœuf en Amérique du Nord, entre les pays membres de l'ALENA. Nous sommes reconnaissants aux Mexicains de leur sympathie, mais ils ont les mains liées. Ils continuent de se battre à nos côtés pour que ce dossier soit réglé sur des bases scientifiques.

La présidente : Notre comité a déposé un rapport au printemps dernier; il avait étudié très rapidement, sous une pression considérable, la question du bœuf et de la fermeture de la frontière. Ce rapport contenait deux recommandations, ce que nous avions jugé plus utile que dix. Nous recommandions notamment — et cette idée est de mieux en mieux acceptée — de revenir à l'époque où il y avait des installations de transformation administrées par des Canadiens, ici même au Canada.

L'autre recommandation, c'est que nous demandions aux gouvernements du Canada, des États-Unis et du Mexique de profiter de certaines des options offertes par l'ALENA pour tirer des leçons de cette expérience qui a été — et qui est encore — extrêmement douloureuse pour notre pays et pour nos producteurs. Nous voulions que les gouvernements créent un mécanisme pour l'avenir, dans le cadre de l'ALENA, afin d'éviter que d'autres incidents comme celui-là n'entraînent à nouveau la fermeture de la frontière.

J'aimerais savoir, monsieur le ministre, si vous avez des idées là-dessus et si — comme je l'espère — cette suggestion vous semble intéressante.

M. Peterson : Ces questions relèvent plutôt du ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire. Mais ce sont deux excellentes suggestions. Nous avons vu que le gouvernement avait pris des moyens pour porter la capacité d'abattage au Canada à 30 000 bêtes par semaine. Ce sera absolument critique pour la survie de nos producteurs de bœuf.

Même si la frontière finit par ouvrir, ce qui se fera sûrement, cela pourrait avoir des conséquences imprévues pour l'industrie américaine. Nous avions une industrie intégrée, mais nous allons devenir des concurrents plutôt que des partenaires sur le continent nord-américain. Nous devons avoir cette capacité de transformation. Vous avez tout à fait raison.

J'aime bien l'idée de nous servir de cette expérience comme exemple de ce qui peut mal aller, pour nous aider à trouver de meilleurs moyens de régler nos différends. Est-ce que nous pouvons le faire compte tenu des groupes d'intérêts aux États-Unis, par exemple R-CALF et les petits producteurs, qui sont tout à fait capables d'accaparer les priorités législatives et de les orienter dans une direction donnée? Nous constatons cela dans l'industrie du bœuf; nous le constatons aussi dans le secteur du bois d'œuvre résineux, où quelques producteurs américains réussissent à orienter les priorités et à exercer une influence disproportionnée.

Les consommateurs sont laissés de côté dans toute cette affaire, aux États-Unis. On estime que les mesures protectionnistes de ces producteurs de bois d'œuvre ont entraîné une hausse de 5 000 $ à 7 000 $ dans le coût des maisons. Je ne sais pas jusqu'à quel point c'est la même chose dans l'industrie du bœuf, mais c'est un sujet dont nous devrions discuter très bientôt avec les Mexicains et les Américains. C'est une bonne suggestion.

La présidente : Il est certain que les gens qui sont ici, autour de la table, vous appuieront avec enthousiasme.

Le sénateur Oliver : Bienvenue, monsieur le ministre. Quand les Canadiens parlent des différences et des ressemblances entre eux et les Américains, les premières choses qu'ils mentionnent, ce sont le bois d'œuvre et l'EBS. Vous avez parlé tout à l'heure de « harcèlement », monsieur le ministre, en disant que les Canadiens ont été quelque peu malmenés dans ces deux dossiers-là.

Le président des États-Unis est venu au Canada récemment. Il y a eu de nombreuses rencontres avec notre premier ministre, notre vice-premier ministre, notre ministre des Affaires étrangères, et ainsi de suite. Les rencontres à ce niveau-là, entre le président des États-Unis et le premier ministre du Canada, aident-elles à réduire ce harcèlement, ce problème perpétuel qui afflige le Canada dans les dossiers du bois d'œuvre résineux et de l'EBS?

Le chapitre 19 de l'ALENA porte sur les mécanismes de règlement des différends. Ces gens-là n'ont pas le droit de faire des lois, ni de prendre des décisions. Ils cherchent à déterminer si les pays membres ont appliqué leurs propres lois correctement.

Cela ne semble pas fonctionner. Qu'est-ce qu'il faudrait faire à votre avis pour donner à ces mécanismes plus de mordant? Que faudrait-il faire pour les rendre plus efficaces?

M. Peterson : C'est une question importante, sénateur Oliver.

Commençons par le chapitre 19 et les mécanismes de règlement des différends. Il y a divers moyens de mettre fin à ces conflits. C'est nous qui avons insisté pour que des mécanismes de règlement des différends soient inclus dans l'ALENA. Nous ne voulions pas être assujettis aux tribunaux américains pour faire valoir nos droits en vertu de ce traité. Cependant, comme nous l'avons vu, les Américains reviennent constamment à la charge, même quand nous gagnons. Le premier ministre est rentré de Sun Valley en disant qu'il fallait trouver un meilleur moyen de procéder. Il a demandé à l'industrie de participer à cette quête.

Cela pourrait nous être utile si votre comité nous présentait des suggestions sur ces questions. Nous envisageons certaines choses. Pourrions-nous établir des échéances pour certains de ces mécanismes? Pourrions-nous accélérer les choses d'une certaine façon? Et, une fois un différend réglé, pourrions-nous demander aux gens de s'engager à ne pas revenir sur la question pendant une période donnée?

Nos gens examinent toutes ces questions. Nous serons heureux de recevoir vos suggestions.

Pour ce qui est de la visite présidentielle, j'ai l'impression qu'elle n'a pas beaucoup aidé à faire progresser le dossier du bois d'œuvre résineux. Il appartient maintenant au Congrès de décider s'il va se débarrasser de l'amendement Byrd.

Le président a une certaine sympathie pour nous dans ce dossier. Il sait que c'est un irritant. Une blessure suppurante comme celle-là, qui tarde à se cicatriser, n'est pas bonne pour la réputation des États-Unis. Il a demandé à ses gens de faire des efforts pour résoudre le conflit. Quant à savoir si ce sera possible, c'est une autre histoire. Mais je demeure ouvert à ce genre de chose.

Il y a eu des progrès dans le dossier de l'EBS. Le président Bush a annoncé pendant une visite à Santiago, dans le cadre d'une rencontre de l'APEC, que le dossier avait été transmis du département de l'Agriculture au U.S. Office of Management and Budget — l'OMB —, ce qui représente une décision intéressante dans l'évolution du conflit de l'EBS. Maintenant que le dossier est entre les mains de l'OMB, il faut que des décisions soient prises dans un délai donné. Nous commençons à voir la lumière au bout du tunnel. C'était une preuve de bonne volonté.

J'espère que le président Bush va finir par intervenir auprès du Congrès. Après tout, les deux chambres sont républicaines. Nous pourrions peut-être faire pression sur le Congrès pour que ces conflits se règlent. J'espère que nous pourrons accélérer le plus possible le processus à l'OMB.

Cette bonne volonté est importante. Le président a rencontré notre premier ministre à six reprises. Chaque fois que j'étais avec eux, j'ai remarqué que leurs rapports étaient faciles, de plus en plus familiers et confiants. Ce sont des rapports qui leur permettent de dire : « Oui, nous pouvons être en désaccord, mais nous pouvons quand même être camarades et amis au sein du plus grand partenariat économique qui ait jamais existé sur Terre. »

Donc, je crois que les rencontres de haut niveau sont importantes, même si on ne peut pas s'attendre à ce qu'elles permettent de résoudre tous les conflits.

Le sénateur Oliver : Vous avez dit que le principal problème, pour le règlement du conflit du bois d'œuvre résineux, c'est que le dossier est entre les mains du Congrès. Comme le Congrès est composé de représentants élus, est-ce qu'il pourrait être utile que des politiciens canadiens aillent à Washington ou ailleurs aux États-Unis pour les rencontrer individuellement et nouer des liens à ce niveau-là? Est-ce que cela pourrait aider à faire tomber certains des obstacles qui mènent au harcèlement que vous avez évoqué?

M. Peterson : Je suis entièrement d'accord avec vous. C'est absolument essentiel, et nous n'aurons pas fait notre devoir tant que nous n'aurons pas épuisé ce genre de recours et que nous n'y aurons pas consacré toutes nos énergies.

Nous avons pris un certain nombre de mesures dans ce sens-là. Nous ne les avons pas encore mises en œuvre complètement. C'était notre première initiative pour améliorer notre représentation aux États-Unis, où nous avons ouvert sept nouveaux consulats et nommé 20 consuls honoraires. Nous avons aussi créé un centre parlementaire de défense des intérêts canadiens, à notre ambassade de Washington. Le premier ministre l'avait suggéré en mars dernier, et le centre a ouvert ses portes en septembre.

J'ai annoncé récemment que nous dirigerions des missions aux États-Unis pour y défendre nos intérêts. J'aimerais que des parlementaires des deux Chambres et de tous les partis se joignent à nous pour rencontrer des leaders d'opinion, notamment des sénateurs, des membres du Congrès, des gouverneurs et des maires. Nous allons annoncer une de ces missions au début de la nouvelle année, certainement avant le printemps. Nous voulons établir des liens personnels afin que les gens puissent faire des téléphones et demander de l'aide pour résoudre les problèmes. Nous devons en faire plus pour bâtir ces liens parce qu'ils sont, de toute évidence, importants pour les Américains.

Le sénateur Oliver : C'est encourageant à entendre.

M. Peterson : Nous serions heureux que votre comité participe à ces missions.

La présidente : Pour votre gouverne, monsieur le ministre, si nos collègues du Sénat approuvent le budget de notre comité, nous allons nous rendre à Washington en mars. Nous allons y passer assez de temps pour essayer d'établir les rapports et de bâtir les liens d'amitié dont vous parlez. Avant notre voyage, nous aimerions certainement avoir des suggestions de vos gens.

M. Peterson : Merci beaucoup, madame la présidente. Je sais que les gens de notre centre, à Washington, seraient très contents de travailler avec vous.

La présidente : Ce serait un plaisir.

M. Peterson : Je me rappelle qu'à l'époque où je venais d'être élu, il y a eu un important conflit avec les États-Unis au sujet de l'acier. Les deux administrations traitaient entre elles. Le président Reagan était d'accord avec nous, mais il n'avait pas réussi à convaincre le Congrès. Nous avons décidé de former un comité de l'acier et nous sommes allés rencontrer nos collègues là-bas. J'ai été le premier président de ce comité. Nous avons obtenu un appui extraordinaire des membres du Congrès. Ils n'avaient jamais rencontré de politiciens canadiens, mais les politiciens semblent avoir des affinités entre eux, probablement parce qu'ils doivent livrer le même genre de batailles. Ils ont fini par reconnaître que nous avions raison. Ils se sont rendu compte que nous n'étions pas si méchants dans le secteur de l'acier.

La présidente : Nous serons très heureux de travailler avec vous.

Le sénateur Callbeck : Bienvenue, monsieur le ministre. C'est un plaisir de vous avoir ici ce soir avec vos collaboratrices.

Je voudrais vous poser des questions sur un certain nombre de sujets. Il y a d'abord les mesures législatives américaines relatives à l'étiquetage précisant le pays d'origine. Si je comprends bien, cet étiquetage est obligatoire pour la viande, les fruits de mer et les fruits et légumes. Ces mesures vont coûter cher aux exportateurs canadiens.

J'ai entendu dire que le gouvernement du Canada faisait des pressions pour que ces mesures législatives soient rejetées, et que le Congrès étudie actuellement un autre projet de loi qui rendrait cet étiquetage volontaire, plutôt qu'obligatoire.

Pouvez-vous m'en dire plus long là-dessus?

M. Peterson : Je ne sais pas exactement où en est rendu ce projet de loi. Un certain nombre de barrières non tarifaires et de campagnes d'achats locaux sont en train de voir le jour aux États-Unis. C'est du protectionnisme pur et simple. Nous l'avons vu dans un certain nombre de domaines, y compris en ce qui concerne l'externalisation; il y a eu des projets de loi visant l'identification du pays où sont situés les centres d'appel, par exemple.

Nous tentons de nous y opposer. Je vais devoir vous revenir au sujet du succès que nous remportons.

Le sénateur Callbeck : J'ai une autre question au sujet des droits antidumping sur les porcs vivants provenant du Canada. Ces droits varient de 13 à 15 p. 100, si j'ai bien compris. Bien sûr, c'est une source de pression supplémentaire pour les exportateurs de tout le Canada.

Que fait votre ministère pour atténuer ce problème, ou que peut-il faire?

M. Peterson : Nous collaborons de très près avec les producteurs porcins dans ce dossier. À notre avis, c'est totalement injuste. Cela s'apparente au dossier du bois d'œuvre. Nous avons vécu cela pendant des décennies avec les Américains et nous avons finalement fait la paix. Entre temps, notre industrie s'est consolidée, elle est devenue très forte et elle produit plus que l'industrie américaine.

Nous avons réussi à contrer les attaques contre nos producteurs porcins, en ayant recours aux mécanismes de l'OMC et de l'ALENA. Il est absolument ridicule que, quand nous vendons nos porcelets sevrés aux Américains, les prix soient fixés par nous plutôt qu'en fonction des conditions internationales du marché du porc.

Nous allons continuer à nous battre. Mais je ne sais pas si les Américains vont un jour nous laisser la paix dans ce secteur-là.

Le sénateur Callbeck : J'ai entendu dire que le département américain du Commerce allait rendre sa décision finale en mars. Si cette décision n'est pas favorable au Canada, qu'allons-nous faire?

M. Peterson : Nous pouvons continuer à nous y opposer. Nous pouvons poursuivre notre combat dans le cadre de l'ALENA et de l'OMC, et nous allons travailler en très étroite collaboration avec nos producteurs de porc dans ce dossier. Je ne sais pas s'il y a un point final prévu pour le recours à ces mécanismes de règlement des différends. Si vous avez des suggestions pour nous aider à obtenir une décision favorable, je serais ravi de les entendre.

Le sénateur Callbeck : J'aimerais bien en avoir.

M. Peterson : Au sujet de l'EBS, du bois d'œuvre résineux, du porc et probablement du blé, les Américains n'ont pas cessé de prendre des recours contre nous, en réponse aux pressions de leurs producteurs. Malgré cela, un bon 96 p. 100 de nos échanges avec les États-Unis se font dans l'harmonie. J'ai bien peur que les secteurs dans lesquels il y a des conflits ne nuisent à une relation qui, autrement, est tout à fait exceptionnelle et qui nous a été très profitable.

Les opposants à l'ALENA et à la libéralisation des échanges disent que les Américains ne jouent pas franc jeu, comme en témoignent tous ces différends. Mais, malgré tout, nous vendons toujours une quantité record de bois d'œuvre résineux aux États-Unis et nous prospérons grâce à ces échanges.

Mon message, c'est qu'il faut aussi regarder l'autre côté de la médaille. Nos rapports commerciaux avec les États- Unis ne sont pas marqués uniquement par les conflits et les difficultés. Ce sont probablement les meilleurs rapports commerciaux au monde. Mais nous pouvons les améliorer, et ce que je vise, c'est de réduire les différends à zéro, avec votre aide.

Le sénateur Hubley : Vous dites que 96 p. 100 de nos échanges avec les États-Unis se font dans l'harmonie. Alors, pourquoi nos agriculteurs ont-ils autant de difficultés, non seulement dans le cas de l'EBS, mais aussi en ce qui concerne la crise de la pomme de terre à l'Île-du-Prince-Édouard? Ce sont les agriculteurs, ceux qui travaillent la terre, qui ne prospèrent pas.

Est-ce que j'ai bien compris ce que vous vouliez dire ou si j'interprète vos propos à ma façon?

M. Peterson : Vous avez raison. Je ne sais pas pourquoi les conflits actuels concernent surtout l'agriculture et le secteur des ressources naturelles. Traditionnellement, il y a eu un peu de tension aussi dans le secteur de l'acier, mais cela semble résolu pour le moment.

Est-ce parce que, dans ces secteurs-là, l'industrie américaine est très bien organisée et très combative, et qu'elle sait comment se servir des tribunaux pour qu'ils fassent ce qu'elle ne peut pas faire, c'est-à-dire nous battre dans les champs ou dans les ventes aux enchères? Je ne sais pas.

Le sénateur Hubley : Je répugne à le dire, mais il y a là un certain protectionnisme.

M. Peterson : Je suis d'accord avec vous; c'est du protectionnisme. Il faut bien appeler un chat un chat. Nous sommes tout à fait prêts à respecter nos obligations commerciales et à commercer loyalement. Nous sommes prêts à nous engager à ne pas verser de subventions, à ne pas faire de dumping ou alors, si nous le faisons, à payer des pénalités. Mais les tribunaux ont affirmé que nos pratiques commerciales dans tous ces secteurs étaient tout à fait loyales.

Pourquoi reviennent-ils toujours à la charge? Est-ce parce qu'ils ne sont pas aussi bons que nous et qu'ils veulent par conséquent nous tenir loin de leurs marchés?

La présidente : Chers collègues, il nous reste 20 minutes. Comme toujours, nous vous demandons de poser des questions courtes et précises, de manière à pouvoir obtenir des réponses complètes du ministre au cours de ces 20 minutes.

Le sénateur Ringuette : Merci, monsieur le ministre. Comme je viens de la région du Nouveau-Brunswick où il se produit beaucoup de pommes de terre, je peux vous dire que, chaque fois que la récolte de pommes de terre est exceptionnelle aux États-Unis, la frontière canado-américaine semble se fermer automatiquement. Vous avez raison de dire que l'industrie américaine est très bien organisée — elle a des lobbyistes puissants — pour protéger ses débouchés et ses prix.

Je me rappelle vaguement — je ne sais plus si c'était l'année dernière ou celle d'avant — que nous avons dépensé plusieurs millions de dollars pour faire du lobbying auprès de Washington ou de l'industrie américaine du bois d'œuvre au sujet du conflit du bois d'œuvre résineux. Pouvez-vous nous en dire plus long sur cette dépense et sur ce qui en a résulté?

M. Peterson : Nous avons consacré environ 17 millions de dollars à des activités de lobbying aux États-Unis. Nous avons réussi à mobiliser les gens de Home Depot, par exemple, qui ont finalement dirigé un groupe de lobbyistes chargés de défendre le point de vue des consommateurs dans ce dossier. Ils pensent avoir réussi à rallier à notre cause une centaine de membres du Congrès et du Sénat. Mais, bien sûr, ce n'est pas suffisant.

Je ne sais pas ce qu'il faudra faire pour en finir, mais nous accueillons avec plaisir tous les alliés que nous pouvons trouver dans ces groupes aux États-Unis. Il est peut-être plus difficile, là-bas, de défendre les intérêts des consommateurs que ceux des producteurs, compte tenu tout particulièrement des lois américaines sur le financement électoral. C'est peut-être un facteur dans toute cette affaire.

Je crois que nous pourrons avoir beaucoup plus d'influence à l'avenir si nous adoptons la voie qu'ont évoquée le sénateur Oliver et madame la présidente, celle des contacts individuels et des rencontres avec nos homologues aux États-Unis, où les producteurs agricoles ont d'innombrables problèmes — particulièrement à l'OMC, qui veut mettre fin aux énormes subventions dont bénéficient les agriculteurs américains.

Cela va créer des façons différentes de faire les choses, et le changement est toujours difficile pour tout le monde.

Plus vous pourrez parler à vos homologues là-bas, dans le secteur de l'agriculture, mieux ce sera pour nous. En outre, ce genre de lobbying est beaucoup moins coûteux et beaucoup plus efficace que le lobbying traditionnel. Nous espérons pouvoir nous joindre à vous, avec beaucoup d'autres parlementaires qui s'intéressent particulièrement à toutes ces questions.

Le sénateur Ringuette : Pour terminer, je tiens à vous remercier des efforts que vous consacrez à ces dossiers. Je comprends certainement mieux maintenant les grands défis qui nous attendent, et qui attendent notre communauté agricole, pour les négociations à l'OMC.

Le sénateur Gustafson : Comme vous le savez, monsieur le ministre, l'Agriculture connaît de graves difficultés. Quand on tient compte des coûts de production et des prix auxquels nos produits se vendent actuellement, on atteint au mieux le seuil de rentabilité. C'est ce qui se passe depuis quatre ans maintenant. Le gel et la sécheresse posent des problèmes, entre autres, mais ce n'est pas le pire. Le pire, ce sont les prix. Bien sûr, les Américains versent des subventions, et des grosses. Et les Européens aussi.

Diriez-vous qu'il serait temps d'examiner sérieusement l'économie agricole mondiale? Si le statu quo se maintient, il n'y aura pas beaucoup de survivants. Si vous ne me croyez pas, demandez au sénateur Sparrow. Il est ici depuis 37 ans, et nous avons eu bien des conversations à ce sujet-là. La situation de l'agriculture est très difficile. Nous devons modifier notre approche au niveau mondial.

Nous avons cru que nous obligerions les Américains à cesser leurs subventions. Mais nous n'y arrivons tout simplement pas. Ma ferme est juste à côté des États-Unis; je sais ce qu'ils font. J'ai des voisins agriculteurs des deux côtés de la frontière. Je leur rends visite souvent.

Nous sommes vraiment en difficulté parce que les Américains et les Européens dominent les marchés mondiaux, surtout les Français. Les Français cultivent beaucoup plus de blé que le Canada.

Tant que nous ne reconnaîtrons pas cette réalité, je ne sais pas quelle sera la solution.

M. Peterson : Je n'ai certainement pas la solution, mais j'aimerais avoir votre avis sur l'OMC et sur les conséquences que pourraient avoir les négociations là-bas pour uniformiser les règles du jeu.

Vous avez parlé des énormes subventions versées aux agriculteurs américains, et aussi à ceux de l'Union européenne. L'OCDE estime que les subventions versées aux agriculteurs dans le monde entier totalisent un million de dollars par jour, ce qui fait environ six fois le montant total de l'aide que nous accordons aux pays en développement.

Si nous voulons uniformiser les règles du jeu pour nos agriculteurs — et, ce qui est probablement plus important encore, pour ceux des pays en développement, pour qu'ils puissent enfin vendre leurs produits de base sur les marchés mondiaux, obtenir des devises étrangères et commencer à se développer —, le seul espoir que je vois pour mettre fin à ces subventions indécentes, ce sont les négociations à l'OMC.

C'est là le sens de l'entente cadre que nous avons tenté de conclure à Genève à la fin de juillet dernier; votre comité a suivi la question très attentivement. Après Cancun, en septembre de l'an dernier, bien des gens ont cru que l'OMC était morte. Et puis Robert Zoellick, le représentant américain au commerce, est revenu en janvier avec une offre formidable pour un nouveau départ. Il a rallié les Européens, et ils sont en train de reconsidérer leurs subventions.

Nous avons une entente cadre et nous devons travailler très fort pour nous assurer que la chair que nous mettrons sur ces os nous permettra, comme vous l'avez dit, de nous débarrasser de ces subventions pour que les règles du jeu soient les mêmes pour tout le monde.

Quant à savoir si les Américains vont faire leur part et tenir leurs promesses, c'est ce qu'il faudra surveiller tout particulièrement. Je ne préconise pas que le Canada renonce à sa protection tant que nous n'aurons pas vu de mesures concrètes de la part des Américains. Il y a des gens qui disent qu'après l'Uruguay, nous nous sommes fait promettre certaines choses — le ministre Ralph Goodale pourrait vous en parler — que nous n'avons pas eues. Nous avons fait ce qu'il fallait faire, en ce sens que nous avons accordé des concessions au sujet de l'accès à nos marchés. Nous avons renoncé à 5 p. 100 et nous n'avons rien reçu en retour.

Après avoir été échaudés de cette façon, nous allons vouloir profiter de votre expérience tout au long de ces négociations pour être certains d'obtenir ce qui nous est dû.

Le sénateur Gustafson : Monsieur le ministre, après avoir fait le tour de la question, j'ai bien peur que nous ne réussissions pas à obliger les Américains à renoncer à leurs subventions. J'ai rencontré il y a quelques jours un concessionnaire John Deere, qui m'a dit que sa compagnie n'arrivait pas à produire assez de moissonneuses-batteuses pour répondre aux besoins des agriculteurs américains. Tout cela est attribuable aux subventions.

M. Peterson : Oui.

Le sénateur Gustafson : Le gouvernement des États-Unis a décidé, dirait-on, que c'était le moyen à prendre pour stimuler l'économie américaine. Et, pendant qu'il continue à verser des subventions, nous continuons à faire le contraire et à ne pas en accorder. À la fin, nous n'aurons plus d'industrie. C'est à ce point sérieux.

M. Peterson : Beaucoup d'entre nous avons eu un choc quand nous avons vu la loi agricole aux États-Unis.

Le sénateur Gustafson : Vous connaissez les chiffres — il y a des subventions additionnelles d'environ 90 milliards de dollars —, et nous en sommes seulement à la troisième année de ce régime.

Tant les Européens que les Américains commencent à prendre l'environnement, le développement rural et l'agriculture, et à regrouper tout cela sous une même rubrique. Autrement dit, ils affirment que les agriculteurs ne peuvent pas payer cela tout seuls et que c'est une obligation pour toute la société. Voilà à quoi ressemble l'avenir.

M. Peterson : C'est un avenir bien sombre. Nous tentons évidemment, dans le cadre de l'OMC, de mettre fin à ces énormes subventions. Je suis relativement optimiste quant à nos chances de réussite, mais vous avez peut-être raison, sénateur Gustafson.

Le sénateur Gustafson : Je suis le dossier depuis 20 ans, et il ne se passe rien.

Le sénateur Oliver : Ma question se rattache à la rencontre de juillet à Genève. Tous les journaux parlaient d'un déblocage. Puis, le ministère canadien des Affaires étrangères a dit : « Un instant! Du côté de la Commission canadienne du blé et de la gestion de l'offre, il y a des problèmes pour les Canadiens qui vont négocier la prochaine fois. » La Commission canadienne du blé peut obtenir des garanties de prêt du gouvernement, ce qui veut dire que les coûts d'emprunt seront bien inférieurs à ceux des Américains. D'autres pays jugent que ces garanties de prêt constituent des subventions déloyales. Qu'allons-nous faire au sujet de ces allégations qui risquent de nuire à la gestion de l'offre au Canada et à la Commission canadienne du blé?

M. Peterson : Cette rencontre a été une expérience exceptionnelle. Le ministre Mitchell et moi y étions. Le Canada faisait partie de la quinzaine de pays représentés autour de la table. Je ne suis pas content de ce qui s'est passé au sujet de la Commission canadienne du blé. Nous avons perdu la capacité de fournir du financement gouvernemental et d'éponger les pertes.

Le sénateur Oliver : Exactement.

M. Peterson : Ce qui avait été proposé était bien pire, et nous avons pu riposter jusqu'à un certain point. Mais nous n'avons pas obtenu tout ce que nous voulions. Sur le plan de la gestion de l'offre, nous avons pu nous assurer que nous pourrions conserver nos droits élevés hors contingent, ce qui est essentiel pour protéger la gestion de l'offre. Nous étions accompagnés là-bas par des gens de la Commission canadienne du blé, par 40 représentants des organisations de gestion de l'offre et par quatre ou cinq autres personnes qui représentaient les autres secteurs de l'agriculture, les 90 p. 100 qui ne sont pas soumis à la gestion de l'offre.

Ils nous ont énormément aidés. Nous les avons rencontrés une ou deux fois par jour, et nous avons constaté qu'ils avaient une vaste expérience. Nous avons eu des échanges très francs. Comme représentant de notre pays, je me suis senti bien seul là-bas parce que c'était nous contre 146 autres.

C'est pourquoi nous encourageons les gens de ces industries à parler à leurs homologues étrangers, à leur dire pourquoi la façon de faire du Canada peut être profitable pour d'autres pays et pourquoi, par conséquent, ils ne devraient pas s'en prendre au Canada. Ces choses peuvent parfois tourner à l'avantage des producteurs canadiens.

Je ne me fais pas d'illusions sur le fait que ces entreprises commerciales d'État et ces programmes de gestion de l'offre vont être la cible d'attaques. Encore là, il est important que vous nous fassiez vos suggestions sur ce que nous devrions faire.

Il n'y aucun pays industrialisé au monde qui soit plus dépendant du commerce que le Canada; c'est ainsi que notre économie fonctionne, puisqu'elle repose à 40 p. 100 environ sur l'exportation. C'est certain. Nous devons nous efforcer tout particulièrement d'assurer aux producteurs canadiens l'accès aux marchés étrangers. Notre population ne compte que 32 millions d'habitants, et nous ne pouvons pas survivre en maintenant notre niveau de vie actuel si nous n'exportons pas.

Ce qui nous intéresse au plus haut point, c'est d'avoir accès à ces marchés. Pour ce qui est de la gestion de l'offre, dans le cadre de l'OMC, nous avons réussi à faire reconnaître que les pays ont chacun leurs points sensibles. Nous ne sommes pas les seuls. L'Inde, la Corée et presque tous les pays où il y a de la production agricole ont leurs points sensibles, même la Suisse. Nous allons nous battre avec toute l'énergie possible à Hong Kong, dans un an, pour défendre nos intérêts — ceux-là même que vous avez mentionnés, sénateur. Nous allons livrer le meilleur combat possible.

En définitive, nous devrons analyser le résultat en termes de retombées globales pour l'ensemble des Canadiens. Nous sommes résolus à viser le meilleur résultat possible. La contribution des sénateurs sera importante pour ces négociations.

La présidente : Monsieur le ministre, le temps passe. Nous allons demander à un de nos plus anciens membres de conclure la période des questions. Ce sera pour lui un moment historique. Je veux parler de notre cher sénateur de la Saskatchewan, Herb Sparrow. Herb, comme vous le savez, est au Sénat depuis 37 longues années. Ce sera sa dernière séance avec le Comité de l'agriculture et des forêts. Le sénateur Sparrow a été membre et président de ce comité. Il l'a aussi aidé à rassembler ses énergies pour produire un des documents les plus célèbres dans l'histoire de l'agriculture de notre pays, Nos sols dégradés, qui s'est attiré des éloges dans le monde entier. Nous perdons un conseiller précieux sur les questions agricoles. Il est tout à fait approprié que le sénateur Sparrow soit le dernier à intervenir aujourd'hui.

Le sénateur Sparrow : Merci. Je tenais à être ici, monsieur le ministre, parce que vous y êtes aussi.

Je sais que nous n'avons pas beaucoup de temps. Monsieur le ministre, vous avez dit que nous avions de bonnes relations commerciales avec les États-Unis, ce qui est vrai de façon générale. Mais il est difficile de convaincre les agriculteurs que c'est le cas, et les gens de l'industrie du bois d'œuvre résineux également. Il est difficile de leur dire : « Tout va bien; c'est seulement que vous souffrez un peu alors que le reste du pays ne souffre pas. » D'une manière ou d'une autre, je n'ai pas l'impression que le Canada pourra rester sur ses positions. Nous allons devoir trouver une solution.

N'allez surtout pas croire que je ne cherche qu'à critiquer. C'est excellent d'avoir des visites, des relations internationales, et ainsi de suite, mais nous prenons constamment du retard. Nous prenons du retard à l'Organisation mondiale du commerce, par rapport à la situation internationale. Nous n'arrêtons pas de laisser aller les capacités agricoles de notre pays.

Y a-t-il un secteur, à votre avis, où des mesures de rétorsion pourraient être efficaces? Nous avons certainement de l'énergie — nous en exportons pour des millions de dollars. Y aurait-il moyen d'appliquer des mesures de rétorsion et de dire : « Si nous n'obtenons pas ce que nous voulons, nous imposerons des pénalités nous-mêmes »?

Il faut envisager cela. Or, je n'ai rien entendu dans ce sens-là ce soir. Nous commerçons beaucoup, mais nous n'avons aucun atout pour adopter la ligne dure.

M. Peterson : Permettez-moi tout d'abord de vous féliciter pour votre carrière exceptionnelle au Sénat, au service de notre pays.

Me permettez-vous de leur raconter la fois où vous m'avez amené en Saskatchewan?

Le sénateur Sparrow : Certainement!

M. Peterson : J'ai passé trois merveilleuses journées avec le sénateur Sparrow dans sa région. Il m'a appris une foule de choses sur l'agriculture, la vie et la politique. J'ai beaucoup apprécié ses leçons.

Il a aussi fait tout un discours. C'était magnifique!

Vous avez raison de dire que le libre-échange et l'ALENA n'ont pas été bons pour nos agriculteurs, et je n'essaierai pas de vous convaincre du contraire. Vous avez tout à fait raison. Cela revient à ce qu'a dit le sénateur Hubley au sujet des difficultés que doivent endurer les agriculteurs. C'est pourquoi nous devrons toujours avoir des filets de sûreté et des programmes d'aide pour essayer d'aider nos producteurs agricoles à traverser les périodes difficiles. C'est essentiel à l'idée que nous nous faisons du Canada et du type de nation que nous voulons être, et au comportement que nous voulons adopter sur les marchés mondiaux. L'agriculture est extrêmement importante pour nous.

Vous me demandez si nous pourrions rendre la vente de notre énergie conditionnelle à un traitement satisfaisant pour nos agriculteurs, par exemple; cela a déjà été suggéré. J'aimerais bien pouvoir obliger les États-Unis à respecter les règles du jeu, surtout en ce qui concerne l'amendement Byrd et les autres mesures de ce genre.

Il faut tenir compte de notre taille relative, et pas seulement de notre population ou de la taille de notre économie. Ce qui compte, c'est que nous dépendons de nos exportations vers les États-Unis environ quatre fois plus que les Américains dépendent de leurs exportations vers le Canada. Dans une guerre commerciale, qui risque de souffrir le plus? Sommes-nous certains de pouvoir gagner cette guerre? Il est toujours préférable de ne pas engager la bataille avec quelqu'un à moins d'être à peu près certain de pouvoir y gagner quelque chose.

Cela a toujours été notre problème, dans nos tentatives pour poser des conditions et pour adopter la ligne dure. Si la frontière devait fermer pendant un certain temps, il y aurait très rapidement beaucoup d'emplois perdus au Canada. Nous avons vu ce danger le 11 septembre. C'est pourquoi nous avons collaboré d'aussi près avec les Américains pour répondre à leurs besoins en matière de sécurité, tout en tenant compte de nos propres besoins sur les plans du commerce et de la sécurité.

J'hésiterais beaucoup à poser ce genre de conditions sans savoir exactement où cela pourrait nous mener et si nous aurions vraiment des chances de gagner. Nous avons opté plutôt pour un système fondé sur les règles selon lequel, s'il y a un problème au sujet de l'importation d'un de leurs produits ici ou de l'exportation d'un des nôtres là-bas, nous pouvons nous y attaquer expressément.

Les choses ne fonctionnent peut-être pas exactement comme nous le souhaitons — on n'a qu'à voir depuis combien de temps le dossier du bois d'œuvre résineux traîne en longueur —, mais la solution, c'est d'essayer d'améliorer notre façon de régler ces différends, et de faire ce que votre comité a suggéré pour régler nos conflits futurs avec les États- Unis, comme ceux de l'EBS et des mesures sanitaires et phytosanitaires, c'est-à-dire d'apprendre de notre expérience pour améliorer la situation encore plus et nous débarrasser ainsi de ces conflits.

La présidente : Monsieur le ministre, merci d'être venu nous rencontrer ce soir. Nous attendions cette séance avec impatience. Nous aimerions certainement vous réinviter. Nous vous tiendrons au courant de nos activités. Nous vous souhaitons la meilleure des chances dans les efforts que vous déployez pour nous à l'étranger. Merci.

M. Peterson : Madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs, merci beaucoup de m'avoir invité. Vos efforts pour défendre les intérêts des Canadiens aux États-Unis, en particulier auprès de vos homologues du Sénat, qui ont énormément d'influence, pourront aider beaucoup à consolider nos rapports et à améliorer la situation de nos producteurs agricoles.

La présidente : Nous ferons de notre mieux.

M. Peterson : Merci.

La séance est levée.


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