Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 12 - Témoignages
OTTAWA, le jeudi 21 avril 2005
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 8 h 5, pour examiner l'état actuel et les perspectives d'avenir de l'agriculture et des forêts au Canada.
Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Chers collègues, je déclare la séance ouverte.
Notre comité mène une vaste étude sur l'état actuel et les perspectives d'avenir de l'agriculture et des forêts au Canada. Vous ne serez donc pas étonnés d'apprendre qu'une des principales questions dont viennent nous parler des groupes de tout le pays est la crise de l'ESB, la fermeture de la frontière canado-américaine ainsi que la manière dont cela a affecté la vie des producteurs et des membres de l'industrie partout au pays.
Nous accueillons donc avec plaisir les porte-parole de la Canadian Co-operative Association. Messieurs, si vous voulez bien faire votre déclaration.
M. Claude Gauthier, administrateur, Canadian Co-operative Association : Honorables sénateurs, nous sommes ravis de témoigner ici ce matin dans le cadre de votre étude sur les perspectives d'avenir de l'agriculture au Canada.
La Canadian Co-operative Association est un organisme national d'encadrement qui s'efforce de promouvoir, d'unir et de développer les coopératives et les caisses populaires au Canada. Ses membres incluent certaines des plus grandes coopératives et fédérations de coopératives du Canada. Vous connaissez sans doute Federate Co-operatives Limited et Co-op Atlantic, qui sont au service de centaines de plus petites coopératives de commerçants et de GROWMARK, où je travaille comme gestionnaire régional de l'entreprise. Chez GROWMARK, qui est également une fédération de coopératives, nous offrons des services aux coopératives de commerçants de l'Ontario et du Mid West des États-Unis, de même que des services de soutien. Parmi les autres membres, on trouve Gay Lee Foods, une entreprise de transformation de produits laitiers dont le siège social se trouve en Ontario et Scotsburn Dairy Group, une importante organisation laitière de la région canadienne de l'Atlantique.
Les coopératives sont la propriété des personnes auxquelles elles offrent des services et elles sont contrôlées par elles. Bien qu'elles accordent toutes de l'importance au rendement financier, l'objectif ultime des coopératives et des caisses populaires est l'émancipation sociale et économique des personnes et des collectivités qu'elles servent.
Nos organismes et nos membres se préoccupent de la durabilité de l'agriculture dans les collectivités rurales. Quand l'exploitation agricole va mal, les entreprises installées au sein de la collectivité éprouvent elles aussi des difficultés, y compris les coopératives et les caisses populaires.
Nous nous intéressons depuis longtemps aux questions d'orientation en matière d'agriculture et nous participons aux consultations relatives au revenu agricole avec M. Wayne Easter, secrétaire parlementaire de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire.
En tant qu'important organisme national, nous sommes venus ici pour vous fournir de l'information qui, espérons- nous, vous sera utile pour rédiger votre rapport sur la capacité nationale d'abattage.
La crise de l'ESB et la fermeture de la frontière américaine au bœuf canadien ont eu des répercussions qui vont au- delà des éleveurs et des producteurs individuels. Nous félicitons le gouvernement fédéral d'avoir repositionné la stratégie de l'industrie de l'élevage grâce à son plan en quatre points qui vise à favoriser la réouverture de la frontière, l'accroissement de la capacité d'abattage, le soutien de l'industrie jusqu'à ce que la capacité ait augmenté ainsi qu'une expansion des marchés d'exportation. Toutefois, les mesures particulières adoptées en vue de faciliter un accroissement des usines et de la capacité d'abattage au Canada même nous préoccupent. En effet, ces mesures ne correspondent pas vraiment aux besoins des groupes de producteurs intéressés à créer des coopératives d'abattage. C'est donc de cette question que nous sommes venus vous entretenir aujourd'hui, soit de la contribution des coopératives à la capacité d'abattage.
Je vais vous parler, ce matin, des avantages des coopératives agricoles et de la situation des groupes coopératifs d'abattage. Notre mémoire décrit toutes ces questions.
Je signale, à l'intention de ceux qui ne connaissent pas les coopératives, que ce sont des organismes qui appartiennent aux membres qui en utilisent les services. Les coopératives peuvent fournir pratiquement n'importe quel produit ou service, avec ou sans but lucratif. Les coopératives et les caisses populaires diffèrent des autres formes d'entreprise de trois façons. Tout d'abord, l'objet principal des coopératives est de répondre aux besoins communs de leurs membres, alors que la raison d'être principale d'une entreprise qui est la propriété d'investisseurs est de maximiser les profits pour ses actionnaires. Les coopératives utilisent la formule d'un vote par membre, plutôt que celle d'un vote par action qui prévaut dans la plupart des entreprises. Ensuite, les coopératives répartissent les profits parmi les propriétaires membres en fonction de leur utilisation des services, plutôt que du nombre d'actions détenues.
Les agriculteurs se tournent fréquemment vers les coopératives étrangères pour commercialiser leurs produits, y ajouter de la valeur, financer leur entreprise et s'approvisionner en intrants comme l'engrais, la nourriture du bétail, les semences et les produits énergétiques.
Les coopératives agricoles représentent une composante importante du mouvement des coopératives canadiennes. Elles jouent également un rôle considérable dans le grand secteur agricole canadien. En effet, les coopératives commercialisent 60 p. 100 environ de tous les produits laitiers et la moitié de toute la volaille et des oeufs produits au Canada. Certaines coopératives sont engagées depuis longtemps dans le traitement de la viande, mais elles s'intéressent surtout au porc et à la volaille. Ce n'est que récemment qu'elles ont commencé à s'intéresser au traitement du bœuf.
Votre comité a entendu des porte-parole d'Atlantic Beef Products, dont les sociétés mères sont Atlantic Beef Producers Co-operative et Co-op Atlantic. Il s'agit de la première coopérative opérationnelle d'abattage de bœuf au Canada. Le 15 février, son président est venu vous parler de sa situation.
Les coopératives sont en constante évolution. Ainsi, une nouvelle forme de coopérative (la coopérative de nouvelle génération) est née. Elle partage de nombreuses caractéristiques avec les coopératives traditionnelles, notamment le contrôle démocratique basé sur le principe d'une voix par membre, la distribution des bénéfices selon l'utilisation des services ou les ventes et un conseil d'administration élu par les membres. Cependant, il existe dans la coopérative de nouvelle génération d'autres caractéristiques, par exemple la volonté de transformer les produits bruts pour augmenter en la valeur et fournir ainsi un meilleur rendement aux éleveurs. Habituellement, elle passe avec le producteur un contrat qui établit les droits de livraison et les obligations des éleveurs. L'adhésion à ce genre de coopérative est limitée à ceux qui achètent des droits de livraison. De plus, chaque membre investit davantage dans le capital.
Nous le mentionnons parce que de nombreuses coopératives d'abattage s'inspirent du modèle des coopératives de nouvelle génération. Vous trouverez aux annexes 1 et 4 de notre mémoire plus de renseignements à son sujet.
Alors que la structure coopérative fournit aux éleveurs un moyen systématique de s'associer et de défendre leurs intérêts communs, les coopératives agricoles sont également considérées par les gouvernements fédéral et provinciaux comme des outils efficaces pour le développement économique, la revitalisation de la collectivité et la longévité commerciale.
Elles comportent de nombreux avantages à la fois pour les producteurs et pour le gouvernement. Pour les éleveurs et les producteurs, les coopératives offrent un outil commun pour être concurrentiels et augmenter leurs revenus. Pour les gouvernements, elles réduisent les besoins en subventions gouvernementales et en aide aux fermiers, puisque ces derniers sont en mesure de tirer leur revenu du marché ou, du moins, d'avoir accès à une plus grande part du revenu réalisable sur le marché.
Elles favorisent également le renforcement des communautés et des économies locales puisque la plupart des coopératives sont locales ou régionales. Par ailleurs, les coopératives sont plus susceptibles de demeurer au sein de la collectivité puisque leurs propriétaires habitent dans la localité. Vous trouverez à l'annexe 2 une énumération des autres avantages des coopératives agricoles. Nous estimons que ces avantages représentent pour le gouvernement fédéral un très bon argument pour justifier l'investissement dans la croissance et l'expansion des coopératives agricoles.
Dans le dernier budget, le gouvernement fédéral a reconnu le rôle inestimable des coopératives agricoles qui contribuent de façon importante au développement régional et à l'économie rurale. Elles sont un important rouage du secteur agricole du Canada et, par leur présence, elles soutiennent les fermes familiales et les petites entreprises agricoles dans toutes les régions rurales du Canada.
Malheureusement, en dépit de ces avantages et de la reconnaissance des nombreuses retombées des coopératives, il existe peu de ressources pour soutenir les coopératives agricoles dans la plupart des régions canadiennes. Les coopératives agricoles admissibles peuvent obtenir un soutien dans le cadre de l'Initiative de développement coopératif qui a débuté en 2003 sous forme de partenariat avec le gouvernement du Canada. Par contre, l'initiative ne reçoit qu'un modeste financement et elle est extrêmement sollicitée pour répondre aux divers besoins des nouvelles coopératives et des coopératives en développement.
Le gouvernement fédéral inclut parfois les coopératives dans les programmes agricoles fédéraux, et nous allons faire certaines recommandations pour rendre ceux-ci plus accessibles.
Dans plusieurs provinces comme le Québec, le Manitoba, la Saskatchewan et la Nouvelle-Écosse, on retrouve des programmes coopératifs spécialisés. Plusieurs provinces ont contribué au financement des plans d'affaires pour la création de coopératives d'abattage, bien qu'un nombre réduit d'entre elles, surtout le Manitoba et l'Île-du-Prince- Édouard, aient financé la construction de nouvelles coopératives d'abattage.
Divers groupes tentent actuellement de créer des coopératives d'abattage au Canada. Nous en avons repéré sept qui en sont au stade du développement, exclusion faite de l'Atlantic Beef Products Co-operative qui a témoigné devant votre comité au début de l'année. La plupart ciblent les bovins de plus de 30 mois et les bovins de réforme, alors que d'autres envisagent l'abattage de plusieurs ruminants comme les bisons, les chèvres, les wapitis et les moutons. La crise de l'ESB a également touché ces coopératives, comme en témoigne leur accès réduit aux marchés.
Elles en sont à des stades différents de planification et de développement, et plusieurs d'entre elles ont atteint le stade critique du financement. Comme vous pouvez le constater à l'annexe 3, elles se trouvent surtout dans les provinces de l'Ouest.
Traditionnellement, les coopératives démarrent à petite échelle et prennent progressivement de l'expansion en fonction de la croissance de l'entreprise et de la disponibilité du financement. Cependant, l'industrie agricole est plus complexe et plus regroupée. Par conséquent, les nouvelles coopératives agricoles doivent démarrer à une plus grande échelle pour être compétitives. Cela signifie que, dans l'industrie du traitement de la viande, elles devront débourser entre 10 et 40 millions de dollars pour construire un nouvel établissement.
Dans l'ensemble, les enjeux et les besoins pour le développement des coopératives d'abattage comprennent le financement pour entreprendre une planification opérationnelle complexe, des renseignements sur les ressources et les programmes gouvernementaux disponibles, la capacité financière voulue de la part des éleveurs pour acheter des parts sociales dans les nouvelles coopératives et, enjeu de taille, l'accès au capital pour financer le démarrage et la construction.
Les inquiétudes des institutions financières et des prêteurs concernant les risques et l'incertitude quant à la réouverture de la frontière comprennent le respect de nouvelles normes très strictes en matière de sécurité et d'environnement et le développement de nouveaux marchés qui exigent que les produits de la viande soient soumis à des tests supplémentaires. Naturellement, l'étendue de ces besoins varie en fonction des circonstances de chaque coopérative.
Je vais maintenant laisser M. Bill Dobson, notre vice-président, poursuivre l'exposé.
M. Bill Dobson, vice-président, Canadian Co-operative Association : Bonjour, honorables sénateurs. Je vous remercie beaucoup de nous avoir invités à venir témoigner.
Je suis un céréaliculteur de Paradise Valley, en Alberta, juste au sud de Lloydminster. Mes collègues s'amusent souvent à me rappeler que mon travail ne me prédispose pas vraiment à être un porte-parole de l'industrie du bétail.
Je suis le président de Wild Rose Agricultural Producers, une association agricole générale de l'Alberta dont la plupart des membres sont des éleveurs de bétail.
Je possède moins d'expérience et m'y connais moins au sujet de certaines questions que d'autres, et mes connaissances au sujet des usines d'abattage et de l'industrie du bétail ne sont peut-être pas aussi poussées que ce que j'espère savoir des coopératives. Néanmoins, nous avons pour mission aujourd'hui de vous fournir de l'information sur les coopératives.
Il a été très affligeant de voir ce qui s'est passé dans toute l'industrie agricole de l'ouest du Canada, surtout dans l'industrie du bétail, qui a toujours été une composante très stable de notre industrie. Malheureusement, cette stabilité n'est plus. Par contre, il a été encourageant de voir l'esprit de coopération qui s'est manifesté à l'égard des coopératives d'abattage, ce qui n'a pas vraiment été le cas par le passé. Bien que de nombreux membres de l'industrie du bétail aient déjà traité avec des coopératives et des caisses populaires, ce secteur d'activité n'a pas par le passé participé au mouvement coopératif, de sorte qu'il nous pose quelques défis.
Selon nous, le gouvernement fédéral pourrait prendre des mesures pour aider dans la situation actuelle. Les coopérateurs et les fermiers sont très terre à terre. Ce sont des gens qui n'ont pas peur de se relever les manches et de se mettre au travail. Confrontés à un défi, comme c'est le cas actuellement, ils ne se contentent pas de demeurer passifs et de se tordre les mains. Ils cherchent des moyens de régler le problème.
Les producteurs constatent le besoin de se rapprocher des abattoirs. Ils ont fait l'essai de différentes formules pour y arriver. Vous avez probablement vu la liste, publiée dans le Western Producer, de toutes les initiatives, qui varient par leur envergure et par leurs composantes.
Nous aimerions vous faire quelques suggestions quant à la façon dont votre comité pourrait aider les coopératives. Naturellement, nous sommes partisans du modèle coopératif. Il met les producteurs à pied d'égalité avec les autres et il s'est avéré une très grande réussite dans le passé.
J'ai dix suggestions. Je vais suivre l'ordre du mémoire que j'ai distribué et vous donner un peu de contexte pour chacune d'entre elles.
Tout d'abord, nous encourageons le gouvernement fédéral à réaffecter les fonds de la Stratégie nationale de repositionnement de l'industrie de l'élevage à l'Initiative de développement coopératif pour subventionner les groupes coopératifs d'abattage et leur permettre de dresser des plans d'affaires et d'obtenir l'aide d'experts. Le ministre Mitchell a indiqué qu'une enveloppe d'argent avait été mise de côté, mais qu'il tient à faire en sorte qu'elle est utilisée de la meilleure façon possible.
Actuellement, il faut faire de la planification d'entreprise. Or, c'est un volet de l'entreprise commerciale que la plupart des éleveurs de bétail ne connaissent pas très bien, et bon nombre d'entre eux ne pourront probablement pas survivre à un échec, de sorte que l'accès à des fonds pour la préparation de ces plans d'entreprise est très importante. Il faut pouvoir engager des experts qui vont concevoir les installations, obtenir les approbations voulues pour la construction et faire des levées de fonds auprès des membres. Il y a toute une foule de détails auxquels il faut voir.
Nous sommes persuadés qu'une réaffectation immédiate de 500 000 $ de la Stratégie nationale de repositionnement à la composante « Innovation et recherche » de l'Initiative de développement coopératif serait utile. Cela cadrerait avec le montant requis pour dresser des plans convenables étant donné le nombre d'initiatives actuellement en cours.
À titre indicatif, je signale que l'Initiative de développement coopératif est un programme triennal conçu et lancé par le secteur coopératif. Il vise à renforcer les coopératives au Canada. Il s'agit d'un partenariat national entre le gouvernement du Canada et les coopératives canadiennes. Il offre des conseils techniques et de l'aide professionnelle aux particuliers, groupes et localités qui souhaitent mettre sur pied de nouvelles coopératives ou renforcer celles qui existent déjà. Il fournit aussi une aide financière pour faire la démonstration d'un concept nouveau de coopérative ou pour entreprendre de la recherche à ce sujet. Le secrétariat coopératif a l'infrastructure voulue pour accepter les requêtes et verser les fonds. En somme, tout est déjà en place et ne serait pas à faire.
Ensuite, nous encourageons le gouvernement fédéral à réaffecter les fonds de la Stratégie nationale de repositionnement afin que le volet « Services conseils » de l'IDC dispose de fonds supplémentaires qui permettraient aux groupes coopératifs régionaux de fournir l'expertise pertinente.
Nous constatons que, dans le secteur coopératif, le travail avec des structures commerciales coopératives est un peu différent et que les gens d'affaires, fussent-ils les meilleurs au monde, n'en saisissent parfois pas les nuances particulières. Cela contribuerait certainement à aider ces coopératives d'abattage à acquérir de l'expertise.
Grâce à une affectation de 160 000 $ supplémentaires au volet « Services conseils » de l'Initiative de développement coopératif, les groupes coopératifs régionaux pourraient fournir l'expertise pertinente aux nouveaux abattoirs coopératifs. Le montant peut sembler étrange, mais il a un rapport direct avec le financement qui est déjà en place. Il s'agirait d'une aide supplémentaire accordée uniquement aux initiatives visant des coopératives d'abattage.
Il existe un réseau de 19 partenaires consultatifs anglophones et francophones au Canada. La première recommandation vise le côté commercial des entités et la seconde, la coopérative comme telle.
Troisièmement, nous exhortons le gouvernement fédéral à fournir des investissements sous forme de subventions directes aux groupes coopératifs afin de financer les aspects « sécurité et environnement » des usines d'abattage. Le démarrage d'un abattoir engage bien des coûts. Dans les abattoirs existants, on applique des règles strictes en matière de normes environnementales et de normes de sécurité, ce qui est bien. Quand un abattoir démarre, le respect de ces normes engage des coûts qui s'ajoutent à tout le reste. Il serait utile d'avoir de l'aide pour faire en sorte que les nouveaux abattoirs sont bien établis et qu'ils sont de premier ordre. Ils doivent le faire de toute façon, mais c'est au démarrage que les coûts sont élevés.
Les coopératives fournissent d'autres avantages aux producteurs, aux gouvernements et aux collectivités, et il est donc raisonnable d'affecter une certaine partie des fonds de la Stratégie nationale de repositionnement à des subventions pour ces usines de manière à ce qu'elles puissent respecter les règlements en matière d'environnement et de sécurité. Les fonds de 1,27 millions de dollars affectés à un système de traçabilité à la nouvelle usine d'Atlantic Beef Products venaient du Cadre stratégique pour l'agriculture et de l'Agence de promotion économique du Canada atlantique.
Quatrièmement, nous recommandons que le gouvernement fédéral transforme le programme de réserve pour pertes sur prêts en un programme de garantie de prêts. Je ne suis pas un expert, mais il est évident que le Programme de réserve pour pertes sur prêts soulève la controverse depuis qu'il a été annoncé et que la participation est faible. Dans bien des cas, il ne réussit pas à convaincre les prêteurs que les risques valent la peine d'être pris. Six mois après son annonce, je crois qu'aucun regroupement coopératif n'a eu accès à la réserve pour pertes sur prêts.
Une garantie de prêt, et je suis convaincu que ce n'est pas la première fois que vous entendez cette proposition, serait certainement plus avantageuse pour les établissements de crédit, en particulier lorsque ce sont des coopératives de crédit locales qui financent les petites coopératives. C'est encore moins attrayant pour elles que pour les grands établissements financiers qui financent plusieurs groupes d'abattage.
Cinquièmement, nous encourageons le gouvernement fédéral à travailler de concert avec l'industrie du bœuf afin de coordonner la mise sur pied de nouveaux abattoirs et la commercialisation du bœuf en vue d'améliorer le succès et la viabilité des nouvelles initiatives nationales dans le domaine de l'abattage.
Cette recommandation n'est pas facile à mettre en oeuvre. Nous avons vu que les coopératives ont des difficultés dans l'ouest du Canada, bien souvent à cause d'un manque de coordination. À l'heure actuelle, nous savons que nous avons un problème. Il semble que les choses commencent à bouger lorsqu'on est acculé au mur et que chacun essaie de faire quelque chose pour sa communauté. Chacun essaie de faire de son mieux, et on constate que la capacité est grande. La situation préoccupe les établissements de crédit.
Je ne sais pas qui doit prendre l'initiative, mais le gouvernement pourrait certainement prendre les devants, ou en faire la proposition, afin de réunir tout le monde, en particulier du côté de la commercialisation.
Un grand nombre de ces abattoirs envisagent d'abattre de 2 000 à 5 000 animaux par semaine. Beaucoup d'efforts de commercialisation devront être faits pour essayer d'écouler un si grand volume. Il sera très important de coordonner une stratégie quelconque ainsi que l'expansion du secteur de l'abattage.
Comme ces groupes sont nombreux, le financement devient plus difficile non seulement du point de vue du bailleur, mais également de l'investisseur. Bon nombre de producteurs ne sont pas riches; ils n'ont qu'une seule chance et ils aimeraient bien, si possible, connaître un certain succès.
Le gouvernement fédéral est certainement bien placé pour prendre les choses en main. Je ne crois qu'il doit jouer ce rôle seul, mais plutôt de concert avec l'industrie. Je vous invite à transmettre cette idée au sein de l'industrie. Il faut faire en sorte de développer l'industrie sans qu'il y ait trop d'échecs, parce qu'il est plus difficile d'investir quand on sait que la réussite ne sourit pas à tous, ou du moins à la majorité.
Sixièmement, le gouvernement fédéral doit élaborer un plan d'investissement pour les coopératives et offrir des crédits d'impôt aux particuliers qui investissent dans les coopératives agricoles, incluant les coopératives d'abattage. La Canadian Co-operative Association et d'autres regroupements de coopératives ont proposé un plan d'investissement qui offrirait un crédit d'impôt aux particuliers qui paieraient une cotisation ou achèteraient des parts sociales dans une coopérative agricole. Cela encouragerait les producteurs à investir dans leur coopérative et à consacrer leurs maigres ressources financières à l'achat de parts sociales. Les parts sociales permettent aux nouvelles coopératives d'obtenir leur capital initial avant de chercher du financement. Pour les coopératives de nouvelle génération, le coût des parts sociales est considérable.
Certaines coopératives ont des dispositions relatives aux investisseurs extérieurs; c'est particulièrement vrai dans certains petits abattoirs locaux. La collectivité elle-même voit les avantages de mettre sur pied ces abattoirs et est prête à y investir. Les crédits d'impôt constituent un moyen de promouvoir cet investissement et seraient certainement les bienvenus.
Septièmement, nous incitons Agriculture et Agroalimentaire Canada, en collaboration avec le secteur coopératif, à examiner et à revoir ses programmes.
Certains programmes d'Agriculture et Agroalimentaire Canada ne conviennent pas aussi bien aux coopératives qu'à un seul ou plusieurs individus. Bien souvent, les coopératives comptent 400, 500 ou même 5 000 membres. Les programmes doivent être conçus en fonction d'un modèle de coopérative, d'un système de libre entreprise qui regroupe un certain nombre de personnes. C'est l'entité même qui doit participer aux programmes d'agriculture. C'est une lacune qui mérite notre attention.
Compte tenu de l'apport des coopératives dans l'industrie agricole, il est regrettable que leurs besoins ne soient pas mieux connus et pris en considération. Cette situation pourrait s'améliorer grâce à des efforts concertés et des partenariats.
Huitièmement, Agriculture et Agroalimentaire Canada doit faire la promotion des programmes et services auxquels les coopératives agricoles sont admissibles. Une campagne doit être menée pour promouvoir les programmes fédéraux pertinents aux coopératives agricoles. Pour ce faire, on pourrait utiliser les sites Web, du matériel de conférence, des documents écrits et des annonces publiques qui cibleraient précisément les groupes agricoles et coopératifs.
J'ai participé aux discussions de M. Easter lundi dernier, et les coopératives occupent de plus en plus de place en agriculture parce que les gens ont besoin de se rapprocher du marché. Il faut essayer d'harmoniser les programmes du gouvernement fédéral aux besoins des coopératives et amener les deux parties à travailler en plus étroite collaboration.
Neuvièmement, nous recommandons que le gouvernement fédéral considère la possibilité de tester à 100 p. 100 la viande destinée à l'exportation vers des marchés qui l'exigent. Ces mots ont été soigneusement soupesés, parce qu'il s'agit d'une question épineuse. Je ne dis pas que nous sommes entièrement en faveur d'un dépistage intégral. L'industrie doit être bien à l'aise à ce chapitre. Cette question soulève la controverse. Il faut en discuter. Certains marchés exigent un dépistage intégral. Or, si cette exigence s'appuie sur un fondement scientifique, allons-nous créer un précédent que l'ensemble de l'industrie devra suivre par la suite? Voilà ce qui inquiète bon nombre des exploitants d'abattoir et des représentants de l'industrie bovine; ils craignent que les critères soient relevés et qu'ils devront ensuite les appliquer. Si vous vous retrouvez avec une abondance de produits et que vous cherchez des débouchés, c'est le client qui a raison. Vous devez être prêts à satisfaire aux exigences de ces marchés. Nous encourageons cette approche là où elle est nécessaire et nous croyons qu'il est extrêmement important que l'industrie discute de cette question et adopte une position concertée.
Je sais que la Canadian Cattlemen's Association a proposé une approche pragmatique selon laquelle des tests supplémentaires seraient effectués sur la viande destinée aux pays et aux marchés exigeant un dépistage complet. Nous recommandons que cette approche soit examinée avec soin et que des consultations soient entreprises auprès des intervenants du milieu, incluant les coopératives en démarrage.
Notre dernière recommandation vise le côté humain des coopératives. Nous recommandons que le gouvernement fédéral offre des subventions pour la formation des gestionnaires, des employés et des administrateurs des nouvelles coopératives d'abattage. Je suis convaincu que les honorables sénateurs savent que les abattoirs existants doivent constamment renouveler l'expertise et la main-d'œuvre nécessaires à leurs exploitations. La mise sur pied d'un certain nombre de nouvelles installations exigera une formation et des connaissances. Nous savons que les coopératives peuvent très bien réussir, mais il faut du leadership au sein des conseils d'administration, de bons gestionnaires et des employés compétents.
Les nouvelles coopératives d'abattage devront probablement recruter des cadres supérieurs d'autres secteurs de l'industrie. Ces cadres devront acquérir les compétences et les connaissances nécessaires à la gestion d'une coopérative, d'une part, et d'un abattage, d'autre part. Il faudra en outre former les travailleurs de première ligne. Avec des ressources supplémentaires, les organismes coopératifs régionaux pourraient offrir des formations aux membres des conseils d'administration et aux cadres des nouvelles coopératives d'abattage. À l'heure actuelle, le financement de pareilles initiatives vient surtout du secteur coopératif. Or, ce financement est limité, et bon nombre de ces initiatives visent le bien collectif, et non seulement le bien des coopératives concernées. Bien souvent, nous obtenons moins de financement et nous croyons que le gouvernement fédéral a un rôle à jouer à cet égard.
Nous recommandons également que Ressources humaines et Développement des compétences Canada offre un financement pour la formation des travailleurs de la production, au besoin. Le financement devrait aussi être accessible aux nouveaux établissements, comme Atlantic Beef Products, qui en sont à lancer leur production et qui doivent relever les mêmes défis.
Je vais maintenant passer le micro à M. Gauthier pour la conclusion de notre exposé.
M. Gauthier : Vous voyez sans doute que nous avons essayé de couvrir tous les défis qui se posent aux coopératives qui essaient de mettre en place de nouveaux abattoirs et d'augmenter la capacité du système au Canada. Nous sommes d'avis que les coopératives peuvent jouer un rôle important en assurant un juste équilibre entre les différents intérêts des collectivités et en offrant une option aux producteurs canadiens.
Les coopératives ont montré au cours du dernier siècle qu'elles jouaient un rôle d'équilibre dans l'économie canadienne. Nous disons aujourd'hui qu'elles offrent une option véritable et valable pour régler les problèmes causés par l'ESB et pour mettre en place une stratégie à plus long terme pour les Canadiens.
Nous sommes prêts à répondre à vos questions et nous espérons que notre discussion sera fructueuse.
La présidente : Merci. Vous nous avez donné un très vaste aperçu non seulement de vos préoccupations, mais aussi des possibilités que vous voyez dans un nouveau monde où nous devons réagir rapidement devant des forces extérieures. Comme je suis un éternel optimiste, je suis convaincu que la frontière ouvrira bientôt, mais nous ne pouvons attendre ce moment pour assurer la survie et le bien-être de notre industrie.
Le sénateur Mercer : Je prenais des notes à mesure que je suivais vos dix recommandations. À côté de chacune, j'ai écrit deux mots : bonne idée. Je vais y revenir dans un instant.
Concernant les regroupements coopératifs d'abattage, quelle serait la capacité totale si ces groupes connaissaient du succès?
Si nous mettons sur pied des coopératives d'abattage partout au pays, selon le modèle de l'Île-du-Prince-Édouard, quelle capacité pourrions-nous atteindre, selon vous?
M. Dobson : Je n'ai pas de réponse à votre question. Les deux grands abattoirs existants reçoivent jusqu'à 10 000 bêtes par semaine. Je n'ai pas ces chiffres. Pour régler les problèmes de capacité, il faut couvrir les arriérés de façon continue afin de satisfaire le marché. Je n'ai pas les chiffres exacts, alors il faudrait revenir devant vous.
Le sénateur Mercer : Si nous tenons compte seulement des arriérés, nous pourrions nous retrouver avec une capacité excédentaire.
M. Dobson : Il y a une capacité excédentaire. Voilà le problème. C'est pourquoi je dis qu'il faut concerter les efforts pour essayer d'en arriver à un concept de commercialisation. Peu importe à quoi nous en arrivons, la capacité a quand même ses limites. Ce serait bien de prendre du recul pour pouvoir dire « voici ce dont nous avons besoin pour que cela fonctionne à long terme ».
Vous avez raison de dire que l'ouverture de la frontière ne réglera pas tout, mais il ne faut aucun doute qu'elle entravera ces initiatives. Si toutes les initiatives énumérées dans l'article du Western Producer devaient se concrétiser, il est certain qu'il y aurait une surcapacité immédiate, et ce serait tout un défi.
Le sénateur Mercer : Le rôle du gouvernement est de servir tous les segments de l'industrie agricole, et non seulement les membres de coopératives. Les agriculteurs sont indépendants et ce sont probablement les meilleurs gens d'affaires du pays. Ils peuvent survivre même s'ils essuient des pertes année après année, ce qui est tout un exploit. Vos dix recommandations sont bonnes, mais elles visent les membres de votre organisation. Ce n'est pas tout le monde qui va en profiter.
Qu'arrivera-t-il aux gens qui ne sont pas des membres de coopératives?
M. Gauthier : C'est une très bonne question, et nous avons présenté des options pour aider les producteurs qui se tournent du côté des coopératives pour assurer leur avenir.
Nous ne prétendons pas que toute la capacité d'abattage doit passer par les coopératives. Des producteurs du Canada atlantique ont découvert il y a quelques années, en discutant entre eux, que puisque personne n'était prêt à fournir le capital, la meilleure solution d'affaires était d'assurer ce financement eux-mêmes, en tant que regroupement coopératif.
Nous vivons une crise, et les producteurs de partout au pays cherchent une solution. Leurs intentions ne sont pas toutes claires, et plusieurs groupes se sont affairés à créer des coopératives afin de contrôler la capacité future d'abattage en guise de solution.
Nos recommandations visent à aider ceux qui sont prêts à mettre sur pied une coopérative. Notre démarche n'empêche nullement les entreprises privées ou les multinationales de créer une capacité supplémentaire. À notre avis, la création d'un groupe d'établissements appartenant à des coopératives constituerait une solution plus permanente et équilibrée pour l'avenir et permettrait de contrer ce qui, je crois, est en partie à l'origine de notre problème, c'est-à-dire le fait que les Canadiens ont perdu le contrôle sur la capacité.
Nos producteurs examinent cette option. Ces projets ne vont pas tous se concrétiser, mais les plus prometteurs méritent le soutien du gouvernement.
Le sénateur Mercer : La recommandation 5 me paraît intéressante.
Le gouvernement fédéral devrait travailler de concert avec l'industrie du bœuf afin de coordonner le développement de nouveaux abattoirs et la commercialisation du bœuf en vue d'améliorer le succès et la viabilité des nouvelles initiatives nationales dans le domaine de l'abattage.
Ce que vous proposez ressemble beaucoup à un office de commercialisation ou à la gestion des approvisionnements. Depuis que je fais partie de ce comité et que j'écoute les producteurs de bœuf de l'Ouest du Canada, même au plus fort de la crise, personne n'est allé jusqu'à dire qu'il souhaitait un contrôle ou une coordination de l'extérieur, que ce soit du gouvernement ou d'un office de commercialisation. Je suis un peu surpris par cette recommandation, parce que j'ai appris à connaître l'indépendance et la détermination des producteurs de bœuf de partout au pays.
M. Dobson : Ce que vous dites est juste. Le défi est de faire en sorte qu'aucun office de commercialisation ne prenne le contrôle de l'industrie bovine, et nous le savons. Je me suis entretenu avec un représentant de la Canadian Cattlemen's Association, qui m'a dit que les membres de cette association reconnaissent ce problème. Tout le monde part de zéro pour mettre sur pied cette vaste industrie. Nous ne voulons pas d'une gestion des approvisionnements, mais il faut en quelque sorte coordonner la commercialisation. Les abattoirs pourraient coopérer dans le cadre de diverses initiatives pour s'attaquer aux plus grands marchés. Si vous mettez en commun le bœuf produit par cinq établissements différents, quelle que soit leur structure, la commercialisation pourrait être facilitée, au lieu de voir ces cinq établissements se faire concurrence sur ces mêmes marchés. Comme je l'ai dit tout à l'heure, certaines installations vont abattre 5 000 bêtes par semaine. Ce sera tout un défi sur le plan de la commercialisation.
Le sénateur Mercer : Je ne suis pas contre l'idée; tout ce que je dis, c'est qu'il ne faudrait pas s'avancer dans cette voie sans le soutien de l'industrie et, à l'exception du mouvement coopératif, je n'ai pas senti ce soutien de la part des producteurs de bovins.
M. Dobson : C'est pour cette raison qu'il faut en discuter avec l'industrie, parce que vous ne pouvez lui imposer ces choses. Pourtant, la Canadian Cattlemen's Association se trouve dans une situation très difficile. Elle est financée par de nombreux engraisseurs d'envergure qui traitent avec les abattoirs existants. Elle ne peut se montrer sélective et dire « Cela ne marchera pas. Contentons-nous de 75 ou 80 p. 100 ». Toutefois, une discussion s'impose, sans quoi on finira par dire « C'est malheureux. Nous avons démarré un trop grand nombre d'établissements et seulement la moitié ont eu du succès, mais laissons les choses suivre leur cours. »
L'industrie elle-même reconnaît que c'est un problème. Je ne sais pas comment le résoudre, mais je crois qu'une certaine coordination entre le gouvernement et l'industrie pourrait contribuer dans ce sens.
Le sénateur Oliver : Messieurs, soyez les bienvenus. Je vous remercie de votre excellent exposé. Ce que vous nous avez dit sur les coopératives est très important. Je crois que les coopératives jouent un rôle très important dans le secteur agricole; votre présentation nous aide à mieux comprendre ce qu'elles font.
Monsieur Gauthier, ce que vous avez dit sur les coopératives de nouvelle génération m'intéresse particulièrement. À la page 3 de votre mémoire, vous dites des coopératives de nouvelle génération que « les coopératives ont évolué pour s'adapter aux nouveaux besoins et à l'évolution du marché ».
Puis,
Cependant, il existe dans la coopérative de nouvelle génération certaines caractéristiques générales qui diffèrent. Ce sont la volonté de transformer les produits bruts pour augmenter la plus-value et fournir ainsi un meilleur rendement aux éleveurs.
Je ne sais pas si vous le savez, mais ce comité a effectué une étude importante sur les produits à valeur ajoutée pour trouver une façon de laisser aux agriculteurs plus d'argent dans leurs poches. C'est intéressant de voir que c'est un des objectifs des coopératives.
Vous avez aussi proposé dix recommandations concernant la recherche, la sécurité, les mesures de contrôle, les frais de démarrage, et cetera, mais rien n'est dit sur la marque de commerce ni la commercialisation des produits canadiens, alors que je croyais que c'était à ça que vous faisiez allusion lorsque vous avez mentionné les produits à plus grande valeur que veulent promouvoir les coopératives.
Pourquoi alors n'avez-vous pas fait de recommandations touchant précisément des éléments que ce comité et votre organisation estiment si importants?
M. Gauthier : Notre recommandation générale est d'inciter le gouvernement à donner de l'aide aux gens qui veulent mettre sur pied des coopératives, comme les coopératives de nouvelle génération, pour répondre à des besoins précis. S'ils voient une occasion d'ajouter de la valeur à un produit grâce à une marque de fabrique ou un procédé, ils devraient pouvoir se servir des coopératives pour soutenir l'organisation et le projet.
Récemment, des coopératives de nouvelle génération ont réussi à ajouter de la valeur aux produits des producteurs. En Ontario, un groupe a pu bonifier ses produits grâce au processus de transformation de la viande de volaille. Il a commencé à petite échelle, mais réussit à ajouter de la valeur en modifiant son processus de transformation, en identifiant cette valeur ajoutée et en l'associant à leur très petit groupe de producteurs qui a acheté des droits de livraison auprès de cette usine.
Le sénateur Oliver : Pouvez-vous nous donner plus de détails?
Comment ces gens s'y prennent-ils pour ajouter de la valeur et commercialiser leurs produits?
M. Gauthier : Ils ont mis en place certains procédés à l'usine. Ils ont créé une marque pour leur volaille qui suit le produit dans toute la chaîne, de façon à ce que celui-ci soit considéré comme un produit de haute qualité par les clients. Ils se situent au milieu de cette chaîne grâce à leur usine de transformation et ont réussi à conserver une partie de la plus-value pour la remettre aux producteurs. C'est un bénéfice que ces producteurs perdraient si une usine appartenant au secteur public ou privé s'acquittait de la transformation du produit.
Le sénateur Oliver : Ça génère une plus grande marge de profit et des bénéfices nets plus élevés.
M. Gauthier : Oui, car ils ont réussi à donner une marque à leurs produits, ce qui n'est pas une mince tâche.
Aux États-Unis, on voit beaucoup plus d'exemples de produits à valeur ajoutée et de coopératives de nouvelle génération. Malheureusement, au Canada, nous sommes seulement sur le point de commencer. Aux États-Unis, on a vu une augmentation importante au cours des dix dernières années du nombre de coopératives de nouvelle génération entourant l'exploitation d'usines d'éthanol pour utiliser autrement les récoltes et permettre aux agriculteurs d'avoir accès au marché de l'énergie grâce à leurs propres usines.
Le sénateur Oliver : La valeur ajoutée est-elle un objectif fondamental des coopératives canadiennes?
M. Gauthier : Essentiellement, vous ajoutez de la valeur que ce soit par le processus de transformation ou l'achat d'intrants agricoles. Le groupe GROWMARK veut regrouper les achats d'un grand groupe pour se lancer sur le marché à la recherche de fournisseurs. Nous ajoutons de la valeur en obtenant pour nos producteurs les meilleurs prix possibles.
Dans ce cas-ci, nous parlons de producteurs qui essaient de mettre sur pied des abattoirs pour valoriser leurs produits et transférer une partie des bénéfices aux producteurs.
Les revenus ne sont pas garantis, mais ça permet néanmoins d'essayer de faire un profit, ce qui n'était pas possible auparavant.
Le sénateur Oliver : Monsieur Dobson, j'aimerais savoir ce que vous pensez de ça.
M. Dobson : Pour un éleveur de bétail, que l'animal soit marqué comme un produit canadien spécial ou pas, on peut ajouter énormément de valeur en s'occupant soi-même du conditionnement.
Je parlais l'autre jour à un producteur qui vendait ses vaches de réforme pour 300 $ la bête. Juste pour vous montrer ce qu'est la valeur ajoutée, ce producteur s'occupe lui-même de commercialiser son produit depuis sa ferme. Il obtient de 1 400 $ à 1 500 $ par animal en vendant des boulettes pour hamburger, des biftecks et de la longe provenant de chaque bête. Ça représente des revenus additionnels de 1 000 $ parce qu'il vend lui-même ses produits.
Le but derrière une coopérative d'abattage appartenant à des producteurs est d'ajouter beaucoup de valeur aux produits uniquement par le biais du processus de transformation. Ça simplifie le processus, même si les coûts de démarrage sont très élevés, mais en bout de ligne, puisque les producteurs de viande bovine participent au processus, on obtient une grande valeur ajoutée.
Le sénateur Oliver : Je suis bien content de vous entendre dire ça.
M. Gauthier : Prenez Atlantic Beef Products, qui est en opération depuis plus d'un an. D'après les discussions que j'ai eues avec ce groupe, la collectivité et les clients voient déjà l'avantage d'acheter des produits bovins de l'Atlantique auprès de son usine.
Une association sur le marché confirme ce que cette coopérative essaie de faire pour les éleveurs. C'est une expérience concluante, ici même dans l'Est du Canada, et on peut s'en inspirer. Ce n'est que le début, mais d'après les résultats préliminaires et mes discussions avec des gens des provinces de l'Atlantique, il y a déjà des retombées positives. Cette coopérative est en activité depuis peu.
La présidente : Monsieur Gauthier, je peux vous assurer que le sénateur Callbeck suit de près les excellents résultats de cette coopérative de l'Île-du-Prince-Édouard, qui sert d'exemple pour le reste du Canada.
Le sénateur Callbeck : Je suis tout à fait d'accord avec vous pour ce qui est de cette coopérative. Atlantic Beef Products semble se porter à merveille. Nous sommes très heureux d'avoir cette entreprise dans notre province.
À la page 14, vous avez dressé une liste des coopératives d'abattage qui ont été mises sur pied avant la crise de la vache folle. Je vois que ces coopératives sont encore à l'étape de la planification.
Combien y a-t-il de coopératives en activité comme Atlantic Beef Products?
M. Gauthier : C'est la seule; Atlantic Beef Products a commencé ses activités avant la crise de la vache folle. C'est intéressant de voir que la région de l'Atlantique avait un manque de capacité d'abattage. Il y avait une dépendance à l'égard des abattoirs situés bien au-delà de cette région, et les éleveurs ont décidé de créer leur propre abattoir puisque personne n'allait le faire pour eux. C'est ainsi que naissent habituellement les coopératives. Quand personne d'autre ne veut répondre à vos besoins, il faut vous en charger vous-mêmes.
Ces groupes envisagent tous des solutions qui se concrétiseront ou pas selon les résultats de l'examen de leurs plans d'affaires, leurs études de marché ainsi que leurs capacités d'obtenir les fonds nécessaires.
Le sénateur Callbeck : Comme je l'ai dit, nous sommes fiers d'avoir la première coopérative au Canada; on peut dire qu'elle est bien partie.
J'aimerais vous poser une question concernant votre sixième recommandation, qui porte sur l'octroi de crédits d'impôt aux particuliers qui investissent dans des coopératives agricoles. Je pense que ça existe au Québec, à moins que ça ne soit un crédit d'impôt pour les employés et les membres.
M. Gauthier : Nous ne sommes pas du Québec, mais nous savons que les coopératives du Québec ont de meilleures occasions de capitalisation en raison des politiques gouvernementales et d'autres outils fiscaux offerts. Si nous regardons les coopératives établies au Québec, il ne fait aucun doute que le nombre et la viabilité des coopératives québécoises sont de loin supérieurs à ce qui se voit ailleurs au Canada. Le gouvernement du Québec a adopté des politiques particulières dans le cadre de sa politique sociale pour soutenir de tels efforts. Nous croyons que le gouvernement fédéral devrait penser à faire de même.
Si on détermine que les coopératives sont avantageuses pour la société canadienne et qu'elles font partie de la solution, on pourrait alors voir si des mesures fiscales n'encourageraient pas davantage l'investissement collectif dans ces coopératives.
Le sénateur Callbeck : Le Québec est-il la seule province à offrir de tels crédits d'impôt?
M. Dobson : Des changements ont été apportés à la Loi de l'impôt sur le revenu pour que l'on puisse retirer son argent d'une coopérative agricole pour le réinvestir ailleurs sans avoir à payer de l'impôt. C'est un changement qui s'est retrouvé dans le dernier budget.
Le sénateur Callbeck : J'aimerais en savoir plus sur les prêts au secteur agricole. Vous avez dit que la raison d'être d'une coopérative est de répondre aux besoins de ses membres.
Est-il plus facile d'obtenir un prêt agricole auprès d'une caisse de crédit que d'une banque? Si c'est le cas, qu'en est-il des taux d'intérêt?
M. Dobson : C'est plus facile, seulement si votre situation financière est bonne. Des prêteurs seront des prêteurs. Les caisses de crédit soutiennent l'industrie agricole, mais je n'irais pas jusqu'à dire que c'est plus facile d'obtenir un prêt pour autant. Tout le secteur financier alloue du financement à l'industrie agricole. Tout dépend de la situation.
M. Gauthier : Les caisses de crédit doivent aussi tenir compte de leur capacité de financer des projets d'envergure, et bon nombre d'entre elles fonctionnent à plus petite échelle comparativement à ce que l'on voit dans le monde bancaire. Il arrive qu'elles ne puissent pas accepter de financer de gros projets car les règlements qui régissent le secteur financier limitent leurs réserves de crédit.
D'après mon expérience et celles de nos éleveurs, les caisses de crédit et les caisses populaires de l'Ontario ont davantage tendance à financer les éleveurs qui traversent une mauvaise passe. Nous avons des coopératives de commerçants qui obtiennent des prêts de caisses de crédit à des taux concurrentiels. L'expérience est positive, mais la capacité du mouvement des caisses de crédit est limitée.
M. Dobson : C'est particulièrement vrai en ce qui concerne les grands projets. Je dirais qu'un nombre élevé d'éleveurs feraient affaire avec des caisses de crédit, mais il s'agit ici d'entreprises agricoles; je pense qu'il y a une bonne répartition.
Le sénateur Callbeck : Avez-vous des données sur le pourcentage de prêts consentis par des caisses de crédit aux agriculteurs ou aux projets agricoles?
M. Gauthier : Je n'ai pas de données à jour. Nous pourrions vous transmettre cette information plus tard.
Le sénateur Callbeck : La tendance est-elle à la baisse ou à la hausse?
M. Dobson : C'est à la hausse en ce qui concerne les agriculteurs, simplement parce que les caisses de crédit sont souvent les seules institutions financières qui restent dans les collectivités, du moins dans ma province.
Le mouvement des caisses de crédit dans l'Ouest du Canada prend de plus en plus d'expansion. Nous sommes un joueur clé dans l'industrie agricole.
Le sénateur Gustafson : J'ai quelques questions qui découlent de la réunion qu'ont eue au moins deux membres de ce comité avec le gouverneur de la Banque du Canada. Lorsqu'il a été question des fusions et de l'orientation des banques, le gouverneur a clairement dit que les caisses de crédit allaient prendre la relève dans les collectivités en milieu rural.
Je dirais que les caisses de crédit ne sont pas en mesure de relever ce défi. Aussi, si on regarde la capacité d'abattage, par exemple, vous dites que l'allocation de subventions par le gouvernement ferait partie de la solution.
Le comité a examiné beaucoup de recommandations concernant l'établissement d'une usine quelque part au Canada. Beaucoup de témoins ont demandé du financement pour de tels projets.
Combien d'usines faut-il au Canada et où devraient-elles être situées?
Beaucoup d'usines de conditionnement ont été créées dans le passé. Certaines, comme Tyson et Cargill, ont fait de gros profits, mais n'ont pas voulu les divulguer.
S'il y a autant d'argent à faire dans l'industrie du conditionnement, pourquoi les caisses de crédits n'investissent pas dans ce secteur? Je suis certain que le gouvernement ferait alors sa part. C'est une décision difficile à prendre.
Aux États-Unis, trois grandes usines ont fermé leurs portes parce qu'elles n'avaient pas assez de viande bovine. Quelle décision devons-nous prendre alors?
Lorsque j'étais jeune, toute notre viande bovine était envoyée à Canada Packers, à Winnipeg. Cette entreprise a depuis fermé ses portes, et tout va maintenant à Edmonton. Hier, j'ai parlé avec un homme de la Saskatchewan qui dirige le plus grand parc d'engraissement canadien. Quand je lui ai demandé où devrait-on établir une usine pour combler le manque au Canada, il m'a répondu l'Alberta, ce qui m'a étonné. Lorsque je lui ai demandé la raison, il m'a dit, « parce qu'il n'y a pas assez de bétail ici ».
Le comité se demande où il faudrait construire une usine de traitement. Les éleveurs du Québec veulent que ce soit au Québec. Ceux de l'Ontario veulent que ce soit dans leur province. Pour ce que ça vaut, je pense que le Canada n'a besoin que d'une seule autre bonne usine pour stabiliser l'industrie.
La présidente : Nous avons eu cinq exposés à ce sujet. Nous avons entendu Gencor, de l'Ontario; Blue Mountain, de la Colombie-Britannique; Rancher's Choice, du Manitoba; Atlantic Beef Products et les producteurs de bovins du Québec. De tous ces groupes, seuls Gencor, Blue Mountain et Atlantic Beef Products sont opérationnels; les autres vont suivre plus tard.
Le sénateur Gustafson : Ces usines peuvent-elles faire concurrence à Cargill, Tyson, et cetera? Il faut tenir compte de ça.
M. Gauthier : Vous posez des questions pertinentes. Nous sommes à la croisée des chemins au Canada. J'ai fait la même observation que vous. Voilà pourquoi les producteurs essaient de trouver une solution même si aucune n'est évidente. Nous n'avons pas d'indications claires quant à l'orientation que veut prendre le Canada pour protéger son industrie du boeuf. Nous dépendons des exportations, tout le monde le sait. Nous avons une capacité d'abattage limitée au Canada. Nous dépendons de grandes usines qui échappent à notre contrôle.
Notre survie économique est à la croisée des chemins et nous devons faire quelque chose de plus permanent. Voilà pourquoi les producteurs se tournent vers les coopératives car ils ne savent plus où donner de la tête. Ils ont besoin qu'on les entende et ils ne voient pas le jour où une super usine disposant de capitaux importants sera établie. Ils se demandent : « Qui peut le faire, si ce n'est pas nous? » C'est ce qui pousse les éleveurs à envisager la création de coopératives pour essayer de redresser la situation.
En bout de ligne, est-il préférable que nous augmentions notre capacité intérieure et la valeur ajoutée pour lancer nos produits dans le monde, ou que nous nous fiions à des intérêts extérieurs pour gagner une valeur ajoutée et la réinvestir?
Nos producteurs doivent faire un choix. Ils sont coincés.
J'aurais bien aimé pouvoir répondre à la question que vous posez sur la capacité que nous devons avoir et vous dire où elle devrait être. Tout ce que je sais, c'est que nous n'avons pas la capacité nécessaire pour acheter la viande bovine ni soumissionner. Le peu d'acheteurs qui existent ont le gros bout du bâton. Combien de temps cela va-t-il durer? La crise n'a commencé qu'il y a quelques années, mais aucune solution n'a encore été trouvée. Ça devait être temporaire. Après deux ans, nous sommes désespérés.
Le sénateur Gustafson : Nous savons que la survie de l'usine dans l'Île-du-Prince-Édouard est assurée grâce au fret. L'usine de la Colombie-Britannique. dispose d'un marché captif d'environ 4 millions d'habitants dans les basses-terres continentales; elle survivra donc.
Si nous devions bâtir une autre usine, où devrait-elle être située?
J'aimerais que vous examiniez ça. D'après moi, nous ne voulons pas une guerre de prix avec les Américains. L'industrie de l'élevage bovin réussit depuis très longtemps à vendre son bétail aux États-Unis. Laissez-moi vous donner un exemple.
À Estevan et à Weyburn, nous avons beaucoup d'élevages de bétail, mais ce n'est rien à côté de l'Alberta. Le bétail a toujours été transporté à bord de remorques bétaillères à destination de parcs d'engraissement chez nos voisins du Sud. Elles ne passent même pas près d'un abattoir canadien. C'est la même chose au Manitoba. Parfois, on voit jusqu'à sept camions qui quittent une ferme remplis du jeune bétail vendu cette journée-là. Ça ne changera pas. Si les frontières rouvrent et qu'on nous offre un meilleur prix pour ces veaux au Kansas qu'à Edmonton, le bétail ira au Kansas. Les agriculteurs ne peuvent pas se permettre de perdre un seul dollar; ils feront donc affaire avec ceux qui sont prêts à payer.
M. Dobson : Vous avez fait valoir de très bons points. Les coopératives de crédit détiennent déjà une grande partie de la dette du secteur agricole, qui s'établit à 47 milliards de dollars; c'est pourquoi elles ne se lancent pas très rapidement dans le domaine des prêts à l'industrie de la transformation.
Cette industrie constitue une autre possibilité d'investissement pour les agriculteurs et une autre possibilité d'accorder des prêts pour les coopératives de crédit, qui aiment également la diversification. Elles devront aborder ce domaine à la manière d'une société commerciale. On ne peut pas être un bon samaritain dans le secteur du crédit. Il faut penser comme les gens d'affaires.
Il s'agit d'un moment crucial. Certaines de ces initiatives sont pratiquement en place, mais il faut faire un acte de foi pour qu'elles se réalisent. Je considère que le gouvernement devrait rendre cet acte de foi un peu plus facile.
Vous avez dit qu'une grande usine de transformation réglerait le problème. Cela ne se produira pas. C'est pourquoi je propose que les gens s'unissent pour répondre aux besoins des grands marchés. Les producteurs doivent être maîtres dans une certaine mesure de ces projets pour qu'ils fonctionnent. Je ne suis pas d'avis qu'un grand projet contribuera à régler le problème; je pense plutôt que plusieurs projets pourraient alimenter des activités de commercialisation.
Vous avez demandé si les producteurs seraient en mesure d'être concurrentiels s'il y a réouverture de la frontière. On met beaucoup l'accent sur la question de savoir si la frontière sera réouverte. Les coopératives visent précisément à permettre aux producteurs d'être concurrentiels parce qu'elles nécessitent un engagement de leur part. Ils en seront les propriétaires, alors ce ne sera pas à leurs yeux simplement un autre endroit où amener leur bétail. Ils en seront les propriétaires; c'est pourquoi j'estime que les coopératives constituent un modèle intéressant.
Le sénateur Gustafson : Nous savons que le modèle coopératif fonctionne. Par contre, la Saskatchewan Wheat Pool s'est diversifiée dans un si grand nombre de domaines qu'elle est maintenant en difficulté. Je ne sais pas si elle était membre de la coopérative The Co-operators, mais je crois que oui.
D'un autre côté, la Federated Co-operatives Limited a très bien fait. J'ai siégé au conseil d'administration de ces coopératives, alors je le sais. La Federated Co-operatives Limited ne s'est pas diversifiée dans un si grand nombre de domaines, et elle est restée très solide. En fait, l'unique raison pour laquelle la petite coopérative de Macoun, en Saskatchewan, réalise un profit, c'est parce que nous recevons 150 000 $ par année de la Federated Co-operatives Limited, qui est très solide, comme vous le savez.
M. Gauthier : Nous sommes confrontés à un autre défi sur le plan économique parce que nous sommes tributaires des exportations. Le comité doit étudier les répercussions du taux de change sur l'avenir. Nous exportons beaucoup aux États-Unis, mais les acheteurs américains profitent d'une faible prime de risque de change.
Le taux de change évoluera-t-il au fil du temps? Qui peut le prédire?
Si la valeur du dollar canadien redevient égale à celle du dollar américain, quelle sera l'incidence sur le commerce du bétail entre le Nord et le Sud?
Nos propres usines devront-elles se repositionner pour vendre au reste du monde?
Je ne peux pas répondre à ces questions.
Je crois que les coopératives de crédit ont investi au maximum de leur capacité. Ce sont des organismes financés par leurs membres qui maximisent l'utilisation du capital et qui réinvestissent dans la collectivité du mieux qu'ils le peuvent. Malheureusement, les règles qui régissent le secteur bancaire étant ce qu'elles sont, elles sont limitées par le bassin de capitaux qu'elles ont créé. J'estime que les coopératives de crédit et les caisses populaires ont fait tout ce qu'elles pouvaient pour fournir des capitaux destinés à la réalisation de projets par la collectivité.
[Français]
Le sénateur Gill : Je vous félicite pour votre présentation. Ma préoccupation touche les questions qui ont déjà été posées au sujet de la concurrence. J'imagine que c'est un peu l'histoire des coopératives au Québec où, au tout début, ce mouvement a attiré, on pourrait dire, les petits éleveurs. Je n'ai pas l'impression qu'elles ont attiré les grosses entreprises. Cela veut dire qu'une compétition s'installe entre la grosse entreprise et les coopératives. J'ai l'impression que puisque les coopératives ne rapportent pas tout de suite — aujourd'hui on vit dans un siècle où il faut que l'entreprise donne des profits très vite — elles n'ont pas cette possibilité. Si mes informations sont bonnes, il n'y a pas tellement longtemps que les caisses populaires au Québec donnent des dividendes malgré qu'elles existent depuis de nombreuses années.
Je présume donc qu'il faut d'autres motivations que celle de faire des profits. Je pense qu'au Québec cela n'a pas été uniquement la préoccupation financière, mais une préoccupation sociale et culturelle. Je ne sais pas, en ce qui a trait aux coopératives dans le domaine de l'abattage, par exemple, si vous retenez cet aspect. Cela prend d'autres motivations que des motivations financières et cela dépend des besoins des gens.
M. Gauthier : Une partie de nos recommandations dans le dossier, recommandent une infusion de financement supplémentaire pour s'assurer que l'aspect coopératif soit développé correctement dans ces entreprises. On est très conscient du fait que les gens qui s'associent à une coopérative ne comprennent pas toujours les autres aspects de la coopération. Les aspects de support mutuel et du développement d'un plan d'affaires collectif n'ont pas toujours été compris parce que les gens manquent de patience.
Les coopératives sont des projets à long terme. Les gens qui investissent dans les coopératives ont plus de patience et ils ont des objectifs à plus long terme. Il faut s'assurer que les gens qui créent une coopérative le fasse avec toutes les connaissances, pas seulement en ce qui a trait à l'aspect financier, qui est important, mais ils doivent comprendre tout le côté de la gouvernance, le côté du membership, de l'éducation aux coopératives qui doivent être intégrés dans le plan d'affaires de celles-ci. C'est pour cela que les recommandations reconnaissent qu'un ajout est nécessaire. Si ces coopératives veulent survivre et être compétitives et tenaces, il doit y avoir un ingrédient comme cela inclut dans le plan. C'est la raison pour laquelle on a encouragé une contribution ou, à tout le moins, donner une reconnaissance à cet aspect.
L'expérience coopérative au Québec est un modèle pour bien des gens dans le pays. Les expériences coopératives dans l'Ouest du Canada sont aussi très positives et fonctionnelles. On le voit aussi dans la région de l'Atlantique. Toutefois, on fonctionne avec des politiques gouvernementales différentes qui sont assez surprenantes.
Le sénateur Gill : J'imagine aussi que, évidemment, comme les coopératives attirent les petits éleveurs au début, pour monter la coopérative vous allez avoir une opposition du côté des entreprises qui existent déjà. Et dans ces entreprises — comme dans d'autres domaines et probablement que ce n'est pas particulier à votre domaine, c'est général — il y a une force de lobbying considérable. J'imagine que vous en êtes très conscient.
M. Gauthier : C'est vrai.
Le sénateur Gill : Il faut essayer d'atteindre un équilibre pour tout le monde et empêcher certains de recevoir des subventions que d'autres n'ont pas, parce que vous allez avoir une compétition.
M. Gauthier : C'est à souhaiter que l'entreprise coopérative qui s'installe dans un domaine particulier crée un niveau de compétition plus sain dans l'industrie. Les producteurs de bœufs ne pas tous des grosses entreprises, mais il y en a des assez gros dans le groupe qui étudie la formule. Ils souhaitent un niveau de compétition plus sain. Cela prend des gros joueurs. Je ne veux pas leur donner plus de crédit qu'il ne le faut, mais je pense qu'il faudrait définir ce qu'est un « petit producteur ». Toutefois, même les moyens de producteurs, on peut parler ici d'un producteur de 1 000 têtes, ont besoin de différentes formules pour ramener un équilibre économique qui n'existe pas aujourd'hui. C'est un peu la raison pour laquelle la solution coopérative fait partie des options.
[Traduction]
M. Dobson : Je ne veux pas donner l'impression que les coopératives sont uniquement un programme social. Le Canada compte de nombreuses coopératives qui réussissent extrêmement bien. J'ai siégé pendant six ans au conseil d'administration de la UFA Co-op, en Alberta, qui existe depuis 1909. Elle réalise toujours des profits allant de 20 millions de dollars à 30 millions de dollars.
Quelqu'un a déjà dit que les coopératives étaient une façon différente de mener des affaires; elles doivent voir grand, mais progresser à petits pas. Comme M. Gauthier l'a mentionné, les coopératives sont patientes et, au bout du compte, elles réussiront très bien. C'est ce qui fonctionnera selon nous en ce qui concerne ces initiatives.
Le sénateur Peterson : Vous demandez de l'aide pour élaborer un modèle économique visant les coopératives d'abattage. Vous recommandez des crédits d'impôt, des reports d'impôt, des garanties d'emprunt, et cetera.
Serait-il possible de présenter votre modèle à Financement agricole Canada ou aux coopératives de crédit et leur demander du capital de risque?
M. Gauthier : Nous voyons les coopératives de crédit et les caisses populaires comme un groupe, mais nous ne nous limitons pas à ce groupe. Du capital, c'est du capital, et nous devons l'obtenir des meilleures sources possibles. Je pense que les banques sont intéressées dans la mesure où elles peuvent gérer le risque, au même titre que les coopératives de crédit. Les coopératives de crédit, les caisses populaires et Financement agricole Canada sont des institutions auxquelles nous nous sentons à l'aise de nous adresser, mais elles ne devraient pas être les seules à fournir du soutien.
M. Dobson : Vous remarquerez que les suggestions sont d'ordre pratique. Nous ne parlons pas d'énormes sommes d'argent. Il existe des façons de donner aux coopératives les outils dont elles ont besoin pour obtenir des capitaux qui proviennent d'elles-mêmes et de leur collectivité. Il n'est pas question de plusieurs millions de dollars. Les sommes pourraient provenir des fonds qui ont déjà été affectés ou elles pourraient être obtenues grâce à des modifications d'ordre fiscal. Elles pourraient provenir des banques ou des coopératives de crédit ainsi que des investisseurs et des producteurs eux-mêmes.
Le sénateur Peterson : Avons-nous la tâche de vous dire lesquelles des recommandations pourraient être mises en œuvre?
M. Dobson : Ce sont des propositions que vous pouvez envisager en vue de rendre les coopératives de transformation plus viables. Nous n'avons pas besoin de beaucoup pour être en mesure de faire cet acte de foi dont on a parlé. Nos propositions sont réalistes.
M. Gauthier : Nous espérons que, dans votre rapport final, lorsque vous aborderez toutes les questions relatives à l'ESB et à l'avenir de l'agriculture, vous indiquerez que les coopératives peuvent constituer une grande part de la solution. Nous proposons des mesures pratiques qui permettront à des groupes de producteurs de créer une coopérative. Nous devons favoriser chez nos producteurs une compréhension des coopératives et l'adoption d'une approche axée sur les affaires.
Nos propositions n'impliquent pas de grosses sommes d'argent. Nous avons besoin d'obtenir un peu plus de financement pour terminer un modèle qui est déjà bien amorcé et permettre aux gens de tirer leurs propres conclusions. Si les producteurs souhaitent se lancer dans un tel projet, ils le feront en toute connaissance de cause.
Le sénateur Mitchell : Votre recommandation de tester toute la viande destinée à l'exportation m'intéresse. Il me semble que cela permettrait de régler de nombreux problèmes.
Pourquoi le gouvernement de l'Alberta s'oppose-t-il à cela?
Êtes-vous en train de parvenir à le faire changer d'idée?
Qui devrait financer un tel programme? Pensez-vous que ce devrait être le gouvernement fédéral, le gouvernement provincial ou le secteur privé?
M. Dobson : Premièrement, je ne pense pas que le gouvernement albertain s'oppose au dépistage. Comme le test de dépistage, particulièrement pour les animaux âgés de moins de 30 mois, n'est pas assez précis pour faire une véritable différence, le gouvernement albertain n'estime pas que c'est justifié. Quand on commence à procéder à des tests de dépistage, le consommateur s'attend à ce que toute la viande soit testée.
Le test de dépistage prend passablement de temps, ce qui signifie que les animaux doivent être gardés pendant un certain temps, ce qui constitue un coût considérable pour les abattoirs. La technologie progresse, et nous disposerons un jour d'un test pour les animaux vivants; à l'heure actuelle, les experts effectuent le test chez les animaux morts.
Il y a aussi des pressions liées à l'intégration du marché nord-américain. Dans un marché régulier, les animaux voyagent entre le Canada et les États-Unis. L'ancien ministre albertain de l'Agriculture avait déclaré que, si une usine de transformation voulait confier le dépistage à un laboratoire privé, le coût du dépistage serait un peu plus élevé que s'il était effectué dans un laboratoire du gouvernement en raison de l'infrastructure nécessaire.
L'organisme dont je suis le président pèse ses mots lorsqu'il aborde ce sujet, car il estime que les producteurs de bœuf de l'Alberta et lui-même sont les principaux porte-parole de l'industrie. On ne veut pas déclarer qu'il faut procéder au dépistage si le gouvernement affirme le contraire, car nous devons travailler ensemble.
Les associations qui représentent l'industrie savent qu'il y aura des marchés qui exigeront le dépistage, et peut-être devons-nous envisager d'effectuer le dépistage pour certains marchés sans toutefois laisser penser l'industrie qu'elle doit le faire pour tous les marchés.
Il s'agit d'un sujet délicat, et c'est pourquoi je ne dirai pas que nous devrions tester tous les animaux. Cependant, je crois que nous irons dans cette direction et que la technologie rendra le dépistage chez tous les animaux beaucoup plus facile dans l'avenir.
Le sénateur Mitchell : Il s'agit là d'une recommandation claire, mais il existe beaucoup d'ambivalence au sein de l'industrie à propos du dépistage. Je comprends et j'accepte cette ambivalence.
Proposez-vous que le gouvernement fédéral envisage de tester tous les animaux et d'en assumer le coût, car les gouvernements provinciaux ne voudront pas, ou estimez-vous qu'il est essentiel qu'il y ait une collaboration entre les gouvernements fédéral et provinciaux à l'égard du dépistage?
Vous adressez-vous à nous parce que l'Alberta refuse d'effectuer le dépistage?
M. Dobson : Le mot clé est « envisage ». Pour que cela fonctionne et que tout le monde soit content, le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et l'industrie doivent s'entendre au sujet du dépistage.
J'estime que le comité pourrait recommander la tenue de discussions sur le sujet, et ce très rapidement. Un grand nombre de producteurs veulent répondre aux besoins de marchés spécialisés. Un producteur répondra aux besoins d'un marché particulier; il aura une raison de vendre à ce marché, notamment parce que son bœuf est sans hormone ou qu'il a fait l'objet d'un dépistage, et cetera.
J'estime que tous les acteurs doivent être sur la même longueur d'ondes en ce qui concerne le dépistage. Bien entendu, on peut ordonner de tester tous les animaux, mais cela ne plaira pas à tous. Il faut veiller à travailler ensemble; je veux dire l'industrie et les gouvernements.
Le sénateur Mitchell : Estimez-vous que le gouvernement fédéral pourrait mener des négociations à cet égard? J'imagine qu'il devrait négocier considérablement.
M. Dobson : Il s'agit là d'un très bon rôle. On se rend compte que tout roule bien dans une industrie comme celle du bétail jusqu'à ce que des difficultés surviennent. Et tout d'un coup, il y a des mécontents, et il faut réunir tous les acteurs pour tenir des discussions. À mon avis, c'est un rôle que le gouvernement fédéral devrait jouer.
Le président : Il y aussi la question de la frontière américaine.
Le sénateur Mitchell : Ma prochaine question porte sur le fait que ce n'est pas toujours parce que tout roule bien qu'on adopte le modèle coopératif. Je suis un adepte des coopératives, mais il n'y a jamais qu'une seule école de pensée. Certains producteurs choisissent cette voie, mais cela a des répercussions sur la gestion de l'offre. Certains aiment le modèle coopératif et d'autres pas.
En Alberta précisément ou peut-être plus généralement au Canada, que vous disent ceux qui ne sont pas adeptes des coopératives?
Je ne vous demande pas d'affaiblir votre position, mais j'aimerais savoir ce qu'ils vous disent et ce que vous répondez.
M. Dobson : Je ne sais pas vraiment si ce groupe existe. Les installations appartenant à des producteurs ne fonctionnent pas toutes selon la même structure. L'autre jour, j'assistais à une réunion à Northlands au cours de laquelle un producteur s'est très bien exprimé. Il a dit : « Vous savez, il faut se pencher sur l'industrie du bétail et commencer à faire les choses d'une manière différente de celle que nous avons suivie ces 65 dernières années. »
Nous parlons des coopératives parce que nous croyons qu'elles fonctionnent très bien. Les membres y investissent à part égale, et elles donnent lieu à une bonne relation de travail qui fonctionne, cela a été prouvé. C'est pourquoi nous en faisons la promotion. Il existe d'autres formes d'entreprises qui appartiennent aux producteurs. Leur structure est différente. À note avis, lorsqu'on démarre une entreprise, la coopérative est une bonne option parce qu'elle permet de partir du bon pied.
Je ne crois pas qu'il existe certains groupes de producteurs qui s'opposent à la coopérative. Je n'ai jamais entendu un producteur de bovins de l'Alberta dénigrer la coopérative comme entreprise. Tout le monde parle de reprendre ou d'obtenir le contrôle dans une certaine mesure de l'industrie de la transformation et de faire participer les producteurs. Tout le monde est d'avis que la participation des producteurs garantit un engagement de leur part et une contribution. Tout le monde pense qu'une fois que la frontière sera rouverte, tous les problèmes seront réglés. Nous savons que ce n'est pas vrai.
Le défi consiste à rebâtir cette industrie et à acheminer l'aide financière aux producteurs. Tous les secteurs de l'agriculture sont confrontés à ce même défi. Profitons de cette occasion pour procurer l'argent aux producteurs.
Le sénateur Mitchell : Peut-on dire que les propriétaires de coopératives dépendent moins de la réouverture de la frontière que les propriétaires de gros abattoirs parce qu'ils constituent leur propre marché?
M. Dobson : Tout à fait. C'est exactement le cas. On craint même que certains abattoirs puissent être rachetés. Les producteurs ont besoin d'argent, et lorsque les usines se mettront à fonctionner après la réouverture de la frontière et que les usines de transformation américaines spéculeront sur le boeuf, quelques cents pourront faire la différence. Parfois, même si le profit est mince, c'est tout le profit qu'on peut faire. Les coopératives permettent d'avoir une longueur d'avance. C'est notre avis.
La présidente : Si on regarde l'histoire récente, on peut observer que le groupe indépendant qui a le mieux réussi au pays est celui des éleveurs de bovins. Pendant des années, lorsque les gouvernements mettaient sur pied des programmes d'aide, les éleveurs de bovins lui ont toujours dit très clairement qu'ils n'avaient pas besoin de ces programmes, qu'ils se portaient très bien. Cela a été le cas pendant très longtemps.
Ce qui est intéressant à propos de ce qui s'est passé au cours des deux terribles dernières années, c'est que cette indépendance a disparue avec l'apparition de la crise de la vache folle et la fermeture de la frontière. Depuis ce temps, Ottawa a offert aux éleveurs de bovins de discuter avec lui et de l'aider à trouver des solutions. Pendant cette période extrêmement difficile, une relation différente s'est forgée. Je suis certain que nous allons nous adapter et que le Canada récupérera ses marchés et j'espère que cette relation continuera d'exister, car elle est très importante aux yeux du gouvernement. De même, comme nous l'avons compris je crois, il est également important pour l'industrie de détenir une telle relation.
M. Dobson : C'est un très bon point. Quand on y pense, il s'agit d'une industrie très stable. On sait combien on possède de vaches, combien de veaux on aura, quel est notre marché. Ce n'est pas comme l'industrie des céréales. Un producteur de céréales ne sait jamais s'il obtiendra 20 ou 60 boisseaux par acre. Il ne sait pas quelle sera la récolte des autres producteurs. Il ne sait pas non plus quel est son marché ni quel sera le prix. L'industrie bovine a été extrêmement stable, et c'est pourquoi elle s'est très bien portée. Il est facile de monter son troupeau en même temps qu'on crée son marché. Ce qui s'est produit, c'est qu'un marché en particulier s'est effondré tout d'un coup. Étant donné que l'industrie bovine était très stable, elle ne pouvait pas s'adapter aussi rapidement que d'autres secteurs de l'agriculture.
Nous avons beaucoup appris. Je ne vous dirais pas que les éleveurs de bovins ont toujours affirmé que nous n'avons pas besoin d'aide, mais c'est le cas maintenant. Ce sont des gens très nobles et de bons entrepreneurs. Nous avons tous beaucoup appris de cette situation, même dans le système coopératif de cette industrie particulière. Ce n'est pas une partie importante qui est touchée, mais je constate que c'est ce qui se passe, et cette occasion nous est offerte. Selon ces personnes, nous pouvons rendre ce modèle efficace dans notre secteur de l'industrie. Dans le mouvement coopératif, cela nous apparaît très encourageant.
La présidente : C'est une industrie qui s'est révélée extrêmement efficace et qui est très admirée, voire enviée. Tous ici présents espèrent qu'elle aura l'occasion de rebondir sous peu. J'espère que ce lien demeurera, même s'il doit faire l'objet de modifications.
Le sénateur Mercer : Dans la foulée de vos observations, je pense que nos audiences nous ont permis de mieux saisir que le gouvernement canadien comprend les éleveurs bovins. Certains de nos témoins n'auraient jamais comparu si la présente crise n'avait pas éclatée.
Les observations formulées par la présidente au sujet de l'indépendance, de la force et de la volonté du secteur de l'agriculture ont vraiment touché les membres du comité, particulièrement ceux qui connaissent le milieu agricole beaucoup plus que moi.
Le coût découlant de la recommandation 9 et des tests systématiques me préoccupe. Qui assumera le coût de ces tests? Je crains que la réponse sera « le consommateur », qui devra absorber directement ce coût à l'épicerie ou par l'imposition.
Nous devons reconnaître que même le Japon, qui insistait pour tester à 100 p. 100 la viande, prend maintenant du recul, reconnaissant que la technologie ne le permet pas. Nous devrions peut-être songer à concentrer les tests là où ils sont nécessaires, c'est-à-dire pour les animaux de plus de 30 mois.
Serait-il possible de modifier ainsi la recommandation 9?
M. Dobson : Pour répondre simplement à votre question sur ceux qui devraient payer les tests, je vous dirai d'entrée de jeu que les éleveurs de bovins assument beaucoup trop de coûts par rapport à ce que les consommateurs exigent et à ce qu'ils sont prêts à payer. Si les consommateurs exigent ces tests, ils doivent payer soit dans le prix d'achat soit par un autre moyen à titre de contribuables. Ce coût ne devrait pas être assumé par l'éleveur. Nos bovins sont sains et nos aliments, salubres.
Je travaille afin d'assurer la salubrité des céréales et des oléagineux, et nous sommes d'avis que, si les consommateurs exigent des tests, ils devraient en assumer le coût. Si nous souhaitions emprunter cette orientation, le gouvernement devrait certes jouer un rôle à cet égard.
La recommandation 9 est ainsi libellée :
Que le gouvernement fédéral considère la possibilité de tester à 100 p. 100 la viande destinée à l'exportation vers les marchés qui l'exigent.
Cela ne signifie pas que nous préconisons de tester 100 p. 100 de toutes les catégories de bovins. Cependant, si c'est ce qu'exige catégoriquement le marché et si celui-ci est important, nous devons alors envisager un moyen de permettre à ces gens de faire ces tests. La question du financement doit certes être abordée. Les gouvernements provinciaux, le gouvernement fédéral et l'industrie doivent être très à l'aise par rapport à cette décision.
M. Gauthier : Le marché évolue toujours d'une façon étrange. Lorsqu'un marché plutôt petit et restreint impose une exigence particulière, il en découle habituellement un coût supplémentaire. Lorsque les choses se généralisent, ce coût supplémentaire s'élimine. C'est une situation que nous avons connue dans le domaine des OGM par rapport aux oléagineux et autres produits végétaux. Si le marché est restreint, c'est l'utilisateur final qui assume ce coût supplémentaire. Dès que le marché prend de l'ampleur, c'est le producteur.
Ce que je crains, c'est que ce soit les éleveurs qui assument ce coût. Nous le savons tous. Au bout du compte, le marché absorberait ce coût, et les intervenants dans le cycle de production finiraient par offrir moins pour le produit, étant donné que quelqu'un doit assumer ce coût. Selon nous, c'est habituellement l'éleveur. En cas d'écarts dans le transport ou d'obstacles, l'éleveur assume le coût. C'est ce qui s'est produit dans les Maritimes, et c'est pourquoi on y a envisagé d'abattre les animaux sur place pour atténuer au maximum ce coût.
Nous préconisons de tester à 100 p. 100 uniquement la viande destinée aux marchés qui l'exigent. Il en découlerait nécessairement un coût supplémentaire qui serait absorbé.
Le sénateur Mercer : Nous reconnaissons depuis longtemps que le prix des aliments sont ceux qui sont les plus avantageux au Canada et que c'est imputable au fait que nous ne payons pas suffisamment le producteur primaire. Ce sont les intermédiaires entre les producteurs primaires et les consommateurs qui s'en tirent le mieux, et mes collègues ont entendu mes plaintes au sujet des profits des abattoirs depuis un certain temps. Je n'insisterai pas là-dessus, mais cela m'amène à vous poser une dernière question.
La réouverture imminente de la frontière me préoccupe. Lorsque nous nous sommes rendus à Washington il y a quelques semaines, nous pensions être très près de notre objectif. Comme l'a mentionné le sénateur Kelleher, un juge de Billings au Montana a rendu une décision qui nous ramène à la case départ.
Je m'inquiète de ce qui surviendra à la réouverture de la frontière. Le sénateur Gustafson a une théorie, à laquelle je souscris et selon laquelle des bovins seront envoyés ici parce qu'ils peuvent s'y nourrir à fort meilleur marché, ce qui constitue un autre problème. Ce sera vraisemblablement le cas étant donné notre fourrage pour bovins bon marché et nos vastes parcs d'engraissement.
Je m'inquiète de nos nouvelles capacités d'abattage. Serons-nous en mesure de faire face aux pressions des principaux abattoirs lorsque les affaires reprendront soudainement et que ceux-ci voudront revenir à la situation qu'ils considèrent normale? Qu'arrivera-t-il lorsque les principaux abattoirs rouvriront les trois installations pour traiter nos bovins?
Je crains beaucoup que nous serons alors aux prises avec une crise, c'est-à-dire que nous aurons acquis une capacité, mais que, en raison de la force et de l'importance de ces grands abattoirs et de ces parcs d'engraissement qui sont propriétaires de tant de têtes de bétail, nos éleveurs seront contraints de revenir à la situation qui régnait avant la fermeture. Le secteur américain de l'élevage bovin est si important qu'il peut imposer ses prix.
Je suis conscient que tous les efforts déployés par les entreprises, les collectivités agricoles, le mouvement coopératif et tous les autres intervenants, risquent d'échouer.
Que pouvons-nous faire pour aider à prévenir ce qui sera, selon moi, la prochaine crise?
M. Dobson : La concurrence s'exercera de deux façons. Nous savons que la frontière rouvrira tôt ou tard. Pour demeurer concurrentiels, il faut premièrement disposer de suffisamment de capitaux, que ceux-ci proviennent des éleveurs ou des investisseurs ou encore des deux, afin que le niveau d'endettement ne soit pas trop élevé. Nous savons que la dette doit être acquittée et que plus celle-ci est élevée et plus les pressions financières sont fortes, plus il est difficile d'être concurrentiels.
Deuxièmement, il faut offrir une stratégie de commercialisation très efficace à ces éleveurs. Je reviens à la nécessité d'envisager la création d'une certaine espèce d'alliance sur le plan la commercialisation sans aller jusqu'à proposer un office de commercialisation.
Si votre abattoir peut traiter 5 000 animaux par semaine et si un autre peut suivre plus ou moins ce rythme, il n'existe aucune raison pour qu'une partie de cette viande ne soit pas exportée vers les marchés américains à la réouverture de la frontière. Vous devez préalablement atteindre une certaine taille et obtenir un certain pouvoir, ce qui est impossible si vous abattez 100 animaux par jour.
La viabilité passera par les capitaux et la position dominante sur le marché. C'est une occasion qui nous est offerte. C'est une situation qui se répète dans chaque domaine de la société à l'heure actuelle, les grandes entreprises exerçant des pressions sur les petites installations appartenant aux éleveurs. Est-il possible de relever ce défi? Oui, si nous affichons de la détermination.
Le sénateur Callbeck : À la recommandation 7, vous indiquez que certains programmes agricoles fédéraux ne sont pas adaptés aussi bien aux besoins des coopératives qu'à ceux des autres entreprises ou secteurs. Vous avez évoqué les exigences en matière d'admissibilité dans certains programmes et les aspects qu'il faudrait ajouter à d'autres.
Pourriez-vous nous donner des exemples à ce titre?
M. Dobson : Je n'ai pas d'exemples à vous donner pour l'instant, mais je pourrai certes le faire ultérieurement. C'est davantage une question de mentalité. Il semble que les programmes correspondent aux besoins des entreprises individuelles mais non pas à ceux du mouvement coopératif.
M. Gauthier : Quelques exemples ont été cités récemment. Les coopératives ont recours au programme selon la Loi sur les prêts destinés aux améliorations agricoles et à la commercialisation selon la formule coopérative (LPAACFC) pour financer les intrants des éleveurs. Même si le Programme semble être favorable aux coopératives, il comporte des contraintes qui ne leur permettent pas de demander facilement de l'aide. Je ne peux pas vous donner d'autres précisions aujourd'hui, mais telle est la situation selon nous.
Les autres programmes excluent les coopératives. Même si cela n'est pas précisé explicitement, les coopératives peuvent très difficilement satisfaire aux exigences, ce qui entraîne beaucoup de questions. Les administrateurs des programmes doivent y répondre, ce qui cause des retards et crée une certaine confusion. Au bout du compte, les programmes fonctionnent, mais la collectivité ne sait plus sur quel pied danser lorsque sont offerts des programmes qui semblent s'adresser à certaines entreprises individuelles. Il y a donc de nombreuses occasions qu'on laisse passer. Nous pourrions citer des exemples de cas que nous avons décelés au fil des ans.
M. Dobson : Des complications naissent lorsqu'il faut indiquer sur la demande la liste des membres de la coopérative. Si vous n'avez que cinq ou dix membres, ce n'est quand même pas la fin du monde, mais c'est impossible si vous comptez 500 ou 5 000 membres. Il faut reconnaître que la coopérative représente tous ces membres. Les coopératives existent pour permettre de faire ce genre de chose pour le compte de leurs membres. Nous vous donnerons des exemples précis, mais vous avez là le concept général.
Le sénateur Gustafson : Notre comité doit examiner l'état actuel et les perspectives d'avenir de l'agriculture. Je pense que nous en avons une bonne idée, mais nous devons encore approfondir certains aspects. En Saskatchewan, qui possède 40 p. 100 des terres arables, l'industrie céréalière est dans une situation lamentable, qui est probablement pire que celle que doivent affronter les éleveurs de bovins.
J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
M. Dobson : C'est une question très importante. Le secteur de l'agriculture fait face indubitablement à sa part de problèmes, particulièrement cette année. C'est la pire situation depuis que je suis dans ce domaine, c'est-à-dire depuis 32 ans.
Notre pays comporte des obstacles, particulièrement si vous vivez dans les Prairies. Vous êtes loin des ports. Il y a eu une conjugaison de nombreux problèmes. Les frais de transport sont très élevés, et l'ESB a compliqué le tout. Le prix des produits de base et des intrants constituent un autre obstacle. La dette agricole est un problème de fond. Je crois qu'elle s'établit à 13 milliards de dollars, uniquement en Alberta et qu'elle s'élève à près de 50 milliards pour l'ensemble du pays. Les choses deviendront très inquiétantes si les taux d'intérêt atteignent 10 p. 100. Avec les taux actuels, nous pouvons à peine joindre les deux bouts.
Nous devons faire front commun pour vaincre ces épreuves. Nous n'aimons pas solliciter l'aide du gouvernement, mais si nous ne disposons pas d'une certaine stabilité pour traverser cette crise, nous pourrons très difficilement être prospères lorsque le scénario changera. La situation n'est pas désespérée, mais elle est très ardue.
J'ai parlé de l'initiative à Calgary. Je félicite le gouvernement pour avoir envisagé des stratégies à long terme pour aborder cette question. Comme quelqu'un l'a signalé, si vous refermez la porte sur la main de votre petite amie, ce n'est vraiment pas le moment de la lui demander, sa main, et de lui glisser l'anneau au doigt. C'est une bonne analogie.
Il faut avoir une industrie relativement prospère avant d'envisager les stratégies à long terme. Nous nous attaquerons à cette tâche, mais nous devons faire front commun.
Le sénateur Gustafson : Le sénateur Peterson m'apprend que, dans sa région, certains agriculteurs louent au comptant leurs terres uniquement pour payer leurs impôts. La même chose vaut dans ma région. C'est grave.
Pourquoi les établissements financiers prêteraient-ils de l'argent pour appuyer cette industrie alors qu'ils peuvent investir en Inde et en Chine pour obtenir un rendement variant entre 10 et 20 p. 100?
Il ne reste plus que le gouvernement auquel on peut recourir pour obtenir de l'aide.
M. Dobson : En agriculture, nous avons toujours pu compter sur les fonds publics et nous en sommes très reconnaissants, mais nous ne pouvons jamais tenir cela pour acquis.
M. Gauthier : Je peux parler d'après mon expérience à titre d'intervenant dans la gestion de la chaîne d'approvisionnement pour le compte des agriculteurs, parce que je travaille avec les coopératives ontariennes. Il est évident que, au cours des deux dernières années, un changement important s'est manifesté par rapport aux demandes de crédit des producteurs aux coopératives. Comme fournisseurs, nous devons établir les conditions de crédit. Un nombre important de producteurs et d'agriculteurs nous demandent du crédit à plus long terme parce qu'ils n'ont pas les liquidités suffisantes. Ils demandent du crédit pour acheter les semences, les engrais et le carburant dans le cadre de prêts dont l'échéance est janvier et février au lieu des 30 à 60 jours habituels. De plus en plus de producteurs ne peuvent plus compter sur les banques ni sur les autres programmes de financement, et ils essaient de prolonger le terme des emprunts que nous leur consentons.
Au cours des deux dernières années, nos coopératives ont radié beaucoup de pertes pour mauvaises créances. Bien des producteurs cessent leurs activités et perdent leur avoir ainsi que les économies de toute leur vie. Ils font faillite. Ils ne peuvent plus rembourser leurs emprunts aux coopératives. Ces dernières ne sont pas les seules à souffrir d'une telle situation, mais c'est ce que je constate dans notre cycle économique. Cela m'apparaît comme un symptôme évident qu'il n'y a plus de liquidités. Ces personnes sont à court de ressources.
Nos fiers éleveurs d'animaux de ferme ont tout perdu, alors qu'ils ont travaillé toute leur vie à la sueur de leur front pour gagner décemment leur vie et assurer leur retraite. Ils disent : « Je peux semer, mais je ne peux obtenir aucun crédit. Vous devez me faire confiance au moins jusqu'aux récoltes.» Vous devez leur demander de fournir des garanties; vous ne pouvez pas leur offrir simplement les conditions de crédit habituelles. Ils doivent donner leur exploitation agricole en garantie. Même les banques ne leur accorderont pas ce genre de crédit.
Ils se trouvent dans un dilemme, et ils sont beaucoup plus nombreux qu'avant. C'est un risque que nous courons comme fournisseur.
Le sénateur Gustafson : Je peux confirmer les propos de M. Gauthier. Au cours des trois dernières semaines, j'ai assisté à trois ventes d'exploitation agricole, dont la cause était essentiellement une faillite. On essayait de vendre pour tenter d'économiser un peu en vue de la retraite ou l'on était contraint à le faire par l'établissement financier.
La situation fluctue selon les régions. En Saskatchewan et au Manitoba, les statistiques montrent que le prix des terrains a augmenté de 0,8 p. 100, comparativement à 5 p. 100 en Alberta. Les seules personnes qui achètent des terrains dans ma région sont les pétroliers. Les agriculteurs ne le peuvent pas.
La présidente : Avant de remercier nos témoins, je voudrais aborder un autre problème qui constitue une épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête de tous les producteurs de céréales et éleveurs de bétail. Il s'agit de l'eau. L'eau pose un très grave problème dans ma région de l'Alberta. C'est un problème qui nous menace au fur et à mesure que nos glaciers fondent. Il ne tombe pas beaucoup de pluie dans notre région, et les glaciers sont très importants par rapport à nos terres.
L'agriculture est un secteur instable. Nous admirons votre enthousiasme et votre attitude. La séance d'aujourd'hui a été enrichissante. Merci infiniment. Nous nous en reparlerons.
La séance est levée.