Délibérations du comité sénatorial spécial sur la
Loi antiterroriste
Fascicule 2 - Témoignages du 21 février 2005 - Séance du matin
OTTAWA, le lundi 21 février 2005
Le Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste se réunit aujourd'hui, à 10 h 34, pour procéder à un examen approfondi des dispositions et de l'application de la Loi antiterroriste (L.C. 2001, ch.41).
Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, le Comité sénatorial spécial en est à sa troisième séance, avec témoins, pour examiner la Loi antiterroriste du Canada. Je vais expliquer brièvement le but de nos travaux. En octobre 2001, en guise de réponse directe aux attaques terroristes à New York, à Washington D.C. et en Pennsylvanie et à la demande des Nations Unies, le gouvernement du Canada a déposé son projet de loi C-36, la Loi antiterroriste.
Reconnaissant l'urgence de la situation, on a demandé au Parlement d'étudier rapidement ce projet de loi, ce qu'il a accepté de faire. Il n'avait que jusqu'à la mi-décembre 2001 pour l'adopter. On craignait qu'il soit difficile d'évaluer en profondeur cette mesure législative en si peu de temps. Voilà pourquoi il a été convenu que le Parlement ferait, trois ans plus tard, un examen des dispositions de cette loi et de leurs conséquences sur la population canadienne. Ainsi, il aurait pris du recul et l'environnement public serait moins émotif. La création de ce comité spécial est le début des efforts qui seront déployés par le Sénat pour satisfaire à cette obligation.
Une fois notre étude terminée, nous ferons rapport au Sénat de tout problème qui, selon nous, devrait être réglé et nous rendrons public les résultats de nos travaux à l'intention du gouvernement et de la population canadienne. Il est à noter que la Chambre des communes entreprend actuellement un processus semblable.
Nous avons aujourd'hui le plaisir d'accueillir le ministre de la Justice, M. Irwin Cotler, qui est le ministre responsable de cette loi et qui a grandement participé aux débats concernant le projet de loi C-36 en 2001. Il sera avec nous pour les deux prochaines heures. Ensuite, ses représentants pourront continuer la discussion en après-midi. Honorables sénateurs, je demande que vos questions et réponses soient le plus concis possible, ce que je vous rappellerai de temps à autre. Nous aurons deux rondes de questions.
Monsieur le ministre, nous vous remercions d'être ici aujourd'hui. La parole est à vous.
[Français]
L'honorable Irwin Cotler, C.P., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada, ministère de la Justice Canada : Honorables sénateurs, c'est avec plaisir que je comparais devant vous ce matin afin de participer, comme vous l'avez dit dans votre introduction, à l'examen de la Loi antiterroriste dont l'article 145 prévoit un examen approfondi des dispositions et de l'application de la présente loi.
Je suis également ravi de constater que quelques membres du comité qui mènent cet examen étaient aussi membres du comité spécial du Sénat sur le projet de loi C-36.
[Traduction]
Je suis certain que le gouvernement et la population canadienne profiteront grandement de votre expérience et de votre connaissance relatives à cette loi.
Ayant passé en revue les discussions qui ont porté sur cette loi au cours des trois dernières années ainsi que vos échanges avec ma collègue, la vice-première ministre, l'honorable Anne McLellan, je veux vous faire part de certains des principes fondamentaux et des valeurs et politiques qui s'y rattachent et qui étayent tant la Loi antiterroriste que ma propre approche à son égard.
Je veux en parler, car depuis l'attentat du 11 septembre 2001, j'ai participé à une série de conférences sur le contre- territorisme dont le thème directeur — comme vous avez pu le constater dans vos échanges avec ma collègue, la semaine dernière — s'exprime souvent dans la question légitime suivante : « À quelles libertés devons-nous renoncer? ».
Le problème, à mon avis, est que de telles questions — ou le fait de ne s'attarder qu'à ces questions — nous invite à nous interroger sur les libertés qu'il faut abandonner sans réfléchir aux droits que nous devons sauvegarder. Nous avons besoin d'un débat sur le danger que constituent les lois contre le terrorisme pour notre mode de vie démocratique, au lieu d'insister sur la seule sauvegarde de la démocratie contre la menace terroriste et la caractérisation de la Loi antiterroriste en termes de sécurité nationale au détriment des libertés civiles — genre d'analyse gagnant- perdant — alors qu'il s'agit ici d'une loi visant la sécurité humaine et la protection de la sécurité nationale et des droits de la personne.
Dans ce contexte, permettez-moi de traiter tout d'abord des principes fondamentaux qui étayent notre Loi antiterroriste ainsi que des valeurs qui en découlent. Voici le premier principe :
[Français]
Le rapport entre la sécurité et le droit. Ici, le principe sous-jacent veut qu'il n'y ait pas de contradiction entre la protection de la sécurité et la protection des droits de la personne. Le contre-terrorisme lui-même est ancré dans une perspective des droits de la personne en deux volets. Premièrement, le terrorisme transnational constitue une agression et une atteinte contre la sécurité d'une démocratie et contre les droits les plus fondamentaux de ses habitants, le droit à la vie, le droit à la sécurité et le droit à la liberté.
Par conséquent, le contre-terrorisme constitue la promotion et la protection de la sécurité d'une démocratie, et aussi la protection des droits fondamentaux de la personne face à l'injustice, en fait, la protection humaine dans son sens le plus profond.
Parallèlement, et c'est très important, il s'agit ici d'un deuxième volet de la perspective des droits de la personne ancré dans le rapport entre le terrorisme et le droit de la personne : l'application des lois et politiques contre le terrorisme doit toujours respecter la primauté du droit. Les minorités ne devraient jamais faire l'objet d'un traitement différentié et discriminatoire. La torture doit être interdite partout et à jamais. Le contre-terrorisme ne doit pas saper la sécurité humaine que nous cherchons à promouvoir et à protéger.
[Traduction]
Il n'y a pas de contradiction entre la protection de la sécurité et la protection des droits de la personne si on voit la Loi antiterroriste comme étant ancrée dans une double perspective des droits de la personne. Une loi contre le terrorisme vise, de par sa nature, à protéger les droits de la personne contre des attaques. En même temps, l'exécution d'une telle loi ne doit pas saper les valeurs que nous tentons de protéger.
Le deuxième principe exige de renoncer aux « fausses équivalences morales » pour l'application du principe de « tolérance zéro » à l'égard du terrorisme transnational. L'une des plus importantes dynamiques — souvent méconnue — qui entrave l'élaboration d'une loi de contre-terrorisme fondée sur des principes — c'est d'ailleurs l'objet de ma déclaration, ce matin, c'est-à-dire d'énoncer ce qui constitue une approche antiterroriste fondée sur des principes — est la zone floue des divisions morales et juridiques causées par la prémisse selon laquelle « pour l'un, c'est un terroriste, pour l'autre, c'est un combattant de la liberté ». J'ai toujours pensé — et ce bien avant que je ne sois élu député et encore moins nommé ministre — que l'invocation répétée de ce principe moral et juridique désuet n'a pas seulement miné la recherche intellectuelle, mais également son relativisme moral — ou fausse équivalence morale — qui a émoussé la base justificative d'une loi claire et fondée sur des principes, ce qui est l'objectif que nous partageons.
Autrement dit, l'idée selon laquelle un terroriste soit pour une personne un combattant de la liberté ne peut pas favoriser une approche bien fondée d'une loi antiterroriste. Les combattants de la liberté ne cherchent pas à capturer ni à massacrer des écoliers; les terroristes meurtriers le font eux. Les combattants de la liberté ne font pas exploser des trains ou des autobus transportant des non-combattants; les terroristes meurtriers le font eux. Les démocraties ne peuvent pas permettre l'association du mot « liberté » avec des actes de terrorisme.
En conséquence, la Résolution 1377 du Conseil de sécurité des Nations Unies a réaffirmé « ...sa condamnation catégorique de tous les actes ainsi que de toutes les méthodes et pratiques de terrorisme qu'ils jugent criminels et injustifiables, quels qu'en soient les motifs, sous toutes leurs formes et manifestations, où qu'ils soient commis et quels qu'en soient les auteurs... ».
Le principe sous-jacent doit être — tant pour le gouvernement canadien que pour les Nations Unies ou tout État partie à la communauté internationale qui recherche une approche du contre-terrorisme fondée sur des principes — que le terrorisme, de quelque origine qu'il soit et quel qu'en soit l'objectif, est inacceptable. Il faut un principe de tolérance zéro en regard du terrorisme transnational, tout comme ce doit être le cas pour le racisme.
[Français]
Le troisième principe est ce qu'on peut appeler le principe contextuel. J'entends par principe contextuel l'approche que la Cour suprême a adoptée. On la remarque dans sa jurisprudence : les droits conférés par la charte ainsi que toute restriction de ceux-ci doivent être analysés, non dans l'abstrait, mais dans le contexte factuel qui leur a donné naissance.
[Traduction]
Il ne fait aucun doute, comme l'a déclaré le professeur Paul Wilkinson dans son témoignage devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne, que nous avons franchi, le 11 septembre, une ligne stratégique. J'ajouterais que nous avons franchi un point de non retour sur le plan juridique, tant à l'échelle nationale qu'internationale. En conséquence, toute loi antiterroriste doit prendre en compte, conformément à ce principe contextuel, la nature et les dimensions de cette menace terroriste transnationale. Cela devrait inclure, notamment, le visage de plus en plus meurtrier du terrorisme, dont le massacre de civils dans des endroits publics; la croissance et la menace du terrorisme économique et du cyberterrorisme, qui vise à paralyser l'infrastructure civile; le perfectionnement des réseaux transnationaux de communication, de transport et des finances; la fréquence croissante des actes de terrorisme par les kamikazes, en raison de l'extrémisme radical et du fanatisme — nous en avons eu une autre illustration tragique ce week-end en Irak; et l'accès possible à des armes de destruction massive, si ce n'est pas leur utilisation éventuelle. Ce qui est particulièrement pertinent dans le cadre de cette approche contextuelle ici au Canada, c'est la vulnérabilité croissante des sociétés démocratiques et techniquement avancées, comme le Canada, à ce genre de terreur transnationale.
Ce qui m'amène au quatrième principe, ce que j'appelle le « modèle de la justice pénale internationale » en matière de loi antiterroriste. Bref, nous n'avons pas affaire à des criminels ordinaires ou nationaux, mais à des super-terroristes transnationaux. Il ne s'agit pas non plus de criminalité ordinaire, mais bien de ce que nous appelons des « crimes contre l'humanité », ni de la menace habituelle que fait peser sur nous la violence criminelle, mais bien une menace absolue sur nos vies, et il est à espérer que l'espèce humaine n'arrivera jamais là.
Nous avons affaire à ce que l'on pourrait appeler des « crimes et criminels de Nuremberg » c'est-à-dire des hostis humani generis, des ennemis du genre humain. Dans cette optique, le modèle d'application régulière du droit pénal dans un pays n'est pas suffisant à lui seul car la guerre juridique contre le terrorisme ne peut pas être menée par un pays seul.
En conséquence, le modèle de justice pénale international trouve son expression dans le projet de loi C-36, notre loi antiterroriste, non seulement dans la mise en application au Canada des 12 conventions internationales contre le terrorisme, mais aussi dans la mise en œuvre des engagements découlant des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies.
[Français]
En bref, la loi antiterroriste vise non seulement à mobiliser l'arsenal juridique intérieur contre le terrorisme international, mais à aider et à renforcer les mécanismes internationaux en vue d'affronter le nouveau terrorisme supranational.
[Traduction]
Ce qui m'amène au cinquième principe, soit le principe de prévention. Il s'agit d'un concept essentiel de notre loi antiterroriste — et des résolutions 1373 et 1377 du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui sont ancrées dans la Loi antiterroriste. Ce concept découle d'une culture où prévalent la prévention et l'anticipation, par opposition à une application de la loi après le fait. Cela inclut l'intégration dans le projet de loi C-36 de l'éventail des peines pour les infractions liées au terrorisme international — qui ont pour but de neutraliser et de démanteler le réseau terroriste lui- même — ainsi que des mécanismes d'investigation et de procédure, tels que la détention préventive et les enquêtes, qui visent à détecter et à dissuader au lieu de simplement poursuivre et de punir.
Le sixième principe concerne la Charte des droits et libertés et le principe de proportionnalité. Fait bien connu, la promulgation du projet de loi C-36 découle d'une analyse de la loi qui visait à déterminer si elle était conforme aux divers préceptes de la Charte. Toutefois, cela ne veut pas dire que la loi soit nécessairement inattaquable au chapitre de la Charte.
Tout ce que cela veut dire, c'est que nous avons la responsabilité en tant que gouvernement de nous assurer que toute loi envisagée, comme le projet de loi C-36, est conforme à la Charte.
Comme l'a énoncé la Cour suprême du Canada dans R. c. Oakes, si des droits doivent être restreints, « ...il doit y avoir proportionnalité entre les effets des mesures restreignant un droit ou une liberté garantie par la Charte et l'objectif reconnu comme suffisamment important » car l'article 1 de la Charte autorise la restriction de droits.
[Français]
C'est le principe de la proportionnalité, c'est-à-dire que la réponse juridique au terrorisme doit être proportionnelle à la menace.
[Traduction]
C'est-à-dire, la réponse sur le plan juridique, en ce qui a trait à notre loi antiterroriste, doit être proportionnelle à la nature de la menace.
[Français]
Le principe veut que nous tenions compte dans notre évaluation de notre loi antiterroriste des dangers qui constituent la menace contemporaine du terrorisme transnational, de façon à bien jauger si notre réponse respecte les droits selon le test de proportionnalité.
[Traduction]
Par conséquent, bien que la menace terroriste ait franchi une ligne de démarcation stratégique et juridique et qu'elle satisfasse ainsi à la première exigence du critère de la proportionnalité, c'est-à-dire qu'il y ait un objectif réel et urgent — ou comme nous l'appelons parfois, un « intérêt supérieur de l'État » —, aux fins de promulgation d'une telle loi, elle doit encore satisfaire à l'exigence d'acceptabilité constitutionnelle et politique en ce qui a trait aux trois éléments de la partie « mesures correctives » du critère de proportionnalité. Il doit donc y avoir un fondement rationnel à la mesure corrective conçue spécifiquement en fonction de l'objectif visé; cette mesure doit porter le moins possible atteinte aux droits conférés par la Charte, et les effets ou les coûts de la loi — particulièrement en ce qui concerne ses conséquences sur nos libertés civiles — ne doivent pas l'emporter sur le but et le caractère réparateur de la mesure, dont la raison d'être est à la base de protéger les droits de la personne. Voilà pourquoi je dis qu'il n'y a pas nécessairement contradiction, mais que ce critère est là pour déceler tout aspect disproportionnel dans une réponse.
Ainsi, bien qu'il s'agisse d'une loi spéciale, répondant à une menace extraordinaire, la loi doit tout de même se conformer au principe de la proportionnalité — celui de mesures justes visant l'atteinte d'objectifs justes. Comme l'a fait remarquer le professeur Mendes, « notre monde devenant de plus en plus dangereux, la proportionnalité dans le droit et la justice deviendra l'un des principes les plus fondamentaux auxquels les démocraties constitutionnelles devront s'efforcer d'adhérer ».
Le septième principe concerne la comparaison.
[Français]
En un mot, dans sa détermination de la justification du projet de loi C-36, le Parlement a fait une analyse comparative des lois relatives à la lutte contre le terrorisme dans les sociétés libres; notamment celles du Royaume-Uni, des États-Unis, de l'Australie, de la France, de l'Allemagne et j'en passe.
[Traduction]
Cette comparaison et l'expérience ainsi acquise ont été importantes, non pas uniquement pour ce que nous avons appris au sujet de ce que faisait d'autres sociétés libres et démocratiques, mais aussi parce qu'elles nous ont permis de constater que toutes ces sociétés avaient promulgué des lois antiterroristes ou étaient sur le point de le faire. Le but de ces promulgations dans ces différents pays — comme le montraient leurs « travaux préparatoires » — était de protéger les sociétés et de leur permettre de demeurer libres et démocratiques.
Cela ne veut pas dire — ni ne devrait être sous-entendu — que parce que nous avons examiné ce que font d'autres sociétés libres et démocratiques et avons trouvé que notre loi était meilleure, que nous satisfaisons aux exigences minimales de notre Charte et de nos valeurs et principes canadiens. Je pense qu'une telle approche comparative exige qu'on replace la question des droits et de la sécurité dans ce contexte.
Je traite du principe de comparaison parce qu'il fait partie du processus d'examen qui a eu lieu au moment de la rédaction du projet de loi. La Cour suprême du Canada a tenu compte du principe de comparaison, et continuera de le faire, dans ses évaluations de la constitutionnalité de telles lois.
Le huitième principe concerne la sauvegarde de l'application régulière du droit. Bien que j'aie défendu l'idée qu'une analyse de la législation antiterroriste devrait être faite à partir d'un modèle de justice pénale internationale plus inclusif, cela ne veut pas dire que l'application régulière du droit n'est pas important ou pertinent. Au contraire — et je parle ici à titre de personne qui a défendu des prisonniers politiques ailleurs dans le monde, dont beaucoup ont été soupçonnés d'avoir commis des actes de terrorisme —, l'application régulière du droit est un modèle et une mesure de protection nécessaire qui doit être incluse dans notre évaluation des fondements de la loi.
Le neuvième principe porte sur les droits des minorités. Ce principe vise en particulier à éviter aux minorités visibles d'être ciblées et traitées de façon différente ou discriminatoire dans le cadre de l'application de la Loi antiterroriste. Cela était également une préoccupation majeure dans les mémoires déposés par les défenseurs des libertés civiles et les groupes musulmans qui ont comparu devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne, qui examinait alors le projet de loi C-36. À cette époque, je siégeais à ce comité et je participais aux délibérations du comité sénatorial. Dans son mémoire au comité, la Coalition des organisations musulmanes a fait valoir que les Canadiens et les Canadiennes de foi musulmane subiraient un traitement différent et discriminatoire en raison de la Loi et de la politique antiterroriste du gouvernement. Ces craintes ont continué de s'exprimer dans les préoccupations mentionnées sur le profilage racial, élément qui a d'ailleurs fait partie de vos délibérations la semaine dernière.
Permettez-moi de répéter ce qui est depuis longtemps mon principe et ma politique sur cette question : les pratiques discriminatoires, y compris le ciblage de minorités, n'ont pas leur place dans l'application de la loi ni dans le travail des organismes de sécurité et de renseignement. Nous sommes déterminés à nous assurer que les dispositions et l'application de la Loi antiterroriste n'auront aucune répercussion sur les membres des minorités ethnoculturelles et religieuses. Le profilage racial est en soi une forme de discrimination qui sape le droit constitutionnel à l'égalité.
Le dixième principe vise à préciser le concept de répression du discours haineux.
[Français]
Ce principe, autre variante du principe des droits des minorités, cherche à protéger les minorités visibles contre la haine sur Internet ou dans le domaine des communications publiques qui peut avoir pour effet d'en faire non seulement une cible de la haine, mais également les cibles d'actes terroristes.
[Traduction]
Ainsi, notre loi antiterroriste contient des dispositions importantes qui permettront aux tribunaux d'ordonner la suppression de la propagande haineuse accessible au public et qui est affichée dans des systèmes informatiques, notamment sur un site Internet. De même, elle comporte des modifications au Code criminel pour créer une nouvelle infraction pour tout méfait commis contre un lieu de culte religieux ou un bien qui y est associé et qui serait motivé par des préjugés ou une haine fondée sur la religion, la race, la couleur ou l'origine nationale ou ethnique.
Il y a en outre des modifications à la Loi canadienne sur les droits de la personne qui établissent clairement qu'il est interdit de se servir du téléphone, d'Internet ou d'autres outils de communication à des fins de diffusion de propos haineux ou discriminatoires. Cela est particulièrement important vu la possibilité qu'offre Internet d'étendre la diffusion des messages haineux à des millions de personnes.
Le onzième principe, le dernier, est le principe de surveillance.
[Français]
Il s'agit d'un principe particulièrement important, concrétisé par des mécanismes de surveillance dans la loi antiterroriste en vue d'assurer à la fois l'imputabilité parlementaire et publique. Je veux parler de quelques éléments.
[Traduction]
J'aimerais vous énumérer certains des principes de surveillance qui mériteraient d'être étoffés. Je veux parler de l'application de la Charte canadienne des droits et libertés; de l'application de normes internationales en matière de droits de la personne; des rapports annuels du ministre de la Justice et du solliciteur général au Parlement et des rapports analogues aux législatures provinciales; de l'autorisation ou du consentement requis du ministre de la Justice pour engager des poursuites dans les cas d'infractions liées au terrorisme; du renforcement du pouvoir judiciaire concernant certaines infractions et certains mécanismes d'enquête établis en vertu de la loi; de la soumission obligatoire de la loi à un examen parlementaire triennal — actuellement en cours — et d'une clause de temporisation pour les dispositions visant la détention préventive et les audiences d'investigation et autres.
[Français]
Outre le contrôle judiciaire et parlementaire, les médias, les ONG et une société civile engagée surveillent également l'application de la loi et en favorisent donc l'intégrité et l'efficacité globale.
[Traduction]
Madame la présidente, ce comité a l'avantage aujourd'hui d'examiner la loi, comme vous l'avez dit dans votre déclaration d'ouverture, en ayant une perspective qui ne vient qu'avec le temps. En effet, vous avez pour atout trois ans d'expérience en ce qui a trait à l'application de la loi, l'expertise et l'expérience de fonctionnaires et d'universitaires — canadiens et étrangers — que vous pouvez appeler à témoigner, la sagesse et les conseils de nos tribunaux ainsi que l'expérience de nos diverses collectivités qui composent la mosaïque canadienne.
[Français]
L'importance de cette loi ne peut être assez soulignée. Les Canadiens et les Canadiennes veulent être certains que leur gouvernement a fait tout ce qu'il fallait pour les protéger contre des actes terroristes sans pour autant empiéter sur leurs droits et leurs libertés individuelles.
En fait, dans le libellé de lois antiterroristes exhaustives, la difficulté n'est pas de mettre en équilibre la protection de la sécurité nationale et de la protection des droits de la personne, mais de conceptualiser de nouveau les droits de la personne comme englobant la sécurité nationale, et la sécurité nationale comme englobant les droits de la personne.
Cette enquête ne vise pas les libertés qu'il faudrait abandonner, mais bien les droits qu'il faudrait garantir; ces deux éléments sont liés.
[Traduction]
En conséquence, le gouvernement du Canada doit adopter une approche, fondée sur des principes, pour protéger la sécurité et les droits de la personne, approche que nous partageons avec ce comité et que nous avons cherché à renforcer dans le cadre de nos discussions avec nos partenaires internationaux et avec nos homologues provinciaux et territoriaux. À ces fins, je suis content qu'un groupe de travail fédéral-provincial-territorial ait été mis sur pied pour mettre au point une stratégie exhaustive, intégrée et coordonnée de lutte contre le terrorisme.
Honorables sénateurs, votre travail précieux entourant le projet de loi C-36 et les recommandations transmises à l'époque par votre comité spécial sur ce projet de loi ont rehaussé et renforcé cette loi qui fait l'objet actuellement de cet examen. Par ailleurs, nous avons hâte de connaître vos conclusions dans les mois qui viennent, et notamment, d'obtenir votre opinion sur les dispositions et l'application de la loi.
Je serai heureux de prendre connaissance des témoignages des personnes qui comparaîtront devant vous. Si je suis invité, soyez assurés que je me présenterai avec joie. Je vous souhaite beaucoup de succès dans le cadre de cet examen de la loi. Je suis prêt à répondre à vos questions et à accueillir vos commentaires.
La présidente : Monsieur le ministre, merci de votre exposé réfléchi.
Je demanderais à tous d'être le plus concis possible dans leurs interventions. Le ministre a généreusement accepté de rester plus longtemps; nous aurons donc du temps pour une deuxième série de questions.
Le sénateur Andreychuk : Monsieur le ministre, merci d'être ici aujourd'hui et de nous avoir présenté ces principes et votre perception de ceux-ci. Ces principes nous seront utiles pour guider nos discussions avec d'autres témoins. J'ai hâte de les examiner plus attentivement.
Selon notre situation et les circonstances, je pense que la tension associée au besoin de protéger la société du terrorisme tout en évitant la transgression de libertés civiles est un véritable point névralgique. Le public s'inquiète de ces enjeux, et avec raison.
La marge de manœuvre juridique qu'alloue habituellement la société au gouvernement en ce qui a trait à la limitation des droits civils en temps de guerre ne peut pas s'appliquer au contexte de la guerre au terrorisme car celle-ci ne prendra jamais fin, contrairement à la Deuxième Guerre mondiale. J'ai paraphrasé les propos qu'a tenus le juge Ian Binnie de la Cour suprême lorsqu'il s'est adressé à la section canadienne de la Commission internationale des juristes. Il a également dit que tous sont d'avis pour dire que la guerre au terrorisme n'est pas une mesure temporaire; au contraire, elle est maintenant une réalité permanente, et le système judiciaire doit en tenir compte. Il a également déclaré que même si la plupart des gens estiment que le terrorisme constitue la plus grande menace pour les droits de la personne et la primauté du droit, la société ne peut pas ignorer ces personnes qui pourraient être accusées à tort en raison d'erreurs commises par le gouvernement ou d'erreurs des services de renseignements dans les systèmes de sécurité. Le juge Binnie a indiqué qu'il y avait un équilibre précaire entre la protection des intérêts d'une société et la protection des droits de la personne et qu'il est extrêmement difficile d'adapter nos procédures judiciaires habituelles de façon à pouvoir déceler le vrai du faux dans ce genre de conflits.
Le juge Binnie a ajouté que, en vertu de la primauté du droit, les gens sont généralement punis pour ce qu'ils commettent et non pour ce qu'ils pensent, mais ceux qui cherchent à prévenir le terrorisme essaient de deviner les pensées des terroristes et, ce faisant, dépassent ce qui était depuis toujours les limites de la responsabilité pénale.
Je voudrais savoir si vous pensez que le juge Binnie avait raison lorsqu'il a signalé que, depuis le 11 septembre 2001, la notion est assez répandue selon laquelle le pouvoir judiciaire serait disposé à faire confiance aux élus pour assurer de l'intégrité du système de sécurité. Autrement dit, seul le pouvoir exécutif reçoit le crédit de la lutte contre le terrorisme. Par conséquent, il est de plus en plus important premièrement que nous n'établissions pas une distinction à l'égard d'une partie de notre société et deuxièmement qu'il y ait une forme de surveillance. Si je comprends bien les propos du juge Binnie, la surveillance judiciaire s'est également affaiblie à cause du terrorisme.
M. Cotler : Je souscris d'emblée à tous ces propos du juge Binnie. Il a peut-être énoncé avec plus d'éloquence ce que je cherchais à décrire dans ma déclaration préliminaire, particulièrement à propos des rapports entre la sécurité et les droits. On peut dire à juste titre que le principe de tels rapports a suscité une certaine tension.
Selon ma théorie, qui ressemble énormément à celle du juge Binnie, il ne devrait pas y avoir de contradiction entre la protection de la sécurité et celle des droits de la personne. Nous devrions envisager ce rapport dans une perspective des droits de la personne en deux volets.
Selon le juge Binnie, le terrorisme constituant une atteinte aux droits de la personne, la Loi antiterroriste peut donc être considérée comme un moyen de protéger les droits de la personne. Parallèlement, dans l'application de la Loi antiterroriste, nous devons toujours respecter la primauté du droit et ne jamais permettre que les membres d'une minorité fassent l'objet d'un traitement discriminatoire ou que des gens subissent des pressions pour ce qu'ils pensent plutôt que pour ce qu'ils commettent, si je peux me permettre d'employer ses termes. Je souscris à ces propos et aux autres.
En conclusion, je conviens de l'importance de la surveillance du rôle du judiciaire. Dans mes observations, j'ai fait allusion plusieurs fois aux principes énoncés par la Cour suprême, qu'il s'agisse du principe contextuel, de celui de la proportionnalité ou de celui des droits des minorités, qui visent tous à créer une situation où les concepts et les modalités de l'approche du terrorisme devraient être établis en fonction de la primauté du droit.
Ce qui me préoccupe notamment — et nous tombons alors dans une analyse stéréotypée —, c'est que nous nous retrouvons dans une situation où ceux qui sont censés protéger la sécurité nationale ou défendre la Loi antiterroriste sont parfois qualifiés de libertaires s'opposant aux libertés civiles, alors que ceux qui militent en faveur des libertés civiles et critiquent la Loi antiterroriste sont parfois considérés comme des opposants à la sécurité nationale. Il y a des défenseurs des libertés civiles des deux côtés. Il y a des personnes qui se préoccupent de la sécurité nationale dans les deux camps. Je crains qu'on fasse ainsi une analyse réductrice et inutile de la sécurité nationale et des libertés civiles.
D'après moi, le juge Binnie semble indiquer que nous avons besoin à la fois de la sécurité pour nous protéger contre le terrorisme et des droits de la personne pour appliquer la Loi antiterroriste. Il l'a exprimé plus éloquemment que moi, et je souscris entièrement à tous ses propos.
Le sénateur Andreychuk : Je voudrais apporter une précision. Je ne crois pas que ni le juge Binnie ni moi ne parlions de proportionnalité entre les droits et la nécessité de se protéger contre le terrorisme. Vous l'avez signalé, et j'allais l'aborder. Je parlais du fait que, en règle générale, les citoyens, pour se protéger, peuvent compter sur la primauté du droit, telle que nous la connaissons et que nous l'avons intégrée à notre loi nationale et à certains de nos traités internationaux. Nous sommes parvenus à un équilibre pertinent. D'après ce que je peux comprendre, les tribunaux sont aux prises avec les mêmes difficultés que les citoyens : dans quelle mesure doit-on modifier cet équilibre en fonction du terrorisme et quels sont les empiètements sur les autres droits qui sont équitables dans la lutte contre le terrorisme?
Les tribunaux peuvent même être plus tolérants ou éprouver des difficultés à définir l'équilibre pertinent. Par conséquent, n'est-il pas nécessaire d'avoir d'autres mécanismes de surveillance afin que les citoyens ne comptent pas uniquement sur les tribunaux, parce que ceux-ci sont aux prises avec ces problèmes? Ne devrait-on pas confier aux parlementaires un rôle utile de surveillance permanente, qui serait supérieur à ce qui existe?
J'ai parlé du principe de la proportionnalité, du principe conceptuel et du principe des droits des minorités uniquement pour souligner les propos du juge Binnie, selon lesquels les tribunaux non seulement ont joué et jouent encore un rôle de surveillance important, mais ils ont aussi établi les principes permettant de mettre en œuvre l'équilibre entre la sécurité et les droits. Le principe de la proportionnalité a été formulé à l'extérieur du cadre de la Loi antiterroriste, mais il peut s'appliquer correctement à celle-ci. Autrement dit, le recours que nous avons intégré à la Loi antiterroriste — compte tenu des faits et circonstances propre à chaque affaire — est-il proportionnel aux objectifs visés? Le principe de la proportionnalité est un moyen de parvenir à un juste équilibre.
Il est vrai que les spécialistes des libertés civiles et les mouvements de défense des droits de la personne ont affirmé qu'il faudrait peut-être, à l'ère du terrorisme, modifier les modalités de l'équilibre entre la sécurité et les droits, mais qu'il ne faut jamais négliger l'importance de toujours protéger la primauté du droit, n'est-ce pas? Et j'arrive à votre point au sujet du Parlement. Il ne suffit pas de laisser aux tribunaux le soin de trancher la question. Les tribunaux sont un rempart important pour protéger la primauté du droit et des principes établis. Ils déterminent le cadre de cette protection, mais le Parlement doit jouer un rôle de surveillance crucial et permanent en demandant des comptes au pouvoir exécutif et en vérifiant si l'application de la Loi antiterroriste est conforme à la primauté du droit. Le Parlement doit effectivement jouer un rôle de surveillance important. Nous nous en acquittons maintenant, avec cet examen devant être exécuté trois ans après l'adoption de la loi.
Je dois ajouter ceci — et j'admets que c'est flatteur pour les Canadiens : en comparant notre solution à la façon dont les lois antiterroristes sont adoptées dans d'autres pays, je n'ai nullement trouvé le genre de surveillance parlementaire que la Chambre des communes et le Sénat ont obtenu à la suite de l'adoption du projet de loi C-36, ni le genre d'examen obligatoire comme celui de l'article 145. Cela en dit long sur notre détermination et sur la nécessité de la surveillance parlementaire.
Le sénateur Andreychuk : Je veux que vous répondiez à la question sur le respect que les tribunaux semblent accorder à l'exécutif et à ses pouvoirs discrétionnaires. Est-ce différent de ce que nous avions auparavant? J'y reviendrai au cours de la deuxième série de questions.
La présidente : Monsieur le ministre, vous vous rappellerez que notre comité spécial a déjà été saisi d'une recommandation sur la surveillance, ce qui n'a pas pu être traité pendant cette série de question. Nous verrons ce qui arrivera maintenant.
Le sénateur Jaffer : C'est avec plaisir que nous vous accueillons parmi nous. Dans votre autre carrière, vous étiez un avocat spécialiste des droits de la personne. Nous savons que vous avez plaidé dans de nombreux pays et que vous vous rendez à l'étranger pour promouvoir la formation des juges dans le système juridique. Je veux vous féliciter des efforts que vous avez déployés pour favoriser le dialogue en vue d'améliorer la mesure législative. J'ai bien aimé votre ouverture d'esprit à cet égard.
J'ai plusieurs brèves questions à vous poser. La première porte sur les certificats de sécurité. Ils me déplaisent, mais je pense que nous devrons les subir pendant quelques temps encore. Le problème concernant ces certificats, c'est la non-divulgation de l'information à l'accusé, qui est ainsi privé de son droit fondamental de prendre connaissance de la preuve, y compris celle retenue contre lui, ainsi que de son droit de confronter les témoins et de pouvoir réfuter l'accusation.
Vous avez entendu les propos du juge Hugeson et ceux de M. Roger Salhany, juge à la retraite de la Cour supérieure. Les deux ont signalé ne pas avoir la formation nécessaire. Ils sont habitués à un système judiciaire accusatoire. C'est le système que nous utilisons. Compte tenu de cela, monsieur le ministre, j'aimerais premièrement que vous envisagiez d'adjoindre au juge un avocat spécial, comme c'est le cas en Angleterre, pour uniquement représenter l'accusé.
Deuxièmement, je vous demanderais également d'exiger un rapport annuel sur le nombre de certificats délivrés. Pour l'instant, nous sommes aux prises avec ce que vous avez combattu toute votre vie, notamment en Afrique du Sud : la tenue de procès secrets. Les membres appartenant à une minorité comme la mienne ont l'impression de faire l'objet de discrimination.
Lorsque vous avez abordé les droits des minorités, vous avez recommandé d'intégrer à la loi une disposition sur la discrimination, et j'aimerais savoir si vous le préconisez dans le présent cas. Vous avez déjà signalé que vous recommandiez l'adoption d'un principe de non-discrimination interdisant qu'une personne soit appréhendée, qu'elle soit sous enquête et qu'elle soit détenue pour des motifs tels que la race, la religion, l'origine ethnique, et cetera. J'aimerais avoir votre opinion à cet égard.
M. Cotler : Vous me permettrez de répondre d'abord à la question sur les certificats de sécurité. Lorsque je relis ce que j'ai écrit sur la loi et la politique antiterroristes, je suis parfaitement conscient que je n'ai pas abordé la question des certificats de sécurité. J'ai traité du certificat du procureur général, ce que certains confondent avec les certificats de sécurité. Il existe différents recours et demandes. Je n'ai pas abordé les certificats de sécurité notamment parce que, lors de l'examen de la Loi antiterroriste, c'est-à-dire le projet de loi C-36, et depuis son adoption, nous nous sommes rendu compte que ces certificats ont été mis en œuvre avant cette loi. Ils ont été intégrés à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés de 1991, et ils servaient à d'autres fins qu'uniquement les actes terroristes. De toute évidence, ils sont devenus une partie intégrante de la culture juridique en ce qui concerne la loi et la politique antiterroristes.
Vous me permettrez d'apporter des précisions sur ce que vous avez proposé, soit l'intervenant désintéressé ou l'amicus curiae qui participerait à des audiences à huis clos.
Je le répète, je n'ai rien rédigé sur cette question, mais j'y ai songé. J'étais en faveur de cette proposition avant de lire les jugements rendus à cet égard par la Cour suprême, et je vous ferai part de ce que j'ai retenu de leurs décisions, ce qui pourra vous aider dans vos travaux et vos recommandations éventuelles.
En 1992, la Cour suprême s'est penchée sur la question de l'instance ex parte à huis clos dans l'affaire Chiarelli. Les juges ont décidé que cette instance ne dérogeait pas aux principes de justice fondamentale et qu'il n'était pas nécessaire que l'accusé soit au courant des détails sur les techniques d'enquête des services du renseignement ou sur les sources utilisées pour obtenir l'information nécessaire aux deux ministres pour délivrer un certificat.
À la suite de cette décision, certains ont pensé que, étant donné le huis clos de l'audience, la Cour fédérale devrait désigner un amicus curiae. Ils ont fait valoir que cela était nécessaire pour garantir le droit à un procès équitable. Le tribunal a rejeté une telle demande dans les affaires Harkat et Mahjoub, en se fondant partiellement sur le fait que le sommaire préparé par le juge permet d'informer correctement l'accusé des preuves retenues contre lui et sur le fait que l'examen des certificats par un pouvoir judiciaire indépendant est également essentiel pour garantir la justice fondamentale.
Dans l'affaire Charkaoui en 2003, la Cour fédérale a conclu qu'il ne serait pas souhaitable d'adopter le principe de l'amicus curiae. Le tribunal a fait valoir que le processus accusatoire découlant de ce principe pourrait être plutôt artificiel et compliquerait indûment l'approbation des demandes. En outre, il a ajouté qu'un juge est capable d'examiner correctement tous les aspects pertinents d'une demande sans avoir recours à la procédure accusatoire.
Voilà en bref la réponse à votre question selon les tribunaux, et j'ai réfléchi à tout cela également. J'ai parcouru la jurisprudence et je vous fait part de mes constatations, que votre comité pourra examiner. Vous trouverez peut-être qu'il s'agit d'un mécanisme pertinent pour garantir le droit de l'accusé à un procès équitable.
En ce qui concerne la disposition sur la discrimination, je l'ai recommandée à l'époque et, comme je le répète toujours, je n'ai habituellement pas dérogé à mes principes au fil de ma carrière, où j'ai été tour à tour professeur de droit, député et ministre. Je la recommanderais encore, non pas parce qu'il s'est produit de nombreux abus qui la justifient mais parce qu'il faut apporter une plus grande clarté et non pas restreindre la généralité. C'est ce qui m'a incité à proposer, à l'époque, une disposition contre la discrimination mais, même s'il y avait, dans un autre contexte, une disposition interprétative analogue qui avait été ajoutée à la définition d'« activités terroristes » et aux motifs à cet égard.
Sénateur, si vous voulez relire ce que j'ai proposé, vous verrez que je n'ai rien changé à ma recommandation.
Le sénateur Jaffer : Monsieur le ministre, je vous ai félicité pour les tables rondes que vous avez tenues dans la collectivité depuis que vous avez été nommé ministre. Celles-ci n'avaient pas lieu auparavant. Je suis certain que vous savez que les différentes communautés, particulièrement la communauté musulmane, ressentent beaucoup la menace des arrestations.
Ma collègue, le sénateur Andreychuk, a parlé de la surveillance. Je vous demanderais d'envisager la création d'un poste d'agent de surveillance parlementaire, qui observerait les activités du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, du Service canadien du renseignement de sécurité, de la GRC et des équipes intégrées de la sécurité nationale. Cela rassurerait les membres des groupes minoritaires de savoir que quelqu'un exerce une telle surveillance.
M. Cotler : Depuis que je suis ministre de la Justice et procureur général, je me suis fait un devoir de rencontrer les groupes ethnoculturels et religieux du pays. J'ai essayé d'intégrer ces rencontres à mes visites dans les provinces ou les régions.
En outre, depuis ma nomination à titre de ministre de la Justice et avant celle-ci, le ministère tenait des consultations qui n'avaient peut-être pas lieu à la fréquence qu'on pourrait souhaiter. Le 29 novembre 2004, des fonctionnaires de mon ministère et de celui de la Sécurité publique et de la Protection civile ont participé à une séance de consultation d'une journée avec 22 représentants de groupes religieux et ethnoculturels, séance à laquelle j'ai assisté. De plus, nous avons rencontré les groupes à l'extérieur du cadre de cette séance officielle particulière.
Vous n'êtes pas sans savoir — et je n'ai pas besoin d'insister là-dessus — que nous avons créé une table ronde interculturelle sur la sécurité nationale pour obtenir les observations des participants afin de mieux comprendre comment l'application de la loi est accueillie et comment elle exerce une influence sur les minorités visibles du pays — particulièrement la communauté musulmane, dont les membres craignent de faire l'objet d'un traitement discriminatoire, notamment lors de la collecte d'information ou à la frontière.
Je suis au courant de leurs craintes. Nous devons mettre en oeuvre plusieurs initiatives afin de donner suite à ces préoccupations. Premièrement, il faut consulter régulièrement les groupes religieux et ethnoculturels. Deuxièmement, il faut créer une table ronde interculturelle sur la sécurité nationale. Ces deux initiatives sont déjà mises en oeuvre. Troisièmement, il faut former les responsables de l'application de la loi sur toute la question de l'interdiction du traitement différent et discriminatoire des minorités visibles. Enfin, il faudrait examiner toute autre initiative que vous pourriez proposer pour prendre en compte ces préoccupations, qu'il s'agisse d'un agent relevant du Parlement ou de toute autre solution.
Le sénateur Lynch-Staunton : Merci, monsieur le ministre, de votre exposé éclairé et approfondi sur les principes qui vous guident et qui nous portent à la réflexion.
J'ai été étonné que vous ayez uniquement fait allusion au projet de loi C-36 sans en faire ressortir les caractéristiques qui sont essentielles à la lutte contre le terrorisme. Votre collègue, la vice-première ministre, a peut-être appuyé avec un plus de vigueur le projet de loi C-36, sans toutefois souligner, dans son exposé, les aspects essentiels de cette mesure législative.
On a fait peu de cas des résultats de l'étude sur l'application de la loi au cours des trois dernières années — certainement en ce qui concerne les aspects les plus litigieux qu'avaient fait ressortir le comité créé pour exécuter l'étude préalable et le comité qui s'est penché sur le projet de loi avant son adoption. La semaine dernière, le ministre a signalé que nos craintes n'étaient pas fondées, ce qui est rassurant. Sauf pour l'établissement d'une liste d'entités et tout ce qui en découle, je n'ai rien trouvé de controversé ou de litigieux dans la mesure législative, à laquelle on a eu peu ou pas recours. Ce qui nous préoccupe par rapport à votre témoignage et à celui de votre collègue qui a comparu la semaine dernière, c'est l'emploi ou l'utilisation abusive des certificats de sécurité dans le cadre de la Loi sur l'immigration.
J'espère qu'un représentant du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration comparaîtra devant nous pour nous préciser davantage les raisons pour lesquelles les certificats de sécurité sont ainsi utilisés.
Pouvez-vous nous convaincre que le projet de loi C-36 est si essentiel qu'il faut en poursuivre l'application dans sa totalité? Le cas échéant, quels sont les éléments de la mesure législative qui sont essentiels à la mise en œuvre de la politique gouvernementale visant à collaborer avec les autres gouvernements pour lutter contre le terrorisme?
M. Cotler : Vous avez raison, je n'ai pas abordé les détails précis de la Loi antiterroriste. Je croyais qu'il était plus important de vous faire part, dans ma déclaration préliminaire, des principes qui étayent les détails précis de cette loi et sa raison d'être. En abordant le principe contextuel, je voulais expliquer qu'il est important de comprendre le contexte de la menace à l'origine de la nécessité et de la raison d'être de la politique et de la loi antiterroristes, et qu'il est important de ne pas oublier les rapports entre la sécurité et les droits dans une perspective des droits de la personne en deux volets.
Mes propos comportaient peut-être des éléments qui n'ont peut-être pas été bien compris. Par exemple, j'ai souligné que le projet de loi C-36 permet de mettre en œuvre au Canada 12 conventions internationales portant sur la lutte contre le terrorisme. On y retrouve une bonne moitié des définitions d'« activité terroriste » de la Loi antiterroriste. J'y ai fait allusion parce que c'est un aspect souvent négligé.
Les gens ont parfois l'impression que la Loi antiterroriste a été inventée de toutes pièces. Elle ne constitue pas uniquement une réaction aux événements du 11 septembre. Déjà à l'université, j'ai écrit un article sur la nécessité d'une telle loi, et il a été publié bien avant les événements du 11 septembre.
Pour notre part, le ministère de la Justice — et c'est peut-être fortuit — a participé alors à l'élaboration des mesures à prendre pour satisfaire à nos obligations en matière de lutte contre le terrorisme. Lorsque les événements du 11 septembre se sont produits, ces mesures étaient déjà en place pour la plupart, puis elles ont été intégrées à la présente loi — il ne s'agissait pas de mettre en œuvre au Canada non seulement les 12 conventions internationales contre le terrorisme, mais également les recommandations du Conseil de sécurité sur ce que nous devions intégrer à notre loi antiterrorisme par rapport à la nature des actes qui devaient être criminalisés. Prenons des aspects précis à cet égard, et j'ai fait alors allusion au modèle de la justice pénale internationale. Vous avez les 12 conventions internationales qui portent sur des actes terroristes précis, conventions que le Canada a signées et ratifiées.
En vertu de ces conventions, le Canada doit notamment punir sévèrement, poursuivre ou extrader les auteurs d'un sabotage d'avion ainsi qu'assurer la protection contre les prises d'otages. Je pourrais poursuivre ainsi pendant longtemps. Ces conventions portent également sur la création d'un système de juridiction universelle régissant l'usage illicite et intentionnel d'explosifs et d'autres engins meurtriers dans différents lieux publics bien définis, dans l'intention de provoquer la mort ou des dommages corporels graves ou encore de causer la destruction d'un lieu public; sur la prévention et la neutralisation du financement des terroristes en rendant les personnes participant à ces activités responsables sur les plans pénal, civil et administratif. Cela est tiré de la Convention internationale sur la répression du financement du terrorisme, et j'ai fait allusion un peu plus tôt à la Convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l'explosif. Je pourrais continuer encore longtemps cette énumération.
Le Conseil de sécurité des Nations Unies nous avait demandé d'intégrer et de mettre en œuvre des mesures précises dans le projet de loi C-36, ce que nous avons fait. Ainsi, le fait de fournir ou de lever sciemment des fonds qui serviront à commettre des actes terroristes est devenu un crime. Nous avons interdit de fournir des fonds, des services financiers ou d'autres services connexes à cette fin. Nous avons interdit l'offre de quelque aide que ce soit à des entités ou à des personnes engagées dans la commission d'actes terroristes. Nous avons pris les mesures qui s'imposent pour empêcher la commission d'actes terroristes. Nous avons fait des actes terroristes des infractions criminelles graves dans notre droit national et nous avons reflété la gravité de pareils actes dans les peines prévues. Enfin, nous avons mis en œuvre des mesures administratives et opérationnelles visant à accroître la capacité de prévenir et de supprimer le terrorisme sur notre territoire et à l'étranger.
Donc, en réponse à ce mandat que nous a confié le Conseil de sécurité des Nations Unies — et je ne vous en ai cité que des extraits —, nous avons créé des crimes particuliers. La loi crée en effet toute une série de nouveaux crimes, le plus important ayant trait au financement du terrorisme, et elle inclut une définition des « activités terroristes » et des « groupes terroristes ». Si vous lisez la loi, vous y trouverez les interdictions et la nature des crimes liés à la participation à des activités terroristes, à la contribution à celles-ci ou à leur facilitation, l'interdiction d'ordonner à quiconque de se livrer à des activités terroristes, d'héberger ou de cacher un terroriste, de menacer ou d'attaquer des employés des Nations Unies ou d'autres agents de protection. À nouveau, je pourrais toutes vous les énumérer, mais je ne souhaite pas accaparer votre temps.
Le sénateur Lynch-Staunton : Vous ne répondez pas à ma question. Je ne vous ai pas demandé ce qui nous avait poussés à adopter le projet de projet ou ce qu'il prévoyait. Je vous ai demandé ce que, dans le projet de loi, le gouvernement avait jugé utile dans sa lutte contre le terrorisme. En réponse à des questions inscrites au Feuilleton du Sénat au fil des ans, on a constaté qu'en de très rares circonstances — et même là, seulement une ou deux fois, selon la partie examinée... Exclusion faite de la liste des entités et de tout ce que cela sous-entend, je n'ai pas été convaincu que le projet de loi C-36 s'était avéré si efficace qu'il avait été appliqué régulièrement. S'il a été appliqué, ce n'est que rarement.
À nouveau, nous en revenons au certificat prévu dans la Loi sur l'immigration. C'est cette loi que le gouvernement semble invoquer le plus souvent pour détenir certains suspects indéfiniment, dans les faits. Mais c'est là un débat qu'il faudra faire plus tard. Le projet de loi C-36 prévoit l'arrestation sans mandat, mais cet article n'a jamais été invoqué. D'autres mesures, draconiennes, n'ont pas été appliquées, elles non plus. Le gouvernement se sert d'une autre loi, mais celle qui est à l'examen a rarement été utilisée, si elle l'a jamais été. Je m'interroge sur la raison d'être d'une telle situation.
M. Cotler : Le fait que certaines dispositions n'aient pas été appliquées ne signifie pas qu'on n'en avait pas besoin à ce moment-là ou qu'on n'en a plus besoin maintenant.
Le sénateur Lynch-Staunton : Je vous arrête tout de suite. De quoi avons-nous besoin au juste?
M. Cotler : Vous oubliez quelque chose. Ce n'est pas que je veuille trop insister là-dessus, mais il faut qu'on nous voit comme étant un bon citoyen international dans notre réaction juridique au terrorisme transnational et, en fait, que nous le soyons. Or, pour se comporter en bon citoyen international, il faut adopter, en droit...
Le sénateur Lynch-Staunton : Je ne vous critique pas là-dessus.
M. Cotler : J'affirme que le simple fait de légiférer a une fin inhérente.
Le sénateur Lynch-Staunton : Je tiens à savoir ce que vous faites de la loi, maintenant que vous l'avez.
M. Cotler : Quand vous disposez d'une loi, vous l'appliquez comme il convient. Ce n'est pas que je souhaite en débattre avec vous, mais si des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies prévoient que les États membres font telles choses, de A à Z, en prévoyant le moyen de le faire, que le moyen soit utilisé ou pas, nous nous acquittons de nos responsabilités internationales.
Même si la loi n'était jamais appliquée ou invoquée, son adoption aurait sa propre raison d'être inhérente. Pour ce qui est de l'application comme telle, la Loi antiterrorisme a été appliquée. En fait, 35 entités ont été désignées aux termes de l'article 83.05 du Code criminel, fait que vous avez mentionné. Je n'en minimiserais pas l'importance.
Le sénateur Lynch-Staunton : Je ne la minimise pas.
M. Cotler : Quand un organisme est inscrit dans la liste des entités terroristes, il fait l'objet de toute une gamme d'interdictions.
Le sénateur Lynch-Staunton : Quoi d'autre?
M. Cotler : Je dis que c'est important comme tel. De 2001 à 2004, le CANAFE, c'est-à-dire le Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada, a fait 69 divulgations de renseignements à des organismes d'exécution de la loi et à des services de renseignement de sécurité concernant du financement lié au terrorisme ou des menaces soupçonnées d'être le fait de terroristes. J'ai précisé que c'était là au départ une des grandes raisons d'être de la loi, en termes de menaces terroristes soupçonnées à la sécurité nationale, conformément aux articles 55 et 55.1 de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. En fait, en 2003 et en 2004 uniquement, le CANAFE a signalé à des organismes d'exécution de la loi et de sécurité nationale 48 cas de financement d'activités terroristes ou de menace à la sécurité du Canada dont la valeur totale représentait quelque 70 millions de dollars. Le montant peut peut-être ne pas vous sembler très élevé, mais ce genre de choses a un effet cumulatif. Si on additionne la désignation d'organismes comme étant des entités terroristes, la lutte contre le financement d'activités terroristes, notre capacité de participer à de l'aide juridique réciproque et à la coopération juridique internationale en matière de terrorisme, parce que notre État est partie à ces conventions, et l'élaboration, en avril 2004, d'une politique de la sécurité nationale à l'égard de laquelle la Loi antiterrorisme peut servir de pivot en quelque sorte pour protéger contre toute menace l'infrastructure critique du pays et ainsi de suite, c'est beaucoup.
Cela me rappelle quand l'ex-premier ministre Trudeau avait été critiqué, à un moment donné, pour avoir proclamé la Loi sur les mesures de guerre et qu'il n'y avait pas eu d'insurrection. Il avait déclaré que l'absence d'une insurrection ne signifiait pas qu'elle n'avait pas été appréhendée, que le simple fait de l'appréhender l'avait peut-être empêché de se produire.
Je ne souhaite pas faire des analogies faciles. Je dis qu'une partie de la loi sert en fait à faire de la prévention. En d'autres mots, elle nous permettra, comme je l'ai dit, d'enlever leurs moyens d'action aux réseaux de terroristes et de les démanteler plutôt que de simplement faire respecter la loi après coup ou de lancer des poursuites et de sévir une fois le mal fait. L'essentiel, en matière de terrorisme, est de prévenir ce genre d'actes au départ. Une bonne partie de la loi est structurée autour de ce qu'on pourrait peut-être appeler, comme l'a formulé le Conseil de sécurité des Nations Unies, une culture de prévention.
La présidente : Je vais m'interposer brièvement pour faire remarquer qu'il ne reste plus que 45 minutes et que trois autres sénateurs aimeraient prendre la parole durant ce premier tour de table. J'ignore si vous avez un peu de latitude dans le temps que vous pouvez nous accorder, monsieur le ministre, mais je sais que tous les sénateurs ont hâte de poser des questions.
Le sénateur Fraser : Monsieur le ministre, vous défendez avec beaucoup d'éloquence le principe de la prévention. Il est inconcevable qu'un citoyen canadien puisse contester l'importance absolue de prévenir les actes terroristes.
J'aimerais vous interroger au sujet de l'élément peut-être le plus controversé de cette loi, c'est-à-dire de la disposition permettant les détentions préventives. Il est très réconfortant de savoir qu'il n'y en a pas eu au cours des trois dernières années, mais la loi en prévoit néanmoins. Une pareille disposition représente un écart significatif par rapport à ce que les Canadiens concevaient jusque-là comme des garanties de protection au sein de la société. On peut être emprisonné jusqu'à un an en vertu de cette disposition. Les motifs permettant d'invoquer la disposition peuvent être aussi simples que le fait qu'un policier soupçonne que vous êtes peut-être sur le point de commettre un crime aux termes de la loi, par exemple d'héberger quelqu'un et ainsi de suite.
Est-ce une disposition raisonnable? Je vous pose la question en raison de votre grande expérience de juriste en matière de droits de la personne. J'ai beaucoup de difficulté à accepter que notre droit canadien comporte des mesures pareilles. Existe-t-il des moyens d'améliorer cette disposition?
M. Cotler : J'ai écrit plutôt abondamment au sujet de la question de l'engagement assorti de conditions ou de la détention préventive, comme on l'appelle parfois, qui permet au juge d'imposer à la personne un engagement assorti de conditions pour prévenir la commission d'actes terroristes.
Vous avez raison de dire qu'il est question ici d'une approche préventive parce que la punition après coup ne suffit pas. Bien qu'on la décrive souvent comme une détention préventive, la disposition a pour raison d'être non pas de détenir la personne, mais de la placer sous supervision judiciaire afin de l'empêcher de se livrer à une activité terroriste. Le pouvoir d'imposer l'engagement avec des conditions comporte de nombreuses balises intrinsèques. Je vais en nommer quelques-unes seulement parce que, bien que toute démarche nouvelle en justice pénale suscite une préoccupation compréhensible, elle pourrait peut-être sembler moins aberrante si elle était appréciée à sa juste valeur et s'inscrivait, comme je l'ai dit, dans une approche de prévention plutôt que d'application après coup de la loi, ce qui pourrait s'avérer trop tard peut-être.
Arrêtons-nous à certaines des balises. Sauf dans des situations urgentes, il faut obtenir le consentement du procureur général compétent avant qu'un agent de la paix puisse porter des accusations qui obligeraient la personne à comparaître devant un juge de cour provinciale. L'agent de la paix doit à cette fin satisfaire à deux normes. Tout d'abord, il doit être convaincu, pour des motifs raisonnables, qu'une activité terroriste se prépare et, ensuite, avoir raisonnablement lieu de croire que l'arrestation de la personne ou l'imposition d'un engagement à cette personne est essentiel pour empêcher la commission de l'acte terroriste. Seul un juge de cour provinciale peut recevoir l'information et a le pouvoir discrétionnaire résiduel de ne pas délivrer des moyens de contrainte lorsque l'information n'est pas fondée ou que l'arrestation du défendeur est excessive et injustifiée.
Vous avez là une approche qui comporte des balises. J'irais même plus loin et je dirais qu'une personne détenue sous garde doit comparaître devant un juge de cour provinciale dans un délai déraisonnable et, au plus tard, dans les 24 heures qui suivent son arrestation. Il n'est donc pas question d'une détention pour une période indéfinie, sans supervision et sans possibilité de révision, à moins qu'un juge ne soit pas disponible durant cette période. La période maximale de détention ne peut excéder 72 heures. J'ai entendu cette rumeur au sujet d'un an de détention, mais c'est là ignorer le processus et la possibilité de révision. Quand une information a été convenablement exposée et qu'une personne comparaît devant un juge de cour provinciale, celui-ci doit ordonner — c'est important — la libération de la personne à moins que l'agent de la paix puisse justifier la détention. Le juge pourrait ordonner à la personne de prendre l'engagement de ne pas troubler l'ordre public et de bien se comporter et il pourrait lui imposer d'autres conditions raisonnables. L'engagement ne peut pas avoir une durée de plus de 12 mois, compte tenu des balises exigeant une supervision soutenue à cet égard. En d'autres mots, la personne qui prend l'engagement a le droit de demander que soient modifiées les conditions de l'ordonnance d'engagement, et l'engagement assorti de conditions est sujet, comme nous le savons, à l'exigence de présenter un rapport annuel et fait l'objet d'une disposition de temporisation.
Bien cette question ait pu susciter des préoccupations, ce qui est compréhensible, il faut en reconnaître la raison d'être et la nature, soit la prévention, l'existence des balises, qui permettent d'exercer une surveillance, et la capacité de supervision soutenue particulière à cet égard.
Tel que je conçois la raison d'être de vos délibérations et de ma présence ici, je suis ouvert à toute suggestion de changement qui permettrait d'améliorer les dispositions de la loi ou leur application. C'est l'occasion de faire une rétrospective de trois ans. Vous pouvez faire des suggestions comme : « La loi permet les détentions préventives; nous savons qu'il existe des balises, mais trois ans plus tard, la disposition a-t-elle fait ses preuves? En avons-nous encore besoin? Les éventuelles atteintes aux libertés civiles qu'elle permet sont-elles plus graves que l'approche corrective et l'interprétation fondée sur l'objet visé qui ont mené à son entrée en vigueur au départ? » Voilà des points sur lesquels votre comité pourrait se pencher.
Le sénateur Stratton : Est-ce que cette disposition a déjà été utilisée?
M. Cotler : Non.
Le sénateur Fraser : Permettez-moi de vous interroger à propos d'une chose qui me semble péremptoire. Le juge peut ordonner la détention de la personne pour ne pas miner la confiance qu'ont les gens dans l'administration de la justice. Cela me semble une échappatoire, en ce sens que dans le bon contexte, elle pourrait aussi servir de moyen de lynchage. J'exagère peut-être, mais pouvez-vous me dire comment vous réagissez à cette disposition particulière?
M. Cotler : Une des choses que je n'ai pas faites jusqu'ici est de faire appel à l'expertise de mes hauts fonctionnaires qui peuvent peut-être vous fournir des réponses plus éclairées et plus succinctes. Pour l'instant, je les invite à répondre. S'il le faut, je compléterai leurs réponses. Je demande aux hauts fonctionnaires qui m'accompagnent et qui souhaitent le faire de répondre à ces questions. Ils ont des compétences particulières, et il est présomptueux de ma part d'essayer de répondre à toutes les questions.
M. George Dolhai, directeur et avocat général principal, Section de l'élaboration des politiques stratégiques en matière de poursuites, Ministère de la Justice Canada : Honorables sénateurs, la disposition à laquelle vous faites allusion est le paragraphe 83.3(7) de la loi, plus particulièrement le troisième motif. Il y est question des motifs pour lesquels le juge de la cour provinciale peut maintenir la décision de détenir la personne pour cette période maximale de 72 heures. La disposition se rapproche des règles ordinaires prévues pour la libération sous caution dans le cadre d'une cause criminelle. Il existe des motifs primaire, secondaire et tertiaire. Le motif primaire est que la personne va fuir; le motif secondaire est qu'elle va commettre un crime et le motif tertiaire est qu'il est nécessaire de détenir la personne pour ne pas miner la confiance du public envers l'administration de la justice.
Ce motif tertiaire a été ajouté aux dispositions ordinaires de la mise en liberté sous caution il y a quatre ou cinq ans, je crois, et a depuis lors été examiné par la Cour suprême du Canada qui en a confirmé la validité constitutionnelle pour l'application des dispositions relatives à la mise en liberté sous caution. Le motif s'inspire énormément de ce qui est prévu dans les règles ordinaires concernant la mise en liberté d'une personne. En tant qu'expression, elle n'a rien de nouveau dans notre droit, y compris en ce qui concerne l'exclusion de la preuve aux termes du paragraphe 24(2) de la Charte.
Le sénateur Fraser : Elle a pour objet de protéger la personne en cause. L'exclusion de la preuve vise à protéger l'accusé, je suppose?
M. Dolhai : C'est juste, mais avant de décider s'il faut exclure la preuve, le juge tient compte non seulement des intérêts de la personne, mais également des intérêts de la société.
Le sénateur Fraser : J'ai épuisé le temps dont je disposais. Je me demande si nous pouvons demander aux témoins experts de nous fournir des exemples précis de ce que cela signifierait. La plupart des sénateurs présents sont des avocats, mais pas tous, et justement je ne suis pas juriste. Je leur serais reconnaissante de toute aide qu'ils pourraient me fournir.
La présidente : Je rappelle aux collègues que les fonctionnaires du ministère seront des nôtres cet après-midi.
Le sénateur Stratton : Le ministre a parlé, je crois, de « réponses succinctes ». L'expression me plaît particulièrement, étant donné que nous n'avons pas beaucoup de temps.
J'aimerais en revenir à toute la question de l'examen de la loi. Est-ce que vous suivez ce que font d'autres pays et les processus qu'ils suivent actuellement pour examiner les lois qu'ils ont adoptées? Faites-vous le suivi de ce qui se passe dans ces autres pays? Dans l'affirmative, pouvez-vous nous résumer brièvement le résultat de ces examens? Par exemple, la Grande-Bretagne a eu des problèmes. S'il n'y a pas d'examen en cours, y a-t-il d'autres pays où l'on envisage d'en faire?
M. Cotler : Je vais commencer par répondre à la question au sujet du Royaume-Uni. Je me suis rendu là-bas récemment et j'ai rencontré le grand chancelier et le procureur général — lord Falconer et lord Goldsmith respectivement — pour discuter de plusieurs points, dont la question de la loi et de la politique antiterrorisme et de tout examen entrepris à cet égard.
Les autres pays ne se sont pas engagés dans le genre d'examen obligatoire que nous avons, bien que certains parlements et le Congrès des États-Unis se soient efforcés de faire un certain suivi. À nouveau, si vous vous fiez à la nature du suivi et au temps prévu pour le faire, ils n'en font pas autant que nous.
Nous examinons l'expérience législative et le fonctionnement de la loi antiterrorisme dans d'autres pays. Je vous ai donné le Royaume-Uni et les États-Unis comme exemples. Durant le prochain congé, je dois me rendre en Allemagne où j'ai organisé des rencontres avec le ministre de l'Intérieur, justement à cette fin — pour évaluer l'expérience allemande de même que celle de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande et d'autres pays du genre.
Ces rencontres se font au niveau ministériel. On envisage d'examiner les lois antiterrorisme lors des rencontres des ministres de la Justice du G8 cette année, de même que durant les rencontres des ministres de la Justice de l'Organisation des États américains. J'ai beaucoup appris l'an dernier lors de la rencontre des ministres de la Justice de l'Organisation des États américains, en examinant les principes qu'ils avaient adopté dans leur convention de l'OEA à l'égard du contre-terrorisme et les expériences particulières que chacun avait vécues.
Au niveau ministériel, nous entretenons des relations soutenues dont nous espérons apprendre. Je vais demander aux hauts fonctionnaires de vous décrire leur participation et de partager avec vous ce qu'ils peuvent.
M. Cohen : Simplement à titre de supplément, je précise que d'autres examens ont eu lieu. Au Royaume-Uni, les membres du Conseil privé ont fait un examen de leur loi relative à la lutte au terrorisme, au crime et à la sécurité. Il a été question déjà des examens faits par le Congrès des États-Unis. Il existe beaucoup de documentation qui peut être consultée à des fins comparatives, mais je ne crois pas que quiconque ait opté pour un examen parlementaire comme nous l'avons fait à l'égard du projet de loi C-36.
Le sénateur Stratton : Quoi qu'il en soit, la Grande-Bretagne a entrepris un examen. Quelles ont été les conclusions? Quelles étaient les sources de problème et qu'envisage-t-elle de faire pour y mettre fin?
M. Cohen : Je suis sûr que nous pouvons fournir au comité copie du rapport. Je vous préviens qu'il est volumineux.
Le sénateur Stratton : N'y a-t-il rien sous forme sommaire que vous pouvez nous fournir ce matin et qui ferait particulièrement ressortir une, deux ou trois grandes sources de préoccupation? Vous êtes sûrement au courant, parce que des gens assis à la table ici sont conscients de préoccupations.
M. Cohen : La question qui a attiré le plus de publicité récemment était la façon dont la Chambre des lords a traité la question de la détention pour une période indéfinie. Un examen du gouvernement a suivi et il a été question de réagir en adoptant une loi qui prévoirait une certaine forme de détention prolongée à domicile. C'est là un exemple, si vous voulez.
Le sénateur Stratton : Nous avons ce même pouvoir de détention pour une période indéfinie. Pouvez-vous incarcérer des personnes sans audience et, dans l'affirmative, pour combien de temps?
M. Cohen : Nous n'avons pas le même pouvoir au Canada.
Le sénateur Stratton : Nous ne l'avons pas.
M. Cohen : Nous avons un processus de délivrance de certificats de sécurité dans le cadre duquel une évaluation est faite pour savoir s'il faut déporter une personne. L'accent est donc mis sur le retrait ultime d'un risque pour la sécurité. Des difficultés s'insèrent dans le processus, notamment lorsqu'une personne risque d'être torturée ou mise à mort dans le pays où elle est refoulée. C'est là une question de principe qui se pose.
Le sénateur Stratton : J'aimerais creuser cette question plus tard.
M. Cotler : Me permettez-vous de vous en parler un peu plus abondamment? J'ai constaté que cette question particulière préoccupait mes homologues — le dilemme entre la détention d'une personne qui est réputée constituer une menace pour la sécurité nationale, d'une part, et le refoulement de cette personne vers un pays où elle courrait un grand risque d'être torturée, d'autre part. C'est une question avec laquelle divers pays sont aux prises actuellement. C'est peut-être un dilemme auquel votre comité trouvera une solution.
Quelles sont les options qui s'offrent à nous? Nous voulons assurer la sécurité de nos citoyens, mais nous ne voulons pas renvoyer une personne dans un pays où elle risque d'être torturée, même si la Cour suprême du Canada, dans l'affaire Suresh, a autorisé de tels renvois dans des circonstances exceptionnelles. Nous devons explorer les options qui se situent entre ces deux extrêmes. Je trouve que c'est important. J'ai eu l'occasion de discuter plus à fond de cette question avec certains des lords juristes qui ont participé à la décision.
Le sénateur Stratton : Je suis d'accord avec le ministre. Nous devons nous pencher là-dessus. Il serait peut-être utile que le comité prenne connaissance du jugement qui a été rendu, en Grande-Bretagne, par les lords juristes —ou était-ce les lords? Quoi qu'il en soit, il serait bon qu'on nous donne un aperçu de la chose.
La présidente : Merci, sénateur Stratton. Le comité de direction va examiner la question.
Le dernier intervenant du premier tour de table est le sénateur Joyal, qui est toujours bref et concis.
Le sénateur Joyal : Je ne serai peut-être ni bref ni concis ce matin. Je voudrais enchaîner sur ce qu'a dit le sénateur Stratton. J'ai la décision des lords juristes devant moi. Je voudrais citer le résumé, et surtout les propos de Lord Bingham, l'un des plus anciens lords juristes — le ministre le connaît de nom. Il dispose que les règles sont incompatibles avec la Convention européenne des droits de l'homme dans la mesure où elles permettent la détention, sans jugement, de suspects étrangers, mais pas de Britanniques, « d'une manière qui établit une distinction fondée sur la nationalité ou le statut d'immigrant ».
Dans le dernier paragraphe de son jugement, soit le paragraphe 73, lord Bingham précise, et je cite :
Il y aura aussi une déclaration, fondée sur l'article 4 de la Human Rights Act, 1988, suivant laquelle l'article 23 de la loi intitulée Anti-terrorism, Crime and Security Act, 2001, est incompatible avec les articles 5 et 14 de la Convention européenne dans la mesure où il ne respecte pas les critères de proportionnalité et permet la détention de personnes soupçonnées de terrorisme international d'une manière qui établit une distinction fondée sur la nationalité ou le statut d'immigrant.
Les articles 5 et 14 de la Convention européenne sont similaires à ceux qu'on retrouve dans la Charte canadienne. L'article 5 de la Convention européenne est identique, sur le fond, à celui qui figure dans la Charte canadienne. Il précise que :
Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
Si les lords juristes en Grande-Bretagne ont fondé leur décision d'annuler le certificat de détention d'une durée indéterminée sur une disposition qui est similaire à celle que l'on retrouve dans la Charte, et je fais allusion ici à l'article 23 de la loi britannique, la loi canadienne ne risque-t-elle pas d'être invalidée pour les mêmes motifs?
M. Cotler : Il existe certaines différences entre la loi en vigueur au Royaume-Uni et celle adoptée par le Canada.
Au Royaume-Uni, le certificat permet la détention d'une personne pour une période indéterminée, sous réserve d'un examen par l'administrateur du tribunal d'appel si cette personne ne peut être renvoyée, au motif que son renvoi violerait les obligations du Royaume-Uni ou encore parce que le pays de destination, par exemple, refuse de lui délivrer un document de voyage.
Au Canada, le certificat de sécurité permet le renvoi d'une personne par le biais d'un processus qui vise à protéger les renseignements confidentiels dans les cas où leur divulgation nuirait à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui.
Les deux systèmes visent à trouver un juste équilibre entre la nécessité de protéger la sécurité nationale, et la nécessité de protéger les renseignements confidentiels tout en garantissant le droit à un procès équitable. Ils parviennent à le faire, quoique de façon différente. Au Royaume-Uni, le secrétaire de l'intérieur n'est aucunement tenu — et on revient à ce qu'a dit le sénateur Jaffer — de fournir à la personne intéressée un résumé des renseignements confidentiels qui la concernent. Ces renseignements sont transmis à l'avocat qui la représente, sauf qu'il ne peut les lui communiquer. L'organisme d'examen, la commission d'appel spéciale des services d'immigration, a lui aussi accès à ces renseignements confidentiels. Toutefois, il ne peut les divulguer.
Au Canada, la Cour fédérale est tenue, en vertu de l'article 78 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, de fournir à la personne concernée, afin de lui permettre d'être suffisamment informée des circonstances ayant donné lieu au certificat, un résumé de la preuve ne comportant aucun élément dont la divulgation porte atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui.
Je voudrais revenir à ce que le sénateur Jaffer a dit. Il y a en effet un autre point qu'il convient de souligner, soit la compatibilité avec l'article 5 de la Convention européenne.
La décision de la Chambre des lords portait sur la compatibilité de la loi antiterroriste de 2001 adoptée par le Royaume-Uni avec l'article 5 de la Convention européenne des droits de la personne, article qui ne permet pas la détention de ressortissants étrangers lorsque leur renvoi n'est plus possible sur le plan juridique ou pratique.
Or, la Convention européenne ne s'applique pas au Canada. De plus, la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés n'autorise pas la détention de ressortissants étrangers pour une période indéterminée, la Charte canadienne établissant des distinctions en matière de droits. L'article 6 de la Charte canadienne des droits et des libertés, qui traite de la liberté de circulation et d'établissement, dispose en effet que tout citoyen canadien a le droit de demeurer au Canada, d'y entrer ou d'en sortir. Cette disposition se limite aux citoyens canadiens. Donc, nous établissons des distinctions dans notre loi, et nous avons une Charte des droits que le Royaume-Uni et la Chambre des lords n'ont pas.
Pour ce qui est des mesures prises par mes homologues du Royaume-Uni suite à la décision de la Chambre des lords, le secrétaire de l'intérieur a annoncé, le 26 janvier 2005, que des modifications seraient apportées à la loi antiterroriste de 2001 pour tenir compte du jugement de la Chambre des lords. La détention pour une durée indéterminée va être remplacée par des ordonnances de mise en détention qui peuvent être assimilées à l'assignation à résidence. Le gouvernement va tenter de négocier des ententes avec les pays de destination, ce que nous faisons déjà, dans le but, entre autres, de garantir le respect des droits des personnes renvoyées. Grâce à ces modifications, le Royaume-Uni s'alignera sur les autres pays signataires de la Convention européenne des droits de la personne, pays qui ont tous recours à des mesures restrictives, sans aller jusqu'à la détention, pour contrer les menaces à la sécurité que posent les non-ressortissants. Donc, la situation au Canada, si l'on tient compte de la loi et du contexte, en ce qui concerne la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et la Charte des droits et des libertés, est différente de celle qui existe au Royaume-Uni.
Le sénateur Joyal : Je voudrais revenir à ce que vous appelez la « guerre contre le terrorisme ». Je me demande s'il n'y a pas contradiction ici. Comme l'a mentionné sénateur Andreychuk, une guerre, par définition, est un conflit qui est limité dans le temps. Vous semblez conclure, comme l'a fait la ministre McLellan, que les dispositions de la loi que nous examinons aujourd'hui ont un caractère permanent. Si c'est le cas, il faut parler non pas de guerre, mais de lutte contre le terrorisme, tout comme on parle de lutte contre les stupéfiants, le crime et les autres activités criminelles internationales. Nous voulons combattre le terrorisme et avoir recours aux mesures exceptionnelles que prévoit la loi, sauf que l'article 145 ne prévoit pas de mécanisme permettant un examen continu de la loi.
L'article 145 précise, et je cite : « Dans les trois ans qui suivent la sanction de la présente loi, un examen approfondi des dispositions et de l'application de la présente loi doit être fait. »
Autrement dit, la loi ne prévoit qu'un seul examen, c'est-à-dire cette année, et ensuite, plus rien. Le comité du Sénat a recommandé, aux points 4 et 5, que le Parlement nomme, dans les 90 jours suivant la sanction royale du projet de loi C-36, un haut fonctionnaire du Parlement mandaté pour contrôler, au besoin, l'exercice ou la nécessité des pouvoirs conférés dans le projet de loi.
Nous avons recommandé la mise en place d'un mécanisme permanent. Or, ce que nous faisons à l'heure actuelle n'a rien à voir avec le mécanisme de surveillance permanent que vous avez proposé lorsque vous étiez député. Ne devrions- nous pas supprimer l'analyse, limitée dans le temps, que prévoit le paragraphe 145(1), et exiger plutôt que la loi fasse l'objet d'un examen tous les trois ans, ce qui obligerait le Parlement à revoir régulièrement les pouvoirs extraordinaires qui sont confiés à l'administration dans le contexte de la lutte contre le terrorisme?
M. Cotler : Quand j'ai parlé de la guerre au terrorisme, j'ai utilisé, délibérément, une métaphore différente pour la décrire : j'ai parlé de la guerre juridique contre le terrorisme. J'ai dit aussi que, quoi qu'on fasse, il fallait toujours respecter la primauté du droit. Je voulais établir une distinction entre ce concept et celui de la guerre illimitée au terrorisme, que l'on évoque parfois et que je n'appuie pas. Je préfère parler de la guerre juridique contre le terrorisme, notion qui implique l'adoption d'une réponse juridique qui est compatible avec le principe fondamental de la primauté du droit. Je ne veux pas revenir sur ce que j'ai déjà dit à ce sujet dans ma déclaration.
Pour ce qui est de la surveillance, la politique de sécurité nationale d'avril 2004 insiste sur la nécessité de mettre en place « des mécanismes de surveillance et d'examen efficaces afin d'éviter que, en voulant protéger une société ouverte, on érode par inadvertance la liberté et la valeur que nous sommes déterminés à défendre ».
Ce qui a été dit à l'époque au sujet de la politique de sécurité nationale vaut également pour la loi antiterroriste. Vous voulez savoir si nous proposons que la loi demeure intacte. La réponse est non. Nous sommes prêts non seulement à nous montrer réceptifs, mais également à accueillir favorablement les modifications que les sénateurs ou mes collègues à la Chambre souhaitent proposer à la loi antiterroriste en vue de l'améliorer.
J'ai proposé, en tant que membre du comité de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, une série de recommandations qui, je pense, ont contribué à bonifier la loi. J'ai même dit, à l'époque, que si certaines recommandations, que je qualifiais d'exigences minimales, n'avaient pas été prises en compte, j'aurais eu du mal, dans un premier temps, à appuyer la loi antiterroriste. J'ai formulé, de concert avec d'autres, six recommandations majeures qui ont eu pour effet, ainsi que je l'ai mentionné plus tôt, d'améliorer la loi antiterroriste et de resserrer la sécurité.
Le comité peut faire la même chose aujourd'hui. Pour ce qui est de l'idée d'inclure, dans la loi, la tenue d'un examen obligatoire tous les trois ans, je suis d'accord.
Le sénateur Andreychuk : Je voudrais combiner deux questions qui ne sont pas nécessairement liées. Nous attendons de connaître les conclusions de l'enquête sur l'affaire Arar, mais nous savons déjà que la question de divulgation pose problème.
Je pense que les Canadiens veulent avoir la garantie que les citoyens, et les non-citoyens, sont traités de façon juste et équitable.
Ne trouvez-vous pas inquiétant, et j'avoue que cela me préoccupe, que des soldats aient agi comme ils l'ont fait en Afghanistan, qu'ils aient arrêté des personnes qui ont fini par être transférées à Guantanamo? Nous ne savons pas ce qui leur est arrivé.
Si nous voulons participer à la lutte contre le terrorisme, il faut que nous puissions rendre compte de nos décisions. J'aimerais avoir votre avis là-dessus.
Deuxièmement, et je ne parle pas ici de la guerre juridique contre le terrorisme, n'est-il pas vrai que c'est l'absence non pas de lois, mais de renseignements qui fait que nous retrouvons, par suite des événements du 11 septembre, entre autres, dans un mode terroriste? Soit nous n'avons pas utilisé les systèmes de renseignement de façon adéquate, soit nous n'avons pas les ressources ou les capacités voulues pour mener des opérations de renseignement. Si nous sommes obligés d'avoir recours à des lois, c'est qu'il est déjà trop tard. Il est inutile de consacrer encore plus d'efforts et d'argent à l'adoption de nouvelles lois. Nous en avons déjà assez. Ce qu'il nous faut, au Canada et ailleurs, c'est un système de renseignement et de sécurité mieux défini et plus efficace.
M. Cotler : Je vais répondre dans l'ordre. Concernant le traitement des non-citoyens, et vous avez fait allusion à l'affaire Arar, je ne sais pas si les sénateurs le savent, mais quand j'étais député, je conseillais Mme Arar. J'ai rédigé un article sur le sujet, y compris les questions touchant la divulgation de renseignements. Quand je suis devenu ministre de la Justice et procureur général, je me suis retiré du dossier. Je ne peux faire aucun commentaire là-dessus. Toutefois, si mes collègues veulent en parler, ils sont libres de le faire.
Pour ce qui est du deuxième point, soit l'arrestation des personnes qui ont été transférées à Guantanamo, je le répète : toutes les mesures adoptées doivent respecter la primauté du droit. Il s'agit là d'un principe fondamental. Nous ne pouvons d'aucune façon, même par inadvertance, compromettre le respect de la primauté du droit.
Concernant le troisième point, le renseignement, j'ai écrit à l'époque qu'une loi bien conçue qui ne repose sur aucun principe de base en matière de renseignement ne peut être efficace, même en l'absence d'un cadre législatif antiterroriste qui permet de favoriser l'adoption de mesures de préemption adéquates. Je fais allusion, ici, à la collecte de renseignements qui est effectuée en conformité avec la primauté du droit. Si j'ai bien compris les conclusions de la commission d'enquête sur les événements du 11 septembre, ce n'est pas tant l'absence de lois que le manque de renseignements qui a posé problème.
Quand on lutte contre le terrorisme, il est important de bien connaître et de bien respecter les diversités culturelles et les particularités religieuses. Si les agents du renseignement ne peuvent s'exprimer dans la langue ou comprendre la culture des communautés sur lesquelles ils tentent de recueillir des renseignements de façon légitime, j'insiste là-dessus, la qualité des renseignements recueillis, et le processus de collecte de renseignements, risquent de se retrouver entachés. Nous devons perfectionner nos méthodes de collecte de renseignements de manière à tenir compte des sensibilités culturelles et religieuses qui existent.
Le sénateur Andreychuk : Nous aurons l'occasion d'interroger d'autres témoins, car nous voulons savoir quel rôle le Canada a joué dans l'arrestation des personnes envoyées à Guantanamo, puisque l'opération menée à l'époque par nos soldats en Afghanistan était légale. Nous ne savons pas où sont ces personnes ou dans quel état elles se trouvent. C'est ahurissant.
La présidente : Chers collègues, merci. Nous aurons l'occasion d'entendre très bientôt les responsables de la sécurité. Ils vont nous parler de ces questions.
Le sénateur Jaffer : Monsieur le ministre, vous avez, dans votre déclaration, établi une distinction entre les tactiques terroristes et les idéologies qui parfois les sous-tendent. Nous savons que les actes terroristes ne sont pas le propre d'un groupe politique ou idéologique en particulier. Est-ce que la loi établit une distinction entre le terrorisme et l'idéologie?
La définition d'activité terroriste m'inquiète. Même la Chambre des lords s'est penchée là-dessus. Je crois comprendre que cette définition s'inspire de celle utilisée au Royaume-Uni. Je voudrais que vous nous parliez des facteurs de motivation, des crimes qui sont commis pour des motifs politiques, idéologiques ou religieux. Je crois comprendre qu'en droit pénal, il n'est pas nécessaire d'établir l'existence d'un motif. Or, cette loi-ci l'exige. Habituellement, il n'est pas nécessaire, pour la Couronne, d'établir l'existence d'un motif comme élément du crime. Pourquoi l'exigeons-nous dans la définition?
M. Cotler : Sénateur, j'ai indiqué, à l'époque, qu'il fallait envisager de supprimer les facteurs de motivation, à savoir l'acte commis au nom d'un but, d'un objectif ou d'une cause de nature politique, religieuse ou idéologique comme élément du crime, tout en veillant à ce qu'ils ne servent pas de moyens de défense exonératoires.
Habituellement, le droit pénal n'exige pas qu'on établisse l'existence d'un motif pour condamner une personne ou pour excuser sa conduite, faute de preuve. Il met plutôt l'accent sur l'intention. Je pensais que la criminalisation du motif aurait pour effet de politiser le processus d'enquête et le procès. Curieusement, l'inclusion des facteurs de motivation risque de placer la barre plus haut pour ce qui est des éléments qui doivent être fournis à des fins de preuve, et de rendre les poursuites encore plus compliquées.
Cela dit, il est important de souligner qu'à la suite de mon intervention, une disposition interprétative a été ajoutée à la loi dans le but d'empêcher que l'expression de croyances et de motivations politiques, religieuses ou idéologiques ne soit assimilée à une pratique discriminatoire. On a ainsi cherché à restreindre la définition de « terrorisme », à établir une distinction entre l'activité terroriste et les autres activités criminelles qui font l'objet de dispositions pénales distinctes. La loi, la définition ne cible aucun groupe particulier. Je tiens également à préciser que, grâce à la disposition interprétative qui a été ajoutée, les activités politiques, religieuses ou idéologiques ne peuvent être assimilées à un crime. Seules les actions ou omissions causant des dommages exceptionnels et commises au nom d'objectifs politiques, religieux ou idéologiques tombent sous le coup de la définition d'« activité terroriste ». Nous voulons cerner les actes de violence criminelle distincts qui sont commis par des éléments religieux, idéologiques ou politiques radicaux, tout en insistant sur le fait que la loi ne vise aucunement à criminaliser ces facteurs de motivation.
J'ajouterais qu'il y a d'autres cas, en droit pénal, où le motif est considéré comme un élément important. Par exemple, l'article 231.(3) du Code criminel précise que le meurtre au premier degré commis avec préméditation et de propos délibéré englobe le meurtre commis à la suite d'une entente financière, c'est-à-dire le meurtre à forfait. Le fait est que le « motif » n'est pas un concept étranger au Code criminel, même quand nous faisons allusion aux actes criminels qui ne sont pas de nature terroriste. Il a été inclus dans la loi dans le but de cerner les actes de violence criminelle qui sont de nature terroriste et de fournir aussi, par le truchement de la disposition interprétative, une protection contre l'utilisation de ces facteurs de motivation à des fins préjudiciables.
Le sénateur Jaffer : Je vous ai demandé s'il existait une distinction entre « terrorisme » et « idéologie ». Est-ce que la loi, à votre avis, établit une distinction entre ces deux notions?
M. Cotler : À mon avis, oui. Nous ne cherchons pas à criminaliser les idéologies. L'expression de croyances religieuses, politiques ou idéologiques doit être protégée. Il est question ici de facteurs de motivation qui sont liés à tous les autres éléments de la définition d'« activité terroriste » et qui aboutissent à une infraction terroriste. Il ne s'agit pas d'une disposition distincte, mais d'un élément parmi d'autres qui vise à définir l'activité terroriste et à distinguer celle-ci des autres actes de violence criminelle.
La présidente : Monsieur le ministre, il y a deux sénateurs qui souhaitent poser une question supplémentaire. Avez- vous le temps d'y répondre?
M. Cotler : Oui.
Le sénateur Lynch-Staunton : Vous avez parlé de Mahar Arar, des tortures qu'il a subies. Comme nous le savons, M. Arar, qui arrivait de la Tunisie, a atterri à New York. Il a été non pas arrêté, mais placé en détention et envoyé dans son pays d'origine en tant que citoyen canadien. Nous connaissons sa version des faits. L'affaire faisant maintenant l'objet d'une commission d'enquête royale, nous ne pouvons pas entrer dans les détails.
À la suite du traitement éhonté qu'on a fait subir à un citoyen canadien, alors que toutes les règles élémentaires de comportement ont été violées, quelles pressions, s'il en est, le gouvernement a-t-il exercé auprès des autorités américaines pour faire en sorte que ce genre de situation ne se reproduise plus?
M. Cotler : Sénateur, il serait peut-être préférable de poser cette question à notre groupe des affaires étrangères qui a déjà entamé des discussions bilatérales à ce sujet; je vais toutefois demander à mes collaborateurs s'ils désirent faire des observations sur cette question en particulier.
Le sénateur Lynch-Staunton : Devrait-on l'inclure dans le différend sur le bois d'œuvre ou simplement l'ajouter aux autres enjeux?
M. Cotler : Non, on ne l'ajoutera pas aux autres. J'ai parlé plus tôt du principe général qui doit s'appliquer dans ce cas, à savoir que nos partenaires dans la lutte contre le terrorisme s'attendent à ce que nous nous conduisions d'une manière qui est conforme à la primauté du droit et que nous sommes en droit d'attendre la même chose de leur part, car nous avons tous convenu, dans le contexte d'un système de droit international, d'agir de manière à respecter la primauté du droit.
Comme je l'ai dit, compte tenu de mon intervention dans l'affaire Mahar Arar et d'autres considérations connexes, j'ai dû me retirer de ces discussions.
Le sénateur Lynch-Staunton : Dans ce cas, aucune règle de droit n'a été respectée. On a appliqué la politique des mesures d'extradition extraordinaire qui permettent d'appréhender des personnes sans toutefois les mettre en état d'arrestation et de les déporter pour voir ce qui va se passer par la suite. Un article paru récemment dans The New Yorker présente une bonne analyse des dérapages que cette politique a provoqués.
En votre qualité de ministre de la Justice, fort préoccupé par la torture et le respect des droits de la personne, particulièrement dans le cas des citoyens canadiens, pourquoi n'avez-vous pas exercé des pressions auprès du secrétaire à la Justice ou des responsables de ce dossier aux États-Unis pour qu'on mette fin à cette pratique? Je veux que cela soit consigné au compte rendu. Je n'ai entendu personne du gouvernement condamner cette politique.
M. Cotler : Je tiens à préciser que j'ai dû me récuser.
Le sénateur Lynch-Staunton : Je parle ici de la politique des États-Unis hostile aux citoyens canadiens.
M. Cotler : Je dirai ceci : vous pouvez vous référer à ce que j'ai déjà écrit à ce propos quand je suis intervenu dans cette affaire, car mon point de vue sur la question était alors du domaine public.
Le sénateur Lynch-Staunton : Ce n'est pas là la question que je pose.
M. Cotler : Si vous permettez que je poursuive, je tiens à préciser que dans le cadre des entretiens que j'ai eus avec mes homologues, les positions que j'ai défendues étaient les mêmes que celles que j'ai exposées ici ce matin. Je ne change pas mon discours en fonction de la tribune à laquelle je m'adresse. Si j'ai exprimé aujourd'hui certains points de vue sur la nécessité de protéger la primauté du droit, je les ferai aussi valoir dans mes entretiens avec mes homologues dans d'autres pays. D'ailleurs, j'ai insisté pour dire et, je le répète souvent, qu'à l'égard d'une loi antiterroriste, le Canada a adopté une démarche fondée sur des principes, qui cherche fermement à établir un rapport entre la sécurité et les droits de la personne. Nous pouvons protéger ces deux aspects et on ne devrait pas en privilégier un au détriment de l'autre. C'est une question de principe et de politique, et je fais valoir la même position dans les discussions que j'ai avec mes homologues, qu'il s'agisse du secrétaire américain à la Justice ou du procureur général du Royaume-Uni. Je m'attends à ce qu'ils nous demandent de respecter cette démarche fondée sur des principes et je ne crois pas qu'ils jugeraient inapproprié que je dise que nous devons tous la respecter.
Le sénateur Fraser : Ma question prête beaucoup moins à controverse. Elle porte sur une pratique administrative et les principes qui la sous-tendent. Il s'agit d'une question que j'ai soulevée il y a trois ans, et encore la semaine dernière auprès de votre collègue Mme McLellan. Elle concerne l'établissement de la liste d'entités. Comme vous vous en rappelez sans doute, il incombe au solliciteur général d'établir cette liste, puis de la réexaminer après deux ans. Dans les deux cas, le solliciteur général s'appuie principalement sur les recommandations de son ministère. Compte tenu qu'il y a des conséquences sérieuses à figurer sur la liste d'entités, c'est-à-dire de groupes terroristes, est-il approprié que ce soit les mêmes personnes qui établissent la liste et qui la réexaminent?
M. Cotler : Comme vous le savez, le processus établi pour faire inscrire une entité sur la liste est très long et il prévoit notamment que les critères des motifs raisonnables et des éléments d'intention sont respectés. Vous connaissez la teneur et le déroulement de ces étapes par lesquelles une entité peut être inscrite sur la liste ou en être rayée. À cet égard, il y a un certain nombre de mesures de protection; quant à savoir si elles vont répondre à cette préoccupation précise, c'est une question sur laquelle il faudra se pencher. La liste est soumise à un examen et elle peut être modifiée. À la suite d'une requête, le solliciteur général peut recommander qu'une entité soit rayée de la liste. La décision du solliciteur général de recommander ou de ne pas recommander que l'entité soit rayée de la liste est elle-même soumise à un examen par les tribunaux; donc, il y a un mécanisme de contrôle judiciaire en place. La Cour fédérale peut ordonner le retrait d'une entité de la liste. Le solliciteur général est tenu d'effectuer tous les deux ans un examen obligatoire de la liste complète, et toute entité qui demeure inscrite après l'examen biennal peut de nouveau présenter une demande pour se faire rayer de la liste. Un mécanisme est également prévu pour régler les cas où il y a eu erreur sur la personne.
Il est vrai qu'après la période de deux ans, le solliciteur général est de nouveau engagé dans le processus de surveillance. Je vais essayer de vous situer dans le contexte. Il y a des mécanismes de contrôle judiciaire qui s'interposent de sorte que l'examen du solliciteur général est soumis à une révision judiciaire et que les personnes qui veulent faire rayer leur nom de la liste peuvent présenter une demande aux fins de cette révision judiciaire.
Je veux revenir sur ce que j'ai dit à ce propos dans ma déclaration. Si le comité examine le processus et convient qu'il comporte de nombreuses mesures de protection, mais qu'il a le sentiment qu'il devrait être différent ou que l'examen devrait être effectué par une personne autre que le solliciteur général, il voudra peut-être se pencher sur cette question dans le cadre de son examen.
La présidente : Merci à vous tous. Il s'agit d'un sujet très difficile et pénible. J'apprécie votre collaboration et je sais qu'il est difficile d'être concis à cause de la nature des questions. Tout bien considéré, nous nous en sommes fort bien sortis.
Je tiens à vous remercier, monsieur le ministre Cotler, d'être venu nous rencontrer aujourd'hui. Nous allons peut- être vous inviter à revenir plus d'une fois, si vous y tenez, au fur et à mesure que nos travaux progresseront. Nous sommes heureux que vous ayez pris le temps de venir nous faire part de vos réflexions et de votre passion pour ce dossier.
La séance est levée.