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ANTT - Comité spécial

Antiterrorisme (Spécial)

 

Délibérations du comité sénatorial spécial sur la
Loi antiterroriste

Fascicule 4 - Témoignages - Séance du soir


OTTAWA, le lundi 14 mars 2005

Le Comité sénatorial spécial chargé de procéder à un examen approfondi des dispositions et de l'application de la Loi antiterroriste, (L.C. 2001, ch.41), se réunit à 19 h 25.

[Traduction]

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

La présidente : Avant de commencer, monsieur Gunaratna, je tiens à vous remercier d'avoir fait l'effort de vous joindre à nous ce matin depuis Singapour. Cela a été plutôt difficile, d'après ce qu'on nous a dit, mais nous nous réjouissons que vous soyez là. La séance est donc ouverte, honorables sénateurs. Il s'agit de la neuvième réunion, avec audition de témoins, de ce comité spécial chargé d'étudier la Loi antiterroriste.

Je vais expliquer l'objet du comité à l'intention des téléspectateurs. En octobre 2001, en réponse aux attentats terroristes perpétrés à New York, à Washington et en Pennsylvanie, et à la demande des Nations Unies, le gouvernement du Canada a présenté le projet de loi C-36, Loi antiterroriste. Étant donné l'urgence de la situation à l'époque, le Parlement a été prié d'accélérer l'étude de la mesure législative, et nous avons acquiescé. La date butoir d'adoption de ce projet de loi était la mi-décembre 2001. Toutefois, on a alors estimé qu'il était difficile d'évaluer pleinement les incidences de ce projet de loi en si peu de temps, et pour cette raison, il a été convenu que trois ans plus tard on demanderait au Parlement de réviser les dispositions de la loi et ses effets sur les Canadiens, avec l'avantage du recul, et dans un climat moins tendu pour la population canadienne. Le travail de ce comité spécial correspond à la part du Sénat prend pour s'acquitter de cette obligation.

Lorsque nous aurons terminé notre étude, nous présenterons un rapport sur le sujet au Sénat, et il comprendra toute question qui, à nos yeux, doit être traitée. Nous permettrons aussi que notre travail soit communiqué au gouvernement et à la population du Canada. La Chambre des communes a pris le même genre d'initiative.

Jusqu'à ce jour, le comité a entendu les témoignages de l'honorable Anne McLellan, vice-première ministre et ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, l'honorable Irwin Cotler, ministre de la Justice et Procureur général du Canada, et M. Jim Judd, directeur du Service canadien du renseignement de sécurité. Nous poursuivons nos délibérations sur le contexte actuel de la menace dans lequel la Loi antiterroriste est censée évoluer.

Ce soir, nous avons l'honneur d'accueillir le professeur Rohan Gunaratna, qui se joint à nous depuis Singapour par vidéoconférence. M. Gunaratna est directeur du Centre international de recherche sur le terrorisme et la violence politique, à l'Institut des études de défense et de stratégie, de l'Université technologique de Nanyang.

Monsieur Gunaratna, nous sommes ravis de vous accueillir parmi nous. Vous n'ignorez sans doute pas que notre réunion ne peut durer plus d'une heure. Par conséquent, honorables sénateurs, je vous prie instamment de formuler vos questions et vos réponses de la manière la plus concise possible. Je vous le rappellerai d'ailleurs au fur et à mesure de la séance.

Monsieur Gunaratna, la parole est à vous.

M. Rohan Gunaratna, directeur, Centre international de recherche sur le terrorisme et la violence politique, Institut des études de défense et de stratégie, Université technologique de Nanyang, (Singapour) : Honorables sénateurs, j'aimerais vous faire un bref exposé de 10 minutes au sujet des menaces actuelles, surtout des menaces auxquelles le Canada doit faire face aujourd'hui. À titre de renseignement, cela fait quelque 20 ans que je travaille dans le domaine de la recherche sur le contre-terrorisme. En plus de mes fonctions en tant que directeur du Centre d'études sur le contre-terrorisme à Singapour, je suis aussi agrégé supérieur de recherche au Combating Terrorism Center à l'Académie militaire américaine de West Point.

Cela fait au moins dix ans que j'étudie les réseaux opérationnels et de soutien des terroristes en Europe occidentale, en Amérique du Nord, et de façon plus précise, au Canada. Je me suis d'ailleurs rendu au Canada à quelques reprises pour effectuer des recherches sur le terrain, au sujet du recrutement, de la propagande, de la collecte de fonds et de l'approvisionnement, à Vancouver, Toronto et Montréal. Je me ferai un plaisir de répondre à toute question que vous voudrez me poser sur les réseaux opérationnels et de soutien des terroristes en sol canadien.

J'aimerais d'abord parler des attentats du 11 septembre. Depuis qu'al-Qaïda a attaqué l'un des lieux d'intérêt les plus célèbres des États-Unis le 11 septembre 2001, la menace terroriste s'est sensiblement accrue.

Avant cette date, al-Qaïda commettait, en moyenne, un attentat grave. Depuis, on observe un attentat à tous les trois mois, en moyenne, commis soit par al-Qaïda, soit par un groupe affilié. Certains de ces groupes sont actifs au Canada.

La plupart des attentats ont lieu dans l'hémisphère sud, en Asie, en Afrique et au Moyen-Orient, mais la plupart des fonds qui les rendent possibles proviennent de l'hémisphère nord, surtout d'Europe et d'Amérique du Nord. À bien des égards, les systèmes juridiques du Canada, des États-Unis et de l'Europe occidentale sont venus en aide à ces organismes terroristes, leur permettant de mettre sur pied des organisations paravents sympathiques à leur cause, y compris au Canada. Bon nombre de ces dernières sont actives au Canada par l'entremise d'organismes de défense des droits de la personne, humanitaires, sociaux, culturels, commerciaux, communautaires et caritatifs. Selon mes recherches et celles de mes collègues, les groupes terroristes ont réussi à collecter des millions de dollars en sol canadien, grâce aux sociétés paravents et aux organismes sympathiques à leur cause.

À mon avis, le Canada a eu la chance d'échapper aux attentats terroristes, mais bien entendu, il a été un soutien précieux de ces groupes, du fait qu'ils ont pu y obtenir des fonds considérables, qui ont ensuite servi à des fins d'approvisionnement et de recrutement.

À l'heure actuelle, la menace se ressent du fait qu'al-Qaïda a évolué ou changé de bien des manières. Le changement le plus profond, pour les groupes qui ont été entraînés, financés et endoctrinés par al-Qaïda, s'est produit pendant l'intervalle très important de 10 ans entre le retrait des Soviétiques d'Afghanistan et l'intervention des troupes de la coalition américaine. L'Afghanistan était alors une espèce de lieu de prédilection du terrorisme, où on entraînait de 30 à 40 groupes. Parmi les recrues, il y avait quelques Canadiens — par exemple, Mohommad Mansour Jabara, citoyen canadien d'origine irako-koweïtienne, qui a ensuite collaboré avec Khaled Sheikh Mohammed, le cerveau des attentats du 11 septembre, l'aidant à planifier et à préparer des attentats en Asie du Sud-Est. Son frère, Abdul Rahman Jabara, qui a été tué en Arabie saoudite en 2003, était aussi citoyen canadien d'origine irako-koweïtienne, et il s'était entraîné en Afghanistan. D'autres Canadiens se sont aussi rendus en Afghanistan pour s'y entraîner et participer à des activités terroristes ou de soutien au terrorisme.

Il y a aussi eu des cas où quelques Canadiens se sont rendus en Irak, pour les mêmes raisons qu'on allait auparavant en Afghanistan qui était l'épicentre de la planification et de la préparation des attentats terroristes. En effet, dans le passé, aujourd'hui et à l'avenir, l'Irak sera le principal lieu d'entraînement des combattants du djihad dans le monde. Selon les services européens du renseignement de sécurité, quelque 200 Européens et un nombre moindre de Nord- Américains, dont des Canadiens, se rendent en Irak pour participer au djihad.

En moyenne, on assiste à 75 attentats à la voiture piégée en Irak, et nous croyons qu'à leur retour au Canada, aux États-Unis et en Europe, les jeunes musulmans radicalisés et politisés en Irak vont lancer des attentats, de la même façon que leurs prédécesseurs, à leur retour d'Afghanistan, voulaient renverser les régimes de leur pays d'origine et créer des États islamistes. Nous pensons que le djihad en cours en Irak façonnera un terroriste qui, de retour dans son pays, participera à des actes de terrorisme, recueillera des fonds et recrutera du personnel.

En conclusion, je parlerai des réseaux terroristes actifs depuis assez longtemps en sol canadien et de l'incapacité, et à certains égards du refus de la part des dirigeants politiques canadiens, d'adopter des lois et de prendre d'autres mesures nécessaires pour contrôler les activités de ces organismes.

À l'instar de bon nombre de pays européens, le Canada a accueilli un nombre élevé de migrants d'Asie et du Moyen- Orient. Or, l'Asie et le Moyen-Orient sont à l'origine de 90 p. 100 des organisations terroristes. Lorsque ces migrants quittent l'Asie et le Moyen-Orient pour l'Occident, y compris le Canada, certains d'entre eux sont vulnérables à l'endoctrinement, au recrutement et à la sollicitation d'aide financière.

Certains de ces immigrants donnent volontairement de l'argent parce qu'ils ont été endoctrinés. D'autres ont été forcés de soutenir financièrement des groupes terroristes, et il y a des représentants à l'oeuvre au Canada. Une vingtaine d'organismes terroristes d'origine étrangère sont actifs dans votre pays, la plupart, grâce à la complicité de sociétés paravents et d'organisations sympathiques à leur cause qui s'occupent de droits de la personne, de questions humanitaires, sociales, culturelles, communautaires, éducatives et caritatives. Certaines d'entre elles, qui ont été infiltrées par des terroristes, ont même réussi à obtenir des subventions du gouvernement canadien parce qu'elles ont statut d'organismes caritatifs. Certains de leurs membres ont aussi rencontré d'importants dirigeants politiques canadiens, dont des ministres, ont exercé des pressions auprès d'eux, leur ont demandé de l'argent et leur ont dit qu'ils étaient en mesure de leur obtenir de nombreuses voix lors des scrutins. Ces dirigeants canadiens n'ont pas montré d'empressement à interdire ces organismes ou à dire ce qui se passe vraiment au Canada.

Le milieu du renseignement de sécurité et les services policiers canadiens connaissent beaucoup mieux maintenant le fonctionnement des réseaux terroristes au Canada. Toutefois, leur capacité d'agir contre eux est dans une grande mesure tributaire des lois, des moyens juridiques d'intervention que vous leur donnez.

À bien des égards, la réponse du Canada au terrorisme est venue tardivement. Si vous vous reportez à ce qui s'est passé aux États-Unis, en 1996-1997, grâce aux lois en vigueur, on a désigné quelque 29 groupes terroristes. Le Canada ne l'a pas fait avant les attentats du 11 septembre. Avant cette date, personne dans l'appareil politique canadien n'était vraiment en faveur de cela. Je peux vous dire qu'en 1996-1997, lorsque les Américains ont ciblé les infrastructures qui appuyaient les terroristes en sol américain, bon nombre de ces organismes ont déménagé au Canada et ont ensuite lancé leurs activités aux États-Unis en servant du Canada comme base.

Je suis ravi que les Canadiens aient adopté cette loi, qui leur faisait défaut depuis les attentats du 11 septembre 2001. Je me réjouis aussi de voir le Sénat et vos dirigeants politiques enfin reconnaître leurs responsabilités, car il importe que le Canada ne tire pas de l'arrière par rapport au Royaume-Uni, aux États-Unis et aux autres pays occidentaux qui ont déjà adopté des lois pertinentes.

De nombreux pays d'Asie et du Moyen-Orient s'inspirent de la Grande-Bretagne, du Canada et des États-Unis pour élaborer leur propre législation antiterroriste. Pour avoir longtemps travaillé en Asie du Sud-Est, je sais que peu de pays de cette région se sont dotés de ce genre de législation. Cela a causé plusieurs problèmes. Ainsi, des terroristes notoires ont été relâchés et des terroristes tout aussi notoires ne peuvent être arrêtés. Dans certains cas, les services policiers de ces régions y sont allés de faux témoignages pour faire arrêter des terroristes connus parce leurs lois ne leur en donnent pas le moyen.

Le gouvernement du Canada a eu raison de faire un pas dans cette direction. Maintenant, je répondrai très volontiers à toutes les questions que vous voudrez me poser à ce sujet. Je vous ai parlé en toute franchise, et j'espère que vous ne vous méprendrez pas sur mes propos.

Je ne veux que le plus grand bien aux Canadiens. Les Canadiens font très confiance aux autres, jusqu'à ce qu'on les trompe, ou qu'ils se rendent compte qu'on leur a fait du tort. Votre société est très ouverte, et il importe justement que les sociétés ouvertes protègent les groupes minoritaires et d'immigrants. Si vous n'agissez pas pour éradiquer les quelques terroristes qui se trouvent chez vous, les grands regroupements d'immigrants du Canada seront susceptibles d'être endoctrinés, forcés de collaborer et de participer aux réseaux terroristes et de soutien du terrorisme. Le gouvernement du Canada doit veiller à ce que ces groupes n'étendent pas leurs actions au Canada, et faire en sorte que vos services policiers et du renseignement de sécurité les ciblent sans relâche, afin que votre pays soit protégé et qu'on ne puisse porter atteinte à sa réputation à l'étranger en raison du refuge que les terroristes et leurs réseaux de soutien pourraient y trouver.

Le sénateur Kinsella : Étant donné que c'est déjà le 15 mars à Singapour, vous êtes déjà rendu aux ides de mars. Avez-vous observé un signe quelconque à Singapour qui justifierait que nous ne venions pas au Sénat du Canada demain?

M. Gunaratna : Singapour et les pays du sud-est asiatique ont beaucoup à apprendre du Canada, mais je suis certain que vous pouvez aussi suivre ce qui se passe dans notre région.

Le sénateur Kinsella : Merci d'être aussi franc, professeur Gunaratna. Je veux vous poser une question directe. Pouvez-vous nommer certains des organismes qui font des levées de fonds pour des groupes terroristes au Canada à votre avis? Quels groupes selon vous ont reçu de l'argent du gouvernement fédéral et quels groupes ont eu des rencontres avec quels ministres?

M. Gunaratna : C'est un fait bien connu que M. Paul Martin a assisté à un dîner bénéfice pour les Tigres tamouls quand il était ministre des Finances. Je pense que ce dîner avait été organisé par l'organisation de secours aux réfugiés tamouls. Il y a eu pas mal de débats au Sénat et au Parlement canadien à la suite de cette rencontre. M. Martin avait été informé de la nature de cet organisme par le haut-commissaire du Canada au Sri Lanka à l'époque et aussi par le Service canadien du renseignement de sécurité. L'organisation de secours aux réfugiés tamouls a reçu des fonds du gouvernement canadien et fait aussi des levées de fonds. La rencontre en question avait eu lieu à l'époque où les Tigres tamouls menaient une campagne terroriste. Ce n'est plus le cas maintenant; on a entamé un processus de pacification. C'est un exemple qui me vient à l'esprit.

En 1994, près de 400 000 $CAN ont été transférés de la Banque Hong Kong Shanghai à Vancouver à un compte bancaire à l'étranger pour l'achat de matériel militaire. Cet argent avait été obtenu au Canada et a servi à acheter des armes et des explosifs qui ont plus tard causé la mort d'un grand nombre de personnes dans un autre pays.

Ce sont des exemples que vous pourrez vérifier auprès des services de sécurité et de renseignement et des corps policiers du Canada qui montrent comment ces groupes et ces organismes ont exploité le Canada dans le passé.

Le sénateur Kinsella : Croyez-vous que le Canada ne se conforme pas aux dispositions de la Convention internationale des Nations Unies sur la répression du financement du terrorisme? Permettez-moi d'être plus précis. Singapour a adopté la Loi sur la suppression du financement du terrorisme le 8 juillet 2002. Nous avons une loi du même genre au Canada. Croyez-vous que la loi canadienne ne soit pas efficace? La loi de Singapour l'est-elle davantage?

M. Gunaratna : Certaines des mesures prises par les pays du sud-est asiatique après le 11 septembre, y compris Singapour, sont plus efficaces que les lois que nous avions auparavant pour lutter contre le terrorisme. C'est la même chose pour le Canada. Depuis les événements du 11 septembre, on s'efforce davantage au Canada de contrer les activités des groupes terroristes.

Le Canada a fait beaucoup à mon avis pour supprimer le financement du terrorisme. On connaît mieux maintenant les personnes et les organismes qui font des levées de fonds pour les groupes terroristes au Canada.

Le sénateur Kinsella : Selon vous, il existe des réseaux terroristes au Canada. Si j'ai bien entendu, vous pensez qu'il y en a une vingtaine à l'heure actuelle? Y en a-t-il parmi ces 20 groupes qui sont sur la liste des 35 entités mentionnées dans le projet de loi que nous étudions maintenant?

M. Gunaratna : Vous avez tout à fait raison, sénateur. Une bonne partie des groupes au Canada sont surtout des groupes de soutien, c'est-à-dire des groupes qui font des levées de fonds, qui diffusent de la propagande et qui recrutent des gens, mais ils ne font pas d'attentats terroristes. Bon nombre des groupes qui ont des réseaux de soutien de ce genre sont inclus dans la liste des 35 entités. Des citoyens canadiens sont mêlés à certains des groupes qui représentent une menace importante pour le Canada, y compris Ansar al Islam, l'un des groupes les plus actifs en Irak à l'heure actuelle. Il y a aussi des groupes terroristes égyptiens, comme le Djihad islamique égyptien. Al-Qaïda a aussi des activités au Canada. Nous sommes tous au courant de l'affaire Ressam et de l'affaire Fateh Kamel.

Nous savons que certaines personnes sont maintenant détenues en vertu de certificats de sécurité. Nous sommes au courant du cas de M. Khaja, qui aidait une cellule britannique qui projetait un attentat terroriste. Certains de ces groupes sont inclus dans la liste des 35 entités.

Le sénateur Smith : Professeur, avez-vous eu la chance de jeter un coup d'œil au projet de loi que notre comité étudie? Nous devons essayer de maintenir l'équilibre entre la sécurité et les droits civils. Qu'en pensez-vous? Avez-vous des idées à ce sujet?

M. Gunaratna : Sénateur, j'ai lu la documentation et je conviens qu'il importe de maintenir un certain équilibre. Sinon, nous n'aurons pas l'appui du public et des dirigeants politiques. Jusqu'ici, le système juridique a favorisé un grand nombre de réseaux d'aide aux terroristes au Canada. Selon moi, une fois que le projet de loi que vous envisagez maintenant, et d'autres mesures que vous pourrez élaborer en temps et lieu, sera adopté, les organismes terroristes auront plus de mal à recruter, à lever des fonds et à acheter du matériel et vous pourrez plus facilement vous débarrasser de la propagande terroriste au Canada. Il faut établir un certain équilibre et les mesures que nous prenons à l'égard du terrorisme doivent correspondre aux menaces terroristes. Elles ne doivent pas être exagérées ou insuffisantes. Si elles sont exagérées, il y aura davantage d'appui pour le terrorisme. Si elles sont insuffisantes, les groupes terroristes deviendront plus audacieux, comme ils l'étaient au Canada avant le 11 septembre. Il importe donc d'établir un bon équilibre entre les lois antiterroristes et les libertés civiles.

Le sénateur Smith : Que pensez-vous de la loi adoptée récemment en Grande-Bretagne, qui a suscité un débat très animé? Cette loi est-elle appropriée? Est-elle équilibrée?

M. Gunaratna : J'ai pu examiné de près la situation en Grande-Bretagne vu que j'ai travaillé pendant six ans au Centre for the Study of Terrorism and Political Violence en Grande-Bretagne, à St. Andrews, en Écosse. Il existe un grave problème en Grande-Bretagne. Pendant des années, les Britanniques ont voulu être politiquement corrects. Ils ne voulaient pas intervenir dans ce qui se passait à l'intérieur des mosquées, des Madaris, c'est-à-dire des centres d'éducation islamiques, ou des associations musulmanes. Ils ont tacitement permis à ces dirigeants religieux, qui travaillaient de concert avec al-Qaïda, de radicaliser et de politiser un grand nombre de terroristes. Sous bien des aspects, c'était très semblable à ce qui se passait en Allemagne, où il y avait un important centre de recrutement pour les pilotes d'al-Qaïda responsables des attentats du 11 septembre. En août 2004, les Britanniques ont interrompu les activités d'une cellule qui préparait les plans d'une attaque contre des cibles financières aux États-Unis. Bon nombre de pays d'Europe, y compris la Grande-Bretagne, ont maintenant de graves problèmes à cause de leurs lois.

Si les Britanniques n'appliquent pas certaines restrictions et n'adoptent de meilleures lois, ils deviendront la cible des terroristes. En outre, la Grande-Bretagne servira de rampe de lancement contre d'autres pays. Je terminerai en disant que les lois européennes sont inefficaces, surtout la loi britannique. Aucun interrogatoire de détenus en Grande- Bretagne n'a donné de résultats utiles. Les Britanniques sont en train de revoir leurs méthodes de détention. Il importe que le Canada suive de près ce qui se passe en Grande-Bretagne et en tire des leçons. Bon nombre de pays de l'hémisphère sud, c'est-à-dire de l'Asie, de l'Afrique, du Moyen-Orient et de l'Amérique latine, respectent ce qui se fait au Royaume-Uni, qui possède le modèle des Parlements de même que toutes sortes de règles et de lois. Il existe vraiment une crise en Grande-Bretagne à ce sujet et j'espère que les Britanniques vont y voir. Le gouvernement britannique doit faire comprendre aux lords et aux autres dirigeants britanniques que la Grande-Bretagne fait face à une menace très grave. Si la Grande-Bretagne n'adopte pas rapidement des lois et des règlements appropriés, le gouvernement, les services policiers et les services du renseignement britanniques ne pourront peut-être pas réagir efficacement aux menaces auxquelles le Royaume-Uni pourrait faire face.

Le sénateur Fraser : Professeur Gunaratna, ce que vous dites me fascine. La question que nous devons tous nous poser est celle-ci : quelle partie du village devons-nous détruire pour le sauver? Vous dites que les lois actuelles en Grande-Bretagne et en Europe ne sont pas efficaces. Je ne suis pas vraiment au courant de ce qui s'est fait dans le reste de l'Europe, mais nous savons un peu ce qui s'est fait en Grande-Bretagne.

Le projet de loi que nous examinons maintenant prévoit plus de mesures de protection pour les libertés civiles que la loi britannique. Vous pensez que la loi britannique n'est pas efficace. Selon vous, que devons-nous faire que nous n'avons pas fait?

M. Gunaratna : Sénateur, il importe que vous examiniez constamment les mesures que vous prenez maintenant parce que les menaces évoluent constamment et rapidement. Contrairement à ce qui se faisait avant le 11 septembre, bon nombre de gouvernements recherchent activement les organismes terroristes. Les groupes terroristes évoluent très rapidement. Il faut donc constamment surveiller ces groupes, adopter des lois appropriées et les modifier au besoin pour mieux cibler ces organismes.

Sinon, nos services du renseignement et nos corps policiers ne pourront pas bien les surveiller ou empêcher activement les attaques terroristes et protéger nos pays et nos sociétés. Les attentats du 11 septembre ont vraiment été un point tournant pour ce qui est de nous unir tous pour lutter contre les réseaux terroristes. Nos adversaires ne sont plus simplement des groupes terroristes, mais plutôt des réseaux terroristes, des groupes qui ne tiennent pas compte des frontières. Il y a le cas classique de Fateh Kamel, qui travaille avec des cellules britanniques. Il y a le cas classique de Khaja qui travaille avec une cellule britannique, il y a le cas classique des deux frères Jabarah, qui travaillent en Afghanistan, dans le sud-est de l'Asie et en Arabie saoudite. Nous devons considérer les organismes terroristes d'une nouvelle façon. Nous devons renforcer nos propres organismes pour lutter contre le terrorisme. Pendant que nous renforçons nos outils d'application de la loi et de lutte contre le terrorisme, nous devons aussi renforcer nos outils législatifs, c'est-à-dire notre système de détention et notre système juridique. Sinon, même si nous avons les meilleurs services policiers et du renseignement qui soient, nos efforts sont voués à l'échec.

Le Canada doit reconnaître qu'il n'a pas eu de loi appropriée pour lutter contre le terrorisme jusqu'aux attentats du 11 septembre et que vous avez une importante infrastructure de soutien des groupes terroristes dans votre pays. Le Sénat et les autres dirigeants politiques doivent se pencher sérieusement sur ce qui se passe au Canada.

Les Services canadiens de sécurité doivent tenir les dirigeants politiques mieux informés de ce qui se passe sur la scène internationale parce que vous avez souffert du terrorisme. En novembre 2002, le Canada a été identifié par Oussama ben Laden comme l'un des six pays cibles. Les Canadiens ont déjà souffert d'activités terroristes en Afghanistan en 2003 et en 2004, même si c'était de façon très mineure. Vous avez eu de la chance jusqu'ici, mais vous devez rester vigilants. Vous devez être plus actifs dans la lutte contre le terrorisme à mon avis.

Le sénateur Fraser : Que pensez-vous que nous devrions faire que nous ne faisons pas maintenant, surtout en ce qui concerne nos lois, vu que nous sommes en train de revoir notre Loi antiterroriste? Selon vous, quels changements devrions-nous y apporter?

M. Gunaratna : Je vous demande de voir quelles sont les meilleures pratiques à l'échelle mondiale en ce qui concerne les lois antiterroristes et que vous en tiriez des leçons pour le Canada. Voyez comment fonctionne la loi française et ce que font les Français à l'égard des organismes terroristes. À mon avis, le gouvernement européen qui a été le plus efficace dans sa lutte contre le terrorisme sur son propre territoire est le gouvernement français. Depuis 1996, il n'y a pas eu d'attentat terroriste en France alors que les services policiers ont pu interrompre un certain nombre d'opérations terroristes. Je pense que vous devriez jeter un coup d'œil à la loi française.

Depuis les attentats du 11 septembre, il n'y a plus de méthode standard pour lutter contre le terrorisme. Nous devons innover. Nous devons maximiser nos succès et minimiser nos échecs. Du côté législatif, vous devez voir ce que font vos amis européens pour lutter contre le terrorisme, surtout là où ils ont eu du succès.

Le sénateur Joyal : Vous dites que, d'après vous, les Français ont les meilleures lois qui soient, mais je ne pense pas qu'on puisse mesurer l'efficacité d'un pays seulement d'après ses lois, mais qu'on doit tenir compte de l'efficacité de ses services de renseignement. On ne peut pas pénétrer des groupes ou des cellules terroristes, obtenir les connaissances, comprendre la mentalité des terroristes aux moyens de chars d'assaut ou de bombes. C'est une lutte qui se mène en secret et il faut du temps pour bâtir et maintenir un réseau efficace capable de pénétrer des cellules terroristes.

À mon avis, les lois ne suffisent pas. Je pourrais vous rédiger la meilleure loi du monde demain, mais cela ne me garantirait pas entièrement que mon pays serait à l'abri des activités terroristes.

Par ailleurs, cela m'étonne de vous entendre dire que la France possède les meilleures lois qui soient. On nous a dit que la Patriot Act contenait les dispositions les plus complètes et les pouvoirs les plus extraordinaires qu'on puisse donner à un gouvernement pour lutter contre le terrorisme. Comment pouvez-vous à ce moment-là justifier la réponse que vous avez donnée à ma collègue?

M. Gunaratna : Je suis tout à fait d'accord avec ce que vous dites. Je vous conseille de regarder la Patriot Act, la loi française et celles d'autres pays. Je suis aussi d'accord que l'outil le plus important pour lutter contre le terrorisme, c'est le renseignement de sécurité.

Je crois savoir que le SCRS et d'autres organismes canadiens ont un budget plus important qu'auparavant et qu'ils ont aussi recruté plus de gens. Je pense que vous devez continuer à recruter des agents parmi vos groupes de migrants et que vous devez fournir la meilleure formation possible à vos policiers et à vos services de sécurité. C'est seulement en offrant constamment de la formation à jour, en recrutant les gens les plus compétents et en ayant les meilleurs dirigeants pour vos services de renseignement et vos corps policiers que vous pourrez protéger le Canada et aider d'autres pays à lutter contre le terrorisme.

Pour revenir aux lois, je dois dire que les lois adoptées aux États-Unis après les attentats du 11 septembre ont aidé énormément les États-Unis. Certains éléments de ces lois ne sont peut-être pas acceptables au Canada parce que les Canadiens envisagent les choses différemment des Américains. Vous devriez cependant regarder de très près la loi américaine.

Je terminerai en disant que la loi est sans doute importante, mais il peut arriver que le système de justice pénale et les mécanismes de détention risquent de ne pas contrer le terrorisme. Par exemple, entre 1993 et les événements du 11 septembre, on avait intenté des poursuites contre 70 terroristes aux États-Unis, alors que l'Afghanistan produisait des dizaines de milliers de terroristes. Nous avons besoin de lois modernes, mais nous devons parfois voir plus loin que les lois pour lutter contre le terrorisme contemporain.

Il faut une stratégie multidimensionnelle, multiagences, multinationale et multicontinentale pour lutter contre le terrorisme. Les lois sont très importantes cependant et nous devons moderniser les lois actuelles.

Le sénateur Joyal : Je voudrais parler un peu de ce que je considère comme l'une des principales faiblesses du système américain après les attentats du 11 septembre. Si vous avez lu le rapport conjoint du Sénat publié l'été dernier suite à l'enquête sur les attentats du 11 septembre, vous savez que l'une des principales constatations de ce rapport est que les services du renseignement et d'enquêtes policières des États-Unis travaillaient de façon trop isolée et n'avaient pas d'échange d'informations. Tous les renseignements qu'il aurait fallu pour prévenir les attentats du 11 septembre existaient à divers endroits dans le système. Cependant, parce que chaque organisme travaillait indépendamment des autres et que tellement peu d'agents du CIA maîtrisaient l'arabe, je ne veux pas mentionner de chiffres, mais c'était moins qu'une dizaine, les agents n'avaient pas pu lire ou décoder les messages et les renseignements qui leur arrivaient.

On ne peut peut-être pas trouver des solutions magiques pour lutter contre le terrorisme. Nous avons probablement besoin d'une approche plus opérationnelle englobant les divers services pour obtenir les résultats voulus au lieu de nous contenter de légiférer et de donner des pouvoirs extraordinaires à l'exécutif.

Nous ne pouvons pas penser que, plus le gouvernement possède de pouvoirs, plus nous serons en sécurité. C'est comme avoir l'armée la plus puissante qui possède les plus gros chars d'assaut et les plus grosses bombes. Vous ressentirez peut-être de la fierté nationale en voyant l'armée parader le jour de la fête nationale, mais cela ne vous protégera pas contre le terrorisme.

Nous savons tous comment fonctionne le terrorisme. Il ne fonctionne pas grâce à des armes conventionnelles. Il fonctionne grâce à l'infiltration et parfois par les moyens qui ne se comparent pas du tout à ce qu'il faudrait à des armées pour se battre sur le plan financier.

Ce qu'il nous faut en réalité, c'est comprendre ce qui se passe et infiltrer les réseaux. Parce que nous parlons toujours d'une guerre contre le terrorisme, tout le monde pense à la guerre. Tout le monde pense au déplacement d'une armée, mais ce n'est pas cela du tout. Pour lutter efficacement contre le terrorisme, il faut essentiellement partager des renseignements. Il faut pouvoir lire la pensée des gens. Comme vous le dites, c'est de l'endoctrination. Nous essayons de changer la mentalité des gens. La situation est tout à fait différente. Si vous prenez un fusil pour tirer sur un ennemi, ce n'est pas lutter contre terrorisme. La lutte contre le terrorisme est beaucoup plus complexe qu'on pourrait le penser à voir la propagande des deux côtés.

Je me demande si nous ne devrions pas en réalité, trois ou quatre ans après les événements du 11 septembre, redéfinir notre stratégie de lutte contre le terrorisme. Je me demande si nous ne devrions pas nous concentrer davantage sur des outils qui ciblent ce qu'est le terrorisme.

M. Gunaratna : À mon avis, il y a trois grandes raisons pour lesquelles les États-Unis n'ont pas subi d'attentat terroriste depuis le 11 septembre. La première raison, c'est qu'il y a eu un effort de collaboration sans précédent entre les services de sécurité, du renseignement, de la police et des organismes militaires aux États-Unis et à l'étranger. Avant les attentats du 11 septembre, les Américains hésitaient beaucoup à partager des renseignements avec les pays d'Asie, les pays musulmans et le Moyen-Orient. Il y a maintenant beaucoup plus d'échanges de renseignements. À cause de cela, on a pu prévenir un certain nombre d'attentats terroristes.

La deuxième raison, c'est que le public est davantage en état d'alerte. À ce moment-là, les organismes terroristes ont beaucoup de mal à planifier et à lancer des attaques importantes.

La troisième raison est le changement de mentalité. Avant les attentats du 11 septembre, les organismes de sécurité et de renseignements et les organismes policiers suivaient l'exemple du pêcheur, c'est-à-dire qu'ils appâtaient leur ligne et attendaient que le poisson les attaque. Ensuite, après un attentat terroriste, on fait une brillante enquête rétrospective. Depuis les attentats du 11 septembre, bon nombre de services policiers et de renseignements sont devenus des chasseurs. Ils ciblent les organismes terroristes tant par des opérations offensives que des opérations d'obtention de renseignements et s'efforcent d'infiltrer les groupes terroristes et les organismes qui les appuient. Si nous pouvons maintenir un haut niveau d'activité dans le domaine de l'obtention de renseignements, des opérations offensives et de l'action exécutive, je soutiens que nous pourrons réduire la menace du terrorisme. Nous pourrons réduire la probabilité d'un attentat terroriste.

Je suis bien d'accord que l'obtention de renseignements est la clé de la lutte contre le terrorisme. Il faut non seulement connaître l'ennemi, mais aussi le comprendre. Pour mieux le connaître, nous pourrons recruter davantage de musulmans dans nos services de renseignements et dans nos services policiers et travailler aussi de plus près avec le monde arabe et musulman.

Je dois reconnaître en toute justice que les services de sécurité et de renseignements du Canada ont très bien réussi à collaborer avec les pays arabes, asiatiques et musulmans. Ils l'ont fait beaucoup mieux que les Américains l'ont fait après les attentats du 11 septembre, même si le Canada est un petit pays qui possède un petit service de renseignements. À mon avis, les pays occidentaux pourraient collaborer de façon beaucoup plus étroite avec les pays d'Asie et du Moyen-Orient d'où viennent 90 p. 100 des terroristes. C'est seulement si nous pouvons maintenir ce partenariat que nous pourrons garder les pays occidentaux à l'abri du terrorisme.

Le sénateur Joyal : Vous avez parlé de l'une des choses qui me préoccupent. À mon avis, les pays occidentaux ne réussiront pas à avoir vraiment raison du terrorisme, parce que je ne pense pas que le terrorisme puisse disparaître, s'ils n'obtiennent pas la collaboration directe des pays arabes pour organiser des services du renseignement plus efficaces. Les pays arabes sont les mieux placés pour infiltrer les divers groupes terroristes actifs chez eux. Prenons le cas de l'Arabie saoudite. Bon nombre de témoins nous ont dit que l'Arabie saoudite exporte un grand nombre de chefs religieux un peu partout dans le monde. Je pense qu'ils sont beaucoup mieux placés que nous pour comprendre la façon dont fonctionnent les divers groupes, la façon dont les membres de ces groupes sont formés et comment ils sont organisés dans leur propre pays. C'est beaucoup plus facile pour eux que pour nous d'essayer de les comprendre une fois qu'ils sont chez-nous, de parler leur langue, de voir comment ils agissent alors que nous aurions pu le faire beaucoup plus facilement si nous partagions des renseignements avec ces pays. Ces pays doivent aussi développer leur capacité. Avant les attentats du 11 septembre, certains pays ne semblaient pas au courant de la situation. Il me semble que c'est un aspect très important de la collaboration internationale. Ce devrait être l'une de nos priorités parce que, si nous nous contentons d'avoir des rapports avec les pays habituels, c'est-à-dire les États-Unis, la France, la Belgique, les pays d'Europe, et quelques pays arabes où quelques pays du Moyen-Orient ou du sud-est asiatique, nous ne pourrons jamais avoir des opérations de renseignements efficaces dans les endroits d'où vient la menace terroriste. Il me semble que c'est la chose la plus importante sur laquelle nous devons nous concentrer.

M. Gunaratna : Je suis tout à fait d'accord avec vous, sénateur. Je répète que 90 p. 100 des groupes terroristes viennent des régions pauvres de l'hémisphère sud. Ces groupes manquent de ressources, mais ils manquent aussi de discipline et c'est pourquoi les services policiers et du renseignement du monde occidental doivent établir des partenariats, créer des bases de données communes, échanger du personnel, organiser une formation et des opérations conjointes, partager la technologie et les ressources, et surtout discuter entre eux de leurs expériences dans la lutte contre le terrorisme. Si les pays occidentaux ne collaborent pas avec les autres pays du monde, la lutte contre le terrorisme échouera.

La population occidentale blanche, c'est-à-dire les Nord-Américains, les Européens, les Australiens et les Néo- Zélandais, ne représente que 15 à 20 p. 100 de la population du globe, mais elle possède 70 p. 100 des ressources mondiales. Vous serez la cible des terroristes si vous ne collaborez pas avec les pays les plus pauvres du monde. Il ne faut pas oublier que les attentats du 11 septembre ont été planifiés en Afghanistan et que les nations occidentales avaient négligé l'Afghanistan. Les autres pays du monde ont négligé l'Afghanistan après le départ des Soviétiques et c'est pourquoi al-Qaïda a pu planifier, préparer et lancer cette attaque épouvantable contre les États-Unis. Si vous travaillez en partenariat avec les pays de l'hémisphère sud, je peux vous garantir que la menace du terrorisme contre les pays occidentaux restera faible. Vous êtes touchés uniquement par les activités marginales de groupes terroristes de l'hémisphère sud. Les réseaux qui fonctionnent au Canada sont très petits par opposition à ceux que nous avons dans notre région. Si l'on exerce les mêmes pressions sur ces groupes en Asie et au Moyen-Orient, ils ne pourront certainement pas maintenir leurs réseaux au Canada, aux États-Unis et en Europe. C'est pourquoi vous devez travailler en plus étroite collaboration et élaborer une approche stratégique à long terme pour lutter contre le terrorisme.

Le sénateur Andreychuk : Le sénateur Joyal vous a demandé si nous devions travailler de concert avec les services du renseignement d'autres pays. Croyez-vous que des pays comme le Canada et les États-Unis devraient transférer des détenus vers des pays où l'on se sert de la torture pour obtenir les renseignements?

M. Gunaratna : Les interrogateurs du monde occidental en ont beaucoup appris depuis trois ans sur des méthodes d'interrogation plus efficaces qui n'entraînent pas la torture. Ce type d'interrogatoire se base sur des incitatifs, mais dans une minorité des cas, moins de 5 p. 100, les détenus refusent de collaborer à moins qu'on ne prenne des mesures extrêmes à leur endroit.

Certains services de sécurité et du renseignement des pays occidentaux se sont rendu compte que la seule façon d'obtenir quoi que ce soit de ces gens est de les envoyer dans des pays du Moyen-Orient où l'on pratique couramment la torture. Pour ma part, je ne pense pas qu'on doive torturer ces détenus parce que cela ne fait que durcir leur attitude. En outre, cela nous enlève notre légitimité morale. Les renseignements obtenus par la torture sont souvent inexacts. Si nous ajoutons ces données à nos bases de données, celles-ci perdront au niveau de l'exactitude.

Je ne suis certes pas d'accord pour qu'on envoie des détenus vers des pays qui pratiquent couramment la torture. Je conseille cependant aux pays occidentaux de modifier leurs méthodes de détention et d'interrogation. Sinon, les détenus ne voudront pas collaborer. Vos interrogatoires ne vous fourniront pas de faits qui vous permettront de prévenir le terrorisme.

Voilà ce que je pense au sujet de la torture des détenus.

Le sénateur Andreychuk : Je n'ai pas très bien compris la fin de votre intervention. Voulez-vous dire que les services du renseignement ne comprennent pas la mentalité de ceux qu'ils interrogent parce que le terrorisme est quelque chose de nouveau pour eux par opposition au crime organisé ou au crime ordinaire? Même si vous excluez la torture, pensez- vous que les services du renseignement ne sont pas au courant des techniques utilisées par d'autres pays?

M. Gunaratna : Ce que j'essaie de dire, c'est que dans certains pays, on a du mal à détenir des gens pendant de longues périodes parce que les lois ne sont pas assez rigoureuses ou appropriées. Dans certains pays, quand les policiers arrêtent quelqu'un, ils ne peuvent pas l'interroger si son avocat n'est pas présent. Dans certains pays, on ne peut pas négocier un aveu et dire à un détenu : « Vous avez tué tous ces gens et vous pourriez être emprisonné pendant vingt ans, mais nous réduirons votre peine à dix ou cinq ans si vous collaborez. » La loi interdit de telles choses dans certains pays. Il importe de donner aux organismes gouvernementaux qui détiennent et interrogent les détenus des règlements plus appropriés qui leur permettront d'être plus efficaces. Par exemple, les méthodes de détention à l'intérieur des États-Unis ont été plus efficaces que les méthodes britanniques à l'intérieur du Royaume-Uni. On peut tirer des leçons de ce qui se fait ailleurs.

Je dois dire que ce qui s'est fait à Guantanamo Bay s'est soldé par un échec parce que les Américains ont énormément de problèmes pour traiter les détenus. Les mauvais traitements infligés aux détenus à Abu Ghraib en Irak n'ont pas non plus aidé les États-Unis ou les pays occidentaux. Nous devons avoir des méthodes plus appropriées pour détenir ces gens, déterminer quels types de lois et de règlements il nous faut et, troisièmement, décider quelle formation et quelles méthodes donner à nos interrogateurs.

Selon moi, un interrogateur professionnel ne doit pas recourir à la torture. Il sait comment interroger un détenu convenablement. Nous devons envoyer les interrogateurs suivre des cours de formation appropriés dans de bonnes écoles pour qu'ils puissent apprendre des techniques efficaces d'interrogation qui leur permettront d'obtenir des renseignements sûrs sans recourir à la torture.

Le sénateur Andreychuk : Vous dites que la loi britannique n'est pas aussi efficace que la loi américaine. Qu'ajouteriez-vous à la loi britannique ou encore à la loi canadienne, qui se rapproche davantage de la loi britannique à mon avis?

M. Gunaratna : Selon moi, la loi britannique laisse à désirer sous deux aspects. D'abord, il y a vraiment un problème si l'avocat peut dire aux détenus : « Vous n'êtes pas obligés de répondre à cette question. » Si un détenu refuse de répondre aux questions des policiers, il devrait être envoyé en prison pour très longtemps. Deuxièmement, lorsqu'un policier interroge un détenu, il devrait pouvoir lui dire : « Si vous collaborez, je recommanderai au tribunal de réduire votre peine d'emprisonnement de moitié. » La loi du Royaume-Uni ne permet pas de telles transactions pénales. Pourtant, certains pays d'Europe et les États-Unis ont constaté que les transactions pénales sont un moyen très efficace de faire affaire avec les terroristes.

Le sénateur Andreychuk : Je vais certainement me renseigner là-dessus.

Je conviens qu'on ne devrait pas pouvoir faire de levées de fonds au Canada pour mener des activités terroristes. Je ne pense pas que quiconque au gouvernement ou ailleurs soit d'accord pour cela. Cela étant dit, nous savons qu'il y a déjà eu de telles levées de fonds au Canada. Vous avez dit que le financement du terrorisme vient de l'hémisphère nord. Tenez-vous compte du fait qu'il y a eu des attaques terroristes en Indonésie? D'après ce que j'ai lu, les pays de l'hémisphère sud et du Moyen-Orient fournissent aussi de l'argent aux terroristes. Vous avez signalé certaines de nos erreurs et je suis d'accord avec vous à ce sujet. Pouvez-vous parler aussi de la situation en Indonésie, en Arabie saoudite et dans d'autres pays.

M. Gunaratna : Encore récemment, l'Arabie saoudite ne prenait pas les groupes terroristes bien au sérieux. C'est seulement une fois que les membres d'Al-Qaida se sont attaqués à l'Arabie saoudite que les Saoudiens ont commencé à mieux régir leurs organismes de charité. Ces organismes n'ont jamais décidé de la façon dont l'argent serait dépensé. Une fois que l'argent quittait l'Arabie saoudite, ce qu'on en faisait leur importait peu. Les organismes terroristes ont infiltré 60 p. 100 des groupes de bienfaisance islamiques. Ces groupes représentent maintenant une source importante du financement du terrorisme.

En Indonésie aussi, plusieurs hommes politiques islamiques appuient ces organismes. Nous travaillons constamment avec les services policiers et de renseignement indonésiens et les dirigeants politiques pour identifier ces hommes politiques et leur faire honte. C'est malheureusement une partie du problème dans l'hémisphère sud.

Vos dirigeants sont mieux instruits que les nôtres. Quand nous conseillons vos dirigeants, la plupart du temps ils nous écoutent. Ils savent à quel point ces problèmes sont graves. Cependant, il est souvent très difficile de convaincre les dirigeants de l'hémisphère sud de ne pas appuyer ou tolérer ces organismes.

Vous devez donner l'exemple dans la lutte contre le terrorisme parce que vos dirigeants sont instruits et comprennent les problèmes. Vos dirigeants n'ont pas besoin de l'aide de certains groupes ethniques ou religieux pour faire de bonnes choses au Canada. J'espère qu'ils prendront le problème du terrorisme au sérieux et que le Canada deviendra un modèle dans la lutte contre le terrorisme; qu'il ne sera plus considéré comme un refuge sûr pour les groupes terroristes ou comme un bon endroit pour faire des levées de fonds, recruter et acheter du matériel; que le Canada continuera à collaborer avec les pays de l'hémisphère sud d'où viennent la plupart des groupes terroristes pour réduire la menace du terrorisme contre le Canada et le reste du monde.

La présidente : Nous devrons nous arrêter là, monsieur Gunaratna. Nous tenons à vous remercier d'avoir persévéré pour que nous puissions nous mettre en contact. Vous nous avez vraiment donné matière à réflexion. Nous vous souhaitons beaucoup de succès.

La séance est levée.


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