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ANTT - Comité spécial

Antiterrorisme (Spécial)

 

Délibérations du comité sénatorial spécial sur la
Loi antiterroriste

Fascicule 7 - Témoignages - Séance de l'après-midi


OTTAWA, le lundi 11 avril 2005

Le Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste se réunit ce jour à 12 h 48 pour procéder à un examen approfondi des dispositions et de l'application de la Loi antiterroriste (L.C. 2001, ch.41).

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, la séance est ouverte. Nous tenons maintenant la 15e séance du Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste et nous entendrons des témoins.

Je vais expliquer aux téléspectateurs la raison d'être du comité. En octobre 2001, en réaction directe aux attentats terroristes à New York, à Washington, D.C., et en Pennsylvanie, et à la demande de l'ONU, le gouvernement canadien a présenté le projet de loi C-36, la Loi antiterroriste.

Étant donné l'urgence de la situation à l'époque, le Parlement a été invité à accélérer son étude du projet de loi, et nous avons accepté de le faire. La date limite pour l'adoption de ce projet de loi avait été fixée à la mi-décembre 2001.

Toutefois, pour apaiser les craintes de ceux qui estimaient qu'il était difficile d'en évaluer pleinement les répercussions en si peu de temps, il a été décidé que le Parlement serait invité au bout de trois ans à revoir les dispositions de la loi et ses répercussions sur les Canadiens en ayant un peu plus de recul et dans un contexte un peu moins chargé d'émotions.

Les travaux du comité spécial viennent concrétiser cet engagement pour ce qui est du Sénat. Quand nous aurons terminé cette étude, nous présenterons au Sénat un rapport dans lequel nous exposerons tous les problèmes dont il y aurait lieu, selon lui, de s'occuper, et nos travaux seront mis à la disposition du gouvernement et du grand public. Je signale que la Chambre des communes a entrepris un processus analogue.

Le comité a jusqu'ici entendu des ministres et des fonctionnaires, le directeur du Service canadien du renseignement de sécurité, des experts internationaux ou canadiens en matière de menaces terroristes ainsi que des experts juridiques. Aujourd'hui, nous entendrons le témoignage de ceux qui appliquent les pouvoirs conférés par la loi en première ligne.

Nous entendrons tout d'abord M. Keith Coulter, chef du Centre de la sécurité des télécommunications. Il est accompagné de Mme Barb Gibbons, chef adjoint des Services centraux, de M. John Ossowski, directeur général des Politiques et des communications, ainsi que de M. David Akman, directeur des Services juridiques et avocat général. Nous terminerons notre réunion de cet après-midi en entendant le témoignage de M. Edgar MacLeod, président de l'Association canadienne des chefs de police. Il sera accompagné de M. Vince Westwick et de M. Frank Ryder, tous deux coprésidents du Comité des amendements législatifs de l'association.

Honorables sénateurs, je vous demande d'être brefs dans vos questions. Je demande également aux témoins de répondre brièvement afin que nous puissions tous bénéficier de notre discussion d'aujourd'hui. Bienvenue à tous et merci de votre présence.

[Français]

M. Keith Coulter, chef, Centre de la sécurité des télécommunications : Madame la présidente, je vous remercie de m'avoir invité à comparaître devant vous, aujourd'hui, à titre de chef du Centre de la sécurité des télécommunications. J'apprécie cette occasion qui m'est donnée de discuter avec vous de l'impact de la Loi antiterroriste sur le CST.

[Traduction]

Je vais abréger quelque peu ma déclaration préliminaire compte tenu des limites de temps. Le document contenant la version complète a été remis à votre greffier.

De toute évidence, les terribles attentats terroristes du 11 septembre 2001 ont bouleversé à jamais notre façon de traiter les questions de sécurité en Amérique du Nord. Ces événements ont été un réveil brutal pour le Canada et un point tournant pour le CST.

La Loi antiterroriste qui a été proclamée en décembre 2001 a eu deux impacts importants sur le CST : elle a conféré au CST un mandat législatif et elle a comblé une lacune en matière de pouvoirs qui a permis au CST de s'engager dans la guerre contre le terrorisme. En vertu de son mandat conféré par la loi, la CST assume trois grands rôles.

Premièrement, le CST utilise des méthodes à la fine pointe de la technologie pour intercepter des communications étrangères afin de fournir du renseignement étranger au gouvernement du Canada. Le travail du CST est de repérer précisément les communications qui contiennent du renseignement étranger utile, de les intercepter, de les traiter pour comprendre l'information qu'elles contiennent et de diffuser cette dernière aux personnes qui en ont besoin. Conformément aux priorités approuvées par le Cabinet, le CST fournit du renseignement à des centaines de clients du gouvernement fédéral. Ce renseignement les aide à mieux comprendre les enjeux mondiaux. Il étaye leurs décisions. Il contribue à l'élaboration des politiques étrangères et des politiques de défense du Canada. Et plus important encore, il aide à protéger la sécurité du pays et de ses citoyens et citoyennes.

Deuxièmement, le CST fournit des avis, des conseils et des services pour aider à protéger l'information électronique. Dans ce domaine, nous collaborons avec d'autres organismes du gouvernement pour prédire et prévenir les cyberattaques, et nous aidons à développer et à approuver les systèmes et dispositifs de communications sécurisés qui protègent l'information la plus sensible du gouvernement.

Troisièmement, le CST fournit un soutien aux organismes fédéraux chargés de l'application de la loi et de la sécurité. C'est là un prolongement naturel de l'expertise technique du CST dans les domaines tels le chiffrement et la sécurité des TI. Il faut absolument comprendre que, dans le cadre de ce troisième élément de son mandat, le CST peut fournir de l'aide technique et opérationnelle à ses partenaires fédéraux uniquement dans le cadre de leurs propres pouvoirs et limites.

Permettez-moi maintenant de passer aux graves lacunes juridiques que comportait la structure des pouvoirs du CST, auxquelles la Loi antiterroriste a remédié. Pendant les années 90, alors que le CST se délestait des charges engendrées par la guerre froide, le monde des télécommunications prenait son essor à un rythme révolutionnaire. Les nouvelles technologies ont connu une expansion sans égale. Le volume, la diversité et la rapidité des communications se sont accrus à une vitesse exponentielle. Le routage des messages est devenu imprévisible. On pouvait trouver de tout n'importe où dans le paysage des communications. Dans ce nouvel environnement, avant l'adoption de la Loi antiterroriste, l'interdiction absolue d'intercepter des communications privées, énoncée dans la partie VI du Code criminel, privait de plus en plus le CST des moyens d'accomplir sa mission de base, celle de recueillir des communications étrangères.

Pour apprécier cet impact à sa juste valeur, il est important de comprendre que la définition d'une communication privée, telle que l'entend le Code criminel, comprend toute communication dont on peut raisonnablement s'attendre à ce qu'elle reste privée, qui débute ou prend fin au Canada. Cette disposition du Code criminel touchait le CST de deux façons. Premièrement, elle empêchait le CST d'intercepter une communication envoyée du Canada ou reçue du Canada vers une cible de renseignement étranger. Par exemple, le CST ne pouvait pas fournir de renseignements sur un groupe terroriste connu à l'étranger si celui-ci communiquait avec un de ses membres ou avec un complice au Canada. Deuxièmement, cette disposition empêchait le CST d'intercepter toute communication qui pouvait contenir de l'information privée. Il y avait là un obstacle supplémentaire, car dans ce nouvel environnement technologique où tout se trouve n'importe où, cette jungle pratiquement infinie de communications et d'autoroutes électroniques, il était impossible pour le CST de démontrer, avant qu'il n'ait intercepté la communication, que sa provenance et sa destination étaient toutes les deux étrangères. Le résultat était qu'à mesure que les technologies évoluaient, le CST était de plus en plus incapable d'accéder à des sources de renseignements utiles. Au moment où les événements du 11 septembre ont eu lieu, tous les principaux partenaires internationaux du CST, les États-Unis, la Grande-Bretagne, l'Australie et la Nouvelle-Zélande, avaient déjà trouvé des solutions à ce problème. Le CST se faisait devancer.

[Français]

À l'égard de notre mandat de protection, le CST perd également sa capacité de protéger l'information et les systèmes électroniques. Dans le nouvel environnement cybernétique, le CST devrait subir les activités des réseaux du gouvernement du Canada et obtenir des échantillons de message ayant des signes de virus ou d'autres codes malveillants. Donc, en interdisant d'intercepter des communications privées, le Code criminel empêchait le CST d'entreprendre ses activités essentielles. Comme résultat, le CST perdait rapidement son emprise sur les outils essentiels de protection de l'information.

[Traduction]

Rien n'aurait pu souligner plus clairement les limites du pouvoir du CST que les événements du 11 septembre 2001. Suite à ces événements, les dispositions relatives au CST dans la Loi antiterroriste ont été conçues pour que les pouvoirs du CST reflètent à la fois les exigences du nouvel environnement de sécurité et les réalités des communications modernes, ainsi que l'obligation de protéger la vie privée des Canadiens. Plus précisément, des mesures ont été prises pour exempter le CST de la partie VI du Code criminel, lorsque le CST pouvait démontrer qu'il avait besoin de cette exemption pour remplir son mandat. La loi comprend donc un mécanisme, une autorisation du ministre de la Défense nationale, qui a permis au CST de se remettre à niveau. Je veux vous expliquer clairement comment cela fonctionne.

En vertu de la loi, le CST n'a pas le droit de diriger ses activités contre des personnes qui se trouvent dans le rayon de 12 milles délimitant le territoire canadien, que ces personnes soient canadiennes ou étrangères. Le CST n'a pas le droit non plus de diriger ses activités contre les Canadiens à l'étranger, que la loi définit comme étant des Canadiens ou des résidents permanents. Toutefois, avec une autorisation ministérielle, lorsqu'il dirige ses activités contre des entités étrangères dans d'autres pays, le CST peut maintenant mener des activités même si ce faisant il risque d'acquérir des communications privées.

Lorsque cela se produit, la loi permet au CST d'utiliser et de conserver ces communications, moyennant des mesures de protection très strictes; autrement, dès qu'elles sont identifiées comme telles, les communications privées sont supprimées.

De même, le CST peut maintenant obtenir une autorisation ministérielle pour mener des activités de sécurité des TI essentielles dans le cadre desquelles des communications privées pourraient être interceptées. En pratique, aussi bien pour le renseignement étranger que pour la sécurité des TI, le CST demande une autorisation ministérielle pour s'assurer d'une protection légale contre ce qui représenterait autrement une infraction au Code criminel, celle d'intercepter des communications privées qu'il pourrait acquérir incidemment dans le cadre d'activités précises de collecte ou de protection. Il faut comprendre que ces « activités ou catégories d'activités », pour employer l'expression juridique, ne sont permises qu'une fois que le ministre est satisfait, après un examen approfondi du ministère de la Justice, que les conditions précises soulignées dans la loi ont été respectées.

Depuis l'adoption de la loi sur le CST, les autorisations ministérielles nous ont permis d'augmenter de façon importante notre capacité de fournir du renseignement étranger de grande valeur. Évidemment, je ne peux pas entrer dans les détails des succès du CST en matière de renseignement étranger dans cette tribune publique. Par contre, je peux vous assurer que le renseignement fourni par le CST a directement contribué à la protection des troupes canadiennes en Afghanistan contre des attaques terroristes. Je peux aussi affirmer que le CST a fourni du renseignement sur des cibles terroristes étrangères pour protéger la sécurité et les intérêts du Canada et de nos alliés les plus proches. Le CST n'aurait pas été capable d'obtenir ce renseignement avant la Loi antiterroriste. De même, dans le cadre de son programme de sécurité des TI, le CST a utilisé des autorisations ministérielles pour s'assurer que les systèmes et les réseaux informatiques du gouvernement du Canada sont mieux protégés contre les cyberattaques.

Permettez-moi maintenant de vous présenter les mesures qu'a mises en place le CST pour assurer la protection de la vie privée des Canadiens et des Canadiennes. Avant de délivrer une autorisation, le ministre doit être convaincu, entre autres, que les activités ne seront pas dirigées contre des Canadiens ni contre toute personne au Canada et qu'il existe des mesures satisfaisantes pour protéger la vie privée des Canadiens. À cet égard, le CST a établi des procédures complètes pour faire en sorte que ses activités respectent l'esprit et la lettre du droit à la vie privée prévu dans la Charte. Tous les membres du personnel du CST prennent très au sérieux cette obligation, et tous ont reçu des directives précises et une formation complète dans ce domaine.

De plus, le CST a institué des nouvelles procédures pour les activités menées dans le cadre d'autorisations ministérielles. Elles permettent d'assurer que les activités du CST sont dirigées contre des entités étrangères dans d'autres pays et que les communications privées interceptées ne seront utilisées ou conservées que si elles sont essentielles aux affaires internationales, à la défense ou à la sécurité. Le CST travaille aussi en étroite collaboration avec une équipe juridique du ministère de la Justice, située sur place, pour veiller à ce que ses pratiques et ses procédures répondent à toutes les exigences prescrites par la loi. Pour ce qui est des examens externes, le commissaire du CST, le très honorable Antonio Lamer, ancien juge en chef de la Cour suprême du Canada, qui travaille indépendamment du CST, a vu son rôle être officialisé dans la Loi antiterroriste. Le commissaire a pour mandat de procéder à des examens concernant les activités du CST pour en contrôler la légalité. Il a libre accès à tout le personnel, à toute l'information et à tous les dossiers du CST. De par la loi, le commissaire doit tous les ans faire rapport au ministre de la Défense nationale de son examen des activités du CST. Le ministre présente ensuite ce rapport au Parlement. En plus, le commissaire soumet régulièrement au ministre des rapports classifiés qui portent plus précisément sur certains programmes ou dossiers. Je me permets d'indiquer aux sénateurs que depuis que son bureau a été fondé en 1996, le commissaire a toujours confirmé que toutes les activités du CST examinées étaient conformes à la loi. De plus, je note que, depuis que la Loi antiterroriste est entrée en vigueur, le Bureau du commissaire à la protection de la vie privée a examiné les activités du CST menées en vertu de son nouveau mandat et n'a exprimé aucune réserve.

[Français]

En bref, les pouvoirs accordés au CST en vertu de la Loi antiterroriste fournissent une base solide aux activités de l'organisme tout en protégeant la vie privée des Canadiens et des Canadiennes. La loi a répondu à l'urgent besoin de mettre à jour les pouvoirs du CST permettant ainsi à l'organisme de contrer les nouvelles menaces et de suivre l'évolution rapide des communications.

[Traduction]

Ces nouveaux pouvoirs sont absolument essentiels aux activités du CST, à sa capacité de surmonter des obstacles techniques incroyables et, en fin de compte, à sa capacité à contribuer à la sécurité du Canada et à ses autres intérêts nationaux. En fait, dans le contexte stratégique et technologique actuel, le CST ne peut pas fonctionner de façon efficace sans ces pouvoirs.

Il y a trois ans, le ministre de la Défense nationale et moi-même avons expliqué au Parlement ce dont le CST avait besoin pour aider à protéger la sécurité des Canadiens et des Canadiennes. Le Parlement avait alors la tâche difficile de trouver le juste équilibre entre la protection des droits à la vie privée des Canadiens et la sécurité du pays. En définitive, le Parlement a accordé au CST le pouvoir essentiel dont il avait besoin pour être efficace dans le nouvel environnement stratégique et technique. J'espère qu'il continuera à soutenir le CST en lui offrant une structure de pouvoir qui lui permettra de relever les défis très importants de la sécurité nationale auxquels est confronté notre pays.

Je serai heureux de répondre à vos questions.

La présidente : Merci, monsieur. Il est intéressant de constater à quel point les possibilités du CST ont été augmentées.

Le sénateur Kinsella : Tout d'abord, monsieur Coulter, existe-t-il des lacunes dans cette loi en ce qui concerne le CST? Recommanderiez-vous des ajouts à la loi afin que le mandat du CST soit renforcé, garanti ou précisé?

M. Coulter : En bref, non. Permettez-moi d'expliquer. Nous avons fait une analyse complète, sachant qu'il y avait un examen de la loi. Nous nous sommes renseignés sur notre loi par le biais de diverses opinions juridiques rédigées par le ministère de la Justice sur l'évolution des technologies et sur la façon dont nous pouvons aborder nos problèmes. Nous avons ainsi pu déterminer qu'il n'y a pas à l'heure actuelle de lacunes ou de dispositions manquantes dans la loi.

Sénateur, je crois que l'avenir est incertain. Les technologies continuent d'évoluer à un rythme effréné et les menaces pourraient évoluer également. Il se pourrait que nous ayons des recommandations à vous faire à l'avenir.

Lorsque se sont produits les événements du 11 septembre, j'étais dans une situation différente de celle de mon homologue américain, qui pouvait assurer à son gouvernement qu'il disposait des pouvoirs nécessaires et qu'il ne lui manquait que des ressources pour s'attaquer au terrorisme. Nous n'étions pas dans cette situation, et c'est pourquoi nous avons présenté notre demande et reçu ce dont nous avions besoin; il semble que cela suffise encore.

Le sénateur Kinsella : S'il y avait une recommandation, viendrait-elle de votre ministre? Qui est votre ministre?

M. Coulter : Oui, la recommandation viendrait du ministre de la Défense nationale, de qui je relève. Le CST présenterait sa demande au ministre. S'il était d'accord avec la demande, il aiderait le CST à la faire progresser.

Le sénateur Kinsella : Les opérations menées à la BFC de Leitrim font-elles partie de vos plus grandes opérations, ou relèvent-elles de vous?

M. Coulter : Avant les événements du 11 septembre, nous ne collaborions pas aussi étroitement que maintenant avec le personnel du renseignement électromagnétique de la station des Forces canadiennes Leitrim à Ottawa. Au cours des deux dernières années, nous avons renforcé nos liens avec bon nombre d'organismes gouvernementaux. Nous avons surtout élaboré une approche intégrée, de concert avec les Forces canadiennes, pour recueillir du renseignement électromagnétique étranger.

À titre d'autorité nationale de la cryptologie, je dirige l'effectif national SIGINT du renseignement étranger. Je dois entre autres m'assurer que nos efforts sont intégrés à ceux des Forces canadiennes. Nous avons un modèle intégré officiel. De concert avec le chef adjoint de l'état-major, je préside régulièrement des réunions pour surveiller la mise en œuvre de ce modèle. Les résultats sont extrêmement encourageants. Nous travaillons en étroite collaboration. Nous pouvons ainsi accorder à nos troupes postées à l'étranger dans des endroits comme l'Afghanistan un soutien bien supérieur. À mon avis, toutes ces mesures sont bien orientées.

Le sénateur Kinsella : Avez-vous vos propres installations?

M. Coulter : Oui.

Le sénateur Kinsella : Son emplacement est-il secret?

M. Coulter : Nous avons un campus d'installations. Mon bureau est situé dans l'ancien édifice de la Société Radio- Canada, au 1550, rue Bronson. Nous avons également un grand complexe de renseignement étranger sur le chemin Heron. Nous sommes en train de construire l'autre édifice, et un autre encore bientôt, car nous commençons à manquer de place dans notre campus. Nous collaborons avec Travaux publics et le Conseil du Trésor pour trouver une solution à plus long terme. Nous prévoyons que, d'ici l'automne, le CST disposera d'un plan à long terme approuvé par le gouvernement pour ses locaux. Nous avons ajouté des édifices à notre campus car nous avions besoin de locaux rapidement.

Le sénateur Kinsella : Exercez-vous des fonctions en matière de prévention des attaques? Par exemple, êtes-vous chargés de veiller à la sécurité des réseaux du gouvernement du Canada et de les protéger contre toute attaque?

M. Coulter : Pour vous donner une bonne idée de qui nous sommes, disons que nous sommes les experts de la technologie de pointe au gouvernement du Canada. Mais nous devons collaborer avec d'autres organismes. Nous sommes un organisme de petite taille. D'autres sont énormes et possèdent une importante infrastructure informatique. Nous essayons de nous tenir au fait de l'évolution. La nouvelle politique nationale de sécurité et le Budget 2004 nous ont donné un élan supplémentaire dans notre orientation vers une augmentation de nos activités pour ce qui est de prévoir et de prévenir les cyberattaques et de détecter les menaces et nos points vulnérables à long terme. Nous nous dotons des ressources pour cela. Nous estimons qu'il sera très important, à l'avenir, de protéger notre infrastructure informatique.

Le sénateur Kinsella : Je m'intéresse à l'appareil gouvernemental ainsi qu'au commandement et au contrôle. À qui dois-je demander des comptes si le système du gouvernement du Canada est attaqué, par exemple, par de méchants vers?

M. Coulter : Les systèmes du gouvernement du Canada ne sont pas à l'abri des attaques. Si nous ne réussissons pas à nous défendre contre ces attaques ou qu'elles sont menées à notre insu, c'est un problème. Nos solutions ne sont pas encore parfaites, mais nous travaillons en étroite collaboration avec un certain nombre d'autres organismes gouvernementaux. C'est maintenant le ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile du Canada qui assume la responsabilité générale de la sécurité de l'infrastructure critique, y compris de l'infrastructure du gouvernement. Le ministère a hérité de ces fonctions de ce que nous appelions autrefois le Bureau de protection de l'infrastructure critique et de la protection civile, qui était situé au MDN. Dans le cadre de la réorganisation gouvernementale de décembre 2004, cette fonction a été confiée au nouveau ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile.

C'est un domaine très complexe et nous déployons de grands efforts dans ce domaine. Nous fournissons des compétences techniques de pointe. Le gouvernement nous a consenti des ressources supplémentaires importantes dans ce domaine, ce qui nous permet d'augmenter notre capacité. Nous avons eu notre mot à dire dans le processus budgétaire, en ce qui a trait à la politique nationale de sécurité. J'ai chaudement défendu la nécessité de ces efforts compte tenu de l'évolution cybernétique future. J'ai le plaisir de vous dire que nous sommes en train de nous doter des ressources dont nous avons besoin pour faire face à l'avenir.

Le sénateur Kinsella : L'une des façons évidentes d'attaquer le Canada consisterait à attaquer un certain nombre de systèmes faisant partie de l'infrastructure critique aux quatre coins du pays. Par exemple, je viens d'une province qui possède un réacteur nucléaire pour produire de l'électricité. Êtes-vous chargés de voir à ce que cette infrastructure soit défendue contre tous ceux qui voudraient s'y attaquer? Permettez-moi d'aller plus loin. Je vous avoue que j'écoute les lundis soir une émission intitulée 24, dans laquelle on nous a montré entre autres un scénario de catastrophe dans une centrale nucléaire. Avons-nous une infrastructure de ce genre, de centrales comme celles-là?

Il y a quelques années, nous avons eu une grosse panne de courant liée à un problème de production d'électricité. Cette question relève clairement des provinces. J'aimerais savoir comment tout cela s'intègre afin que, au Canada, nous soyons en mesure de nous défendre contre ces cyberattaques, surtout en ce qui a trait aux opérations, alors que les provinces dirigent les activités de production d'électricité au moyen de centrales nucléaires ou par d'autres moyens. Pourriez-vous nous expliquer qui est responsable de ces activités et si cela fonctionne bien?

M. Coulter : M. Ossowski pourra peut-être ajouter à ma réponse, mais d'une façon générale, c'est au ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile du Canada qu'incombe cette responsabilité. Un certain nombre d'initiatives qui nous seront utiles ont été mises sur pied. Je suis d'accord avec ce que vous avez dit au sujet du sérieux de tout cela. Pour notre part, nous fournissons des analyses techniques et des compétences de pointe, des conseils et des services, mais c'est ce ministère qui dirige les ressources du gouvernement fédéral en matière de protection de notre infrastructure.

Voici comment cela fonctionne. Dans le cas de la panne d'électricité qui s'est produite il y a 18 mois, par exemple, mon sous-ministre adjoint chargé de la sécurité des TI faisait partie du groupe canado-américain qui a examiné ce problème afin d'en tirer des leçons. Cet examen a permis de faire ressortir les problèmes et les points faibles de tout le domaine informatique. À titre d'expert technique, il a appliqué les leçons qui en ont été tirées dans les décisions et les discussions du gouvernement du Canada.

Parmi les questions importantes annoncées dans la Politique nationale de sécurité, il y a la nécessité de mettre sur pied un groupe de travail sur la sécurité informatique afin d'examiner toutes ces questions dans une perspective nationale. D'autres pays, entre autres les États-Unis et le Royaume-Uni, ont déjà fait un examen de ce genre dans le cadre duquel ont été réunis les intervenants du gouvernement et de l'infrastructure critique dans une même discussion afin d'élaborer un consensus national sur la façon de régler ces problèmes. On y a entre autres défini le rôle du gouvernement par rapport au secteur privé, par exemple. J'ai participé à de telles discussions. Nous ne sommes pas encore prêts à lancer un tel examen, mais j'ai discuté avec des gens du gouvernement et du secteur privé pour voir comment nous pourrions mettre sur pied ce groupe de travail et réaliser un travail important qui pourrait nous aider dans notre réflexion pour l'avenir.

Les enjeux actuels sont très sérieux. Si nous ne faisons pas ce qu'il faut pour nous organiser et nous préparer à des problèmes de plus en plus sérieux, cela pourrait être notre perte. Je ne veux pas trop insister à ce sujet, mais il existe des risques. À mon avis, nous faisons notre part pour attirer l'attention sur les véritables problèmes et pour que des choses importantes soient organisées et se fassent. Il serait toutefois exagéré de dire que nous avons atteint notre objectif. Il reste encore du travail à faire.

Le sénateur Kinsella : Enfin, la vérificatrice générale a attiré la semaine dernière notre attention sur certains problèmes en matière de commande et de contrôle dans des cas d'urgence. Avez-vous eu l'occasion d'examiner le rapport de la vérificatrice générale?

M. Coulter : S'agit-il de son rapport de février ou d'avril?

Le sénateur Kinsella : Celui qu'elle a déposé il y a 10 jours.

M. Coulter : Le seul élément qui nous touchait dans son rapport était l'examen de l'attribution du financement au titre de la protection de l'infrastructure critique dans les budgets antérieurs. Pour ce qui est du CST, le rapport disait que nous avons appliqué de bons critères pour l'attribution de ces ressources.

Le sénateur Kinsella : J'ai posé la même question au commissaire de la GRC, et il m'a répondu que la vérificatrice générale avait fait des observations positives au sujet de son organisation également.

Le fait est que la vérificatrice générale a signalé des préoccupations graves au sujet de la structure de commande et de contrôle du pays dans les cas d'urgence. C'était son argument. Je n'ai pas amené le document avec moi. Chaque organisme ne s'occupe que de son propre secteur, même si vous dites que nous devons tous travailler de concert, et il ne devrait pas exister de telles divisions. Nous pouvons éliminer ces divisions, mais qui sera chargé de diriger les opérations? En ce qui a trait aux cyberattaques, est-ce vous qui êtes responsable? Est-ce quelqu'un d'autre? Qui sera chargé de prendre les décisions en cas d'urgence nationale?

M. Coulter : C'est le SPPCC qui assume cette responsabilité générale pour le gouvernement. La vérificatrice générale a examiné une période durant laquelle le BPIEPC faisait partie du MDN. Ce n'est plus le cas. Nous avons une nouvelle structure opérationnelle. Cette structure est bien adaptée à celle des États-Unis, et le SPPCC est chargé de ce genre de questions.

Le sénateur Austin : J'aimerais examiner quelle est l'étendue de vos pouvoirs, dans vos opérations, en ce qui a trait aux Canadiens. Vous en avez d'ailleurs parlé dans votre exposé. On peut facilement imaginer que des personnes possédant la citoyenneté canadienne puissent être très actives dans des activités terroristes. Ces personnes pourraient être au Canada ou être liées à des citoyens canadiens qui habitent à l'étranger. Il serait naturel à mon avis qu'une telle situation puisse exister si des gens essaient de se livrer à des activités terroristes ici au Canada.

J'ai remarqué que dans votre exposé, vous dites que vous ne pouvez pas diriger vos activités contre des Canadiens. Je me demande comment cette lacune, pour utiliser le terme du sénateur Kinsella, est corrigée dans le cas d'un problème de sécurité. Si vous en êtes empêché, pourquoi? Sur quel principe de politique publique s'est-on fondé pour exclure ces activités et qui s'en occupe?

M. Coulter : Pour répondre brièvement, c'est le SCRS qui s'occupe des activités terroristes situées à l'intérieur des 12 milles de notre limite territoriale. Nous pouvons lui fournir un soutien technique et opérationnel, mais ces activités relèvent du SCRS, qui s'est doté des ressources nécessaires pour cela.

Le sénateur Austin : Vous dites que vous pouvez offrir des services aux autres organismes dans les limites de leur mandat législatif. Lorsque vous leur expliquez que vous ne pouvez pas diriger vos activités contre les Canadiens, leur indiquez-vous que vous pouvez dans de tels cas offrir vos services au SCRS parce qu'il a le mandat d'exercer de telles activités? Offrez-vous des services au SCRS dans ce domaine?

M. Coulter : Ce serait possible, mais cela n'est pas le but de nos efforts. Le SCRS exécute son travail dans le cadre d'un régime de mandat judiciaire, ce qui lui permet de prendre les mesures nécessaires en ce qui concerne les communications. Il possède les compétences nécessaires. Il a le pouvoir d'intercepter des communications au sein des limites territoriales du Canada. Nous avons établi notre système pour intercepter les communications à l'extérieur du Canada, et c'est sur cela que nous concentrons notre travail.

Par exemple, nous faisons de l'encryptage et du décryptage depuis la Seconde Guerre mondiale. Nous avons au pays le meilleur système de décryptage, un système de calibre international. Si le SCRS rencontre des données encodées qu'il veut décrypter, il lui suffit de nous présenter une demande spécifique pour ce genre d'assistance opérationnelle et nous apportons cette assistance à condition que nous sachions qu'il s'agit d'une activité légale, et c'est la raison pour laquelle j'ai près de moi une équipe d'avocats. Nous devons nous assurer qu'il y a un mandat, que l'information qu'ils veulent décoder a été obtenue légalement. Après quoi nous lui offrons assistance, nous faisons le travail et le lui soumettons. C'est le genre d'activités auxquelles nous participons.

Le sénateur Austin : Lorsque vous n'avez pas directement autorité pour faire un travail de surveillance au Canada ou parmi les Canadiens, d'autres ont le pouvoir de vous autoriser à faire ce type de travail?

M. Coulter : Oui, ils peuvent le faire eux-mêmes.

Le sénateur Austin : Ont-ils le matériel voulu pour le faire eux-mêmes?

M. Coulter : Oui.

Le sénateur Austin : Le SCRS n'a pas besoin de votre matériel technologique?

M. Coulter : La lutte contre le terrorisme au Canada est sa mission principale. Le Service a les moyens de faire ce qu'il doit faire.

Le sénateur Austin : Il n'a pas besoin de soutien électronique de votre part?

M. Coulter : Il a parfois besoin d'une certaine assistance technique ou opérationnelle, comme je le disais tout à l'heure, et alors il nous présente une demande spécifique. À condition que tout soit régulier, nous pouvons l'aider. Nous avons une orientation différente et des moyens différents. Nous essayons d'aller dans les systèmes haystacks et autoroutes électroniques au-delà de nos frontières et de trouver des informations utiles pour les décisions gouvernementales. S'il y a un terroriste canadien au Canada, le SCRS demande un mandat au tribunal afin de procéder à une interception chirurgicale des communications.

Le sénateur Austin : Si, alors que vous suivez le trafic international, vous découvrez qu'un Canadien pourrait être un terroriste, que faites-vous de ce renseignement?

M. Coulter : C'est une bonne question parce que c'est exactement ce que nous a donné cette loi. Nous recherchons des renseignements étrangers. S'il nous arrive de tomber sur une communication dirigée vers le Canada par un terroriste, s'il s'agit d'un renseignement de sécurité, nous le communiquerons au SCRS. Ce peut être le signalement qui les met sur une piste, cela dépend. Ce peut être quelque chose qu'ils savent déjà. Nous pouvons acquérir ces renseignements légalement, les communiquer au SCRS et ainsi l'aider. Pour nous, il s'agit de dresser le tableau de ce qui existe au-delà des frontières du Canada; s'il y a des informations et des connexions pertinentes pour le Canada, nous les communiquons aux partenaires canadiens voulus.

Le sénateur Austin : Dans quelle mesure pouvez-vous rester au fait du trafic que vous surveillez? Pouvez-vous évaluer ces données en temps réel ou avez-vous constamment un retard à gérer?

M. Coulter : Je ne peux pas vous donner trop de détails opérationnels en public. Nous nous débrouillons assez bien. Nous développons nos moyens.

La réalité, dans ce genre d'entreprise, c'est que l'on devient de plus en plus précis dans ce que l'on examine, et cetera. Pour ce qui est du terrorisme en général, nous avons développé nos moyens depuis le 11 septembre ou depuis l'adoption de cette loi; cela a démarré d'abord assez lentement. La situation s'est améliorée mais le problème se complique.

Le sénateur Austin : Vous pouvez fonctionner dans combien de langues?

M. Coulter : Je crois pouvoir dire que nous opérons dans pratiquement tous les grands groupes linguistiques. Nous suivons les priorités de renseignement de sécurité du gouvernement canadien, si bien qu'il ne faut pas beaucoup d'imagination pour deviner les langues sur lesquelles nous insistons particulièrement ces temps-ci.

Le sénateur Fraser : Monsieur Coulter, pourriez-vous nous dire combien d'autorisations ministérielles vous avez demandées et combien vous en avez obtenues?

M. Coulter : M. Ossowski pourrait peut-être m'aider pour ce qui est du nombre. Nous pourrions dire qu'il s'agit d'un petit nombre. Il s'agit de deux types d'activité. Il y a le renseignement étranger, en vertu de cette disposition de la loi, puis il y a l'évaluation de la vulnérabilité dont nous avons besoin à des fins de sécurité pour ce qui est de la technologie de l'information. Nous avons voulu obtenir un nombre dans les deux catégories. Ces nombres sont relativement petits.

M. John Ossowski, directeur général, Politiques et communications, Centre de la sécurité des télécommunications : Je crois qu'il y en a cinq à l'heure actuelle. Il est important de comprendre qu'elles ne sont valables que pour une année. Il existe un processus de renouvellement pour diverses activités d'une année à l'autre. En tout, leur nombre est inférieur à 20, mais j'en ignore le nombre exact.

Le sénateur Fraser : Y a-t-il des cas où on a refusé une autorisation ou un renouvellement ministériel?

M. Ossowski : Non.

Le sénateur Fraser : Lorsque le commissaire fait son examen de la situation, son rôle, d'après ce que je crois comprendre, se limite à indiquer que tous ses actes ont été effectués légalement, et non à dire s'ils étaient incorrects ou souhaitables. Est-ce exact?

M. Coulter : C'est exact. Selon la loi, il examine nos activités pour déterminer si elles sont conformes à la loi, si elles sont légales.

Au-delà de cela, le commissaire a indiqué clairement dans son rapport public qu'il considère que son travail comporte un élément proactif, et cela se reflète dans l'analyse et les conseils qu'il fournit au ministre. Tout ce qu'il considère comme une faiblesse de la procédure susceptible de saper la discipline, ou qui ne témoigne pas de la discipline voulue et pourrait par conséquent entraîner en bout de ligne un comportement illégal, fait l'objet de recommandations et de conseils de sa part à cet égard. De toute évidence, nous prenons ses recommandations très au sérieux, parce que son personnel nous connaît bien. Ils formulent leurs recommandations.

Au bout du compte, je dois gérer notre service, prendre des décisions et m'assurer que nous n'aurons aucune difficulté. Évidemment, s'il arrivait que l'on constate que nous enfreignons la loi, ce serait un énorme problème qui nous obligerait à nous interrompre et dont il faudrait s'occuper sérieusement.

Tout comme le commissaire, je considère que nous devons prévenir tout problème. Je suis très réceptif à ses conseils à cet égard également, bien que dans chaque cas j'aurais peut-être une autre façon d'aborder le problème, par exemple, si effectivement il y a problème.

Le sénateur Fraser : Dans tous les cas on met l'accent sur la légalité plutôt que sur des évaluations stratégiques?

M. Coulter : Oui.

Le sénateur Fraser : Il s'agit peut-être d'un aspect technique, mais c'est le genre de chose qui me préoccupe toujours. Je sais que les rapports annuels du commissaire sont en fin de compte présentés au Parlement, mais pour l'instant ils sont présentés au ministre de la Défense nationale. Cela comprend ses rapports sur les autorisations ministérielles accordées par le ministre de la Défense nationale.

Sur le plan de la bonne gouvernance, de l'obligation de rendre compte et tous ces autres aspects importants, ne serait-il pas préférable qu'il fasse rapport directement au Parlement? Je suis en train de parler du rapport annuel, non pas des conseils confidentiels qu'il fournit au ministre, car je comprends bien que ce n'est pas forcément le genre de choses qui devraient être rendues publiques de façon courante. Ce rapport ne devrait-il pas tout simplement être présenté au Parlement, étant donné que dans ce rapport il lui arrive vraisemblablement de porter un jugement sur le ministre à l'occasion?

M. Coulter : Le rapport est effectivement présenté au Parlement, selon le processus qui a été défini.

Le sénateur Fraser : Par l'intermédiaire du ministre?

M. Coulter : Je ne suis pas vraiment au courant de la chose. Je ne suis pas un expert de l'appareil gouvernemental, mais je sais que le ministre s'intéresse beaucoup au travail du commissaire. Je le rencontre régulièrement. Nous nous occupons de ces autorisations; une relation s'est établie à ce niveau. Cette relation de confiance est fondée en partie sur le fait qu'il sait qu'une personne indépendante examine la situation et lui indique que nous respectons les paramètres juridiques auxquels nous devons nous conformer.

Cela améliore considérablement la reddition de comptes, car même si je ne dirais jamais au ministre quoi que ce soit qui ne corresponde pas à la vérité, il pourra avoir davantage confiance dans le fait qu'il s'agit de la vérité étant donné que nous faisons l'objet d'un examen indépendant. Dans ce cas-ci, il s'agit d'un ancien juge en chef de la Cour suprême du Canada qui est probablement, selon ce qu'on a dit à son personnel, la personne tout indiquée pour déterminer si nous travaillons conformément aux paramètres juridiques que le Parlement a établis à notre intention.

Toujours en ce qui concerne la reddition de comptes, j'aimerais ajouter que j'ai passé une bonne partie de ma vie professionnelle dans l'armée. J'ai travaillé dans le secteur privé pendant quelques années et j'ai travaillé dans d'autres organisations gouvernementales. De toute ma vie, je n'ai jamais eu un sentiment de responsabilisation aussi fort. Je sais que tout problème grave d'illégalité causerait énormément de tort à l'organisation. Il est très peu probable que nous puissions faire quoi que ce soit de grave qui ne serait pas découvert par le commissaire, le vérificateur général, le commissaire à la protection de la vie privée, ou quelqu'un d'autre. Je fournis régulièrement au ministre des renseignements et des rapports sur nos activités. Il obtient l'assurance, d'une instance indépendante, en l'occurrence le commissaire, selon laquelle il ne s'agit pas de renseignements trompeurs. C'est le modèle en vigueur.

Le sénateur Fraser : Je tiens à préciser que je ne suis pas en train d'attaquer le ministre actuel de la Défense nationale pour qui j'ai beaucoup d'estime, ni aucun ministre de la Défense nationale. Je suis tout simplement en train de parler de systèmes, des systèmes les plus souhaitables que nous devrions avoir, et non de personnes en particulier.

Le sénateur Andreychuk : J'aimerais aborder certains de ces aspects qui ont été mentionnés.

Vous dites que vous êtes constamment en train de surveiller les sources internationales qui selon vous pourraient être pertinentes. Si elles ne le sont pas, vous les détruisez immédiatement. Est-ce que c'est ce que la loi vous autorise à faire?

L'un des dilemmes que je constate, c'est que si cette information concerne des sources canadiennes, ou une personne qui se trouve en territoire canadien, elle doit être remise à quelqu'un d'autre. Ce pourrait être le SCRS ou peut-être un corps policier. De toute évidence, si vous disposiez de renseignements si abondants que vous pouviez tous les recueillir en une journée et les verser dans l'autre catégorie, cela ne poserait pas de difficulté. Ce que les événements du 11 septembre nous ont permis d'apprendre et ce que le rapport de la commission nous a indiqué, c'est que vous obtenez ce que nous appelons des indices et un service efficace du renseignement consiste à établir le lien entre tous ces indices; par exemple des personnes qui demandent des permis de pilote aux États-Unis, en soi cela ne semble pas être une activité terroriste ou ne semblait pas l'être en fait à l'époque. Si vous êtes en mode préventif, ce sera uniquement lorsque vous ferez le lien entre tous ces petits éléments d'information qui en soi sont inoffensifs mais qui une fois mis ensemble vous permettent d'avoir une vue d'ensemble de la situation.

Vous recueillez de l'information et vous essayez d'y trouver un sens, puis vous transmettez certains renseignements concernant des Canadiens. Quel est le lien pour ce qui est d'avoir la vue d'ensemble? Qui s'occupe de ce qui se fait à l'étranger et de ce qui se fait au Canada pour brosser cette vue d'ensemble?

M. Coulter : La réponse ne vous étonnera pas, à savoir que c'est assez compliqué. Je vais tâcher brièvement de vous l'expliquer.

En ce qui concerne la première partie de votre question, les dispositions exécutoires de notre loi prévoient que nous pouvons uniquement utiliser l'information comportant un aspect canadien si elle est essentielle pour les affaires internationales, la défense ou la sécurité. Nous avons donc adopté des procédures en collaboration avec le ministère de la Justice en ce qui concerne l'application de ces dispositions. La barre a été mise très haut. Nous ne parlons pas de rumeur; nous parlons d'activités considérées par des gens raisonnables être essentielles aux affaires internationales, à la défense et à la sécurité.

Si je voulais être un peu désinvolte, je dirais que le ministère de la Justice détient le contrôle opérationnel de mon organisation. Les paramètres dans lesquels nous fonctionnons, si je peux m'exprimer ainsi, sont définis par le ministère de la Justice pour ce qui est de la façon d'interpréter la loi. Lorsque nous établissons les paramètres de ce que nous considérons essentiel, nous devons convaincre le ministère de la Justice, et nous avons ensuite l'examen indépendant par un ancien juge en chef de la Cour suprême du Canada chargé de rassurer le ministre et de lui indiquer que toutes ces dispositions sont interprétées de la façon appropriée.

Nous ne parlons pas de petits indices, mais de gros bruits, dans notre cas. En général, si vous dites que le renseignement, c'est faire le lien entre des indices, vous avez absolument raison. C'est ce que nous essayons de faire, dans le domaine du renseignement étranger. Nous prenons une petite bribe d'information, puis une autre, nous les réunissons, pour brosser un portrait de la situation et arriver à des renseignements significatifs.

Tout lien avec le Canada doit répondre au critère de l'élément essentiel très élevé avant qu'on transmette l'information à une autre agence ou même avant qu'on s'en serve et qu'on la conserve de toute autre façon. Autrement, c'est supprimé. C'est la vie.

Le sénateur Andreychuk : Une question complémentaire : si vous trouvez un renseignement sur un Canadien, est-ce que vous le supprimez ou vous le transmettez à l'agence canadienne intéressée?

M. Coulter : Oui, monsieur Ossowski, pouvez-vous donner l'explication?

M. Ossowski : Il y a deux possibilités. Si nous avons intercepté une communication parce que nous avions une cible étrangère et qu'un Canadien est impliqué, nous produisons un rapport à transmettre. Lorsque ce rapport est transmis, l'identité de ce Canadien est oblitérée. Le service de renseignement, habituellement le SCRS lorsqu'il s'agit de terrorisme, doit nous rappeler et nous expliquer pourquoi il lui faut connaître l'identité de ce Canadien. Si le critère est respecté, l'identité est révélée et l'organisme de renseignement peut s'en servir ou établir des liens avec d'autres renseignements recueillis auparavant. Il n'est toutefois pas garanti que ce sera fait dans chaque cas.

Le sénateur Andreychuk : Si vous trouvez ce renseignement sur un Canadien, vous ne le transmettez qu'à une source canadienne. Vous ne savez pas toutefois ce qu'en fera la source canadienne, ni si elle transmettra ce renseignement à d'autres organismes de renseignement étrangers.

M. Ossowski : Non, cela nous incombe toujours. Nous avons toujours le contrôle sur les renseignements. Ainsi, pour transmettre l'information à quelqu'un d'autre, le SCRS doit d'abord nous demander notre autorisation.

Le sénateur Andreychuk : Supposons que de grosses sommes sont envoyées dans une banque quelque part et que vous transmettez cette information au SCRS. Vous dites qu'il ne peut se servir de ce rapport autrement qu'à ses propres fins, à moins de vous demander la permission. Mais comment savez-vous que le SCRS, selon ses propres protocoles, ne partagera pas l'information de manière officieuse avec ses homologues? La réponse, c'est que vous ne le savez pas, n'est-ce pas?

M. Coulter : Il faut présumer un certain professionnalisme, ici aussi. D'après notre expérience, le SCRS respecte les régimes et protocoles existants. L'autorisation nous serait demandée. J'ai demandé à M. Ossowski de répondre à la question parce que c'est un dirigeant important, qui relève directement de moi et qui a la responsabilité de ces questions. Si, d'une façon ou d'une autre, ça n'avait aucun sens ou s'il y avait quelque doute que ce soit, on agirait rapidement. Je travaille aux politiques et aux opérations pour le conseiller à la sécurité nationale du Conseil privé. Par son intermédiaire, je relève du ministre. S'il y avait des doutes, quels qu'ils soient, il y aurait une discussion à ce niveau- là. J'y participerais moi-même, de même que le directeur du SCRS et toute autre personne directement intéressée, et le gouvernement aurait à rendre une décision.

Ce matériel est très rare, mais nous le recueillons. Le pouvoir que nous a donné le Parlement nous permet d'intercepter un appel très rare mais important entre, par exemple, un groupe terroriste et un Canadien. Il peut être d'une importance internationale aussi bien que nationale, à cause des liens établis. Les groupes terroristes sont des réseaux. Al-Qaïda est omniprésent. Nous essayons de comprendre comment ils fonctionnent et pour que nous soyons efficaces dans la lutte internationale contre le terrorisme, la solution, c'est de partager les renseignements, à l'occasion. Cette discussion aurait lieu, mais il faudrait nous demander une autorisation, il y aurait une discussion bilatérale ou au sein du gouvernement, selon la nature du problème.

Le sénateur Andreychuk : Y a-t-il moyen pour les citoyens canadiens de savoir si de l'information à leur sujet a été utilisée ou partagée? Autrement dit, est-il exclu pour un Canadien de savoir si ses communications internationales sont surveillées ou pas?

M. Coulter : Je dois vous répondre que pour les Canadiens, c'est impossible à savoir.

Le sénateur Andreychuk : Des citoyens m'ont exprimé une plainte légitime. Ceux qui font beaucoup d'affaires à l'étranger craignent qu'on les confonde avec des personnes qui ont un nom semblable, ou que des renseignements sur leurs transactions commerciales se retrouvent entre des mains étrangères, d'une manière qui pourrait les désavantager commercialement ou leur nuire personnellement.

M. Coulter : Je dois dire, et j'espère que cela vous rassurera, que ce que vous venez de décrire ne répond certainement pas au critère d'essentialité pour les affaires internationales, la défense ou la sécurité, du moins comme je l'interprète, comme le ministère de la Justice l'interprète et comme le commissaire du CST l'interpréterait. La barre est vraiment placée très haut. À mon avis, la seule façon de contrer efficacement le terrorisme international, c'est de comprendre ces liens occasionnels dans notre pays.

Le sénateur Andreychuk : Je m'arrête ici.

Le sénateur Joyal : Ma question s'adresse à M. Coulter, mais M. Ossowski sera peut-être en mesure de répondre.

Lundi dernier, la ministre de la Sécurité publique a annoncé que le gouvernement envisageait de déposer un projet de loi qui mettrait en œuvre les conclusions du comité de parlementaires qui a étudié la sécurité nationale l'été dernier, et dont le rapport a été rendu public en octobre. J'ai ici le communiqué de presse. Dans son annonce, la ministre a désigné nommément votre organisme comme l'un de ceux qui pourraient faire l'objet de l'examen de ce groupe de parlementaires spéciaux. Je dis qu'il s'agit de parlementaires « spéciaux » parce qu'ils devraient être assermentés, entre autres. La ministre a expliqué les conditions qu'elle exigerait dans son communiqué de presse de lundi dernier.

Si tout est aussi clair, comme vous le disiez, monsieur Coulter, pourquoi seriez-vous assujettis à un examen éventuel par des parlementaires? Je ne conteste pas cette mesure, mais d'après le ton de votre exposé, tout semble aller comme sur des roulettes et vous sembliez vous demander pourquoi vous étiez ici aujourd'hui. Pourtant, d'après le comité de parlementaires qui s'est penché sur la question l'été dernier, et d'après la décision de la ministre, vous êtes l'un des trois organismes qui sera sous la loupe du Parlement. Pourriez-vous nous faire part de vos réactions, spontanément?

M. Coulter : J'appuie vraiment cette mesure et je l'ai dit au comité intérimaire. C'est une mesure importante parce qu'elle créera des liens entre le CST et le Parlement, des liens qui ne sauraient exister autrement. Nous sommes ici en séance publique et je ne peux pas vous parler ouvertement de mon travail. Il faut respecter des exigences de confidentialité très élevées et si j'en parlais en public, cela pourrait compromettre notre efficacité et celle de nos alliés. Nous collaborons de près avec nos alliés et beaucoup de commentaires au sujet du CST s'appliquent à eux aussi et eux non plus ne parlent pas beaucoup en public.

Le Comité de parlementaires britanniques est venu ici et j'ai eu une bonne discussion avec ses membres. Je pense que nous pouvons bien faire les choses en créant notre comité. Pour une agence comme le CST, il faut pouvoir assurer un niveau de confidentialité et de confiance dans les parlementaires qui permettra de bien fonctionner. On peut bien faire les choses, c'est possible. Je préfère le modèle britannique parce que notre situation est semblable à celle du Government Communications Headquarters du Royaume-Uni. Mon homologue britannique comparaît devant ce comité et ils ont entre eux des relations qui sont, dans les deux sens, productives, franches et qui donnent aux parlementaires la possibilité de comprendre ce que nous faisons, ainsi que de le façonner et de l'influencer avec le temps. C'est une bonne mesure, mais je ferais cette mise en garde : il faut bien faire les choses, sinon cet exercice risque de nous entraver. S'il y avait des fuites et que certaines parties des discussions étaient rendues publiques, cela pourrait nous ralentir et avoir des répercussions internationales.

Le sénateur Joyal : Je crois savoir que vous avez une entente de partage de l'information avec le Royaume-Uni, la Nouvelle-Zélande, l'Australie et les États-Unis. Quelles dispositions de cette entente empêcheraient les parlementaires de divulguer l'information détenue par ces pays, même à l'interne à un groupe de membres du Conseil privé?

M. Coulter : Je crois que si nous trouvons la bonne formule, je parlerais de cette relation et du partage de l'information que je reçois de ces organismes homologues. Nous pourrions parler de bon nombre de choses dont nous ne pouvons pas parler ici. C'est un partenariat très fort. J'ai rencontré des parlementaires britanniques et nous n'avons abordé aucune question qui serait désignée comme une « information sensible ». Toutefois, ils m'ont expliqué comment ils avaient établi une relation avec le GCHQ, le Service gouvernemental d'écoutes et de transmission, et je leur ai parlé un peu de l'évolution du CST. Le comité a énormément de succès au Royaume-Uni, et je sais que mon homologue britannique se sent libre de discuter de partenariat.

Nous avons d'autres relations internationales également. Le groupe de pays que vous avez mentionnés constitue le réseau de partage d'information le plus serré depuis la Seconde Guerre mondiale. Il existe depuis longtemps et donne de bons résultats mais le monde évolue et nous devons, tout comme nos alliés, créer de nouveaux partenariats. Je fais partie d'un groupe européen auquel participent un certain nombre de pays, dont les membres partagent l'information car nous nous intéressons beaucoup au terrorisme. Les cinq pays que vous avez mentionnés, y compris le Canada, forment le partenariat le plus serré et le plus historique que nous ayons jamais eu. C'est un partenariat fort et le niveau de confiance est tel que nous pourrions probablement en parler assez ouvertement avec un comité autorisé.

Le sénateur Joyal : Pourriez-vous expliquer ce que nous devons comprendre? Au bas de la page 10 de la version française de votre présentation, vous dites que l'information est essentielle pour les relations internationales, la défense et la sécurité. Je comprends la défense et la sécurité, mais les « relations internationales » c'est quelque chose de beaucoup plus vaste. Un pays pourrait en espionner un autre pour déterminer la position de celui-ci sur une question donnée. Les relations internationales peuvent tout comprendre, pas seulement la défense et la sécurité. Il faut peut-être surveiller certains pays qui semblent présenter un plus grand risque pour les pays occidentaux. Les relations internationales sont un domaine si vaste qu'on pourrait être porté à croire que ces cinq pays, dont le Canada, peuvent légitimement, selon leurs propres lois, surveiller d'autres pays et partager entre eux de l'information qui n'a peut-être rien à voir avec la défense et la sécurité. D'après vos commentaires et d'après le libellé de la loi, n'importe quelle information peut être partagée.

M. Coulter : L'expression « affaires internationales » est vaste, mais on précise que l'information doit être « essentielle ». Notre rôle est de fournir au gouvernement de l'information qui nous procurera un avantage national, et c'est l'une des raisons pour lesquelles nous ne partageons pas toute l'information dont nous disposons avec les quatre autres pays que vous avez mentionnés. Si nous produisons de l'information qui nous procure un avantage purement national, nous en informerons les décideurs compétents de notre pays mais pas nos alliés; et nous partageons beaucoup d'information avec nos alliés. La question du terrorisme nous mobilise tous, mais lorsque les affaires internationales touchent à notre avantage national, il y a des choses que nous ne partageons pas avec nos alliés. Toutefois, le critère du caractère essentiel de l'information est un critère très sévère. Nous ne parlons pas de bruit, mais plutôt d'information essentielle à notre intérêt national. C'est un aspect important. À l'heure actuelle, nous sommes très concentrés sur la dimension sécurité. Plus de 80 p. 100 de nos efforts visent à assurer notre sécurité ou à appuyer des opérations militaires. Nous faisons ce que nous pouvons pour créer des avantages nationaux ailleurs, mais c'est limité.

Il y a un autre aspect de notre loi qu'il est important de comprendre. Nos efforts doivent être compatibles avec les priorités du gouvernement du Canada, comme il est précisé dans la loi. Chaque année, le Cabinet détermine les priorités du CST. Je ne peux pas faire à ma tête, c'est-à-dire que je ne peux pas m'informer au sujet d'un pays donné. Je dois suivre scrupuleusement les priorités du gouvernement du Canada, qui sont très ciblées dans certains domaines.

Le ministère des Affaires étrangères a ses propres priorités, de même que le SCRS, qui lui sont données par sa loi habilitante, et le ministère de la Défense. Voilà les grandes institutions qui nous dictent nos priorités.

Il y en a d'autres évidemment, mais nous devons les ignorer, car nous ne pouvons même pas répondre à toutes celles dont j'ai parlé. Nous recueillons dans notre organisation des renseignements liés aux priorités les plus hautes du gouvernement et considérés comme essentiels. Avant de produire quoi que ce soit qui touche les Canadiens de quelque façon que ce soit, nous devons nous demander si les renseignements sont essentiels par rapport aux priorités. Une autre façon pour mon organisation et pour le commissaire de jauger les demandes, c'est de nous demander si on peut retarder. Puis, il faut déterminer à quel point la demande est essentielle. Lorsqu'elle l'est, la demande est autorisée au CST à un très haut niveau, c'est-à-dire par quelqu'un qui me rend directement des comptes; cela peut être le chef adjoint du renseignement étrangers et un directeur général, en l'absence du premier. Il n'y a que trois personnes, en effet, qui puissent les autoriser : moi-même, mon chef adjoint et le directeur général du renseignement étranger. Nous devons être sûrs que la demande répond au critère et qu'elle correspond essentiellement aux priorités les plus hautes du gouvernement, sans quoi je peux avoir des démêlés avec le ministère de la Justice et avec le commissaire, ce qui nous nuirait. Même si on voulait répondre à d'autres priorités, ce qui n'est pas le cas, je ne le pourrais pas car nous devons miser uniquement sur l'essentiel.

Le sénateur Joyal : Supposons que vous recevez une demande d'un de ces quatre pays, et qu'elle ne satisfait pas le critère de l'un de ces éléments essentiels des Affaires étrangères? Que se passe-t-il dans ce cas-là? Qu'est-ce que vous en faites? La refusez-vous tout bonnement? Devez-vous demander l'autorisation de la refuser ou l'entente vous permet- elle d'y répondre favorablement, puisque la demande provient d'un de vos partenaires et que vous êtes liés par l'entente.

M. Coulter : Commençons d'abord par la demande qui proviendrait de nos alliés. Je ne puis y répondre favorablement si elle ne correspond pas aux priorités du gouvernement du Canada. La réciprocité permet à nos alliés de nous demander des renseignements qui font partie de nos priorités et nous permet de leur demander des renseignements qui sont prioritaires pour nous, et ils répondront favorablement si nos priorités correspondent aux leurs. C'est un partenariat dans lequel nous recevons beaucoup plus que nous ne donnons, et il faut avouer que les partenariats de ce genre permettent aujourd'hui d'être beaucoup plus efficaces. Le seul critère, c'est que cela corresponde à nos priorités.

Le critère de l'information à caractère essentiel concerne toute communication qui a quoi que ce soit à voir avec des Canadiens ou des gens au Canada. Nous ne partageons rien avec les États-Unis qui n'ait aucun lien avec les Canadiens. Comprenons-nous bien là-dessus. Tout ce que nous faisons doit avoir un objectif national. En théorie, j'imagine que nous pourrions partager de l'information avec un autre gouvernement si l'information en question avait de graves conséquences en matière de sécurité nationale pour cet autre pays. Mais tous les renseignements que nous recueillons, c'est-à-dire la petite quantité d'information que nous avons en mains, doit avoir une finalité pour le Canada et elle est partagée avec d'autres au Canada mais pas avec nos partenaires.

Le sénateur Joyal : Vous dites que si la demande correspond aux priorités essentielles, vous pourriez y répondre favorablement. Mais si la demande n'avait pas ce caractère essentiel, vous est-il arrivé de demander l'autorisation au Cabinet ou à votre ministre pour y répondre favorablement?

M. Coulter : Non, nous ne le ferions pas. Entre alliés, nous faisons notre possible. Pour notre part, nous ne pourrions répondre favorablement à une demande de ce genre parce que notre loi nous oblige à respecter les priorités du gouvernement du Canada.

Mais je peux vous dire que la National Security Agency des États-Unis est à ce point obnubilée par le terrorisme que toutes les demandes qu'elle fait ces temps-ci tournent autour de cela. La plus grande partie des demandes sont dans ce secteur, et vous pouvez comprendre qu'il y a peu de chances que nous recevions d'autres types de demandes.

Le sénateur Day : Je voudrais bien comprendre les priorités nationales. Supposons que celles-ci changent au cours de l'année, entre deux exercices annuels, par exemple. Qui vous informe? Le ministre de la Défense nationale ou le Bureau du Conseil privé?

M. Coulter : Nous sommes en train justement de revoir notre façon de faire en vue de faire de l'exercice gouvernemental un exercice semi-annuel, plutôt qu'annuel, ce qui nous permettrait au moins de réexaminer nos priorités. C'est ce que nous avons déjà fait au moins à une occasion, et cela nous semble très logique étant donné la rapidité avec laquelle le monde change.

L'exercice demande beaucoup de réflexion, et nous réussissons assez bien à fixer les grands secteurs de priorité. Mais nous avons également constaté qu'il fallait mieux opérationnaliser l'exercice. Nous avons formé un comité des besoins présidé par le BPC, c'est-à-dire par le directeur exécutif de l'évaluation internationale avec lequel nous avons des contacts quotidiens. Supposons que nous devions refuser un dossier. Nous pouvons décider de l'aborder sous un angle nouveau, mais en modifiant notre liste de priorités. Cela donne lieu à d'intenses discussions, car personne ne veut retirer quelque dossier que ce soit de la liste de priorités. Par ailleurs, il nous arrive parfois de devoir faire des réaménagements, lorsque de nouvelles demandes surgissent : je songe par exemple au déploiement de troupes dans un nouveau pays, là où il faut alimenter les Forces armées canadiennes avec des renseignements ou à une nouvelle crise diplomatique. Nous devons pouvoir faire des réaménagements.

Pendant les quatre années de mon mandat comme chef du CST, l'établissement des priorités semble avoir été bien fait. Je continue à dire qu'il nous faut apprendre à mieux les opérationnaliser, mais nous sommes sur la bonne voie. Nous sommes déjà capables de décrire notre travail à un groupe restreint de représentants de haut niveau de divers ministères. Ces gens peuvent alors nous demander d'en faire un peu plus dans tel dossier, quitte à en laisser tomber un autre ou à faire certains réaménagements, ce qui donne lieu à des discussions. Les résultats de ces discussions sont très importants pour nous, puisqu'ils nous éclairent sur ce qu'il faut faire.

Le sénateur Day : Si je comprends bien votre réponse, vos priorités sont suffisamment générales pour que vous ayez la marge de manoeuvre voulue au cours de l'année.

M. Coulter : Laissez-moi vous donner comme exemple la guerre froide. La priorité était à l'époque l'Union soviétique, mais il y avait bien des centaines de façons de s'occuper des questions liées à la conduite des opérations, aux communications, et cetera. Comme, à l'époque, l'Union soviétique était notre adversaire principal, nous discutions de l'opportunité de cibler soit la marine, soit l'aviation, et nous discutions du poids des efforts et du genre d'éléments pratiques qui correspondraient aux voeux du Cabinet; nous nous demandions si le poids des efforts misant sur cette cible était justifié.

Le sénateur Day : Vous avez dit plus tôt que vous faites rapport au ministre de la Défense nationale en passant par le Bureau du Conseil privé. Vous ai-je bien compris?

M. Coulter : En effet. La loi m'oblige à faire rapport au ministre, ou à son délégué. Pour ce qui est de la politique et des opérations, je rends compte présentement au ministre par le biais de son conseiller à la sécurité nationale au Bureau du Conseil privé, M. Bill Elliott, qui a remplacé Rob Wright la semaine dernière. Du côté administration et finances, je fais rapport au sous-ministre de la Défense nationale. Je m'occupe de tous les secteurs, tout comme le ministre. Il y a aussi deux sous-ministres, donc deux personnes très importantes, qui doivent rendre compte de ce que nous faisons. Nous nous rencontrons souvent tous les quatre pour discuter.

Le sénateur Day : Vous avez dit, dans votre présentation, que vous fournissez des renseignements à des centaines de clients un peu partout au gouvernement fédéral. Vous avez bien dit des centaines de clients?

M. Coulter : Oui, et le ministère qui compte le plus de clients, ce sont les Affaires étrangères.

Le sénateur Day : Vous divisez le ministère des Affaires étrangères en plusieurs clients?

M. Coulter : C'est exact.

Le sénateur Day : Je me disais que cela devait être difficile pour vous à administrer.

M. Coulter : Je ne pense pas qu'il y ait autant de ministères et d'organismes.

Le sénateur Day : Avez-vous un protocole d'entente avec ces centaines de clients sur l'utilisation qu'ils peuvent faire de l'information que vous leur fournissez?

M. Coulter : J'espère que ce terme n'a pas de mauvaise connotation pour vous, mais nous les endoctrinons.

Lorsqu'ils quittent leurs postes, nous les désendoctrinons. Certaines personnes qui occupent des postes clés au gouvernement sont tenues de respecter le secret à tout jamais en vertu de la Loi sur la protection de l'information, mais ce qui compte c'est qu'elles aient toutes la cote de sécurité de niveau très secret et de niveau accès spécial pour recevoir notre information. Il s'agit d'une cote de sécurité particulière qui comprend une endoctrination pendant laquelle nous leur expliquons l'importance de la confidentialité.

Le sénateur Day : Est-ce que cela inclut l'information que vous obtenez de ces cinq pays et d'autres pays?

M. Coulter : C'est tout à fait possible.

Le sénateur Day : Peut-on supposer que c'est également le cas, par exemple, en Grande-Bretagne où il y a peut-être des centaines de clients auxquels est transmise l'information que vous partagez avec vos homologues?

M. Coulter : C'est possible, si nous avons choisi de leur fournir cette information. Auparavant, nous faisons une analyse des destinataires.

Le sénateur Day : Vous contrôlez ce que vous envoyez, mais une fois que vous l'avez fourni à l'organisme général avec lequel vous avez une relation...

M. Coulter : Il est bien entendu que la diffusion est très restreinte. Prenons un exemple de la guerre froide. Si un renseignement produit par le CST sur certains événements en Union soviétique avait été fourni au Royaume-Uni et aux États-Unis, il aurait été bien entendu que ces pays pourraient en informer leurs principaux décideurs et qu'ils en seraient responsables.

Pareillement, si les États-Unis ou le Royaume-Uni ou l'Australie nous fournissaient un renseignement semblable, ce serait alors au CST de déterminer à quels clients le transmettre.

Il arrive que certains renseignements nous soient fournis à la condition qu'ils ne soient partagés qu'avec un certain groupe. Nous faisons de même. Il y a des cercles à l'intérieur des cercles. Cela dépend de la sensibilité de l'information.

Le sénateur Day : Est-ce que votre protocole d'entente sur l'utilisation que peut faire un gouvernement étranger de l'information que vous lui fournissez comporte des dispositions sur ce que vous venez de décrire, c'est-à-dire avec qui ils peuvent partager l'information, et jusqu'à quels échelons subalternes, ou est-ce que vous établissez ces conditions pour chaque renseignement que vous partagez? Ce serait pratiquement impossible, d'assortir chaque renseignement d'une liste de conditions.

M. Coulter : Nous faisons cela dans des circonstances rares. Nous avons des documents qui sont réservés aux Canadiens. Les clients qui les reçoivent doivent alors déterminer qui pourra y avoir accès au sein du gouvernement du Canada. C'est une catégorie d'information.

Puis il y a des documents qui peuvent être divulgués aux cinq pays de notre groupe. Nous pourrions fournir un renseignement à un seul pays si nous déterminions que ça n'intéresse que ce pays. Il arrive aussi rarement qu'un document ne puisse être montré qu'au président des États-Unis ou qu'il soit assujetti à une autre restriction de ce genre. C'est nous qui prenons cette décision. Nous pouvons assortir ce que nous faisons de conditions, mais il y a deux grandes catégories de documents, ceux qui peuvent être partagés avec le club de cinq pays et ceux qui sont réservés aux Canadiens.

La présidente : Je tiens à remercier nos témoins.

Nous accueillons maintenant M. MacLeod, président de l'Association canadienne des chefs de police, et Vince Westwick et Frank Ryder, coprésidents du comité de modification des lois.

[Français]

M. Vince Westwick, coprésident, Comité des amendements législatifs, Association canadienne des chefs de police : Madame la présidente, je suis coprésident du Comité des amendements législatifs de l'Association canadienne des chefs de police. Je suis accompagné du chef Edgar McLeod, président de l'association et chef du service de police régional de Cap-Breton, ainsi que du surintendant Frank Ryder, l'autre coprésident du Comité des amendements législatifs.

L'ACCP regroupe presque 950 chefs, chefs adjoints et cadres supérieurs du domaine policier. Nos membres représentent au-delà de 130 services de police de chaque région du Canada.

Un des objectifs de l'association, par l'entremise du Comité des amendements législatifs, est d'offrir des conseils et des recommandations au gouvernement concernant les lois visant la criminalité et la sécurité de la communauté. Nous sommes heureux de participer à votre examen approfondi des dispositions et de l'application de la Loi antiterroriste.

J'aimerais maintenant donner la parole au chef MacLeod.

[Traduction]

M. Edgar MacLeod, président, Association canadienne des chefs de police : Le 4 décembre 2001, l'Association canadienne des chefs de police a comparu devant le comité sénatorial qui examinait le projet de loi C-36, sous votre présidence, madame la présidente. M. Westwick faisait partie de cette délégation et il vous a exposé les opinions de l'ACCP au sujet du projet de loi C-36 et des orientations que le gouvernement canadien prenait à l'égard du terrorisme, sur le plan législatif et sur le plan du leadership. L'ACCP a participé activement au débat sur les questions importantes soulevées dans le projet de loi C-36.

En décembre 2001, nous avons appuyé le projet de loi C-36, et aujourd'hui, nous venons réaffirmer notre appui à la Loi antiterroriste. Je tiens à rappeler qu'en décembre 2001, nous préconisions que le gouvernement constitue un petit organisme centralisé pour s'occuper du terrorisme, pour coordonner l'application de la loi en cas de terrorisme et pour élaborer des pratiques exemplaires à l'intention des corps policiers de tous les niveaux.

La création de Sécurité publique et Protection civile Canada allait dans ce sens. Nous nous réjouissons des progrès que la vice-première ministre et ses collègues au sein de SPPCC réalisent en élaborant et en préconisant une démarche mieux intégrée pour les interventions de la police et l'application de la loi en cas de terrorisme.

Nous déplorons que des témoins entendus par les membres du comité et ailleurs affirment que la menace terroriste au Canada est une réalité. Nous déplorons que les Canadiens doivent subir dans leur vie quotidienne des bouleversements qui découlent de la menace terroriste. Nous déplorons également que les ressources de la police, déjà très sollicitées, aient à concrétiser plus de programmes et plus d'entraînement pour garantir un état de préparation en cas d'urgence, au palier municipal, provincial ou fédéral.

Les forces de l'ordre canadiennes ont répondu avec professionnalisme, esprit de coopération et de solidarité, et nous allons continuer de le faire. Au début de janvier 2002, l'Association canadienne des chefs de police, avec l'appui du ministère du Solliciteur général d'alors, a organisé un séminaire à l'intention des cadres policiers au Canada. Depuis, la police a continué de se renseigner, de s'adapter et de se développer. Des gravats du World Trade Center, a surgi une nouvelle orientation pour la coopération au sein de la communauté policière canadienne. Les divers corps de police au Canada ont toujours collaboré les uns avec les autres, mais désormais, au niveau fédéral, provincial et municipal, cette collaboration est plus étroite et mieux intégrée pour garantir la sécurité des citoyens canadiens et la protection de leurs collectivités.

Cela dit, notre association reconnaît que cette notion de services policiers intégrés doit aller encore plus loin. À notre réunion générale annuelle de 2004, qui s'est tenue l'été dernier à Vancouver, nous avons adopté une résolution exhortant tous les paliers de gouvernement à discuter ensemble dans le but d'élaborer et de mettre en œuvre un cadre d'orientation intégrée pour que les activités de maintien de l'ordre au Canada soient encore mieux intégrées. Un tel cadre d'orientation va se révéler extrêmement utile pour préciser les rôles et les responsabilités de chaque palier de gouvernement.

À cette fin, je suis ravi de vous annoncer que l'ACCP s'est adressée récemment au Comité des sous-ministres adjoints fédéraux-provinciaux chargés des activités de la police. Ont comparu avec nous alors la Fédération des municipalités canadiennes ainsi que l'Association canadienne des commissions de police. Ces deux organismes avaient été invités à participer à la rencontre.

À l'issue de la réunion, un solide consensus s'est dégagé à propos de la notion d'un cadre visant l'intégration des activités policières. Sécurité publique et Protection civile Canada a relevé le défi et a retenu les services d'experts- conseils afin d'arrêter les mesures pratiques nécessaires dans la poursuite de cet objectif. L'ACCP attend impatiemment les résultats de ce rapport.

En réfléchissant à notre exposé, nous nous sommes dit qu'il fallait commencer par rappeler les principes qui sous- tendent la Loi antiterroriste. Toutefois, après avoir lu les remarques du ministre de la Justice, nous nous sommes dit que nous n'avions rien à ajouter car nous pouvons compter sur une analyse détaillée qu'il a présentée au comité en février. Nous nous bornerons à dire que nous appuyons et entérinons ces principes généraux décrits si élégamment par le ministre Cotler.

Avant de demander à M. Ryder de vous entretenir du principe de prévention évoqué par le ministre Cotler, je voudrais vous parler d'une question qui a été soulevée par le comité. Il s'agit du profilage racial qui préoccupe les membres de ce comité au plus haut point. D'emblée, je vous assure que l'Association canadienne des chefs de police abonde vigoureusement dans le sens de ceux qui s'opposent au profilage racial. Notre association a adopté une résolution à l'unanimité à la conférence annuelle de l'année dernière, résolution qui porte que l'ACCP tient à préserver les libertés démocratiques, les droits de la personne et la dignité individuelle. En outre, nos membres vont agir comme chefs de file en lançant ou en consolidant des programmes et des stratégies qui font la promotion d'activités policières objectives, tout en accordant une attention particulière à la reddition de comptes au grand public, à l'élaboration des orientations, à la gestion, à la supervision, à l'équité en matière d'emploi, à l'œuvre éducative, à l'action sociale et aux partenariats.

Le Réseau de la police canadienne sur les Autochtones et la diversité (LEAD) a été mis sur pied pour que tous les organismes d'application de la loi du Canada adoptent une démarche professionnelle commune envers les collectivités autochtones et multiculturelles. Le LEAD est le fruit d'une entente entre le programme de multiculturalisme de Patrimoine canadien et l'Association canadienne des chefs de police, et a été facilité la GRC.

L'ACCP et le gouvernement fédéral se sont associés pour transformer un projet pilote de sensibilisation à la diversité en un réseau permanent et organisé, dont le but est d'éduquer et de recycler les agents, tout en leur permettant de partager les leçons tirées par les divers services de police de notre pays.

Il est dans l'intérêt des services policiers de maintenir de solides liens de confiance avec les diverses communautés qu'ils desservent.

À elle seule, la perception qu'il y a profilage racial peut mener à la méfiance. Par conséquent, les dirigeants des services policiers du Canada vont fortement insister sur l'équité et l'égalité tout en affirmant haut et clair que le maintien de l'ordre ne doit faire aucune place au profilage racial.

J'aimerais maintenant demander au surintendant en chef Ryder de parler des dispositions plus précises de la Loi antiterroriste.

M. Frank Ryder, coprésident, Comité des amendements législatifs, Association canadienne des chefs de police : Je vous remercie. Les dispositions de temporisation s'appliquent aux articles 83.28, 83.29 et 83.3, qui traitent des conditions entourant les audiences d'investigation et les engagements assortis de conditions, et c'est pourquoi l'ACCP aimerait aborder ces sujets. S'agissant de la prévention comme principe général, le ministre de la Justice a tenu les propos suivants :

Il s'agit d'un concept essentiel de notre Loi antiterroriste... qui procède d'une culture de la prévention et de l'anticipation, par opposition à une application de la loi après le fait. Cela inclut l'intégration au droit national, dans le projet de loi C-36, de l'éventail des infractions liées au terrorisme international — qui ont pour but de neutraliser et de démanteler le réseau terroriste lui-même — tout aussi bien que les mécanismes d'enquête et procéduraux, tels que la détention préventive et l'enquête d'investigation, qui visent à détecter et à dissuader au lieu de simplement poursuivre et punir.

Les Canadiens reconnaîtront volontiers qu'il est tout à fait louable d'empêcher le terrorisme sur le sol de notre pays. Le tout est de savoir par quels moyens législatifs parvenir à ce but? Nous savons fort bien que si nous tenons à respecter les normes très élevées auxquelles tiennent les Canadiens et leurs tribunaux, une telle prévention législative doit se conformer à des exigences très strictes : elle doit respecter la Charte canadienne des droits et libertés, elle doit respecter les droits de la personne, elle doit être adaptée à la gravité de la menace, elle doit faire intervenir un fonctionnaire judiciaire et elle doit comporter des garanties procédurales. L'Association canadienne des chefs de police estime que l'audience d'investigation et l'engagement assorti de conditions constituent des réponses législatives pertinentes et que ces mécanismes sont conformes aux normes très strictes exigées par les Canadiens.

Arrêtons-nous quelques moments à chacun d'entre eux. Les dispositions prévoyant un engagement assorti de conditions n'ont rien de nouveau en droit pénal canadien. En effet, depuis longtemps, un juge peut exiger de quelqu'un qu'il prenne un engagement de ce genre, naguère appelé « engagement de ne pas troubler l'ordre public ». Au milieu des années 90, à la suite des vives controverses soulevées par l'élargissement de détenus à risque élevé à la fin de leur mandat, le Parlement a adopté les articles 810.1 et 810.2 applicables l'un, dans les cas où l'on craint la récidive d'infraction à caractère sexuel, l'autre, dans ceux où l'on craint un préjudice personnel grave. Cela fait déjà plusieurs années que la police canadienne y a recours pour rassurer les collectivités et empêcher des crimes graves. Ces articles se sont révélés efficaces et cohérents, et ont été entérinés par les tribunaux canadiens. On a modifié les mesures préventives afin de les adapter aux cas de terrorisme. Les services policiers doivent satisfaire à deux conditions pour les exécuter. Ils doivent d'abord obtenir l'autorisation du procureur général du Canada ou d'une province, selon l'ordre de gouvernement ayant compétence. Ensuite, ils doivent déposer une dénonciation et faire traduire les suspects devant les tribunaux. On ne peut déroger à cette obligation que dans les cas où la dénonciation se fonderait sur une situation d'urgence, qui rendrait donc difficile de faire une demande en bonne et due forme ou bien dans le cas où une dénonciation aurait déjà été faite et que, pour des motifs raisonnables, l'agent de la paix estimerait nécessaire l'incarcération du suspect afin d'empêcher des actes terroristes. La notion de situation d'urgence est couramment utilisée en droit pénal canadien, par exemple, dans le cas du mandat Feeney. Les agents de police comprennent la notion de motifs raisonnables, et les tribunaux l'appliquent.

Les audiences d'investigation ont résisté avec succès à un examen approfondi par la Cour suprême. Ces audiences n'ont pas de visées punitives, elles donnent plutôt l'occasion d'obtenir des renseignements pouvant prévenir des actes terroristes. L'article s'assortit d'ailleurs d'une série de garanties procédurales, y compris l'autorisation du procureur général. Les deux dispositions sont de nature préventive. À chaque fois qu'on y fait appel, l'objet est de faire traduire une personne devant un tribunal, sous la surveillance d'un juge, pour atteindre l'objectif de la prévention par voie législative. C'est une bonne loi, de nature préventive et digne de recevoir l'appui renouvelé du Parlement du Canada.

Au nom de l'ACCP, nous sommes particulièrement reconnaissants au comité de pouvoir discuter encore une fois de ces importantes dispositions. Nous répondrons volontiers aux questions qu'on nous posera.

La présidente : Merci, messieurs, de votre retour parmi nous et de vos exposés. Avant de passer aux questions, j'aimerais souhaiter la bienvenue ici à une délégation du Sénat de la Malaisie, qui s'intéresse à ce sujet.

Le sénateur Stratton : La discussion d'aujourd'hui a été plutôt intéressante, y compris les renseignements relatifs au profilage racial. Messieurs, d'après vous, a-t-on raison de se concentrer aujourd'hui sur le profilage racial? Vous a-t-on demandé d'insister là-dessus?

M. MacLeod : Non. Toutefois, vous n'ignorez pas que cette question est devenue un sujet d'actualité dans notre pays et qu'elle a fait l'objet de nombreuses enquêtes. À notre avis, il suffit qu'on en parle, que ce soit fondé ou non, parce que dans nos milieux, nous faisons affaires avec des perceptions. Nous estimons important d'aborder la question et d'agir de façon proactive face aux problèmes réels ou éventuels du profilage racial.

J'arrive à peine de Vancouver, où nos agents qui travaillent sur le terrain et qui ont lancé des initiatives liées à la diversité et ont participé à l'élaboration et au fonctionnement du nouveau réseau, ont suscité beaucoup d'enthousiasme. Nous avons fini d'attendre que des incidents retentissants se produisent pour agir. Nous nous efforçons plutôt de créer des liens plus forts et un réseau national, auquel on peut participer où qu'on soit, et qui donne lieu à des échanges fructueux avec les autres. C'est une question importante, et je sais qu'elle a déjà été soulevée, mais notre décision a été cruciale à cet égard.

M. Westwick : Sénateur, cela résulte en partie des recherches que nous avons effectuées en vue de notre exposé d'aujourd'hui. Nous avons examiné les procès-verbaux des interventions d'autres témoins, et avons remarqué que des sénateurs avaient déjà posé la question. Nous avons donc décidé de l'aborder d'une manière proactive.

Le sénateur Stratton : Si vous songiez à une révision de la Loi antiterroriste, pour poursuivre la question posée par le sénateur Andreychuk ce matin, alors vous vous concentreriez davantage sur ce dont nous avons besoin. Autrement dit, vous n'avez pas abordé le réexamen de la loi proprement dit, vous êtes en train de nous dire que la loi est excellente telle quelle, qu'il n'y a pas lieu de l'améliorer. Est-ce bien ce que vous nous affirmez indirectement, du fait que vous ne proposez aucune amélioration? Ça me paraît difficile à comprendre.

M. MacLeod : Ce serait sans objet, car la loi nous satisfait telle quelle.

Le sénateur Stratton : La loi est parfaite.

M. Westwick : Il ne nous arrive pas souvent d'arriver à cette conclusion. En règle générale, lorsque nous venons devant le Parlement, c'est pour demander de nouvelles dispositions. Cela me fait penser que ce matin, il a été question de l'accès légal. La question ne fait pas partie de ce projet de loi, mais il s'agit quand même d'une partie tout à fait indispensable de la loi.

Le sénateur Stratton : Est-ce qu'il s'agit de l'écoute électronique?

M. Westwick : Oui, et aussi de la mise à jour des dispositions de la partie VI du Code criminel avec la technologie de pointe. C'est un projet de loi tout à fait capital, dont le Parlement n'est pas encore saisi, mais dont nous nous réjouissons de savoir qu'il sera étudié. Nous profitons d'ailleurs de notre présence ici pour encourager les parlementaires à en faire un examen poussé, car il est tout à fait primordial, ayant des répercussions non seulement sur ce domaine précis, mais sur nombre d'autres.

Le sénateur Stratton : Pourriez-vous nous décrire les dispositions législatives que vous aimeriez concernant l'écoute électronique?

M. Westwick : Les dispositions législatives sur l'accès légitime que la police et le milieu du renseignement réclament constituent essentiellement une modernisation des dispositions de la partie VI du Code criminel qui sont entrées en vigueur au milieu des années 70 et qui permettent l'interception de communications privées moyennant l'obtention d'une autorisation judiciaire. J'étais agent de police à l'époque et je grimpais jusqu'au haut d'un poteau de téléphone pour fixer deux pinces crocodile sur les lignes téléphoniques qu'on voulait écouter. C'est l'origine de l'expression « table d'écoute ».

Nous savons tous qu'il y a des téléphones cellulaires et toutes sortes d'autres technologies permettant des communications que nous ne pouvons intercepter. Ou bien la technologie ne nous permet pas d'intercepter ces communications, ou bien la loi ne nous confère pas le pouvoir de le faire. Le courriel, l'Internet, les BlackBerries que tout le monde a aujourd'hui ne sont pas prévus par la loi, ce qui donne lieu à des lacunes importantes dans les enquêtes.

Nous tenons beaucoup à ce que les mesures législatives proposées et tous les autres aspects techniques connexes soient étudiés très attentivement par les deux Chambres du Parlement.

M. MacLeod : En ce qui a trait au profilage racial, le projet de loi n'est pas problématique à cet égard, mais nous avons soulevé la question car nous estimons important de tenir compte du contexte dans lequel la loi est appliquée. Selon moi, le plus important, c'est que les gouvernements comprennent la nécessité de créer un cadre de politique intégrant l'application des lois par les provinces, les municipalités et les gouvernements locaux. Soixante-cinq pour cent des policiers du pays travaillent au niveau local, et nous dépendons beaucoup des informations qu'ils recueillent, de leur contribution et de leur façon d'appliquer sur le terrain cette loi et toutes les autres.

M. Westwick vient de mentionner l'accès légitime; à ce sujet, je pourrais parler de la compétence extraterritoriale de la police et de la nécessité pour la police de pouvoir mener des enquêtes au-delà des frontières provinciales sans devoir se soumettre à un processus compliqué. Dans un tel contexte, toutes ces questions se rapportent étroitement à cette loi. Voilà ce qui est important pour nous.

Le sénateur Stratton : Merci. J'ai bien aimé vos dernières remarques car il est difficile de croire que quelque gouvernement que ce soit, encore moins celui-ci, puisse atteindre la perfection dans une loi. Si vous avez des préoccupations sur des aspects pratiques de votre travail, notre comité veut le savoir.

Le sénateur Fraser : Monsieur MacLeod, je vous pose la question que j'ai posée à M. Zaccardelli ce matin.

On présume généralement qu'une certaine forme de profilage est utile dans les enquêtes criminelles. Selon vous, quelle différence y a-t-il entre le profilage des criminels et le profilage racial? À quoi vous opposez-vous exactement?

M. Ryder : Je vais tenter de répondre à cette question. Le travail de police, c'est recevoir des informations, les analyser, et agir en conséquence. Si nécessaire, nous avons recours à la répression. Le profilage des criminels, pour employer ce terme, c'est ce que nous faisons quand nous recevons des informations sur les agissements particuliers de groupes de personnes qui s'adonnent à certains types d'activités criminelles, peu importent la race, la religion ou autres aspects de ce genre. Il s'agit simplement d'analyser des informations sur un type particulier d'activité criminelle.

Le sénateur Fraser : Dans la collectivité musulmane et dans la collectivité arabe du Canada plus particulièrement, on a généralement l'impression de faire l'objet de profilage racial. Pourquoi cette perception est-elle si répandue si tout le monde s'y oppose et affirme ne pas le faire?

M. MacLeod : Quand on regarde la situation et les efforts de nos voisins, on constate qu'on s'est concentré surtout sur le Moyen-Orient. J'ai parlé du Réseau de la police canadienne sur les Autochtones et la diversité et j'ai dit — ce ne sont pas des paroles en l'air — qu'il est important de travailler en étroite collaboration avec la communauté musulmane, la communauté noire, les autres communautés ethniques et les peuples autochtones.

Si nous prenons dès maintenant les mesures qui s'imposent, sans attendre une accusation ou une enquête, si nous savons prévenir les dérapages quotidiennement — et nous y réussissons déjà —, les liens que nous entretenons avec ces collectivités se resserreront grâce à la confiance qui règnera. Souvent, il ne s'agit pas de profilage racial. On a peut-être l'impression qu'il s'agit de profilage racial. C'est à cela qu'il nous faut s'attaquer quotidiennement. Ce n'est pas simplement un projet. Cela doit devenir notre façon de faire. En toute honnêteté, je dois reconnaître que ça n'a pas été le cas jusqu'à présent. Mais quand on voit les changements démographiques qui se produisent au Canada en ce moment, on comprend qu'on ne peut rester inactif. Les gouvernements ne peuvent rester les bras croisés et attendre qu'on réclame la tenue de commissions d'enquête. Encore une fois, cela situe la loi dans le contexte dans lequel nous travaillons. Nous devons travailler avec ces communautés diversifiées et nous assurer de leur collaboration. Il n'est pas acceptable d'arrêter quelqu'un pour un simple motif de religion ou de race. Ce n'est pas la façon canadienne de faire. Nous devons retrouver la confiance de la collectivité et, pour ce faire, il faut parler de ce sujet et susciter ce dialogue.

C'est ce que nous faisons avec le Réseau de la police canadienne sur les Autochtones et la diversité, et nous sommes très enthousiastes. Nous y travaillons très fort. Nous avons des agents de première ligne qui y travaillent. Ce n'est pas seulement une initiative des chefs. Cela ne peut que donner de bons résultats. Nous allons demander aux provinces et aux municipalités de joindre leurs efforts aux nôtres.

Le sénateur Fraser : Je suis heureuse de l'entendre, mais j'essaie encore de comprendre comment la situation a évolué. Dans le mois qui a suivi le 11 septembre 2001, quand la police un peu partout au pays tentait de se débrouiller du mieux qu'elle pouvait, personne ne savait d'où proviendrait la prochaine menace, si elle serait sérieuse, si elle serait imminente et ainsi de suite. Croyez-vous que c'est pendant cette période initiale qu'a pu se développer une forme de profilage racial qui a mené à des préoccupations qui persistent, bien que vous et tous ceux qui sont chargés d'appliquer la loi nous disent qu'ils ne font pas de profilage racial et qu'ils font l'impossible pour que tous les policiers sachent bien que c'est inacceptable? Cela aurait-il pu se passer ainsi?

M. Ryder : Il est certain que dans le climat qui prévalait alors, certains ont pu avoir l'impression qu'il y avait profilage racial. Dans le monde actuel, avec CNN, tout ce qui se passe dans le monde depuis le 11 septembre fait l'objet d'une couverture médiatique sans précédent. Cela n'amène pas nécessairement les gens à croire qu'il y a profilage racial, mais cela peut donner l'impression qu'il y a peut-être eu profilage racial. Mais je vous assure que les chefs de police du Canada n'ont jamais approuvé quelque forme de profilage racial que ce soit.

Le sénateur Fraser : Je ne veux pas laisser entendre qu'il n'y ait jamais eu des politiques en ce sens. Je parle plutôt de policiers qui, dans la confusion des quelques jours, semaines ou mois qui ont suivi le 11 septembre, ce sont sentis laissés à eux-mêmes et se sont rabattus sur n'importe quelle information pour prendre parfois de mauvaises décisions.

M. Ryder : Je ne suis pas certain d'être en mesure de vous donner mon avis, car je ne sais pas de quelles décisions vous parlez.

Le sénateur Kinsella : J'aimerais revenir à un point qu'a soulevé le sénateur Stratton. Les organisations que vous représentez jugent que le projet de loi ne devrait pas être modifié. Vous êtes satisfaits du modèle existant, n'est-ce pas?

M. MacLeod : C'est exact, oui. Nous devons travailler sur le contexte.

Le sénateur Kinsella : Avez-vous songé à des dispositions qui manqueraient peut-être et qui devraient être ajoutées?

M. MacLeod : Je m'en remets à notre Comité des modifications législatives. Il s'occupe des aspects juridiques sur le terrain.

M. Westwick : De manière générale, nous sommes à l'aise avec la loi. Il y a des choses que nous aimons particulièrement, comme la création d'infractions précises. Comme nous l'avons dit dans notre allocution liminaire, nous sommes d'accord avec l'audience d'investigation. Nous savons que c'est une procédure controversée mais nous pensons que l'équilibre est juste. Nous sommes très heureux de l'engagement assorti de conditions. Nous nous préoccupons de certains aspects techniques concernant les dispositions relatives à l'écoute électronique, qui n'ont rien à voir avec la notion d'accès légitime, ce sont des détails, rien de très important.

Le sénateur Kinsella : Connaissez-vous le Patriot Act des États-Unis?

M. Westwick : Seulement de manière générale.

Le sénateur Kinsella : Y a-t-il des choses dans cette loi que nous devrions examiner dans le cadre de notre étude? Il n'y a rien qui ressort?

M. Westwick : Je ne connais pas assez bien cette loi.

Le sénateur Kinsella : Permettez-moi d'en venir au dernier aspect de cette question. Dans le projet de loi tel qu'il a été adopté par le Parlement, nous avions prévu des sauvegardes, notamment une disposition de temporisation, ce mécanisme d'examen périodique. Si j'ai bien compris votre réponse, vous seriez heureux si l'on maintenait dans la loi ce genre de disposition de surveillance?

M. Westwick : Absolument. Lorsque nous avons témoigné ici en 2001, nous ne nous sommes nullement opposés aux dispositions de temporisation et nous n'avons pas changé d'avis.

Le sénateur Kinsella : Lorsque vous étiez ici cette fois-là, on avait discuté de la nécessité de former les agents de police à ce nouveau texte de loi. Si je me souviens bien, les services provinciaux et municipaux et d'autres s'étaient en quelque sorte engagés à assurer cette formation, particulièrement en ce qui concerne les dispositions relatives à l'arrestation préventive et à l'audience d'investigation qu'on trouve dans la loi. Pouvez-vous dire au comité si cette formation a été dispensée.

M. Westwick : Oui. Comme nous l'avons mentionné dans notre allocution liminaire, l'ACCP, avec le concours du solliciteur général d'alors, a organisé un séminaire exécutif en janvier 2002. On a procédé à un examen complet de la loi au niveau exécutif. Nous étions très heureux, le dernier après-midi, lorsqu'on nous a présenté un CD qui avait été préparé pour les agents de première ligne. Ce CD a été utilisé partout au pays pour expliquer les dispositions de la loi.

Ce dont il faut se souvenir, c'est que, même s'il est important que les services policiers aient une bonne connaissance fonctionnelle de cette loi et de ses dispositions, les agents qui mènent ce genre d'enquêtes et qui adressent des recommandations à leur état-major concernant une audience d'investigation ou un engagement assorti de conditions travaillent dans un domaine très spécialisé. Ceux qui vont mener ce genre d'enquêtes sont les agents les plus chevronnés, et il s'agit d'un effectif assez restreint. Ils sont très bien formés, pas seulement aux dispositions de la loi mais aux enquêtes criminelles de manière générale. Ils savent très bien ce qu'il faut faire en matière de divulgation et de préparation d'une cause importante pour des fins judiciaires.

Le sénateur Kinsella : Comme nous le savons tous, l'un des mécanismes de sécurité qui s'offre à quiconque utilise l'Internet pour trouver toutes sortes de services, qu'il s'agisse de services financiers, de services d'information ou d'abonnement à un service de nouvelles, c'est le numéro d'identification personnel, le NIP. Les policiers du Canada ont-ils accès à un répertoire de NIP, qu'il s'agisse d'un registre bancaire, du registre d'une compagnie d'assurances, du registre d'un journal local ou de la bibliothèque locale? Dans quelle mesure les NIP du Canada sont-ils protégés par le droit à la vie privée?

M. Ryder : Malheureusement, je répondrai qu'ils sont probablement plus accessibles à ceux qui ont des desseins criminels qu'aux services de police. Manifestement, nous n'avons pas accès à ce genre d'information. Dans mon travail quotidien, je dirige un bureau d'enquête et j'ai une section du crime organisé sous mon commandement, et je ne connais pas d'endroit où nous pouvons avoir accès à ce genre d'information. J'ai aussi sous mon commandement la section de lutte contre l'escroquerie. Lorsqu'il y a moyen d'exploiter certains systèmes, il y a des criminels très habiles qui essaient d'avoir accès à des informations par Internet, et cetera, qui veulent obtenir des informations personnelles pour poursuivre leurs activités criminelles. Toute la question du vol d'identité est un véritable problème pour les services de police du Canada.

Le sénateur Kinsella : Qu'il s'agisse d'une enquête criminelle ou antiterroriste, on doit pour cela se présenter devant un juge pour demander le mandat qui vous permettra d'obtenir ce genre d'information.

M. Ryder : C'est exact.

Le sénateur Kinsella : J'ai écouté la discussion au sujet du profilage racial; comme tout le monde, cela m'intéresse. Mais je m'intéresse davantage aux compétences linguistiques des enquêteurs du Canada, quel que soit le service auquel ils appartiennent. Est-ce que vos membres des divers services, particulièrement les grandes villes, ont appris cela? Nous avons entendu le témoignage du commissaire de la GRC il y a quelque temps de cela, et il disait que dans la ville de Toronto, on y parle près de 110 langues autres que l'anglais et le français. Pour assurer le maintien de l'ordre dans une ville où l'on parle 110 langues, il me semble que ce n'est pas seulement la présence de membres des diverses communautés culturelles au sein du service de police qui est importante, c'est plutôt la connaissance qu'ont ces agents des coutumes et des habitudes, et chose encore plus importante, de la langue et des dialectes de ces communautés.

Je veux savoir ce que font les services de police du Canada, particulièrement ceux qui mènent des enquêtes antiterroristes, pour faire en sorte que leurs enquêteurs apprennent des langues. Dans quelle mesure cela fait-il problème?

M. MacLeod : D'abord, la formation de manière générale est un gros problème, au niveau des exigences, et il faut que le travail soit fait. C'est évidemment une question de capacité. Nous avons parlé de formation interculturelle. C'est difficile. Je ne dis pas qu'on ne peut pas l'assurer, mais c'est une question de capacité parce que lorsque vous formez des agents de police, ceux-ci ne sont pas dans la rue. On consacre du temps à la formation, et il faut faire cela pour être proactifs et pour avoir une réflexion stratégique.

Encore là, vous êtes le chef de police, vous devez former je ne sais combien — dans le cas de Toronto, des milliers d'agents. Comment allez-vous faire cela dans le respect de votre cadre budgétaire, sachant que vous devez retirer des agents des rues pour assurer toute cette formation? C'est difficile.

C'est également difficile pour nous. Je ne cesse d'en parler parce que je crois qu'il est important pour moi d'établir la pertinence de ce cadre d'intégration par rapport à la manière dont vous posez la question parce que, qu'il s'agisse d'antiterrorisme ou d'autre chose, nous sommes l'un des rares services au pays qui a des rapports directs avec les trois paliers de gouvernement.

La question reste posée. Les services policiers ont beau unir leurs efforts, est-ce qu'il arrive souvent aux décideurs de se réunir et d'avoir une bonne discussion sur la manière de soutenir les agents de police de première ligne de telle manière que nous puissions obtenir la formation voulue et bien utiliser nos ressources?

Le sénateur Kinsella : Il me semble que la formation linguistique est un problème en soi. À mon avis, il doit être difficile d'enseigner à des gens ces langues, quelles qu'elles soient, et de faire en sorte qu'ils acquièrent un niveau d'aisance qui leur permettra de comprendre le dialecte et l'argo, et c'est pourquoi l'action positive ou le recrutement fondé sur l'équité en matière d'emploi, lorsqu'on cherche ces compétences particulières, sont importants. Savez-vous si l'on a fait ce genre de recrutement et si l'on recherche ces compétences linguistiques dans le recrutement?

M. Ryder : Je ne peux parler qu'au nom de la Police provinciale de l'Ontario, et je n'ai pas de chiffres précis. La section de la PPO qui s'occupe d'antiterrorisme se compose de nombreux membres des diverses communautés ethniques et culturelles. Ils ont été recrutés. Cette section dispose de plusieurs capacités linguistiques différentes, et il y en a qui parlent plusieurs langues. Est-ce que ça suffit? La réponse est évidemment non. Nous devons manifestement augmenter nos effectifs si nous voulons rejoindre toutes ces communautés diverses. La langue et la culture peuvent constituer un obstacle énorme. C'est un domaine où nous tâchons constamment de nous améliorer.

Le sénateur Kinsella : Si j'ai interrogé d'autres témoins sur cette question, c'est parce que la vérificatrice générale en a parlé comme d'un problème. Selon elle, dans une situation d'urgence nationale, elle semble penser que la chaîne de commandement n'est pas aussi rigoureuse qu'elle devrait l'être. Vous représentez divers corps policiers qui pourraient intervenir dans de telles circonstances. De qui recevrez-vous vos ordres? Est-ce que cela vous préoccupe? Songez à un exemple de crise. Ainsi par exemple, qui va diriger les opérations dans le cas où un navire transportant des produits noirs se trouverait dans le port de Sydney? Est-ce que ce sera la police municipale de Sydney, la GRC ou l'armée? Le fait qu'il faudra peut-être collaborer avec les autorités militaires et le SCRS pourrait-il constituer un problème, particulièrement pour ceux d'entre vous qui représentent les corps policiers municipaux ou provinciaux?

M. MacLeod : C'est une excellente question. La sempiternelle question de la chaîne de commandement et de son fonctionnement demeure toujours pertinente. Cela nous ramène à la formation en mesures d'exception que nous avons offerte pendant des années à Arnprior. De nos jours, la police comprend bien ces circonstances et se concentre davantage sur son travail, mais il y aura toujours ce genre de discussion. Cela étant dit, il n'existe pas de cadre d'action clair. Il y a 30 ou 40 ans, nous n'avions pas à nous préoccuper de collaborer avec divers niveaux de gouvernement. Le gouvernement fédéral assumait telles responsabilités, les provinces telles autres et les administrations locales s'occupaient de ce que les provinces ne voulaient pas faire et leur cédaient.

Depuis ce temps, nous avons fait des progrès. À notre époque, on insiste pour mettre fin aux cloisonnements afin que tous les ordres de gouvernement collaborent. Comment faut-il s'y prendre cependant compte tenu de l'existence de trois ordres de gouvernement? La police a fait plus que sa part. Nous avons appris des erreurs parfois lourdes que nous avons commises, et nous partageons avec les autres et participons à l'effort collectif. Toutefois, il y a des limites à ce que nous pouvons faire.

La question au sujet du port de Sydney est très pertinente, car le gouvernement fédéral aura beau répartir les responsabilités, sur le terrain, on aura toujours de la difficulté à faire le travail. Je vous assure que dans toute collectivité, on se préoccupe de la criminalité locale. Les gens ne discutent pas de sécurité nationale, mais bien des problèmes de drogue et de vols dans leur milieu. Ils se soucient de ce qui se passe où ils habitent, ce qui est normal.

Il faut que les gouvernements fassent davantage pour concerter l'action. Les pressions voulant que nous travaillions davantage ensemble, quel que soit notre ordre de gouvernement, vont se maintenir et vont même s'intensifier. Nous travaillons de plus en plus de manière intégrée, et pas seulement dans notre propre pays. On observe cela à l'échelle internationale. Là aussi, en raison de la technologie, ainsi que M. Ryder l'a souligné, la tendance est à une plus grande collaboration. De toute façon, aux yeux des criminels, les frontières, les structures et les filières distinctes n'existent pas. Ils agissent en toute impunité à l'échelle internationale, tandis que nous nous efforçons de respecter certaines frontières. Eux ne s'en soucient pas le moindrement. Il faut donc que nous travaillions mieux de notre côté, ce qui nous ramène au projet de loi ou à tout autre instrument législatif de ce genre, ainsi qu'à la formation et à ses modalités.

Le sénateur Joyal : J'aimerais parler de la caractérisation raciale. Étant donné que nous sommes tous sensibles aux problèmes causés par les perceptions, dans quelle mesure les corps policiers canadiens ont-ils réussi à recruter davantage de leurs membres chez les musulmans ou chez les Arabes du Canada? Je vous poserai donc une question assez directe : combien d'agents de police d'origine arabe font partie de votre association nationale?

M. MacLeod : Je ne suis pas en mesure de vous donner des chiffres précis. Je peux cependant vous dire que la plupart des corps policiers ont reconnu qu'ils doivent adapter leurs politiques en matière de recrutement des ressources humaines afin de mieux refléter la population canadienne. Nous avons longuement étudié les stratégies à adopter pour régler cette question. Toutefois, malgré les améliorations que nous avons apportées, honnêtement, il nous reste encore beaucoup à faire. La première étape, c'est de reconnaître qu'il faut agir. Il y a eu des enquêtes, comme celle portant sur le cas Stonechild. Quoi qu'il en soit, nous aimerions pouvoir atteindre ces divers groupes de Canadiens lorsqu'il n'y a pas enquête afin de créer des liens avec eux. Il ne fait aucun doute que nous devons faire mieux. Nous faisons un pas dans cette direction grâce au Réseau de la police canadienne sur les Autochtones et la diversité. Le gouvernement fédéral y a consacré des sommes importantes, soit un peu plus d'un million de dollars, ce qui permet au réseau de réunir tous les corps policiers, et très franchement, l'Association canadienne des chefs de police demandera à nos comités de rendre des comptes afin de veiller à ce que nous obtenions des résultats. Nous aimerions témoigner devant votre comité et d'autres, et pouvoir rapporter que nous avons fait telle ou telle chose. Nous tenons à ce que les divers groupes ethnoculturels nous disent se sentir plus à l'aise avec les corps policiers et qu'ils ont réussi à établir des liens très forts avec eux. Les questions que vous soulevez sont importantes et pertinentes. Tout ce que je peux répondre, c'est que les dirigeants des forces policières se sont mis à la tâche. J'ai bon espoir qu'on va assister à des améliorations.

Nous avons dû apprendre de dures leçons. Nous avons vu ce qui s'est passé dans notre pays. La police le prend personnellement, et c'est ce que nous devrions faire. Notre Comité des ressources humaines étudie les moyens à prendre pour convaincre davantage de candidats des groupes ethnoculturels à poser leur candidature auprès des forces policières. Dans les pays d'origine de bon nombre de ces groupes, les rapports avec la police étaient marqués par la méfiance. Comment s'y prendre pour changer cela? On peut le faire seulement en créant des rapports réciproques et des échanges avec leurs collectivités, et c'est ce vers quoi nous nous dirigeons en ce moment.

Le sénateur Joyal : À votre avis, vous n'avez pas en main tous les mécanismes dont vous auriez besoin pour concevoir une stratégie de communications et des programmes destinés aux écoles et aux communautés ethnoculturelles, afin de les renseigner sur vos objectifs, à savoir de faire participer ces groupes au maintien de l'ordre dans la société.

M. MacLeod : Je peux vous assurer qu'aujourd'hui, et il en est ainsi la plupart du temps, des agents de police s'occupent de façon positive de questions liées aux groupes ethnoculturels, un peu partout dans notre pays. Je peux aussi vous dire sans exagérer que nous avons obtenu de nombreux succès. Malheureusement, nous n'en entendons pas parler, parce qu'ils ne sont pas rapportés à la une des journaux. Cela serait différent toutefois si on créait un réseau semblable à celui qui existe déjà au sujet des Autochtones, mais qui partagerait celui-là les renseignements grâce à des moyens électroniques. Nous apprendrions ainsi que quelqu'un à Calgary a résolu tels problèmes liés à un groupe ethnoculturel, et les renseignements pourraient ensuite servir aux autres corps policiers du pays lorsque le même problème se représente ailleurs. Nous avons besoin des communications pour répandre nos succès au Canada. On entend parler de la plupart des échecs, mais pas de nos réussites. L'idée d'un tel réseau nous ramène aussi au projet de loi et aux raisons qui justifient notre présence ici. Si les membres des communautés ethnoculturelles font confiance à nos services policiers, alors les perceptions négatives commencent à reculer.

Le sénateur Joyal : Est-il juste d'affirmer que vous n'avez pas encore tous les moyens nécessaires pour savoir dans quelle mesure vous avez incité les membres des groupes ethnoculturels à participer à la réalisation des objectifs de sécurité de la loi?

M. MacLeod : Je le reconnais. Nous avons bien réussi à mesurer le succès de certains programmes locaux. Toutefois, faute de mécanismes appropriés, nous ne pouvons le faire à l'échelle nationale, et il faut que nous améliorions cela.

Le sénateur Joyal : Vous avez déjà parlé de l'objectif de l'intégration dans votre exposé et dans vos échanges avec le sénateur Kinsella, et à ce sujet, je crois que tout le monde ici sera d'accord. Cela dit, lorsqu'on cherche à faire de l'intégration, il faut définir les priorités et les « urgences ». Comment envisagez-vous cet objectif par rapport au projet de loi, y compris l'aspect de la sécurité liée au SRAS en Ontario, à la grippe aviaire et à la guerre bactériologique, qui pourrait s'étendre rapidement dans une région donnée? Quelle est votre priorité? Sur quels aspects de vos activités est- ce que les autorités et la ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile devraient concentrer leurs efforts, compte tenu du rôle déclencheur des autorités provinciales?

M. MacLeod : Il faudra que nous discutions plus longuement de cela, mais je vais résumer notre position actuelle. Nous avons adopté à l'unanimité une résolution sur l'intégration des activités policières à Vancouver. Quelle a été la volonté clairement exprimée par les dirigeants des corps policiers? Des organismes comme l'Association canadienne des chefs de police, la GRC, la Police provinciale de l'Ontario, la Sûreté du Québec et des associations municipales se réunissent d'ailleurs pour en discuter. Il faut que nous pressions tous les gouvernements d'en discuter davantage. Nous en avons parlé à la vice-première ministre, et elle s'est montrée enthousiasme. Nous avons aussi discuté du SRAS et d'autres circonstances qui constituent des situations d'exception et où il faut que cette façon de procéder soit mise en œuvre. Les gouvernements doivent comprendre leurs rôles et leurs responsabilités, car s'il y a confusion, ou si on se retrouve dans une situation telle que tout le monde assume des responsabilités mais que les responsabilités gouvernementales ne sont pas définies, alors il sera difficile de demander des comptes. Si lors d'une crise comme le SRAS, tous les ordres de gouvernement interviennent, alors il importe que chacun d'entre eux ait une idée claire de ses responsabilités. Une fois que cela sera fait, on pourra commencer à élaborer le cadre politique menant à un commandement unifié et à des démarches partagées.

Les sous-ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux que nous avons rencontrés se sont montrés favorables. La Fédération canadienne des municipalités participait également aux discussions et elle a d'ailleurs retenu les services de consultants pour étudier le sujet sur lequel vous venez de m'interroger. La question des services policiers est vaste et complexe, et lorsque trois ordres de gouvernement y participent, vous pouvez vous imaginer tout ce que cela suppose. Nous allons d'abord commencer par adopter une définition des « services intégrés » et poursuivre sur cette lancée. Nous sommes ravis d'apprendre que la vice-première ministre est favorable à l'idée. Nous y tenons énormément et allons donc continuer à insister pour qu'on discute davantage d'un cadre politique. Nous qui travaillons sur le terrain, devons savoir qui paie la note, d'où viendront les ressources et comment nous concerterons nos efforts afin de mettre sur pied les services d'intervention que vous avez évoqués.

Bien entendu, des questions telles que le SRAS et d'autres débordent de beaucoup les services policiers et concernent aussi la médecine. Les organismes provinciaux de mesures d'urgence ont déjà réalisé beaucoup de choses à cet égard. Je peux parler de ce qui se passe en Nouvelle-Écosse, et je sais aussi que l'Ontario et d'autres provinces ont tenu beaucoup d'exercices de simulation de situation d'urgence. Nous nous sommes donc améliorés, mais il reste encore beaucoup de chose à faire.

Le sénateur Joyal : À votre avis, faut-il que nous connaissions toutes les ramifications des situations d'exception et concevoir une démarche que partageraient tous les intervenants que vous avez mentionnés? Compte tenu de votre expérience, estimez-vous que les dispositions actuelles permettent de tenir du compte du travail du sur le terrain?

M. MacLeod : Le travail doit s'effectuer à deux niveaux, car nous ne pouvons nous contenter de considérations uniquement stratégiques, nous devons aussi tenir compte de l'aspect pratique. Nous devons réfléchir de manière stratégique dans tous les ordres de gouvernement, tout en nous tournant vers l'avenir. Les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux ainsi que les administrations municipales doivent donc être représentés — mais rappelons que 65 p. 100 des services policiers de ce pays sont assumés par les autorités locales.

Il faut travailler à ce niveau. Entre temps, à l'Association canadienne des chefs de police, nous faisons notre part en tenant des stages de formation pratique et en réunissant les corps policiers afin qu'ils discutent d'interopérabilité. Le Comité des amendements législatifs est constitué de représentants des corps policiers de partout au pays et des niveaux fédéral, provincial et territorial. Nous sommes toutefois à la limite de nos ressources, car notre organisme n'est pas gouvernemental, mais plutôt sans but lucratif, et il se soucie de bien faire fonctionner les choses. Nous sommes incontournables du fait que nous comptons des membres des services policiers des trois ordres de gouvernement.

En guise de demande principale, je vous prierais de nous obtenir du soutien financier afin que nous puissions faire avancer la cause. Nous ne nous soucions pas d'abord de nos membres, mais de la sécurité du public. C'est un principe fondamental et la marque de notre association.

La présidente : Monsieur MacLeod, je suis sûr que votre témoignage ne passera pas inaperçu.

Le sénateur Day : Vos propos au sujet des interventions en cas d'urgence et de l'interopérabilité m'amènent à vous poser une première question, ou plutôt à vous demander un éclaircissement. Je sais déjà que le gouvernement a en réserve des sommes considérables à affecter aux mesures d'exception, aux services d'incendie et autres services de premières lignes. Est-ce que ces montants servent également à financer l'interopérabilité policière?

M. MacLeod : L'interopérabilité s'est rendue jusqu'à la base. Ainsi par exemple, en Colombie-Britannique, la province a été le fer de lance d'une initiative, d'ailleurs couronnée de succès, mais ensuite la GRC et les polices locales ont emboîté le pas, et ensemble, nous sommes en train de mettre sur pied un système commun de gestion des dossier. C'est un exemple parmi d'autres. Il y a en de toutes sortes à l'échelle régionale.

Le sénateur Day : Est-ce que l'argent du fédéral a été affecté à l'interopérabilité policière?

M. Macleod : À la GRC oui, mais j'ignore si c'est le cas pour les autres services policiers.

M. Ryder : Il est difficile de répondre à cela de façon précise. Vous avez entendu le témoignage du commissaire de la GRC aujourd'hui. Le fait qu'il soit venu ici pour parler de services intégrés, et en compagnie de notre commissaire et du chef Bevan, est en soi très éloquent. Il y a des opérations conjointes de diverses sortes. La Police provinciale de l'Ontario participe à 19 d'entre elles en collaboration avec la province, et nous en dirigeons sept. Bien entendu, d'autres corps policiers, dont la GRC, en dirige d'autres. Ces services d'interfonctionnement sont financés grâce à diverses formules; il peut donc parfois y avoir de l'argent du fédéral, et on partage parfois des systèmes de radio, et cetera, afin qu'il y ait intégration complète. C'est pour cela qu'il est difficile de préciser quelles sont les sommes que le fédéral donne pour ces initiatives. Il y a contrepartie cependant, car parfois, une autre municipalité ou la police provinciale fournira des ressources incluant véhicules, ordinateurs et téléavertisseurs, afin de faciliter ce travail en commun.

Le sénateur Day : Nous avons beaucoup entendu parler de l'intégration sur le plan de la sécurité policière. Est-ce qu'on peut encore envisager la question ainsi, de façon cloisonnée, par rapport au terrorisme et au crime organisé, ou est-ce qu'il y a aussi beaucoup de services intégrés s'occupant de ce genre de choses?

M. Westwick : Au niveau concret, oui, il y a énormément de services intégrés. La difficulté là-dedans, et cela cause tellement de mécontentement dans la police, c'est que le corps policier doit encore faire face avec toute une gamme de problèmes pratiques; ainsi, par exemple, les problèmes posés par l'existence de la Région de la capitale nationale ici. Cela dit, il est difficile d'imaginer un événement ou un incident d'envergure, qu'il s'agisse de terrorisme, d'activité du crime organisé ou de sécurité publique — ici, je pense aux visites d'importants dignitaires, aux réunions du G20, et cetera — qui ne fonctionne pas de manière intégrée. Un arrangement normalisé prévoit le déroulement des choses dans ces cas. À chaque fois qu'un de ces événements survient, des nuées d'avocats scrutent des documents et des ententes au sujet de la responsabilité et de l'exercice de l'autorité.

Ainsi par exemple, lorsque le président des États-Unis est venu ici en novembre dernier, nous avons demandé l'aide de la Sûreté, qui souhaitait vivement collaborer. Deux cents cinquante membres ont donc fait le trajet en autocar de Québec jusqu'à Ottawa, car ils avaient travaillé auparavant dans cette ville. Ça leur a pris toute la nuit. Ils souhaitaient vivement nous aider, et d'ailleurs nous en avions besoin, mais nous avons eu de la difficulté à les assermenter en tant qu'agents autorisés en Ontario. Personne ne s'opposait à leur participation, mais les tracasseries administratives et d'autres dispositions étaient très lourdes. D'ailleurs, huit des membres du groupe de contrôle des foules n'ont pu être assermentés parce qu'ils étaient considérés comme des auxiliaires et que nous avions mal épelé leur nom.

Lorsqu'on doit être déployé lors d'un événement comme une visite présidentielle, on en est réduit à se demander ce qu'on peut faire. En fin de compte, tout s'est bien passé, mais nous nous inquiétons toujours des risques que nous courons. Nous n'aimons pas penser qu'il n'a pas été possible d'avoir accès à tout le monde que nous voulions à cause de problèmes de ce genre. Je sais qu'à la Police provinciale de l'Ontario, on pense la même chose. Il existe toutes sortes de caractéristiques dans un pays comme le nôtre, mais sur les plans des services policiers, de la sécurité des agents, de la responsabilité et du commandement et de la maîtrise de la situation, elles nous compliquent la vie.

Au niveau concret, particulièrement dans la région de la capitale nationale, nous avons réussi à résoudre ces problèmes. Il n'empêche que dans chacune des municipalités de notre pays, il faut refaire ce travail et tenant compte de particularités différentes, et c'est énorme.

Le sénateur Day : Ma dernière question portera sur le projet de loi antiterroriste dont nous sommes saisis. En vertu de la loi, il y a obligation d'examiner les motifs, ce qui n'est pas courant dans une enquête criminelle habituelle. Maintenant, on se demande s'il y a lieu d'amender cette disposition. En avez-vous discuté, avez-vous un avis sur la question, c'est-à-dire sur l'exigence de scruter l'élément politique, religieux ou idéologique qui pourrait motiver un geste terroriste?

M. Westwick : J'ai pu entendre la discussion de ce matin sur le sujet, je comprends donc les raisons de la question.

À notre connaissance, et nous y avons réfléchi pendant la pause déjeuner, ce libellé a été inscrit par les rédacteurs afin de limiter la portée de la disposition. Ainsi que le précisait madame le sénateur Andreychuk, les parlementaires ont ajouté un facteur afin de limiter la portée de l'article (1.1) pour une plus grande concentration. En tant que policier, je peux dire qu'une définition se concentrant sur le terrorisme nous paraît satisfaisante. Ainsi que le chef Bevan le disait ce matin, il nous faut une définition précise. Les efforts de définition n'ont peut-être pas porté fruit cependant. Il faudra peut-être donc s'adresser à un rédacteur législatif pour obtenir la bonne réponse.

Quoiqu'il en soit, à mon avis, une telle obligation n'est pas nécessaire, elle n'ajoute rien. Elle impose des normes plus élevées en ce qui a trait aux enquêtes. Lorsqu'on lance un processus d'enquête avant d'aller devant les tribunaux, il faut maintenant se conformer à des exigences plus strictes en la matière parce qu'il faut tenir compte de l'un de ces éléments pour déclencher des interventions.

Pour ma part, je connais mes limites, je m'en remets donc au rédacteur législatif du ministère de la Justice pour savoir comment atteindre cet objectif précis.

Le sénateur Day : Les dispositions exigent que vous étudiiez les motifs politiques ou idéologues. Or, règle générale, ça n'est pas le genre de choses que l'on fait dans une enquête policière. Voilà où je voulais en venir.

M. Westwick : Non.

Le sénateur Lynch-Staunton : Ce matin, j'aurais aimé poser une question au commissaire, mais le temps nous a manqué. Je le ferai donc à son retour. Je tiens cependant à la poser à vous trois aussi, car vous travaillez en première ligne. Selon un témoin du gouvernement, malgré le fait que le projet de loi C-36 ne sera probablement presque jamais mis en œuvre, voire peut-être même jamais, il devrait être quand même être adopté pour sa valeur dissuasive. Maintenant, le témoin d'Ottawa nous dit qu'il faut le considérer davantage comme une politique d'assurance. L'argument me paraît fondé.

Estimez-vous vous aussi que les lois ont une valeur dissuasive, c'est-à-dire que du fait de leur existence, elles dissuaderont les gens de commettre des gestes illégaux? C'est une question plutôt abstraite que je pose à chacun d'entre vous. Pour ma part, je trouve l'argument difficile à accepter, mais je suis prêt à me laisser convaincre.

M. Ryder : Je suis de votre avis. Je sais qu'on discute de la valeur de mesures dissuasives précises ou générales. Lorsqu'on parle de cela, je me dis parfois que la peur la plus grande, c'est de se faire pincer plutôt que d'être puni.

Si l'on parle maintenant de certains des incidents terroristes observés par le passé, surtout ceux causés par les bombes humaines, les gens qui commettent ces actes n'ont certainement peur ni d'être pincés ni de toute autre conséquence, parce qu'ils sont prêts à perdre la vie.

M. MacLeod : C'est une question difficile. Je vous dirai ce que j'en pense personnellement. En effet, je ne voudrais pas que mes collègues de l'association s'en prennent à moi du fait que j'ai osé parler en leur nom.

Je pense que cela a un effet limité, et j'ignore comment on peut le mesurer. À mon avis, il faut concentrer de plus en plus d'efforts à l'étude des motifs, des raisons pour lesquelles les gens posent de tels gestes. C'est pour cela que nous tenons tellement aux stratégies positives dont nous vous avons parlé par rapport à la diversité, et le reste. Lorsqu'on étudie les raisons pour lesquelles les gens veulent commettre des actes aussi terribles, des actes terroristes, on se penche ainsi sur des questions à plus long terme et plus difficiles, on ne se contente pas de solutions partielles et éphémères.

Le sénateur Lynch-Staunton : On a demandé au directeur du SCRS pourquoi ce genre de choses se produisaient. Il nous a répondu que règle générale, le terroriste est un homme âgé d'entre 25 et 35 ans, et cetera, mais qu'en est-il de ses motifs? Qu'est-ce qui le pousse à agir, est-ce la haine? Est-ce que ce sont des préjugés? Est-ce quelque chose qu'on a fait qui pourrait l'avoir mené à perpétrer quelque chose d'aussi extrême? Est-ce que quelqu'un a étudié cela? Malgré tout le respect que j'ai pour le SCRS, l'organisme n'a pas semblé être en mesure de me répondre.

M. MacLeod : C'est une question très difficile. Pour ma part, je pense que si vous créez des mécanismes pour réunir les gens afin qu'ils puissent parler, communiquer, il y a de bonnes chances que ce soit utile.

Le sénateur Lynch-Staunton : Peut-être pour dire que vous êtes désolé.

M. MacLeod : Tout simplement pour parler des conditions, pour créer ces situations.

Le sénateur Lynch-Staunton : Nous dépassons le cadre de ma question, qui était de savoir si la loi a un effet dissuasif.

M. Westwick : J'ai du mal à imaginer un terroriste en puissance prenant le projet de loi C-36 pour le lire avant de décider s'il ou elle va agir. Excusez ce ton désinvolte.

Ce qu'il y a d'incroyablement important dans la Loi antiterroriste, et que nous avons souligné dans notre présentation d'ouverture — en mettant l'accent sur le principe fondamental signalé par le ministre de la Justice — c'est l'élément préventif, à ne pas confondre avec l'effet dissuasif. Ce que nous avons trouvé très utile dans la Loi antiterroriste, ce sont les mesures que peuvent prendre les services policiers. Il y a des options d'enquête comme les audiences d'investigation et l'engagement assorti de conditions qui permettent à la police d'intervenir avant qu'un désastre se produise plutôt que de simplement faire enquête après le fait pour déterminer quelle accusation porter contre les auteurs. Je ne sais pas si les gens utilisent les termes « dissuasion » et « prévention » de manière interchangeable, mais à mon avis, ils ne sont pas interchangeables. Ce sont des concepts différents et j'appuie fermement le principe de la prévention, qui se trouve dans la loi, ce qui fait trop souvent défaut dans les lois criminelles ou quasi criminelles. Très franchement, je pense que le gouvernement du Canada a trouvé la bonne solution. On ne me cite pas souvent comme ayant dit cela, mais je crois qu'on a trouvé un équilibre important.

Le sénateur Lynch-Staunton : Merci.

La présidente : Merci encore une fois à vous tous. Ce fut un plaisir de vous accueillir. Nous vous souhaitons bonne chance dans vos efforts et vos démarches quotidiennes pour lutter contre l'un des problèmes les plus difficiles dans ce pays. Nous avons été heureux de constater dans quel état d'esprit vous êtes venus ici et de voir que vous êtes confiants dans votre succès.

Chers collègues, nous nous réunirons à nouveau lundi prochain. Préparez-vous non seulement pour des séances le matin et l'après-midi mais nous aurons également une vidéoconférence en soirée avec un témoin de l'Australie.

La séance est levée.


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