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ANTT - Comité spécial

Antiterrorisme (Spécial)

 

Délibérations du comité sénatorial spécial sur la
Loi antiterroriste

Fascicule 8 - Témoignages - Séance de l'après-midi


OTTAWA, le lundi 18 avril 2005

Le Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste se réunit aujourd'hui à 13 heures pour procéder à un examen approfondi des dispositions et de l'application de la Loi antiterroriste (L.C. 2001, ch.41).

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, je déclare la séance ouverte. Il s'agit de la dix-septième séance au cours de laquelle nous entendrons des témoins. À l'intention de nos téléspectateurs, je vais expliquer l'objet du comité.

En octobre 2001, en réaction directe aux attaques terroristes survenues à New York, à Washington, D.C., et en Pennsylvanie, et à la demande des Nations Unies, le gouvernement canadien a présenté le projet de loi C-36, la Loi antiterroriste. Étant donné l'urgence de la situation à l'époque, le Parlement a été invité à accélérer l'étude du projet de loi, et nous avons accepté. L'échéance pour l'adoption du projet de loi avait été fixée à la mi-décembre de 2001.

Cependant, certains trouvaient qu'il était difficile d'effectuer une évaluation complète de l'incidence potentielle de cette mesure législative en si peu de temps. Pour cette raison, il a été entendu que le Parlement examinerait, dans trois ans, les dispositions de la loi et ses répercussions sur les Canadiens, profitant ainsi du recul qu'il aurait pris et d'un climat beaucoup plus calme. Les travaux du comité spécial viennent concrétiser cet engagement pour ce qui est du Sénat.

Lorsque nous aurons terminé notre étude, nous allons présenter au Sénat un rapport qui exposera les points sur lesquels il faudrait se pencher selon nous. De plus, les résultats de nos travaux seront mis à la disposition du gouvernement et de la population canadienne. Je signale que la Chambre des communes a entrepris un processus analogue.

À ce jour, le comité a rencontré des ministres et des fonctionnaires du gouvernement, des experts canadiens et étrangers en matière de menace, des spécialistes en droit ainsi que des intervenants chargés d'appliquer la loi et de recueillir des renseignements de sécurité. Cet après-midi, nous discuterons de la surveillance des activités de renseignement de sécurité et des services policiers.

Mme Shirley Heafey, présidente de la Commission des plaintes du public contre la GRC, ainsi que Steve McDonell, conseiller juridique principal de cet organisme, sont des nôtres aujourd'hui. De plus, du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, nous accueillons Susan Pollak, directeur exécutif, et Sharon Hamilton, conseillère principale en recherche. Elles sont accompagnées de Tim Farr, directeur exécutif associé, et Marian McGrath, conseillère juridique principale, qui les aideront à répondre aux questions.

Comme d'habitude, honorables sénateurs, et comme nous l'avons constaté ce matin, il s'agit de rencontres intéressantes et nous aimerions profiter au maximum du temps prévu pour les questions et réponses. Je vous incite donc à être aussi concis que possible dans vos questions et réponses pour que tous les sénateurs puissent aller chercher l'information dont le comité a besoin.

Mme Shirley Heafey, présidente, Commission des plaintes du public contre la GRC : Bon après-midi, honorables sénateurs et madame la présidente. Je vous remercie de votre invitation. Comme l'a dit la présidente, cette question est importante.

Pour débuter, j'aimerais vous faire part de mon expérience professionnelle qui est directement liée à discussion d'aujourd'hui. Je suis présidente de la Commission des plaintes du public contre la GRC, que j'appellerai la CPP, depuis près de huit ans et j'ai été membre à temps partiel de ce même organisme pendant deux ans auparavant. Jai aussi été chef des plaintes et enquêteur principal du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, le CSARS, pendant quatre ans.

[Français]

Il s'agit d'une période difficile pour les services de police et les services de sécurité depuis les évènements du 11 septembre. C'est une période difficile pour les organismes de surveillance qui doivent examiner la conduite des personnes responsables de ces activités. Les organismes de surveillance se retrouvent souvent dans une situation où ils doivent critiquer les activités des personnes qui travaillent fort à assurer notre sécurité.

[Traduction]

Cependant, compte tenu des pouvoirs extraordinaires conférés à nos services de police et à nos services de sécurité nationale, il est essentiel que les activités de ces derniers fassent l'objet d'une surveillance efficace pour assurer le maintien des libertés civiles et des droits de la personne dont nous jouissons. Comme vous le savez, la Loi antiterroriste est de nature préventive. Ce qui est logique. À quoi bon adopter une loi qui servirait à nettoyer les dégâts après coup. Toutefois, cela est une arme à deux tranchants.

Les services de police peuvent, par exemple, obtenir un mandat de perquisition pour fouiller une maison et ne jamais porter d'accusation s'ils ne trouvent rien. Cela est fait au nom de la prévention. Si aucune accusation n'est jamais portée, la personne dont la maison a été fouillée et qui s'opposait à une telle fouille n'a d'autre recours que de faire appel à la CPP. Cependant, la GRC refuse de nous donner accès à des renseignements pertinents, ce qui d'après nous va à l'encontre de la Loi sur la GRC, car cette loi oblige la GRC à nous fournir tous les renseignements qui concernent une plainte.

Nous ne pouvons examiner efficacement les plaintes quand on refuse de nous donner accès aux renseignements. Nous avons actuellement entre nos mains deux dossiers concernant des activités de la GRC en matière de sécurité nationale que nous ne pouvons traiter en raison du peu d'information qui nous a été fournie.

Évidemment, nous avons une sérieuse divergence d'opinion avec la GRC à ce sujet. Nous croyons avoir le mandat pour effectuer le travail, mais nous n'avons pas les outils pour appliquer ce mandat.

En fait, contrairement au SCRS, notre service de police nationale ne fait pas l'objet d'une surveillance efficace par des civils. Cela est d'autant plus vrai en ce qui concerne les activités en matière de sécurité nationale dont il est responsable depuis la promulgation de la Loi antiterroriste.

[Français]

Par exemple, la GRC a le droit de présenter une demande à un juge pour obtenir un mandat de perquisition, de perquisitionner une résidence, ne porter aucune accusation possiblement en raison du fait qu'aucun élément de preuve d'acte pré-judiciaire n'a été trouvé et aucun organisme civil n'a présentement la compétence d'examiner le mandat de perquisition afin de vérifier les renseignements. Les tribunaux se fient à la déclaration sous serment d'un policier. Ils ne disposent pas assez de temps pour vérifier les renseignements au dossier pouvant appuyer la demande d'un mandat. En ce qui concerne le service de sécurité, c'est le comité de surveillance et l'inspecteur général du service de sécurité qui s'acquittent de cette fonction, mais personne n'accomplit cette tâche à l'égard de la GRC.

[Traduction]

De plus, la CPP ne détient aucun pouvoir de vérification des dossiers de la GRC. La CPP ne peut agir que si une plainte est déposée. Si personne ne dépose de plainte, nous n'en saurons rien. Dans le cas des membres des collectivités musulmanes, depuis les événements du 11 septembre, on ne souhaite guère attirer l'attention sur soi-même et on craint des représailles de la part de la police si on décide de déposer une plainte concernant la conduite de la police. Bien des gens au Canada viennent de pays où la police exerce des représailles et ils n'ont pas l'habitude de penser que les policiers assument un rôle de protecteurs.

En tant que présidente de la CPP, je suis autorisée à formuler une plainte en ce qui concerne la conduite de la GRC. Cependant, je dois être informée de l'incident avant de pouvoir déposer une plainte. À moins qu'on ne parle beaucoup d'un incident en particulier et que j'en sois avisée par le biais des médias, par exemple, la CPP n'en sera jamais informée.

[Français]

J'aimerais donc maintenant profiter de l'occasion pour clarifier certains renseignements dont le commissaire Zaccardelli a fait part au sénateur Fraser lorsqu'il a comparu devant vous la semaine dernière.

[Traduction]

Lors d'un échange entre le sénateur Fraser et le commissaire Zaccardelli la semaine dernière, qui se trouve à la page 1030-20 de vos délibérations, on a laissé entendre que le sénateur Fraser avait tort de croire qu'il devait y avoir une plainte précise sur un incident précis pour que la CPP puisse agir. Le sénateur Fraser n'avait pas tort. L'enquête sur les poursuites policières dont a parlé le commissaire découle d'une plainte déposée par un membre du public.

Je ne tente pas de ressasser les souvenirs du commissaire quant à une affaire qui date de plusieurs années, mais sa déclaration pourrait vous induire en erreur et vous faire croire que la CPP, à l'instar du CSARS, détient un pouvoir de vérification des activités de la GRC. Par vérification, j'entends l'examen de dossiers donnés pour lesquels aucune plainte n'a été formulée. Nous ne pouvons demander, par exemple, d'examiner dix dossiers qui comportent des fouilles dans une période donnée. Le CSARS a toutefois le pouvoir de vérifier les activités du SCRS. Je crois que la CPP a besoin elle aussi de ce pouvoir pour bien examiner la conduite de la GRC.

[Français]

Lorsque la CPP a été créée en 1988, la GRC ne participait pas aux activités de sécurité nationale et au recueil de renseignement comme elle le fait maintenant. Le service de sécurité était devenu une entité distincte et indépendante qui exerçait ses fonctions. La GRC participe à cette tâche depuis les évènements du 11 septembre. En conséquence de ses nouveaux pouvoirs, la CPP doit avoir aussi l'autorisation d'examiner ces activités.

[Traduction]

Enfin, la GRC n'a pas demandé ces nouveaux pouvoirs après les événements du 11 septembre, mais ces pouvoirs lui ont tout de même été conférés. Selon nous, des pouvoirs accrus doivent s'accompagner de responsabilités accrues. Je suis d'accord avec la suggestion formulée par le sénateur Fraser la semaine dernière dans sa question au commissaire Zaccardelli, à savoir qu'un examen civil efficace de la GRC dépend de la capacité de la CPP d'effectuer des examens de façon autonome, sans qu'une plainte soit déposée.

Mme Susan Pollak, directrice exécutive, Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité : Bon après- midi. J'aimerais tout d'abord vous transmettre les salutations de la présidente et des autres membres du comité qui n'ont pu se joindre à nous aujourd'hui. Je parlerai en leur nom, en ma qualité de directeur exécutif. C'est pour moi un grand honneur de vous parler aujourd'hui. J'espère sincèrement que mes observations vous aideront dans votre examen de la Loi antiterroriste.

J'aborderai trois éléments. Tout d'abord, je survolerai très rapidement le rôle du CSARS. Ensuite, je parlerai du premier examen du CSARS sur une activité du SCRS découlant directement de la Loi antiterroriste, plus précisément le rôle de ce dernier dans le processus d'inscription des entités terroristes. Enfin, je ferai quelques observations sur la Loi sur la protection de l'information, modifiée par la Loi antiterroriste, en ce qui concerne le rôle du CSARS dans la défense d'intérêt public dont peut se prévaloir une personne astreinte au secret à perpétuité qui divulgue des renseignements classifiés.

Le CSARS est un organisme d'examen externe indépendant du gouvernement. Il a été établi pour donner au Parlement l'assurance que le SCRS respecte la loi dans l'exercice de ses fonctions. Ce faisant, le comité veille à ce que le SCRS ne brime pas les droits et libertés fondamentaux des Canadiens dans le cadre de son mandat qui consiste à protéger le pays contre les menaces à la sécurité nationale.

Le CSARS est le seul organisme externe indépendant qui a le mandat légal et l'expertise nécessaire pour examiner les activités du SCRS. Par « indépendant » et « externe », je veux dire que le CSARS n'a pas de lien de dépendance à l'égard du gouvernement et qu'il n'a pas à faire rapport à aucun ministre; il fait rapport directement au Parlement.

Le CSARS se compose actuellement de l'honorable madame Paule Gauthier, l'honorable Gary Filmon, l'honorable Roy Romanow, l'honorable Baljit Chadha et l'honorable Raymond Speaker.

Le CSARS a deux grandes responsabilités : examiner les activités du SCRS et enquêter sur les plaintes. Nous examinons les activités du SCRS en fonction des quatre éléments qui forment son cadre législatif et stratégique, à savoir la Loi sur le SCRS, les instructions ministérielles, les exigences nationales en matière de renseignement de sécurité et les politiques opérationnelles du SCRS.

Le CSARS a le pouvoir absolu d'examiner toutes les activités du SCRS, même si l'information en cause est de nature délicate et qu'elle est classifiée. Seuls les renseignements confidentiels du Cabinet ne peuvent lui être soumis. Je tiens à souligner que le comité examine seulement le rendement du SCRS après les faits, c'est-à-dire qu'il examine les activités passées. Nous n'avons pas pour but d'assurer une surveillance des activités courantes du SCRS.

Le CSARS enquête aussi sur les plaintes concernant les activités du SCRS, les plaintes concernant le refus ou la révocation d'habilitations de sécurité, les rapports du ministre relatifs à la Loi sur la citoyenneté et, enfin, les plaintes déposées en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne renvoyées au CSARS pour des raisons de sécurité nationale. Le comité publie des rapports et fait des recommandations au directeur et au ministre; il transmet également ses constatations au plaignant.

Pour en apprendre davantage au sujet du CSARS, il suffit de visiter notre site Web. J'ai apporté des copies de notre dernier rapport annuel au Parlement ainsi qu'une petite publication intitulée « Réflexions » qui relate les 20 ans d'histoire du CSARS et décrit certains des défis qu'il doit maintenant relever.

Pour ce qui est du rôle du SCRS dans le processus d'inscription des entités terroristes, lorsque le CSARS a témoigné pour la première fois devant le comité sénatorial spécial chargé d'étudier le projet de loi C-36 en octobre 2001, nous ne pensions pas que notre travail ou celui du SCRS changerait considérablement sur le plan qualitatif à la suite de l'adoption imminente du projet de loi. Après tout, le SCRS ne recevait pas de nouveaux pouvoirs. De plus, son mandat en vertu de la Loi sur le SCRS et le mandat du CSARS restaient tels quels. Le CSARS supposait que la Loi antiterroriste n'aurait pas une grande incidence sur les activités du SCRS, parce qu'un seul article de la Loi sur le SCRS était modifié. Seule la définition de « menaces envers la sécurité du Canada » à l'article 2 était modifiée par l'ajout des mots « religieux ou idéologique » :

c) les activités qui touchent le Canada ou s'y déroulent et visent à favoriser l'usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens dans le but d'atteindre un objectif politique, religieux ou idéologique au Canada ou dans un État étranger;

Il s'agit de l'article 89 de la Loi antiterroriste.

Le CSARS prévoyait cependant que l'adoption du projet de loi entraînerait une hausse du nombre de plaintes, car nous étions d'avis que de nombreux groupes ou individus inscrits sur la liste des entités terroristes dressée conformément au Code criminel déposeraient des plaintes au CSARS en vertu de l'article 41 de la Loi sur le SCRS.

Après trois ans, cela n'a pas été le cas. Presque la totalité des entités inscrites sont basées à l'étranger et sont donc peu susceptibles de porter plainte au CSARS. En fait, nous n'avons reçu aucune plainte à ce jour au sujet du processus d'inscription des entités. Cela pourrait toutefois changer si des citoyens canadiens ou des groupes comptant de nombreux Canadiens étaient inscrits à l'avenir.

Je vous ferai maintenant part de quelques préoccupations que nous avons eues à la suite de notre premier examen de la participation du SCRS dans le processus d'inscription des entités terroristes.

Le CSARS a cerné trois problèmes. Le premier concerne les pouvoirs dont dispose le SCRS pour recueillir des renseignements aux fins du processus d'inscription et la portée des activités de collecte de ce dernier. Les deux autres ont trait à la capacité du CSARS d'examiner le processus d'inscription.

Le premier problème concerne donc les pouvoirs dont dispose le SCRS en ce qui concerne le processus d'inscription établi à l'article 83.05 du Code criminel, qui a été modifié par la Loi antiterroriste. Le SCRS rédige les rapports de renseignement de sécurité qu'utilise la ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile pour formuler ses recommandations au gouverneur en conseil quant à la pertinence d'inscrire une entité. Le CSARS s'est posé les questions suivantes lorsqu'il a examiné le rôle du SCRS dans le processus d'inscription des entités terroristes : 1) Quels sont les pouvoirs qui autorisent le SCRS à participer au processus d'inscription; 2) En quoi consistent les menaces envers la sécurité du Canada définies à l'article 2 de la Loi sur le SCRS; 3) La définition de menaces envers la sécurité du Canada dans la Loi sur le SCRS est-elle conforme à la définition des activités terroristes dans le Code criminel?

Ce ne sont pas des questions hypothétiques. Plusieurs entités inscrites sur la liste du Code criminel, qui, comme vous le savez, compte actuellement 35 groupes, ne semblent pas correspondre à la définition de menaces envers la sécurité du Canada aux termes de la Loi sur le SCRS.

Je vous donnerai deux exemples.

Le culte japonais, Aum Shinrikyo, est une entité inscrite. Je ne peux divulguer de détails sur les enquêtes du SCRS, mais je peux vous dire que cet organisme n'a jamais commis d'acte terroriste au Canada et n'a pas de présence évidente ou de système d'appui au Canada. Le CSARS doit donc se demander si un tel organisme correspond à la définition de menaces envers la sécurité du Canada de la Loi sur le SCRS.

De même, le groupe colombien, connu sous le nom de Las Autodefensas Unidas de Colombia, ou AUC, qui figure sur cette liste commet clairement des actes de terrorisme en Colombie. Personne ne conteste cela. Maintenant, est-ce que l'AUC, qui cible principalement des paysans colombiens, représente une menace envers la sécurité du Canada?

L'article 2 de la Loi sur le SCRS est très clair, car il était important pour le Parlement de limiter juridiquement les activités de collecte de données du SCRS. La Loi sur le SCRS définit les menaces envers la sécurité du Canada comme étant des activités visant le Canada ou préjudiciables à ses intérêts, à l'alinéa 2a); les activités qui touchent le Canada ou s'y déroulent, aux alinéas 2b) et 2c); les activités qui visent à saper le régime de gouvernement établi au Canada, à l'alinéa 2d). Le Canada et les intérêts canadiens sont des dénominateurs communs dans ces quatre définitions des menaces envers la sécurité du Canada.

Par contre, l'article 83.01 du Code criminel définit l'activité terroriste comme étant une action ou omission, commise au Canada ou à l'étranger. La Loi sur le SCRS précise l'existence d'une relation particulière avec le Canada, mais dans le cas du Code criminel l'activité terroriste peut concerner le Canada ou non, car la définition comprend les activités qui se tiennent à l'étranger et qui ne visent pas nécessairement le Canada.

Bref, il n'est pas nécessaire que l'activité terroriste ait un lien clair avec le Canada ou les intérêts canadiens pour correspondre à la définition d'activité terroriste en vertu du Code criminel.

Comme l'a signalé le ministère de la Justice, la Loi antiterroriste avait pour but d'harmoniser la législation canadienne avec celle des partenaires internationaux du Canada. Cependant, l'examen du CSARS a révélé que le volet international du processus d'inscription n'est pas prévu dans la Loi sur le SCRS, qui vise quant à elle à limiter la collecte de renseignements aux préoccupations nationales.

Autrement dit, du point de vue du CSARS, le processus d'inscription peut obliger le SCRS à recueillir, conserver et analyser des renseignements qui ne correspondent pas à la définition de menaces envers la sécurité du Canada de la Loi sur le SCRS.

Lorsque nous discutions de cela au bureau, j'ai trouvé qu'il était utile de visualiser deux cercles concentriques pour mieux voir la situation. Le cercle intérieur, qui est plus petit, représente les activités du SCRS en vertu de l'article 12, qui se limitent aux menaces envers la sécurité du Canada; le cercle extérieur, qui est un peu plus grand, représente les activités du SCRS en matière de collecte, d'analyse, de conservation et de conseil concernant les informations et les renseignements de sécurité sur l'activité terroriste aux fins du processus d'inscription des entités aux termes du Code criminel.

Les renseignements contenus dans les deux cercles coïncident pour la plupart et relèvent en bonne partie du mandat du SCRS en vertu de la Loi sur le SCRS, mais pas tous. Qu'arrive-t-il lorsque les cercles ne coïncident pas parfaitement? Est-ce une incohérence entre les deux définitions? Y a-t-il lieu de s'inquiéter? Le CSARS a conclu après son examen que les cercles ne correspondent pas totalement dans un secteur.

Le CSARS reconnaît que le SCRS est habilité en vertu du paragraphe 6(2) de la Loi sur le SCRS à recueillir des informations et des renseignements de sécurité pour le processus d'inscription des entités conformément aux instructions ministérielles. Je signalerai toutefois que durant la première année du processus d'inscription des entités, le SCRS a rempli ses nouvelles fonctions sans instructions officielles du ministre. Évidemment, ces instructions ne peuvent élargir son mandat, mais fournissent seulement au SCRS l'autorité d'agir dans les limites prévues par la Loi sur le SCRS.

Avant de continuer, je veux être claire. Le CSARS ne blâme pas le SCRS pour cette situation, car ce dernier n'y peut rien. Ce sont des questions de compétences législatives qui sont indépendantes de la volonté du SCRS.

Dans l'ensemble, en examinant le rôle du SCRS dans le processus d'inscription, nous avons constaté que le SCRS respectait les instructions ministérielles reçues et les politiques opérationnelles pertinentes pour recueillir les renseignements. Néanmoins, nous avons conclu que le SCRS doit recueillir pour le processus d'inscription de l'information qu'il n'est pas habilité à traiter en vertu de la Loi sur le SCRS pour ce qui est des menaces envers la sécurité du Canada.

En tant qu'organisme d'examen, le comité croit que tout élargissement des activités de collecte du SCRS mérite une attention particulière. Après tout, le Parlement voulait que ces activités soient clairement définies, compte tenu des pouvoirs extraordinaires du SCRS. Le comité souhaite simplement noter que ce petit élargissement des activités de collecte du SCRS et l'absence de pouvoir précis à cet égard est une source de préoccupation. Le comité voudrait que cette question soit examinée dans le cadre de votre examen.

Ceci m'amène au deuxième élément concernant le processus d'inscription, à savoir la capacité du CSARS d'examiner le rôle du SCRS. Le comité sénatorial spécial qui a examiné le projet de loi C-36 s'est dit préoccupé du fait que le processus d'inscription des entités terroristes ne comportait aucune disposition prévoyant la tenue d'un examen indépendant. Les sénateurs étaient surtout préoccupés de la participation du SCRS dans l'examen de la liste après deux ans, puisque cet examen serait réalisé par les mêmes personnes qui auraient dressé la liste. Par conséquent, les sénateurs ont recommandé que soit créé un poste de mandataire indépendant du Parlement dont le titulaire examinerait le processus d'inscription ou, comme autre possibilité, que le SCRS soit chargé d'effectuer des examens réguliers. À l'époque, la ministre McLellan, qui était alors ministre de la Justice et procureure générale du Canada, a fait valoir que les mécanismes d'examen actuels suffisaient. Elle a déclaré devant le comité sénatorial spécial que :

[...] nous avons des mécanismes de surveillance en place qui ont fait leurs preuves, que ce soit le CSARS ou les tribunaux. Par conséquent, je ne suis pas favorable à la création d'un nouveau mécanisme de surveillance distinct et séparé de ceux qui existent [...]

Nous savons que les sénateurs ont à nouveau soulevé ce point auprès de la ministre McLellan lorsqu'elle a témoigné devant ce comité spécial. Nous avons aussi constaté que la ministre McLellan a répété que le CSARS était un des meilleurs mécanismes de protection et de reddition de comptes qui soit en ce qui concerne les dispositions de la Loi antiterroriste. Comme la ministre McLellan a déclaré que la capacité du CSARS d'examiner la liste constituait une mesure de protection importante, il est important de signaler que même si le CSARS peut examiner de façon assez exhaustive le rôle du SCRS dans le processus d'inscription, il ne peut faire un examen complet.

Bref, le CSARS ne peut voir les rapports de renseignement de sécurité, dont j'ai parlé plus tôt, sur lesquels s'appuient les décisions du gouverneur en conseil, et ce, en raison du caractère confidentiel de ces documents du Cabinet.

Nous reconnaissons que le paragraphe 39(3) de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité empêche le CSARS d'avoir accès aux documents confidentiels du Cabinet, et nous reconnaissons aussi que le processus d'inscription contient d'autres mécanismes de contrôle. Néanmoins, le comité croit qu'il est important que vous sachiez que cette contrainte l'empêche d'effectuer un examen complet du rôle du SCRS dans le processus d'inscription.

Je préciserai que dans le passé, les quelques fois que le CSARS s'est buté à des questions qui avaient trait aux documents confidentiels du Cabinet, nous avons réussi à nous entendre avec les procureurs généraux en poste pour satisfaire nos préoccupations. Je tiens à vous dire que la présidente a soulevé ce point à l'attention de la ministre McLellan, et nous attendons une réponse de sa part.

Nous nous préoccupons aussi, mais dans une moindre mesure, des cas où un autre organisme, comme la GRC, pourrait préparer un rapport de renseignement de sécurité. À l'alinéa 83.05(6)a) du Code criminel qui porte sur l'examen judiciaire du processus d'inscription, on peut lire « les renseignements en matière de sécurité ou de criminalité qui ont été pris en considération pour l'inscription du demandeur sur la liste ». Le code précise pas cependant quels ministères ou organismes canadiens peuvent rédiger ces rapports. La présence du mot « criminalité » laisse entendre que la GRC pourrait jouer un rôle dans ce processus, et cela nous a été confirmé par le SCRS.

Si la GRC préparait un rapport de renseignement de sécurité aux fins du processus d'inscription du gouverneur en conseil, le CSARS ne pourrait l'examiner, car son mandat se limite au SCRS.

J'aborderai maintenant mon dernier point, soit le CSARS et la Loi sur la protection de l'information.

La Loi sur les secrets officiels a été abrogée par la Loi antiterroriste et remplacée par la Loi sur la protection de l'information. Cette loi a créé une nouvelle responsabilité pour le CSARS. L'article 15 prévoit en effet la possibilité de recourir à une défense d'intérêt public dans le cas où une personne astreinte au secret à perpétuité divulgue des renseignements opérationnels spéciaux définis par la loi.

Une telle défense ne serait autorisée que si la personne avait d'abord informé l'administrateur général ou le sous- procureur général du Canada de la question, et en l'absence d'une réponse de ces personnes, le CSARS.

Nous avons plusieurs questions au sujet de ces dispositions, notamment quelle était l'intention du Parlement lorsqu'il a créé ce rôle pour le CSARS? Cette disposition permet au CSARS de recevoir des renseignements opérationnels spéciaux, mais n'indique pas au CSARS quoi faire quand il reçoit de tels renseignements. Si le Parlement veut que le comité mène une enquête au sujet des renseignements opérationnels spéciaux, quels sont alors les pouvoirs du comité aux termes de la loi? Le comité doit-il formuler des conclusions et des recommandations?

Il faut aussi préciser si le comité doit présenter un rapport sur une telle enquête et à qui. Ces questions demeurent floues pour le CSARS, et aucun lien clair n'a été établi entre ces questions et son mandat en vertu de la Loi sur le SCRS.

Étant donné les répercussions potentiellement graves associées à la divulgation de tels renseignements par les fonctionnaires, le comité souhaiterait recevoir de plus amples précisions à cet égard.

Pour terminer, j'aimerais remercier les membres du Sénat d'avoir donné au CSARS l'occasion de s'exprimer sur certains problèmes concernant la Loi antiterroriste. J'espère que mes observations vous aideront dans votre examen et je me ferai un plaisir de répondre aux questions que vous pourriez avoir.

La présidente : Merci à vous deux. Nous passons directement aux questions.

Le sénateur Austin : Je veux simplement des précisions sur un point. Vous avez dit que vous avez plein accès à tous les renseignements s'inscrivant dans le cadre d'une enquête sur les activités du SCRS. Vous avez ensuite dit que le comité ne s'occupe que du SCRS. Dans les cas où le SCRS et la GRC ont travaillé ensemble, et que l'une de vous est saisie de l'affaire, dans quelle mesure pouvez-vous collaborer? Jusqu'où pouvez-vous aller, particulièrement en ce qui concerne le CSARS, qui a plein accès? En quoi consiste au juste le plein accès? Pouvez-vous retracer toute l'affaire? Pouvez-vous obliger la GRC à divulguer des renseignements concernant des activités communes ou des échanges de renseignements avec le SCRS?

Mme Pollack : Nous avons pleinement accès à toute l'information relative au contrôle du service. Cela signifie qu'en ce qui concerne les renseignements relatifs aux activités communes, aux opérations conjointes ou aux ententes de partage, aux activités où des renseignements ont été échangés, nous avons accès à tout ce que la GRC a fourni ou à tous les détails relatifs aux activités communes. Nous ne pouvons surveiller ce qui se passe de l'autre côté de la cloison. Nous exigeons donc de la GRC qu'elle nous fournisse l'information contenue dans ses dossiers, ses bases de données et ses enregistrements.

Par conséquent, lorsqu'il s'agit de données contrôlées par le SCRS du fait de ses activités, nous y avons accès. Autrement, nous n'y avons aucun accès.

Le sénateur Austin : Lorsque la GRC transfère des documents au SCRS, y avez-vous accès?

Mme Pollack : Oui.

Le sénateur Austin : Avez-vous pu étudier la proposition relative à la création d'une nouvelle agence d'examen, la Commission d'examen de la sécurité nationale, et sa relation avec vos fonctions et activités?

Mme Pollak : Est-ce qu'il s'agit du comité parlementaire?

Le sénateur Austin : Oui. Nous avons présenté un rapport à la vice-première ministre et il fait actuellement l'objet d'un examen. Avez-vous lu le rapport?

Mme Heafey : Je l'ai effectivement lu. Nous avons formulé les mêmes recommandations dans la proposition que nous avons soumise à la Commission Arar. Je pense que c'est une excellente idée. Dans ce domaine, il est essentiel que les parlementaires participent. Le Parlement devrait être impliqué dans tout ce qui touche les Canadiens, dans tous les secteurs.

Le sénateur Austin : Vous pourriez en effet faire des représentations à la commission d'examen et celle-ci adresserait ses recommandations au gouvernement. De mon point de vue, cela représenterait la limite de l'autorité de la commission. Cependant, vous pourriez au moins procéder à une divulgation complète de votre mandat et peut-être même amener les parlementaires à partager votre nouvelle façon d'envisager votre mandat.

Mme Pollak : Le comité estime que nous aimerions que notre propre mandat soit clairement confirmé dans tout projet de loi relatif à l'orientation des délibérations de la nouvelle commission et à la définition de son mandat. Nous sommes d'accord avec la création de cet organisme et nous avons l'intention de collaborer avec lui, mais nous tenons à ce que notre propre mandat soit défini et que son intégrité soit préservée. Nous pensons qu'après 20 ans d'existence, notre comité est devenu très compétent pour comprendre le SCRS, en parler et, nous l'espérons, renseigner les Canadiens sur les activités de cette organisation plutôt secrète.

Je ne suis pas certaine d'être d'accord avec mon collègue, mais le comité a l'intention de coopérer avec le nouvel organisme.

Le sénateur Austin : Je vous ferai remarquer que le Comité d'examen parlementaire aura besoin de personnel opérationnel. Par conséquent, un troisième intervenant s'ajoutera aux nombreux processus d'examen. Nous devrons procéder à une constellation d'examens.

Mme Heafey : Toutefois, tous ces travaux ne devraient pas être redondants. Le Parlement serait saisi des grandes questions qui touchent tous les Canadiens. Nous nous occupons de la GRC, ils s'occupent du SCRS, mais le Parlement a également un rôle à jouer, quelque chose qui ressemblerait à la Commission Arar, par exemple.

Le sénateur Austin : J'en prends note.

Je me demande si un tel comité dépolitiserait ces questions lorsqu'elles se présentent. C'est une question de pure forme. Je sais qu'aucun de vous ne peut répondre à cette question, mais je me demande s'il ne prendra pas une autre direction.

Le sénateur Stratton : Ma première question s'adresse à Shirley Heafey. Vous vous inquiétez de l'accès à l'information pertinente de la GRC. Que faites-vous pour surmonter ce problème? À en croire le rapport du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, j'ai l'impression que vous aimeriez bien bénéficier d'une entente semblable.

Mme Heafey : C'est un fait. Lorsque j'étais au service du SCRS, pendant ses quatre premières années d'existence, je n'avais qu'à demander des documents et je les obtenais. Ce n'était pas compliqué. Malheureusement, compte tenu de la situation de cette commission que je préside, c'est maintenant une lutte perpétuelle. Nous sommes présentement devant les tribunaux pour essayer d'obtenir de l'information qui nous permettrait d'agir dans un dossier. Quelqu'un s'est plaint parce que sa maison ou sa grange a été fouillée et nous n'avons aucune réponse à donner. Il nous faut donc aller devant les tribunaux pour essayer d'obtenir cette réponse.

Le sénateur Stratton : Pourquoi supposez-vous que le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité ait un tel pouvoir et que ce n'est pas le cas pour la Commission des plaintes publiques contre la GRC? On pourrait croire que les deux pourraient collaborer. Je pense que le gouvernement devrait vous mettre sur un pied d'égalité, de façon à ce que vous disposiez des mêmes pouvoirs. À votre avis, pourquoi n'en est-il pas ainsi?

Mme Heafey : Je pourrais peut-être évoquer en premier lieu des raisons historiques. Le SCRS a été créé en même temps que le CSARS. D'emblée, ces deux organismes ont dû apprendre à cohabiter. Le SCRS se livrait à des activités très secrètes, ce qui n'était pas le cas de la GRC à l'époque. Je ne pense donc pas qu'on ait alors imaginé qu'il serait nécessaire de superviser ce genre d'activité. Maintenant, depuis les attentats du 9 septembre, la GRC participe également aux activités de renseignement et c'est un domaine qui ne fait l'objet d'aucune surveillance civile.

La GRC existe depuis longtemps, plus de 130 ans si je ne me trompe. C'est un symbole canadien. Il est donc un peu plus difficile de traiter avec ce genre d'organisme. Dans le monde entier la GRC est perçue à juste titre comme un service de police d'élite, mais cela ne signifie pas qu'elle soit à l'abri de toute surveillance civile.

Le sénateur Stratton : Dans le cadre de notre examen de la Loi antiterroriste, vous recommanderiez donc que l'on vous mette sur un pied d'égalité avec le CSARS?

Mme Heafey : Oui.

Le sénateur Stratton : Je m'adresse maintenant à Susan Pollack. Vous avez déclaré que vous étiez préoccupée. Pourriez-vous nous donner l'heure juste sur la suite qui a été donnée à ces préoccupations? Veuillez rappeler brièvement, pour l'auditoire, la nature de ces préoccupations et dire si on s'en occupe et de quelle façon. Quand pensez- vous recevoir une réponse du gouvernement à cet égard?

Mme Pollak : Rapidement, les principales préoccupations concernent la procédure d'établissement de la liste des entités. À l'heure actuelle, on ne trouve, dans le Code criminel, aucune correspondance entre la définition des menaces à la sécurité du Canada et les activités terroristes. Il y a une définition qui encadre les activités du SCRS en vertu de la Loi sur le SCRS, qui est la loi qui le régit.

Le Code criminel, tout en ne faisant aucune référence particulière à la Loi sur le SCRS, lui attribue un rôle dans la procédure d'établissement de la liste des entités. Il y a maintenant des entités qui figurent sur cette liste qui représentent difficilement une menace à la sécurité du Canada. C'est là ma première préoccupation, que le comité a exprimée dans deux lettres adressées à la ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile. En février, nous avons également eu un déjeuner d'affaires avec la ministre et celle-ci s'est engagée à donner suite à cette première préoccupation, ainsi qu'à la deuxième question, qui porte sur les limites de notre examen des rapports sur le renseignement de sécurité.

Comme il s'agit de documents confidentiels du Cabinet et qu'ils sont présentés par le gouverneur en conseil, nous n'avons pas accès à leur version définitive. Je ne veux pas insinuer que le contenu de ces documents serait très différent de toute l'information à laquelle nous avons eu accès au sujet des groupes qui ont abouti sur la liste. Nous avons un accès total à tous les renseignements, enquêtes et dossiers dont disposer le service. Je ne veux donc pas vous donner l'impression d'être convaincue que cette information est modifiée sur le fonds et qu'une version différente est présentée au gouverneur en conseil. Cependant, nous ne pouvons affirmer ici que nous avons tout lu, que nous avons consulté tous ces rapports et que nous sommes à l'aise dans toute cette procédure jusqu'au dernier point. Voilà donc nos deux préoccupations et le gouvernement en a été saisi. Je suis portée à croire que nous aurons bientôt une réponse, mais nous l'attendons toujours.

Le sénateur Stratton : Chaque organisme a ses préoccupations et nous devrions inclure les vôtres dans notre rapport. Je pense également que nous devrions aussi en faire un suivi, le plus tôt possible, car je pense qu'elles sont importantes.

Le sénateur Jaffer : J'aimerais commencer par Mme Heafey. Je vous remercie de votre témoignage stimulant. Pour autant que je me souvienne, vous êtes le premier témoin qui ait reconnu la difficulté pour les communautés musulmanes de porter plainte au sujet de la police ou du SCRS.

J'ai fait le tour de presque toutes les principales villes du Canada. Lorsque je demandais aux gens « Pourquoi ne vous adressez-vous pas au SCRS ou à la Commission des plaintes publiques contre la GRC? », ils me répondaient que la dernière chose que leur ont dit la police ou le SCRS c'est « Nous pouvons toujours revenir vous faire une visite ». Dans ce cas, ce n'est pas la police de leur pays d'origine qui est taxée d'autoritarisme, mais c'est bel et bien dans notre propre pays que la police et le SCRS, surtout le SCRS, les avertissent que s'ils les dénoncent, ils reviendront.

Si vous n'avez pas reçu de plaintes, ce n'est pas parce qu'il n'y a pas de plainte à formuler. C'est parce que les gens s'inquiètent des conséquences de leurs plaintes. Les gens qui ont des problèmes de citoyenneté ou autres sont inquiets de ce qui leur arrivera ensuite.

J'ai beaucoup de questions à poser, mais je sais que notre temps est limité. J'espère donc que vous pourrez revenir individuellement. Je vais commencer par vous, Mme Heafey. Je dois vous dire que j'ai été intrigué lorsque vous avez dit qu'une commission d'examen de la sécurité nationale devrait être créée en s'inspirant du modèle de la commission Arar. Une telle commission pourrait fournir un mécanisme de surveillance de tous les fonctionnaires fédéraux qui sont impliqués dans la sécurité nationale. Elle aurait le pouvoir d'examiner les activités de tous les fonctionnaires impliqués dans des activités relatives à la sécurité nationale et de formuler des conclusions et des recommandations.

Pourriez-vous, je vous prie, développer à l'intention du comité cette idée de surveillance?

Mme Heafey : Mes réflexions sont surtout le résultat de ce qui est arrivé lors de l'établissement de la commission Arar. Il y a un grand nombre d'agences qui sont actuellement engagées dans différents domaines de la sécurité nationale. La nôtre s'occupe de la GRC. Le CSARS s'occupe du SCRS. Il y en a toutefois beaucoup d'autres, notamment les Affaires étrangères, l'Agence des services frontaliers du Canada et Citoyenneté et Immigration. Si tous ces organismes ont été impliqués dans une activité comme la déportation de Maher Arar, comment en faire l'évaluation?

Je dois concentrer mon attention sur la GRC, en ignorant simplement les activités des autres organismes.

À mon avis, en raison de ce qui arrive actuellement dans notre société, il y aura de plus en plus de ces activités. Cette affirmation est basée sur ma propre expérience, mais aussi sur ce que j'ai appris des gens à qui j'ai parlé dans tout le pays, car je voyage à la grandeur du Canada. Ce genre d'incident ne peut que se reproduire.

La commission Arar s'est réunie sans rien connaître de la sécurité nationale, qui est un domaine qui est difficile à maîtriser. Il ne s'agit pas d'un dossier dans lequel on peut plonger et comprendre automatiquement ce qui s'y passe. Et c'est ce que la commission a dû faire. Des juristes de tout le pays travaillent pour elle dans ce dossier qu'elle va finir par maîtriser, mais si jamais un tel incident se reproduit à nouveau, recommencerons-nous à zéro en dépensant encore des millions de dollars?

L'idéal selon moi serait un petit organisme, un peu comme la Commission d'examen de la sécurité nationale, qui pourrait intervenir chaque fois qu'il se présente un dossier qui implique un certain nombre d'agences. Grâce à notre collaboration, il pourrait s'en occuper et examiner ce qui se passe dans les agences impliquées dans un incident. Cet organisme accumulerait de l'expérience avec le temps et grâce à notre coopération. Il n'y aurait aucun double emploi. C'est ainsi que je conçois cet organisme qui se chargerait de l'essentiel de ce que la Commission Arar est occupée à faire actuellement.

Le sénateur Jaffer : Avez-vous reçu des plaintes au sujet de l'incident d'Air India? Allez-vous examiner les faits entourant cette affaire?

Mme Heafey : Nous n'avons reçu aucune plainte au sujet de l'incident d'Air India. Cela ne veut pas dire que nous n'en recevrons jamais. Parfois, il faut un certain temps pour formuler des plaintes. Je le dis à contrecœur, mais il y a actuellement un problème très intéressant dans ce domaine. Je ne sais pas comment nous pourrions intervenir. Notre agence ne compte que 40 fonctionnaires. Il serait peut-être très utile d'analyser le rôle de la GRC, mais il nous faudrait des ressources additionnelles.

Le sénateur Jaffer : Lorsque la vice-première ministre était ici, elle a déclaré que c'était la pire attaque terroriste jamais vécue par notre pays. Malheureusement, les examens effectués ont été si superficiels. Nous devrions peut-être encourager les familles à venir comparaître devant vous.

Quelles mesures prenez-vous pour faire en sorte que les communautés ethniques soient au courant de l'existence de votre commission?

Mme Heafey : Au cours des dernières années, surtout depuis les événements du 11 septembre, j'essaie d'aller rencontrer les gens. Je parcours le pays. J'ai parlé dans une mosquée il y a deux ans. J'étais invitée et il y avait là plus de 500 personnes. C'est la première fois où je rencontrais un groupe composé seulement de musulmans. Ils se sont précipités sur moi à la fin de la discussion officielle pour me faire part de toutes sortes de cas, mais aucun d'eux n'a formulé une plainte. J'étais accompagnée d'un enquêteur au cas où quelqu'un aurait voulu le faire.

Je garde le contact avec les associations islamiques. Je les appelle et je leur écris. J'offre d'aller les rencontrer. Je le fais également avec la communauté autochtone, même si ce n'est pas directement relié au terrorisme. Les Autochtones ne se plaignent pas; ils acceptent les choses.

Les populations musulmane et autochtone constituent deux groupes auxquels j'essaie de parler et que je m'efforce de rencontrer en allant assister aux réunions de leurs associations respectives.

[Français]

Le sénateur Joyal : Madame Heafey, je me demande si j'ai bien compris votre présentation.

[Traduction]

Si on compare la situation dans le cas de la GRC à la surveillance exercée par le CSARS sur le SCRS, je dois en conclure que la GRC n'est soumise à aucune surveillance de ses activités, n'est-ce pas?

Mme Heafey : Vous avez bien compris.

Le sénateur Joyal : Au départ, j'ai hésité à vous entendre toutes les deux en même temps. Nous avons de nombreuses questions à vous adresser à toutes deux et nous nous sentons pressés par le temps. Cependant, à bien y penser, je crois que c'était une bonne idée de vous entendre en même temps, car nous pouvons voir les activités de chacune, qui semblent plus efficaces dans le cas du CSARS que dans le cas de la GRC. Si je comprends bien vos observations, il n'y a pas de surveillance des activités régulières de la GRC et ce n'est que lorsque des citoyens décident de prendre leur cause en main et d'aller de l'avant, avec tous les risques qu'ils pourraient croire alors qu'ils vont courir, qu'il y a une enquête, n'est-ce pas?

Mme Heafey : En effet, quand cela relève de la sécurité nationale.

Le sénateur Joyal : C'est ce dont il est question en l'occurrence.

D'un autre côté, si vous le permettez, je vais citer un article publié dans le Globe and Mail du 2 mars, page A4, et rédigé par Jeff Sallot, d'Ottawa. Je cite le premier paragraphe qui porte sur une déclaration que vous avez faite, madame Heafey :

La présidente de la Commission des plaintes du public contre la GRC affirme que le service national de police fait souvent fi d'elle, qu'il refuse de lui transmettre les renseignements dont elle a besoin pour s'acquitter de son travail et que, dans un cas, il a fait traîner une enquête interne pendant trois ans pour essayer de cacher une conduite inappropriée par un agent.

Après avoir lu cet article, j'ai eu l'impression qu'on vous écartait, qu'on vous considérait comme une agente extérieure qui ne faisait pas partie du système. En d'autres termes, la GRC a pour attitude intrinsèque de ne pas vouloir que quiconque se mêle de ses affaires. Voulez-vous nous dire ce que vous en pensez ou ai-je eu une fausse impression à la lecture de cet article?

Mme Heafey : À la suite de mon expérience au CSARS et à la CPP, je trouve cela très difficile, car je n'ai jamais eu ces problèmes dans le cas du CSARS. Je n'ai pas dû passer des journées, des semaines et des mois à chercher à obtenir des renseignements. Je les demandais simplement et je les obtenais.

Avec la GRC, nous devons être persévérants pour parvenir à nos fins. Il faut beaucoup plus d'énergie pour surveiller la GRC. C'est beaucoup plus difficile que cela l'était dans le cas du SCRS.

Nous demandons des documents, nous en obtenons un petit peu et nous constatons alors qu'on fait allusion dans le document à une autre chose dont nous avons besoin. Nous devons le demander. Nous recevons des renseignements au goutte à goutte. C'est difficile et il faut beaucoup de temps et de ressources pour faire le travail. Cela ne se produit pas dans tous les dossiers, mais dans bon nombre de cas.

Le sénateur Joyal : Est-ce la raison de la lettre que vous m'avez envoyée, et je suis persuadé que vous l'avez également transmise à d'autres sénateurs, qui est datée du 28 février 2005? Comme la lettre ne porte pas la mention « confidentielle », puis-je la citer librement?

Mme Heafy : Oui, tout à fait.

Le sénateur Joyal : La lettre dit ce qui suit :

[Français]

La Commission des plaintes du public contre la GRC a développé deux propositions que j'aimerais partager avec vous. Ces propositions ont été soumises à la commission Arar le 21 février 2005. Le document présente deux propositions de mécanisme d'examen adéquat des activités de la GRC en matière de sécurité nationale.

[Traduction]

En d'autres termes, vous faites allusion à deux propositions que vous avez envoyées à la commission Arar au sujet de la sécurité nationale. Vous dites particulièrement que vous devriez avoir les mêmes pouvoirs que le CSARS détient dans le cas du SCRS, c'est-à-dire le pouvoir d'examiner les activités quotidiennes de la GRC qui touchent la sécurité nationale.

[Français]

Si je comprends bien, vous cherchez à obtenir le pouvoir d'obliger les témoins à témoigner, d'exiger la production de documents, de convoquer des personnes, d'assermenter et de recevoir des éléments de preuve admissibles ou non devant un tribunal?

[Traduction]

Ce sont les pouvoirs que vous demandez.

Mme Heafey : En effet, sénateur.

Le sénateur Joyal : Cela exigerait-il de modifier l'alinéa 45.41(2)b) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada en vertu duquel c'est le commissaire qui décide de transmettre ou non les documents? C'est à lui que revient la décision en fin de compte.

Mme Heafy : À l'heure actuelle, c'est lui qui décide. Je ne pense pas que la GRC devrait décider de ce que nous pouvons voir. Si nous sommes l'organisme de surveillance ou d'examen, nous devrions décider si nous avons besoin d'obtenir ces renseignements. Or, on nous dit qu'il n'est pas nécessaire que nous en prenions connaissance, que ce n'est pas pertinent. Comment puis-je répondre à un plaignant si je ne peux voir tout ce que je crois être pertinent? Si je demande des documents et ne les obtiens pas, il y a alors un manque d'information. Je ne me sens pas capable à ce moment-là de garantir à un plaignant que j'ai tout vu et que je peux lui donner une réponse satisfaisante. À l'heure actuelle, la GRC décide et, parfois, elle préfère ne pas nous transmettre les renseignements demandés.

Le sénateur Joyal : En d'autres termes, vous voudriez que cette disposition de la loi soit modifiée pour que vous puissiez décider des documents dont vous pouvez prendre connaissance et que vous pouvez analyser.

Mme Heafy : Oui.

Le sénateur Joyal : Comment expliquez-vous cette attitude systémique de la GRC relativement à votre poste ou votre situation en tant que commissaire?

Mme Heafy : Je reviens à ce que j'ai dit plus tôt. La GRC existe depuis 130 ans. Elle n'a pas été soumise à une surveillance. Notre organisme d'examen n'existe que depuis 16 ans. La GRC ne nous accepte toujours pas. J'ignore au juste pourquoi, si ce n'est que nous ne sommes pas nés ensemble, la CCP et la GRC. Il y a des gens au sein de la GRC qui l'acceptent. Certains pensent que c'est une bonne chose. Cependant, de façon générale, il y a une résistance.

Je ne sais pas au juste pourquoi cela se produit. C'est une organisation qui est vraiment refermée sur elle-même. Dans les mémoires que je présente, je dis qu'il s'agit d'une organisation où les gens comptent les uns sur les autres et ainsi, ils perçoivent ceux qui ne font pas le même travail qu'eux comme des étrangers. Nous sommes des étrangers. Nous sommes des civils. Nous ne sommes pas bien acceptés et cela a toujours été le cas depuis le début. Des problèmes se sont posés dès le départ.

Le sénateur Joyal : Vos prédécesseurs à ce poste ont-ils eu les mêmes difficultés pour obtenir non pas une coopération spontanée, mais une coopération normale dans l'exercice de leur mandat?

Mme Heafey : Il y a eu de graves difficultés dès le départ. L'organisme a rencontré de la résistance depuis sa création en 1988.

Le sénateur Joyal : Comme vous le savez, le commissaire a témoigné ici la semaine dernière. Je pense que vous avez eu l'occasion de lire le procès-verbal du comité. Le sénateur Fraser lui a posé une question. J'étais présent et j'ai donc entendu la réponse. Elle m'a surpris, car j'étais sous l'impression qu'on ne pouvait agir qu'en fonction d'une plainte officielle et non d'une plainte anonyme et qu'il fallait que la plainte soit signée par la personne concernée. Ai-je raison de penser que la plainte doit être signée?

Mme Heafey : La plainte peut être anonyme, mais cela présente des problèmes. Si une tierce partie se plaint d'une chose et si son témoignage n'est pas requis, nous pouvons alors nous pencher sur la question. Cependant, une personne peut-être directement concernée et nous faire part d'un problème, mais ne pas vouloir être identifiée. Cela se produit souvent. Certains diront que telle ou telle chose leur est arrivée, mais ils nous demanderont de ne pas divulguer leur nom, car autrement, ils disent qu'ils nieront tout tant ils ont peur. Un système basé sur les plaintes ne convient pas au type de société dans laquelle nous vivons. Trop de personnes ont peur de se plaindre.

Le sénateur Joyal : On a le sentiment que le système n'est efficace qu'à moitié, si on peut dire, car il est fondé sur la capacité d'une personne d'être confrontée au système incarné par la GRC.

Mme Heafey : Oui.

Le sénateur Joyal : Quelle solution de rechange proposez-vous pour parer aux faiblesses systémiques qui existent?

Mme Heafey : La loi doit être modifiée. Il faut modifier la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada pour préciser clairement que la GRC doit transmettre tous les documents et il faudrait peut-être inclure, par exemple, tous les renseignements reliés à la sécurité nationale. Il pourrait peut-être y avoir une liste. Je ne suis une rédactrice législative, mais la loi devrait préciser beaucoup plus clairement ce que nous avons le droit de faire et les renseignements que nous devrions obtenir. Je pense qu'elle est claire maintenant, nous n'avons pas le pouvoir de l'appliquer.

Si nous avions le pouvoir de vérification, comme le CSARS, nous pourrions demander à examiner tous les mandats de perquisition pour une période donnée et nous serions alors en mesure d'étudier tous les documents pertinents. Supposons qu'il y ait eu 10 perquisitions. Nous examinerions alors tous les documents et conclurions que tout est en ordre ou non, selon le cas. Nous devrions pouvoir procéder à ce type de contrôles ponctuels, de vérifications. Nous ne pouvons le faire à l'heure actuelle. Nous devons compter sur des plaintes et c'est là que réside la faiblesse du système.

Le sénateur Joyal : La vérificatrice générale n'a-t-elle pas, en fait, soutenu votre point de vue dans son rapport et recommandé de consacrer plus d'argent à cela, afin que nous puissions essayer de comprendre le fonctionnement global du système?

Mme Heafey : Oui, c'est ce qu'elle a fait. Elle a mentionné qu'il y avait un déséquilibre entre les pouvoirs de la GRC et les nôtres. Nous n'en n'avons pas suffisamment. Certains organismes en ont beaucoup. Le SCRS est soumis au contrôle du CSARS et de l'Inspecteur général. La GRC ne doit rendre des comptes qu'à nous. Nous pouvons faire certaines choses, mais nous sommes souvent limités dans nos interventions. La vérificatrice générale a parlé de cela dans son rapport de l'année dernière.

Le sénateur Joyal : Y a-t-il quelque chose dans votre situation qui pourrait amener la GRC à avoir des doutes, peut- être parce que vous n'avez pas la cote de sécurité voulue et elle craint que votre bureau ne respecte pas la confidentialité?

Mme Heafey : Non. J'ai une cote de sécurité de niveau très secret. Il en va de même de tous les employés. La GRC a confirmé que nos locaux étaient sécuritaires. Cet argument n'est pas valide.

Le sénateur Joyal : Je ne pose pas la question parce que je l'ignore, mais parce qu'il y a des gens qui nous écoutent. Certains voudront savoir pourquoi vous occupez ce poste. Il est important que vous établissiez votre loyauté, votre crédibilité et la capacité pour le système de croire que vous êtes en mesure d'accomplir le travail important de protection de la population qui vous incombe. Il est important que cela soit bien connu.

Mme Heafey : Oui, je suis d'accord.

Le sénateur Joyal : Avez-vous suffisamment de personnel pour accomplir votre travail ou manquez-vous de personnel?

Mme Heafey : Nous manquons de personnel, mais je suppose que tout le monde dirait la même chose.

La GRC compte environ 22 000 membres au pays, et nous sommes 40. Le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité a 20 employés, mais seulement la moitié d'entre eux s'occupe de la surveillance comme telle.

Le sénateur Joyal : Autrement dit, si nous modifiions la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada pour vous confier la responsabilité de surveiller les activités de sécurité nationale de ce corps de police, il nous faudrait prévoir une augmentation de votre budget proportionnelle à l'augmentation de vos responsabilités.

Mme Heafey : Oui, et j'aimerais ajouter que si nous avions le pouvoir d'effectuer des vérifications, notre tâche serait beaucoup plus facile qu'elle ne l'est à l'heure actuelle. Nous avons des enquêtes d'intérêt public, qui sont importantes, mais nous avons aussi le pouvoir de tenir des audiences. La loi est si inefficace que nous avons le pouvoir d'assigner des témoins uniquement lorsque je convoque une audience. Je ne veux pas convoquer une audience chaque fois que nous recevons une plainte parce que ça coûte très cher. Certains parmi vous se souviennent sans doute à cet égard de l'enquête sur le sommet de l'APEC. Les choses peuvent facilement prendre des proportions inattendues en pareil cas. Je n'aime pas être obligée de convoquer une audience simplement pour pouvoir assigner un témoin.

Si nous pouvions faire des vérifications en bonne et due forme, nous n'aurions pas ce problème. Nous pourrions nous présenter dans les bureaux de la GRC et examiner ses activités dans un dossier donné, pendant une certaine période. Nous pourrions ainsi nous adresser directement à la GRC, ce que je préférerais nettement à la tenue d'une audience chaque fois que se produit un événement majeur.

Le sénateur Joyal : Avez-vous fait cette recommandation précisément?

Mme Heafey : Oui, nous avons fait une liste des changements qui, selon nous, devraient être faits pour améliorer l'efficacité. Il est possible que le budget ne soit pas aussi élevé qu'on le pense, parce que lorsqu'il faut tenir des audiences, elles ont lieu dans la province où s'est produit l'incident. Il y a des avocats, et la planification est une corvée sans fin.

Le sénateur Joyal : Pourrions-nous obtenir une liste des sujets que vous avez mentionnés pour que les membres de ce comité puissent en prendre connaissance?

Mme Heafey : Oui.

Le sénateur Andreychuk : Sans m'éloigner du sujet, j'aimerais parler un peu d'autre chose. Madame Heafey, vous avez fait état des difficultés associées à votre poste auparavant. J'aimerais demander à Mesdames Pollack et Heafey ce qu'elles pensent de l'argument que leur répète constamment le gouvernement, à savoir que l'environnement a changé depuis le 11 septembre 2001, que le terrorisme fait partie de notre réalité pour de bon et donc, que l'État doit être bien armé avec les instruments dont parle le gouvernement.

Votre perspective au sein du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité vous permet-elle de conclure que le personnel du Service canadien du renseignement de sécurité dispose des instruments dont il a besoin pour contrer le terrorisme? Je comprends, Madame Heafey, qu'il vous est difficile de faire des évaluations; croyez-vous que les instruments dont dispose la Gendarmerie royale du Canada sont suffisants pour faire enquête sur les activités terroristes au Canada?

Mme Pollack : Il m'est difficile de répondre à cette question parce que je ne suis pas chaque jour au cœur des activités du Service canadien du renseignement de sécurité. Je n'en suis pas une dirigeante, mais je crois que cet organisme a les instruments juridiques dont il a besoin. Ses pouvoirs demeurent suffisants. Je ne pense pas qu'on entendrait ses dirigeants dire qu'il faut des changements substantiels à cet égard.

S'il y a un domaine où le Service canadien du renseignement de sécurité aurait besoin d'être mieux équipé, ce serait sans doute celui des nouvelles technologies, que les méchants peuvent se procurer tout autant que les bons. Ainsi, il y a beaucoup de dispositifs de cryptage, il y a la communication par l'Internet et il y a la stéganographie. Il y a toutes sortes de techniques, et, en tant que profane, je ne peux pas vraiment en parler de façon détaillée. Mais je sais que des gens mal intentionnés disposent de ces techniques et s'en servent pour essayer d'échapper à toute surveillance et pour planifier des méfaits. Nous devons rester conscients des entraves que peuvent contenir nos lois et qui sont susceptibles d'empêcher le Service canadien du renseignement de sécurité de s'adapter à l'évolution technologique. Nos agents ne doivent pas se faire distancer sur ce plan par les gens qu'ils sont censés surveiller.

Voilà mon commentaire. Le monde change beaucoup plus rapidement que nous le pensons, parce que les activités terroristes sont maintenant planétaires. Les barrières géographiques qui étaient la norme il y a 20 ans, lorsque le Service canadien du renseignement de sécurité a été établi, n'existent plus. Les gens peuvent communiquer à toute heure du jour et de la nuit avec n'importe qui dans le monde. Ils n'ont même plus besoin de se demander si, à l'autre bout du monde, leur correspondant est éveillé.

Ce sont des questions qu'il faut garder à l'esprit dans la lutte contre le terrorisme international, qui constitue une menace véritable.

Mme Heafey : Je n'ai rien à ajouter à ce qui vient d'être dit.

Le sénateur Andreychuk : Concernant le SCRS, nous savons qu'aux États-Unis, ce n'est pas l'absence d'instruments juridiques qui a entraîné les attentats du 11 septembre 2001. On avait bel et bien recueilli des indices, mais, si j'en crois le rapport de la commission d'enquête sur ces attentats, on n'a pas réussi à avoir la vue d'ensemble qui aurait permis de déchiffrer les intentions des terroristes. Pour y arriver, il aurait fallu bien analyser l'information, plutôt que de simplement la recueillir. La clé de la réussite est l'analyse.

De quelle manière le SCRS a-t-il changé ses pratiques d'embauche et d'analyse dans tous les domaines qui contribuent à une bonne analyse de l'information? Avez-vous pu constater des changements depuis le 11 septembre 2001 ou bien est-ce que nous fonctionnons toujours comme avant?

Mme Pollack : Il vaudrait mieux poser cette question à une personne du SCRS. Je sais qu'ils sont très conscients du besoin de recruter des gens de diverses minorités pour disposer des connaissances linguistiques et culturelles leur permettant de travailler dans un environnement qui a évolué au cours des 20 dernières années.

En 1984, la principale menace venait de l'Union soviétique. Où est l'Union soviétique aujourd'hui? Il y a encore des menaces venant de ces endroits du monde, mais ce sont des menaces différentes. Il y a des menaces de cette époque qui existent encore, mais je n'entrerai pas dans les détails. Nous savons tous que les choses ont changé. Aujourd'hui, le SCRS consacre la plupart de ses ressources à lutter contre le terrorisme, et l'origine du terrorisme change au fil du temps. Les gens du SCRS en sont très conscients et ont fait des efforts pour recruter des personnes ayant les compétences voulues.

Quelle a été l'ampleur des changements depuis trois ans? Je ne saurais vous dire.

Le sénateur Andreychuk : Dois-je déduire de ce que vous venez de dire que le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité lui-même n'a fait aucune analyse ou réflexion dans le cadre de son vaste mandat en vue de déterminer si les méthodes traditionnelles du SCRS sont toujours les meilleures pour un service de renseignement? Autrement dit, je croyais que le devoir de surveillance qui incombe au Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité englobait les nouveaux enjeux et la réflexion sur les changements dans le milieu du renseignement. A-t-on fait quelque chose au sein du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité pour étudier la nouvelle donne?

Mme Pollack : Certainement. Permettez-moi de vous expliquer. Premièrement, notre rôle consiste à examiner et non à surveiller. Je tiens à faire la distinction entre les deux termes. Notre regard ne porte pas sur ce que le SCRS est en train de faire maintenant. Notre travail est plutôt rétrospectif. Il porte sur le travail d'enquête déjà fait, que nous considérons comme terminé.

Le sénateur Andreychuk : Le comité sait qu'il s'agit seulement d'un organisme d'examen. Toutefois, il y a des leçons à tirer de vos examens. N'est-ce pas ce qu'on dit toujours?

Mme Pollack : Oui, j'avais l'intention d'en parler. Nous examinons bien sûr le genre de travail d'enquête fait par le SCRS ainsi que, d'une manière très générale, l'affectation de ses ressources.

Nous ne sommes pas en mesure d'examiner les pratiques d'embauche du SCRS. Les questions d'ordre purement administratif relèvent uniquement du directeur. Le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité ne peut aucunement indiquer la voie à suivre ou faire des recommandations en ce qui concerne le recrutement.

Toutefois, nous posons bel et bien des questions à ce sujet. Par exemple, chaque fois que nous visitons un bureau régional du SCRS, qu'il soit à Ottawa, à Vancouver ou à Toronto, nous demandons aux gens : « Quelles sont vos pratiques de recrutement? Arrivez-vous à vous doter du personnel dont vous avez besoin? Où sont vos faiblesses? » Nous nous intéressons à ces questions. De plus, chaque année, nous prenons grand soin de préparer un plan de recherche mettant l'accent sur les sujets névralgiques, c'est-à-dire sur ce qui préoccupe les Canadiens avant toute chose. Si vous jetez un coup d'œil à nos derniers rapports annuels, vous verrez que nous avons examiné, par exemple, l'enquête du SCRS sur l'extrémisme sunnite. L'année après l'attentat du 11 septembre 2001, nous avons étudié les travaux antérieurs du SCRS pour savoir dans quelle mesure il était au parfum de ce qui se tramait. Que savait-il sur ce qui n'était probablement même pas vu comme une nouvelle menace sérieuse à l'époque, même si elle était bien réelle et que nous en avons tous été abasourdis le 11 septembre?

Notre travail consiste à mettre les véritables enjeux en lumière et à déterminer si le SCRS reste embourbé dans le passé plutôt que de concentrer ses efforts sur la collecte de renseignements vraiment utiles pour protéger le Canada et sa population.

Le sénateur Andreychuk : Pour poursuivre dans cette veine, dites-moi ce que vous faites avec vos analyses. Quels commentaires adressez-vous au gouvernement ou au SCRS?

Mme Pollack : Tous nos rapports d'examen, qui sont de longs projets de recherche dont nous avons beaucoup distillé le contenu une fois qu'ils se retrouvent dans notre rapport annuel — on ne voit que la pointe de l'iceberg dans ce rapport public — tous rapports d'examen, dis-je, sont envoyés au directeur du SCRS, puisqu'il serait inutile de cerner les faiblesses ou les problèmes sans en informer le SCRS lui-même. Nos rapports d'examen sont envoyés aussi à l'inspecteur général, qui agit comme chien de garde interne. Cette personne relève du sous-solliciteur général. Elle est donc l'antenne du ministre.

Nous communiquons nos observations et au gouvernement, et au SCRS.

Le sénateur Andreychuk : L'un des problèmes à l'origine était que les activités de renseignement relevaient de la GRC. Lorsque cette responsabilité lui a été retirée, nous avons vu nombre de rapports mettre en relief les guerres de territoires entre les deux organismes. J'ai fait partie d'un comité du Sénat sur la sécurité à la fin des années quatre- vingt-dix, alors que les guerres de territoires constituaient encore un problème, même si on semblait faire des progrès et qu'il y avait davantage de coopération.

Selon un autre point de vue important exprimé il y a trois ans, il fallait qu'on s'échange l'information. Avez-vous approfondi cette question, et qu'avez-vous recommandé?

Mme Pollack : La question de la relation entre le SCRS et la GRC est toujours primordiale à nos yeux. C'est une question que nous posons chaque fois que nous visitons un bureau régional et chaque fois que nous examinons une enquête. Nous cherchons à savoir quelle information a été échangée et nous nous renseignons sur la relation entre les deux organismes.

Après avoir occupé pendant cinq ans mon poste actuel au sein du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, je dirais sans avoir peur de me tromper que la relation de travail est bonne. Il y a inévitablement des conflits de personnalités à l'occasion, mais je ne veux pas qu'on s'imagine que les problèmes vont au-delà de cela. Il n'y a pas de problème systémique ou enraciné dans les institutions. Je crois que les deux organismes comprennent qu'ils doivent collaborer efficacement parce que, dans certains domaines, ils poursuivent les mêmes objectifs. Dans l'ensemble, la relation est très saine.

Le sénateur Andreychuk : L'un des principaux problèmes soulevés est celui des échanges d'information par-delà nos frontières. Quoique ces échanges aient fondamentalement pour but de contrer le terrorisme, on s'inquiète de la possibilité que certains renseignements se retrouvent entre les mains de pays qui pourraient les utiliser à d'autres fins.

Y a-t-il eu des cas où les échanges d'information avec d'autres autorités ont posé problème? Craignez-vous que de l'information soit employée à mauvais escient par d'autres autorités?

Mme Pollack : Nous sommes très sensibles à ce problème. Évidemment, personne ne peut ignorer ce qui est arrivé à M. Arar. C'est un autre sujet auquel nous portons toujours une attention particulière lorsque nous examinons les enquêtes du SCRS. Nous voulons savoir avec qui il y a eu des échanges d'information, notamment avec quels États. Nous voulons connaître la nature de cette information, qui varie d'un pays à l'autre, selon le degré de confiance accordé au pays et l'historique de sa relation avec le Canada.

Nous n'avons vu aucun cas particulier où la communication d'information à un autre pays a suscité des inquiétudes chez nous. Nous sommes toujours conscients des risques à cet égard, et nous leur portons toujours une attention particulière.

Le sénateur Andreychuk : Vous avez toutes les deux fait des commentaires à propos des changements qui vous semblent nécessaires. Y aurait-il d'autres domaines où des changements pourraient être utiles pour améliorer le système de renseignement dans sa globalité? Autrement dit, on dirait que nous avons affaire à des gens qui travaillent chacun dans leur coin. Je crains qu'au bout du compte, nous nous retrouvions avec un système trop fragmenté. Notre système est-il le meilleur qui soit, et la responsabilisation de ses acteurs est-elle optimale? Nous abandonnons beaucoup de droits à divers organismes et nous tolérons beaucoup d'intrusions. Je me demande si, au bout du compte, nous ne sommes pas en train de payer un prix trop élevé à cause de cette compartimentation. Auriez-vous des conseils à nous donner sur ce que nous pourrions faire pour rendre le système plus apte à nous protéger, de manière à ce qu'il en vaille la peine de payer le prix que nous payons et d'abandonner les droits que nous abandonnons? Nous assistons plutôt aujourd'hui à tout un remue-ménage qui ne nous rassure pas beaucoup en ce qui a trait à notre sécurité. Lorsque je lis les journaux, je suis bombardé d'information mettant des failles en évidence. Ça n'a pas fonctionné parce que ce n'était pas dans mon domaine; ça relevait de quelqu'un d'autre. Y aurait-il une façon d'améliorer le système dans son ensemble?

Mme Pollack : J'ai quelques idées. Il y a un certain nombre de mécanismes de responsabilisation qui doivent être employés dans les institutions publiques et qui le sont d'ailleurs dans une large mesure au Canada. Avec des examens, on peut paralyser des organismes qui sont censés s'employer à faire des enquêtes. Ils sont alors empêtrés parce qu'ils passent leur temps à réagir aux examens. Je dirais simplement que nous ne devrions pas oublier les ministres. Il y a des ministres à la tête de chacun de ces organismes. Les dirigeants de ces organismes ont des comptes à rendre à leur ministre.

Les ministres devraient rendre compte des activités de leurs organismes devant le Parlement. Je le dis à titre d'observation. Il y a aussi le Commissariat à la protection de la vie privée, le Commissariat à l'information et le Bureau du vérificateur général. Ils détiennent tous trois des éléments importants de la solution. Ils ont de l'expertise et des pouvoirs qui peuvent être utiles lorsqu'on doit veiller à ce que les organismes ayant beaucoup de pouvoirs les exercent judicieusement et dans le respect de la loi.

Mme Heafey : Premièrement, je ne pense pas que le Commissariat à l'information s'occupe des mêmes problèmes que nous. J'aimerais vous donner un exemple à cet égard. Vous le connaissez peut-être déjà alors si c'est le cas, vous n'avez qu'à m'interrompre.

En Irlande du Nord, on est certainement bien au courant de la question du terrorisme et il s'y trouve un ombudsman qui s'occupe de la police et qui possède des pouvoirs extraordinaires. C'est Mme Nuala O'Loan qui occupe cette fonction. Elle dispose d'un personnel très important et effectue toutes les enquêtes. Lorsqu'il y a des plaintes, elle fait des vérifications. Pourtant, les services de police là-bas arrivent quand même très bien à faire leur travail. Les policiers ne sont pas toujours heureux qu'on passe ainsi leur travail au peigne fin, mais qui en serait content de toute manière? Je ne suis pas contente, moi non plus, lorsque le Commissariat à l'information ou le Commissariat à la protection de la vie privée vient nous voir pour nous dire que nous avons manqué à une obligation. Ça fait partie du travail que nous avons à faire. Nous devons nous en accommoder. Je sais qu'en Irlande du Nord, ça ne pose pas de problème.

Mme Heafey : À titre d'excuse, les organismes disent parfois que le regard qu'on jette ainsi sur eux les empêche de faire leur travail. Mais je ne suis pas d'accord avec cette affirmation. En fait, nous sommes là pour les aider. En révélant des problèmes après coup, nous avons déjà été très utiles à la GRC. Nous avons peut-être attiré son attention sur des domaines problématiques ou sur des membres œuvrant dans un certain domaine dont ils n'auraient pas pu entendre parler autrement.

Les organismes disposent de moyens et de pouvoirs. Ils devraient par le fait même avoir des comptes à rendre. Je ne pense pas que la GRC puisse vraiment se plaindre d'être paralysée par les examens comme je l'ai entendue le faire.

Le sénateur Andreychuk : Merci.

Le sénateur Cools : J'écoute les témoins avec beaucoup d'intérêt et je les remercie pour leur sincérité.

Je crois avoir voté lors de l'adoption du projet de loi transformant la direction générale de la sécurité de la GRC pour en faire une nouvelle entité nommée SCRS. Vous avez communiqué très clairement vos inquiétudes au comité. Ma question porte sur ce qui semble être le problème sous-jacent causant les ratés du système dans son ensemble, selon ce que j'entends dire. Par « système », je veux dire la responsabilité ministérielle. Un bon nombre de problèmes, parmi ceux dont vous avez parlé, pourraient être résolus par des ministres ayant les capacités et les compétences nécessaires, mais ce n'est manifestement pas ce qui se produit. D'une certaine manière, c'est l'échec des ministres à s'acquitter de leur responsabilité. On pourrait s'attendre, en pareil cas à ce que le Parlement intervienne, mais le Parlement est à mes yeux une institution faible par les temps qui courent. Il semble que le Parlement ne soit pas capable d'exiger qu'un seul ministre lui rende des comptes. Dans quelle mesure ces problèmes seront-ils résolus par une autre modification à une autre loi ou une autre décision pour établir un autre comité ou une autre commission d'examen? À quel stade finirons- nous par prendre la pleine mesure du problème de la responsabilité ministérielle et de l'obligation des ministères et des organismes à rendre compte, problème qui est en fait d'origine constitutionnelle?

Nous ne pouvons pas obtenir d'aucun ministre qu'il témoigne devant aucun des comités dont je suis membre. Je ne fais pas normalement partie du présent comité, mais j'y remplace plutôt un autre sénateur aujourd'hui. Les ministres se présentent devant un comité pendant deux heures pour parler d'un volumineux et complexe projet de loi, puis ils disparaissent, et nous n'entendons plus parler d'eux pendant un an. Pourtant, lorsque les fonctionnaires d'un ministère témoignent devant un comité, ils soulèvent de nombreux problèmes. Pourquoi les ministres ne parlent-ils pas de ces problèmes aux comités? Pourquoi ne cherchent-ils pas à les résoudre? Combien de commissions faudra-t-il encore créer? Combien d'organismes indépendants faudra-t-il former? Combien d'argent des contribuables devra-t-on encore dépenser? Ce sont essentiellement des questions d'ordre politique, mais je ne peux m'empêcher de me demander où sont les ministres lorsque vient le temps de résoudre ces problèmes.

J'ai fait partie d'un tribunal, et je sais que certains organismes et certains ministères fédéraux souffrent de négligence ministérielle. Ils auraient besoin vraisemblablement d'une supervision plus sérieuse de la part de leur ministre. Vous ne pouvez peut-être pas répondre ou faire des commentaires à ce sujet, mais quelles sont vos idées? Je suis grandement préoccupée lorsque je constate qu'un si grand nombre de tâches sont soustraites à la responsabilité ministérielle au nom de l'indépendance. Il fut un temps, par exemple, où les libérations conditionnelles relevaient d'un ministère, jusqu'à ce qu'on lui retire cette responsabilité. Alors, le nombre de commissaires chargés des libérations conditionnelles s'est accrû, de même que le nombre d'employés. En somme, les ministres ne font pas leur travail.

La présidente : Je devrais peut-être signaler une ou deux choses. À venir jusqu'à maintenant, les ministres ont accordé toute l'attention nécessaire à notre comité et ils sont prêts à revenir témoigner si nous leur demandons. Nous avons dans notre liste des ministres qui viendront témoigner pour la première fois ainsi que des ministres qui y sont déjà venus et qui reviendront. Jusqu'à ce jour, sénateur Cools, nous avons eu pleinement accès aux ministres, et à mesure que nous traiterons de diverses questions, nous envisagerons certainement la possibilité d'inviter des ministres à revenir témoigner devant nous.

Le sénateur Cools : Eh bien, la ministre devrait peut-être revenir pour nous parler des problèmes soulevés directement par ces témoins. Manifestement, madame la présidente, vous êtes une femme très influente, parce que j'ai fait partie du Comité de permanent de sécurité nationale et de la défense lorsque le projet de loi C-17, sur la sécurité publique, nous a été soumis. Le ministre de l'époque a témoigné devant le comité pendant une brève période, puis nous avons entendu au total deux témoins. Le projet de loi est retourné au Sénat après quelques jours d'étude par le comité et n'a fait l'objet que d'un bref débat. Les questions soulevées par les témoins aujourd'hui auraient dû l'être également lors de l'étude du projet de loi C-17.

La présidente : Il nous reste certainement un bon bout de chemin à parcourir avant que le comité ait terminé son travail. Je crois que tous les ministres qui sont venus témoigner ont indiqué qu'ils seraient prêts à revenir nous voir.

Le sénateur Cools : Je n'ai aucun doute qu'il se trouvera quelqu'un pour revenir, mais j'essaie plutôt de faire valoir un argument de manière générale.

La présidente : Nos témoins ont peut-être quelque chose à dire à ce sujet.

Le sénateur Cools : Je ne suis pas tout à fait au courant de ce genre de problèmes, parce que je ne m'y consacre pas. À un moment ou un autre, le gouvernement actuel et les gouvernements futurs devront veiller davantage à ce que notre système fonctionne. J'entends les témoins nous dire qu'à l'heure actuelle, il ne fonctionne pas comme il faut. Vous semblez dire que si nous avions un pouvoir de plus par ci ou une tâche de plus par là, le système pourrait fonctionner.

Le sénateur Jaffer met souvent en évidence les problèmes de ce genre, qui ont trait aux personnes de manière tout à fait directe. Si des gens se sentent maltraités ou s'ils sont poursuivis à tort, le problème n'est pas abstrait. Il touche les vies des gens.

Mme Heafey : Madame le sénateur, je dirige la Commission des plaintes du public contre la GRC depuis sept ans et demi. Après la première année, j'ai essayé d'attirer l'attention des députés à grand renfort de lettres et de rapports annuels. Dans ces rapports, j'ai souligné des problèmes et j'ai offert aux députés de leur parler. Je ne sais pas ce que j'aurais pu faire de plus. Je ne suis pas parvenue à sensibiliser le Parlement aux problèmes. Je sais qu'il y a beaucoup d'autres chats à fouetter et qu'il est parfois difficile de s'occuper d'un organisme en particulier. Mais nous avons certainement œuvré dans ce sens, de manière à indiquer dans nos rapports annuels les problèmes que nous rencontrons continuellement et qui nécessitent une attention particulière.

C'est pourquoi j'aimerais beaucoup qu'il y ait un comité parlementaire qui se consacre exclusivement à ce dossier. Je pense que c'est important. Et de toute évidence, mon vœu sera exaucé.

Le sénateur Cools : J'ai été frappée par vos plaidoyers en vue d'obtenir l'aide dont vous avez besoin pour vous acquitter des tâches qu'on vous a confiées. Vous ne demandez rien d'autre que de pouvoir faire ce qui est prévu dans la loi ou de pouvoir accomplir le mandat qui vous est donné par les décideurs. Vous demandez simplement qu'on vous permette de fonctionner, de faire le travail qui devrait normalement être réalisé. Ce qui me fait dire que le gouvernement devrait tâcher de faire son travail, lui aussi. Ça nous aiderait beaucoup, je crois.

Merci, madame la présidente. C'est une question extrêmement sérieuse, que nous soyons dans un domaine ou un autre. Nous savons que le comité du sénateur Kenny accomplit un travail formidable, mais le Parlement a une responsabilité particulière : avant toute chose, il doit voir à ce que le gouvernement fonctionne bien et à ce que les affaires de l'État soient prises en charge comme il se doit. Peut-être que nous devrions commencer un débat là-dessus, madame la présidente.

La présidente : Sénateur Cools, c'est une question qui pourrait être posée au Sénat. Cependant, je peux vous assurer que je n'ai jamais fait partie d'un comité aussi énergique. Chaque témoin nous informe beaucoup et éveille notre curiosité. Il nous donne le goût d'en savoir plus. Le groupe d'aujourd'hui est formidable. Nous écoutons attentivement. Nous allons transmettre les points de vue exprimés. Au fil de nos travaux, nous allons certainement revoir des ministres.

À l'heure actuelle, toutefois, il est de mon devoir de m'assurer que tous les sénateurs membres de notre comité ont l'occasion de poser des questions. Pour la première fois depuis des semaines, nous avons atteint le deuxième tour. Madame le sénateur Jaffer et monsieur le sénateur Joyal ont demandé à prendre la parole, et je veux certainement donner au sénateur Lynch Staunton la possibilité de poser des questions aux témoins parce je sais qu'il peut nous faire bénéficier de sa sagesse.

Le sénateur Jaffer : J'apprécie ce que vous nous avez dit, madame Pollack. Nous avons certainement pu nous apercevoir que nous devrions faire certaines recommandations. J'ai deux questions à vous poser. Dans mes voyages au pays, j'ai constaté que même les gens qui connaissent le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité ne sont pas portés à s'adresser à lui. J'aimerais savoir ce que vous faites pour vous faire connaître, en particulier au sein des minorités ethniques. Quel travail faites-vous à cet égard?

J'ai de graves préoccupations. Je viens de la province où ont eu lieu les procès concernant l'attentat du vol d'Air India. Qui plus est, je m'efforce depuis 20 ans de convaincre le gouvernement de rendre justice aux familles qui ont perdu des êtres chers.

Dans un article publié par le Globe and Mail le 8 avril 2005, un avocat réputé du nom de Robert Matas se demande pourquoi le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, qui doit surveiller le SCRS, a omis de produire un rapport en bonne et due forme sur le travail du SCRS dans le dossier du vol d'Air India. Le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité a conclu en 1992 qu'aucune information importante n'avait été perdue lors de l'effacement des enregistrements d'écoute électronique. Puis, Michael Code, l'un des avocats ayant défendu Bagri, est venu dire que cette dernière affirmation n'avait aucun sens. Le SCRS détenait une mine d'information et, en faisant preuve d'une diligence raisonnable, il aurait dû s'en apercevoir. Il avait le devoir de conserver cette information, puis de la communiquer aux personnes concernées.

J'ai un exemplaire de votre rapport de 1992. Vous dites dans ce rapport que le SCRS s'est acquitté de son mandat d'enquêter sur les menaces terroristes éventuelles et d'avertir les autorités compétentes. Compte tenu de ce que le juge a dit dans l'affaire du vol d'Air India, avez-vous l'intention de revoir votre rapport et de corriger ce que vous avez dit en 1992?

Mme Pollack : Premièrement, je ne pense pas pouvoir être d'accord avec Robert Matas lorsqu'il dit, dans le Globe and Mail, qu'il n'y a pas eu d'examen rigoureux. Le rapport avait près de 200 pages, et je sais qu'il a été le fruit de plusieurs mois de travail. Les documents rattachés à l'affaire qui étaient entre les mains du SCRS ont tous été examinés soigneusement.

Je n'y étais pas à cette époque. Je veux que ce soit bien clair. Je suis arrivée au Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité de nombreuses années après tous ces événements. Le président du comité, John Bassett, est décédé depuis lors. Aujourd'hui, il y a peu de gens qui pourraient parler de cette affaire en toute connaissance de cause. Mais pour ma part, je ne doute pas que le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité a examiné toute l'information qui était disponible. Je sais que les gens du comité ont abattu une grosse besogne dans ce dossier.

À ce stade-ci, à moins qu'on nous demande de le faire, notre comité n'envisage pas d'effectuer un examen, parce que je ne crois pas qu'il y ait de nouveaux documents à étudier. Je pense que tous les documents étaient là lorsque nous avons effectué notre examen, en 1992. Il est évident que l'issue du procès a constitué une surprise et un choc pour un grand nombre de personnes, mais je ne pense pas que nous apprendrions quoi que ce soit de nouveau.

Le sénateur Jaffer : Même pas après avoir entendu les propos du juge au sujet du comportement du SCRS? Vous ne pensez pas que vous devriez le faire en tant qu'organisme d'examen?

Mme Pollak : Le juge a effectivement formulé des remarques négatives au sujet de l'effacement des bandes, et nous avons critiqué le SCRS pour la même raison. Nous l'avons fait d'une façon différente, mais nos observations n'étaient pas vraiment différentes de celles du juge.

Je pense que l'examen effectué par le CSARS relativement à l'enquête sur la catastrophe d'Air India renfermait pas mal de critiques à l'endroit du service. Nous avons déterminé pourquoi certaines choses s'étaient produites de cette façon, pourquoi les bandes avaient été effacées, mais nous n'avons certainement pas dit que c'était correct et nous n'avons pas adressé de félicitations au SCRS. Je pense que nous serions d'accord avec le point de vue du juge, mais cela date de 20 ans.

Le sénateur Jaffer : Le CSARS a-t-il rencontré les familles?

Mme Pollak : Il l'a fait en 1992, lorsqu'il a mené son examen relativement à la catastrophe d'Air India.

Le sénateur Jaffer : Qu'en est-il de la prise de contact avec la communauté ethnique? Quel genre de mesures le CSARS a-t-il pris en ce sens?

Mme Pollak : Nous ne prenons pas contact comme tel avec la communauté. Nous avons fait des efforts importants qui, je pense, ont connu un certain succès depuis quelques années, afin d'améliorer notre site Web et d'établir un contact par l'entremise de ce site et au moyen de nouvelles publications. Je me rends personnellement dans les universités afin d'expliquer notre rôle aux jeunes. Évidemment, les jeunes qui fréquentent les universités de nos jours forment un microcosme de la population canadienne. Par conséquent, c'est en quelque sorte ma petite pièce du puzzle.

Le CSARS est une petite agence. Comme vous l'avez peut-être entendu lorsque je parlais à mon collègue, notre effectif compte 20 personnes lorsqu'il est complet, ce qui est rarement le cas. Nous n'avons vraiment pas les ressources nécessaires pour faire des démarches et rencontrer en personne les membres des collectivités.

Le sénateur Jaffer : Avez-vous songé à établir des contacts par l'entremise des médias ethniques?

Mme Pollak : Non.

Le sénateur Lynch-Staunton : Merci, madame la présidente. Je m'excuse d'être en retard. Si n'importe laquelle de mes questions a déjà été traitée, interrompez-moi. Je consulterai le compte rendu.

La dernière fois que nous nous sommes réunis, le commissaire de la GRC était avec nous. J'étais déçu du fait qu'il était accompagné d'un représentant de la Police provinciale de l'Ontario et d'un autre du Service de la police d'Ottawa, parce que nous ne pouvions lui poser des questions touchant exclusivement des dossiers ayant trait aux activités de la GRC.

Madame la présidente, j'espère que le commissaire reviendra ici le plus tôt possible avec ses adjoints. Peut-être pourrons-nous lui demander d'expliquer pourquoi il est satisfait de ce qui est en réalité une commission des plaintes émasculée, si je peux employer ce terme, compte tenu que je n'ai pas entendu le SCRS se plaindre de sa commission de supervision.

Cela dit, j'aimerais demander à la présidente de la commission des plaintes de nous dire combien de plaintes sont présentement devant son agence? Que fait la commission en ce moment?

Mme Heafy : Vous parlez des plaintes liées à la sécurité nationale ou de toutes les plaintes?

Le sénateur Lynch-Staunton : Des plaintes liées aux activités de la GRC.

Mme Heafy : Nous en avons 783. Il y en a de l'Alberta, de la Colombie-Britannique, du Nouveau-Brunswick, jusqu'au Yukon.

Le sénateur Lynch-Staunton : Ces plaintes ont-elles été présentées directement à votre commission, ou ont-elles été traitées par celle-ci?

Mme Heafy : Elles ont été portées par nous.

Le sénateur Lynch-Staunton : Je me reprends. Si je veux porter plainte, je m'adresse à vous. Que faites-vous à partir de là?

Mme Heafy : Eh bien, nous transmettons habituellement la plainte à la GRC, comme l'exige la loi, sauf si la personne fait partie d'un groupe très vulnérable. Il y a des personnes qui ont parfois eu une expérience très négative avec la GRC et qui portent plainte. Toutefois, lorsqu'elles apprennent que le premier enquêteur est un autre membre de la GRC, elles reculent et deviennent très mal à l'aise. Dans un tel cas, nous nous occupons nous-mêmes de la plainte si nous le pouvons, mais normalement celle-ci est transmise à la GRC. C'est ce que prévoit la loi. La GRC étudie la plainte. Elle fait enquête, puis elle remet un rapport au plaignant. Si celui-ci est satisfait, le dossier est clos. Si le plaignant n'est pas satisfait, il revient nous voir et il nous demande d'examiner ce que la GRC a fait.

Le sénateur Lynch-Staunton : Pouvez-vous mener une enquête sans l'approbation du commissaire?

Mme Heafy : Oui.

Le sénateur Lynch-Staunton : J'ai lu ce document trop rapidement. Je croyais que vous aviez besoin de l'approbation du commissaire. À quel moment le commissaire intervient-il?

Mme Heafy : Le commissaire intervient dès que nous transmettons la plainte à la GRC. Lorsque nous recevons une plainte, nous l'envoyons à la GRC, qui mène une enquête, puis le commissaire fait ensuite rapport au plaignant.

Le sénateur Lynch-Staunton : Avez-vous dit qu'il y a des cas où vous n'avez pas à vous adresser au commissaire?

Mme Heafy : Je ne suis pas tenue d'envoyer la plainte à la GRC.

Le sénateur Lynch-Staunton : Comment déterminez-vous les plaintes qui sont transmises à la GRC et celles qui ne le sont pas?

Mme Heafy : Comme je l'ai dit, si j'estime que la personne est trop vulnérable, nous menons l'enquête nous-mêmes et nous ne transmettons pas la plainte à la GRC. Nous prévenons simplement la GRC que nous avons reçu une plainte et que nous allons faire enquête relativement à celle-ci.

Le sénateur Lynch-Staunton : S'agit-il d'un pouvoir discrétionnaire?

Mme Heafy : C'est discrétionnaire.

Le sénateur Lynch-Staunton : Dans ce cas, est-ce que vous pourriez juger que toutes les plaintes proviennent de personnes vulnérables et, par conséquent, qu'elles ne doivent pas être transmises à la GRC?

Mme Heafy : Oui, sauf que nous n'avons pas les ressources nécessaires pour enquêter nous-mêmes très souvent.

Le sénateur Lynch-Staunton : Y a-t-il une disposition qui vous permette de vous occuper d'une plainte sans l'approbation du commissaire?

Mme Heafy : Oui.

Le sénateur Lynch-Staunton : Combien de plaintes avez-vous dit que la commission doit traiter en ce moment?

Mme Heafy : Nous en avons 783.

Le sénateur Lynch-Staunton : Ces plaintes sont-elles présentement à la commission aux fins d'enquête?

Mme Heafy : Non, elles ne feront pas l'objet d'une enquête par nous. Il s'agit de plaintes que nous avons reçues. Certaines d'entre elles ont été transmises à la GRC, tandis que nous nous occupons des autres. La plupart sont envoyées à la GRC. Je ne suis pas en mesure de vous donner les chiffres précis aujourd'hui.

Le sénateur Lynch-Staunton : J'aurais aimé que vous puissiez le faire. Lorsque j'ai lu au sujet de votre commission, j'ai éprouvé de la sympathie pour vous, parce que je croyais que la GRC avait un droit de veto sur vous, mais d'après ce que j'entends ce n'est pas nécessairement le cas.

Mme Heafy : Je me demande si nous ne sommes pas en train de semer une certaine confusion. Peut-être suis-je confuse. La GRC décide si je vais obtenir ou non les renseignements que je veux. C'est ce qui pose problème.

Le sénateur Lynch-Staunton : Pouvez-vous vous occuper d'une plainte sans demander l'approbation du commissaire? J'espère que j'emploie le libellé approprié.

Mme Heafy : Oui.

Le sénateur Lynch-Staunton : Mais la GRC peut-elle vous refuser l'accès à des renseignements dont vous avez besoin pour évaluer adéquatement la plainte?

Mme Heafy : Oui et c'est là le problème.

Le sénateur Lynch-Staunton : Parmi les plaintes que vous avez en main, dans combien de cas pensez-vous qu'on va vous refuser l'accès à l'information? Quel est le pourcentage à cet égard?

Mme Heafy : Dans la plupart des cas, il s'agit de plaintes relativement simples qui ne nécessitent pas beaucoup de renseignements, mais il y en a quelques-unes qui peuvent avoir trait à la sécurité nationale ou aux renseignements fournis par un informateur. On nous empêche de voir quelque renseignement que ce soit de cette nature. Nous avons présentement une plainte semblable, qui a trait au fait que la maison et la grange d'une personne ont été fouillées. Aucune accusation n'a jamais été portée. Par conséquent, cet homme est très en colère et dit : « Ma grange a été fouillée, aucune accusation n'a été portée. Par conséquent, qu'est-ce que je peux faire? Aidez-moi.» Toutefois, nous ne pouvons obtenir les renseignements qui nous permettraient de lui faire rapport, parce que la GRC dit que nous ne pouvons les obtenir.

Le sénateur Lynch-Staunton : Le CSARS n'a pas le même problème?

Mme Pollak : Non.

Le sénateur Lynch-Staunton : Le SCRS est-il tenu de vous fournir les renseignements demandés ou de collaborer?

Mme Pollak : Oui.

Le sénateur Lynch-Staunton : Le SCRS est-il plus sensible à la sécurité et aux questions délicates ayant trait au renseignement que la GRC?

Mme Pollak : Évidemment, parce que c'est tout ce dont ce service s'occupe. La GRC mène aussi des activités policières courantes et j'imagine qu'un bon nombre de plaintes n'ont pas trait à la sécurité. C'est la différence.

Le sénateur Lynch-Staunton : Si le commissaire était ici aujourd'hui et que je lui demandais pourquoi il accepte ce genre de commission des plaintes passive — si c'est insultant je vais me rétracter — au lieu d'avoir une agence plus active qui aiderait réellement la GRC, que répondrait-il? J'espère qu'il va venir ici. Je vais lui poser la question. Madame la présidente, je suis certain que vous lui avez posé cette question.

Mme Heafy : Je n'ai pas obtenu de réponse acceptable. Nous sommes présentement en cour afin d'essayer de régler cette question. Nous allons devant la Cour d'appel fédérale le 11 mai pour essayer d'obtenir des renseignements relativement à la plainte à laquelle je viens de faire allusion. Nous espérons que la cour dira à la GRC : « Vous devez fournir les renseignements demandés ». Ceci nous permettrait ensuite de répondre au plaignant.

Le sénateur Lynch-Staunton : Nous allons nous arrêter là. Je vous remercie.

La présidente : Certains sénateurs ici présents se souviennent sans doute que la dernière fois qu'il est venu ici, le commissaire Zaccardelli a dit qu'il serait heureux de revenir et d'emmener avec lui des cadres de la GRC. Par conséquent, nous aurons une autre séance avec lui et j'imagine que certaines de ces questions seront soulevées.

Le sénateur Joyal : Je signale au sénateur Lynch-Staunton qu'une partie de la question qu'il a posée relativement au pouvoir de la GRC de refuser de fournir un document ou des renseignements est visée par l'alinéa 45.41(2)b) de la Loi sur la GRC. J'ai signalé à nos témoins que c'est la disposition qui donne au commissaire le pouvoir de refuser de fournir des documents ou des renseignements supplémentaires pouvant être demandés par la Commission des plaintes du public.

J'aimerais poser une dernière question relativement à la proposition que vous, madame Heafy, avez faite à la commission Arar, portant qu'une commission nationale d'enquête sur les questions liées à la sécurité soit créée afin d'encadrer toutes les activités des divers services, qu'il s'agisse du SCRS, des renseignements sur les télécommunications, ou de l'organisme dont nous avons traité ce matin, le CANAFE. Nous avons interrogé les témoins sur la capacité de superviser leurs activités, mais ceux-ci n'ont pu nous fournir une réponse satisfaisante.

Pourriez-vous nous dire pourquoi vous avez fait cette suggestion et pourquoi nous devrions l'adopter de façon à répondre à certaines des préoccupations qui ont été soulevées ici aujourd'hui?

En d'autres mots, convainquez-nous que vous aviez raison lorsque vous avez formulé cette recommandation à la commission Arar et dites-nous pourquoi le comité devrait l'inclure dans ses recommandations principales, suite aux questions posées, sauf erreur, par le sénateur Andreychuk.

Mme Heafy : Monsieur le sénateur, une partie du mandat de la commission Arar consistait à se pencher sur la GRC.

Compte tenu de mon expérience avec le SCRS et la GRC, et compte tenu de ce qui s'est passé lors de la création de la commission Arar, j'ai voulu tenir compte de l'ensemble de la situation au lieu de me concentrer uniquement sur notre propre situation. Je pense qu'il est nécessaire de modifier les dispositions législatives pertinentes.

Dans le contexte actuel, il est très possible qu'un autre cas comme l'affaire Maher Arar se produise. Si c'était le cas, nous aurions un organisme ayant le pouvoir de se pencher sur tous les services qui s'occupent de la sécurité nationale. Il ne serait pas nécessaire d'avoir un grand organisme, mais celui-ci aurait les compétences spécialisées nécessaires. Je dis cela parce que j'ai vu ce qui a posé des problèmes à la commission Arar. La tâche est très difficile et complexe pour les personnes qui ne sont pas issues du milieu. Il serait plus efficace d'avoir un organisme possédant déjà les compétences nécessaires et ayant le pouvoir de tout examiner, en collaboration avec nous et avec le CSARS, que d'avoir une autre commission Arar. Je ne sais pas combien de millions de dollars cette commission va coûter en bout de ligne, mais ce n'est pas de la faute du juge O'Connor.

L'organisme qu'il faut pour faire ce travail doit connaître le secteur, savoir comment obtenir les renseignements voulus et se pencher sur plus d'une agence. Il pourrait, au besoin, faire appel à notre expertise et à celle de la GRC et du CSARS. Je pense qu'une telle mesure serait beaucoup plus efficace que de créer des commissions très coûteuses, sans compter qu'au bout du compte les personnes qui ont acquis les compétences nécessaires ne restent pas nécessairement avec le gouvernement.

Même si je ne fais pas de lobbying à cet égard, nous avons consacré beaucoup de temps à songer à la façon la plus efficace de mener de telles enquêtes. Une telle agence pourrait se développer et elle disposerait d'un noyau de personnes ayant les compétences spécialisées nécessaires si une autre commission telle que la commission Arar était nécessaire. Nous pourrions faire bénéficier cette agence de notre expérience avec la GRC. Le CSARS pourrait faire de même avec le SCRS, et le commissaire du CST pourrait en faire autant avec le CST. C'est ce à quoi je pensais.

Le sénateur Joyal : Voyez-vous cet organisme jouer un rôle en matière de politique. Nous essayons toujours d'apprendre de nos erreurs. Je pense que les Canadiens se demandent si toutes ces agences se penchent sur les grandes questions d'actualité, au lieu de se préoccuper de leur propre secteur de responsabilité au point d'en oublier ce qui se passe à l'extérieur et de ne prendre aucune initiative préventive. Un bon nombre de ceux qui ont analysé ce qui s'est produit aux États-Unis ont dit que les diverses agences étaient en possession de tous les renseignements pertinents, mais que personne ne les a mis tous ensemble.

Le sénateur Jaffer a fait allusion à la tragédie d'Air India. Aurions-nous dû être capables de prévenir cette tragédie? N'y avait-il personne qui savait que quelque chose se tramait? La recherche de renseignements prend du temps. Il faut mettre au point un réseau intégré. Il faut faire preuve d'une grande initiative pour devenir efficace. Une fois que l'on a les renseignements en main, ceux-ci doivent être analysés correctement et des décisions stratégiques doivent être prises en fonction de ces données, et ainsi de suite.

Sauf erreur, nous avons entendu 17 témoins dans le cadre de cette étude, et je ne suis toujours pas convaincu que quelqu'un, quelque part, supervise l'ensemble des activités. J'ai encore l'impression qu'il y le CANAFE, qu'il y a le SCRS et qu'il y a la GRC qui courent après les méchants. Y a-t-il quelqu'un, quelque part, qui a la responsabilité de prendre les décisions stratégiques?

Tous ces renseignements doivent servir à une fin et cette fin ne consiste pas à corriger un désastre après coup. Elle consiste à prévenir le désastre. Nous parlons tous de la menace, mais il semble que personne ne puisse mettre le doigt sur ce qu'est la menace pour le Canada.

J'ai écouté aussi attentivement que possible, compte tenu que je ne suis pas un spécialiste de ces questions. Bien que je ne doute pas que tous travaillent de bonne foi et au meilleur de leur compétence, que tous sont dévoués et honnêtes, je ne suis pas convaincu que le système pris dans son ensemble soit le meilleur possible après trois ans et des dépenses de 10 milliards de dollars.

Mme Pollak : Il faut établir une distinction entre, d'une part, la coordination stratégique et l'orientation de politique, et, d'autre part, l'analyse ou la surveillance intégrée. Ce ne sont pas les mêmes choses et je pense que vous visualisez deux genres de rôle différents pour une telle commission.

Vous avez tout à fait raison lorsque vous dites qu'un centre intégré — un centre de décisions — est nécessaire aux fins d'orientation de la politique et de prestation de conseils aux agences, afin que tous travaillent de façon plus ou moins concertée. Cela ne veut pas dire qu'on veut fragmenter l'indépendance des diverses agences, parce qu'elles ont effectivement des mandats différents et il en est ainsi pour une raison précise. Toutefois, il est essentiel d'avoir une orientation de politique qui soit comprise par l'ensemble des intervenants.

Vous avez raison de dire qu'une partie du problème aux États-Unis est liée au fait qu'un lien n'a pas été établi entre les divers renseignements. Le problème n'était pas dû à un manque de renseignements. Les autorités avaient obtenu des renseignements sur tous les aspects possibles et imaginables de la situation qui a mené aux événements du 11 septembre, mais il n'y avait aucun endroit où ces renseignements étaient regroupés, ce qui aurait permis de les étudier et de les communiquer aux décideurs et aux consommateurs qui en avaient besoin pour prendre des mesures préventives. C'est là un point important chez nous, au Canada, ainsi que dans toutes les démocraties occidentales.

Je ne suis toujours pas convaincue de la nécessité de procéder à un examen général d'organismes qui, tout en faisant partie de la communauté globale du renseignement et de la sécurité, ne s'adonnent pas à la collecte secrète de renseignements ayant une incidence sur la vie des Canadiens. Je ne suis pas certaine de la raison pour laquelle nous avons besoin, par exemple, d'un examen des groupes d'évaluation aux Affaires étrangères, ou du Secrétariat de l'évaluation du renseignement au BCP. Je ne fait pas la promotion de qui que ce soit. C'est simplement qu'ils font des choses très différentes de ce que fait le SCRS, qui obtient des mandats pour écouter vos conversations téléphoniques ou pour surveiller vos activités sur Internet, tout à fait à votre insu.

Quelles sont les activités du Secrétariat de l'évaluation du renseignement au BCP qui devraient faire l'objet d'un examen? Il y a d'autres agences, notamment à Citoyenneté et Immigration et au MDN, qui ne s'adonnent pas à des opérations secrètes de collecte de renseignements visant les Canadiens.

Pourquoi avons-nous besoin de ce genre d'examen? Pourquoi la responsabilité ministérielle n'est-elle pas suffisante?

Le sénateur Joyal : Madame la directrice exécutive, c'est un sujet que l'on va garder pour plus tard.

La présidente : Merci. Il nous reste beaucoup de temps en vertu de notre mandat, soit au moins jusqu'à la fin de l'année. Nous avons appris beaucoup de choses jusqu'à maintenant. Nous en apprenons davantage de chaque groupe qui vient témoigner devant nous, et nous avons aussi plus de questions. Nous allons poursuivre nos efforts. Vous nous avez été très utiles aujourd'hui. Comme certains collègues l'ont mentionné, vos observations vont nous orienter vers d'autres discussions qui seront liées aux points dont vous nous avez fait part aujourd'hui.

Vous oeuvrez dans un secteur important et difficile de notre société gouvernante, et nous vous souhaitons bonne chance dans votre travail. Il ne fait aucun doute que vos points de vue seront pris en considération autour de cette table, dans le cadre de nos discussions futures, notamment avec le commissaire de la GRC, avec des ministres et avec tous ceux qui viendront témoigner. Vous avez apporté votre contribution et nous vous en remercions beaucoup.

Ce soir, à 19 heures, nous aurons notre vidéoconférence avec l'Australie.

Honorables sénateurs, cette partie de la séance est terminée.

La séance est levée.


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