Délibérations du comité sénatorial spécial sur la
Loi antiterroriste
Fascicule 9 - Témoignages - Séance du matin
OTTAWA, le lundi 2 mai 2005
Le Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste se réunit aujourd'hui à 10 h 3 pour procéder à un examen approfondi des dispositions et de l'application de cette loi (L.C.2001, ch.41).
Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, il s'agit de la dix-neuvième séance au cours de laquelle le Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste accueille des témoins.
Pour le bénéfice de nos spectateurs, je vais expliquer l'objectif du comité. En octobre 2001, en réponse directe aux attaques terroristes menées contre les villes de New York et de Washington et l'État de la Pennsylvanie, et à la demande des Nations Unies, le gouvernement canadien a déposé le projet de loi C-36, Loi antiterroriste. Compte tenu de l'urgence de la situation à l'époque, le Parlement a été invité à accélérer l'étude du projet de loi. Et nous avons accepté. La date limite fixée pour son adoption avait été fixée à la mi-décembre 2001. Cependant, certains se sont dits inquiets de voir qu'il était très difficile d'évaluer en détail les répercussions éventuelles de cette mesure législative en un si court laps de temps.
Pour cette raison, il a été convenu que trois ans plus tard, le Parlement serait invité à examiner rétrospectivement les dispositions de la Loi et leur impact sur les Canadiens, dans le cadre d'un forum public beaucoup moins émotif.
Le travail de notre comité spécial se veut le résultat des efforts que déploie le Sénat pour respecter cette obligation. Une fois notre étude terminée, nous en ferons rapport au Sénat et nous y soulèverons toute question qui, à notre avis, mérite d'être abordée, après quoi nous remettrons le fruit de notre travail au gouvernement et à la population canadienne. La Chambre des communes est actuellement engagée dans un processus semblable.
Jusqu'à maintenant, le comité a accueilli des ministres et des fonctionnaires, des spécialistes internationaux et nationaux en matière de sécurité, ainsi que des experts juridiques, de même que les responsables de l'application de la loi et de la collecte de renseignements de sécurité. Ce matin, nous entendrons des représentants de la communauté juridique canadienne, à savoir de l'Association du Barreau canadien.
Nous accueillons donc Mme Susan T. McGrath, présidente de l'Association du Barreau canadien; M. Greg P. DelBigio, président, Comité de la législation et réforme du droit et vice-président, Section nationale du droit pénal et Mme Tamra Thomson, directrice, Comité de la législation et réforme du droit, Association du Barreau canadien.
Comme toujours, chers collègues, votre collaboration pour faire en sorte que les questions et les réponses soient les plus succinctes possible sera très appréciée. Nous avons maintenant jusqu'à midi pour parler franchement de cette question difficile.
Soyez les bienvenus. Merci d'être revenus nous voir. Vous étiez là à nos débuts. Je vous cède la parole.
Mme Susan T. McGrath, présidente, Association du Barreau canadien : L'Association du Barreau canadien (ABC) est heureuse de pouvoir contribuer à l'examen triennal du régime antiterroriste du Canada.
L'ABC est une organisation nationale qui représente plus de 34 000 avocats de partout au Canada. Nous vous avons fait parvenir notre mémoire en anglais, ainsi que son résumé et les recommandations en français. La version française complète du mémoire vous sera envoyée ultérieurement.
M. Waldman, notre expert en matière d'immigration et de sécurité, est malheureusement incapable de se joindre à nous aujourd'hui à cause d'une situation médicale d'urgence. M. DelBigio et moi-même nous ferons un plaisir d'aborder toutes les questions qui relèvent de notre domaine de compétence. Cependant, s'il est des questions auxquelles nous sommes incapables de répondre, l'ABC se fera un plaisir de revenir vous rencontrer ultérieurement.
La Loi antiterroriste a été déposée et adoptée en toute hâte il y a trois ans. À l'époque, l'ABC s'en était dite considérablement préoccupée. Nous avons plaidé en faveur d'une révision et d'une révocation de toute loi adoptée à la hâte dès que des motifs légitimes de sécurité ne nécessitaient plus le recours à cette loi pour assurer aux Canadiens qu'il s'agissait là de dispositions extraordinaires en réponse à une situation extraordinaire. Nous avons insisté sur la nécessité d'assurer une surveillance indépendante de tous les pouvoirs extraordinaires consentis aux organismes d'exécution de la loi pour qu'ils soient obligés de rendre des comptes.
Aujourd'hui, on signale de plus en plus d'ingérence dans la protection des renseignements personnels et des droits fondamentaux dans le droit canadien. Depuis le 11 septembre 2001, le gouvernement fédéral a adopté de nombreuses autres mesures au nom de la sécurité nationale — mesures comme la diffusion de renseignements et l'intégration des bases de données dans le cadre du Plan d'action et de la Déclaration sur la frontière intelligente; les policiers sont exemptés de toute responsabilité dans la perpétration d'actes criminels; il y a aussi l'utilisation de la Loi sur la sécurité publique pour permettre le croisement des renseignements sur les passagers à des fins qui n'ont absolument rien à voir avec le terrorisme; et vous retrouverez d'autres mesures énumérées à la première page de notre mémoire.
Ces mesures élargissent de façon incroyable la portée des pouvoirs de l'État aux dépens des droits et des libertés individuels, sans parler de l'application régulière de la loi. Nous recommandons vivement que votre examen aille au- delà des strictes limites de la Loi antiterroriste. L'ABC est d'avis que les répercussions globales de ces mesures nécessitent un examen attentif. Le gouvernement doit profiter de l'occasion que lui offre cet examen triennal pour formuler une politique exhaustive et à long terme en matière de sécurité nationale, politique qui doit protéger les droits et libertés individuels essentiels à la définition de la démocratie canadienne.
Je vais maintenant demander à M. DelBigio d'aborder les autres sujets de préoccupation de l'ABC.
M. Greg P. DelBigio, président, Comité de la législation et réforme du droit et vice-président, Section nationale du droit pénal, Association du Barreau canadien : Honorables sénateurs, je suis très heureux de participer à cette importante étude. Bien sûr, cet examen est essentiel pour s'assurer que les droits et libertés fondamentaux sont protégés au Canada tout en veillant à ce que le pays dispose d'outils adéquats pour faire appliquer la loi et protéger son territoire.
Votre étude offre une autre possibilité de dialogue, dialogue nécessaire pour établir le bon équilibre entre les droits individuels, l'application de la loi et la sécurité nationale.
Je vais aborder brièvement quatre sujets de préoccupation. Le premier concerne la portée et l'ampleur de la loi; le second touche le flou qui existe entre les fonctions relatives à l'application de la loi, à la collecte de renseignements de sécurité et à la sécurité comme telle; le troisième porte sur le non-respect de la vie privée et le quatrième, sur la nécessité de rendre des comptes.
Je ne suis pas le premier à dire que la portée et l'ampleur de la loi sont impressionnantes et préoccupantes. Il est rare que la religion, la politique et l'idéologie soient incorporées dans la définition du crime. L'établissement d'une liste d'entités est une nouvelle mesure pour le Canada et, même si les infractions relatives à l'encouragement et au financement du terrorisme ne sont pas exactement nouvelles, et que certains des termes que l'on trouve dans cette loi sont semblables à ce que renferment les dispositions sur les organisations criminelles et le crime organisé, cela n'en demeure pas moins préoccupant en raison de l'incertitude qui règne quant à la signification et à la portée des activités qui pourraient être englobées dans la loi.
L'application de la loi et la collecte de renseignements de sécurité dans le cadre de fonctions relatives à la sécurité nationale sont préoccupantes. De tout temps, l'exécution de la loi a été caractérisée par la collecte de preuves telles que définies dans la loi. Et cela s'accompagne d'une garantie de fiabilité. Selon le modèle traditionnel d'application de la loi, il y a examen de la preuve et utilisation de techniques d'application de la loi dans le cadre d'un procès. Le procès est public et crée un autre niveau de responsabilisation.
Les témoignages publics entendus à la commission Arar et devant votre comité nous ont sensibilisés au fait qu'il existe une nouvelle façon d'appliquer la loi que l'on appelle l'application de la loi axée sur les renseignements. Il s'agit davantage de collecte de renseignements que de collecte de preuves. On recourt à la surveillance, à l'écoute électronique, aux informateurs et aux tierces parties, par exemple, à l'aide de collecte de renseignements par l'entremise de la CANAFE. Des individus seront ciblés à la discrétion des organismes de renseignements de sécurité ou d'exécution de la loi. Contrairement au modèle traditionnel d'application de la loi, la collecte de renseignements de sécurité n'est pas publique; par conséquent, il manque une composante essentielle à l'obligation de rendre des comptes.
En outre, une fois l'information recueillie, elle peut être transmise à d'autres pays. Votre comité s'est probablement fait dire que l'information circule relativement librement, qu'il y a transmission de renseignements entre les pays. Une fois les renseignements transmis, il n'existe aucun contrôle sur l'utilisation que l'on en fera ou sur la transmission subséquente de cette information.
Tout cela a un lien avec le troisième sujet de préoccupation, lequel concerne le respect de la vie privée. Les techniques de collecte de renseignements de sécurité sont nombreuses et variées. On est capable de faire le suivi des déplacements des gens, de l'utilisation des cartes de crédit; grâce à la surveillance, notamment, on peut faire le suivi des liens qui se créent entre les personnes; on peut prendre des photographies clandestines et faire de l'écoute électronique; on peut avoir recours à des informateurs rémunérés, à des tierces parties comme la CANAFE, et à des audiences d'investigation. Grâce à toutes ces techniques, on peut établir le profil d'individus et d'organisations. L'information est entrée dans une ou plusieurs bases de données, et ce qui inquiète, c'est que cette information peut être incomplète et inexacte.
Là encore, cette information sera transmise entre les agences et les pays, et les individus ou les agences qui ont été ciblés ou qui pourraient faire l'objet de cette collecte de renseignements ne sauront peut-être pas ce qui s'est produit. Par conséquent, il n'existe aucun moyen de vérifier l'exactitude de l'information ou de corriger toute inexactitude, pas plus qu'il ne sera possible de faire supprimer l'information ou d'en contrôler l'utilisation.
Tout cela nuit considérablement au respect de la vie privée et c'est pour cette raison que l'obligation de rendre des comptes est absolument essentielle. Il est impératif que les Canadiens prennent connaissance de l'information qui est recueillie, de la façon dont elle est recueillie et utilisée. Quels organismes recueillent des renseignements de sécurité, par exemple? Quelles techniques et technologies sont utilisées actuellement? Comment l'information est-elle utilisée ou transmise?
Je suis d'avis que votre comité doit s'interroger à savoir si les pratiques actuelles sont conformes à la règle de droit. Les pratiques actuelles sont-elles conformes aux valeurs fondamentales de la démocratie canadienne? J'exhorte votre comité à poser des questions, par exemple, comment les menaces à la sécurité sont-elles évaluées? Comment se protéger contre l'échec sur le plan des renseignements? Ce sont là d'importantes questions parce que c'est grâce à une évaluation du risque que certaines mesures pourront être justifiées.
Faute d'une méthodologie acceptée concernant la mesure du risque, il est très difficile de savoir si des mesures extraordinaires peuvent être justifiées et lesquelles le sont. Quelles limites au droit à la vie privée sont justifiées? Quel élargissement des pouvoirs de collecte de renseignements et d'application de la loi pouvons-nous tolérer?
Mme la ministre McLellan, en parlant des certificats de sécurité, les a qualifiés de mesures extraordinaires. Je vous exhorte à reconnaître que des mesures extraordinaires exigent des mécanismes extraordinaires de surveillance et de responsabilisation. C'est au gouvernement qu'il appartient de justifier les lois qui limiteront la liberté ou saperont la protection de la vie privée. C'est pour cette raison que nous préconisons l'adoption d'un mécanisme d'examen unifié, national et indépendant. Il ne suffit pas de procéder à divers examens, de constituer une mosaïque qui pourrait donner lieu à un dérapage.
Il doit y avoir un pouvoir d'effectuer des enquêtes, la possibilité de répondre à une plainte, le pouvoir d'analyser les effets cumulatifs de l'application des lois.
En ce qui concerne les effets de la loi sur la profession juridique en particulier, l'indépendance du Barreau est essentielle au fonctionnement de la démocratie canadienne. La communauté juridique doit pouvoir offrir ses services sans crainte d'enquêtes ou de poursuites. La prestation de services juridiques doit être spécifiquement exclue de la portée de la Loi.
Enfin, avant de répondre à vos questions, j'ajoute que le Canada repose sur des fondements d'équité et d'égalité. L'ABC estime que les crimes haineux doivent être condamnés et faire l'objet de vigoureuses poursuites. De même, nous soutenons que le profilage racial dans le cadre d'une enquête sur un crime, et encore plus inquiétant, dans la collecte de renseignements de sécurité et d'information, ne peut être toléré.
Le sénateur Kinsella : Comme toujours, l'Association du Barreau canadien s'avère une ressource extraordinaire pour les comités parlementaires et dans le cas qui nous intéresse, cela ne fait pas exception.
J'aimerais que nous examinions un peu plus en détail la question de la surveillance. Vous avez parlé à plusieurs reprises du modèle traditionnel d'application de la loi, tant les divisions opérationnelles que traditionnelles, ou la taxinomie en droit en tant que science. Vous êtes-vous penchés sur des problèmes du monde dans lequel nous vivons aujourd'hui, à savoir si ces paradigmes sont adéquats, si cela fait partie de notre problème qui empêche de comprendre et d'analyser le genre de mesures antiterroristes dont nous aurions besoin? D'un point de vue pratique, chaque fois qu'une autorité législative légitime adopte une loi, elle limite les droits des citoyens dans notre tradition juridique. C'est la nature de la loi et de la législation, même si je peux opposer que dans certains domaines comme les droits sociaux, économiques et culturels, la loi en réalité vient enrichir la nature même de certains droits.
Toutefois, dans le cas qui nous intéresse, notre préoccupation concerne les limites légitimes aux droits des citoyens. Vous avez souligné la zone grise qui existe entre la collecte de preuves et la collecte de renseignements de sécurité. Il y a trois ans, le Parlement a reconnu le principe de la responsabilisation et de la surveillance, d'où la nécessité d'avoir un comité comme le nôtre intégré dans la loi. Certains d'entre nous estimaient qu'il devait y avoir une disposition de temporarisation complète et que nombre de ces dispositions devraient cesser de s'appliquer après un certain temps.
Pourriez-vous nous parler un peu plus des modèles de surveillance? Si le gouvernement n'accepte pas de modifications au fond même des dispositions de la Loi, quels genres de mécanismes de surveillance recommanderiez- vous? Dans votre mémoire, vous faites référence à un autre comité de surveillance indépendant qui aurait un mandat plus large que le comité d'examen du SCRS. Pourriez-vous nous en parler, s'il vous plaît?
M. DelBigio : En ce qui concerne le paradigme de l'application de la loi et de la collecte de renseignements de sécurité, je ne pense pas que quiconque puisse sérieusement soutenir qu'il est adéquat de simplement réagir à des crimes ou à des infractions après coup. Il ne fait aucun doute qu'une certaine forme de collecte de renseignements de sécurité et certains types de mesures proactives sont essentiels pour garantir la sécurité du Canada et des Canadiens.
Cependant, ce qui est inquiétant, c'est l'absence d'obligation de rendre des comptes parce que nombre de ces actions seront secrètes. Au moment où je vous parle, j'ai très peu de données sur la portée des activités de collecte de renseignements de sécurité. Vous en avez peut-être, mais le public n'en a pas. Par conséquent, il est très difficile pour le public d'évaluer dans quelle mesure les dispositions actuelles de surveillance sont adéquates, et si elles ne le sont pas, comment déterminer le meilleur moyen d'élaborer un nouveau modèle?
Qu'il y ait absence de responsabilisation publique parce que la collecte de renseignements de sécurité ne se fait pas en public est, selon l'ABC, un sujet des plus préoccupants. Permettez-moi de dire autre chose, si vous le voulez bien : il y a sans aucun doute un effet cumulatif que je recommanderais à votre comité d'examiner. Ce n'est pas simplement ce que la GRC fait, ce n'est pas ce que le SCRS fait, ce n'est pas seulement quelle information est transmise aux États-Unis, c'est l'effet cumulatif de toutes ces opérations, la collecte de renseignements de sécurité, de renseignements de toutes les agences, toute la communication de renseignements qui ont un effet cumulatif qui doit préoccuper les Canadiens.
Voilà pourquoi nous disons qu'il doit y avoir une entité unique, peu importe la nature, qui ait la responsabilité de superviser toutes les autres entités pour s'assurer qu'elles respectent la loi. En outre, même si toutes ces entités se conforment à la loi, il est essentiel de s'assurer que tout cela est conforme aux normes auxquelles s'attendent les Canadiens en ce qui concerne la protection de la vie privée et le respect de l'intégrité de la personne.
Quels renseignements sont recueillis actuellement? Comment sont-ils emmagasinés? Qu'en fait-on? Le public n'a pas réponse à ces questions, mais même si tel est le cas, il peut peut-être se réconforter du fait qu'il existe un mécanisme d'examen indépendant qui permet de trouver réponse à ces questions.
Le sénateur Kinsella : C'est utile. Au niveau fédéral, nous n'avons pas de bureau d'ombudsman, mais compte tenu de l'expérience que nous avons accumulée au Canada au niveau provincial avec un tel bureau, compte tenu également de l'existence de bureaux de l'ombudsman dans d'autres pays comme l'Espagne, où le rôle de surveillance est assez proactif et l'ombudsman est là pour protéger les citoyens et leurs droits d'une mauvaise application de la loi — et, dans ce cas-ci, il s'agirait d'une application inadéquate de mesures extraordinaires, croyez-vous qu'il serait utile que le Parlement examine une telle mesure?
M. DelBigio : L'ABC n'a pas expressément fait de recommandation concrète concernant un tel mécanisme. Je sais qu'il existe plusieurs modèles possibles de surveillance. Le modèle de l'ombudsman en est un. Je m'attends à ce que la Commission Arar fasse probablement certaines recommandations à ce sujet, mais ce qui est le plus important, c'est que l'entité responsable doit d'abord avoir plein pouvoir de faire enquête et de répondre à des plaintes. En outre, cela ne devrait pas être l'une des seules tâches que l'organisme de surveillance devrait avoir. Cela est trop important pour simplement ajouter cette tâche de surveillance aux diverses tâches qu'un organisme actuel exécute. Cela est trop important et probablement aussi trop gros. Le modèle de l'ombudsman pourrait être un bon modèle, mais ce n'est là qu'une des nombreuses possibilités. Je suggère à votre comité d'examiner des modèles particuliers.
Le sénateur Kinsella : Certains témoins nous ont dit que la Loi antiterroriste, c'est-à-dire l'outil spécifique que nous examinons au sein du comité, n'a pas été très utilisée depuis son adoption. Croyez-vous que le Canada est plus en sécurité parce que nous avons cette loi, même si elle n'est pas utilisée? Deuxièmement, croyez-vous que les dispositions de notre Code criminel et d'autres lois auraient été suffisantes et que nous n'avions pas vraiment besoin de la Loi antiterroriste, loi qui a été adoptée dans l'ambiance de l'époque, c'est-à-dire la tragédie du 11 septembre, les pressions de la communauté internationale de même que les exigences de l'ONU? Croyez-vous que nous pourrions révoquer la Loi antiterroriste sans que cela ne menace la sécurité du Canada.
M. DelBigio : C'est difficile de répondre à cette question, parce que je n'ai pas les données nécessaires. Dans ma déclaration d'ouverture, j'ai parlé de l'importance de trouver un bon moyen d'évaluer la menace. Il est très facile d'affirmer l'existence d'une menace, mais de là à savoir ce que cette menace signifie réellement et comment elle doit être mesurée est beaucoup plus difficile.
Lorsque des fonctionnaires comparaissent devant votre comité et font des déclarations concernant les menaces, je suppose qu'ils parlent en ayant de l'information qui leur a été fournie par des agences de collecte de renseignements de sécurité. Je n'ai pas accès à cette source d'information.
Sommes-nous plus en sécurité aujourd'hui que nous l'étions? Je ne peux simplement pas répondre. Un élément de données publiques qui pourrait être disponible serait de demander s'il y a des poursuites criminelles, ou des mécanismes comme des audiences d'investigation qui sont utilisés. Nous savons qu'il y a eu une tentative en ce sens mais qui n'a débouché sur rien.
Y a-t-il eu des détentions préventives? Je crois que la réponse est non, mais je n'en suis pas certain. Si la réponse est non, on pourrait dire que c'est là une indication que ces lois ne sont pas nécessaires. Cela veut-il dire qu'elles devraient être révoquées? La question est de savoir si oui ou non ce sont là des lois qui sont neutres lorsqu'elles sont ajoutées aux autres. À mon avis, certaines peuvent avoir un effet neutre et elles peuvent ne pas être appliquées sans que cela nous inquiète. Cependant, je crois que les mesures extraordinaires devraient être continuellement examinées. Cela doit-il se faire à l'aide d'une disposition de temporarisation ou d'un examen constant, je n'en sais rien.
Si vous me permettez de faire deux autres brèves remarques, je dirai que le problème avec certaines de ces lois qui restent lettre morte, c'est qu'elles ne sont pas neutres. Les organismes d'exécution de la loi et, plus important, les organismes de collecte de renseignements de sécurité vont être guidés par ces lois pour déterminer qui cibler, combien d'information peut être adéquatement recueillie et comment elle peut l'être. Par conséquent, même si elles ne sont pas appliquées et qu'il n'y a peut-être pas de poursuite, je n'ai aucun doute que les organismes de collecte de renseignements de sécurité orientent leurs activités en fonction de ces lois.
En ce qui concerne les exigences à l'échelle internationale, elles sont souvent évoquées comme la raison pour laquelle le Canada doit adopter certaines lois. Parfois la façon dont une exigence internationale se traduit en une loi nationale est plutôt ambiguë. Pour cette raison, nous disons qu'il serait utile, lorsqu'une exigence internationale est invoquée pour adopter une loi nationale, que cette exigence soit spécifiquement définie.
Le sénateur Jaffer : Merci d'être revenu témoigner devant notre comité. Vous avez éclairé ma lanterne en ce qui concerne la collecte de renseignements de sécurité. Je vous en remercie.
J'ai une question qui me chicote et je crois que l'ABC est le bon groupe à qui je dois la poser : quel est le rôle des juges dans tout cela?
Malheureusement, les juges ne peuvent se prononcer sur ces questions — même si nous connaissons un juge qui s'est dit préoccupé par la possibilité de jouer un rôle différent. Pour moi, la difficulté pour les juges, c'est qu'ils sont utilisés dans un processus accusatoire dans notre pays, où la défense et la poursuite préparent leurs causes et où le juge doit entendre les deux parties et rendre une décision.
Cependant, pour les procès secrets, on demande au juge de jouer un rôle très différent. J'aimerais savoir ce que, à votre avis, nous devrions faire à ce sujet. Nous demandons maintenant au juge, en réalité, de faire attention à ce que le défendeur ne lui présente pas nécessairement de preuve, mais des rapports de renseignements de sécurité. Comme vous le savez, normalement, l'avocat de la défense reçoit une divulgation complète de la Couronne et il y a ensuite explication de l'accusé quant à ce qui s'est passé. Maintenant, on demande au juge de décider si la personne devrait être détenue. Le juge ne s'adresse pas au défendeur, le juge ne reçoit pas de preuves, mais seulement des rapports de renseignement de sécurité. Cela est très préoccupant. Nous demandons à nos juges de jouer un rôle complètement différent. J'aimerais que vous nous donniez vos impressions sur cette question.
M. DelBigio : Je peux faire un bref commentaire. Je conviens que c'est là une très grande préoccupation. Malheureusement, notre collègue, Lorne Waldman, qui a dû se rendre chez le médecin ce matin, est la personne qui aurait pu répondre à vos questions. Je vais faire de mon mieux pour vous répondre.
Il ne fait aucun doute que notre système juridique, et sa force, reposent sur un processus accusatoire. Il s'agit d'un processus établi sur la divulgation, sur la possibilité d'un contre-interrogatoire et sur la possibilité que le juge rende une décision en se basant sur la preuve qui lui a été présentée, un contre-interrogatoire sur cette preuve et les plaidoiries des avocats. Dès que l'une ou l'autre de ces étapes est éliminée, il est risqué que la qualité de la justice en souffre.
Nous avons recommandé qu'un défenseur quelconque soit nommé pour protéger l'intérêt de l'accusé lors d'une audience secrète. Lorsque M. Roach a témoigné devant le comité, je pense qu'il a parlé d'un modèle de ce genre. C'est là une chose que nous exhorterions le comité à examiner.
L'expérience des procès au criminel a montré à maintes reprises que l'information qui est présentée doit être vérifiée parce que trop souvent, cette information qui est présentée par une partie peut être incomplète ou ne présenter qu'un volet de l'affaire. Faute de divulgation complète et de la possibilité de vérification, il y a des risques. Un défenseur pourrait réduire ces risques.
Mme McGrath : Si vous me permettez d'ajouter un élément au sujet du rôle des juges et de leur impression que leur rôle est en train de changer, j'aimerais faire une analogie avec une situation où les juges sont autorisés à donner leur opinion. Il y a de plus en plus de parties non représentées qui s'amènent devant la cour de façon régulière à tous les niveaux, que ce soit les cours provinciales, supérieures ou même les cours d'appel dans diverses provinces. Les juges ont exprimé leur opinion dans ce genre de situation; ils disent se sentir mal à l'aise au sujet du fait qu'au lieu d'être des arbitres indépendants du différend qui leur est soumis, ils sont maintenant tenus de tenter d'aider des parties non représentées à défendre leurs intérêts dans une certaine mesure, à les conseiller sur la loi et les procédures. Ce n'est pas leur rôle, et ils se sentent mal à l'aise s'ils sont tenus de le jouer.
Si on utilise cela comme analogie, on peut probablement en venir à une certaine conclusion quant à savoir ce que les juges pensent de ce changement particulier de leur rôle.
Le sénateur Jaffer : Je sais que M. Waldman possède de l'expérience dans ce domaine. Est-il possible, madame McGrath, de demander à M. Waldman, s'il en est capable, de fournir une réponse écrite à cette question car nous savons qu'il a beaucoup d'expérience à cet égard?
La présidente : Nous pouvons certainement faire cette demande, sénateur. Je veux d'abord demander à Mme McGrath de dire à M. Waldman que le comité est fort désolé d'apprendre qu'il éprouve certains problèmes de santé. Nous lui souhaitons un prompt rétablissement.
Le sénateur Jaffer vient de soulever un point intéressant. M. Waldman a déjà comparu devant notre comité et nous aimerions avoir son opinion sur certaines de ces questions.
Mme McGrath : Nous allons le consulter et lui demander de donner ses réponses dans la mesure où il peut le faire.
Le sénateur Jaffer : Dans votre mémoire, vous dites que les crimes haineux et le profilage racial doivent être condamnés et que les enquêtes criminelles, si elles reposent sur ce profilage, ne peuvent être tolérées. Pourriez-vous donner plus de détails? Comme vous l'avez probablement lu, Mme la ministre McLellan est d'avis qu'il ne se fait pas de profilage racial dans son ministère. Que vous disent vos membres à ce sujet?
M. DelBigio : Il y a deux problèmes. Premièrement, lorsque les gens parlent d'une chose aussi importante et pourtant aussi délicate que le profilage racial, il faut bien comprendre ce que l'on entend par là. Tant qu'il y a possibilité que des personnes emploient des définitions différentes, il y a risque que la conversation ne soit pas aussi constructive qu'elle pourrait l'être. Les tribunaux ont commencé à se pencher sur ce problème.
Le second problème est de savoir s'il y a profilage racial et comment obtenir une information concrète que tel est le cas. La meilleure indication proviendra des personnes qui sont les plus à risque. Cependant, ces personnes sont, ou pourraient être parfois, peu disposées à déclarer une telle situation.
Le profilage peut se faire de nombreuses façons. Parfois, il se solde par une accusation au criminel où le tribunal entend alors l'information et est capable d'aborder la question concrètement. Parfois, cependant, et c'est peut-être plus fréquent, le profilage se fait de façon plus subtile, comme par l'arrestation d'un conducteur ou l'interrogation de personnes dans la rue, sans qu'aucune accusation ne soit portée. Cela peut se produire de façon à ce qu'il soit très difficile d'utiliser des mécanismes officiels qui se solderont par un examen formel.
Cela pourrait bien se produire et c'est très inquiétant. Je ne dis pas que c'est le cas, mais il y a risque que cela se produise dans la collecte de renseignements de sécurité, qui est une activité aussi secrète qu'on peut l'imaginer. Il faut se poser les questions suivantes : est-ce que ces agences à qui on confie la tâche de recueillir de l'information ou des renseignements de sécurité pourraient être dotées de certains outils et techniques extraordinaires pour faire leur travail? Font-elles du profilage racial? Je ne sais pas comment répondre à cette question.
J'ai lu que certains groupes disent que le profilage racial est une réalité. On ne peut pas ne pas prêter attention aux rapports de certains groupes. Y a-t-il profilage? Peut-être que la meilleure information vient des personnes qui disent que oui, il y a profilage. Si des groupes disent que depuis 2001, certains de leurs membres ont reçu plus d'attention de la part de la police qu'avant, ce sont là des données qui comptent et que l'on ne peut passer sous silence.
Le sénateur Jaffer : Dans votre exposé, vous avez parlé de la portée de la loi et vous vous êtes demandé si elle est oppressive pour la religion, la politique et l'idéologie. Pouvez-vous donner plus de détails?
M. DelBigio : La définition d'« activité terroriste » dans le Code criminel fait référence spécifiquement aux actes qui sont commis, exclusivement ou non, au nom d'un but de nature politique, religieux ou idéologique. Le droit pénal incorpore maintenant spécifiquement la politique, la religion et l'idéologie dans sa portée. Ce que cela veut dire, c'est que les agences d'application de la loi et de collecte de renseignements de sécurité vont maintenant tenir compte de la politique, de la religion ou des croyances idéologiques de certains groupes pour déterminer si oui ou non ces groupes devraient être ciblés pour des fins de collecte de renseignements de sécurité ou d'application de la loi.
C'est là une mesure extraordinaire compte tenu des risques qui y sont rattachés. Les risques sont que certains groupes politiques ou religieux vont être ciblés, potentiellement, pour seul motif de religion ou de politique. N'oubliez pas que la loi dit « exclusivement ou non ». Il faut se poser les questions suivantes : « Qu'est-ce que cela veut dire? Qu'est-ce que cela englobe en réalité? » Ce n'est pas seulement ce que cela englobe pour des fins d'infraction criminelle, mais ce que cela suppose lorsque les organismes d'application de la loi ou de renseignements de sécurité déterminent qui ils vont cibler et pourquoi ils vont cibler certains groupes.
La présidente : Il est 10 h 45 et nous sommes là jusqu'à midi; donc, si vous pouviez essayer d'être le plus rapides possible, nous aurions tous la chance d'intervenir.
Le sénateur Stratton : Dans le résumé de votre mémoire, vous parlez de la portée de l'examen parlementaire et dites ceci :
À notre avis, l'examen triennal ne devrait pas s'arrêter qu'à la Loi antiterroriste, mais porter sur l'impact global de toutes les mesures antiterroristes exprimées, de même que sur les mesures qui sont utilisées dans ce contexte.
Vous donnez ensuite une liste d'exemples.
En ce qui concerne l'examen, avez-vous eu l'occasion de voir ce qui se fait dans d'autres pays? Par exemple, les États-Unis, la Grande-Bretagne et l'Australie ont tous adopté une loi antiterroriste. Comment le Canada se compare-t- il avec ces pays? Pourrions-nous prendre conseil de certains de ces pays dans ce domaine? Je le demande parce que vous dites que nous devrions dépasser le seuil actuel.
La seconde question est que, au début, nous avons demandé au comité d'examiner les répercussions de la Loi antiterroriste sur d'autres lois — les lois que vous avez abordées ici. Autrement dit, si d'autres lois avaient pu être adoptées par suite de la Loi antiterroriste, y a-t-il selon vous d'autres secteurs spécifiques à la lutte antiterroriste — je sais que vous en avez énuméré certains, mais je veux dire d'autres lois spécifiques — qui devraient être abordés particulièrement en ce qui concerne ce sujet? Ma question est nébuleuse, mais c'est une question à laquelle nous essayons de répondre pour nous assurer que nous traitons tous les sujets comme il se doit.
Le sénateur Kinsella a parlé de la possibilité de recourir à un ombudsman, et d'après votre présentation, il m'apparaît évident que vous faites allusion au fait qu'il devrait s'agir d'un groupe spécifique de surveillance ou d'un comité chargé d'examiner ce qui se passe avec la Loi antiterroriste. Est-ce que je résume bien la situation?
M. DelBigio : Bien sûr, ce qui se produit dans d'autres pays, dans d'autres démocraties nous intéresse. Cependant, ce qui se passe dans d'autres pays ne détermine pas et ne doit pas déterminer ce qui advient ici.
Chaque pays doit fonctionner selon ses propres lois, et il est de la plus haute importance que le Canada soit régi par la Charte des droits et libertés. Nous avons la chance d'avoir un tel recueil de jurisprudence importante qui peut orienter l'établissement des lois pour nous assurer que les droits importants sont reconnus et protégés.
Il existe deux expériences importantes qui ont été menées dans d'autres pays dont le comité pourrait prendre note, et je sais qu'elles ont déjà été abordées. Comme cela a été le cas au Canada, la Grande-Bretagne et les États-Unis ont adopté des lois après le 11 septembre 2001. Leurs tribunaux supérieurs ont maintenant eu l'occasion d'examiner leurs lois concernant la détention. Chacun des tribunaux supérieurs a abrogé certaines dispositions à cet égard. Une telle décision est importante en ce sens qu'elle illustre la façon dont une loi adoptée à toute vapeur ou dans un climat de peur ou d'incertitude peut outrepasser l'objectif visé, ou peut, en termes simples, rater la cible.
Ici au Canada, la disposition sur les audiences d'investigation a été soumise à la Cour suprême du Canada qui en a maintenu la validité constitutionnelle, mais ce faisant, la Cour a formulé des remarques très importantes concernant la façon dont ces audiences devraient se tenir, l'élément le plus important étant le fait que la procédure élaborée au niveau de première instance en Colombie-Britannique concernant cette audience mettait l'accent sur le caractère secret et l'absence d'information donnée au public; la Cour suprême a insisté sur la nécessité de faire place à l'ouverture.
Deuxièmement, dans les jugements minoritaires, certains se sont dits préoccupés par la façon dont l'audience d'investigation était utilisée dans le contexte des poursuites criminelles qui ont été menées à l'époque. Comme je l'ai dit, ce sont là des observations qui ont été faites dans des jugements minoritaires; cependant, le fait qu'un juge de la Cour suprême du Canada se soit dit préoccupé par la façon dont la disposition extraordinaire était utilisée dans ce contexte revêt un intérêt certain. Il est important que le comité tienne compte de ce qui se passe dans d'autres pays, mais cela ne détermine pas ce qui devrait se passer au Canada.
En ce qui concerne les autres lois qui devraient être prises en compte, je ne suis pas certain de pouvoir vous en nommer une en particulier pour l'instant. Nous avons fait référence à plusieurs lois dans notre mémoire, et je ne pense pas pouvoir en désigner d'autres.
En ce qui concerne la surveillance du mécanisme de responsabilisation, à notre avis, il doit y avoir une surveillance spécifique des effets cumulatifs de ce mécanisme. Là encore, il faut être spécifique en raison de la portée de l'application des dispositions antiterroristes en général; dans l'ensemble, les effets cumulatifs sont tellement vastes qu'il faut avoir un mécanisme spécifique de surveillance. Je ne sais pas si cela répond à votre question.
Le sénateur Stratton : Si je comprends bien là où vous voulez en venir, c'est que ce mécanisme devrait être indépendant de toute autre responsabilité et spécifique au domaine visé. C'est ce que vous semblez dire, et j'aimerais avoir un oui ou un non.
M. DelBigio : Nous disons oui, tout en reconnaissant qu'il existe de nombreux mécanismes de surveillance. Nous disons également oui, en reconnaissant qu'il y aura toujours des considérations de ressources, mais c'est important. C'est compliqué. Un mécanisme spécifique de surveillance permet également à une entité d'acquérir une expertise et des connaissances. Elle peut développer cette expertise au fil des ans et établir une base de données. Ce faisant, cette entité sera de plus en plus en mesure d'effectuer une surveillance efficace et améliorée. Est-ce que cela répond mieux à votre question?
Le sénateur Stratton : Oui, merci. Je sais que vous tentez de faire attention ici, mais je suis d'accord avec vous. Nous devons formuler des recommandations et si je comprends bien ce que vous êtes en train de nous dire aujourd'hui, c'est qu'il devrait y avoir un mécanisme de surveillance indépendant. Je ne crois pas que nous devrions nécessairement aller plus loin que cela, mais j'essayais d'obtenir une réponse précise. Si vous formulez une recommandation, c'est ce en quoi je vais croire, parce qu'il faut développer ce mécanisme au fil des ans et qu'il est nécessaire d'avoir une mémoire collective. En ce qui concerne la recommandation de votre part et du Barreau, je l'apprécie.
M. DelBigio : Si vous me permettez de faire une dernière remarque à ce sujet, je dois dire qu'il faut établir une distinction entre les différents types de surveillance qu'il peut se produire. Bien sûr, il y a surveillance par le Parlement qui pourrait devoir décider si une loi en particulier doit demeurer en vigueur, si une loi est constitutionnelle ou s'il y a des dispositions de temporarisation. Cela est très important et doit continuer de l'être.
Un mécanisme indépendant chargé de faire de la surveillance effectuera son travail au jour le jour. Je ne parle par ici de la gestion des activités de la GRC ou d'autres agences, mais de la gestion des effets cumulatifs de ces activités, la gestion des plaintes qui peuvent être déposées au sujet de ces activités et de la nécessité pour l'organisme de s'assurer que ces activités secrètes sont néanmoins légales et réalisées en conformité avec les valeurs qui définissent le Canada.
Le sénateur Joyal : Je suis tenté de poursuivre dans la veine du sénateur Stratton et du sénateur Kinsella tout à l'heure. J'essaie de voir, dans ma tête, où nous en sommes après trois ans. Lorsque le projet de loi antiterroriste a été déposé, comme vous l'avez signalé dans votre déclaration d'ouverture, c'était en réponse à une période extraordinaire et à des mesures extraordinaires. On y a inclus des dispositions de temporarisation parce que nous étions en période extraordinaire. Par définition, « extraordinaire », c'est quelque chose qui change normalement, autrement ça devient la norme, une pratique quotidienne et cela perd son aspect ou son caractère extraordinaire.
Les premiers témoins ont été la ministre responsable de la sécurité publique et le ministre de la Justice. Les deux ont plaidé en faveur du maintien de la loi telle qu'on la connaît, bien que le ministre de la Justice ait émis quelques réserves à propos des certificats de sécurité et voulait que nous examinions ces aspects. Je ne pense pas mal le citer en disant que les mesures extraordinaires sont là pour rester.
Si nous acceptons l'hypothèse du gouvernement que ces mesures doivent demeurer telles quelles, et compte tenu de votre propre analyse disant que nous avons changé quelque chose dans le système qui est beaucoup plus important que la simple Loi antiterroriste, à savoir, l'effet cumulatif des autres lois — la Loi sur l'immigration, la Loi sur la sécurité publique et les transports, et les modifications que nous avons apportées au Code criminel pour permettre la perpétration d'actes criminels dans certaines circonstances par des agents de police ou des représentants de ces derniers, et ainsi de suite — ne devrions-nous pas contrebalancer le système par le fait que tous ces pouvoirs sont maintenant en place et qu'ils peuvent être utilisés comme tels, pas seulement de façon isolée?
Dans le National Post la semaine dernière, pendant l'interruption de nos travaux, il y avait une citation à la page A1 de M. David Harris, ancien agent du SCRS qui est maintenant consultant en sécurité. Il a déclaré que le groupe Fateh Kamal, désigné d'après ce commerçant montréalais qui a parcouru le monde et qui était son chef de bande, a été découvert par des agences de sécurité utilisant ce qu'un ancien agent du service de renseignement de sécurité a appelé « l'approche Black & Decker », après avoir utilisé tous les outils du coffre d'outils.
Autrement dit, si nous devons composer avec l'approche Black & Decker dans le système, nous devrions avoir des inspecteurs de bâtiments. Nous devrions avoir quelqu'un qui a la responsabilité d'examiner attentivement comment tous ces pouvoirs spécifiques sont utilisés.
Le problème auquel nous devons faire face par suite de l'annonce du gouvernement, c'est qu'il y aura un comité spécial du Parlement chargé de faire le suivi de la surveillance de ces activités. En fait, comme nous le savons, le Parlement dispose d'un mécanisme de surveillance, mais il sera incapable de faire son travail à moins d'être appuyé par quelqu'un qui a directement accès au système et qui peut exploiter cette mémoire collective ou ce savoir d'une agence ou d'une autre, du SCRS à la GRC, de la GRC à l'agent de collecte de renseignements ou de l'agent d'immigration aux agences frontalières. Il y a tellement de groupes qui sont aujourd'hui actifs, et à mon avis c'est bien qu'il en soit ainsi, parce qu'il semble qu'il y ait cette approche Black & Decker qui prévienne le terrorisme, si nous acceptons cette prémisse.
Cependant, nous devons avoir quelque chose d'autre dans le système, si nous devons accepter la conclusion, que le ministre de la Justice et la ministre responsable de la sécurité publique nous ont proposée, à savoir que nous ne devrions rien changer dans la Loi, mais la garder telle quelle. Autrement dit, comme le sénateur Kinsella l'a mentionné, nous allons nous retrouver à devoir travailler sur ce que j'appelle non pas l'aspect préventif mais l'aspect curatif. Un ombudsman représente l'aspect curatif; il faut d'abord que quelqu'un accepte qu'une personne puisse s'adresser à l'ombudsman. Le problème que nous avons maintenant, c'est d'élaborer une approche préventive. Pour ce faire, nous devons avoir quelqu'un dans le système qui est là en permanence pour examiner la façon dont les pouvoirs sont utilisés et formuler les bonnes recommandations au comité parlementaire de sorte que le Parlement conserve sa capacité d'équilibrer le système. Comme vous l'avez signalé, nous sommes ici dans cette dynamique qui consiste à établir un équilibre entre les droits des citoyens et l'objectif de la sécurité. C'est là que nous devons nous assurer que la règle de droit est maintenue, parce que c'est le seul jeu auquel nous participons ici. Il s'agit de préserver la règle de droit dans le contexte de la lutte au terrorisme.
Suis-je trop vague? Est-ce que je vois bien comment le système fonctionne? Après avoir épluché toute la loi comme vous l'avez fait, estimez-vous que, actuellement, quelque chose d'autre devrait être fait?
M. DelBigio : Il est tout à fait exact que, si certaines ou la totalité de ces lois demeurent en vigueur, le Canada ne devrait pas adopter une attitude d'indifférence ou d'acceptation désinvolte à l'égard de ces lois. S'il s'avère qu'il y a actuellement des menaces tellement graves et tellement imminentes, qui ont été dévoilées grâce à une information fiable, ces lois continueront d'être justifiées, mais c'est là de l'information que je ne possède pas. Quelqu'un d'autre devra faire cette évaluation.
Et si cette évaluation est faite, il en demeure que certaines des lois sont extraordinaires. Elles ne sont pas extraordinaires parce qu'elles sont appliquées depuis un an ou deux, elles sont extraordinaires à cause des pouvoirs qu'elles créent, à cause de leur portée et de leurs effets potentiels sur la collecte de renseignements de sécurité.
J'ai dit que des mesures extraordinaires commandent des mécanismes extraordinaires de responsabilisation. Je crois qu'il est tout à fait juste que le mécanisme de surveillance ait au moins deux objectifs : le premier étant de prévenir des situations erronées, ou à tout le moins s'assurer que la règle de droit est respectée, alors que l'autre vise l'aspect curatif. Ces deux pouvoirs doivent exister. On ne peut permettre à une entité qui a la charge d'assurer la surveillance et la responsabilisation d'avoir un accès complet aux données, et de conclure que les droits d'un groupe particulier ont été violés, sans lui accorder le pouvoir d'en faire davantage, ce serait tout simplement inadéquat.
Là encore, les détails complets de ce que sera ce mécanisme de surveillance, de toute évidence, devront faire l'objet d'une discussion continue et attentive. La question de savoir si oui ou non un organisme extraordinaire de surveillance est nécessaire, à mon avis, m'amène à une conclusion rapide. Il est nécessaire.
Le sénateur Joyal : Dans votre exposé, vous faites référence à la définition du terrorisme. Dans votre mémoire, à la page 30, vous semblez différer d'opinion avec la ministre de la Sécurité publique qui a soutenu que la référence à la politique, à la religion et à l'idéologie doit être essentiellement maintenue. En fait, lorsque nous avons discuté la première fois de la définition du terrorisme, les membres de la communauté juridique ont exprimé une très grande inquiétude, à savoir qu'il était difficile de faire une évaluation de cet aspect très délicat.
Pour moi, l'un des éléments essentiels au profilage racial découle de la religion. Nous savons tous que si vous êtes musulman pratiquant, que vous allez régulièrement à la mosquée et que vous participez aux activités de votre collectivité, vous êtes plus susceptible d'être l'objet de surveillance et d'identification. Nous avons tous été rassurés par les agents de police qui ont témoigné devant le comité auparavant, le commissaire de la GRC et les membres des forces policières de l'Ontario, voire de la Police d'Ottawa, que cela ne se produit pas. Ils utilisent un euphémisme, « évaluation des risques » plutôt que profilage racial.
Si nous devons aborder sérieusement cette question, ne devrions-nous pas examiner la définition du « terrorisme », comme vous le proposez à la recommandation de la page 9 de votre mémoire?
M. DelBigio : Nous recommandons fortement la définition abordée dans la recommandation à la page 9, définition qui est tirée d'une convention des Nations Unies. M. Waldman aurait été mieux en mesure de discuter de cette question, mais cette définition est utilisée dans le contexte de la loi sur l'immigration. Le fait d'avoir plusieurs définitions du « terrorisme » dans le droit canadien au mieux crée confusion ou incertitude. La recommandation que nous proposons pourrait éliminer les préoccupations qui existent dans la loi — les torts causés par une activité. Cette définition n'inclut aucune des complications qui résultent de l'intégration de la politique, de la religion et de l'idéologie, et elle devrait être adoptée. Par conséquent, nous retournons à une question soulevée, et à une remarque que j'ai faite tout à l'heure, sur la façon dont le droit canadien est inspiré des engagements internationaux. La définition du « terrorisme », telle qu'établie dans le Code criminel, va au-delà de la convention des Nations Unies, ce qui est problématique et troublant. Je ne vois aucune nécessité d'incorporer la politique, la religion et l'idéologie. À mon avis, de nombreux problèmes importants pourraient découler de l'incorporation de ces considérations dans le droit pénal.
Le sénateur Joyal : Je vais passer à l'autre recommandation concernant le certificat de sécurité. Je me réfère aux pages 30 et 32 de votre mémoire où vous recommandez de permettre un appel d'une décision de la Cour fédérale en fonction du caractère raisonnable d'un certificat de sécurité avec permission de la Cour d'appel fédérale, et vous recommandez que les personnes détenues pour raisons de sécurité aient droit à un examen de la détention après 48 heures, après sept jours et tous les 30 jours par la suite.
Pourriez-vous donner plus de détails à ce sujet? Croyez-vous que ces éléments pourraient être contestés en fonction de la Charte? À première vue, votre suggestion ici semble contredire les garanties qui sont enchâssées dans la Charte. Comme vous l'avez dit dans votre déclaration d'ouverture, la Charte doit être la base de notre système en ce qui a trait à la protection accordée aux citoyens et à leur droit à l'application régulière et au bénéfice de la loi. Dans votre mémoire, vous ne donnez pas de détails sur ces aspects qui sont essentiels aux objectifs du comité ce matin.
M. DelBigio : Malheureusement, nous comptions sur M. Waldman pour aborder ces questions aujourd'hui. Je peux brièvement tenter de répondre à vos questions, mais cela n'est pas de mon domaine d'expertise.
La détention, ou la privation de liberté par suite de l'application de la loi, constitue une mesure extraordinaire. La détention doit s'appuyer sur la transparence et il doit y avoir possibilité d'en contester la légitimité. L'article 7 garantit la façon dont la privation de liberté par suite de détention peut être conforme aux principes de la justice fondamentale. Pour s'assurer qu'elle n'est pas arbitraire, ce qui contreviendrait à l'article 9 de la Charte, il faut incorporer l'application régulière de la loi et les possibilités de contrôle.
Le sénateur Joyal : Je vais passer à la page 34 concernant la protection de l'information reçue par l'avocat dans le contexte de la confidentialité avocat-client et à la recommandation portant sur l'article 83.1 du Code criminel. Pourriez-vous donner des détails à ce sujet : est-ce que notre comité devrait recommander un changement en priorité?
M. DelBigio : L'Association du Barreau canadien a présenté des mémoires sur les lois au cours des années. Lorsqu'il y avait danger pour l'intégrité du secret professionnel ou risque pour la confidentialité ou le privilège, nous avons défendu vigoureusement l'importance de la préservation de la relation ainsi que le maintien de cette relation et de la confidentialité. Nous continuons de le faire dans le contexte de l'inclusion des avocats dans les exigences relatives à la production de rapports concernant les dispositions sur le blanchiment d'argent. Il y a actuellement des causes pendantes à cet égard et je n'en dirai pas plus. Toutes les exigences concernant la divulgation qui pourraient toucher au secret professionnel et, par suite de l'application de la loi, obliger la divulgation d'information privilégiée, seraient manifestement contraires aux intérêts généraux du droit canadien et de la démocratie. La Cour suprême du Canada a eu l'occasion à plusieurs reprises ces dernières années de discuter et d'affirmer l'importance critique pour la démocratie canadienne d'un Barreau indépendant et du secret professionnel. Ce sont là des termes recherchés, mais qui ne sont pas appropriés dans l'examen de la question.
L'article 83.1 oblige toute personne à divulguer l'existence d'un bien ou de l'information sur une transaction ou une transaction proposée concernant certains biens. Ce qui inquiète, c'est que cette disposition pourrait très bien porter sur un avocat qui, pendant qu'il offre des services juridiques, reçoit de l'information d'une personne dans la prestation de ses services et que cette information est privilégiée. Si l'article 83.1, correctement interprété, devait obliger la divulgation de renseignements privilégiés ou confidentiels, alors, à notre avis, il devrait être modifié pour que la divulgation de cette information soit spécifiquement soustraite à l'application de la loi.
J'ai utilisé certains termes descriptifs dans ma réponse, mais je ne nuancerai jamais l'importance de préserver le privilège et la confidentialité et de protéger l'intégrité du secret professionnel.
Le sénateur Fraser : Soyez le bienvenu, monsieur. J'ai trouvé votre mémoire extrêmement intéressant et plusieurs de vos recommandations assez attrayantes, mais il y en a quelques-unes que je voulais explorer un peu plus avec vous. L'une d'elles concerne la question de la définition de l'activité terroriste, si vous voulez bien y revenir.
Notre loi dit aujourd'hui que pour être considéré comme un acte terroriste, l'acte doit être commis exclusivement ou non pour des raisons, des objectifs ou des causes politiques, religieux ou idéologiques. Il doit être commis pour l'une de ces raisons. Les Nations Unies, d'après ce que vous dites dans votre mémoire, prétendent qu'un acte terroriste est injustifiable en toute circonstance que ce soit pour des considérations d'ordre politique, philosophique, idéologique, racial, ethnique, religieux ou autre. Même les Nations Unies invoquent ces caractéristiques difficiles à établir que sont la politique, la philosophie, l'idéologie. J'aimerais avoir votre commentaire à ce sujet. Il me semble que lorsque les Nations Unies disent qu'un acte n'est aucunement justifiable dans des circonstances pour cette raison, que c'est là une terminologie assez vague et globale ouverte à toutes sortes d'interprétations dans un sens comme dans l'autre, et fait en sorte que les véritables terroristes ne sont pas attrapés ou, selon le juge et les avocats, s'applique à des personnes qui ne sont pas des terroristes du tout. Il me semble que notre définition offre plus de clarté et plus de certitude en ce qui a trait aux infractions avec lesquelles nous devons composer. Dites-moi pourquoi vous n'êtes pas d'accord à ce sujet?
M. DelBigio : L'article 83 englobe l'objectif politique, religieux ou idéologique dans le crime. En général, le droit criminel s'intéresse à la prévention des torts et au respect de certaines normes de la société canadienne. La partie de la définition qui porte sur les torts se trouve dans la section concernant l'intimidation du public en ce qui a trait à la sécurité si quelqu'un cause intentionnellement la mort ou des risques à la santé ou endommage des biens. C'est ça le tort. Si c'est ce qui vous inquiète, la question qu'il faut se poser est de savoir qu'est-ce que cela ajoute? En quoi la valeur ou la protection accordée par le droit criminel est-elle accrue si l'on inclut les objectifs politiques, religieux ou idéologiques? À mon avis, cela n'améliore rien.
Par exemple, vous pouvez examiner l'une ou l'autre des autres dispositions du Code criminel et prendre un crime aussi grave ou aussi insignifiant soit-il; prenons l'exemple d'un meurtre. L'infraction de meurtre porte sur la portion des torts. La sanction porte sur le tort extraordinaire. Dans la sanction, il faudra déterminer s'il s'agit d'un meurtre prémédité ou non. L'objectif n'a aucune importance, c'est le tort qui est important. Maintenant, permettez-moi d'ajouter une précision. Le motif dans le contexte du meurtre pourrait être une preuve de planification ou de délibération, il s'agit simplement de savoir si oui ou non c'est un meurtre au premier ou au deuxième degré. Cela ne fait pas partie de l'infraction. La question qu'il faut se poser est de savoir si le droit pénal s'intéresse au tort, et c'est le cas de cette disposition, comment la protection contre les torts est-elle améliorée si l'on inclut les motifs politiques, religieux ou idéologiques? Je ne crois pas que ce soit le cas.
Ici, selon le Code criminel, cela fait partie de la définition du crime. Dans certains cas, un objectif politique peut devenir une infraction criminelle.
La définition de l'ONU semble faire référence à des justifications possibles de certaines actions. On reconnaît que certains objectifs politiques, religieux ou idéologiques pourraient justifier certaines actions ou certains discours. Par exemple, on peut penser à certaines déclarations ou certains autres discours qui pourraient être justifiés en fonction de l'objectif idéologique ou à certains rassemblements qui pourraient être justifiés pour des fins idéologiques.
C'est ça la différence; dans un cas, c'est incorporé à la définition de la défense, dans l'autre, on semble faire référence à des justifications possibles de certaines actions.
Le sénateur Fraser : Il me semble que la conclusion logique de votre argument est que nous devrions simplement éliminer les lois antiterroristes et voir toutes les choses comme des crimes ordinaires.
M. DelBigio : Il y a environ trois ans, nous avons demandé si les dispositions actuelles du Code criminel concernant les infractions étaient suffisantes pour couvrir toutes les appréhensions qui pourraient être soulevées. Dire que toutes les dispositions devraient être éliminées, c'est peut-être trop vague, en ce sens que les dispositions incluent les dispositions sur l'infraction, sur l'enquête et ainsi de suite. Causer la mort ou des blessures corporelles graves, comme on le dit dans la définition de l'activité terroriste, était déjà constitué comme une infraction en vertu du Code criminel.
Le sénateur Fraser : Votre réponse à cette question éclaire déjà ma lanterne quant à ce qui sera, je crois, la trame de votre réponse à ma prochaine question, laquelle porte sur votre recommandation, à savoir que le Code criminel doit être modifié pour obliger la Couronne à prouver qu'il y a intention criminelle avant de reconnaître quelqu'un coupable d'une infraction terroriste. Dans votre mémoire, immédiatement avant la recommandation, vous parlez de la vaste portée de la définition du verbe « faciliter » laissant entendre que, par exemple, les services de fabricants de téléphones cellulaires et des sociétés de location de voitures pourraient même être englobés dans cette définition. Fascinée, j'ai regardé la définition, laquelle inclut toutes les personnes qui participent sciemment ou contribuent directement ou indirectement à une activité d'un groupe terroriste dans le but d'accroître la capacité de ce groupe de faciliter ou de réaliser une activité terroriste. Nous venons juste d'établir que la définition d'activité terroriste inclut également des exigences assez rigoureuses au sujet de l'intention.
Quand j'ai lu votre mémoire, je n'étais pas tout à fait certaine de ce que votre recommandation améliorerait. Pouvez- vous me l'expliquer?
M. DelBigio : Les dispositions préoccupantes sont les articles 83.02, 83.03 et 83.04. Regardez la terminologie utilisée à l'article 83.03, par exemple. On parle de réunir ou de fournir des biens ou des services pour une activité terroriste. On fait référence à des services financiers ou autres services connexes, en supposant ou en sachant qu'ils seront utilisés. Cela est une disjonction. Si l'on suppose que les rédacteurs de la Loi ont inclus une clause disjonctive dans un but précis, il faut se demander dans quel but elle sera utilisée et en quoi cela est différent du fait de savoir qu'elle sera utilisée. Cependant, l'intention ou la composante de savoir est encore édulcorée par les termes suivants « en tout ou en partie ». Par conséquent, il faut savoir ce que cela veut dire quand on dit que quelque chose sera utilisé « indirectement » ou « en tout ou en partie ». « Indirectement » se trouve à la toute première ligne; « [...] indirectement ou non, réunit des biens, ou fournit... », c'est une phrase disjonctive alors que « faciliter » est un peu différent de « réaliser ». Ensuite nous avons : « [...] ou pour en faire bénéficier une personne... ». Il y a beaucoup de termes là-dedans dont, au mieux, la portée est incertaine.
La référence à la connaissance, l'obligation de connaître ou l'intention, tout cela est potentiellement édulcoré par toute cette terminologie. C'est ça qui est inquiétant. Les tribunaux n'ont pas encore eu la chance d'examiner tout ce que cela veut dire, et peut-être que de nombreux juges remercieront le Ciel de ne pas avoir été obligés d'informer un jury sur ce que tout cela veut dire.
On craint qu'une infraction criminelle soit précisément définie de sorte que les gens puissent savoir comment demeurer dans les paramètres de la loi afin de ne pas être assujettis par inadvertance aux pouvoirs du droit pénal. En plus, on craint que l'on puisse supposer que les agences de collecte de renseignements de sécurité sont guidées par ces dispositions pour déterminer qui cibler et quels types de renseignements recueillir.
On devrait peut-être poser des questions à ces agences pour savoir si elles interprètent cette disposition de manière très large de façon à comprendre quelle est l'étendue du filet que ces dispositions permettent de déployer.
Le sénateur Fraser : Cela aide dans une certaine mesure, puisque votre mémoire ne faisait pas référence aux articles 83.02, 83.03 et 83.04, mais au paragraphe 83.19 (2), qui porte sur l'obligation de préciser la portée du terme « faciliter ». Cependant, je crois comprendre la position fondamentale que vous avancez ici, je ne vais donc pas prendre plus de temps.
Le sénateur Day : Bonjour. Je peux être assez bref parce que la plupart de mes questions portent sur des sujets qui ont déjà été abordés. Malheureusement, madame McGrath, la plupart de mes questions seront adressées à M. DelBigio, mais si vous souhaitez intervenir, n'hésitez pas à le faire.
Ma première question, j'aurais dû la poser au début avec la permission de la présidente. À la fin de votre introduction formelle, je n'ai pas entendu ce que vous avez dit. J'ai noté que la collecte de renseignements de sécurité « ne peut être tolérée ». Est-ce que j'ai mal entendu ou est-ce que vous vouliez parler de la zone grise qui existe entre la preuve et le renseignement de sécurité?
M. DelBigio : Je parlais de cela dans le contexte du profilage racial. Ce que je voulais dire, et de toute évidence je n'ai pas été aussi clair que je l'espérais, c'est que la collecte de renseignements de sécurité ou le ciblage de personnes pour fins de collecte de renseignements de sécurité ne peut être fondé sur le profilage racial.
Le sénateur Day : Nous sommes d'accord. Nous avons soulevé cette question à plusieurs reprises. On nous a toujours assurés que cela n'était pas fait, nous entendons aussi certaines personnes nous dire qu'à leur avis, cela serait peut-être le cas. Par conséquent, il nous faut aller au fond des choses.
Vous avez parlé de droits et de libertés individuels et de l'importance de préserver les droits et libertés des Canadiens. Reconnaissez-vous aussi l'importance pour les Canadiens de s'attendre de façon raisonnable à ce que leur sécurité soit assurée?
M. DelBigio : Absolument. Je sais que le ministre Cotler a parlé de sa théorie concernant la façon dont les problèmes de sécurité et les libertés sont interreliés, mais il ne fait aucune doute que faute de sécurité, ou bien il n'y aura plus de droits, ou bien ils perdront tout leur sens. Il ne fait aucun doute qu'il est essentiel de tenir compte des droits et libertés, mais il est également essentiel de prendre en considération les besoins d'une application efficace de la loi. Personne ne conteste les difficultés associées à cela, et à la nécessité de le faire. En jurisprudence canadienne, la jurisprudence constitutionnelle, on décrit en général le phénomène comme un phénomène d'équilibre, et selon les mots de la Cour suprême du Canada, « un équilibre délicat » qui est établi entre la préservation des droits et libertés et l'attribution d'outils pour l'application de la loi.
Cette question d'équilibre est peut-être plus de la théorie que de la pratique, en ce sens que cela ne se prête pas à la précision d'un calcul mathématique. Cependant, l'équilibre sera établi en fonction de considérations éclairées, d'une discussion vigoureuse et libre et, ce qui est le plus important, d'une information complète. Je l'ai répété à plusieurs reprises : il est très difficile d'occuper ce poste sans avoir le bénéfice d'une information complète, pour évaluer dans quelle mesure il y a risque, quelle est l'ampleur du risque, son imminence, ou dans quelle mesure les considérations de risque vont soit justifier la nécessité des dispositions sur l'exécution de la loi, soit justifier la restriction des droits et libertés. J'espère que votre comité aura le privilège de cette information complète et qu'il pourra formuler une recommandation tout à fait éclairée.
Le sénateur Day : Le comité est d'accord avec vous que nous devrions avoir une vision plus large. Même si notre comité a été créé en fonction de l'examen exigé par le projet de loi C-36, soit la Loi antiterroriste, nous adoptons une approche plus large et nous nous intéressons à l'impact cumulatif de la loi, comme vous l'avez recommandé.
Permettez-moi de passer à d'autres questions en utilisant le même concept. En ce qui concerne le contrôle et la surveillance, vous avez dit avoir entendu ce que la ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a déclaré au sujet d'un groupe de surveillance parlementaire; cependant, vous avez ensuite discuté du rôle de surveillance qui, selon vous, devrait être confié à un groupe parlementaire qui examinerait réellement les dispositions de temporarisation et déterminerait si la loi doit continuer d'être appliquée, enfin, toutes ces choses. Cependant, cet autre groupe que vous recommandez de créer est un groupe général de surveillance qui examinerait le fonctionnement au jour le jour et s'intéresserait à l'effet cumulatif de l'application de la loi.
S'il avait le mandat approprié, un groupe parlementaire ne serait-il pas le mieux placé pour examiner l'ensemble des effets cumulatifs de la Loi antiterroriste de façon continue? Je pense que c'est ce que la ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile avait en tête, elle ne pensait pas au rôle traditionnel d'un comité parlementaire chargé d'examiner la loi, mais plutôt les activités, et de s'assurer que les poids et contrepoids intégrés à la loi sont effectivement là, et que, si on en veut davantage, les recommandations nécessaires seraient faites.
Mme McGrath : Le rôle du Parlement est d'établir des politiques et de déterminer si la politique va dans la bonne direction ou doit être examinée. Je pense que nous envisageons un comité de surveillance qui serait plus spécifique que cela, un comité qui a besoin de l'expertise et du développement constant du travail qu'il a la charge d'examiner au jour le jour. Je ne suis pas certaine qu'un comité parlementaire aurait le temps ou l'expertise nécessaires pour entreprendre ce genre d'examen.
À mon avis, nous pourrions examiner quelque chose qui ressemblerait au CSARS, qui à vrai dire fait la surveillance opérationnelle des services de renseignement et de sécurité, un organisme qui aurait ce genre d'expertise et qui, comme M. DelBigio l'a indiqué tout à l'heure, disposerait du type de mémoire collective nécessaire. Cela est très important, compte tenu particulièrement que la question à l'étude est très complexe. Il faut examiner différentes mesures législatives; examiner la collecte des données, comme M. DelBigio l'a dit, non pas seulement par la GRC ou le SCRS, mais par les agents de police de première ligne dans chaque collectivité partout au pays de sorte que toute cette information soit transmise d'un bout à l'autre du pays et à l'extérieur de nos frontières.
En pareilles circonstances, il nous faut un groupe de surveillance ou un comité qui possède l'expertise et qui a le temps nécessaires pour examiner toutes ces questions.
Le sénateur Day : L'expertise, c'est un problème. En ce qui concerne le temps, si un comité parlementaire est créé et qu'il possède l'expertise et qu'on lui donne le temps voulu, croyez-vous que cela pourrait être possible, ou si cela serait tout simplement contraire au rôle parlementaire?
Mme McGrath : Je pense que cela est contraire au rôle parlementaire ainsi qu'à la réalité voulant que les députés et les membres des comités vont changer avec le temps, beaucoup plus souvent que certains des comités de surveillance qui existent où les gens ont des mandats à plus long terme et développent l'expertise nécessaire.
Le sénateur Day : La longévité et la mémoire collective pourraient peut-être justifier qu'il s'agisse d'un comité du Sénat, où il y a longévité et expertise accumulées au fil des ans.
Enfin, je vais revenir à la définition du « terrorisme ». Je comprends et j'accepte votre premier point, à savoir qu'il nous faut une définition du « terrorisme » pour notre loi collective dans ce domaine. Depuis deux ou trois semaines, j'ai constaté certains progrès aux Nations Unies en ce qui a trait à l'examen d'une définition générale. Êtes-vous au courant des progrès récents aux Nations Unies en ce qui concerne cette définition générale?
Deuxièmement, est-ce que vous appuyez particulièrement la définition de la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, établie par les Nations Unies ou si vous vous en remettez simplement à cette convention parce qu'en 1999, les Nations Unies ont été capables de trouver une définition pour cette convention spécifique?
M. DelBigio : C'est là une chose dont M. Waldman aurait été le plus en mesure de vous parler. C'est une définition qui, je pense, a été incorporée dans d'autres secteurs du droit et utilisée dans d'autres contextes. C'est une définition qui n'incorpore pas les considérations problématiques que nous avons abordées.
En ce qui concerne les développements qui se produisent actuellement à l'ONU, en général, je les connais assez bien, mais je ne suis pas à l'aise d'en parler en toute connaissance de cause.
Le sénateur Day : Je n'aime pas vous demander de rapporter un autre mandat à M. Waldman, mais pourriez-vous lui demander s'il a d'autres commentaires à faire à cet égard? La définition du terrorisme est essentiellement importante et constituera probablement l'une des recommandations que notre comité envisagera de faire. Il serait utile de savoir si la définition dans la Convention pour la répression du financement du terrorisme est une définition qu'il recommanderait plutôt que de se reporter au travail que font actuellement les Nations Unies.
Le sénateur Jaffer : Puis-je demander que nous invitions M. Waldman à comparaître devant nous à une autre occasion?
La présidente : Certainement.
Le sénateur Jaffer : À la page 41, vous avez recommandé que les gouvernements fédéral, provinciaux, territoriaux et les administrations municipales adoptent des lois, des règlements, des politiques et des procédures pour définir le profilage racial et qu'ils prennent des mesures concrètes pour expliquer, sanctionner et interdire cette mesure.
Avez-vous songé à une définition du « profilage racial »? Je vois dans votre document à la page 39 que les tribunaux canadiens, dans l'affaire R. c. Richards, ont dit ceci :
[...] le profilage criminel fondé sur la race [...] [qui] fait référence à ce phénomène selon lequel certaines activités criminelles sont attribuées à un groupe identifié de la société selon la race ou la couleur, se traduisant ainsi par le ciblage de certains membres de ce groupe [...] est illégitimement utilisé comme passeport de criminalité ou pour mesurer la propension générale criminelle de tout un groupe racial.
Dans votre mémoire, au bas de la page 40, il y a aussi une citation du document de M. Beare intitulé « Policing with a national security agenda », dans lequel il parle de « l'étranger dangereux dans nos rangs ». Nous savons tous que les gens des minorités raciales ne sont pas nécessairement des étrangers ici au Canada. Ils sont nés ici, ils vivent ici, ils ont le droit d'être dans notre merveilleux pays.
Avez-vous pensé à une définition? Sinon, nous donneriez-vous certains éclairages et nous diriez-vous ce que vous pensez que la définition devrait être et quel genre de sanctions vous envisagez d'inclure dans la Loi?
L'une des difficultés, c'est que le profilage racial n'est pas seulement pratiqué en vertu de la Loi antiterroriste, il est maintenant répandu partout. Ce que mes collègues ont dit au sujet de la surveillance est très important.
M. DelBigio : Par le biais d'une résolution, l'ABC a adopté la définition du « profilage » tel que défini par le tribunal. Nous pouvons vous fournir cette résolution. Je crois comprendre qu'il y a actuellement une table ronde qui s'intéresse à la question. Nous encourageons votre comité à considérer notre définition comme une bonne définition. Cependant, et cela se produit bien souvent, il est concevable que des définitions vont évoluer au fur et à mesure que nous acquérons de l'expérience dans l'usage que l'on en fait définition et la définition de « terrorisme » en est un bon exemple.
En ce qui concerne la sanction, cela dépendrait beaucoup de l'agence qui fait du profilage racial et comment elle procède. Par exemple, si je me souviens bien, il y a certains cas pour lesquels la sanction de profilage racial par les agents de police dans le contexte de poursuites criminelles est soit l'exclusion de la preuve, soit le report de procédures. Je ne me rappelle pas laquelle des deux. On a envoyé un message très fort.
Nous incluons l'obligation de sanction parce qu'il semble que la question est tellement importante qu'une simple interdiction sans sanction pourrait ne pas être suffisante.
Le sénateur Joyal : J'attire l'attention de nos témoins et de nos invités sur les pages 42 à 45 du mémoire qui portent sur la vie privée et la protection des renseignements personnels. C'est là une question qui n'a pas été abordée ce matin aussi largement qu'elle n'est traitée dans le mémoire.
Vous repérez de nombreuses faiblesses dans le système depuis l'adoption de la Loi antiterroriste en ce qui a trait aux changements qui ont été apportés à la Loi sur la protection des renseignements personnels et au fait qu'il n'y a pas de critère « concernant les torts ». Il n'y a aucune limite aux conditions dans lesquelles un certificat devrait être délivré; il n'y a aucun délai spécifié pour la durée du certificat et il n'y a aucune vérification du certificat. Vous donnez des détails sur ces aspects dans votre mémoire après quoi vous faites des recommandations. Brièvement, pourriez-vous donner un résumé de ces recommandations de sorte qu'elles fassent partie du compte rendu de la séance de ce matin?
Mme Tamra L. Thomson, directrice, Comité de la législation et réforme du droit, Association du Barreau canadien : C'est là une question que nous avons soulevée dans notre mémoire il y a trois ans et à laquelle personne n'a donné suite. Nous recommandons à nouveau qu'elle soit prise en compte maintenant.
À toutes fins utiles, lorsqu'une question de sécurité nationale est en jeu, les dispositions de la Loi sur l'accès à l'information, de la Loi sur la protection des renseignements personnels et de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques ne s'appliquent plus. Les protections qu'accordent ces lois pour les renseignements personnels n'interviennent pas.
Nous recommandons que ces aspects de la Loi antiterroriste soient révoqués, ou encore, que des critères particuliers soient mis en place comme garanties et ces critères sont énumérés dans notre mémoire. Bien sûr, ce que nous préférons, c'est la révocation de ces dispositions de sorte que, quelle que soit la circonstance, nous ayons les protections de la Loi sur la protection des renseignements personnels, la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques et la Loi sur l'accès à l'information et que le commissaire à l'information et la commissaire à la protection de la vie privée jouent leur rôle habituel de surveillance à l'égard de ces questions.
Le sénateur Joyal : Si ces dispositions ne sont pas révoquées, vous dites clairement qu'il devrait y avoir des critères et des mécanismes de contrôle pour qu'il y ait équilibre dans le système. Vous avez dit dans votre déclaration d'ouverture que si nous changeons quelque chose au contexte des protections accordées aux citoyens en vertu de la Charte et en vertu de la règle de droit, que cela devrait être compensé par des mécanismes appropriés de sorte qu'il y ait en fait dans le système le même type d'équilibre entre ce que le citoyen doit attendre d'une protection équitable et ce à quoi le citoyen s'expose dans le contexte de la lutte au terrorisme, s'il fait l'objet d'un certificat qui l'assujettit à une intrusion de sa vie privée sans véritable protection d'un mécanisme de surveillance qui, en fait, maintient le bon équilibre dans l'exploitation du système.
Mme Thomson : C'est exact. C'est conforme au message qui se dégage de notre mémoire, à savoir que les protections que les citoyens peuvent ordinairement avoir pourraient être même plus apparentes lorsque des mesures extraordinaires sont adoptées.
Le sénateur Fraser : À la page 25 de votre mémoire, vous avez deux recommandations concernant la Loi sur la preuve au Canada. La première, qui porte sur le fait de rendre publique une demande au tribunal en vertu de l'article 38 et les clauses associées, semble claire et très intéressante.
Je suis un peu perdue, et je vous demande vraiment de m'expliquer ce qui en est ici concernant la deuxième recommandation, à savoir que l'article 38.06 soit modifié pour interdire l'utilisation de résumés de preuve dans les procédures criminelles. J'aimerais vous poser ici deux questions. À plusieurs endroits dans la loi, on parle de « résumés de la preuve », et pas seulement dans cette partie de la loi, qui porte sur les relations internationales et la défense et la sécurité nationales. Par conséquent, appliquez-vous vos « résumés de preuve » de façon générale? Dans les procédures criminelles — et je trahis ici mon ignorance — est-ce que l'on parle de toutes les procédures criminelles partout ou seulement celles qui sont utilisées en vertu de cette disposition particulière? Je ne suis pas certaine de ce que vous nous demandez de faire ici.
M. DelBigio : Je vais répondre en partie si vous le permettez.
Ce qui distingue toutes les procédures criminelles des autres, c'est que le droit pénal, comme on le décrit parfois, est l'un des outils les plus clairs dont on dispose, et c'est un pouvoir extraordinaire de la loi qui permettra probablement d'imposer une pénalité incluant la privation de liberté. C'est dans ce contexte qu'il est essentiel, voire crucial, qu'un individu ait toute la possibilité de comprendre la cause qui est portée devant le tribunal et d'examiner la preuve. L'adjudication de culpabilité ou d'innocence doit reposer sur une information complète et non pas simplement sur des résumés.
Le sénateur Fraser : Donc ça s'applique partout.
M. DelBigio : De façon réaliste, en général, on ne voit pas de résumés de preuve dans les causes habituelles en ce sens que cette disposition s'applique partout, mais en termes pratiques, dans quelques cas, il y aura des résumés. Je pense que si l'on devait faire le tour des tribunaux provinciaux de tout le pays aujourd'hui, il est peu probable qu'il y ait des causes qui reposent sur un résumé de la preuve. Oui, toutes les procédures criminelles peuvent être résumées, mais de façon pratique, ce ne serait que certaines causes qui s'y prêteraient.
Le sénateur Fraser : Vous ne vous opposeriez pas à ce que les résumés soient utilisés dans des audiences d'investigation ou dans un cas de détention préventive parce que je pense qu'ils sont utilisés là aussi.
M. DelBigio : La détention préventive est une privation ou une restriction de la liberté et c'est un autre mécanisme puissant qui ne devrait pas reposer sur des résumés. En ce qui concerne les audiences d'investigation, soit la deuxième partie de votre question, ça se fera par étapes. La première sera le stade de la demande, qui ressemblera à une demande de mandat de perquisition, fondée sur des résumés, et l'audience, c'est là où l'on prend l'information.
Par conséquent, je ne suis pas certain qu'il y aura résumé de preuve dans ce contexte. Cela pourra se faire subséquemment, lorsque l'information est obtenue et que l'audience d'investigation est par la suite utilisée.
Le sénateur Fraser : Merci, je suis un peu plus informée.
Le sénateur Kinsella : Si aucune modification n'était apportée à la Loi antiterroriste, que penseriez-vous d'un examen de la Loi dans trois ans? Est-ce que l'existence de notre comité serait totalement inutile — ponctuelle? Croyez- vous qu'un comité serait mandaté par la Loi pour faire cet examen dans trois ans?
M. DelBigio : Si vous permettez, je vais choisir la solution de la facilité. Toute ambiguïté ou incertitude dans la Loi au sujet d'un examen prévu tous les trois ans devrait être éliminée par l'inclusion d'une modification.
Le sénateur Kinsella : La Loi devrait prévoir l'examen tous les trois ans?
M. DelBigio : Si ce n'est pas clair dans la Loi, alors il faudrait une modification pour le préciser.
Le sénateur Kinsella : À la page 49 de votre mémoire, vous avez attiré notre attention sur la question des organismes de bienfaisance. D'autres témoins nous ont dit que certains organismes caritatifs ont versé des fonds qui, d'une façon ou d'une autre, se sont retrouvés entre les mains de personnes qui appuient des activités terroristes. Pourriez-vous nous dire quelques mots dans le temps qui nous reste au sujet des dispositions de cette loi et si vous pensez qu'elles devraient être renforcées? Vous avez fait allusion à des lignes directrices, mais seriez-vous satisfait d'une telle mesure? Est-ce que ces lignes directrices pourraient être adoptées conformément au règlement? Y a-t-il un pouvoir réglementaire dans la Loi ou devrait-il y avoir un amendement à la Loi?
Mme Thomson : Les dispositions de la Loi concernant les organismes caritatifs sont assez ambiguës. Certains groupes de coopération internationale qui comparaîtront devant le comité feront des commentaires sur l'impact de leurs activités au Canada et à l'étranger. Ils ont besoin d'être guidés pour savoir comment se comporter en vertu de la Loi, et nous avons proposé des lignes directrices. Ces lignes directrices seraient sous forme de règlements, même si prises de concert avec certaines des autres recommandations de changement, certaines de ces lignes directrices pourraient être sous forme de loi, parce que nous avons recommandé certains changements aux activités.
La présidente : Je remercie nos témoins de cette matinée vigoureuse et rigoureuse. M. Waldman est sur notre liste de témoins pour une autre réunion et nous avons bien hâte de l'entendre à ce moment-là.
La séance est levée.