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ANTT - Comité spécial

Antiterrorisme (Spécial)

 

Délibérations du comité sénatorial spécial sur la
Loi antiterroriste

Fascicule 10 - Témoignages - Séance du matin


OTTAWA, le lundi 9 mai 2005

Le Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste se réunit aujourd'hui à 10 heures pour procéder à un examen approfondi des dispositions et de l'application de la Loi antiterroriste (L.C. 2001, ch.41).

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, il s'agit de la 21e séance au cours de laquelle le Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste accueille des témoins.

Pour le bénéfice de nos spectateurs, je vais expliquer l'objectif du comité. En octobre 2001, en réponse directe aux attaques terroristes menées contre les villes de New York et de Washington et l'État de la Pennsylvanie, et à la demande des Nations Unies, le gouvernement canadien a déposé le projet de loi C-36, Loi antiterroriste. Compte tenu de l'urgence de la situation à l'époque, le Parlement a été invité à accélérer l'étude du projet de loi. Nous avons accepté, et la date limite pour l'adoption du projet de loi a été fixée à la mi-décembre 2001.

Toutefois, pour apaiser les craintes de ceux qui estimaient qu'il était difficile d'en évaluer pleinement les répercussions en si peu de temps, il a été décidé que le Parlement reverrait au bout de trois ans les dispositions de la loi et ses répercussions sur les Canadiens, en ayant un peu plus de recul et dans un contexte un peu moins chargé d'émotion.

Les travaux de notre comité spécial représentent la concrétisation de cet engagement au niveau du Sénat. Quand nous aurons terminé notre étude, nous présenterons au Sénat un rapport dans lequel nous exposerons les problèmes dont il faudra s'occuper à notre avis, et nous mettrons le résultat de nos travaux à la disposition du gouvernement et du grand public. Par ailleurs, la Chambre des communes se livre actuellement à un exercice analogue.

Le comité a rencontré jusqu'ici des ministres et des fonctionnaires, des juristes et des experts canadiens et étrangers qui connaissent bien les menaces terroristes ainsi que des organismes de renseignement et d'application de la loi.

Le 11 avril, nous avons entendu le commissaire de la GRC, M. Giuliano Zaccardelli. Des contraintes de temps et le vif intérêt des membres du comité nous ont empêchés d'avoir une discussion complète, et le commissaire a accepté volontiers de revenir pour que nous puissions poursuivre cette conversation initiale.

Collègues, le commissaire est accompagné aujourd'hui par l'inspecteur Wayne Hanniman. Comme nous avons toujours tendance à dépasser le temps qui nous est imparti, je vous invite à poser des questions et à donner des réponses le plus concises possible.

Avez-vous une déclaration liminaire?

M. Giuliano Zaccardelli, commissaire, Gendarmerie royale du Canada : Madame la présidente, j'ai une brève déclaration d'ouverture.

[Français]

Madame la présidente, tous mes remerciements pour m'avoir donné cette occasion de témoigner sur la révision de la Loi antiterroriste canadienne.

[Traduction]

Lors de ma dernière comparution devant vous, le 11 avril, j'étais accompagné de Mme Gwen Boniface, commissaire de la Police provinciale de l'Ontario et de M. Vince Bevan, chef du Service de police d'Ottawa. À cette occasion, nous avons insisté sur trois aspects importants dans notre optique. Premièrement, la réponse intégrée et mesurée des forces policières au terrorisme en vertu de la Loi antiterroriste respecte la primauté du droit. Deuxièmement, les autorités policières respectent pleinement l'égalité et les droits et libertés individuels dans leurs efforts pour garantir des foyers et des collectivités sûrs au Canada. Troisièmement, les autorités policières sont d'avis que la Loi antiterroriste est une solution canadienne à un problème mondial, une solution qui vise à empêcher la perpétration d'actes terroristes, à en perturber l'exécution, à dissuader les terroristes potentiels et à imposer des conséquences à ceux qui se rendent coupables de ce genre d'actes criminels.

[Français]

Je pense que notre devoir est de nous assurer qu'en tant que pays et que service de police, nous disposions de législation utile, nous permettant d'assurer la protection de tous les Canadiens, de prévenir et dissuader les activités terroristes au Canada et d'aider nos partenaires mondiaux à en faire de même chez eux.

[Traduction]

C'était là ma brève déclaration, madame la présidente. Je répondrai maintenant volontiers à toutes les questions que pourraient vouloir me poser les sénateurs ce matin.

Le sénateur Lynch-Staunton : Lorsque vous avez comparu ici la dernière fois, j'ai soulevé la question de la fermeture de détachements au Québec. Je suis tenté d'y revenir encore une fois, mais sous une forme différente. Cette question a fait l'objet de nombreuses discussions à la Chambre et au comité, ce dernier ayant recommandé dans son rapport la réouverture des détachements en question. Ce rapport a été adopté par la Chambre des communes et il a reçu l'appui d'un grand nombre d'associations de policiers, de maires, de municipalités régionales de comté, de MRC, et ainsi de suite.

Ce qui me dérange, c'est qu'au cours de la discussion à la Chambre des communes, le secrétaire parlementaire de la ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a déclaré ce qui suit au sujet de la motion du comité recommandant la remise en service des détachements :

Outre qu'elle remettrait en cause le pouvoir que la loi confère au commissaire de la GRC, l'adoption de cette motion aurait des effets néfastes pour les Canadiens. Elle aurait de sérieuses répercussions sur la sécurité publique et sur la capacité de la GRC de s'attaquer aux priorités actuelles et nouvelles au Québec, à savoir, les organisations criminelles, le terrorisme et la protection de la frontière que nous partageons avec les États-Unis.

Les députés qui appuient la motion mettent en péril la capacité de la GRC d'appliquer ces priorités et nuisent à la sécurité non seulement du Québec et des Québécois, mais aussi de tous les Canadiens.

La ministre elle-même en a rajouté le lendemain lorsqu'en réponse à une question de l'un de ses collègues au sujet de la motion, elle a déclaré :

Ce qui est encore plus inquiétant, c'est que c'est son propre parti...

Elle voulait dire un député du Parti conservateur qui se trouvait être le porte-parole en matière de justice :

... de concert avec le Bloc séparatiste, qui demande à la Chambre d'annuler le plan de redéploiement de la GRC. Ces deux partis veulent faire renverser la décision opérationnelle indépendante d'un organisme qui fonctionne et doit fonctionner de manière autonome, séparément du gouvernement.

Les commentaires scandaleux du député sapent l'intégrité de notre force de police nationale.

Voici ma question, monsieur le commissaire. Souscrivez-vous aux propos de la ministre et de son secrétaire parlementaire voulant que quiconque — et cela inclut un membre de notre comité — remette en question une décision concernant le fonctionnement de la GRC porte atteinte à l'intégrité de notre force de police nationale, mine la capacité de la GRC de réaliser ses objectifs prioritaires et compromet la sécurité de l'ensemble des Canadiens? Ne prenez pas cela pour une question piège sarcastique. En la posant, je souhaite déterminer quel est le rôle des parlementaires qui interrogent des hauts fonctionnaires de notre force de police nationale. Doivent-ils limiter leurs questions, particulièrement en ce qui concerne les opérations quotidiennes de la force? Si tel est le cas, je n'ai pas d'autres questions.

M. Zaccardelli : Je vous remercie de cette question très importante, sénateur. En tant que fonctionnaire, en tant que commissaire de la GRC, dans le contexte du système parlementaire, je suis tenu de rendre des comptes au ministre et, par l'entremise du ministre, au Parlement. Il ne fait aucun doute dans mon esprit qu'il doit en être ainsi en tout temps. Voilà pourquoi je suis ici aujourd'hui et, comme la présidente l'a dit, je suis toujours enthousiaste à l'idée de participer à ces séances car elles me permettent d'échanger des idées avec les représentants élus du pays et d'entendre leurs opinions sur ce qui se passe.

Mais pour ce qui est de déployer les ressources de la GRC de la façon la plus efficiente et efficace possible, je suis d'accord avec le secrétaire parlementaire et la ministre. Depuis sa création, la GRC a constamment déployé et redéployé ses ressources partout au pays pour contrer les diverses menaces auxquelles nous faisions face. En 1876, notre quartier général et nos ressources étaient concentrés à Fort Macleod, en Alberta. Ces ressources ont ensuite été transférées à Fort Walsh, en Saskatchewan, pour contrer la menace en provenance du côté américain de la frontière. C'est ainsi que l'on procède depuis ce temps-là. Nous nous livrons à cet exercice tous les jours.

Nous étudions et analysons au meilleur de nos connaissances les renseignements et les menaces et nous tentons de déployer nos ressources restreintes pour y faire face le plus efficacement possible. Dans notre système de common law, il est très clair que le commissaire reçoit des directives générales du gouvernement. Cependant, c'est au commissaire qu'on laisse le soin de décider comment il convient de déployer de façon optimale les ressources, de décider des opérations pour contrer toutes les menaces, qu'elles soient de nature criminelle ou terroriste.

Je ne prends pas ces décisions seul. Je fais énormément de consultations et je sonde l'opinion d'un vaste éventail de personnes. Je crois avoir plus de comités consultatifs que tout autre haut fonctionnaire au pays. Un comité consultatif m'aide à traiter les questions relatives aux minorités visibles. Un autre m'aide à traiter les questions autochtones. Nous avons des échanges avec une myriade de groupes communautaires et ils me fournissent tous de l'information. Cependant, en bout de ligne, en tant que commissaire, la loi me confère la responsabilité de prendre la meilleure décision possible en ce qui concerne le déploiement des ressources.

Évidemment, si mon ministre perd confiance en moi, il ou elle a tout à fait le droit d'exiger que je quitte mes fonctions. Si tel était le cas, je le ferais volontiers; mais c'est ma responsabilité.

Dans le cas qui nous occupe, j'ai mené de vastes consultations. Compte tenu des ressources limitées dont nous disposons et des menaces telles que nous les comprenons, au meilleur de notre capacité, je suis convaincu que le redéploiement des ressources au Québec à ce stade-ci est la meilleure chose à faire.

D'ailleurs, sénateur, je n'agis pas ainsi uniquement au Québec. De nombreuses autres régions un peu partout au pays sont dans le même cas. C'est le défi que nous devons relever. Je fais de mon mieux dans tous les cas.

J'apprécie la rétroaction que j'ai reçue. J'ai comparu devant le comité parlementaire à plusieurs reprises, mais après avoir pris en compte toute cette information, en ma qualité de commissaire, je suis convaincu que c'est la meilleure chose à faire.

Nous avons parlé énormément des détachements frontaliers, et je pense qu'il arrive parfois qu'on utilise mal certains termes. Au plan géographique, vous constaterez, sénateur, que la plupart de ces détachements ne sont pas à proximité de la frontière. Ce facteur n'a pratiquement rien à voir avec la discussion. L'important, à mon avis, c'est que le regroupement de ces ressources fait du Québec, et du reste du Canada, un endroit plus sûr.

À l'inverse, si je maintenais le déploiement de ces ressources tel qu'il était auparavant, la menace qui plane s'en trouverait renforcée. En tant que commissaire, je ne peux accepter cela. Voilà pourquoi, après plusieurs années d'études et une consultation des plus vastes, sénateur, j'en suis venu à cette décision.

J'espère vous avoir fourni une réponse exhaustive.

Le sénateur Lynch-Staunton : Loin de moi l'idée de m'ingérer dans les décisions concernant les opérations quotidiennes de n'importe quelle autorité policière. Il y a des années de cela, j'ai siégé à la commission sur la sécurité publique de la Communauté urbaine de Montréal et la dernière chose que je veux faire, c'est bien de m'ingérer dans le processus décisionnel. À mon avis, bon nombre d'entre nous souhaitent être rassurés qu'il s'agissait là de la bonne décision. Or, ce message rassurant n'a pas encore été diffusé.

Comme il y a d'autres questions, tout aussi vastes, qui méritent d'être soulevées, je n'irai pas plus loin sur le sujet.

Si j'ai bien compris, les gardes affectés au service frontalier ne sont pas armés. Nous en avons discuté lorsque vous êtes venu ici la dernière fois. Vous avez déclaré sans ambages que vous ne voyiez pas l'utilité de les armer. Nous en reparlons une autre fois. Je comprends que leur champ d'action est limité. Lorsqu'ils voient quelqu'un franchir illégalement la frontière ou qu'ils veulent appréhender quelqu'un qui est suspect, ils ne peuvent aller plus loin qu'à 100 pieds de leur poste. Ils ne peuvent pas aller plus loin que cela. Et c'est pour cette raison qu'ils doivent faire appel à la GRC.

À cause de la fermeture de certains détachements, les agents de la GRC se trouvent plus loin de la frontière qu'ils ne l'étaient auparavant. Par conséquent, il leur faut plus de temps pour s'y rendre. Est-ce exact? S'il en est ainsi, si ma conclusion est juste, comment pouvez-vous dire que la sécurité est accrue le long de la frontière?

M. Zaccardelli : Sénateur, je ne suis pas certain que leur intervention soit limitée à 100 pieds à partir de la frontière.

Le sénateur Lynch-Staunton : Il y a une limite, je pense.

M. Zaccardelli : Ils sont responsables à la frontière. Selon la politique en vigueur, la GRC n'est pas la seule force policière qui peut être appelée à la rescousse. On demande à la police locale de répondre — en fait, à la force policière la plus près. Au Québec, par exemple, ou en Ontario, bien souvent ce sera la Sûreté du Québec ou la Police provinciale de l'Ontario.

Le sénateur Lynch-Staunton : Leurs agents ne sont pas plus près.

M. Zaccardelli : C'est juste, mais encore là, je dois pondérer tout cela. Le défi que je dois relever consiste à peser tous ces facteurs pour décider où je devrais déployer mes ressources pour assurer de la façon la plus efficace possible la sécurité publique. Comme je fais face à des menaces sérieuses de la part du crime organisé et d'éléments terroristes, il faut que j'essaie de les déployer aux endroits où je pourrai fournir la meilleure réponse.

Quand c'est possible, chaque fois que nous le pouvons, nous répondons aussi à des appels en provenance de la frontière. Nous le faisons, mais même maintenant, même après avoir apporté ces changements, il s'est avéré difficile, à l'occasion, de répondre immédiatement. Je n'avais pas la capacité de répondre. J'aurais littéralement besoin d'un détachement d'agents qui se consacreraient entièrement aux appels du bureau des douanes pour répondre à 100 p. 100 à ces préoccupations.

Je n'ai jamais eu les ressources pour le faire. On ne m'a jamais donné ces ressources. Par conséquent, j'essaie de les déployer stratégiquement de façon à répondre le mieux possible aux appels en provenance des postes frontaliers et à respecter aussi certaines autres priorités. C'est une question d'évaluation des risques. Le maintien de l'ordre consiste essentiellement à évaluer les risques que posent les plus grandes menaces et à déployer les ressources disponibles au meilleur de sa capacité.

Le sénateur Lynch-Staunton : Je pense que vous avez fourni la réponse, ou une partie de la réponse, et c'est la pénurie de ressources.

Lors du second tour de table, je voudrais parler des équipes intégrées de la police des frontières, les EIPF. Peut- êtreaurons-nous à cet égard des nouvelles rassurantes.

Le sénateur Jaffer : Encore une fois, je vous remercie de venir comparaître devant le comité, commissaire Zaccardelli. Au nom de tous mes collègues, je remercie vos hommes du travail exceptionnel qu'ils accomplissent pour assurer la protection de nos collectivités. À mes débuts comme avocate, j'ai travaillé avec la GRC et j'ai constaté que ces agents étaient très sensibles aux enjeux communautaires.

Ma première question concerne la surveillance. Lorsque Mme Shirley Heafy, présidente de la Commission des plaintes du public contre la GRC, a comparu devant le comité, elle a évoqué la possibilité que nous ayons en matière de sécurité nationale un processus de surveillance sur le modèle de la Commission Arar, qui donnerait à tous les ministères et agences du gouvernement qui touchent à la sécurité nationale le pouvoir de faire enquête. Chose certaine, la GRC en ferait partie. Lorsque la commissaire à la protection de la vie privée a comparu devant le comité, elle a recommandé dans son mémoire que l'on réinstaure la surveillance judiciaire relative aux pouvoirs de surveillance accordés dans la Loi antiterroriste. Monsieur Zaccardelli, vous avez déclaré être ouvert à l'idée d'une surveillance. Je voudrais savoir quel type de surveillance vous recommanderiez.

M. Zaccardelli : Évidemment, la question de l'examen ou de la surveillance est un thème populaire dans les discussions cesjours-ci. Comme vous le savez, en ce qui a trait à l'enquête Arar, le juge O'Connor est appelé à répondre à deux questions fondamentales. Premièrement, il doit se pencher sur les activités des fonctionnaires canadiens pour élucider ce qui est arrivé à M. Maher Arar et il va de soi que la GRC est visée par cet examen.

Deuxièmement, il doit aborder la question de la surveillance relativement à la GRC. Évidemment, il serait peu judicieux de ma part d'énoncer mon opinion ou ma position publiquement à ce stade-ci étant donné que le juge O'Connor étudie activement cette question à l'aide d'une équipe d'attachés de recherche. Il doit présenter des recommandations au gouvernement à ce sujet.

Quelles que soient les recommandations qui découleront des conclusions du juge O'Connor et quelles que soient les recommandations que le gouvernement souhaitera adopter, modifier ou mettre en oeuvre, je les accepterai sans discuter. J'ai certaines opinions sur la question, mais je n'ai pas encore témoigné devant le juge O'Connor. Je pense qu'il serait prudent de ma part d'attendre après que j'aurai pu communiquer au juge O'Connor l'état de ma réflexion sur le sujet.

Le sénateur Jaffer : J'accepte cela sans problème, monsieur Zaccardelli. Je n'aurais pas dû poser cette question étant donné que vous n'avez pas encore comparu devant la commission. Je vais la garder pour un autre jour.

Pour ce qui est de ma seconde question, vous et moi avons déjà eu un échange à ce sujet. L'inquiétude que me cause le profilage racial ne vous étonnera pas. Vous avez dit au comité que la GRC ne faisait pas de profilage racial.

Cependant, cette question revient constamment sur le tapis un peu partout au pays. Je sais que vous avez suivi les travaux du comité attentivement et que de nombreux sénateurs ont déjà posé ces questions. J'étais à Saskatoon vendredi dernier, et cette collectivité s'estime victime de profilage racial. En outre, on a pu lire dans le rapport de la Commission ontarienne des droits de la personne que le profilage racial existe. D'ailleurs, on en a parlé à la commission d'enquête Arar.

Deux forces policières municipales, celles de Kingston et de Montréal, ont adopté des politiques concernant le profilage racial. L'autre jour, j'ai lu dans le Ottawa Citizen que 75 p. 100 des musulmans de la région d'Ottawa craignaient d'être considérés comme des « terroristes » par la GRC. Pourquoi la communauté musulmane ne peut-elle pas travailler avec la GRC? Comme je suis le seul sénateur musulman, j'ai le sentiment d'assumer un lourd fardeau pour ces communautés. Pourquoi la GRC fait-elle la sourde oreille lorsque nous affirmons qu'à notre avis, le profilage racial existe? Pourquoi notre communauté ne peut-elle pas avoir, à l'instar d'autres communautés, de bonnes relations avec la GRC? Il faut que le point de vue de la communauté musulmane puisse être entendu. Si les musulmans ont l'impression d'être victimes de profilage racial, pourquoi ne pas annoncer que vous allez adopter une politique, comme Kingston et Montréal l'ont fait, pour qu'ils se sentent plus confortables dans leurs rapports avec la GRC?

M. Zaccardelli : C'est certes là un enjeu des plus importants.Je ne suis pas en désaccord avec vos propos. J'ai toujours été ouvert à toute discussion sur n'importe quel sujet à n'importe quel moment. Nous sommes en train d'élaborer une politique de promotion de services de police sans préjugés. C'est une initiative qui est en cours. Vous étiez à Saskatoon et moi j'étais à Regina la semaine dernière. J'étais accompagné de mon comité consultatif national sur les minorités visibles. Un musulman en fait partie, et nous avons parlé de ces questions. Nous en discutons activement. Comme vous le savez, j'ai rencontré les dirigeants du Muslim Canadian Congress, à Toronto, et je me suis entretenu avec eux. Partout au pays, nous discutons activement de profilage racial. Je suis d'accord avec vous. Je l'ai dit très clairement. Je n'ai pas à dire si je pense que le profilage racial existe. Si cette perception existe dans l'esprit de certaines personnes, alors il faut que je m'en occupe, et c'est ce que j'ai fait. Nous essayons d'être proactifs, et je suis prêt à rencontrer quiconque voudra en parler n'importe quand et n'importe où. La question est de savoir comment régler le problème, et nous faisons des efforts en ce sens. J'ai comparu devant le conseil national sur la diversité et je comparaîtrai de nouveau devant lui à Vancouver à l'automne. Nous avons des discussions sérieuses à ce sujet.

Nous avons invité les représentants de la police de la Ville de Kingston à venir nous parler. Ils sont venus à Ottawa et nous avons eu des discussions là-dessus. Nous prenons des mesures et, personnellement, c'est un sujet qui m'interpelle énormément car il ne doit y avoir aucune tolérance au sein de la GRC pour le profilage ou les préjugés raciaux quels qu'ils soient. Dès leur arrivée à Regina, le premier jour, les cadets ont une séance d'information à ce sujet. Ils sont tenus de participer à une série de modules au cours des six mois que dure leur formation. Quiconque travaille à des dossiers de sécurité nationale doit suivre une formation traitant de la reconnaissance et de la prise de conscience de la diversité et de l'importance d'être sensible à la diversité. Cela fait partie intégrante de nos activités. Je suis parfaitement au courant des projets de loi d'initiative parlementaire. Nous travaillons activement à ce dossier et c'est une préoccupation majeure pour moi. Quand vous dites que nous ne sommes peut-être pas ouverts à des discussions là- dessus, j'espère que je n'ai pas donné cette impression à quiconque. Si je l'ai fait, je m'en excuse. Je suis assurément tout disposé à vous rencontrer ou à rencontrer tout autre groupe que nous devrions rencontrer, à votre avis, où que ce soit et en tout temps, pour en discuter. Il n'y a pas de place pour le profilage racial et cette question est extrêmement importante pour le travail policier. Nous en discutons de manière très détaillée. Je suis au courant de l'ébauche de politique et, pour être bien franc, j'ai des réserves sur ce document. Je ne l'ai pas lu en entier, mais je crois comprendre qu'il est fondé sur des renseignements américains seulement, et cela m'inquiète.

Nous devons bien comprendre ce que c'est que le profilage racial, parce que cela prend un sens différent pour bien des gens. Nous avons fait de la recherche là-dessus et nous avons constaté que des plaintes ont été portées contre la GRC. La question est de savoir s'il s'agit bien de profilage racial ou bien si la personne a eu le sentiment d'avoir été traitée d'une manière qui ne respectait pas sa diversité. C'est difficile à définir précisément. Je n'ai pas tous les détails sur ce que l'on fait actuellement à Kingston. Par ailleurs, au sujet du profilage racial, il faut tenir compte de la cueillette de renseignements quand on a affaire à un domaine du travail policier où les agents ont un pouvoir discrétionnaire considérable. Par exemple, les patrouilleurs routiers peuvent décider d'arrêter un conducteur en particulier et pas un autre. Il est évident que si un agent de police n'arrête que des gens de couleur, il y a un problème. Quoi qu'il en soit, les agents ont ce pouvoir de décision.

Dans le domaine de la sécurité nationale, nous n'avons pas ce pouvoir discrétionnaire. Nous pouvons recevoir un renseignement ou un appel disant qu'un tel est peut-être impliqué dans telle activité touchant la sécurité nationale. Je ne peux pas décider de ne pas aller frapper à cette porte pour essayer de recueillir des renseignements, parce que ce serait un manquement à notre devoir. S'il se trouve que j'ai reçu cinq appels et que les cinq personnes à qui j'ai parlé sont cinq personnes de couleur ou de la même confession religieuse, on pourrait dire que je fais du profilage racial. Mais je n'ai pas le choix. Dès qu'on me communique un renseignement, je dois y donner suite, tandis que dans le cas du travail policier discrétionnaire, que ce soit les patrouilles routières ou autre chose, c'est différent. Nous devons faire la distinction et voir où cela entre en jeu. Il faut une discussion approfondie là-dessus. Je suis content que nous y participions. Nous aurons l'occasion de vider la question ici en étudiant un projet de loi d'initiative parlementaire ou dans le cadre d'autres discussions que nous devrons avoir.

Le sénateur Jaffer : J'accepte sans aucune réserve tout ce que vous avez dit parce que je ne remets nullement en question votre sincérité dans cette affaire. J'accepte tout ce que vous dites. C'est la troisième fois que je vous pose cette question. Vous avez fait beaucoup de chemin depuis la première fois que vous et moi avons discuté de cette question. Je vous en remercie.

Je voyage beaucoup au Canada. Personne ne met votre parole en doute quand vous dites que vous n'avez aucun pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne les terroristes. Nous sommes avec vous là-dessus. Nous voulons que vous mettiez tout en oeuvre pour que ces terroristes soient mis au rancart de notre collectivité, pour que l'on cesse d'identifier les musulmans comme des terroristes. Nous sommes avec vous dans ce combat, mais il n'en existe pas moins une perception.

La Police de Kingston a établi des lignes directrices. Une norme plus élevée a été fixée pour les agents de police de Kingston en ce sens qu'on leur demande de reconnaître et de comprendre l'existence de profilage illégal, de travail policier marqué par les préjugés, et la nécessité d'empêcher un tel état de fait. Bien que ni mon bureau ni votre service n'ait jamais approuvé une telle pratique, la publicité suscitée par l'allégation a jeté une ombre sur la police de Kingston.

Voici ce que je veux vous dire. J'ai travaillé avec la GRC pendant 30 ans et je suis la première à dire que c'est le meilleur corps policier au monde, mais il est maintenant marqué d'une tache. Nous devons trouver le moyen de donner aux communautés ethniques le sentiment d'être entendues, et pas seulement dans les secteurs où vous n'avez aucun pouvoir discrétionnaire. Je suis d'accord avec vous, mais je pourrais vous donner de nombreux exemples où il y a pouvoir discrétionnaire et où la communauté est ciblée.

M. Zaccardelli : Je conviens que nous devons continuer à travailler. Nous avons des problèmes même avec l'étude de Kingston; par exemple, le Centre canadien de la statistique juridique refuse de prendre en compte les statistiques de Kingston parce qu'ils ont des réserves quant à la manière dont ces renseignements sont recueillis. Nous devons continuer d'y travailler, nous devons nous assurer d'étudier ce qui a été fait à Kingston et peut-être ensuite voir comment on pourrait améliorer la manière dont ces données sont recueillies. Ensuite, on verra ce que l'on pourra faire, mais il se fait déjà beaucoup de travail.

Je suis d'accord avec vous. Je ne dis pas que nous n'avons jamais eu un seul cas de discrimination policière. Nous avons examiné récemment 11 000 dossiers de plaintes du public. Je crois savoir que nous n'avons jamais été saisis d'un dossier quelconque du point de vue des plaintes du public. Nous avons fait un certain nombre d'enquêtes mettant en cause le code de déontologie, dans des cas où des gens avaient dit : « Je n'ai pas été traité comme il faut par un membre de la gendarmerie ». Nous avons fait quatre ou cinq enquêtes au cours des cinq dernières années dans des cas où l'on alléguait qu'il y avait eu discrimination — nous pourrions utiliser l'expression de profilage racial — de sorte que nous ne laissons rien passer de tout cela.

Ce qui me préoccupe le plus, c'est de veiller à inculquer les valeurs dès le premier jour, pour s'assurer que je n'aie pas besoin par la suite de tenir les gendarmes en laisse, qu'ils comprennent la nécessité de respecter la diversité de tous, peu importe leur origine, et de fournir un service dénué de tout préjugé. Voilà ce que je m'efforce d'accomplir. Cela exige de l'éducation et beaucoup de travail, pas seulement parmi les services policiers, mais aussi avec les collectivités.

Je vous suis reconnaissant de votre offre et de ce que vous faites pour nous aider à cet égard. Nous n'avons pas encore atteint l'objectif, mais nous y travaillons.

Le sénateur Fraser : Mon observation fait suite aux questions posées par le sénateur Jaffer. Vous pourriez envisager de tenir une série d'assemblées publiques. Vous pourriez prendre l'initiative de ce geste pour rejoindre la collectivité, et je veux dire vous-même personnellement, monsieur le commissaire. Vous savez certainement que rien ne vaut le contact humain pour approfondir la compréhension de part et d'autre. Prendre l'initiative est souvent une mesure très utile. J'ai aussi une autre question à vous poser.

M. Zaccardelli : Sur ce point, il y a un peu plus d'un an, il y a eu un congrès à Toronto rassemblant 9 000 musulmans. J'ai été invité à prendre la parole. Je vais être franc avec vous. Les gens ont dit : « Monsieur le commissaire, êtes-vous fou? Voulez-vous vous jeter dans la fosse aux lions? » J'ai répondu que je devais y aller et j'y suis allé. J'ai reçu plusieurs ovations pendant mon allocution. Je suis d'accord avec vous, nous devons en faire plus. Rien ne vaut les relations interpersonnelles. À titre de commissaire, il m'incombe tout spécialement de le faire et nous en faisons. Nous devons en faire plus.

Le sénateur Fraser : Pas seulement pour leur expliquer, mais pour les écouter.

M. Zaccardelli : Absolument.

Le sénateur Fraser : Le simple fait que les gens soient disposés à vous écouter est souvent très utile.

Je voulais vous interroger sur le partage des renseignements avec des organismes ou gouvernements étrangers, parce que le terrorisme est une activité internationale. Nous savons que vous devez le faire, mais en même temps, cela soulève de grandes inquiétudes.

À quelle étape au cours d'une enquête jugez-vous nécessaire de partager les renseignements avec un organisme étranger? Quelles sont les règles, les garanties qui existent quand vous en arrivez là?

M. Zaccardelli : Sénateur, il existe des règles générales dans le régime de la common law qui nous permettent de partager les renseignements dans le cadre d'une enquête criminelle. Il y a des protocoles avec certains pays, et cetera. Nous partageons des renseignements régulièrement. Souvent, nous avons des politiques qui dictent précisément quand et comment on doit partager les renseignements. Je crois que vous êtes davantage préoccupée par les renseignements traitant de la sécurité nationale, qui est un domaine plus sensible.

Avant le 11 septembre, le partage des renseignements dans ce domaine était exactement le même que dans le cadre d'une enquête criminelle normale. Depuis le 11 septembre, il y a eu un certain nombre de changements.

Premièrement, toutes les enquêtes que nous entreprenons à la GRC dans le domaine de la sécurité nationale sont totalement centralisées. Cela veut dire qu'aucune enquête n'est mise en branle, qu'aucune requête n'est lancée sans que l'administration centrale, mon sous-commissaire aux opérations, s'assure qu'il est bien au courant du dossier, et c'est lui qui donne l'autorisation de lancer l'enquête. C'est totalement différent. Même si je suis le commissaire, je ne suis pas au courant de beaucoup d'enquêtes, je connais seulement les plus graves et les plus délicates. Dans les dossiers de sécurité nationale, tout est contrôlé par le centre. Nous avons une politique qui régit tout cela.

Depuis le 11 septembre, j'ai reçu trois directives ministérielles traitant des dossiers de sécurité nationale. L'une de ces directives traite explicitement des pays qui peuvent nous donner des inquiétudes, en termes de leur bilan des droits de la personne, et cetera. Avant de pouvoir nous lancer dans des échanges de renseignements dans ce domaine, il est important de consulter le ministère des Affaires étrangères et nous devons avoir l'assurance que les renseignements en question seront utilisés comme il faut dans le cadre de l'enquête que nous menons.

Chaque cas doit faire l'objet d'un jugement. Depuis le 11 septembre, nous n'avons conclu aucune entente avec d'autres pays traitant des dossiers de sécurité nationale. Il n'y a eu aucune nouvelle entente signée par la GRC.

L'échange de renseignements se fait au cas par cas. La GRC ne le fait jamais unilatéralement. C'est toujours fait en consultation avec le ministère des Affaires étrangères et dans l'intérêt supérieur du Canada.

L'intérêt supérieur du Canada englobe toujours le besoin de respecter les droits de la personne. C'est un processus rigoureusement contrôlé et c'est pris très au sérieux. Cela ne se fait jamais unilatéralement. Je suis toujours assis avec un certain nombre de hauts fonctionnaires du ministère de la Justice et autres organisations pour examiner un dossier et nous nous demandons s'il y a lieu d'échanger des renseignements.Devons-nous dans le dossier en question travailler avec un autre pays ou une organisation étrangère?

C'est un processus qui est contrôlé de manière très serrée.

Le sénateur Fraser : Dans quelle mesure contrôlez-vous, ou pouvez-vous contrôler la manière dont les gouvernements ou organismes étrangers utilisent les renseignements une fois que vous avez décidé de les communiquer?

M. Zaccardelli : C'est une question très importante. Nous ne pouvons pas garantir ce qui se passe. Il faut faire preuve de jugement dans chaque cas. Évidemment, on évalue le bilan du pays en question. On consulte de manière approfondie le ministère des Affaires étrangères, le SCRS et d'autres ministères qui s'intéressent à la justice. Ensuite, une décision est prise. Dans certaines régions, il y a un risque, mais chaque cas est étudié individuellement.

C'est la même chose lorsque nous recevons des renseignements d'un pays dont la réputation ou les antécédents sont douteux. C'est le monde dans lequel nous vivons. J'aimerais pouvoir dire que je garantis que chaque élément d'information que nous recevons provient d'une source irréprochable et que nous pouvons le vérifier. C'est parfois tout simplement impossible et il faut alors user de son jugement parce que nous devons avoir la latitude de le faire. La seule chose que nous ne pouvons pas éviter, c'est l'obligation d'agir. Ce que nous essayons de faire, c'est de consulter largement, d'obtenir les meilleurs conseils et ensuite, de prendre une décision prudente que nous espérons la meilleure, dans le respect des droits individuels, tout en nous permettant de nous acquitter de notre obligation d'assurer la sûreté et la sécurité du Canada.

Le sénateur Fraser : Serait-ce utile s'il y avait des lignes directrices pour aider à prendre de telles décisions, au lieu de le faire au cas par cas?

M. Zaccardelli : Nous avons des lignes directrices. Par exemple, le ministère des Affaires étrangères nous fournit des lignes directrices ou nous donne son opinion quant à ce qui se passe dans certains pays. Les directives ministérielles sont des lignes directrices de la part du ministre qui nous dit : avant de faire ceci ou cela, vous devez tenir compte de ceci, notamment des droits de la personne.

Est-ce que ce processus pourrait être renforcé? Je n'ai pas d'objection à cela.

Le sénateur Fraser : Pourrions-nous prendre connaissance de ces directives ministérielles?

M. Zaccardelli : Je suppose que je peux vous les communiquer. Je vais vérifier et vous les faire parvenir dès que je pourrai me les procurer.

Le sénateur Joyal : Monsieur Zaccardelli, vous avez témoigné le 11 avril. Le 18 avril, nous avons entendu la présidente de la Commission des plaintes du public contre la GRC. Est-ce que l'un ou l'autre de vos conseillers a eu l'occasion de prendre connaissance du témoignage que nous avons entendu ce jour-là et des échanges que nous avons eus avec la commissaire?

M. Zaccardelli : En général, je suis au courant de ce que la commissaire a dit, oui.

Le sénateur Joyal : Voulez-vous faire des observations? De nombreuses questions ont été abordées au cours de ce témoignage. J'aimerais entendre ce que vous avez à dire, après quoi je verrai ce que nous pouvons ajouter.

M. Zaccardelli : Je suis en train de rédiger un petit document qui, je l'espère, sera prêt à la fin de la semaine, et qui répond à un certain nombre de questions qui ont été soulevées au sujet des relations entre la GRC et la Commission des plaintes du public. J'ai l'intention de le remettre à mon ministre. Je me ferai aussi un plaisir de vous en remettre un exemplaire pour que vous puissiez prendre connaissance de ce document, qui décrit de façon générale cette relation.

Je peux entrer dans les détails, si vous le souhaitez. J'ignore si vous voulez aborder cela.

Le sénateur Joyal : Comme nous en sommes encore au début de notre étude du fonctionnement de la législation antiterrorisme, il serait utile pour nous d'obtenir une réaction générale sans entrer dans les détails de la proposition. Il nous serait utile que vous fassiez un survol de vos relations avec la commissaire en s'attardant aux améliorations possibles du système, parce que la commissaire a soulevé des points à propos desquels nous nous attendons à des recommandations. Il serait utile d'obtenir de vous au moins une réaction générale aux points qui ont été soulevés.

M. Zaccardelli : Sans entrer dans les détails, je voudrais faire plusieurs observations.

À la dernière réunion, le sénateur Fraser m'a posé des questions là-dessus. Si l'on lit les précédents rapports annuels publiés par la commissaire, et même le rapport qu'elle a envoyé au juge O'Connor au sujet de l'enquête dans l'affaire Arar, la commissaire dit très clairement qu'il y a de très bonnes relations entre la Commission des plaintes du public et la GRC.

Elle dit que les rares désaccords qui existent sont bons et sains parce que, dit-elle très clairement, nous ne voudrions pas d'une entente à 100 p. 100 entre les deux organismes en tout temps.

Ce qui me trouble, d'une certaine manière, c'est que des déclarations très claires ont été faites indiquant que tout va bien. La commissaire m'a dit personnellement qu'elle est très contente de nos relations de travail et que celles-ci n'ont jamais été meilleures dans toute l'histoire des deux organisations. J'entends dire ensuite qu'elle aurait fait des commentaires totalement contradictoires. Je suis perplexe.

Dans certains cas, je ne veux pas m'aventurer trop loin, mais je ne peux m'empêcher de penser que l'on vous a peut- être induit en erreur. J'ai de sérieuses réserves quand quelqu'un dit qu'on lui a refusé — ou laisse entendre qu'on lui a refusé régulièrement l'accès à des renseignements relativement à des plaintes du public dans des dossiers à l'étude.

À ma connaissance, dans le domaine des dossiers de sécurité nationale, il y a deux dossiers auxquels on n'a pas donné un accès sans limite à la commissaire des plaintes du public. La raison pour laquelle la commissaire n'a pas eu entièrement accès à ces dossiers, c'est que l'information demandée est scellée par une ordonnance du tribunal. Il s'agit d'assignations à comparaître et d'autres documents de ce genre, des documents judiciaires qui ont été scellés par la cour.

Si je comprends bien, on vous a laissé entendre que je les empêche d'avoir accès à ces renseignements. Ce n'est tout simplement pas le cas. Je ne connais aucun dossier relatif à la sécurité nationale dans lequel nous aurions refusé des renseignements. J'ai donné des instructions très strictes à mes officiers commandants, leur disant que nous devons remettre le maximum d'information à la commission, qu'il doit s'agir de renseignements pertinents. Il doit s'agir de renseignements que je suis autorisé à communiquer. Quand la cour scelle un certain document ou une assignation à comparaître, je ne peux pas défaire cette ordonnance. Je ne suis pas autorisé à le faire.

Il y a une autre question que je trouve quelque peu troublante et j'espère que nous pourrons la tirer au clair. J'en reviens aux commentaires formulés la dernière fois par le sénateur Fraser, qui faisait état de déclarations qui auraient été faites et selon lesquelles la commission n'a pas le pouvoir d'entreprendre une enquête à moins qu'une plainte soit déposée à ce bureau. Sénateur, c'est vous qui avez posé cette question.

Il est clairement établi dans la loi et dans un certain nombre d'affaires dont je suis saisi que le commissaire a absolument le droit de porter plainte de son propre chef ou de lancer ses propres enquêtes. Par exemple, dans l'affaire Arar, il n'y avait aucune plainte du public, mais la commission a choisi de faire enquête et d'en saisir le juge O'Connor. La Commission des plaintes du public avait tout à fait le pouvoir d'amorcer sa propre enquête. De prétendre que la commission ne recevait pas l'information voulue, c'est tout simplement inexact.

La commission a d'ailleurs lancé de son propre chef un certain nombre d'enquêtes dans un certain nombre d'affaires. Je pourrais en donner une liste au comité. J'espère que je ne m'appesantis pas trop sur ce point. Il n'est pas exact de dire que la commission ne peut pas prendre l'initiative de mener une enquête parce qu'elle l'a fait à maintes reprises. Cela me trouble.

J'ai ici le document sur le rapport. Elle a dit clairement un certain nombre de fois que les relations sont très bonnes. J'ignore d'où vient cette allégation selon laquelle nous ne fournissons pas les renseignements, parce que nous fournissons le maximum d'information et nous collaborons entièrement.

Nous avons eu des désaccords, mais cela fait partie du processus. Dans tous les cas, nous avons remis les renseignements voulus. L'un des deux cas qu'elle a soulevés mettait en cause une assignation à comparaître scellée que je ne pouvais pas lui remettre et elle s'est donc adressée à la Cour fédérale. La cour a tranché qu'elle n'était pas habilitée à recevoir ce renseignement. L'affaire est maintenant devant la Cour d'appel fédérale. La Loi sur les informateurs est claire et il a été établi jusqu'à la Cour suprême du Canada que de tels renseignements sont protégés et gardés secrets. Il y a des règles en cette matière. C'est une chose de dire que l'on veut obtenir les renseignements, mais il faut respecter le processus pour obtenir ces renseignements.

Je vais m'en tenir là, sénateur. Vous avez probablement des questions précises auxquelles je pourrais donner des réponses plus précises.

Le sénateur Joyal : Vos commentaires ont été utiles. Vous avez cerné la problématique de manière à nous permettre de voir la situation dans son ensemble. Une liste des affaires auxquelles vous avez fait allusion serait utile pour les membres du comité.

M. Zaccardelli : Je voudrais signaler ce que Mme Heafey a dit au sujet du mémoire remis dans le cadre de l'enquête du juge O'Connor sur les gestes posés par les fonctionnaires canadiens dans l'affaire touchant M. Arar :

Dans notre présentation, le désaccord signifie d'abord et avant tout que les interactions entre la CPP et la GRC sont marquées d'une tension saine et que leur dialogue est véritable. Elles doivent toutes les deux réfléchir soigneusement à leurs positions et les exprimer. Le public ne serait guère bien servi si on rejetait ou acceptait toutes les conclusions et les recommandations de la CPP.

Soit dit en passant, j'accepte 85 p. 100 des recommandations qu'elle m'a faites. Je poursuis la lecture du document :

Nous estimons que le taux d'acceptation/refus démontre que le but du mécanisme d'examen des plaintes est tel que le Parlement l'a défini. Le commissaire de la GRC est responsable du rendement de la gendarmerie, il est ouvert au point de vue civil de la CPP et il maintient son opinion lorsqu'il le juge nécessaire.

Ce sont là deux déclarations faites par Mme Heafey, et je suis un peu perplexe au sujet de certaines autres déclarations.

Le sénateur Joyal : Au cours de son témoignage, madamele commissaire Heafey a laissé entendre que, d'après l'article 45.41 de la Loi antiterroriste, vous êtes la seule personne autorisée à déterminer si un document ou un élément d'information est pertinent dans le cadre d'une enquête. Cela vous place dans une situation difficile, étant donné que vous faites l'objet de l'enquête et que vous êtes en même temps le juge chargé de déterminer les éléments d'information auxquels la commissaire doit avoir accès. Je ne vois pas cela comme un désaccord entre vous-même et Mme Heafey, mais plutôt comme un problème d'ordre systémique et institutionnel. Mme Heafey a laissé entendre qu'il faudrait réviser cela pour que quelqu'un d'autre soit chargé de déterminer si la décision devrait être réexaminée par une tierce partie. Pour cette raison, en cas de divergence d'opinion quant à la nécessité de fournir un document dans le cadre des activités courantes des enquêtes, elle semble d'avis qu'il faudrait revoir la disposition de la loi. Êtes-vous d'accord? Le fait d'avoir un arbitre pourrait vous placer dans une meilleure situation, plutôt que d'être l'arbitre vous-même alors que l'institution que vous dirigez fait l'objet de l'enquête à la suite d'une plainte officielle.

M. Zaccardelli : Je comprends bien l'argument, sénateur. J'ai donné des instructions claires à ce sujet : sauf si un obstacle juridique m'empêche de fournir le renseignement, les enquêteurs doivent avoir accès à tous les renseignements dont ils ont besoin. Je ne peux pas révéler l'identité des informateurs, et cela peut poser un problème. C'est l'affaire qui est actuellement en instance devant la Cour d'appel fédérale. On peut examiner la loi qui a été adoptée pour traiter des plaintes du public contre le comportement de nos membres. Ma pratique a été de communiquer tous les renseignements et j'ai donné des instructions claires en ce sens.

Je le répète, il y a à l'occasion des désaccords et des conflits, et cela est sain. Qu'est-ce qui est vraiment pertinent en fin de compte? J'ai adopté comme pratique de communiquer absolument tout, sauf lorsque des entraves d'ordre juridique m'empêchent de communiquer un renseignement.

Le sénateur Joyal : Ma question pourrait sembler banale, mais elle m'apparaît importante. À quel niveau se situe la vérification de sécurité du commissaire des plaintes du public, étant donné la nature sensible de ses fonctions et du rôle que le commissaire doit jouer dans ses relations avec la GRC?

M. Zaccardelli : Mme Heafey jouit de mon entière confiance pour ce qui est du traitement de l'information. Dans certains cas, des préoccupations ont été exprimées au sujet du niveau de sécurité de certains documents. Nous avons travaillé avec la commission à ce sujet et nous leur avons montré le matériel à utiliser pour protéger les documents. Je n'ai aucune objection à échanger et transmettre tout renseignement susceptible de l'aider à rendre une décision.

Le sénateur Joyal : Une autre question qu'elle a soulevée dans son témoignage consécutif aux modifications apportées au Code criminel est que dorénavant, les activités antiterroristes figurent dans le Code criminel et vous êtes chargé de la cueillette des renseignements — vous avez maintenant officiellement cette responsabilité à la suite de l'adoption de la Loi antiterroriste. Cet aspect de vos activités n'est pas visé par un mécanisme quelconque de révision, comme dans le cas du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, le CSARS, et du Service canadien de renseignement de sécurité, le SCRS. On vous a confié d'importantes responsabilités supplémentaires relativement aux enquêtes antiterroristes, mais la loi n'a pas été modifiée en conséquence pour assujettir cette activité à un mécanisme d'examen, contrairement aux autres organismes actifs dans le dossier anti-terrorisme qui font l'objet d'un examen aux termes de la loi. Auriez-vous des objections de principe à ce que l'on modifie la loi pour que ces activités soient visées d'une manière ou d'une autre, pour qu'elles soient examinées par une tierce partie, comme c'est le cas des autres agences qui sont examinées aux termes de la loi?

M. Zaccardelli : Là encore, je vais accepter tout changement ou amendement que l'on pourrait apporter, mais je crois que nous devons examiner les pouvoirs qui existent à l'heure actuelle. À mon avis, il n'y a rien de ce que nous faisons maintenant, depuis l'adoption de la Loi antiterroriste, que la Commission des plaintes du public n'est pas habilitée à examiner. On ne cesse de revenir sur les pouvoirs de la police qui auraient été considérablement renforcés. Je ne crois pas que nos pouvoirs aient été grandement renforcés; ce sont des pouvoirs équilibrés. Les deux principaux pouvoirs sont en matière d'enquête et de détention.

Comme vous le savez pertinemment, ces deux pouvoirs — qui sont énoncés dans la loi et que nous devons donc appliquer — s'appliquent seulement à la sécurité nationale. Ils ne s'appliquent nulle part ailleurs. Pour que nous puissions exercer quelque pouvoir que ce soit en la matière, nous devons obtenir l'approbation d'un juge. Ce n'est pas moi qui décide de détenir quelqu'un ou de tenir une audience d'enquête. C'est le juge qui doit en décider et il faut obtenir l'approbation du procureur général. La loi a été rédigée en prévoyant des limitations très strictes quant à la capacité de la police de recourir à ces dispositions. Je ne peux pas décider de tenir une audience d'enquête. Je présente les faits au juge et c'est le juge qui décrète que l'on peut tenir une audience d'enquête.

En ce qui concerne ces pouvoirs, que nous n'avons pas utilisés, soit dit en passant, s'il y a une plainte quelconque de la part d'un particulier ou d'un groupe quelconque, ou encore si la commission souhaite examiner la question, elle a le pouvoir de le faire aux termes de la loi actuelle. Quand on dit qu'on nous a conféré des pouvoirs plus étendus, je ne comprends pas; il existe une disposition de la loi que nous pouvons appliquer si la cour nous en donne l'autorisation et il faut donc qu'il y ait un besoin correspondant d'accroître les pouvoirs de l'organe qui s'occupe des plaintes du public. Cet organisme peut examiner n'importe quel domaine. Il peut fouiller partout. Le CSARS n'a pas obtenu de nouveaux pouvoirs à la suite de la Loi antiterroriste. Aucun autre organe d'examen n'a reçu des pouvoirs plus étendus parce que ces pouvoirs existent et permettent d'examiner tout ce que nous faisons. Cela n'a aucune incidence. La Commission des plaintes du public peut examiner les activités de n'importe quel employé de la GRC, dans n'importe quel domaine. Dans tous nos domaines d'activité, ils ont absolument le droit de demander des dossiers, de nous demander de mener une enquête ou de tenir une enquête eux-mêmes.

L'affaire Arar en est un parfait exemple. Rien dans la loi n'empêche la commission de tenir une enquête publique ou de mener sa propre enquête. Elle a choisi de confier cette tâche au juge O'Connor, mais elle aurait pu s'en charger elle- même. Je suis un peux perplexe quand j'entends quelqu'un dire : « Vous avez reçu des pouvoirs renforcés et j'ai donc besoin de plus grands pouvoirs moi aussi. Si l'on ne me donne pas plus de pouvoirs, je ne peux pas faire d'examen. ». Cet argument ne tient pas.

Le sénateur Joyal : Je comprends votre point de vue, mais par contre, le rôle du commissaire, qui est fondé essentiellement sur les plaintes du public, et le rôle du CSARS par rapport au SCRS ne sont pas exactement semblables du point de vue institutionnel.

Le rôle du commissaire relativement aux plaintes du public est essentiellement déclenché quand quelqu'un se sent lésé et dépose officiellement une plainte par écrit, de sorte qu'on a en main un dossier clair. Dans le cas d'un comité de surveillance, c'est nécessairement déclenché par le fait que quelqu'un se plaint quelque part. Autrement dit, c'est essentiellement une surveillance des divers niveaux de responsabilité et de décision, pour s'assurer que l'institution demeure fidèle à son mandat original. Vous comprenez cela très bien et je n'ai pas besoin d'en dire plus.

Si j'ai bien compris le point de vue exprimé par la commissaire, elle a fait une distinction entre les deux organismes, le mécanisme déclenché par les plaintes du public et un autre, qui est un mécanisme de surveillance. Je fais référence à vos activités de cueillette de renseignements dans le cadre de la lutte antiterroriste. Je ne parle pas des autres responsabilités que vous assumez pour ce qui est de faire appliquer les diverses lois du Canada au niveau provincial ou fédéral. Ce n'est pas du tout ce dont je m'occupe.Je traite essentiellement des activités antiterroristes qu'on vous a confiées à la suite des modifications du projet de loi C-36.

M. Zaccardelli : Je comprends cela, sénateur. Comme je l'ai déjà dit, il est évident que le juge O'Connor va examiner exactement ce point précis. C'est la deuxième question. Comme je l'ai déjà dit, je dois au juge O'Connor de lui faire part de mon point de vue là-dessus.

La notion voulant que, d'une manière ou d'une autre, on ait donné à la GRC ou au service de police un nouveau mandat dans ce domaine est une hypothèse ou une position erronée, une idée fausse que l'on colporte. Quand le juge David McDonald et la commission McDonald se sont penchés sur les problèmes à la GRC, ils ont clairement recommandé de mettre sur pied une nouvelle agence et l'on a dit : oui, nous allons créer une nouvelle agence, mais ils doivent travailler en étroite collaboration avec les organismes d'application de la loi, parce que ceux-ci ont toujours eu et continueront d'avoir la responsabilité de faire enquête sur les questions criminelles.

Rien n'a changé après le 11 septembre. Rien n'a changé après la Loi antiterroriste. Nous avons toujours ce mandat. Aucun nouveau mandat ne nous a été donné, car qui va faire enquête sur les activités criminelles? Le SCRS n'a pas ce mandat. C'est un organisme qui s'occupe de sécurité. Il n'a aucun pouvoir d'application de la loi. Rien n'a vraiment changé du point de vue des enquêtes. Oui, nous avons quelques pouvoirs supplémentaires, mais pour les exercer il faut s'adresser à un juge et obtenir la permission du procureur général. Et je le répète, l'organisme d'examen peut se pencher sur tout cela.

Si le juge O'Connor décide qu'il faut créer un mécanisme quelconque pour examiner tout cela, je suis réaliste. Je travaille déjà en tablant sur le fait que quelque chose s'en vient et je vais donc m'en accommoder. Je veux mettre cela en contexte. Je ne souscris pas à la position selon laquelle les organismes d'application de la loi ont de nouveaux mandats et pouvoirs et qu'ils s'en servent et que personne ne vérifie ce qu'ils font. Nous sommes également assujettis à la révision judiciaire et à tous les autres processus qui ne s'appliquent pas à l'agence chargée de la sécurité.

Il y a donc un équilibre, mais j'accepte la position du sénateur Jaffer, à savoir qu'il existe une perception et que nous devons nous en occuper. Nous accepterons toute mesure recommandée par le juge O'Connor et acceptée par le gouvernement et nous allons y donner suite.

La présidente : J'ai très hâte de commencer le deuxième tour car nos premiers intervenants ont été très brefs dans leurs questions et aimeraient bien avoir une deuxième chance.

Avant de donner la parole au sénateur Mercer, collègues, nous avons ici des invités du Parlement suédois qui viennent d'entrer dans la salle du comité. Ils sont membres du comité de la défense dans leur parlement. Ils voulaient venir jeter un coup d'oeil à nos travaux. Ils sont arrivés au bon moment. Nous entendons aujourd'hui le commissaire de la Gendarmerie royale du Canada.

Le sénateur Mercer : Commissaire, au sujet du récent redéploiement de ressources dont vous avez parlé tout à l'heure en réponse au sénateur Lynch-Staunton, est-ce que ce redéploiement a eu une incidence positive ou négative au Canada de l'Atlantique, en particulier en Nouvelle-Écosse? Quelle est votre évaluation des changements qui ont été apportés là-bas?

M. Zaccardelli : Nous n'avons pas fait de redéploiement important de ressources en Nouvelle-Écosse, bien que des consultations soient en cours dans un certain nombre de régions pour envisager un redéploiement de certaines ressources. Rien n'a été fait; aucune décision définitive n'a été prise. Il y a actuellement passablement de consultations. Les mêmes principes s'appliquent, qu'il s'agisse de la Nouvelle-Écosse, de la Colombie-Britannique ou du Québec. Je considère nos ressources fédérales comme un déploiement stratégique dans l'ensemble du pays. La nature de nos activités fédérales, de plus en plus, est telle qu'il faut une masse critique pour entreprendre des enquêtes de ce genre. Qu'il s'agisse du crime organisé ou de notre important travail fédéral dans le domaine des douanes, du droit d'auteur, de la pornographie infantile ou du terrorisme, on a besoin d'une masse critique.

Pour des raisons historiques et valables à l'époque, nous avions de petits déploiements de ressources dans un grand nombre de régions. Le problème est qu'on se retrouve avec deux ou trois gendarmes un peu partout. La nature du travail exige que l'on puisse compter sur un effectif plus nombreux pour effectuer le travail. Au lieu d'avoir deux ou trois personnes dans un grand nombre de régions, je les ai regroupées stratégiquement dans un plus petit nombre de régions pour se charger de ce travail. Il ne sert à rien d'avoir deux ou trois gendarmes dans un secteur si ceux-ci n'ont pas les ressources voulues pour se charger de ces dossiers. Voilà donc ce que nous faisons.

Cela donne l'impression qu'une collectivité peut perdre un ou deux membres, mais en réalité, le groupe plus nombreux doté d'une masse critique suffisante est en mesure d'effectuer du travail beaucoup plus efficace et de couvrir beaucoup plus efficacement la région. C'est ce que nous faisons, sénateur.

Le sénateur Mercer : Ma question suivante fait suite à celle-ci. Les récentes compressions dans les administrations portuaires un peu partout au Canada ont suscité des critiques selon lesquelles des ports comme ceux de Halifax, Saint John, Montréal et Vancouver pourraient être plus vulnérables à l'entrée de terroristes et à la contrebande. Avez-vous renforcé votre présence sur les quais de nos grands ports et, dans l'affirmative, quels en sont les résultats?

M. Zaccardelli : C'est une question très importante. Grâce à des ressources accrues fournies par le gouvernement fédéral, nous avons renforcé notre présence dans les ports depuis le 11 septembre. Nous avons créé ce que nous appelons des équipes intégrées qui ne se limitent pas à la GRC. À Halifax, par exemple, nous avons une équipe intégrée dirigée par la GRC, mais comprenant aussi des membres de la police de Halifax et de l'agence frontalière qui travaille avec vous. Nous avons aussi des membres du SCRS. Ce sont des équipes multidisciplinaires et intégrées.

Je crains que nous n'en ayons pas assez, mais nous avons en fait amélioré la situation depuis que l'on a démantelé la police portuaire. J'étais d'accord avec le démantèlement de la police portuaire. Je sais qu'il y a des gens qui n'aiment pas entendre dire cela, mais cette ressource n'était pas utilisée de la manière la plus efficace et efficiente. Nous sommes aujourd'hui beaucoup plus efficaces qu'auparavant. Nous nous concentrons sur les principaux ports. Encore une fois, nous avons une masse critique dotée d'équipes multidisciplinaires capables d'intervenir de manière proactive.

Le sénateur Mercer : Pour revenir à ma première question sur le déploiement des ressources et ce que vous dites au sujet de la réaffectation des gens, j'ai entendu en Nouvelle-Écosse une critique selon laquelle, avec les réaffectations, il est difficile de garantir que les services sont disponibles dans les deux langues officielles. Dans certaines localités, il est beaucoup plus facile d'y avoir accès qu'ailleurs, selon les aléas de la géographie.

Ma dernière question est simple. La vice-première ministre a nommé une personne éminente chargée d'effectuer des consultations sur la catastrophe d'Air India et de formuler une recommandation à savoir s'il est nécessaire de poursuivre l'enquête. Je n'ai pas besoin de savoir si la réponse est oui. Cette discussion doit prendre place entre vous- même et la personne éminente en question, nommément M. Bob Rae.Est-ce que vous-même ou d'autres membres de la GRC ont été contactés par M. Rae dans l'exercice de ses fonctions?

M. Zaccardelli : J'ai eu une discussion avec M. Rae et j'ai l'intention d'en avoir d'autres.

Le sénateur Andreychuk : Je veux revenir à ce que disait le sénateur Joyal au sujet d'un mandat différent en matière de surveillance. Convenez-vous que la plupart de vos pouvoirs et ceux qui ont été renforcés s'inscrivaient dans une problématique antérieure au terrorisme, alors que l'on était surtout préoccupé sur la scène internationale par le crime organisé, et l'utilisation de nouvelles technologies par ces groupes, mais que notre ex-projet de loi C-36 est certainement beaucoup plus envahissant dans la société canadienne. Il crée des outils dont vous avez beau dire qu'ils confèrent les mêmes capacités en termes d'enquête, mais il est certain que leur incidence sur les citoyens canadiens est beaucoup plus grande. Ne croyez-vous pas qu'il est nécessaire d'avoir une surveillance plus serrée, non pas à cause des pouvoirs accrus, mais à cause de l'incidence et de l'ingérence dans la vie des citoyens canadiens? N'est-ce pas la raison pour laquelle nous avons adopté une attitude différente face au SCRS? Vous m'avez rappelé la situation du juge Macdonald. Au début, nous percevions la GRC comme des agents patrouillant dans la rue et susceptibles de nous aider. Nous avons ensuite appris quels étaient leurs rôles en matière d'enquête, ce qui est entièrement différent. Nous avons aujourd'hui deux services séparés. à l'époque, c'est le SCRS qui nous apparaissait avoir le plus grand besoin de supervision. Ne reconnaissez-vous pas qu'à cause du terrorisme, chacun a besoin d'une surveillance plus serrée à cause des conséquences pour les citoyens canadiens et d'autres?

M. Zaccardelli : Je pense que vous avez dit que ces pouvoirs étaient antérieurs au 11 septembre?

Le sénateur Andreychuk : Vous avez reçu de nombreux pouvoirs additionnels au fil des années, en matière de droit criminel. C'était à cause des pouvoirs plus étendus du crime organisé, des gangs, et cetera. Il est vrai que vous n'avez pas reçu autant de pouvoirs à cause du projet de loi C-36, mais les conséquences des changements apportés par le C-36 sont beaucoup plus profondes pour les citoyens. Pour cette raison, n'est-il pas nécessaire d'instaurer une surveillance à cause des conséquences de la loi, non pas à cause de votre attitude différente en matière de service de police?

M. Zaccardelli : La loi évolue constamment. Depuis la création du Canada, la loi n'a cessé d'évoluer et nous avons reçu des pouvoirs qui nous ont permis de réagir à la nature des crimes et des menaces auxquels nous étions confrontés. Il y a toujours eu une évolution.

Pour ce qui est du travail d'enquête que nous faisons en matière de sécurité nationale, nous approchons cela de la même manière que n'importe quelle autre enquête. Si nous apprenons qu'une personne ou un groupe est peut-être impliqué dans des activités potentiellement terroristes, nous sommes assujettis aux mêmes lois et procédures. C'est la même norme qui est appliquée quand nous demandons un mandat de perquisition ou une autorisation d'écoute téléphonique. Nous sommes assujettis aux mêmes critères. Il n'y a aucune diminution des normes rigoureuses que nous devons respecter. Nous faisons enquête dans ces cas-là comme nous enquêtons dans n'importe quel autre dossier.

Je ne suis pas certain d'être d'accord pour dire que nos activités dans ce domaine ont d'une manière ou d'une autre une incidence plus grande sur la société. Évidemment, cela influe sur nos méthodes d'enquête. Par exemple, nous n'avons pas utilisé les dispositions sur la détention. Nous avons porté des accusations contre une personne aux termes de la Loi antiterroriste. Il y a une affaire devant les tribunaux. Nous avons fait preuve de la plus grande prudence dans notre utilisation de cette loi.

J'ai parfois l'impression que les gens s'imaginent que nous avons procédé à des fouilles massives dans les maisons des gens appartenant à un certain groupe ethnique; cela n'a pas eu lieu. En tout cas, je n'en ai assurément jamais entendu parler. Nous avons appliqué les mêmes critères rigoureux que les tribunaux nous obligent à respecter, qu'il s'agisse d'une enquête sur le crime organisé ou d'une enquête sur le terrorisme.

Je comprends la perception. Sénateur, je conviens qu'il y a une perception selon laquelle nous avons utilisé cette loi de façon massive depuis le 11 septembre et que cela a causé un envahissement de la vie privée des gens. Je comprends cette perception. Franchement, cela m'inquiète beaucoup.

Le sénateur Andreychuk : Êtes-vous en train de dire que c'est seulement une perception? Ne croyez-vous pas que même si la loi a été appliquée à une seule personne, les conséquences pour cette personne, en comparaison de vos autres activités, ne sont-elles pas plus envahissantes?

M. Zaccardelli : Je ne le crois pas. Si nous interrogeons quelqu'un au sujet d'un dossier de sécurité nationale, je peux comprendre ce que cette personne ressent. Quand nous faisons une perquisition chez quelqu'un qui est impliqué dans le crime organisé, cela a un impact énorme pour eux. Quand nous interrogeons quelqu'un qui fait l'objet d'une enquête sur une possible agression sexuelle, nous comprenons les conséquences, nous savons ce qui pourrait arriver.

C'est un fait que dès que la police agit, les conséquences sont immenses pour la collectivité. Il n'y a aucun doute là- dessus. Cependant, je ne fais pas la distinction entre nos activités antiterroristes et nos autres tâches.

Le sénateur Andreychuk : Vous dites avoir utilisé cette loi seulement une fois. Combien de fois vous en êtes-vous servi dans le cadre de vos enquêtes? Des accusations ont été portées une seule fois, mais combien de fois la loi a-t-elle été invoquée dans le cadre d'une enquête?

M. Zaccardelli : Nous avons mené de nombreuses enquêtes un peu partout au Canada. C'est vrai, sénateur. Encore une fois, ces enquêtes n'étaient pas fondées sur le profilage ou quoi que ce soit. Elles étaient fondées sur des renseignements que nous avions reçus principalement des agences de sécurité nationale ou d'autres partenaires dans le monde. C'est toujours fondé sur des renseignements et nous avons l'obligation d'y donner suite.

Le sénateur Andreychuk : Je ne crois pas qu'il y ait profilage racial, comme certains l'ont prétendu, ni que vos agents de la GRC subissent un quelconque entraînement à l'étranger, comme on l'a aussi prétendu. J'ai déjà participé à des enquêtes policières et je comprends donc tout cela.

Vous avez toutefois reçu dans le projet de loi C-36 une définition de l'activité terroriste qui comprend: « Au nom — exclusivement ou non — d'un but, d'un objectif ou d'une cause de nature politique, religieuse ou idéologique. »

Nous n'avons jamais eu une définition dont l'un ou l'autre des éléments comportait qu'il fallait prouver que l'acte était commis pour des raisons politiques, idéologiques ou religieuses. La colère ressentie dans ces collectivités résulte peut-être en partie du fait que vous vous en prenez à une personne qui a un certain profil : une certaine religion, une certaine tendance politique et peut-être idéologique. Les membres de ces collectivités qui partagent cette idéologie, cette religion ou cette affiliation politique pourraient commencer à se sentir mal à l'aise, sachant que la police examine justement ces trois aspects. En fin de compte, c'est presque du profilage. Est-ce que la définition fait partie du problème qui a entraîné cette perception de la GRC que je qualifierais d'inappropriée?

M. Zaccardelli : C'est un point intéressant. On en a beaucoup discuté. De la façon dont la loi est rédigée, la référence à la religion et à l'idéologie est en fait une contrainte pour nous, pour l'application de la loi, parce que nous ne faisons pas de profilage en fonction des convictions religieuses ou de l'idéologie. L'acte de terrorisme, l'acte de complot pour commettre un acte de terrorisme, doit passer en premier. Cela peut ensuite être lié à une certaine idéologie, en effet. Cependant, nous ne faisons pas de profilage selon la religion, l'idéologie ou les convictions. Si nous n'avions pas cette référence, je pourrais porter des accusations contre n'importe qui impliqué dans le crime organisé, par exemple les Hell's Angels, en application de la même loi. Cette référence limite en fait notre capacité d'intervenir dans ce domaine.

C'est donc en fait une contrainte. Je sais que cela a créé de la confusion dans certains milieux. Si l'on recommande de changer la définition, nous allons nous en accommoder, mais l'intention était en fait de limiter la capacité des organismes d'application de la loi de s'en prendre spécifiquement aux gens animés par la foi religieuse ou des convictions idéologiques.

Le sénateur Andreychuk : Je veux donner suite à cela. Vous devez prouver qu'il y a un motif et l'acte doit être perpétré ou des mesures prises en vue de sa perpétration, après quoi vous déterminez si le motif relève de cette loi.

Permettez que je revienne à l'époque où je travaillais au dépôt, j'enseignais aux gendarmes de la GRC et travaillais avec eux en tant que procureur. Je n'arrive pas à comprendre comment je pourrais démêler tout cela sans me reporter à la religion, à la politique ou à l'idéologie quelque part. Comment pouvez-vous tenter maintenant de séparer le motif de l'acte lui-même, alors qu'en fait, tout notre droit criminel indique que le motif n'est pas pertinent? Vous devez être tenté de dire que, d'après ce que vous avez entendu dire, quelqu'un quelque part commet un acte douteux. Il est musulman. Il fréquente telle mosquée. Il fait partie de telle association. Est-ce que tout cela n'est pas mélangé? N'auriez-vous pas besoin d'une formation très poussée pour effacer ces perceptions?

Si je remonte aux années du communisme, quand il y avait des activités subversives, comment la police les découvrait-elle? On apercevait certaines personnes dans une salle où les gens se rassemblaient. Beaucoup de ces gens-là fréquentaient l'endroit pour des raisons sociales. Une ou deux personnes y allaientpeut-être pour des raisons politiques et négatives, mais tout le groupe était mis dans le même panier. Des années plus tard, on essayait encore d'absoudre les gens. Cette définition ne nous ramène-t-elle pas à cette pratique?

M. Zaccardelli : Sénateur, vous soulevez un excellent point. C'est un problème qui pourrait surgir. Nous passons beaucoup de temps à faire de la formation. Les agents qui travaillent dans ce domaine doivent être des agents de police très expérimentés qui ont reçu une formation poussée et qui ont une large vision des choses. Nous discutons beaucoup de tout cela pendant le cours.

Je peux vous raconter une anecdote personnelle. Cela remonte à l'époque où j'étais jeune enquêteur à Toronto. J'étais en voiture avec un collègue. Nous roulions sur l'avenue St. Clair dans un quartier italien. Il y avait un homme dans la rue. Il était environ 3 heures de l'après-midi. Il était bien habillé, devant un petit café. Mon collègue à côté de moi me dit : « Ce type-là doit faire partie du crime organisé. Que fait-il là, à 3 heures de l'après-midi, planté devant un café où l'on sert du cappuccino? » Je lui ai répondu : « Il est Italien. Ils adorent se tenir autour des cafés ». Il n'y avait aucune autre raison de le soupçonner.

Je suis d'accord avec vous. Cette attitude était répandue. Je ne pense pas que nous en soyons là. Nous travaillons très fort pour nous assurer que cela ne fasse pas partie de la mentalité de nos gendarmes aujourd'hui. Je pense que nous les avons sensibilisés et éduqués bien au-delà de cela.

Devons-nous être sur nos gardes contre ce type de mentalité? Je suis d'accord avec vous, sénateur, mais j'appuie quand même la loi telle qu'elle est rédigée parce qu'elle nous permet de limiter notre champ d'intervention. J'espère que nous n'avons personne dans nos rangs qui prend comme point de départ d'une enquête la mosquée que fréquente une personne. C'est absolument non pertinent. La question est de savoir : que fait cette personne?Est-elle impliquée dans un acte ou un complot menaçant la sécurité nationale? Le fait que cette personne fréquente une mosquée devient pertinent à un moment donné, mais il faut commencer par l'acte. C'est là-dessus que nous faisons porter nos efforts.

Je comprends votre préoccupation à ce propos. C'est pourquoi nous limitons la liberté d'action et le processus décisionnel dans ce domaine. Les décisions dans ce domaine sont prises à l'administration centrale; ce sont des hauts gradés qui prennent les décisions.

L'enquêteur ne prend pas ces décisions parce que nous craignons que cela puisse donner lieu à des inquiétudes. Est- ce que nous avons réglé le problème à 100 p. 100? Je n'en sais rien. Peut-être aurez-vous des recommandations ou des changements susceptibles de nous aider, sénateur.

Le sénateur Andreychuk : J'en ai assurément. Nous devrions tirer les leçons de notre histoire. Nous avons entendu d'autres groupes qui avaient les mêmes sentiments.

D'une part, vous essayez de rendre le Canada sûr. Je ne veux pas qu'il y ait de compromis là-dessus. D'autre part, je ne veux pas non plus que certaines personnes aient l'impression que leur liberté d'action dans une société libre et démocratique est maintenant menacée à cause de cette définition. Cela oriente leur choix : il vaut mieux que je n'y aille pas, il vaut mieux qu'on ne me voit pas. Je ne veux pas que les Canadiens vivent de cette manière.

M. Zaccardelli : Tous nos principaux alliés dans le monde ont ce même problème.

Le sénateur Andreychuk : Nous devons nous y attaquer parce qu'il existe.

Le sénateur Christensen : J'ignore si vous pouvez répondre pleinement à ma question. Depuis le 11 septembre, avec la sécurité accrue et la mise en oeuvre de la Loi antiterroriste, quels changements la GRC a-t-elle opérés? Il y a des ressources limitées dans le Nord pour les douanes et l'immigration. Il y a trois postes frontaliers routiers dans le Yukon qui sont ouverts toute l'année, et un autre en été. Il y a seulement deux aéroports qui constituent des points d'entrée.

Compte tenu d'une surveillance renforcée dans les ports du sud de la Colombie-Britannique, on craint que les petits ports de pêche de l'Alaska deviennent vulnérables à l'entrée de personnes motivées par une foule de raisons différentes.

Nous avons une très longue frontière occidentale qui n'est pas protégée. Avec le réchauffement planétaire et l'allongement de la saison, la frontière septentrionale devient vulnérable. Quelles mesures la GRC prend-elle à cet égard?

M. Zaccardelli : Vous avez soulevé d'excellents points.Le Nord est sur notre écran radar. Auparavant, le Grand Nord était un recoin endormi du Canada. Je ne dis pas cela dans un sens négatif.

Dans le Nord, historiquement, une grande partie de notre travail était plutôt du travail social que l'application de la loi. Il y a eu des changements troublants dans le Nord, surtout l'influence du crime organisé. La drogue et l'alcool ont eu une incidence marquée. Il y a une très forte croissance dans les Territoires du Nord-Ouest.

Sénateur Christensen, vous venez du Yukon. Nous avons mis sur pied une équipe intégrée de la police des frontières au Yukon. Cela fait partie du déploiement stratégique dans l'ensemble du pays. Nous avons lancé un nouveau navire qui fait beaucoup de patrouille. Nous avons fait du travail. La réalité est que nous sommes très vulnérables dans le Nord. Avec le changement climatique, nous voyons arriver dans le Nord des gens qui entrent illégalement et qui demandent le statut de réfugié. Mon travail est de m'occuper de l'ensemble du pays et de veiller à ce que les ressources dont je dispose soient déployées stratégiquement. Nos ressources sont fédérales et le Sud a tendance à accaparer la plus grande partie des ressources, mais la situation s'améliore. L'industrie du diamant est mûre pour une sérieuse infiltration par le crime organisé.

Les activités sont à l'avant-garde mondiale dans notre laboratoire du diamant et dans le domaine de la prospection diamantifère. Nous avons déployé dans le Nord une partie des neuf milliards de dollars que le gouvernement nous a accordés. Il faut en faire plus.

[Français]

Le sénateur Prud'homme : Je voudrais tout d'abord vous remercier de votre courtoisie concernant la lettre que vous m'avez envoyée à la suite d'un incident regrettable qui s'est produit sur la colline du Parlement.

En 1984, il y a eu un grand débat à la chambre des députés auquel j'ai assisté. C'était à l'époque de M. Trudeau. Suite à des événements difficiles survenus au Canada, la commission MacDonald a été mise sur pied. Je n'entrerai pas dans les détails de cette commission puisque j'étais directement concerné. Je ne l'ai jamais digéré, mais j'étais concerné. Une des recommandations de la commission fut la création d'une autre force. C'est ainsi qu'en 1984, nous en sommes arrivés à créer le Service canadien du renseignement de sécurité.

[Traduction]

Je me suis opposé violemment à la création du SCRS, c'est le moins que l'on puisse dire. Il ne s'est rien passé depuis qui soit susceptible de me faire changer d'idée. Je voulais moderniser la GRC. Même si j'ai eu un grave conflit avec la GRC, je les ai toujours défendus et je continuerai de le faire jusqu'à ma mort. Nous avons besoin d'une seule force de sécurité au Canada. À mon avis, la GRC pourrait se charger parfaitement de ce rôle, si on lui donnait les outils voulus.

Nous sommes maintenant confrontés à un monde différent, un monde dur et difficile. Quant le sénateur Kelly a demandé une enquête sur le terrorisme, j'ai appuyé sa motion. Je ne m'en excuse pas. Nous avons donc reçu le commissaire de la GRC et le directeur du SCRS. Le sénateur Joyal et moi-même sommes les seuls membres du Conseil privé et on nous a donc donné beaucoup de renseignements.

Nous vivons dans un monde difficile et sophistiqué et il faudrait faire une évaluation de la « rentabilité » de l'existence de deux forces.

Je suppose que j'ai la réponse à cette question. Quel est le degré d'intimité au chapitre du partage des renseignements entre le SCRS et la GRC? Je crois que la GRC devrait avoir la priorité. Contrairement à certains de mes collègues, je ne suis pas aussi effrayé que certains d'entre eux. Je peux défendre ma position devant des groupes multiculturels, mais nous exagérons le problème du profilage racial. Quand vous faites une enquête, vous devez bien commencer quelque part. Il y a une tendance que l'on peut discerner et développer, pourvu qu'on soit sophistiqué.

Si vous préférez, vous pouvez réfléchir à ma question plutôt que de me donner une réponse sans détour, en disant oui, absolument, sans l'ombre d'un doute, une réponse comme on nous en a donné une au comité sur la sécurité présidé par le sénateur Kelly.

Si l'on revenait à l'existence d'une seule force, y aurait-il amélioration? Nous vivons dans un monde de plus en plus difficile. En dépit des assurances des services de sécurité du SCRS et de la GRC qui affirment que les Canadiens en ont le plus possible pour chaque dollar investi, il n'en demeure pas moins que cela coûte immensément cher d'avoir deux forces. Si nous en arrivons à la conclusion qu'elles ne coopèrent pas, alors le Canada n'est pas bien servi.

M. Zaccardelli : Vous avez soulevé un certain nombre de questions, sénateur, et je peux vous assurer que, dans le monde d'aujourd'hui, et depuis longtemps, les relations entre le SCRS et la GRC sont excellentes et ont été excellentes. Je sais que vous lisez beaucoup, surtout depuis la décision dans l'affaire Air India. Il faut remonter 20 ans en arrière et se demander s'il y avait des frictions. Je peux vous assurer aujourd'hui que les relations sont absolument excellentes.

Par ailleurs, il est important de comprendre que dans le monde d'aujourd'hui, il est question de sécurité publique dans le cadre d'un continuum mondial, parce que ce n'est pas une seule agence, un seul ministère ou un seul niveau d'application de la loi qui est plus important qu'un autre. Il importe de comprendre que nous devons prendre en compte l'application de la loi aux niveaux local, provincial, national et international et créer une intégration harmonieuse. C'est pourquoi nous sommes fortement partisans de l'intégration.

Je suis content que nos amis suédois soient ici. Il ne suffit pas de travailler d'une manière parfaitement intégrée au Canada. Nous devons travailler de manière parfaitement intégrée dans le monde entier. Les menaces que font peser sur nous le crime organisé ou le terrorisme ne sont pas seulement canadiennes ou nord-américaines; ce sont des menaces planétaires. Nous devons aller au-delà du Canada. Nous travaillons de manière intégrée et en collaboration dans le monde entier.

L'un des défis auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui, et nous n'en avons pas parlé ici, mais vous envisagez d'apporter des modifications à la loi, c'est la capacité dans certains cas d'échanger des renseignements entre des agences et de protéger ces renseignements et les sources. Votre comité devrait y réfléchir. Parfois, des problèmes de protection des renseignements personnels nous empêchent quasiment de partager des renseignements, ou bien nous ne pouvons pas les échanger en totalité, ce qui nous cause des problèmes. Nous devons réfléchir à cela et à l'importance d'une bonne intégration et de pouvoir échanger des renseignements tout en respectant la vie privée des personnes et la charte. L'un des problèmes qui pourraientpeut-être causer des frictions pourrait surgir entre les agences lorsqu'elles se débattent avec ce besoin de protéger la vie privée des gens, tout en devant s'acquitter de leur obligation de protéger le pays. C'est une question difficile. Dans certains cas, nous devons trouver le moyen de surmonter ces problèmes difficiles. Ce n'est pas facile et je n'ai pas de solution à offrir, mais j'espère que l'on se penchera sur ces questions dans le cadre de l'examen du projet de loi C-36.

Pour ce qui est des relations entre nos agences, je pense qu'elles sont excellentes et nous y travaillons quotidiennement. Nos cadres supérieurs se rencontrent régulièrement. Nous travaillons à identifier les menaces les plus importantes et nous collaborons — pas seulement entre nous, mais aussi avec les autorités municipales et, ce qui est également important de nos jours, avec nos amis qui occupent des postes clés dans le monde entier.

Le sénateur Prud'homme : Vous n'arrêtez pas de parler de vos amis dans le monde. Je ne veux pas vous entreprendre ici tout de suite, mais il faudrait que nous ayons à un moment donné une petite discussion en privé pour savoir ce que vous entendez par « des amis clés ». Certains amis sont peut-être vos amis mais pas les miens, et vice versa. C'est la troisième fois que vous utilisez l'expression « des amis clés ». Je me méfie parfois des renseignements que nous obtenons de nos amis clés. Je n'irai pas plus loin. Je m'inquiète beaucoup de cette expression et de la source de nos renseignements.

M. Zaccardelli : Je comprends cela et c'est pourquoi on me paie beaucoup d'argent pour prendre des décisions difficiles. Chaque cas doit être examiné individuellement. C'est parfois difficile. Nous vivons dans un monde où nous devons prendre des décisions dans des situations très difficiles, en devant parfois compter sur des renseignements qui sont loin d'être parfaits. Nos obligations nous obligent à agir et à prendre les meilleures décisions possibles.

Le sénateur Lynch-Staunton : Je veux rester sur le même sujet parce que je m'étonne que vous ayez donné l'impression que tout va bien dans le monde du renseignement au Canada. J'exprime ma surprise parce que les États- Unis ont jugé nécessaire de nommer récemment un coordonnateur du renseignement pour essayer de réunir 15 agences séparées, dont la CIA n'est pas la plus importante. C'est plutôt le ministère de la Défense des États-Unis, qui a quelque 40 000 employés et un budget qui se chiffre dans les milliards de dollars. Nous avons vu au fil des années, dans de nombreux rapports, l'effondrement du réseau américain du renseignement, surtout dans le rapport sur le 11 septembre et, plus récemment, dans certains rapports du congrès qui ont dénoncé des renseignements faux et faussés et des sources peu fiables.

Vous donnez l'impression que tout est parfaitement intégré, que tout va bien et que nous nous entendons parfaitement avec nos partenaires. Tout ne peut pas être aussi bien tranché, n'est-ce pas.

M. Zaccardelli : J'espère que je ne vous ai pas donné l'impression que tout est parfait à 100 p. 100.

Le sénateur Lynch-Staunton : Vous l'avez fait.

M. Zaccardelli : Je peux établir le contexte. Je vous ai parlé de l'affaire Air India en 1985 et il est très clair que les relations n'étaient pas alors aussi bonnes qu'elles auraient pu l'être. C'est du domaine public et je l'ai déclaré en public. Je vous dis aujourd'hui que nos relations avec le SCRS sont excellentes. Nous partageons des renseignements. Nous travaillons ensemble. Nous travaillons de manière parfaitement intégrée, compte tenu de nos mandats divers, et pas seulement avec le SCRS, mais aussi avec d'autres agences, qu'elles soient fédérales, provinciales ou municipales. Nous avons nos équipes intégrées d'application de la loi partout au Canada. Pour la première fois dans notre histoire, nous avons la GRC, nous avons nos partenaires provinciaux et nous avons nos partenaires municipaux. C'est du jamais vu, sénateur. Quand je dis que les relations sont excellentes, c'est de cela que je veux parler.

Je veux aussi parler de nos relations avec nos amis clés partout dans le monde et je crois que nos relations sont très bonnes parce que nous sommes confrontés à des menaces communes et, de plus en plus, nous travaillons de manière intégrée comme une seule équipe. C'est un mouvement mondial sur toute la planète, que nous le voulions ou non, et nous nous sommes dirigés vers l'intégration complète. Nous n'en sommes pas encore là, mais nous devons le faire parce que ces problèmes transcendent les frontières. Je dis que nous avons de très bonnes relations. Cela ne veut pas dire que nous n'avons jamais de désaccords.

Le sénateur Lynch-Staunton : Combien existe-t-il d'agences fédérales du renseignement? Il y a le SCRS, la GRC...

M. Zaccardelli : Nous ne sommes pas une agence de renseignement; nous sommes une agence d'application de la loi.

Le sénateur Lynch-Staunton : Vous faites de la collecte de renseignements dans le domaine criminel et le SCRS s'occupe du renseignement de sécurité. Ce sont deux entités qui s'occupent de diverses formes de renseignements, mais tout est lié. Combien d'autres ministères ou organismes fédéraux ont leur propre service de renseignement?

M. Zaccardelli : L'agence frontalière en fait. Il y a aussi Transports Canada. Un certain nombre de ministères reçoivent des renseignements et ont des services de renseignement.

Le sénateur Lynch-Staunton : Je vous parle du travail de renseignement à proprement parler.

Le sénateur Prud'homme : Comme dans les communications.

M. Zaccardelli : Il y a un certain nombre d'agences fédérales, en effet.

Le sénateur Lynch-Staunton : Combien y en a-t-il?

M. Zaccardelli : Je ne sais pas.

Le sénateur Lynch-Staunton : Vous avez dit que vous travaillez tous ensemble et vous devez donc savoir combien il y en a.

M. Zaccardelli : Nous travaillons effectivement en très étroite relation. Le SCRS est notre partenaire le plus proche.

Le sénateur Lynch-Staunton : Je sais cela. Nous n'avons plus beaucoup de temps. Peut-être pourriez-vous nous communiquer cela. Comment pouvez-vous faire travailler ensemble tous ces services de renseignements — provinciaux, municipaux et fédéraux — et faire en sorte que le tout fonctionne aussi idéalement que vous semblez le dire? Je ne parle pas des bonnes relations comme le fait de se serrer la main à des activités sociales. Je parle d'échange de renseignements précis débouchant sur des conclusions justes. Aux États-Unis, ça été un scandale complet. Je n'arrive pas à croire que nous avons réussi chez nous à trouver une formule qui nous empêche de subir la moindre inexactitude occasionnelle dans notre évaluation du renseignement.

M. Zaccardelli : Le fait qu'il y ait des inexactitudes ne signifie pas qu'il n'y a pas une bonne collaboration.

Le sénateur Lynch-Staunton : Cela veut dire que la bonne collaboration devrait être secondaire et passer après des renseignements exacts.

M. Zaccardelli : Cela veut dire que le renseignement est souvent imparfait et que nous fonctionnons dans un monde imparfait.

Le sénateur Lynch-Staunton : J'espère que vous pourrez nous le dire un jour. Comment faites-vous pour mettre tout cela ensemble et nous donner l'assurance que les renseignements que vous recevez sont partagés, compilés, analysés et ne sont pas utilisés tant que l'on n'a pas une certitude quasi absolue que ces renseignements sont justes?

M. Zaccardelli : Pour la première fois, nous avons un groupe national du renseignement qui a été mis sur pied récemment et qui compte tous les principaux organismes fédéraux — le SCRS, la GRC, la défense et les transports. Cela a été mis sur pied pour la première fois. Aux niveaux provincial, territorial et municipal, nous avons une intégration de plus en plus poussée. Pour la première fois dans notre histoire, nous rassemblons nos forces. Est-ce parfait? Absolument pas.

Le sénateur Lynch-Staunton : Je ne demande pas la perfection.

Le sénateur Prud'homme : Qui est le patron de tout cela?

M. Zaccardelli : Nous avons un ministre; la vice-première ministre Anne McLellan rassemble tout cela au niveau fédéral. Sur le plan constitutionnel, comme vous le savez, il y a un niveau fédéral et un niveau provincial. En tant que commissaire,je rassemble et réunis dans toute la mesure du possible les forces provinciales et municipales. Je fais une conférence téléphonique avec tous mes principaux interlocuteurs au niveau provincial-municipal. Nous travaillons à de nombreux niveaux pour intégrer tout cela de manière à obtenir le meilleur renseignement possible.

Le sénateur Jaffer : Si le commissaire y consent, j'ai un certain nombre de questions que je vais poser et peut-être pourrait-il me faire parvenir des réponses par écrit.

Ma première question est que le gouvernement a annoncé récemment son plan d'action contre le racisme, dont un élément est un programme auquel la GRC va participer, de même que d'autres organisations policières d'un bout à l'autre du pays, pour aider la communauté du multiculturalisme. Je vous félicite encore une fois pour cette démarche et je vous demande de nous fournir des détails sur ce programme et aussi des détails sur la manière dont vous allez communiquer avec la communauté du multiculturalisme.

M. Zaccardelli : Nous coparrainons une conférence nationale, comme vous le savez, qui aura lieu l'année prochaine sur cette question précise.

Le sénateur Jaffer : Oui, je le sais et j'espère que je serai présente.

L'autre question que vous avez d'ailleurs déjà soulevée concerne votre groupe de travail sur les minorités visibles. Je voudrais savoir quel est son mandat, à quelle fréquence il se réunit, si quelqu'un y est affecté à plein temps et s'il compte un représentant de ma province?

Vous avez dit que vous allez comparaître devant le juge O'Connor et je me demande si vous nous feriez part de ces recommandations parce que nous allons nous aussi fournir des recommandations après que vous aurez témoigné devant le juge O'Connor.

Je ne veux pas laisser planer l'impression que vous avez eu le sentiment que de vous adresser à la communauté musulmane, c'était comme vous jeter dans la fosse aux lions. Je pense que vous vouliez dire qu'à ce moment précis, c'était une situation difficile. Je voudrais que vous tiriez cela au clair parce que nous avons un auditoire qui suit nos travaux. Je ne veux pas que l'on donne l'impression que le commissaire de la GRC estime que de rencontrer des musulmans, c'est comme se jeter dans la fosse aux lions.

M. Zaccardelli : Je m'excuse si j'ai donné la mauvaise impression. J'ai dit que j'y suis allé volontiers. Avant que j'y aille, certains m'ont dit : monsieur le commissaire, voulez-vous vraiment aller prendre la parole à cet endroit? Et j'ai répondu absolument, c'est mon rôle; c'est mon travail, comme le sénateur Fraser l'a dit. J'ai été merveilleusement bien accueilli. Je n'ai jamais eu autant d'ovations. D'habitude, les gens ne se lèvent pas pour m'acclamer, mais c'est arrivé trois fois durant mon allocution devant ce groupe. Voilà ce que je voulais dire.

La présidente : Comme le sénateur Jaffer l'a demandé, si vous pouviez nous faire parvenir une réponse, nous allons la distribuer et elle sera du domaine public.

Le sénateur Joyal : J'ai deux questions. Je pourrais peut-être les poser toutes les deux en même temps.

La première fait suite à une question que nous vous avons posée tout à l'heure. Nous voulions nous assurer qu'il y a une surveillance appropriée des activités associées aux pouvoirs qui sont conférés à la GRC dans l'accomplissement de ses fonctions.

Vous vous rappellerez qu'il y a trois ans, le Parlement a adopté une loi sur la lutte contre le crime organisé et que cette loi avait été étudiée de façon approfondie par le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Pour la première fois, on donnait officiellement aux services de police, dans le Code criminel, la capacité de commettre un acte qui serait autrement considéré comme un acte criminel. Comme vous le savez, une procédure avait été proposée par le gouvernement. Le Sénat a modifié cette procédure pour s'assurer qu'il y aurait supervision civile des autorisations accordées par les autorités policières de commettre un acte qui serait autrement considéré comme une infraction criminelle aux termes du Code criminel.

Êtes-vous en mesure de nous dire quelles autorisations on vous a accordées pour exercer ces pouvoirs spéciaux? Combien de ces autorisations vous ont-elles été accordées depuis l'adoption de la loi?

M. Zaccardelli : Je n'ai pas ce renseignement précis. Aux termes de la loi, nous avons identifié des membres de la GRC qui sont ensuite approuvés par l'entremise du ministre. Ces policiers sont ensuite autorisés à agir à titre d'agents d'infiltration et à commettre des actes qui seraient autrement illégaux, mais qui sont nécessaires pour mener à bien certaines enquêtes. Je peux vous faire parvenir le nombre d'agents de la GRC qui sont ainsi désignés dans le cadre de ce processus.

Le sénateur Joyal : Je vous en serais reconnaissant.

M. Zaccardelli : Je crois que c'était le projet de loi C-24.

Le sénateur Joyal : C'est une question très délicate; vous avez évoqué la commission Macdonald, qui portait essentiellement sur cette réalité du mandat de la police. Dans le contexte des enquêtes antiterroristes que vous pourriez entreprendre, ce pouvoir est très important et il est très difficile à exercer. Il devrait y avoir une supervision civile de la manière que le Sénat l'avait proposé à l'époque, qu'il y ait un suivi dans le contexte de l'équilibre des pouvoirs et du droit des citoyens de s'assurer que les fins de la justice soient bien servies.

Ma dernière question fait suite à un point soulevé par le sénateur Lynch-Staunton. Le gouvernement semble reconnaître qu'il est nécessaire d'avoir quelque part dans l'appareil gouvernemental une capacité de contrôle de toutes les activités associées aux initiatives antiterroristes.

Le ministre de la Sécurité publique a annoncé il y a un mois que le gouvernement envisage de créer un comité spécial du Parlement chargé de superviser les trois agences. Les trois agences qui seraient ainsi contrôlées sont le SCRS, le Centre de la sécurité des télécommunications et la GRC.

Comment envisagez-vous d'améliorer le système de manière à empêcher ce que nous appelons le cloisonnement de ces agences? Il semble que même si vous prétendez avoir de bonnes relations de travail avec le SCRS et les autres agences, le gouvernement n'est pas encore convaincu que ce soit suffisant pour atteindre l'objectif d'efficience, d'après ce que nous enseigne l'expérience américaine. Toutes les enquêtes aux États-Unis ont révélé que les renseignements existaient quelque part, mais qu'ils n'ont pas été transmis aux personnes compétentes et n'ont pas été traités au niveau approprié.

Que proposez-vous qui constituerait une amélioration dans le fonctionnement de ces trois agences et d'autres agences comme le Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada, le CANAFE? Nous avons entendu d'autres témoins au comité. Qu'est-ce qui renforcerait la capacité de fonctionnement, en tenant compte du besoin d'autonomie de chacune des agences, pour s'assurer qu'il y a une véritable symbiose permettant de voir le tableau dans son ensemble et non pas seulement les aspects ciblés des activités individuelles de chacune?

M. Zaccardelli : Quelle que soit la législation ou le processus qui sera mis en place, nous allons collaborer entièrement.

Mon expérience m'apprend de plus en plus que ce ne sont pas les structures ni les politiques qui ont le plus grand impact pour opérer un changement positif. Je constate que c'est d'amener les gens à comprendre et à changer leur comportement qui produit les résultats favorables souhaités.

J'ai vu trop souvent la mise en place précipitée d'unepolitique, d'une loi ou d'une structure, sans pour autant quele comportement change le moindrement, parce que fondamentalement, tant que les commissaires commemoi-même, les directeurs ou qui que ce soit ne seront pas tenus comptables et chargés de mettre en place ce nouveau modèle de comportement et d'interaction, cela n'arrivera pas aussi rapidement qu'on le voudrait. Nous avons besoin de structures, de lignes directrices et de politiques, mais j'investirais beaucoup plus de temps pour m'assurer que les gens comprennent pourquoi nous devons adopter cette façon de faire beaucoup plus intégrée et harmonieuse; l'importance de s'assurer que nous soyons interconnectés, pas seulement au Canada, mais avec nos amis partout dans le monde.

Cela exige un changement de comportement fondamental et je pense que dans le passé, nous n'avons pas consacré suffisamment de temps à cette question. On peut émettre une directive, mais, comme vous le savez, une organisation qui compte des milliers de personnes peut souvent fausser le sens de cette directive, non pas parce que les gens refusent de la suivre, mais simplement parce qu'ils n'ont pas compris le besoin fondamental d'apporter des changements.

C'est à cela que je travaille. J'en suis venu à cette conclusion après de longues années au poste de commissaire et de longues années de travail dans le domaine de l'application de la loi. C'est pourquoi, quand je suis devenu commissaire, ma vision était fondée sur l'intégration. Quand nous faisons cela, nous multiplions l'effet de nos ressources collectives et nous pouvons maximiser la sécurité du pays et minimiser la menace. Ce principe s'applique partout, au Québec, en Nouvelle-Écosse ou au niveau fédéral et c'est ce que nous nous efforçons de faire. Je serais ravi de participer à tout processus susceptible de renforcer cet aspect. Si l'on ne change pas le comportement, toutes les politiques et les directives vont probablement échouer.

La présidente : Merci beaucoup, commissaire Zaccardelli. Nous vous sommes très reconnaissants d'avoir pris le temps de venir une deuxième fois et, qui sait, vous reviendrez peut-être une troisième fois avant la fin de nos travaux. Nous avons jusqu'à décembre.

M. Zaccardelli : J'ai toujours beaucoup de plaisir à venir ici, madame la présidente.

La présidente : Merci beaucoup. Honorables sénateurs, nous serons de retour ici dans nos fauteuils à 12 h 30 précise et nous entendrons cet après-midi notre commissaire à la protection de la vie privée et aussi le président de l'Agence des services frontaliers du Canada.

La séance est levée.


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