Aller au contenu
ANTT - Comité spécial

Antiterrorisme (Spécial)

 

Délibérations du comité sénatorial spécial sur la
Loi antiterroriste

Fascicule 10 - Témoignages - Séance de l'après-midi


OTTAWA, le lundi 9 mai 2005

Le Comité sénatorial spécial sur la loi antiterroriste se réunit aujourd'hui à 12 h 35 dans le but de procéder à un examen approfondi des dispositions et de l'application de Loi antiterroriste (L.C. 2001, ch.41).

Le sénateur Joyce Fairbairn : (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, je déclare ouverte la 22e séance du Comité sénatorial spécial sur la loi antiterroriste. J'aimerais expliquer le mandat du comité aux téléspectateurs. En octobre 2001, en réponse directe aux attaques terroristes qui se sont produites à New York, à Washington, DC, et en Pennsylvanie, et à la demande des Nations Unies, le gouvernement du Canada a déposé le projet de loi C-36 qui, une fois adopté, est devenu la Loi antiterroriste. Étant donné l'urgence de la situation, le Parlement a été invité à accélérer l'étude du projet de loi. Le comité a donné son aval, et le délai pour l'adoption du projet C-36 a été fixé à la mi-décembre 2001.

À l'époque, d'aucuns ont laissé entendre qu'il était difficile de mesurer, en si peu de temps, l'impact politique et les incidences globales possibles du projet de loi. Pour cette raison, il a été convenu que le Parlement procéderait à un examen des dispositions de la loi et de leur impact sur les Canadiens trois ans après leur entrée en vigueur. Il bénéficierait à ce moment-là du recul nécessaire et d'un climat moins chargé d'émotion.

Le comité spécial a pour rôle d'aider le Sénat à remplir cette mission. Quand nous aurons terminé notre étude, nous soumettrons au Sénat un rapport qui énumérera tous les enjeux qui, à notre avis, devraient être pris en compte. Nous allons remettre notre rapport au gouvernement du Canada et au peuple canadien. La Chambre des communes a, par ailleurs, entrepris, elle aussi, une étude similaire.

Jusqu'ici, le comité a rencontré des ministres, des fonctionnaires, des spécialistes nationaux et internationaux des questions touchant les menaces pour l'environnement, des experts juridiques et des responsables de l'application de la loi et de la recherche de renseignements. Cet après-midi, nous allons entendre Mme Stoddart, commissaire à la protection de la vie privée. Elle est accompagnée de Mme Kosseim, avocat général, services juridiques, et de M. D'Aoust, commissaire adjoint à la protection de la vie privée. Nous allons également entendre M. Jolicoeur, président de l'Agence des services frontaliers du Canada, et d'autres représentants de l'organisme.

Cette question suscite beaucoup d'intérêt, et ce, depuis le début des audiences sur le projet de loi C-36. Votre présence ici, Madame Stoddart, est donc tout à fait indiquée. Nous vous écoutons.

Mme Jennifer Stoddart, commissaire à la protection de la vie privée, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : Merci, honorables sénateurs. Je suis heureuse que le comité nous ait invités à comparaître devant lui. Nous allons pouvoir, pendant une heure et demie, discuter d'un dossier que nous suivons de près depuis quelques années et répondre aux questions des sénateurs.

J'aimerais, avant toute chose, rendre hommage à un diplomate américain fort distingué, M. George Kennan, qui est décédé en mars 2005 à l'âge de 104 ans. À cette occasion, les journaux ont publié une version abrégée de la fameuse lettre qu'il a envoyée de l'ambassade des États-Unis à Moscou, en 1946, au début de la guerre froide. Cette lettre montre que la situation à laquelle font face aujourd'hui les Canadiens est nouvelle, dans un sens, mais qu'elle s'appuie en même temps sur des précédents historiques qui peuvent nous servir de guide.

En 1946, la montée en puissance de l'Union soviétique étonnait et effrayait la plupart des pays du monde. M. Kennan était convaincu qu'une société libre pouvait venir à bout d'une dictature en gardant la foi, en protégeant ses traditions et ses institutions. Dans le dernier paragraphe de sa lettre, il affirme que,

... c'est par le courage et la confiance en soi que nous pouvons arriver à préserver nos principes, nos conceptions de la société humaine. Il ajoute que le plus grand danger qui nous guette dans notre lutte contre les communistes soviétiques, c'est que nous ne devenions comme eux.

J'ai pensé que ces paroles cadraient bien avec la discussion d'aujourd'hui, puisque je compte vous parler, entre autres, du rôle important que jouent les grandes institutions canadiennes, les freins et contrepoids canadiens, dans l'administration de la loi antiterroriste.

Je vais maintenant vous présenter mon exposé.

[Français]

Je vous rappelle que nous avons déposé un mémoire exposant en détails notre position sur cette loi antiterroriste. Je suis chargée, en tant que commissaire, de surveiller l'application de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans deux lois sur le secteur public et le secteur privé.

Les observations que je formulerai aujourd'hui visent à présenter une vue d'ensemble de la position du commissariat sur l'incidence de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Nous terminerons en soulignant certaines des recommandations principales attachées à notre mémoire — il y en a 18 en tout — exhortant le comité à prêter attention à ces recommandations et à examiner les incidences cumulatives des mesures contre le terrorisme sur le droit à la protection de la vie privée des Canadiennes et des Canadiens.

[Traduction]

Je vais d'abord vous parler de l'antiterrorisme et du droit à la protection de la vie privée. La Loi antiterroriste que nous examinons aujourd'hui a eu des incidences considérables sur le droit à la protection des renseignements personnels, c'est-à-dire le droit de toute personne d'exercer un contrôle sur la collecte, l'utilisation ou la communication de renseignements personnels qui la concernent, ainsi que le droit de consulter ces renseignements et d'y faire apporter les corrections appropriées.

Un des enjeux importants apportés à l'attention du comité est la proportionnalité. Il est regrettable de constater qu'il semble n'y avoir aucune preuve empirique permettant de juger de la nécessité des mesures prévues par la Loi antiterroriste. En effet, nul ne nie que la menace visée par la Loi antiterroriste soit réelle. Nul ne nie l'existence de la menace antiterroriste. Il y a lieu, toutefois, de se demander si les gains en termes de sécurité justifient le sacrifice de droits, dont celui de la protection de la vie privée. Dans ce sens, il n'y a aucune étude empirique qui porte sur ces liens.

Nous regroupons plus précisément les répercussions de la loi selon trois thèmes généraux. Premièrement, le pouvoir de surveillance des organismes chargés de la sécurité, du renseignement de sécurité et de l'application ont été exagérément élargis. Deuxièmement, les dispositions limitant l'usage de ces pouvoirs de surveillance ont été indûment réduites. Troisièmement, l'imputabilité et la transparence gouvernementales ont été considérablement réduites.

Le premier thème est le suivant : les pouvoirs élargis de surveillance au Canada. Depuis les attentats du 11 septembre, le gouvernement canadien a instauré une série de mesures pour renforcer son pouvoir de surveillance des citoyens et des citoyennes, ainsi que des résidants et des résidantes du Canada. La Loi antiterroriste a ouvert la voie à la création d'une toile générale de surveillance des organisations et des personnes. Ces renseignements personnels sont hautement sensibles et se retrouvent dans des systèmes intégrés d'information qui traitent les renseignements personnels portant sur les aspects variés de la vie des personnes, des familles et des communautés. Si on utilise ces renseignements à des fins abusives ou inappropriées, ou si on les dénature ou si on les interprète mal, il pourrait en résulter des conséquences néfastes et dommageables sur la vie des Canadiennes et des Canadiens.

J'ajouterai que le débat public sur les investissements de l'État dans les pouvoirs et les capacités en matière de surveillance a été largement évincé des discussions sur les possibilités d'intervention en matière de politique sur la sécurité nationale. Selon les sondages d'opinion, la tendance semble indiquer que les Canadiennes et les Canadiens sont de plus en plus conscients des enjeux relatifs à la protection des renseignements personnels et s'attendent à une approche raisonnable et équilibrée des stratégies nationales en matière de lutte antiterroriste. Le public exige davantage d'imputabilité, de transparence de la part des organismes chargés de la sécurité nationale, et de mécanismes de contrôle sur les activités de surveillance de ces organismes.

Un risque réel demeure : alors que la logique de la lutte antiterroriste pénètre toutes les sphères de l'application de la loi et de la sécurité publique, des systèmes de surveillance à grande échelle continueront progressivement de ronger le droit à la protection de la vie privée au Canada, sans qu'il n'y ait d'évaluation critique pour établir une limite.

Je vais maintenant vous parler de la limitation des restrictions à la surveillance.

[Français]

En ce qui concerne la limitation des restrictions à la surveillance, au moment même où l'État connaît un accroissement de son pouvoir de surveillance, les restrictions régissant ce pouvoir ont été abolies. Par exemple, les organismes chargés de l'application de la Loi sur la sécurité nationale ne sont plus tenus, lors d'investigations contre le terrorisme, d'envisager d'autres méthodes d'enquête avant de faire une demande d'autorisation judiciaire pour exercer une surveillance électronique. L'autorité exécutive du gouvernement peut supplanter le rôle judiciaire en délivrant des certificats de sécurité et en autorisant l'interception de communications. La norme judiciaire est passée et je cite, de « motifs raisonnables de croire » à « motifs raisonnables de soupçonner ».

Plusieurs modifications législatives survenues en vertu de la Loi antiterroriste ont eu pour conséquences d'affaiblir les mécanismes de contrôle indépendants sur les activités de surveillance des organismes chargés de l'application de la loi, la sécurité et du renseignement de sécurité.

Les mécanismes de contrôle indépendants constituent un pilier de la liberté démocratique. La question de savoir qui surveille le surveillant peut être résolue en s'assurant que les agents judiciaires et d'autres agents indépendants sont investis du rôle de surveiller le pouvoir de surveillance de l'État. Le Parlement, les Canadiens et les Canadiennes doivent s'interroger sur les mesures contenues dans la Loi antiterroriste qui ont pour effet de réduire ces mécanismes. Un suivi indépendant doit être la règle et non l'exception.

[Traduction]

Le troisième point est le suivant : la diminution de la transparence gouvernementale. Les modifications apportées à la Loi antiterroriste n'ont fait qu'accentuer l'opacité entourant les instances, ce qui va à l'encontre des principes fondamentaux selon lesquels les instances judiciaires devraient se dérouler ouvertement, et les personnes devraient avoir le droit de connaître les accusations qui pèsent contre elles et les preuves relatives à ces accusations.

Au nombre des changements les plus importants portant atteinte à la transparence et à l'accès qu'a une personne aux renseignements personnels la concernant figurent les modifications à l'article 38 de la Loi sur la preuve au Canada. Cet article traite de l'équilibre judiciaire des intérêts, soit l'intérêt public pour la divulgation d'information et l'intérêt de l'État en matière de sécurité nationale et du respect de la préservation des sources étrangères d'information. Suite aux changements apportés à la Loi sur la preuve au Canada, l'article 38 fournit une ordonnance générale imposant le secret, laquelle ordonnance interdit non seulement la divulgation des renseignements, mais le fait même que des instances au titre de l'article 38 sont en cours. Les limitations imposées à la divulgation de renseignements sont, dans la plupart des cas, souvent trop générales.

La Loi antiterroriste modifie davantage les modalités de l'article 38 en permettant au procureur général d'outrepasser une ordonnance de la Cour fédérale empêchant la divulgation de renseignements. Ce pouvoir extraordinaire est inutile compte tenu de la rigueur judiciaire déjà existante en vertu de la Loi sur la preuve au Canada, qui permet justement au juge de déterminer l'équilibre entre les intérêts concurrents, soit l'intérêt quant à la divulgation d'information et l'intérêt en matière de sécurité nationale.

[Français]

Je vais maintenant tenter de résumer nos quelques 18 recommandations. Tel que je l'ai mentionné au début de mon allocution d'ouverture, le commissariat a déposé devant le comité un mémoire contenant 18 recommandations visant à améliorer les dispositions et la mise en pratique de la Loi antiterroriste.

Je ne passerai pas en revue chacune de ces recommandations aujourd'hui puisque le temps ne me le permet pas. Mentionnons simplement que nos recommandations visent à baliser les activités de surveillance, tout en renforçant les mécanismes de contrôle sur ces mêmes activités et à favoriser la transparence. Nous demandons également au comité de prendre en considération quelques-unes des recommandations générales visant à améliorer le régime de protection de la vie privée du cadre du gouvernement fédéral en matière de sécurité nationale.

La première recommandation du mémoire s'articule autour du fait que le gouvernement du Canada devrait mener une évaluation empirique de l'efficacité des pouvoirs extraordinaires que la Loi antiterroriste confère aux organismes chargés de l'application de la loi et de la sécurité nationale ainsi que de la proportionnalité de la perte des droits établis.

L'examen devrait comprendre la recherche de moyens de rechange permettant d'atteindre les objectifs en matière de sécurité nationale sans empiéter inutilement sur la protection des renseignements personnels.

Comme je viens de le mentionner, il y a un manque apparent de toute évaluation empirique de la part du gouvernement quant à l'efficacité des pouvoirs extraordinaires que la Loi antiterroriste confère aux organismes chargés de l'application de la Loi sur la sécurité nationale. Cette évaluation est une condition essentielle à l'analyse adéquate de la proportionnalité.

[Traduction]

J'ai également formulé dans le mémoire sept recommandations qui abordent la nécessité de limiter les activités de surveillance, tout en renforçant les mécanismes de contrôle sur ces activités. Parmi les suggestions, notons le mécanisme de contrôle judiciaire sur les activités des organismes chargés de l'application de la loi. Le mémoire comporte quatre recommandations sur la nécessité de transparence et d'ouverture des instances au titre de l'article 38 de la Loi sur la preuve au Canada. Nous croyons que ces recommandations sauront trouver un meilleur équilibre entre l'intérêt public lié à la divulgation d'information et l'intérêt en matière de sécurité nationale.

Je recommande également que le comité envisage la création d'un poste d'agent spécial investi d'une cote de sécurité pour remplir deux responsabilités, soit celle visant à évaluer les demandes du gouvernement selon lesquelles certaines informations ne devraient pas être divulguées à la partie concernée, et celle visant à contester l'information ne pouvant être divulguée en cour. Nous sommes prêts à offrir notre expertise sur des politiques d'orientation, de même que notre expérience dans l'application de la législation sur la protection de la vie privée pour participer à l'élaboration d'un projet d'agents spéciaux.

Enfin, j'ai formulé cinq recommandations générales importantes qui traitent de la nécessité d'un examen continu de la Loi et de la proposition du gouvernement relative aux principes directeurs en vue d'instaurer un cadre de gestion de la vie privée pour la sécurité nationale. Cette proposition inclurait l'élaboration de mesures de vérification interne en matière de protection de la vie privée, des responsabilités de leadership envers la protection de la vie privée comprises dans l'entente de rendement des cadres supérieurs, des indicateurs de performance relatifs à la protection de la vie privée, et un rôle renforcé des coordonnateurs de l'accès à l'information et de la protection des renseignements personnels.

Les éléments d'un cadre de gestion de la protection de la vie privée sont bien connus du gouvernement. En effet, récemment, j'ai écrit au président du Conseil du Trésor afin de lui proposer certaines mesures pour renforcer le régime du gouvernement en matière de gestion de la protection de la vie privée. Ces mesures comprennent un examen exhaustif de l'impartition et de la circulation transfrontalière des renseignements personnels, l'élaboration de clauses contractuelles pour minimiser les risques d'atteinte à la vie privée et le renforcement des exigences en matière d'établissement de rapports au Parlement en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[Français]

En conclusion, je dirai simplement que la Loi antiterroriste ainsi que d'autres mesures gouvernementales visant à combattre le terrorisme indiquent un changement fondamental dans l'équilibre entre la sécurité nationale, l'application de la loi et la protection des renseignements personnels. Cette loi a pour effet de diminuer la protection de la vie privée et la procédure équitable pour les personnes vivant dans cet environnement.

Des pouvoirs d'État trop vastes au nom de la sécurité nationale pourraient bien mettre en péril l'identité des États/ nations démocratiques. Il importe donc que les moyens et mesures servant à combattre des menaces à la sécurité ne finissent pas par brimer les libertés qui sont l'épine dorsale de la démocratie dont nous sommes les défenseurs.

Contrairement à certaines opinions, la sécurité et la protection de la vie privée ne peuvent être troquées. L'un ne l'emporte pas au détriment de l'autre. Nous pourrons obtenir les deux par le biais de lois bien élaborées, de politiques prudentes et d'une efficacité dans les mesures de contrôle et de contrepoids.

J'exhorte le comité à prendre soigneusement en considération nos observations et recommandations formulées à titre de contribution pour l'atteinte de cet objectif.

Je dépose devant vous le résumé de notre mémoire. Il me fera maintenant plaisir de répondre à vos questions.

[Traduction]

Le président : Merci de cet exposé très concis et précis.

Le sénateur Lynch-Staunton : Merci. Bienvenue. Je n'ai pas de questions parce que votre exposé porte sur des dispositions du projet de loi C-36 qui n'ont pas été utilisées depuis l'entrée en vigueur de la loi.

Vous parlez des préoccupations que soulèvent certaines dispositions de la loi. Dans vos recommandations, vous cernez les dispositions qui vous posent problème, notamment, mais vous ne dites pas si le gouvernement ou les autorités policières y ont eu recours, n'est-ce pas?

Mme Stoddart : Nous mentionnons le fait que la plupart de ces dispositions ont rarement, sinon jamais, été invoquées.

Le sénateur Lynch-Staunton : Ont-elles déjà été invoquées?

Mme Stoddart : Certaines l'ont été à une ou deux reprises.

Le sénateur Lynch-Staunton : Lesquelles?

Mme Stoddart : Celles qui ont trait aux certificats d'immigration ont été invoquées à plusieurs reprises. Il y en a une autre qui n'a été utilisée qu'une seule fois.

Le sénateur Lynch-Staunton : Les certificats d'immigration ne relèvent pas du projet de loi C-36.

Mme Stoddart : C'est vrai, mais il existe une procédure parallèle.

Le sénateur Lynch-Staunton : Pouvez-vous me dire quelles dispositions du projet de loi C-36 concernant la vie privée ont été invoquées?

Mme Stoddart : Une seule l'a été. Toutefois, le fait que nous n'abordons pas cette question montre bien, comme nous l'indiquons dans le premier point, qu'il n'existe aucun objectif bien défini qui justifie l'existence de cette loi. Le fait qu'elle n'ait pas été invoquée pendant trois ans montre qu'elle n'a pas de raison d'être. C'est tellement évident que nous n'avons pas insisté là-dessus. Tout le monde est d'accord pour dire qu'elle n'a pas été utilisée. D'après le rapport qui a été remis au ministre responsable de l'administration de cette loi, la plupart de ces dispositions n'ont jamais été invoquées.

Le fait qu'il n'y ait pas beaucoup de précédents, sauf pour ce qui est de certaines dispositions de la Loi sur la preuve au Canada que nous exposons en détail, nous amènent à nous poser la question suivante : pourquoi devons-nous avoir des pouvoirs aussi draconiens et excessifs quand, en trois ans, nous n'avons pas jugé utile de les exercer? Ne devrions- nous pas revoir toute la question, examiner les raisons qui justifient l'existence de dispositions qui sont peu utilisées?

Le sénateur Lynch-Staunton : Je n'aime pas tellement les arguments hypothétiques. Vous avez parlé de « pouvoirs draconiens et excessifs ». Je pourrais appliquer ces mêmes termes, si je voulais, à toutes sortes de lois, et pas uniquement à celle-ci.

Il y a peut-être une raison qui explique pourquoi telle ou telle disposition n'a pas été invoquée. Le gouvernement est fier de ne pas avoir invoqué les dispositions sur les certificats de sécurité, les arrestations préventives et un autre sujet controversé. Ce qui vous amène à vous demander si cette loi est vraiment nécessaire. Vous en faites une bonne analyse, mais elle est entièrement hypothétique — voici ce qui risque d'arriver si quelque chose se produit.

Avez-vous un exemple concret à nous fournir? Je songe à l'affaire Juliette O'Neil, où il a été question de la confidentialité des renseignements qu'elle a reçus. Il s'agit là d'un cas concret qui porte sur la divulgation de renseignements, les notions de protection de la vie privée et de confidentialité, la façon dont les renseignements doivent être analysés, protégés, ainsi de suite.

Je m'excuse d'être aussi vague. Votre exposé est intéressant, mais il s'appuie sur des arguments hypothétiques, chose que je n'aime pas tellement. Je vais laisser à mes collègues le soin de vous poser des questions plus pointues.

Mme Stoddart : Il est vrai que nous sommes peut-être trop vagues et que des exemples plus concrets seraient utiles.

Je pense, toutefois, que vous avez bien cerné le problème. En tant que société, et en tant que commissaire à la protection de la vie privée, nous ne pouvons pas démontrer que ces pouvoirs sont nécessaires. Ils ne sont pas exercés de façon régulière. Ne devrions-nous pas revoir toute la question?

Nous formulons une suggestion plus raisonnable, dans les circonstances. La loi contient une disposition qui prévoit la tenue d'un examen au bout de trois ans. Seul un examen est prévu. Nous devrions, à tout le moins, reformuler ces dispositions et adopter la même approche que nos voisins américains. Ils ont statué que ces mesures extraordinaires allaient automatiquement cesser d'exister, sauf s'ils décidaient, par le biais d'un vote, de les garder en vigueur.

Le sénateur Lynch-Staunton : Nous avons des dispositions qui prévoient deux analyses, mais ce n'est pas la même chose qu'un examen.

Mme Stoddart : C'est exact. Il faudrait prévoir un examen à court terme, et ensuite à plus long terme. Une fois cet examen terminé, que va-t-il se passer? Il faudrait absolument établir un mécanisme d'examen continu pour que les dispositions cessent automatiquement d'exister sauf si, tous les trois ans, nous jugeons qu'elles devraient être reconduites. Tout ce que nous disons, c'est que nous n'en voyons pas la nécessité. Elles n'ont aucune raison d'être après trois ans.

Le sénateur Lynch-Staunton : Pour ce qui est de l'examen, il s'agit strictement d'un examen accompagné de recommandations, que le gouvernement peut ou non accepter. La disposition de réexamen oblige le gouvernement à justifier la reconduction de certaines mesures. Je suis tout à fait d'accord avec vous. Nous avons recommandé, dans notre étude préliminaire sur le projet de loi C-36, l'ajout d'une disposition de réexamen. Le gouvernement a accepté notre proposition, mais seulement dans le cas de deux mesures controversées. J'espère que nous allons pouvoir revenir là-dessus. Merci de votre soutien.

Mme Fraser : Il y a quelque chose que je ne comprends pas. Lors de l'étude du projet de loi C-36, votre prédécesseur a comparu devant le comité — ce n'était pas vous, je sais, mais vous occupez le même poste, le même bureau, et les précédents et les principes sont les mêmes — et réclamé quelques modifications. Il a conclu, une fois ces modifications apportées, que, en vertu du projet de loi C-36, tous les droits à la vie privée des Canadiens étaient intacts, que le rôle de surveillance du commissaire à la protection de la vie privée était protégé, que la délivrance des certificats était bien encadrée et assujettie à un examen judiciaire. Il a félicité le gouvernement d'avoir protégé les droits à la vie privée de l'ensemble des Canadiens.

Or, vous vous présentez devant nous aujourd'hui et vous nous dites que cette loi est excessive et draconienne. Pouvez-vous nous dire ce qui s'est passé entre-temps?

Mme Stoddart : Plusieurs choses sont arrivées entre-temps. D'abord, nous sommes en 2005. Les modifications auxquelles vous faites allusion remontent à 2001. Ce qui semblait raisonnable en 2001 peut, rétrospectivement, avec le recul du temps et un second examen objectif, après réflexion et analyse de l'application de la loi, ne pas l'être aujourd'hui.

Ensuite, comme vous l'avez mentionné, le Commissariat à la protection de la vie privée est dirigé par un commissaire à la protection de la vie privée. Il y a eu au moins un autre commissaire entre-temps depuis que ces modifications ont été réclamées. Or, c'est moi qui occupe présentement le poste, et j'ai des réserves au sujet de cette loi, des réserves qui peuvent être différentes de celles de l'ancien commissaire à la protection de la vie privée.

Troisièmement, mon bureau, le Commissariat à la protection de la vie privée, a été en mesure de tirer parti des nombreuses recherches qui ont été effectuées au cours des dernières années sur l'élargissement des pouvoirs de surveillance, la convergence des techniques de transmission des données et la sécurité nationale, et le recours accru à ces techniques par les responsables de la sécurité nationale et les autorités policières. Par conséquent, les mesures qui semblaient raisonnables au cours de la période angoissante de l'automne 2001 sont, quatre ans plus tard, remises en question, compte tenu de leur impact sur la protection des renseignements personnels.

Le sénateur Fraser : Je pense, tout comme mes collègues et la plupart des Canadiens, que les droits à la vie privée sont importants. Toutefois, je trouve étonnant que vous réclamiez la tenue d'une évaluation empirique de l'impact de la loi. C'est ce que le comité essaie de faire, dans une certaine mesure. Quand nous vous demandons de fournir des preuves de l'étude que vous avez effectuée, vous êtes incapable de citer des cas d'abus, ou encore de démontrer que l'interprétation que fait votre bureau de la loi aujourd'hui est plus exacte que celle qu'il en faisait à l'automne 2001. Je trouve cela un peu frustrant. Avez-vous des preuves empiriques à nous fournir?

Mme Stoddart : Quand nous parlons d'évaluation empirique, nous faisons allusion à des questions qui dépassent largement le mandat du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada. Le comité peut peut-être, comme vous le mentionnez, s'attaquer à ces questions. Nous estimons que les Canadiens doivent pouvoir compter sur une évaluation objective de ce qui se passe dans le milieu de la sécurité, de ce qui se fait dans le domaine de l'application de la loi. Ils doivent savoir si la loi, dans sa forme actuelle, constitue une réponse adéquate à ce qui s'est produit, et à ce qui risque de se produire.

Il nous est impossible d'effectuer une telle évaluation. C'est une tâche qui devrait peut-être être confiée au comité. Mon bureau n'est pas en mesure de le faire. Nous avons de nombreux mandats à remplir et un budget modeste. Nous devons nous en remettre au Conseil du Trésor.

Le sénateur Fraser : Comme tout le monde.

Mme Stoddart : La responsabilité d'une telle évaluation pourrait être confiée par l'honorable ministre McLellan à un comité composé de parlementaires.

Il est difficile pour mon bureau, pour les Canadiens, de comprendre ce qui se passe. Il est difficile de comprendre le contenu de la loi, la façon dont elle est appliquée. Une des plus grandes menaces qui guettent notre société, c'est l'existence de ces pouvoirs extraordinaires dans un monde quasi-secret où les simples citoyens ne comprennent pas vraiment ce qui se passe. La situation risque de devenir très grave si elle se poursuit indéfiniment.

Le sénateur Fraser : Je vais essayer une dernière fois de clarifier les choses : vous n'avez pas reçu de plaintes que vous n'avez pas été en mesure d'examiner, n'est-ce pas? Ne pouvez-vous même pas nous donner un exemple d'une enquête qui a été bloquée?

Mme Stoddart : Non.

Le sénateur Jaffer Ma question porte sur un sujet qui nous a déjà préoccupés, non pas en tant que comité, mais en tant que parlementaires. On nous avait laissé entendre que de nombreux documents du gouvernement pouvaient être soumis à l'examen des autorités américaines. En vertu de la Patriot Act, le gouvernement américain a droit automatiquement à cette information. Est-ce que votre bureau est intervenu dans ce dossier?

Mme Stoddart : Oui, nous nous sommes penchés sur cette question à plusieurs égards. C'est une préoccupation constante de notre bureau. Nous avons un document à ce sujet sur notre site Web, que nous avons publié l'été dernier. Cet automne, j'ai rencontré le président du Conseil du Trésor, qui nous a assurés qu'un examen des pratiques d'impartition des institutions du gouvernement du Canada était en cours, et nous avions compris qu'il devait se terminer avant l'hiver. Cet examen était un critère préalable à l'adoption de lignes directrices sur l'impartition du traitement des données personnelles des Canadiens que détient le gouvernement.

Il semble que cet examen ne soit pas terminé. Nous ne pouvons obtenir de renseignements à ce sujet. La question nous préoccupe toujours, puisque la Loi sur la protection des renseignements personnels comporte des lacunes; elle date maintenant d'une génération. Elle ne parle pas d'impartition, ni de l'impartition du traitement des renseignements personnels des Canadiens que détient le gouvernement. Un examen s'impose, notamment pour cette raison, comme nous l'avons fait valoir.

Comme vous le savez peut-être, il existe également une loi fédérale qui concerne le secteur privé, la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, qui est plus récente et qui touche à cet aspect. Elle précise que si un organisme qui détient des renseignements personnels les transmet à une tierce partie, cette tierce partie doit respecter les principes de confidentialité et de sécurité de cette loi. Les renseignements du secteur privé sont mieux protégés par la loi que les renseignements du secteur public à l'heure actuelle. Nous attendons toujours une réponse, et nous sommes passablement préoccupés.

Le sénateur Jaffer : Si c'est approprié, je vous demanderais de partager cette information avec nous lorsque vous la recevrez.

Puisque nous parlons d'un examen, ce serait utile de savoir ce qui, selon vous, faciliterait votre travail, en particulier en ce qui concerne les questions de sécurité. Quelle mesure législative devrions-nous recommander pour que vous soyez en mesure d'examiner les enjeux, sur l'impartition en particulier? La question de l'impartition me préoccupe et j'aimerais que vous nous teniez au courant à ce sujet, par l'entremise de la présidence.

Vous avez également recommandé de créer un poste d'agent spécial pour évaluer les allégations du gouvernement selon lesquelles certains renseignements ne doivent pas être divulgués, dans l'intérêt de la sécurité nationale. Cette question nous interpelle, surtout à la lumière des discussions que nous avons eues la semaine dernière au sujet des juges. Vous êtes en faveur d'une initiative du gouvernement qui vise à créer un comité parlementaire sur la sécurité nationale. D'autres témoins ont laissé entendre qu'un comité parlementaire ne serait peut-être pas ce qui convient le mieux pour surveiller ces lois parce qu'il n'aurait pas la mémoire institutionnelle nécessaire.

Pourriez-vous décrire le rôle que jouerait l'agent spécial?Dites-nous si vous croyez qu'un comité parlementaire pourrait assurer une surveillance adéquate des lois et si vous croyez que ces fonctions devraient être remplies par une personne ou un organisme pour garantir la transparence et la surveillance des mécanismes de lutte antiterroriste. C'est une longue question, mais comme nous n'avons pas beaucoup de temps, je la pose tout d'un trait.

Mme Stoddard : Je vais commencer par ce que je comprends du rôle de l'agent spécial. Concernant les dangers et les injustices possibles qui n'ont probablement pas été prévus, je reviens à la question précédente, à savoir pourquoi cette loi n'a pas soulevé plus d'opposition en 2001.

Toutefois, il nous faut un certain temps pour comprendre l'incidence de tous ces changements.

Des gens peuvent se retrouver devant un tribunal et être jugés à la lumière de renseignements qui les concernent — des renseignements personnels, ce qui fait partie du concept de la protection de la vie privée — sans savoir ce que sont ces renseignements. C'est l'une des caractéristiques types des lois exceptionnelles en matière de sécurité.

Du point de vue de la protection de la vie privée, cette question est extrêmement grave. Divers juristes se sont évertués à savoir comment concilier les deux. Nous ne sommes pas les seuls à avoir eu cette idée. D'autres en ont fait la suggestion; en effet, on s'est largement inspiré d'une affaire entendue par la Cour d'appel fédérale, l'affaire Ribic, dans laquelle un avocat devait, tout d'abord, obtenir des autorisations de sécurité. On trouve de nombreux avocats compétents dans le milieu juridique canadien, mais rares sont ceux dont le travail exige qu'ils obtiennent une autorisation de sécurité, comme c'est le cas des avocats du gouvernement fédéral. Les avocats des gouvernements provinciaux n'ont pas besoin de cette autorisation. L'avocat en question doit donc bien connaître les enjeux, avoir obtenu l'autorisation de sécurité requise et, par conséquent, pouvoir conseiller la personne qui fait l'objet de la poursuite et conseiller le tribunal, au besoin; il doit donc avoir accès, de par son rôle spécial, aux renseignements que n'a pas la personne qui fait l'objet de la poursuite. L'avocat obéit à la loi et ne dévoile pas le contenu à la personne concernée. Il s'agit donc de tenter de concilier le fait d'interdire à une personne d'accéder aux renseignements qui la concernent, ce qui est un droit fondamental en matière de protection de la vie privée, et les enjeux de la sécurité nationale, qui peuvent être très réels dans un contexte particulier.

C'est ce que doit être, à notre avis, le rôle de l'agent spécial.

Pour ce qui est de la surveillance par un comité parlementaire, j'ai lu le rapport du sénateur Kenny et de M. Derek Lee, que j'ai trouvé persuasif. Dans de nombreux autres pays dont les structures démocratiques ressemblent à celles du Canada, il existe un comité parlementaire ou un comité de représentants de citoyens de ce genre. Je crois qu'une des façons d'ancrer cette loi exceptionnelle en matière de sécurité, c'est de la rapprocher le plus possible des gens ordinaires. Les représentants élus et les représentants du Parlement sont les personnes les plus proches des gens ordinaires que nous pouvons avoir dans ce contexte.Si l'on se fie à l'expérience à l'étranger, en particulier au Royaume-Uni, c'est un moyen approprié d'assurer cette surveillance.

Le sénateur Andreychuk : Merci d'exposer ce qui est, je crois, la plus grande difficulté dont nous devrons surmonter, le fait que nous soyons inquiets au sujet de notre sécurité. Nous sommes continuellement bombardés de menaces de partout. On nous dit qu'elles sont différentes aujourd'hui de ce qu'elles étaient autrefois. Certaines ont été réfutées, mais d'autres se sont avérées réelles. Le gouvernement continue de justifier les mesures ou les lois qu'il adopte en disant qu'il doit avoir ces instruments pour pouvoir agir rapidement.

Lorsque nous avons traité de ce projet de loi, la ministre McLellan a dit « Je ne sais pas d'où vient la menace, alors il me faut tous les outils que moi et mes fonctionnaires pouvons envisager, pour être prêts ». C'est là d'où vient le dilemme, à mon avis. De nombreux régimes, non démocratiques, ont aussi affirmé avoir besoin de tous les outils nécessaires pour maintenir leur sécurité. Ce qui distingue un régime démocratique des autres, c'est en quelque sorte la reddition de comptes. Lorsqu'une mesure est prise en secret sans aucune surveillance, nous ne savons pas ce qui se passe et nous ne savons pas si la mesure est prise légitimement à des fins de sécurité ou encore si elle est prise pour des raisons de convenance ou autres par un gouvernement ou un fonctionnaire. Par conséquent, nous semblons nous attaquer à nos fonctionnaires parce que nous leur posons toujours des questions, que ce soit le ministre ou quelqu'un d'autre, parce que nous n'avons pas d'autres moyens de mesurer. N'est-il pas important que nous soyons en mesure d'examiner ces lois de près?

Chaque fois qu'un examen fait ressortir ces questions et que les gens disent « Voilà l'occasion de vérifier si le gouvernement a utilisé ses pouvoirs convenablement », le gouvernement dit « Non, le juge ou le commissaire chargé de l'enquête ne peut révéler cette information sans compromettre la sécurité nationale ». Ces mêmes mécanismes que nous avons mis en place jusqu'à présent n'ont pas produit de garanties. Est-ce là où vous voulez en venir?

Mme Stoddart : Oui, honorable sénateur. En fait, l'un des grands thèmes que nous préconisons, c'est d'augmenter la transparence et l'ouverture. Sous-jacent à cela, si vous regardez nos commentaires au sujet du certificat de sécurité, nous disons qu'il faut utiliser les mécanismes d'examen que nous avons déjà en place et, notamment au Canada, l'appareil judiciaire. La petite expérience que nous avons, que ce soit l'affaire du Ottawa Sun, l'affaire Ribic, l'enquête menée par le juge O'Connor, et cetera, nous éclaire sur les causes entourant ces lois.

Nous avons, au Canada, un appareil judiciaire droit, dévoué et compétent, qui est un modèle dans de nombreux pays du monde. Nous proposons notamment d'utiliser l'appareil judiciaire pour surveiller quelques-uns de ces pouvoirs extraordinaires. En prenant l'exemple de la disposition relative au certificat de sécurité, nous serions assurés, compte tenu des critères que les tribunaux ont invoqués, d'un examen continu par l'appareil judiciaire grâce au mécanisme d'appel, ce qui réglerait le problème d'ingérence unilatérale qui perdure.

Ce que la magistrature a dit depuis 2001 reflète une approche équilibrée. Ce ne sont pas des gens qui vont exposer le Canada à des risques inutiles. Nous avons un système enviable. Nous devrions être fiers de la magistrature canadienne et lui demander d'assurer ce deuxième regard. Lorsque l'exécutif croit qu'il existe une menace, notre appareil judiciaire pourrait soupeser les preuves et donner son avis. À l'heure actuelle, l'exécutif peut imposer sa volonté, et c'est la fin de l'histoire. Nous faisons certainement cette recommandation.

Le sénateur Andreychuk : Il n'y a eu qu'un cause type des pouvoirs extraordinaires de cette loi. Toutefois, il me semble que les données empiriques montrent que cette loi a eu un effet de refroidissement dans les communautés. Les citoyens sontpeut-être brimés davantage dans leurs choix depuis que cette loi est entrée en vigueur.

Nous ne savons pas exactement comment la police, les enquêteurs ou le SCRS utilisent cette loi ou menacent de l'utiliser. Avez-vous songé à ce facteur?

Mme Stoddart : Non, et c'est pourquoi un comité parlementaire serait extrêmement important. Les gens qui ont les autorisations de sécurité appropriées pourraient se pencher sur ces questions. Nous n'avons pas fait pareil examen.

Le sénateur Andreychuk : On semble se poser des questions sur la transparence et l'ouverture dont le gouvernement fait preuve dans ses activités. Est-ce là un aspect que vous considérez dans l'ensemble du tableau? Pourquoi le gouvernement s'oppose aux divulgations? Il y a 20 à 30 ans, les gouvernements de toutes les allégeances tenaient à souligner qu'ils communiquaient des renseignements et tenaient à entreprendre des discussions avec les citoyens. Vous semblez dire, et je crois que les faits vous donnent raison, que la situation aujourd'hui est toute autre.À l'heure actuelle, on hésite à discuter de certaines choses.

Mme Stoddart : Je suis d'accord avec vous. On tarde à définir comment l'information doit circuler au sein de l'administration fédérale en suivant un mécanisme à la fois moderne et conforme à la Charte des droits. La Loi sur la protection des renseignements personnels pourrait, dans certaines circonstances ou à certains égards, ne pas résister à une contestation fondée sur la Charte. Dans le même ordre d'idée, nous savons qu'il est question de revoir l'accès à l'information. Je le mentionne parce qu'il s'agit encore là de savoir où se trouve l'information, comment elle circule, dans quelle condition et avec quelle transparence, ce qui nous ramène aux droits fondamentaux des Canadiens.

Nous avons tenté de faire des recommandations pratiques et réalistes. J'ai commencé par aborder une question peut- être plus théorique et philosophique, à savoir si la loi devait exister. Cette considération mise à part, nos recommandations sont, à notre avis, réalisables, compte tenu de ce que nous avons vu et entendu jusqu'à présent.

Trois ou quatre des 18 recommandations portent sur un cadre de gestion de la vie privée au sein de l'administration fédérale. Je demanderais à mon collègue, le commissaire adjoint à la protection de la vie privée, qui a une responsabilité spéciale à l'égard de la Loi sur la protection de la vie privée, d'expliquer pourquoi nous déplorons l'absence d'un cadre de gestion approprié à l'heure actuelle.

M. Raymond D'Aoust, commissaire adjoint à la protection de la vie privée, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : Comme la commissaire l'a mentionné, nous avons écrit au Conseil du Trésor pour lui demander d'entreprendre certaines initiatives en vue de clarifier le cadre de gestion de la vie privée. Nous avons demandé un examen des incidences de l'impartition du traitement des renseignements personnels dans le contexte de la Patriot Act des États-Unis. Cet examen a été entrepris l'automne dernier, mais n'est pas encore terminé.

Nous avons aussi appuyé l'idée d'élaborer des clauses contractuelles pour atténuer les risques d'atteinte à la vie privée lorsque des renseignements personnels sont traités à l'étranger. Encore ici, des travaux ont été faits, mais ils ne sont pas terminés. Toutefois, on nous a dit que le ministère de la Justice et le Conseil du Trésor travaillaient à la rédaction de ces clauses.

Nous avons également demandé qu'on étudie la portée des incidences des pratiques d'exploration de données au gouvernement fédéral. L'an dernier, le General Accounting Office des États-Unis a effectué un sondage auprès des ministères et des organismes fédéraux américains et a conclu que l'exploration des données était à la hausse. Cette pratique consiste à combiner des renseignements de différentes bases de données pour dresser le profil d'un individu ou d'une organisation. On a constaté que cette pratique était utilisée dans plus de la moitié des organisations ciblées, tandis que de nombreuses autres avaient dressé des plans à cette fin. Nous avons fait part au Conseil du Trésor de la nécessité d'étudier la portée des incidences de cette pratique.

Il faudrait resserrer la politique concernant la comparaison des données. À l'heure actuelle, les politiques ne concordent pas.Par exemple, dans le cadre de cette politique qui a été adoptéeen 1989, notre bureau est censé être avisé lorsqu'unecomparaison de données est faite. Or, nous n'avons reçuque 10 avis en 2003-2004. Certaines activités de comparaison ne sont peut-être pas couvertes par cette politique. Nous avons fait des recommandations à cet effet.

Concernant les rapports annuels exigés en vertu del'article 72 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, les administrateurs généraux doivent soumettre un rapport annuel au Parlement sur leurs activités pour se conformer à la loi. Le commissaire précédent, Bruce Phillips, avait fait observer que ces rapports sont souvent hors contexte. Les renseignements sont insuffisants pour permettre au lecteur de comprendre ce qui se passe. Nous avons fait des recommandations à cet effet.

Nous sommes invités périodiquement à participer aux travaux d'un comité de SMA chargé de mettre au point un cadre intégré de gestion de la vie privée pour assurer la conformité à la Loi sur la protection des renseignements personnels, une politique sur la comparaison des données ainsi qu'une pratique pour l'évaluation des facteurs relatifs à la vie privée. C'est ce qui constitue actuellement le cadre de gestion de la vie privée du gouvernement fédéral. Nous faisons des évaluations des facteurs relatifs à la vie privée, nous consignons les comparaisons de données et nous en informons nos bureaux, et cetera.

Nous allons plus loin et nous proposons qu'il y ait des administrateurs généraux dans les organismes chargés de la sécurité publique et de la planification d'urgence et que ces organismes aient des responsabilités et des engagements au chapitre de protection de la vie privée qui soient prévus dans les ententes de rendement conclues avec les ministres responsables. Ce sont des mesures qui contribueraient sensiblement à resserrer le cadre de gestion de la vie privée du gouvernement fédéral.

Le sénateur Joyal J'ai lu vos 18 recommandations en détail. Vous n'avez pas jugé bon de faire des recommandationssur la définition d'activité terroriste que l'on la trouve à l'article 83.01 de la loi, qui dit ceci :

« activité terroriste »

b) soit un acte —action ou omission, commise au Canada ou à l'étranger :

d'une part, commis à la fois :

au nom — exclusivement ou non — d'un but, d'un objectif ou d'une cause de nature politique, religieuse ou idéologique,

Vous savez sans doute qu'un certain nombre de témoins ont proposé que la définition soit modifié par la suppression de la dernière partie, « d'un but, d'un objectif ou d'une cause de nature politique, religieuse ou idéologique », en alléguant un impact certain sur la perception de profilage racial, une question que le sénateur Jaffer a soulevée à plusieurs reprises. Par définition, si vous enquêtez sur l'idéologie d'une personne, vous entrez dans un domaine privé. Par ailleurs, qu'y a-t-il de plus privé que la religion? Cette dimension peut évidemment se manifester publiquement, mais la façon dont une personne satisfait ses croyances religieuses est personnelle. De plus, pour de nombreuses personnes, la conviction politique est privée et elles l'expriment comme bon leur semble en public.

Comme vous l'avez dit, cette question exige un second regard objectif, puisque des témoins nous ont dit qu'une définition différente pourrait nous éviter la difficulté d'évaluer ces aspects, tout en conservant l'efficacité de la définition.

Mme Stoddart : Nous avons suivi à distance les commentaires faits sur la définition de terrorisme.

Comme vous le dites, compte tenu du temps que nous avions, nous nous sommes concentrés sur les aspects plus concrets de la circulation de renseignements personnels de toutes sortes. Il est clair que les enquêtes sur les croyances politiques et religieuses et l'identité raciale touchent au cœur même de la vie privée et de l'identité personnelle.

J'ai tendance à partager l'opinion de ceux qui ont dit que nous devrions éviter ce genre de définition. Comme critère objectif du terrorisme, nous devrions considérer les personnes qui complotent pour renverser le gouvernement du Canada et ses alliés, sans entrer dans le contexte de leurs motivations. Cette perspective, si elle est appliquée correctement, nous donnerait toute la latitude voulue pour amorcer des enquêtes, alors je partage ces opinions.

Le sénateur Joyal : Bon nombre d'entre nous s'inquiètent du projet de loi C-35, la Loi sur la sécurité publique, notamment en ce qui a trait à l'échange de renseignements avec un autre pays qui pourrait mettre sur pied des bases de données, avec tout ce que cela implique sur le droit à la vie privée.

Dans vos recommandations, vous proposez bien sûr des éléments relatifs à la Loi sur la défense nationale, mais je ne vois aucune recommandation traitant de la question de l'échange de renseignements. Tout à l'heure, nous allons entendre les représentants de l'Agence des services frontaliers du Canada. Il ne fait aucun doute que des renseignements sont échangés par le truchement de cette agence. Ce n'est pas un phénomène nouveau qui découle des politiques antiterroristes en général. Il semble que n'importe qui au Canada peut être visé par des échanges de renseignements, même si cette personne ne quitte pas le pays. Comme vous le savez, la Loi sur la sécurité publique rendra obligatoires les échanges d'information, même pour les vols intérieurs au Canada.

Autrement dit, il semblerait que la souveraineté intérieure ne soit plus suffisante pour assurer la protection des Canadiens à l'intérieur des frontières du pays. Cela semble trancher considérablement par rapport à notre approche globale des droits liés à la protection de la vie privée.

J'aimerais connaître votre point de vue à ce sujet parce que vous ne semblez traiter de ces questions dans aucune de vos recommandations.

Mme Stoddart : Nous n'en traitons pas dans notre mémoire parce que nous avons essayé de nous concentrer sur la Loi antiterroriste, plutôt que sur la Loi sur la sécurité publique proposée au sujet de laquelle nous avons comparu devant votre comité l'an dernier. Notre position à ce sujet est bien connue. Il suffit de visiter notre site Internet pour connaître nos objections et nos préoccupations à ce chapitre.

La question de l'échange transfrontalier de renseignements personnels revient constamment sur le tapis dans notre bureau. La situation nous préoccupe à un point tel que j'ai annoncé l'an dernier une vérification au sujet des informations échangées lorsque des Canadiens traversent la frontière. Après une évaluation préliminaire, cette vérification est maintenant en cours.

Nous sommes également en contact avec des fonctionnaires du ministère des Transports au sujet de la création d'une liste d'interdiction de vol, par exemple. Cette liste n'a pas encore été dressée, mais des fonctionnaires du ministère y travaillent. Nous nous demandons entre autres comment cette liste sera utilisée et comment les Canadiens pourront y avoir accès.

Vous avez abordé des aspects extrêmement importants auxquels mon bureau s'intéresse actuellement malgré que, d'un strict point de vue technique, ils ne soient pas visés par cette loi. Je suis heureuse que vous ayez soulevé cette question et je vous encouragerais à examiner, lors de votre étude de la Loi antiterroriste, tous les événements concomitants qui influent sur le contexte de la protection de la vie privée des Canadiens.

Le sénateur Jaffer a parlé de l'externalisation des renseignements personnels, de la mondialisation de l'information dans un contexte commercial et des répercussions des règles internationales en matière de transport aérien, dont celles de l'OACI et de l'IATA. Tous ces éléments sont assortis de véhicules qui, que ce soit dans la pratique ou dans l'exécution d'autres lois, contribuent à créer un climat où les dispositions antiterroristes ont une acuité supplémentaire parce qu'elles ne sont pas appliquées isolément, même si elles peuvent être les plus rigoureuses à certains égards.

Mon bureau s'intéresse également à un autre ensemble de dispositions régissant l'accès autorisé au sujet desquelles nous formulons des observations. L'accès autorisé a été mis de l'avant préalablement aux événements du 11 septembre en réponse à des préoccupations très légitimes au sujet du cybercrime. Nous savons que le cybercrime, le trafic international d'êtres humains et les agissements de ce genre sont une triste réalité et les pays doivent conjuguer leurs efforts pour trouver des moyens de lutter contre ces fléaux. Les questions sont toujours les mêmes : Les dispositions sont-elles proportionnelles aux agissements visés? Pourrait-on en faire mauvais usage? Lorsque le Canada donnera force de loi à ces dispositions, cela se traduira, encore une fois, par une surveillance accrue des échanges entre citoyens ordinaires à l'extérieur du contexte terroriste.

Vous avez donc soulevé quelques-uns des nombreux éléments qui contribuent à la mise en place d'un scénario de surveillance accrue qui n'est pas sans nous préoccuper.

Le sénateur Joyal : Ne devrions-nous pas alors revoir ou redéfinir notre approche quant au rôle du Parlement dans l'exercice de ses responsabilités de surveillance par rapport aux changements apportés au sein du système, pour ne pas entrer dans les détails, pour nous assurer de bien comprendre les répercussions sur le citoyen qui n'est pas suspecté de terrorisme?

Si je comprends bien vos recommandations, il est question d'une personne faisant l'objet d'une enquête et devant passer par les différentes étapes du système; il peut y avoir une attestation de sécurité ou encore des communications et des perceptions,c'est-à-dire les différentes étapes d'une enquête.

Il s'agit de dispositions bien ciblées s'appliquant dans des circonstances très particulières, mais il faut aussi penser à la société dans son ensemble. Les modifications globales que nous apportons au système touchent également les personnes qui respectent entièrement la loi et qui satisfont à chacun de ses critères, car elles deviennent elles aussi plus surveillées que jamais.

Si nous devons exercer une surveillance parlementaire, il nous faut tenir compte de ces deux aspects. Nous ne pouvons pas nous intéresser uniquement aux sujets visés par les enquêtes à des fins antiterroristes. Nous devons également évaluer les répercussions des changements apportés quant aux libertés et aux droits individuels relativement à la protection de la vie privée et au droit de ne pas divulguer des renseignements personnels, notamment.

Nous ne pouvons pas segmenter notre approche pour en venir à nous intéresser seulement aux activités terroristes. Si nous tenons compte uniquement de cet aspect, nous nous retrouvons à modifier un élément fondamental de la société canadienne dans son ensemble. La Loi sur la sécurité publique est un exemple probant de situation où l'on s'arroge le droit de pourchasser tout le monde sous prétexte de vouloir appréhender une personne. C'est alors qu'il faut commencer à se demander où se situe l'équilibre. Il s'agit d'un changement important, il me semble. Si nous devons établir un mécanisme de surveillance quelque part dans le système, le mandat de l'organe parlementaire ou des autres agents concernés devrait être clairement établi et bien compris de tous si nous voulons réaliser nos objectifs de maintien de la protection des citoyens et de respect des droits et des libertés qui leur sont conférés par la Charte canadienne et d'autres lois fédérales et provinciales.

Mme Stoddart : Je suis tout à fait d'accord avec vous. C'est d'ailleurs pour cette raison que les mécanismes de surveillance sont l'un des thèmes de notre mémoire d'aujourd'hui. C'est pourquoi aussi environ le quart de nos recommandations traitent du cadre de gestion de la protection de la vie privée que je juge inadéquat au sein du gouvernement fédéral. En ma qualité de commissaire à la protection de la vie privée, je ne dispose pas des pouvoirs et des possibilités nécessaires pour m'acquitter de mon rôle de chien de garde parlementaire pour les questions liées à la protection de la vie privée au sein de la fonction publique fédérale. Ces pouvoirs n'ont pas été révisés depuis 1983. La Loi sur la protection des renseignements personnels n'est pas un véhicule adéquat pour protéger les droits des Canadiens à l'égard de l'information détenue par le gouvernement fédéral à l'heure actuelle. Je conviens tout à fait avec vous que nous devons nous pencher sur l'ensemble des renseignements actuellement détenus par le gouvernement fédéral et les instances auxquelles il les transmet, qu'il s'agisse d'un autre pays ou parfois même d'une entreprise ici même au Canada ou à l'étranger, dans les cas où il y a externalisation, pour nous demander dans quelle mesure les Canadiens sont au courant de la situation, quels sont leurs recours et quels droits il faut leur accorder dans ces différents contextes.

Le sénateur Jaffer : La Campagne internationale contre la surveillance globale a recommandé un moratoire quant au nombre de lois canadiennes visant la sécurité, en faisant valoir que la protection de la vie privée des Canadiens était en péril. Avez-vous pris connaissance de leur rapport intitulé « Campagne internationale contre la surveillance globale »?

Mme Stoddart : Je n'ai pas lu ce rapport. Je sais que vous avez rencontré les responsables.

Le sénateur Jaffer : Peut-être alors ne pourrez-vous pas répondre à cette question.

Il est possible que mon collègue, le sénateur Joyal, vous ait déjà posé cette question-ci; si vous y avez répondu, je vais simplement lire le compte rendu.

En 2001, l'existence de pouvoirs permettant la délivrance de certificats interdisant la divulgation d'information en vertu de l'article 38.13 indique que le Canada doit être en mesure d'assurer à ses alliés que l'information qui nous est fournie peut être protégée. À votre connaissance, est-ce que le Canada a reçu des garanties similaires de ses alliés l'assurant que les renseignements canadiens, et surtout les renseignements personnels concernant les Canadiens, puissent être protégés contre toute divulgation si jamais ils sont communiqués à un allié?

Si notre Loi sur la protection des renseignements personnels nous protège ici au Canada, qu'advient-il si nous communiquons des renseignements à l'étranger? Pouvez-vous toujours intervenir pour assurer la protection de ces renseignements?

Mme Stoddart : Lorsque des renseignements canadiens sont communiqués à l'étranger, ils ne sont plus assujettis aux lois canadiennes. Il est donc important que nous, Canadiens, lorsque nous transmettons de l'information, que ce soit à d'autres gouvernements ou à des entreprises commerciales, ce qui est d'ailleurs l'objet du débat concernant la portée de la Patriot Act, nous le faisions sous réserve de conditions claires et en connaissant et acceptant les incidences d'un tel geste. En vertu du droit international, chaque pays est responsable de ce qui se produit sur son territoire.

Mon bureau doit notamment s'assurer, dans la mesure du possible, que le Canada partage des renseignements avec ses alliés et avec d'autres pays d'une manière conforme à notre Loi sur la protection des renseignements personnels et à notre Charte des droits et libertés. À ce titre, je vous invite à consulter notre rapport annuel de 2003 où nous faisons état des résultats d'exercices de vérification menés auprès de deux équipes de la GRC travaillant aux frontières (EIPF et EISN). Nous avons examiné les protocoles d'entente conclus entre ces équipes et leurs homologues des États-Unis. Le tout semblait généralement en règle, mais quelques éléments nous indiquaient qu'il y avait eu des échanges de renseignements verbaux informels, ce qui n'a pas manqué de nous inquiéter. Je vous invite donc à consulter notre rapport annuel à ce sujet. C'est un exemple de la façon dont nous pouvons intervenir directement relativement aux ententes d'échange d'information conclues avec d'autres pays.

Le sénateur Jaffer : Je me demande s'il ne pourrait pas se présenter une situation où notre gouvernement serait dans l'impossibilité de diffuser de l'information au Canada en raison de nos lois, mais pourrait le faire à l'étranger sans aucune conséquence. Est-ce que cela est possible?

Mme Stoddart : Selon moi, lorsqu'il y a échange d'information, il devient difficile de contrôler la situation si aucune entente n'a été conclue ou si l'entente intervenue n'est pas respectée. Quoi qu'il en soit, il devrait y avoir tout au moins une entente dans tous les cas d'échange d'information.

Le sénateur Jaffer : Avez-vous vu les ententes conclues entre notre pays et nos alliés?

Mme Stoddart : Pas personnellement. Dans le cadre de cet exercice, nous comptons sur des employés qui détiennent une autorisation de sécurité pour les informations classées très secret. Je crois que ces employés ont pris connaissance du protocole d'entente.

Le sénateur Jaffer : Je ne veux pas voir l'entente. Ce n'est pas ce que je cherche. Toutefois, si vous pouviez vous renseigner pour savoir si une entente est en place pour assurer la protection de nos renseignements personnels lorsque nous échangeons de l'information avec nos alliés et communiquer ce renseignement à notre présidente, cela nous serait très utile.

Mme Stoddart : Je suggérerais que l'on intègre votre demande au processus de vérification que nous menons au sujet des échanges de renseignements frontaliers à l'ASFC. Je crois que vous rencontrez M. Jolicoeur juste après nous. Nous avons réalisé une étude préliminaire et nous allons mener cet examen cette année. Nous pourrons vous en communiquer les résultats par la suite. Peut-être serait-il préférable de vous répondre seulement lorsque nous aurons un portrait global de la situation.

Le sénateur Jaffer : Tout à fait. Cela me convient parfaitement. Est-ce que sera cette année?

Mme Stoddart : Ce sera probablement dans un an.

Le sénateur Jaffer : Le mandat de notre comité prend fin en décembre.

Mme Stoddart : Je vais écrire à votre présidente pour voir quels renseignements nous pouvons lui communiquer.

Le sénateur Fraser : La vérification que vous menez m'apparaît extrêmement intéressante. Faites-vous la distinction entre les renseignements qui concernent la sécurité nationale ou qui sont échangés à des fins de sécurité nationale et les autres renseignements? Ce matin-même, M. Zacardelli a tracé très nettement cette distinction en nous disant que, lorsqu'il s'agissait d'un renseignement touchant la sécurité nationale, il n'était pas question de protocole d'entente avec nos partenaires étrangers, mais bien de trois directives régissant les différents ministères qui ont dû être consultés pour l'établissement de normes qu'il estimait suffisamment rigoureuses devant être satisfaites avant que des renseignements puissent être échangés. Je ne sais pas exactement comment cela s'inscrit par rapport à ce que vous venez de nous dire. Peut-être pourriez-vous nous apporter des éclaircissements à cet égard.

Mme Stoddart : Je pourrai sans doute vous répondre avec une plus grande certitude lorsque nous aurons terminé cette vérification. Celle-ci vise en fait à déterminer si, dans ce genre de situation, notre société se conforme aux préceptes de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Nous voulons également mieux renseigner les Canadiens parce que nous savons qu'ils sont préoccupés et inquiets relativement aux renseignements qui sont échangés aux frontières et au déroulement d'une transaction frontalière normale dans un contexte civil. Je crois que nous risquons de mettre au jour certains cas particuliers, par exemple lorsque des renseignements sont soumis à la GRC ou à d'autres agences, mais l'essentiel de notre travail consistera à décrire et à vérifier des transactions civiles ordinaires, comme lorsque je traverse la frontière en voiture ou en train.

Mme Fraser : Ou lorsque je traite avec un centre d'appels au Montana.

Mme Stoddart : Cela pourrait être un autre sujet possible pour la vérification. C'est exactement le rôle de l'ASFC.

Le sénateur Joyal : En réponse à une question, vous avez parlé tout à l'heure de la Charte canadienne des droits et libertés et de ses répercussions sur votre loi habilitante. Comme vous l'avez bien dit, la Loi sur la protection des renseignements personnels a été adoptée en 1983, soit l'année suivant la proclamation de la Charte. Celle-ci n'a bien sûr pas été contestée devant les tribunaux et on compte maintenant, si mon souvenir est exact, 480 causes qui touchent un aspect ou un autre de la Charte.

Au cours de la dernière année, avez-vous examiné votre loi dans le contexte des conclusions tirées par les tribunaux supérieurs du Canada relativement aux incidences de la Charte et à la protection de la vie privée? Si vous comptez présenter des propositions de changement à votre loi, quels aspects jugez-vous les plus problématiques relativement à la Charte?

Mme Stoddart : Nous avons amorcé ce travail. Comme notre examen n'est pas complet, je vais vous citer seulement deux aspects qui me semblent particulièrement problématiques. Il y a tout d'abord le consentement à l'utilisation des renseignements personnels vous concernant, une question de principe. Ce consentement n'est pas précisé en tant que droit fondamental. Comme pour beaucoup de droits, il y a de nombreuses exceptions, mais c'est l'un des aspects marquants de la Loi sur la protection des renseignements personnels actuellement en vigueur.

Le deuxième aspect concerne l'utilisation de vos renseignements personnels. On peut seulement avoir ou non un droit d'accès à vos renseignements personnels. Il n'existe pas de droit de contester leur utilisation ou leur divulgation.

Le dernier problème manifeste que j'ai mentionné vient du fait que la Loi sur la protection des renseignements personnels s'applique seulement aux citoyens canadiens ou aux personnes dûment autorisées à résider au Canada. Cela me semble causer des problèmes qui remontent aussi loin que l'arrêt Singh dans les années 80. Nous sommes d'avis que la Charte s'applique à toute personne assujettie aux lois canadiennes et aux autres conditions afférentes.

Cette situation entraîne pour nous quelques problèmes de fonctionnement que nous essayons de régler dans nos relations avec l'Union européenne. M. Jolicoeur pourra vous en parler davantage tout à l'heure. Je crois personnellement que le Canada se retrouve dans une situation quelque peu embarrassante lorsque des Européens, au sujet desquels les agences gouvernementales canadiennes peuvent recueillir des renseignements lorsqu'ils prennent un vol à destination du Canada ou traversent notre espace aérien, ne disposent d'aucun recours en vertu de notre Loi sur la protection des renseignements personnels. Quoiqu'il en soit, nous espérons mener une analyse plus poussée à cet égard. Ce travail a été laissé en plan pendant plusieurs années, mais nous reprenons le flambeau.

Le sénateur Joyal : Pouvez-vous nous indiquer à quel moment vous serez en mesure de nous faire rapport à ce sujet? Est-ce que cela sera intégré à l'un de vos rapports annuels ou utiliserez-vous un mécanisme différent?

Mme Stoddart : Il est possible que nous présentions un rapport spécial au Parlement quant à la nécessité de réformer la Loi sur la protection des renseignements personnels. Je dirais qu'il nous faudra entre six mois et un an. Nous avons déjà rencontré le ministre Cotler à ce sujet. Nous avons mis sur pied un comité mixte. Je vais d'ailleurs demander à Mme Kosseim de vous répondre à ce sujet parce qu'elle fait partie de ce comité.

Mme Patricia Kosseim, avocate générale, Services juridiques, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : Nous avons rencontré des représentants du ministre de la Justice. Ils cherchaient à établir une approche par étapes plus réaliste pour l'examen de la Loi sur la protection des renseignements personnels et des questions prioritaires. Sans parler d'un examen exhaustif de la loi, nous cherchons à déterminer sur quelles questions nous allons concentrer nos efforts à court terme pour trouver des solutions. Cela comprend notamment le droit pour une personne de faire appel aux tribunaux en cas d'utilisation ou de divulgation inappropriée des renseignements personnels la concernant par des institutions gouvernementales, alors que la loi actuelle ne prévoit aucun recours à cet égard. Ainsi, nous nous sommes retrouvés le mois dernier devant la Cour fédérale pour la cause d'une personne qui présentait une requête en révision étant donné que la loi actuelle ne lui offrait absolument aucun autre recours, alors qu'il était clair que l'on avait enfreint les dispositions de la loi relativement à l'utilisation ou à la divulgation inappropriée. De toute évidence, dans le contexte actuel, ce genre de situation a certes des incidences sur la personne touchée pour ce qui est la protection de la vie privée et de la Charte.

Le sénateur Jaffer : Commissaire, vous avez cité l'exemple d'un visiteur européen qui n'était pas protégé en vertu de notre loi. Cet exemple pourrait s'appliquer à tous les visiteurs. Vous parliez d'un visiteur européen, mais c'était seulement un exemple, n'est- ce pas?

Mme Stoddart : Vous êtes tout à fait justifié de me corriger. Si j'ai parlé des visiteurs européens, c'est parce que l'Union européenne, contrairement aux autres pays, et il s'agit d'une situation concrète que le bureau de M. Jolicoeur et moi-même avons dû gérer avec les représentants de l'Union européenne, s'est donné comme norme pour l'échange de renseignements personnels que les autres pays en cause doivent offrir les mêmes droits en matière de protection de la vie privée. C'est donc dans ce contexte que j'ai cité cet exemple. Je suis désolée. Les autres visiteurs ne sont pas mieux protégés que les Européens.

Le sénateur Jaffer : Toutes les personnes qui visitent notre pays n'ont aucun droit à cet égard. Il n'est pas question de traitement spécial pour les Européens.

Mme Stoddart : Non.

La présidente : Madame Stoddart, merci de votre présence. Nous espérons bien maintenir ces liens avec vous de manière à pouvoir suivre le déroulement de votre vérification. S'il se produit quoi que ce soit, n'hésitez pas à communiquer avec nous.

Nous accueillons maintenant avec grand plaisir nos témoins pour cet après-midi. Pour le bénéfice de nos téléspectateurs, je précise que nous entendrons des représentants de l'Agence des services frontaliers du Canada, qui a fait beaucoup parler d'elle dans le contexte actuel du trafic transfrontalier vers les États-Unis et d'autres destinations. Nous recevons le président de l'Agence des services frontaliers du Canada, M. Jolicoeur. Il est accompagné de Mme Deschênes, vice-présidente, Direction générale de l'exécution de la loi; de Mme Breakwell, directrice, Affaires législatives et Accès à l'information; et de M. Dunbar, chef par intérim des Services juridiques.

Monsieur Jolicoeur, avez-vous une brève déclaration à faire avant que nous vous posions des questions?

M. Alain Jolicoeur, président, Agence des services frontaliers du Canada : Madame la présidente, sénateurs, mesdames et messieurs, je vous remercie de m'avoir invité à m'adresser à vous aujourd'hui. Avant d'expliquer comment l'Agence des services frontaliers du Canada recueille et gère les renseignements personnels conformément à la Loi sur l'accès à l'information, la Loi sur la protection des renseignements personnels, la Charte des droits et libertés et d'autres instruments habilitants, je vais vous donner un bref aperçu de l'ASFC, de son rôle et de ses responsabilités.

Comme vous le savez, notre rôle est double : faciliter les passages transfrontaliers légitimes et appuyer le développement économique tout en interceptant les personnes et les marchandises qui présentent un risque potentiel pour le Canada. Nous sommes un élément vital de la politique de sécurité nationale.

Grâce à un effectif de plus de 12 000 fonctionnaires, nous sommes présents dans plus de 1 300 points de service partout au Canada et dans 39 endroits à l'étranger. Certains de nos points de service les plus fréquentés fonctionnent 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Nous gérons les frontières du pays en appliquant quelques 90 lois et règlements nationaux pour le compte d'autres organismes et ministères gouvernementaux, ainsi qu'un certain nombre d'accords internationaux qui régissent les échanges commerciaux et les voyages.

Nous veillons à ce que tous les voyageurs qui arrivent au Canada soient admissibles et se conforment à la législation et à la réglementation canadiennes. Nous traitons toutes les expéditions commerciales qui passent par les bureaux d'entrée du Canada afin de nous assurer que les lois et les règlements sont respectés et qu'aucune marchandise illégale n'entre au pays ou n'en sort. En plus de voir à ce que les droits et les taxes applicables soient payés, nous avons la responsabilité d'intercepter et de renvoyer les personnes et les marchandises non admissibles, ce qui comprend la détention des migrants qui pourraient constituer une menace pour le Canada. Nous veillons à la salubrité des aliments, à la santé des animaux et à la protection des végétaux en repérant et en interceptant les marchandises réglementées à risque élevé dans les aéroports, les postes terrestres et les ports de mer.

L'un de nos objectifs clés est de mettre à profit la Déclaration sur la frontière intelligente de 2001 entre le Canada et les États-Unis qui vise à accélérer les passages transfrontaliers légitimes. Nous sommes en mesure de traiter rapidement et efficacement à la frontière les voyageurs et les marchandises à faible risque — surtout ceux qui ont fait l'objet d'un précontrôle.

Afin de pouvoir séparer les voyageurs et les marchandises à risque élevé de ceux qui sont considérés à faible risque, nous devons compter sur notre capacité de recueillir et de gérer l'information — tant dans l'intérêt de la sécurité publique que du mouvement transfrontalier des voyageurs et des échanges commerciaux légitimes. Toutes les données que nous recueillons sont assujetties à un processus d'évaluation et d'analyse qui permet de dégager des tendances à partir de déductions significatives, lesquelles deviennent le « renseignement ».

Le renseignement signale les activités susceptibles de se produire et sert à établir des indicateurs et à dégager des tendances. Il renforce également la capacité de gestion du risque et appuie le processus décisionnel et les activités d'exécution. La plupart de nos pouvoirs découlent de deux lois : la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR) et la Loi sur les douanes. Par exemple, le pouvoir de communiquer les renseignements douaniers est prévu à l'article 107 de la Loi sur les douanes. L'échange des renseignements sur l'immigration recueillis en vertu de la LIPR se fait conformément aux dispositions sur les usages compatibles de la Loi sur la protection des renseignements personnels et est appuyé par des protocoles d'entente avec la GRC, le SCRS, Citoyenneté et Immigration Canada, le service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis, ainsi que le Département de la sécurité intérieure et le Département d'État des États-Unis.

Nous appliquons aussi la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité (LRPC) qui établit les exigences de déclaration pour le mouvement transfrontalier des grandes quantités d'espèces. D'autres pouvoirs nous sont conférés par les 90 lois gouvernementales et plus que nous appliquons à la frontière pour le compte d'autres ministères.

L'entrée en vigueur de la Loi antiterroriste n'a pas eu d'incidence sur nos pouvoirs législatifs. Plus particulièrement, la promulgation de cette loi n'a entraîné aucun pouvoir nouveau ou additionnel en vertu de la Loi sur les douanes ou de la LIPR. Le projet de loi C-26 visant à inscrire l'ASFC dans une loi n'a pas non plus engendré ou conféré de nouveaux pouvoirs à l'agence.

Compte tenu du mandat qu'a reçu l'ASFC, la possibilité de recueillir, de consulter et d'échanger des renseignements est essentielle à nos activités. Sans ces renseignements, nous ne pourrions être efficaces. En définitive, nous nous efforçons de maintenir un équilibre entre les exigences de sécurité du Canada et le droit à la vie privée des personnes. Afin d'appuyer notre travail, le gouvernement a déposé le projet de loi C-26, Loi constituant l'Agence des services frontaliers du Canada, qui est actuellement à l'étude à la Chambre des communes. S'il était adoptée, le projet de loi C- 26 ne nous conférait pas de nouveaux pouvoirs.

Nous échangeons des renseignements indispensables avec les organismes et les ministères nationaux et étrangers responsables des douanes et de l'immigration qui ont conclu des ententes d'échange de renseignements avec nous, y compris la GRC, le SCRS et les services de police locaux. Les renseignements pertinents reçus sont transmis aux bureaux locaux selon les besoins au moyen d'une combinaison de méthodes électroniques et manuelles, y compris les avis de surveillance qui sont protégés une fois entrés dans nos systèmes d'exécution, les bulletins et les alertes. Nous pouvons négocier des ententes avec d'autres ministères.

Je vous donne maintenant un exemple du genre de renseignements que nous recueillons. Je sais que vous connaissez l'initiative Information préalable sur les voyageurs (IPV) et Dossier passager (DP). L'IPV comprend des renseignements de base, tels que le nom du voyageur, sa date de naissance, sa citoyenneté ou nationalité, ainsi que des données sur le passeport ou tout autre document de voyage. Le DP comporte des renseignements plus détaillés, ainsi que des données sur l'itinéraire, l'adresse et l'enregistrement. Nous avons toujours reçu ce type de renseignements à l'arrivée du voyageur au Canada. Toutefois, nous recevons maintenant l'information avant l'arrivée du voyageur pour les besoins du ciblage et de l'évaluation du risque et nous la conservons pendant le processus d'analyse. Il s'agit d'un outil très efficace qui aide les agents de l'ASFC à identifier et à intercepter les personnes pouvant représenter une menace avant qu'elles n'entrent au Canada.

Un passager peut demander d'accéder à l'information que nous recevons. Nous respectons le droit à la vie privée des voyageurs et travaillons en étroite collaboration avec le Commissariat à la protection de la vie privée afin de veiller à ce que l'information fournie dans le cadre de l'initiative IPV et DP soit utilisée et protégée comme il se doit.

L'utilisation des données IPV et DP permet de réduire les longs délais d'attente à la frontière sans porter atteinte à la sécurité, car les agents peuvent se concentrer sur les personnes susceptibles de représenter un risque. En outre, la collecte électronique de ces renseignements importants rend possible une évaluation objective, la technologie utilisée étant à l'abri de toute influence externe et de tout préjugé.

De plus, en 2004, le gouvernement a mis sur pied le Centre national d'évaluation du risque (CNER), qui gère et coordonne les listes de surveillance nationales et internationales 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Le CNER agit à titre de centre de liaison et d'interface entre les bureaux à l'échelle internationale, nationale et locale. Le centre permet de renforcer la capacité du Canada de détecter et d'empêcher le mouvement de personnes et de marchandises à risque élevé grâce à l'analyse et à l'échange de renseignements avec le personnel de première ligne et les partenaires internationaux.

Lorsque nous avons rédigé le projet de loi C-26, nous avons consulté le Commissariat à la protection de la vie privée et nous l'avons assuré que la collecte et l'échange de renseignements se feront en conformité avec les dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

J'aimerais ajouter que le CPVP procède actuellement à une vérification de l'observation de nos pratiques d'échange de renseignements. Dans le cadre de cette vérification, l'accent sera mis sur la circulation transfrontalière des renseignements personnels entre l'ASFC et le service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis.

Le commissariat a manifesté un intérêt particulier pour la collecte et la protection des renseignements personnels fournis, car ils sont recueillis et utilisés pour des activités précises à l'ASFC et dans nos systèmes automatisés. La vérification portera plus particulièrement sur la collecte de renseignements du Centre national d'évaluation du risque, dans la mesure où il appuie les programmes du renseignement de l'administration centrale et des régions de l'ASFC.

Dans le cadre de cette vérification, on étudiera également notre cadre de gestion de la protection des renseignements personnels, ce qui devrait nous donner, en bout de ligne, des conseils pratiques pour améliorer notre cadre stratégique en ce qui concerne nos méthodes de collecte, d'utilisation et de protection des renseignements personnels.

Compte tenu que la vérification de l'observation pourrait demander une année de travail, nous prendrons les mesures concurrentes pour renforcer notre capacité et notre cadre stratégique. Notre fonction à l'égard de l'accès à l'information et de la protection des renseignements personnels sera renforcée, afin que nous puissions mieux orienter, former et appuyer nos agents de première ligne et, du même coup, mieux gérer les demandes individuelles de communication de renseignements personnels.

Nous nous assurons que le droit à la vie privée des Canadiens est respecté dans toute communication de renseignements. Dès qu'il y a échange de renseignements personnels, il s'effectue conformément aux dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels, de la Charte canadienne des droits et libertés et d'autres dispositions législatives connexes entourant la protection de la vie privée.

Nous enquêtons sur toutes les plaintes du public au sujet du comportement inapproprié ou de l'inconduite et nous encourageons les parties plaignantes à faire part de leurs préoccupations à la direction locale. Les clients peuvent soit nous écrire ou écrire à la ministre, et ils ont l'assurance qu'on leur répondra également par écrit. Une décision peut faire l'objet d'un examen dans le système judiciaire ou d'autres mécanismes tels que la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada, un tribunal indépendant.

Pour ce qui est de la question de la surveillance ministérielle et de la responsabilité de protéger les renseignements personnels, la ministre McLellan a déclaré publiquement qu'elle possédait déjà ces attributions.

Sauf dans les cas où la vie, la santé ou la sécurité d'une personne est en péril, avant de permettre les communications ponctuelles et périodiques qui sont proposées, les hauts fonctionnaires doivent examiner le bien-fondé d'une demande et être convaincus que les dispositions de la loi applicable sont respectées. En bout de ligne, si nous croyons qu'une demande de renseignements n'est pas raisonnable ou qu'elle sort des paramètres fixés, nous pouvons la refuser.

Nous nous fondons sur les renseignements pour protéger les Canadiens et les Canadiennes. Cette information a aidé le gouvernement à arrêter des terroristes et des criminels du Canada et de l'étranger, à lutter contre le trafic de stupéfiants dans nos rues, à saisir de la pornographie et à réunir plus de 1 000 enfants avec leurs parents ou leurs tuteurs au cours des 15 dernières années.

La protection des renseignements s'inscrit dans notre mandat, tout comme l'atteinte d'un certain équilibre entre les besoins de sécurité et la protection de la vie privée. Au fil des ans, nous avons fait preuve d'intégrité dans la protection des renseignements confidentiels et privés de nos clients, dont des centaines de millions de voyageurs tous les ans.

Nous avons élaboré des lignes directrices rigoureuses sur l'utilisation des renseignements et l'accès à ceux-ci et, pour pouvoir conserver de l'information sur les voyageurs, nous devons en avoir besoin pour dégager des tendances en matière de sécurité.

J'aimerais vous remercier de m'avoir invité à vous parler aujourd'hui. Je suis maintenant prêt à répondre aux questions des membres du comité.

[Français]

Le sénateur Lynch-Staunton : Bienvenue à tous. Je ne sais pas si vous avez suivi nos délibérations ce matin, mais j'aimerais compléter une discussion que j'ai commencée avec le commissaire de la Gendarmerie royale du Canada.

[Traduction]

Je précise tout de suite que je suis directement intéressé par cette question. J'habite en effet à quelques kilomètres de la frontière séparant le Québec du Vermont, de sorte que je connais bien l'autoroute 55 et ses environs.

Certains de vos collègues qui travaillent à la frontière sont efficaces et consciencieux, tout comme nous, de sorte qu'on ne tente pas de tirer profit des rapports étroits.

À intervalles réguliers, on se demande s'il ne faudrait pas armer nos douaniers. Quelle est votre opinion à ce sujet?

M. Jolicoeur : Je ne crois pas qu'il serait bon ou utile d'armer les inspecteurs à la frontière. La sécurité du pays et les postes frontaliers n'y gagneraient rien. Quand vous armez vos agents, vous changez leur rôle à la frontière. Vous créez un environnement qui pourrait être différent de celui qui existe actuellement.

La grande majorité des transactions qui s'effectuent aux postes frontaliers concernent des personnes qui sont respectueuses des lois. Je ne vois pas en quoi l'armement des inspecteurs à la frontière serait profitable ou avantageux.

Le sénateur Lynch-Stauton : Quels avantages en retirent les Américains, dont les inspecteurs sont armés?

M. Jolicoeur : Ils n'ont pas le même raisonnement. Ils croient qu'il est nécessaire d'armer les employés affectés aux douanes et à la protection de la frontière. Je ne suis pas d'accord pour appliquer ce raisonnement au Canada. Je ne crois pas que ce soit nécessaire.

Le sénateur Lynch-Staunton : Le fait que la GRC ait réduit son activité de patrouille à la frontière et que les ressources de la Sûreté du Québec soient étirées au maximum est-il problématique? Ai-je raison de dire qu'un inspecteur à la frontière ne peut s'éloigner de plus d'une centaine de pieds de son poste et qu'il ne peut donc pas prendre quelqu'un en chasse?

M. Jolicoeur : Vous avez tout à fait raison. Entre les deux postes-frontière, l'inspecteur n'est pas habilité à agir.

Le sénateur Lynch-Stauton : Les inspecteurs doivent appeler le détachement de police le plus proche. Quels résultats a donnés cette façon de faire? Donne-t-il rapidement suite à l'appel? Combien de suspects ou d'illégaux franchissent la frontière sans qu'on les signale ou qu'on les signale trop tard?

M. Jolicoeur : Je ne suis pas sûr de savoir à quoi vous faites allusion, sénateur. S'il est question des personnes qui entrent illégalement au Canada entre les postes frontaliers, nous avons des renseignements de sécurité à ce sujet, mais je n'ai pas les données. Par contre, s'il est question des articles parus récemment dans les journaux au sujet de la personne qui a refusé de s'arrêter à la frontière ou, comme on dit chez nous, qui a « foncé tout droit », vous avez raison. Nous ne pouvons compter que sur l'aide de la force policière locale.

Nous avons de nombreuses ententes en vigueur un peu partout au Canada, de sorte que le temps de réaction et d'autres facteurs dépendent de l'emplacement et des termes de l'entente. Nous signalons tous les cas et, parfois, ces personnes sont retrouvées, ramenées à la frontière et accusées parce qu'elles ont commis une infraction.

Il est arrivé qu'on ne les retrouve pas, mais j'ignore combien au juste se sont échappées. Par contre, je ne crois pas qu'un agent armé à la frontière y aurait changé quoi que ce soit.

Le sénateur Lynch-Staunton : Le commissaire Zaccardelli nous a raconté des incidents de personnes qui franchissent la frontière sans s'arrêter et a dit que le signalement de ces cas était laissé à la discrétion des agents. Est-ce vrai?

M. Jolicoeur : Nous avons comme consigne de signaler l'incident. M. Zaccardelli faisait peut-être allusion à la réaction des forces policières locales dans de pareilles situations. L'ASFC demande à ses agents de signaler tous les incidents.

Le sénateur Lynch-Stauton : Vous me corrigerez si je fais erreur, mais si je ne m'abuse, M. Zaccardelli a affirmé qu'il pourrait arriver que les forces locales n'en soient pas avisées.

M. Jolicoeur : Il se peut qu'elles n'en soient pas avisées quand le système électronique de lecture des plaques minéralogiques ne fonctionne pas bien. Je ne me rappelle pas le nombre exact de pareils incidents, mais lorsque c'est le cas, nous avons peu de renseignements à fournir à la police, de sorte qu'il pourrait être plus difficile pour elle d'intervenir. La plupart du temps, nous sommes capables de lire la plaque minéralogique. Il n'y a donc pas de raison pour que la police n'y donne pas suite.

Le sénateur Lynch-Staunton : Les agents d'exécution de la loi américains ont le droit d'entrer dans les propriétés privées se trouvant dans un rayon de 25 milles de la frontière sans obtenir au préalable la permission du propriétaire. Au Canada, il faut avoir soit la permission du propriétaire, soit un mandat. Serait-il utile que la loi permette aux agents frontaliers ou à la police de faire comme leurs homologues américains? Je suppose que la plupart des personnes qui franchissent la frontière clandestinement ont un endroit proche où se réfugier de sorte qu'elles peuvent reprendre la route sans encombre le lendemain. Si elles ne se cachent pas, elles se feront probablement coincer. Si la loi autorisait les agents à la frontière ou les agents d'exécution de la loi à entrer dans les propriétés privées qui se trouvent dans un rayon de 25 milles de la frontière, serait-ce utile?

M. Jolicoeur : Vous me posez-là une question qui déborde de mon champ de compétence et qu'il vaudrait mieux poser au représentant d'une force policière. De mon point de vue limité, ce serait certes un outil de plus à notre disposition. Je n'ai pas réfléchi à la question, de sorte que j'ignore quels en seraient les tenants et les aboutissants. Il faudrait modifier la loi. Par contre, si vous posiez la question aux agents de douanes et aux inspecteurs à la frontière, je suis sûr qu'ils vous répondraient que ce serait utile.

Le sénateur Lynch-Staunton : Je n'essaie pas de vous mettre dans l'embarras et je comprends raisonnablement bien la nature de votre problème. La frontière s'étire sur 5 000 kilomètres, exclusion faite des ports et des aéroports. J'espère ne pas quitter cette salle convaincu qu'il y a encore beaucoup à faire pour améliorer la sécurité à la frontière. J'aimerais éviter de dire que nous fermons les yeux, mais nous avons tenu pour acquis que certains réussissent à se faufiler au Canada et que le phénomène persistera. Or, nul n'est capable ou disposé à nous en décrire l'ampleur.

M. Jolicoeur : Je ne voudrais pas vous quitter en laissant l'impression que le nombre de passages clandestins est très préoccupant. Les nombres cités dans la presse et la fréquence à laquelle cela se produit sont faibles par rapport au nombre total de transactions effectuées à la frontière. Cependant, fait plus important, la plupart du temps, nous sommes au courant de ce qui se passe et nous savons où et comment se font ces passages. La moitié des incidents ont eu lieu à deux emplacements, et nous nous efforçons d'y mettre fin. En fin de compte, il n'y a pas tant de cas que cela.

Si l'on élargissait la gamme d'outils à notre disposition et les pouvoirs policiers, ce serait utile. Toutefois, par rapport au risque posé par le trafic de drogue et le passage de terroristes le long de cette frontière si étendue, les cas de personnes qui ne s'arrêtent pas à la frontière et foncent tout droit ne seraient pas la priorité numéro un.

Le sénateur Jaffer : Quand la ministre McLellan a comparu devant le comité, je l'ai interrogée au sujet du profil racial. Elle a dit au comité que le ministère ne faisait pas de profil racial. Par contre, elle a utilisé une expression, « gestion du risque », pour laquelle je n'ai pas réussi à avoir d'explication, bien que j'aie posé la question. Pourriez-vous nous en expliquer le sens?

M. Jolicoeur : Cette année, quelque 95 millions de personnes et quatre millions de conteneurs entreront au Canada. Avant de répondre à votre question, je tiens à préciser que nous ne serons jamais capables de passer au crible tous les conteneurs ou de faire une analyse fouillée de toutes les personnes qui entrent au pays.

Le défi fondamental d'un organisme comme l'ASFC est de fixer ses priorités et de décider quand il convient d'y regarder d'un peu plus près. Notre solution consiste à analyser les facteurs de risque. Nous concentrons nos efforts simplement là où, pour toutes sortes de raisons, nous croyons que le risque est le plus élevé.

Pour ce qui est des conteneurs, nous avons élaboré un programme extrêmement puissant, un mégaprogramme qui tient compte de millions de renseignements, pour évaluer le risque de chaque conteneur. Le modèle est très perfectionné. Il est axé sur l'aspect commercial, de sorte que nous ne nous préoccupons pas des personnes, des droits et de questions du même genre. Un conteneur n'est rien d'autre qu'un conteneur. Nos méthodes sont beaucoup plus perfectionnées dans ce domaine.

En ce qui concerne les personnes, la réaction que nous obtenons et qui fait l'objet du débat est celle-ci : certains groupes de personnes sont plus ciblés que d'autres, quelle qu'en soit la raison. Par exemple, à l'aéroport, les personnes qui se présentent à la ligne d'inspection primaire sont soit autorisées à entrer, soit dirigées vers une aire d'inspection secondaire pour un examen plus fouillé.

Nous avons aussi un modèle d'analyse du risque. Il n'inclut pas de données sur la race ou la religion. Il est tout à fait neutre. Quand la décision d'envoyer quelqu'un à l'aire d'inspection secondaire pour interrogatoire plus serré et vérification est prise, cela peut se faire de trois façons.

Nous avons un programme qui choisit au hasard des voyageurs et en dirige un faible nombre vers l'aire d'inspection secondaire. L'agent qui est en train de questionner la personne voit un message-éclair apparaître à l'écran et dirige le client vers l'aire d'inspection secondaire. C'est là une façon de faire.

La deuxième est celle de l'inspection secondaire obligatoire. Il s'agit de personnes repérées à l'avance par le système pour leur activité criminelle ou terroriste.

La troisième s'applique aux personnes au sujet desquelles les agents sont convaincus, pour une raison quelconque — selon les réponses fournies aux questions —, qu'il y a anguille sous roche. Elles sont également dirigées vers l'aire d'inspection secondaire.

Par contre, il ne se fait pas de profil racial.

La troisième méthode — l'agent décide d'envoyer quelqu'un à l'aire d'inspection secondaire — fait appel à des agents qui ont reçu une formation en matière de diversité pour faire en sorte que leur jugement n'est pas teinté de préjugés. La formation est importante. Des milliers de personnes prennent ce genre de décisions au Canada. De toute évidence, nous ne faisons pas de profil racial.

Le sénateur Jaffer : Dans le cadre de la formation que vous offrez, fournissez-vous à vos agents des douanes des manuels leur précisant quel genre de gestion du risque il faut faire?

M. Jolicoeur : Chaque agent qui est affecté à la ligne d'inspection primaire doit suivre à l'école de Rigaud, au Québec, un cours de treize semaines dans le cadre duquel il assiste à des séances sur tous les aspects, y compris sur la diversité, documentation incluse. Les agents peuvent aussi imprimer, s'ils le veulent, un cybermodule d'apprentissage sur la diversité.

Le sénateur Jaffer : Puis-je vous demander de fournir à la présidence des extraits de vos manuels de 2001 qui illustrent ce que vous enseignez à vos agents des douanes au sujet de la gestion du risque, plus particulièrement ce que vous leur fournissez par écrit?

M. Jolicoeur : Nous pourrions vous fournir de l'information sur la gestion du risque, soit les éléments de base dont il faut tenir compte. Ce que nous ne pourrions pas vous dévoiler explicitement, publiquement, c'est la recette parce que si elle était connue, vous pourriez vous faufiler à travers les mailles du filet, quelle que soit la quantité de drogues que vous transportez.

Le sénateur Jaffer : Je ne vous demande pas de me fournir des recettes, simplement ce que vous dites à vos agents de douane de surveiller à la frontière depuis 2001.

Un problème qui s'est posé ce matin, pendant le témoignage du commissaire Zaccardelli et maintenant pendant le vôtre, et qui me préoccupe vivement, ce sont les questions de protection de la vie privée. Je vous suis reconnaissant d'avoir pris la peine de nous donner des explications.

Lorsque nous avons interrogé la commissaire, elle ne craignait pas que, lorsque des questions de protection de la vie privée sont en jeu au Canada, on ne suive pas toutes les règles, de sorte que je ne le crains pas, moi non plus. Ce qui m'inquiète, c'est ce qui arrive à l'information, surtout en ce qui concerne la protection de la vie privée, lorsque vous la partagez avec des alliés. Je tiens à avoir des précisions sur la protection de la vie privée des personnes et, par là, j'entends de toute personne qui se trouve sur notre territoire, même si elle n'a pas la citoyenneté canadienne.

M. Jolicoeur : Chaque échange de renseignements avec d'autres pays, en particulier avec les États-Unis, est visé par une entente officielle et, parfois, lorsque l'échange se fait à très haut niveau, doit être approuvé par le Cabinet. Toutes ces ententes incluent des dispositions relatives à l'utilisation des renseignements. La majorité des échanges concernent ce qu'on appelle du renseignement de sécurité, information qu'on ne peut refiler à d'autres plus tard parce qu'il faut, à ce moment-là, demander au pays qui est la première source de l'information la permission de l'utiliser. Si un allié ne respectait pas l'entente, il perdrait sa source d'information. Il ne recevrait plus rien par la suite.

Dans les accords que nous avons conclus avec les États-Unis, il est précisément indiqué ce qui peut se faire, combien de temps les renseignements peuvent être conservés, à quoi ils peuvent servir, et rien d'autre. Cela s'appliquerait normalement aux personnes à haut risque.

[Français]

Le sénateur Joyal : J'aimerais également parler du cas des personnes qui entrent au Canada sans arrêter aux postes douaniers à la frontière. La dernière fois que j'ai traversé la frontière canado-américiane en voiture, un poste était ouvert alors que les trois autres étaient fermés. Ils étaient simplement barrés avec des pylônes de caoutchouc d'environ 30 pouces de haut au maximum. Il est évident qu'une voiture pourrait très facilement passer par-dessus et disparaître. L'un des moyens les moins coûteux pour empêcher les véhicules de traverser ces postes ne serait-il pas tout simplement de mettre une barrière? Cela n'exige pas de personnel supplémentaire. C'est peu coûteux et jusqu'à un certain point efficace puisque ce ne serait pas sans risque de dommages pour le véhicule. Rechercher un véhicule accidenté limite la recherche si une enquête doit être menée.

Les médias ont rapporté que, dans la dernière année, il y avait eu une légère augmentation des personnes qui n'arrêtaient pas aux postes douaniers. Je ne comprends pas pourquoi des mesures aussi simples ne sont pas utilisées. On ne parle pas de porter une arme, ce qui nécessite des négociations complexes sur le plan syndical avec les implications que cela comporte et que nous connaissons.

Je trouve qu'il y a des moyens parfois très simples à notre disposition qui ne demandent pas une réouverture de convention collective ou des modifications aux lois ou aux règlements. Votre agence pourrait les prendre. Surtout, comme vous l'avez dit, que le problème peut être localisé à quelques endroits en particulier qui deviennent connus des gens qui n'arrêtent pas, comme étant des endroits où, en pratique, on peut passer, pour toute sorte de raisons; par exemple, le poste de police est très loin du poste frontalier.

Il me semble qu'il y a des mesures pratiques que vous pourriez prendre qui auraient pour effet de limiter la perception qui a été créée dans l'opinion publique qu'en fait, vous pouvez toujours prendre le risque de passer parce que personne ne vous rattrapera.

M. Jolicoeur : C'est en partie une solution à notre problème. Nous l'avons fait d'ailleurs récemment à un endroit en particulier où, effectivement, il était devenu évident qu'existait une vulnérabilité importante. C'était à Lacolle. Ce n'était pas ainsi à toutes les guérites, mais il y avait une voie qui était utilisée pour autre chose et qui a été utilisée illégalement à plusieurs occasions. On l'a clôturée.

Quant à la question de savoir si des pylônes de couleur rouge ou orange en plastique est une mesure importante, je dois dire que je ne suis pas au courant de cas où des automobiles auraient tout simplement foncé sur ces pylônes.

Un des défis importants que nous avons est que les postes douaniers à la frontière sont essentiellement des barrières. Nous avons des gens qui gèrent l'accès au pays, mais ce sont quelques centaines de barrières, sans clôtures entre les barrières.

Entre le Canada et les États-Unis, nous avons des routes qui n'ont même pas ces barrières. Il y a de très nombreuses routes qui nous permettent de passer d'un pays à l'autre. Lorsque vient le moment de décider comment distribuer nos ressources, effectivement, s'il y a une moyenne de cinq ou six voies par poste douanier à la frontière et environ 200 postes douaniers à la frontière, nous pourrions acheter quelques milliers de clôtures. À mon avis, ce serait plutôt une mesure de dissuasion ou une mesure d'optique ou de perception. Cette mesure ne ferait pas une différence sur le terrain. Si comme gestionnaire, on me donne des ressources additionnelles, ce ne serait pas le premier endroit, d'une perspective de gestion de risque, où j'aurais tendance à placer ces ressources additionnelles.

Le sénateur Joyal : Où les mettriez-vous alors?

M. Jolicoeur : Je les mettrais dans l'analyse et la recherche d'information. Il y a trois stratégies de base dans notre domaine, il y a plusieurs tactiques et plusieurs instruments. J'achèterais certainement quelques instruments additionnels. Il faut obtenir l'information d'avance. Nous avons développé des systèmes pour obtenir l'information d'avance. C'est la plus grande stratégie.

La deuxième stratégie, ce sont les algorithmes, les programmes d'analyse de risque. La troisième stratégie, ce serait d'extraire du flux des voyageurs et de produits commerciaux ceux qui sont d'avance déclarés sécuritaires, de sorte que nous puissions nous concentrer sur les autres. C'est dans ces trois stratégies que j'aurais tendance à investir, plutôt que d'ajouter une barrière ici et là.

Le sénateur Joyal : Lorsque vous dites « les stratégies qui consistent à avoir l'information prise d'avance », il est certain que lorsque l'on pénètre aux États-Unis ou que l'on veut revenir au Canada par la voie aérienne, il y a plusieurs contrôles du passeport, à la fois au moment de l'enregistrement du billet, ensuite au moment où on traverse la sécurité et ensuite, au moment où on entre dans l'appareil. Il y a au moins trois vérifications d'identité et ces vérifications sont faites avec le passeport. Donc, comme vous dites, ce sont des vérifications de renseignements déjà stockés quelque part. On connaît les renseignements qui sont accessibles par le passeport. Mais lorsqu'on entre par les voies terrestres, il n'y a pas de vérifications de passeport antérieures comme celles faites lors de voyages en avion.

Comment pouvez-vous compenser l'information différente ou non existante que vous avez pour l'accès par les voies aériennes qui vous permettrait d'assurer une garantie de sécurité dans la pénétration du territoire canadien?

M. Jolicoeur : Sans aller dans les détails, nous avons une vulnérabilité particulière commerciale et nous avons aussi des préoccupations vis-à-vis les conducteurs de camions dans certains domaines.

Les arrangements que nous avons mis en place il y a un an pour s'assurer d'avoir les renseignements d'avance sur tous les conteneurs qui arrivent au Canada s'appliqueront aussi au transport commercial terrestre à partir de l'an prochain, où nous allons effectivement pouvoir, dans un cas, pour des raisons d'analyse de risque, obtenir cette information d'avance. Nous avons déjà un programme en place pour certifier un certain nombre de conducteurs qui devront passer au travers un processus, recevoir une carte et être certifié comme étant sécuritaire. Nous avons déjà, à la frontière terrestre, des programmes tels que Fast et Nexus, qui nous permettent justement de faire des vérifications d'avance à propos de certains individus qui voudraient se prévaloir de ce privilège de traverser plus rapidement la frontière. C'est un exemple où nous pouvons avoir un peu de renseignements d'avance.

Vous avez raison en disant qu'à la frontière terrestre, le défi demeurera toujours un peu plus grand. Nous devons aussi penser, en termes de mesure, que les Américains sont en train de considérer les besoins d'identification de passeport à la frontière terrestre à l'aide de cartes d'identification plus solides que celles que nous utilisons présentement.

Le sénateur Joyal : Quelle est votre position sur cette question? Est-ce que les personnes qui ont accès aux États-Unis en provenance du Canada devraient avoir un passeport?

M. Jolicoeur : Je ne veux pas appuyer cette mesure, mais je dois mentionner que si cela se faisait rapidement, dans le contexte actuel, cela pourrait amener des problèmes très importants de circulation et de commerce entre les deux pays. Cela doit être fait de façon à ce que les opérations puissent être gérées sans nuire au trafic. Je ne pense pas que nous soyons rendu là. Je ne pense pas que nous soyons prêts à cela.

Le sénateur Joyal : D'après vous, la personne qui devrait se présenter avec un passeport, le temps de vérifier le passeport dans un lecteur électronique, pour vous, ce serait un trop grand ralentissement du temps pour assurer le flot continu de pénétration?

M. Jolicoeur : Pour le moment, j'imagine la situation cauchemardesque d'une camionnette avec cinq ou six passagers où les gens cherchent leur passeport. Ce n'est pas seulement le conducteur qui montre ses papiers d'identification.

Le sénateur Joyal : Ce serait le nombre de personnes physiques qui traversent qui pourrait ralentir le contrôle ou le temps mis à contrôler. Est-ce que vous pouvez nous donner une idée de ce que représentent les passagers terrestres par rapport aux passagers aériens qui pénètrent sur le territoire?

M. Jolicoeur : Je crois que nous parlons de près de 70 millions de passagers terrestres, par rapport à environ 95 millions, mais je ne veux pas m'aventurer trop loin. J'aimerais vérifier les chiffres, à moins qu'un de mes collègues les connaisse. Je peux vous faire parvenir les résultats, mais c'est de cet ordre.

Le sénateur Joyal : Combien de personnes avez-vous appréhendées au cours des dernières années, qui tentaient de pénétrer au Canada, sans avoir les papiers légitimes ou les autorisations qu'ils auraient dû posséder pour venir au Canada?

M. Jolicoeur : Avant de répondre, je veux dire que nous avons des employés à l'étranger, dans 39 pays, qui s'assurent d'arrêter avant qu'ils n'embarquent dans les avions, ceux qui n'auraient pas la documentation adéquate ou qui ne devraient pas venir au Canada. Ces gens sont responsables de près de 70 p. 100 de nos succès pour ce qui est d'empêcher les gens d'entrer. Ils sont devant la frontière à l'étranger.

Nous avons derrière la frontière un groupe qui est responsable des renvois à l'étranger; les gens qui seraient entrés illégalement ou qui auraient essayé de rentrer par l'entremise de demandes de protection pour réfugiés qui auraient été refusées. Les renvois du Canada sont d'environ au nombre de 10 000 par année.

Le sénateur Joyal : Des renvois terrestres?

M. Jolicoeur : Je parle de renvois sans indiquer comment ils seraient entrés. Ils sont à l'intérieur du pays, ils sont entrés d'une façon ou d'une autre. Nous en renvoyons 10 000 par année. De ceux-là, je penserais que la majorité serait entrée par la voie terrestre mais dans quelle proportion, je n'ai pas les chiffres en tête.

Le sénateur Joyal : Parmi ces gens trouvés illégalement sur le territoire canadien, combien aurait un casier judiciaire?

M. Jolicoeur : Environ 1 000.

Le sénateur Joyal : Environ 10 p. 100. Donc 10 p. 100 des illégaux au Canada sont des personnes qui seraient ici avec un casier judiciaire?

M. Jolicoeur : Dans ceux que nous avons renvoyés l'an dernier, le chiffre que j'ai en tête est autour de 1 000.

Le sénateur Joyal : Aux États-Unis, avez-vous une idée comparative à savoir combien il pourrait y avoir de personnes qui se trouveraient sur le territoire américain illégalement et qui auraient un passé criminel?

M. Jolicoeur : Aucune idée.

Le sénateur Joyal : Quelles sont vos relations avec les représentants de vos collègues américains qui exercent des fonctions semblables aux vôtres pour tenter d'améliorer ou quelles sont les priorités sur lesquelles vous travaillez pour améliorer la sécurité de part et d'autre de la frontière?

M. Jolicoeur : Nous travaillons de très près. Nous sommes en contact à chaque jour et l'outil principal pour l'élaboration des priorités est la gestion d'un programme conjoint. C'est un groupe qui s'appelle le groupe sur la frontière intelligente que mon collègue américain, le Commisioner Bonner, copréside avec moi. Il y a des rencontres régulières tout au long de l'année, où on prend le pouls de chacun d'une trentaine de projets que nous gérons conjointement. Il y a aussi des relations régulières des deux côtés des points d'entrée à la frontière terrestre. Il y a également des relations de plus haut niveau avec des cadres supérieurs des deux organisations dans toutes sortes de domaine. On travaille de très près.

Le sénateur Joyal : Quels sont les éléments des lois canadiennes des droits de la personne qui diffèrent des lois américaines et qui font qu'il y a des limites aux renseignements que vous devez fournir aux autorités américaines?

M. Jolicoeur : Je ne suis pas un avocat ni un expert dansle domaine. Nous avons négocié avec les Américains uneentente que nous venons d'obtenir qui s'appelle en anglais « pre-clearance ». Il s'agit essentiellement d'une entente qui va permettre aux douaniers canadiens de travailler sur le sol américain et de s'assurer de gérer l'accès au Canada, à partir du sol américain; les Américains pourront faire la même chose sur le sol canadien, un peu comme cela se produit déjà dans les aéroports comme Dorval. Nous passons la douane américaine à l'aéroport de Dorval.

Un de nos plus gros défis avec les Américains est le genre de pouvoir qu'ont les employés de CBP, notre organisation équivalente aux États-Unis. Certains de ces pouvoirs ne peuvent pas être utilisés au Canada étant donné la Charte des droits et libertés. Notre façon de travailler est différente et nos lois sont différentes. Je ne saurais vous raconter les détails exacts et à quel domaine ils s'appliquent.

Le sénateur Joyal : M. David Dunbar ne peut pas nous éclairer là-dessus?

M. Jolicoeur : M. Dunbar est un spécialiste qui a travaillé à l'entente, peut-être qu'il peut m'aider.

[Traduction]

Le sénateur Joyal : Pouvez-vous répondre à la question que j'ai posée à M. Jolicoeur?

M. David Dunbar, chef des services juridiques par intérim, Agence des services frontaliers du Canada : Si je comprends bien, c'est une question plus vaste, qui ne porte pas simplement sur le précontrôle, mais de manière plus générale, sur l'application des lois américaine et canadienne à la frontière, n'est-ce pas?

Le sénateur Joyal : J'ai posé une question au sujet des priorités que s'efforcent de respecter les deux compétences, les États-unis et le Canada. Retrouve-t-on des dispositions dans la Loi sur les droits de la personne, la Charte des droits, la Loi sur la protection des renseignements personnels ou toute autre loi du Canada qui empêcheraient l'instauration d'un système parallèle entre les deux pays? À quel niveau notre système accorde-t-il une plus grande protection aux personnes par rapport au système américain?

M. Dunbar : À toutes fins pratiques, ma réponse n'est pas d'ordre juridique, mais elle peut être fort utile. Il suffit d'examiner les procédures opérationnelles normalisées des agents au sol des deux côtés pour s'apercevoir qu'elles sont semblables, puisqu'ils font face aux mêmes problèmes et doivent faire le même travail.

Au plan juridique, il existe des différences fondamentales en ce qui concerne, par exemple, les protections d'ordre constitutionnel. J'hésite à vous en parler en profondeur, car elles sont tellement détaillées que je risque de donner une réponse plus déconcertante qu'explicative. Toutefois, à titre d'exemple peut-être, le quatrième amendement américain ne s'applique pas à certaines activités américaines essentielles de la même façon que l'article 7 de la Charte s'applique au Canada.

Je ne veux pas alarmer qui que ce soit parce que, et je le répète, il suffit d'examiner la façon dont les agents remplissent leurs fonctions et respectent les procédures prévues, pour savoir qu'elles sont semblables, malgré cette différence juridique essentielle. Il faudrait s'aventurer sur un terrain juridique et examiner par exemple le degré de soupçon nécessaire avant d'entreprendre certaines activités intrusives en ce qui concerne la fouille ou l'interrogation d'une personne donnée. Si vous désirez être mis au courant d'une jurisprudence particulière, ou encore, des réponses plus précises, je pourrais y penser, si vous le souhaitez.

Le sénateur Joyal : J'aimerais comprendre ce qui définit la situation au Canada qui impose des limites sur ce qu'il est possible de faire et qui est semblable à ce que font les Américains. Je suis sûr que, dans le cadre de vos discussions avec les Américains, vous avez fait des évaluations de l'article 7 de la Charte, des droits juridiques, ou de quelques articles de la Loi sur la protection des renseignements personnels ou de la Loi sur les droits de la personne qui imposent des limites quant à l'accord que vous pourriez vouloir conclure avec les États-unis, en vertu duquel les États-unis pourraient vouloir un précontrôle sur le territoire canadien. J'essaie de comprendre quel genre de protection supplémentaire est accordée aux citoyens canadiens, qui ne l'est pas aux citoyens américains ou aux personnes qui se trouvent en territoire américain?

M. Dunbar : La réponse la plus rapide consisterait sans doute à vous renvoyer au régime actuel prévu pour le précontrôle pour le transport aérien. On retrouve dans la Loi sur le précontrôle des articles relatifs aux pouvoirs des agents : Les genres de fouille qu'ils peuvent entreprendre; les infractions que les personnes pourraient commettre par rapport aux mesures prises par un agent dans une zone de précontrôle, comme par exemple de fausses déclarations. On retrouve également dans la Loi sur le précontrôle des articles qui indiquent où demander réparation au cas où vous auriez le sentiment que vous n'avez pas été traité correctement ou qu'une décision inopportune a été prise à propos de votre entrée ou de l'entrée de vos marchandises au Canada. Ces articles indiquent où demander réparation.

Il est difficile de dire ce que vont donner les négociations sur le précontrôle pour le transport terrestre, puisqu'elles sont en cours. Le genre de structure à laquelle on pourrait parvenir dans le cadre de négociations avec les Américains est déjà du domaine public et se trouve dans la Loi sur le précontrôle. Cela vous donnerait une certaine indication de la situation.

Bien sûr, nous recherchons la réciprocité, c'est la pierre angulaire des négociations. Nous souhaitons une entente réciproque entre les deux pays. En fait, la loi américaine relative au précontrôle prévoit automatiquement des pouvoirs réciproques en matière de douanes et d'immigration pour les agents étrangers en territoire américain qui procèdent à des activités de précontrôle. Dans ce sens-là, il y a duplication. Nous négocions et adoptons des lois de notre côté et elles sont alors automatiquement dupliquées grâce au pouvoir préexistant accordé par le Congrès aux États-Unis.

Le sénateur Joyal : C'est exactement ce que je veux comprendre. J'essaye de comprendre le statut juridique d'un agent américain en territoire canadien par rapport à son homologue canadien qui doit se soumettre au statut juridique qui lui est accordé en vertu de nos lois canadiennes. J'essaye de comprendre la différence de statut par rapport à la protection accordée par nos lois. Bien sûr, les Américains veulent les mêmes pouvoirs que ceux qui sont accordés à n'importe qui d'autre, mais nous avons certaines limites à respecter en ce qui concerne la négociation d'ententes conjointes avec les États-Unis. Il se pourrait qu'ils veulent que nous ayons certains pouvoirs que nous ne pouvons pas avoir à cause des restrictions imposées par nos lois.

M. Dunbar : Il est beaucoup plus facile pour moi de parler de l'agent américain en territoire canadien, puisqu'il s'agit de la compétence canadienne. Si un agent américain travaille dans une zone de précontrôle au Canada et procède à une fouille intrusive — mesure qui serait considérée comme un délit ou des voies de fait si elle se faisait sans autorisation — il aurait besoin d'une autorisation particulière en vertu de la loi. C'est ce qui est prévu actuellement par la loi.

Les agents américains ont un double statut juridique. Selon la loi canadienne, ils sont des agents de précontrôle en vertu de la Loi sur le précontrôle, laquelle accorde la série de pouvoirs, fonctions et responsabilité que l'on retrouve dans cette loi par rapport au droit canadien et aux activités entreprises au Canada. Ils ont également leur identité juridique américaine qui leur permet de prendre des décisions en matière de douanes et d'immigration aux fins du droit américain et de la politique américaine, décisions qui peuvent, on peut le supposer, être contestées devant les tribunaux américains. Il faut faire la différence entre les deux.

Les pouvoirs d'examen et de fouille se retrouvent dans la Loi sur le précontrôle et ils sont des agents de précontrôle, selon la définition que l'on retrouve dans la loi. Par conséquent, ils ont un statut juridique canadien, assorti de pouvoirs canadiens.

[Français]

Le sénateur Joyal : Monsieur Jolicoeur, est-ce qu'il serait possible d'avoir l'étude que vous avez faite des lois canadiennes comparativement aux lois américaines correspondantes? Elle encadre, d'une certaine façon, vos négociations avec lesÉtats-Unis sur les limites des ententes que vous pouvez négocier avec eux dans le cadre des droits constitutionnels qui existent au Canada?

M. Jolicoeur : On peut vous fournir à cet effet une série de tableaux qui se réfèrent à des scénarios d'opérations dans un contexte douanier, d'un côté et de l'autre de la frontière. Cela énumère clairement ce qui peut ou ne peut pas se faire dans un contexte où les gens vont travailler de l'autre côté. On s'aperçoit de toute façon, si on veut aller au fond des choses, que les douaniers américains, par exemple, sur un sol canadien, vont avoir moins de droits et d'autorité qu'en sol américain. Dans une certaine mesure, c'est vrai aussi pour les douaniers canadiens sur le sol américain. On ne se retrouve dans aucun cas avec des douaniers ayant des pouvoirs qu'ils n'avaient pas avant.

C'est un peu une réduction. Nous compensons, dans les cas où ils ont perdu des droits importants, pour les douaniers américains, par exemple, avec la police canadienne qui s'occupera de la suite des choses quand arrivera un stade où ils ne pourront plus opérer.

Le sénateur Joyal : Donc, il y a possibilité de satisfaire l'objectif de sécurité, mais dans le respect des droits et juridictions au Canada, qui peuvent être différents de ceux des États-Unis.

M. Jolicoeur : Exactement.

Le sénateur Joyal : Est-ce qu'il y a une analyse correspondante qui a été faite des droits de la personne lorsqu'un citoyen se présente à la frontière du côté canadien ou américain?

M. Jolicoeur : Je ne crois pas. Mais il n'y a aucun changement. Je vais demander qu'on étudie ce sujet, mais il ne me semble pas qu'il puisse y avoir un changement. Étant donné que les acteurs ont moins d'autorité qu'ils n'en avaient avant, dans une certaine mesure, il semble en conséquence que personne n'a moins de droits.

[Traduction]

Le sénateur Carstairs : Notre débat a commencé cet après-midi par une question posée par le sénateur Lynch- Straunton à propos de l'armement des inspecteurs à la frontière. Je tiens à dire officiellement que je m'oppose à une telle mesure. La société canadienne n'est pas portée à accepter un armement généralisé de la population. Je m'oppose également à l'armement des agents des ressources naturelles, si bien que ma position est parfaitement cohérente. Je ne crois pas que cela soit positif et en fait, cela pourrait créer des situations éventuellement dangereuses.

J'aimerais revenir aux questions du sénateur Jaffer au sujet de l'établissement de profils raciaux. Je vous ai entendu dire que nous ne faisons pas de discrimination en fonction de la race ou de la religion, et pourtant, une députée noire m'a dit que lorsqu'elle est en déplacement avec une délégation parlementaire, elle est la seule qui se fasse arrêter à la frontière.

Si nous n'avons pas d'établissement de profils raciaux ou religieux, avons-nous un établissement de profils par pays ? Allons-nous examiner de plus près les habitants des Caraïbes dont la plupart sont des Noirs ? Avons-nous une politique pour les Marocains, dont la majorité sont des musulmans? Même si nous affirmons ne pas avoir d'établissement de profils raciaux ou religieux, comment expliquez-vous que des Canadiens pensent en faire l'objet?

M. Jolicoeur : Je vais donner une réponse précise à votre question qui l'est aussi. Il arrive des moments où on peut surtout s'inquiéter de l'introduction de drogues en provenance d'un pays donné, indépendamment de qui arrive de ce pays. Pour des raisons de renseignement, on pourrait s'inquiéter à un moment donné des personnes venant de la Jamaïque ou des Barbades — d'un pays connu comme source de drogues pour notre pays. En pareil cas, notre système qui analyse le risque indiquerait un risque plus élevé pour quiconque arriverait de ce pays. Par conséquent, il est probable que plus de personnes à bord d'un vol en provenance de ce pays soient soumises au contrôle secondaire. C'est ainsi que cela se passe.

Le sénateur Carstairs : On pourrait donc considérer qu'il existe un établissement de profils, alors qu'en fait cela n'a rien à voir avec la race, mais plutôt avec un facteur de risque relatif à un problème de drogues.

Qu'en est-il du terrorisme? Nous avons eu al-Qaïda d'Afghanistan. Lorsque nous sommes en alerte rouge, par exemple, est-ce que les gens venant d'un pays donné pourraient être considérés comme présentant un risque plus élevé?

M. Jolicoeur : En ce qui concerne les gens qui arrivent à nos frontières, pour que les statistiques soient valables, il faut s'arrêter aux nombres. Si pendant de nombreuses années, nous avons saisi à plusieurs reprises des drogues en provenance d'un pays donné, ce pays se retrouvera dans le système d'analyse de risque pendant un certain temps.

Pour ce qui est du terrorisme, les nombres sont peu importants et répartis entre plusieurs pays. Je pourrais le vérifier, mais je ne crois pas que ce serait un outil utile.

Lorsqu'on recherche un petit nombre de personnes parmi un nombre plus vaste de gens honnêtes, il faut s'appuyer sur d'autres informations. Il faut s'appuyer sur le renseignement. Dans certains cas, il se peut qu'il faille examiner de près monsieur ou madame X qui se trouvent alors sur une liste. Lorsque vous obtenez l'information, on en fait le rapprochement par rapport à cette liste, ce qui peut déclencher une mesure à l'égard de cette personne, et non une mesure contre un pays, à cause du nombre; je n'en sais pas plus, mais je peux m'informer davantage.

Le sénateur Carstairs : Pour terminer, est-il possible dans le cas d'Immigration Canada qui est préoccupé au sujet d'immigrants illégaux provenant d'un pays donné, par exemple, les Roms venant de Roumanie, que vous preniez ce facteur en considération dans votre analyse de risque?

M. Jolicoeur : À titre d'exemple, pas plus tard qu'il y a un an, le Costa Rica était un pays d'Amérique où les gens n'avaient pas besoin de visa pour entrer au Canada. Nous nous sommes beaucoup inquiétés au sujet de personnes qui entraient illégalement au Canada par le Costa Rica. Nous avons demandé à notre personnel de faire attention aux vols en provenance du Costa Rica. À bord de ces avions en provenance du Costa Rica, dans une grande proportion des cas, se trouvaient des gens qui n'étaient pas des ressortissants de ce pays. Les gens arrivaient au Costa Rica pour trouver une façon de venir au Canada et profitaient du fait qu'ils n'avaient pas besoin de visa. L'accent est alors mis sur le Costa Rica et non pas nécessairement sur les Costaricains et on s'intéresse plus au chemin emprunté par ces gens qu'à autre chose.

Le sénateur Andreychuk : Vous dites vous occuper d'analyse du risque, et non pas d'établissement de profils raciaux. Votre information pour l'analyse de risque s'appuie-t-elle uniquement sur ce que vous recevez de nos services de renseignement oufaites-vous votre propre analyse de risque?

M. Jolicoeur : Le modèle provient de notre organisation. Nous essayons de comprendre ce que font les autres, mais le modèle, l'analyse et les algorithmes proviennent de l'organisation. Certaines sources d'information ou de renseignement au sujet d'une personne donnée qui serait un terroriste ou un risque pour le Canada, seraient essentiellement externes; il s'agirait surtout du SCRS.

Le sénateur Andreychuk : Pourriez-vous identifier une personne comme terroriste possible à partir de vos propres ressources ou ces renseignements proviendraient-ils du SCRS, de la GRC ou d'autres sources de renseignement au Canada?

M. Jolicoeur : L'information proviendrait de l'extérieur, essentiellement du SCRS, dans le cas d'une personne donnée dont le nom serait inscrit sur la liste de surveillance.

Le sénateur Andreychuk : Par conséquent, vous n'identifiez pas de terroristes éventuels au sein de votre organisation. Vous n'en avez pas la capacité?

M. Jolicoeur : Je n'irais pas jusque là, mais dans la majorité des cas, l'information proviendrait de l'extérieur, effectivement. Nous ne menons pas d'opérations à l'extérieur de l'ASFC et nous ne cherchons pas à suivre les gens pour essayer de savoir qui fait quoi à qui. Cela ne rentre pas dans le cadre de notre mandat. Nous nous occupons de gérer l'accès au pays. Tout rapprochement fait entre une personne et un terroriste type proviendrait de l'extérieur.

Le sénateur Andreychuk : Qui, au Canada, définit la menace ou le risque? En tant que Canadienne, suis-je visée par une analyse de risque? Suis-je définie comme une menace possible? Le SCRS va dire ouvertement que c'est son mandat. La GRC va dire qu'elle est là pour faire des enquêtes. Faites-vous une partie de cette analyse de risque et définissez- vous les gens comme d'éventuels terroristes alors qu'ils peuvent ne pas se trouver sur quelque liste que ce soit?

M. Jolicoeur : Je dirais que nous le faisons, mais pas pour les terroristes. Qu'on me corrige, si je me trompe. Nous faisons la plupart de l'analyse dans le cas de fraude commerciale, de contrebande, et cetera. C'est nous qui faisons notre propre analyse.

Si une personne arrive par avion à Ottawa, par exemple, en provenance d'un autre pays, nous n'aurons pas fait le rapprochement entre cette personne et le fait qu'elle puisse être un terroriste. Il se peut que nous ayons reçu cette information et que nous l'ayons entrée dans notre système, mais l'analyse de risque que nous faisons au sujet de cette personne n'a rien à voir au fait qu'elle peut être un terroriste. Nous nous intéressons à la drogue, à la contrebande ou à d'autres détails que nous entrons dans le système.

Le sénateur Andreychuk : Vous obtenez cette information d'autres sources et l'approuvez en quelque sorte, n'est-ce pas?

M. Jolicoeur : C'est ce que je dirais.

Le sénateur Andreychuk : Y a-t-il quelqu'un au sein de votre système qui supervise cette activité?

M. Jolicoeur : L'organisation se compose de près de 12 500 personnes. Sur ce nombre, près de 5 000 sont des agents de première ligne. Ce sont les personnes qui vous amènent à l'arrière, en cas de besoin, pour vous poser des questions. Ces agents ne décident pas de ce qui va se trouver dans le système; ils ne prennent aucune décision quant au processus de choix au hasard ou du renvoi prescrit à un niveau secondaire. Cela se fait par un petit groupe qui fait partie de la direction générale de l'exécution de la loi dont Mme Deschênes est responsable. C'est un petit groupe d'agents qui sont responsables de la gestion de ce système. Nous avons un centre à Ottawa composé d'un groupe de près de 60 personnes qui gèrent quotidiennement le système. Il est prévu un système d'approbation d'entrée de données. Il existe une liste de recommandations qui est fort importante, mais à laquelle n'a accès qu'un petit nombre d'employés.

Le sénateur Andreychuk : Ce groupe relève-t-il du ministre?

M. Jolicoeur : Le ministre peut donner des ordres à l'organisation.

Le sénateur Andreychuk : Depuis 2001, on s'inquiète bien évidemment du terrorisme à la frontière et dans nos aéroports. Toutefois, votre travail en matière d'analyse de risque vise, comme vous l'avez indiqué, la drogue, la contrebande, les problèmes d'immigration, et cetera. Pouvez-vous nous dire combien de temps vous passez aux questions de terrorisme par rapport au temps que vous passez à d'autres domaines clés?

M. Jolicoeur : Vous ne voulez pas parler de moi personnellement, n'est-ce pas?

Le sénateur Andreychuk : Non, je veux parler de votre organisation.

M. Jolicoeur : Les 5 000 agents à la frontière ne font pas la différence. Toutefois, il suffit d'examiner les résultats pour se rendre vraiment compte que la saisie de drogues vient en première place, puisque c'est quelque chose qui se fait régulièrement dans les aéroports et aux frontières territoriales.

Ce n'est pas tous les jours que l'on arrête un terroriste; je dirais même que c'est rare. Du point de vue du système, la surveillance s'exerce constamment. Nous sommes toujours prêts à traiter d'une situation comme celle-ci, mais elle ne se produit pas aussi régulièrement que les autres activités dont nous sommes responsables.

Le sénateur Andreychuk : On m'a dit que nous avons été réorientés en raison de ce que le système américain et le nôtre exigent à propos du terrorisme. Les agents cherchent davantage à identifier ces personnes et à reconnaître les questions d'immigration qui en découlent au lieu de rechercher les armes illégales qui arrivent dans notre pays en grand nombre et qui créent beaucoup de problèmes au Canada. Pensez-vous que c'est ce qui se passe effectivement?

M. Jolicoeur : Nous demandons à nos agents de penser aux conséquences. Quelle est la conséquence de l'arrivée d'un terroriste qui ne serait pas arrêté à la frontière? Quelles sont les conséquences de l'introduction d'héroïne, ou de tabac au Canada?

Le sénateur Andreychuk : Ce sont les armes et les fusils qui m'inquiètent le plus.

M. Jolicoeur : Nous venons juste de signer un accord avec le commissaire aux armes à feu et nous disposons d'un processus pour arrêter l'introduction des armes à la frontière; nous avons du matériel pour ce faire que nous n'avions pas auparavant. Cela devient un volet plus vaste de notre mandat. Je ne dirais pas que c'est moins important; je n'aime pas le dire, mais j'ai l'impression que si je voulais amener des armes dans le pays, j'utiliserais d'autres moyens, mais je ne veux pas m'étendre sur ce point.

Le sénateur Andreychuk : Je ne suis pas sûre de bien comprendre. Lorsque nous avons travaillé sur la Loi sur les armes à feu, nous avons appris que beaucoup d'armes à feu étaient introduites au Canada à cause de la porosité de notre frontière à l'époque et que nous devions affecter nos ressources et nos fonds à la consolidation de notre frontière. Êtes-vous en train de nous dire que les armes à feu sont introduites d'une autre façon?

M. Jolicoeur : La frontière est très étendue. Chaque fois que vous consolidez un point frontalier, vous invitez les contrebandiers à passer ailleurs. Nous avons un système en place aux passages frontaliers. Nous recherchons les armes à feu. Dans le cas de camions plus gros, par exemple, nous utilisons le système de scanner VACIS. Nous avons un processus en place à cet égard. Je ne dispose pas encore d'un moyen permettant d'évaluer notre taux de réussite.

Le sénateur Joyal : Nous n'avons pas abordé la question de l'application de la loi en ce qui concerne le CANAFE et les voyageurs qui ont plus de 10 000 $ sur eux. Je suis au courant de certaines affaires devant la cour de l'Ontario qui s'appuient sur la Charte des droits et sur le fait qu'en vertu de la loi, c'est aux personnes détenant ces fonds que revient la responsabilité de prouver que la possession de cet argent est légale. Existe-t-il d'autres affaires relativement à d'autres aspects de la loi dont est actuellement saisie la cour et qui s'appuient sur la Charte?

M. Dunbar : Je peux me renseigner et vous répondre par la suite. Nous suivons également ces affaires. S'il y en a d'autres, je vous le ferai savoir.

Le sénateur Joyal : Ce qui nous intéresse le plus, entre autres choses, c'est que nous devons nous assurer que votre agence fonctionne dans le cadre constitutionnel du Canada. C'est une question importante en ce qui a trait à l'article 7 de la Charte. Les membres du comité voudront savoir quels aspects de votre organisation pourraient aller à l'encontre des dispositions de la Charte; nous allons donc attendre ce rapport avec impatience.

La présidente : Merci à tous d'être venus. Nous avons abordé des questions difficiles et vous avez fait preuve de beaucoup de patience. Le comité s'intéresse au plus haut point à ce que vous faites. Je vous demande donc de nous envoyer l'information voulue. Comme il nous reste beaucoup de temps avant la date limite qui nous a été fixée, il se peut que d'ici quelques mois nous vous demandions de revenir.

Collègues, merci beaucoup; nous avons eu une longue journée.

La séance est levée.


Haut de page