Aller au contenu
ANTT - Comité spécial

Antiterrorisme (Spécial)

 

Délibérations du comité sénatorial spécial sur la
Loi antiterroriste

Fascicule 12 - Témoignages - Séance du matin


OTTAWA, le lundi 30 mai 2005

Le Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste se réunit aujourd'hui, à 10 h 34, pour faire un examen approfondi des dispositions et de l'application de la Loi antiterroriste (L.C. 2001, ch.41).

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Je déclare la séance ouverte. C'est lavingt-cinquième fois que le Comité sénatorial spécial de laLoi antiterroriste siège pour entendre des témoins.

En octobre 2001, en réaction directe aux attaques terroristes menées à New York, à Washington, D.C., et en Pennsylvanie et à la demande des Nations Unies, le gouvernement du Canada a déposé le projet de loi C-36, Loi antiterroriste. Étant donné l'urgence de la situation, le Parlement avait été prié d'accélérer l'étude de ce projet de loi, ce que nous avions accepté de faire. L'échéance fixée pour l'adoption du projet de loi était la mi-décembre 2001.

Toutefois, on avait fait remarquer qu'il était difficile d'évaluer à fond l'éventuel impact du projet de loi en si peu de temps. C'est pourquoi il avait été convenu qu'au bout de trois ans, le Parlement serait prié d'examiner les dispositions de la loi et son impact sur les Canadiens avec le bénéfice du recul et dans un climat émotionnellement moins chargé. Les travaux qu'effectue actuellement le comité spécial représentent les efforts déployés par le Sénat pour assumer cette obligation.

À la fin de l'examen, nous ferons rapport au Sénat et nous soulignerons tout point qu'il faudrait à notre avis régler. De plus, nous mettrons les résultats de nos travaux à la disposition du gouvernement et, bien sûr, du public canadien. Un examen analogue est également en cours dans l'autre endroit.

Jusqu'ici, le comité a rencontré des ministres et des hauts fonctionnaires du gouvernement, des experts internationaux et nationaux qui lui ont parlé du contexte de la menace, des experts juridiques et des personnes qui travaillent à l'exécution de la loi et à la collecte de renseignements de sécurité.

Ce matin, c'est avec beaucoup de plaisir que nous accueillons, du Commissariat à l'information du Canada, l'honorable John Reid, commissaire, accompagné d'Alan Leadbeater, sous-commissaire, de Dan Dupuis, directeur général des Enquêtes et révisions, et de Daniel Brunet, avocat général.

Ce n'est pas la première fois que le comité rencontre M. Reid puisqu'il avait témoigné durant les audiences initiales qui ont eu lieu en 2001.

Monsieur Reid, vous avez la parole.

M. John Reid, commissaire à l'information, Commissariat à l'information du Canada : Je vous remercie. Je suis ravi de rencontrer à nouveau votre comité, car il a accumulé depuis lors beaucoup d'expertise dans le domaine à l'étude. J'ai fait distribuer à tous les membres du comité un exemplaire du texte de ma déclaration. J'aimerais qu'il soit réputé avoir été lu et peut-être joint en annexe. Je vais vous en décrire rapidement les points saillants.

La présidente : Plaît-il au comité de réputer la déclaration comme ayant été lue et de la joindre en annexe au compte rendu des délibérations?

Des voix : D'accord.

(Le texte du document figure à l'annexe A.)

M. Reid : J'aimerais commencer par paraphraser un bout du rapport final d'un comité sénatorial qui s'est penché sur la sécurité dans les aéroports canadiens. Le comité a affirmé que le secret déraisonnable va à l'encontre de la sécurité nationale, parce qu'il maintient dans l'ombre l'incompétence et l'inaction au moment même où on a tant besoin de compétence et d'action.

J'en parle parce que l'effet du projet de loi C-36 sur le Commissariat à l'information et sur la Cour fédérale est de soustraire à leur regard les activités menées par les forces de sécurité au Canada. La reddition de comptes est sensiblement diminuée quand le gouvernement peut émettre un certificat qui élimine le rôle du Commissariat à l'information, soit d'examiner des renseignements secrets demandés par des particuliers canadiens, et lorsqu'il enlève au juge la possibilité de se prononcer sur le fond d'une demande de communication de renseignements.

À la page 5 de ma déclaration, vous trouverez une analyse de cette question. Le passage cité est une déclaration de la ministre de la Justice d'alors. Il porte sur la présumée existence d'une échappatoire à l'article 15 de la Loi sur l'accès à l'information.

À notre avis, il n'y a pas d'échappatoire, parce que les dispositions relatives à la protection de la Loi sur l'accès à l'information sont très musclées et rigoureuses. Depuis l'entrée en vigueur de la Loi sur l'accès à l'information, il y a 22 ans, jamais de l'information injurieuse n'a été communiquée au grand public en vertu de cet article. C'est en fait un des articles les plus musclés de la loi qui interdit la communication d'information aux citoyens qui en font la demande.

Nous souhaitons faire six recommandations. La première serait de supprimer l'article 38.13 de la Loi sur la preuve au Canada, parce que l'article 38.02 prévoit déjà ce genre de protection.

Ensuite, nous aimerions que soit supprimé l'article 87 de laLoi antiterroriste, c'est-à-dire 103 et 104, pour permettre la tenue d'une enquête indépendante par le commissaire à l'information.

Notre troisième recommandation est de modifier l'article 87 de manière à le faire correspondre aux articles 103 et 104.

Quatrièmement, nous aimerions que soit modifié l'article 38.131 de la Loi sur la preuve au Canada,de manière à permettre une révision de fond par la Cour fédérale. Actuellement, la cour n'est pas habilitée à faire de pareils examens dans ces circonstances.

Cinquième point, il faudrait réduire la période d'application du certificat prévu à l'article 38.13 de manière à la faire passer de 15 ans à 5 ans au plus.

La sixième recommandation consiste à inclure le commissaire à l'information et le commissaire à la protection de la vie privée au paragraphe 10(3) de la Loi sur la protection de l'information — en raison de notre statut quasi judiciaire.

La Loi sur l'accès à l'information porte essentiellement sur la reddition de comptes. Nous craignons qu'en retirant le commissaire à l'information et la cour fédérale du processus, on diminue considérablement la reddition de comptes, on fasse augmenter sensiblement le secret et on injecte une bonne part d'irresponsabilité dans la structure de la sécurité. Quand vous n'êtes pas tenu de rendre des comptes à un tiers indépendant, votre conception de ce que vous pouvez et ne pouvez pas faire est très différente. Il est très sain de prévoir des mécanismes de reddition de comptes.

La semaine dernière, j'ai assisté à un colloque tenu par l'Université Carleton et le CSARS. Il portait sur la reddition de comptes des organismes de service secret, des organismes de sécurité. Des experts du monde entier étaient présents, et le débat a été très animé. Il semblait, selon ceux dont la spécialité est de faire de la reddition de comptes, que plus on fait des examens internes, particulièrement à l'extérieur du gouvernement et du service de sécurité immédiatement visé, plus y a de reddition de comptes et mieux fonctionne le service de sécurité parce qu'il est alors obligé de porter un jugement et de se faire conseiller avant d'agir.

Il nous faut reconnaître que le projet de loi C-36 a changé la nature du travail que nous demandons à nos forces de sécurité d'exécuter. Nous sommes passés d'un système de réaction à un régime proactif. Cette nouvelle approche impose un fardeau additionnel aux services de sécurité, mais nous n'avons pas assorti les nouveaux pouvoirs de mécanismes essentiels de surveillance et de reddition de comptes.

Le sénateur Lynch-Staunton : Afin de mieux comprendrepeut-être vos inquiétudes, que vous aviez partagées avec nous lorsque le projet de loi à l'étude avait été soumis à une étude préalable, des certificats ont-ils été émis? Pouvons- nous nous concentrer sur un exemple au moins de certificat émis?

M. Reid : Que je sache, aucun certificat n'a été émis. À mon avis, on attend d'avoir une cause type pour le faire et, une fois qu'on aura commencé à le faire, on prendra beaucoup plus de libertés.

Le sénateur Lynch-Staunton : Je peux sympathiser avec votre approche en tant que commissaire à l'information et avec la raison d'être du Commissariat, mais je peux aussi comprendre que le gouvernement veuille que certaines informations soient tenues secrètes. Il y a là quelque chose qui m'échappe, de toute évidence, et si vous voulez bien ne pas perdre patience avec moi, vous arriverez peut-être à me convaincre que votre cause est plus solide qu'elle ne semble l'être.

M. Reid : La Loi sur l'accès à l'information prévoit de très puissantes exceptions au droit d'accès, pour des raisons de sécurité. Toute la protection requise dans le passé et, d'après ce que je peux voir, à l'avenir s'y trouve déjà.

Le nouveau régime met en place un système dans le cadre duquel, si quelqu'un demande la communication de renseignements qui effleurent même la question de la sécurité, le gouvernement peut délivrer un certificat qui met fin à toute l'enquête, qui interdit même la communication de documents qui ne sont pas classifiés.

En retirant le Commissariat à l'information du processus, on crée un contexte où il n'y a pas de tierce partie pour examiner la documentation refusée en toute légitimité aux termes de l'article 15 de la loi. C'est cet article qui permet de décider de ce qui est communiqué et de ce qui ne l'est pas. Je ne crois pas que le gouvernement ait, depuis l'entrée en vigueur de la loi il y a 22 ans, contesté la rigueur de cet l'article. Quant au groupe de travail qui a fait rapport en l'an 2000, pour lui, la question ne se posait même pas. Dans tous les autres rapports que j'ai pu lire au sujet de la Loi sur l'accès à l'information, cela n'a jamais posé problème. C'est devenu un problème uniquement quand le gouvernement a déposé le projet de loi C-36.

Le sénateur Lynch-Staunton : Voilà qui m'éclaire un peu, mais il doit y avoir des cas où le gouvernement ne voudrait même pas que le commissaire à l'information soit au courant de ce qu'il estime devoir être tenu secret.

M. Reid : C'est courant.

Le sénateur Lynch-Staunton : Oui, mais le commissaire à l'information peut intercéder.

M. Reid : C'est juste.

Le sénateur Lynch-Staunton : Dans ce cas-ci, il ne peut le faire?

M. Reid : Quand le commissariat exerce son pouvoir en tant que cour supérieure d'archives, le gouvernement peut émettre un certificat visant à supprimer le rôle non seulement du commissaire à l'information, mais également de la Cour d'appel fédérale.

Le sénateur Lynch-Staunton : Vrai.

M. Alan Leadbeater, sous-commissaire à l'information du Canada, Commissariat à l'information du Canada : Aux termes de l'article 38.13 de la Loi sur la preuve au Canada qui se trouve dans le texte législatif à l'étude, un certificat peut être délivré au cours d'une de nos enquêtes. Nous sommes en train d'examiner de l'information, nous l'avons vue, nous l'avons devant nous. Le gouvernement souhaite simplement mettre fin à notre enquête, que nous ne présentions pas de recommandation, que nous ne fassions pas d'observation au sujet de cette information, que nous ne lancions pas de poursuites à son sujet. Ce n'est pas une question de nous empêcher de voir l'information, mais bien de ne pas avoir à rendre des comptes.

De la même façon, quand un tribunal est saisi de la question, on a l'occasion de soumettre le certificat à un seul juge de la Cour d'appel fédérale. Le juge peut voir l'information, mais il ne peut pas décider s'il est dans l'intérêt public de la communiquer, s'il s'agit vraiment d'un renseignement de nature délicate en matière de sécurité nationale. Il peut uniquement confirmer que l'information a trait à la sécurité nationale. Il n'existe aucun critère pareil dans le droit soumis au regard de la Cour fédérale. Il n'en est pas question, non plus, dans les dispositions relatives au secret de l'article 38.02 de la Loi sur la preuve au Canada, que nous comprenons. C'est là la disposition, je crois, que vous voulez. À n'importe quel moment, le gouvernement peut dire qu'il souhaite que l'information soit secrète. C'est à l'article 38.02. La question est soumise à la cour, et un juge décide s'il est vraiment nécessaire d'empêcher la communication de l'information dans l'intérêt public.

L'article 38.13 est un peu la cerise sur le gâteau. Quand tout le reste a échoué et qu'on ne peut établir l'existence d'une raison légitime pour interdire la communication de l'information, le gouvernement souhaite alors pouvoir en refuser la divulgation, sans autre recours. Une pareille disposition n'existe nulle part ailleurs dans le monde.

Le sénateur Lynch-Staunton : J'essaie encore de comprendre. La ministre a laissé entendre qu'il existait une échappatoire à l'article 15, article qui, selon vous, s'est avéré efficace au cours des 22 dernières années. Dans le texte de votre déclaration, vous contestez cette affirmation. Peut-être pourriez-vous expliquer pourquoi vous niez l'existence de l'échappatoire.

M. Reid : Le commissaire à l'information n'a pas le pouvoir d'ordonner la publication d'un document; il ne peut que faire des recommandations. Par conséquent, ce ne sera pas le commissaire à l'information qui communiquera l'information secrète. Cependant, la personne qui a demandé l'information a le droit d'interjeter appel de cette décision auprès de la Cour fédérale et d'exiger que cette information lui soit communiquée. C'est à ce stade que la Cour fédérale, de même que le Commissariat à l'information, sont retirés du processus parce que la Cour fédérale ne peut plus ordonner la communication de l'information. C'est le point que faisait valoir M. Leadbeater.

Le sénateur Lynch-Staunton : Je comprends beaucoup mieux votre approche maintenant.

Le sénateur Jaffer : Si je vous ai bien compris, vous avez affirmé que le gouvernement n'avait pas encore trouvé la cause type pour émettre un certificat aux termes de la loi. Pourtant, il l'a fait sous le régime de la Loi sur l'immigration. Est-ce bien parce qu'il n'a pas de cas légitime à défendre? La Loi sur l'immigration s'applique seulement à des non- Canadiens et il n'y a pas eu de cas mettant en jeu des Canadiens. Auriez-vous de l'information à ce sujet?

M. Reid : Non.

Le sénateur Jaffer : En ce qui concerne la reddition de comptes et la fonction de surveillance, si on vous demandait de faire des recommandations, quel genre de mécanisme de surveillance proposeriez-vous? D'autres témoins nous ont fait plusieurs recommandations à ce sujet. En ce qui concerne l'information que vous communiquez, quel genre de mécanisme de surveillance aimeriez-vous voir en place?

M. Reid : Il existe deux genres de surveillance. Il y a celle, d'une part, qui est assurée par un tiers indépendant comme le Commissariat à l'information et, d'autre part, la révision faite par un tribunal. J'estime que cette dernière forme est importante.

À mon avis, la surveillance de l'activité du SCRS est efficace. Toutefois, celle qui concerne la GRC est plus problématique. Lors du colloque auquel j'ai assisté, la commissaire chargée de surveiller l'activité en Irlande du Nord nous a conseillés d'avoir un seul organe de surveillance pour tous les systèmes de renseignement de sécurité, parce qu'en l'absence d'un régime unique, il y aura des failles à travers lesquelles pourront passer certaines choses. Elle a dit qu'il n'était pas suffisant d'avoir des systèmes indépendants, notamment un pour le nouveau ministère dirigé par Mme McLellan, un pour la GRC et un autre pour le CSARS. Ce qu'il faut, c'est un régime unique qui s'occupe de tout cela pour faire en sorte que la reddition de comptes est directe, constante et ininterrompue. Ce serait la recommandation que je ferais à cet égard.

Le sénateur Jaffer : Si je vous ai bien compris, vous dites que le ministère de Mme McLellan, le CSARS et la GRC devraient tous relever d'un même organe. Le ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile n'a pas de mécanisme de surveillance pour l'instant. La seule fonction de surveillance relève de la ministre. Vous préconisez que toutes les questions de sécurité relèvent d'un seul organe. C'est bien cela?

M. Reid : C'est juste — un organe indépendant et s'inspirant du modèle du CSARS, cette entité chargée de surveiller l'activité du SCRS.

Le sénateur Jaffer : Ferait-il rapport au Parlement?

M. Reid : Bien sûr!

Le sénateur Jaffer : Voilà qui est utile.

J'ai une autre question, et vous n'avez peut-être pas eu le temps de vous pencher sur cette préoccupation parce qu'elle est plutôt nouvelle. Donc, si vous n'avez pas eu le temps d'examiner cette question, je vous demanderais de nous faire parvenir plus tard une réponse par écrit. Ma question concerne les services consulaires, un point qui préoccupe vivement également tous mes collègues. J'ai toujours cru que les services consulaires relevaient du domaine privé, que les échanges entre la personne détenue à l'étranger et le consul étaient privés. Voilà que nous apprenons que cette information était partagée avec la GRC et avec le SCRS.

Pourriez-vous, je vous prie, nous donner votre opinion à ce sujet, si vous avez examiné ce partage de l'information?

M. Reid : De pareilles questions ne relèvent pas du mandat du Commissariat à l'information. C'est là le travail du commissaire à la protection de la vie privée.

Le sénateur Jaffer : Il faudra donc lui poser la question.

M. Reid : Oui.

Le sénateur Jaffer : J'aimerais en revenir à ma première question, au certificat émis aux termes de l'article 38.13. Bien que vous espériez que la ministre n'ait jamais à avoir recours à ce certificat, vous avez expliqué qu'il faut qu'il y ait un cas précis et que le gouvernement attend d'avoir un cas type. J'aimerais que vous nous en disiez plus à ce sujet. Quel genre de situation représenterait, selon vous, un cas type pour le gouvernement?

M. Reid : J'ai été incapable de concevoir un cas type dans le cadre duquel le gouvernement aurait à exercer ce pouvoir en raison des dispositions relatives à la sécurité de la Loi sur l'accès à l'information. Il m'a toujours été difficile de comprendre le raisonnement. Le seul raisonnement qui tienne, comme je le dis dans le texte de ma déclaration, est que, parce que le commissaire à l'information peut faire une recommandation pour que la cour en soit saisie, le gouvernement craint que les tribunaux autorisent la communication d'information qui, à son avis, ne devrait pas être communiquée. C'est là la seule explication que je peux vous fournir.

Si l'on commence à s'interroger sur la nature de l'information, il m'est difficile de vous fournir un exemple.

M. Leadbeater : La question des critères auxquels doit satisfaire le gouvernement pour justifier le secret a été examinée par la cour fédérale dans l'affaire X c. Canada (ministre de la Défense nationale) — et le critère, pour justifier le maintien du secret aux termes du droit existant, sans tenir compte du certificat, est le suivant :

J'accepte l'argument de l'avocat de l'intimé selon lequel je n'ai pas le droit d'ordonner la communication simplement parce que j'aurais tiré une conclusion différente de celle du responsable de l'institution. Je peux ordonner la communication uniquement je ne peux dire qu'aucune personne raisonnable ne serait parvenue à la conclusion, compte tenu des faits présentés, que les documents devraient être exemptés. Si j'applique les critères et que je m'en tiens à la preuve dont je dispose, comme je dois le faire, je ne peux conclure qu'il existe des motifs raisonnables de refuser de communiquer les passages...

On a recours à un certificat en vertu de l'article 38.13 lorsque aucune personne raisonnable ne peut parvenir à la conclusion que le secret est nécessaire. D'après nos 22 années d'expérience sous le régime de la Loi sur l'accès à l'information, je peux vous dire que c'est habituellement lorsque le gouvernement s'est trouvé dans l'embarras que l'on a eu recours à ce paragraphe. Dans les autres cas, il faut respecter les critères, et il s'agit d'une norme très peu élevée à respecter. Si on ne peut pas respecter les critères, et qu'un certificat s'avère nécessaire, c'est généralement, d'après notre expérience, parce que le gouvernement est dans l'embarras.

Le sénateur Fraser : Il y a deux éléments que je veux aborder. Premièrement, je veux faire suite à une des réponses que vous avez donnée au sénateur Jaffer concernant la surveillance. Je crois que vous avez déclaré que, dans le cas de l'Irlande du Nord, un organisme de surveillance surveille tous les systèmes d'information.

M. Reid : Non, il surveille tous les systèmes de sécurité et tous les organismes de sécurité.

Le sénateur Fraser : Tout ce qui est fait au nom de la sécurité.

M. Reid : C'est exact; tout ce qui est fait par l'armée, la police et les services secrets. Le budget en Irlande du Nord s'élève, je crois, à environ 16 millions de dollars canadiens.

Le sénateur Fraser : En dollars canadiens.

M. Reid : Oui.

Le sénateur Fraser : Je veux dire que c'est ce qu'un tel organisme coûterait au Canada.

M. Reid : Je crois que nous attribuons 2,5 millions de dollars environ au Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, qui supervise le SCRS. Je ne connais pas le budget dont dispose la commission des plaintes de la GRC.

Le sénateur Fraser : Nous pouvons nous renseigner.

M. Reid : Nous avons un système pour la GRC et un autre pour le SCRS. On peut les considérer comme une extension de l'armée et du ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile, et probablement du Centre de la sécurité des télécommunications ainsi que de quelques autres organismes.

Le sénateur Fraser : D'autres personnes nous ont recommandé de mettre en place un seul organisme de surveillance. Les avantages sont évidents, à savoir notamment que rien ne pourrait soi-disant passer entre les mailles du filet. Cela m'amène à me demander si c'est une bonne chose qu'un seul organisme en sache autant. Cette solution n'est pas nécessairement rationnelle — peut-être en fait qu'elle l'est un peu — mais elle est aussi émotionnelle.

M. Reid : Non, il s'agit d'une solution raisonnable étant donné les circonstances.

M. Leadbeater : Puis-je signaler que le gouvernement intègre tout cela par l'entremise du coordonnateur de la sécurité et du renseignement de sécurité au sein du Bureau du Conseil privé et par l'entremise du ministère, alors le fait de ne pas avoir un organisme de surveillance qui, de son côté, effectue minutieusement l'intégration est défavorable pour le gouvernement.

M. Reid : Le fait que divers organismes effectuent la surveillance pose un autre problème, à savoir qu'il y a de la concurrence entre chacun.

Le sénateur Fraser : Oui, j'en suis certaine, comme c'est le cas partout ailleurs.

Le deuxième élément que je voulais aborder concerne le problème que posent l'article 38.13 et l'article 87.

Je sais que, dans une certaine mesure, nous ne faisons que suppositions, car le cas ne s'est pas encore présenté, mais, si je comprends bien, ces dispositions comportent deux problèmes. L'un est l'absence d'un mécanisme d'appel une fois que le certificat a été délivré, et l'autre, est celui que soulève M. Reid dans son mémoire, à la page 9. Il est écrit :

Et cette ingérence ne se limite même pas aux renseignements visés par les certificats d'interdiction.

La délivrance d'un certificat d'interdiction, même pour un seul document, a pour effet de mettre fin à l'instruction de l'ensemble de l'affaire par la Cour fédérale, même si cette instruction va bien au-delà du document visé par le certificat.

Je présume que l'article 87 est celui qui entraîne un ajout à l'article 69 de la Loi sur l'accès à l'information.

M. Reid : C'est exact.

Le sénateur Fraser : Cet article stipule qu'une fois qu'un certificat a été délivré — il doit être établi préalablement que le certificat est délivré pour des raisons très restreintes, notamment dans le cas de documents provenant d'organismes étrangers, de la défense nationale ou d'organismes de sécurité — une plainte peut être déposée relativement à une demande de communication des renseignements visés par le certificat. Ce sont les procédures portant sur la plainte qui doivent être interrompues, si j'ai bien lu.

Pourquoi ai-je tort? Je sais que vous pensez que j'ai tort, mais pourquoi ai-je tort?

M. Leadbeater : Madame le sénateur, je crois que je peux vous aider. Je vais vous demander d'aller à l'article 87, dont vous avez parlé, ainsi qu'à l'article 104.

Comme vous pouvez le voir, l'article 104 est censé établir un parallèle, si le commissaire à la protection de la vie privée mène une enquête et qu'un certificat a été délivré. À l'alinéa 2a), on dit que toutes les procédures prévues par la présente loi portant sur la plainte sont interrompues.

Si vous lisez la même disposition qui a trait à la Loi sur l'accès à l'information, vous verrez qu'il est écrit aussi que toute procédure prévue par la présente loi et portant sur la plainte est interrompue. Les plaintes ont tendance à porter sur la façon dont on a traité à la frontière une personne qui a demandé des renseignements. Certains des documents peuvent en fin de compte être visés par un certificat, et d'autres ne le seront pas.

Ce que nous faisons valoir, c'est que le libellé de l'article 87 fait en sorte que l'enquête entière doit être interrompue, ce qui va même à l'encontre d'autres dispositions de la loi, notamment les articles 103 et 104. Ces deux articles tentent d'imposer des limites, mais lorsqu'il s'agit d'une plainte en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, ce n'est pas le cas. D'après ce que nous comprenons, il en est ainsi en partie parce qu'une plainte déposée en vertu de la Loi sur la protection de la vie privée concerne des renseignements personnels tandis qu'une plainte en vertu de la Loi sur l'accès à l'information peut concerner des documents du gouvernement, des renseignements personnels ou d'autres informations. Le gouvernement préfère que toute l'enquête soit interrompue plutôt que de restreindre cela aux renseignements personnels.

Le sénateur Fraser : Cela est réécrit dans les mêmes termes que les articles 103 et 104. Vous m'avez bien éclairé.

Le sénateur Joyal : Je regrette d'avoir accepté que le témoin principal, M. Reid, ne lise pas son mémoire. Nous avons la chance que nos délibérations soient diffusées, et j'estime que votre mémoire contient des points très importants dont de nombreux auditeurs ne pourront pas prendre connaissance, car pour obtenir une copie papier, ils doivent présenter une demande pour recevoir le procès-verbal de la séance. Les points que vous soulevez dans votre mémoire sont très importants. J'aimerais y revenir de sorte que le contenu de votre mémoire soit connu.

Vous expliquez en premier lieu la raison justifiant l'établissement dans le projet de loi C-36 d'un système de certificat qui entraîne l'interruption de votre travail — que ce soit quelque chose que vous voulez faire ou quelque chose que vous êtes en train de faire, comme vous l'avez expliqué au sénateur Fraser — dans le cadre d'un enquête. Si, au courant d'une enquête, on ordonne de tout interrompre, aucun appel n'est possible. La raison a été expliquée par la ministre, que vous citez dans votre mémoire. Elle a déclaré que nos alliés, c'est-à-dire les pays qui fournissent aux services de police du Canada des renseignements spéciaux, auraient le sentiment qu'ils courent un risque trop grand que les renseignements deviennent publics au Canada d'une manière ou d'une autre. C'est pourquoi selon elle le gouvernement du Canada doit garantir à ses alliés que tous les renseignements fournis au Canada demeureront secrets. C'est la raison invoquée par la ministre, telle que vous l'avez citée dans votre mémoire, à la page 5.

Plus loin dans votre mémoire, à la page 12, vous écrivez :

Personnellement, il m'est difficile de croire que le gouvernement de l'un ou l'autre de nos principaux alliés insisterait, comme condition de l'échange d'information, que les décisions relatives au secret au Canada ne soient pas assujetties à la rigueur des normes régies par la loi et à un examen indépendant.

Vous écrivez ensuite :

Dans les conversations que nous avons eues avec nos juridictions alliées, nous avons cru comprendre qu'elles veulent toute la même chose : elles veulent la simple assurance que ce qui doit être protégé peut l'être, et aucune d'elles ne doute de la capacité du Canada à le faire sous le régime de l'actuelle Loi sur l'accès à l'information.

Vous dites donc clairement que, d'après l'enquête que vous avez vous-même menée auprès des alliés du Canada — et bien entendu je vais vous demander de quels pays il s'agit — vous avez cru comprendre qu'ils estiment que l'actuelle Loi sur l'accès à l'information fournit une protection suffisante à leurs yeux pour qu'ils continuent de transmettre des renseignements secrets au Canada.

Pouvez-vous en dire plus long au sujet de cette enquête que vous avez menée pour obtenir l'avis des pays alliés du Canada, que vous donnez à la page 11?

M. Reid : Oui. M. Leadbeater était en charge du projet.

M. Leadbeater : Vous vous souvenez peut-être que le témoin pour le gouvernement était M. Richard Mosley, qui est maintenant membre de la Cour fédérale. M. Mosley etmoi-même avons eu de nombreuses conversations sur le sujet. Je lui ai demandé si lui ou la ministre serait disposé à nous fournir de la correspondance révélant qu'un pays allié était préoccupé à propos de la capacité du Canada de protéger des renseignements de sécurité de nature délicate ou révélant qu'un allié hésitait à fournir des renseignements au Canada. J'ai dit à M. Mosley que je n'avais pas à savoir de quels renseignements il s'agissait, mais que j'étais d'avis qu'il devait bien y avoir eu une telle correspondance puisque le gouvernement du Canada a élaboré une mesure législative uniquement pour cette raison. M. Mosley a été incapable de fournir cette information, ou il n'a pas voulu, à l'instar de la ministre.

Nous avons alors décidé de communiquer avec nos homologues, c'est-à-dire des organismes responsables de l'accès à l'information et de la protection de la vie privée dans d'autres pays. Aux États-Unis, il n'existe aucun organisme de la sorte; c'est le département américain de la Justice qui s'occupe de ce domaine. Il existe de tels organismes par contre en Australie, en Nouvelle-Zélande et en Grande-Bretagne, avec lesquels nous avons communiqué. Aucun n'a déclaré être au courant que des organismes de sécurité craignent que le Canada soit difficilement capable de protéger des renseignements de nature délicate. Dans leur propre pays, tous ces organismes ont un droit de regard sur les renseignements qui sont transmis.

C'est ce qui nous a amenés à penser que la raison invoquée, c'est-à-dire que les alliés ont exprimé des préoccupations à propos de la capacité du Canada de protéger les renseignements, n'est pas très valable, voire aucunement valable.

Le sénateur Joyal : À votre avis, qui serait à l'origine de l'établissement de ce système de certificat qui vous empêche d'effectuer votre travail dans un contexte satisfaisant, si ce ne sont ni les États-Unis, ni la Grande-Bretagne, ni tout autre pays avec lequel le Canada détient une entente en matière de communication de renseignements de nature délicate? Qu'est-ce qui serait plus ou moins un critère préalable qui ferait en sorte que vous seriez exclu du système pour pouvoir continuer à collaborer avec le Canada? Quels sont les arguments? Qui au sein du système aurait fourni les renseignements qui selon vous devraient être là?

M. Leadbeater : La plupart des bureaucrates souhaitent ardemment pouvoir se soustraire aux exigences de la Loi sur l'accès à l'information. C'est une rigueur qu'il est difficile d'imposer aux bureaucrates. Dans le milieu du renseignement de sécurité, c'est le plus grand souhait, et le 11 septembre a donné à tout le monde l'occasion de sortir sa liste de souhaits. C'était l'un des souhaits et c'est l'une des raisons pour lesquelles on n'a pas très bien utilisé la loi. Le gouvernement se rend compte qu'il doit admettre que, lorsqu'il y a recours, il ne peut donner une justification raisonnable. Il n'existe aucune justification raisonnable pour le secret, mais il demeure que nous le voulons.

Je ne crois pas que ce soit venu du milieu politique. C'est venu des bureaucrates au sein des organismes du renseignement de sécurité.

M. Reid : Cela provient du fait que personne n'aime être tenu responsable.

Le sénateur Joyal : J'essaie de comprendre pourquoi le secret peut être justifié. On ne veut pas que les gens visés par une enquête soient au courant qu'on mène une enquête sur eux. Le droit protège les droits de ces personnes. Le gouvernement, les services de police et les services secrets doivent avoir recours aux tribunaux. Ce n'est que durant une période limitée qu'ils peuvent dévoiler les renseignements. S'ils agissent mal, ils doivent demander l'autorisation. Il faut qu'il existe un mécanisme de freins et contrepoids dans le système.

D'un autre côté, tout cela nécessite une justification raisonnable. Il faut expliquer aux autorités appropriées la raison pour laquelle les renseignements sont partagés ou la raison pour laquelle les renseignements ne devraient pas être communiqués et leur préciser pendant combien de temps.

Essentiellement, selon la règle de droit, il ne faut pas seulement qu'il y ait une mesure législative, il faut aussi qu'il existe un système judiciaire. L'un ne va pas sans l'autre. La règle de droit implique qu'il faut non seulement une mesure législative, mais aussi un appareil judiciaire pour appliquer la règle de droit.

Dans le cas d'une procédure particulière, comme la délivrance d'un certificat, il faut penser au second aspect, c'est-à- dire la surveillance associée à la délivrance du certificat. Qui veillera à ce que le certificat qui interdit la communication des renseignements soit établi adéquatement, en respectant les obligations du Canada sur la scène internationale et de manière efficace?

D'après la façon dont vous présentez votre cas, il me semble que le système judiciaire qui doit assurer la surveillance ne respecte pas les fondements de la règle de droit. Autrement dit, tout demeure secret dans le monde du secret. Aucun système judiciaire n'a la responsabilité de veiller à ce qu'il y ait un équilibre. Comme vous nous l'avez dit, le système de certificat a été établi surtout à cause du fait que nos alliés nous demanderaient un tel certificat. D'après ce que vous avez pu vérifier auprès d'autres pays avec lesquels le Canada collabore, ces pays ne se sont pas dotés d'un tel système. Il n'existe aucun système qui aille aussi loin que le système canadien. Ai-je raison?

M. Leadbeater : Lorsque nous avons comparu l'autre jour, nous avons remis aux membres du comité un tableau présentant les autres pays et leurs systèmes de surveillance. Nous serions ravis de vous en remettre d'autres copies. Nous devrons vérifier s'il y a eu des changements.

Sénateur, lorsque nous avons soulevé ces préoccupations la première fois, le gouvernement s'est remis au travail et a présenté un projet de loi modifié. Dans ce projet de loi, nous avons vu pour la première fois la disposition 38.131, à la page 93, je crois. Cette disposition permet à un juge de la Cour d'appel fédérale d'assurer la surveillance. Avant cela, il n'existait aucune surveillance. Il s'agit d'une disposition extrêmement intéressante parce que nous prétendons que ce n'est que de la poudre aux yeux. Aucun examen substantiel par un tribunal n'est prévu en vertu de cette disposition. À la page 93, au paragraphe 38.131(8) établit ce qu'un juge doit faire lorsqu'il examine un certificat.

Si le juge estime qu'une partie des renseignements visés par le certificat ne porte pas sur des renseignements obtenus à titre confidentiel d'une entité étrangère — au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la protection de l'information — ou qui concernent une telle entité ni sur la défense ou la sécurité nationales, il modifie celui-ci en conséquence par ordonnance.

Si des informations sont détenues par le ministère des Affaires étrangères, la Défense nationale, le SCRS, Sécurité publique et Protection civile Canada, notamment, la norme voulant que l'information « porte sur » la sécurité nationale sera satisfaite. Il ne s'agit pas de toute évidence d'un examen approfondi. L'article 38.02 prévoit un mécanisme de révision qui permet de contester la divulgation jusqu'en Cour fédérale, laquelle peut déterminer s'il existe des raisons d'intérêt public justifiant la divulgation qui l'emportent sur les motifs de sécurité nationale.

Le point que vous faites valoir dans votre question a été pris en compte par le gouvernement à la dernière occasion, mais la réponse fournie avec l'article 38.131 ne devrait pas leurrer personne. Cela ne règle rien au problème que vous avez soulevé.

Le sénateur Joyal : Avez-vous vérifié le fonctionnement du système britannique par rapport à l'examen des certificats de sécurité? Les juges peuvent être plus ou moins clairs; ils développent la capacité de régler des causes difficiles ou connexes traitant de sécurité et nous savons donc que les tribunaux possèdent les connaissances et l'expertise professionnelle requises pour régler ce genre de questions. Je comprends bien les préoccupations du gouvernement. Il doit s'assurer que le système demeure rigoureux pendant le temps nécessaire. Par ailleurs, les mécanismes juridiques qui entrent en jeu pour revoir les décisions rendues doivent offrir la fiabilité que nous souhaitons.

Vous êtes-vous interrogé sur la façon dont nous pourrions améliorer le système de manière à pouvoir compter sur un mécanisme de révision satisfaisant tout en maintenant la garantie de confidentialité pendant le temps nécessaire?

M. Leadbeater : Cela fait partie des préoccupations que la Chambre des communes et le Sénat ont dû prendre en compte au moment de l'adoption de la Loi sur l'accès à l'information etde la Loi sur la protection des renseignements personnelsen 1983. Toutes les causes dont seraient saisis les tribunaux en application de ces deux lois seraient des dossiers où la confidentialité devrait être préservée, selon l'avis du gouvernement. Il faut se rappeler que cela faisait suite à la Loi sur les mesures de guerre et que nous avions besoin de cette protection dans un contexte d'insurrection appréhendée ou de risque de terrorisme au Canada.

On a prévu comme exigence que certains types de causes touchant la sécurité nationale ne soient examinés que par le juge en chef adjoint ou un autre juge possédant les attestations de sécurité requises et nommé à cette fin par le juge en chef, et que des mesures de sécurité distinctes et spéciales soient prises par rapport à l'information transmise. On retrouve maintenant ces dispositions dans la Loi sur l'accès à l'information. Ce projet de loi suspendrait même l'application de ces dispositions, si le certificat entre en vigueur.

Le sénateur Joyal : Selon moi, les deux objectifs semblent être atteints. Premièrement, vous ne courez pas le risque d'aller devant les tribunaux lorsque, pour diverses raisons, il y a danger de divulgation. Je suis conscient des responsabilités du gouvernement envers ses alliés et l'efficacité d'une opération donnée. Par ailleurs, empêcher que les tribunaux puissent en être saisis ou en limiter l'examen à une révision juridique de telle sorte que, à toutes fins utiles, ce soit pire qu'auparavant, ne m'apparaît pas être la voie à privilégier. Nous devrions pouvoir procéder à l'examen juridique d'une décision en préservant la fiabilité du processus de révision par les juges.

En 1983, j'étais député au sein de l'autre Chambre et je me souviens que cette responsabilité a été attribuée spécifiquement à certains juges. Il faudrait que je vérifie, mais je crois qu'en Grande-Bretagne, on a adopté une approche semblable avec certains dossiers délicats. Ces dossiers sont confiés à des juges qui ont été spécialement formés et assermentés à cette fin, de la même façon qu'il y a des juges spécialisés au sein d'un tribunal de la famille ou d'une cour de l'impôt. Lorsqu'il est question de sécurité, vous voulez vous adresser à une personne qui est en mesure de comprendre toutes les subtilités du dossier.

M. Leadbeater : En vertu de notre loi, seuls quatre enquêteurs expressément délégués à ce titre peuvent mener des enquêtes liées aux renseignements détenus en application de l'article 15 ou de l'article 13, lesquels traitent des motifs de sécurité nationale et des « renseignements obtenus à titre confidentiel du gouvernement des États étrangers ». Ces enquêteurs possèdent toutes les attestations de sécurité requises et sont bien mis au fait de la situation pour chaque élément d'information qu'ils reçoivent. Il leur est légalement interdit de diffuser ces renseignements toute leur vie durant, même s'ils les jugent totalement inoffensifs. Le juste équilibre obtenu avec la mise en œuvre de la Loi sur l'accès à l'information peut être restauré en supprimant l'article 38.13 de la Loi sur la preuve au Canada.

Le sénateur Joyal : Nous pourrions revenir à la page 83 avec une définition de la spécialisation des juges qui garantirait la sécurité du système. Cela permettrait de vous rassurer quant à l'efficacité du processus et le gouvernement pourrait miser sur le fait qu'il peut compter sur des personnes possédant les spécialisations requises lorsque la confidentialité doit être préservée dans un dossier.

M. Leadbeater : C'est exact. Dans un système où nous pensions devoir éviter de faire appel aux juges parce que l'un d'entre eux pourrait être malavisé, aucun dossier ne se serait retrouvé devant le tribunal. Vous avez raison; il existe déjà des mesures de protection. Je ne crois pas que cette loi soit fondée sur l'hypothèse qu'un juge puisse être malavisé, et je ne connais d'ailleurs aucune autre loi qui soit conçue en ce sens.

La présidente : Monsieur Reid, nous procédons à cet examen public trois ans après l'adoption de la loi. Nous prêtons une oreille attentive à ce que vous nous dites tous aujourd'hui.

Avez-vous discuté directement de ces questions avec la ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile?

M. Reid : Non. Nous n'avons eu aucune conversation avec la ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile.

La présidente : Est-ce que cette démarche pourrait être utile, ou est-ce encore trop tôt?

M. Leadbeater : Jour après jour, nos fonctionnaires doivent composer avec des questions de sécurité nationale dans la recherche du juste équilibre entre confidentialité et transparence dans le contexte des plaintes reçues. Nous avons établi des voies de communication très efficaces pour ces questions. Cependant, la ministre ne nous a jamais consultés pour savoir si des modifications devaient être apportées à ce projet de loi.

Le sénateur Jaffer : Pour en revenir à la question des certificats, monsieur Leadbeater, vous avez dit croire que le gouvernement ne veut généralement pas diffuser des informations qu'il juge embarrassantes. Pensez-vous à des situations embarrassantes comme l'expulsion d'une personne vers un pays où la torture est pratiquée? Je songe aux situations liées à la sécurité. Qu'est-ce qui pourrait devenir source d'embarras, selon vous?

M. Leadbeater : Je vais vous donner un exemple. Un analyste d'un de nos services de sécurité devait mener des évaluations de sécurité pour le gouvernement avant la chute du mur de Berlin. Une fois que le mur est tombé, il s'est rendu compte à quel point il avait erré dans ses évaluations. À peu près toutes les agences de sécurité du monde occidental avaient d'ailleurs fait fausse route. Elles prévoyaient un maintien assez net de la domination communiste en Allemagne de l'Est.

L'analyste en question a présenté une demande d'accès à l'information pour obtenir une copie de l'évaluation de sécurité. Il voulait la faire encadrer et l'afficher dans son bureau en guise de rappel de la fragilité du travail de renseignement. Sa demande d'accès a été refusée et il a porté plainte auprès de notre bureau. Les discussions ont été tenues jusqu'au palier ministériel quant aux risques associés à la diffusion de ce document. Tous les pays du monde ont fait erreur à ce sujet. Aux États-Unis, les dirigeants du FBI et de la CIA ont accordé des entrevues à l'émission Meet the Press pour avouer qu'ils s'étaient trompés.

Nous avons indiqué que si le document demandé n'était pas transmis, nous devrions en saisir les tribunaux car nous ne pouvions pas comprendre comment une personne raisonnable pouvait y voir un risque. C'est alors que le gouvernement est revenu sur sa décision et a remis le document à l'analyste en disant toutefois qu'il ne l'aurait pas fait s'il avait pu bénéficier du pouvoir d'un certificat.

Le sénateur Jaffer : C'était avant l'existence des certificats?

M. Leadbeater : Oui. L'information a été fournie et le Canada est toujours debout. Ses alliés ont continué à lui transmettre de l'information, mais les responsables du renseignement de sécurité ont tout de même trouvé un peu embarrassant de se tromper à ce point.

Le sénateur Jaffer : Je m'inquiète davantage de la question du certificat et des allégations voulant que notre gouvernement expulse des gens vers des pays où on se livre à la torture.

M. Leadbeater : Je ne connais pas personnellement la façon dont le certificat de sécurité est utilisé en application de la Loi sur l'immigration, pas plus que les répercussions sur les décisions en matière de confidentialité.

Le sénateur Fraser : Vous avez dit tout à l'heure que le système vous posait deux problèmes. Nous avons déjà parlé de l'un d'eux, soit l'ampleur du champ d'application. L'autre problème est lié au mécanisme d'appel. Vous avez dit très clairement que vous jugiez inapproprié l'article 38.131, qui permet un appel devant la Cour fédérale. C'est un point de vue qui m'a un peu décontenancée. Dans notre système, nous avons tendance à nous tourner vers les tribunaux lorsqu'il faut trancher de manière efficace, juste et impartiale entre des intérêts opposés.

Je crois que c'est M. Leadbeater qui a parlé du paragraphe 38.131(8) en faisant valoir que toutes les activités du ministère de la Défense nationale ou du ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile seraient visées. Mais pourquoi affirmer une telle chose? Nous savons tous que le ministère de la Défense nationale se livre à toutes sortes d'activités qui ne sont pas nécessairement reliées à la défense du pays. Par exemple, il déduit des charges sociales, embauche des commis et mène probablement des campagnes de sensibilisation dans les écoles; autant d'éléments qui n'ont aucun lien avec la défense nationale. Je pousse les choses à l'extrême pour faire valoir mon point de vue.

Pour quelle raison croiriez-vous qu'un juge ne serait pas capable de faire la distinction entre les informations portant véritablement sur la défense nationale et toutes ces autres choses?

M. Leadbeater : Lorsque vous dites « portant sur »,voulez-vous également dire « préjudiciable à »?

Le sénateur Fraser : Je cite le paragraphe sur la modification du certificat.

Si le juge estime qu'une partie des renseignements visés par le certificat ne porte pas sur des renseignements obtenus à titre confidentiel d'une entité étrangère — au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la protection de l'information — ou qui concernent une telle entité ni sur la défense ou la sécurité nationales, il modifie celui-ci en conséquence par ordonnance.

C'est là que j'ai pris les termes que j'utilise.

M. Leadbeater : Nous faisons valoir qu'un juge est en mesure de déterminer si l'information porte sur la sécurité nationale et c'est exactement la tâche qui est confiée au juge. Nous voudrions plutôt que le juge doive répondre à la question suivante : La divulgation de ces renseignements serait-elle préjudiciable à la sécurité nationale? Il s'agit d'un critère différent.

C'est déjà le cas avec l'interdiction prévue à l'article 38.02, mais c'est un dispositif de sécurité intégrée. Dans le cadre de l'application de l'article 38.02, un juge peut déclarer que l'on ne satisfait même pas au critère de la personne raisonnable, qu'il n'y a rien à redire et que l'information sera divulguée. Le gouvernement peut alors s'opposer à la divulgation. Un certificat sera délivré en vertu de l'article 38.13 et, s'il y a révision, ce sera par un seul juge de la Cour d'appel fédérale, sans possibilité d'appel par la suite, qui se demandera si l'information « porte sur » la sécurité nationale, et non si elle y est préjudiciable.

Vous avez raison. Il est possible que dans certaines circonstances, le juge indique que les renseignements concernent uniquement le ministre. Ce ne serait pas des renseignements qui portent sur la sécurité nationale, mais nous n'avons pas normalement à nous pencher sur ce genre d'informations. Nous traitons généralement des renseignements liés à la sécurité nationale, mais leur divulgation n'est pas nécessairement préjudiciable. Nous pouvons le constater chaque jour à la commission d'enquête Maher Arar ou à la Chambre des communes notamment, mais c'est bien à ces questions qu'il faut répondre. Quel genre de renseignements portant sur la sécurité nationale ne doivent pas être divulgués au public, lesquels ne le seront effectivement pas et qui supervisera cette décision?

Le sénateur Fraser : Je ne suis pas là. Je ne participe pas aux activités de cette commission. Je lis simplement les journaux comme tout le monde, mais il me semble que dans l'affaire Maher Arar, on procède en partie à huis clos justement pour ces raisons.

M. Reid : Nous ne pouvons pas le savoir.

Le sénateur Fraser : En bout de ligne, il faut faire confiance au juge.

M. Leadbeater : Tout à fait, mais si on se fie à cette disposition, c'est seulement au gouvernement qu'on peut faire confiance. Elle ne permet pas une véritable révision indépendante.

Le sénateur Fraser : Nous restons dans le domaine des hypothèses parce qu'aucun cas ne s'est encore présenté, n'est- ce pas?

M. Reid : C'est exact, mais dans l'exemple que M. Leadbeater a donné au sénateur Jaffer...

Le sénateur Fraser : J'ai bien compris son exemple.

M. Reid : C'était très clair.

Le sénateur Fraser : C'était plutôt intéressant.

M. Reid : Quand on dit qu'un document « porte sur » la sécurité nationale, cela signifie qu'il n'est plus vraiment important ou secret. Il satisferait donc à la norme en ce sens.

Le sénateur Smith : Pour ce qui est des modifications législatives que vous préconisez, je m'intéresse à deux aspects en particulier. Premièrement, notre président a posé une question concernant les communications avec le gouvernement. Vous arrive-t-il d'essayer d'obtenir une rencontre pour dire aux gens du gouvernement : « Tirons les choses au clair. Voilà où nous en sommes, et vous nous dites où vous en êtes rendus », ou communiquez-vous simplement aux moyens de documents comme votre mémoire? Comment les choses se passent-elles dans la réalité? Comment décririez-vous le dialogue établi avec les ministres responsables de ces décisions?

M. Reid : Il est très difficile pour le commissaire à l'information d'obtenir une rencontre avec les ministres. Il semble que ce soit une caractéristique de mon époque. Je n'ai pas eu de difficulté à rencontrer les ministres pour parler de certains sujets qui n'ont rien à voir avec le mandat du Commissariat à l'information. Par exemple, j'ai pu discuter avec plusieurs ministres de la possibilité que mon mandat soit prolongé et je n'ai eu aucun problème à les rencontrer. Par ailleurs, j'ai essayé de rencontrer certains ministres pour discuter de différentes autres questions et cela s'est révélé impossible.

Je peux toutefois dire que j'ai pu très facilement rencontrer le président du Conseil du Trésor pour aborder quelques questions importantes à mes yeux, mais qu'il m'a été très difficile de rencontrer d'autres ministres. Dans le cas de la ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, je n'ai même pas essayé.

Le sénateur Smith : Vous n'avez pas essayé de rencontrer cette ministre?

M. Reid : C'est exact.

Le sénateur Smith : Je vous laisse le soin de juger s'il convient de demander une rencontre par écrit. Je voulais seulement faire cette vérification.

Je vais citer un extrait de la page 12 de votre mémoire.

Personnellement, il m'est difficile de croire que le gouvernement de l'un ou l'autre de nos principaux alliés insisterait, comme condition de l'échange d'information, pour que les décisions relatives au secret au Canada ne soient pas assujetties à la rigueur de normes régies par la loi et à un examen indépendant. Dans les conversations que nous avons eues avec nos juridictions alliées, nous avons cru comprendre qu'elles veulent toutes la même chose : elles veulent la simple assurance que ce qui doit être protégé peut l'être, et aucune d'elles ne doutent de la capacité du Canada à le faire sous le régime de l'actuelle Loi sur l'accès à l'information.

Pensons à nos voisins du Sud. Sans vouloir être partisan, et je ne crois pas l'être relativement à des questions de ce genre, on se trouve en présence d'une administration républicaine avec une attitude bien ancrée. Je n'ai jamais considéré M. Rumsfeld comme un libéral dans l'âme ou comme quelqu'un qui a beaucoup de respect pour quelques- unes des questions pouvant être importantes pour les citoyens canadiens et je ne crois pas qu'il en soit autrement pour M. Ashcroft.

Pensez-vous que cela décrit bien la mentalité des dirigeants qui vont être appelés à rendre ces décisions?

Est-ce que les gens de votre bureau ont eu des pourparlers officiels à ce sujet ou est-ce que tout cela se déroule plutôt en catimini? Comment décririez-vous la situation que je vous expose? Parlez-nous un peu de l'ouverture d'esprit de nos amis du Sud.

M. Reid : Comme c'est M. Leadbeater qui a travaillé sur ce dossier, je vais le laisser répondre.

M. Leadbeater : Vous avez raison, sénateur. J'ai expliqué dans une réponse antérieure que nous traitions avec le département de la Justice des États-Unis pour les questions liées à l'accès à l'information parce qu'il n'existe pas de bureau équivalent au nôtre. Les États-Unis n'ont pas de commissaire à l'information. Si vous avez des contestations, vous devez en saisir directement les tribunaux.

Le département de la Justice des États-Unis n'a pas exigé une disposition semblable à l'article 87 de notre loi et il n'en existe pas non plus dans le Patriot Act ou dans les mesures prises en réponse aux événements du 11 septembre. Les Américains n'ont pas jugé cela nécessaire. Ils prennent des décisions qui peuvent être contestées devant les tribunaux, conformément à leur Freedom of Information Act. Il n'existe aucune restriction quant à la compétence des tribunaux à l'égard des questions de ce type. Comme je l'ai déjà indiqué, au moment où ce projet de loi a été présenté, nous avons demandé si les agences de renseignement de sécurité des États-Unis avaient des préoccupations quant à la Loi canadienne sur l'accès à l'information et à sa capacité de protéger les renseignements de ce genre. On nous a dit que non.

Le sénateur Smith : Je suis heureux de l'entendre. Lorsque j'écoute une partie de ces messieurs parler de certains dossiers, ce n'est pas l'impression que j'en retire. Je me réjouis donc que vous nous disiez cela. Je voulais savoir ce que vous en pensiez.

Le sénateur Joyal : Monsieur Reid, vous avez dit, au début, que vous avez participé à un colloque. Vous avez indiqué que l'organisme de surveillance devrait, entre autres, être responsable de toutes les opérations liées à la « lutte antiterroriste ».

Avez-vous d'autres éléments à ajouter? Autrement dit, quelles sont les conditions que doit présenter un organisme de surveillance pour être efficace? Vous avez dit qu'il devrait regrouper tous les systèmes, afin que la main gauche sache ce que fait la main droite, afin d'avoir une vue d'ensemble des activités qui sont menées dans ce domaine. Toutefois, quelles sont les autres conditions qui doivent être réunies pour assurer le bon fonctionnement du mécanisme ou de l'organisme de surveillance, d'après les participants au colloque?

M. Reid : J'ai cru comprendre que le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, qui supervise le SCRS, était considéré comme un modèle de choix à l'échelle mondiale. Le seul autre modèle qui se rapproche du CSARS, c'est celui de l'Irlande du Nord, que j'ai mentionné plus tôt. Toutefois, tous les participants ont loué le travail du CSARS. Ce modèle, à mon avis, est tout indiqué.

M. Leadbeater : Je tiens à dire que c'est ce qui a été rapporté au colloque. Nous n'avons effectué aucune étude là- dessus.

Le sénateur Joyal : À ma connaissance, aucun membre du comité n'a eu l'occasion d'assister au colloque. Le rapport était plutôt laconique quant au fond de la décision. Comme vous étiez présent, vous avez vu ou entendu ce qui a été dit.

M. Leadbeater : Ce qui m'a étonné, c'est qu'un très grand nombre de personnes, y compris des représentants du Comité des droits civils, comme M. Alan Borovoy, ont laissé entendre qu'il faudrait peut-être revoir la décision de confier la responsabilité de la sécurité à un organisme distinct de la GRC. Ils ont ajouté que les valeurs professionnelles importantes que l'on retrouve chez le policier pourraient servir de guide au milieu du renseignement et de la sécurité, que la concurrence soutenue qui existe entre les services ne sert ni l'intérêt public, ni l'intérêt national, et qu'il serait plus simple de confier le rôle de surveillance à un seul organisme. Autre chose qui m'a étonné : des gens sérieux, même au sein des associations des droits civils, ont proposé que l'on réexamine la recommandation centrale du rapport de la Commission MacDonald, qui était de dissocier le service de sécurité des opérations de la GRC.

Encore une fois, je ne fais que rapporter ce qui a été dit. Je n'ai, d'une façon ou d'une autre, aucune opinion à formuler là-dessus.

Le sénateur Joyal : D'après votre expérience, comment fonctionnerait cet organisme de surveillance, dans les faits? Vous avez parlé des 16 millions de dollars que l'Irlande du Nord semble avoir consacré à ce poste dans son budget. Au Canada, quels liens devrait-on établir entre l'organisme de surveillance et le Parlement, puisque c'est lui qui, le moment venu, doit justifier ses décisions? Le ministre rend des comptes au Parlement, mais c'est le Parlement qui devrait recevoir les rapports et s'assurer que le système est doté d'un mécanisme de responsabilité adéquat.

Comment fonctionnerait cet organisme, à votre avis?

M. Reid : L'idée de rendre des comptes au Parlement, comme le fait présentement le CSARS — il ne relève pas du Parlement, mais du ministre. Les rapports sont ensuite rendus publics.

Il faudrait peut-être trouver une formule qui prévoit le dépôt d'un rapport directement à la Chambre, comme le font les agents du Parlement, par exemple, ce qui vous permettrait d'examiner le rapport en détail, ou encore une formule qui oblige le comité de surveillance à déposer un rapport et au ministre et au Parlement.

Je sais que vous êtes en train de vous demander si l'examen des questions de sécurité devrait être confié à un comité de la Chambre ou du Sénat, ou encore à un comité mixte. Or, vous devez vous assurer, si un tel comité est créé, que ce dernier aura le pouvoir d'interroger le CSARS ou tout autre groupe de surveillance administrative pour déterminer s'il remplit bien son rôle et pour avoir une idée de ses activités.

Le sénateur Joyal : Comment les responsabilités seraient-elles partagées au sein de cet organisme de surveillance?

M. Reid : Les entités doivent être supervisées par une seule agence, parce que la nouvelle loi a eu pour effet de créer un réseau homogène. On a confié à la GRC, qui assumait un rôle policier, des responsabilités en matière de sécurité. Par exemple, les activités de renseignement de sécurité du SCRS sont examinées par le CSARS, mais on ne sait pas vraiment si la Commission des plaintes de la GRC a un droit de regard automatique sur celles-ci. Il y a de nombreuses activités de sécurité qui ne soumises à aucun mécanisme formel de responsabilité.

Or, ce mécanisme doit exister. Il est difficile aujourd'hui d'établir une distinction entre la fonction policière et la fonction de sécurité. Toutefois, il faut améliorer la communication entre la GRC et le SCRS. À mon avis, ce genre de supervision s'impose. Encore une fois, il faut prendre en compte le volet militaire et le volet protection civile de l'équation.

Quand on a un organisme qui supervise toutes les entités, l'échange de renseignements se fait de manière plus efficace.

Le sénateur Joyal : Quelle est l'importance de l'organisme de surveillance mis sur pied par l'Irlande du Nord?

M. Reid : Je ne saurais vous le dire.

Le sénateur Joyal : Autrement dit, sommes-nous en train de créer une bureaucratie excessive, ou sommes-nous en mesure de créer une structure légère qui est capable de fonctionner efficacement, même avec des moyens limités? L'Irlande du Nord n'est pas le pays le plus pacifique sur le plan du terrorisme.

M. Reid : Les participants au colloque ont déclaré qu'il est essentiel d'avoir une structure relativement légère qui sera en mesure de remplir son rôle premier, qui est de nous protéger. Par conséquent, il faut prévoir un mécanisme de responsabilité qui est capable de traiter les cas importants de manière approfondie. Encore une fois, les rapports publics du CSARS peuvent servir de modèle à la mise en place d'un organisme plus vaste, si c'est l'option que vous privilégiez.

Le sénateur Joyal : Croyez-vous qu'on devrait élargir le mandat du CSARS pour qu'il englobe non seulement le SCRS, mais également tous les autres aspects liés aux mesures antiterroristes prises par le gouvernement, ce qui comprendrait, bien entendu, votre organisme et les autres agences du gouvernement qui jouent un rôle directe ou indirect dans ce dossier?

M. Reid : C'est une possibilité.

Le sénateur Joyal : Autrement dit, on ne créerait rien de nouveau. On aurait, au sein d'un même organisme, un bassin de compétences fondées sur l'expérience, un organisme qui, du moins d'après les participants au colloque, serait perçu comme étant fiable et qui remplirait les objectifs du gouvernement et du Parlement.

M. Reid : C'est exact. Il faudrait, comme vous le dites, avoir, à la base, un mécanisme qui fonctionne et qui est efficace. La plupart des observateurs sont d'avis que le CSARS est compétent et efficace.

Le sénateur Joyal : Autrement dit, nous devrions revoir le mandat du CSARS en vue de cerner les aspects de celui-ci qui relèvent déjà de son champs d'activité. Nous devrions revoir les liens qu'entretient le CSARS avec le Parlement afin que, si un comité mixte parlementaire est créé, comme le propose la ministre de la Sécurité publique, le CSARS doté d'un mandat élargi puisse rendre des comptes au comité. Est-ce que cette solution vous semblerait raisonnable et faisable dans le contexte actuel?

M. Reid : Oui.

Le sénateur Lynch-Staunton : Mes collègues ont abordé tous les aspects de la question, et les réponses ont été fort utiles.

Cela peut vous paraître naïf, mais fait intéressant, aucune des trois dispositions les plus controversées du projet de loi C-36 n'a encore été invoquée par le gouvernement. Je fais allusion aux dispositions sur l'arrestation préventive, les audiences d'investigation et les certificats de non-divulgation.

S'il ne l'a pas fait, j'espère que c'est parce qu'il se montre prudent par suite des mises en garde et des préoccupations formulées il y a trois ans par les témoins et les membres du comité, ici et dans l'autre endroit. J'espère que ces audiences vont avoir le même impact, sauf si nous modifions la loi, ce qui est peu probable compte tenu de ce qu'a dit la ministre. Je n'ai pas l'impression qu'elle est prête à apporter des modifications de fond au projet de loi.

Monsieur Reid, si vous voulez toujours rencontrer le président du Conseil du Trésor, il va comparaître devant nous, ce soir, à 19 heures.

M. Reid : Je m'entends très bien avec le président du Conseil du Trésor. Il constitue l'exception à la règle.

Le sénateur Lynch-Staunton : Avec qui avez-vous de la difficulté à vous entendre?

M. Reid : Je préfère ne pas le dire.

Le sénateur Lynch-Staunton : Vous pourrez me le dire après.

M. Reid : Pour revenir à votre premier point, la décision du gouvernement de mettre sur pied une commission d'enquête pour examiner le cas de M. Maher Arar a constitué un élément déterminant. Cette affaire l'a obligé à revoir la façon dont les choses sont faites, les décisions sont prises, ce qui est très positif.

Je trouve dommage que le rapport du juge O'Connor, qu'il a rédigé en tenant compte des exigences de sécurité qui lui ont été imposées, ait été soumis à un autre processus. Des parties importantes ont été supprimées, parties qui, à son avis, n'avaient aucun impact sur la sécurité nationale.

Sur ce point, nous sommes confrontés à un défi de taille, car nous devons trouver une définition de « sécurité nationale » qui protège ce qui doit être protégé et qui assure la divulgation de renseignements qui peuvent être dévoilés en toute légitimité. C'est un problème épineux, une question de jugement difficile. Toutefois, il y a lieu de se poser des questions quand on voit que le juge O'Connor ne peut produire le rapport qu'il veut. On voit très bien le conflit qui existe entre la notion de l'accès à l'information et la notion de sécurité.

Vous allez devoir trouver un moyen de sortir de ce dilemme, et je vous souhaite bonne chance. Merci de m'avoir donné l'occasion de vous rencontrer.

Le président : Merci à vous. Ce sont effectivement des questions difficiles.

La séance est levée.


Haut de page