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ANTT - Comité spécial

Antiterrorisme (Spécial)

 

Délibérations du comité sénatorial spécial sur la
Loi antiterroriste

Fascicule 13 - Témoignages - Séance de l'après-midi


OTTAWA, le lundi 13 juin 2005

Le Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste se réunit aujourd'hui à 13 h 35, pour faire un examen approfondi des dispositions et de l'application de la Loi antiterroriste, (L.C. 2001, ch.41).

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, il s'agit de la vingt-neuvième fois que le Comité le Comité sénatorial spécial de la Loi antiterroriste siège pour entendre les témoins. Pour le bénéfice des téléspectateurs, j'explique le but des travaux de notre comité. En octobre 2001, en réaction directe aux attaques terroristes menées à New York, à Washington, D.C., et en Pennsylvanie, et à la demande des Nations Unies, le gouvernement du Canada a déposé le projet de loi C- 36, la Loi antiterroriste. Étant donné l'urgence de la situation, le Parlement avait été prié d'accélérer l'étude de ce projet de loi, ce que nous avions accepté de faire. L'échéance fixée pour l'adoption du projet de loi était la mi-décembre 2001.

Toutefois, on avait fait remarquer qu'il était difficile d'évaluer à fond l'éventuel impact du projet de loi en si peu de temps. C'est pourquoi il avait été convenu qu'au bout de trois ans, le Parlement serait prié d'examiner les dispositions de la loi et son impact sur les Canadiens avec le bénéfice du recul et dans un climat émotionnellement moins chargé. Les travaux qu'effectue actuellement le Comité spécial représentent les efforts déployés par le Sénat pour assumer cette obligation. À la fin de l'examen, nous ferons rapport au Sénat et nous soulignerons tout point qu'il faudrait, à notre avis, régler. De plus, nous mettrons les résultats de nos travaux à la disposition du gouvernement et, bien sûr, du public canadien. Un examen analogue est en cours à la Chambre des communes.

Jusqu'ici, le comité a rencontré des ministres et des hauts fonctionnaires du gouvernement, des experts internationaux et nationaux qui lui ont parlé du contexte de la menace, des experts juridiques et des personnes qui travaillent à l'exécution de la loi et à la collecte de renseignements de sécurité.

Cet après-midi, nous recevons un groupe très important dans le cadre de cette étude. Nous entendrons des groupes communautaires qui discuteront de la façon dont la loi les a touchés. Nous sommes heureux d'accueillir M. Riad Saloojee, directeur administratif, Conseil sur les relations américano-islamiques du Canada, M. Adam Esse, président de la Coalition of Muslim Organizations; M. Omar Alghabra, président national de la Fédération canado-arabe; et M. Khurrum Awan du Canadian Islamic Congress.

Nous sommes heureux que vous soyez parmi nous et nous avons hâte d'entendre vos témoignages. Je demanderais à tous nos collègues et aux présentateurs d'être aussi brefs que possible, de sorte que nous puissions avoir une période de questions et de réponses d'une durée maximale. Cela étant dit, je crois que M. Alghabra est prêt à commencer. Merci.

M. Omar Alghabra, président national, Fédération canado-arabe : Bonjour, honorables sénateurs. Je suis heureux d'être ici cet après-midi pour participer à cette discussion importante. La Fédération canado-arabe est une organisation parapluie nationale qui représente le point de vue des Canadiens arabes sur des questions reliées à la politique publique.

Ces dernières années, notre rôle a pris plus d'importance que jamais. La collectivité arabe est l'une des collectivités d'immigrants qui croît le plus rapidement au Canada. La Fédération canado-arabe ou FCA, cherche à donner aux Canadiens d'origine arabe une voix dans les affaires publiques grâce à une collaboration avec le gouvernement, les organisations de la société civile, les médias et les secteurs privés pour promouvoir l'égalité des droits de la personne pour tous. En tant que Canadiens, nous sommes fiers des engagements de notre pays vis-à-vis les droits de la personne et de la dignité comme en fait foi la diversité dynamique et une forte tradition de gouvernance démocratique et de respect de la règle de droit.

Nous sommes heureux de nous joindre à nos collègues aujourd'hui pour présenter à votre comité un point de vue particulier et unique. Nous nous sommes présentés devant vous il y a trois ans lorsque le Sénat a examiné le projet de loi. À cette époque, nous vous avions fait part de nos préoccupations concernant le type de culture que cette loi entraînerait et les conséquences qu'elle aurait pour nos collectivités. Je dois avouer que l'expérience des trois dernières années confirme plusieurs de nos craintes. Nous ne sommes pas ici pour nous plaindre ni nous lamenter. Notre objectif est plutôt de fournir de l'information et de proposer des solutions réelles et pratiques aux lacunes de la loi. Nous avons préparé un mémoire à l'intention de votre comité qui reflète l'expérience de notre collectivité et qui contient nos recommandations. Nous espérons être en mesure de vous donner un aperçu de notre mémoire au cours des minutes qui viennent.

L'entrée en vigueur de nouvelles politiques de sécurité et les pratiques des organismes de sécurité ont jeté un froid parmi les collectivités arabes et musulmanes, un froid qui a aliéné une portion importante de la population canadienne. Les membres de nos collectivités hésitent parfois à participer aux activités d'organisations communautaires et religieuses et aussi d'organismes de bienfaisance de peur d'attirer, bien malgré eux, l'attention des agents de l'État ou, pire encore, d'être accusés d'acte de terrorisme alors qu'ils ne peuvent se défendre.

Plusieurs membres de nos collectivités sont de nouveaux Canadiens qui viennent de pays où les agents de sécurité disposent d'une autorité non censurée et où les citoyens sont mis en garde contre toute participation à des actions civiques de quelle que nature que ce soit. Aujourd'hui, ils sont témoins de pratiques similaires où les membres de la collectivité font l'objet d'enquête et d'interrogation. Plusieurs de nos membres sont interrogés sur leurs allégeances politiques et leurs croyances religieuses et certains sont mêmes arrêtés en secret, sans raison apparente et sans accès aux éléments de preuve qui les concernent.

Il est facile de comprendre pourquoi ce malaise profond se répand. Ce malaise a des effets négatifs aux plans social et économique parce qu'il aliène plus d'un million de Canadiens et des milliers d'immigrants et de réfugiés. Nous ne saurions ignorer les dommages catastrophiques permanents que ces politiques ont sur la vie de plusieurs personnes. J'en ai pour exemple la vie de Maher Arar victime d'une tragédie occasionnée par des renseignements non fondés. Je parle aussi de l'arrestation à Toronto de plus d'une vingtaine de personnes originaires d'Asie du Sud en raison d'une mésentente culturelle et de soupçons non fondés. Je rappelle à votre comité le cas des cinq immigrants ou réfugiés qui ont été détenus en vertu de certificats de sécurité pendant un total combiné de 200 mois, sans accusation ni cautionnement, des personnes qui ont été privées de droits que chacun d'entre nous tenons pour acquis.

Cet après-midi, votre comité examinera une étude de CARE Canada qui fait état d'incidents où des personnes ont été harcelées et intimidées. En l'occurrence, de nombreuses vies ont été irrémédiablement détruites, des carrières détruites, des familles brisées et des amis perdus.

La plupart des agents de sécurité veulent faire ce qui est bien, c'est-à-dire protéger le Canada et les Canadiens. La combinaison de peur publique, d'ignorance raciale, de processus d'examen judiciaire tronqué et d'intransigeance d'agents déterminés et très absorbés a entraîné de nombreuses erreurs graves.

Nos recommandations sont fondées sur des principes de transparence, de responsabilisation et d'efficacité. Je vous les énonce.

La première recommandation est de bâtir la confiance et la crédibilité pour faire en sorte que nos organismes de sécurité reflètent la diversité de nos collectivités et engagent les Canadiens dans un processus pour établir la confiance et créer des programmes d'éducation.

La deuxième recommandation concerne la surveillance et la responsabilisation. La démocratie fonctionne bien lorsque l'organe exécutif est transparent et qu'il rend des comptes à ces citoyens. Il faut donner à un organisme indépendant ayant une autorisation de sécurité les pouvoirs nécessaires pour s'occuper des plaintes de manière sérieuse et pour prendre des mesures correctrices, s'il y a lieu.

La troisième recommandation concerne le profilage. Nous reconnaissons que le gouvernement n'a pas de politique qui le pousse à faire du profilage, mais nous estimons qu'il y a des modalités de fonctionnement troublantes dont il faut tenir compte. Notre organisation et d'autres organisations sont disposées à collaborer avec le gouvernement afin de mener une analyse complète de ce phénomène. Réglons cette question une fois pour toute.

La quatrième recommandation concerne les réformes législatives. La FCA endosse les recommandations qui vous ont été faites il y a quelques semaines par la Canadian Muslim Lawyers Association.

Je vous prie de prendre quelques moments pour lire nos recommandations en détail.

Nous sommes accompagnés aujourd'hui d'un groupe de représentants crédibles des communautés arabes et musulmanes qui sont tous d'accord pour affirmer que la culture courante de secret et de mésententes culturelles est à l'origine de nombreux problèmes. Non seulement cette approche marginalise-t-elle et cible-t-elle nos collectivités de manière disproportionnée, mais elle suppose une mauvaise répartition de minces ressources.

Cet examen est crucial. C'est la dernière chance que vous avez de corriger la loi. Si vous ignorez notre appel en vue de réformes, vous ne ferez rien pour atténuer l'aliénation de plusieurs Canadiens préoccupés.

M. Riad Saloojee, directeur exécutif, Conseil sur les relations américano-islamiques du Canada : Nous sommes une association nationale de base populaire oeuvrant pour la défense des droits des Islamistes. J'aimerais prendre quelques minutes aujourd'hui pour vous donner un aperçu de l'enquête que nous avons menée parce qu'elle s'apparente à la question des répercussions pour la collectivité.

J'ai annexé un questionnaire intitulé A Presumption of Guilt : A National Survey on Security Visitations of Canadian Muslims à notre mémoire.

Pour situer l'enquête dans son contexte, disons qu'au cours des quatre années écoulées depuis les événements du 11 septembre 2001, la collectivité musulmane a parlé de tactiques opérationnelles et de méthodes utilisées par la GRC et le SCRS qui sont inacceptables, inappropriées et suspectes. Ces descriptions circulent au sein de la communauté musulmane principalement sous forme d'anecdotes. Nous en avons reçu un grand nombre et nous en avons gardé certaines, mais nous n'avons pu documenter nombre de ces cas.

Nous avons décidé de mener une enquête aussi large que possible de façon à obtenir une image aussi exacte que possible de ce qui se passe au sein de la collectivité arabe et musulmane concernant ce genre de tactiques. Nous avons donc distribué un questionnaire dans les mosquées, dans les centres islamiques, lors d'activités réunissant des musulmans et aussi en ligne et nous avons reçu environ 467 réponses. Huit pour cent ou 37 répondants, avaient été contactés par la GRC, le SCRS ou la police. Chez ces 37 répondants, nous avons constaté un certain nombre de tendances troublantes.

D'entrée de jeu, je devrais dire que nous estimons qu'un taux de visite de 8 p. 100 constitue un nombre important. Si on extrapole par rapport à la population totale de Musulmans canadiens, ils sont 580 000, on obtient 46 000 visites de sécurité.

Nous estimons que ce chiffre de 8 p. 100 est conservateur. La plupart des gens ont trop peur pour rendre compte des abus. La plupart des gens craignent les représailles ou le harcèlement. La plupart des gens viennent de pays où personne ne rapporte de tels incidents.

Les spécialistes de la lutte contre la discrimination savent que le nombre de cas qui ne sont pas rapportés est très élevé. Dans les recherches sur les crimes motivés par la haine, on note qu'environ 90 p. 100 des cas ne sont pas rapportés. Lorsque ces rapports concernent des responsables de la sécurité, il est probable que le nombre soit beaucoup plus élevé.

Sur les 37 répondants au questionnaire qui ont fait l'objet de visites, 62 p. 100 disent qu'ils n'ont pas rapporté l'incident lorsqu'il s'est produit. La moitié des personnes sondées ont dit qu'elles connaissaient un autre Musulman canadien qui avait fait l'objet d'une visite. On peut donc raisonnablement dire que les incidents sont sous-rapportés.

Cela étant dit, le résultat du sondage indique que les responsables de la sécurité visent de manière disproportionnée les jeunes arabes. Cinquante-quatre pour cent de ceux qui avaient été contactés étaient des Arabes, mais seulement 35 p. 100 de l'échantillon total étaient des Arabes. Quatre-vingt-neuf pour cent sont des hommes et 63 p. 100 ont entre 18 et 35 ans.

Pour ce qui est de leur expérience de rencontre avec des responsables de la sécurité, environ 46 p. 100 des répondants disent qu'ils se sont sentis harcelés, anxieux, craintifs ou nerveux. Vingt-quatre pour cent ont eu l'impression que l'on faisait preuve de discrimination à leur endroit. Une personne sur quatre a été visitée au travail, ce qui constitue une tendance alarmante.

Sur les 37 personnes visitées, je vous dirai que nous avons observé huit tendances en ce qui a trait à des tactiques inappropriées ou inacceptables.

Dans plusieurs cas les personnes ont été activement dissuadées de recourir à un avocat ou de solliciter la présence d'une tierce partie. On leur a dit qu'il n'était pas nécessaire de communiquer avec un avocat ou que les avocats coûtaient beaucoup trop cher et aussi « Qu'avez-vous à craindre si vous souhaitez la présence d'un avocat? ».

La seconde tendance est un comportement agressif et menaçant lorsque les individus se montrent hésitants face à la visite d'agents. Par exemple, on a dit à ces personnes « Fermez-la et soyez de bons citoyens. Qu'avez-vous à cacher? » Il y a même un cas où l'agent de sécurité a empêché l'individu d'entrer dans sa demeure.

Pour ce qui est de la troisième tendance, il y a un cas où une personne a été menacée de l'application de la Loi antiterroriste afin qu'elle parle. On lui aurait qu'elle devait parler et qu'elle serait aussi bien de parler. Autrement, le projet de loi C-36 pourrait être invoqué pour l'obliger à parler.

La quatrième tendance observée est celle de nombreuses visites au lieu de travail, un cas sur quatre. Environ dix personnes ont fait l'objet de visites au travail. Ces visites étaient assez sérieuses. Dans certains cas, l'agent a parlé aux supérieurs de la personne en question. Dans un autre cas, les agents ont parlé à une personne pendant qu'elle était avec des clients.

La cinquième tendance est un questionnement intrusif et invasif. Nous avons noté dans notre mémoire que la définition de terrorisme en vertu du projet de loi C-36 inclut la religion et l'idéologie. Nous soutenons que cette définition légitimise et favorise l'examen des croyances personnelles, de la religion et de l'idéologie d'une personne.

Certaines des réponses documentées du questionnaire se lisent comme suit : pratiquez-vous votre foi? Comment la pratiquez-vous? Êtes-vous très pratiquant? Priez-vous? Visitez-vous la mosquée? Que pensez-vous de la guerre en Iraq?

La sixième tendance est la documentation inappropriée et inadéquate. Dans de nombreux cas, lorsque les personnes ont demandé des pièces d'identité aux agents ou aux fonctionnaires, on leur a montré des cartes qui n'étaient pas des cartes officielles, qui contenaient des renseignements inappropriés. Pour des raisons évidentes, nous n'avons pas donné le nom des agents dans les réponses au questionnaire. Pour vous donner une analogie, si le nom de l'agent était Jean, par exemple, la carte pouvait se lire comme suit, Garage Jean ou Réparations d'automobiles Jean, suivi d'un nom et d'un numéro de téléavertisseur. Permettez-moi d'ajouter des détails. Il s'agit d'une analogie directe tirée d'une carte que nous avons obtenue. Cette carte porte la photo d'une voiture, par exemple. Lorsque la personne a demandé « Est-ce votre carte », on lui a répondu « Eh bien, nous ne voulons pas apeurer quiconque au sein de la collectivité, c'est pourquoi nous vous donnons cette carte ». Il y a eu des cartes, par exemple, où seul le prénom de l'agent avait été inscrit. Vous ne savez même pas s'il s'agit du nom de l'agent qui est devant vous. Avec un prénom comme Jean ou Robert suivi d'un numéro de téléavertisseur, il est à peu près impossible de déposer une plainte officielle, comme vous pouvez l'imaginer.

La septième tendance est la sollicitation de personnes pour qu'elles deviennent des informateurs, à la suite d'intimidation. Dans un cas, lorsque la personne a refusé de devenir informateur, l'agent a commencé à lui réciter les noms de ses enfants et à lui donner d'autres éléments d'information personnelle dans le but de l'intimider afin que la personne devienne un informateur.

La dernière tendance est une visite chez un mineur. Nous avons au moins un cas d'une personne de 16 ans qui a fait l'objet d'une visite à domicile et à qui on a dit de ne pas en parler à ses parents.

Nous pourrions dire bien d'autres choses au sujet de ces tactiques, et aussi établir un lien entre ces tactiques et la Loi antiterroriste et les certificats de sécurité, mais je vous laisserai poser les questions à ce sujet. Merci.

M. Adam Esse, président, Coalition of Muslim Organizations : Bonjour. Je vous ferai un exposé très bref, dans lequel je me contenterai de vous fournir deux ou trois exemples.

COMO, qui correspond à Coalition of Muslim Organizations, a été créé immédiatement après les événements du 11 septembre et comprend actuellement 35 organisations. Il s'agit d'un organisme parapluie. Depuis le 11 septembre, nous avons effectué un certain nombre de sondages en vue de rassembler les collectivités et d'établir de bons rapports avec d'autres collectivités. Nous avons connu un succès relatif avec la collectivité sikh, avec le Congrès juif canadien, des groupes confessionnels et nous avons fait de bons progrès en ce qui a trait aux relations entre la collectivité musulmane et d'autres collectivités.

En ce qui a trait au projet de loi C-36 et à ses répercussions sur la collectivité, je vous dirais qu'en tant qu'individu de couleur, musulman, imam, immigrant, bref tous ces éléments de profilage, j'ai vu des choses que moi-même je n'arrive pas à expliquer aux autres.

Les gens de ma propre collectivité, qu'ils viennent de Somalie ou d'ailleurs, me rencontrent à tous les jours dans des centres islamiques, à la mosquée et lors de réunions de toutes sortes. À mon arrivée à l'aéroport, il y a peu de temps, la personne qui est venue me chercher était un autre Musulman canadien. Lorsque je lui ai dit que je venais ici, cette personne m'a fait part de son expérience négative concernant nos propres agences de sécurité.

La semaine dernière, un homme d'affaires m'a dit que son frère est venu des Émirats arabes unis. Un agent l'a fouillé à son arrivée à l'aéroport. Ce visiteur a quitté l'aéroport Pearson après une attente de trois heures. Plus tard, il a reçu un appel de l'agent qui l'avait fouillé. L'agent lui a demandé de revenir à l'aéroport et le visiteur a accepté et s'est rendu à l'aéroport vers la fin de la soirée. L'homme d'affaires m'a dit que l'agent voulait amener son frère dans une des salles pour une entrevue. Le visiteur a demandé à l'agent pour quelle raison il voulait faire cela et l'agent lu a répondu que l'entrevue concernait le cas de son frère. Lorsque le visiteur lui a répondu qu'il ne connaissait rien du dossier de son frère, l'agent lui a dit qu'il devrait coopérer avec lui. Le visiteur était terrifié à tel point qu'il n'a même pas pu appeler un avocat. Il a dit qu'il coopérerait mais il a ajouté ne pas comprendre ce qui se passait. Le visiteur a dit qu'il a été forcé de demeurer dans cette salle pendant plusieurs heures, sans savoir si son frère avait été arrêté ou non.

L'agent a dit à ce visiteur que son frère devait de l'argent en raison d'accusations qui avaient été portées contre lui et que l'homme d'affaires devrait payer. Le visiteur a dit qu'il paierait, sans pourtant savoir de quelles accusations il s'agissait parce qu'il n'avait pu parler à son frère.

Ce visiteur a dit qu'il avait écrit la lettre disant que sa propre compagnie avait été mise en accusation, qu'il n'était pas dans ce genre d'affaires, peu importe ce que son frère avait dit, en bien ou en mal. Cette personne a dit qu'elle était tellement craintive qu'elle songeait à fermer complètement son entreprise.

J'ai un deuxième exemple. Nous avons pris des arrangements il y a trois semaines avec la vice-première ministre du Canada, avec des agences de sécurité et avec des fonctionnaires, y compris des agents des services frontaliers du Canada, la GRC et le SCRS et nous avons fait venir une centaine de leaders de collectivités musulmanes au Canada.

Ces leaders nous ont parlé d'un incident qui s'est produit lorsque des agents du SCRS ont visité la maison d'un Musulman alors que le mari n'était pas à la maison. La femme a répondu. Ils l'ont obligée à ouvrir la porte, ce qu'elle a fait. On nous a raconté que la personne avait été intimidée au point où elle ne pouvait plus parler à son mari, ni à sa mère ni à son frère. Elle craignait pour sa vie. Elle est venue me voir pour me raconter des choses que je ne voudrais pas dire publiquement ici.

L'affaire est maintenant entre les mains du SCRS. Il s'agit là d'un exemple de ce qui se passe au nom du projet de loi C-36 et au nom de nos organismes de sécurité. Ces gens ont suffisamment de pouvoir pour faire ce qu'ils veulent.

Finalement, je vous dirais que le projet de loi me semble être un système à deux volets pour le Code criminel du Canada. Le Code criminel s'appliquera aux Canadiens réguliers, ce qui est le cas depuis 100 ans. Les Canadiens d'origine musulmane seront soumis au projet de loi C-36. C'est bien ce que j'ai dit. Et c'est ce que j'ai dit à la vice- première ministre.

Un des incidents auxquels j'ai été mêlé personnellement concerne un ami du Kenya et l'incident est survenu il y a environ un an et demi. J'ai raconté à Mme McLellan que cette personne m'avait dit qu'un groupe de personnes se déplaçaient à l'intérieur du Kenya. La personne a vu un certain nombre de jeunes gens de race blanche qui portaient des t-shirts canadiens. Cette personne s'est approchée du groupe et a demandé « Comment allez-vous? Je suis aussi Canadien ». Un des jeunes l'a pris à part et lui a demandé « Êtes-vous vraiment Canadien? ». La personne lui a répondu « Oui, je suis Canadien ». Le jeune a dit « Vous savez quoi, nous ne sommes pas Canadiens. Nous venons des États-Unis, mais c'est le seul t-shirt qui nous permet de nous dissimuler ». Cette journée-là, j'ai dit que les superpuissances de ce monde se cachent sous nos t-shirts. Je ne dis pas que nous ne devrions pas avoir de bonnes relations avec les États-Unis et avec d'autres pays, mais sous quel t-shirt pourrons-nous nous cacher en bout de ligne?

Les renseignements que les leaders des Canadiens musulmans obtiennent de leurs collectivités est une chose qui ne s'explique pas. Peu importe le nombre de lettres que nous écrivons ou le nombre d'exemples que nous vous fournissons, ils vous paraîtront inimaginables à moins de vivre la situation.

Ce que nous recherchons est fort simple. Nous voulons que le Canada soit sûr pour tout le monde. Nous voulons l'équité et l'égalité. Nous voulons avoir l'occasion d'être des Canadiens tout à fait normaux qui respectent les lois du pays. Nous aimons ce pays, ses habitants et son système.

M. Khurrum Awan, Canadian Islamic Congress : J'ai obtenu un diplôme de premier cycle en mathématiques et en administration des affaires de l'Université de Waterloo. Je suis actuellement candidat au diplôme de droit à la Osgoode Hall Law School, à Toronto. Je suis Musulman pratiquant, âgé de 25 ans et membre d'une minorité visible.

Selon moi, la Loi antiterroriste fait de moi et d'autres personnes comme moi des cibles faciles pour les autorités de police canadiennes. Le Canadian Islamic Congress représente les intérêts et les préoccupations de milliers de Canadiens musulmans d'origines, d'ethnicités et de nationalités diverses. Notre collectivité a été particulièrement touchée par une série de mesures législatives qui ont fait suite aux événements du mois de septembre, particulièrement la Loi antiterroriste.

Comme votre comité et le gouvernement commencent à examiner ces lois, nous aimerions attirer votre attention sur certaines des mesures qui nous préoccupent plus particulièrement.

Nous soumettons que la Loi antiterroriste représente une expansion permanente et non nécessaire des pouvoirs de l'État par le biais du droit criminel et d'autres mesures comme la collecte d'information et les pouvoirs de suppression de l'information. Je tiens à vous signaler que, traditionnellement, des mesures draconiennes ont été autorisées uniquement en cas d'urgence et qu'elles ont été limitées dans le temps. Toutefois, les changements qui ont fait suite à cette législation visent des pouvoirs et des changements permanents.

La Loi antiterroriste semble indiquer que nous sommes dans un état d'urgence permanent. Il importe de noter que les pouvoirs temporaires et extraordinaires, s'ils sont nécessaires, ont été et demeurent toujours disponibles en vertu de la Loi sur les mesures d'urgence, bien qu'assortis de mesures d'examen et de contrôle plus rigoureux, qui offrent une plus grande protection des droits. De plus, l'expansion du droit criminel n'est pas nécessaire.

L'attaque qui a été menée contre le World Trade Center est le résultat d'un manque de renseignements et de mauvaises communications entre les autorités policières, et non une lacune du droit criminel. Le Code criminel contient déjà suffisamment de pouvoirs pour porter des accusations contre les personnes qui ont perpétré les incidents du mois de septembre. Le Code criminel prévoit déjà la possibilité de porter des accusations de meurtre, d'homicide involontaire, de conspiration pour commettre un acte de piraterie aérienne, d'être partie à la commission d'une offense et d'hébergement.

La réponse de droit criminel contenue dans la Loi antiterroriste a entraîné la criminalisation de discours politiques et empêche une meilleure diffusion du contexte sociopolitique qui est sous-jacent aux actes de violence, élément essentiel pour aborder les causes sous-jacentes du terrorisme.

L'accroissement des pouvoirs de collecte de renseignements et de suppression de d'information se rapporte à des secteurs comme l'écoute électronique, le dépistage de l'ADN et le partage de renseignements sur les passagers des lignes aériennes ont affecté la vie privée de citoyens ordinaires, particulièrement des membres de notre collectivité qui ont fait l'objet des pires mesures de surveillance en vertu de cette législation.

Le pouvoir de supprimer de l'information lors de procès pourrait entraîner de graves erreurs de justice étant donné que l'accusé peut être privé d'une défense entière et juste, un droit qui est préservé en vertu de l'article 11 de la Charte des droits et libertés. Nous avons noté que les lois régissant l'accès à l'information et à la protection des renseignements personnels au Canada contiennent déjà une disposition visant à supprimer l'accès aux renseignements de nature délicate, bien qu'il y ait là une portée plus grande pour éviter les erreurs judiciaires.

Je tiens à noter que l'expérience historique au Canada a montré que des pouvoirs permanents et des pouvoirs non nécessaires se situent dans des contextes qui n'étaient pas prévus à l'origine. Par exemple, la Loi sur les mesures de guerre, adoptée en 1914 et mise en œuvre au cours de la Première Guerre mondiale, a servi au cours de la Crise d'octobre de 1970 au Québec. Il faut également craindre que lors de crises futures, le gouvernement demandera des pouvoirs encore plus grands que ceux qui existent déjà.

Nous soumettons que les changements qui découlent de la Loi antiterroriste sont incompatibles avec les principes fondamentaux du droit criminel. Ces principes de base comprennent la notion voulant que l'infraction fasse référence à un acte interdit, que l'accusé ait une intention relativement à l'acte prohibé, que l'infraction soit définie de manière appropriée et que la peine imposée soit proportionnelle au tort en question. Plusieurs des mesures de la Loi antiterroriste violent ces principes. Par exemple, l'alinéa d) de la définition d'infraction de terrorisme qui se trouve dans le Code criminel n'exige pas d'intention relativement aux conséquences interdites. La portée excessive de l'alinéa e) de la définition pourrait tout de même viser des protestataires contre la mondialisation et des grévistes, malgré les modifications qui ont été apportées avant l'entrée en vigueur de cette législation.

Les risques d'une peine disproportionnée sont très réels. Par exemple, le fait de participer à la commission d'une infraction ou d'en faciliter la commission y sont inscrits bien que l'activité en question ne soit pas menée et que l'accusé puisse être tout à fait ignorant de la nature spécifique de l'acte à commettre. De plus, cette législation prévoit des sentences rigoureuses et des peines consécutives.

Du point de vue du droit criminel procédural, nous sommes particulièrement préoccupés par le maintien de l'investigation et des pouvoirs d'arrestation à titre préventif. Le pouvoir des policiers d'arrêter des personnes sans mandat, sur simple soupçon d'activités reliées au terrorisme est trop large et non nécessaire, compte tenu que les policiers ont déjà des pouvoirs étendus pour recueillir de l'information auprès de suspects.

Le pouvoir de prolonger la période de détention d'une personne arrêtée sans mandat, qui passerait de 48 heures à une période indéfinie, représente un dépassement exceptionnel des procédures de droit criminel traditionnelles.

Nous soumettons que la Loi antiterroriste empiète sur la règle fondamentale des principes de droit qui sont également enchâssés dans notre Constitution. Les thèmes de secret et de confidentialité abondent en matière de la Loi antiterroriste et sont contraires aux principes de droit administratif comme la transparence, la responsabilisation, l'équité et l'application régulière de la loi.

Le solliciteur général peut annuler l'enregistrement d'organismes de bienfaisance ou empêcher leur enregistrement en émettant simplement un certificat. Les droits d'appel sont minimes. La Cour fédérale examine les options du Solliciteur général du point de vue de la raisonnabilité des mesures prises et non pas du point de vue de la rectitude. De même, le tribunal peut empêcher l'accusé d'accéder à des éléments de preuve de telle sorte que l'enregistrement d'un organisme de charité puisse être révoqué sans examen approprié des preuves et des allégations. En vertu du modèle de certificat, aucun document public de l'émission du certificat n'est tenu.

L'hypothèse qui sous-tend la Loi antiterroriste semble être que les garanties de procédure sont un luxe que le gouvernement peut se permettre d'ignorer en temps d'urgence, ce qui, dans le cas qui nous intéresse, semble être permanent. Le problème, c'est que cette hypothèse est erronée. Les droits sont l'élément le plus menacé en situation de crise et c'est à ce moment que les garanties procédurales doivent être appliquées avec le plus de rigueur. Une transgression importante d'une règle de droit survient lorsque la législation comporte des définitions trop générales et trop vagues. La définition de terrorisme est suffisamment large pour couvrir des cas de résistance légitime comme celle du Congrès national africain contre l'apartheid.

Le caractère vague autorise une discrétion excessive du côté des autorités de police et estompe la répartition des pouvoirs entre les diverses directions du gouvernement. Par exemple, le pouvoir du solliciteur général d'émettre des certificats signifie qu'il décide quel type de conduite est punissable et qui est coupable d'une infraction. Le caractère vague de la loi entraîne l'absence de préavis équitable à l'endroit des citoyens, particulièrement ceux de notre collectivité relativement aux activités qui sont interdites et aux activités qui peuvent faire partie des infractions relatives au terrorisme.

Nous soumettons que la Loi antiterroriste est incompatible avec les valeurs démocratiques. La nature complexe de ce projet de loi signifie qu'il est impossible pour une personne ordinaire d'en comprendre toutes les répercussions. La rapidité avec laquelle ce projet de loi a été adopté indique qu'il y avait peu de participation significative du public relativement aux mesures adoptées. Le message était que les Canadiens et les Canadiens de religion musulmane devraient faire confiance au gouvernement, tandis que les autorités définissaient des niveaux acceptables de renversement des droits et des libertés, avec peu de consultations publiques.

Pendant l'examen de cette législation, il est nécessaire qu'il y ait une discussion participative et inclusive de nos besoins de sécurité et des moyens pour y répondre.

Nous soumettons que la Loi antiterroriste viole les valeurs inscrites dans la Charte, y compris le droit à l'égalité. À notre avis, il y a eu profilage ethnique et racial dans le cadre de la mise en application de la Loi antiterroriste. Cette législation a eu des répercussions disproportionnées sur les Musulmans, les Arabes, les Sud-Asiatiques et aussi sur les organismes de bienfaisance qui desservent ces groupes.

Le problème du profilage ethnique est qu'il est difficile à détecter et à prouver parce qu'il ne se manifeste que par des opinions subjectives des autorités de police. Il y a également un manque de données statistiques fiables pour prouver l'ampleur de ce phénomène.

Les conséquences négatives du profilage ethnique et racial au sein de la collectivité musulmane incluent le stéréotypage, la stigmatisation, le racisme et la couverture médiatique déséquilibrée. Les exemples que nous pouvons observer grâce à nos contacts avec la collectivité comprennent la discrimination en matière d'emploi et en milieu de travail, la tension particulière dans les aéroports et des conséquences négatives sur la liberté d'association et d'expression. Je note que l'article 15 de la Charte protège l'égalité des droits, y compris le droit de ne pas faire l'objet de discrimination sur la base de la race ou de l'origine ethnique.

La Loi antiterroriste viole les droits à l'égalité de la Charte, et plusieurs autres droits et valeurs qui sont garantis en vertu de la loi sont touchés par les mesures prévues par la législation. J'en ai d'ailleurs parlé dans d'autres aspects de ma présentation.

Nous soumettons que la Loi antiterroriste a eu des effets négatifs sur le multiculturalisme et sur les conceptions de la citoyenneté dans notre pays. Le profilage ethnique et le ciblage en vertu de la Loi antiterroriste ont mis en péril le sentiment de bien-être des membres de groupes minoritaires comme les Musulmans, les Arabes et les Sud-Asiatiques. Le traitement différent et inégal accordé à ces groupes dans le cadre de la mise en oeuvre de cette loi est légitimé par cette législation et a des répercussions négatives sur le tissu multiculturel de la société canadienne.

Je soumets que cette législation a eu des répercussions négatives sur le droit à la propriété et sur les campagnes de financement des organismes de bienfaisance. La législation autorise le gel, la saisie et la confiscation de biens qui ont été ou qui ont pu être affectés à des actes de terrorisme. Toutefois, le problème est que les définitions sont vagues et que les critères suivant lesquels les biens peuvent être saisis sont également vagues. La responsabilité criminelle demeure une possibilité même si le lien avec des activités terroristes est éloigné ou même incertain.

La loi prévoit également une protection procédurale minimale pour les organismes de charité, bien que plusieurs personnes et groupes vulnérables comptent sur ces éléments. La législation ne tient absolument pas compte du risque inhérent à travailler outre-mer et dans des régions qui sont caractérisées par un conflit, là où il est souvent inévitable qu'une partie de l'aide se retrouve chez des personnes ou chez des groupes qui n'étaient pas visés.

Nous soumettons que la Loi antiterroriste a eu des répercussions négatives sur plusieurs libertés. Je n'entrerai pas dans ce sujet, étant donné les contraintes de temps.

Je conclurai avec un certain nombre de recommandations. Premièrement, nous recommandons que les changements qui ont été apportés aux lois du Canada en raison de la Loi antiterroriste soient entièrement abolis. Deuxièmement, et comme solution de remplacement, nous soumettons qu'une disposition crépusculaire devrait s'appliquer à l'ensemble de la législation plutôt qu'aux investigations et aux pouvoirs d'arrestation à titre préventif. Troisièmement, peu importe qu'il y ait ou non une disposition crépusculaire applicable à l'ensemble de la législation, un organisme de surveillance indépendant doit être créé pour surveiller la mise en oeuvre de la Loi antiterroriste, y compris la tenue de données statistiques sur le nombre de fois où la loi est utilisée et l'ampleur du profilage ethnique qui a lieu en vertu de cette loi. Quatrièmement, il faudrait de meilleures protections procédurales pour les organismes de charité, les droits à la propriété et pour les personnes qui sont accusées d'infractions reliées au terrorisme. Enfin, cette législation souffre de définitions vagues et trop larges qui doivent être modifiées afin d'adopter des critères plus explicites pour les infractions reliées au terrorisme.

Le sénateur Jaffer : Je vous remercie d'être venu. Nous savons tous que vous vivez dans le meilleur pays au monde. Nous connaissons toutes vos organisations et nous savons que vous ferez beaucoup pour l'intégration de ces collectivités dans notre grand pays. Il s'agit de notre pays. Je fais partie de ceux qui vous diront que les services de sécurité, que ce soit le SCRS ou la GRC, travaillent à notre protection à tous.

Lorsque le ministre de la Justice a témoigné devant nous, il a parlé d'une culture de prévention. Quand je vous entends parler, j'entends parler d'une culture d'intimidation.

Il nous serait utile de vous entendre dire en quoi les forces de sécurité peuvent travailler avec nous afin de qu'elles obtiennent l'information requise pour nous protéger tous.

Vous avez tous une expérience de ce qu'il ne faut pas faire, de la façon de ne pas intimider la collectivité, mais je suis sûre que vous avez aussi des recommandations positives à formuler à notre comité.

Si les organismes de sécurité ne collaborent pas avec nous, ils ne pourront obtenir l'information nécessaire pour nous protéger. Je suis assurée que notre comité aimerait vous entendre sur cet aspect particulier.

Vous aurez sûrement entendu parler de la fameuse Table ronde transculturelle qui était censée régler tous nos problèmes. Il serait utile d'entendre ce que vous avez à dire au sujet du mandat de cette Table ronde et aussi sur la façon dont vous pensez que nous pourrions améliorer le mandat et les délibérations de cette Table ronde. J'aimerais obtenir une réponse de vous quatre.

M. Alghabra : Notre but est de vous apporter contribution réelle et positive sur la façon dont vous pouvez, selon nous, corriger les lacunes de la culture de sécurité actuelle. Nous convenons tous avec vous que nos agents de sécurité travaillent très fort à nous protéger tous. Notre intention est de les aider et de travailler avec eux afin qu'ils puissent le faire de manière efficace tout en protégeant les droits et la dignité de tout le monde.

Notre première recommandation concerne la confiance et la sécurité réelle. La sécurité réelle ne peut survenir que s'il y a un effort intégré qui inclut tous les Canadiens. Nous mentionnons quatre éléments spécifiques qui concernent la collaboration avec les agents de sécurité. Premièrement, les organismes de sécurité nationale et les bureaucraties devraient se diversifier en recrutant des Arabes et des Musulmans qualifiés au sein de leur personnel et à des postes de technocrate. Deuxièmement, il faudrait s'engager dans la recherche d'un apport et de conseils significatifs et dans la participation directe des Arabes et des Musulmans à la politique et à la législation sur la sécurité nationale. Troisièmement, il faudrait concevoir de solides programmes de formation pour le personnel du renseignement et de la sécurité nationale, basés sur un dialogue avec les collectivités et sur l'éducation. Finalement, il faudrait corriger les erreurs commises dans le cadre d'investigations de sécurité nationale et de systèmes de sécurité nationale. Un exemple est le suivi financier qui s'installe lorsque des personnes qui sont soupçonnées sont parfois inscrites sur un avis FINTRAC chaque fois que les banques ou d'autres établissements financiers sont avisés au sujet de ces personnes. Essentiellement, il semble que les droits d'une personne de demander une hypothèque, une ligne de crédit ou de faire des transactions commerciales ont presque été abandonnés parce que la personne est considérée comme un terroriste potentiel. Nous devons rassurer les Canadiens qui sont tombés dans ce piège par mégarde. Nous devons reconnaître ces erreurs et trouver une façon de corriger les problèmes.

Il doit y avoir un effort concerté ou une mobilisation de manière à inclure les Canadiens et ainsi refléter la diversité du Canada et permettre à nos collectivités de faire partie du processus.

Je puis vous assurer que les Canadiens arabes et musulmans sont très préoccupés par la sécurité du Canada. J'irais jusqu'à dire qu'ils ont été les plus touchés par les actes terroristes comme celui du 11 septembre. Non seulement parce que, à titre de Canadiens, nous sommes préoccupés de notre propre sécurité, mais aussi parce que nous sommes préoccupés par les ramifications et les conséquences qui ont fait suite à cet événement d'une ampleur telle que les Musulmans et les Arabes ont fait l'objet de profilage et qu'ils sont considérés avec suspicion. Ce processus doit commencer quelque part et il faut qu'il soit positif et inclusif.

Quant à la deuxième question, je crois comprendre que la Table ronde transculturelle sera un comité chargé de débattre de la question et d'offrir de l'information au ministre sur ce qui est perçu comme étant les conséquences de toutes sortes de législation sur la sécurité que le gouvernement songe à adopter, ses politiques ou sur la façon dont il entend procéder.

Nous avons eu certaines réserves lors de la sélection des membres de cette Table ronde interculturelle. Nous sommes assurés que toutes les personnes qui ont été choisies sont des personnes compétentes, mais fort peu d'entre elles ont démontré dans leur curriculum vitae qu'elles avaient longuement travaillé sur des questions d'engagement communautaire et de répercussions de la sécurité sur ces collectivités. Notre organisation a recommandé des noms et nous espérons que cela pourra jouer un rôle important et que les personnes autour de la table ronde consulteront également d'autres personnes.

M. Esse : Le premier objectif est d'établir des ponts. Nous sommes ici pour prendre l'initiative en la matière. Comme je l'ai dit dans ma déclaration préliminaire, nous avons invité plus d'une centaine de leaders de la collectivité musulmane dans la RGT, de même que tous les organismes de sécurité et la vice-première ministre du Canada, l'honorable Anne McLellan. Tous y étaient et nous avons eu plus de quatre heures de discussion. Notre but était de tenir un dialogue ouvert et de bâtir des ponts.

Les représentants des deux parties, des leaders de la communauté musulmane aux responsables des organismes de sécurité canadiens, tous admirent, admettent et louangent le système. Ils disent « C'est ce que nous voulons que vous fassiez, et nous devons continuer ». Cette rencontre ne devrait pas être la seule. Au début, c'était particulier, mais nous voulons continuer ce genre de rencontres et de rassemblements.

Deuxièmement, nous devrions avoir un dialogue continu. Ce dialogue ne devrait pas être ponctuel, il devrait être continu. Nous devons avoir des activités honnêtes et transparentes et nous devrions nous faire confiance mutuellement.

Notre problème par les temps qui courent est que tous les Musulmans se sentent étiquetés comme terroristes. Une personne devrait être en mesure de travailler avec les organismes de sécurité. Nous croyons tous que ces gens travaillent à l'amélioration de notre population et de notre sécurité et nous les en félicitons, mais leur travail doit se faire de manière appropriée. Je pourrais le croire et je serais prêt à les aider, à faciliter leur travail, mais s'ils me soupçonnent, moi et mes semblables, comment nous sentirons-nous? Je vous le demande. Si vous voulez aider mais que vous avez le sentiment que la personne, que l'agent de sécurité croit déjà dans sa tête que vous êtes un terroriste, que pouvez-vous faire? Vous vous défendrez. C'est ce qui se produira.

Nous devrions travailler à changer cette attitude. Il doit y avoir de la confiance et de la transparence. Ce type d'étiquetage ne devrait pas exister. Nous serons tous perdus si nos propres organismes de sécurité nous soupçonnent d'être des terroristes.

Pour terminer, disons que j'ai déjà abordé cette question avec le ministre de la Justice, avec le ministre de la Sécurité publique et des Mesures d'urgence et avec la vice-première ministre lors de la discussion en table ronde. Je leur ai dit « Vous avez commis une erreur ». Je voulais être direct. J'ai été très détaillé dans mes propos.

Nous leur avons parlé de notre solution. Par exemple, aucune des organisations qui représentent la majorité des Musulmans canadiens n'est représentée au sein de cette Table ronde, aucune. Cela vous donne une idée de l'origine de l'erreur.

Je comprends très bien qu'ils aient cherché à faire de leur mieux. Ils avaient à choisir parmi 200 personnes et ils ont dû choisir les meilleures. Ils ont fait de leur mieux, mais des erreurs se sont produites.

Après avoir discuté de cette question, ces gens pensaient de la même manière. Il y a plus de 400 000 Canadiens musulmans dans la région du Grand Toronto ou en Ontario. Nous avons une personne de St. Catharines, ville située à l'extérieur de Toronto. Quand vous parlez de la communauté musulmane, vous devriez communiquer avec les principales organisations, de même qu'avec des personnes qui sont généralement connues au sein de la collectivité. Je puis vous en nommer plusieurs et nous avons parlé de cette question en détail avec les ministres.

La situation devrait être corrigée à l'avenir. Tous ces gens ont tenté de faire de leur mieux et nous apprécions ce qu'ils ont fait, mais les résultats ne sont pas ceux que nous attendions.

M. Saloojee : J'aimerais mentionner quelques points. Premièrement, cette solitude apparente entre la collectivité canadienne musulmane et les organismes de sécurité est un élément assez récent. Il n'en a pas toujours été ainsi. Il n'est pas écrit que nous aurons toujours ce genre de relations ou de relations de détente de guerre froide entre les deux collectivités.

La collectivité musulmane du Canada est ici depuis 1860 et elle s'est intégrée sans problème au Canada. Nous avons une histoire extraordinaire qui ne fait état d'aucun heurt de nos civilisations. Ces idées et ces phénomènes sont récents.

Au cours des trois dernières années, les relations ont subi un dur coup sur plusieurs fronts. Par exemple, il y a toute une série de cas attestés de personnes stigmatisées ayant l'objet d'enquêtes parce qu'elles étaient soupçonnées de terrorisme et qui ont été justifiées. Il semble que ce genre d'erreur soit la règle et non l'exception.

Il y a eu les cas de Mohammed Atta, de Liban Hussein, de Maher Arar, de 23 Pakistanais, et ainsi de suite. Ce sont des personnes réelles dont l'existence est gâchée.

C'est là un aspect d'une relation qui a échoué. L'autre aspect est la très grande visibilité de l'affaire Maher Arar, de même que celle d'autres Canadiens qui se sont retrouvés en détention et qui ont été torturés à l'étranger. Il y a au moins quatre autres cas en plus de celui de Maher Arar. Le cas de M. Arar est celui qui a été le plus médiatisé.

Il y a des allégations de méthodes opérationnelles inacceptables ou inappropriées employées par la GRC et le SCRS dans tous ces cas. Tous ces hommes ont fait état d'une forme quelconque de harcèlement et tous soutiennent que les questions qui leur ont été posées à l'étranger étaient identiques aux questions que leur avait posées le SCRS. Ils se sont demandés s'il n'y avait pas un style canadien d'extradition en vertu duquel nous n'envoyons pas les gens à l'étranger pour être torturés, mais nous demandons plutôt aux organismes étrangers de cueillir ces personnes et de faire le sale travail à notre place, c'est-à-dire une sous-traitance d'interrogation. Cela a eu des répercussions pénibles sur nos rapports.

Les organismes ont recours à des tactiques opérationnelles troublantes et problématiques, et il n'est pas nécessaire qu'il en soit ainsi. Il existe des façons moins intrusives de parler aux gens, de cultiver leur confiance. Malgré cela, ce genre de tactique a contribué à compliquer davantage les rapports.

Selon moi, la clé est une approche et un dialogue constants et sincères. Je vous avouerai franchement que cela n'a pas existé ces quatre dernières années. Il y a eu des tentatives soutenues, sincères et concertées pour rejoindre les collectivités musulmanes et arabes. Nous avons le sentiment d'être des étrangers et que vous n'êtes là que pour nous interroger. Bien sûr, tel n'est pas le cas. La perception est que vous êtes ici et que vous faites enquête sur nous et que nous sommes des suspects à vos yeux.

Tout cela est source d'aliénation, en partie justifiée et en partie non justifiée, lorsque les Canadiens musulmans et arabes perçoivent chacun des agents de la GRC et chacun des agents du SCRS comme un ennemi de leurs intérêts. La seule façon de remédier à cette situation est de tenter une mobilisation consistante, soutenue, sincère et complète.

Il est intéressant de noter qu'aux États-Unis, lorsque le secrétaire à la Justice M. John Ashcroft a tenté de manière arbitraire de faire enquête auprès d'hommes d'origine arabe, plusieurs chefs de police ont dit qu'ils ne le feraient pas. Leur raison était qu'ils avaient établi et bâti des relations de confiance et des réseaux de communication avec les Arabes et les Musulmans. Si nous procédons de cette manière arbitraire, nous perdrons ces relations de confiance et nos raisons de mobilisation. Par conséquent, le travail qui consiste à rendre l'Amérique plus sûre sera plus difficile. Voilà le paradoxe. Si vous voulez que le Canada soit plus sûr, vous devez établir des partenariats avec les Arabes et les Musulmans. Par contre, ce partenariat sera érodé si vous avez recours à des tactiques de ce genre.

Notre suggestion, élaborée en consultation et en partenariat avec le CAF, est de diversifier les organismes de sécurité nationaux afin d'obtenir qu'ils fournissent des intrants, des conseils et des orientations utiles. Qui a-t-il à perdre? Je ne comprends vraiment pas quelles sont les réticences ou même les hésitations à communiquer régulièrement avec les leaders de la communauté musulmane, les leaders arabes et les activistes arabes et à les rencontrer pour parler franchement de ces questions. Vous pouvez accepter ce que nous avons à dire ou vous pouvez le rejeter.

Il n'y a certainement aucun mal à cultiver et à entretenir ce type de rapports. Curieusement, il y a plus de relations garanties aux États-Unis qu'au Canada et la situation, en termes relatifs et absolus, est pire aux États-Unis. Le FBI tient régulièrement des discussions ouvertes avec la communauté. À ces occasions, des oeufs et des tomates peuvent être lancés, mais il y a néanmoins un dialogue ouvert, soutenu et transparent qui n'existe pas ici au Canada. À part quelques conférences ici et là ou des séminaires à l'heure du déjeuner, il se fait très peu de choses en termes de communication directe.

Permettez-moi de vous donner un exemple magnifique d'un séminaire de formation robuste qui me tient à cœur. Un professeur de race blanche qui fait du profilage racial a un ami, un agent de police de race noire. Cet agent a commencé à travailler au service de police de Toronto. Après avoir rencontré son ami de race blanche, il a dit « Vous les Blancs, vous êtes fous. Les seuls appels que je reçois pour mettre fin à des bagarres dans des bars ou à des cas de violence conjugale mettent en cause des personnes de race blanche ».

À partir de cela, le chercheur en a conclu qu'il ne s'agit pas pour nous d'être haineux, méchants, ni de cultiver ces préjudices; il s'agit plutôt de savoir qui vous connaissez et avec qui vous passez suffisamment de temps dans la collectivité pour parvenir à humaniser vos rapports avec les autres.

J'irais jusqu'à dire que c'est très probablement le cas en ce qui concerne la GRC et le SCRS. Il n'y a tout simplement pas suffisamment d'interaction. Comme le dit Yoda, le fait de ne pas connaître les gens entraîne les soupçons, qui entraînent la haine, qui nous mène à découvrir le côté obscur des gens. Le côté obscur est le résultat direct de ne pas connaître d'autres personnes.

Lorsque je vais à la mosquée à quatre heures du matin, je me demande ce que mes voisins pensent du barbu basané qui sort de chez lui à pareille heure. L'explication toute simple est que je vais à la mosquée. Toutefois, le fait de ne pas connaître ce détail peut occasionner des problèmes. Il n'y a pas suffisamment de communication.

M. Awan : La première partie de la question était de savoir comment nous pourrions améliorer la compréhension entre le SCRS, la GRC, d'autres organismes de police et la communauté musulmane. En règle générale, il serait utile qu'il y ait plus de transparence et plus de responsabilisation. C'est pourquoi nous avons suggéré une commission indépendante chargée de surveiller le SCRS et la GRC en ce qui a trait à la Loi antiterroriste, un organisme qui rende compte publiquement du nombre de fois où cette loi est utilisée. Le gouvernement doit rendre compte du nombre de fois où les pouvoirs d'arrestation préventive et d'investigation sont utilisés.

Un rapport a été publié à la fin de 2002. À la fin de 2004, quand j'ai fait l'analyse juridique en prévision de la présentation d'aujourd'hui, je me suis rendu compte que le rapport de 2003 sur le nombre de fois où les deux mesures avaient été utilisées n'avait pas été publié. Je ne suis pas sûr qu'il l'ait été depuis, mais je n'ai rien trouvé à ce sujet dans mes travaux de recherche.

Je vous dis donc qu'il n'y a pas suffisamment de transparence et qu'en conséquence, les perceptions au sein de la collectivité s'en trouvent exagérées. Le Canadian Islamic Congress a tenté de faire du lobbying auprès du gouvernement pour lui exposer les préoccupations de plusieurs membres de notre collectivité qui sont ciblés en vertu de cette législation. C'est le cas de personnes qui sont arrivées récemment au Canada et qui, bien souvent, ne sont pas conscientes de leurs droits juridiques. Là d'où elles viennent, les agents de sécurité peuvent faire à peu près tout ce qu'ils veulent, tandis que les agents de sécurité au Canada ont des pouvoirs et que ces pouvoirs ne sont pas aussi étendus que ceux qui sont en vigueur dans d'autres pays.

Il doit donc y avoir un effort concerté pour renseigner ces personnes sur leurs droits. Nous soutenons que le gouvernement devrait automatiquement offrir une assistance juridique aux personnes qui sont détenues ou qui sont arrêtées en vertu de cette législation. Nous avons travaillé à cela pendant un certain temps, mais ces travaux ont été mis en veilleuse en raison de tout ce qui se passe au Parlement depuis quelques mois.

Nous estimons qu'il serait très utile que les personnes sont visées par cette loi soient informées de leurs droits et sensibilisées en ce sens. Je ne suis pas un expert en matière de pratiques de recrutement pour la GRC, le SCRS et d'autres organismes de police, mais ces pratiques ont grandement besoin d'être diversifiées. Plusieurs des problèmes seraient réglés si l'on fournissait une formation appropriée en matière de sensibilisation culturelle à la GRC et au SCRS et si les membres de ces organismes provenaient de milieux plus diversifiés.

Je ne connaissais pas l'existence de la Table ronde transculturelle. Je suis sûr que le Canadian Islamic Congress est au courant mais il me faudrait consulter d'autres personnes au sein de l'organisation pour savoir où nous en sommes à ce sujet.

Le sénateur Kinsella : Comme nos témoins le savent, le travail spécifique de notre comité est de passer en revue la loi qui est présentement inscrite dans le code des lois du Canada. Il viendra un moment au cours de notre analyse où nous devrons nous demander spécifiquement s'il faut modifier la loi. J'ai bien compris la discussion très utile que nous avons eue jusqu'à maintenant.

J'aimerais maintenant passer des preuves réelles, c'est-à-dire des expériences dont les gens vous font part, à ce que j'appelle des « solutions douces ». Comment pouvons-nous faire des interventions en douceur, par exemple des tables rondes, et transformer tout cela en preuve tangible? Quel genre de modifications serions-nous avisés de considérer à la Loi antiterroriste qui exigerait, en vertu de la Loi, de tels modèles d'interventions, comme ceux que vous avez mentionnés?

En 1988 ou 1989, le parlement a adopté la Loi sur le multiculturalisme canadien. Il a beaucoup été question de politique sur le multiculturalisme au Canada au cours des années 60 et 70. Il a fallu attendre la dernière partie des années 80 avant l'adoption de la Loi, ce qui a obligé le gouvernement à s'engager dans la voie du multiculturalisme. Ce processus, qui est en partie à l'origine de l'adoption de la législation, nous a enseigné que les langues du patrimoine ne sont pas seulement bonnes pour le Canada en termes de promotion des divers patrimoines des collectivités au Canada, mais aussi que ces langues du patrimoine sont des langues de commerce dans le monde. Le multiculturalisme a alors commencé à être une bonne décision d'affaires.

Pour lutter contre ce fléau du monde moderne qu'est le terrorisme, nous devons capitaliser sur toutes les ressources disponibles. Les langues du patrimoine sont une de ces ressources; à ce titre, les langues du monde le sont.

Par conséquent, elles sont nécessaires non seulement pour le développement intérieur, mais aussi pour nos partenariats internationaux dans la lutte contre le terrorisme. Tout cela va au delà des groupes linguistiques des collectivités islamiques ou arabes.

Pouvez-vous formuler pour nous quelques modifications réelles qui pourraient être proposées à la Loi antiterroriste afin de donner un certain muscle statutaire aux questions dont nous discutons?

M. Saloojee : Nous nous sommes référés à une critique juridique de la Loi antiterroriste. De manière générale, nous avons endossé la critique faite par Amnistie Internationale, l'Association canadienne des libertés civiles et aussi par la Canadian Civil Liberties Association et la Canadian Muslim Lawyers Association. Ce que nous avons fait en collaboration avec la Fédération canado-arabe est d'endosser la réforme législative suggérée par la Canadian Muslim Lawyers Association. Sept modifications réelles feraient en sorte que la loi serait conforme à la règle de droit. La principale préoccupation est que cette loi étouffe la règle de droit dans ce pays. Elle modifie la structure constitutionnelle de base du pays d'une manière grave et potentiellement permanente.

Nous recommandons l'élimination des procédures secrètes et de la preuve secrète dans toute la mesure du possible. Lorsque la preuve doit demeurer secrète, nous recommandons le recours à un conseiller juridique ayant une autorisation de sécurité pour le contre-interrogatoire et la vérification de cette preuve. Nos craintes à cet égard sont très évidentes. Le fait d'avoir des témoignages secrets et des preuves secrètes et défavorables est contraire à la garantie constitutionnelle de base d'avoir un procès équitable.

Comme l'illustre le cas de M. Arar, le problème relié à la preuve secrète devient une preuve politisée qui n'est pas crédible et qui ne peut être vérifiée. Le cas Arar regroupe plusieurs des préoccupations que suscite la Loi antiterroriste.

Il y a le cas d'un citoyen canadien qui a admis plusieurs choses sous la torture et sous la menace de torture. Ce que nous avons appris dans le cadre de l'enquête sur l'affaire Arar, est que l'ambassadeur du Canada en Syrie a rapporté la confession signée de M. Arar au Canada et l'a distribuée libéralement aux Affaires étrangères et à des organismes de sécurité. Nous savons qu'au retour de M. Arar, ces renseignements ont été disséminés de manière anonyme dans les médias. Il y a eu pas moins de trois ou quatre divulgations d'information concernant M. Arar disant qu'il était un terroriste ayant séjourné en Afghanistan et que tous ces renseignements provenaient d'une confession.

Comment cette confession est-elle devenue un fait et une preuve? Comment a-t-on pu l'utiliser au Canada pour détruire la personnalité de M. Arar?

Ce cas amplifie le problème que constituent les preuves politisées et non vérifiées qui proviennent de pays sans freins ni contrepoids et sans traditions démocratiques. La preuve secrète doit être éliminée. Si un élément de preuve doit demeurer secret pour des raisons de sécurité nationale, c'est la une raison valable, mais il peut y avoir des preuves qui ne compromettent pas la sécurité nationale.

Il existe toutes sortes de façon inventive de recourir à un avocat ayant une autorisation de sécurité pour contre- interroger un témoin et vérifier sa fiabilité. Par exemple, la Commission d'enquête sur l'affaire Arar peut compter sur un avocat commis d'office, en la personne de M. Ronald Atkey, chargé de jeter un regard propre et sobre sur la preuve et de décider si elle constitue une menace à la sécurité nationale.

L'autre suggestion est de recruter des avocats arabes et musulmans ayant une autorisation de sécurité, ce qui permettrait à la collectivité d'avoir l'impression qu'elle fait partie du processus plutôt que d'en être exclue.

Nous recommandons l'abolition complète du processus d'émission de certificats de sécurité. Il s'agit de l'un des processus juridiques les plus répugnants qui soit. Si vous vouliez concevoir un mécanisme permettant de violer à répétition les droits fondamentaux d'une personne afin d'en arriver à une conclusion injuste, tel serait le processus. Je ne crois pas qu'il soit possible d'en arriver à un processus aussi grossièrement trafiqué que les certificats de sécurité. Au total, j'estime que les personnes qui sont visées par un certificat de sécurité attendent et languissent depuis environ 14 ans que des accusations soient portées contre elles. Ces personnes qui attendent n'ont pas accès à la preuve et une grande partie de cette preuve pourrait fort bien être des éléments glanés à Guantanamo auprès de détenus que l'on a menacés d'un bâton en caoutchouc. Dans un cas, c'est précisément ce qui est arrivé. La preuve provient de suspects qui ont été torturés ou torturés modérément sans avoir accès à un conseiller juridique. Ces éléments de preuve ne devraient jamais être utilisés devant un tribunal; ils devraient être éliminés.

L'exigence du motif, qui concerne l'idéologie et la religion, rend légitime l'interrogation de personnes au sujet de leur foi. Les questions documentées dans les réponses au questionnaire en font état. On a demandé aux gens s'ils priaient, s'ils allaient à la mosquée, s'ils étaient pratiquants. Ce genre de questions est rendu légitime parce que l'on dit aux agents de sécurité qu'ils doivent examiner les aspects idéologiques et religieux. S'ils préparent une mise en accusation en vertu du projet de loi, ils doivent s'intéresser à ces aspects parce qu'il s'agit d'un motif pour la commission d'une infraction. C'est ce qui entraîne une chasse aux sorcières.

Nous vous recommandons d'appliquer la clause crépusculaire à l'ensemble de la loi à compter du 31 décembre et nous recommandons que le gouvernement s'assure de déposer un nouveau projet de loi, de tenir un débat rigoureux sur cette question et de ne pas se laisser piéger par une clause crépusculaire adoptée à la majorité des voix. Il faut que ce projet de loi fasse l'objet d'un examen rigoureux par un comité, qu'il soit analysé dans un contexte plus sobre et non seulement à la lumière des événements du 11 septembre.

Nous recommandons au gouvernement de revoir entièrement la formulation de l'infraction qui concerne la facilitation afin que des activités innocentes ne fassent pas l'objet de criminalisation.

Le sénateur Kinsella : Une de mes préoccupations est que la loi prévoit un examen triennal mais qu'elle ne prévoit pas d'autre examen. Si nous devons proposer des modifications, nous devrons examiner très attentivement celles que vous et d'autres témoins avez présentées.

En ce qui a trait à certaines des techniques utilisées par les agents qui mènent les enquêtes, qu'il s'agisse d'agent du SCRS ou de la GRC ou d'autres agents, laissez-vous entendre que ces personnes ne se comportent pas de manière appropriée? Ces gens se présentent chez vous et vous disent qu'ils sont un tel et un tel, qu'ils appartiennent à tel service sans pour autant fournir de pièces d'identification légitimes?

M. Saloojee : Oui. Je crois qu'il y a cinq ou six cas documentés. Dans l'un de ces cas, par exemple, la personne a simplement donné son prénom inscrit sur une carte portant aussi un numéro de téléavertisseur. La même chose s'est produite dans un autre cas.

Le sénateur Kinsella : À quel endroit dans la Loi antiterroriste le Parlement a-t-il confié ce pouvoir à un agent de la paix? Que je sache, il n'y a aucun article de la Loi antiterroriste qui autorise un agent de la paix à agir de cette manière. Voulez-vous dire que l'agent n'a pas présenté de pièce d'identité appropriée?

Savez-vous quel article de la loi lui donne ce droit?

M. Saloojee : Lorsque la question a été soulevée, la réponse a été qu'il s'agissait d'une tactique inacceptable, même de la part des autorités de police. Tous conviennent qu'il s'agit d'une tactique grossière et inacceptable.

Le sénateur Kinsella : Il me semble que cela est illégal même en vertu du Code criminel. Nous soupçonnons qu'il y a une infraction très grave aux lois du Canada. Si un représentant de ces organismes utilise ces procédures, il devrait prendre note de ce qui suit : peut-être que certains d'entre nous déposeront des accusations contre lui.

Au sein de la collectivité, y a-t-il des similitudes à ce que nous avons lu concernant les années de Pinochet au Chili où des soi-disant agents de sécurité disaient représenter les organismes de sécurité pour enlever des personnes?

Est-ce ce genre de peur de la police d'État qui touche les collectivités?

M. Esse : Je dirais oui. M. Saloojee nous a donné des exemples et, oui, il s'agit d'activités illégales. Les agents de sécurité canadiens conviennent qu'il s'agit d'une pratique inacceptable dans tous les cas que nous avons soulevés. Cela est vrai, mais même s'ils sont d'accord, la pratique continue. Nous devons trouver une façon pour que la loi et sa mise en oeuvre ne fassent qu'un.

Nos organismes de sécurité ont obtenu des pouvoirs extraordinaires et il est très facile d'abuser de tels pouvoirs. C'est là la réalité.

Le sénateur Kinsella : C'est une autre préoccupation, madame la présidente, que les pouvoirs extraordinaires s'accompagnent de responsabilités extraordinaires.

M. Alghabra : Je tiens à vous mentionner que la raison pour laquelle plusieurs d'entre nous demandons d'étendre l'examen est que nous avons l'impression qu'il s'est développé une culture à la lumière de cette législation et de la Loi sur la sécurité publique et aussi des certificats de sécurité qui sont prévus dans la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. La Loi crée une culture de pouvoir extraordinaire qui donne plus de flexibilité et plus d'ambiguïté dès que vous utilisez les mots « menace terroriste ».

Vous l'entendrez dire quand vous procéderez à l'examen de cette loi. À combien de reprises a-t-on évoqué la Loi antiterroriste? On vous répondra « Peut-être à deux reprises ». Toutefois, dans les faits, et si vous voulez faire le décompte, il y a une personne qui est détenue et il y a le journaliste du Ottawa Citizen dont le domicile a été fouillé. On vous répondra que la loi n'a pas été utilisée aussi souvent que cela et on se demandera pourquoi toutes ces inquiétudes.

Nous sommes préoccupés par la culture que cela favorise, par l'état d'esprit que cela entraîne et par l'autorité extraordinaire qui est accordée à des personnes et à des organismes de procéder où et quand bon leur semble.

Je vous donnerai deux exemples. Au sein de notre organisation, il y a eu un concours pour le poste de directeur des communications. Une des observations que j'ai pu entendre de la part d'un candidat est qu'il connaissait une autre personne qui avait manifesté un intérêt pour le poste mais qui n'a pas posé sa candidature parce que cette personne avait appris que le SCRS et la GRC surveillaient notre organisation.

Dans un deuxième exemple, une personne a voulu faire un don mais ne voulait pas le faire par chèque. Elle a dit « Puis-je vous donner de l'argent comptant? » Je lui ai demandé pourquoi et elle m'a répondu « Je ne veux pas que quiconque soit capable de trouver que je vous ai donné de l'argent ».

Ce ne sont que des anecdotes qui me viennent à l'esprit mais il y a beaucoup d'autres exemples. Craint-on dans notre collectivité que les autorités puissent se présenter n'importe quand et arrêter et détenir n'importe qui? Oui.

M. Awan : Vous avez demandé des modifications et j'ai deux suggestions à vous faire.

En général, il faut une meilleure protection procédurale pour les personnes qui sont accusées et pour les organismes de bienfaisance et les autres entités dont les actifs peuvent être gelés et qui peuvent en subir les conséquences au plan pénal.

Par exemple, en ce qui a trait aux infractions graves prévues dans le Code criminel, il existe un principe de droit criminel fondamental qui accorde automatiquement le droit d'en appeler à un tribunal supérieur. Dans les cas d'homicide, l'inculpé a automatiquement le droit d'en appeler à la Cour suprême du Canada. Il ne faut pas d'approbation officielle du tribunal pour demander un renvoi à la Cour suprême. Dans le projet de loi qui nous intéresse, les droits d'appel automatiques sont minimes. Je ne me souviens pas d'un endroit dans le texte de loi où il est question d'un droit d'appel automatique. La portée de l'examen judiciaire est limitée. Par exemple, après que l'on ait émis un certificat de sécurité à votre endroit, vous n'avez qu'un très petit nombre de jours pendant lesquels vous pouvez demander un examen judiciaire du certificat.

Pour ce qui est des autres modifications, les procédures de droit administratif exigent que l'infraction soit suffisamment bien définie. La Cour suprême a souvent invalidé des dispositions de la loi parce qu'elles étaient trop vastes, parce qu'elles accordaient trop de discrétion aux organismes de police pour déterminer la nature de l'infraction. Vous avez donné l'exemple des policiers qui se présentent et qui vous disent que vous avez commis une infraction parce que vos cheveux sont trop longs ou quelque chose d'aussi ridicule que cela.

Ce que nous disons, c'est qu'il faut mieux définir ces infractions de sorte que les services de police ne puissent agir de manière arbitraire. Il me semble que les services de police ont toute liberté pour déterminer ce qui est bien et ce qui ne l'est pas.

Le processus d'émission des certificats de sécurité est assorti d'un pouvoir qui permet au gouvernement de dresser une liste des entités terroristes. Le gouverneur en conseil peut émettre une liste qui désigne une entité terroriste sans qu'il y ait de processus judiciaire. Selon nous, le Cabinet ne devrait pas avoir ce pouvoir. Ce devrait être le fait d'un processus judiciaire dans le cadre duquel il est possible de présenter la preuve contre l'entité et de chercher à convaincre le tribunal que cette entité doit faire partie de la liste.

Ce n'étaient que quelques exemples, mais, en général, il serait bien d'avoir des définitions plus claires dans la loi, de définir des droits d'appel automatique et d'assurer une meilleure protection procédurale.

Le sénateur Fraser : Ma question s'adresse à M. Saloojee. Cette enquête a constitué un travail important, utile et instructif. Vous devez supposer que je le tiens pour acquis et qu'une seule injustice est une injustice de trop.

L'échantillonnage que vous avez fourni est essentiellement un échantillonnage autosélectionné. Normalement, les échantillonnages autosélectionnés tendent, de par leur nature, à inclure des gens qui ont un intérêt personnel plus direct, qui se préoccupent davantage de la chose et qui ont une expérience.

Est-ce que je pourrais dire que les proportions que l'on trouve dans les résultats de ce questionnaire sont plus importantes que les proportions que l'on trouve dans l'ensemble de la collectivité musulmane concernant des personnes qui ont eu des expériences malheureuses?

M. Saloojee : Nous avons été très clairs; il ne s'agit pas d'une étude scientifique. Nous n'avons aucune prétention quant au caractère scientifique de l'étude. Il s'agit d'une tentative de bonne foi pour faire état d'expériences vécues. C'est la raison pour laquelle nous avons mis l'accent sur 37 cas de personnes qui ont reçu la visite d'agents de sécurité, sur leur expérience et sur les tendances observées lors des interrogatoires.

En ce qui a trait aux données statistiques sur l'échantillon de 467 personnes, nous avons tenté de faire preuve d'ouverture et de diversité. Nous avons distribué le questionnaire dans les mosquées, dans les centres islamiques et lors d'activités pour des Musulmans à l'échelle du pays et aussi en ligne. La moitié des questionnaires distribués étaient sur copie papier et la moitié, sous forme électronique.

Pour ce qui est des pourcentages, je vous dirais qu'il s'agit d'une fenêtre qui représente 7 p. 100 de répondants. Par conséquent, il s'agit de 7 p. 100 de répondants qui ont reçu une visite. Cette proportion pourrait être plus ou moins élevée. Je crois cependant qu'elle confirme ce que nous avons toujours soupçonné. Selon moi, il s'agit probablement de données conservatrices.

J'ai envoyé des exemplaires du questionnaire et des résultats au ministre Cotler et à la ministre McLellan en leur demandant de faire une étude indépendante. Il s'agit d'une fenêtre sur ce qui se produit. La situation est suffisamment problématique et convaincante pour qu'une étude indépendante s'impose. Confions l'étude à des spécialistes de confiance et d'expérience. Si nous constatons qu'il s'agit d'une tempête dans un verre d'eau, parfait. Vous pourrez alors persuader 600 000 Musulmans et 400 000 Arabes qu'ils n'ont rien à craindre. Si par contre nous constatons qu'il y a un problème, tâchons d'y remédier. Prenons des mesures correctives.

Le sénateur Fraser : En ce qui a trait aux personnes qui ont reçu des visites au travail, cela me semble être une des formes les plus alarmantes d'enquête. Y a-t-il des indications sur le pourquoi de ces visites au travail?

Est-ce que les agents ont dit pour quelles raisons ils ont rendu visite à ces personnes à leur lieu de travail? Avaient-ils tenté de les appeler à domicile ou sur leur téléphone cellulaire? Comprenez-vous pourquoi ces agents ont visité des gens à leur lieu de travail?

M. Saloojee : Nous avons vérifié tous les récits qui n'ont pas rapport à des questions de sécurité et nous constatons qu'aucune des personnes visées n'a été mise en accusation. Il s'agissait d'une entrevue ou d'une visite de sécurité « type » ou « normale ».

À la lecture des récits, je ne me souviens pas que l'on ait tenté de rejoindre les personnes visées sur leur téléphone cellulaire ni à leur lieu de résidence. Il me semble clair qu'il s'agissait d'une méthode systémique, d'un mode d'opération visant à faire peur aux gens et à les inciter à coopérer. Vous leur faites peur en leur laissant croire qu'il y a quelque chose de grave. Les personnes visées n'ont pas le temps de faire appel à un conseiller juridique. On leur dit que c'est urgent. Cela semble être le mode de fonctionnement.

Le sénateur Fraser : Selon mes calculs, il y aurait environ 45 personnes dans votre échantillon qui ont fait l'objet d'un profilage racial. Je me demande ce que profilage racial signifie pour différentes personnes. L'expression est si couramment utilisée qu'elle englobe maintenant ce que la plupart des gens appelleraient du racisme patent plutôt qu'une technique de police particulière. Avez-vous l'impression que l'expression a été utilisée dans un sens large ou dans un sens plus spécifique?

M. Saloojee : Permettez-moi de clarifier. Dans le sondage qui a suivi les événements du 11 septembre, on a demandé à 2 002 personnes si elles avaient fait l'objet de discrimination. Puis, on leur a demandé de catégoriser cette discrimination. La difficulté concerne les gens qui ont dit avoir fait l'objet d'un profilage racial dans ce sondage précédent. Mais que cela signifie-t-il? Certains laissent entendre qu'il s'agit de discrimination, ce qui n'est pas le cas. D'autres disent que cette discrimination était plus spécifiquement en fonction de l'enquête ou de la surveillance ciblée.

Les résultats de la récente enquête montrent clairement que la collectivité musulmane est ciblée et que la proportion de 7 p. 100 des personnes qui ont reçu une visite est très élevée. Elle prend d'autant plus d'importance si elle fait l'objet d'une extrapolation.

Le sénateur Fraser : Je ne le conteste pas. J'essaie simplement de comprendre ce que vous avez trouvé, et ce qui se produit.

Ma dernière question a trait à la situation effrayante des gens qui laissent croire qu'ils sont des agents de sécurité, qui se présentent au domicile de certaines personnes et qui ne s'identifient pas. Je ne dis pas que cela ne s'est pas produit. J'ai le sentiment très inconfortable que cela s'est produit, mais y a-t-il des possibilités que certaines de ces personnes n'aient pas été des agents de sécurité, qu'elles aient été des criminels cherchant à profiter de personnes vulnérables? Il y a des criminels qui cherchent à obtenir de l'information sur des citoyens et qui utilisent cette information contre ces citoyens.

M. Saloojee : La chose est certainement possible. Est-ce plausible? Je dirais non, pour un certain nombre de raisons. Il y a les circonstances qui entourent les visites et il y a la présentation de pièces d'identité non appropriée. Dans certains cas, l'agent se définit lui-même comme travaillant pour le gouvernement ou pour le Conseil privé, puis, si on le presse de questions, il admet être affilié au SCRS.

Il s'agit d'un incident commun au sein de la collectivité musulmane et l'enquête montre clairement que cette situation se produit fréquemment. L'enquête vient confirmer ce que nous savons depuis longtemps.

Il est également possible que Jean ou Robert soit le prénom réel de l'agent visiteur. Peut-être ne cherche-t-il même pas à usurper une identité. Toutefois, la carte qu'il présente est fictive.

Le sénateur Fraser : Cela ne change pas grand-chose que la carte ne porte que le prénom de Jean, même si ce prénom est réel.

Quand vous avez porté cette situation à l'attention de la police et des ministres, ont-ils dit qu'ils feraient quelque chose, à part dire que c'était inacceptable?

M. Saloojee : Je ne mâcherai pas mes mots. Avant de mener l'étude, nous avions mentionné cette preuve empirique à la GRC, au SCRS et aux ministres en question. Aujourd'hui, cela est écrit. Il n'y a pas eu de réaction de bonne foi à l'enquête. Je ne crois pas que l'on y ait accordé toute l'attention nécessaire. La ministre McLellan a longtemps soutenu que le profilage racial n'existe pas. Lorsque le ministre responsable de la GRC et du SCRS dit que le profilage racial n'existe pas, cela donne l'impression que notre collectivité invente ces incidents. Lorsqu'il y a un tel blocage idéologique, il est très difficile d'envisager les choses avec tout le sérieux nécessaire.

Il y a pourtant des indications qui montrent que la situation change. Nous avons entendu dire que ce comportement est illégal et qu'il faut faire enquête sur les allégations. Nous espérons que l'enquête servira à accélérer la recherche de mesures correctives.

M. Esse : J'ai un exemple de personnes vêtues d'uniformes de la GRC qui visitaient une collectivité à la recherche d'un individu en particulier. Ces « agents » ont demandé à voir telle personne. Et les gens qui se trouvaient à l'endroit visité ont été menottés. Il s'agissait de personnes d'âge moyen et on leur a pris leurs pièces d'identité. La personne visée ne se trouvait pas à l'endroit visité et elles ont donc été libérées. Ensuite, les personnes qui avaient été menottés ont parlé à leur ami et lui ont dit que la police le recherchait. Elles lui ont parlé des menottes et de l'intimidation.

Cet homme est allé directement au poste de police et a demandé à savoir pourquoi on le recherchait. L'agent de police a cherché son nom sur l'ordinateur et lui a répondu qu'il ne s'y trouvait pas. L'homme a demandé de faire une recherche pour l'ensemble de la région de Toronto afin de déterminer s'il était recherché. L'agent a donc cherché à l'échelle de l'Ontario et lui a dit que son nom ne s'y trouvait pas. Les personnes qui avaient été menottées n'ont pas été profilées d'aucune autre manière; elles ont été terrorisées. Personne ne sait pour qui travaillaient ces interrogateurs.

Le sénateur Smith : J'ai cru vous entendre dire que vous aviez cinq cas documentés. Ai-je bien entendu?

M. Saloojee : Je crois qu'il y avait cinq cas comportant des documents incorrects ou non appropriés.

Le sénateur Smith : Il y avait cinq cas de pièces d'identité inexactes ou pouvant porter à confusion?

M. Saloojee : Il y a quatre cas où il y avait des cartes imprimées et un cas où l'agent s'est identifié comme un agent du gouvernement ou un fonctionnaire. Quand on l'a pressé de questions, il a admis être à l'emploi du SCRS.

Le sénateur Smith : Qui a porté plainte et que s'est-il produit?

M. Saloojee : Aucune des personnes visées n'a porté plainte. L'homme qui assistait à notre conférence de presse a eu le culot et l'audace de parler de son expérience avec la GRC, chose plutôt inhabituelle dans des cas semblables. Cet homme a dit qu'il avait tenté de porter plainte et qu'il n'avait obtenu aucune réponse, de sorte qu'il a laissé tomber.

Lorsque l'incident s'est produit, il a consulté le site Web de la GRC et n'a pu trouver aucun mécanisme lui permettant de porter plainte. Il a donc envoyé un courriel à la GRC, et il n'a eu aucune réponse. Il a donc laissé tomber la plainte.

La vaste majorité des personnes qui ont été victimes de telles tactiques semblables ne se manifestent pas et ne portent pas plainte. Cela s'explique par diverses raisons qui sont assez bien établies dans les travaux sur la discrimination. Les gens ont peur, ils sont anxieux, ils craignent pour leur identité et craignent les représailles. Selon un proverbe égyptien, si vous vous plaignez, vous vous placez derrière le soleil, ce qui signifie que vous disparaissez. La plupart des gens ont un bagage similaire de sorte que porter plainte ne leur vient pas à l'esprit.

La simple idée que vous pourriez être relié publiquement, à tort ou à raison, à du terrorisme, est un peu comme le souffle de la mort sur la collectivité. Dans la collectivité plus large, c'est un peu comme si vous étiez pédophile ou tueur en série. Que ce soit à tort ou à raison, le simple stigmate de terroriste est suffisant pour dissuader quiconque de se manifester publiquement.

Mme Shirley Heafey a parlé franchement et vigoureusement de la difficulté de faire son travail. Son Comité de surveillance civile n'a pas les moyens d'intervenir parce que la GRC ne le soutient pas et qu'elle ne peut faire enquête lorsqu'elle le souhaite. Lorsque le responsable d'un organisme de surveillance dit des choses semblables, je suis sûr que cela n'inspire aucunement confiance aux personnes qui ont déjà décidé de ne pas porter plainte.

Le sénateur Smith : Dans le cas où il s'est avéré qu'il s'agissait d'un agent du SCRS, savez-vous si on a porté plainte auprès du SCRS?

M. Saloojee : Je crois comprendre qu'aucune plainte n'a été déposée auprès du CSARS, l'organisme qui supervise le SCRS, principalement pour les raisons que je vous ai exposées. La dernière chose que les gens souhaitent est de se faire connaître publiquement. De plus, à la suite des événements entourant l'affaire Maher Arar, et des divulgations d'information anonymes au sujet de personnes bien connues, particulièrement au sein de la collectivité arabo- musulmane, de la part de fonctionnaires du gouvernement anonymes, situations dignes d'un roman de cape et d'épée, les gens estimaient que les renseignements à leur sujet pouvaient également être divulgués. Dans ces circonstances, pourquoi faire des vagues?

Il est intéressant de constater que dans un certain nombre de cas documentés, les agents ont demandé aux personnes visitées de ne rien dire. Dans deux cas, le Conseil canadien des relations américano-islamiques nous complique la tâche. Nous n'avons rien contre ce Conseil, mais vous devez être favorable au Canada. Comme en font foi les récits, on a cherché activement à dissuader les personnes de porter plainte auprès de tierces parties.

Le sénateur Smith : Plusieurs d'entre vous ont fait référence à l'affaire Arar. La mauvaise nouvelle est que des choses tout à fait incorrectes, semble-t-il, se sont produites dans ce dossier. Je ne souhaite aucunement présumer des résultats de l'enquête, mais c'est ce qu'il me semble. La bonne nouvelle est que le Canada a décidé d'établir à grands frais une commission d'enquête pour faire la lumière sur cette affaire et pour aller au fond des choses.

Je vous pose ma question en toute bonne foi. Je ne connais tout simplement pas la réponse. Au sein de vos diverses organisations, bien de gens ne connaissaient pas M. Arar, mais lorsque son cas a été rendu public, comme dans le cas de M. Sampson en Arabie saoudite et des quatre autres cas que vous avez mentionnés, est-ce que vos groupements ont protesté auprès de ces gouvernements, qui se trouvent tous les deux dans le monde musulman et arabe?

Faites-vous des démarches officielles? Prenez-vous position? Comment réagissez-vous quand vous prenez conscience du comportement que ces pays ont eu?

M. Saloojee : Nous avons été très clairs dans nos déclarations publiques. Mme Sheema Khan est présidente du Conseil et rédactrice nationale au Globe and Mail. Elle y a une chronique mensuelle. C'est une femme intrépide et qui ne craint pas d'aborder ces questions. Elle est très critique. Chose certaine, elle n'est pas meneuse de claque pour la communauté musulmane, loin de là. Elle est férocement critique et elle agit de la sorte face à diverses questions, qui vont du manque de démocratie aux structures patriarcales, et cetera, et qui sont toutes documentées.

Nous avons été très critiques du gouvernement syrien, bien que, pour être honnête, certains membres de la communauté musulmane aient dit « Il s'agit d'un gouvernement musulman, et si vous critiquez la Syrie, vous pavez la voie aux États-Unis, qui pourraient décider d'envahir la Syrie, un peu comme ils l'ont fait en Iraq ». Nous estimons qu'il était de notre devoir de faire preuve d'honnêteté et de critiquer les Syriens qui ont agi pour le compte des États- Unis et peut-être du Canada. Nous ne savons pas dans quelle mesure le Canada a pu se faire complice de la sous- traitance des séances d'interrogation menées par des Syriens, mais nous avons été critiques de ce cas et de bien d'autres cas.

Nous avons tenté d'établir une norme universelle. Peu importe qu'il s'agisse de Musulmans ou de personnes qui ne sont pas des Musulmans qui commettent ces abus. Toutes ces personnes doivent être condamnées. Le Coran contient des passages à l'effet que les personnes qui sont de profession musulmane ou de croyance musulmane et qui ont la foi doivent défendre la justice, même si cela va à l'encontre de leur collectivité, de leur peuple, de leurs proches et de leurs propres convictions. La justice est perçue comme étant une façon de se rapprocher de Dieu. La norme doit être une constante universelle de justice peu importe qui commet l'injustice.

Le sénateur Smith : Je pourrais également mentionner le cas de la photographe Zahra Kazemi qui a été assassinée en Iran.

M. Alghabra : J'appuie les propos de M. Saloojee. Notre position et nos principes sont clairs et universels et ils s'appliquent à tout le monde et à tous les pays. Je tiens à insister sur le fait que nous sommes des organisations canadiennes. Notre responsabilité est de travailler au nom des Canadiens arabes et musulmans à établir un dialogue et des rapports avec notre gouvernement canadien.

Nous estimons que le gouvernement canadien est responsable envers nous et que nous sommes responsables envers nos citoyens du Canada. Nous mettons l'accent sur le Canada et sur ce que nous faisons en tant que Canadiens, au Canada.

Le journal The Gazette de samedi a publié une lettre ouverte concernant Zahra Kazemi dans laquelle nous abordons ces questions, mais nous nous intéressons au Canada et à ce qui se passe au Canada.

M. Esse : Un autre exemple s'est produit dans les jours qui ont suivi le 11 septembre. Des leaders de la communauté musulmane du Canada se sont réunis pour condamner quiconque était derrière cette tragédie. Nous avons publié ce message dans le Toronto Star. Même si nous voulons dire que nous sommes contre ce type de gestes, qui voudra accepter notre publicité? Nous n'avons pas véritablement de pouvoir pour faire de la publicité et nous assurer que tout le monde entend ce que nous avons à dire.

Dans nos mosquées, dans nos rencontres et partout ailleurs, nous condamnons ces injustices, peu importe qu'elles soient commises par des Musulmans ou par des non-Musulmans, les gens que nous ne sommes pas, qui qu'ils soient, de manière égale.

Nous avons transmis nos condoléances à l'occasion du décès du Pape Jean-Paul II en envoyant des courriels et des lettres aux personnes concernées. Nous avons fait la même chose à l'occasion de l'anniversaire de l'Holocauste. Toutefois, qui répercutera publiquement ce que nous disons?

Si un Musulman canadien fait le mal, nous serons tous étiquetés en conséquence. Nous sommes conscients de cette injustice aussi. De plus, si quelqu'un doit prendre la responsabilité dans l'affaire Arar, ce devrait être les États-Unis. Ce sont eux qui ont déporté M. Arar en Syrie.

Le sénateur Smith : Le gouvernement syrien en porterait la responsabilité.

M. Esse : Je suis entièrement d'accord avec vous, mais par où faut-il commencer? Nous estimons que les États-Unis l'ont envoyé là-bas et qu'ils ont demandé qu'il soit puni jusqu'à ce qu'il confesse des crimes quelconques. C'est ce que nous pensons. Si c'est la réalité, il faut d'abord trouver où le problème a commencé.

De même, qu'il s'agisse des Saoudiens, des Syriens ou des Égyptiens, ou de quiconque, nous sommes tout à fait contre les personnes qui commettent des injustices. Comme l'a dit M. Alghabra, nous sommes responsables vis-à-vis notre pays, notre gouvernement et notre peuple. Nous sensibilisons les gens en leur disant « Écoutez, vous devriez être de bons citoyens ». En même temps, nous devons faire part de nos préoccupations à la base, à nos gouvernements, à nos autorités et aux organismes de sécurité, d'une manière plaisante.

Pour le moment, nous disons que nous sommes les premiers à collaborer avec les organismes de sécurité et à louer leur travail, mais qui nous donnera la garantie qu'ils pourraient faire leur travail de manière honnête et compréhensible? C'est ce que nous demandons.

M. Awan : En tant qu'organisation, nous avons fait des déclarations qui ont été publiées dans la presse pour condamner les actions de gouvernements dans des pays islamiques. Je ne veux pas parler de gouvernements islamiques parce que, bien souvent, ce n'est pas le cas.

Nous avons condamné des gens comme Saddam Hussein, Islam Karimov, Musharraf au Pakistan et des régimes dictatoriaux dans le monde islamique.

Notre président, le professeur Mohamed Elmasry, notre vice-présidente, Mme Wahida Valiante, et plusieurs autres membres de notre organisation rencontrent les ambassadeurs de divers pays comme la Syrie et l'Iran pour leur faire part de nos préoccupations en ce qui concerne la façon dont les choses se déroulent dans ces pays et pour insister auprès d'eux sur les droits de la personne, et ainsi de suite.

Par exemple, lors de la visite récente du Premier ministre palestinien Mahmud Abbas, le professeur Elmasry a assisté à la rencontre avec le Premier ministre Paul Martin et il a fait état de préoccupations concernant l'avancement des droits de la personne dans les territoires palestiniens. C'est une chose que nous continuons de faire tout en maintenant le cap sur le fait que nous sommes une organisation islamique canadienne.

M. Alghabra : Les Canadiens sont tous des immigrants. Il peut s'agir de personnes de deuxième, de troisième ou même de quatrième génération, mais l'immense majorité d'entre nous sommes des immigrants. Personne n'a été tenu d'expliquer ce que son pays d'origine avait fait justifier leur décision de devenir citoyen canadien.

Il y a une certaine obligation de la part des Musulmans et des Arabes de toujours condamner le pays où des atrocités se sont produites. Bien entendu, et à juste titre d'ailleurs, il n'y a personne qui prend la défense de ces atrocités, mais les Arabes et les Musulmans canadiens ne peuvent se défaire de cette étiquette. Ce sont des Canadiens à part entière et pourtant, ils doivent continuer d'expliquer pour quelle raison ils ont toujours un attachement quelconque à leur pays d'origine ou à leur ethnicité.

Le sénateur Joyal : J'aimerais revenir à la question de la Table ronde. Certaines de vos réponses me préoccupent.

Si je comprends bien la politique du gouvernement, ou du moins celle qu'a annoncée le ministre de la Sécurité publique et des Mesures d'urgence, c'est que la Table ronde est un mécanisme privilégié pour établir, pour développer et pour entretenir un lien avec la communauté arabe.

Le ministre a-t-il pris votre nom ou vous a-t-il fait participer à une consultation avant la formation du comité?

J'ajouterais un mot en ce qui a trait à l'étiquette de « représentativité » pour votre organisme. Pour participer à cette table ronde vous devez avoir une certaine capacité de communiquer l'information à un groupe de citoyens qui appuie votre communauté.

Si vous pouviez le faire, peut-être vous pourriez nous aider à mieux évaluer la Table ronde et ce que nous pouvons attendre de la Table ronde actuelle.

M. Esse : Sénateur Joyal, je suis d'accord avec vous. La réponse à votre question est oui, particulièrement lorsque je parle au nom de la Coalition of Muslim Organizations.

Le 20 avril 2004, nous avons écrit à la vice-premier ministre et au ministre de la Sécurité publique et des Mesures d'urgence qui ont invité une quinzaine de personnes de partout au pays à participer à une séance de consultation sur le projet de loi C-36. À la fin de cette réunion, Mme Anne McLellan a laissé entendre qu'elle voulait former un comité de table ronde.

Comme vous le savez, les élections ont été déclenchées peu après. Immédiatement après les élections, le gouvernement a annoncé son intention de créer la table ronde, a fait connaître les compétences qu'il recherchait et un certain nombre de questions ont été abordées sur le site Web. COMO a reçu une lettre officielle du gouvernement dès que nous avons manifesté notre intérêt. Cette lettre disait « Vous pouvez faire une demande dès maintenant, en passant par notre site Web ».

Nous avons présenté une demande. Une des exigences était que la candidature devait être appuyée par un de nos députés. C'est ce que nous avons fait et notre représentant a obtenu cet appui, non seulement de la part de députés, mais également de l'administration centrale de la police et d'autres leaders de la communauté.

Un de nos membres, qui fait partie de la Muslim Lawyers Association, a également présenté une demande comme l'a fait un autre membre. Nous avons suivi toutes les instructions et pourtant, personne d'entre nous n'a été accepté.

À la suite de cela, nous avons débattu de la question avec la vice-première ministre, et elle a justifié son choix au cours de cette discussion. Il semblerait que le CAR, le Conseil canadien des relations américano-islamiques, le COMO et la Muslim Lawyers Association ne fassent pas partie des grandes organisations musulmanes.

M. Alghabra : Nous avons été invités à présenter une demande et nous avons proposé une candidature. Nous avons également assuré une coordination avec d'autres organisations concernant les candidatures. Chaque organisation qui est ici aujourd'hui a soumis au minimum un nom et d'autres organisations qui ne sont pas ici ont également soumis des candidatures. Nous avons été surpris des résultats de la sélection.

Pour vous donner plus de précision, il y a deux Musulmans, dont deux Arabes au sein de ce comité et aucun d'entre eux ne vient de Toronto ou de Montréal, endroit où se trouvent pourtant la majorité des Musulmans et des Arabes au Canada.

Nous avions des préoccupations. Je ne veux pas dire que les personnes qui font partie du comité ne veulent pas aider le gouvernement à aborder ces questions. Peut-être que nous ne les connaissons pas mais que leur curriculum vitae fait état d'une aptitude manifeste ou expresse à aborder ces questions.

Nous avons écrit au ministre pour lui exprimer notre déception et pour l'encourager à ajouter un autre nom ou plus d'un nom à ce comité. Cela ne s'est pas produit.

Le sénateur Joyal : Monsieur Saloojee, voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Saloojee : Selon nous, pour que la Table ronde soit efficace, elle doit être représentative. Les personnes qui font partie de cette Table ronde doivent communiquer de manière précise les sentiments de la collectivité aux autres membres de la Table ronde puis en retour, ils doivent faire état des discussions à leur communauté. Il faut véritablement que les questions abordées ne soient pas des questions vides, des questions jetables, mais plutôt des questions réelles qui nous concernent en tant que Canadiens musulmans et arabes.

Il doit s'agir de questions nationales étoffées et il faut aussi déterminer comment ces lois affectent la collectivité. Les discussions doivent être efficaces. Il doit y avoir des résultats tangibles, concrets et solides qui ressortent de cette Table ronde.

Si je comprends bien, il n'y a eu que deux rencontres jusqu'à maintenant. Il est sans doute prématuré de juger de l'efficacité de la Table ronde. Il n'y a eu que deux réunions et je ne connais pas véritablement les questions de fonds qui seront abordées.

Comme mes collègues l'ont mentionné, nous craignons que cette Table ronde ait des répercussions réelles sur la vie des Canadiens arabes et musulmans.

M. Awan : À titre individuel, mon travail auprès du Canadian Islamic Congress a été d'analyser la Loi antiterroriste, et je n'étais pas au courant de la mise sur pied de cette Table ronde. Ce qui ne veut pas dire que le Canadian Islamic Congress n'a pas présenté une demande pour faire partie de cette table. Je ne sais pas non plus si on a présenté une demande de représentant ou si un poste a été accordé à un représentant de notre organisation. Je pourrai vérifier et vous donner une réponse plus tard.

Vous vous êtes interrogé sur notre réseau. Comme je l'ai mentionné précédemment, nous représentons les intérêts et les préoccupations de milliers de Canadiens musulmans de provenances très diverses. Nous comptons un peu plus de 40 000 membres. Nous représentons les écoles de pensée chiite et sunnite de même que des personnes de tous âges et des deux sexes. Le gouvernement a reconnu et reconnaît notre contribution à la communauté islamique et notre position en tant que l'un de ses représentants. Au cours des derniers mois, nous avons été invités à parler des lois sur la citoyenneté du Canada devant le Comité de la citoyenneté qui étudiait le projet de loi sur le mariage entre personnes de même sexe, en plus d'être ici aujourd'hui. Nous avons publié de nombreux articles dans la presse. Lors de la dernière élection, nous avons publié un premier rapport de la collectivité musulmane qui a été largement repris dans les médias. Ce rapport évaluait tous les députés en poste au moment du déclenchement de l'élection fédérale de 2004 sur une variété de questions d'intérêt pour les Islamistes et sur la collectivité canadienne de façon plus large. Ce rapport a aussi fait l'objet d'une large distribution.

Nous publions aussi un bulletin de nouvelles électronique qui est adressé à plus de 300 000 personnes en Amérique du Nord. Manifestement, nous avons les moyens de faire connaître les intérêts et les préoccupations du gouvernement à la communauté islamique du Canada, et de l'Amérique du Nord dans son ensemble.

Le sénateur Joyal : J'essaie de comprendre comment la Table ronde peut être efficace s'il ne s'y trouve aucun leader communautaire ayant des racines dans la communauté. J'établis un parallèle avec les langues officielles. Dans diverses provinces, il y a les organisations provinciales, par exemple des groupes comme les francophones acadiens et les collectivités de langue anglaise au Québec. Pour atteindre ces collectivités, vous faites habituellement appel aux représentants élus de la collectivité, de sorte que vous avez une idée générale des personnes qu'ils représentent.

Je trouve curieux que vous me disiez qu'il n'y a personne de votre organisation provenant de Toronto ou de Montréal. Comme vous l'avez dit vous-même, le plus grand nombre de vos collectivités est concentré dans ces deux villes et je ne vois pas comment on peut établir une relation de confiance sans qu'il y ait des leaders.

Nous nous tromperons sur les répercussions de la Table ronde à court terme si la position qu'elle adopte ne reflète pas les idées de la collectivité et si son plan d'action ne comprend pas la coopération avec les leaders.

Avez-vous des éléments à ajouter aux priorités que la Table ronde devrait aborder?

M. Esse : Nous n'avons pas été consultés à ce sujet. Lors de notre récente rencontre avec la vice-première ministre, nous lui avons fait part de nos points de vue concernant la Table ronde et nous en sommes arrivés à une compréhension positive. Toutefois, nous estimons que la Table ronde devrait se réunir deux fois par année. Nous espérons qu'il y aura des améliorations.

Toutefois, nous avons fait une présentation très convaincante en ce qui a trait au nombre, à la représentation, à ce qui devait être fait et à la façon dont cette Table ronde pourrait être efficace. Nous espérons que tout cela aura des répercussions dans le futur. Nous avons fait de notre mieux.

Le sénateur Joyal : Monsieur Alghabra, vous proposez à la page 8 de votre mémoire que la collectivité conçoive une étude approfondie qui serait entreprise par un comité d'experts indépendants acceptés mutuellement et que ce comité soit chargé d'examiner les politiques, les pratiques opérationnelles et ainsi de suite et que ce comité se déplace un peu partout au pays et fasse des recommandations finales.

J'étais bien naïvement sous l'impression qu'une telle initiative pouvait être entreprise par la Table ronde. Si nous devons en arriver à une étude significative et concluante au sujet du profilage racial, il me semble que les divers groupes devraient contribuer à la conception de l'étude afin que nous puissions commencer avec au moins une compréhension générale des conclusions à venir.

Je crois qu'il faut « renforcer » la Table ronde, pour utiliser une expression courante, si nous voulons qu'elle donne des résultats. Autrement, nous tournerons autour de la question, mais nous ne serons jamais capables d'apporter quelque amélioration que ce soit.

M. Alghabra : Avant de répondre à votre question, permettez-moi d'apporter une correction. Il y a quatre Musulmans au sein du comité, et non trois, dont deux sont des Arabes.

Je conviens qu'il est possible d'en arriver à cette proposition par l'entremise de la Table ronde transculturelle. Nous proposons une étude sur le profilage. La portée d'une telle étude est beaucoup plus étroite que celle des répercussions de la sécurité sur les collectivités. Je crois qu'il s'agirait là d'une grande initiative pour la Table ronde que d'adopter et de soumettre la proposition au ministre.

Nous recommandons une collaboration avec les groupes communautaires et les travailleurs sociaux indépendants en vue d'élaborer une enquête scientifique étendue et exhaustive afin de régler cette question une fois pour toute, pour déterminer s'il y a profilage racial ou s'il s'agit d'une perception erronée. S'il ne s'agit que d'une perception, le gouvernement pourra le dire et les collectivités musulmanes et arabes seront soulagées et pourront prendre conscience qu'il s'agit d'une crainte non fondée. Par contre, s'il y a profilage racial, nous pourrons y faire face. Le simple fait de porter des accusations et de dire de manière défensive que cela ne se produit pas n'aide aucunement à régler le problème. Allons de l'avant et trouvons ce qui se passe. Si quelque chose se passe, mettons en place les mécanismes pour corriger la situation.

Il s'agit là d'une initiative importante que le gouvernement pourrait entreprendre avec d'autres organisations. Permettez-moi de réitérer qu'il est difficile pour nous, en tant qu'organisation, de ne pas nous sentir mis de côté alors qu'aucun de nos représentants ne fait partie de cette Table ronde transculturelle. Le ministre a dit que nous serions toujours partie au dialogue et aux discussions, et nous l'avons été. Nous avons rencontré le ministre le mois dernier. Toutefois, la Table ronde a été établie spécifiquement à cette fin et nous croyons qu'un représentant de la société civile organisée, de la collectivité devrait faire partie de cette table.

M. Saloojee : Je suis en accord avec cette déclaration. Si vous voulez avoir des résultats concrets et si vous voulez être capable de les communiquer, vous devez avoir une représentation de la collectivité. La collectivité arabe ne manque aucunement de capital intellectuel et social.

Plusieurs personnes ont l'expertise voulue pour défendre les intérêts de la collectivité musulmane. Vous avez entendu parler de Ziyaad Mia qui, à toutes fins pratiques, est notre premier expert national sur les questions de sécurité nationale. Il y en a d'autres comme le professeur Reem Bahdi et le Dr Rachad Antonius, qui ont témoigné devant la Commission Arar cette semaine. Il y a de nombreuses personnes. Le capital social existe.

Il faut envoyer un signal à la collectivité musulmane pour lui dire que nous sommes intéressés à travailler avec elle en tant que collectivité. Tout cela s'est perdu dans la traduction. Pour que la Table ronde donne des résultats, il faut retrouver l'essence. Il faut envoyer un message clair à l'effet que nous voulons engager la collectivité pour ce qu'elle est et que nous ne la craignons pas.

Le fait que certains membres compétents ne s'y trouvent pas envoie le message contraire, c'est-à-dire que la Table ronde manque de sérieux. Cette perception de la part de la collectivité pourrait être qu'il s'agit d'une ouverture symbolique, et non sérieuse. C'est le travail qui doit être accompli par les membres de la Table ronde.

La présidente : Je remercie les témoins qui sont venus ici aujourd'hui. Nous poursuivons notre étude de manière à obtenir le meilleur contexte possible concernant plusieurs des questions sur lesquelles nous nous sommes déjà penchés et nous comptons bien réunir ici des représentants de la collectivité afin qu'ils nous donnent leurs opinions.

Nous vous remercions beaucoup des présentations que vous nous avez faites cet après-midi. Nous y réfléchirons sérieusement et je suis sûre que nous resterons en contact avec vous.

La séance est levée.


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