Délibérations du comité sénatorial spécial sur la
Loi antiterroriste
Fascicule 14 - Témoignages - Séance de l'après-midi
OTTAWA, le lundi 20 juin 2005
Le Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste se réunit aujourd'hui, à 13 h 35, pour faire l'examen approfondi des dispositions et de l'application de la Loi antiterroriste (L.C. 2001, ch.41).
Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Chers collègues, le Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste entame sa trente et unième réunion visant à entendre des témoins. À l'intention de nos téléspectateurs, je vais expliquer la raison d'être du comité.
En octobre 2001, en réaction directe aux attaques terroristes menées à New York, à Washington. D.C., et en Pennsylvanie et à la demande des Nations Unies, le gouvernement du Canada a déposé le projet de loi C-36, Loi antiterroriste. Étant donné l'urgence de la situation, le Parlement avait été prié d'accélérer son étude du projet de loi, ce que nous avions accepté de faire. L'échéance fixée pour l'adoption du projet de loi était la mi-décembre 2001.
Cependant, on avait fait valoir qu'il était difficile d'évaluer à fond les éventuels effets de la loi en si peu de temps. C'est pourquoi il avait été convenu que le Parlement serait prié d'examiner après coup, c'est-à-dire trois ans plus tard, les dispositions de la loi et leur impact sur les Canadiens, dans un contexte public moins chargé émotionnellement. Les travaux du comité spécial représentent les efforts déployés par le Sénat en vue de remplir cette obligation.
À la fin de notre étude, nous ferons rapport au Sénat de tout problème qu'il faudrait, à notre avis, régler et nous mettrons à la disposition du gouvernement et du public canadien les résultats de nos travaux. Un processus analogue est en cours à la Chambre des communes.
Jusqu'ici, le comité a entendu des ministres et des hauts fonctionnaires, des experts internationaux et nationaux sur le contexte de la menace, des experts juridiques, ceux qui sont chargés d'appliquer la loi et de réunir du renseignement de sécurité, de même que des représentants de groupes communautaires.
Cet après-midi, nous allons nous pencher sur les effets de la Loi antiterroriste sur les organismes de bienfaisance. Nous avons le plaisir d'accueillir, d'Imagine Canada, son vice-président, Politique publique et relations gouvernementales, Robbin Tourangeau, qui est accompagné du conseiller juridique et directeur des affaires réglementaires, Peter Broder. Nous entendrons ensuite Blake Bromley, associé chez Benefic Lawyers. Comme toujours, il faudra avoir l'oeil sur nos montres et poser des questions et y répondre avec la plus grande concision. Nous disposons d'un peu moins de deux heures. Messieurs, vous avez la parole. À la fin de vos déclarations, je sais que les sénateurs seront impatients de vous interroger.
M. Peter Broder, conseiller juridique et directeur, Affaires réglementaires, Imagine Canada : Madame la présidente et mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de nous avoir invités à comparaître aujourd'hui au sujet de la Loi antiterroriste et de son effet sur les organismes de bienfaisance.
Imagine Canada compte 1 200 membres environ. Il est le plus important groupe de coordination au Canada mandaté pour promouvoir les intérêts des organismes de bienfaisance et des groupes sans but lucratif. Il a été créé par le Centre canadien de philantropie et par la National Coalition of Voluntary Organizations dont il intègre les fonctions.
Le Canada a un secteur caritatif étendu et dynamique qui s'appuie sur la grande confiance que lui porte le grand public et sur le long historique des oeuvres philantropiques au Canada. Toutefois, les organismes caritatifs canadiens évoluent dans un contexte où la demande excède souvent les ressources. De nombreux organismes, mais plus particulièrement les organismes caritatifs modestes, comptent sur l'aide de bénévoles et sur les dons. Dans ce contexte, il importe que les lois s'appliquant aux organismes de bienfaisance ne sapent pas indûment la confiance du grand public à l'égard du secteur et n'imposent pas à celui-ci un fardeau réglementaire trop lourd. Or, c'est justement ce que fait la Loi antiterroriste.
Imagine Canada appuie les mesures législatives raisonnables et proportionnelles visant à couper les vivres aux groupes terroristes et à empêcher le financement d'activités illicites au moyen de fonds destinés à des oeuvres caritatives. La loi actuelle et plus particulièrement la partie 6 de la Loi antiterroriste, intitulée Loi sur l'enregistrement des organismes de bienfaisance (renseignements de sécurité), n'atteint pas ces objectifs de manière raisonnable et proportionnelle. Elle décourage plutôt, selon nous, à cause de sa portée trop étendue, de l'imposition de la responsabilité stricte et de la révocation de garanties procédurales, les organismes de bienfaisance légitimes et leur impose des obligations, sur la plan de la conformité, qu'il leur est impossible d'assumer. Elle donne aussi au grand public l'impression, trompeuse, que le secteur est un noyau d'activités illicites.
L'Enquête nationale sur les organismes bénévoles et sans but lucratif publiée en septembre dernier fournit les renseignements les plus complets que l'on ait jamais eus sur la taille et la portée du secteur au Canada. Bien qu'il compte certains grands organismes caritatifs collectifs, le secteur est surtout composé de petits et de moyens organismes. L'étude a révélé que plus de la moitié de ces organismes n'ont pas d'employés rémunérés et que les groupes les plus modestes ont tendance à compter beaucoup plus que les grands sur les dons du grand public. Les organismes petits et moyens sont donc plus vulnérables à la perte de confiance du grand public. En raison de leurs ressources limitées et de leur dépendance à l'égard des bénévoles, ces groupes ont aussi plus de difficultés à assumer des obligations réglementaires complexes et ardues. L'organisme caritatif typique n'a pas les ressources voulues pour retenir les services d'un avocat qui le conseillera continuellement quant à la façon de bien se conformer à la loi.
L'Agence du revenu du Canada a déclaré récemment qu'aucun organisme caritatif ne s'était fait refuser l'enregistrement et n'avait perdu son statut par suite de l'application des dispositions relatives au certificat de sécurité prévues dans la partie 6 de la loi. À notre avis, voilà qui prouve que le régime réglementaire standard suffit pour traiter convenablement des allégations d'association au terrorisme faites contre des organismes caritatifs. Sous le régime de la Loi de l'impôt sur le revenu, tout organisme de bienfaisance enregistré peut perdre son statut si ses activités ne se limitent pas exclusivement à des oeuvres caritatives. De plus, le Code criminel permet déjà de poursuivre un organisme qui, sciemment, finance des groupes ou des activités illicites ou y contribue de l'aide.
La transparence et la reddition de comptes sont essentielles pour nourrir la confiance du grand public à l'égard du secteur. Les modifications apportées récemment à la réglementation des organismes de bienfaisance enregistrés prévoient à cette fin une meilleure communication des renseignements, de la part tant des instances de réglementation que des organismes du secteur.
Par contraste, les dispositions relatives au secret sur lesquelles s'appuie la partie 6 risquent de faire naître des sentiments de crainte et de suspicion à l'égard des groupes caritatifs. Ces dispositions pourraient même favoriser de fausses impressions chez les Canadiens et Canadiennes en établissant de manière désinvolte un lien entre ces groupes et le terrorisme.
Aux termes de la Loi antiterroriste, les organismes de bienfaisance enregistrés assument la responsabilité stricte de toute aide fournie à des groupes terroristes et de tout financement d'activités terroristes qui passe par eux. Rien n'exige qu'un organisme sache qu'il est associé ou a tendance à être associé à un groupe ou à une activité illicite. La loi ne prévoit pas, non plus, de moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable pour l'organisme qui a pris des mesures raisonnables pour faire en sorte qu'il ne sert pas ou ne servirait pas à aider ou à financer du terrorisme. Enfin, elle ne protège pas actuellement les organismes caritatifs qui avouent volontairement avoir enfreint, par inadvertance, la loi. Il faudrait qu'un organisme de bienfaisance enregistré puisse avoir l'assurance d'avoir déployé des efforts raisonnables, en fonction de sa taille et de ses ressources, en vue de se prémunir contre toute association, par mégarde ou inadvertance, avec des groupes ou des activités terroristes.
Les organismes de bienfaisance font face à d'énormes pressions en vue de consacrer leurs fonds à des activités de programme plutôt qu'à l'administration. Les gouvernements et les fondations préfèrent souvent financer des projets plutôt que des organismes; les donateurs contemporains aiment souvent voir leurs dons consacrées à des activités bien précises. Cela signifie que les ressources disponibles pour payer les frais généraux sont habituellement très limitées. Une loi dont les exigences, sur le plan de la conformité, sont sans limite est impossible à respecter dans un pareil contexte. Étant donné le peu de fois que ces dispositions ont été invoquées jusqu'ici, l'étendue des pouvoirs conférés semble être disproportionnée par rapport à une évaluation raisonnable du risque que des organismes caritatifs soutiennent le terrorisme.
Le dilemme auquel font face les organismes caritatifs en raison de la loi actuelle a été illustré par les efforts d'aide humanitaire déployés à la suite du tsunami qui a frappé en Asie. Dans certaines régions du Sri Lanka et de l'Indonésie ayant besoin de secours, il existe des entités considérées comme étant des organismes terroristes. Aux termes de la partie 6, les organismes de bienfaisance enregistrés fournissant une aide dans ces régions s'exposaient à faire l'objet de certificats de sécurité et à perdre leur statut d'organisme de bienfaisance si une partie de l'aide fournie par ces groupes était utilisée par des entités terroristes de la région. Cette situation a très concrètement illustré l'inconvénient de dispositions législatives trop générales.
Couper les vivres aux groupes terroristes et prévenir que de l'argent destiné à des oeuvres caritatives serve à des fins illégales sont des objectifs de politique gouvernementale extrêmement louables. Toutefois, pour atteindre ces objectifs, les dispositions de la Loi antiterroriste imposent des exigences déraisonnables et disproportionnées aux organismes de bienfaisance. Il faudrait en réalité refaire la loi de manière à cerner avec plus de précision les préjudices légitimes qu'elle est censée empêcher et à atténuer les effets nuisibles qu'elle a actuellement sur le travail des organismes caritatifs.
La présidente : Je vous remercie beaucoup. Monsieur Bromley, êtes-vous prêt à faire votre déclaration?
M. Blake Bromley, associé, Benefic Lawyers, à titre personnel : C'est pour moi un honneur d'avoir été invité à prendre la parole devant vous et les autres sénateurs qui examinent la Loi antiteroriste. Par contre, c'est un honneur que je n'ai pas recherché. Je considère néanmoins que mon témoignage d'aujourd'hui est une responsabilité devant laquelle je ne pouvais pas m'esquiver.
Au cours des dernières années, j'ai pris la parole à des séminaires sur le terrorisme et les organismes caritatifs à l'université Oxford, à UCLA, à Beijing, à Londres et à Washington, D.C. Ma répugnance à témoigner vient de l'expérience qui m'a enseigné que, lorsqu'il est question de terrorisme, il est plus facile de contribuer au tapage du débat public que de faire appel à la raison. Bien qu'elle soit ancrée dans une riche expérience internationale, mon opinion arrêtée n'offre pas de solution simple.
Votre comité spécial est chargé d'examiner une question d'une complexité extrême, alors que les enjeux sont souvent réduits à une phrase simpliste : « soit que vous êtes avec nous dans la lutte au terrorisme, soit que vous êtes notre ennemi ». Bien trop souvent, le débat public se tient en termes si conflictuels et si chargés d'émotions qu'il est difficile à la raison de résister à toute la rhétorique visant à aviver les passions et le zélotisme.
Après les événements du 11 septembre, le Canada a rapidement adopté la Loi antiterroriste. Il est prudent que le Sénat s'interroge pour savoir si, avec le temps, certaines dispositions de cette loi ne se sont pas avérées mal conçues ou trop draconiennes. Je félicite le comité d'avoir invité les organismes et les citoyens touchés par cette loi à soumettre leurs analyses et à faire part de l'expérience qu'ils en ont.
La plus grande partie du débat public sur le terrorisme souffre de la trop grande attention portée aux événements du 11 septembre. La trop grande place accordée à ces attaques fait croire que la Loi antiterroriste n'est qu'une manoeuvre législative pour contenter le président Bush, parce que le Canada s'incline dès que la « guerre antiterroriste » est mentionnée, et qu'il faut l'ignorer.
Cependant, mon expérience du terrorisme n'est pas limitée aux images télévisées de cette triste journée. J'ai séjourné en 1970 et en 1971 pendant dix mois dans le Vietnam du Sud où mon travail pour une ONG m'obligeait à passer de nombreuses heures à conduire dans les rues de Saïgon. Par conséquent, même si je n'étais qu'étudiant universitaire, j'ai vite appris que ma survie dépendait peut-être d'à quel point j'étais sur mes gardes puisqu'il était courant de voir de jeunes motocyclistes bardés de C-4 se transformer en bombes humaines.
En 1973 et en 1974, j'ai travaillé pour une ONG dans un endroit encore plus dangereux, à Mindanao, dans le sud des Philippines, où l'on tentait de rétablir la paix entre des factions combattantes musulmanes et chrétiennes. Le terrorisme est rarement plus éloquent que lorsqu'on voit une tête de Musulman au bout d'un pieu à l'entrée d'un village chrétien. La dynamique de pareils actes était manifeste le lendemain quand les Musulmans ont, en guise de représailles, éventré une Chrétienne enceinte, incitant ainsi à plus de haine et à plus de violence.
Le fait que je viens de Vancouver rend mon exposition au terrorisme dans de nombreuses régions de la planète encore plus pertinente. Dans ma propre ville, au Canada, j'ai été témoin des affrontements violents entre factions combattantes dans des temples sikhs. Vous connaissez tous l'honorable Ujjal Dosanjh, actuel ministre, qui, en tant que jeune immigrant, a été presque battu à mort lors d'un acte terroriste commis à Vancouver par des personnes qui souhaitaient importer au Canada l'extrémisme très religieux et politique qu'il avait cherché à fuir en émigrant.
Les Canadiens oublient trop souvent que le plus important acte terroriste commis avant le 11 septembre a été l'explosion d'une bombe à bord du vol 182 d'Air India, en 1985. Cette bombe venait de Vancouver, et les présumés terroristes étaient très actifs au sein d'organismes de bienfaisance enregistrés. Par conséquent, je ne fus pas vraiment étonné d'entendre de hauts fonctionnaires de l'Inde me dire, vers la fin des années 80, que leurs lois bancaires relatives à l'entrée de fonds de secours au pays — que je considérais alors comme étant draconiennes — visaient essentiellement les dons canadiens destinés au Khalistan.
Le Conseil de sécurité des Nations Unies a, dans sa Résolution 1373, exigé du Canada qu'il adopte une loi pour empêcher la sortie de dons de charité visant à financer des activités terroristes. Toutefois, il ne faudrait pas s'attarder uniquement à la destination de l'argent. La loi doit fournir aux instances canadiennes de réglementation les moyens voulus pour empêcher que des Canadiens des communautés ethniques soient obligés de livrer et de financer les luttes politiques et religieuses qu'ils ont cherché à fuir en venant au Canada. Le Canada manque à ses devoirs à l'égard de ces immigrants quand nos propres organismes de charité deviennent des organismes sociaux qui obligent des Canadiens à entretenir des hostilités ethniques et religieuses et à nourrir des préjugés et des pratiques qui n'ont pas leur place dans notre pays, sous le régime de la Charte des droits et des libertés.
Il importe de prendre conscience que ceux qui donnent à des oeuvres caritatives qui détournent les fonds à des fins terroristes, entre autres, peuvent être les victimes d'un régime de réglementation au Canada qui n'assume pas ses obligations à leur égard plutôt que d'être les méchants vilains qui financent le terrorisme, le facilitent ou y contribuent. Quand on lit les dispositions du Code criminel, il est difficile de concevoir que de pareils donateurs sont peut-être des victimes plutôt que des vilains. Le comité devrait revoir les exigences du mens rea en tenant compte de cette possibilité.
Les instances de réglementation se voient conférer des pouvoirs extraordinaires dans la Loi sur l'enregistrement des organismes de bienfaisance (renseignements de sécurité). Je ne dispose pas de moyen de savoir à quel point ces pouvoirs sont utiles ou ont été utilisés judicieusement. Rien dans mon expérience professionnelle ne m'a fourni l'occasion de me plaindre de l'exercice de ces pouvoirs.
Ce qui me préoccupe, c'est que le débat public portant sur cette loi semble axé uniquement sur son efficacité dans la guerre internationale au terrorisme. Il s'agit de savoir si ces pouvoirs sont exercés le plus efficacement possible pour empêcher que des donateurs ethniques et religieux soient contraints de financer, par l'intermédiaire d'organismes canadiens de bienfaisance, les causes et les activités qu'ils ont cherché à fuir dans leurs pays d'origine en venant s'établir ici.
Les organismes de bienfaisance enregistrés sont le seul groupe social dans lequel les immigrants sont le plus susceptibles d'invoquer et d'exercer les quatre grandes libertés fondamentales garanties par la Charte, soit la liberté de conscience et de religion, la liberté de pensée, de croyance et d'opinion, la liberté de réunion et la liberté d'association. Il appartient sûrement à la Loi antiterroriste de protéger ces libertés fondamentales au Canada, dans la mesure où elles sont menacées par des forces résolues à promouvoir le terrorisme. Il ne faudrait donc pas chercher uniquement à empêcher le financement de protagonistes dans la « guerre internationale au terrorisme ».
Mes critiques à l'égard de la Loi antiterroriste visent essentiellement les dispositions du Code criminel. J'estime que la définition d'« activité terroriste » devrait être modifiée pour en retrancher l'exigence énoncée que l'acte soit commis, en tout ou en partie, « au nom d'un but, d'un objectif ou d'une cause de nature politique, religieuse ou idéologique ».
En octobre 2003, j'ai été invité par la Charity Commission of England and Wales à assister à des réunions de consultation prévues au Botswana avec de hauts fonctionnaires de gouvernements de l'Afrique australe afin de mettre en oeuvre la Résolution 1373 du Conseil de sécurité des Nations Unies. J'ai été très surpris de voir à quel point nombre de ces gouvernements sont amers et cyniques à l'égard des lois antiterroristes entrées en vigueur depuis le 11 septembre.
Des représentants du Sierra Leone et de la Côte d'Ivoire, entre autres, m'ont raconté avec beaucoup d'émotion le nombre de fois qu'ils avaient supplié les Nations Unies et l'Occident de les aider, par voie à la fois de résolutions et d'envoi de troupes, à mettre fin aux horribles actes de terrorisme, aux viols et aux pillages, commis par des mercenaires et d'autres à la recherche de diamants de la guerre et d'autres richesses naturelles. L'idée que l'écrasement d'avions commerciaux contre des tours à bureaux puisse être qualifiée de terrorisme suscitait chez eux un mépris évident. Pour eux, le terrorisme, ce sont des mercenaires et des gangs armés de machettes grossières qui coupent les bras et les jambes d'enfants pour intimider et torturer ceux qui ne les aident pas à piller les ressources naturelles. Ces dirigeants ont été dégoûtés d'apprendre que la Loi antiterroriste du Canada n'interdisait même pas des actes de terrorisme aussi brutaux.
Ils étaient outrés d'apprendre que des oppresseurs se livrant aux plus vils et cruels actes de terrorisme simplement par appât du gain n'avaient pas à s'inquiéter des lois canadiennes parce qu'un procureur n'arrivera jamais à prouver qu'ils ont agi ainsi pour un motif politique, religieux ou idéologique.
La définition canadienne du « terrorisme » rend crédible l'opinion cynique dominante dans bien des coins de la planète selon laquelle le seul terrorisme qui importe dans le « monde » est celui qui menace les États-Unis ou Israël. Des millions de personnes dans le monde croient que la guerre au terrorisme est en fait une guerre à l'Islam. Cette vue est renforcée par l'inclusion, dans la définition canadienne, des fins religieuses.
À mon avis, il est plus important, dans cette guerre au terrorisme, de gagner les esprits et les coeurs que de prévoir tous les pouvoirs draconiens de « bloquer », de « saisir » et de « confisquer » des biens, d'émettre des certificats de sécurité et de révoquer le statut d'organisme de bienfaisance, voire d'emprisonner des transgresseurs. Cela signifie qu'il faut analyser la loi pour voir si elle contribue ou nuit au débat public sur le terrorisme et au besoin de le combattre.
La première pomme de discorde dans presque tous les arguments avancés dans le débat public sur le terrorisme est le mantra selon lequel « le terrorisme de l'un est le combat pour la liberté de l'autre ». L'honorable Irwin Cotler, ministre de la Justice et procureur général du Canada, a comparu devant votre comité spécial, le 21 février, et a soutenu que ce mantra était une « fausse équivalence morale » qu'il faut rejeter au profit d'un « principe de tolérance zéro ». Bien que cela relève de la rhétorique, il est au-delà de ma capacité intellectuelle de réconcilier le « principe de tolérance zéro » avec la définition de la Loi antiterroriste, qui ne vise que le terrorisme commis, en tout ou en partie, à des fins religieuses, politiques ou idéologiques.
Je passe beaucoup de temps, dans la vie, assis dans des avions un peu partout dans le monde, de sorte que ma contribution personnelle à la guerre internationale au terrorisme consiste à manger les repas servis à bord des avions avec des ustensiles en plastique. Il est important de savoir si la Loi antiterroriste représente uniquement la participation parlementaire canadienne au grand exercice de relations publiques connu sous l'appellation de « guerre internationale au terrorisme » — l'équivalent législatif, en quelque sorte, d'obliger les passagers des avions à manger avec des couteaux en plastique — ou une véritable réaction canadienne à un problème qui préoccupe le Canadien moyen.
Il est impossible, dans le temps qui m'est alloué pour faire ma déclaration, d'aborder de nombreux autres points soulevés par la Loi antiterroriste. Cependant, ma principale préoccupation, dans le cadre de l'examen de la loi, est que cette étude se concentre sur l'effet qu'a cette loi sur le débat public au sujet du terrorisme plutôt que sur ses simples aspects techniques. Ce n'est qu'en faisant participer au débat public les groupes ethniques et religieux qui se sentent les plus vulnérables qu'on arrivera à réunir les renseignements voulus pour calibrer la loi. Il est possible que ceux qui devraient craindre légitimement cette loi cherchent à manipuler le débat public par de fausses déclarations. Ils sont gagnants dans la mesure où certaines des dispositions dominantes et draconiennes de la Loi antiterroriste leur permettent d'en dénigrer la légitimité en la ridiculisant. Il importe que le comité spécial rectifie le tir de ces dispositions qui portent les Canadiens à nier ou à ignorer la possibilité que certains organismes de bienfaisance enregistrés puissent faire partie du problème tout en affirmant que la grande majorité des organismes enregistrés font partie de la solution.
Le sénateur Kinsella : J'aimerais me faire une idée du nombre d'organismes de charité dont il est question. Vous avez dit que votre organisme inclut quelque 1 200 organismes de bienfaisance et, dans votre mémoire, il est question de quelque 81 000 organismes enregistrés à l'Agence du revenu du Canada.
Combien d'organismes, selon vous, ne sont pas enregistrés? J'aimerais avoir une assez bonne idée du nombre d'organismes caritatifs qui existent au Canada.
M. Broder : Le régime d'enregistrement ne s'applique qu'aux organismes qui demandent à être enregistrés. Il y aurait plusieurs autres organismes, dans les diverses provinces, qui sont des oeuvres de bienfaisance au sens du common law. L'enquête nationale sur les organismes bénévoles et sans but lucratif révèle l'existence de 161 000 pareils organismes en tout. Certains des organismes sans but lucratif, qui s'ajoutent aux 81 000, seraient des oeuvres de bienfaisance au sens de la common law, mais nous n'avons pas d'idée bien précise de leur nombre.
Le sénateur Kinsella : Serait-il de l'ordre de 81 000?
M. Broder : Il existe 81 000 organismes de charité enregistrés, auxquels il faudrait en ajouter 1 000 autres.
Le sénateur Kinsella : La loi ne s'applique qu'aux organismes enregistrés, n'est-ce pas?
M. Broder : Oui.
Le sénateur Kinsella : D'après votre expérience, combien d'organismes de bienfaisance pourraient ne pas se conformer parfois à la Loi antiterroriste? J'aimerais savoir plus particulièrement s'ils auraient tendance à être enregistrés ou non.
M. Broder : Parce que les organismes enregistrés peuvent émettre des reçus à des fins fiscales pour les dons qui leur sont faits, on s'inquiète du terrorisme qui serait financé par ces organismes, plutôt que par des organismes réputés de bienfaisance en common law. La loi s'applique aux 81 000 organismes. Toute association avec le terrorisme — que ce soit des dons faits par un groupe terroriste en vue de blanchir de l'argent, la direction d'une cellule terroriste à partir d'un camp de réfugiés ou un membre de votre conseil d'administration qui est associé au terrorisme ou a un lien quelconque avec lui — peut vous exposer aux conséquences de la loi. Le principe de la tolérance zéro s'applique à tout lien avec le terrorisme, à condition que vous soyez enregistré.
Les organismes de charité du Canada devraient passer à la loupe tous les aspects de leur organisation — leur façon de se doter en ressources, leurs employés et leurs bénévoles.
Le sénateur Kinsella : Monsieur Bromley, croyez-vous que la dernière chose qui viendrait à l'esprit d'un organisme terroriste serait de demander à être enregistré auprès d'une agence du gouvernement du Canada?
M. Bromley : Si son intention est de collecter des fonds pour financer des activités terroristes, je crois qu'il évitera de se faire enregistrer et qu'il préférera s'établir comme organisme sans but lucratif. La difficulté, c'est qu'il est également possible de lever des fonds sous la protection d'un organisme et de les utiliser à l'étranger en passant par un autre organisme.
Cependant, pour ce qui est de votre question, soit combien d'organismes de bienfaisance pourraient être dans cette situation, le fait que des organismes responsables d'aide et de développement soient actifs dans des régions où la situation est beaucoup plus complexe, où la population est soit avec ou contre nous, pose problème. Vous compromettez peut-être la vie des travailleurs de ces organismes dans certains régions du monde si l'on croit que les exigences relatives à la présentation de rapports au Canada se rapprochent un tant soit peu de celles qui ont cours aux États-Unis aux termes du Patriot Act et des lignes directrices du Trésor, parce que beaucoup de renseignements sont ainsi transmis. Nul ne sait où vont ces renseignements, mais on suppose qu'ils vont à la CIA, qui n'a pas d'antenne dans ces pays.
La situation menace la vie de personnes responsables qui travaillent dans des circonstances difficiles où il n'est pas toujours facile de déterminer qui est terroriste, et il faut dire aussi que l'enfant du terroriste mérite tout autant que celui du combattant pour la liberté de recevoir des soins médicaux. Par conséquent, la situation est problématique.
La définition du terrorisme peut même s'appliquer aux activités courantes des missionnaires. En Arabie saoudite, la femme convertie par un organisme missionnaire protestant qui fait publiquement profession de foi chrétienne met en danger la vie de la personne qui l'a convertie. C'est étonnant de voir jusqu'où va cette définition.
Le sénateur Kinsella : Je vous remercie. Une dernière question, monsieur Broder : à l'avant-dernier paragraphe de la page 3 de votre mémoire, il est question de transparence et de reddition de comptes, vus comme des éléments importants pour inspirer au public confiance dans le secteur. À votre avis, pour atteindre ces objectifs, la réforme récente de la réglementation des organismes de bienfaisance dans le projet de loi C-33, soit la Loi no 2 d'exécution du budget de 2004, prévoit une plus grande communication de renseignements de la part tant des instances de réglementation que des organismes du secteur. Par contraste, les dispositions relatives au secret de la Loi sont susceptibles de provoquer la crainte et la suspicion, de sorte qu'elles pourraient favoriser, dans l'esprit du grand public, une association erronée entre les organismes de bienfaisance et le terrorisme qui dépasse largement la réalité.
Au cours des trois dernières années, des groupes vous ont-ils dit que ces craintes et suspicions s'étaient manifestées et, dans l'affirmative, comment mesure-t-on le phénomène? Quelle en est l'ampleur? Est-ce un problème théorique ou réel?
M. Broder : C'est très difficile à évaluer parce qu'il n'y a pas de transparence. Nous savons par contre que l'Agence du revenu du Canada a déclaré officiellement qu'elle n'avait pas invoqué les dispositions de la partie 6, mais que des groupes ethnoculturels particuliers ont eu des problèmes avec d'autres parties de la loi. Il serait donc raisonnable d'en déduire que la partie 6 a aussi créé des problèmes, mais il n'existe pas de preuve concrète à cet effet.
Le sénateur Jaffer : Depuis l'entrée en vigueur de la loi, certains organismes de bienfaisance ont eu des difficultés à faire du travail humanitaire et du travail de développement à l'étranger. Êtes-vous au courant de ces difficultés? Que pouvons-nous faire pour résoudre ce problème?
À titre d'exemple, j'ai entendu à la télévision qu'en ce qui concerne les dons versés pour venir en aide aux victimes du tsunami, le gouvernement du Sri Lanka travaille actuellement de concert avec les groupes tamouls pour distribuer l'argent et les vivres. Je sais que les Tigres de libération, le TLET, n'est pas reconnu comme un organisme terroriste au Canada. S'il l'était, le Canada se trouverait-il à faire des dons qui seraient distribués par un groupe terroriste? Que savez-vous de la situation, pour ce qui est de l'aide humanitaire?
M. Broder : Dans notre mémoire, nous recommandons, tout comme le fait l'Association du Barreau canadien, que, lorsque le gouvernement du Canada appuie de l'aide humanitaire à l'étranger, les organismes qui fournissent l'aide sur place ne soient pas visés par les dispositions relatives au certificat de sécurité de la partie 6.
L'autre façon de s'en sortir consiste à inclure dans la loi un moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable pour que l'organisme de bienfaisance qui contrevient à la loi, mais qui le fait de bonne foi, ne puisse pas être pénalisé de ce fait. Ce sont les deux suggestions que nous ferions.
M. Bromley : Voilà qui met en relief un des problèmes de la loi, car si vous êtes victime d'un cas de force majeure comme le tsunami qui a frappé au Sri Lanka et que le gouvernement n'exerce aucun contrôle sur la situation là-bas, les seuls qui peuvent fournir l'aide de manière responsable, compétente et efficace sont les TLET et les groupes connexes. C'est là une des difficultés des lois qui ne font pas de nuances. Le problème est considérablement exacerbé quand des membres de la classe politique veulent se rendre sur place et se retrouvent coincés dans les petites querelles politiques de groupes ethniques.
Si l'on fait une interprétation littérale de la loi, le Canada contrevient à la Résolution 1373 du Conseil de sécurité des Nations Unies, dans la mesure où il verse des contributions égales aux dons destinés à cette partie du Sri Lanka et à Aceh. Cela ne veut pas forcément dire qu'il a agi de manière irresponsable, mais bien qu'il faudrait interpréter la loi avec subtilité plutôt que d'avoir des opinions tranchées comme Washington ou je ne sais trop qui.
Le mois dernier, je suis allé au Vietnam et en Thaïlande avec des personnes de divers pays travaillant pour des ONG et je leur ai demandé à de nombreuses reprises si la loi avait changé quoi que ce soit à leur travail sur le terrain. En dépit des préoccupations, ils n'accordaient aucune importance à ces lois sur le terrain.
Le sénateur Jaffer : Au Canada, la loi a certes refroidi les ardeurs des donateurs de certains organismes qui craignent de se faire pointer du doigt. Les gens donnent pour différentes raisons. La religion nous impose certains devoirs. Ainsi, le Musulman est obligé de faire l'aumône, tout comme le Juif. Parfois, on fait un don pour des raisons caritatives, parfois pour faire avancer une cause. La définition de l'activité terroriste vise particulièrement la religion. Cela cause des problèmes au sein de la communauté ethnique qui s'interroge pour savoir s'il faudrait même faire des dons à un organisme religieux par les temps qui courent. On craint de se faire pointer du doigt.
De plus, on donne simplement de l'argent parfois, mais sans s'identifier ou obtenir un reçu. Ce n'est pas forcément de l'argent qui va à des terroristes ou à des organismes, mais il n'y a pas de suivi. On ne connaît pas la destination de cet argent. Avez-vous des opinions à ce sujet?
M. Bromley : J'ai la profonde conviction qu'il faut commencer à comprendre la mentalité — et je ne le dis pas dans un sens péjoratif — du donateur religieux.
Si l'impression créée est qu'il ne faut pas faire de don à une mission chrétienne parce que cela pourrait contrevenir à la loi, mon père cessera peut-être de donner à un organisme de bienfaisance, mais cela ne l'empêchera certes pas de respecter son obligation de faire la dîme telle qu'il la comprend.
Dans le domaine des levées de fonds, on réunit souvent plus de fonds quand on est opprimé ou quand on dit que le statut d'organisme de charité va vous être retiré parce que vous êtes un défenseur des droits des animaux ou que vous êtes engagé dans une autre cause que la religion. Jusqu'à ce que nous fassions la différence entre l'intellectuel et le spirituel, entre celui qui verse le zakat ou la dîme et celui qui soutient financièrement l'opéra, nous n'irons pas bien loin.
Depuis le 11 septembre, nous avons assisté à l'entrée dans le monde caritatif de dons motivés par la haine plutôt que par l'altruisme. Une partie des dons versés, particulièrement des dons destinés à New York, n'était pas motivée par le besoin dans lequel se trouvaient les familles des courtiers du World Trade Centre. On voulait soutenir une cause.
Beaucoup de dons ont été faits en Amérique du Nord depuis le 11 septembre et ils n'étaient pas seulement faits par des groupes ethniques, mais également contre les valeurs de groupes ethniques. Je suis sûr que ce n'est pas une première dans l'histoire de l'humanité. Par contre, la plupart des dons versés à des oeuvres philantropiques étaient motivés par la charité.
Le sénateur Andreychuk : J'aurais tendance à être d'accord avec le sénateur Jaffer, soit que les gens donnent pour différentes raisons. Le mot « charité » a acutellement le sens que je veux bien lui donner, sans plus. Essayer de régler le problème en s'attardant à la raison pour laquelle un don est fait n'aboutira à rien.
Un grand débat a eu lieu il y a vingt-cinq ans pour savoir s'il fallait adopter une nouvelle loi sur les organismes de bienfaisance et si les organismes de charité qui soutiennent et appuient des oeuvres au Canada même devraient relever de règles différentes de celles qui s'appliquent aux organismes oeuvrant à l'étranger. Certains de ces mêmes enjeux ont refait surface, il y a trois ans, quand nous avons fait l'étude préalable et, malheureusement, ils n'ont pas été intégrés à la loi. Les recommandations concernant la loi actuelle sur les organismes de bienfaisance me plaisent bien.
Croyez-vous qu'il est nécessaire de modifier de fond en comble la loi relative aux organismes de charité et de voir toute la question de la charité comme un concept du XVIIIe siècle? Est-il utile d'établir deux séries distinctes de règles, une pour les oeuvres au Canada et une pour les oeuvres à l'étranger? Le terrorisme a-t-il rendu floue la distinction géographique?
M. Bromley : Récemment, en Angleterre, on a déposé une loi sur les organismes de charité qui inclut une définition en douze points du mot « charité ». La version de la loi déposée avant les élections de mai n'incluait pas de définition de la « religion ». Ils en ont ajouté une depuis lors, et elle est très problématique. Ils s'efforcent encore d'aplanir les difficultés à cet égard.
La définition de la charité est très différente des questions qu'examine votre comité. J'espère que les Canadiens pourront continuer de contribuer à des oeuvres philantropiques et caritatives partout dans le monde. Le fisc et le Trésor national continuent d'essayer de convaincre les Canadiens de dépenser au Canada, mais je crois que le Canada a énormément profité des dons caritatifs versées à l'étranger.
Il y a un mouvement de pendule à cet égard. Par le passé, la loi a toujours eu pour principe que la fin caritative était légale. Le principe s'est toujours appliqué au Canada même, mais pas à l'étranger. Un des dangers de ce nouveau paradigme de la loi antiterroriste est que des fonctionnaires travaillent main dans la main avec les instances de réglementation d'autres pays. Le don versé pour la cause des droits de la personne, plus particulièrement des droits des gais et lesbiennes, au Zimbabwe ou le don fait en Arabie saoudite à des fins religieuses n'est de toute évidence pas considéré comme étant légal dans le pays qui en est bénéficiaire, et le droit caritatif a été très généreux à cet égard.
Ce qu'il y a d'ironique dans toute cette loi antiterroriste, c'est que si l'on remontait aux années 1950 et à la guerre froide, le pire exemple d'activité caritative destinée à faire tomber des régimes politiques serait l'importation clandestine de bibles en Chine et de devises en Union soviétique.
Quand on s'arrête à l'activité du secteur caritatif en Pologne, au rôle joué par l'Église catholique romaine en Roumanie et à la chute subite du régime Ceausescu, ils ont eu des répercussions politiques que nous avons fortement appuyées. Or, nous ne revenons pas sur le passé pour dire que, si l'un des agents du changement est musulman, il faut lui faire payer son geste.
Nous sommes en train de modifier le paradigme à long terme du fonctionnement du secteur caritatif international parce que nous avons décidé, à court terme, qu'un certain groupe aux croyances différentes, à la peau de couleur différente, est bon ou mauvais. Il faut être très prudent dans la façon dont nous réglons ces problèmes à long terme. Il faut prendre garde de ne pas plier sous le poids des pressions politiques de l'heure exercées par Washington ou même par des éléments canadiens avant de changer du tout au tout le caractère de ce que peut être et devrait être le philantropie internationale.
M. Broder : Pour ce qui est de la définition, le Royaume-Uni est en train d'examiner la question. Il faudrait, au Canada, étant donné le contexte philantropique et la fragilité des dons, examiner à nouveau les organismes pour décider lesquels devraient être admissibles à un traitement fiscal privilégié ou autorisés à émettre des reçus à des fins fiscales.
Il existe quelques moyens de le faire. L'un consiste à prendre du recul et à légiférer, comme prévoit le faire le Royaume-Uni. L'autre est de développer un droit jurisprudentiel plus étendu de sorte que l'évolution du droit est dictée par les décisions des tribunaux, comme cela a toujours été au cours des quatre derniers siècles. Le processus a été très lent au Canada, parce que le nombre de causes entendues par la Cour d'appel fédérale du Canada est limité et qu'une seule cause a été renvoyée à la Cour suprême. La question est opportune, à mon avis.
On a laissé entendre que la Loi antiterroriste est en train de changer le paradigme. Il importe de le noter, d'en être conscient, parce qu'il faut le faire sciemment plutôt qu'inconsciemment.
Quant à savoir s'il faut faire une distinction entre les organismes de bienfaisance oeuvrant au Canada et ceux qui oeuvrent à l'étranger, cela pourrait bien faire partie du plus grand tableau. La Loi antiterroriste touche 81 000 organismes de bienfaisance, tous astreints aux mêmes exigences.
Le sénateur Joyal : Pouvez-vous nous préciser quelles dispositions de la partie 6 vont, selon vous, à l'encontre de la Charte des droits?
Ensuite, monsieur Bromley, pouvez-vous expliquer avec plus de précision la page deux de vos notes, là où vous affirmez qu'il faudrait prévoir dans la loi la possibilité que ceux qui contribuent sont contraints de le faire par le groupe ethnique auquel ils appartiennent? Quel genre de dispositions faudrait-il prévoir et quelle en serait la teneur? Comment s'appliqueraient-elles? Quel en serait l'effet pratico-pratique?
En troisième lieu, en ce qui concerne la conclusion de votre mémoire, êtes-vous au courant d'une initiative qu'aurait prise le gouvernement du Canada de concert avec les ONG pour améliorer les activités de celles-ci à l'étranger, surtout dans des pays tiers-mondistes où une amélioration des conditions de vie sociales et économiques jouerait un rôle central pour prévenir l'existence ou la recrudescence du terrorisme?
M. Broder : En termes de violation des droits, le statut d'organisme caritatif est un privilège, non pas un droit en droit canadien. La conformité à la Charte des dispositions de la loi n'a jamais été testée. Toutefois, la loi inclut des éléments qui révoquent certaines protections procédurales classiques comme les exigences relatives à la preuve, qu'il n'est pas nécessaire de prouver l'intention ou qu'il n'existe pas de droit d'appel ou de révision judiciaire, ce genre de choses. On les retrouve au paragraphe 4(7), la disposition relative au secret, et au paragraphe 4(8). À la fin de notre mémoire, nous avons précisé certains changements éventuels qui pourraient être apportés à divers articles de la loi pour rétablir les protections procédurales révoquées.
M. Bromley : Si j'ai bien compris la deuxième question, ce que j'essaie de dire, c'est que la loi présume que tout donateur à un organisme de charité est un vilain qui tente de financer du terrorisme, peu importe qu'il ait été au courant ou non de l'activité de l'organisme, qu'il l'ait facilitée ou qu'il en ait eu l'intention.
En réalité, dans bon nombre de ces groupes religieux, les dons de charité sont faits sans émettre de reçu. C'est parfois ce qu'exige la religion, parfois la façon dont le don est fait, parce qu'il est simplement laissé dans une boîte au temple. Ces donateurs n'ont aucun pouvoir de décision sur la destination de l'argent, ce qui règlerait vos préoccupations à l'égard du terrorisme.
J'ai des donateurs de communautés ethniques qui me racontent comment ils se sont sentis contraints à l'occasion de participer au financement de certaines activités qui les mettaient mal à l'aise. Le milieu caritatif excelle dans la coercition. Il n'est pas nécessaire de faire partie de ces groupes pour en sentir les effets. Nous pouvons tous nous rappeler des dons importants que nous voulions faire à des organismes de charité parce qu'on nous tordait le bras.
Le point à retenir, c'est que cette loi ne devrait pas servir uniquement à trouver les vilains. Elle devrait nous aider à faire en sorte d'offrir aux organismes de charité ethniques et religieux toutes les protections auxquelles ils devraient avoir droit sous le régime de la Charte et d'aider, tant par le message envoyé que par notre soutien financier, les éléments responsables de ces communautés qui s'opposent vivement à certaines des tendances les plus fondamentalistes et radicales.
Depuis que la guerre au terrorisme est devenue aussi tranchée, que, si vous la défendez, vous êtes forcément du même camp que George Bush, nous nuisons à notre capacité d'aller au sein de ces communautés pour essayer de trouver la bonne solution et un équilibre entre leurs pratiques religieuses classiques en matière de dons et les luttes et causes qu'ils ont laissées derrière eux lorsqu'ils sont venus s'établir au Canada.
Le sénateur Joyal : En termes pratiques, comment réglementeriez-vous cela?
M. Bromley : Je ne crois pas qu'il soit possible, en termes pratiques, d'intégrer cela à une réglementation. En termes pratiques, il faudrait que la loi ne présume pas au départ que tous ceux qui ont peut-être transgressé la loi en faisant à un organisme religieux ou à un organisme de charité un don qui d'une quelconque façon est mal utilisé sont des vilains. Vous vous trouvez alors à les pousser vers l'autre camp, parce que leur part de responsabilité personnelle dans la commission d'un crime les inquiète.
Ce qu'il faut faire, c'est trouver une façon de prévoir dans la loi des moyens grâce auxquels ceux qui sont mécontents du niveau de radicalisme du message ou de l'utilisation des fonds au sein de certaines communautés religieuses puissent faire appel aux instances de réglementation pour les aider à modérer le mouvement sans pour autant en faire une activité terroriste.
Le sénateur Joyal : C'est dans ce contexte que vous en venez à la conclusion que nous a présentée M. Broder, soit qu'il faudrait inclure le mot « sciemment » ou qu'il aurait fallu que la personne sache, dans la Partie 6 de la loi, de sorte que la personne qui contribue ne puisse être tenue responsable à moins qu'elle ait été manifestement au courant ou qu'elle aurait dû savoir, en raison de toutes ces circonstances, que sa contribution passerait par un organisme terroriste.
M. Bromley : Dans les faits, on en revient au même point. J'ai de la difficulté à l'énoncer avec subtilité. J'essaie de changer le ton de sorte que si ces organismes posent problème, j'en saurai assez à leur sujet pour me présenter devant votre comité pour vous en informer.
Vous devrez créer un cadre législatif et réglementaire qui donnera aux membres de ces communautés l'assurance voulue pour traiter avec les instances de réglementation en vue de cerner les problèmes.
Tout est dans le ton et la façon de faire, plutôt que dans le libellé.
Le sénateur Joyal : Ma troisième question est la suivante : depuis l'adoption de la loi, vous êtes très actif dans le domaine des ONG, avez-vous participé à des projets gouvernementaux ou connaissez-vous des initiatives qui visent à améliorer le travail des ONG dans les pays où l'amélioration des conditions socioéconomiques contrebalanceraient la résurgence ou l'existence du terrorisme?
Notre comité a entendu des témoins comme le professeur Neville, qui a affirmé que la meilleure façon de combattre le terrorisme n'était pas seulement d'adopter des lois criminelles, mais aussi de travailler à l'échelle internationale, particulièrement dans les pays susceptibles d'être un terreau fertile pour le terrorisme, afin que les citoyens participent plus pleinement au processus démocratique et qu'il y ait un meilleur niveau de services sociaux, entre autres. Ainsi, il y aurait une volonté générale d'améliorer les conditions sociales des gens. C'est tout aussi important que d'adopter des lois criminelles dans le monde occidental.
Avez-vous été invité à participer à une telle entreprise au nom du gouvernement du Canada ou avez-vous eu vent d'une telle initiative?
M. Bromley : Je n'ai pas reçu d'invitation du gouvernement canadien, mais je travaille avec beaucoup d'organisations qui sont des exemples de progrès réalisés grâce à une intervention humanitaire responsable en Afrique et en Asie depuis deux ou trois ans. Je participe aussi à un projet dans lequel le gouvernement du Canada a investi 30 millions de dollars pour un institut de recherche sur le bétail au Kenya, un projet qui représente un grand potentiel scientifique pour lutter contre le bioterrorisme, entre autres. De ce point de vue, on pourrait peut-être dire que j'ai participé à une initiative avec le gouvernement du Canada.
Votre argument nous ramène à ce que j'essayais de vous dire. Il y a beaucoup de bonnes choses qui se font sur le terrain. La difficulté que votre question me pose, c'est qu'il y a un danger très réel que l'aide étrangère soit en train de devenir un prolongement de la politique gouvernementale. Pour que les organismes de bienfaisance fonctionnent efficacement dans le monde, ils doivent faire de bonnes choses, mais ils doivent faire de bonnes choses indépendamment de la politique du gouvernement du Canada et certainement de la politique des États-Unis en matière d'aide étrangère.
Il y a une limite au-delà de laquelle les organismes de bienfaisance doivent maintenir leur indépendance pour pouvoir intervenir dans le nord du Sri Lanka lorsque les gens ont besoin d'aide sans que cette aide représente un appui officiel du gouvernement du Canada envers les Tigres tamouls.
Je souhaite que ces organismes gardent leur indépendance, mais en même temps, cela me fait très peur. Il est implicite dans votre question sur la valeur des organismes de bienfaisance qu'ils interviennent de façon indépendante des gouvernements à l'étranger et que par conséquent, ils peuvent toucher à des domaines sans que la politique étrangère de l'État aille dans le même sens. Il faut faire très attention à ne pas faire du mouvement des ONG international des combattants de première ligne dans la guerre contre le terrorisme, parce qu'ils perdraient leur indépendance et finalement, leur efficacité.
M. Broder : La loi doit être écrite de telle façon que si un organisme s'adonne à ce type de travail très complexe dans un État en particulier, qu'il dérape un peu et qu'une partie de l'argent se retrouve entre de mauvaises mains, cet organisme soit incité à déclarer la chose aux autorités de réglementation et leur dire : « Ce n'est pas une bonne chose. Nous avons pris des mesures pour prévenir que l'incident se répète. » En ce moment, si l'on divulgue de tels dérapages aux autorités, on fait l'objet d'un certificat de sécurité. Pourquoi alors les divulguerait-on?
Le sénateur Fraser : Monsieur Broder, je trouve vos recommandations intéressantes. Lorsque j'ai lu vos documents et que je me suis demandé comment ils se tenaient, il y a une recommandation que je m'attendais à y voir, mais que je n'ai pas trouvée.
Diverses personnes qui ont comparu devant nous ont dit qu'en vertu de diverses dispositions de la Loi antiterroriste, lorsqu'il y a des audiences secrètes où la personne visée n'est pas autorisée à entendre ce qui est dit au juge et qu'elle n'obtient qu'un résumé de la preuve, il serait utile d'avoir un système officiel d'« intervenants désintéressés » qui auraient reçu la cote de sécurité voulue et qui seraient autorisés à examiner la preuve et à la contester.
Bien que vous ayez mentionné les effets dommageables du secret, vous n'avez pas recommandé de telle mesure. Y a- t-il une raison qui l'explique?
M. Broder : Chose certaine, nous serions ouverts à l'idée. La contestation de la partie 6 vient du fait que ce n'est pas une poursuite criminelle de la même façon que le prescrivent d'autres dispositions de la partie 1 de la loi. Nous le reconnaissons. Comme M. Bromley l'a dit, il est très difficile de savoir ce qui se passe en coulisses. Nous serions ouverts à une solution comme celle des intervenants désintéressés lorsqu'il y a des preuves secrètes.
Notre première recommandation est d'intimer le gouvernement à satisfaire les besoins légitimes dans ces dispositions. Le secret pourrait demeurer nécessaire dans certains cas, mais nous croyons que ceux-ci devraient être le plus limité et le plus confiné possible.
Le sénateur Fraser : Il est fort probable que le type de personnes que la loi a pour but d'attraper serait celles à qui l'on voudrait cacher certains renseignements. La difficulté vient des autres personnes qu'on attrape dans le même filet.
Monsieur Bromley, j'essaie de comprendre ce que vous nous demandez de faire. Je sais que vous nous demandez de favoriser des changements de paradigmes et d'attitudes, entre autres, mais nous avons ici la responsabilité d'examiner une loi et de formuler des recommandations.
La partie 6, Enregistrement des organismes de bienfaisance (renseignements de sécurité) ne parle pas des donateurs. Elle ne concerne que les organismes de bienfaisance, leur enregistrement et leur perte d'enregistrement. Vous n'êtes pas la première personne à comparaître devant nous et à nous mettre en garde contre des groupes de bienfaisance qui ne seraient pas tous comme on le souhaite, qui soutireraient de l'argent aux citoyens canadiens, sous de très grandes pressions.
Concernant cette loi, je ne suis pas certaine de comprendre ce que vous nous recommandez. On aimerait faire quelque chose. Si vous avez une recommandation particulière à nous faire, je serais ravie de l'entendre.
M. Bromley : Au sujet de cette loi, je ne sais pas dans quelle mesure il faudrait changer les termes, parce que je ne me suis pas concentré tellement sur les mots eux-mêmes, mais il faut voir cette loi comme un moyen de protéger les Canadiens pour ce qui est de l'institution sociale, ce qui est très important pour permettre aux immigrants de s'adapter à un nouveau pays et d'y préserver leur culture, leur religion et bien d'autres choses.
J'appartiens au discours public, mais il me semble que l'accent a été mis presque exclusivement sur la nécessité d'épingler les méchants dans certains organismes de bienfaisance ethniques. Il faudrait que je réexamine cette loi. Si elle ne visait pas seulement le rôle du Canada dans la lutte internationale contre le terrorisme et la Résolution 1373 du Conseil de sécurité de l'ONU, mais aussi la façon dont les organismes de réglementation utilisent les outils dont ils disposent pour essayer de garantir que les organismes de bienfaisance (et non les donateurs) répondent aux attentes des donateurs et s'assurent que l'argent sert à des fins humanitaires ou religieuses légitimes plutôt que de constituer une tirelire pour que les dirigeants influents dans la communauté puissent assortir les dépenses de conditions, nous serions d'accord.
Nous avons tous lu dans un contexte complètement différent qu'un certain groupe ethnique exploite parfois les siens, principalement dans le domaine agricole. Cela ne vaut pas seulement pour les organismes de bienfaisance et les minorités visibles. Les nouveaux immigrants ont une certaine vulnérabilité.
Il est de notre devoir de veiller à ce que si une personne contribue à une initiative, qu'elle y participe, nous, en tant que responsables de la réglementation, nous appliquerons dans la mesure du possible à garantir que l'argent va aux meilleurs aspects des programmes culturels, religieux et ethniques de ce groupe et que les fonds ne seront pas dépensés sous la contrainte. C'est ce que nous, les Canadiens, voulons offrir à notre secteur de la bienfaisance.
C'est là où nous aurions une petite chance de déverrouiller la porte, pour que les gens appartenant à des groupes ethniques qui sont intimidés par leur propre groupe, sans parler des organismes de réglementation, s'ouvrent sur la façon dont certaines mauvaises choses fonctionnent.
Le sénateur Fraser : Il me semble que ce serait presque un argument pour renforcer le processus réglementaire entourant l'enregistrement. Ce dont je parle n'aurait aucune incidence sur les activités de levée de fonds non enregistrées. Cependant, pour ce qui est des organismes enregistrés, plus on aurait la certitude que ces organismes sont surveillés, plus on serait rassuré de contribuer à leurs activités, n'est-ce pas?
M. Bromley : C'est possible, mais je ne pense pas vraiment que l'action se passe dans le processus d'enregistrement. C'est ce qui se passe au bout de deux ou trois ans, lorsqu'on commence à bien comprendre comment les choses fonctionnent. Je ne pense pas qu'ils aient besoin de plus de pouvoir. Ils jouissent déjà de très grands pouvoirs. Il faudrait comprendre cette partie de la loi en fonction de la façon dont nous garantissons vraiment ces quatre libertés fondamentales aux organismes sociaux qui les incarnent plutôt qu'en fonction du fait qu'elle fait partie de la lutte internationale contre le terrorisme et que nous sommes avec telle personne et contre telle personne, parce que nous n'aurons absolument aucun succès de cette façon. C'est d'ailleurs pourquoi je mets constamment l'accent sur le discours public. Si l'on contraint les gens à choisir s'ils sont pour nous ou contre nous dans la lutte antiterroriste internationale, je préférerais travailler contre nous que pour nous, si je me fie à l'incidence que cette loi a à l'échelle internationale.
Avant qu'il soit élu, le nouveau pape a parlé des dictatures ou du relativisme et a dit à quel point tout cela était terrible. Pourtant, c'est un terme qui doit s'appliquer dans ce domaine. Ce n'est pas tout blanc et tout noir, avec nous ou contre nous. Tout est relatif. Les organismes de bienfaisance sont les mieux placés pour déterminer quand ils travaillent pour les bonnes personnes et quand ils travaillent pour les mauvaises. En fin de compte, les organismes de bienfaisance pourront mieux le déterminer que les organismes de réglementation.
Nous constatons un problème dans l'article 6 et le Code criminel. Tout le Code criminel est conçu dans la perspective du blanchiment d'argent. Il se fonde sur le prototype des criminels qui peuvent se permettre d'embaucher les meilleurs avocats et comptables du monde, qui peuvent acheter leur propre banque dans un pays qu'ils peuvent diriger et qui peuvent faire circuler de l'argent. Nous croyons que c'est un prototype pour surveiller l'argent blanchi qui aboutit dans les coffres des organismes de bienfaisance. J'ai des clients « schtroumpfs » comme les blanchisseurs d'argent le disent. Il n'y a pas une seule succursale de grande banque dans les régions rurales du Pakistan. Si l'on veut envoyer de l'argent dans les campagnes du Pakistan, il vaut mieux savoir ce qu'est un hawala. Il ne sert à rien d'émettre un fatwa contre un hawala. Cela montre que les messieurs en complet dans les bureaux ne comprennent pas ce qui se passe sur le terrain.
Nous avons créé une immense dichotomie entre les lois écrites par des gens qui ont des objectifs différents et qui ne comprennent pas le secteur et de plus en plus, une mentalité policière plutôt qu'une mentalité de réglementation des organismes de bienfaisance. Les intervenants de première ligne sont les membres du Groupe d'action financière sur le blanchiment de capitaux. Ils présument que les organismes de bienfaisance sont des méchants, et les seuls organismes de bienfaisance qu'ils voient agissent mal. Ils ne nous disent pas ce qu'ils voient. En gros, l'intervention policière domine le processus de réglementation plutôt que le classique « nous allons travailler avec vous à résoudre le problème ».
Dans leur rapport, les membres du GAFI examinent les mécanismes de blanchiment de capitaux observés en 2003 par le Groupe d'action financière sur le blanchiment de capitaux. Ils mettent l'accent sur les OSBL. Ils disent que les spécialistes en arrivent à la conclusion que la méthode qui présente le plus de chances de réussite pour détecter les liens financiers terroristes possibles avec les OSBL consiste à passer par les services de renseignement et de police, les divers mécanismes de détection possibles et les sources d'information sur les abus potentiels des organismes de bienfaisance, d'où l'importance d'établir des ententes de partage d'information efficaces à la fois au sein des autorités gouvernementales et entre elles.
Ce sont les mêmes personnes qui ont dit que les activités de surveillance des autorités de supervision ou des autorités financières responsables de la surveillance des OSBL ne semblent pas avoir permis de détecter des pistes vers des cas de financement du terrorisme dans le secteur des organismes de bienfaisance. Cependant, ces autorités semblent parfois jouer un rôle important dans l'examen de pistes relatives grâce à leur capacité de poser des questions approfondies ou d'inspecter des entités et de partager de l'information avec les organismes d'application de la loi. C'est la description d'une expédition de pêche.
Le sénateur Day : Je vous remercie de cet après-midi intéressant. Des points intéressants ont été soulevés.
Je relève dans votre rapport l'étude qui a été effectuée en 2004 sur la Muttart Foundation, monsieur Broder. Vous ne parlez que du point de vue de la confiance du public. Y a-t-il d'autres conclusions intéressantes qui se dégagent de cette étude et que vous pourriez partager avec nous?
M. Broder : Cela ne vient pas directement de l'étude, mais nous avons l'impression que le degré de confiance envers ce secteur est très élevé. Cependant, cette confiance est fragile. Nous nous éloignons du concept du don motivé par la foi, de l'époque où les gens donnaient toujours à la même institution et où les dons étaient très liés à la religion. Nous en arrivons à une époque où il y a toujours une très grande bonne volonté publique envers les organismes de bienfaisance, mais cette bonne volonté est très fragile et peut se perdre facilement.
Le sénateur Day : Y a-t-il eu des analyses effectuées sur les points que vous avez soulevés, à savoir ce type de loi antiterroriste pourrait avoir pour effet de réduire la quantité d'argent disponible ou le nombre de personnes prêtes à donner à des organismes de bienfaisance, ce qui limiterait le nombre de personnes disposées à siéger au conseil d'administration de ces organismes ou ferait en sorte qu'il serait plus difficile pour les organismes de bienfaisance d'obtenir de l'assurance de leur conseil d'administration et de la direction? Cette loi est en vigueur depuis trois ans. Y a- t-il eu des analyses du point de vue des organismes de bienfaisance sur ces questions?
M. Broder : Il n'y en a pas eu au sujet de cette loi en particulier, mais ce sont tous des enjeux d'actualité dans le secteur ainsi que des obstacles au recrutement. L'Étude nationale sur les organismes à but non lucratif et bénévoles révèle notamment la difficulté des organismes à recruter des membres à leur conseil d'administration. Il y a de grandes inquiétudes dans le secteur sur l'offre d'assurance et le coût de l'assurance, lorsqu'il y en a. Nous savons que le bassin de donateurs en pourcentage de fonds d'impôt diminue. C'est un milieu fragile.
Le sénateur Day : Nous dites-vous que vous pouvez en faire le suivi depuis que la loi est entrée en vigueur, à l'automne 2001, jusqu'à aujourd'hui et qu'il y a un déclin dans le nombre de personnes qui font des dons aux organismes de bienfaisance et la somme d'argent donnée à ces organismes?
M. Broder : La somme d'argent donnée a augmenté, en fait, mais le bassin de donateurs diminue. C'est la tendance depuis une dizaine d'années.
Le sénateur Day : J'aimerais faire le lien avec cette loi. Êtes-vous en mesure de nous montrer une incidence de cette loi sur ces questions?
Mme Robbin Tourangeau, vice-présidente, Politique publique et relations gouvernementales, Imagine Canada : Je ne pense pas qu'on puisse établir un lien direct. Ce sont des tendances générales. Nous n'avons pas mené de sondage ni d'étude sur cette question précise. Cependant, si l'on observe les tendances générales et les autres recherches effectuées, tout semble indiquer que lorsque les gens sont conscients des responsabilités qui découlent des diverses lois et de leurs propres responsabilités personnelles, leur volonté de donner et de siéger à un conseil d'administration, par exemple, est gravement compromise.
Le sénateur Day : Merci. Je vais comprendre de votre mémoire que cette loi n'améliore en rien la situation.
M. Broder : En effet.
M. Bromley : L'essentiel de la partie de mon travail qui paie les factures, à part de courir partout et de surveiller ces enjeux, c'est d'établir des fondations privées. Je travaille pour des donateurs qui donnent bien plus de 100 millions de dollars par année depuis une dizaine d'années ou plus. Ainsi, je parle aux donateurs parce que nous gérons de grosses sommes. Je dirais que cette loi est entrée dans la conscience et dans les discussions des grands donateurs. Cette loi n'arrête pas les gens déterminés à faire des dons internationaux. Elle n'arrête pas les gens déterminés à faire des dons religieux. Cependant, elle arrête nettement les gens qui cherchent n'importe quelle excuse pour ne pas donner. Elle est assez importante pour les gens qui n'ont pas de crainte légitime, mais qui cherchent n'importe quelle excuse pour ne pas faire de dons à l'étranger ou à ces organismes.
Le sénateur Day : Ce fut très utile. Merci. J'ai deux autres questions. Est-ce que Benefic Lawyers est un organisme sans but lucratif?
M. Bromley : Non, c'est mon cabinet d'avocat.
Le sénateur Day : Vous avez pignon sur rue à Vancouver.
M. Bromley : Oui, bien que mon épouse le conteste. Elle pense que je suis toujours à bord d'un avion.
Le sénateur Day : Vous avez parlé de l'importance de la crédibilité pour ces ONG internationales et de ne pas être lié au financement gouvernemental. Je pense à l'aide apportée dans le cas du tsunami et au fait que le gouvernement fédéral doublait les sommes recueillies ici au Canada. Je ne sais pas dans combien d'autres pays cela s'est fait, mais je crois savoir qu'il y avait certaines conditions à l'appariement des fonds de la part du gouvernement fédéral. Avant de doubler les fonds, on voulait s'assurer que la contribution des ONG serait utilisée d'une manière qui convient au gouvernement fédéral. Est-ce également ce que vous avez compris?
M. Bromley : C'était leur manière de comprendre les règles de base. Il y avait tellement d'argent qui arrivait de toutes parts que personne n'était vraiment préparé à la suite des choses. La difficulté, c'est qu'il est assez facile d'être libéral face à ces questions lorsque vous en êtes aux trois premières semaines du désastre. Les ONG responsables s'inquiètent des développements et du long terme et de ce qu'elles font en dépensant cet argent sur une période de trois ou cinq ans par opposition à la réaction initiale consistant à faire parvenir cet argent dans les gymnases. C'est là que ces problèmes surviennent. À long terme, si ces endroits sont contrôlés par des forces qui sont jugées mauvaises, alors, vous enfreignez cette législation. Cependant, les gens qui vivent dans ces endroits ont toujours des besoins, et bon nombre de ces personnes n'ont rien à voir avec les conflits et espèrent seulement les voir disparaître.
J'ai dit cela avec une certaine empathie parce que je comprends le problème. J'ai passé pas mal de temps au Vietnam pendant la guerre et j'ai passé du temps au Vietnam du Nord peu de temps après la guerre, pour ce qui est de travailler avec des groupes complètement bannis. Les besoins des gens vivant dans le nord étaient bien réels, même s'ils n'étaient pas les favoris politiques des décideurs de ce côté-ci du Pacifique.
Il s'agit d'un texte législatif qu'il est très difficile de lier avec les intentions des gouvernements. Il est certain qu'aux États-Unis, avant la guerre en Irak, on alignait des paiements de l'ordre de centaines de millions de dollars à des ONG individuelles pour qu'elles se rendent sur place et reconstruisent. S'il y a jamais eu un plan de succès, cela faisait intervenir la cooptation du mouvement des ONG. Les ONG doivent se tenir debout et se démarquer de ce genre de choses parce qu'alors, cela mène au problème de crédibilité et nous avons besoin de crédibilité parce que les ONG sont peut-être les mieux placées pour amener la paix en Irak. Une des raisons pour lesquelles il y a tant d'attaques contre les ONG, c'est à cause de leur efficacité. Les rebelles ne veulent pas qu'elles s'installent et qu'elles réussissent.
Le sénateur Day : La semaine dernière, une histoire a été traitée dans nos médias locaux et, peut-être, l'avez-vous entendue également. C'était au Sri Lanka. Le gouvernement de Colombo exigeait des droits d'importation pour les camionnettes, camions et véhicules tout-terrains qu'une ONG de Grande-Bretagne voulait faire entrer au pays. Ces véhicules sont immobilisés sur les quais depuis un certain temps. L'ONG a dû payer un million de dollars au gouvernement pour obtenir la libération de ces véhicules. Ce million de dollars américains correspondait uniquement aux droits d'importation. Qu'est-ce que cela fait à la crédibilité d'une ONG et à la crédibilité des activités? Il s'agissait du gouvernement légitime de Colombo.
Supposons que cela soit arrivé dans une autre partie du Sri Lanka où les Tigres tamouls sont au pouvoir et que de l'argent additionnel ait été versé au groupe dirigeant, de l'argent qui, on peut le présumer, a été recueilli par un organisme de bienfaisance enregistré, que les pouvoirs publics ont doublé et pour lequel les pouvoirs publics ont accordé une certaine forme d'allégement fiscal aux donateurs. Qu'est-ce que cela fait à toute cette situation de crédibilité et comment pouvons-nous suivre votre suggestion de se débarrasser des aspects antiterroristes de cet argent qui circule à l'échelle internationale? Quelqu'un doit garder cette situation à l'œil.
M. Bromley : Quelqu'un doit la garder à l'œil, mais une partie du problème, c'est que les gens qui ont besoin de l'aide apportée par ces camions ne sont pas ceux qui perçoivent les droits, alors, dans de nombreuses régions d'Afrique, vous avez des gouvernements qui font cela par le biais de droits à l'importation assez élevés. Quelle part de l'aide étrangère se retrouve dans le compte d'un quelconque dictateur dans une banque suisse? Ce ne sont pas des problèmes nouveaux.
Mon expérience m'indique que les ONG sur le terrain ont le plus d'expériences pour réduire de manière efficace ces problèmes et pour trouver l'équilibre entre des réalités pragmatiques. Ce ne sont pas uniquement les groupes terroristes qui font cela. Il s'agit de dictateurs corrompus et de profiteurs.
Les gens utilisent cette législation pour toutes sortes de raisons particulières. En Afrique, de tous les pays participant à la consultation du Botswana, le seul qui était membre du Groupe d'action financière sur le blanchiment de capitaux était l'Afrique du Sud. De nombreux représentants des gouvernements — des ministres des finances et des hauts fonctionnaires— ne savaient même pas ce qu'était le GAFI. Après deux jours de réunion, ils ont compris comment cette législation antiterroriste, et ses dispositions liées au blanchiment des capitaux, leur donneraient le contrôle sur les apports d'argent aux ONG internationales.
S'en prendre aux organismes de bienfaisance comme étant les seuls à ne pas être en mesure de naviguer de manière irréprochable dans ces circonstances difficiles pose un problème. Cependant, c'est la politique, pas nécessairement dans notre pays, mais mondialement, découlant de cette législation. C'est la raison pour laquelle je reviens constamment à la charge pour parler du discours public entourant cette question, plutôt que des « par exemple ».
Le sénateur Day : Il y a un autre domaine où j'aimerais poser des questions et je m'adresse à M. Broder. Avez-vous des données statistiques sur l'argent qui est recueilli au Canada? Quelle partie de l'argent assorti d'un reçu est dépensée à l'échelle internationale et quelle partie reste au Canada? Pouvez-vous nous donner une idée de ces chiffres?
M. Broder : Nous n'avons pas ces données particulières, mais un organisme comme le Conseil canadien pour la coopération internationale pourrait avoir des chiffres précis.
Le sénateur Day : Il était intéressant qu'un certain nombre de mes collègues ont soulevé des questions concernant les aspects internationaux des organismes de bienfaisance. Je suppose que cela découle du type de législation que nous examinons.
Je pense que le thème général de la première partie de votre exposé, c'est que la Loi de l'impôt sur le revenu et ses dispositions sont suffisantes pour faire face à cette question et que nous n'avions pas vraiment besoin de la législation antiterroriste. Je me demandais si vous aviez réfléchi à la question de savoir si la législation antiterroriste pouvait s'appliquer aux activités étrangères, le système juridique actuel étant suffisant pour les activités canadiennes. Avez- vous fait une distinction entre ces deux groupes dans votre exposé?
M. Broder : L'exigence générale de la Loi de l'impôt sur le revenu, c'est que les organismes de bienfaisance doivent dépenser leurs ressources exclusivement à des activités de bienfaisance. L'Agence du revenu du Canada interprète cela de manière différente selon qu'il s'agit d'une activité étrangère ou d'un activité au Canada. De manière typique, elle exigerait, par exemple, une entente avec l'agence ou que l'organisme de bienfaisance ait un Canadien sur place dans le pays où elle a des activités. Il s'agit là d'une attente plus élevée en matière d'obligation de rendre compte. Vous devez être en mesure de rapatrier les reçus si l'ARC le demande.
L'ARC fait une assez grande distinction. Dans des situations comme celles dont vous avez parlé, le million de dollars servant à payer les droits d'importation sur les camions ou l'argent qui a été détourné pour payer un groupe local afin de permettre l'arrivée des ressources, vous pourriez regarder ces transactions et poser la question suivante : « Est-ce que l'organisme continue de consacrer toutes ses ressources à des activités de bienfaisance? » Il s'agit d'une exigence standard pour tous les organismes de bienfaisance en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, même si on laisse de côté la partie 6.
Le sénateur Day : Êtes-vous satisfait de votre recommandation que l'on devrait demander au gouvernement de démontrer clairement et publiquement que les normes et les pouvoirs prévus dans la Loi de l'impôt sur le revenu ne sont pas suffisants et qu'à votre avis ils devraient s'appliquer à tous les organismes de charité enregistrés au Canada?
M. Broder : Oui, mais elles devraient être rendue plus étroites. Là où cela ne peut être démontré d'une manière claire, les dispositions devraient être plus étroites, de sorte qu'elles soient moins arbitraires et qu'elles ne se limitent pas aux mesures de protection procédurales abrogées et à la responsabilité absolue.
La législation devrait être reformulée de manière à tenir compte de certaines des nuances dont nous avons discuté cet après-midi.
Le sénateur Day : Plutôt que d'imposer au gouvernement de démontrer clairement la nécessité de la législation, ai-je raison de comprendre que vous avez dit que vous êtes d'avis que la législation n'était pas nécessaire et que les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu sont suffisantes pour respecter nos obligations internationales, en vertu de la résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies exigeant que nous ne permettions pas à des fonds canadiens de financer le terrorisme international?
M. Broder : L'ARC a indiqué le 18 mai qu'elle n'avait pas utilisé les dispositions de la Partie 6 contre un organisme de bienfaisance ou des organismes cherchant à obtenir le statut d'organisme de bienfaisance. Nous ne sommes pas en mesure de répondre parce que nous n'avons pas accès à toute l'information du gouvernement. Je pense que cela soulève cette question.
Le sénateur Day : À part la non-utilisation? Nous sommes ici pour présenter des recommandations au gouvernement et une des recommandations ne serait pas de demander au gouvernement de bien vouloir démontrer qu'il a besoin de cette législation. Nous préférerions dire, si j'ai compris votre exposé, que les mesures de protection et la législation en place avant l'adoption de la Loi antiterroriste étaient suffisantes en ce qui a trait aux organismes de bienfaisance et aux activités des organismes de bienfaisance.
M. Broder : Il y a une disposition dans la Loi de l'impôt sur le revenu qui exige que vous consacriez vos ressources exclusivement à des activités de bienfaisance. Il y a également les dispositions de la Partie 1 concernant le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, les dispositions du Code criminel. Cela peut être suffisant.
Il peut y avoir eu, sans que nous le sachions, certains cas où la Partie 6 a pu avoir une certaine efficacité. Il semble que l'on n'a pas utilisé la Partie 6 et qu'il y a, dans le régime réglementaire existant et dans les dispositions du Code criminel régissant le financement, la possibilité de faire face à la plupart, sinon à la totalité, des problèmes qui existeraient actuellement.
Le sénateur Day : Est-ce que votre organisme a fait une analyse quelconque des exigences que nous devons respecter en vertu de la Résolution 1373, dont nous avons discuté ici ce matin? Avez-vous fait une analyse de cette question?
M. Broder : Non, nous n'avons pas fait d'analyse.
Le sénateur Day : Merci. Monsieur Bromley?
M. Bromley : J'ai une réponse un peu différente à cette question, si je l'ai bien comprise.
Une bonne partie de mon travail consiste à faire du magasinage de pays, c'est-à-dire à déterminer pourquoi un donateur préfèrerait faire son don à partir de Hong Kong plutôt que des Bermudes ou d'un quelconque autre pays. C'est mon opinion arrêtée, malheureusement, que si je faisais un tel magasinage pour le financement des organismes de bienfaisance, j'irais au Canada. Je pense que nos règles et la structure de notre législation posent un gros problème. La notion que l'organisme de bienfaisance exécute les activités de bienfaisance elle-même et toute l'importance accordée au fait que les organismes de bienfaisance dirigent par l'intermédiaire de leurs publications et de leurs politiques et que la législation amène des ententes avec l'agence, et cetera, dont il a parlé. Cela signifie que si je faisais d'Osama ben Laden mon agent au Pakistan, il n'y aurait absolument aucune raison pour que je fasse intervenir les autorités de réglementation pakistanaises dans la façon dont je déplace mon argent. À moins qu'on s'en aperçoive à Ottawa, on ne s'en apercevra pas sur le terrain au Pakistan. Si je devais décider qui je pense a la meilleure chance de mettre la main au collet des bandits, je voudrais peut-être que les gens au Pakistan aient un rôle à jouer.
Le sénateur Day : Avez-vous une opinion en ce qui concerne les articles 4 et 6. de la Loi sur l'enregistrement des organismes de bienfaisance (renseignements de sécurité)? Sont-ils souhaitables et nécessaires?
M. Bromley : Je n'ai pas consacré beaucoup de temps à examiner cette question parce que, d'après mon expérience, je dirais que ceux qui s'adonnent vraiment à ce genre d'activités ou bien se tiendraient loin des organismes de bienfaisance enregistrés, ou bien dès qu'ils s'en seraient rapproché le moindrement, auraient tôt fait de cesser leurs activités et de se placer à l'écart.
Bien que l'ARC puisse n'avoir jamais délivré de certificat, je ne serais pas étonné qu'elle ait découvert certaines choses dans ce processus. Cependant, je l'ignore. Je ne suis pas de ceux qu'elle consulte.
Le sénateur Day : En ce qui concerne votre observation au sujet du fait que l'on reste à l'écart du système des organismes de bienfaisance enregistrés, avez-vous une idée dans quelle mesure le reçu aux fins d'impôt constitue un incitatif de financement pour les ONG internationales?
M. Bromley : Ironiquement, je comprends qu'il s'agit d'un incitatif important pour les petits donateurs, parce qu'ils obtiennent le crédit d'impôt au niveau le plus élevé. S'ils peuvent créer un bureau d'aide sociale ou un autre système par lequel les dons se retrouvent entre les mains des mauvaises personnes, ils sont tout de même gagnants.
Dans le cas des gros donateurs, vous devez vous éloigner de plusieurs niveaux des organismes de bienfaisance entre là où le don est effectué et le moment il se retrouve outre-mer, ce qui ne serait pas un problème si vous êtes le moindrement raffiné.
Si vous délaissiez les dons de bienfaisance pour la production d'un revenu sur une base d'exemption d'impôt dans un organisme sans but lucratif, vous auriez pratiquement les coudées franches.
Le sénateur Joyal : Avez-vous remarqué un effet semblable à ce dont vous avez fait allusion dans votre dernière réponse, qu'il s'agit d'une sorte de profilage racial pour ce qui est de cibler des groupes qui pourraient faire l'objet de la législation antiterroriste? Pourraient-ils connaître une réduction de leur capacité de recueillir de l'argent à des fins humanitaires du fait que la possibilité que leurs activités puissent faire l'objet d'une évaluation ou d'une enquête plus poussée vienne refroidir les ardeurs?
M. Bromley : Je n'ai pas d'indication de cela, mais cela est dû en grande partie au fait que je ne représente pas de nombreux donateurs dans ces collectivités au niveau de la fondation. Ceux que je représente sont davantage en mesure de faire des transactions de plusieurs millions de dollars que des transactions à plus petite échelle, uniquement à cause de l'endroit où je me trouve sur le marché. Je n'ai pas d'expérience personnelle de cela.
Le sénateur Joyal : Pouvez-vous parler de cela, monsieur Broder, en ce qui a trait à votre expérience professionnelle?
M. Broder : Avec la transparence accrue liée au processus d'enregistrement de l'ARC et aux données financières des organismes, nous pourrions être en mesure d'avoir une certaine idée de cela dans l'avenir, mais historiquement, nous ne le savons pas avec certitude.
La présidente : Merci beaucoup. Ce fut une séance très intéressante pour nous tous. Nous sommes heureux que vous ayez comparu devant nous aujourd'hui et que vous ayez enrichi l'information à notre disposition.
La séance est levée.