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ANTT - Comité spécial

Antiterrorisme (Spécial)

 

Délibérations du comité sénatorial spécial sur la
Loi antiterroriste

Fascicule 15 - Témoignages - Séance de l'après-midi


OTTAWA, le lundi 26 septembre 2005

Le Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste se réunit aujourd'hui, à 13 h 40, pour procéder à un examen approfondi des dispositions et de l'application de la Loi antiterroriste (L.C. 2001, ch.41).

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Nous entamons la 33e séance au cours de laquelle le Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste entendra des témoins. En octobre 2001, en réponse directe aux attaques terroristes survenues à New York, à Washington et dans l'État de la Pennsylvanie, et à la demande des Nations Unies, le gouvernement canadien a déposé le projet de loi C-36, la Loi antiterroriste. Compte tenu de l'urgence de la situation à l'époque, le Parlement a été invité à accélérer l'étude du projet de loi, ce que nous avons accepté. La date limite pour l'adoption du projet de loi avait été fixée à la mi-décembre 2001.

Cependant, bien des inquiétudes ont été exprimées parce qu'on jugeait difficile d'évaluer en détail les répercussions éventuelles de cette mesure législative en si peu de temps. Pour cette raison, il a été convenu que, trois ans plus tard, le Parlement serait invité à examiner rétrospectivement les dispositions de la loi et leur impact sur les Canadiens, dans un climat beaucoup moins émotif. Le travail de notre comité spécial se veut le résultat des efforts déployés par le Sénat pour respecter cette obligation.

Une fois notre étude terminée, nous en ferons rapport au Sénat et nous y soulèverons toute question qui, à notre avis, mérite d'être examinée, après quoi nous remettrons le fruit de notre travail au gouvernement et à la population canadienne. La Chambre des communes est actuellement engagée dans une étude semblable.

Jusqu'à maintenant, le comité a entendu des ministres et des fonctionnaires, des spécialistes internationaux et canadiens en matière de sécurité, des juristes, des responsables de l'application de la loi et de la collecte des renseignements de sécurité ainsi que des représentants d'associations locales. La semaine dernière, les membres du comité se sont rendus à Washington pour rencontrer des collègues du Congrès américain.

Cet après-midi, nous allons entendre des représentants de centrales syndicales. Nous avons le plaisir d'accueillir M. James Turk et Mme Maureen Webb, de l'Association canadienne des professeures et professeurs d'université; ainsi que M. Ed Cashman et Mme Seema Lamba, de l'Alliance de la fonction publique du Canada.

La discussion devrait être intéressante. Encore une fois, je vous demanderais que les questions et les réponses soient aussi courtes et précises que possible afin que tout le monde puisse participer.

[Français]

Ed Cashman, vice-président exécutif régional, Alliance de la fonction publique du Canada : Honorables sénateurs, permettez-moi d'abord de remercier les membres du Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste d'avoir invité l'Alliance de la fonction publique du Canada à participer à cet examen de la Loi antiterroriste. Notre présidente nationale Mme Nycole Turmel, vous envoie ses regrets de ne pas être présente aujourd'hui.

L'AFPC est un syndicat national qui compte des membres d'un océan à l'autre et dans toutes les provinces et territoires et leur nombre va en augmentant. La majorité de nos 155 000 membres travaille pour le gouvernement fédéral dans ses ministères et organismes. Nous devons également signaler que bon nombre de nos membres travaillent pour des ministères et des organismes qui assument des responsabilités en vertu de la Loi antiterroriste.

En 2001, l'AFPC a présenté un mémoire sur le projet de loi C-36. Comme vous le savez, la loi a été adoptée suite aux tragiques événements du 11 septembre 2001, au moment où les gouvernements du monde entier s'efforçaient à réinstaller un sentiment de sécurité. À ce moment-là, nous avons fait valoir avec acharnement que la législation conçue pour atteindre cet objectif devrait être adoucie et respecter les droits de la personne et, au bout du compte, établir un juste équilibre entre les deux.

La conclusion à laquelle nous en étions venus à ce moment, c'est que le projet de loi C-36 n'est pas parvenu à établir cet équilibre. Aujourd'hui, cependant, près de quatre ans après l'adoption de la Loi antiterroriste, la crainte à l'origine de notre remarque sur le projet de loi C-36 s'est confirmée.

L'AFPC est affiliée au Congrès du travail du Canada et fait partie de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles. Les deux organisations travaillent à présenter des mémoires détaillés à ce comité. L'AFPC appuie ses présentations qui s'articulent autour des conséquences élargies de la Loi antiterroriste.

L'AFPC est convaincue que les problèmes dont il est question dans ses présentations — tels les certificats de sécurité et la déportation de Maher Arar aux États-Unis — revêtent une importance primordiale et méritent d'être apportés à l'attention du comité spécial.

Nos mémoires traiteront plus particulièrement des trois aspects suivants : la définition du terrorisme, les problèmes liés à la protection des renseignements personnels et l'incidence des mesures antiterroristes sur les travailleuses et travailleurs.

La Loi antiterroriste donne une définition vague et exagérément élargie des termes « terrorisme » et « activité terroriste » qui peut être interprétée de façon à inclure des activités qui ont peu à voir avec le terrorisme, mais beaucoup avec le droit à la dissension politique.

La définition comprend la notion d'idéologie, de politique et de religion. Cette définition peut entraîner des mesures d'État intrusives, notamment l'établissement de profils politiques, religieux, ethniques et raciaux. Ces mesures vont bien au-delà de ce qui était accepté dans notre société avant l'adoption de la loi.

L'interprétation du concept de terrorisme par le SCRS comprend ce qui, dans le passé, était considéré comme de la dissension politique. Dans son rapport public de 2001, en date du 12 juin 2002, on peut lire ce qui suit :

Le Canada est confronté au terrorisme national lié aux droits des Autochtones, aux mouvements pour la suprématie de la race blanche, aux débats sur la souveraineté, à la défense des droits des animaux et aux mouvements anti-mondialisation.

L' AFPC et le Mouvement ouvrier ont critiqué avec véhémence cette situation au cours des débats politiques et se sont objectés aux politiques gouvernementales dans différents secteurs aussi variés que les conventions commerciales internationales, la privatisation, les droits des Autochtones et les droits des groupes d'équité.

L'interprétation par le SCRS d'activités qui peuvent être définies comme du terrorisme provoque une levée de boucliers et on ne peut pas comprendre ces effets de refroidissement.

Les modifications à la Loi sur la protection des renseignements personnels, à la Loi sur la protection de l'information et à la Loi sur la preuve au Canada, découlant de la Loi antiterroriste, ont réduit petit à petit la transparence de l'État. L'obligation de rendre compte au public est le droit à l'information de ce dernier. Les organismes d'application de la loi et de sécurité ont les pouvoirs nécessaires pour faire davantage d'intrusions de la vie privée des gens.

Cependant, il existe peu de mécanismes pour protéger les gens contre ce genre d'intrusion. Par exemple, les nouvelles dispositions sur le secret dans la Loi sur la preuve au Canada interdisent aux commissaires, dans l'enquête Arar, de dévoiler publiquement toute décision rendue afin de garder les documents secrets pour des raisons de sécurité nationale.

Mentionnons comme autre exemple la possibilité pour de la GRC d'obtenir un mandat pour faire une descente au domicile du journaliste de l'Ottawa Citizen, Juliet O'Neill, en vertu de la nouvelle Loi sur la protection de l'informations, anciennement la Loi sur les secrets officiels. Mme O'Neil avait critiqué l'enquête menée par la police dans l'affaire Maher Arar dans ses comptes-rendus pour le journal. Il est important de tenir le public au courant et d'engager un débat sur les libertés civiles et les droits fondamentaux de la personne.

Les mesures en vertu de la Loi antiterroriste et d'autres lois telles la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, la Loi sur la sécurité publique et dans les mesures non légiférées comme le Plan d'action pour la frontière intelligente et les ententes concernant les pays tiers sûrs sont compliquées et viennent porter atteinte aux droits de la personne et aux libertés civiles.

Pour l'examen de la Loi antiterroriste, il faut emprunter une approche holistique et tenir compte des mesures qui font partie de la réaction au terrorisme du Canada. Par exemple, la LIPR possède des dispositions parallèles concernant les certificats de sécurité à celles qui sont prévues dans la Loi antiterroriste. La LIPR nie le droit à une procédure établie ainsi qu'à un jugement juste et ouvert aux personnes qui ne sont pas des citoyens canadiens, suspectées de représenter un risque pour la sécurité nationale.

Le Plan d'action pour la frontière intelligente est également très préoccupant parce qu'il traite de la création de bases de données intégrées, de l'exploration des données et de la sélection des passagers en fonction du degré de risque qu'il représente pour les transporteurs aériens, y compris la création de listes de passagers qui n'ont pas le droit de vol, de même que toutes les conventions de partage d'informations avec les États-Unis.

Les ententes concernant les pays tiers sûrs ont déjà des effets néfastes dans la mesure où elles nuisent aux réfugiés qui demandent le statut de réfugié au Canada, s'ils le font d'abord aux États-Unis. Ces interventions et ces mesures représentent non seulement une grave menace pour les droits de la personne, les libertés civiles et la procédure établie, mais elles contribuent également à affaiblir le pouvoir et l'autorité de nos institutions démocratiques, comme le système judiciaire et la législature, à l'avantage d'une poignée de ministres.

Ce genre de délégation de pouvoirs ouvre la voie à l'application arbitraire et éventuellement abusive de pouvoirs secrets grâce à des décrets, à des règlements et à des certificats de sécurité qui ne sont pas supervisés adéquatement et qui n'obtiennent pas l'approbation du Parlement.

[Traduction]

Il convient de souligner que des membres des syndicats dont le travail les oblige périodiquement à traverser la frontière américaine ont demandé à être mutés dans d'autres régions afin de ne pas avoir toujours l'impression d'être soupçonnés ou d'être surveillés de près en raison de leur nom, de la couleur de leur peau ou de leur religion. Malheureusement, on ne dispose pas de statistiques fiables pour documenter l'ampleur du problème, dans la main- d'oeuvre ou aux points d'entrée des douanes et de l'immigration, parce que peu de gens viennent se plaindre par peur d'attirer davantage l'attention sur eux.

Même si les travailleurs de la fonction publique fédérale qui demandent à être mutés ou qui sont en quête d'autres emplois dans la fonction publique ne sont pas directement touchés par la Loi antiterroriste, ils risquent de voir leur profil racial établi.

Les autorisations de sécurité existaient avant l'adoption de la Loi antiterroriste, mais il semble que la procédure d'évaluation soit plus rigoureuse parce que le programme de sécurité des organismes d'application de la loi continue de prendre de l'essor. Il faut analyser la situation en profondeur pour vérifier si les travailleurs se voient refuser des postes à la suite de ces vérifications de sécurité et, le cas échéant, s'il existe des recours et des mécanismes de suivi efficaces.

Récemment, l'affaire très médiatisée de Bhupinder Liddar, fonctionnaire que le SCRS considérait comme un risque pour la sécurité après sa nomination à un poste diplomatique en Inde en 2003, vient renforcer davantage cet aspect. Dans un rapport secret que le Globe and Mail et d'autres agences de presse ont pu se procurer, Paule Gauthier, ancienne présidente du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, le CSARS, a constaté que le SCRS l'avait intentionnellement induite en erreur au moment où il essayait de protéger l'agence d'espionnage contre les retombées qui pourraient se révéler embarrassantes pour le service dans la perspective de la nomination de M. Liddar et de la suspension qui s'en est suivie.

L'article décrit l'évaluation critique de Mme Gauthier à l'égard de la qualité de l'enquête et le fait que les documents d'enquête avaient été détruits afin qu'on ne puisse pas les examiner. Cet article, paru dans l'édition du 14 septembre 2005 du Globe and Mail s'intitulait « Watchdog `misled' by CSIS : Secret report blasts agency's investigation of public servant deemed a security risk » et a été rédigé par Bill Curry et Colin Freeze.

Le rapport du CSARS dont j'ai parlé est important dans la perspective des changements apportés aux autorisations de sécurité pour l'emploi dans la fonction publique fédérale. Par exemple Transports Canada a proposé des autorisations de sécurité élargie aux travailleurs des aéroports et de la marine. Les autorisations pour les travailleurs de la marine comprennent le suivi des renseignements personnels détaillés, notamment des renseignements sur leur mari, leur femme ou leur conjoint de fait, leur ex-mari, ex-femme ou ex-conjoint de fait, leur mère, leur père, leurs beaux- parents, et ils comprennent les vérifications des antécédents criminels, des vérifications pour les organismes de protection de la loi et les services secrets, les évaluations de sécurité du SCRS, les vérifications du statut d'immigrant et de citoyenneté et les vérifications de solvabilité. Transports Canada propose également d'étendre les exigences liées aux autorisations de sécurité aux travailleurs qui supervisent le fret aérien et dans d'autres secteurs.

Il convient de souligner que ces changements se répercutent non seulement sur les immigrants qui ont du mal à obtenir des documents de leur pays d'origine, mais également sur les travailleurs affectés à l'étranger ou qui se sont rendus dans d'autres pays où ils ont passé plus de trois mois. Cependant, ces immigrants et travailleurs n'attirent pas nécessairement l'attention des médias parce que, bien souvent, ces cas n'ont pas un grand retentissement; pourtant, les répercussions sont les mêmes, c'est-à-dire des pertes d'emploi et la stigmatisation.

Au Canada, tous les travailleurs qui risquent de ne pas obtenir d'autorisation de sécurité et de perdre leur emploi sont très inquiets. De plus, les autorisations de sécurité sont très invasives puisque les enquêteurs étudient de près la vie privée des gens. Ces autorisations requises à des fins de sécurité ne sont pas toujours liées au travail exécuté.

L'AFPC est d'avis que les intrusions inutiles dans la vie privée des travailleurs afin d'obtenir les autorisations de sécurité vont à l'encontre des initiatives d'équité en matière d'emploi. L'obligation d'obtenir des autorisations de sécurité, comme des documents d'autres pays, est un obstacle particulièrement pour les immigrants et les travailleurs membres de groupes raciaux, qui veulent obtenir des emplois dans la fonction publique fédérale.

On ne connaît pas l'importance de cet obstacle parce qu'on ne dispose pas de ces renseignements. La Loi antiterroriste et d'autres mesures sont dangereuses dans la mesure où elles risquent de devenir permanentes ou d'inspirer d'autres changements législatifs. Ces mesures donnent des pouvoirs discrétionnaires et d'enquête jamais vus aux organismes de sécurité et d'application de la loi. Aucune disposition de réexamen n'est prévue pour permettre au Canada de rétablir les valeurs fondamentales et les droits constitutionnels qui existaient avant. La loi et sa mise en œuvre doivent être suivies, et les décisions prises par le gouvernement et ses ministres doivent être examinées par des tierces parties.

James Turk, directeur administratif, Association canadienne des professeures et professeurs d'université : L'Association canadienne des professeures et des professeurs d'université représente plus de 48 000 universitaires dans une centaine d'universités et de collèges au Canada, et nous sommes heureux d'avoir l'occasion de nous adresser à vous aujourd'hui. Je suis accompagné par Mme Webb, conseillère juridique de l'Association, qui a joué un rôle important dans la rédaction de notre mémoire.

L'examen de cette loi est une responsabilité spéciale et difficile pour votre comité. Elle est spéciale, parce que, d'une certaine façon, jamais une loi n'a modifié autant l'équilibre entre les libertés civiles et les pouvoirs des forces de police et des responsables de la sécurité. C'est aussi une responsabilité difficile parce que c'est rebutant d'examiner une loi qui compte 186 pages et, surtout, qui a des répercussions compliquées étant donné qu'elle modifie une vingtaine d'autres mesures législatives.

La rédaction de ce mémoire était une priorité absolue pour l'Association canadienne des professeures et des professeurs d'université parce que les activités qui sont la raison d'être des universités reposent sur de solides libertés civiles dans une société démocratique. Nous craignons que ces libertés civiles ne soient menacées par cette loi. Notre association est avantagée par rapport à d'autres témoins parce que nous comptons parmi nos membres des juristes qui enseignent dans pratiquement toutes les facultés de droit du pays et que nous avons mis à profit leur savoir dans les nombreux domaines du droit touchés par la Loi antiterroriste.

Je vais demander à Mme Webb de vous fournir plus de détails là-dessus mais, pour résumer, nous estimons que cette loi a créé ou peut créer des problèmes tellement graves que vous devriez en recommander l'annulation. À notre avis, cette loi est tout à fait inutile parce que le Code criminel confère plus de pouvoirs qu'il n'en faut aux forces policières et aux responsables de la sécurité pour nous protéger contre le terrorisme et que le Canada n'a pas besoin de cette loi pour respecter ses obligations internationales, sauf à une exception près, comme Mme Webb va vous l'expliquer. Nous pensons également que le problème vient en partie du fait que le terrorisme n'est pas de nature juridique mais politique.

Mme Webb va vous dire que le Royaume-Uni et les États-Unis ne définissent pas le terrorisme dans leurs lois. En le définissant, on introduit dans le droit criminel une notion qui ne s'y trouve pas, la motivation. Le mens rea, ou l'intention, fait partie du droit criminel, mais la loi juge le comportement à partir du geste posé et non de ce qui l'a motivé. C'est ce qui ouvre la porte à toute une série de problèmes fondamentaux qui menacent la stabilité de notre système de droit criminel.

Nous croyons finalement que cette loi accorde d'énormes pouvoirs à l'exécutif, c'est-à-dire qu'elle centralise les pouvoirs de sorte que le procureur général peut empêcher la communication d'informations de la part de tout organe qui est habilité à assigner des témoins à comparaître, comme les comités parlementaires.

La loi a été adoptée rapidement à la suite de l'horrible tragédie du 11 septembre. On a jugé qu'il fallait que notre pays et d'autres agissent de façon précipitée à la suite de ces événements, tout en reconnaissant toutefois qu'une mesure aussi importante et complexe adoptée en toute hâte devait être réexaminée. Malheureusement, le ministre responsable de cette loi soutient qu'il n'y a rien à redire à ce qui a été fait de façon expéditive à l'automne 2001, qu'il n'y a même pas une virgule à changer.

Cela nous préoccupe et nous nous sommes donné la peine de rédiger un mémoire détaillé à votre intention. Si vous le voulez, nous sommes prêts à vous fournir plus d'informations au cours de votre étude précisément parce que cette loi est tellement difficile et complexe. Nous sommes heureux de mettre à profit le savoir des facultés de droit du pays pour vous aider à examiner à fond les divers aspects de cette loi et ses répercussions possibles.

Maureen Webb, conseillère juridique, Association canadienne des professeures et professeurs d'université : Je vais d'abord vous parler d'un des points soulevés par M. Turk, à savoir que la Loi antiterroriste ne vient combler aucune lacune dans le droit criminel canadien ou les obligations internationales de notre pays. Avant l'adoption de cette loi, le Code criminel disposait de bien assez de dispositions et de principes pour tenir compte du phénomène communément appelé « terrorisme ». Nous les énumérons à la page 26 de notre mémoire. Je n'ai pas le temps de les passer en revue avec vous, mais soyez assurés que les professeurs de droit du pays qui font partie de notre association ont examiné attentivement la question. Nous expliquons de façon approfondie dans le mémoire comment le Code criminel traite bien amplement des actes liés au terrorisme.

Non seulement les infractions prévues englobent les activités terroristes, mais la liste des infractions incomplètes est extrêmement longue et réussit à viser tous ceux qui aident les terroristes. C'est ce que nous expliquons à la page 27 de notre mémoire. Les principes adoptés dans le droit criminel actuel sur la détermination de la peine suffisent amplement à prévoir que des peines sévères sont infligées à ceux qui commettent des actes terroristes, comme nous l'exposons aux pages 29 et 30 de notre mémoire.

Nous avons comparu devant le comité de la Chambre la semaine dernière. Nous ne comprenons pas encore où le gouvernement veut en venir quand il soutient qu'il y a des lacunes dans le droit criminel d'avant. Je n'ai pas vu de liste de prétendues lacunes et, d'après nos experts, il n'y en a pas. Je crois que c'est également le point de vue de M. Serge Ménard, qui est criminaliste et membre du comité de la Chambre et qui a occupé le poste de solliciteur général du Québec pendant des années, au moment où les bandes de motards criminalisés étaient en guerre au Québec.

La Loi antiterroriste n'est pas nécessaire pour que le Canada remplisse ses obligations internationales sur le plan juridique. C'est souvent ce que prétendent les représentants du gouvernement, mais il est clair, quand on étudie ces obligations internationales, que le Canada les respectait avant l'adoption de la Loi antiterroriste. Quelles sont ces obligations internationales? Il y a 10 conventions internationales contre le terrorisme que le Canada doit mettre en œuvre, en plus de la résolution 1373 du Conseil de sécurité, qui a été adoptée en septembre 2001. Les conventions ciblent des actes criminels précis liés au terrorisme, comme les détournements d'avion, les attentats à la bombe dans les endroits publics et les prises d'otage. Ces conventions demandent aux États de criminaliser ces actes et d'établir une compétence universelle à leur égard. Vous savez sans doute que le principe de compétence universelle signifie qu'on peut engager des poursuites et punir les crimes peu importe où, contre qui et par qui ils ont été commis. C'est ce que ces 10 conventions internationales contre le terrorisme exigent. La résolution 1373 du Conseil de sécurité oblige également les États à criminaliser des actes précis liés au terrorisme même s'il n'est pas nécessaire d'établir une compétence universelle.

Tous les actes dont il est question dans les 10 conventions internationales et dans la résolution 1373 du Conseil de sécurité étaient érigés en crimes avant l'adoption de la Loi antiterroriste. Tous ces actes qui doivent être soumis au principe de la compétence universelle selon ces documents l'étaient déjà au Canada avant l'adoption de la Loi antiterroriste, à une exception près comme nous l'avons constaté avec l'aide de nos membres juristes. Le Canada n'a pas de compétence universelle sur les attentats terroristes à l'explosif qui ne représentent pas des crimes contre l'humanité. Par exemple, tous les attentats à la bombe qui ont eu lieu à Madrid, à Londres et à Bali seraient probablement considérés comme des crimes contre l'humanité. On ne les considérerait pas comme des crimes contre l'humanité s'il s'agissait de tentatives ratées ou d'attentats à la bombe n'ayant fait que peu de victimes. La Convention pour la répression des attentats terroristes à l'explosif oblige le Canada à affirmer le principe de compétence universelle, que les attentats à la bombe représentent ou non des crimes contre l'humanité. C'est la seule différence avec la situation telle qu'elle existait avant l'adoption de la Loi antiterroriste.

Cette lacune est comblée par le paragraphe 7(3.72) et le paragraphe 431.2, qui ont été ajoutés au Code criminel par la Loi antiterroriste. Selon nous, ce sont les deux seules dispositions nécessaires dans toute la Loi antiterroriste pour faire en sorte que le Canada respecte ses obligations internationales et criminalise les actes terroristes. Le reste des 200 pages de la loi est redondant parce que des mesures existaient déjà dans la loi, ou encore dépasse de loin ce que le Canada est obligé de faire en vertu des instruments internationaux. Nous expliquons cela concrètement dans notre mémoire.

Mon collègue a aussi parlé du problème lié au fait de définir le terrorisme et d'inclure ce concept politique dans un important cadre juridique. Il convient de remarquer que les conventions sur le terrorisme et la résolution 1373 du Conseil de sécurité ne définissent pas le terme « terrorisme », et n'obligent pas le Canada à le faire. Comme je l'ai dit, ces documents mettent l'accent sur les actes criminels associés au phénomène du terrorisme. Ils ne définissent pas le terrorisme, mais font valoir qu'il s'agit d'actes criminels qui doivent être assujettis à la compétence universelle et faire l'objet de peines sévères, peu importe ce qui les a motivés. Les conventions internationales nous demandent de criminaliser ces actes et de les soumettre à une compétence universelle, quelle que soit leur motivation. Quelqu'un pourrait faire une prise d'otages et demander une rançon d'un million de dollars pour assurer ses vieux jours, mais cela n'aurait pas d'importance parce que l'accent serait mis sur l'acte et non pas sur ce qui l'a motivé.

Sans y être obligé, le Canada a essayé de définir le terrorisme et d'intégrer cette définition dans le Code criminel et d'autres textes de loi. Dans le domaine du droit pénal, cela a été un véritable cauchemar. Lorsqu'on se fonde sur la définition du terrorisme pour définir des infractions criminelles, on commence par se concentrer non pas sur l'activité mais sur le motif derrière elle, et le motif devient alors un élément d'un crime. Autrement dit, on en fait quelque chose que la Couronne doit prouver au-delà de tout doute raisonnable pour démontrer qu'il y a eu infraction criminelle.

Ce faisant, on change toute la structure du droit pénal. Le motif comme élément d'un crime, et non pas seulement comme un facteur tenu en compte dans la détermination de la peine, c'est quelque d'étranger non seulement en droit pénal canadien, mais aussi en droit pénal international. En droit pénal courant, le fait qu'on ait détourné des fonds par désir de vengeance ou pour affirmer une prise de position politique, n'a aucune pertinence dans la détermination de la culpabilité pour vol. La Couronne doit prouver l'intention coupable, mais c'est un concept tout à fait différent de celui du motif.

Quand on essaie de définir le terrorisme, non seulement on introduit le concept du motif dans le droit criminel, mais aussi une espèce particulière de motif. On dit que les actes commis pour des motifs politiques ou idéologiques particuliers sont des actes terroristes, et que la Couronne doit prouver au-delà de tout doute raisonnable qu'il y avait des types particuliers de motifs politiques ou idéologiques pour prouver la culpabilité.

Pendant des décennies, on a trouvé impossible de trouver une définition qui fasse la distinction entre les motifs politiques et idéologiques ciblés et ceux qu'on était prêts à tolérer.

Les définitions du terrorisme ne peuvent être que trop inclusives ou pas assez; elles sont trop inclusives si elles traitent de désobéissance civile ou d'actes violents dirigés contre des gouvernements ou des occupants abusifs, ou sont inclusives quand elles n'arrivent pas à englober les actes violents contre des civils qui devrait logiquement y être inclus, mais qui ne le sont pas pour des raisons purement politiques — leur conduite par des représentants de l'État ou quasi représentants de l'État. Par conséquent, nous dirions qu'il est impossible de définir le terrorisme d'une façon qui soit juridiquement uniforme et applicable.

Notre point de vue est fondé sur l'expérience des Nations Unies. Les Nations Unies ont débattu pendant des dizaines d'années de la définition du terrorisme. Plus récemment, depuis les événements du 11 septembre, les Nations Unies ont subi d'énormes pressions pour mettre la dernière main à un traité exhaustif sur le terrorisme et pour formuler une définition du terrorisme à l'occasion du sommet de l'automne, ce mois-ci, sur la réforme des Nations Unies.

En dépit des pressions et des efforts intenses déployés pour parvenir à un consensus sur la définition du terrorisme, la démarche a encore une fois échoué. Les pays en sont encore à débattre pour savoir si les bombes humaines palestiniennes, les tanks israéliens dans les territoires occupés ou les activités américaines en Irak constituent ou non des actes de terrorisme. Même les Nations Unies, sous d'énormes pressions, n'ont pas pu, en des décennies, trouver une définition qui soit exploitable.

Le résultat, quand on superpose un cadre terroriste au Code criminel, est un modèle incroyablement complexe, alambiqué, vague et manipulable qu'on ne pourra jamais arranger. On pourra essayer tant qu'on voudra de le rafistoler, on n'arrivera jamais à l'arranger en raison des failles inhérentes à son concept.

Le gouvernement a aussi, à maintes reprises, affirmé que la Loi antiterroriste est une loi soigneusement équilibrée. Pourtant, à notre avis, ce n'est absolument pas le cas. Elle viole de nombreux principes de la Déclaration universelle des droits de l'homme; elle viole de nombreuses garanties importantes de la Charte. C'est peut-être l'une des plus graves menaces que nous ayons jamais vues peser sur les libertés essentielles qui font du Canada une société démocratique.

Benjamin Franklin aurait, paraît-il, écrit que ceux qui renoncent à une liberté fondamentale en échange d'un peu de sécurité temporaire ne méritent ni la sécurité, ni la liberté. Je pense qu'on peut vraiment se demander si la Loi antiterroriste nous garantit la moindre sécurité temporaire. Il n'y a rien là pour dissuader les bombes humaines. Il ne s'y trouve rien pour aider les policiers à s'infiltrer dans les cercles où sont planifiés les actes terroristes; ce qui est tout à fait clair, c'est que cette loi est une attaque très grave de nos libertés fondamentales.

Ces libertés fondamentales sont notamment le pluralisme, les mesures de protection juridique centenaires intégrées dans les processus criminels et autres, les libertés civiles individuelles, comme la liberté d'association, la protection contre les fouilles et saisies déraisonnables, la liberté d'expression; ce sont aussi les mesures institutionnelles d'équilibre qui devraient, selon moi, tenir à cœur aux parlementaires — les choses comme le partage des pouvoirs, l'examen judiciaire, la liberté d'information et le gouvernement responsable. Ces libertés fondamentales sont des conditions essentielles à notre sécurité individuelle et collective.

Lorsque le gouvernement dit que la Loi antiterroriste est à l'épreuve de la Charte, il ne veut pas dire qu'elle n'enfreint pas les garanties de la Charte, ce qu'elle fait en abondance, mais plutôt qu'il pense que les tribunaux soutiendraient ces infractions en vertu de l'article 1 de la Charte à cause du souci pressant de la lutte contre le terrorisme. C'est un argument qui est dangereux pour les comités comme le vôtre d'accueillir, parce que les tribunaux ont toujours fait preuve d'une faiblesse notoire, en période de menace pour la sécurité nationale, quand il s'agissait de préserver leur indépendance par rapport à l'organe exécutif du gouvernement. Nous l'avons appris de l'expérience de l'Afrique du Sud et des États-Unis lors de la Deuxième Guerre mondiale.

On ne peut pas compter sur les tribunaux pour faire notre propre travail; mais plus encore, les législateurs comme vous-mêmes sont la première ligne de défense, et c'est votre responsabilité d'examiner toute une loi et de l'évaluer en temps opportun d'une manière dont les tribunaux ne pourront jamais le faire. Ils ne pourront jamais examiner l'intégralité de la loi et pleinement en peser les dangers.

Ces dangers sont, notamment, des éléments qui sont encore plus insidieux que les infractions particulières de la Charte des droits. Dans notre mémoire, nous traitons longuement d'une étude réalisée par un professeur qui a enseigné à l'Université de Tel Aviv, qui s'est intéressé, d'un point de vue historique, aux lois radicales instaurées dans divers pays, et qui a essayé de décrire ce qui arrive une fois qu'elles sont promulguées — et elles sont généralement promulguées à titre provisoire, en tant que lois temporaires ou devant être révisées ultérieurement, comme la Loi antiterroriste.

Il a constaté que dans presque tous les cas, ces lois deviennent permanentes. Leurs dispositions s'intensifient. Les nombreuses restrictions qui y sont prévues en premier lieu, pour en limiter l'impact et protéger les règles juridiques normales ou les droits individuels s'estompent. Il y a glissement des fonctions; on commence à les appliquer dans un but et, petit à petit, elles servent à d'autres buts.

L'organe exécutif du gouvernement, en particulier, s'habitue à y recourir et le fait de plus en plus. Ainsi prépare-t-il la voie à des lois nouvelles et plus radicales. Cela devient la nouvelle norme, à laquelle s'ajoutent de nouvelles lois, de plus en plus rigoureuses, avec le temps.

Plus important encore, et je pense que les députés de chaque parti devraient s'en préoccuper, elles modifient de façon permanente la structure du gouvernement. Plus particulièrement, elles concentrent d'énormes quantités de pouvoirs sur l'organe exécutif du gouvernement au détriment des organes judiciaire et législatif. Avec le temps, ces pouvoirs s'amalgament et devient impossible de démêler et de rééquilibrer cette situation. Quand résonne enfin l'alerte sur ce que font ces lois draconiennes à une société, c'est souvent trop tard, et il n'y a plus grand-chose à y faire. C'est pourquoi nous vous incitons vivement à examiner cette loi très attentivement.

C'est une loi extrêmement complexe. Vous avez passé des jours et des jours à entendre des témoins du gouvernement qui vous disaient qu'elle n'est pas dangereuse, qu'elle est le fruit d'une longue réflexion et ils vous ont parlé de généralités. Une chose que peut faire notre mémoire, c'est exposer pour vous la mécanique de cette loi, parce que nos membres ont l'expertise juridique nécessaire pour tracer la carte et vous montrer, point par point, ce qui sous-tend réellement les postulats du gouvernement.

Le président : Merci beaucoup, madame Webb. Nous apprécions votre exposé, et tous les autres aussi.

Le sénateur Andreychuk : Je tiens à v remercier les deux présentateurs pour leur réflexion et pour les détails que nous devrons, je pense, examiner. Comme je dois me rendre à une autre séance de comité, je ne vous poserai qu'une brève question, madame Webb.

Je pense que vous avez raison, nous avons repoussé les limites de ce que nous jugeons acceptable pour un organe exécutif, et nous avons créé les pouvoirs que nous n'aurions pas donnés au gouvernement dans des circonstances normales. Dans toutes les recherches qui ont été faites, y en a-t-il eu une qui fait ressortir que nous avons commencé à exploiter ces outils de notre loi criminelle à des fins autres que la lutte contre le terrorisme? Autrement dit, est-ce que nous exploitons le terme « terrorisme » d'une manière dont nous ne l'aurions pas fait avant cette loi?

M. Webb : Elle est encore récente. Je sais que la communauté musulmane a dit avoir reçu de nombreuses visites du SCRS, que le SCRS affirme aux gens que s'ils ne coopèrent pas, ils seront traînés dans une audience d'enquête, alors les dispositions de la Loi antiterroriste servent à les menacer.

Nous savons, de la commission Arar, que l'un des articles les plus inquiétants de la Loi antiterroriste a rapport aux modifications qu'elle fait à la Loi sur la preuve au Canada. Elle permet des choses comme les procès secrets, les dossiers secrets de tribunal, les accusateurs secrets. L'identité des ministres et des poursuivants peut rester secrète.

L'existence d'une audience peut être tenue secrète. C'est une situation digne de Kafka.

En plus de ce régime de secret, il y a ce pouvoir arbitral extraordinaire du procureur général fédéral d'empêcher la divulgation de renseignements sur n'importe quelle procédure au pays dont des preuves pourraient être tirées. Vos propres procédures en font partie. Cela englobe les procédures parlementaires; pas seulement les enquêtes publiques, les procès criminels et les procédures administratives, mais aussi les audiences du Sénat et de la Chambre des communes. Nous décrivons de façon assez détaillée le genre de choses que le gouvernement pourrait vouloir bloquer, et son pouvoir, à ce titre, est quasiment illimité.

Nous en parlons longuement dans notre mémoire, mais si le procureur général dit que quelque chose doit rester secret, il a le pouvoir de l'imposer. Nous en avons vu un premier exemple avec la commission Arar, une commission publique importante chargée d'un mandat sérieux et sensible au passage du temps. Le procureur général a décidé de bloquer la première communication par la commission de ses résumés de preuves recueillies à huis clos et de la décision du juge O'Connor, un document de 55 pages.

Ceci menace de coincer la commission pendant des années devant les tribunaux. La commission a décidé que bien qu'elle soit chargée de mener une enquête publique, plutôt que d'essayer de communiquer quoi que ce soit, elle passera directement à son rapport final. C'est une crainte de la commission qui en dit long. Ron Atkey, un ancien membre du CSARS, a dit craindre que le procureur général se fonde sur le pouvoir que lui attribue l'article 38.13 de la Loi sur la preuve au Canada pour empêcher la publication du rapport final de la commission Arar.

C'est révoltant. C'est grave, et cette disposition pourrait être exploitée pour toutes sortes de choses. Elle pourrait servir à masquer les méfaits du gouvernement, à cacher des documents du style de ceux qui dévoilent le scandale des commandites, le scandale de l'eau contaminée, et les malversations financières. Rien n'exige que ce recours au droit de veto soit dans l'intérêt du public. Il n'y a absolument aucun test, à part pour ce que le gouvernement souhaite garder secret. C'est un exemple qui devrait être particulièrement alarmant.

Le sénateur Smith : Monsieur Cashman, vous avez exprimé votre vive objection aux vérifications de sécurité. Est-ce que vous vous opposez aux vérifications de sécurité dans l'ensemble, sinon dans quel genre de situation sont-elles justifiables?

M. Cashman : Nous ne nous opposons certainement pas aux vérifications de sécurité. C'est la manière dont elles sont menées à laquelle nous nous opposons. Je peux vous donner des exemples, si vous voulez.

Dans notre document, nous avons parlé des travailleurs du transport maritime. Les vérifications de sécurité pour les fonctionnaires fédéraux sont déclenchées par le ministère, par l'entremise du SCRS. Transports Canada est en train de créer sa propre agence pour faire ces vérifications, pas nécessairement de concert avec le SCRS, ce qui en ferait un processus parallèle.

Le sénateur Smith : Qui, selon vous, devrait le faire?

M. Cashman : Nous pensons qu'il devrait y avoir un organisme central, et que les règles devraient être établies clairement pour que tout le monde puisse les comprendre.

Le sénateur Smith : Vous ne vous opposez donc pas aux vérifications de sécurité en tant que telles?

M. Cashman : Non.

Le sénateur Smith : Mme Webb et M. Turk ont fait un exposé très approfondi et réfléchi.

Est-ce que vous étiez ici ce matin?

M. Turk : Non.

Mme Webb : Non.

Le sénateur Smith : Nous avons entendu de longs exposés du Congrès juif canadien et de B'Nai Brith. D'après B'Nai Brith, la menace du terrorisme est réelle et immédiate, pas seulement pour leur collectivité mais pour tous les Canadiens de toutes les religions et de toutes les origines ethniques, et la réaction doit être à la mesure du danger clair et grandissant de terrorisme en sol canadien.

Bien entendu, ils s'inquiètent aussi de l'augmentation des manifestations d'antisémitisme — le vandalisme aux synagogues et les actes de ce genre. Le Congrès juif canadien dit juger que le terrorisme est un danger réel et présent, qui exige les réactions claires, cohérentes et suffisamment financées de la Loi antiterroriste et des lois corollaires. Ils ne pensent pas que nous devrions réagir trop vivement, mais nous ne devrions certainement pas ne pas assez réagir. B'Nai Brith pense que nous devrions être un peu plus sévères.

Personne ne veut viser un groupe particulier, mais la communauté juive s'inquiète beaucoup, et nous avons tous le souvenir des événements terribles survenus il y a des années. Est-ce qu'ils omettent quelque chose? Quelle serait votre réaction aux mémoires qu'ils nous ont présenté de façon si convaincante?

Mme Webb : Nous sommes d'accord que les actes terroristes sont haineux et que leurs auteurs devraient être traînés en justice si c'est possible, mais je vous poserais, à vous et à eux, la question suivante : Quelle disposition de la Loi antiterroriste dissuade ou prévient le terrorisme? Nous avons posé la question au comité de la Chambre la semaine dernière. Il n'avait pas de réponse, même après avoir passé des semaines à entendre les témoignages des représentants du gouvernement.

Cette intégration de la définition du terrorisme dans le Code criminel ne fait rien pour dissuader les bombes humaines. Elle ouvre la porte à la capture d'une beaucoup plus vaste gamme d'activités politiques ordinaires en vertu des dispositions du droit criminel, sans avoir aucun effet dissuasif. Aucune de ces dispositions, à notre avis, ne permet à la police de s'infiltrer dans les cercles où sont planifiés les actes terroristes. De bons services de renseignements, des gens qui parlent les langues qu'il faut, les gens qui comprennent les collectivités pertinentes, les gens qui sont capables de pénétrer ces cercles, du bon travail policier et de bons renseignements pourraient aider à prévenir les actes terroristes, mais aucune des dispositions de la Loi antiterroriste ne le peut.

M. Turk : Depuis le 11 septembre, nous avons tous réagi avec horreur et avons ressenti l'urgence de faire quelque chose contre le terrorisme. En rétrospective, quelques années plus tard, la question est de savoir si quoi que ce soit, dans cette loi, est nécessaire pour faire face aux actes que nous qualifions de terroristes. D'après nous, en dépit des présentations que vous avez entendues ce matin, la Loi antiterroriste, d'un côté, ne donne pas des pouvoirs que ne donnait pas auparavant le Code criminel, et de l'autre côté, elle crée un tas d'autres mesures sous prétexte de lutte contre le terrorisme, qui pourraient, potentiellement et fondamentalement, saper nos libertés civiles.

Je suis étonné que ceux qui invoquent la menace du terrorisme pour vous inciter à accepter cette attaque sans précédent contre les libertés civiles n'aient pas un meilleur souvenir du passé, parce que ce genre de concentration sans limite du pouvoir sur l'organe exécutif est l'instrument même qu'ont employé des gouvernements pour faire des choses horribles, y compris aux Juifs. Notre lutte est pour préserver l'équilibre en dépit des pressions extérieures sur nous, pour protéger nos traditions démocratiques et l'équilibre entre les pouvoirs judiciaire, législatif et exécutif.

Le danger et la crainte, c'est qu'avec les meilleures intentions du monde, des gens essayent de nous acculer à cette acceptation inconditionnelle de choses qui, selon nous, reviendront nous hanter et saperont notre démocratie. C'est en tout cas ma réaction aux recommandations que vous avez entendues ce matin.

Le sénateur Smith : Je ne cherche pas à vous contredire. J'essaie seulement de favoriser l'expression des opinions.

M. Turk : Je comprends.

Le sénateur Smith : Il y a deux semaines, j'étais à une conférence parlementaire du Commonwealth. J'étais allé il y a un an, puisque c'est un événement annuel, et elle se tenait à Toronto. Cette fois-ci, c'était dans le Pacifique-Sud. Il y a deux ans, c'était au Bangladesh. C'était intéressant, en ce sens que nous avons eu des discussions sur ce sujet auparavant, et on pouvait parfois noter une petite différence dans l'approche des députés conservateurs comparativement à celle des député du parti travailliste, dans la manière dont ils répondaient, et puis il y a eu l'attaque à la bombe sur Londres. Après cela, toute différence avait disparu. Les députés des deux partis essayaient de déterminer ce qu'il nous fallait faire pour nous assurer que de tels événements ne se répètent pas. Je ne parle pas de mots particuliers qui aient été prononcés; c'est plus un climat que des mots. C'est quelque chose qu'on ne peut pas tout à fait ignorer — l'impression qu'a le public canadien que nous faisons tout ce qui peut-être raisonnablement fait sans entamer profondément nos libertés civiles traditionnelles, et cetera. C'est un défi sans fin.

M. Turk : Ce que vous disiez, sénateur Smith, est absolument fondamental. Nous sommes impuissants devant ces actes. D'un autre côté, la responsabilité particulière de nos parlementaires est de ne pas se laisser mener par une espèce de mentalité grégaire quand surviennent des choses horribles. Dans une démocratie représentative, la Chambre et le Sénat sont des organes qui doivent prendre le temps d'examiner les implications plus profondes. Après des actes horribles, que ce soit les attentats à la bombe à Londres ou à Madrid, ou encore les événements du 11 septembre on est tenté de faire un bond, de faire quelque chose. C'est pourquoi nous sommes tellement heureux qu'il y ait cet examen triennal, et que vous vous penchiez sur cette question avec autant de minutie. En réaction à cela, et pour montrer aux Canadiens que nous réagissons, nous ne voulons pas faire des choses qui sapent le fondement de notre société démocratique. Nous pensons que c'est ce que risque de faire la Loi antiterroriste.

Mme Webb a parlé de certaines des choses qu'il faut faire. Nous n'avons pas besoin de ce changement législatif. Nous avons besoin de meilleurs services de police, et de ressources pour que la police puisse faire son travail, d'une meilleure formation et de mieux comprendre comment créer la diversité au sein de notre force policière pour que nous puissions pénétrer diverses cellules et divers groupes. Il y a beaucoup à faire. Nous sommes ici pour vous dire que la Loi antiterroriste n'est pas l'une de ces choses nécessaires. Elle fait peser une grave menace sur des valeurs qui nous sont précieuses, sans rien résoudre du problème qui préoccupe tout le monde.

Le sénateur Fraser : Vous présentez tous des arguments très convaincants. Monsieur Turk, madame Webb, il est clair que vous voudriez presque pouvoir mettre cette loi au panier, intégralement. Supposons, aux fins de ma question, que cela n'arrive pas. Plusieurs personnes qui ont comparu devant nous, y compris, si je me souviens bien, l'Association du barreau canadien — mais je n'en jurerais pas — ont suggéré qu'il serait utile et sain si, dans les procédures diverses qui sont menées ex parte lorsque le sujet de la procédure n'est pas autorisé à y assister, qu'il y ait une espèce d'ami de la cour présent. C'est-à-dire s'il y avait une obligation que quelqu'un soit là pour plaider contre la poursuite de la procédure. Pensez-vous que ce serait utile? N'oubliez pas que je suppose, aux fins de cette question, qu'on ne peut tout simplement pas jeter le projet de loi au panier.

Mme Webb : Je sais que Paul Cavalluzzo, de la commission Arar, disait qu'ils avaient trouvé des moyens de contre- interroger le SCRS et d'autres organismes de sécurité à huis clos, qui selon eux, seraient efficaces pour faire le test des preuves secrètes.

Oui, il y a toujours des préoccupations relativement à la sécurité nationale lors des procédures, et elles sont tout à fait légitimes. La question, c'est de savoir comment empêcher les hauts fonctionnaires de prendre prétexte de la sécurité nationale. Des lois existaient avant la Loi antiterroriste. Il y avait des exceptions pour la divulgation de preuves relatives à la sécurité nationale dans la Loi sur l'accès à l'information, la Loi sur la protection de la vie privée et la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques. La Loi antiterroriste suspend toutes ces lois et en crée une nouvelle et cela crée des situations absurdes. Le juge en chef de la Cour fédérale se plaignait des modifications à la Loi antiterroriste, qui rendaient les dossiers et les jugements de la cour secrets. Les juges de la Cour fédérale ne savaient même pas s'ils pouvaient parler de jugements qu'ils avaient rédigés qui devaient aller à la Cour suprême du Canada, ou en parler. C'est dire combien cette loi est absurde et mal formulée. Ce n'est qu'une nouvelle couche de règles qui se superposent aux lois existantes qui portent déjà sur la sécurité nationale, mais il y avait aussi la surveillance. Il y avait des règles qui donnaient aux juges, aux commissaires à l'accès à l'information et aux commissaires à la protection de la vie privée certains pouvoirs de surveillance relativement aux arguments que présentait le gouvernement relativement à la sécurité nationale. Nous soutenons que les lois qui existaient auparavant constituaient des mécanismes de surveillance plus adéquats, mieux équilibrés et plus appropriés. Le nouveau régime qu'instaure la Loi antiterroriste n'est en fait qu'un régime de carte blanche. Nous en faisons une description détaillée dans notre mémoire; je vous encourage à le lire.

Le sénateur Fraser : J'y ai jeté un coup d'oeil.

Mme Webb : Le problème qui surplombe toutes les dispositions sur le secret est à l'article 38.13 de la Loi sur la preuve, qui permet au procureur général fédéral d'interdire la communication des renseignements. Même si la Cour suprême décrète qu'il n'y a pas de problème lié à la sécurité nationale et que les documents devraient être publiés, le procureur général fédéral peut intervenir et dire « non, j'annule la décision la cour ». C'est une perspective alarmante; c'est dire que le gouvernement peut faire interdire n'importe quoi à sa guise. Il n'a même pas à donner une raison d'intérêt public de ne pas vouloir divulguer des renseignements.

Pour ce qui est de l'ami de la cour, je sais qu'il en a été question en rapport avec le certificat de sécurité nationale, et je suppose que les comités de la Chambre et du Sénat ont le mandat d'examiner la question des certificats de sécurité nationale? Je sais que c'est le cas de la Chambre.

Le sénateur Fraser : Nous pouvons consulter notre président au sujet de la portée de notre mandat.

Mme Webb : Ça pourrait être une discussion, mais il faut que vous compreniez le tableau d'ensemble. C'est pourquoi nous disons : « Supprimez l'article 38.13 », quel que soit le parti auquel vous appartenez. Vous pouvez bien faire confiance à votre propre parti actuellement, mais un autre parti sera au pouvoir un autre jour. C'est contraire à l'éthique de la responsabilité du gouvernement.

M. Turk : Vous avez la tâche difficile d'examiner ce document de loi qui est extraordinairement complexe. Il y a deux façons de vous y prendre. Tout d'abord, vous pouvez demander à n'importe qui qui vous dit de supprimer un article particulier de se justifier. Nous serions heureux de pouvoir le faire, article par article. Nous vous encouragerions à demander à quiconque soutient, comme le fait actuellement le gouvernement, que le projet de loi est très bien, de justifier chacun des éléments qui devraient, selon lui, y rester. Il devrait pouvoir expliquer clairement pourquoi cet élément est nécessaire, pourquoi les pouvoirs qu'il suppose attribuer n'existaient pas auparavant. Il est difficile d'en arriver à ce niveau de détail.

Je pense que vous arriverez à la même conclusion que nous, qu'il y a presque rien, dans cette loi, qui soit indispensable.

Le sénateur Fraser : Je lisais ceci tout en vous écoutant. Il est vrai que vous allez dans le sujet très en profondeur, et je comprends bien ce que vous dites, monsieur Turk.

J'ai deux autres questions à poser. Je vais être brève, et je vous demande de l'être aussi. Je sais que le sénateur Joyal a été patient, et il me semble, le sénateur Stratton aussi.

Tout d'abord, plusieurs témoins, et en fait, la première version de ce comité, ont suggéré qu'un agent parlementaire soit chargé de superviser tout ce qui se trouve dans ce projet de loi. Est-ce que vous pensez que ce serait utile?

Mme Webb : Il y a le comité national des parlementaires.

Le sénateur Fraser : Non, ce serait un haut fonctionnaire du Parlement, un peu comme le commissaire aux langues officielles.

Mme Webb : Selon nous, il devrait y avoir un organe de supervision de tous les pouvoirs et autorités relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme. C'est d'ailleurs ce que recommandera la commission Arar. Elle se penche sur cette question de supervision.

Le sénateur Fraser : Est-ce que vous venez de nous donner une nouvelle en primeur?

Mme Webb : J'en doute. C'est une possibilité qu'ils examinent, et cela existe dans d'autres pays.

Le sénateur Fraser : Deuxièmement, au sujet de cette fameuse définition de l'activité terroriste, bien des témoins ont suggéré que nous devrions employer la même définition que les Nations Unies parce qu'ils n'aiment pas que notre définition mentionne le motif. Moi-même, j'aime bien l'idée du motif parce que, comme on l'a souligné très justement, le motif est tellement difficile à prouver. Si on ne le prouve pas, l'affaire est perdue et on revient à nos affaires courantes du droit. Si nous ne recommandons pas de jeter cette loi au panier, que préférez-vous — une définition qui rende plus difficile le recours à cette loi, ou la définition des Nations Unies?

Mme Webb : La définition des Nations Unies n'a pas été adoptée. Il y a eu une proposition récemment, mais ne sont- ils pas censés présenter une définition finale cet automne?

Le sénateur Fraser : Celle-ci nous est régulièrement citée, et quelqu'un d'autre pourrait vous en donner la référence précise.

Mme Webb : Il y en a une qui a été émise. Pendant qu'ils cherchent ça, je dirais qu'il ne devrait pas y avoir de définition du terrorisme dans le droit pénal.

Le sénateur Fraser : L'activité terroriste.

Mme Webb : Ou de l'activité terroriste, parce que c'est l'acte qui devrait engendrer la culpabilité, quel qu'en soit le motif. La Couronne aura à prouver le motif. Si elle y manque, la personne sera acquittée, ce qui fait que des coupables pourraient être libérés. Il y a un risque réel, avec cette loi, non seulement que des innocents soient accusés, arrêtés et inculpés , mais aussi des gens participant à des activités politiques ordinaires, des agriculteurs prenant part à un défilé sur l'autoroute, ou des gens qui vendent du lait aux manifestants sur la mondialisation. La Loi antiterroriste peut englober toutes ces activités, mais les coupables pourraient être libérés tout simplement parce que la Couronne doit prouver au-delà de tout doute raisonnable le motif, et aussi l'acte et l'intention qui sous-tend l'acte terroriste. Lorsque les gens sont acquittés, ils sont libérés. On ne peut plus les accuser à nouveau, en vertu du Code criminel. Ce serait non bis in idem. Je ne vois aucun avantage, d'une façon ou d'une autre, à ce qu'il y ait une définition.

Le sénateur Fraser : Merci. C'est la définition tirée de la Convention des Nations Unies pour la répression du terrorisme. C'est ce que je pensais, mais je n'osais pas le dire. Elle a été adoptée par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Suresh.

Je vous remercie. C'est très instructif.

Le sénateur Stratton : C'était fascinant de vous écouter. Comme bien des gens ici le savent, chaque fois que nous recevons un nouveau texte de loi dans notre chambre, je me demande toujours d'abord en quoi cette loi nous est nécessaire? Pour les libertariens de ce monde, ce que vous avez dit cet après-midi serait musique à leurs oreilles.

Toutefois, nous devons voir les choses avec réalisme, c'est-à-dire que la loi existe, comme l'a dit le sénateur Fraser, et il est probable qu'elle restera. Si vous aviez — et je ne m'attends pas à recevoir nécessairement une réponse tout de suite — si vous obteniez gain de cause, parce que je pense que nous devrions supprimer les articles qui ne sont pas nécessaires, qu'est-ce que vous supprimeriez en priorité? En avez-vous une idée, dont vous pourriez me faire part? Oui, nous pourrions jeter tout le projet de loi au panier, mais ce n'est pas ce qui arrivera. Que voudriez-vous voir supprimé?

M. Turk : Mme Webb répondra plus directement à cette question. Je voudrais néanmoins, en prologue de ses observations, dire quelques mots parce qu'on nous a posé la même question au sous-comité de la Chambre.

Il est bien malheureux de partir du principe que le projet de loi restera, s'il s'avère que nous avons raison et qu'il ne contient quasiment rien pour le racheter, alors qu'il renferme tellement d'éléments dangereux. Nous allons répondre à votre question, mais nous tenons à maintenir fermement que notre affirmation que ce projet de loi devrait être supprimé n'est pas à négocier en vue de seulement éliminer les dispositions les plus négatives. C'est un effort pour vous dire, aussi franchement que nous le pouvons, au nom des universitaires de ce pays, que les dangers, ici, l'emportent largement sur les avantages, et que la meilleure chose que puisse faire ce comité du Sénat et ce Parlement du Canada, ce serait de dire : « Nous avons fait une erreur. Ce projet de loi n'est pas nécessaire. Il y a des choses qui sont nécessaires pour nous protéger contre le terrorisme et nous les ferons, mais ce projet de loi a été conçu à la hâte, et bien qu'il partait d'une bonne intention, à bien y réfléchir, il a été une erreur. »

Le sénateur Stratton : Je pense que dans un avenir prévisible, parce que telles que sont les choses, particulièrement après les attaques de Londres, cette loi restera. Je ne l'aime pas, et je suis heureux d'entendre que vous non plus. Que diriez-vous d'une disposition de temporisation? Si nous disions qu'après un certain nombre d'années, elle cesserait d'exister? Si nous faisons un autre examen dans trois ans, nous allons continuer. Je pense que si nous voulons faire quelque chose de concret, ce devrait être une disposition de temporisation pour qu'elle cesse d'exister à une certaine date. Est-ce que vous y seriez favorables?

M. Turk : Une disposition de temporisation est mieux que rien du tout. La suppression des aspects les plus odieux du projet de loi, c'est mieux que rien. Il est certain qu'une disposition de temporisation serait préférable à un autre examen, qui ne ferait que la perpétuer.

Mme Webb : Je pense qu'une disposition de temporisation ferait beaucoup plus qu'un examen, parce que la situation serait que chaque disposition devrait être justifiée avant d'être reconduite, alors il faudrait une analyse article par article des plus attentive.

Le sénateur Joyal : Bienvenue. Je commencerai avec l'Association canadienne des professeures et professeurs d'universités.

Je vois à la première ligne de votre mémoire que vous représentez 48 000 enseignants. C'est un assez bon groupe de Canadiens répartis dans tout le pays, qui jouit d'une grande crédibilité — ce sont des professeurs d'universités. Comment pouvez-vous expliquer que dans tous les éléments que vous avez soulevés, y compris que les premières victimes du terrorisme sont les gens qui font l'objet des mesures antiterroristes, il y a toujours cette divergence de l'opinion publique canadienne entre la crainte du terrorisme et la disposition à sacrifier une partie de leur liberté s'ils peuvent être assurés ou convaincus qu'ils seront mieux protégés? Comment expliquez-vous, en tant qu'enseignants — et particulièrement que professeurs d'université — qu'au Canada, un pays qui a une si longue tradition de « culture des droits », les gens soient encore prêts à renoncer à certains de ces droits au nom de la sécurité?

Qu'avez-vous fait, depuis trois ans, relativement à cette situation? L'un des principaux arguments de la ministre, quand elle a comparu devant le comité, a consisté à citer certaines statistiques sur le bon accueil qu'ont eu ces mesures auprès des Canadiens. On peut, c'est certain, contester n'importe quel article, mais tout d'abord, il faut s'intéresser au contexte dans lequel le projet de loi serait mis en œuvre, quelles que soient les circonstances.

M. Turk : Avant de travailler pour l'ACPPU, j'ai enseigné de nombreuses années à l'Université de Toronto. L'un des domaines où nous avons fait beaucoup de travail était celui de l'histoire sociale de la période de la guerre froide. Le Canada, comme tout autre pays du monde, connaît depuis de longues années ce problème même que vous avez reconnu. En période de crise et de grande peur, des engagements abstraits à l'égard des libertés civiles sont souvent sacrifiés. Les gens sont prêts à les sacrifier pour acheter ce qu'ils pensent être la sécurité. L'instantanéité de la sécurité peut aisément se substituer à un engagement philosophique à l'égard des libertés civiles. Nous l'avons vu avec l'emprisonnement des Canadiens d'origine japonaise pendant la Deuxième Guerre mondiale. Nous l'avons vu avec les lois contre les communistes et les gauchistes qui ont été promulguées dans le sillon de la Première Guerre mondiale. Aux États-Unis et en Grande-Bretagne, nous l'avons constaté à de nombreuses reprises lorsque la peur du public a mené au sacrifice de mesures de protection qui, en théorie étaient importantes. L'une des raisons pour lesquelles nous avons le système parlementaire comme celui-ci, c'est que nous ne tenons pas un référendum immédiatement après un vote, et tout va au panier. Dans notre régime parlementaire, les législateurs comme les sénateurs ne peuvent pas seulement s'intéresser aux préoccupations immédiates, mais ils doivent aussi les équilibrer avec ce qui, selon eux, est nécessaire pour protéger notre société démocratique. Cet équilibre doit être établi.

Nous disons aux sénateurs aujourd'hui que cette loi, sous prétexte d'essayer de lutter contre le terrorisme, en fait, fait pencher la balance de façon inacceptable tout en n'apportant aucun changement appréciable, à aucune loi, qui soit utile pour lutter contre les actes de terrorisme que nous abhorrons tous. Nous mettons en péril nos traditions de libertés civiles et d'équilibre entre les trois organes du gouvernement pour essayer d'acheter des mesures de protection que nous ne pourrons pas acheter. Dans des sociétés beaucoup plus répressives que le Canada ne le sera jamais, j'espère, le terrorisme n'a pas été empêché par l'adoption de lois, parce qu'il faut prendre bien d'autres mesures que celle-là. Il y a des moyens d'y arriver, mais ce genre de loi n'en est pas un.

Nous avons commencé à parler de cette question lorsque le projet de loi a été présenté initialement. Nous avons eu des discussions avec les professeurs d'université partout au pays. La fondation Harry Crowe, un organisme de bienfaisance, sera l'hôte d'une conférence sur la liberté universitaire dans l'après-11 septembre à la fin d'octobre à Toronto. De grands spécialistes du Canada, des États-Unis et d'Europe parleront des dangers des réactions de ce genre. Nous essayons de faire de l'éducation à ce sujet, mais nous devons faire face à la même chose que le présent comité. Il y a une répugnance énorme, compréhensible à l'égard de ce genre de mesures et une crainte face à ce que nous pouvons faire à ce sujet, mais ce n'est rien de nouveau. J'attirerais de nouveau votre attention sur la citation de Benjamin Franklin au début de la déclaration de Mme Webb. Il y a eu différentes occasions dans notre histoire, et il y en aura d'autres, où nous pensions pouvoir acheter de la sécurité en limitant indûment les libertés civiles. Nous n'y parvenons pas, mais nous menaçons les libertés civiles d'une manière qui change le caractère de notre société. Certains d'entre nous pourraient prétendre que nous pourrions nous retrouver avec le genre de société que prônent les terroristes; et nous ne voulons pas que cela arrive. Et nous défendons quelque chose en principe à un moment où les gens ont peur et sont désespérés.

Le sénateur Joyal : J'appelle cela le « test de la réalité ». Individuellement et collectivement, les sénateurs siégeant au sein du présent comité ont eu à se débattre avec cette question dans les discussions portant sur la première version du projet de loi. Nous avons fait des recommandations à ce moment-là et, maintenant, avec cette révision, nous en sommes à la deuxième étape. Certains articles du projet de loi n'ont pas été utilisés, surtout ceux qui traitent des audiences d'enquête et des pouvoirs que certains veulent voir révoquer. L'audience d'enquête peut avoir été utilisée une fois en ce qui a trait à l'écrasement du vol d'Air India.

Nous pourrions être d'accord avec vous et partager vos inquiétudes au sujet des dangers liés à un des autres aspects du projet de loi. Cependant, nous devons faire face à la réalité, comme vous l'avez reconnu, que les Canadiens ont besoin d'assurances que le gouvernement fait ce qu'il peut, parce qu'au cours des trois dernières années, nous avons été témoins d'autres attaques terroristes, comme à Londres l'été dernier, à Madrid et à Bali. De même, nous avons vu ce qui arrive en Irak, pays qui est devenu un centre de formation de terroristes. Des témoins, dont certains provenant du SCRS, ont justement parlé de cette question. Nous ne pouvons pas dire que le terrorisme est en déclin ou qu'il est en train de disparaître; au contraire, il existe toujours. N'importe quel gouvernement au Canada devra faire face à la réalité que les Canadiens s'attendent à des initiatives visant à répondre à leurs craintes tout en équilibrant ces mesures avec les traditions et les protections dont ils jouissent.

Il ne fait aucun doute que ce projet de loi contient des limites importantes à ces traditions et à ces protections. C'est le rôle du comité de surveiller l'utilisation de ces pouvoirs exceptionnels, ou extraordinaires, dans un contexte juridique et de voir à ce qu'ils ne soient pas utilisés uniquement pour accroître le pouvoir de l'organe exécutif, qu'ils ne soient pas utilisés à n'importe quelle fin. Il serait difficile au présent comité de recommander que la loi soit abrogée si nous ne sommes pas, comme l'a dit le sénateur Stratton, dans une étape intermédiaire. À cette étape-ci, nous aurions à surveiller étroitement l'utilisation de ces pouvoirs exceptionnels sur une base quotidienne, ayant incorporé dans le système les mesures de précaution et les protections nécessaires. De cette façon, nous pourrions transmettre au gouvernement ou à l'organe exécutif le message que toute utilisation de tels pouvoirs serait étroitement surveillée. Nous sommes pris dans un dilemme parce que la crainte est réelle. Nous ne pouvons nier son existence et les événements récents de Londres le démontrent.

Cependant, je suis d'accord avec vous pour dire que certaines de ces mesures n'auraient que des effets limités dans la lutte au terrorisme. Nous ne pouvons éradiquer le terrorisme simplement en adoptant une loi affirmant que dorénavant, il ne doit plus y avoir de terrorisme. Comme je l'ai dit aux témoins de ce matin, les États-Unis avaient beaucoup d'information avant le 11 septembre qui, si elle avait été utilisée à bon escient, aurait probablement aidé à prévenir la catastrophe. Cependant, nous ne pouvons que nous accommoder du mieux que nous le pouvons à cette situation, ce qui est difficile.

Quel genre d'appui susceptible d'aider le Parlement recommanderait l'ACPPU, surtout si nous créons un organisme de surveillance et de supervision, pour nous assurer, sur une base quotidienne, que les Canadiens restent sensibilisés au fait que nous devons nous battre pour la reconnaissance des droits? Adopter une loi et voir les droits automatiquement reconnus, cela n'existe pas.

M. Turk : C'est absolument vrai.

Le sénateur Joyal : Quelles modifications pourrions-nous apporter à notre approche face à cette situation pour nous aider à atteindre l'objectif que vous avez énoncé?

M. Turk : À tout le moins, si vous ne pouvez pas recommander son abrogation, ayez une disposition de temporarisation de sorte que quiconque veut garder un élément quelconque de cette loi devra le justifier — ce serait une première étape utile.

Deuxièmement, comme nous l'avons indiqué au début, au nom de nos membres, nous sommes prêts à aider votre comité ou le Parlement du Canada de n'importe quelle manière qu'il nous est possible de le faire, en mettant à profit les ressources des corps professoraux des universités et collèges partout au pays, pour traiter de ces questions. Nous sommes heureux de le faire.

N'oubliez pas qu'il n'y a aucun acte que nous appellerions un acte terroriste qui n'était pas déjà interdit par le Code criminel du Canada avant l'adoption de la Loi antiterroriste. Cette loi ne fait rien pour criminaliser un comportement qui n'était pas déjà criminel. Le défi auquel doit faire face le Parlement, c'est de parler de ce que nous pouvons faire pour rendre ce pays plus sûr. Nous disons que ces modifications législatives ne font pas partie de cet ensemble. Il y a toutes sortes d'autres choses qui devraient faire partie de cet ensemble et nous serions heureux, à une autre occasion, d'en discuter, mais cet ensemble de mesures législatives ne fait rien qui est nécessaire et qui n'existait pas auparavant.

Dans un sens, c'est de la poudre aux yeux pour donner l'illusion aux Canadiens que nous avons fait quelque chose pour aider à prévenir le terrorisme en adoptant la Loi antiterroriste. Nous n'avons rien fait de tel. Nous n'avons pas criminalisé de comportement qui n'était pas déjà criminel.

Mme Webb : Je pense que les Canadiens s'attendent à un bon leadership et qu'ils le suivront. Dans ces questions, les gens ne savent pas ce qui leur donnera une plus grande sécurité. Ils se tournent vers les législateurs et les spécialistes de la sécurité pour que ces derniers proposent des choses. Mais les Canadiens ordinaires ne comprennent pas les répercussions de cette loi. Tout ce qu'ils entendent, ce sont les lieux communs.

Lorsque le premier ministre Chrétien a décidé que le Canada n'irait pas en Irak, cela n'a pas semblé comme une décision inévitable. Toutefois, lorsqu'il l'a prise, il s'agissait d'une décision extrêmement populaire auprès des Canadiens.

Vous n'adoptez pas une loi qui est viciée et dangereuse et qui restera sur la table pendant des années et des années uniquement pour être vus en train de faire quelque chose. Vous ne serez pas capable de surveiller toutes ces répercussions. Cette loi est tellement vague; en tant qu'avocat qui regarde uniquement les articles du Code criminel, ces dispositions sont tellement alambiquées. Elles se superposent au Code criminel et rendent son application en principe très difficile — les complexités et le train imprévisible de la responsabilité criminelle. Jamais, au cours des 20 prochaines années, une forme quelconque de supervision ne sera assez efficace pour freiner tous les excès rendus possibles par cette loi.

Regardez l'étude entreprise par Oren Gross d'autres lois draconienne; il suffit de quelques exemples types pour voir à quelle vitesse ce genre de législation peut vous dépasser.

[Français]

Le sénateur Joyal : Monsieur Cashman, j'attire votre attention au bas de la page 3 de votre mémoire, lorsque vous concluez :

Il faut analyser en profondeur la situation pour vérifier si les travailleuses et travailleurs se voient refuser des postes à la suite de ces vérifications de sécurité.

Votre association, le Congrès du travail du Canada, a prévu des mécanismes de grief à l'intérieur de ses conventions collectives. Puisque vous êtes des employés du gouvernement fédéral, vous êtes protégés par la Loi canadienne des droits de la personne. Vous êtes aussi protégés par la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, adoptée en 2003, loi qui a très bien précisé le mécanisme de grief et l'application de la Loi des droits de la personne.

Vous pouvez invoquer la loi et la Commission des droits de la personne peut intervenir en votre faveur, faire des représentations, et même en appeler de la décision d'arbitrage rendue en fonction d'une plainte fondée sur les droits de la personne.

Êtes-vous en mesure de nous dire s'il y a eu des cas particuliers où l'application des mesures de sécurité aurait dû amener une plainte devant le comité des griefs, conformément aux droits où la personne aurait pu se sentir lésée, c'est- à-dire d'avoir une intrusion dans sa vie privée?

M. Cashman : Si une personne postule pour travailler au gouvernement fédéral et qu'elle n'obtient pas le poste, elle n'a pas le droit de déposer un grief. La personne n'est pas considérée employée. Toutefois, elle a un recours en ce qui concerne sa cote de sécurité par l'intermédiaire du CSARS.

Par contre, nous avons récemment connu un cas où il a été très difficile de pouvoir questionner. La personne cherchait à savoir pourquoi elle n'a pas pu obtenir la cote de sécurité. Nous avons eu de la difficulté à obtenir les preuves contre la personne et aujourd'hui, cette personne ne sait toujours pas pourquoi elle n'a pas obtenu sa cote de sécurité parce que le CSARS ne dévoile pas toute l'information nécessaire pour comprendre la situation.

C'est difficile pour quelqu'un qui n'est pas à l'emploi du gouvernement fédéral, mais quelqu'un qui est à l'interne peut déposer un grief. Mais là aussi, si les dossiers ne sont pas partagés, si les preuves ne sont pas fournies, il demeure difficile de contredire ce qui se trouve dans le rapport de l'agent de sécurité qui a recommandé de ne pas accorder la cote de sécurité à cette personne.

Le sénateur Joyal : Antérieurement, une personne qui sollicitait un emploi pour un poste jugé « sensible », comme on disait autrefois, c'est-à-dire un poste qui requiert un certain niveau de sécurité, si la personne se voyait refuser le poste, ses droits d'appel étaient fort limités. La personne n'a pas le droit d'avoir un poste, mais elle ne peut pas faire l'objet de discrimination sur la base des principes reconnus en vertu de la Loi des droits de la personne, c'est-à-dire qu'on ne peut pas refuser l'emploi à une personne sur la base de son orientation sexuelle, de sa race ou de son sexe.

Il y a une protection qui est donnée à un citoyen qui ferait l'objet d'une discrimination fondée sur l'un ou l'autre de ces motifs. Récemment, la Cour suprême a bien reconnu la capacité des individus d'obtenir une correction dans le cas où les décisions qui sont prises sont manifestement discriminatoires.

Mais dans le cas de la sécurité, est-ce qu'on ne se retrouve pas dans une situation où il doit y avoir un mécanisme de révision par une personne indépendante si, en somme, cette discrétion qui est donnée à l'administration a été exercée d'une façon objective et avec motif raisonnable et non pas simplement sur la base, par exemple, d'un...

[Traduction]

[...] profilage racial ou l'origine nationale, parce que nous ne voulons pas avoir X, Y, Z dans la fonction publique à cause de son origine nationale ou à cause de sa pratique religieuse, par exemple.

[Français]

Quel mécanisme suggérez-vous pour la mise en place d'un redressement dans les cas où vous constateriez qu'il y a eu discrimination fondée sur l'un ou l'autre de ces motifs?

M. Cashman : Dans de tels cas, on chercherait à faire faire un examen par une tierce personne. Je vais vous donner un exemple. Pour une personne qui travaille dans un aéroport international au Canada, qui n'a pu obtenir sa cote de sécurité après le septembre 2001 et qui travaillait là avant, il n'y a pas de problème. Nous avons changé les règles de procédure et assujetti tout le personnel à de nouveaux contrôles.

De plus, cette personne avait travaillé pendant six mois dans un autre pays comme professeur d'anglais. Étant donné que le Canada n'entretient pas de bonnes relations avec ce pays, il ne pouvait pas demander aux services de sécurité de ce pays, par le biais du SCRC, de faire enquête sur la personne durant cette période.

Rien ne laisse croire que la personne a commis des actes dangereux durant son séjour à l'étranger. Étant donné qu'il y avait une absence de six mois dans son dossier, la personne a perdu son poste. Elle ne pouvait donc pas obtenir la cote de sécurité qu'elle avait besoin pour continuer à occuper son poste. On aurait alors souhaité qu'une tierce personne fasse enquête dans le dossier.

Il s'agit d'informer les personnes pour leur dire pourquoi on ne leur donne pas leur cote de sécurité. Les personnes ont besoin de savoir.

La définition de « terrorisme » ou « activité » change aussi avec les années. On a connu au Canada un premier ministre qui, dans sa jeunesse, était sur la liste de la CIA parce qu'il était allé en Chine à une époque où les gens n'allaient pas en Chine.

Notre service de sécurité utilise aujourd'hui des normes et des critères qui datent des années 1950 pour décider si quelqu'un obtient la cote de sécurité souhaitée ou pas. Nous demandons simplement que cette liste de normes et de critères soit mise à jour afin qu'elle respecte les droits des Canadiens provenant actuellement de tous les pays du monde.

[Traduction]

Le sénateur Joyal : Demander l'accès à un pays est une chose. Un pays peut décider quel genre de personne il veut accepter. Vous avez besoin d'un visa pour entrer dans de nombreux pays et ces derniers peuvent vous refuser un visa. Théoriquement, c'est la même chose pour le Canada. Nous pouvons refuser un visa à quiconque fait une demande pour venir au Canada. Aller dans un autre pays n'est pas un droit. Un pays vous donne la permission de séjourner un certain temps ou de travailler. C'est une situation différente lorsqu'un Canadien fait une demande d'emploi dans la fonction publique ou cherche à obtenir une promotion au sein de cette dernière. Si un Canadien fait l'objet d'une décision discriminatoire par nature ou s'il n'a pas droit à l'application régulière de la loi, il y a différentes façons d'en juger.

Ce que j'aimerais que vous me disiez, c'est à quel niveau dans le système il y a des faiblesses pour lesquelles des mesures de correction devraient être prises afin de protéger ces personnes, que ce soit lorsqu'elles font une demande pour la première fois ou lorsqu'elles font une demande pour occuper, au sein de la fonction publique, un autre poste qui exige une vérification de sécurité et qu'elles ne peuvent obtenir la cote de sécurité nécessaire. Je veux que vous me disiez les différentes étapes de protection qu'une personne pourrait avoir.

M. Cashman : C'est ici qu'une tierce partie pourrait avoir un grand avantage.

Le sénateur Joyal : Pourriez-vous être plus précis au sujet de la « tierce partie »?

M. Cashman : Dans le contexte des cotes de sécurité, la notion d'intervenant désintéressé serait appropriée. Quelqu'un veillerait sur vos intérêts. S'il y a quelque chose dans le dossier qu'on ne peut vous transmettre, au moins la tierce partie, autre que vos accusateurs, serait autorisée à examiner le document et aurait accès à l'information complète.

Le sénateur Joyal : Il n'y a rien actuellement dans votre convention collective qui vous permette de demander cela?

M. Cashman : J'aimerais bien qu'il y ait quelque chose. Nous avons entendu dire que la Charte pourrait ne pas offrir les protections que nous voulons; alors, il est certain qu'une convention collective ne le ferait pas non plus.

Le sénateur Joyal : Dans le système actuel, il faudrait recourir à la procédure de grief pour obtenir réparation. Il peut arriver qu'il y ait erreur sur la personne. Cela s'est déjà vu avec les listes de passagers aériens et une personne peut chercher à obtenir réparation dans notre système. Si on nie à une personne l'accès à un emploi ou à un avion, il doit y avoir un mécanisme pour lui permettre d'interjeter appel afin que la décision soit reconsidérée et que la personne soit informée des raisons du refus. Il s'agit là d'un élément essentiel de notre système tout entier.

Nous avons incorporé plus de mesures de sécurité et en même temps, nous avons mis sur pied des mécanismes pour recevoir les griefs, les plaintes ou les allégations qu'une personne a été traitée injustement, comme nous l'avons fait dans le cas des listes de passagers aériens. Vous devez avoir une bonne raison pour interdire à quelqu'un l'accès à un avion, parce que le fait de prendre l'avion pour se rendre d'une région à une autre du Canada est parfois lié à des questions familiales, au droit de travailler et ainsi de suite. Nous avons droit à la mobilité au Canada en vertu de l'article 6 de la Charte. Si vous empêchez quelqu'un de prendre un vol parce que son nom est inscrit sur une liste comme un risque pour la sécurité, alors cette personne a le droit de contester cette décision.

J'essaie de comprendre la logique du système en lien avec ce que vous avez dit dans votre mémoire.

M. Cashman : Le danger avec la Loi antiterroriste, c'est que l'on croit qu'elle a préséance et qu'elle décide tout. Certains d'entre nous croyons que la Charte a préséance et que d'autres législations devraient y être assujetties. Si vous ne respectez pas les droits et libertés fondamentales, alors les mécanismes de recours n'existent pas comme ils le devraient et les protections pour s'assurer que les droits et les libertés des gens sont respectés n'existent pas non plus.

Seema Lamba, agente des droits de la personne, Alliance de la fonction publique du Canada : Les questions de dotation ne peuvent pas toujours faire l'objet d'un grief. Si quelqu'un fait une demande de promotion et qu'on lui refuse la cote de sécurité nécessaire, c'est là une question qui ne peut être traitée dans le cadre du processus de grief.

Il y a un autre mécanisme, à savoir le mécanisme d'appel. Mais ce dernier se limite à des questions très étroites d'abus d'autorité, de langues officielles et à une autre chose, je pense. Il y a des recours limités dans le processus de grief et même dans le processus d'appel.

Vous pourriez présenter une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. Il y a des dispositions qui prévoient que s'il y a des préoccupations en matière de sécurité, la Commission peut s'en remettre au CSARS. Nous avons un cas à l'étude à l'heure actuelle, mais comme la décision n'a pas encore été rendue, nous ne sommes pas en mesure d'évaluer son efficacité. Je suis certaine que nous aurons d'autres cas de ce genre.

Le sénateur Joyal : Avez-vous des données statistiques sur le nombre de personnes dont la candidature a été rejetée au moment de la première demande pour des raisons de sécurité? N'y a-t-il aucune façon pour ces personnes de faire en sorte que la décision soit réexaminée pour s'assurer qu'elle a été prise pour des motifs valables?

M. Cashman : La difficulté, dans une perspective syndicale, c'est que nous ne représentons que les personnes qui sont embauchées. Si vous n'avez pas été embauché, le syndicat n'a aucune compétence pour vous aider. Même si nous avions la compétence pour le faire, les gens ne sauraient pas nécessairement qu'ils pourraient se tourner vers le syndicat parce qu'ils n'ont pas obtenu l'emploi.

Le sénateur Joyal : Évidemment. Cependant, vous n'avez pas examiné cet aspect de la question? L'Association canadienne des professeures et des professeurs d'université est préoccupée par les répercussions de cette loi. Au gouvernement fédéral, comme vous l'avez signalé, il y a de nombreux ministères où une personne peut faire l'objet d'une vérification de sécurité. J'ignore dans combien de ministères une vérification de sécurité peut être un élément essentiel pour conserver son emploi ou pour obtenir une promotion.

M. Cashman : Les emplois de cette nature sont très nombreux.

Le sénateur Joyal : Cela touche ceux et celles qui font des demandes également. J'ai soulevé la question parce que je ne crois pas que nous ayons examiné cette question auparavant.

Le sénateur Smith : Madame Webb, est-il exact que vous êtes professeure de droit?

Mme Webb : Non, ce n'est pas le cas. J'étais boursière au Human Rights Institute à l'Université Columbia en 2001.

M. Turk : Mme Webb est avocate au sein du personnel de l'ACPPU.

Le sénateur Smith : Lorsque M. Matas a pris la parole ce matin, il a signalé qu'il était un peu ironique qu'avant le 11 septembre, l'attaque terroriste la plus grave perpétrée dans le monde, celle qui a fait le plus grand nombre de victimes, a été planifiée, organisée et exécutée au Canada : l'écrasement de l'avion d'Air India. Il s'est plaint qu'il n'y a pas eu d'enquête. Nous avons eu une discussion là-dessus. Comme vous le savez probablement, on a demandé à Bob Rae d'examiner la question et de faire rapport. J'ai prévenu que ces enquêtes sont parfois utiles, mais que parfois elles ont tendance à se transformer en une ruée vers l'or pour un grand nombre d'avocats — je regrette de le dire, étant moi- même avocat. Il y a eu une enquête municipale à Toronto — une bonne enquête — et la municipalité a dû leur payer plus de 20 millions de dollars.

En ce qui concerne ce qui est vraiment arrivé dans le cas d'Air India — et il n'y a pas eu de condamnation —, le SCRS a bâclé certains éléments de preuve et effacé des bandes magnétiques et la GRC n'a pas semblé trop efficace. Un autre problème fondamental, c'est que certaines personnes qui, de toute évidence, savaient des choses étaient trop terrifiées pour témoigner. Avez-vous eu des réflexions sur cette question? M. Matas avait beaucoup d'espoir qu'une enquête soit recommandée. Pensez-vous qu'il vaille la peine de tenir une telle enquête quelque 20 ans plus tard?

Mme Webb : Je pense qu'il y avait des lacunes fondamentales dans la façon dont les membres des organismes de renseignement de sécurité ont fait leur travail, juste du travail de renseignement ordinaire, et dont ils ont consigné leurs éléments de preuve.

Le sénateur Smith : Je pense que c'est clair.

Mme Webb : La Loi antiterroriste existait au moment où l'affaire est passée devant les tribunaux et ils ont utilisé les dispositions relatives à l'audience d'enquête. Dans quelle mesure cela les a-t-il aidés à obtenir une condamnation?

Le sénateur Smith : De toute évidence, ce ne fut pas le cas.

M. Turk : C'est exact.

J'en sais moins au sujet de l'exemple que vous soulevez que bon nombre d'entre vous, sauf qu'il est clair qu'un échec des pratiques policières a causé ce problème ou contribué à la difficulté qu'ils ont eue à obtenir une condamnation. Peut-être que même avec des procédures policières exemplaires, ils n'auraient pas été en mesure d'obtenir une condamnation; je n'en suis pas certain.

Comme c'est souvent le cas dans ce genre de situation, le problème n'était pas une lacune dans la loi qui criminalise le comportement qui a été à l'origine de cet événement. Les problèmes sont probablement ailleurs, et c'est ce que nous essayons de dire dans le cas du terrorisme. Nous avons besoin de renforcer certains aspects de notre travail pour tenter de prévenir ces choses, mais modifier la loi n'est vraiment pas une de ces choses, même si cela peut sembler une solution évidente; lorsque vous examinez la question attentivement, ce n'en n'est pas une.

Le sénateur Joyal : Le sénateur Smith me demande de faire une déclaration.

Dans le cas de la destruction d'enregistrements et de documents, je me demande s'il n'est pas plus la solution la plus facile, pour n'importe quel groupe, de « s'envoler ». En fait, nous le voyons dans l'affaire Liddar, alors que la dirigeante du CSARS, Mme Paule Gauthier, voulait se pencher sur le dossier et que soudainement, le document a été déchiqueté ou a disparu. Il s'est produit la même chose avec les enregistrements concernant la tragédie du vol d'Air India, qui était un crime grave : d'un coup, la police a détruit les enregistrements.

Quelles sont les règles qui encadrent la conservation du matériel, des preuves, des enregistrements, des documents, et cetera? C'est étrange, lorsqu'il y a une enquête, quelques semaines après une prise de décision — l'affaire Liddar, ce n'est pas un vieux dossier qui date de 10 ans, cela s'est produit le mois dernier. Que se passe-t-il lorsque quelqu'un détruit des documents? Qui donne l'autorisation de détruire les documents? Il s'agit de certains aspects qui permettent au CSARS et aux services secrets de couvrir leur arrière — pour ne pas parler d'autres parties du corps — lorsqu'ils ont le sentiment que quelque chose ne tourne pas rond ou qu'ils laissent tomber une affaire. Personne ne peut examiner l'affaire car soudainement les preuves ont disparu. Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas bien dans le système, madame la présidente. Il faut le mentionner ici. Il n'est pas convenable qu'une enquête comme celle qui porte sur l'affaire d'Air India ne puisse se conclure alors qu'une enquête par les tribunaux est en cours pour la simple raison qu'une partie de la preuve est manquante. Cela s'applique également à l'affaire Liddar, comme M. Cashman l'a mentionné dans son mémoire cet après-midi. Cela devrait faire partie de nos recommandations — qui est responsable des papiers et qui autorise la destruction des résultats d'une enquête?

Le président : Nous avons d'autres audiences, comme vous le savez, sénateur Joyal. Nous essaierons également de rencontrer à nouveau les ministres et probablement M. Judd, du CSARS. Ces questions pourront être soulevées à ce moment.

Selon vous, la mise sur pied d'un organisme de supervision parlementaire indépendant serait-elle particulièrement utile ou valide? En s'appuyant sur la prémisse que vous nous avez présentée au sujet des lois qui existent actuellement, est-ce que cela ferait obstacle au fait qu'un tel organisme sera utile, si l'on donne suite à la loi?

M. Turk : Notre dilemme, c'est que pour nous, cette loi est sans fondement et modifie le caractère du Code criminel en introduisant un motif, et la surveillance parlementaire, comme Mme Webb l'a dit — et peut-être peut-elle élaborer sur le sujet — ne saisirait pas bien l'effet potentiel que cette loi pourra avoir avec le temps. Il y a une impasse. Pour certaines parties de la loi, si celle-ci est maintenue, la surveillance parlementaire serait peut-être mieux que rien. Cependant, si on donne aux Canadiens l'idée que les problèmes fondamentaux seront partiellement ou en grande partie réglés, je crois que c'est trompeur.

Si cette loi est maintenue, alors la meilleure chose que vous puissiez faire serait d'y ajouter une disposition de réexamen prévoyant une révision dans trois ans, par exemple. Il faudrait alors justifier chaque aspect, plutôt que, comme maintenant, dans le cadre d'une révision, devoir expliquer tous les aspects que vous aimeriez voir éliminer; c'est l'inertie qui mène au maintien de la loi.

Mme Webb a déjà parlé de cela et aimerait peut-être ajouter quelque chose.

Mme Webb : Vous pouvez surveiller bon nombre de dispositions, mais le gouvernement et la police détiennent le pouvoir. Comment un agent de surveillance agirait-il si le vérificateur général utiliser son droit de veto sur la divulgation de renseignements? On ne voit pas les renseignements. Si le vérificateur général désire cacher des renseignements sur une erreur judiciaire, un programme de défense, un scandale politique, un fiasco opérationnel, un vote frauduleux, il peut le faire et n'est pas tenu dire pourquoi. À quoi servirait un organisme de surveillance avec ce genre de pouvoirs?

Le sénateur Joyal : Le vérificateur général pourrait être tenu de mentionner dans un rapport qu'il a utilisé ce type de pouvoirs, conformément à la loi. Il peut s'en sauver, comme je l'ai dit, en détruisant tous les documents, et nous en avons eu un exemple plus tôt. Cependant, si le vérificateur général doit, avant d'avoir recours à l'article 38.13, faire rapport, au moins on a consigné dans un rapport que les pouvoirs ont été exercés dans tel cas. Il est possible d'assurer un suivi.

Mme Webb : Qu'est-ce qui se passe s'il a utilisé ce pouvoir en rapport avec la Commission Gomery? Nous ne le saurions jamais. Le haut fonctionnaire ne pourrait jamais le démontrer.

Le sénateur Joyal : Cela dépend. Si nous créons un poste qui possède tous les pouvoirs d'un haut fonctionnaire du Parlement, cette personne pourra avoir accès à de l'information sensible et peut être informée que ce pouvoir a été exercé pour X raison et que le ministre devrait recevoir la permission de l'utiliser conformément à la loi. Si c'est simplement pour des fins administratives ou internes, par exemple, comme vous l'avez dit, la Commission Gomery, il n'y a pas de lien avec les relations internationales, la défense du Canada ni la sécurité internationale, car cela n'implique pas une troisième partie ou un groupe criminalisé selon le Code criminel. Il est possible, selon moi, d'avoir au moins un compte rendu minimal de l'utilisation de ce pouvoir, si un mécanisme adéquat de supervision était mis sur pied, sans remettre en question la nécessité de maintenir la confidentialité de certaines questions clés pour les besoins de la sécurité du Canada.

Mme Webb : Le problème, c'est que si une loi donne à des agences du gouvernement carte blanche, ce que cette loi fait en grande partie, c'est une solution placebo de mettre en place un haut fonctionnaire qui devra assurer le suivi sur la manière dont ils utilisent ce pouvoir. Le point important à retenir, c'est qu'on leur donne carte blanche. Si on met en place une solution placebo en disant « dites-nous de quelle manière vous utilisez ce pouvoir d'une manière incorrecte », ce n'est pas très utile. Je doute que vous puissiez mettre en place un système dans lequel le haut fonctionnaire chargé de la supervision règlerait la plupart des questions.

Le sénateur Joyal : Il s'agit d'essayer d'instiller le principe de ce que j'appelle l'équilibre; c'est-à-dire la nécessité pour l'administration de prendre des mesures discrétionnaires et d'en être responsable. La Commission Gomery examine le principe de la responsabilité ministérielle et ensuite l'équilibre des autres intérêts, ce qui consiste essentiellement à conserver la primauté du droit. Pour conserver la primauté du droit, il faut déterminer dans quelle mesure la discrétion existe et s'assurer que lorsque des parlementaires délèguent cette responsabilité, le Parlement conserve la capacité d'assurer de manière adéquate le suivi du pouvoir discrétionnaire donné à l'administration. Le système repose lui- même sur ce type de logique. Comment définir cela en termes pratiques? Je conviens avec vous qu'il peut y avoir certaines difficultés, mais le système va vers cela.

Mme Webb : Cependant, la primauté du droit doit commencer par la loi en elle-même.

Le sénateur Joyal : Absolument.

Mme Webb : Si vous donnez les pleins pouvoirs, ce n'est pas la primauté du droit.

Le sénateur Joyal : Oui, mais cela dépend du type de systèmes que vous établissez, du pouvoir discrétionnaire que vous donnez à l'administration. Si vous donnez l'entière discrétion, l'absolue discrétion, sans capacité d'examen, sans système de contrepoids, alors je conviens avec vous que c'est comme donner un chèque en blanc et que personne n'a le droit ni la capacité de surveiller le système. Si nous pouvons faire cela en nous fondant sur les aspects juridiques des certificats de sécurité, avec un intervenant désintéressé, un juge qui est spécialement formé pour se pencher sur ces questions, un haut fonctionnaire du Parlement qui a accès à la documentation, et cetera, alors il est possible de mettre au point un système qui fait contrepoids. Je suis d'accord avec vous, et c'est pourquoi nous recommandons dans notre premier rapport qu'il devrait y avoir un certain équilibre. Je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire qu'actuellement, c'est insatisfaisant. Cependant, nous essayons de comprendre comment réorganiser le système pour rétablir ce contrepoids.

Mme Webb : La Loi antiterroriste comporte 186 pages. Elle comprend différentes dispositions. À la fin, vous parlez des certificats de sécurité. Il y a des choses qui peuvent être faites dans ce contexte, mais mettre en place un haut fonctionnaire chargé de la surveillance qui fait le suivi et traite les rapports portant sur la totalité de la Loi antiterroriste, ce n'est pas une solution adéquate, car la Loi antiterroriste en elle-même ne donne pas l'entière discrétion, ne donne pas carte blanche à la police, aux services de sécurité de renseignement ni à l'autorité exécutive du gouvernement. La surveillance ne consiste pas à s'assurer de la primauté du droit.

Par exemple, aimeriez-vous que le haut fonctionnaire chargé de la supervision traite de l'information sur un vote frauduleux ou un programme de défense controversé, ou sur d'autres types de fiasco gouvernementaux, à la place des parlementaires? La loi devra-t-elle être établie comme cela? Est-ce un mécanisme de contrôle adéquat? Non.

Le sénateur Joyal : Cependant, il existe divers mécanismes de contrôle. Il y a divers hauts fonctionnaires du Parlement. Cinq hauts fonctionnaires du Parlement ont des responsabilités spécifiques en relation avec l'autorité exécutive du gouvernement. Le vérificateur général en est un. Le vérificateur général fait rapport au Parlement et le Parlement peut décider de recevoir la recommandation, de la suivre ou non.

Le commissaire à la protection de la vie privée et le commissaire de l'accès à l'information ont leurs propres responsabilités au sein de l'administration, et il y a des conflits entre le gouvernement du jour et ces hauts fonctionnaires. Nous l'avons vu avec le programme du premier ministre. Cela se rapproche de vos exemples sur les votes ou la couverture de quelque chose. Les tribunaux ont rendu des jugements à ce sujet.

Il y a les autres hauts fonctionnaires du Parlement, le commissaires aux langues officielles et le directeur général des élections, qui examinent la manière dont une loi est mise en application afin qu'il n'y ait pas de parti pris en faveur d'un parti ou d'un autre.

Il n'y a rien dans le système qui nous empêche de créer un poste de haut fonctionnaire du Parlement qui serait investi des pouvoirs nécessaires pour la protection du pouvoir discrétionnaire que doit avoir l'administration afin de protéger les intérêts du Canada en général. Nous reconnaissons tous cela. Je ne crois pas que c'est impossible en théorie.

Mme Webb : Oui, mais vous modifiez la structure de la loi existante.

Le sénateur Joyal : Oui, bien sûr.

Mme Webb : Vous prenez la révision habituelle qui est effectuée par les tribunaux, par l'agent du service d'accès à l'information, par le Parlement, dans tous ces domaines, et vous dites « bien, nous laisserons le gouvernement s'occuper de tous ces mécanismes de surveillance au sujet de ces lois et, pour compenser, nous mettrons en place une personne qui sera en charge de la surveillance. » De plus, si la loi permet aux policiers d'arrêter qui ils veulent, et si l'autorité exécutive du gouvernement peut cacher ce qu'elle veut, si elle en a les pouvoirs, alors quel type de supervision peut-on exercer?

Le sénateur Joyal : Je crois que la Commission Arar se penche sur cela, car la commission a été aux prises avec l'utilisation de certaines dispositions de la Loi antiterroriste. La Commission Arar est un test du système, particulièrement de ses faiblesses. Julie O'Connor, qui est à l'extérieur du système, voulait se pencher sur le système et a rencontré un obstacle pour ce qui est de l'information. D'après ce que je comprends des audiences, son rapport identifiera les domaines dans lesquels elle n'a pas pu obtenir l'accès à l'information. Le fait qu'on lui a refusé l'accès à l'information et les raisons devraient faire l'objet d'un examen, tout comme le système en place, afin que nous soyons assurés qu'il n'y a pas abus du pouvoir discrétionnaire. Je crois que vous avez raison au sujet de la manière dont une loi peut être utilisée, mais la Commission Arar, selon moi, ce comité et l'autre rapport que nous attendons nous permettront de voir comment nous pouvons équilibrer le système. C'est l'approche raisonnable et logique que nous essayons de suivre pour régler le problème, comme vous dites, de l'absolue discrétion et de la protection. Vous dites essentiellement que cette loi donne l'autorité ou la capacité sans entraves de couvrir quoi que ce soit dans l'administration. Aucune personne raisonnable n'aimerait disposer de ce pouvoir. Cela ne fait aucun doute. Aucun de mes collègues autour de la table n'aimerait cela. C'est pourquoi les Commissions Arar et Gomery sont si importantes. Elles nous donneront les principes essentiels qui sont en jeu dans l'administration afin que nous puissions déterminer comment améliorer le système pour maintenir les processus et la primauté du droit. C'est essentiellement ce que nous essayons de faire.

Le président : Nous avons dépassé de beaucoup le temps qui nous était alloué. Je sais que tout le monde est occupé et a d'autres choses à faire. Nous savions en venant ici que ce serait un après-midi intéressant. Vous, vous êtes aux premières loges de certaines de ces questions, et nous sommes aux premières loges d'autres questions. L'après-midi a été très productif, et nous vous remercions d'avoir pris la peine de venir ici et de prendre au sérieux ces questions, tout comme nous.

La séance est levée.


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