Délibérations du comité sénatorial spécial sur la
Loi antiterroriste
Fascicule 18 - Témoignages - Séance du matin
OTTAWA, le lundi 31 octobre 2005
Le Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste se réunit aujourd'hui à 10 h 35 afin d'entreprendre un examen approfondi des dispositions et de l'application de la Loi antiterroriste (L.C. 2001, ch.41).
Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, je déclare la séance ouverte. Il s'agit de la 39e réunion avec comparution de témoins du Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste.
En octobre 2001, en réaction directe aux attentats terroristes à New York, à Washington, D.C. et en Pennsylvanie, et à la demande des Nations Unies, le gouvernement canadien a présenté le projet de loi C-36, la Loi antiterroriste. Compte tenu de l'urgence de la situation à ce moment-là, on a demandé au Parlement d'accélérer l'étude de cette mesure législative et nous avons accepté. La date butoir pour l'adoption de cette loi avait été fixée à la mi-décembre 2001. Cependant, on craignait qu'il soit difficile d'évaluer en profondeur les conséquences potentielles de cette mesure législative en un si court laps de temps. Ainsi, il a été convenu que trois ans plus tard, on demanderait au Parlement d'examiner les dispositions de la loi et ses conséquences sur les Canadiens a posteriori, dans un climat moins chargé d'émotivité au sein de la population canadienne. Les travaux de notre comité spécial représentent la concrétisation de cet engagement au niveau du Sénat
Lorsque ces travaux seront terminés, nous ferons part au Sénat de toute question que nous estimerons devoir aborder. Nous mettrons les résultats de nos travaux à la disposition du gouvernement et de la population canadienne. La Chambre des communes fera de même.
Jusqu'à présent, le comité a rencontré des ministres, des fonctionnaires, des experts nationaux et internationaux en matière de menace terroriste, des experts juristes, des personnes chargées de l'application de la loi et de la recherche de renseignements de sécurité et des représentants de groupes communautaires. Les membres du comité ont tenu des rencontres à Washington et ils se rendront à Londres, en Angleterre, dans une semaine.
Au cours de ces audiences, un certain nombre de questions ont été soulevées au sujet du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS). Par conséquent, nous avons le plaisir d'accueillir M. Jim Judd, directeur du SCRS. M. Judd a déjà comparu devant ce comité et il a toujours été très généreux de son temps.
Merci monsieur Judd d'être venu nous aider en cette fin des audiences et au tout début de celles-ci également
[Français]
Jim Judd, directeur, Service canadien du renseignement de sécurité : Madame la présidente, je suis heureux de comparaître de nouveau devant votre comité. Si vous me le permettez, j'aimerais faire quelques observations préliminaires sur trois sujets en particulier.
Je souhaite tout d'abord vous fournir un complément d'information sur l'évolution de la situation depuis mon passage ici au mois de mars. Deuxièmement, j'aimerais répondre aux plusieurs critiques que d'autres témoins ont faits en ce qui concerne notre agence. Finalement, j'aborderai les sujets traités lors de ma dernière visite devant votre comité et sur lesquels je désirais revenir témoigner devant vous aujourd'hui.
[Traduction]
J'aimerais faire quelques observations préliminaires sur les récents développements sur la scène mondiale, en matière de terrorisme, et sur d'autres questions qui ont touché le SCRS depuis ma comparution en mars de cette année.
Dans le domaine du terrorisme, nous avons été témoins d'une série de graves attentats aux quatre coins de la planète, sans compter les conflits qui perdurent en Irak et en Israël. Les plus graves en terme de pertes en vie humaine sont certainement les attentats à la bombe dans le réseau de transport en commun de Londres en juillet; les attentats à la bombe dans la station balnéaire de Charm el-Cheikh, en Égypte, en août; les attentats suicide dirigés contre des zones touristiques de Bali, en Indonésie, le mois dernier, et les événements de la fin de semaine dernière, à New Delhi.
Si nous excluons l'Irak et Israël, il y a eu au total plus d'une douzaine d'attentats terroristes importants dans le monde au cours des sept derniers mois. Les desseins des auteurs de ces attentats varient. Certains ont été l'œuvre de mouvements indépendantistes, d'autres sont le reflet de divisions sectaires, et d'autres encore ont été associées à l'idéologie d'Al-Qaïda. Certains, comme ceux de cette fin de semaine, à New Delhi, ont été inspirés par des motifs que l'on ne connaît toujours pas. L'assassinat de personnalités comme le ministre des Affaires étrangères du Sri Lanka a également été associé à des mouvements terroristes.
Avant de discuter plus en détail de ces attentats, j'aimerais vous entretenir de deux rapports publiés récemment qui abordent ces questions.
Le premier, publié en 2005, est le rapport sur la sécurité humaine du Human Security Centre de l'Université de la Colombie-Britannique. Ce rapport indique que dans l'ensemble, la violence sous toutes ses formes est en perte de vitesse dans le monde depuis les années 90, à l'exception du terrorisme international dont la tendance est à la hausse. Le rapport signale que l'augmentation du nombre de victimes du terrorisme international est attribuable à la multiplication des attentats suicide et des attentats à la voiture piégée.
Le deuxième rapport a été déposé au Conseil de sécurité des Nations Unies le mois dernier. C'est le troisième rapport annuel déposé au Conseil sur Al-Qaïda et les Talibans. On y fait une évaluation concise et intéressante de la menace que pose Al-Qaïda et ses militants. Selon ce rapport :
la menace que présente Al-Qaïda demeure aussi pernicieuse et répandue qu'avant les attentats du 11 septembre 2001.
Les auteurs poursuivent en décrivant en moins de deux pages la nature de cette menace et l'idéologie qu'elle sous- tend. Des copies de ces deux rapports ont été mises à la disposition du personnel du comité et seront distribuées aux sénateurs.
J'aimerais discuter des attentats qui se sont produits à Londres, le mois de juillet dernier, car certains aspects vous intéresseront sans doute, d'autant plus que vous irez au Royaume-Uni sous peu.
J'aimerais m'attarder sur ces attentats pour deux raisons. Tout d'abord, parce qu'ils se sont produits sur le territoire d'une démocratie industrialisée comme la nôtre, et parce qu'ils ont été associés à l'idéologie d'Al-Qaïda, qui incarne encore aujourd'hui la plus grave menace terroriste contemporaine dans le monde occidental.
Comme je l'ai mentionné dans mes remarques préliminaires, le réseau de transport en commun de Londres a été la cible de deux attentats en juillet. Les auteurs de l'attentat du 7 juillet ont atteint leurs objectifs, mais l'attentat commis deux semaines plus tard a échoué.
Le premier attentat a fait 56 victimes, dont les quatre kamikazes, et plus de 700 blessés. Le deuxième attentat n'a fait aucune victime. Enfin, comme vous le savez, un policier a par erreur tragiquement abattu une personne qui n'avait absolument rien à voir avec le terrorisme ou ces attentats.
J'aimerais faire quelques observations sur ces attentats qui à mon avis pourraient vous intéresser. Les auteurs de ces deux attentats n'étaient pas sur les « écrans radar » des services de renseignement et de police britanniques. Il semble qu'une personne impliquée dans le premier attentat avait attiré leur attention dans une enquête sur un complot terroriste en 2004, mais ils n'avaient pas poussé leurs investigations plus loin. De plus, ces attentats se sont produits peu de temps après que les services de sécurité britanniques eurent baissé le niveau d'alerte relatif aux menaces terroristes.
Les auteurs de ces deux attentats étaient des jeunes hommes de 18 et 30 ans. Ils étaient citoyens britanniques. Trois des quatre auteurs du premier attentat sont nés au Royaume-Uni, tandis que les autres avaient obtenu leur citoyenneté britannique après avoir immigré dans ce pays.
Les produits utilisés pour fabriquer les bombes dans les deux attentats sont disponibles dans les quincailleries ou les centres de jardinage. Les « recettes » et les informations pour fabriquer des bombes et des détonateurs sont accessibles dans les nombreux sites Web dont le nombre dépasse actuellement les 4 500.
Enfin, Le Royaume-Uni n'avait jusque-là été la cible d'aucun attentat suicide, mais ce n'était pas la première fois que des citoyens britanniques participaient à de telles opérations. Des attaques ont été perpétrées antérieurement, en Israël, et, vous vous en souvenez peut-être, lors d'un vol international entre le Royaume-Uni et les États-Unis.
Dans la foulée de ces attentats de Londres, Al-Qaïda a diffusé à nouveau sa liste des six pays ciblés par des actions terroristes, et le Canada y figure toujours.
Le SCRC a contribué à l'enquête menée sur ces attentats par les autorités britanniques et il a vérifié s'il pouvait y avoir des liens canadiens à ces attentats. Jusqu'à présent, nous n'avons constaté aucun lien entre ces attentats et des individus ou des organismes canadiens. Nous savons toutefois que l'un des individus impliqués dans le deuxième attentat a des parents au Canada. Aucun des membres de sa famille, dois-je préciser, n'a été impliqué dans ces attentats.
Certains aspects de ces attentats à Londres demeurent incompris. D'abord, nous ne comprenons pas encore très bien ce qui a pu pousser ces jeunes hommes, ou d'autres qui partagent les mêmes idées, à se radicaliser au point de commettre de tels crimes et d'y sacrifier leur vie.
Par ailleurs, nous ne savons pas avec certitude si ces attentats ont été orchestrés en dehors du Royaume-Uni, même si des représentants d'Al-Qaïda les ont revendiqués par la suite. Enfin, nous ne savons pas si ces individus ont suivi un entraînement dans le but de précis de commettre ces attentats et, le cas échéant, s'ils ont été formés à l'étranger.
J'aimerais faire deux autres observations sur le terrorisme en général. Le terrorisme demeure le plus grand défi auquel les Forces canadiennes et le personnel canadien déployé aujourd'hui en Afghanistan sont confrontés. Le personnel militaire et diplomatique a été la cible d'attentats dans ce pays récemment et la forte augmentation des attentats suicide contre quatre membres du personnel est particulièrement inquiétante.
Plus tôt cette année, un tribunal de la Colombie-Britannique a rejeté les accusations portées contre deux individus accusés de l'attentat à la bombe perpétré contre Air India. Cette affaire qui s'est produite il y a plus de 20 ans fut le pire attentat terroriste jamais commis en Occident, avant les attentats du 11 septembre 2001.
Depuis cette décision, la vice-première ministre a demandé à l'honorable Bob Rae de revoir le dossier, depuis les événements qui ont précédé l'attentat jusqu'à ceux qui l'ont suivi, et d'examiner le travail des organismes qui ont participé à l'enquête ou qui sont responsables de la sécurité des transports. M. Rae devrait faire rapport de ses conclusions et de ses recommandations à la vice-première ministre d'ici quelques semaines.
Mes collègues du SCRS et moi-même avons pleinement collaboré aux travaux de M. Rae et c'est avec le plus grand intérêt que nous prendrons connaissance de ses conclusions et de ses recommandations.
Depuis que le tribunal a rendu sa décision, j'ai eu l'occasion de rencontrer des membres des familles des victimes afin d'expliquer ce que le SCRS a fait ou n'a pas fait avant et après le tragique événement. Ces rencontres ont évidemment été très éprouvantes, même si les familles nous ont accueillis avec une grande courtoisie. S'il est un message que je peux retenir de ces visites, c'est de prendre les mesures nécessaires pour qu'une telle tragédie ne se reproduise plus jamais.
En plus des investigations de M. Rae sur l'attentat à la bombe contre Air India, les membres du SCRS ont participé à des travaux susceptibles d'intéresser le comité. En premier lieu, le SCRS a rencontré à plusieurs reprises les membres de la Table ronde transculturelle sur la sécurité nationale. Le président de la Table ronde a d'ailleurs comparu devant ce comité la semaine dernière.
À mon avis, les échanges avec la Table ronde ont été extrêmement fructueux. Nous travaillerons à nouveau avec eux à l'avenir, afin de mieux comprendre les questions de sécurité et leurs répercussions de part et d'autre.
Nous nous sommes engagés dans une nouvelle initiative de rapprochement qui nous permettra d'établir un dialogue permanent avec les divers groupes d'intérêt au pays. Certains travaux ont été réalisés en partenariat avec d'autres organismes fédéraux comme la Sécurité publique et la Protection civile du Canada, la GRC, l'Agence des services frontaliers du Canada, et ainsi de suite. D'autres ont été réalisés à titre indépendant. Parallèlement à ces initiatives, nous avons fait des efforts pour améliorer nos communications avec le public en général, afin de permettre à l'ensemble des Canadiens de mieux comprendre qui nous sommes et ce que nous faisons ou ne faisons pas.
Nous en sommes aux premières étapes préliminaires de ces deux initiatives, mais j'en ai fait mes priorités personnelles. Elles constituent un virage important pour une organisation comme le nôtre qui n'a pas l'habitude de ce genre d'interaction. Nos motivations sont claires et nous croyons que ces initiatives sont prises dans l'intérêt de la sécurité nationale de notre pays.
Notre organisation est médiatisée plus que jamais, et pas toujours pour les bonnes raisons. Étant donné que nous nous occupons de questions d'une grande actualité comme le terrorisme, il importe que nous fassions des efforts particuliers pour expliquer qui nous sommes et ce que nous faisons.
Deuxièmement, nous comprenons les préoccupations de certaines communautés du Canada, et plus particulièrement celles de certains nouveaux immigrants et de minorités visibles, à l'égard des organisations comme la nôtre. Un témoin qui a comparu devant ce comité cet été a dit que les pratiques des agences de sécurité ont donné froid dans le dos à une importante partie de la population canadienne qui se sent dorénavant aliénée.
Cela n'est pas sain. Nous devons absolument déployer des efforts pour leur enlever ce sentiment d'aliénation et éviter ainsi qu'elles se sentent marginalisées, comme l'a dit un témoin cet été. Si cela se produit, ces communautés pourraient hésiter à exercer leurs droits et leurs responsabilités en tant que citoyens de ce pays.
L'exercice de leurs droits sous-tend qu'elles peuvent bénéficier des mécanismes de recours mis en place pour ceux qui estiment avoir été lésées par les services de renseignement ou de sécurité. Cela signifie également qu'elles ont la responsabilité, en tant que citoyens, d'aider ces services à faire leur travail qui consiste à protéger les Canadiens.
Nous devons leur expliquer la nature de notre mandat. Il nous faut également écouter et comprendre leurs préoccupations et leurs points de vue. La clé du succès réside dans l'établissement d'un véritable dialogue à plus long terme. En fin de compte, nous devons être en mesure de travailler efficacement avec tous les Canadiens afin de nous acquitter de notre mandat national en matière de sécurité et de protéger la sécurité des citoyens.
Le troisième volet de nos activités de communication a trait à l'importance que nous attachons à l'engagement d'un effectif qui reflète les réalités démographiques canadiennes actuelles. Le SCRS fait appel à des ressources plus diversifiées qu'on ne l'imagine en général. Près de 10 p. 100 de nos employés aujourd'hui se sont identifiés comme membres de minorités visibles, un pourcentage supérieur à la moyenne dans la fonction publique fédérale.
L'ensemble des employés du SCRS parle plus de 85 langues. Près de 48 p. 100 de notre personnel est féminin et les femmes représentent près de 40 p. 100 des agents de renseignement. Par ailleurs, 38 p. 100 de notre personnel est francophone.
Nous devons faire en sorte que notre milieu de travail et notre personnel reflètent véritablement la réalité démographique du pays et l'un des meilleurs moyens d'y parvenir est d'aller dans ces collectivités et de faire connaître les possibilités d'emploi dans nos services. Nous demandons également à ces groupes de nous aider à mieux comprendre leurs cultures et leurs valeurs pour qu'elles soient prises en compte dans l'élaboration des programmes de formation et de perfectionnement de notre personnel.
Nous avons organisé plusieurs campagnes de sensibilisation partout au Canada. Ces activités ont commencé ce printemps et nous prévoyons en organiser beaucoup plus à l'avenir. Nous prévoyons notamment nous rendre à Vancouver, à Ottawa et dans d'autres villes de l'Ontario sous peu.
J'ai rencontré plusieurs personnes et groupes qui nous ont critiqués publiquement. J'ai l'intention de continuer à le faire et mes collègues également. Cela prendra du temps. Nous procéderons par tâtonnements et nous apprendrons en cours de route.
Le SCRS a peut-être fait des erreurs dans certaines de ces rencontres, mais nous nous persévérerons et nous nous améliorerons. Quant aux critiques qui ont été adressées au SCRS, j'ai suivi avec intérêt les audiences de ce comité depuis le début, bien que la loi que vous êtes en train de passer en revue a eu très peu de conséquences sur le mandat et sur les opérations du SCRS.
J'ai remarqué que des témoins avaient critiqué le SCRS et j'aimerais profiter de l'occasion qui m'est donnée pour répondre à certaines d'entre elles.
Pour commencer, on a prétendu que le SCRS s'adonne au profilage racial. Nous n'établissons pas de profils raciaux et nous considérons que cette pratique est inacceptable et d'aucune utilité. Par ailleurs, toute allégation de telles pratiques par les employés du SCRS doit être portée à mon attention.
Un certain nombre de témoins ont dit que le SCRS devrait engager le dialogue sur les questions de sécurité avec les différentes communautés du pays. Je suis d'accord avec cela et je pense d'ailleurs avoir fait état de nos premières démarches en ce sens dans mes observations antérieures.
Un certain nombre de témoins ont aussi invité le SCRS à faire preuve de plus de transparence. Je partage leur avis et nous le ferons afin de mieux nous faire connaître des Canadiens. Je dois toutefois rappeler qu'il y aura toujours des limites à ce que nous pouvons dévoiler.
Des témoins ont fait valoir que nous devions former notre personnel afin qu'il puisse entretenir des relations avec les diverses communautés. Notre personnel doit apprendre à répondre aux besoins des citoyens en tenant compte de leurs différences culturelles. Je tiens à préciser que nous le faisons déjà en recourant aux conseils d'experts à l'interne et à l'externe, et que nous comptons déjà parmi nos employés des membres de ces collectivités. Nous sommes toutefois en train de réexaminer ces arrangements et nous les modifierons au besoin.
Plusieurs témoins ont soutenu qu'il faudrait assurer une surveillance plus étroite du SCRS. Je ne crois pas être d'accord avec ce point et voici pourquoi.
Il ne fait aucun doute qu'actuellement, de tous les services de renseignement dans le monde, le SCRS est l'agence de sécurité la plus étroitement surveillée par des organismes de l'extérieur. Les deux tiers de la loi qui nous régit a trait à des contrôles ministériels, au rôle de la Cour fédérale, au mandat et au rôle du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS) et de l'inspecteur général du SCRS qui fait rapport indépendamment au ministre sur nos activités.
Toute enquête du SCRS faisant appel à de prétendues « méthodes intrusives » doit avoir préalablement été approuvée par le ministre et par la Cour fédérale du Canada. En outre, tant le ministère de la Justice que Sécurité publique et Protection civile Canada procèdent à un examen indépendant de ces méthodes.
Le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité et l'inspecteur général soumettent tous deux chaque année un rapport sur nos activités, y compris l'utilisation de nos ordonnances de la Cour. Ils doivent également faire rapport sur d'autres examens et enquêtes effectués par le comité ou l'inspecteur général, à la demande du ministre, des agences elles-mêmes, ou à la suite de plaintes du public.
Nous faisons l'objet d'un examen externe par le vérificateur général, les commissaires à l'information et à la protection des renseignements personnels, le commissaire aux langues officielles, la Commission canadienne des droits de la personne et par le Parlement lui-même. Enfin, le gouvernement projette d'établir un comité de parlementaires qui agirait comme un organisme de surveillance permanent des questions de sécurité nationale.
Évidemment, nous sommes visés par les travaux de la Commission d'enquête sur Maher Arar, de même que par l'examen de la tragédie d'Air India par M. Rae. En somme, nous faisons constamment l'objet d'une surveillance étendue et serrée.
Des allégations ont été faites relativement à nos méthodes d'enquête. Des témoins ont rapporté que des enquêteurs usaient d'intimidation, qu'ils présentaient des cartes d'identité inappropriées ou qu'ils utilisaient des documents d'identité inappropriés, qu'ils rendaient visite à des particuliers à leur lieu de travail et qu'ils dissuadaient les gens de demander à leur avocat d'assister à leur entrevue.
Permettez-moi de décrire clairement notre mandat. Le SCRS est une agence de sécurité nationale, et non une force policière. Nous ne recueillons pas d'éléments de preuve. Nous ne pouvons pas forcer qui que ce soit à nous parler. Nous ne pouvons pas mettre les gens en détention et nous n'avons pas recours à l'intimidation lorsque nous interrogeons les gens; c'est contraire à nos politiques et cela nuit à l'établissement de liens continus avec les « sources humaines », comme nous les désignons traditionnellement.
Il peut arriver, dans l'exercice de nos fonctions, que nous interrogions des gens pour diverses raisons qui n'ont rien à voir avec des enquêtes sur le terrorisme. Notre personnel peut mener des entrevues de filtrage pour répondre à des demandes d'immigration ou des revendications du statut de réfugié ou encore des enquêtes sur la sécurité de personnes en quête d'un emploi dans la fonction publique fédérale, provinciale, les Forces canadiennes, l'industrie nucléaire ou d'autres secteurs de l'économie.
Il peut nous arriver également d'interroger des gens dans le cadre d'enquêtes sur la prolifération des armes de destruction massive, notamment, ou leurs systèmes de vecteurs ou sur l'espionnage à l'étranger ou sur des cas d'ingérence étrangère dans les affaires de notre pays. Il se peut également que nous interrogions des personnes afin de mieux comprendre certaines régions du monde ou de mieux saisir certaines questions particulières que ces personnes connaissent bien.
Nous essayons normalement de mener ces entrevues là où les gens sont les plus susceptibles de se trouver. Dans bien des cas, c'est là où les gens travaillent et c'est habituellement pendant leurs heures de travail. Toutefois, si elles préfèrent être interrogées ailleurs, nous respecterons leur choix.
Les membres de notre personnel ont une carte d'identité avec photo. Il arrive parfois qu'un enquêteur du SCRS laisse une carte d'affaires non identifiée, si la personne qu'il a rencontrée souhaite demeurer en contact avec lui sans toutefois être vue en sa compagnie.
Je dois signaler qu'on nous a dit que des personnes se faisant passer pour des représentants du SCRS ont interrogé des gens. Tout ce que je peux dire, c'est que ces cas doivent nous être rapportés ou être rapportés au Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité ou à la police.
Il n'est pas rare que nos enquêteurs interrogent des personnes accompagnées de leur avocat. Chaque année, nous menons des centaines d'entrevues et il revient à la personne interrogée de décider si elle veut ou non être accompagnée d'un avocat.
Si une personne nous accuse d'avoir eu recours à l'intimidation à son endroit, nous ferons enquête. Cet été, une telle accusation a été portée contre nous à Toronto. Nous avons fait enquête et nous avons constaté que ces allégations étaient non fondées. Nous avons néanmoins pris cela tellement au sérieux que nous avons demandé à la police de Toronto de faire enquête.
Lors de ma dernière comparution devant ce comité, vous avez soulevé plusieurs points auxquels je vais maintenant répondre de manière plus élaborée. Vous m'avez notamment demandé si je croyais qu'il fallait amender la Loi sur le SCRS. Comme je l'ai déjà dit, les dispositions de la loi ont eu peu d'impact sur notre mandat ou sur nos opérations. Après un examen interne de la Loi sur le SCRS, nous en sommes venus à la conclusion qu'il n'y avait pas lieu de l'amender.
Vous avez soulevé une autre question lors de ma dernière comparution relativement à l'application des dispositions de la Loi sur l'aéronautique. Je crois savoir que le ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile du Canada a présenté une soumission écrite au comité à cet égard.
Enfin, je m'étais engagé à commenter plus en détail les dispositions de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés concernant le certificat de sécurité. Je dirai d'abord que nous avons respecté la loi à la lettre dans l'obtention des certificats de sécurité. Nous nous sommes employés avec rigueur à recueillir les éléments de preuve contre les individus visés par ces certificats, les tribunaux ont pris connaissance de toutes les informations pertinentes, tant publiques que secrètes avant de rendre leur décision dans chaque cas.
Ceci dit, nous avons bien sûr suivi de près les débats suscités par l'utilisation des certificats de sécurité, y compris ceux de ce comité. Nous avons également suivi avec beaucoup d'intérêt les débats entourant ces mêmes questions au Royaume-Uni depuis décembre dernier.
Vous n'êtes pas sans savoir que plusieurs faits nouveaux concernant ces certificats se sont produits depuis ce temps. D'abord, la Cour suprême du Canada a permis d'interjeter appel dans deux de ces cas et une demande d'appel pour la troisième cause n'a pas encore été entendue. En outre, le gouvernement a annoncé au tribunal au début du mois son intention de demander que les détenus soient transférés des établissements provinciaux vers des établissements fédéraux.
Je n'ai pas encore trouvé de solution de rechange au système actuel, mais je peux vous affirmer que nous cherchons encore. J'attends avec impatience, comme bien d'autres peut-être, vos conclusions et vos recommandations sur cette question.
Si vous avez des questions, je me ferai un plaisir d'y répondre.
La présidente : Nous vous remercions, monsieur Judd, de ce survol détaillé et des efforts que vous déployez pour trouver une solution à ces problèmes majeurs.
Le sénateur Fraser : Monsieur Judd, j'aimerais en savoir un peu plus sur cette pratique qui consiste à interroger les gens à leur travail. Je peux comprendre que cette façon de faire puisse accommoder bien des gens. J'ai moi-même apprécié il y a quelques mois qu'un agent du SCRS se présente à mon bureau dans le cadre d'une enquête de sécurité sur une personne que je connaissais et qui envisageait de travailler pour le gouvernement. C'était bien, ils sont venus à mon bureau, aucun problème. Mais je suis un membre du Sénat du Canada et je ne crains pas pour ma sécurité.
Néanmoins, pour bien des gens, et pas seulement pour les gens appartenant à certains groupes minoritaires, la visite d'un représentant du SCRS dans leur milieu de travail peut être dérangeante. Vous devez interrompre votre travail, trouver un endroit privé pour parler à ce représentant et expliquer à votre patron pourquoi il vous faut trouver un endroit privé pour lui parler. Cela peut perturber bien des gens et avoir des conséquences dans leur milieu de travail.
Cette approche du SCRS ne devrait-elle pas être envisagée en dernier recours seulement?
M. Judd : C'est devenu une pratique assez courante parce que c'est au travail, aux heures normales d'affaires, que la plupart des gens sont les plus disponibles. Comme je l'ai mentionné dans mes commentaires préliminaires, les gens peuvent demander à nos enquêteurs de les rencontrer ailleurs s'ils le préfèrent, à la maison, au restaurant, dans un café ou dans un parc. C'est un point sur lequel le Service insistera davantage. Nous encouragerons nos enquêteurs à donner aux gens le choix du lieu de rencontre. Il n'y avait aucune mauvaise intention derrière cela. J'ai remarqué que plusieurs témoins ont dit que cela avait eu des conséquences négatives, alors que ce n'est pas du tout ce que nous recherchons.
Le sénateur Fraser : Quel est le pourcentage de gens que vous appelez à l'avance pour prendre un rendez-vous, à leur bureau ou ailleurs? Si je comprends bien, dans certains cas vous vous présentez sans avoir prévenu.
M. Judd : Je n'ai pas de chiffres précis à ce sujet, mais compte tenu des inquiétudes que cela soulève, nous modifierons nos pratiques afin que les personnes que nous interrogeons ne se sentent pas mal à l'aise.
Il y aura des situations particulières, bien sûr, où nous devrons rejoindre quelqu'un de toute urgence. Cependant, en temps normal, nous ferons des efforts pour déranger le moins possible les personnes que nous interrogeons.
Le sénateur Andreychuk : Monsieur Judd, vous nous avez fait voir beaucoup de points de vue.
Vous nous dites que le SCRS ne recueille pas d'éléments de preuve. Il est peut-être vrai que du point de vue légal, votre travail diffère de celui de la GRC et d'autres forces de l'ordre, mais dans les faits, vous recueillez des informations qui peuvent dans certains cas nuire à des gens et même avoir des conséquences dramatiques sur leur vie et mener à des poursuites devant les tribunaux.
N'est-il pas un peu trompeur de dire que vous ne recueillez pas d'éléments de preuve? N'est-il pas fallacieux de donner l'impression que vous ne faites pas partie du réseau de surveillance qui conduit des gens devant des cours ou des tribunaux où ils seront appelés à se défendre?
M. Judd : Je n'ai pas voulu induire en erreur ou m'aventurer dans des questions qui relèvent du domaine des avocats. J'ai voulu faire la distinction entre le SCRS et le service de police. En fait, une mince partie seulement des informations que nous avons recueillies sont utilisées contre des gens dans des poursuites légales ou devant les tribunaux. Le meilleur exemple est sans doute celui des certificats de sécurité. Les informations recueillies par le SCRS ont également été mises à la disposition des tribunaux, je crois, dans les procédures judiciaires de l'affaire Air India. Mis à part ces deux exemples, il est rare que l'information fournie ait été utilisée contre une personne dans une procédure judiciaire ou devant un tribunal.
Autant que je sache, aucune communication interceptée par le SCRS n'a jamais été utilisée dans une poursuite judiciaire au Canada. C'est en somme ce que j'ai essayé de démontrer.
Le sénateur Andreychuk : Vous insistez beaucoup si je ne m'abuse sur le fait que votre travail ne vise pas à intimider les gens et que vous vous montrez très coopératifs. Vous les rencontrez dans leur milieu de travail ou à la maison ou ailleurs, vous vous identifiez et vous niez toute intimidation. Vous avez mené une enquête sur le cas de Toronto.
Si vous vous mettez à la place d'une personne dans la communauté qui vient d'arriver au Canada, par exemple, et qui ne sait pas encore s'il existe des moyens d'obtenir réparation. Elle peut venir d'un pays où l'enjeu véritable n'est pas la justice, mais bien le pouvoir policier.
Ne croyez-vous pas que cette personne sera à coup sûr intimidée si quelqu'un se présente à son bureau et lui demande de lui parler? Ne croyez-vous pas que cela déclencherait la peur chez la plupart des Canadiens? Une visite comme celle-là n'a pas intimidé le sénateur Fraser parce qu'elle s'y attendait.
Supposons que je reçoive un appel d'un agent du SCRS et qu'il me dise : « J'aimerais vous parler. Je ne peux pas vraiment vous dire ce dont il s'agit. J'aimerais vous voir en personne ». Cela m'inspirerait les mêmes craintes. Ne croyez-vous pas que cela puisse être intimidant pour quiconque appartient à un groupe particulier au Canada?
M. Judd : Je conviens avec vous que cela puisse effrayer beaucoup de nouveaux Canadiens. C'est pourquoi nous voulons rejoindre davantage les gens dans tout le pays. Un volet important de notre programme axé sur le rapprochement vise à expliquer aux gens ce que nous faisons et comment nous le faisons, tout en étant à l'écoute de leurs préoccupations.
Le président de la Table ronde trasculturelle sur la sécurité nationale a proposé que nous produisions un prospectus multilingue qui décrit le SCRS, ce qu'il fait, comment il le fait, ce que les gens peuvent ou doivent faire si on leur pose des questions et comment répondre à ces questions.
Quant aux interactions avec les Canadiens en général, j'ai bien l'impression que la plupart des entrevues auraient trait à des enquêtes de sécurité pour un poste dans la fonction publique fédérale ou dans les Forces canadiennes ou encore à des demandes d'immigration ou des revendications du statut de réfugié, et non à des enquêtes portant sur des délits ou des méfaits.
Nous espérons que nos efforts de rapprochement faciliteront la communication avec certaines communautés qui se sentent plus vulnérables.
Le sénateur Andreychuk : Les citoyens en général comprennent ce qui se passe lorsqu'un agent de police frappe à leur porte en quête de preuves. Les gens savent généralement où va l'information, comment elle est utilisée et ils connaissent les mesures de protection entourant ces témoignages. Par contre, je ne sais trop ce que fait le SCRS de ses renseignements. Il peut les utiliser pour obtenir un certificat de sécurité, par exemple, ainsi que vous l'avez souligné plus tôt.
Vous affirmez que les tribunaux ont pris connaissance de toutes les informations pertinentes, mais le gouvernement peut, j'imagine, de concert avec vous, avoir en main des informations à caractère plus ou moins confidentiel des tribunaux, comme vous l'avez souligné, et les utiliser publiquement ou confidentiellement devant les tribunaux. On ne sait jamais où vont les informations et si elles seront utilisées de la manière qui avait été prévue au départ.
La comparaison n'est pas très bonne, mais il y a bien des années, je travaillais au tribunal de la famille, aux adoptions plus précisément. Bien des gens disaient : « J'ai peur de vous dire ce que mon voisin ou ma sœur fait, parce que si ces témoignages sont utilisés, ils détruiront mes relations avec cette personne, tant sur le plan familial que communautaire. » Les gens avaient des réticences à fournir des renseignements parce qu'ils ne savaient ce que les fonctionnaires allaient en faire. Allaient-ils les utiliser à telle ou telle fin? Demeureraient-elles confidentielles? Tout était fait sous le sceau du secret.
Je me pose la même question à propos des renseignements fournis à un agent du SCRS. Cette information se retrouvera peut-être devant un tribunal; peut-être pas. Elle pourrait être traduite. Elle pourrait être utilisée hors contexte.
Ne croyez-vous pas qu'une certaine transparence ou qu'une certaine confidentialité soit nécessaire pour assurer que l'information sera utilisée aux fins mentionnées?
Ce n'est pas que je ne vous fais pas confiance, d'autant plus que j'ai travaillé avec vous pendant bien des années, mais je ne crois pas qu'une démocratie fonctionne de cette manière. Elle ne fonctionne pas avec des auto-évaluations; elle fonctionne avec des contre-vérifications.
M. Judd : Vous n'avez pas à vous fier à ma parole. D'abord, sachez que depuis l'adoption de la loi, moins de 30 certificats de sécurité ont été émis sur une période de plus de 25 ans. Ils sont émis dans des circonstances exceptionnelles. Toutes les informations pertinentes sur les personnes inculpées sont scrupuleusement regroupées et examinées par des avocats du ministère de la Justice, par les ministres et par le tribunal avant qu'une décision ne soit prise.
Deuxièmement, le SCRS ne peut utiliser ce que j'appelle des méthodes intrusives parce que son travail consiste essentiellement à intercepter des communications, sans fournir d'affidavit au tribunal pour obtenir l'autorisation d'émettre un mandant d'arrestation.
Ces affidavits déposés devant le tribunal peuvent contenir jusqu'à 200 pages d'informations en guise d'éléments de preuve. D'après mon expérience, les tribunaux ne prennent pas la décision de délivrer un mandat d'arrestation à la légère. Nos affiants comparaissent devant la cour accompagnés d'un avocat et des discussions ont souvent cours entre les membres du tribunal, les affiants et l'avocat.
Troisièmement, le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité et l'inspecteur général du SCRS effectuent un examen annuel de nos activités. Cet examen comprend l'acquisition et l'utilisation des renseignements, de même que nos pratiques visant les demandes de mandats d'arrestation à la Cour fédérale. En outre, le comité peut, sans avis préalable, passer en revue le travail d'un agent affecté à une opération particulière.
J'ai dit que le SCRS est l'agence de sécurité la plus étroitement surveillée par des organismes de l'extérieur, et je n'exagère pas. Le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité est composé de cinq membres du Conseil privé de toutes allégeances politiques et choisis par le gouvernement. L'inspecteur général, nommé de façon indépendante par la ministre, agit comme son bras droit en ce qui concerne le service.
De plus, d'autres parlementaires comme les commissaires à l'information et à la protection des renseignements personnels ont accès à nos activités. Soyez assuré que vous n'avez pas à vous fier à ma parole et que nous essayons de faire les choses dans le respect de la loi et de notre mandat.
Le sénateur Andreychuk : J'ai également suivi le cas de Bhupinder Liddar dont on a parlé dans les journaux récemment. Cette cause confirme mes craintes à l'effet que le SCRS a beaucoup de difficulté à changer d'idée une fois qu'il a entendu ses témoins, même si d'autres informations s'ajoutent à ces témoignages.
M. Judd : Je dirais au contraire que cette cause démontre que le système fonctionne rondement. Le SCRS est arrivé à une conclusion et le CSARS a par la suite examiné le cas, ainsi que la loi le prescrit. Ce dernier est arrivé à une conclusion différente de celle du SCRS et les résultats de l'enquête se sont révélés totalement différents des conclusions auxquelles on était arrivé avant que le CSARS ne l'examine.
Je pense que c'est une bonne illustration de l'efficacité de notre système d'examen.
Le sénateur Andreychuk : Peut-être que l'examen a été efficace, mais on ne peut en dire autant de l'analyse du SCRS.
Le sénateur Day : Monsieur Judd, je vais revenir sur vos commentaires à propos de l'attentat à la bombe du réseau de transports en commun de Londres et des leçons qu'on a pu en tirer.
A-t-on pu tirer quelque conclusion au sujet de la deuxième série d'attentats à la bombe, à savoir s'ils étaient une copie conforme en provenance d'une même source extérieure?
M. Judd : Nous pensons qu'il n'y a pas de relation entre les deux attentats.
Comme je l'ai dit dans mes remarques préliminaires, les motifs de ces deux attentats ne sont pas clairs, bien qu'Al- Qaïda les ait publiquement revendiqués. Je ne suis pas encore certain des conclusions de l'attentat du 21 juillet.
Le sénateur Day : Je n'avais pas entendu dire qu'Al-Qaïda avait revendiqué le deuxième attentat. Le groupe attend généralement que les objectifs d'un attentat soient atteints avant d'en revendiquer la responsabilité.
M. Judd : Il est certain qu'ils ont revendiqué la responsabilité du premier attentat. Vous avez probablement raison au sujet du deuxième. Mes collègues britanniques sont de toute évidence plus au courant de la situation et vous pourrez leur poser la question.
Le sénateur Day : J'imagine que l'on peut conclure que les attentats suicide ont plus de possibilités d'atteindre leurs objectifs que les attentats à la bombe.
M. Judd : Le nombre d'attentats suicide a augmenté au cours des dernières années. Ils sont plus difficiles à saisir parce que ce sont des actes extraordinaires. Comme je l'ai mentionné plus tôt, le nombre d'attentats suicide contre des militaires et d'autres services a augmenté en Afghanistan et ils sont monnaie courante depuis quelque temps en Irak.
Il est déjà arrivé en Occident que des attentats associés à Al-Qaïda ne soient pas des attentats suicide, comme l'attentat à la bombe du train à Madrid, il y a plusieurs années. Toutefois, on semble avoir plutôt tendance à privilégier les attentats suicide.
Le sénateur Day : Nous avons entendu parler des endroits où les kamikazes sont susceptibles d'être recrutés. On a souvent dit que pour lutter contre le terrorisme, il fallait s'attaquer au problème fondamental de la pauvreté dans bien des pays.
Ce qui s'est produit au Royaume-Uni semble contredire cette analyse. Sait-on où ces kamikazes sont susceptibles d'être recrutés?
M. Judd : Des livres ont été publiés ces dernières années sur le phénomène des attentats suicide. Des recherches sont également effectuées dans les universités européennes et américaines sur la question. En fait, le New York Review of Books a fait un très bon survol de ce qui s'est publié sur la question dans un article qu'il a publié il y a quelques mois. On y présente une critique des sept ou huit livres qui ont été publiés sur les kamikazes, leurs caractéristiques, leurs antécédents, et ainsi de suite.
Bien que les kamikazes semblent être majoritairement, mais non exclusivement des hommes, et appartenir à un certain groupe d'âge, les points de vue quant aux causes fondamentales, à savoir par exemple si la pauvreté a ou non un impact, semblent diverger.
On a fait valoir dans le passé que la pauvreté et le manque d'éducation étaient des facteurs dominants chez les kamikazes. Cependant, d'après une étude américaine un grand nombre de kamikazes ont une très bonne éducation et proviennent de bonnes familles. Ce profil correspond plus particulièrement à de nombreux terroristes qui ont participé à l'attentat du 11 septembre, aux États-Unis.
Le sénateur Day : J'ai cru que vous alliez dire y compris Ousamma ben Laden. À ce que je sache, il n'est pas un kamikaze.
M. Judd : Je vous recommande de consulter le New York Review of Books. Je vous fournirai la date exacte de parution de cet article.
Le sénateur Day : J'apprécierais.
M. Judd : On y fait un excellent survol de la question.
Le sénateur Day : À la page 12 de votre exposé, vous dites ne pas vouloir faire de profilage.
Pourriez-vous nous expliquer ce que vous entendiez par « profilage »?
M. Judd : C'est le terme que j'ai utilisé dans une version antérieure de mon exposé. Je l'ai par la suite corrigé. J'ai utilisé le terme « profilage racial » dans mes remarques aujourd'hui.
Je ne parle pas en tant qu'avocat, mais si je comprends bien, le débat sur ce qui constitue ou non du profilage se poursuit.
Nous ne faisons certainement pas de profilage racial dans le cadre de nos activités, à la fois parce que c'est inacceptable et que ce n'est pas un paramètre d'investigation très efficace.
Le sénateur Day : Faites-vous oui ou non du profilage?
M. Judd : Dans nos enquêtes, nous avons tendance à cibler les personnes en relation avec leurs activités, leurs antécédents et les associations auxquelles ils appartiennent.
Nous ciblons les personnes qui ont des antécédents militaires, qui ont suivi une formation dans des camps terroristes et qui ont participé à des activités terroristes dans divers pays du monde. Nous ciblons également des personnes qui utilisent des dizaines de personnalités et qui possèdent des quantités de documents falsifiés. Le profilage racial en soi ne nous est pas très utile.
Le sénateur Day : Feriez-vous du profilage racial si, par exemple, un chef religieux prêchait l'élimination de tous ceux qui n'adhèrent pas à tel ou tel mode de pensée? Feriez-vous le profilage des gens qui fréquenteraient une telle église?
Vous seriez assurément irresponsable si vous n'établissiez pas le profil des gens qui adhèrent à ce type de leadership et de discussion.
M. Judd : Dans un tel cas, nous porterions certainement attention aux personnes qui défendent ces idées. Toutefois, il n'y aurait pas lieu d'élargir cette surveillance à tous ceux qui sont entrés en contact avec ces personnes, à moins que des indications nous laissent croire que l'un d'eux ou certains d'entre eux présentent d'autres caractéristiques ou particularités qui nous inquiètent.
Le sénateur Day : Les gens fréquentant cette église ne le feraient pas s'ils ne croyaient pas les propos du prédicateur. Il vous faudrait établir le profil de ces gens, n'est-ce pas? Vous auriez à l'œil ce groupe qui adhère à ce point de vue, non?
M. Judd : Comme je viens de le dire, nous surveillerions certainement de près la personne qui défendrait ce genre d'attitude, mais il n'y aurait pas lieu de surveiller chaque personne ayant fréquenté cet établissement. Cette surveillance serait effectuée en tenant compte de divers autres facteurs.
Nous n'adopterions pas dès le départ une approche visant à mettre sous surveillance toute personne associée à cet établissement.
Le sénateur Day : Ce qui m'inquiète, c'est que les agences de sécurité et les services de police deviennent un peu trop défensifs. Chaque fois que vous entendez les mots « profilage racial » et « profilage », vous lui donnez une connotation péjorative.
Peut-être devrions-nous définir ces termes un peu plus précisément avant que vous ne commenciez à dire que ce n'est pas ce que vous faites.
M. Judd : C'est pourquoi j'ai modifié mes commentaires ce matin, pour clarifier ce que j'essayais de dire.
Quant à savoir, à la lumière de ce qui se passe, si notre application de la loi ou si les services de sécurité deviennent plus défensifs, c'est une question intéressante. Je crois qu'il existe des études sur le sujet.
Il faudrait sans doute mieux définir ces termes. Je sais que des travaux sont en cours en ce sens, mais aucune conclusion n'a été déposée à ce jour.
Le sénateur Day : Nous irons au Royaume-Uni bientôt et j'aimerais que nous parlions de la personne qui a malheureusement été assassinée en Amérique du Sud. Je crois que la tentative par les forces policières de camoufler l'événement a contribué à aggraver la situation. Des erreurs se produisent. C'est regrettable.
Le fait qu'on ait tenté de camoufler l'affaire, qu'on ait prétendu qu'il résistait, qu'il tentait de s'échapper, « et cetera » pour donner l'impression que c'était ce qu'il fallait faire est bien malheureux et il me semble en bout de ligne que l'on fera moins confiance aux forces policières et aux services de sécurité.
M. Judd : L'incident en soi et les réactions qui ont suivi sont malheureux.
J'étais au Royaume-Uni au moment des attentats à la bombe du 21 juillet et j'ai été à Londres tout de suite après les incidents du 7 juillet. Il est difficile de bien saisir l'atmosphère qui régnait à ce moment-là et l'énorme pression exercée sur les forces policières et les services de sécurité pour que cela ne se reproduise plus. On pensait que d'autres attentats allaient se produire.
Enfin, je reconnais que c'est regrettable et que cela aura des répercussions à long terme sur la confiance dans les services de sécurité et les forces policières.
Le sénateur Day : Je crois qu'il faut mieux admettre une erreur regrettable que de tenter de la camoufler.
M. Judd : L'histoire a démontré que plus souvent qu'autrement, les tentatives de camouflage sont généralement pires que les erreurs.
Le sénateur Day : Exactement.
Le sénateur Joyal : J'aimerais revenir à la page 5 de votre exposé où vous dites que ceux qui ont perpétré les attentats à la bombe de Londres, l'été dernier, n'étaient pas sur les « écrans radar » des services secrets et des forces policières.
Devons-nous conclure, d'après ces remarques, que les pires dangers pourraient provenir de gens qui ne figurent même pas sur votre liste?
Si je comprends la nature de vos activités et les commentaires que vous avez faits il y a dix jours, vous êtes au courant qu'une dizaine de Canadiens suivent un entraînement en Irak et qu'ils essaient d'entrer en Irak pour y être entraînés ou s'adonner à des activités terroristes. Ils figurent sur votre liste. Ils sont sous surveillance. Toutefois, les terroristes les plus « menaçants » sont ceux qui ne sont pas sur votre écran radar. Ces gens sont des Canadiens et non de nouveaux immigrants. Ils ne vivent pas nécessairement dans des taudis. Ils peuvent avoir une certaine instruction. Ces gens ont peut-être eu un certain « lavage de cerveau », parce qu'ils doivent avoir une formation en terrorisme ou quelque autre formation pour en arriver à des convictions d'une profondeur telle qu'ils sont prêts à tuer des étrangers.
Que feriez-vous si une telle menace pesait sur le Canada?
Comment expliqueriez-vous aux Canadiens que malgré tous vos efforts, malgré le budget, et malgré tous les impératifs juridiques, vous ne pouvez vraiment pas assurer de protection contre cette menace, que le SCRS n'est vraiment pas en mesure de déterminer qui sont ces gens?
M. Judd : Le commentaire que j'ai fait est une simple observation. C'est vrai dans d'autres cas, lorsque même après coup, les services de police ou de sécurité n'ont pas identifié les individus.
La seconde chose au sujet de cette observation est qu'elle reflète un comportement caractéristique des gens dans les services de sécurité, c'est-à-dire, autant que je sache, qu'ils passent souvent moins de temps à s'inquiéter de ce qu'ils savent que de ce qu'ils ne savent pas.
Dans le cas des attentats de Londres, les individus qui les ont perpétrés ne semblent pas avoir été associés à aucun terroriste connu dans le passé.
La possibilité d'un attentat est toujours présente, quel que soit le pays, y compris le Canada. Ce fut une surprise pour nos collègues du Royaume-Uni.
Le sénateur Joyal : Ne serait-ce pas en fait plus dangereux que ce que vous êtes appelé à faire, avec toutes les vérifications de sécurité? Ne serait-ce pas en fait le meilleur moyen de déterminer où il serait préférable d'investir vos talents et votre potentiel?
M. Judd : À vrai dire, nous ne cessons de remettre en question ce que nous faisons, à la manière dont nous le faisons, lorsque nous sommes confrontés à ce genre de menaces. L'un des points que j'ai également soulevés dans mon exposé, c'est que nous ne comprenons pas encore pleinement le phénomène de radicalisation des individus et je crois que les services de sécurité et de police de la plupart des pays occidentaux ne comprennent pas non plus.
Nous ne comprenons pas encore très bien quels sont les motifs qui conduisent des gens à faire ce genre de choses. Jusqu'à présent, nous présumions que les gens qui ont été formés dans des camps terroristes et qui ont été engagés dans des conflits terroristes internationaux étaient les premiers ciblés par les agences de sécurité. Les attentats perpétrés à Londres démontrent qu'il existe une nouvelle forme de radicalisation sur la scène terroriste. Des individus sont radicalisés par des moyens que nous ne connaissons pas pour en arriver à commettre de tels actes.
Nous ne comprenons pas encore bien la psychologie, la sociologie associée à de tels actes.
Le sénateur Joyal : Faites-vous des recherches sur ce phénomène? Recherchez-vous les endroits du pays qui puissent être plus fertiles ou réceptifs à ce phénomène contemporain?
M. Judd : Oui nous effectuons des recherches dans ce domaine. Elles sont en quelque sorte similaire à la recherche que nous faisons sur le phénomène de la radicalisation. Je sais que des universités et d'autres institutions font également des recherches sur ces questions. Nous n'avons pas de formule à toute épreuve pour déterminer la cause et les effets de ces cas, et ce sont des questions auxquelles nous consacrons beaucoup d'énergie.
Le sénateur Joyal : Tiendrez-vous compte en priorité du fait que les terroristes potentiels sont des gens qui se soumettront à des mouvements radicaux? Tiendrez-vous compte du fait que ces terroristes potentiels sont réceptifs à la radicalisation après avoir été formés? Ces gens se sentent souvent marginalisés dans le processus démocratique et voient les activités terroristes comme un moyen de secouer ou de détruire le système. Les gens qui sont assez politisés, qui sont enclins à réfléchir d'un point de vue politique, et, bien sûr, qui sont en possession de travaux écrits ou qui adhèrent aux enseignements ou à l'endoctrinement d'une certaine philosophie appartiennent à cette catégorie.
Vous avez mentionné plus tôt dans votre exposé qu'il existe des cellules d'Al-Qaïda en dormance au Canada et que vous surveillez les Canadiens qui pourraient profiter des insurrections en Irak pour y être entraînés ou faire des tests et ainsi de suite. Ces gens figurent sur votre écran radar.
Je vois la difficulté pour les services de sécurité d'établir des priorités et je me demande si le Canada est en mesure de faire une lecture stratégique qui lui permettra dans les années à venir d'intervenir là ou la menace est réelle ou potentielle.
M. Judd : C'est un travail en constante évolution. Nous savons des choses, et il y en a d'autres que nous ignorons. Nous savons qu'il y a très peu de liens entre la situation économique ou le degré d'instruction et la propension d'une personne à s'associer au terrorisme. Nous savons que des individus, ici et ailleurs dans le monde occidental, n'ont pas besoin d'une motivation face à face pour aller dans cette direction. L'Internet est une très bonne source de diffusion, de prosélytisme, de recrutement et de transmission de techniques, et ainsi de suite. Si nous observons le phénomène dans les pays occidentaux, ce sont des jeunes hommes à l'approche de la vingtaine à la mi-trentaine, souvent très instruits, qui ne sont pas nécessairement marginalisés sur le plan économique et même sur le plan politique. Ils ont été stimulés par les motivations les plus diverses pour en arriver à poser de tels gestes.
À certains égards, j'ajouterais que certains de ces phénomènes ne sont pas nouveaux. Plusieurs Canadiens travaillent peut-être avec les forces rebelles en Irak. D'après un rapport du New York Times, il y a quelques semaines, des individus d'environ 27 pays différents sont actuellement détenus en Irak.
J'ajouterai également que les Canadiens participent depuis toujours à des conflits, que l'on pense au bataillon MacKenzie-Papineau ou aux Canadiens qui se sont battus avec les forces américaines au Vietnam ou à ceux qui se sont rangés du côté des factions de l'ancienne Yougoslavie, par exemple. Ces questions ne sont pas faciles à résoudre. À la base, cette question relève de la psychologie d'une personne et il est généralement difficile d'en saisir le sens.
Le sénateur Joyal : À la page 14 de votre exposé, vous semblez dire, à bout de ressources, qu'il n'est pas nécessaire de désigner une autre institution qui soit chargée d'examiner vos activités.
Ce qui me préoccupe, c'est que d'après un rapport du Sénat américain, le geste posé le 11 septembre aurait pu être évité. En fait, l'information existait, mais elle a été discartée ou les mesures qui s'imposaient n'ont pas été prises. L'une des principales conclusions du rapport est que les diverses agences américaines agissaient en vase clos. Chacune exécutait son mandat sans établir des stratégies d'information adéquates.
Je ne suis pas certain, malgré tous les examens existants, que des stratégies d'information efficaces aient été mises en œuvre. Je me demande si la proposition du ministère de la Sécurité publique en mai dernier visant l'établissement d'une forme de comité parlementaire ne permettrait pas de regrouper tous les organismes à une même table, dans la mesure où certaines conditions étaient appliquées, bien sûr.
Ne croyez-vous pas que nous en arriverions à de meilleurs résultats si nous regroupions ces organismes sous une même entité, si bien que chacun y jouerait son rôle en parallèle avec celui des autres?
M. Judd : Si j'ai donné l'impression d'être à bout de ressources, je m'en excuse. Mon propos était au contraire de rassurer les gens, comme j'ai essayé de rassurer le sénateur Andreychuk en affirmant que ce que fait le SCRS, comment il le fait, où il le fait et avec qui il le fait est examiné dans le détail.
Quant au travail en vase clos, je reconnais que c'était de toute évidence un problème aux États-Unis. En fait, l'un des problèmes aux États-Unis, c'est qu'un bien plus grand nombre d'agences assurent les services de renseignement qu'au Canada. Selon les dernières estimations, je crois qu'il y avait autour de 16 ou 17 agences du gouvernement fédéral à lui seul dans les services secrets aux États-Unis.
Quant à la mise sur pied d'un comité parlementaire sur la sécurité nationale, je ne vois pas en quoi la création d'un tel comité favoriserait le regroupement ou l'homogénéisation de tous les autres mécanismes d'examen en place, parce que des mandats, des méthodes de fonctionnement, « et cetera » ont déjà été établis à cette fin. Les comités parlementaires doivent souvent se pencher sur des questions très précises. Je crois néanmoins qu'un comité parlementaire pourrait être utile, ne serait-ce que pour mieux faire comprendre ce que nous faisons et comment nous le faisons.
Quant au travail en vase clos, la question est d'assurer qu'il y a échange d'informations. Mais cela nous confronte à un autre problème qui consiste à assurer que les échanges d'informations sont appropriés et que celles-ci sont assujetties à des mises en garde quant à leur utilisation finale. D'un côté comme de l'autre, il faut tenir compte des circonstances.
J'aimerais par ailleurs souligner que la majorité des organismes qui examinent notre travail sont, en bout de ligne, des agents du Parlement. Même le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité peut être appelé à comparaître devant le Parlement. Il a déjà comparu d'ailleurs, devant votre comité, sur des questions qui nous concernaient.
Le sénateur Joyal : À votre avis, que faudrait-il que nous fassions pour instaurer un examen parlementaire efficace?
Comment un tel comité pourrait-il fonctionner pour atteindre ses objectifs?
M. Judd : J'en ai parlé à l'ancienne présidente du comité parlementaire britannique qui n'est plus membre du Parlement. J'ai rencontré des directeurs du personnel du Sénat et de la Chambre des représentants des États-Unis à ce sujet. J'ai observé les différentes approches dans les deux pays, mais la première condition à mon point de vue, pour qu'un tel comité soit efficace, c'est que les parlementaires comprennent bien les organisations qu'elles supervisent. Ce serait certainement une condition essentielle à une telle initiative ici au Canada. Il faudrait prévoir une période d'apprentissage, étant donné que nous effectuons notre travail sans que le public comprenne vraiment ce que nous faisons. Il en va de même de la GRC. Ce serait la première condition.
Deuxièmement, un comité de parlementaires doit être disposé à prendre le temps nécessaire pour bien comprendre les opérations et les activités d'un service de sécurité et ainsi acquérir des connaissances et entretenir des discussions pertinentes sur les questions débattues.
Dans le cas du Royaume-Uni, l'ancienne présidente du comité parlementaire a dit que le comité passait environ 16 heures par semaine avec les services de sécurité. Vous voyez le temps qu'ils ont dû y consacrer.
Troisièmement, il doit y avoir une confiance mutuelle entre les agences et les parlementaires pour que les agences soient bien disposées à échanger avec le comité.
Quatrièmement, il serait peut-être indiqué que les membres du comité se rendent sur le terrain, même dans un cadre opérationnel, soit avec un membre de la GRC ou du SCRS, afin qu'ils voient en quoi consiste notre travail. Dans le cas des Forces canadiennes, de nombreux députés et sénateurs ont répondu à l'invitation des militaires et sont montés à bord de navires ou d'avions ou ils ont rencontré des forces déployées outre-mer, afin de mieux comprendre leur travail. Ce sont là quelques aspects sur lesquels un comité parlementaire pourrait être appelé à réfléchir.
Un membre du Congrès américain a soulevé un autre point. Il s'agit des inquiétudes qu'ont parfois les agences de renseignement au sujet des comités parlementaires ou du Congrès qui pourraient être à l'origine de fuites de renseignements classifiés.
En fait, d'après mes collègues américains, cela se serait produit une fois ou deux depuis la formation des premiers comités de surveillance du Congrès, mais ils soulignent qu'il est important d'assurer que la confidentialité soit respectée.
[Français]
Le sénateur Chaput : Monsieur Judd, il ne fait nul doute que votre travail est important. Il s'inscrit dans un contexte très difficile et aussi très délicat. Comme certains de mes collègues l'ont souligné, vous travaillez dans un contexte où l'on doit faire face à une idéologie endoctrinée. Il s'agit d'une pensée qui devient une croyance très forte et qui pousse les gens à se suicider pour la cause.
À la page 5 de votre présentation, vous dites que lors des deux derniers actes de terrorisme, les personnes impliquées étaient des jeunes hommes âgés entre 18 ans et 30 ans. Je trouve inquiétant le fait que tout soit si bien orchestré et que l'on fasse appel à des personnes d'un âge vulnérable, qui sont prêtes à s'impliquer dans de telles causes.
Vous effectuez les évaluations de sécurité requises par les divers ministères fédéraux. Prenons un exemple parmi tant d'autres. Dans le cas des évaluations relatives à un emploi dans un aéroport, que comprend cette évaluation de sécurité? Quels sont les facteurs qui vous amènent à scruter de plus près une personne en particulier avant de décider de son attestation de sécurité?
M. Judd : Est-ce que vous parlez du travail que nous faisons en termes de ce qu'on appelle la cote sécuritaire reliée à l'emploi?
Le sénateur Chaput : Oui.
M. Judd : On doit effectuer plusieurs vérifications dans le cas d'une personne qui désire travailler, par exemple, dans un aéroport. On procédera probablement à une vérification auprès de la Gendarmerie royale du Canada sur des questions de criminalité. En ce qui a trait au SCRS, nous examinons les antécédents de l'individu à savoir s'il a mené des activités qui vont à l'encontre de la sécurité nationale ou s'il a un lien avec un groupe quelconque ou des individus reconnus comme étant activistes dans un domaine dont l'idéologie s'apparente aujourd'hui au terrorisme. Peut-être a- t-il entretenu des liens avec un gouvernement qui s'implique dans des activités douteuses. Il peut être question des activités d'un individu, au profit d'un gouvernement, dans le domaine de l'espionnage. En d'autres mots, notre système de vérification s'applique dans le cas d'un emploi dans un aéroport ou au gouvernement fédéral, ainsi que dans les cas d'immigrants ou de réfugiés.
D'ailleurs, on retrouve dans le rapport annuel de notre Comité de surveillance des activités de renseignements de sécurité les statistiques en ce qui concerne les vérifications effectuées et les questions soulevées chez certains individus.
À vrai dire, chaque année, on ne compte que très peu de questions que nous soulevons en ce qui concerne un emploi au gouvernement, dans un aéroport ou tout autre type de travail.
Le sénateur Chaput : Il n'y a donc pas eu tellement de refus?
M. Judd : Non.
[Traduction]
Le sénateur Fraser : Monsieur Judd, j'aimerais revenir à la question du profilage racial. Je crois comprendre que vous êtes de plus en plus préoccupé par la nature nébuleuse de cette phrase.
J'aimerais parler du comportement. Le comportement dont les gens parlent s'inscrit dans un continuum de mesures. Vous nous assurez que le SCRS n'établit pas de profil racial. Aux dernières étapes du processus, je suis convaincu que c'est tout à fait exact. Le SCRS ne dit pas que tous les Arabes sont suspects et que pour cette raison seulement ils seront maintenus sous surveillance. Par contre, si vous obtenez des informations dignes de foi selon lesquels un Arabe d'environ cinq pieds et dix pouces, d'une trentaine d'années et qui a joué un rôle important au sein du groupe Al-Qaïda arrive de Paris par avion demain après-midi, vous surveilleriez les passagers à la sortie de cet avion en quête d'une personne correspondant à cette description.
C'est l'étape médiane qui soulève des inquiétudes. Sans nous fournir des informations confidentielles à propos des avions espions, par exemple, pouvez-vous nous indiquer quel matériel ou quelles instructions sont remis aux employés du SCRS pour les aider à naviguer dans cette zone nébuleuse. Cela pourrait nous aider à comprendre le SCRS et la manière dont il effectue son travail.
M. Judd : Je ne sais pas si nous pouvons faire cela. Je vais en parler à mes collègues dès mon retour et je pense bien que nous trouverons des éléments que nous pourrons fournir au comité en guise d'explication, mais je ne sais pas exactement ce que cela pourrait être.
Le sénateur Fraser : Cela pourrait être utile.
Le sénateur Andreychuk : Pour donner suite au point soulevé par le sénateur Fraser, avant et après le 11 septembre, les critiques adressées aux agences de sécurité étaient qu'elles avaient conçu des moyens pour établir des liens, mais qu'elles ne les ont pas établis. En d'autres mots, des travaux avaient été effectués sur la provenance éventuelle d'une menace à la sécurité, qu'elle provienne d'Al-Qaïda, de l'intérieur ou de l'extérieur.
Comme nous l'avons dit, nous ne savons pas d'où proviendra la prochaine menace terroriste, ni pourquoi, et nous ne le saurons peut-être jamais. À l'instar des activités criminelles, nous pouvons cibler la personne qui pourrait éventuellement commettre un crime, mais les gens refusent toute catégorisation.
Après les attentats à la bombe perpétrés dans le réseau des transports publics britanniques et face aux difficultés que semblent connaître les services de sécurité, quelles techniques et quelles stratégies utilisez-vous pour régler le problème?
M. Judd : Nous travaillons sur plusieurs fronts. En réponse à la question du sénateur Joyal, j'ai tenté de décrire ce que nous tentons de faire pour comprendre le phénomène de la radicalisation, un problème sur lequel se penchent également d'autres agences de sécurité et de services de police en Occident. Premièrement, nous comparons nos conclusions et nous consultons les informations mises à la disposition du public et les travaux traitant de ces questions dans les universités. C'est un travail en constante évolution.
Deuxièmement, nous espérons être en mesure de mieux rejoindre les gens et d'établir le dialogue avec les différentes régions du pays, afin de leur expliquer qui nous sommes et d'obtenir leur appui. Il ne s'agit pas de recruter du personnel pour des opérations en tant que telles, mais d'inciter chacun à assumer ses responsabilités en tant que citoyen. Nous espérons que les gens ordinaires seront plus enclins à rapporter des situations ou des comportements suspects, comme lorsqu'il s'agit d'appliquer les lois.
Troisièmement, nous essayons beaucoup plus que par le passé de gérer nos propres informations. L'un des problèmes auxquels les agences comme la nôtre ont été confrontées au cours des dernières années réside dans le volume d'information herculéen qu'il nous faut maintenant traiter.
Nous recevons des informations qui sont considérées comme relevant des services de renseignement. Toutefois, des gens, y compris des groupes terroristes, essaient de faire grimper le niveau d'anxiété et d'inquiétude et mettent les services de sécurité occidentaux délibérément sur de fausses pistes. Ils tentent de nous mystifier ou de nous duper. Nous essayons également de régler ce problème en assurant une meilleure gestion et en meilleure analyse de l'information.
Le sénateur Andreychuk : Croyez-vous que les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (TLET) devraient figurer sur votre liste? À la lumière de ce qui s'est produit au Sri Lanka et ailleurs, sont-ils toujours un sujet de préoccupation pour vous?
M. Judd : Ils sont encore un sujet de préoccupation. Ils figurent déjà sur une liste des Nations Unies. Ils ne figurent pas sur une liste aux termes du Code criminel.
Le sénateur Andreychuk : Devraient-ils figurer sur une liste au Canada?
M. Judd : Jusqu'à présent, le gouvernement est d'avis que les négociations en cours actuellement au Sri Lanka, après le désastre du tsunami, de même que la réhabilitation et la reconstruction sont autant de circonstances qui vont à l'encontre de leur inscription sur la liste à ce moment-ci. Néanmoins, les TLET sont toujours considérés comme un groupe terroriste.
Le sénateur Joyal : À la page 14 de votre exposé, vous dites que vous participez à la Commission d'enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar? Quelles leçons tirez-vous de cette enquête?
M. Judd : C'est une très bonne question.
Le sénateur Joyal : J'ai bien dit « leçons », et non « conclusions ».
M. Judd : Effectivement, j'ai remarqué. Je ne sais pas vraiment, étant donné que l'enquête n'est pas encore terminée et qu'elle ne le sera probablement pas avant l'an prochain. Ce fut difficile pour le service, à la fois en raison de la quantité de matériel, du temps et de l'énergie que nous avons dû y consacrer, de la documentation que nous avons dû fournir et des témoins qui ont été interrogés publiquement et à huis clos. Et ce n'est pas encore terminé.
Je vais réfléchir aux leçons que nous pourrons en tirer et vous en reparler. Elle a certainement eu des répercussions ne serait-ce que sur le traitement des recherches effectuées dans le cadre de ces enquêtes. Nous avons produit d'énormes quantités de documents et de témoignages.
Il est difficile de faire des commentaires sur une enquête en partie publique et en partie à huis clos. Je présume que bien des gens sont confrontés à la difficulté de déterminer quelles leçons ou quelles conclusions ils peuvent en tirer. Nous examinerons avec intérêt les conclusions sur les deux volets de leur mandat.
Le sénateur Joyal : Croyez-vous que le public se sente mal à l'aise, maintenant qu'il semble évident que M. Arar a été torturé? La publication de ces informations semble avoir miné la crédibilité que vous décrivez dans votre exposé. J'aimerais vous féliciter de cet effort. Je me demande si la publication de ces informations mine vos efforts et ne crée pas davantage de soupçons sur vos fonctions. Cela ne vous aidera pas à faire réaliser les objectifs valables que vous avez décrits dans votre exposé de ce matin.
Nous ne pouvons ignorer l'ensemble de votre travail. À mon avis, c'est un élément très important. Que comptez- vous faire?
M. Judd : Je crois qu'il est juste d'affirmer que c'est une conséquence malheureuse des enquêtes. C'est le gouvernement qui l'a lancée. Les enquêtes suivent leur cours. À mon sens, c'est dans l'ordre des choses que des questions soient soulevées au sujet des personnes ou des organisations qui font l'objet de cette enquête.
J'ai pleinement confiance que, lorsque les conclusions de l'enquête seront rendues publiques, elles ne confirmeront pas bon nombre des scénarios les plus défavorables au sujet des organismes gouvernementaux. Encore une fois, je pense que cette enquête indique à quel point nous devons faire davantage d'efforts face à la population. Elle illustre combien il est important de nous expliquer pour que la population comprenne mieux qui nous sommes et ce que nous faisons.
Nous devrons composer avec cette enquête et ces accusations qui ont été portées contre nous, jusqu'à ce que les conclusions viennent réfuter, je le répète, plusieurs des accusations sur ce que nous avons ou n'avons pas fait.
Le sénateur Joyal : Croyez-vous que le comité de surveillance parlementaire proposé par la ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile pourrait aider les agences de sécurité à rejoindre le public canadien et à créer une impression de mise en tutelle?
M. Judd : Ce comité de parlementaires pourrait aider les agences comme la nôtre dans la mesure où nous pourrons comparaître devant des groupes parlementaires comme celui-ci. Je pense que le terme exact est « l'autre organisation ».
Le sénateur Joyal : L'autre endroit.
M. Judd : Votre rôle sur la scène publique et à titre de représentants des différentes régions du pays nous aideront, je l'espère, dans cette tâche.
La Table ronde transculturelle sur la sécurité nationale sera très utile à cet égard. Je crois que les activités visant à rejoindre les gens que nous avons lancées indépendamment ou en collaboration avec d'autres membres et d'autres organismes qui relèvent du portefeuille de la sécurité publique aideront également.
Plus nous parviendrons à faire comprendre aux gens, y compris les parlementaires, qui nous sommes et ce que nous faisons, le mieux ce sera.
La présidente : Monsieur Judd, merci d'avoir partagé avec nous vos connaissances depuis le tout début des audiences au début du printemps.
Nous en sommes presque à la fin des audiences et nous déposerons un rapport bientôt. Nous vous remercions d'avoir été si généreux de votre temps.
M. Judd : Merci beaucoup.
La présidente: Collègues, nous allons ajourner pour une pause-déjeuner et nous reprendrons les débats à 13 h 30.
La séance est levée.