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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants


Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule 2 - Témoignages


OTTAWA, le lundi 1er novembre 2004

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui à 18 h 5 pour examiner la nécessité d'une politique de sécurité nationale au Canada et en faire rapport.

Le sénateur Colin Kenny (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Mesdames et messieurs, je suis heureux de vous accueillir au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Je m'appelle Colin Kenny, je suis sénateur de l'Ontario et je préside les travaux du comité.

À ma droite, vous apercevez le distingué sénateur Michael Forrestall, de la Nouvelle-Écosse. Avant d'être nommé au Sénat en 1990, le sénateur Forrestall a d'abord été élu comme député en 1965, puis réélu six fois. Au cours de ses mandats, il a été secrétaire parlementaire de plusieurs ministres, notamment du ministre des Transports et du ministre de l'Expansion industrielle régionale.

Au bout de la table, vous trouvez le sénateur Norm Atkins, de l'Ontario. Le sénateur Atkins a siégé au conseil d'administration de plusieurs universités et siège actuellement au comité consultatif de la Faculté des affaires à l'Université Acadia. Il est très engagé dans les œuvres caritatives ainsi qu'à l'Association canadienne du diabète.

Le sénateur Pierre Claude Nolin, du Québec, est assis à côté de lui. Le sénateur Nolin a été nommé au Sénat en 1990 et a depuis présidé le Comité spécial sur les drogues illicites. Il est présentement vice-président du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration. Il est aussi présentement président du Comité de la science et de la technologie de l'Association parlementaire Canada-OTAN.

À côté de lui se trouve le sénateur Michael Meighen, de l'Ontario. Le sénateur Meighen est un avocat de même qu'un homme d'affaires très actif dans diverses institutions caritatives et d'enseignement. Il a récemment été élu président du Sous-comité des affaires des anciens combattants.

Le sénateur John Lynch-Straunton, du Québec, est assis à côté de lui. Le sénateur Lynch-Staunton a été un homme d'affaires émérite à Montréal et était, jusqu'à tout récemment, leader de l'opposition officielle au Sénat. Avant d'être le leader au Sénat, le sénateur Lynch-Staunton était leader adjoint du gouvernement au Sénat de septembre 1991 à novembre 1993.

À mon extrême gauche se trouve le sénateur Terry Mercer, de la Nouvelle-Écosse, qui a occupé divers postes dans plusieurs institutions caritatives, notamment l'Association canadienne du diabète et l'Association pulmonaire du Canada. Il a joué un rôle très actif au sein de l'Association of Fundraising Professionals et a été président élu de la Fondation pour la philanthropie au Canada. Le sénateur Mercer a donné beaucoup de conférences sur les techniques modernes de la collecte éthique de fonds.

Le sénateur Wilfred Moore, de la Nouvelle-Écosse, est assis à côté du sénateur Mercer. Le sénateur Moore a été nommé au Sénat en 1996 après avoir été président de la Fiducie de conservation du Bluenose II, groupe de bénévoles chargé de restaurer et d'entretenir la goélette historique Bluenose II. Le sénateur Moore est également ancien membre de l'escadron de réserve de l'Aviation royale canadienne.

À côté du sénateur Moore, vous trouverez le sénateur Peter Stollery, de l'Ontario, l'un des plus anciens au Sénat. Il préside actuellement le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères qui vient de terminer récemment un examen exhaustif de l'Accord de libre-échange nord-américain et a déposé son dernier volume intitulé Mexique : L'autre partenaire au sein de l'ALENA.

À côté de lui se trouve le sénateur William Rompkey, de Terre-Neuve-et-Labrador, qui est leader adjoint du gouvernement au Sénat depuis janvier dernier. Il a occupé plusieurs autres postes au Parlement et au gouvernement, et a été notamment ministre du Revenu national, ministre d'État à la petite entreprise et au tourisme, coprésident du Comité mixte spécial sur la politique de défense du Canada et vice-président de l'Association parlementaire Canada-OTAN.

Notre comité est le premier comité sénatorial permanent ayant reçu le mandat d'étudier la sécurité et la défense. Au cours de la dernière législature, nous avons déposé plusieurs rapports, dont le premier était L'état de préparation du Canada sur les plans de la sécurité et de la défense. Cette étude, déposée en février 2002, traite des grandes questions de défense et de sécurité qui concernent notre pays.

Le Sénat a ensuite demandé à notre comité de se pencher sur la nécessité d'avoir une politique nationale de la sécurité. Nous avons jusqu'à maintenant publié cinq rapports de fond sur les divers aspects de la sécurité nationale, à savoir en premier lieu La défense de l'Amérique du Nord : une responsabilité canadienne, déposé en septembre 2002; en deuxième lieu, Pour 130 $ de plus... Mise à jour sur la crise financière des Forces canadiennes, une vue de bas en haut, déposé en novembre 2002; en troisième lieu, Le mythe de la sécurité dans les aéroports canadiens, déposé en janvier 2003; en quatrième lieu, Les côtes du Canada : les plus longues frontières mal défendues au monde, déposé en octobre 2003; et enfin, notre plus récent rapport, Les urgences nationales : Le Canada, fragile en première ligne, déposé en mars 2004.

Le comité veut examiner maintenant la politique de défense du Canada. Au cours de la prochaine année, il organisera des réunions dans toutes les provinces et consultera les Canadiens pour déterminer quels sont les intérêts du Canada comme nation, ce qu'ils considèrent comme les plus grandes menaces pour notre pays et comment ils voudraient voir notre gouvernement réagir. Le comité tentera de lancer le débat sur la sécurité nationale au Canada et de former un consensus dans la population autour de la nécessité d'avoir une politique en ce sens.

Nous accueillons ce matin en premier lieu M. Alan Williams, qui a été nommé sous-ministre adjoint (Matériels) au ministère de la Défense nationale en 1999. Il doit veiller à l'efficacité de l'acquisition du matériel au ministère de la Défense nationale et dans les Forces canadiennes.

Monsieur Williams, bienvenue au comité. Je crois savoir que vous avez une brève déclaration à faire et je vous donne la parole.

M. Alan Williams, sous-ministre adjoint (Matériel) ministère de la Défense nationale : Honorables sénateurs, merci de m'avoir invité ce soir pour prendre la parole et pour répondre à vos questions concernant nos processus d'acquisition. Laissez-moi d'abord vous expliquer en quoi consiste mon rôle au ministère de la Défense nationale. Le SMA (Matériel) agit en tant que fournisseur de services central et est l'autorité pour tout le matériel utilisé au sein des Forces canadiennes et du ministère de la Défense nationale. Les forces armées définissent leurs besoins. Le Groupe des matériels étudie ses besoins et gère l'équipement pendant toute la durée de son cycle de vie, soit à travers l'acquisition, l'entretien et le soutien, les essais et l'évaluation, le transport et l'entreposage, et enfin l'aliénation.

De plus, nous assurons la planification logistique pour les opérations militaires, y compris le transport des troupes et du matériel, tout en fournissant aux soldats un logement et en veillant à leurs besoins. Nos actifs sont évalués à environ 21,8 milliards de dollars et notre inventaire à 5,4 milliards de dollars. Nous dépensons environ 1,5 milliard de dollars pour l'acquisition de nouveaux actifs et un montant semblable pour maintenir ces actifs.

Permettez-moi d'aborder une question qui fait l'objet d'un malentendu. De façon générale, on croit que les coûts d'entretien des nouveaux équipements sont inférieurs aux coûts d'entretien d'équipements qui ne sont pas neufs. En fait, c'est l'inverse qui se produit, car les coûts des nouveaux équipements doublent ou triplent par rapport aux équipements anciens. Sur le plan technologique, ces équipements sont beaucoup plus complexes et requièrent un entretien et des mises à jour sur leurs logiciels d'avant-garde.

[Français]

Environ 4 000 hommes et femmes, militaires et civils, travaillent au sein du Groupe des Matériels. Tous ces ingénieurs, gestionnaires de projets, agents d'approvisionnement et autres ont le mandat d'acheter de l'équipement, des produits et des services pour les forces armées à un prix satisfaisant pour les contribuables. Ils s'acquittent de leurs tâches avec une énergie surprenante tout en faisant preuve d'enthousiasme et d'excellence dans leur travail et en maintenant un niveau d'éthique élevé — un code de gestion et un système de valeurs que nous appelons « E au cube plus un ».

[Traduction]

L'acquisition d'équipement militaire est une entreprise gigantesque en soi. Ainsi, durant l'exercice 2003-2004, plus de 18 000 nouveaux contrats et modifications de contrats ont été octroyés à plus de 6 000 fournisseurs et sont évalués à plus de 4,8 milliards de dollars.

Le processus d'approvisionnement au MDN est très complexe. Au cours des 10 dernières années, les réformes en matière d'acquisition ont simplifié le processus d'acquisition; en effet, les processus sont davantage axés sur les pratiques commerciales et ressemblent à celles-ci. Le nombre de contrats et de fournisseurs a diminué lorsque le ministère a conclu des accords généraux à long terme. Toutefois, malgré les réformes que nous avons apportées, certaines acquisitions en matière de défense seront toujours très complexes, contrairement à l'entreprise privée.

Enfin, au MDN, nous nous efforçons de faire des achats en employant un processus ouvert et transparent, contrairement aux pratiques dans le commerce. Le processus d'acquisition doit être en mesure d'être soumis à un examen minutieux des médias, du public et d'entreprises privées canadiennes et étrangères. Ce processus doit respecter les dispositions contenues dans les accords commerciaux canadiens et internationaux; au Canada, cela se traduit habituellement par un processus d'appel d'offres. Enfin, le processus d'acquisition doit faire l'objet d'une évaluation indépendante par le Tribunal canadien du commerce extérieur, la Cour fédérale et le Bureau du vérificateur général du Canada.

Cela dit, le processus d'acquisition militaire est une activité énorme à gérer, complexe et transparente. Si nous voulons améliorer les choses, nous devons être en mesure de changer notre façon de faire des affaires et notre culture d'entreprise. Pour nous guider dans les changements qui sont requis à même notre organisation, nous avons élaboré un cadre stratégique que nous avons appelé « Bien faire les choses ». « Bien faire les choses » veut dire obtenir les bonnes marchandises et les bons services au bon moment, à bon prix, tout en offrant un bon soutien et en appliquant les bonnes règles, et en faisant appel aux bonnes personnes.

Bien faire les choses regroupe trois volets. Le premier volet, c'est le recours aux effectifs de l'industrie et des alliés afin de partager les connaissances spécialisées et de réaliser des économies d'échelle. Le fait de travailler avec nos partenaires internationaux peut nous aider à réduire de façon significative les délais en matière d'acquisition. Par exemple, le ministère a récemment été sollicité pour fournir des capacités d'opérations de ravitaillement en vol. Nous savions que nos homologues allemands avaient amorcé une initiative en ce sens et au lieu de réinventer la roue, nous avons signé un protocole d'entente avec l'Allemagne pour que les modifications requises sur nos avions soient apportées en Allemagne à même leur chaîne de production. Nous avons ainsi réduit de trois ans les délais d'exécution tout en épargnant aux contribuables canadiens plus de 50 millions de dollars. Aujourd'hui, notre façon normale de faire des affaires est de tenter d'établir une collaboration avec nos alliés en vue de simplifier le processus d'acquisition et de réaliser des économies.

[Français]

Le secteur privé contribue également à « Bien faire les choses ». Je pense ne pas me tromper quand je dis que les relations entre le secteur privé et le ministère de la Défense nationale sont plus étroites depuis ces dernières années. Nous nous rencontrons plus souvent, nous parlons plus ouvertement et apprenons davantage des uns et des autres. Je rencontre souvent les chefs d'entreprise et je participe fréquemment aux forums de l'industrie. J'ai créé un comité consultatif de l'industrie de la défense qui inclut des représentants du gouvernement, du secteur privé et du monde universitaire qui se réunissent périodiquement pour échanger des points de vue sur le matériel et l'industrie. Nous avons franchi une étape importante dans la voie de la communication avec le secteur privé, en donnant aux divers représentants la possibilité de soulever des questions et de nous conseiller sur des enjeux d'intérêt commun.

[Traduction]

Au ministère, sous l'autorité du vice-chef d'état-major de la Défense, nous avons mis en œuvre un plan d'investissement en capacité stratégique qui s'étend sur 15 ans. C'est un excellent document de planification qui nous permet de mieux planifier et de mieux gérer nos dépenses en immobilisations. En plus, en offrant au secteur privé la possibilité de connaître nos plans, ils sont plus à même d'être en mesure de répondre à leurs besoins.

La relation entre la Défense et l'industrie a amorcé un tournant important dernièrement. Nous fournissons au secteur privé les versions provisoires des demandes de propositions. De leur côté, les représentants du secteur privé adressent leurs suggestions au ministère avant la dernière mise au point de manière à les incorporer à la version finale de la demande de propositions. Cela s'est passé de cette façon pour notre contrat récent dans le cadre du projet des hélicoptères maritimes. Nous avons eu des centaines d'heures de consultation avec l'industrie lorsque la version provisoire de la demande de propositions a été diffusée. Ces consultations ont permis d'apporter 400 changements à la version finale de la demande de propositions des hélicoptères. Aucun de ces changements, et ceci est capital, n'a modifié l'énoncé des besoins des militaires.

Le second volet de « Bien faire les choses » consiste à mettre en application les meilleures pratiques. Laissez-moi discuter brièvement de quatre exemples.

Le premier exemple, c'est celui de l'acquisition globale où nous regroupons ensemble l'acquisition initiale au soutien à long terme. En agissant de la sorte, nous sommes capables de faire porter la responsabilité de l'ensemble des coûts des cycles de vie du système d'arme par le fournisseur.

Le deuxième exemple, c'est que nous suivrons en tant que politique générale la méthode qui consiste à évaluer le soumissionnaire conforme qui offre le prix le plus bas. Cela veut dire que, pour que les soumissionnaires soient gagnants, ils doivent d'abord répondre à nos critères obligatoires. Parmi les soumissionnaires qui répondent à nos critères obligatoires, celui qui sera sélectionné sera celui qui offre le coût le plus bas. Cette méthode est celle qui permet de tirer le meilleur parti de notre budget. Vous obtenez le meilleur rapport qualité-prix quand vous réduisez au minimum le coût du cycle de vie et que vous achetez uniquement ce dont vous avez besoin. C'est cette méthode que nous avons suivie lorsque nous avons fait l'acquisition de nos nouveaux hélicoptères maritimes et c'est une méthode que nous aimerions reprendre à l'avenir.

Le troisième exemple, c'est la gestion optimisée des systèmes d'armes (GOSA). L'entretien de l'équipement se faisait habituellement par le biais de centaines de petits contrats d'une durée de 2 à 3 ans. En vertu de la GOSA, nous regroupons les besoins en quelques contrats, souvent pas plus de deux ou trois, pour des durées de 10 ans ou plus. Travailler de cette façon fait épargner à la Couronne des frais d'administration importants et incite le secteur privé à investir dans le programme puisqu'il y a beaucoup plus d'argent et que la période de récupération est plus longue.

Les exemples de ces accords de soutien optimisé incluent Air Canada qui fournit des pièces et des services d'entretien à la plate-forme Airbus; Bell Textron qui gère l'inventaire des pièces pour l'hélicoptère Griffon, laissant un minimum d'équipement dans les inventaires des escadres, et le fournisseur qui assure un service à l'interne à nos navires de défense côtière. Chacun de ces contrats qui sont basés sur le rendement s'appuie sur les meilleures pratiques commerciales et comprend des mesures d'incitation visant la réduction des coûts.

Comme dernière exemple de nos meilleures pratiques, je citerai l'achat d'équipement disponible sur le marché. En évitant les biens en phase de mise au point, nous réduisons les risques, nous gagnons du temps et nous économisons. Ainsi, nous pouvons acheter très rapidement des véhicules aériens sans pilote sur le marché pour répondre aux menaces et aux besoins changeants. Nous avons acquis le véhicule aérien télépiloté (UAV) français Sperwer afin d'appuyer l'opération Athena en Afghanistan. Nous avons également acquis le mini-véhicule aérien télépiloté américain United States Silver Fox et nous nous en servons dans le cadre d'essais faits à l'échelle des Forces canadiennes. Cela permettra à la Marine, à l'Armée et à l'Aviation canadiennes, de même qu'à l'Organisation de recherche et développement de la défense au Canada d'accroître leur compréhension de l'utilisation éventuelle des véhicules aériens télépilotés dans les champs de bataille modernes.

L'objectif final de « Bien faire les choses », c'est d'améliorer la structure et la gestion des contrats. Les initiatives dans ce domaine comprennent la conception de contrats comportant des incitatifs et des pénalités, l'accent mis sur les critères de rendement plutôt que sur les spécifications détaillées, et la mise en place de clauses de sortie.

[Français]

La motivation principale derrière ces changements venait du besoin d'accélérer le processus d'acquisition. Il y a quelques années, nous avons mené une étude qui a démontré que les projets d'acquisition d'équipement prenaient environ 16 ans pour passer de l'étape du concept à celle de la fin du projet. Ces délais sont totalement inacceptables, surtout lorsqu'on tient compte de la vitesse à laquelle surviennent les progrès technologiques. Nous nous sommes engagés à réduire le temps d'acquisition d'au moins 30 p. 100, et à long terme de 50 p. 100, par le biais de toute une gamme d'initiatives. Par exemple, sur ces 16 années, environ neuf d'entre elles étaient utilisées pour que les Forces armées puissent définir leurs besoins et pour que mon organisation, avec l'appui le ministère des Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, et de Industrie Canada, puisse mener le processus d'acquisition menant à la signature du contrat.

[Traduction]

Il y a un an, le vice-chef d'état-major à la Défense et moi avons convenu que nous pourrions faire passer de neuf à quatre ans la période de temps requise — deux années pour définir les exigences et deux années afin de réaliser les spécifications et octroyer le contrat. Par conséquent, nous avons mis en place de nouvelles normes en ce sens.

Nous nous attendons ensuite à ce qu'en nous concentrant, comme je l'ai mentionné plus tôt, sur l'équipement commercial et militaire offert sur le marché, nous puissions réduire le temps de livraison de nos fournisseurs.

Enfin, nous avons également réduit le temps passé sur le processus final de l'acquisition. Nous avons récemment introduit un nouveau jalon de gestion de projet appelé la clôture efficace de projets. Nous avions l'habitude d'avoir en cours une douzaine de projets auxquels se consacraient des bureaux de projets et du personnel dévoué et ce, bien après que l'équipement fut livré, accepté et mis en service. Cela pouvait durer 5, 7 ou même 10 ans. Les questions à régler étaient en général plutôt mineures, du moins du point de vue de la gestion de projet : attendre la traduction de documents ou attendre les factures américaines de vente à l'étranger. Le gestionnaire de projet peut maintenant attester qu'un projet est réellement terminé, en effectuer la clôture et transférer les derniers détails mineurs à l'organisation de soutien à l'interne.

Tous les changements dont je viens de vous parler n'ont qu'un seul but — rendre le processus d'acquisition militaire plus rapide et plus rentable. Nos efforts communs feront en sorte que les contribuables canadiens en auront pour leur argent et que les hommes et les femmes oeuvrant au sein de nos forces armées obtiendront l'équipement et les services dont ils ont besoin afin de bien faire leur travail.

Merci, monsieur le président.

Le sénateur Forrestall : Si on pouvait se débarrasser de l'aspect politique en cours de route, vous pourriez même gagner encore cinq ou six ans.

J'ai une ou deux questions précises à vous poser. D'abord, je voudrais aborder la question du remplacement des hélicoptères maritimes. Ensuite, j'aimerais en savoir un petit peu plus au sujet de l'affaire qui est sub judice et la décision qu'a apparemment prise le gouvernement d'aller de l'avant. Pourriez-vous nous parler des risques que cela comporte. Enfin, j'aurais une ou deux questions au sujet de la modernisation de l'avion Aurora et des CF-18.

Où en est le projet des hélicoptères maritimes et, en particulier, quand peut-on s'attendre à ce qu'un contrat soit signé? Et quand les Forces canadiennes pourraient-elles voir les Sea King remplacés par le nouvel hélicoptère maritime? Quels risques présentent pour vous le fait que l'affaire soit devant les tribunaux?

M. Alan Williams : En juillet dernier, nous avons terminé notre évaluation et déclaré que Sikorsky avait gagné l'appel d'offres. Depuis, nos collègues de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada et nous-mêmes sommes à pied d'œuvre pour mettre le point final au contrat.

Dans la demande de propositions, nous exigeons du soumissionnaire retenu qu'il puisse produire les premiers hélicoptères quatre ans après avoir signé le contrat. Si nous devions signer ce contrat plus tard cet autonome, nous nous attendrions à ce que les premiers hélicoptères nous soient livrés dans quatre ans, et un par mois en moyenne par la suite.

Comme l'affaire est devant les tribunaux, je ne puis vous en dire beaucoup plus. Nous sommes sûrs de notre position, mais nous laisserons les tribunaux trancher et continuerons de faire notre travail entre-temps.

Le sénateur Forrestall : Quel serait le pire scénario, si les tribunaux n'étaient pas de votre avis?

M. Williams : Je ne sais pas quel pourrait être le pire scénario. Nous partons de l'hypothèse que nous avons fait tout ce qu'il fallait faire. Nous voudrions que le contrat soit signé et que l'équipement parvienne à nos soldats le plus rapidement possible.

Le sénateur Forrestall : De l'équipement qui, dans d'autres circonstances, aurait pu faire l'objet d'un processus d'appel d'offres. S'il devait y avoir du retard, serait-il raisonnable de faire une nouvelle adjudication?

M. Williams : Franchement, j'ai confiance en ce que nous avons fait. Je n'ose spéculer sur ce qui pourrait se produire, car il y a toutes sortes de scénarios. Je répète que, à notre avis, nous avons agi équitablement, ouvertement et avec transparence.

Le sénateur Forrestall : Monsieur Williams, le financement des immobilisations du PSIC s'élève à environ 1,6 milliard de dollars pour le présent exercice et il est censé passer à 1,77 milliard. A-t-on prévu des fonds pour le projet des hélicoptères maritimes?

M. Williams : Certes. Notre plan de financement des immobilisations sur 15 ans prévoit des fonds pour les hélicoptères maritimes.

Le sénateur Forrestall : Mais quel est le lien avec les quatre ans dont vous avez parlé? Quand allons-nous commencer à payer pour cet équipement?

M. Williams : La plupart des paiements pour les hélicoptères maritimes — mais pas la totalité d'entre eux — commenceront à livraison de ceux-ci. Bien sûr, il y a eu des coûts initiaux à la signature du contrat pour permettre à la compagnie de démarrer, mais la grande majorité des paiements est prévue à la livraison de l'équipement.

Le sénateur Forrestall : Pouvez-vous nous dire pourquoi les Forces canadiennes procèdent à la modernisation de seulement seize des avions Aurora? Ne devrions-nous pas moderniser tous ces appareils, vu l'insuffisance des vols de surveillance des Aurora.

Pouvez-vous nous dire aussi pourquoi les Forces canadiennes ne modernisent que 80 chasseurs CF-18? Après tout, depuis le 11 septembre, on a des besoins accrus en matière de capacité et de temps d'utilisation.

Pouvez-vous nous dire où en est rendu le projet d'aéronef de recherche et de sauvetage à voilure fixe? Je crois savoir que le processus d'approbation n'est pas terminé. Quels en sont les éléments principaux?

M. Williams : Pour ce qui est du nombre d'aéronefs que nous modernisons — à la fois pour les CF-18 et pour les Aurora — je dois me conformer à ce que me demandent les forces armées. Ce sont elles qui définissent leurs besoins et le nombre d'aéronefs dont elles auront besoin pour accomplir leur mission. Il vaudrait sans doute mieux que vous leur demandiez à elles d'expliquer pourquoi elles nous ont demandé de moderniser ce nombre d'appareils et pas plus.

Pour ce qui est du projet d'aéronef de recherche et de sauvetage à voilure fixe, les forces armées — et particulièrement l'aviation — sont à mettre le point final à leurs besoins, pour qu'ils soient parfaitement clairs. Une fois cela fait, la demande sera envoyée au conseil des ministres et si celui-ci l'approuve, elle nous reviendra au ministère. Je devrai alors prendre les mesures voulues pour acquérir le type d'appareil dont l'aviation dit avoir besoin.

Le président : Monsieur Williams, à vous entendre, on a l'impression que les forces armées viennent vous voir et vous demandent 16 avions Aurora cette année ou 18 CF-18. Mais c'est beaucoup plus complexe que cela, n'est-ce pas?

M. Williams : En effet, toute la démarche est très complexe. Mais pour ce qui est du nombre, ce sont les forces armées qui me disent combien d'appareils doivent être modernisés. Dans le cas des projets multiples, on parle de programmes de multi milliards de dollars. Or, chaque projet est élaboré de façon à s'harmoniser le mieux possible aux composantes particulières des programmes. Mais dans la plupart des cas, cela va chercher dans les milliards de dollars; ce ne sont pas des simples petits programmes. Ce sont des programmes complexes dont chacune des subdivisions est tout aussi complexe.

Le président : Pour le bénéfice du comité, pourriez-vous expliquer de façon générale comment cela se passe pour les CF-18? Est-ce que le commandant de la force aérienne se fait dire que son budget est fixe et que s'il a besoin de s'offrir autre chose, il devra réduire le nombre de CF-18 à moderniser? Prend-il ces décisions en sachant que si ce n'est pas ce qu'il décide, son budget sera comprimé dans un autre secteur?

M. Williams : Le Parlement nous alloue des fonds qui doivent être utilisés en ressources humaines, en immobilisations, en infrastructures et en services de maintien de nos immobilisations. Au ministère, on discute toujours de la question et notre vice-chef et d'autres dirigeants nous disent combien d'argent il faut mettre de côté pour chaque composante. Une fois cela fait, chaque secteur des forces armées doit établir ses besoins en ordre de priorité, en tenant compte de ce qu'il leur faut et de l'enveloppe budgétaire mise de côté pour les 15 prochaines années. C'est ainsi que nous avons préparé notre plan d'investissement stratégique sur 15 ans. Les forces armées ont établi ensemble leurs besoins en fonction des fonds qui leur avaient été alloués pour les prochaines années, et elles ont préparé un plan leur permettant de respecter leurs priorités en fonction des sommes disponibles.

Une fois que les fonds sont inscrits à notre budget, nous n'avons pas pour autant le feu vert. Selon qu'il s'agisse de tel ou tel programme, nous avons parfois besoin de demander l'approbation du conseil des ministres ou du Conseil du Trésor dès le départ, c'est-à-dire avant de commencer à puiser dans le budget pour entreprendre un projet donné en fonction de critères donnés.

Le sénateur Forrestall : Mais justement, qui fait la compression? Est-ce le vice-chef de l'état-major et ses adjoints immédiats? Si je pose la question, c'est parce qu'il y a un problème. Le premier exemple qui me vient à l'esprit, c'est celui du programme de remplacement ou de recomplètement. Le programme Aurora ne pourrait-il pas être reporté de deux ou trois ans jusqu'à ce qu'on ait le budget suffisant? Je n'aime pas faire des hypothèses, mais si c'était le cas, qui prendrait la décision?

M. Williams : Au ministère, nous, nous sommes chargés d'utiliser de façon optimale les fonds qui nous sont alloués, rien de plus. Les réaffectations de ressources financières doivent rester conformes à notre budget. Le pire qui puisse nous arriver, ce serait de le dépasser; nous devons respecter le budget alloué, ce qui exige de notre part que nous gérions de façon très sérieuse et rigoureuse les fonds. Comme nos programmes sont complexes, longs et ont beaucoup d'envergure, les glissements dans le budget sont fréquents. Il nous faut donc avoir des plans d'appoint qui nous permettent de faire des réaffectations de fonds, une fois que l'argent est injecté dans un projet. C'est ce que nous faisons constamment, et cette démarche nous permet de respecter les affectations de crédits du Parlement.

Quant aux Aurora, le projet en est à ses dernières étapes de mise en œuvre. Dans le cas des Aurora comme pour beaucoup d'autres projets, il serait improbable que nous déposions nos outils et que nous réaffections les fonds à d'autres secteurs. Quand l'acquisition est déjà en voie d'exécution, il faut peser le pour et le contre avant de prendre une décision en ce sens, car on a déjà dépensé pas mal d'argent. Il serait donc improbable que l'on agisse ainsi : on essaie dès le départ de cerner les tenants et les aboutissants des projets et de prévoir les fonds en conséquence.

Le sénateur Mercer : Bienvenue au comité, monsieur Williams. Je ne sais trop que penser d'une des choses que vous avez dites. Vous avez affirmé qu'il faut 16 ans en moyenne dans les achats publics pour qu'un projet passe du concept à la réalité. Mais vous avez également affirmé vouloir adopter un échéancier de quatre ans sur lequel vous-même et le vice-chef de l'état-major vous seriez entendus. À vrai dire, cela me semble très improbable. Vous avez parlé de réduire le délai entre le moment où la décision est prise et le moment de la livraison, et vous êtes en train de fermer des boîtes chez vous. Mais l'histoire nous apprend que ce que vous projetez de faire se concrétise rarement. Vous, votre ministère, le gouvernement et les Forces canadiennes foncez droit vers l'échec et le ridicule, car vous ne pourrez pas respecter vos objectifs.

M. Williams : Je me réjouis que vous ne m'ayez pas cru, car je ne savais pas au juste ce que vous aviez compris. Les neuf premières années des 16 ans dont j'ai parlés correspondent habituellement au temps qu'il nous a fallu pour obtenir un contrat. C'est cette première période de neuf ans que je voudrais réduire à quatre.

Nous pensons pouvoir le faire des façons que je viens de décrire. Nous n'avons pas besoin de prendre tout le temps que nous avons pris pour définir nos exigences. En effet, nos exigences ne sont pas si différentes de celles des autres pays, dont nous pouvons nous inspirer. Notre approche exige deux ans pour définir les exigences. Une fois cela fait, nous pensons être en mesure de convertir ces exigences en spécifications et de travailler de manière constructive avec l'industrie et, somme toute, apporter les touches finales au contrat en l'espace de deux ans environ. Voilà donc la norme à laquelle nous souscrivons, mais nous n'allons probablement pas y arriver à chaque fois et en tout temps.

S'agissant du changement de culture, il est important d'amener notre organisation — c'est-à-dire les gens qui la constituent — à comprendre que nous escomptons faire les choses autrement. Nous ne voulons plus que les choses prennent aussi longtemps qu'auparavant. Si on ne peut satisfaire au critère des quatre ans, nous ne dirons pas non. Cela étant, on doit obtenir une approbation spéciale si l'on sait que le projet risque de prendre plus de temps.

Nous prévoyons des exceptions, mais il faut comprendre que le monde est en train de changer. Nous ne pouvons plus nous permettre les délais d'autrefois pour faire parvenir l'équipement à nos hommes et à nos femmes. C'est inadmissible. L'équipement doit être livré. Comme nous ne sommes pas engagés dans des projets de développement, le temps nécessaire pour produire l'équipement sera, je l'espère, plus court. Cela resserra les choses quelque peu.

Pour ce qui est de l'aval, nous ne devons plus permettre aux projets de perdurer indéfiniment. Si nous en sommes à 80 ou 85 p. 100 de la fin d'un projet, que l'on ferme le bureau chargé du projet et que l'on économise des années. On gagnerait ainsi généralement trois ou quatre ans. Que l'on ferme le bureau, que l'on recense les questions qui restent en suspens et que l'on laisse le reste de l'organisation s'occuper du cours normal des choses.

Le sénateur Mercer : Vous réduisez les neuf premières années à quatre années. Cela laisserait sept ans sur les 16, mais comptez-vous réduire les années de cela aussi? Quel est le vrai nombre d'années?

M. Alan Williams : Nous ciblons une réduction de 30 p. 100. Cela représente grosso modo cinq ans.

Le sénateur Mercer : Il resterait alors 11 années.

M. Williams : C'est bien cela, on passerait de 16 à 11 ans. Nous devons trouver des moyens de le faire plus vite. J'ai établi un objectif pour tenter de réduire la durée de moitié. Si c'est la moitié du temps, il sera alors question de huit à neuf ans. Ce ne serait pas surprenant, car la passation d'un contrat prend quatre ans, et nombre de nos programmes prennent quatre ou cinq ans avant d'aboutir. Voilà grosso modo ce que nous ciblons.

Le sénateur Mercer : Ceux qui comme moi sont autour de la table sont carrément dans la brume. Pourriez-vous éclairer notre lanterne et nous dire comment vous faites passer votre message. Si vous annoncez l'objectif des quatre ans, les gens ne vous prendrons pas au sérieux. Par contre, s'il est question de 11 ans, vous devriez alors vous en tenir à ce nombre d'années.

M. Williams : Les quatre années ont été signifiées par écrit par le vice-chef et par moi-même. C'est ce à quoi nous nous employons. Le calendrier de livraison dépendra du produit en question. Il se peut qu'il faille ajouter 3, 4, ou 5 ans. Le dossier pourrait être clos beaucoup plus vite.

Nous voulons que les gens aspirent à l'amélioration. Nous voulons un changement de culture. Je ne veux pas de cible de 11 ans si c'est plus long que ce dont nous avons besoin. Nous allons passer en revue tous les programmes et obliger les équipes chargées de projets de nous donner leur meilleure estimation de la manière dont nous pouvons raccourcir les délais, dans la mesure du possible.

Le sénateur Mercer : Si vous tentez de faire rentrer un carré dans un cercle, je crains que vous condamniez votre ministère, tant votre volet que le volet militaire, à une spirale de frustration continuelle, pire que c'est le cas actuellement. Vous devez être plus réaliste. Cela dit, il ne fait aucun doute que nous voulons tous raccourcir les délais.

M. Williams : Nous n'imposons aucun nombre d'années à l'équipe chargée des projets. Voici ce que nous avons dit aux membres de l'équipe : « Voici comment nous voulons que vous remaniez et repensiez un projet. Vous ne faites pas nécessairement les choses aujourd'hui de la même manière que vous les avez faites hier et avant-hier. Tâchez de trouver une nouvelle façon de faire, puis venez nous proposer des échéanciers. Nous allons les examiner, tout en gardant à l'esprit l'ampleur de ce nous vous proposons. » Nous n'imposons pas d'échéancier aux membres de l'équipe, mais tentons simplement d'établir un nouveau jalon ou une nouvelle norme à respecter. S'ils peuvent nous convaincre que le projet n'est pas possible en quatre ans, parce que trop complexe, nous n'allons leur refuser la demande. Nous écouterons attentivement, et si nous estimons qu'ils ont raison, nous dirons : « D'accord, vous avez le feu vert. »

Nous tenterons d'opérer un changement de culture. Comme vous le savez, dans n'importe quel domaine, que ce soit le secteur privé ou le secteur public, c'est quelque chose de très difficile à faire. De notre part, nous tentons de promouvoir de nouvelles façons de penser et récompensons les gens qui pensent autrement. Le ravitaillement en vol est un exemple qui illustre une excellente façon de réduire le temps de six à trois ans au moins. Nous y sommes parvenus, parce que les gens ne s'y sont pas pris de la vieille méthode. Nous avons regardé autour et nous avons trouvé quelqu'un capable de réduire le délai.

Dans d'autres cas, nous trouverons différentes façons de faire les choses en collaborant ou en court-circuitant les choses. Nous devons repenser les choses, les remanier, car autrement, nous ne réussirons pas à opérer le genre de changement que tout le monde nous demande. Je n'ai pas senti de résistance de la part du personnel. Il n'y a pas eu de tollé. Les gens aiment qu'on leur donne les moyens et qu'on reconnaisse leur innovation et leur créativité. J'espère que nous pourrons faire fond sur ce genre de réussite.

Le sénateur Moore : Merci d'être ici, monsieur Williams. Je voudrais vous interroger sur les navires de soutien interarmées. Je présume que ce serait des navires qui remplaceraient le NCSM Protecteur et le NCSM Preserver. Le Canada a construit ces navires, et cela fait des années que nous utilisons ce type de navire. Je présume que le MDN, le personnel compétent au sein de la marine, constituerait un dossier sur la performance des navires actuels et sur les capacités souhaitées des nouveaux navires. Vous ne partez pas de zéro dans ce cas-ci. Où en est ce projet pour ce qui est de la conception et de la démarche? Est-ce qu'il reste encore des années avant que les navires ne soient opérationnels?

M. Williams : Nous sommes en amont du processus. L'armée nous a fait part de ses attentes par rapport à ces navires et à leur capacité. Nous avons tenu de nombreuses discussions avec l'industrie, et nos attentes à ce sujet sont bien connues. En toute franchise, nous attendons que les représentants de l'industrie nous disent si nos approches et méthodes se tiennent et s'il y a des moyens de simplifier le processus ou de faire les choses de manière plus intelligente, plus efficace ou plus rapide. Une fois que nous aurons eu leur rétroaction, nous serons en meilleure position pour déterminer la meilleure façon de faire.

D'une manière générale, je m'attends à ce qu'il y ait un processus de préqualification durant lequel nous recenserons les consortiums capables de concevoir et de construire le navire que nous voulons. Nous donnerons probablement au consortium industriel l'occasion de faire des soumissions. Nous retiendrons une soumission, et le candidat retenu construira les navires qu'il s'engagera à construire. Voilà les modalités générales. Je suis impatient d'entendre la rétroaction de l'industrie, d'autant que j'ai entendu dire qu'on serait capable de faire les choses encore plus vite. J'ai bien indiqué que j'attendrai impatiemment pour savoir comment on entend faire les choses plus vite.

Le sénateur Moore : Votre calendrier du concept-au-lancement s'étale sur combien d'années?

M. Williams : Typiquement, en suivant les phases que j'ai évoquées, à supposer qu'il n'y a pas de problèmes, il s'étalerait sur trois ans ou plus. Puis, la production réelle commencerait probablement vers 2009-2010 et se poursuivrait jusqu'à 2015 avant que le produit ne soit livrable. C'est ce que j'imagine.

Le sénateur Moore : La construction commencerait en 2009-2010.

M. Williams : Oui, et il faudrait probablement attendre 2015-2016 avant la livraison des navires. C'est une estimation de ma part. Si les gens de l'industrie nous reviennent avec des options novatrices qui nous permettraient de faire les choses plus vite, ou encore s'ils nous disent que c'est trop rapide et qu'il faudrait prévoir plus de temps, nous tiendrions alors compte de ces facteurs dans nos calculs.

Le sénateur Moore : Pourquoi cela prendrait-il aussi longtemps? Nous savions que la durée de vie utile des autres navires tirait vers sa fin. Pourquoi ne procéderait-on pas dans le même temps à une identification des capacités souhaitées, en s'adressant à des consortiums différents, ou à quiconque serait en mesure de construire les composantes des navires ou les navires comme tels? Pourquoi ne pas faire les choses en parallèle? Il me semble que cela sape les fondements de votre théorie du « Bien faire les choses ». Voilà que vous parlez maintenant de 2015-2016, alors que cela fait des années que nous construisons et que nous utilisons des navires.

M. Williams : Cela me ramène à mon propos initial. Typiquement, l'armée essaie de passer en revue toutes ses priorités et de les planifier. En l'occurrence, en examinant les priorités et la disponibilité de l'équipement existant et son utilisation ainsi que tout autre équipement nécessitant un remplacement ou une remise à niveau plus tôt que plus tard, c'est là qu'interviennent la liste des priorités d'une part, et le financement disponible, d'autre part.

Le sénateur Moore : Êtes-vous en train de dire au comité que vous ne levez pas le petit doigt pour ouvrir un dossier concernant le remplacement d'un navire jusqu'à ce que tout le financement soit en place pour la durée totale du projet, c'est-à-dire de la conception à la construction à la maintenance?

M. Williams : Ce que je vous dis, c'est que le financement n'a pas nécessairement été approuvé pour ce programme, pas encore. Nous l'avons inscrit à notre profil de financement de projet futur. La question est de savoir quand nous allons nous y mettre. Nous y travaillons actuellement, même si nous n'avons pas nécessairement reçu toutes les approbations du Conseil du Trésor.

Nos ressources sont limitées. Les gens doivent s'attaquer aux programmes immédiats, et ceux qui s'affairent sur certains programmes ne peuvent travailler à d'autres. On ajoute à cela les facteurs financiers et humains, puis nous établissons une priorité des choses sur lesquelles nous devons travailler pendant une année donnée. Quand on pense à toutes nos priorités et à nos effectifs, tant le côté militaire que civil, vous comprendrez qu'à chaque programme, nous réservons un créneau. Certains programmes doivent être exécutés aujourd'hui, tandis que d'autres doivent être relégués au second plan. Priorité oblige, différents programmes ont dû être mis de côté. En l'occurrence, le moment est venu pour que ce programme fasse l'objet du genre d'examen dont nous vous avons parlé.

Le sénateur Moore : Je suis abasourdi par le temps que cela exige. Nous en avons besoin hier. Nous savions quand les navires actuels allaient commencer à être désaffectés. Ils étaient là à ne rien faire dans le port d'Halifax. Nous savions que ce jour allait arriver. Quelqu'un autour de la table n'a-t-il pas dit il y a quatre ou cinq ans : « Nous devons commencer à planifier en conséquence »?

M. Williams : Le problème n'est pas que les gens n'étaient pas au courant. Nous continuons d'utiliser un certain nombre de nos navires qui ont été remis en état. Ceux-ci continueront d'être opérationnels, et nous continuerons de nous en servir jusqu'à ce qu'ils soient remplacés. Aurait-il été préférable de le faire plus tôt? Probablement, mais si nous l'avions fait plus tôt, nous n'aurions pas pu faire autre chose. Ce n'est pas une question de pouvoir tout faire en même temps. Nous devons être en mesure de prendre des décisions prioritaires qui sont critiques. L'armée prend ses décisions en fonction de ce qu'elle considère, collectivement, comme étant une priorité numéro un, numéro deux, numéro trois, numéro quatre et numéro cinq. C'est ainsi qu'on procède, et l'échéancier, nous l'espérons, nous permettra de satisfaire aux exigences.

Le président : La question qui n'a pas été posée est la suivante : Pourquoi acquérir ces navires? Comment se fait-il qu'aucun autre pays du monde ne possède ce genre de navire? Pourquoi le Canada a-t-il besoin de concevoir un navire qui lui est unique? Compte tenu des pressions budgétaires et du nombre de choses qui manquent à notre armée, pourquoi concevoir même un navire dont aucune autre marine au monde ne semble avoir besoin?

M. Williams : Il y a deux facteurs qui entrent en ligne de compte. Le premier se rapporte aux responsabilités des forces armées. C'est à moi de quantifier les risques associés à cette phase de conception. Il est vrai que nous n'en sommes qu'au début, mais d'après les réactions du secteur concerné, les risques n'ont pas l'air d'être démesurés. Mais la situation risque de changer. On ne m'a pas fait de commentaires directs. J'ai simplement rencontré des représentants de sociétés qui m'ont montré des plans. Nos exigences n'avaient pas l'air des les perturber. Mais nous en sommes toujours aux premières étapes et s'il s'avère que les risques sont effectivement très élevés, il faudra déterminer si l'évolution des coûts et le report des échéances justifient un réexamen, ce qui sera fait dans le cadre de notre collaboration avec les représentants de l'industrie, en tenant compte de leur rétroaction.

Le président : N'est-il pas possible d'en acheter un déjà tout fait? N'en existe-t-il pas ailleurs? Et si oui, pourquoi n'en commandions-nous pas un?

M. Williams : En raison des exigences particulières de la marine. Les caractéristiques principales recherchées ne se trouvent pas nécessairement sur les autres bâtiments, et au Canada, on ne peut pas se permettre, comme beaucoup d'autres pays, d'avoir des plates-formes multiples afin d'assumer les différents aspects d'un même rôle. Ainsi, de concert avec l'industrie, nous essayons de déterminer s'il est possible d'utiliser une seule plate-forme à un grand nombre de fins. C'est ce qui a été fait dans le cas des hélicoptères maritimes qui nous ont permis d'assumer nos responsabilités de soutien de surface et de subsurface.

Le président : Ce serait donc un modèle pour le bâtiment qui nous intéresse?

M. Williams : J'estime qu'en collaborant avec l'industrie pour déterminer s'il est possible qu'une seule plate-forme réponde à tous nos besoins, nous nous assurons que notre budget sera bien dépensé. Les hélicoptères maritimes ont été une véritable réussite mais il est encore trop tôt pour se prononcer dans ce cas-ci.

Le président : Qui, à votre avis, est le mieux placé pour défendre l'acquisition de ce bâtiment?

M. Williams : Le chef de la marine.

Le président : Merci.

Le sénateur Atkins : Dans un rapport du comité, on a recommandé que les dépenses soient augmentées de 4 milliards de dollars et qu'on augmente le personnel des forces armées pour qu'il atteigne 75 000. Pourtant, certains des hauts gradés qui ont témoigné nous ont dit que même si cet argent était débloqué, ils ne pourraient le dépenser. Mais à Petawawa, Gagetown et dans d'autres bases militaires, on ne cesse de déplorer le manque de ressources. On nous dit qu'il n'y a pas suffisamment de munitions et que l'artillerie ne peut même pas s'exercer à tirer.

Serait-il possible d'injecter cet argent dans le système, en achetant du matériel de série ou en investissant les sommes d'argent que nous avons recommandées?

M. Williams : Je dirais deux choses. J'ai déjà abordé la première. Pour ce qui est du budget et du financement, nous devons nous assurer de dépenser le plus judicieusement possible; c'est ainsi qu'on s'intéresse à certaines des innovations dont nous avons parlé relativement à la simplification des processus et à l'innovation. Si on apprenait que notre budget allait augmenter d'une somme X, nous identifierions nos priorités et préparerions une stratégie pour maximiser ce financement.

Les grands programmes d'immobilisations importants démarrent lentement. Il faut être conscient de ses limites lors de la planification des dépenses. Cela dit, ce sont dans une large mesure les circonstances précises, l'année et la possibilité de rentabiliser au maximum le budget qui nous est attribué en achetant notamment des pièces de rechange qui déterminent la marche à suivre.

Le sénateur Atkins : C'est justement un des problèmes auxquels font face les forces armées, n'est-ce pas? Depuis 1994, les acquisitions d'immobilisations stagnent. Le matériel des forces armées est maintenant désuet et la mise à niveau sera beaucoup plus coûteuse que si on avait continué d'investir au cours des dix dernières années.

M. Williams : Tout à fait. Notre plan d'acquisition de matériel, qui s'étend sur 15 ans, est ambitieux. Nous allons faire d'importantes dépenses dans les 15 prochaines années qui s'élèveront en moyenne à 1,5 milliard de dollars par année. Il est clair que pour mettre à niveau nos forces armées il faudra déployer des efforts considérables.

Le sénateur Meighen : Vous avez dit que beaucoup de votre matériel devait être modernisé. Si j'ai bien compris, seul 13 p. 100 du budget du Plan stratégique d'investissement dans les capacités de la Défense nationale sera réservé aux dépenses en capital et ce pour les 15 prochaines années. Est-ce bien ça?

M. Williams : Non, c'est faux. C'est plutôt représentatif de notre programme de dépenses en capital pour les 15 prochaines années. Nous nous attendons à ce que les fonds de cet ordre soient débloqués pour mener à bien les projets du plan.

Le sénateur Meighen : Je n'ai pas compris l'explication.

M. Williams : En fait, on aimerait que tout ce qui figure dans les plans aboutisse. Si tout se passait comme prévu, le financement serait dépensé comme prévu.

Le sénateur Meighen : Ce serait bien, mais quelles sommes vont être attribuées au remplacement du matériel? Je constate qu'il y a un total de 1,6 milliard de dollars sur 15 ans.

M. Williams : C'est plutôt 1,6 milliard de dollars par année. Notre budget est de 12 ou 13 milliards de dollars, dont environ un quart est attribué à l'acquisition de nouveau matériel et à la maintenance.

Le sénateur Meighen : Les dépenses en capital représentent donc environ un quart du budget?

M. Williams : Non, c'est plutôt un huitième. Par rapport au budget de 12 ou 13 milliards de dollars, je ne sais pas ce que ça représente exactement.

Le sénateur Meighen : Un huitième, ça représente plus ou moins 13 p. 100, n'est-ce pas?

M. Williams : Si vous voulez savoir si nous consacrons 13 p. 100 de notre budget aux dépenses en capital, je peux vous dire que c'est tout à fait exact.

Le sénateur Meighen : C'est incroyablement peu.

M. Williams : C'est peut-être le cas, mais comme je l'ai déjà dit, nous devons à la fois payer les salaires du personnel, financer les infrastructures, acheter de nouveaux équipements et entretenir le reste du matériel. Les décisions sont prises en fonction des priorités. Le pourcentage est ce qu'il est parce qu'il faut que le personnel soit rémunéré, que les équipements soient entretenus, que le personnel soit logé et que les équipements soient entreposés dans des installations adéquates. Par conséquent, il est normal que le gros du budget soit attribué aux priorités.

Le sénateur Meighen : Si on augmentait votre budget, comme il a été demandé par toute une panoplie d'organisations, y compris notre comité, il faudrait cibler les dépenses en capital.

M. Williams : Tout à fait. Pour ce qui est de la répartition du financement, c'est une autre paire de manches.

Dans le contexte des acquisitions en général, on ne peut pas examiner les dépenses en capital de façon isolée. Nous ne voulons plus répéter cette erreur. Par le passé, on ne reconnaissait pas que les coûts de maintenance seraient plus élevés que les coûts d'acquisition. Maintenant nous estimons que les achats ne devraient se faire qu'à partir du moment où on est en mesure de financer le cycle de vie complet de l'équipement en question. On serait malavisé de continuer à acheter du matériel si on n'est pas en mesure d'en assurer la continuité.

Le sénateur Atkins : Pour ce qui est de la maintenance et des pièces détachées, plus l'équipement est vieux, plus les coûts augmentent. Ces coûts sont-ils couverts par le budget des immobilisations?

M. Williams : Non, par le budget de l'approvisionnement national. Mais peu importe la provenance, nous devons nous assurer d'avoir suffisamment de fonds pour la maintenance du matériel.

Ensuite il y a toute la question de la disponibilité des pièces. À long terme, il faut se demander si les fabricants continueront de produire les pièces dont nous avons besoin.

Il faut prendre en compte ces deux facteurs lors de l'évaluation des risques et de la planification des nouvelles acquisitions.

Le sénateur Atkins : Ma prochaine question portait justement là-dessus. Peut-on dire que certaines pièces ne sont plus disponibles parce que l'équipement est trop ancien?

M. Williams : Pour l'instant, ce n'est pas un problème. Nous remplaçons justement les équipements les plus anciens parce qu'autrement ça risquerait d'en devenir un.

Le sénateur Atkins : Nous avons visité l'unité de transmissions à Kingston. Il y avait un soldat en camion qui nous a expliqué qu'il aurait voulu communiquer avec un autre camion mais que c'était impossible car il lui manquait une pièce. Il nous a dit « Vous savez, cette pièce, on pourrait l'acheter chez RadioShack. »

Serait-il possible de faire bouger les choses pour que les forces armées puissent acheter librement les pièces qui sont disponibles sur le marché au lieu de passer par un processus d'acquisition? J'ai travaillé comme agent d'approvisionnement, donc je connais ce domaine.

M. Williams : Il faudrait que ce soit possible. J'aimerais que vous m'en disiez plus sur cette affaire car si ce que vous dites est vrai, c'est inquiétant.

Le sénateur : C'est ce que le soldat nous a dit.

M. Williams : Je n'en doute pas, mais si vous me donniez plus de détails, je pourrais m'assurer de leur véracité. S'il existe des dysfonctionnements, il faut que je le sache pour que je puisse y remédier. C'est ce genre de chose que je voudrais qu'on me signale.

En général, nos pièces ne sont pas disponibles chez RadioShack ou Canadian Tire car ce sont des composants militaires très complexes. De plus, l'octroi de contrats se fait de façon ouverte, équitable et transparente. Pour tout achat, il faut souvent passer par un processus concurrentiel et ça ne se fait pas rapidement. Mais ce n'est pas une justification et il faut que les pièces soient disponibles quand on en a besoin. Nous nous sommes efforcés d'optimiser nos systèmes d'entreposage et de distribution pour réaffecter les économies ainsi réalisées à la gestion des situations dont vous avez parlé.

Le sénateur Meighen : Monsieur Williams, vous avez indiqué, sans vous en cacher, que certains aspects de votre organisation allaient devoir être changés. Vous avez parlé du programme d'action « Bien faire les choses » que vous avez mis en place. Depuis combien de temps existe-t-il?

M. Williams : Depuis environ quatre ans.

Le sénateur Meighen : Vous avez mentionné la réussite de ce programme à certains égards. Comment expliquez-vous la critique formulée par le comité sur l'efficacité, créé par l'ancien ministre McCallum, faisant état de l'inefficacité de votre processus d'acquisitions et des délais trop importants entre la décision d'achat et l'octroi de contrats?

M. Williams : La plupart de mes remarques découlent de ce genre de critique.

Le sénateur Meighen : Je ne voudrais pas vous interrompre, mais je pense que le rapport du ministre McCallum a été déposé il y a un peu plus d'un an.

M. Williams : Oui, en effet.

Le sénateur Meighen : Et le programme d'action, « Bien faire les choses », existe depuis quatre ans.

M. Williams : Comme je l'ai dit — et c'est une tâche importante — nous essayons de changer la culture de notre organisation. Mais cela fait plus de 20 ans qu'on procède de la même façon et les changements ne pourront pas se faire du jour au lendemain.

Cela dit, les choses se sont améliorées. Des exemples ont déjà été donnés et il en existe d'autres.

Pour ce qui est du rapport sur l'efficacité, nous nous apprêtons à lancer un programme s'étalant sur trois ans dont l'objet est de réduire d'environ 50 millions de dollars les coûts de notre système d'entreposage, de distribution et d'approvisionnement. Nous pourrons alors réaffecter ces économies pour répondre à d'autres besoins militaires. Cette somme représente le quart de l'engagement pris par le ministre de réduire de 200 millions les dépenses.

Nous tentons d'être innovateurs à bien des égards. Nous réduisons nos coûts d'entreposage et de manutention pour pouvoir nous attaquer aux dossiers dont vous nous avez parlé.

J'aimerais que ces changements se fassent plus rapidement mais il faut comprendre qu'il faut travailler sans relâche et individuellement pour imposer de nouvelles façons de penser, de questionner et de récompenser. Nous faisons face à un appareil énorme. Une organisation à elle seule comprend plus de 4 000 personnes. Il faut que ces changements se répercutent aux différents échelons et que les différents intervenants comprennent quelles sont les attentes. Je dirais qu'il est possible d'accélérer le processus et c'est justement ce qui se passe. J'espère que nous pourrons continuer notre travail pour créer un système qui, dans quelques années, pourra servir de norme opérationnelle au sein de l'organisation.

Le sénateur Meighen : Je vous encourage à continuer sur votre lancée. Bien sûr, les Canadiens ne sont pas au courant de la plupart de vos activités. Par contre, ils savent que nous avons un type d'hélicoptère pour les opérations de recherche et de sauvetage et que nous avons acheté un autre type d'hélicoptère pour les frégates. Et pourtant, on pourrait faire des économies importantes si on pouvait utiliser les mêmes pièces de rechange pour les deux types d'hélicoptères.

M. Williams : Permettez-moi de vous corriger car la conclusion est erronée. Dans le premier cas, le contrat a été accordé à la société dont la soumission était la meilleure. Dans le second cas, le contrat a été accordé à la société dont la soumission était la meilleure.

Les économies dont vous parlez auraient pu dans bien des cas se refléter dans la soumission de la société car c'est elle qui nous approvisionne en pièces détachées. Si ces pièces avaient été beaucoup moins chères pendant tout le cycle de vie, le soumissionnaire aurait pu se dire : « On va pouvoir faire des économies parce que nous sommes responsables du cycle de vie complet. Par conséquent, on va répercuter ces économies sur la soumission, ce qui nous permettra de remporter le contrat. » Je suis convaincu que c'est ce qui s'est passé. Mais, en dépit de ça, leur offre — et je l'ai dit publiquement — dépassait celle de la société choisie de quelques centaines de millions de dollars. Des centaines de millions de dollars, ce n'est pas rien. Ça représente sans doute bien plus que l'approvisionnement en pièces détachées au cours du cycle de vie des produits, facteur qu'ils ont de toute façon sans doute pris en compte.

Je pense que nous avons fait de bonnes affaires dans l'intérêt des forces armées et du contribuable.

Le sénateur Meighen : Je l'espère.

Le président : D'après votre description, monsieur Williams, les deux soumissionnaires étaient sur un pied d'égalité. Est-ce vrai?

M. Williams : Oui. Les critères d'évaluation étaient connus. Les deux soumissions ont été faites en fonction des informations dans l'appel d'offres. Les deux savaient que le contrat serait accordé à la société dont la soumission était la plus basse, en conformité avec les règles. Les deux parties ont fait une offre. Il y avait un écart de centaines de millions de dollars entre les deux.

Le sénateur Meighen : Pourquoi le processus a-t-il duré si longtemps, monsieur Williams?

M. Williams : En fait, il n'a pas pris très longtemps. En décembre 2002, le contrat unique a été approuvé. À peine deux ans se sont écoulés entre le lancement officiel du processus et l'octroi du contrat.

Le sénateur Meighen : Ce n'était pas la première fois qu'on lançait le processus, n'est-ce pas? On avait lancé d'autres processus sur la base de contrats multiples.

M. Williams : L'approbation a seulement été reçue environ deux ans avant que la sélection ne se fasse. C'est vrai qu'avant, il y a eu beaucoup de discussions mais le lancement formel d'un appel d'offres n'avait pas été approuvé par le ministère de la Défense nationale.

Le sénateur Meighen : Il faudra demander à quelqu'un d'autre pourquoi le processus a duré si longtemps.

M. Williams : Je vous dis qu'après l'approbation officielle le processus n'a pas duré très longtemps.

Le sénateur Forrestall : Le contrat a été long.

M. Williams : Au début, on a beaucoup discuté de la séparation de l'acquisition et du soutien en service.

Le sénateur Forrestall : Mon message est simple : Vous vous êtes trompés, vous vous êtes trompés à nouveau et vous persistez.

Le sénateur Meighen : Avec le temps, on le saura.

Ma question porte sur les rapports lus dans la presse portant sur la maintenance par heure de vol pour les hélicoptères de recherche et de sauvetage Cormorant. Apparemment, c'est le double de ce qui figure dans le contrat. Est-ce vrai? Pourquoi y a-t-il tant d'heures? Qu'est-ce qu'on a fait pour régler le problème? Pourra-t-on imposer les conditions qui figurent dans le contrat?

M. Williams : Tout d'abord, c'est exact.

Ensuite, permettez-moi de vous parlez de ce qu'on appelle l'acquisition globale. J'ai mentionné dans mes remarques liminaires que nous mettons l'accent sur la rentabilisation et essayons de regrouper l'acquisition et le soutien. Cela nous permettrait d'éliminer le problème qui s'est manifesté. Dans le cas des hélicoptères de recherche et de sauvetage, nous avions un contrat pour l'achat et un autre pour le soutien.

Il se pourrait que l'équipementier et le fournisseur ne s'entendent pas sur le nombre d'heures que le matériel peut voler. Il est difficile de dire qui a raison, mais la Couronne se retrouve entre les deux.

Normalement, pour contourner ce genre de problème, on décide qu'une compagnie est responsable du plein cycle de vie du matériel, et c'est justement ce que nous avons fait avec l'hélicoptère maritime. À ce moment-là, il est possible de demander à quelqu'un de rendre des comptes parce que personne n'est à blâmer sauf la compagnie qui nous a vendu les pièces et qui s'est également engagée à assurer des services à un prix fixe pendant cette période.

Le sénateur Meighen : Il y a un bon moment, le commandant de l'armée nous a dit que le nouveau centre de formation à Wainwright faisait partie intégrante de tout programme de formation et transformation des forces armées. Nous avons également conclu que si nous avions le centre de Wainwright, il pourrait figurer dans nos discussions avec les Américains. En raison de sa taille, nous pourrions offrir aux Américains des services qu'ils n'ont qu'à un seul endroit si je ne me trompe dans la partie continentale des États-Unis. Notre comité jugeait qu'il s'agissait d'une chose importante et nous avons signalé que nous espérions que le centre serait opérationnel le plus tôt possible.

J'ai appris que le projet accuse un important retard et à votre propre site Internet, vous signalez que le centre ne sera pas opérationnel avant 2006. Pouvez-vous m'expliquer ce retard, s'il y a en fait retard, et pourriez-vous nous dire ce qui se passe au niveau de l'instruction individuelle à Gagetown?

M. Williams : Malheureusement, ces questions ne sont pas de mon ressort. Je ne pourrais pas répondre à votre question de façon fiable. Cependant, je peux essayer de me procurer ces renseignements et les fournir au comité.

Le sénateur Meighen : Si cela vous convient, renseignez-vous sur Wainwright tout particulièrement; cependant, si on peut vous donner des renseignements sur Gagetown, cela pourrait nous être utile.

[Français]

Le sénateur Nolin : Monsieur Williams, nos interventions militaires sur les différents théâtres d'opération sont de plus en plus vouées à fonctionner en étroite collaboration avec nos alliés. Lorsque nous avons entrepris les opérations aériennes au Kosovo, une des premières craintes soulevées par les forces d'état-major de l'OTAN était l'interopérabilité de nos instruments.

À partir de ce moment, quelles ont été les modifications entreprises au sein de votre division pour vous assurer qu'un tel phénomène soit le plus efficient possible, tant pour vous que pour nos opérations militaires multiples?

M. Williams : Typiquement, quand les forces armées font leurs spécifications, pensons à ces choses au commencement de chaque projet. Autrement dit, s'il y a des standards pour l'OTAN, des standards pour l'équipement, nous nous assurons que nous pouvons spécifier ces mêmes standards dans nos spécifications pour l'industrie.

[Traduction]

Ce que j'essaie de dire, c'est que lorsque nous lançons un projet, nous surveillons ce qui se passe dans le secteur. Nous n'avons pas une norme pour tout, mais s'il y a des normes de l'OTAN touchant les pièces ou la façon de faire les choses, nous essaierons de les inclure dans la mesure du possible dans nos propres programmes. Nous sommes parfaitement conscients du fait qu'il nous faut une certaine interopérabilité avec les Américains, les Britanniques et nos autres alliés. Lorsque c'est possible, nous le faisons.

J'aimerais également signaler que nous consacrons beaucoup de temps à diverses missions de formation et d'instruction avec nos alliés; nos actifs, notre personnel et notre doctrine sont alors associés aux leurs afin de s'assurer que dans la mesure du possible, tout est interopérable. Si nous identifions des problèmes au niveau de la doctrine, nous essayons dans la mesure du possible d'assurer une certaine uniformisation.

Encore une fois, si vous voulez de plus amples détails, je crois que le VCEMD serait mieux en mesure de répondre aux questions touchant les aspects opérationnels.

Le sénateur Nolin : Très bien. Tous les pays membres de l'OTAN n'ont pas convenu de participer à la création de l'unité d'intervention rapide de l'OTAN.

M. Williams : C'est exact.

Le sénateur Nolin : Dans quelle mesure cela aura-t-il un impact sur votre position?

M. Williams : Je ne le sais pas. Encore une fois, les responsables du dossier pour le secteur militaire communiqueront en temps opportun les ramifications de cette unité, en ce qui a trait aux besoins et aux priorités. C'est à ce moment-là que je saurai si la création de ce genre de force nécessitera du matériel différent assorti de normes particulières; je prendrai alors les mesures qui s'imposent. Cependant, on ne m'a encore rien dit qui indique de quelque façon que ce soit qu'il y aura un changement de matériel ou de notre programme d'acquisition.

Le sénateur Nolin : Lorsque j'écoute toutes les questions qui sont posées au sujet du facteur temps, je note bien que dans l'équipe d'intervention rapide proposée pour l'OTAN, le terme « rapide » est un élément très important.

M. Williams : C'est vrai.

Le sénateur Nolin : Les gens qui nous écoutent ce soir peuvent se demander si le terme « rapide » a la même signification pour votre organisation que pour l'OTAN. Mais ce n'est pas ma question.

Pour ce qui est du volet international de vos responsabilités, vous avez au sein de votre division un directeur général responsable des programmes internationaux et industriels.

M. Williams : C'est exact.

Le sénateur Nolin : Pouvez-vous nous expliquer son rôle? Si j'ai bien saisi, il y a un volet international et un volet industriel. Si vous voulez bien, commencez par le volet international. Puis je vous poserai une autre question sur le volet industriel.

M. Williams : À titre de directeur national pour les armements au sein de l'OTAN, j'ai des rencontres deux fois par année à l'OTAN avec mes homologues des 25 autres pays membres de l'OTAN.

Le sénateur Nolin : Cela veut dire que vous connaissez M. Billingsbridge, qui est à Bruxelles, le nouveau directeur général adjoint, responsable du matériel.

M. Williams : Oui, je le connais très bien.

Le sénateur Nolin : Vous êtes au courant de sa vision de ce qui sera nécessaire pour le théâtre de l'OTAN de demain.

M. Williams : Parfaitement. Nous essayons de nous réunir deux fois par année pour établir ce genre de priorités et comprendre ce que nous pouvons faire pour accélérer la mise en œuvre des principaux programmes au nom de l'OTAN. C'est son organisation qui organise ces réunions pour moi.

Les réunions bilatérales que j'ai avec les membres de l'OTAN sont tout aussi importantes. J'en rencontre un certain nombre, au Canada ou dans leurs pays respectifs. Nous pouvons alors étudier nos programmes et priorités respectifs. Nous créons des liens personnels. Ils sont très importants, par exemple, dans le cadre du programme de ravitaillement aérien auquel nous participons avec nos collègues allemands. Nous nous rencontrons, nous discutons de la question et nous essayons de bien comprendre.

Ça devient très important lorsqu'il y a des situations difficiles. Par exemple, j'ai eu beaucoup de conversations téléphoniques avec mon homologue britannique récemment parce que nous essayons de nous assurer que les bons messages sont communiqués et que personne ne prend de direction à éviter.

Mon homologue américain est un très proche collègue. Nous faisons souvent des choses pour nous assurer qu'il y a des débouchés compétitifs pour nos industries canadiennes aux États-Unis et vice versa. Lorsque nous entendons parler de problèmes ou de circonstances particulières, nous nous téléphonons simplement.

Pour ce qui est des hélicoptères maritimes, j'ai eu dans le cadre de ce projet des discussions avec mon homologue français. Ces réunions bilatérales se déroulent tout au long de l'année. Les responsables de la préparation de ces réunions font des pieds et des mains pour s'assurer que le temps consacré est bien utilisé. Il s'agit là de certains détails sur le volet international de votre question.

J'aimerais mentionner, et c'est toute une réussite, que nous voudrons peut-être participer à certains programmes internationaux où l'industrie internationale est présente. Je pense particulièrement au programme d'avions d'attaque interarmées, un programme que vous connaissez peut-être. C'est le plus important programme d'acquisition américain, car il s'élève à 200 milliards de dollars. Ils essaient de produire la prochaine génération d'avions de chasse, en assurant une plateforme commune pour les trois versions différentes. Ce qui est unique dans ce programme c'est qu'ils ont invité des intervenants étrangers à y participer. Nous y participons.

En fait nous y participons pratiquement depuis le début; nous y avons adhéré juste après les Américains et les Britanniques. Le Royaume-Uni injecte des milliards de dollars dans ce programme. Notre contribution est de niveau 3, ce qui veut dire que nous avons investi 100 millions de dollars, plus 50 millions de dollars sous forme de financement d'Industrie Canada. Le ministère de la Défense nationale, en participant à ce projet, veut participer à toutes les études et à tous les travaux visant à faire de ce programme un programme à la fine pointe de la technologie.

Tout cela est à l'avantage de notre industrie aussi. Si nous ne participions pas, aucun débouché ne serait offert à notre industrie. Notre participation ne garantit cependant aucun contrat. Il faut être compétitif et remporter les contrats.

La bonne nouvelle c'est que nous faisons probablement l'envie de tous les autres pays, peu importe le montant qu'ils ont investi dans le programme. Nous avons déjà remporté environ 160 millions de dollars en contrats pour l'étape à laquelle nous sommes actuellement, l'étape de la conception du système et de la démonstration; viennent s'ajouter à cela la première série limitée et la pleine production, qui représentent déjà plus d'un milliard de dollars. Nous remportons en moyenne un contrat sur quatre. Nous essayons de nous associer à d'autres pays qui ont eu moins de succès, pour avoir accès au plus grand nombre de débouchés possible, de sorte que nous puissions signaler les demandes à nos entreprises dès qu'elles sont présentées. Nous pouvons alors leur dire d'essayer parce qu'elles ont de bonnes chances de remporter le contrat. Nous espérons qu'en collaborant avec les autres pays, nous pourrons former un groupe encore plus fort qui saura remporter la plus grande partie des contrats.

Lorsque ce genre de débouché se présente sur la scène internationale, c'est cette organisation qui essaie de faire avancer le dossier. On passe à ce moment-là du volet international au volet industriel.

Je rencontre des représentants de l'industrie, ou je leur parle, pratiquement tous les jours. Demain, je m'adresserai à l'Association de l'industrie de la défense du Canada. Comme je l'ai signalé, nous avons un comité qui rencontre, trois fois par année, les leaders de l'industrie et du monde universitaire. Nous sommes fiers de pouvoir dire à l'industrie qu'il existe un mécanisme qui leur permet de venir discuter facilement de diverses choses avec le gouvernement. Ce n'est pas compliqué. Nous leur donnons notre numéro de téléphone ou les invitons à venir nous rencontrer. Nous leur disons qu'ils n'ont pas besoin de dépenser beaucoup d'argent en intermédiaires pour nous parler. Nous disons qu'il suffit de se rencontrer pour discuter de diverses questions. Ce genre d'ouverture auprès de l'industrie canadienne est très important.

Il faut absolument qu'ils comprennent ce qui nous inspire. Nous en profitons parce que nous pouvons ainsi connaître leurs réactions. Ils peuvent alors planifier leurs affaires en sachant que ce qui pourrait se produire dans deux, trois ou quatre ans.

Notre organisation consacre beaucoup de temps et d'efforts à la préparation afin que l'industrie sache que nous sommes à son écoute. Si les représentants de l'industrie ont un problème ou des inquiétudes, nous sommes prêts à les rencontrer à nos bureaux.

Le sénateur Nolin : Vous dites que vous rencontrez vos homologues des pays alliés et que vous discutez abondamment avec eux de diverses choses; jugez-vous que c'est à vous qu'il appartient de mieux faire connaître à ces collègues la technologie canadienne?

M. Williams : Certainement. Nous sommes très fiers de ce que peux faire notre industrie. Le simple fait que nous réussissions si bien à l'échelle internationale avec le programme d'avions d'attaque interarmées montre bien que notre industrie peut accomplir beaucoup. Lorsque nous constatons qu'il existe un débouché pour notre industrie, nous faisons tout ce que nous pouvons pour l'appuyer. Le parfait exemple est celui de General Dynamics Canada. Cette entreprise a dépensé plus d'un milliard de dollars pour nous fournir un système de communication à la fine pointe de la technologie. Lorsque mes collègues du Royaume-Uni ont eu des problèmes avec leur fournisseur, ils ont cherché des solutions de rechange. General Dynamics Canada a remporté le contrat parce que c'était le meilleur fournisseur, il n'y a aucun doute.

Le sénateur Nolin : On leur a probablement dit qu'on avait besoin d'eux.

M. Williams : Absolument. Nous avons joué notre rôle. Je sais que j'ai fait ce que je devais faire avec les représentants du gouvernement britannique — au moins je leur ai fait part de mon vécu avec cette compagnie, j'ai dit à quel point c'était un bon fournisseur et j'ai discuté avec eux du fait que General Dynamics avait respecté toutes les modalités de son contrat. Nous essayons de leur fournir des renseignements utiles. Les entreprises qui réussissent au Canada peuvent souvent grâce à cette situation connaître un bon succès à l'échelle internationale parce que les gouvernements et les entreprises étrangères savent qu'au Canada nous n'accordons pas d'habitude un contrat à une entreprise simplement parce qu'il s'agit d'une entreprise canadienne. Les entreprises doivent se mériter le contrat. Elles doivent démontrer qu'elles sont les meilleurs pour l'obtenir. Lorsqu'une entreprise canadienne remporte un contrat, ça se remarque.

Le sénateur Rompkey : Monsieur Williams, je voulais discuter du rapport qui existe entre l'industrie et le MDN; vous nous avez dit que ces liens sont beaucoup plus étroits depuis quelques années. Nous avons entendu dire que le MDN n'avait pas les moyens d'effectuer certaines opérations et faisait appel à des entrepreneurs pour leur déploiement.

Je dois avouer que je m'intéresse plus aux opérations qu'au matériel, mais vous pourrez me dire à quelle question vous êtes en mesure de répondre.

Au fil des ans, le MDN a fait croître la participation du secteur privé à ses activités. Des économies ont été réalisées et elles pourraient peut-être être réaffectées à d'autres secteurs du budget, comme vous le recherchez. Je pense à des économies de frais généraux et au régime de pension, des choses du genre. Je pense par exemple à Portage la Prairie et Moose Jaw, où vous avez passé des contrats avec des entreprises comme Bombardier pour assurer l'instruction en vol. Je dois avouer — et mes collègues ne seront pas surpris — que le site qui m'intéresse le plus est celui Goose Bay, au Labrador, où une entreprise privée offre également des services; nous serions très heureux que cette entreprise puisse offrir d'autres services au MDN si le ministère était d'accord.

Par le passé cela a permis au ministère et aux forces armées d'économiser de bons montants. Est-ce que le MDN fait souvent appel au secteur privé? Et quelle sorte de tâche confie-t-on aux entrepreneurs privés? Est-ce que ce genre de contrat est à la hausse? Comment évaluez-vous, en fonction d'une échelle de un à dix, la tendance?

M. Williams : Je vous remercie de cette question. Ça me permettra de vous en dire plus long sur plusieurs questions.

Le recours au secteur privé pour compléter nos services est un principe de base que nous essayons de suivre. Cela ne permet pas toujours d'économiser. Très souvent, cela augmente les coûts, mais nous le faisons pour une bonne raison. Dans d'autres cas, cela permet de réduire les coûts. Cependant, dans certains cas ce n'est absolument pas logique. Permettez-moi de vous donner des exemples dans tous les cas.

Le Programme de soutien contractuel canadien est le programme grâce auquel le secteur privé peut nous aider lors de déploiements. Ce programme n'a pas été conçu pour économiser de l'argent. Tous les coûts sont à la hausse. Il a été conçu parce que nous sommes conscients du fait que nous n'avons pas suffisamment de personnel au sein des forces armées pour s'occuper des tâches de soutien qui sont nécessaires lors de déploiements si l'on ne veut pas que cela ait un impact négatif sur sa qualité de la vie.

Le personnel était déployé en fonction d'un roulement, il revenait pendant une brève période et devait être déployé de nouveau. Nous étions conscients du fait qu'il nous coûterait cher d'avoir recours au secteur privé. N'allez pas penser que nous réduisons les forces armées. Pas du tout. Nous complétons le personnel militaire en ajoutant un volet civil. Ce faisant, nous enrichissons la vie de notre personnel armé parce qu'il peut maintenant partir en déploiement et revenir passer une bonne période avec sa famille avant d'être redéployé.

Nous avons des programmes structurés qui permettent à l'industrie de nous aider en offrant des services très importants en Afghanistan et en Bosnie, s'occupant de diverses choses, ce qui nous évite de redéployer nos forces militaires limitées aussi souvent. C'est un exemple.

Dans d'autres cas, nous avons constaté que de permettre au secteur privé de faire quelque chose n'a peut-être pas été la meilleure décision possible et nous sommes revenus sur notre décision. En voici un parfait exemple. En réponse à la question du sénateur Meighen, j'ai mentionné que nous avons entrepris un programme de compression dans le secteur de l'approvisionnement afin de réaffecter environ 50 millions de dollars. Nous avions décidé à l'origine de nous tourner vers le secteur privé pour l'approvisionnement. Lorsque j'ai été nommé à mon poste, la décision avait déjà été prise. Nous étions en fait en train de déterminer à quelle société ce contrat serait confié.

Les honorables sénateurs ne seront pas surpris d'apprendre que la réaction que j'ai eue des employés du pays tout entier était plutôt colérique, tout particulièrement parce qu'ils jugeaient qu'on ne leur avait jamais donné la chance de prouver qu'ils pouvaient s'acquitter fort bien de ces responsabilités. Ils étaient convaincus que si on leur en donnait la chance, ils pourraient montrer qu'ils pouvaient faire les choses tout aussi bien que le secteur privé. J'attendais le rapport final de la société du secteur privé sur sa vision du service, et j'ai dit à nos employés qu'ils disposaient de trois mois pour s'organiser et me prouver qu'ils étaient suffisamment futés, innovateurs et créatifs pour réaliser le genre d'économies que le ministre recherchait. À leur crédit ils ont produit un rapport qui a démontré, après examen rigoureux, qu'il y avait moins de risques et plus d'avantages à faire appel à leurs services qu'à ceux du secteur privé. Nous avons donc dit au secteur privé que nous étions désolés, mais que nous ne pouvions pas retenir la proposition que nous avait présentée l'entreprise. Nous avons demandé au personnel du ministère de toutes les régions de s'engager à réduire les coûts et à augmenter les économies.

Nous avons dépassé la cible fixée pendant la première année de ce programme triennal. Nous en sommes maintenant à la deuxième année et nous espérons atteindre les objectifs fixés et, à la fin de la troisième année, nous espérons que nous pourrons rendre au secteur militaire de 45 à 50 millions de dollars qui pourront être réaffectés à d'autres priorités.

Ce n'est pas toujours la meilleure marche à suivre. En changeant notre décision nous avons envoyé un message positif. Nous croyons fermement dans la sous-traitance seulement si c'est avantageux pour nous. Si ce n'est pas avantageux pour nous, nous ne faisons pas de sous-traitance.

J'aimerais, par contre, citer l'exemple de l'Entraînement en vol de l'OTAN au Canada avec Bombardier. C'est seulement grâce à l'innovation du secteur privé que nous pouvons lancer des programmes tels que l'Entraînement en vol de l'OTAN au Canada. Il s'agit d'un programme immense de 3 milliards de dollars. Il faut reconnaître que les entreprises du secteur privé ont été assez intelligentes pour se rendre compte qu'il y avait une occasion en 1994-95, saisir cette occasion, nous faire une offre que nous ne pouvions pas refuser et nous fournir une capacité et niveau de professionnalisme en entraînement en vol qui équivalent ou dépassent tout ce que nous avons eu antérieurement. Beaucoup de pays du monde participent à ce programme.

Nous avons plusieurs façons de faire différentes pour la sous-traitance. En bout de ligne, il faut que ce soit un choix logique et que ce soit avantageux pour nous.

Le sénateur Rompkey : À quoi ressemble le tableau?

M. Williams : Nous cherchons toujours des occasions de réduire les coûts.

Le sénateur Rompkey : L'idée de recourir au secteur privé est assez nouvelle, n'est-ce pas?

M. Williams : Nous nous servons de la sous-traitance depuis quelques années.

Le sénateur Rompkey : Depuis que vous avez commencé, à quoi ressemble le tableau? Quelle est la participation du secteur privé comparée à sa participation d'il y a dix ans?

M. Williams : Il faudrait que je fasse le calcul. Si on additionne le trois milliards de dollars de l'Entraînement en vol de l'OTAN au Canada aux montants du CANCAP et aux autres, alors le pourcentage des contrats fournis au secteur privé est assez important. Je pourrai obtenir les données exactes, mais je dirais que cela a augmenté de façon importante. J'espère toujours que c'est une démarche logique et qu'elle réduit les coûts. Parfois on agit ainsi pour d'autres raisons.

Le sénateur Rompkey : N'est-il pas important de le faire non seulement pour les opérations locales mais aussi pour les alliés de l'OTAN? Croyez-vous qu'il serait important d'encourager le secteur privé à prendre la responsabilité de bases plus éloignées telle que celle de Goose Bay, dont on s'est servi pour l'entraînement de l'OTAN, même si cela ne fait pas partie du mandat principal du ministère de la Défense ou des forces armées?

M. Williams : Nous cherchons toujours des façons novatrices de réduire nos coûts et de nous présenter comme étant constructifs et attentifs aux besoins de nos alliés de l'OTAN. Goose Bay en est un exemple, et l'entraînement en vol de l'OTAN au Canada est un autre exemple parfait. L'idée de faire des choses qui permettent au Canada d'être le meilleur dans un domaine quelconque m'attire. C'est fantastique de pouvoir faire quelque chose mieux que qui que ce soit; et nous devons chercher ce genre d'occasion. Il est intelligent d'agir ainsi avec le secteur privé.

Le sénateur Lynch-Staunton : Je crois que lorsque vous avez donné votre témoignage la semaine dernière, devant le comité de la Chambre qui se penche sur l'achat des sous-marins, c'était la première fois qu'on disait qu'il n'y avait eu aucun troc, qu'il s'agissait d'une transaction monétaire. Lorsque le contrat a été signé, était-il question de troc ou d'échange?

M. Williams : Oui, le paragraphe 27.3 du contrat le permet de façon précise. Le protocole d'entente entre le Royaume-Uni et le Canada le permettait, si c'était pratique. La notion de troc signifie qu'on le permet sans exiger que ce soit ainsi.

Le sénateur Lynch-Staunton : C'était l'un des choix possibles, mais ce n'était pas le seul type d'échange permis en vertu du contrat; l'autre étant un échange monétaire.

M. Williams : C'est exact. Le troc signifie que l'on tient compte de plusieurs programmes différents et que l'on mesure la différence d'une façon ou d'une autre. Le fait que nous rendons chaque programme public de la façon la plus complète possible dans nos comptes publics ne fait qu'améliorer l'ouverture, l'équité et la transparence de ce programme. Peut-être les gens auraient dû être plus informés du fait que nous n'avions pas mesuré la différence. Cependant, nous payons ce que nous devions payer pour un programme relié aux sous-marins, tandis que nous recevons des paiements du Royaume-Uni pour couvrir les coûts de l'entraînement fourni. Tous ces programmes différents sont ouverts, équitables et transparents pour quiconque veut les vérifier.

Le sénateur Lynch-Staunton : C'est peut-être nous qui avons mal compris, mais à l'époque nous avions vraiment l'impression qu'il s'agissait de troc. On le voit clairement dans le communiqué de presse de l'ancien ministre de la Défense, M. Art Eggleton. Le communiqué de presse a-t-il été relu avant d'être publié? A-t-on dit qu'il était incomplet parce que le contrat ne se limitait pas à publiciser un achat gratuit en échange de services?

M. Williams : Je ne peux pas commenter ce qui a été dit dans ce communiqué de presse ni son interprétation. J'espère tout simplement qu'on n'a pas donné l'impression que le programme de sous-marins ne coûterait pas environ 800 millions de dollars. Pour ma part, je n'ai jamais rien entendu qui m'a fait penser que le coût des sous-marins serait autre. Je ne sais pas comment on peut expliquer cette interprétation. Dans tous les documents que j'ai lus, on disait que l'acquisition allait coûter entre 700 et 800 millions de dollars.

Le sénateur Lynch-Staunton : Certaines personnes le savaient peut-être mais cela n'a pas été rendu public.

M. Williams : Moi je parle de ce qu'on savait en 1999 et vous, vous parlez de ce qui s'est passé en 1998, avant que je ne sois responsable de ce portefeuille.

Le sénateur Lynch-Staunton : Je parle du communiqué de presse dans lequel aucun montant n'était cité, si je me rappelle bien, mais qui mentionnait à quel point on était fier de cet accord unique.

Le président : Merci, monsieur Williams, de votre comparution qui nous aidera dans notre étude sur la défense.

Si vous avez des questions ou des commentaires, consultez le site Web du comité à l'adresse suivante : www.sen-sec.ca. Vous y trouverez le témoignage de nos invités ainsi que les avis de convocation des réunions. Pour en savoir plus ou pour contacter les membres du comité, veuillez prendre contact avec le greffier au 1-800-267-7362.

Nous allons maintenant passer à notre prochain témoin, à savoir M. Norman Hillmer, professeur d'histoire et d'affaires internationales à l'Université Carleton. Il est l'auteur de 24 ouvrages portant sur la politique canadienne, la diplomatie et la sécurité.

Bienvenue. Vous avez la parole.

M. Norman Hillmer, professeur d'histoire et d'affaires internationales, Université Carleton : Je vous remercie, monsieur le président et honorables sénateurs, de m'avoir invité ce soir. C'est avec grand intérêt que je suis vos travaux depuis longtemps.

Ce soir, je voudrais vous parler des conclusions de la dernière enquête menée par la Norman Paterson School of International Affairs de l'Université Carleton, qui seront publiées au début de l'année prochaine par McGill Queen's University Press sous le titre de Canada Among Nations 2004, Setting Priorities Straight. Il s'agit de la 20e édition de la série Canada Among Nations, qui regroupe les meilleurs universitaires, praticiens, journalistes et étudiants. D'ailleurs, Grant Dawson, qui a travaillé pour ce comité, a fait partie de ces étudiants.

Les volumes Canada Among Nations, à mon grand bonheur, sont beaucoup utilisés comme références dans les cours de politique étrangère partout au Canada, aux États-Unis et à l'étranger et constituent les annales, les seules, des politiques et activités du Canada dans le domaine des affaires internationales.

Le volume de cette année a pour thème les priorités, dans le contexte de l'impression générale que les efforts de défense et de développement diplomatique du Canada dépassent de loin les ressources que le gouvernement est prêt à y consacrer. Comme l'a dit le premier ministre, le Canada doit se spécialiser dans ce qu'il fait de mieux, en fonction de ce dont le monde a le plus besoin. Cela nous a amenés à passer en revue la partie de l'ouvrage qui porte sur ce que le professeur Dennis Stairs, auteur du chapitre principal, appelle les « choix difficiles » qui ont guidé les politiques étrangères et de défense du Canada. L'objectif, c'est d'améliorer les résultats en centralisant les efforts.

Mais ce n'est pas si facile de mettre en pratique cette théorie parce que les forces, institutionnelles et internationales, qui seront déployées contre les changements fondamentaux sont puissantes et peut-être même inexorables. Il faudra déployer des efforts énormes et faire preuve d'un leadership inégalé.

Le gouvernement minoritaire peut choisir d'accorder une grande importance à l'arène internationale, qui d'après les discours du premier ministre jouera un rôle fondamental dans l'avenir du Canada, ou il peut choisir de ne rien faire, ce qui ne serait pas trop douloureux.

Dans l'introduction, Fen Osler Hampson, David Carment et moi-même essayons de concilier les opinions disparates des auteurs. Ce faisant, nous montons un dossier pour ce qu'on appelle la puissance intelligente, qui lie la sélection de priorités précises à l'amplification de l'influence du Canada à l'échelle internationale.

Selon le concept de la puissance intelligente, on reconnaît que le trésor public est encore plus limité aujourd'hui qu'il ne l'était à l'époque de l'âge d'or tant chéri des années 50, quand la défense et la diplomatie étaient rois. On préconise la mobilisation des expériences à l'échelle nationale dans les domaines comme la gestion de l'eau, les sciences et les technologies et les interventions humanitaires et on prône un leadership canadien ciblé qui serait toujours à la recherche de nouvelles formes de gouvernance mondiale. La puissance intelligente ne se limite pas à la concentration des connaissances et des compétences, elle exige une meilleure coordination des différents volets de la politique étrangère en plus du renouvellement des Forces armées canadiennes.

Les défenseurs de la puissance intelligente ne se moquent pas des Canadiens qui estiment qu'il est important de protéger et de projeter leurs valeurs et n'acceptent pas non plus l'idée selon laquelle le Canada serait une puissance dépassée.

Le point de départ obligé de la puissance intelligente, comme des politiques internationales du Canada, ce sont les États-Unis et l'importance de nos relations avec ce pays à tous les niveaux, fait qui a été renforcé par l'augmentation de l'intensité des menaces variées qui émanent en général de sources non étatiques multiples qui mettent en péril l'Amérique du Nord toute entière, et non une seule région.

Que ça plaise ou pas, le Canada est happé par le courant des politiques et activités américaines touchant la sécurité nationale, phénomène qui s'est amplifié depuis le 11 septembre. On ne peut pas échapper à l'alignement du Canada et des États-Unis, qui, paradoxalement, permet au Canada d'exécuter ses projets humanitaires internationaux. Par contre, nous ne nous rangeons pas du côté de ceux qui estiment que toutes les politiques canadiennes doivent découler d'impératifs nord-américains ou qu'un partenariat continental interdit toute action à l'étranger avec laquelle Washington ne serait pas d'accord. Nous pensons que les politiques et priorités nord-américaines devraient être expliquées publiquement.

Nous estimons que l'internationalisme si cher au Canada ne mène à rien, surtout depuis que le premier ministre a dit publiquement que le Canada serait traité avec plus de respect par les États-Unis s'il exerçait plus d'influence dans les affaires internationales. Ainsi, Paul Martin semble promettre que son multilatéralisme permettra de resserrer et d'intensifier l'éclairage que le Canada apporte au monde. L'objectif global, repris dans le premier discours du Trône de 2004, c'est d'améliorer notre façon de faire en matière de diplomatie, de développement, de défense et de commerce international, domaines qui sont tous profondément interdépendants aujourd'hui et qui rejoignent de plus en plus les Canadiens dans leur quotidien. Ce qu'on ne dit que partiellement et qui n'est peut-être pas tout à fait compris, c'est que le gouvernement, s'il se veut engagé, devra établir des priorités claires et faire des choix difficiles si l'on veut que le Canada imaginé par M. Martin se matérialise.

Le sénateur Rompkey : Quand vous avez dit que la puissance intelligente comprend une certaine coordination à différents niveaux pour amplifier l'influence internationale du Canada, vous avez également qualifié le Canada de puissance dépassée.

Je suis frappé par les relations entre les forces armées et les autres secteurs de services gouvernementaux, particulièrement dans les domaines du maintien de la paix et des ONG, dans les autres secteurs de nos activités et dans la mise en oeuvre de nos politiques. J'étais à Valcartier il y a un certain nombre d'années quand les Van Doos se préparaient à aller en Bosnie. C'est le général Dallaire qui était responsable à l'époque. Il a insisté sur le fait qu'il était nécessaire d'avoir des troupes bien formées au combat et de l'équipement de combat adéquat pour les missions à l'étranger, parce que si on n'est pas en mesure d'assurer la sécurité, on ne peut rien faire d'autre correctement.

Pour ce qui est de la relation entre les forces armées et nos autres activités à l'étranger, militaires ou civiles, pensez-vous qu'il est important qu'on ait des troupes et de l'équipement prêts au combat? Pensez-vous que nous avons perdu ces capacités dans certains domaines depuis quelques années?

M. Hillmer : Vous avez soulevé un certain nombre de questions, sénateur. Laissez-moi d'abord mettre rapidement les choses au point. J'aimerais qu'on se comprenne. Je ne crois pas que le Canada soit une puissance déclinante ou dépassée.

Le sénateur Rompkey : Vous avez dit : « ...ils n'acceptent pas non plus l'idée selon laquelle le Canada serait une puissance dépassée. »

M. Hillmer : À un moment ou à un autre je voudrais dire quelques mots sur l'idée que le Canada est un somnambule qui se dirige vers l'oubli total et sur la polémique qu'elle a récemment suscitée. Je voudrais aussi parler de la nécessité de coordonner les trois D, afin de permettre la coordination dans la pratique dont parlent les ministères, tout ceci étant vraiment important.

En matière d'aptitude au combat, le principe qui a sous-tendu le maintien de la paix tout au long des années de guerre froide était que le Canada était apte au combat. C'était la condition sine qua non; le soldat canadien bien entraîné était au cœur des réussites dans le domaine du maintien de la paix, à partir de Suez, auparavant, et jusqu'à la fin de la guerre froide. Comme l'a dit M. Calder à votre comité, il y a quelques jours, il n'y a plus de véritable distinction entre le soldat prêt au combat et celui qui maintient la paix. C'est une différenciation révolue.

Il nous faut des forces aptes au combat. Nous avons tous conscience des faiblesses majeures qui se manifestent et de la façon dont nos forces armées ont été poussées à bout. N'empêche que les réussites sont saisissantes. Au cours des années 90, nous avons enchaîné une opération de maintien de la paix ou de soutien de la paix après l'autre, tant et si bien qu'elles se chiffrent, selon le ministère de la Défense nationale, au nombre de 40 environ. Puis il y a eu le Kosovo et l'Afghanistan; et, avant cela, au début de la période suivant la guerre froide, la première guerre du Golfe. Vu le rétrécissement des budgets, c'est une réussite militaire plutôt éblouissante.

Au soldat, au marin et à l'aviateur canadiens, je dis : « chapeau! » Je félicite un peu moins le gouvernement, qui a apporté à ces gens un soutien plutôt mitigé.

Le sénateur Rompkey : Si je dis que dans le budget, il convient d'allouer des ressources substantielles au repositionnement et à la remise en état des forces armées, afin qu'elles soient aptes au combat si elles doivent intervenir, qu'il s'agisse de maintien de la paix ou d'autre chose, êtes-vous d'accord avec moi? Êtes-vous d'accord pour dire que cela constitue une partie importante du budget et qu'il est nécessaire de respecter certaines normes, quelque que soit la façon dont ces normes sont définies? Dans ses travaux, le présent comité s'est efforcé de définir ce que les normes devraient être en matière de chiffres, de capacité et d'équipement. Êtes-vous d'accord pour dire que l'élaboration de notre politique étrangère doit tenir compte de cette question?

M. Hillmer : Tout à fait. Plus cela va, plus la politique étrangère du pays comporte une composante militaire qui en fait partie intégrante. Le premier ministre a cerné la question dans ses discours de Gagetown, de Montréal et de Washington, discours au cœur desquels figure, notamment, l'édification d'un pays. C'est crucial, mais il n'est pas certain que ce soit en cours ni que cela se produise à l'avenir.

Il existe un énorme écart en matière de durabilité. Rien n'indique que le gouvernement est disposé à allouer aux Forces armées canadiennes les montants d'argent qui seraient nécessaires pour les mettre au niveau que nous souhaitons, tous autant que nous sommes ici. Les deniers publics sont comptés et les besoins multiples. Malgré les prises de position des chercheurs, des journalistes et d'autres, selon qui on a tué les Forces armées du Canada, il est improbable que le gouvernement consacre de grandes sommes aux forces armées. En temps de paix, cela ne s'est quasiment jamais fait, sauf au début de la guerre froide, quand nous étions sur un pied de guerre, dans les années 50.

Le sénateur Rompkey : Ne croyez-vous pas que les temps ont changé? Depuis l'attentat du 11 septembre et l'avènement de la guerre contre le terrorisme, n'est-il pas vrai que nous participons à une guerre d'un type différent et que nous devons nous préparer à cette guerre, d'une façon ou d'une autre? N'est-il pas nécessaire de réagir à la situation?

La question a un autre aspect : le rôle que joue l'opinion publique dans l'attribution de fonds supplémentaires. À votre sens, quel est le sentiment des Canadiens et des Canadiennes sur l'importance des forces armées et, par conséquent, sur l'importance de leur apporter le soutien voulu et de leur donner le type d'équipement et de formation requis pour qu'elles puissent effectuer leur travail? Selon mon expérience, les défenseurs des forces armées sont peu nombreux, d'un bout du pays à l'autre. Une bonne part des défenseurs se retrouve autour de la présente table. N'empêche que les politiciens se font l'écho de la population. Nous servons la population. C'est elle qui nous élit. Et ceux d'entre nous qui ne sont pas élus par la population restent à son service et s'en font peut-être même un plus grand devoir.

À votre sens, si on décidait d'augmenter le rôle et les capacités des forces armées aujourd'hui, jusqu'à quel point pourrait-on compter sur l'appui des Canadiens et des Canadiennes?

M. Hillmer : On nous rebat les oreilles du fait que les Canadiens et les Canadiennes ne soutiennent pas la politique de défense du Canada, si bien que le gouvernement ne lui octroie pas de fonds. Or, il semblerait que la situation ait changé ou soit en passe de changer. Dans le sondage Polara, par exemple, qui a été réalisé en 2004, on enregistrait un soutien accru à la fois à la sécurité intérieure et à la défense nationale. Soit dit au passage, on constate un changement d'attitude dans la salle d'attente d'un médecin ou chez le boucher.

Le sénateur Rompkey : Demain soir, par exemple, nous suivrons une élection qui sera largement déterminée par l'intérêt des gens pour toutes les questions de sécurité. Est-ce une évolution que l'on constate également au Canada?

M. Hillmer : Non, je crois que nous ne nous sentons pas impliqués dans la guerre contre le terrorisme. Quand les États-Unis sont entrés en guerre, le 12 septembre, nous ne sommes pas entrés en guerre à leurs côtés — pas dans notre mentalité, ni dans notre psychologie. Nous sommes allés en Afghanistan et nous nous y sommes distingués, mais c'est une question dont nous pouvons nous détourner, surtout parce que nous considérons le président actuel des États-Unis comme une espèce de cowboy. Nous savons tous comment le Canada voterait demain, s'il avait voix au chapitre : il y aurait au moins 60 p. 100 des votes pour John Kerry, parce que nous ne nous identifions pas à cette mentalité de cowboy. Les Canadiens ne soutiennent pas leurs forces armées avec le même enthousiasme que les Américains, d'où la difficulté d'amener le gouvernement à leur consacrer des fonds.

Le sénateur Moore : Merci d'être venu, monsieur le professeur. Je vais continuer dans la veine de la question du sénateur Rompkey sur la façon dont les Canadiens et les Canadiennes perçoivent ou soutiennent la Défense. Selon vous, quels sont les services et réalisations que les Canadiens attendent du ministère de la Défense nationale? Qu'est-ce qu'ils recherchent, d'après vous? Nous sommes manifestement fiers des sacrifices consentis par le passé et conscients de la nécessité d'avoir une certaine sécurité et surveillance si nous voulons conserver la souveraineté de notre territoire. À votre avis, quelle action du gouvernement serait considérée comme raisonnable et acceptée?

M. Hillmer : La réaction au décès tragique du marin, l'autre jour...

Le sénateur Moore : Le lieutenant Chris Saunders.

M. Hillmer : Oui et celles aux quatre décès en Afghanistan illustrent combien les Canadiens sont sensibles, mais aussi combien ils mesurent mal les dangers de la vie militaire. Peut-être ne sommes-nous pas prêts à dépenser les efforts et les sommes considérables nécessaires pour une véritable opération militaire, mais nous n'en sommes pas moins intéressés par la défense du territoire ou par l'assistance aux autorités civiles. Nous apprécions énormément les efforts de nos forces armées dans ce domaine. Nous nous intéressons aussi, assez vaguement, à la sécurité du continent. Nous nous intéressons aussi à la question à cause de notre fibre internationaliste, celle qu'avait Pearson, qui se manifeste depuis plus de 50 ans : le désir de changer un peu le monde. À mon sens, le Canadien moyen en reste là, quand il s'agit de savoir ce que les forces armées font ou ce qu'elles devraient faire.

Le sénateur Stollery : Bienvenue, monsieur Hillmer. C'est plutôt par le biais de la politique étrangère ou des affaires étrangères que j'aborde la question. Le terme « politique étrangère » est d'ailleurs mis à rude contribution ces derniers jours.

Je n'ai jamais pensé que le Canada est une puissance dépassée. Je ne sais d'ailleurs pas d'où sort cette idée. Il existait dans les années 50 un monde différent : un monde colonial. Les travailleurs industriels se chiffraient probablement à 300 millions dans le monde entier. J'étais en Algérie durant la guerre d'Algérie, dans les années 50. Or, le Canada était inconnu, dans les années 50. Ce ne serait pas le cas aujourd'hui, dans des pays que je connaissais très bien en 1950. Je suis tout à fait d'accord avec vous sur cette observation.

Nous avons eu la visite du président Fox la semaine dernière. J'essaye bien d'en venir à une question, mais c'est difficile, parce que c'est un domaine où il est difficile d'être explicite. Quand le Comité des affaires étrangères est allé au Mexique, nous avons déterminé que, chaque année, entre 400 000 et 500 000 Mexicains franchissaient la frontière entre le Mexique et les États-Unis de façon illégale, sans papiers. Il y a ainsi environ 10 millions de Mexicains sans papiers aux États-Unis aujourd'hui. Au Canada, nous avons fini par nous convaincre qu'il existait un problème de sécurité avec les États-Unis, tout en faisant complètement fi du fait que la situation à la frontière entre le Mexique et les États-Unis est un désastre total, pour plusieurs raisons, sur lesquelles je ne m'appesantirai pas ici.

Le monde ne se réduit pas au Canada et aux États-Unis. Notre défi le plus important en matière de politique étrangère consiste effectivement à entretenir de bons rapports avec nos voisins au sud, les États-Unis. Toutefois, on n'est pas en droit d'affirmer que le coût de l'énergie a un effet beaucoup plus marqué sur les affaires mondiales que ce qui s'est passé au World Trade Center? Quel est votre avis à ce sujet? Un baril de pétrole à 50 $ fait de la Russie un partenaire incontournable dans le monde, n'est-ce pas?

M. Hillmer : Je serais d'accord. C'est une façon de mettre l'attentat du 11 septembre en contexte et de prendre un peu de recul. Toutefois, il a infligé aux États-Unis une secousse dont nous avons du mal à mesurer l'amplitude. À la suite des événements du 11 septembre, le président et le vice-président des États-Unis ont dit tous deux n'avoir jamais imaginé que les États-Unis pouvaient être la cible d'une attaque de ce type. Une telle déclaration, au sortir d'un demi-siècle de guerre froide, où les États-Unis vivaient sous la menace constante de milliers de missiles à tête nucléaire pointés vers eux, est une petite indication du choc colossal ressenti par le système. Bien sûr, au-delà du choc, c'était aussi une occasion en or pour le président sur le plan politique. Il a saisi le choc et l'occasion, avec les résultats que nous connaissons tous.

Je réponds oui aussi à votre question sur le coût de l'énergie. Un ancien premier ministre du Canada a dit que, s'il remplissait un mandat de premier ministre pendant cinq ans au Canada puis un mandat de président des États-Unis pendant 10 minutes, il aurait plus d'impact sur le Canada dans les 10 minutes en question qu'il n'en aurait eu dans ses cinq ans comme premier ministre.

Le sénateur Stollery : Loin de moi l'idée de nier la tragédie et l'impact énormes de l'attentat du World Trade Center, mais cela ne reste qu'un élément du puzzle. L'augmentation des cours du pétrole compte aussi. Quand on se penche sur la politique étrangère du Canada dans un monde en constante évolution, plus je réfléchis, plus je me dis qu'il est extrêmement difficile d'en arriver à une quelconque conclusion, parce que, comme le disait Macmillan : « Les événements, mon cher. Les événements. »

Que faire? Il y a les États-Unis, mais il y a aussi l'Union européenne, qui devient une puissance commerciale comparable à celle des États-Unis, même si ce n'est pas le cas pour le Canada. Il y a la Russie, qui émerge du chaos. Nous ne savons pas combien de temps le processus nécessitera, mais il est manifestement en cours. Il y a la Chine, qui est devenue le second importateur de pétrole du monde, ayant dépassé le Japon au cours des dernières années. Ne s'agit-il pas d'événements qui auront aussi un impact énorme sur le Canada?

Nous sommes ici, bien sûr, au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Je sais bien qu'il ne s'agit pas du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères. Le président, j'en suis convaincu, estime qu'il faut une politique étrangère cohérente si l'on veut également une politique de défense cohérente. Vu la nature des changements dramatiques qui se sont produits hors de l'Amérique du Nord, mais dans un monde dont nous faisons toutefois partie, n'est-il pas difficile pour le Canada ou pour tout autre pays d'avoir une politique cohérente, étant donné que les événements peuvent être complètement différents l'année prochaine?

M. Hillmer : Quand on a demandé à M. Pearson ce qu'était la politique étrangère du Canada, il paraît qu'il aurait répondu : « Demandez-moi cela à la fin de l'année; je vous dirai alors ce qu'a été notre politique étrangère. »

Nous sommes une puissance de deuxième rang. Nous réagissons par nature et par nécessité. Les événements que vous avez mentionnés sont d'une importance vitale. Ils sont d'une importance vitale pour les États-Unis. Peut-être les États-Unis sont-ils en fait la puissance déclinante et peut-être nous sommes-nous liés d'un peu trop près au sort de notre voisin. L'avenir nous le dira. Au Canada, la politique étrangère se joue au jour le jour.

Le sénateur Stollery : C'est peut-être le cas partout.

M. Hillmer : On affirme souvent que nous n'avons pas de politique étrangère ou que notre politique étrangère est déterminée ailleurs que chez nous. Manifestement, elle est déterminée par les événements dans le monde, événements dont une bonne part des gens n'ont pas conscience, du fait de notre tendance à nous concentrer sur l'Amérique du Nord.

Puis-je profiter de l'occasion pour préciser que l'un de nos chapitres est écrit par un universitaire de Carleton, Jean Daudelin? Il avance que la politique étrangère du Canada est un succès étonnant, que nous sommes prospères, que nous savons moduler nos effets et que nous connaissons le succès là où il compte, dans nos rapports avec les États-Unis. Selon lui, la plus grande part de notre politique étrangère est alignée sur notre voisin du Sud, le reste étant en fait accessoire.

Le sénateur Mercer : Bienvenue, monsieur le professeur. Je vais sans doute montrer combien je suis schizophrène quand il s'agit du présent comité et des forces armées. J'ai grandi à Halifax, une ville militaire. J'ai un profond respect pour les hommes et les femmes qui servent dans les Forces canadiennes. Mon frère a fait carrière dans l'aviation; mon père a servi dans la marine.

Je voudrais revenir sur le commentaire du sénateur Rompkey à propos du faible soutien accordé aux forces armées au Canada. Je dirais que, depuis les années 60 ou, du moins, depuis le début des années 70, les Canadiens ont porté au pouvoir une succession de gouvernements qui se sont contentés de parler de leur appui aux forces armées, sans leur fournir les ressources nécessaires. Je dirais aussi que ces gouvernements, comme le sénateur Rompkey, savaient pertinemment que les défenseurs des forces armées étaient peu nombreux et qu'on s'appuyait plutôt sur une majorité d'électeurs indifférents. Seriez-vous d'accord avec moi?

J'aurais une seconde question.

M. Hillmer : Je serais parfaitement d'accord avec vous. Le dernier premier ministre du Canada à avoir pris les forces armées au sérieux a été Lester B. Pearson. Or son dernier mandat s'est achevé en 1968, ce qui commence à remonter à loin. Comme je l'ai dit plus tôt, le Canada néglige traditionnellement ses forces armées en temps de paix.

Le sénateur Mercer : Vous parlez bien de négligence, toutefois.

M. Hillmer : Effectivement.

Le sénateur Mercer : Pour revenir à vos remarques préliminaires, vous avez dit que le Canada ne pouvait pas ne pas s'aligner sur les États-Unis. Vous ajoutez que, par contre, vous n'êtes pas d'accord avec ceux qui pensent que toute la politique du Canada doit être subordonnée aux impératifs nord-américains. Vous revenez à la théorie des risques que court la souris qui dort avec un éléphant.

Cela étant dit, je serais curieux de savoir ce que vous pensez de notre décision de ne pas envoyer nos troupes en Irak. J'aimerais aussi savoir si vous pensez que nous devrions participer à la défense antimissile.

M. Hillmer : Tout d'abord, en ce qui concerne l'Irak, que cela ait semblé juste ou non à l'époque, notre décision a été massivement approuvée par les Canadiens, et elle s'est avérée justifiée. N'oublions pas non plus que, à l'époque où les États-Unis sont entrés en guerre contre l'Irak, nous étions engagés en Afghanistan et dans le golfe Persique.

Le sénateur Meighen : En secret et aux côtés des Etats-Unis. Il convient de le rappeler.

M. Hillmer : Effectivement, et peut-être cette façon de faire laissait-elle à désirer. Le premier ministre n'aurait peut-être pas dû courtiser la foule de la façon aussi ostentatoire qu'il l'a fait.

N'empêche que c'était le bon choix, du moins je le crois. Il a clairement indiqué que nous étions différents des Etats-Unis, que nous considérions les problèmes d'un autre œil et que nous faisions les choses différemment.

En ce qui concerne la défense antimissile, on pourrait avancer, à la suite de la décision prise en août 2000 d'accepter la transmission des données du NORAD, que nous faisons déjà partie de la défense antimissile. Nous nous mouillons peu à peu. C'est inévitable. Notre participation au NORAD a des conséquences majeures et, à vrai dire, inacceptables. La défense antimissile est chose faite et devrait être chose faite.

Le sénateur Mercer : Vous avez dit plus tôt que nous n'étions pas entrés en guerre aux côtés des Américains, le 12 septembre. Je ne suis pas d'accord. Je dirais même que nous sommes entrés en guerre le 11 septembre, que nous étions les premiers sur place, les premiers sur la ligne de défense. Nous avons recueilli tous ceux qui avaient besoin d'être recueillis. Les Canadiens ont prouvé leur générosité et leur amitié pour leurs voisins américains.

J'ai un neveu dans l'Armée américaine qui est en ce moment quelque part en Irak. Vous dites que la guerre en Irak n'est pas justifiée. Je suis d'accord avec vous. Il n'y avait pas d'armes de destruction massive. Elles n'ont jamais été trouvées et ne le sauront sans doute jamais. Je dirais que les Canadiens ont épaulé leurs voisins américains.

Comme l'a dit le sénateur Meighen, notre participation dans le Golfe persique et en Afghanistan est un secret bien gardé. Comme canadien, je reconnais la contribution de nos forces armées à la guerre contre la terreur et la contribution qu'elles continuent d'y apporter.

Le sénateur Atkins : Monsieur le professeur, vous dites que les auteurs n'acceptent pas que le Canada soit défini comme étant une puissance dépassée. Quand il s'agit des rapports entre le Canada et les Etats-Unis, l'influence de notre pays est-elle une chose du passé?

M. Hillmer : J'ai envie de répondre comme l'aurait fait le président Reagan : « Eh bien... ». Il est difficile de mesurer l'influence. Elle est intrinsèquement difficile à définir.

On a demandé à un groupe de décideurs canadiens si le maintien de la paix permettait d'exercer une influence dans la communauté internationale. Une grande majorité a répondu que oui. Dans le même temps, on a posé la même question à des décideurs sur la scène internationale. Leur réponse? Non, dans une énorme majorité.

Nous avons tendance à surestimer notre influence. Nous y voyons une espèce de miel dans la politique internationale. Brian Mulroney avait-il de l'influence à Washington parce qu'il avait établi d'excellents rapports personnels dans les relations entre le Canada et l'Amérique? Ou bien Jean Chrétien avait-il raison de ruer dans les brancards? Ce sont des questions auxquelles il est impossible de trouver une réponse.

Le sénateur Atkins : Quand nous nous sommes rendus à Washington, pour discuter des rapports entre le Canada et les Etats-Unis, on nous a dit que nous risquions de ne pas être pris au sérieux dans les discussions, faute d'investir des sommes conséquentes dans nos forces armées. Or, même si les politiciens ne prennent pas, selon moi, nos forces armées au sérieux, j'ai l'impression que ceux qui ont travaillé avec elles sont très favorablement impressionnés. On peut donc faire de notre influence une analyse différente. Qu'en pensez-vous?

M. Hillmer : À mon sens, les rapports entre le Canada et les Etats-Unis ne sont pas des rapports de dépendance, ce sont des rapports d'interdépendance. Je pense que les Américains ont besoin de nous, peut-être pas autant que nous avons besoin d'eux, mais ils ont vraiment besoin de nous. À mon avis, nos décisions ponctuelles sur le plan militaire, voire sur le plan de la défense antimissile, sont en fait accessoires. Nous sommes, après tout, le plus gros partenaire commercial de 39 États américains. Nous connaissons tous les chiffres. Il y a des myriades d'interactions au niveau professionnel, au niveau personnel, dans le commerce, la culture et tout le reste. Nous le savons tous. Ce sont des rapports d'interdépendance d'une grande complexité. Bien entendu, il y a des fois où les Etats-Unis sont furieux contre nous, de la même façon qu'il y a des fois où nous sommes furieux eux. Mais, au bout du compte, comme le disait vieil historien, nous sommes les frères siamois de l'Amérique du Nord, ceux qui ne peuvent vivre l'un sans l'autre. C'est un fait incontournable pour eux comme pour nous

Le sénateur Atkins : Je suis de votre avis. Bien que nous nous frottions à un gros éléphant, celui-ci a besoin de nous comme nous avons besoin de lui, même si c'est pour des raisons différentes. Manifestement les États-Unis n'ont pas besoin de notre puissance militaire. Dans le cadre de négociations ou de discussions internationales, toutefois, nous sommes en mesure de faire pour eux des choses qu'ils ne sauraient faire pour eux-mêmes.

Les résultats de l'élection de demain sont-ils importants, à votre avis? Nous connaissons bien la position de M. Bush en ce qui concerne le Canada. Nous l'avons vu à l'œuvre. Par contre, nous ne connaissons pas la position de M. Kerry.

Le sénateur Meighen : Nous la connaissons en matière d'échanges commerciaux.

Le sénateur Atkins : Effectivement. N'empêche que, même en matière d'échanges commerciaux, il y a une marge entre ce qui se dit dans une campagne électorale et ce qui se fait quand on prend les rênes d'un pays.

Le sénateur Stollery : Douze pour cent de nos exportations passent par un pipeline. Voulez-vous me dire comment on arrête un pipeline?

M. Hillmer : Je veux bien croire ce que vous dites : que le sénateur Kerry peut être plus préoccupant par certains côtés, quand il s'agit des questions quotidiennes. Mais je pense quand même que les résultats des élections de demain se feront sentir. Si le sénateur Kerry ne l'emporte pas, je pense que nous serons exposés aux dangers de MM. Bush et Cheney pendant encore quatre années. Je pense que MM. Bush et Cheney sont dangereux, non seulement pour nous, mais pour eux-mêmes et pour les États-Unis. Je pense que George Bush a montré les limites de la puissance américaine. Si vous habitez la Corée du Nord ou l'Iran, la puissance des États-Unis vous préoccupe sans doute beaucoup moins maintenant qu'avant l'invasion de l'Irak.

Le sénateur Atkins : Vous pensez que l'élection de Kerry permettrait d'atténuer la polarisation au niveau international?

M. Hillmer : Oui. Je ne pense pas qu'il sache comment s'extirper de l'Irak, qui continuera à être un bourbier et un problème épineux, mais je ne pense pas qu'il menacera le monde de la façon dont George Bush l'a menacé.

Le sénateur Meighen : À mon tour de vous souhaiter la bienvenue, monsieur Hillmer. La discussion est passionnante et, comme d'habitude quand j'interviens parmi les derniers, je constate que d'autres personnes ont déjà posé les questions que j'avais en tête. Toutefois, je souhaite revenir, si vous le permettez, à la question de savoir pourquoi nous faisons ce que nous faisons ou pourquoi nous ne faisons pas ce que nous devrions faire quand il s'agit des forces armées.

J'ai été intrigué par votre anecdote, c'est-à-dire que, lorsqu'on demande aux gens si le rôle actif que pourraient jouer les Forces canadiennes sur la scène internationale serait susceptible de faire une différence, certains répondent oui, d'autres non. Si cela ne fait pas de différence, alors pourquoi le faire? Pourquoi se doter, comme vous le recommandez, de capacités militaires plus robustes? Je crois pouvoir anticiper votre réponse, mais j'aimerais l'entendre de votre propre bouche.

M. Hillmer : En tant qu'historien, je me réfugie toujours derrière l'histoire. Traditionnellement, la raison pour laquelle nous avons... c'est peut-être un peu fort que de parler de forces armées robustes.

Le sénateur Meighen : Notre marine occupait la troisième place dans le monde lors de la Seconde Guerre mondiale.

M. Hillmer : Ce fut très bref. Cela n'a pas duré longtemps. Généralement parlant, nous n'avons pas eu des forces armées robustes. Nous leur avons consacré juste l'argent que nous estimions nécessaire pour que les États-Unis ne se mêlent pas d'assumer eux-mêmes la responsabilité. En matière de politique de défense au Canada, c'est une vieille rengaine.

Manifestement, nous devons nous défendre sur des plans plus fondamentaux. La sécurité du territoire a un volet de sécurité nationale, mais aussi un volet militaire. Il y a l'assistance aux autorités civiles; il y a la défense du continent. Et je reviens à cette fibre internationaliste, à laquelle tiennent les Canadiens. Il me semble que les Canadiens ont le sentiment indéfini d'être reliés au reste du monde. De nos jours, bien sûr, nombreux sont les Canadiens qui sont récemment arrivés d'un autre point du globe, si bien que le sentiment d'être reliés au reste du monde est encore plus vivant. Sur tous ces plans, il est bon d'avoir des forces armées.

J'ai dit plus tôt que cela m'avait semblé vague, et c'est, je crois, parce que nous sommes traditionnellement un peuple peu militariste. Nous nous considérons comme un peuple pacifique, comme un pays pacifique. Ce n'est pas par hasard que, aux yeux de bien des Canadiens, notre plus importante réalisation militaire est le maintien de la paix. Le Canadien fait la paix, l'Américain fait la guerre. C'est une autre caractéristique de l'image que nous avons de nous-mêmes.

Le sénateur Meighen : D'où cela vient-il? Cette croyance a dû prendre de l'importance ces 30 dernières années, car elle n'existait pas en 1945. Comme vous, j'estime que nous avons absolument négligé nos forces armées entre la Première et la Seconde Guerres mondiales, mais nous considérions-nous comme un pays non belliqueux en 1945?

M. Hillmer : Pas en 1945, mais la démobilisation s'est faite très vite avant la mobilisation rapide qui a suivi l'attaque de la Corée du Sud par la Chine.

Le sénateur Meighen : Pourquoi n'avons-nous pas offert une force de maintien de la paix? Nous ne l'avons pas fait; nous avons dit que nous participerions.

M. Hillmer : De nos jours, la Corée figure fréquemment sur la liste des opérations de maintien de la paix.

Le sénateur Meighen : C'était un euphémisme pour les Nations Unies.

M. Hillmer : Peut-être, mais cela plaît à bien des érudits et à bien des Canadiens. Oui, c'est un concept qui a pris de l'ampleur ces 30 ou 40 dernières années et qui a été inventé après Suez et l'obtention du prix Nobel de la paix. Toutefois, on n'interprète mal l'histoire quand on affirme que M. Pearson était un partisan de la paix à tout prix. C'était un pacifiste qui savait aussi adopter la ligne dure.

Le sénateur Meighen : Le sénateur Rompkey a souligné, et je trouve cela frustrant, que les défenseurs d'une armée plus forte sont encore trop peu nombreux. Comme vous l'avez fait remarquer, beaucoup de gens arrivant au Canada de diverses régions du monde ont été très perturbées, très touchés par la violence et la guerre.

Le sénateur Stollery : Voilà pourquoi ils viennent ici.

Le sénateur Meighen : Pourquoi n'avons-nous pas su transmettre l'idée que notre pays a la responsabilité non seulement de se défendre dans la mesure de ses capacités, mais aussi de jouer un rôle important dans la sécurité du monde, dans la prévention des conflits qui font rage actuellement dans de nombreux pays?

M. Hillmer : Nous estimons que c'est déjà ce que nous faisons.

Le sénateur Meighen : Comme l'a dit le sénateur Rompkey, et vous vous êtes dit d'accord, bien peu de gens au pays sont de cet avis.

M. Hillmer : Ce n'est pas que nous ne croyons pas faire le bien dans le monde — excusez mon emploi du double négatif — nous croyons faire le bien dans le monde.

Le sénateur Meighen : Tant que cela ne nous coûte pas trop cher, et tant que nous n'avons pas de difficulté outre mer.

M. Hillmer : Précisément, et nos dirigeants politiques se sont servis de façon éhontée de ce préjugé. M. Trudeau, M. Mulroney, M. Chrétien et d'autres ont tous une part de responsabilité à cet égard.

Il serait intéressant qu'un premier ministre affirme que nous devons faire de nouveaux investissements considérables dans nos forces armées. Je ne crois pas que cela produira, mais j'aimerais bien voir quelle serait la réaction des Canadiens. Cette réaction pourrait nous étonner tous.

Le sénateur Meighen : C'est ce qui s'appelle diriger ou façonner l'opinion publique plutôt que de la suivre.

Ailleurs dans votre texte, au sujet des politiques canadiennes et du fait qu'elles sont parfois subordonnées aux impératifs nord-américains, vous dites qu'il serait bon que les politiques et priorités nord-américaines soient clairement articulées. Je me demande sur quelle tribune cela pourrait se faire : sur une tribune universitaire, sur une tribune politique ou les deux? Nous pourrions peut-être établir certaines priorités communes, mais j'ai l'impression que les priorités du Canada diffèrent de celles des États-Unis.

M. Hillmer : Oui, et je pensais à une version canadienne de nos politiques nord-américaines. Nous avons tendance, dans nos politiques étrangères, à avoir une vie que je qualifierais de secrète. Je crois que 85 p. 100 de nos échanges commerciaux sont avec les États-Unis et je crois que l'on peut également dire que 85 p. 100 de nos contacts en politique étrangère sont avec ce pays également; cependant, nous nous cachons derrière des masques et nous parlons de nos valeurs et de notre internationalisme, simplement pour dire de cette façon que nous ne sommes pas des Américains.

Je pensais qu'il serait utile, et je crois que mes coauteurs étaient d'accord, que le gouvernement énonce clairement nos intérêts pour ce continent et ce qu'il pense que sont nos intérêts. Si nous pouvions avoir une vision politique claire comme fondement d'une analyse générale de notre politique étrangère et de relations canado-américaines, peut-être les choses seraient-elles placées dans leur contexte. Par exemple, quelle importance accordons-nous à l'interopérabilité des forces armées du Canada et des États-Unis? Si ces choses sont importantes, certains investissements doivent être faits pour que nos opérations demeurent compatibles et pertinentes. Si la politique n'est pas énoncée, rien ne garantit que les ressources seront affectées.

Le sénateur Forrestall : Nous sommes conscients des réactions que suscite ce genre de forum et nous savons pertinemment que, même si nous voulions repartir à zéro, faire table rase, il nous faut reconnaître que très peu d'options s'offrent à nous.

J'ai passé pratiquement ma vie d'adulte dans le secteur politique; en fait, ma vie politique remonte à Robert Stanfield au milieu des années 60. Il y avait à l'époque beaucoup de jeunes Norman Hillmer et de jeunes Jack Granatstein. M. Pearson était un jeune homme qui travaillait dans le secteur des affaires étrangères.

Y a-t-il aujourd'hui de jeunes universitaires, hommes et femmes, qui sauront influer sur la façon de penser des Canadiens? S'il n'y en a pas, n'appartient-il pas aux universités de former ces jeunes? N'enseignons-nous qu'un aspect de la question? Si vous n'étiez pas historien mais oeuvriez dans un autre secteur, je ne poserais peut-être pas la question, mais puisque vous êtes historien, je la poserai : participons-nous à un débat fort simple dans le cadre duquel on nous demande de nous pencher sur quelques possibilités fort limitées? Est-il possible d'élargir cette discussion? Je me demande pourquoi cette question ne suscite pas plus d'intérêt. Pourquoi le groupe d'intéressés est-il si limité? À ma connaissance, après 30 ans dans le secteur de politique, dont six ans à la Chambre des communes, je me souviens que le dernier ministre provenant des forces armées était Léo Cadieux.

Y a-t-il des jeunes universitaires qui sont prêts à vous remplacer, messieurs, comme experts? Pratiquement toute ma vie j'ai suivi vos activités et j'ai vu vos publications. Le peu que je connais, je l'ai appris de vous. Est-ce que votre domaine de connaissance attire de plus en plus de jeunes?

M. Hillmer : Pas dans le domaine de l'histoire. Cependant, l'histoire militaire intéresse beaucoup d'étudiants, mais il est difficile de convaincre les facultés d'histoire au Canada de recruter un historien militaire. Roger Sarty, l'ancien directeur adjoint du Musée canadien de la guerre vient d'être embauché par l'Université Wilfred Laurier. Cependant, dans l'ensemble, l'histoire militaire n'est pas enseignée par des universitaires experts dans le domaine ou par les experts de demain, mais la question intéresse certainement les étudiants.

Quant à la science politique et aux relations internationales, nous avons dans le secteur universitaire toutes sortes d'experts des questions militaires et des questions de défense. Nous nous assurons toujours d'avoir au moins un diplômé qui publie un chapitre dans Canada Among Nations. Cette année, Philippe Lagassé a rédigé un article peu orthodoxe que j'ai fait parvenir au comité l'autre jour. Il y présente des arguments sur la défense canadienne qui vont à l'encontre de ce qui est généralement accepté. Je suis parfaitement heureux de placer notre avenir entre ses mains et entre celles des autres universitaires.

Le président : J'aimerais revenir aux questions posées par le sénateur Meighen. J'ai été surpris lorsque vous avez dit en réponse au sénateur Moore que, pendant un demi-siècle, les Canadiens ont fait preuve d'une tendance à l'internationalisme. Si je ne me trompe pas, c'est le terme que vous avez employé. Personnellement, je pensais que la politique de défense du Canada était plutôt une politique axée sur le corps expéditionnaire, que nous avons toujours pensé que nous devions livrer bataille « à l'étranger ». Nous avons longtemps eu des citoyens combattants si je peux m'exprimer ainsi. Je pense à la guerre des Boers, à la Première Guerre mondiale, à la Seconde Guerre mondiale et la guerre de Corée. Cette histoire est bien différente de ce que vous décrivez. Nous avons une histoire de soldats qui vont « à l'étranger », qui participent au combat, reviennent au pays et reprennent leur vie. Est-ce que cela correspond à votre perception?

M. Hillmer : Notre bilan militaire au XXe siècle — selon mes calculs, six guerres et six performances distinguées — est excellent. Je faisais allusion à la négligence du gouvernement à l'égard des forces armées.

Le président : C'est une question de motivation. Notre comité n'est pas là pour défendre le gouvernement. Nous sommes là pour lui demander des comptes, mais les gens sont allés à l'étranger parce qu'ils avaient un besoin. Ils avaient un intérêt.

Qu'est-ce que les Canadiens considèrent comme une menace à l'heure actuelle? Comment décrivez-vous les menaces que perçoit le Canadien moyen?

M. Hillmer : M. Martin, dans une de ses allocutions, a dit que la plus grande menace pour les Canadiens était le terrorisme. Je ne pense pas que la plupart des Canadiens estiment que ce soit le cas. La plupart pensent que la plus grande menace à leur sécurité est George W. Bush, et c'est la raison pour laquelle il obtiendrait si peu de voix au Canada.

Une autre déclaration célèbre par un autre historien célèbre, George Stanley, qui a écrit Canada's Soldiers, est que nous sommes un peuple non militaire. Ce grand historien a ajouté que nous étions un peuple non militaire qui faisait la guerre extrêmement bien. Le gouvernement et les politiciens ont fait appel à l'aspect non miliaire, et c'est de temps en temps, lorsqu'une menace devient très concrète, que nos citoyens soldats et les excellents militaires canadiens se montrent à la hauteur, et c'est une contradiction qui se retrouve tout au long de l'histoire du Canada.

Le président : Alors, si on est entre deux guerres, comment expliquer au boulanger, au fabricant d'automobiles ou à l'agriculteur le besoin d'assurer la sécurité nationale ou de se défendre? Comment leur expliqueriez-vous qu'il est important pour leur vie d'avoir une solide capacité militaire?

M. Hillmer : Je commencerais par décrire la situation comme l'a fait le premier ministre Mackenzie King vers la fin des années 30. Lorsque le président Roosevelt a fait des pressions auprès du Canada afin que ce dernier procède au réarmement et nous a en quelque sorte menacés en disant que, si nous ne le faisions pas, il y verrait, le premier ministre du Canada s'est levé et a dit non merci. Nous nous occuperons de nous-mêmes. C'est une question de respect de soi-même.

Il me semble que c'est là l'argument que nous devons faire valoir. Si nous n'avons pas une armée qui peut faire autre chose que de déployer quelques centaines de militaires pour quelques mois, est-ce une situation de respect de soi dans le monde? Je ne pense pas. C'est l'argument qui m'a toujours frappé comme étant le plus important que l'on puisse présenter.

Il est difficile de dire à l'agriculteur ou au boucher que la défense nationale est cruciale pour lui, tout simplement parce que cela ne semble pas être le cas. Cependant, le respect de soi est une chose que nous devons tous comprendre, et c'est ce que ce petit homme plutôt non militariste, Mackenzie King, a dit à la fin des années 30, et aucun premier ministre canadien n'a dit cela à l'époque moderne.

Le président : Vous avez dit que la politique étrangère était une chose que les dirigeants canadiens pouvaient déterminer le mieux en rétrospective, ensuite vous avez brièvement parlé des intérêts nationaux. L'intérêt national dont vous avez parlé — et je pense que ce n'était qu'un exemple — est la question de l'interopérabilité avec les États-Unis. Pouvez-vous dire au comité quels autres intérêts nationaux devraient nous préoccuper?

M. Hillmer : Lorsque nous avons songé à ce que nous pourrions dire dans ce livre, nous avons tenté de faire valoir que nous devions établir des priorités. À cet égard, nous devons déterminer nos intérêts nationaux. Nous ne sommes pas très bons lorsqu'il s'agit de déterminer ce genre de chose. Nous ne sommes pas très bons pour ce qui est de faire des choix, de sorte que nous pensons que nous pouvons tout faire avec très peu. Nous voulons le meilleur de tous les mondes. Comme Henry Kissinger l'a dit dans ses mémoires, nous voulons être les gardiens de la paix et nous voulons être membres de l'alliance. Nous voulons être près des États-Unis sur le plan économique, mais nous voulons également notre indépendance. Un point de départ pertinent serait de déterminer clairement quel est l'intérêt national.

Je crois qu'il y a deux arguments qu'on pourrait faire valoir. On pourrait dire : « Écoutez, les intérêts nationaux du Canada se trouvent aux États-Unis, point à la ligne; nous sommes devenus complètement nord américanisés; voilà, c'est tout ce qui compte. » Par contre, on pourrait faire valoir de façon plus traditionnelle qu'il faut un équilibre entre le bilatéralisme et le multilatéralisme afin de nous comprendre, en ce qui a trait tant à notre psychologie qu'à notre équilibre dans le monde. C'est ainsi qu'on évite les étreintes bilatérales étouffantes.

Nous sommes le pays qui est membre du plus grand nombre d'organisations internationales. C'est une banalité que vous avez tous entendue, mais c'est également la réalité qui domine notre mentalité. Quand M. Martin a prononcé tous ses discours à la fin de 2003 et au début de 2004, il n'a pas dit grand-chose à propos des Etats-Unis. Il a parlé de l'aisance du Canada, de la construction du pays et de notre multilatéralisme. C'est ainsi, selon lui, que nous allions retrouver notre importance sur le plan international. Il est clair que les décideurs — et nous avons intégré des extraits de leurs textes au tome — adhèrent toujours à cette tendance internationaliste. L'opinion selon laquelle c'est l'alpha et l'oméga au Sud n'est pas l'opinion dominante en l'occurrence, à mon avis.

Le président : On a beaucoup parlé ce soir du manque de leadership politique, du manque de volonté politique. On a également fait valoir que les politiciens sont dans le bon chemin, qu'ils lisent assez bien dans la pensée de l'électeur. Pouvez-vous suggérer au comité comment s'y prendre pour élaborer un ordre des intérêts nationaux?

M. Hillmer : Nous souhaiterions voir le genre d'analyses qui se fait actuellement, à savoir l'examen de la politique internationale, mais à une différence près. Nous aimerions que le gouvernement soit clair à propos de ses priorités — soit son idée du rôle du Canada sur le plan international —, de sorte que les ministères, par exemple Défense nationale, Affaires étrangères, Commerce international et l'ACDI, aient une bonne idée de la façon dont ils devraient offrir leurs conseils. À ce que je sache, cela ne s'est pas encore fait et les ministères se renvoient l'examen de la politique internationale. Diverses opinions ont été exprimées, mais les élus n'ont pas clairement exprimé les intérêts nationaux. Ça, c'est la chose la plus importante, à mon avis.

Le président : Cela laisse entendre une démarche tout à fait descendante. Et si elle était ascendante, comment fait-on pour parler aux Canadiens à propos de leurs intérêts et pour s'informer de leurs objectifs et de ce qu'ils estiment important?

M. Hillmer : C'est à espérer avec ardeur. M. Axworthy a parlé de la démocratisation de la politique étrangère. Je pense qu'il y croyait et qu'il y a donné suite dans une certaine mesure. Son idée de l'opinion publique était souvent celle d'un ONG. Ce n'est pas facile de savoir précisément comment s'y prendre en se déplaçant comme vous d'un bout à l'autre du pays à l'écoute des Canadiens. C'est une possibilité. Or, je ne crois pas que cela relève de la fonction publique ni de la population. Cela relève de la population lorsqu'elle porte un gouvernement au pouvoir.

Comme premier point à l'ordre du jour, ce gouvernement aurait dû clairement établir précisément ce qu'il attendait de cet examen de la politique afin qu'on puisse établir les priorités, puis les ressources, les décisions financières et le reste — notamment, quel système d'armes abandonner, quel système d'armes privilégier, quelle ambassade fermer ou quelle base fermer — pourraient découler d'une espèce de leadership.

Le président : C'est le moment opportun de lever la séance. Merci beaucoup, monsieur Hillmer. Merci d'avoir été des nôtres. Je suis certain que le comité a trouvé la discussion stimulante, et nous avons hâte de vous revoir dans un avenir rapproché.

Si vous avez des questions ou des observations, consultez notre site Web au www.sen-sec.ca. Nous y affichons les témoignages ainsi que les dates de séances confirmées. Vous pouvez également contacter le greffier du comité en composant le 1-800-267-7362 pour obtenir de plus amples renseignements ou pour qu'on vous aide à contacter les membres du comité.

La séance est suspendue, et nous allons reprendre à huis clos dans la salle attenante dans deux minutes.

Le comité poursuit sa réunion à huis clos.


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