Délibérations du comité sénatorial permanent des
affaires étrangères
Fascicule 17 - Témoignages du 8 juin 2005
OTTAWA, le mercredi 8 juin 2005
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 16 h 6 pour étudier les défis en matière de développement et de sécurité auxquels fait face l'Afrique; la réponse de la communauté internationale en vue de promouvoir le développement et la stabilité politique de ce continent; et la politique étrangère du Canada envers l'Afrique. Le sujet d'aujourd'hui est l'Organisation mondiale du commerce.
Le sénateur Peter A. Stollery : (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : C'est notre vingt-huitième séance sur l'Afrique. M. Verheul et Mme St. George sont nos quatre-vingt- dix-huitième et quatre-vingt-dix-neuvième témoins. Les derniers mois ont été captivants. Je veux leur souhaiter la bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères, dans le cadre de notre étude spéciale sur l'Afrique.
[Traduction]
La séance d'aujourd'hui sera consacrée aux présentes négociations dans le cadre du cycle de Doha de l'Organisation mondiale du commerce. Nous nous concentrerons plus particulièrement sur les questions relatives à l'agriculture dans le cadre de ces négociations.
[Français]
Nous avons donc le plaisir de recevoir M. Steve Verheul, négociateur principal en agriculture. M. Verheul travaille à Agriculture et Agroalimentaire Canada depuis 15 ans et s'occupe maintenant de la participation du Canada aux négociations internationales agricoles de l'Organisation mondiale du commerce. M. Verheul est accompagné parMme Shelley St. George, analyste principale des politiques commerciales à la Division des politiques de commerce multilatéral. Nous vous souhaitons la bienvenue au Sénat du Canada.
Merci d'être venus nous rencontrer aujourd'hui. Je sais que vous sortez d'une autre réunion. Vous êtes au courant de certaines de nos préoccupations et questions. Il faut évidemment bien comprendre que les négociateurs reçoivent des instructions du ministère sur la position que le Canada doit adopter au cours des négociations agricoles de l'OMC durant le cycle de Doha. La parole est à vous, monsieur Verheul.
M. Steve Verheul, négociateur principal en agriculture, Agriculture et Agroalimentaire Canada : J'aimerais d'abord vous résumer où en est le processus de négociation à l'heure actuelle. Pour ce qui est de l'Afrique, je vais vous expliquer comment les pays africains négocient au sein de l'OMC et vous indiquer quels sont leurs principaux intérêts sur le plan défensif et sur le plan offensif. Je vais essayer d'être bref pour vous laisser le temps de poser des questions.
Pour ce qui est du processus de négociation, nous négocions depuis un peu plus de cinq ans. Les travaux ont démarré assez lentement jusqu'à la rencontre ministérielle de 2001 qui a eu lieu à Doha, au Qatar, au cours de laquelle les objectifs et les échéances ont été fixés. Depuis, nous n'avons réussi à respecter aucune des échéances établies; c'est donc dire que les négociations ont été au ralenti, mais les choses commencent à progresser depuis quelque temps.
La rencontre ministérielle de Cancun en 2003 a été un échec, ce qui a un peu alarmé différents pays quant aux chances de succès des négociations. Un processus plus intensif a commencé à l'automne 2003 pour se poursuivre jusqu'à l'été dernier, soit juillet 2004. À ce moment-là, nous avions convenu d'un cadre de référence pour les négociations sur l'agriculture. Il s'agit essentiellement d'une feuille de route sur le déroulement à venir des négociations, un plan pour les différents enjeux et les discussions à leur sujet.
Depuis que nous avons convenu du cadre de référence, nous avons engagé des négociations assez soutenues au moins une semaine par mois à Genève. Avec l'approche de l'été, ces négociations s'intensifient.
Nous travaillerons à Genève pratiquement sans arrêt à partir de la semaine prochaine jusqu'à la fin juillet. Notre objectif est d'essayer d'en arriver à un premier rapprochement sur les modalités. Les modalités sont essentiellement toutes les dispositions précises que nous essayons de négocier — comme la façon de réduire les tarifs douaniers et les subventions nationales et le moment où nous allons éliminer les subventions à l'exportation. Nous voulons conclure tout cela d'ici la rencontre ministérielle de Hong Kong qui aura lieu en décembre cette année.
Ensuite, si tout va bien, presque toute l'année 2006 devrait être consacrée à essayer de ratifier les derniers éléments des négociations. Voilà pour ce qui est du calendrier et du processus engagé.
Pour ce qui est des pays en développement de l'Afrique, en particulier, je vais d'abord vous expliquer comment ils négocient. Les pays d'Afrique, comme la plupart des pays participants, négocient surtout en groupe. Il y a très peu de pays qui agissent seuls. C'est très difficile de faire cavalier seul au sein d'un organisme composé de 148 membres, de sorte que les pays ont tendance à former des alliances pour négocier.
Il y a cinq pays africains qui font partie du G20, un groupe qui est dirigé par le Brésil. Cette formation réunit également plusieurs pays en développement influents comme la Chine, l'Inde et l'Afrique du Sud. Le G20 est probablement le regroupement qui exerce le plus de pressions dans les négociations, à part les États-Unis et l'Europe.
On retrouve également un groupe de pays en développement dits du G33 qui cherche à défendre les intérêts des pays en développement et à limiter le nombre de concessions qu'ils auront à faire sur le plan de l'accès aux marchés.
De son côté, un autre pays d'Afrique, l'île Maurice, fait partie du G10, qui réunit des pays à l'esprit plus défensif, mais aussi des pays développés comme le Japon et la Suisse. Il y a également l'Union africaine, qui forme aussi un groupe de négociations. En outre, sur les 30 membres du groupe des pays les moins développés à l'OMC, 24 sont des pays d'Afrique. Il y a également le groupe des États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique qui rassemble des pays bénéficiant de préférences en Europe. Enfin, il y a le G90, qui est le plus important groupe de pays en développement. Voilà pour les divers groupes de négociations. Ils se recoupent et ont des intérêts différents, mais c'est ainsi que les négociations s'organisent dans le cas des pays en développement.
Sur le plan offensif, l'Afrique et l'ensemble des pays en développement veulent faire apporter des modifications de fond aux subventions versées par les pays industrialisés, surtout les États-Unis et la Communauté européenne. Leur priorité actuellement est d'essayer de faire réduire au maximum cette aide nationale, en vue de l'éliminer. Plus particulièrement, ils refusent de discuter de l'ouverture de leurs marchés avant d'avoir eu l'assurance, dans une certaine mesure, qu'ils ne les ouvrent pas à des produits subventionnés.
Ils tiennent à ce qu'on supprime les subventions à l'exportation sur tous les produits parce qu'elles ont tendance à fausser les marchés mondiaux et entraînent le dumping de produits à très bas prix sur leur marché, ce qui perturbe la production. C'est un autre de leurs grands objectifs.
Ils défendent d'autres intérêts qui peuvent sembler assez différents, comme l'aide alimentaire. En effet, le recours abusif à l'aide alimentaire inquiète l'Afrique, parce que les États-Unis, bien souvent, écoulent leur production excédentaire sur les marchés africains au point de les désorganiser.
Les pays d'Afrique concentrent leurs efforts pour que les pays développés abandonnent les subventions qui déstabilisent non seulement les marchés et les prix internationaux mais aussi les marchés d'Afrique.
Pour ce qui est de l'accès aux marchés, ils aimeraient que les marchés des pays développés et, dans bien des cas, des pays en développement leur soient beaucoup plus facilement accessibles. Nous avons la possibilité, comme vous le savez, de laisser entrer en franchise de droits et hors quota toutes les importations en provenance des pays les moins développés. Cela fait partie du cadre de référence conclu l'an dernier.
Ils s'opposent à l'escalade douanière, selon laquelle les pays développés imposent des tarifs plus élevés sur les produits finis que sur les matières premières, ce qui freine la production de valeur ajouté dans les pays africains.
Voilà pour ce qui est de leurs principales revendications sur le plan offensif.
Sur le plan défensif, c'est l'accès à leurs marchés qui les préoccupe le plus. Ils veulent essayer de le limiter le plus possible. Ils feront appliquer d'ailleurs différentes dispositions à ce sujet. D'abord, ils auront droit à un traitement spécial pour les produits sensibles, tout comme les pays développés. Dans ce cas, les produits sensibles ne seront pas touchés par les mêmes réductions de tarifs douaniers que d'autres produits.
Ensuite, une disposition va s'appliquer aux pays en développement seulement concernant les produits spéciaux qui seront définis à partir des critères particuliers liés notamment à la sécurité alimentaire, à la sécuritaire des moyens de subsistance et au développement rural. Ces pays pourront ainsi désigner un certain nombre de produits spéciaux qui ne seront pas visés comme d'autres par la réduction douanière et l'accès aux marchés.
De plus, les pays en développement pourront recourir à un mécanisme de sauvegarde spécial qui va atténuer l'impact d'une augmentation subite des importations ou de la vente à très bas prix d'un produit au point de perturber le marché local. Dans ces cas, ce mécanisme leur permettra de se protéger et de réagir à la situation.
Toujours sur le plan défensif, il y a aussi la question des préférences et de l'érosion de ces préférences. Certains pays africains en développement, dont l'île Maurice, bénéficient d'un accès préférentiel au sein de la Communauté européenne dans le cas du sucre. Les prix sont très élevés sur ce marché, et on leur réserve un accès particulier. Si les tarifs douaniers baissent en Europe, ils pourraient perdre cet accès privilégié au profit d'autres pays en développement qui offrent des prix plus compétitifs, comme le Brésil. Ils craignent de perdre cet avantage en Europe.
En même temps, des pays en développement veulent avoir un meilleur accès à d'autres pays en développement — c'est toute la question du commerce sud-sud. Les pays d'Afrique ont une attitude plus défensive qu'offensive, mais il y a des pays en développement en Amérique centrale et en Amérique latine qui veulent améliorer leur accès aux autres pays en développement.
L'aide nationale est préconisée par le G-20 qui, comme je l'ai dit, comprend le Brésil, la Chine, l'Inde et l'Afrique du Sud. Ces pays demandent que la réduction de l'aide nationale puisse être étalée sur une plus longue période et qu'il y ait des règles plus souples concernant la façon dont pourraient être autorisés les programmes ou les dépenses, qui revêtent un intérêt particulier pour les pays en développement. Ils commencent à formuler des propositions en ce sens.
Voilà un très bref aperçu de la situation. Je vous ai communiqué beaucoup d'informations, mais voilà quels sont les enjeux concernant l'Afrique ainsi que l'état des négociations. Nous serons heureux de vous fournir plus de précisions sur l'une ou l'autre de ces questions, si cela vous intéresse.
Le président : Merci. Madame St. Georges, voulez-vous ajouter quelque chose?
Mme Shelley St. George, analyste principale des politiques commerciales, Division des politiques de commerce multilatéral, Agriculture et Agroalimentaire Canada : Non.
Le président : Votre témoignage est très complet, et nous essayons de l'associer à notre étude sur l'Afrique. Je vais inviter le sénateur Robichaud à prendre la parole.
Le sénateur Robichaud : Vous avez parlé de l'aide nationale et de ce que ces pays veulent faire à ce sujet. J'avais l'impression, à la suite des pressions exercées par la Banque mondiale d'un côté et le Fonds monétaire international de l'autre, qu'ils devaient abandonner tous ces programmes liés à l'aide nationale. Est-ce le cas ou si je me trompe?
M. Verheul : Vous avez tout à fait raison à propos d'un certain nombre de pays africains. Les exigences imposées par la Banque mondiale et d'autres institutions monétaires internationales aux pays africains limitent le montant et la nature de l'aide que ces pays peuvent offrir.
Ils peuvent toujours fournir une certaine aide, dans la mesure où certains critères sont respectés. De toute évidence, la plupart des ces pays n'ont pas beaucoup les moyens de financer les programmes de cette nature. C'est pourquoi la situation n'inquiète pas vraiment l'OMC. Il s'agit de leur accorder assez de souplesse qu'ils puissent suivre les règles.
Actuellement, les pays d'Afrique et d'autres pays en développement se plaignent que les règles sur les subventions tiennent compte davantage des besoins des pays développés que de ceux des pays en développement. Nous essayons d'adapter certaines dispositions et règles pour répondre aux programmes que les pays en développement aimeraient mettre en œuvre.
Le sénateur Robichaud : Il y sûrement des chances de succès, mais comment les choses évoluent à ce sujet?
M. Verheul : Nous entamons les discussions là-dessus. Au cours des pourparlers que nous avons eus à Genève la semaine dernière, le G20 — le groupe dirigé par le Brésil dont plusieurs membres sont des pays africains — a commencé à présenter des propositions détaillées sur les modifications qu'il aimerait faire apporter aux règles plus particulièrement pour les pays en développement.
Ce groupe a de l'influence et peut recevoir l'appui de l'ensemble des pays en développement, de sorte qu'il est devenu aussi puissant que le sont les États-Unis ou l'Europe dans les négociations. Certaines des politiques ou des propositions qu'il présente peuvent rallier jusqu'à 90 ou 100 pays, ce qui représente un poids important.
Le sénateur Robichaud : Où se situe le Canada? Apportons-nous de l'aide à ces pays?
M. Verheul : Oui. En fait, nous avons participé à des rencontres au Brésil il y a deux semaines. Nous avons alors engagé des discussions sur les diverses propositions. Je me suis aussi rendu au Brésil la semaine dernière pour en discuter.
Ils nous ont remis copie de leur ébauche de proposition. Nous sommes le premier pays, en dehors des pays en développement, à en prendre connaissance, parce qu'ils aimeraient qu'on leur fasse part de nos réactions, de nos commentaires et de nos conseils sur la question. Depuis une semaine, nous réfléchissons aux conseils que nous pouvons leur fournir afin de rendre les propositions plus acceptables à l'ensemble des membres.
Le sénateur Robichaud : Allez-vous appuyer ces propositions?
M. Verheul : Nous ne les approuvons pas toutes dans leur version actuelle parce que certaines d'entre elles, selon nous, n'énoncent pas de façon assez précise leurs objectifs. Il est aussi dans leur intérêt que le libellé soit clair pour qu'on sache si les règles sont respectées ou non. Nous sommes prêts à faire preuve de beaucoup de souplesse pour modifier les règles, mais nous voulons nous assurer qu'il existe encore certaines limites.
Plus généralement, on veut trouver le moyen d'élaborer des critères qui vont répondre aux besoins des pays africains, par exemple, sans nécessairement trop protéger un pays comme le Brésil qui est beaucoup plus concurrentiel et en mesure de défendre ses intérêts.
Le sénateur Robichaud : Vous parlez d'élaborer des critères. Est-ce que la capacité de se nourrir d'un pays est prise en considération dans l'étude des règles? J'ai l'impression que ces règles protègent les pays développés, pour que nous puissions vendre aux pays en développement. Est-ce qu'on tient compte des capacités de ces pays sur le plan agricole? Quand nous avons essayé d'aider, les choses n'ont pas très bien fonctionné. Nous avons entendu parler de familles dont trois des enfants mangeaient le lundi et les autres le mardi. Certaines familles dans certains pays ne peuvent pas manger à leur faim. Est-ce un facteur?
M. Verheul : Cette question particulière ne fait normalement pas l'objet de discussions à l'OMC. Toutefois, on voit maintenant de plus en plus, surtout depuis deux ans, des propositions émanant de pays en développement qui commencent à occuper une place qu'ils n'avaient pas auparavant dans le choix des priorités. C'est assez nouveau. Cela n'a pas commencé avec le début du cycle de Doha, dont les négociations sont censées porter sur le développement. C'est beaucoup plus récent et ça tient au fait que certains pays en développement ont pris le devant de la scène.
Le Brésil en est le meilleur exemple. Ce pays négocie évidemment pour lui-même, mais il essaye aussi d'exercer un rôle de leader pour le compte des pays en développement, tout comme le font certains autres, et c'est la raison pour laquelle il y a maintenant des pays africains parmi les membres. Les propositions mises de l'avant viennent en fait des pays en développement. Du coup, les discussions sont beaucoup plus centrées sur ce qu'ils recherchent en termes de souplesse.
La dynamique des relations de pouvoir dans les négociations a connu un changement radical.
Le sénateur Robichaud : En faveur de qui?
M. Verheul : Les pays en développement jouent maintenant un rôle à part entière, alors qu'auparavant ils se contentaient essentiellement d'observer les pays développés fixer les règles entre eux.
Le sénateur Corbin : Mes questions vont dans le même sens que celles du sénateur Robichaud.
Hier, M. Blair a rencontré le président des États-Unis. Il n'a pas réussi à obtenir l'engagement du président Bush à appuyer son prétendu rapport. Le président Bush a annoncé une aide supplémentaire de 750 millions pour l'Afrique. Quelle incidence cela aura-t-il sur vos tentatives actuelles? N'est-ce pas le genre de choses auxquelles certains groupes sont opposés?
M. Verheul : Il est certain que nous nous concentrons sur la création d'un environnement où les pays en développement, et en particulier les pays africains, pourront participer plus efficacement aux échanges internationaux. Ils ne feront pas face au même niveau de subventions dont profitent actuellement les pays développés. Ils auront davantage de capacité, chez eux, pour développer leur propre économie dans le secteur agricole. S'ils peuvent faire avancer leur propre économie, ils réussiront mieux que si ce sont les pays développés qui leur donnent de l'argent. Voilà le genre d'environnement que nous tentons de promouvoir à l'OMC, pour permettre à ces pays de progresser dans cette direction. S'ils peuvent participer plus efficacement aux échanges internationaux, ce sera bon non seulement pour leurs intérêts, mais aussi pour ceux des autres pays en développement et pour le commerce international en général.
Le sénateur Corbin : Êtes-vous préoccupé par la crise entourant le référendum récent en Europe, le rejet du projet de constitution européenne et le fait que M. Blair ait décidé d'attendre? Cela ne risque-t-il pas d'avoir une incidence sur vos négociations? Personne ne sait ce que l'avenir nous réserve. Cela vous inquiète-t-il?
M. Verheul : Jusqu'à présent, cela n'a pas beaucoup eu d'effet sur le processus de négociation. Mais comme vous l'avez dit, tout peut changer. J'ai parlé à des Européens de cette question la semaine dernière. Pour l'instant, leurs politiques et leurs positions demeurent les mêmes dans le cadre des négociations. Leurs intérêts sont inchangés. Je ne m'attends pas à voir quelque différence ou changement que ce soit au niveau des négociations. Les discussions portant sur la constitution pourraient avoir une incidence plus grande sur la communauté européenne comme entité, mais je pense que leurs positions de négociation demeureront les mêmes.
Le sénateur Corbin : J'aimerais revenir sur ce que vous appelez le plan défensif. Vous avez fait référence à un traitement spécial pour les produits sensibles. Pourriez-vous nous en parler un peu plus?
M. Verheul : Cela se passe à plusieurs niveaux. Il existe une disposition, dans le cadre que nous avons négocié en juillet dernier concernant les produits sensibles, qui s'applique autant aux pays développés qu'aux pays en développement. Le but est d'identifier un certain nombre de produits pour lesquels on n'aurait pas à appliquer le même type de réduction des droits de douane que celui réservé à la plupart des autres produits. Autrement dit, il s'agit d'une exemption par rapport à l'ensemble de la formule de réduction des droits de douane permettant d'obtenir un traitement spécial pour ces produits sensibles. Les pays développés auront un certain nombre de ces produits et les pays en voie de développement en auront plus. Ceci est un élément.
Par ailleurs, il y aura une disposition supplémentaire pour les pays en développement concernant les produits spéciaux — ce seront des produits de première nécessité, des produits qui jouent un rôle essentiel dans la satisfaction des besoins en nutrition des pays concernés, des produits nécessaires à la vie humaine et à l'exploitation des ressources, etc. On se centrera davantage sur les objectifs de développement et, pour les atteindre, on identifiera un certain nombre de produits.
J'ai parlé de la mesure de sauvegarde spéciale, le troisième élément, qui permettra à ces pays de faire face à toute augmentation subite des importations ou aux perturbations causées par les importations sur leurs marchés.
Le sénateur Cordy : Comme les bas prix?
M. Verheul : Oui.
Le sénateur Di Nino : D'après ce que j'ai entendu tout au long de ces audiences, je crois que je peux dire sans me tromper — et mes collègues ne seront peut-être pas de mon avis — que la grande majorité des témoins qui ont comparu considèrent que les engagements et l'approche du monde développé pris pour aider l'Afrique ou pour aider l'Afrique à s'aider elle-même ont été un échec. La plupart estiment que c'est dans l'agriculture que l'échec a été le plus retentissant. Les témoins de différents pays nous ont dit que les programmes du FMI et de la Banque mondiale ont été désastreux et, qu'en effet, ils ont conduit des pays capables de nourrir seuls leurs populations à devoir importer de la nourriture pour combler leurs besoins. Puisque nous parlons de l'agriculture, nous allons essayer de nous concentrer là-dessus.
Évidemment, les accords internationaux — c'est-à-dire ceux de l'OMC et les précédents, et cetera. — n'ont pas été favorables au continent africain. En convenez-vous?
M. Verheul : Oui, je suis d'accord.
Le sénateur Di Nino : Est-ce parce que le continent africain a été incapable de subvenir à ses propres besoins, en quelque sorte? Est-ce parce que les pays développés ont profité d'eux ou y a-t-il d'autres raisons?
M. Verheul : C'est une combinaison de plusieurs facteurs, je crois. Dans les rondes de négociations précédentes, les discussions étaient surtout menées par les grands joueurs, je veux parler particulièrement des Européens et des Américains. Le but était essentiellement de limiter les subventions que versent ces deux grands joueurs à leurs secteurs et d'améliorer les conditions d'accès aux marchés au-delà des frontières. Dans ces négociations et les précédentes, les pays en développement étaient pour la plupart sur la touche. Ils n'apportaient pas grand-chose aux discussions. Ils subissaient plus ou moins des pressions pour accepter l'issue des négociations convenue entre les grands joueurs, c'est- à-dire les pays développés. Ils n'étaient pas en mesure d'exercer beaucoup d'influence sur les négociations ni capables de contribuer à l'élaboration des propositions en raison, surtout, d'un manque de moyens. Lorsque nous avons lancé le cycle des négociations sur le développement, à Doha, en 2001, l'idée était de ramener les pays en développement dans le système d'échanges internationaux, de faire davantage attention aux besoins de ces pays et, grâce au commerce, de faire avancer les intérêts du développement. Nous pourrions évidemment débattre pour savoir si cela s'est révélé un succès jusqu'à présent. Tout ceci est loin d'être achevé.
En attendant, les pays en développement jouent maintenant un rôle central dans la dynamique des négociations elles-mêmes. Ils font des propositions précises, détaillées, et, dans bien des cas, bien pensées. Il ne sera plus possible de les ignorer désormais. Si nous ne tenons pas compte des intérêts des pays en développement dans les négociations, nous n'obtiendrons pas de résultats. C'est très différent de ce que nous avons connu par le passé.
Le sénateur Di Nino : Vous avez parlé de ce que je qualifierais d'abus du programme d'aide alimentaire dans le sens où on écoule des produits excédentaires sur certains marchés sous le couvert de l'aide alimentaire, réduisant ainsi la capacité des agriculteurs locaux à produire à des prix compétitifs. Le Canada est-il coupable de ce genre d'abus, à votre avis?
M. Verheul : La cible principale sont de loin les États-Unis parce que c'est le seul pays qui accorde l'aide alimentaire sous forme de crédit à des conditions favorables. Autrement dit, les pays doivent payer l'aide alimentaire qu'ils reçoivent. Selon nous, l'aide alimentaire devrait être une forme de subvention. Si vous donnez de l'aide alimentaire à quelqu'un, vous ne devez pas lui demander de payer quoi que ce soit en retour. Les États-Unis ont souvent lié l'aide alimentaire à des ventes commerciales futures ce qui, une fois de plus, nous paraît être une pratique inéquitable. Voilà le genre de problème que nous avons tenté de régler.
L'une des choses pour lesquelles nous avons été critiqués, avec les États-Unis, tient au fait que nous exigeons que beaucoup de l'aide alimentaire que nous accordons vienne des pays donateurs. Nombre d'ONG vous diront que c'est probablement la manière la moins efficace de fournir une aide alimentaire. C'est nettement mieux de se la procurer localement auprès des pays récipiendaires, plutôt que de payer des frais de transport pour acheminer l'aide dans les régions qui en ont besoin — sans compter que cela permet aussi de gagner du temps. C'est probablement la pratique que nous appliquons en matière d'aide alimentaire qui est la plus critiquée de toutes.
Le sénateur Di Nino : En quoi est-ce différent de ce que font les Américains?
M. Verheul : Les États-Unis ont les mêmes exigences. En fait, ils veulent que la totalité de l'aide alimentaire vienne de chez eux. Chez nous, je pense que c'est 90 p. 100.
Le sénateur Di Nino : Nous ne faisons pas beaucoup mieux que les Américains. Vous comprendrez que la différence entre 90 et 100 p. 100 est très ténue quand on parle de violation des règles.
M. Verheul : Il convient toutefois de mentionner, à cet égard, que nous accordons toute notre aide alimentaire sous la forme de subventions. Nous ne demandons rien en échange, contrairement aux Américains. Nous n'avons pas conditionné notre aide à ces pays à des ententes commerciales. En règle générale, nos pratiques en matière d'aide alimentaire sont beaucoup plus conformes à ce que la plupart des ONG préconisent, mais nous sommes critiqués sur un point : l'approvisionnement interne.
Le sénateur Di Nino : Essayons de voir un peu plus le côté positif des choses parce que nous pourrions probablement continuer de parler de toutes les erreurs, certaines plus intentionnelles que d'autres, que le Canada a fait dans l'aide qu'il a consentie à l'Afrique. Qu'est-ce qui a fonctionné? Que devrions-nous changer pour que cela aille mieux?
M. Verheul : Les dossiers les plus difficiles sont ceux permettant de tirer les meilleurs avantages qui soient —c'est-à- dire d'éliminer autant que possible les distorsions sur les marchés mondiaux. Nous l'avons vu, en particulier, avec l'exemple de quatre pays d'Afrique occidentale qui ont défendu le commerce du coton. Ils ont affirmé très clairement que les subventions que les Américains et les Européens versent à leurs producteurs ont pour effet de faire chuter leurs propres prix, à tel point qu'ils sont devenus incapables de produire, alors que s'ils pouvaient obtenir un prix honnête sur le marché pour leur production, ils pourraient soutenir la concurrence et vendre sur les marchés internationaux. Se centrer sur ce genre de questions est une des façons de faire avancer les négociations, et cela illustre les répercussions des subventions sur certains producteurs. Essayer de remettre de l'ordre sur les marchés internationaux est la première chose à faire, tout comme permettre à ces pays d'avoir la souplesse nécessaire pour protéger leurs propres marchés contre toute mesure prise par d'autres et qui est susceptible de leur nuire.
Le sénateur Di Nino : Êtes-vous d'avis, en tant que représentant du Canada dans ces discussions, que nous devrions réduire ou éliminer ces subventions? Le Canada insiste-t-il beaucouplà-dessus? Vous avez parlé du G-20, et particulièrementdu Brésil, qui a maintenant une certaine voix au chapitre. Appuyez-vous ce pays?
M. Verheul : Nous l'appuyons très fortement. En fait, le Canada et le Brésil sont probablement les deux principaux pays demandant l'adoption des mesures les plus agressives qui soient en matière de réduction et d'élimination de ce genre de subventions, et nous travaillons en très étroite collaboration avec le Brésil, probablement de manière plus proche qu'avec n'importe quel autre pays, au développement de stratégies sur la façon d'atteindre cet objectif.
[Français]
Le sénateur Prud'homme : Ma question porte surtout sur le plan politique. Jusqu'à maintenant, nous avons compris que nos amis africains ont beaucoup de difficulté avec les agriculteurs de l'Occident.
Nous sommes en politique et peut-être que vous, hauts fonctionnaires, pourriez nous aider dans notre réflexion. Comment convaincre nos agriculteurs, qui voient d'un très mauvais œil toute l'aide que le Canada pourrait apporter aux Africains qui sont susceptibles de devenir d'excellents clients pour nos surplus agricoles?
Ma difficulté, en tant que politicien, est de savoir comment convaincre les gens de la rue, ceux qui m'ont élu, du bien-fondé de ce nouveau partage des ressources agricoles. La question n'est pas facile et c'est surtout son côté politique qui m'intéresse.
En Europe, on voit des manifestations massives d'agriculteurs à l'endroit de leur gouvernement. Les États-Unis, quant à eux, protègent et surprotègent leurs agriculteurs, toujours aux dépens des agriculteurs des autres continents.
Pourriez-vous nous aider à méditer sur la question?
[Traduction]
M. Verheul : Il existe un certain nombre de domaines dans lesquels nous pouvons travailler avec les pays en développement et avec le soutien de nos propres agriculteurs. Nous avons beaucoup d'intérêts en commun. En ce qui concerne la réduction ou l'élimination des subventions, nous travaillons main dans la main avec les pays en développement. Nous avons les mêmes intérêts. Nos agriculteurs le comprennent.
Ils comprennent aussi que l'accès des pays les moins développés ne devrait pas nous préoccuper en raison de l'exception s'appliquant aux produits laitiers, à la volaille et aux œufs dans le cadre de la gestion de l'offre. L'une des façons que je considère la plus efficace pour faire accepter ceci à nos producteurs est de trouver un moyen de leur garantir que nous pouvons faire une distinction entre ces pays en développement, comme ceux d'Afrique, qui ne représentent pas une grande menace pour nos propres producteurs. Nous pourrions ainsi envisager d'importer davantage de produits d'Afrique par rapport à d'autres pays. Il est évident que les débouchés commerciaux en Afrique sont différents de ceux qu'on retrouve ailleurs.
La plus grande crainte que m'ont exprimée les agriculteurs est qu'on cède trop de terrain aux pays en développement parce qu'ils font face à la concurrence acharnée du Brésil, de l'Argentine et bientôt de l'Inde et de la Chine. Pour que ce genre d'initiative soit accepté, il faut trouver le moyen de développer des approches qui permettront à l'Afrique de jouir d'une plus grande souplesse tout en continuant d'imposer certaines contraintes aux grands joueurs parmi les pays en développement.
Le sénateur Prud'homme : Je suis d'accord avec vous.
Le sénateur Downe : J'aimerais en savoir un peu plus au sujet de l'aide alimentaire que font payer les Américains. Comment cela fonctionne-t-il? Avancent-ils des fonds et demandent-ils ensuite à se faire rembourser?
M. Verheul : En général, ils consentent des crédits à des conditions favorables. Autrement dit, ils accordent des fonds à des pays à de bas taux d'intérêt, mais ils s'attendent à être remboursés au bout d'un certain temps. Ils ne veulent pas nécessairement tout ravoir, mais les pays qui ont reçu leur aide doivent payer quelque chose.
Le sénateur Downe : J'imagine qu'au bout d'un certain temps, les États-Unis annulent tout simplement la dette si le pays ne peut pas payer.
M. Verheul : Effectivement.
Le sénateur Downe : Pourquoi n'en faisons-nous pas autant?
M. Verheul : Nous avons adopté une position, en matière de politique d'aide alimentaire, tout comme l'ont fait tous les autres pays, à part les États-Unis et le Japon — qui, lui aussi, accorde des crédits à des conditions favorables, mais pas beaucoup —, position selon laquelle lorsque nous accordons de l'aide alimentaire, nous ne demandons rien en retour. Selon nous, l'aide alimentaire devrait être accordée sans qu'il n'en coûte rien au pays qui la reçoit. Tous les pays au monde, sauf les États-Unis, et à certains égards le Japon, partagent notre point de vue.
En fait, les Européens sont allés encore plus loin. Ils appuient et appliquent maintenant une méthode selon laquelle l'aide alimentaire doit être seulement fournie en argent, de sorte que le pays récipiendaire peut acheter les denrées alimentaires localement ou sur ses propres marchés, selon ce qui est le plus économique.
Le sénateur Downe : Ma deuxième question concerne le lien avec le développement économique. Comment expliquez-vous ce quid pro quo? Ils accordent de l'aide, mais ensuite ils veulent construire un pont, n'est-ce pas?
M. Verheul : Dans certains cas, cela va aussi loin que vous le dites. En général, selon leur approche, ils accordent de l'aide alimentaire à un pays à condition qu'au bout d'un certain temps, ce pays s'engage à acheter des denrées alimentaires du même genre ou différentes dans l'avenir. En même temps qu'un pays obtient l'assurance de recevoir de l'aide alimentaire, il doit signer un contrat d'achat d'une certaine quantité de nourriture dans l'avenir.
Le sénateur Downe : À part les États-Unis, est-ce que d'autres pays le font?
M. Verheul : Non.
Le sénateur Robichaud : Les États-Unis approuvent des crédits pour qu'ensuite ces pays achètent des produits américains. Pour la Banque mondiale et le FMI, ce sont des dettes qui doivent être remboursées par ces pays, qui jouent contre ces derniers et qui réduisent leur capacité de soutenir leur marché intérieur. Ces organisations mettent de la pression sur eux pour qu'ils éliminent ces dettes, n'est-ce pas?
M. Verheul : Oui, c'est exact.
Le sénateur Mahovlich : Pour ce qui est des négociations auxquelles vous participer, fait-on parfois appel à un arbitre? Qui décide de ce qui est équitable? Passez-vous votre temps à argumenter?
M. Verheul : Laissez-moi vous dire que c'est un processus lent et douloureux.
Le sénateur Mahovlich : Ça doit être déroutant car il y a le G90, le G10 et le G20.
M. Verheul : Oui, c'est très déroutant. Le processus n'est pas très simple. Le président actuel a mis en place ce qu'il appelle des écluses, comme en navigation. Les premières séances regroupent tous les 148 membres dans une salle. Vous pouvez vous imaginer qu'on ne fait pas beaucoup de progrès dans cette situation. Ensuite, des discussions plus détaillées ont lieu avec environ50 pays, discussions qui sont un peu plus techniques. On arrive ensuite au troisième niveau, où le président tient des réunions regroupant de 12 à 15 pays. C'est à ce niveau que la plupart du travail s'effectue et qu'on commence la rédaction. On revient ensuite devant l'ensemble des membres pour expliquer ce qui a été déterminé et essayer de les convaincre de soutenir cette proposition.
La plupart des grands groupes sont représentés parmi les 12 à 15 représentants. Il y a presque toujours un représentant de l'Afrique, du G20 et du G10. Beaucoup de groupes différents sont représentés.
Le sénateur Mahovlich : Ces groupes décident-ils des règles permettant aux Américains d'exiger paiement en échange de leur aide?
M. Verheul : Ça n'a jamais fait l'objet de négociations jusqu'à maintenant. Nous avons tenu des séances de négociation à Genève au cours des deux derniers mois; tous les pays, à part les États-Unis, ont dit qu'il faudrait rendre cette pratique illégale et adopter une règle interdisant la prestation d'aide alimentaire à des conditions de faveurs.
Le sénateur Mahovlich : C'est logique. La création d'un office de commercialisation est-elle une option valable pour protéger le revenu des agriculteurs pauvres en Afrique? Y avez-vous songé? Est-ce que ça pourrait être une solution?
M. Verheul : C'est une option que divers pays africains devraient peut-être envisager. Il y a différents types d'offices de commercialisation, et certaines pratiques pourraient être avantageuses, alors que d'autres ne le seraient pas. Par exemple, le secteur agricole du Brésil a fait des progrès principalement grâce à la force des coopératives; le mouvement coopératif au Brésil est fort et regroupe beaucoup de ressources et de main-d'œuvre. Le secteur a réussi à réaliser des économies d'échelle qui lui ont permis de prendre de l'expansion au moyen des coopératives.
Un office de gestion des approvisionnements, comme nous avons au Canada, peut s'appliquer à certains produits dans certains pays, mais pas partout. Bon nombre des pays auront beaucoup de difficultés à maintenir pour les agriculteurs des prix élevés au moyen d'une gestion des approvisionnements puisqu'ils ont une grande population défavorisée à nourrir en milieu rural et urbain. Bon nombre tentent de prendre de l'expansion pour pouvoir exporter leurs produits sur les marchés internationaux et obtenir des devises étrangères. Ça dépend du produit et du pays, mais il ne fait aucun doute que c'est l'un des outils qui devrait faire partie des mesures que nous envisagerons.
Le sénateur Downe : Vous avez dit que l'Europe donne de l'argent à des pays pour qu'ils puissent acheter des produits locaux. Ne s'inquiète-t-on pas de la corruption?
M. Verheul : Oui. Une bonne partie de l'argent n'est pas directement versé aux pays bénéficiaires. La plupart des transactions au comptant sont effectuées sous l'égide d'organisations des Nations Unies, comme le Programme alimentaire mondial. Ce programme a des règles et des critères précis concernant la prestation d'aide alimentaire. Dans le cadre des négociations, nous essayons de confier à des organisations comme le Programme alimentaire mondial la responsabilité de déterminer si le besoin est réel, puis de définir la façon dont l'aide alimentaire sera transmise par les pays développés à ceux en voie de développement, pour cibler le plus possible ceux qui en ont véritablement besoin.
Le sénateur Andreychuk : Je vous prie de m'excuser. J'ai manqué la première partie parce que j'assistais à un autre comité. Si jamais vous en avez déjà parlé, veuillez me le dire.
Nous avons parlé beaucoup des subventions. Puisque c'est un sujet qui m'intéresse depuis 30 ou 40 ans, permettez- moi de douter que quelque chose découlera de tout ça. D'habitude, presque rien ne se produit. Un des signes positifs lors des dernières négociations, c'est que les pays en voie de développement semblaient s'entendre comme jamais auparavant. La distorsion des échanges n'est pas uniquement du Nord vers le Sud. Elle est également attribuable à la façon dont le Nord soutient le Sud. Pour ce qui est du commerce de la banane, l'Europe protège l'Afrique et a différentes ententes avec celle-ci, et les Américains font affaire avec l'Amérique du Sud. C'est la même chose pour le riz et d'autres produits.
Dans quelle mesure est-ce un problème au chapitre des subventions? Si les pays en voie de développement pouvaient mieux définir leur position et faire front commun, seraient-ils mieux placés pour négocier, comme les Canadiens envers les Européens ou les Américains?
M. Verheul : Il y a eu beaucoup de progrès à ce chapitre. En ce qui a trait aux subventions à l'exportation, qui sont une grande préoccupation, nous avons enfin convenu, après environ 55 ans, d'éliminer les subventions à l'exportation sur tous les produits. Ce dossier sera enfin réglé, ce qui est toute une réalisation.
Un autre pas a été franchi dans le cadre des négociations grâce à la proposition du Canada, à savoir que les pays ayant la plus grande capacité de dépenser devraient réduire le plus leurs subventions. Autrement dit, les pays européens devront réduire beaucoup plus leur pourcentage de subventions que les États-Unis et le Japon. Ces derniers devront réduire davantage leurs subventions que le Canada et d'autres pays. Ça permettra d'uniformiser un peu plus les règles pour tous. Ce sont des gains importants.
Vous avez mentionné certains produits clés comme le coton, le riz, le sucre et la banane. Il y aura aussi une disposition exigeant un plafond pour les subventions qui touchent certains produits. En d'autres mots, vous ne pourrez pas dépenser davantage que dans le passé pour un produit particulier, ce qui aidera aussi. Ça va limiter en particulier les États-Unis parce que l'aide qu'ils accordent a tendance à dépendre de la fluctuation des prix sur le marché mondial. Si le prix augmente, ils n'offrent pas beaucoup de subventions. Toutefois, si le prix descend, ils en donnent beaucoup. Cette manière de faire a tendance à accroître la distorsion des échanges. Si on maintient un niveau stable, ce degré de distorsion n'existera pas. Ça aussi, c'est du progrès.
Un autre enjeu encore plus complexe touche le traitement préférentiel dont jouissent certains pays sur les marchés européens ou américains. Si un pays comme la République de Maurice vend du sucre à l'Europe, un taux préférentiel s'applique, et c'est un avantage sur lequel ce pays compte beaucoup. Le problème, c'est que le Costa Rica, comme d'autres pays en voie de développement, se demande pourquoi ce pays devrait jouir d'un avantage économique par rapport au Costa Rica qui n'a pas ce taux préférentiel mais qui peut quand même produire à moindre coût. On voit de plus en plus de conflits entre les pays en voie de développement à cet égard, et ça devient de plus en plus difficile à régler.
Le sénateur Andreychuk : C'est justement à ça que je voulais en venir. Peut-être n'ai-je pas été assez claire. Dans quelle mesure ce problème sera-t-il abordé à Doha?
M. Verheul : Ce sera abordé. Des pressions seront faites dans le cadre des négociations pour limiter ces traitements préférentiels car plus les tarifs douaniers sur la banane ou le sucre en Europe baisseront, plus ce traitement préférentiel s'érodera; bon nombre de pays africains n'auront donc plus les avantages qu'ils avaient auparavant.
Puisque c'est dans cette voie qu'on entend globalement se diriger pour ce qui est de la libéralisation du commerce, nous commençons à réfléchir à d'autres façons d'implanter ça à plus long terme en discutant avec certaines organisations multilatérales qui pourraient offrir d'autres formes d'aide en vue de faciliter la diversification des économies. La démarche sera plus étendue que si c'était limité à l'OMC. C'est ce qui est envisagé.
Le sénateur Andreychuk : Lorsque je vais en Afrique, on me rappelle toujours que le cacao en tant que marchandise ne remonte qu'à 100 ans; quant au coton, il est entré en jeu bon nombre d'années plus tard. Je ne parle pas ici de l'Égypte et des régions de l'Afrique subsaharienne. Dans l'histoire, ce sont des produits relativement nouveaux.
Que pensez-vous de la théorie selon laquelle l'eau jouera un plus grand rôle que le commerce ou les subventions dans l'agriculture, ou de celle de Lester Brown qui dit qu'à mesure que la nappe phréatique s'amenuisera sans se renouveler, nous devrons revoir la nature de nos récoltes, alors que nous ne le faisons pas? Dans ses derniers livres, il souligne que le blé pourrait devenir une denrée plus recherchée d'ici quelques décennies en raison du manque d'eau et du fait que les réserves de la Chine sont en train de s'épuiser. Avez-vous des commentaires sur le lien entre l'eau et l'agriculture?
M. Verheul : Il y aura beaucoup de pressions à cause de ça. La plupart des pays devront renoncer, dans leurs efforts visant à maintenir leur niveau de production, à l'idée de continuer de produire les mêmes denrées qu'auparavant et d'obtenir le même prix. Les conditions climatiques changent. Il y a le problème de la pression de l'eau. Même au Canada, nous devons faire preuve de plus de souplesse en ce qui a trait au type de produits de base que nous produisons. Même si c'était une tradition — c'est-à-dire que le grand-père en Saskatchewan récoltait du blé, que le fils a fait de même, tout comme le petit-fils —, ce n'est plus acceptable. Il faut montrer plus d'ouverture et tenir compte des changements environnementaux.
Le sénateur Andreychuk : Je pensais plutôt aux changements en Afrique. À l'époque où je travaillais là-bas, les spécialistes disaient qu'une variation de deux degrés de la température en Ouganda empêcherait la culture du café dans de nombreuses régions. C'est la même chose pour les pluies. Quelle est l'importance accordée à ça et dans quelle mesure aidons-nous les pays à comprendre ces enjeux? Je sais ce que vit le Canada, tout ce que les agriculteurs canadiens ont dû faire pour s'ajuster et les effets que cela a eus sur les fermes familiales et les agriculteurs qui réussissent à peine à survivre. Que faisons-nous pour l'Afrique?
M. Verheul : En ce qui a trait aux négociations, c'est un point qui a été peu discuté. Pour ce qui est du type de changements qu'un pays pourrait apporter à l'intérieur ou l'aide au développement que nous pourrions fournir à cet égard, je ne saurais vous répondre puisque ça va au-delà de mon domaine.
Président : Ce que je vais dire n'a pas de lien avec l'Afrique, mais j'ai remarqué que les négociations commerciales semblent se dérouler entre les producteurs, et que les consommateurs ne semblent pas avoir leur mot à dire. Qu'en pensez-vous?
Le sénateur Mahovlich a soulevé un deuxième point. Nous voulons protéger notre régime de marché au Canada. D'après ce qu'on nous a dit, 85 p. 100 de la population pratique une agriculture de subsistance. Je ne propose pas d'instaurer éternellement un régime de marché, seulement pour faire le pont vers une économie plus industrielle. Ne devrions-nous pas encourager ces pays qui ont une forte population agricole à adhérer à certains aspects d'un régime de marché? Si les agriculteurs sont forcés d'abandonner leur ferme en raison des exportations agricoles subventionnées des États-Unis et de l'Europe, le recours a un office de commercialisation ne serait-il pas une bonne approche pour nous aussi? Il est difficile d'avoir un régime de marché pour un produit vendu sur le marché international. Cependant, en ce qui a trait aux produits et aux denrées vendus sur le marché local, un certain système officiel pourrait être utilisé. Il me semble que ça serait une bonne idée pour bon nombre des pays dont 85 p. 100 de la population pratique une agriculture de subsistance et dont le seul autre choix est de quitter ses terres et de s'amasser par millions dans des villes qui n'ont pas de services, non?
M. Verheul : Pour ce qui est de votre question au sujet de la prise en compte des intérêts des consommateurs dans le cadre des négociations, on n'en entend pas beaucoup parler. Toutefois, les producteurs me disent souvent que leurs intérêts ne sont également pas pris en compte dans les négociations, particulièrement en ce qui a trait aux bénéfices. Ils soupçonnent qu'une bonne partie des négociations est orientée par les entreprises de transformation, les multinationales, et cetera.
Il faut trouver un équilibre en éliminant autant que possible la distorsion engendrée par les gouvernements. Les mesures touchant la répartition des revenus pour les agriculteurs et les entreprises de transformation sont un domaine qui va un peuau-delà des travaux de l'OMC. C'est une question plutôt interne ou nationale. Nous disons constamment à l'OMC que si nos producteurs canadiens veulent se doter d'un type de régime de gestion des approvisionnements, le Canada devrait avoir la possibilité de le faire, et l'OMC ne devrait pas dicter le type de régime à instaurer. C'est une dispute interminable.
Ça m'amène à votre deuxième question sur les types de système de commercialisation et les avantages que pourraient en retirer les pays en voie de développement. Ici encore, tout dépend des produits et des pays ainsi que du système envisagé. Il est pratiquement impossible d'appliquer un système de gestion des approvisionnements canadien à un pays en voie de développement. C'est un système qui est complexe et fortement réglementé. Nos producteurs savent exactement quelle est la production attendue. Elle doit se situer dans des limites précises. Tout est mesuré et quantifié. C'est un système qui est difficile à implanter dans les pays en voie de développement puisqu'ils n'ont pas la technologie nécessaire et qu'ils n'utilisent pas un système de suivi détaillé de la production.
L'idée d'aider les producteurs à s'organiser pour qu'ils aient plus de poids sur le marché afin de négocier de meilleurs prix et réaliser des économies d'échelle, que ce soit au chapitre de l'équipement ou de la production, est prometteuse pour les pays en voie de développement. Ainsi, ça permettrait d'instaurer un meilleur équilibre entre les vendeurs et les producteurs. C'est certainement une formule qui pourrait les faire beaucoup avancer.
Le sénateur Corbin : Quelle est la composition de votre équipe de négociation? Qui vous accompagne? Des porte- parole de l'industrie de l'agriculture et des ONG?
M. Verheul : En général, les négociations sont menées par les négociateurs nommés par leur gouvernement. Dans mon équipe, il y a environ 30 personnes. Toutefois, elles ne m'accompagnent pas toutes aux séances de négociation. J'invite les gens qui ont une expertise dans le domaine qui fera l'objet des discussions à m'accompagner.
Le sénateur Corbin : Des spécialistes sectoriels?
M. Verheul : Exactement. Aussi, nous consultonsétroitement l'industrie. J'ai un groupe consultatif composéde 45 à 50 représentants de l'industrie, de producteurs, de transformateurs, d'ONG; bref, l'ensemble des parties concernées. Je m'adresse à ce groupe avant et après chaque séance de négociation pour lui dire ce qui s'en vient. Je demande des conseils, puis je lui fait part par la suite de ce qui s'est passé.
Nous avons aussi un grand nombre de représentants de l'industrie qui participent à diverses séances avec nous à Genève ou ailleurs dans le monde. Par exemple, en mars, il y a eu une séance de négociation dans le cadre de laquelle une activité avait été organisée pour les organismes non gouvernementaux, à l'OMC. Environ 63 représentants de l'industrie agricole canadienne étaient présents; les États-Unis avaient un ou deux représentants, tout comme l'Australie. Notre industrie est très engagée et est très déterminée à travailler avec nous pour parvenir à des résultats qui sont dans son intérêt.
Le sénateur Corbin : Est-ce que les pêches font partie des négociations?
M. Verheul : Non, le secteur des pêches fait partie des négociations sur l'accès aux marchés non agricoles.
Le sénateur Corbin : J'aimerais parler de la transformation. Je viens du Nouveau-Brunswick où il y a des entreprises comme McCain Foods et d'autres groupes qui exploitent des usines de transformation. Est-ce que ces entreprises sont consultées?
M. Verheul : Absolument. Nous consultons régulièrement leurs représentants.
Le sénateur Di Nino : Vous avez parlé de représentation sectorielle. J'imagine que vous avez des représentants régionaux à vos comités, n'est-ce pas?
M. Verheul : Nous avons des représentants régionaux et provinciaux.
Le sénateur Di Nino : J'ai interrogé la ministre du Développement international sur l'aide conditionnelle lorsqu'elle est venue ici. Il est clair que la plus grande partie de l'aide accordée en vertu de son programme est une aide conditionnelle, ou du moins, c'est ce qu'elle nous a dit. L'aide agricole que nous fournissons à l'Afrique est-elle aussi conditionnelle à quelque chose?
M. Verheul : Il est important de préciser ce que l'on veut dire par aide conditionnelle, parce qu'il existe deux définitions, selon qui utilise le terme.
Il existe de l'aide conditionnelle à ce dont nous avons déjà parlé, de l'aide conditionnelle à des ventes commerciales, comme celle qu'offrent les États-Unis. Ce n'est pas ce que nous faisons. Il y a aussi l'aide conditionnelle à un approvisionnement national. Il faut alors tirer l'aide alimentaire de sa propre production nationale. C'est ce que nous faisons. Avec les États-Unis, nous sommes les pays qui offrons ce type d'aide plus que n'importe quel autre. Nous avons pour critère que 90 p. 100 de notre aide alimentaire doit être tirée de la production canadienne, donc elle est conditionnelle en ce sens, mais elle n'est pas conditionnelle à des ventes commerciales futures ni à rien d'autre du genre.
Le sénateur Di Nino : Ce sont de bonnes nouvelles, parce que ce n'est pas l'impression que j'avais. De toute évidence, l'agriculture est l'un des secteurs où nous n'avons pas de conditions, parce que c'est véritablement ce que l'aide conditionnelle signifie.
Dans notre échange précédent, je vous ai demandé de vous concentrer sur les côtés positifs. Pouvez-vous nous donner des exemples d'initiatives fructueuses sur le continent, particulièrement dans la partie subsaharienne, en agriculture? Pouvez-vous nous raconter des choses qui se sont passées, que nous avons faites ou que d'autres ont faites qui ont porté fruit? Nous entendons surtout des commentaires négatifs.
M. Verheul : Je ne suis certainement pas bien placé pour parler de projets de développement ou de ce type de choses que nous avons faites. C'est hors de mon champ de compétences.
Sur le plan de la négociation, nous avons fait des pas importants dans des dossiers comme celui du coton, qui est important pour les pays africains, parce que nous appuyons activement les efforts qu'ils essaient de déployer. Nous contribuons aussi au règlement des litiges portés devant l'OMC contre les pratiques américaines sur le coton, par exemple, et leurs subventions. Les États-Unis ont perdu ce procès et ils ont perdu un appel subséquent. Cela va représenter une ouverture de taille pour les pays en développement qui essaient de générer un meilleur revenu sur ce front.
Comme les négociations ne sont pas encore terminées, il est difficile de souligner de véritables succès avant que les dossiers soient conclus. Je suis certain que si vous parlez à certains fonctionnaires qui s'occupent de développement, ils pourront vous parler de projets en Afrique qui sont utiles. Peut-être leur avez-vous déjà parlé.
Le sénateur Di Nino : Je suis embêté par certains renseignements qui nous ont été fournis. Certains laissent entendre que nous nous attaquons aux abus et aux faux pas d'autres pays qui vont aider les pays africains dans leurs négociations avec les États-Unis. Notre performance ou notre comportement n'est pas particulièrement reluisant non plus.
Je pense à la position canadienne sur certaines questions. Nous parlons des offices de commercialisation. Bien entendu, nous appuyons les ententes internationales et les critiques sur le passé des pays africains et leurs offices de commercialisation, là où ils ont dû privatiser, mais pourtant, nous gardons le nôtre. Vos observations ne me réconfortent pas. Cela ne se veut pas une critique. Comme vous l'avez dit, ce n'est pas un domaine dans lequel vous êtes particulièrement présent.
La question de l'agriculture revient continuellement dans nos discussions. La façon dont le monde abuse, j'ai déjà utilisé ce mot, des pays africains dans ce domaine me laisse un goût très amer dans la bouche (et mes collègues pourront parler poureux-mêmes). Je n'ai vraiment pas entendu beaucoup parler de changement de comportement ni de méthode de travail des Canadiens avec les États africains, sauf pour les aider à attaquer d'autres pays, si l'on peut utiliser ce mot, sur des pratiques qui ont cours là-bas.
Cela dit, je n'essaie pas de vous pointer du doigt. Je m'excuse si c'est ce que j'ai l'air de faire, mais l'expérience est très frustrante pour nous. Nous avons entendu presque une centaine de témoins. De temps en temps, nous entendons parler de réussites, mais la plupart du temps, nous entendons parler de comportements tristes et je dirais inopportuns de la part du monde développé et de la façon dont il aborde l'aide à l'Afrique. Si j'ai l'air frustré, c'est que nous n'avons pas entendu beaucoup de bonnes choses.
Si vous deviez écrire un chapitre ou une partie de chapitre sur l'agriculture dans notre rapport, que nous proposeriez-vous de recommander au gouvernement canadien?
M. Verheul : Je parle de la perspective assez étroite des négociations à l'OMC. Évidemment, il y a beaucoup d'autres choses qui doivent faire partie des mesures pour aider l'Afrique, y compris ce que nous faisons en matière de développement, de soutien technique, de construction, d'infrastructure et d'appui. Tous ces éléments sont importants et peuvent aider beaucoup.
De la perspective des négociations à l'OMC, nous devons obtenir un résultat aussi ambitieux que possible sur les questions auxquelles nous nous attaquons, comme vous l'avez dit, parce que cela va faire une différence considérable. Nous devons aussi faire preuve de souplesse quant aux besoins que les pays africains en particulier veulent combler. Nous menons notamment le projet d'offrir un accès sans taxe et sans contingent aux pays les moins développés. Nous avons le programme le plus généreux de ce type au monde jusqu'à maintenant. Nous devançons les autres pays pour ce programme, sans compter que nos produits sont soumis à la gestion des approvisionnements. Nous devons encourager les autres à faire de même.
Il serait très utile que nous puissions rétablir un certain ordre dans les marchés internationaux afin qu'ils puissent obtenir un rendement raisonnable pour leurs ventes. Si nous pouvions leur permettre de protéger leurs économies contre les produits subventionnés qui entrent dans leurs pays, contre les vagues d'importation ou les abus d'aide alimentaire risquant de perturber leurs marchés locaux, ce serait très utile.
La conception d'une série de mesures pour répondre à leurs besoins offensifs et défensifs les positionnerait avantageusement pour faire efficacement face à la concurrence sur les marchés internationaux. C'est ce que nous visons dans les négociations à l'OMC. Si je devais écrire cette partie du rapport, je recommanderais que nous poussions beaucoup plus loin en ce sens.
Le président : Voici l'observation que M. Goodale a faite devant le comité à ce propos il y a quelques mois, en datedu 12 avril :
À l'heure où nous tendons vers les résultats définitifs de la série de négociations commerciales de Doha, par exemple, et je pense particulièrement au secteur agricole, ce qui pourrait fonctionner pour l'agriculteur moyen au Dakota du Nord ou au Dakota du Sud, pour l'agriculteur moyen en France ou pour l'agriculteur moyen de Red Deer ou de Brandon, pourrait ne pas fonctionner pour le paysan du Mali ou de la Tanzanie.
Vous recevez des instructions du gouvernement, et c'est ce qu'a dit le ministre des Finances lorsqu'il a comparu devant notre comité le 12 avril. Est-ce que cela nous renseigne sur ce que nous essayons de faire? Je comprends qu'il y a plus, bien sûr, mais je ne veux pas prendre le temps du comité.
M. Verheul : Nous ne voulons pas tomber dans le piège de dire que les politiques en vigueur au Canada, aux États- Unis ou ailleurs devraient simplement être reproduites dans les pays africains. D'abord, ils n'ont pas les ressources nécessaires pour le faire. Ils ont besoin de solutions qui seront conçues en Afrique et non pas par nous ou d'autres pays. Nous devons leur laisser de la marge de manœuvre et leur donner des outils qu'ils pourront utiliser pour se protéger pendant que ces réformes s'opèrent.
C'est le bon type de message. Nous ne voulons pas leur prescrire leurs politiques nationales. Nous voulons leur donner des outils et des conseils, notamment leur offrir une aide technique et les aider à développer leurs capacités, mais nous ne voulons pas leur dicter comment ils devraient développer leurs économies.
Le sénateur Robichaud : Nous parlons de commerce mondial, c'est le sujet des négociations de Doha. Nous examinons des pays et nous parlons de l'Afrique, qui en est encore à une production agricole de base pour alimenter la population locale. Nous essayons de les aider à passer de l'agriculture de subsistance au commerce international. Rêvons-nous en couleurs? Y a-t-il une phase intermédiaire? Nous ne sommes pas passés rapidement de petits producteurs à commerçants internationaux, mais c'est pourtant ce que nous essayons de faire faire à ces pays.
M. Verheul : Je ne le pense pas, surtout que nous avons décidé que la plupart des pays les moins développés, dont la plupart sont en Afrique, ne devraient pas être tenus de prendre des engagements, de réduire leurs tarifs et de s'engager à apporter des changements. Autrement dit, ils ne seront pas touchés par les engagements pris par d'autres pays. Cela leur donne plus de liberté, afin marcher dans les pas d'autres pays.
Si nous pouvions apporter des changements importants aux pratiques néfastes que d'autres pays utilisent, ce serait très utile aussi. Si nous éliminions une bonne partie des éléments de distorsion qui leur sont imposés et que nous leur laissions la marge de manœuvre nécessaire pour développer et faire croître leur propre économie agricole, ce serait le type de combinaison que nous devons viser pour atteindre un juste équilibre.
Le président : Sur ce, honorables sénateurs, je tiens à remercier nos témoins. Votre témoignage correspond tout à fait à l'image qui se dessine ici, celle d'une situation plutôt désastreuse en Afrique. Je vous souhaite bonne chance dans la résolution de certains de ces problèmes. Je pense bien parler au nom de la majorité des membres du comité.
Nous allons maintenant régler quelques questions d'ordre administratif. Nous devons régler une petite question budgétaire concernant notre voyage proposé à Washington l'automne prochain. Nous avions prévu rendre visite à l'ONU, à New York, mais en raison de certains témoignages que nous avons entendus, nous avons décidé de visiter la Banque mondiale et le FMI. Nous avons des questions importantes à leur poser. Cela représente une légère augmentation budget, que je devrai ensuite défendre devant l'impopulaire Comité de la régie interne.
Le sénateur Andreychuk : Je pensais que nous avions déjà adopté ce budget.
Le président : Nous l'avons adopté, mais il ne concernait que New York, parce que c'est là où nous nous rendons pour visiter l'ONU. Je parle ici de dépenses supplémentaires pour nous permettre de nous rendre à Washington.
Le sénateur Andreychuk : Vous laissez tomber New York?
Le président : Non, ce sera en plus.
Le sénateur Andreychuk : Ce budget ne porte que sur Washington, donc nous devrons combiner les deux budgets?
Le président : C'est un budget supplémentaire des dépenses, si nous voulons aller à Washington. Nous avons déjà notre budget pour New York.
Le sénateur Downe : Le transport aérien se fera-t-il d'Ottawa ou de New York? Le prix me semble très bas. Je suppose qu'il y a une vente de sièges.
M. François Michaud, greffier du comité : Comme vous le savez, nous avons déjà de l'argent pour le transport aérien vers New York. L'ajout de Washington ne fait pas augmenter beaucoup le tarif aérien. Avec 250 $ par personne, nous devrions arriver à payer tout le voyage. C'est le même voyage.
Le sénateur Downe : Est-ce la même chose pour les indemnités quotidiennes?
M. Michaud : Oui. Ce n'est qu'un jour de plus.
Le président : Il suffit de l'ajouter au voyage que nous faisons déjà.
Le sénateur Di Nino : Je vous recommanderais de présenter le tout de façon un peu plus claire lorsque vous comparaîtrez devant le Comité de la régie interne.
Le président : J'accepterais une motion.
Le sénateur Di Nino : C'est fait.
Le président : Êtes-vous tous d'accord?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Robichaud : Avant que nous n'ajournions, je ne sais pas combien de gens aimeraient venir ici en juillet.
Le président : Nous pourrions siéger.
Le sénateur Andreychuk : Voulez-vous gager?
Le président : Si vous voulez parler de juillet et des réunions que nous voulons tenir sur l'examen de la politique, le comité de direction se rencontre demain, et nous voyons que nous avons un peu de temps à la fin juin. Comme je l'ai dit au Sénat aujourd'hui, nous allons essayer d'effectuer notre examen de l'énoncé de politique internationale pendant la dernière semaine de juin, ce qui facilitera la tâche au personnel, qui n'aura pas besoin de se présenter en juillet.
Le sénateur Di Nino : Nous le faisons pour le personnel, pour qu'il n'ait pas besoin de venir en juillet.
Le président : Nous avons le choix. N'oubliez pas que nous ne sommes pas à huis clos. C'est le plan, sénateur Robichaud. Je comprends que les gens préféreraient le faire en juin plutôt qu'en juillet. Comme nous le savons tous, le calendrier parlementaire est plutôt instable depuis quelque temps, donc nous avons dû faire preuve de souplesse. Est-ce d'accord?
Le sénateur Di Nino : Monsieur le président, n'est-il pas juste de dire que lorsque nous avons discuté de la question, nous voyions peu de chances que nous puissions jeter un coup d'œil à ce document? Nous constituons le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères. Un document a été préparé sur une nouvelle politique internationale, et nous ne l'avons même pas examiné. C'est inacceptable. C'est une option qui s'offre à nous. Si nous pouvons le faire avant, nous allons le faire. Ai-je bien compris?
Le président : Absolument.
Le sénateur Robichaud : Concernant la motion qui a été déposée au Sénat pour que nous fassions rapport de ces documents, n'était-ce pas pour 2006?
Le président : Oui. Nous avons mis une date parce que nous devions en mettre une.
Le sénateur Robichaud : Je le sais, mais devons-nous nous presser?
Le président : Ce n'est pas nécessaire. Encore une fois, c'est une question parfaitement légitime, sénateur Robichaud. J'ai une lettre des ministres adressée au comité pour nous demander d'examiner cet énoncé. Comme le dit le sénateur Di Nino, nous n'arrivions pas à trouver du temps parce que nous ne savions pas vraiment comment le calendrier allait évoluer. Nous avons prévu ces trois jours en juillet, ils ont été approuvés par le Sénat. Je répète toutefois que nous allons essayer de faire autrement.
Le sénateur Robichaud : Est-ce une option?
Le président : C'est une option.
Le sénateur Downe : Nous le ferons en juillet, si nécessaire, mais pas nécessairement en juillet.
Le président : Bien dit. Je pense que nous devrions poursuivre à huis clos.
Le sénateur Andreychuk : Lorsque nous avons parlé de l'énoncé de politique étrangère, j'ai dit que nous devions l'examiner sans tarder. Ce n'est plus le moment. Tout le reste du monde s'est exprimé sur cet énoncé et il fait presque partie du passé. Quelle est l'urgence maintenant, puisque nous n'avons pas vraiment répondu lorsque tous les autres répondaient?
De plus, je ne pense pas que nous puissions lui rendre justice, si vous avez lu tout le document, et je suis certaine que tous l'ont lu. Il compte cinq parties. Il est très long. Il est plus détaillé que l'énoncé de la défense. La défense ne constitue qu'une partie de la politique étrangère. Allons-nous essayer de faire quelque chose de raisonnable en trois ou cinq jours? Il ne me semble pas très réaliste que nous puissions en faire plus qu'un simple examen général. Nous allons dire qu'il est acceptable, qu'il a l'air bien.
Le président : D'abord, sénateur Andreychuk, la Chambre des communes est en train de l'examiner, donc ce n'est pas terminé. Ensuite, comme vous le savez, nous avons tenu diverses séances de comité dans le cadre de notre étude sur l'Afrique. Nous sommes tous ici. Nous allons écouter vos opinions. Je ne pense pas que nous essayions de presser quoi que ce soit. Nous nous sommes dit que nous devrions inviter les ministres à venir nous expliquer leur position et l'énoncé de politique. Je pense que c'est ce que nous sommes censés faire. C'est ce que pensait le sénateur Di Nino.
Le sénateur Andreychuk : Nous n'avons pas répondu immédiatement. Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères a toujours la possibilité de surveiller la politique, la façon dont elle est mise en œuvre et les étapes suivies. Je ne vois aucune objection à commencer par les ministres. C'est un cadre. C'est ce que c'est. Comment vont-ils le mettre en œuvre? Nous rencontrons des représentants des ministères. Comment se coordonneront-ils à la lumière de ce qu'a dit le Parlement? Je pense que nous avons des questions valables, mais qu'elles nécessitent un dialogue et une analyse continus, qui ne peuvent pas se faire en une semaine. J'ose espérer que nous partons du point de vue que ce n'est que le début d'un processus continu.
Le président : C'est juste. Je ne pense pas que quiconque envisage que cela nous empêche de revoir ce document ou n'importe lequel des éléments que vous avez soulevés.
Le sénateur Corbin : Dans la lettre, le ministère a-t-il donné une date de fin?
Le président : Je n'ai pas cette lettre avec moi. Je ne pense pas.
Le sénateur Mahovlich : Je dois avouer ne pas avoir lu le document.
Le président : Vous aurez le temps de le lire.
Le sénateur Downe : Vous ne devriez pas l'avouer.
Le président : Notre attaché de recherche principal souhaite ajouter quelque chose.
M. Peter Berg, attaché de recherche auprès du comité : Si je me rappelle bien de cette lettre, il y était question de 2006 et du potentiel de révisions de la politique étrangère à plus d'un an d'intervalle. On peut présumer que cette recommandation sera prise en compte dans l'examen de l'an prochain, pour 2006.
Le sénateur Andreychuk : Pourrions-nous recevoir copie de cette lettre?
Le président : Oui. Elle n'est pas secrète. Tout le monde peut en recevoir copie. C'est essentiellement une lettre standard des ministres pour appuyer leur énoncé. Il n'y a rien de secret à l'intérieur.
Le sénateur Corbin : Vous avez fixé ces dates en juillet. Je présume que vous avez déjà réservé des témoins. Seront-ils libres?
Le président : Le personnel va s'occuper des témoins.
Le sénateur Corbin : Des ministres, des sous-ministres, et tout le reste? C'est en plein milieu de la période des vacances, vous savez.
Le président : J'essaie de faire en sorte que nous ne nous réunissions pas en juillet, si possible. J'aimerais utiliser la dernière semaine de juin, si nous le pouvons. Il revient aux membres du comité d'en décider, mais nous avons du temps la dernière semaine de juin pour commencer notre examen. Personne n'a dit que nous devions en faire tout un plat, mais l'énoncé de politique est un document intéressant. Beaucoup ont exprimé leur point de vue à son sujet. Nous essayons d'organiser des réunions avec les ministres pendant la dernière semaine de juin. Tout s'est fait assez rapidement. Le Sénat nous a donné trois jours en juillet en cas de besoin, comme je l'ai dit au Sénat aujourd'hui. Cela ne signifie pas que nous devons siéger en juillet. Je sais qu'il y a des membres du comité qui préféreraient ne pas siéger en juillet. Je le comprends. Nous allons essayer de satisfaire tout le monde. Que pouvons-nous faire d'autre?
Le sénateur Robichaud : Merci.
La séance est levée.