Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 4 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 8 décembre 2004
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles à qui a été renvoyé le projet de loi S-11, Loi modifiant le Code criminel (loteries), s'est réuni aujourd'hui, à 16 h 15 pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Lise Bacon (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, nous étudions aujourd'hui le projet de loi S-11, Loi modifiant le Code criminel (loteries)
[Français]
Notre témoin est M. André Morin, vice-président de l'Association des travailleurs et des travailleuses de la restauration et de l'hôtellerie du Québec. Nous vous souhaitons la bienvenue à notre comité. Comme vous avez l'habitude de comparaître devant des comités, nous allons vous entendre et ensuite, plusieurs questions suivront.
M. André Morin, vice-président, Association des travailleurs et des travailleuses de la restauration et de l'hôtellerie du Québec : J'en profite pour vous remercier, madame la présidente, ainsi que tous les membres du comité. Votre invitation a été très appréciée par l'association que je représente. Lorsque j'ai dit aux membres que je venais vous rencontrer aujourd'hui, cela a été très bien perçu.
J'aimerais faire un petit aparté. J'avais promis d'amener une serveuse avec moi qui avait connu les bars illégaux, les appareils vidéo illégaux et les appareils légaux depuis le début. Elle a vu toute la problématique, le réseau se développer et elle a été responsable de ces appareils. Malheureusement, pour une cause indirecte, elle était à la cour aujourd'hui. Je vais quand même répondre à vos questions, madame la présidente.
Je vais débuter en remerciant le comité de nous inviter à témoigner sur le projet de loi S-11. À titre d'unique représentant de l'Association des travailleurs non-syndiqués de l'hôtellerie et de la restauration reconnue par le gouvernement québécois, l'ATTRHQ a, dans les cinq dernières années, dénoncé le manque d'encadrement des travailleurs de bar possédant des appareils de loterie vidéo.
Permettez-moi de vous faire un historique de notre implication dans ce dossier. Lorsque notre organisme a été invité à participer au forum sur le jeu pathologique qui s'est tenu à Montréal, les 8 et 9 novembre 2001, nous étions soucieux de pouvoir confirmer à la ministre déléguée à la santé et aux services sociaux, Mme Agnès Maltais, que des dizaines de milliers de travailleurs sont directement concernés par ce problème. De plus, nous étions anxieux de pouvoir expliquer à la ministre que leur travail est désormais étroitement lié à l'exploitation des appareils de loterie vidéo et que, conséquemment, cela les oblige à gérer et à résoudre de nombreux problèmes pour lesquels ils n'ont jamais été formés.
Enfin, nous avions conscientisé Mme la ministre au fait que, depuis l'implantation massive des appareils de loterie vidéo dans leur milieu de travail, ces travailleurs n'ont jamais eu à leur disposition un moyen simple d'obtenir de l'information appropriée à leurs besoins.
L'un des points importants que nous avions soulevés était le manque d'information sur la réglementation concernant l'opération de ces appareils. Les employés ne disposent pas d'une telle information. Pourtant, ils sont les premiers impliqués sur le terrain. Nous avions aussi demandé qu'une formation de base obligatoire sur le jeu pathologique soit offerte aux travailleurs et travailleuses de bars ainsi qu'aux tenanciers.
L'un des exemples que nous avions cités à la ministre était celui de la violence dont étaient victimes les travailleurs et travailleuses au moment de la fermeture des appareils. Nous demandions aussi comment devait réagir le travailleur devant la détresse des joueurs. De ce fait, nous demandions à ce que le ministère de la Santé et des Services sociaux procède à une étude approfondie sur l'influence des appareils de loterie vidéo sur le niveau d'épuisement moral et physique de ces travailleurs. Nous demandions également qu'il mette des ressources à leur disposition.
Soit dit en passant, il est ironique de constater qu'on demande à des travailleurs, payés sous le seuil du salaire minimum et sans formation dans le domaine du jeu compulsif, de gérer des sommes faramineuses, alors que Loto-Québec et les tenanciers de bars touchent d'énormes profits. De plus, signalons que lorsqu'il y a erreur au moment du paiement d'un lot, ce même employé a la responsabilité de rembourser l'écart pour combler l'erreur.
Suite au forum et à nos demandes, Loto-Québec a décidé d'uniformiser les heures de fermeture des appareils à trois heures du matin dans tous les cas. L'établissement peut fermer plus tard, mais la machine doit fermer à trois heures.
Vers la fin de l'année 2002 et au début de l'année 2003, de nouvelles machines moins rapides et apparemment moins attrayantes furent installées. Depuis 2003, les profits de Loto-Québec sont à la hausse, malgré le fait que la ministre des Finances, Pauline Marois, ait réduit le nombre d'appareils de 1 500.
Autre résultat du forum fut la création d'une table de travail au début de l'année 2002, qui s'étendit sur une période de dix mois. Cette table réunissait les intervenants suivants : La Régie des loteries et courses, la Société des appareils de loterie vidéo, Loto-Québec, la Corporation des bars, brasseries et tavernes du Québec, la Corporation des hommes d'affaires de Québec, le ministère de la Santé et des Services sociaux et l'ATTRHQ. Dès la mise en place de cette table, nous avons réclamé un encadrement pour les travailleurs de bars. Dans le document que nous vous avons remis se trouve notre présentation devant cette table de travail. Nous avions d'ailleurs été les premiers à présenter quelque chose de décent.
L'une des suggestions était que l'on fournisse une formation minimale et que l'on mette des sources de référence à la disposition des tenanciers et travailleurs des bars. Cette table de travail s'est conclue avec la création d'un programme de formation relevant du ministère de la Santé et des Services sociaux, créé par l'Université Laval en collaboration avec notre association. De plus, nous avons conçu, avec tous les intervenants à cette table, un programme d'exclusion volontaire. Ce programme fait l'objet du second document que nous vous avons remis. La mise en place de ces nouveaux éléments fait partie du Plan d'action gouvernemental sur le jeu pathologique 2002-2005, élaboré par le gouvernement du Québec. Malheureusement, ce plan n'a jamais vu le jour. Personne à cette table n'a voulu mettre un sou dans le programme de formation aux travailleurs. Puis, il y eut l'élection d'avril 2003 et la mise en place d'un nouveau gouvernement qui n'a pas tenu compte de ce plan d'action.
Récemment, le nouveau ministre des Finances, M. Yves Séguin, a décidé de réduire l'accès aux ALV en réduisant le nombre d'endroits où l'on retrouve ces appareils. Cette décision a touché les établissements ayant moins de quatre appareils, ce qui représente 2 500 appareils ou 702 sites. Ce geste nous apparaît comme un pas dans la bonne direction. Nous aurions préféré qu'il aille un peu plus loin en établissant la règle à cinq appareils et moins. Nous aurions également aimé qu'il indique clairement aux tenanciers de bars qu'ils doivent assumer leur propre discipline. De plus, il aurait été souhaitable que le ministre mette en place le plus rapidement possible le plan d'action du gouvernement précédent.
Évidemment, nous savons que si le projet de loi S-11 va de l'avant, cela entraînera des fermetures de bars et des pertes d'emplois qui pénaliseront également les quelques tenanciers de bars qui ont déjà sensibilisé leurs employés aux problèmes du jeu pathologique.
En conclusion, nous aimerions signaler au comité le point suivant. Le fait de retirer les appareils de loterie vidéo des bars, et de les centraliser dans les hippodromes et dans les lieux consacrés au jeu, n'engendrera qu'un transfert de la problématique du joueur pathologique s'il n'y a pas un encadrement des travailleurs de cette industrie.
La présidente : Merci de votre présentation. Étant donné que vous représentez des gens dont l'emploi dépend de la vitalité économique de l'industrie de la restauration et de l'hôtellerie, je vais aborder le volet purement économique de la présence des ALV.
Le projet de loi, tel que rédigé présentement, aurait pour effet, s'il était adopté, d'interdire complètement la présence des ALV dans les bars, les brasseries, les tavernes et autres endroits prévus par la loi. En règle générale, seuls les casinos et les hippodromes pourraient continuer à exploiter ces appareils. Plusieurs établissements où les ALV sont présents réussissent à balancer leurs comptes grâce aux revenus générés par les ALV.
Êtes-vous inquiet de l'impact financier que cette loi pourrait avoir sur l'industrie que vous représentez, autant du point de vue des tenanciers d'établissements que des employés qui y travaillent?
En 2003-2004, les détenteurs de permis d'exploitation ont touché des profits totalisant 276 millions de dollars. Il s'agit d'une somme plutôt colossale. Croyez-vous que la disparition des ALV pourrait affecter les travailleurs du secteur que vous représentez?
M. Morin : Ma réponse est oui, définitivement. Toutefois, lorsqu'on parle de 14 000 pertes d'emplois, nous sommes en désaccord avec ce chiffre.
Dans le pire des scénarios, je ne crois pas que plus de 2 000 emplois seraient perdus. Lorsqu'on parle de 14 000 ou 15 000 emplois, laissez-moi en douter. On compte environ 4 900 sites au Québec, où l'on retrouve des appareils de loterie vidéo. Si on retire ces appareils, cela affectera, en moyenne, de quatre à cinq employés par établissement, ce qui porte le chiffre à 20 000. Lorsque les tenanciers de bars nous lancent ces chiffres, c'est un peu comme si on nous disait que tous les bars vont fermer du jour au lendemain. Cette hypothèse n'est pas réaliste. Toutefois, elle est véhiculée par plusieurs tenanciers de bars et M. Poulin, qui prétend que cette loi entraînera de 14 000 à 15 000 pertes d'emplois.
Bien souvent, on n'embauche pas de personnel supplémentaire affecté à ces appareils. Dans la plupart des établissements, le travailleur ou la travailleuse qui paie les lots, gère également l'opération de ces machines et sert les boissons alcoolisées. On peut faire exception à cette règle dans le cas des grandes chaînes telles La Cage aux Sports, où on retrouve des personnes affectées strictement au paiement des lots. Toutefois, dans la majorité des 4 900 établissements hôteliers du Québec la personne qui sert la boisson paie également les lots.
La présidente : Le projet de loi veut s'attaquer au problème des ALV en proposant une solution qui repose sur la notion suivante : il faut réduire l'accessibilité aux appareils et leur visibilité pour prévenir l'apparition de nouveaux joueurs qui pourraient être des joueurs pathologiques.
Pensez-vous qu'en limitant la présence des ALV aux casinos et aux hippodromes, nous parviendrons à diminuer le pourcentage de la population qui devient pathologiquement dépendante de ce type de jeu?
M. Morin : Madame la présidente, on paie depuis trois ans un consultant spécialisé en jeu pathologique. Il donne des cours de formation. Les gens de Dollard Cormier à Montréal sont formés par le consultant que nous avons engagé.
Il est certain que si l'on retire les appareils des bars, on le verra. Il y aura sûrement un bienfait qui va apparaître. J'en suis convaincu.
La présidente : Avez-vous des données sur l'incidence des ALV sur le personnel des établissements dans les endroits dédiés à ces appareils. Est-ce que les employés exposés au jeu sur les lieux du travail jouent plus aux ALV que les autres? Avez-vous déjà exploré cette question?
M. Morin : On a exploré cette avenue. J'ai demandé, lors de la fameuse table de travail dont je vous parlais dans mon exposé, que le ministère de la Santé fasse une étude. On ne semblait pas croire ce que nous leur disions. Tout le monde autour de la table ne semblait pas croire que c'était dur moralement pour les travailleurs et qu'ils étaient aussi victimes. On leur a dit : faites une étude vous-même. Ils ont engagé la firme Acti-Menu, une firme de consultants que le ministère de la Santé et des services sociaux a utilisée dans les dernières années. Ils m'ont demandé de leur donner 50 noms au hasard, dans toute la grande région de Montréal, pas seulement au centre-ville, à Châteauguay, Boucherville, et cetera. Ils ont sélectionné 20 noms. Ils ont tenu deux forums. Le résultat a été le suivant : neuf travailleurs sur dix ont demandé de sortir les appareils des bars.
La présidente : Parce qu'ils sont affectés eux-mêmes?
M. Morin : Oui, quand Mme Céline Falardeau, de Acti-Menu, a présenté cette demande à la table de travail, elle a presque été mise dehors. On ne l'a plus jamais revue. Le résultat de ces forums, on n'en a plus jamais entendu parler. Cela a été complètement ignoré. Mais ce n'est pas nous qui avons mis sur pied ce forum, c'est le ministère de la Santé qui l'a fait via la firme Acti-Menu. Et neuf travailleurs sur dix ont demandé de sortir ces machines des bars.
Madame la présidente, il y en a des bars à Montréal et vous donner des chiffres exacts, c'est difficile. Votre question est à point. Sauf que malheureusement, je ne peux pas vous donner de chiffres précis. Je peux vous donner un exemple. Il y a plusieurs endroits à Montréal où il y a un restaurant en bas et un bar en haut et c'est le même propriétaire. Je vous dirais que ce sont les pires cas que nous avons eus à l'association. Les travailleurs en bas finissent leur horaire régulier de travail et ils montent au deuxième. Ce qu'ils gagnent l'après-midi, ils le dépensent en haut le soir dans les machines.
La présidente : C'est régulier?
M. Morin : Absolument.
La présidente : Est-ce que vous avez tenu des consultations auprès des travailleurs et travailleuses de la restauration et de l'hôtellerie au sujet de la présence des ALV dans les bars et brasseries? Il n'y a jamais eu de questionnements faits auprès des travailleurs de l'hôtellerie?
M. Morin : On a fait un sondage en 2001 qui concordait avec le résultat de la firme Acti-Menu. Cette dernière est arrivée à neuf travailleurs sur dix et nous à sept sur dix qui disaient de sortir les appareils des bars. Il faut comprendre l'exemple du Québec. Au Québec, sur 52 instituts d'hôtellerie, jusqu'au forum du jeu pathologique, il n'y en avait aucun qui parlait à ses futurs travailleurs des appareils à loterie vidéo.
La présidente : De l'hôtellerie?
M. Morin : Oui. Ces gens étaient formés, allaient travailler dans un bar comme serveur ou serveuse et on leur imposait la gestion d'appareils de loterie vidéo. Et ces gens ne connaissaient pas cela. Ils ne savaient pas ce qu'était la détresse. Avec mon consultant, j'ai fait la tournée des bars du grand Montréal, sur la rive sud, sur la rive nord.
La présidente : Vous êtes allé à Laval?
M. Morin : Oui, nous avons remarqué une constante qui nous a frappés. C'est presque toujours les mêmes qui sont assis devant les appareils à loterie vidéo. On allait dans un bar à Laval, on y retournait dix jours après et étrangement, c'était les mêmes deux mesdames, les mêmes trois messieurs.
La présidente : La clientèle régulière?
M. Morin : Oui. Quand j'entends le professeur Ladouceur nous dire que c'est une infime portion des joueurs qui sont pathologiques, je ne mets pas ses compétences en doute, mais il est financé par Loto-Québec, on ne se le cachera pas. Nous on est sur le plancher et on doute. Mais je vous dis que mon nom n'est pas docteur Morin.
La présidente : Il y a une comparaison à l'Ontario dont je veux parler avec vous. Les données dont on dispose demandent un peu d'attention. Selon l'article qui est paru dans l'Ottawa Citizen le 20 mai 2000, selon les données comptabilisées par Loto-Québec, l'offre du jeu est supérieure en Ontario quand on la compare à celle du Québec. C'est ce qu'on nous dit dans cette étude. Selon les autorités policières ontariennes, on dit qu'il y a plus de 20 000 appareils de jeu électronique illégaux présents sur le territoire de la province. Ce chiffre est alarmant s'il est exact. Croyez-vous que l'adoption du texte dont nous sommes saisis par le projet de loi que nous avons devant nous serait de nature à favoriser l'apparition d'appareils illégaux au Québec de la même façon qu'en Ontario?
M. Morin : Non, je ne mets pas en doute ces chiffres de l'OPP. Je ne crois pas à une augmentation substantielle des appareils illégaux.
La présidente : Si c'était banni dans les bars.
M. Morin : Je n'y crois pas. Prenons un exemple. Le Québec a quand même réduit de 15 000 à 13 500 les appareils depuis 2001. Et à ce que je sache, je n'ai pas constaté l'apparition de machines illégales. Et j'ai fait la grande tournée depuis 2001 et pourtant, on a réduit de 1500 appareils le parc de machines. À ce que je sache, il n'y a pas de machines illégales qui sont apparues.
La présidente : C'est ce que je voulais savoir.
Le sénateur Rivest : Vous avez évoqué des pertes d'emploi. Est-ce que les 2 000 ou 3 000 pertes d'emploi viendraient plus du fait qu'un certain nombre de personnes se sont lancées dans l'industrie des bars, non parce qu'ils avaient des talents particuliers pour ce commerce, mais dans le fond, parce qu'il y avait les vidéos? Autrement dit, la boisson est un accessoire. Dans le passé, on devait manger un sandwich pour prendre une bière, c'était l'accessoire à la consommation d'alcool. J'ai l'impression qu'un certain nombre de propriétaires de bars sont là plus pour les machines que pour la boisson. Ils nous parlent de chiffres astronomiques. J'imagine que vous travaillez dans le domaine de l'hôtellerie. Votre association et vos membres connaissez bien l'industrie. Comprenez-vous ma question?
M. Morin : Je voudrais vous faire un petit historique rapide. Quand Loto-Québec a installé les appareils dans les bars et a banni les appareils illégaux, en passant, il y avait 25 000 appareils illégaux au Québec. On a mentionné des chiffres, jusqu'à 40 000 appareils mais c'était 25 000 appareils. Dès le départ, je vais y aller de façon plus simple parce que la réponse est complexe.
La Régie des loteries et courses, qui est censée faire respecter la réglementation, qui octroie les permis, a contourné ses propres règles. De là l'émergence de ce que vous me disiez, par exemple, un gars achetait un bar où il y avait cinq appareils. Lui en voulait dix. Alors il faisait monter un mur de gyproc, il mettait une porte qui séparait les deux endroits, allait voir la Régie des loteries et courses et demandait un permis. Il obtenait ainsi cinq autres machines.
Le sénateur Rivest : Une autre préoccupation plus générale, dans les centres de pari hors-piste, est-ce qu'il y a de la boisson?
M. Morin : Oui.
Le sénateur Rivest : De là j'imagine votre idée de demander, ces gens n'ayant pas plus reçu de formation que le personnel hôtelier, qu'ils en aient. Deuxièmement, ce sont des emplacements licenciés. C'est le gouvernement qui a le contrôle sur le nombre et la localisation de ces centres? Il ne faudrait pas qu'en faisant disparaître les machines dans les bars, il y ait une prolifération de ces centres de pari hors-piste. Comment y en a-t-il actuellement au Québec?
M. Morin : Je suis content que vous me posiez cette question et je voudrais vous mettre en garde si on va de l'avant avec le projet de loi. C'est une de mes craintes. Actuellement, il y a 18 hippoclubs.
Le sénateur Rivest : Sur le territoire?
M. Morin : Oui. Il y en avait 19 mais il y en a un qui a fermé récemment. Ces endroits vendent de l'alcool et ils ont des appareils à loterie vidéo. J'ai regardé chaque plan d'affaires que la SONAC a présenté au ministre des Finances.
Le sénateur Rivest : Ces hippoclubs existent dans les autres provinces du Canada?
M. Morin : Je ne pourrais pas vous dire. Je vais vous parler du Québec que je connais bien. Si on prend le dernier plan d'affaires, la SONAC disait à la ministre Marois à l'époque qu'elle voulait faire passer d'ici 2005 le réseau d'hippoclubs de 18 à 55. Je ne sais pas qui va gérer les hippodromes et qui va gérer les hippoclubs. Je ne le sais pas. Je crains qu'on retire les appareils de loterie vidéo des bars et qu'on donne la gestion à un entrepreneur privé qui va gérer les 4 hippodromes et les hippoclubs. Cet entrepreneur va vouloir aller de l'avant et ouvrir d'autre hippoclubs. Vous comprenez un peu, si je prends des régions sensibles comme la région de Trois-Rivières, qu'il y ait des machines à l'hippodrome de Trois-Rivières, je n'ai pas un mot à dire là-dessus. Mais si on ouvre deux hippoclubs dans le centre de Trois-Rivières, j'ai un problème avec cela.
Le sénateur Rivest : Qui va les contrôler? Le gouvernement en émettant des licences? Il faut une volonté politique?
M. Morin : Les décideurs devront mettre des limites. Quand je lisais votre projet de loi, c'était indiqué : et les endroits. Bon, il faudra spécifier.
Le sénateur Ringuette : Je vous remercie de votre présentation qui nous amène à un aspect plus terre à terre comme on dit de la réalité. Tout à l'heure vous avez indiqué qu'il y avait une possibilité de 2 000 emplois perdus.
Je vous avoue que je suis une fumeuse. Dans l'ensemble des provinces où on a aboli le fumage dans les endroits publics, on a entendu cette rhétorique des propriétaires de restaurants et de bars : Si la clientèle ne pouvait plus fumer dans leurs établissements, ils devraient fermer leurs portes. Au Nouveau-Brunswick, cette législation a été mise en place au début de l'été. À ma connaissance, personne n'a fermé encore. Dans la région d'Ottawa, cela fait déjà plusieurs années que cette réglementation est en vigueur. Je me questionne un peu sur votre estimé d'un maximum de 2 000 emplois.
Basé sur cela, je fais une comparaison. Je touche le même point de vue que le sénateur Rivest. Si ces appareils de loterie vidéo sont retirés des bars et que cela donne lieu à l'ouverture de sites spécialisés du jeu en plus grand nombre, qu'est-ce qu'on va gagner?
M. Morin : Je vais vous parler des pertes d'emplois. Vous rejoignez un peu la question du sénateur Rivest. Pourquoi je vous dis qu'il y aura au moins 2 000 pertes d'emploi? C'est justement que des bars se sont ouverts et des sections dans des bars ont créé des emplois. Le bar qui était un bar unique a, grâce au deuxième permis qu'il a obtenu, reçu cinq machines supplémentaires. Il y a de grosses chances que des travailleurs vont perdre leur emploi. La travailleuse dans cette section a de grosses chances de perdre son emploi. C'est pour cela que vous, vous dites qu'au Nouveau-Brunswick, il n'y a pas eu beaucoup de pertes d'emplois répertoriées, mais moi je vous dis qu'au Québec, il va y en avoir, c'est sûr.
Le sénateur Ringuette : Vous représentez combien de travailleurs?
M. Morin : Nous représentons 4 200 travailleurs. Cela inclut une chaîne particulière, la Cage aux Sports.
[Traduction]
Le sénateur Milne : Votre position me laisse assez perplexe. Vous avez dit que 61 p. 100 des 4 000 personnes que vous représentez ne veulent pas d'appareils de loterie vidéo dans les bars, pourtant, si ces appareils étaient retirés des bars, vos membres perdraient leur emploi. J'aimerais que vous m'apportiez des éclaircissements à ce sujet. Selon vous, si le gouvernement suivait vos recommandations, c'est-à-dire, si les employeurs recevaient une formation adéquate, alors on assisterait à une diminution de l'incidence du jeu pathologique. De quelle façon et pourquoi cela se produirait-il?
[Français]
M. Morin : C'est très simple, parce que dès le départ, je parlais dans mon exposé de la réglementation. Jusqu'au forum du jeu et même encore au moment où on se parle, les travailleurs ne connaissent pas la réglementation. Je vous donne un exemple du règlement : un joueur qui joue sur deux machines, c'est interdit. Un monsieur qui est en état d'ébriété devant son appareil, tu n'as plus le droit de le servir. Mais ce n'est pas respecté. Nous avons fait une étude auprès de nos membres.
Quand on leur a appris les règlements de la régie, nos travailleurs étaient tout surpris, les patrons aussi.
[Traduction]
Le sénateur Milne : En Ontario, les appareils se trouvent à une distance de 10 à 150 kilomètres des quartiers résidentiels. Si vous voulez jouer au moyen d'un appareil de loterie vidéo en Ontario, vous devrez parcourir plusieurs kilomètres en voiture ou en autobus pour vous y rendre. Il ne s'agit pas simplement de marcher jusqu'au bar du coin et d'y entrer.
Le sénateur Eyton : Il y a des gens qui habitent Niagara Falls.
Le sénateur Milne : Il y a également des gens qui habitent autour du lac Simcoe.
Vous avez dit que moins de 5 p. 100 des joueurs sont des joueurs pathologiques. La moitié des sommes que récoltent les provinces grâce à ces appareils proviennent de ces 5 p. 100 de joueurs pathologiques. Les provinces aussi ont un véritable problème de dépendance à l'égard de ces appareils.
[Français]
M. Morin : Vous avez raison. Cela revient à ce que je vous disais tantôt, d'après les vérifications que nous avons effectuées sur le terrain, c'est toujours les mêmes personnes qui sont assises devant ces appareils.
Le sénateur Milne : C'est vrai?
M. Morin : C'est un fait. Je ne veux pas faire le procès de personne, mais ces appareils encouragent l'utopie chez les joueurs compulsifs. Ils sont prêts à perdre leur chemise pour tenter de gagner 500 piastres. J'ai parlé à des joueurs pathologiques, par l'intermédiaire de notre consultant, des hommes et des femmes.
La dernière joueuse que j'ai rencontrée avait commencé à jouer à huit heures le matin. Quand je suis arrivé, aux environ de huit heures et demie, elle venait de perdre 2 800 $. Il y a des guichets automatiques dans presque tous les bars maintenant. L'argent est à portée de main. Savez-vous comment cette fille a compris? La dernière fois qu'elle est allée au guichet automatique, il n'y avait plus de fonds. Elle pleurait. C'est pénible de voir cela.
Vous n'allez peut-être pas fréquemment dans les bars comme moi à cause de mon métier. Je n'exagère pas quand je vous raconte cela. Je pourrais vous citer des tas d'exemples de ce genre. Savez-vous combien j'ai de jetons ou de médailles de joueurs anonymes au bureau de l'association? Neuf. Savez-vous qu'est-ce que c'est? Ce sont des jetons de gens qui assistaient aux réunions des Gambler Anonymes. Un moment de faiblesse, ils entrent dans un bar, et le jeton se retrouve par terre où des employés les ont ramassés et me les ont fait parvenir. J'ai même une montre. Ces gens sont désespérés.
Le sénateur Lapointe : Il y a beaucoup de souffrance dans cela.
Le sénateur Joyal : Combien y a-t-il d'appareils de loterie vidéo illégaux au Québec actuellement?
M. Morin : Dans toute la province, je serais surpris s'il y en avait mille. Et j'en ai vu, en passant. Je ne devrais pas nommer de quartiers spécifiques, mais nous sommes ici pour en parler, il y en a particulièrement dans la région de Saint-Léonard, à Montréal, dans des petits cafés. Souvent il y a des pièces sur le côté où on retrouve deux ou trois appareils illégaux.
Le sénateur Joyal : En pratique, le jeu reste quand même très public, accessible. Si le marché ne ressent pas le besoin de multiplier les appareils c'est parce qu'ils sont très accessibles partout. L'illégalité provient de la disette. Lors de la prohibition, les alambiques clandestins ont pullulé parce qu'on interdisait la consommation d'alcool. À partir du moment où c'est permis, en général, l'exploitation illégale diminue considérablement.
Dans vos documents, il est fait mention du programme d'exclusion volontaire pour les appareils de loterie vidéo. Si nous n'adoptions pas le projet de loi, est-ce que les programmes actuels d'aide ou d'assistance existant seraient suffisants pour réduire le problème du jeu endémique qui concerne quatre à cinq pourcent de ceux qui sont touchés par ce fléau?
M. Morin : Admettons que le gouvernement québécois, demain matin, décide de donner une formation aux travailleurs et d'appliquer le programme d'exclusion volontaire. Je vais d'abord expliquer un peu le fonctionnement de ce programme d'exclusion volontaire. À la base, nous retrouvons les régies régionales. Nous avions trouvé une solution avec le ministère de la Santé.
Il y a 18 régies régionales de la santé au Québec. Chaque régie régionale devait mettre un intervenant en disponibilité dans sa région, 24 heures par jour, pour répondre aux appels de détresse que les employés leur signaleraient. L'intervenant était responsable de prendre en charge le joueur. Nous trouvions que les responsabilités des travailleurs étaient énormes. Nous ne voulions pas, en plus, en faire des intervenants spécialisés dans le jeu pathologique. Nous avons insisté sur ce point. Cependant, nous sommes d'accord pour donner une formation afin qu'ils aient une idée du comportement d'un joueur pathologique. L'employé servirait d'intermédiaire entre le joueur en difficulté et l'intervenant.
Nous sommes convaincus que cela aurait fonctionné et qu'on aurait vu des résultats. On parle dans le meilleur des mondes, mais ce n'est pas de cette façon que cela fonctionne.
C'est pour cela que je disais, dans ma présentation, que cela prendrait de l'autodiscipline de la part des tenanciers de bar.
Je vous raconte rapidement le cas de la serveuse qui devait être avec moi aujourd'hui, c'est un cas typique. Cette fille a été congédiée parce qu'elle appliquait la réglementation. Elle refusait de servir une personne ivre devant une machine; elle lui offrait du café. Même s'il n'était pas assis devant la machine, elle refusait de le servir. Elle s'est fait congédier. Est-ce que quelqu'un protège cette fille aujourd'hui? Elle dépose une plainte aux normes du travail. Cela a pris dix mois, et ce matin, elle est en cour. C'est une réalité.
Je ne suis ni pour ni contre M. Séguin. Monsieur Séguin a eu du courage, mais il aurait pu en avoir plus. Il a décidé qu'il retirait les quatre machines et moins. Moi, j'aurais été à cinq. Parce que la majorité des établissements en ont cinq. En plus, j'aurais exigé de ces tenanciers de bar de s'autodiscipliner. Mettre en marche des programmes d'autoexclusion, gestion via les régies régionales et formation des travailleurs. De cette façon, on aurait eu les cinq machines et moins retirées, et je suis convaincu qu'on ne serait peut-être pas assis ici à discuter du projet de loi S-11.
Le sénateur Joyal : Il y a combien d'endroits qui disposent de cinq machines et moins par rapport à ceux où il y en avait quatre? Vous avez dit qu'ils ont retiré 2 500 appareils ou 702 sites. Si le ministre avait retiré les appareils dans les sites qui en ont cinq et moins, cela aurait représenté combien de sites supplémentaires?
M. Morin : À peu près 1 800.
Le sénateur Joyal : Il me semble avoir lu que lorsque le ministre a annoncé sa décision de retirer, qu'il a compensé les propriétaires des sites d'un montant équivalant à une année de revenus. D'après vous, est-ce que cette compensation était suffisante pour leur permettre de maintenir leurs opérations, de se rajuster au fait que leurs revenus n'allaient pas se renouveler sur les mêmes bases pour les années à venir?
M. Morin : Au Québec, la moyenne globale que rapporte chaque appareil de loterie vidéo, c'est 19 000 $ par année. C'est certain que ce n'est pas 19 000 $ pour chacun des 702 sites impliqués maintenant. Loto-Québec, à l'origine, avait des quotas, et les tenanciers de bar devaient remplir des quotas. S'ils ne remplissaient pas les quotas, on leur coupait les machines. Il ne faut pas penser que les 2 500 machines qu'on retire actuellement étaient celles qui rapportaient le plus. C'est pour cela que je dis que M. Séguin a eu du courage, mais qu'il aurait pu en avoir plus et aller jusqu'à cinq. À cinq, on aurait vu des résultats tangibles.
Le sénateur Joyal : Connaissant la nature humaine comme vous la connaissez, vous parlez d'autodiscipline et de mise en application d'une série de programmes et d'interventions. Est-ce que, sur la base de votre expérience, le projet de loi, tel que nous le considérons actuellement, devrait être adopté si rien de plus ne change que ce qui est actuellement?
M. Morin : Je vais être dur pour les tenanciers de bar. Il ne faudrait pas uniformiser et dire : Moi, je vais fermer mes portes. On va se calmer. Par contre, je connais des tenanciers de bar qui ont investi, qui sont pris avec des baux de 10 ans, 12 ans. Ce n'est pas évident. On arrive demain matin et on leur dit : on sort les machines. On a beau être d'accord ou pas avec les tenanciers de bar. Mais ils m'ont envoyé leur requête qu'ils se préparent à plaider en cour. J'ai vu le document. Ils parlent de droit acquis. Ils disent qu'ils avaient un droit acquis. En réalité, ils n'ont pas tout à fait tort. Je ne suis pas ici pour les défendre; je représente les employés. Je vous dis qu'il y a une réalité et elle est là, et que si le projet de loi va de l'avant, les provinces vont avoir des problèmes tout à l'heure. Il va y avoir des poursuites.
Le sénateur Joyal : Si, par exemple, on suspendait la proclamation du projet de loi sur une période de trois ans. On peut adopter un projet de loi et différer la mise en application en donnant une période de temps aux personnes pour se rajuster, sachant qu'il y a une date butoir pour le changement. Il est certain que si on fait le changement du jour au lendemain, cela peut provoquer, dans certains cas, des difficultés énormes.
M. Morin : Pour les gouvernements provinciaux aussi.
Le sénateur Joyal : Si on donnait une période de temps pour faire la transition, on pourrait diminuer l'impact que pourrait avoir le projet de loi s'il était appliqué abruptement du jour au lendemain. Ce serait une façon d'aborder la difficulté que vous décrivez.
M. Morin : Au risque de déplaire au sénateur Lapointe, j'aurais tendance à aller dans le même sens que vous.
Le sénateur Joyal : Donner une période de transition.
M. Morin : Donner une chance à tout le monde. On parle de jeu pathologique. On essaie d'identifier les coupables en visant les tenanciers de bar. J'hésite un peu avant de taper sur les tenanciers de bar. Certains ont peut-être ambitionné. Mais quelqu'un a créé cette situation, et ce n'est pas nécessairement eux.
Le sénateur Lapointe : Je ne suis pas contre ce que vous dites. Je pense que le responsable, c'est Loto-Québec. Je ne prends pas de détour. Si on dit au tenancier de bar qu'on lui donne dix machines, il va vite dire oui. Je suis plus draconien que le sénateur Joyal, qui a une formation d'avocat que je n'ai pas. Je peux dire une chose. Ce n'est pas moi qui va vous apprendre qu'un gars qui a deux machines, chaque machine rapporte beaucoup moins que s'il en avait dix. J'ai dit à M. Séguin que ce ne sont pas eux qu'il faut attaquer. Celui qui a deux machines ne fait pas des millions. Allez chercher les gros propriétaires et qu'on les réduise à deux machines. Qu'on réduise tout le monde à deux machines, j'enlève mon projet de loi, et c'est fini, on n'en parle plus. On n'aurait plus le problème pour une raison qui est fort simple : à deux machines, les gens ne sont pas patients; les joueurs, je connais cela, j'en suis un. Les gens ne sont pas patients et ne vont pas attendre une demi-heure ou trois quarts d'heure, ils vont chercher une autre place. La preuve est faite : plus tu as de machines et plus elles rapportent. Les gens sont intelligents, ils savent que plus on fait des cloisons pour s'agrandir, plus c'est payant.
Je n'en veux pas aux tenanciers de bar. J'ai vécu avec les cachets que les tenanciers de clubs me donnaient. Je ne crache pas sur ces gens, la question n'est pas là.
Il y a un autre aspect de l'histoire. Qu'ils reçoivent un an de compensation, je trouve cela exagéré. Ce serait six mois et un autre six mois pour aider ceux qui sont dans la rue. Par exemple, vous avez Mme Viel ou je ne sais trop son nom dont le mari a flambé 48 000 $ strictement dans les machines. Elle doit rembourser 48 000 $ à Mastercard. Je trouve cela épouvantable.
Pour les machines illégales, si le gouvernement fédéral ou provincial en arrive à un consensus, qu'ils arrivent à une résolution, il y a moyen de créer une escouade. Ils vont épargner encore plus d'argent. Tu saisis la machine et le gars perd son permis s'il ne respecte pas la loi. Je vais peut-être à l'extrême. Je suis fait comme cela et on ne va pas me changer. J'ai mis les hippoclubs dans le projet de loi parce que ce sont des endroits où les gens jouent. Ils disparaîtraient de la société, cela ne me gênerait pas, cela me ferait plaisir.
Je l'ai dit au ministre. Vous vous attaquez aux petits, ceux à qui vous faites le plus mal. Il y a le monde interlope qui possède des machines, des petites organisations dont on va taire les noms. Je ne veux pas me faire casser les jambes en sortant. Il reste qu'il y a des organisations qui détiennent un bon petit pourcentage de ces machines.
Je connais des tenanciers très honnêtes et qui appliquent à la lettre la loi. Quand une personne est en état d'ivresse, ils le prennent en douceur. Les chiffres de M. Morin ne sont pas des chiffres tirés en l'air. Pour le serveur qui a la responsabilité de comptabiliser tout cela, ce n'est pas facile ni évident.
D'autant plus qu'avec les machines, je suis certain que vous êtes de mon avis, mais je me mets à la place des tenanciers, au lieu d'avoir deux dollars de pourboire sur sa bière, il va n'avoir qu'un dollar, parce que l'autre la met dans la machine pour gagner plus.
M. Morin : Plusieurs employés m'ont rencontré et me disaient que dans certains cas, il y a même des gens qui ont du front tout le tour de la tête dire à la serveuse : apporte-moi une bière, si je gagne, je te donne un pourboire, si je ne gagne pas, tu n'auras rien. Elle lui apporte sa bière et il ne donne pas de pourboire; il joue dans la machine le trois ou quatre dollars qui lui reste et s'il gagne il va lui en donner. C'est quotidien.
À la fameuse table de travail que le gouvernement avait créé, quelque chose m'a estomaqué. Je vous le dis, cela m'a révolté et encore aujourd'hui, cela fait une couple d'années, il ne faut pas que je m'arrête à y penser, car cela me choque. Quand tu vois le représentant des tenanciers de bar, on ne parle pas de n'importe qui, ce n'est pas le gars au coin de la rue qui ne connaît pas dossier, tu vois le représentant des tenanciers de bar qui représente 4 900 tenanciers de bar qui ont des appareils loterie vidéo et qu'on se met à parler de jeu pathologique et qu'il me répond : ces clients, je ne vais pas les chercher dans la rue. La table de travail a commencé comme cela. Vous voyez qu'on est bien loin de l'autodiscipline.
[Traduction]
Le sénateur Eyton : J'ai une histoire qui finit bien à vous raconter et ensuite j'aurais quelques questions à vous poser.
Je connais un hippodrome de moyenne importance en Ontario qui a réalisé quelques profits. Son chiffre d'affaires n'atteignait probablement pas 10 millions de dollars. J'imagine qu'il valait 6 ou 7 millions de dollars y compris les biens immobiliers. Le propriétaire de l'hippodrome a eu la chance d'obtenir un permis d'exploitation de ce qu'il est convenu d'appeler un casino, alors qu'il s'agissait en réalité d'un centre d'appareils de loterie vidéo.
Cet hippodrome qui, selon moi, valait de 7 à 8 millions dollars, a soudainement pris une valeur exceptionnelle, fort heureusement pour le propriétaire. Vous le connaissez peut-être. Je crois que certains des sénateurs qui sont autour de la table connaissent des gens dans le milieu des courses de chevaux. Je crois d'ailleurs que c'est le cas du sénateur Lapointe. Le propriétaire de cet hippodrome a eu le bonheur de le vendre au prix d'environ 60 millions de dollars canadiens.
Cet hippodrome a fait l'objet d'investissements considérables, ce qui a permis de créer près de 1 500 emplois. Les retombées de toutes ces initiatives comprenaient donc de nouveaux emplois ainsi qu'une augmentation considérable des bourses. Il y a eu des répercussions sur tout le secteur des courses de chevaux. En outre, en général, de telles initiatives entraînent une transformation et des incidences positives pour la région où se trouve l'hippodrome. Il existe donc des aspects positifs.
Je ne dis que la même chose vaut pour les restaurants et les bars car, dans le cas que j'ai évoqué, il s'agissait d'un établissement de taille beaucoup plus considérable. Je voulais seulement parler d'un principe plus large.
J'aurais plusieurs questions d'ordre général à vous poser. Il me semble que nous faisons fi des lois de l'économie. On nous dit comme ça que quelques emplois seraient perdus, que les affaires se poursuivraient comme à l'habitude et qu'il y aurait très peu de perturbations locales. Je veux comprendre la situation financière d'un bar modèle ou d'un bar en particulier et je veux savoir quelle est l'influence financière de ces appareils dans ce bar par rapport à son chiffre d'affaires et aux emplois qui en dépendent.
En deuxième lieu, quelle forme de gestion privilégiez-vous pour reconnaître les joueurs pathologiques et composer avec cette clientèle? Croyez-vous qu'un bar local ou un bar de quartier qui compte une vingtaine ou une trentaine de clients qui se connaissent pour la plupart est mieux à même de surveiller les joueurs à problème qu'un casino? Les casinos rassemblent 3 000 à 4 000 joueurs que les employés responsables des jeux ne connaissent pas.
Troisièmement, on prétend qu'en éliminant les appareils de loterie vidéo, les personnes qui s'adonnent à ce type de jeu vont cesser de jouer. Ne croyez-vous pas que ces gens vont trouver d'autres façons de jouer? Je peux moi-même quitter cette salle immédiatement et trouver une façon de jouer d'ici cinq minutes. En fait, il y a probablement une vingtaine ou une trentaine d'options qui s'offrent à moi. Il y a toutes sortes de possibilités. Il me semble extrêmement arbitraire de s'en prendre aux appareils de loterie vidéo et de dire que ces appareils sont monstrueux et qu'ils constituent une forme unique de jeu.
Dans les faits, le jeu est fort répandu. Il gagne du terrain chaque jour grâce à l'Internet, qui, en général, échappe à toute réglementation.
En dernier lieu, d'un point de vue administratif, il s'agit d'un domaine de compétence provinciale et les provinces sont très actives dans ce domaine. Elles tirent des recettes du jeu. Elles font, pour la plupart, un bon travail à cet égard. Ne croyez-vous pas que les provinces sont en mesure de s'occuper des joueurs pathologiques et qu'elles devraient le faire car, après tout, ces joueurs ne constituent que 3 ou 4 p. 100 de la population?
Je suis un joueur. J'aime bien jouer de temps à autre, mais je suis excédé d'entendre l'idée selon laquelle 95 ou 96 p. 100 des joueurs doivent subir des changements à cause des 4 ou 5 p. 100 de joueurs qui ont des problèmes.
Les gouvernements locaux sont peut-être mieux placés pour s'attaquer à cette question. Ne croyez-vous pas qu'il appartient au gouvernement provincial d'agir pour régler ce problème plutôt qu'au gouvernement fédéral par l'entremise de ce projet de loi?
Pour revenir à ma première question, vous citez à titre d'exemple le cas d'un restaurant très populaire. Supposons que son chiffre d'affaires est de un million de dollars, ce qui est assez élevé pour un restaurant. Disons qu'il dispose de 100 000 $ en liquidités. Vous avez dit qu'il pouvait accueillir aussi peu que quatre appareils, alors je vais choisir le nombre le plus bas.
M. Morin : Au Québec, les restaurants n'ont pas d'appareils de loterie vidéo. On les retrouve seulement dans les bars.
Le sénateur Layton : Les activités des restaurants et des bars ne sont-elles pas entremêlées?
M. Morin : Non, elles sont séparées.
Le sénateur Eyton : Dans ce cas-là, ce projet de loi devrait s'appliquer uniquement au Québec. Si c'est ce que vous me dites, alors j'approuve ce projet de loi car tous les témoins que nous avons entendus jusqu'à présent nous parlent de leur expérience au Québec.
La présidente : Nous avons entendu des témoins de l'Alberta la semaine dernière.
Le sénateur Eyton : Je veux me pencher sur la situation économique d'un bar, dont le chiffre d'affaires pourrait être inférieur à un demi-million de dollars. Un appareil peut générer des revenus d'environ 50 $ par jour pour le propriétaire.
M. Morin : Le chiffre exact est de 19 000 $ par année.
Le sénateur Eyton : Avec quatre appareils, on arrive à 80 000 $ par année.
M. Morin : Pour certains bars, le chiffre annuel dépasse 22 000 $.
Le sénateur Eyton : En gros, un propriétaire de bar peut voir son revenu doubler, au moins, grâce aux appareils de loterie vidéo, s'il acquiert quatre appareils. S'il en a davantage, son revenu augmentera d'autant.
M. Morin : Oui.
Le sénateur Eyton : Est-il exact de dire que le retrait de ces appareils n'aurait aucun effet sur l'emploi? Si je suis propriétaire d'un bar et que mes revenus s'élèvent à 150 000 $ par année et que mes profits sont soudain réduits de 75 000 $ par année, ne croyez-vous pas que je devrai réduire mon personnel, ou réfléchir à la valeur de mon investissement ou encore envisager la fermeture du bar à cause d'une situation financière intenable?
[Français]
M. Morin : Vous m'avez posé plusieurs questions. Je vais commencer avec votre préambule. Vous me disiez qu'en Ontario, les ALV sont dans les hippodromes, cela fonctionne bien et c'est bon pour l'industrie des courses de chevaux. Moi aussi, je suis ancien propriétaire de chevaux de course. Les pistes de course, je les connais très bien. Il y a peut-être quelques petites pistes, en Ontario, où je ne suis jamais allé. Mais parmi celles que j'ai visitées depuis les dernières années, il y a la piste de Rideau Carleton. À Rideau, quand je rentre en bas, au casino, c'est plein. Il y a même des gardiens de sécurité, il y a une file. Quand je monte, je peux compter les clients qui parient sur les courses sur les dix doigts de ma main. Je me dis que l'industrie des courses de chevaux, actuellement, vit aux crochets des appareils de loterie vidéo. On ne se le cachera pas. Faites le tour en Ontario, vous pouvez compter les clients sur les doigts de votre main. Et quand je vois que le casino est plein, je me dis que, c'est une réalité, l'industrie des courses de chevaux vit des appareils de loterie vidéo. Ils se financent, en tout cas. On ne parle pas des pistes de Woodbine ou de Mohawk, on parle des autres pistes. Les autres pistes vivent majoritairement grâce aux revenus des appareils de loterie vidéo.
Pour répondre à votre deuxième question, vous me disiez que les bars peuvent perdre des emplois. Écoutez, on est conscient qu'ils vont en perdre des emplois. On est conscients qu'il y a des bars qui vont fermer. Je vous dis que ce ne sera pas la catastrophe anticipée.
[Traduction]
Le sénateur Eyton : Pour ce qui est du revenu, ce doit être catastrophique.
[Français]
M. Morin : Je vais vous donner les chiffres de Renaud Poulain, qui est le président de la Corporation des bars, brasseries et tavernes du Québec. Il a dit en conférence de presse, la semaine dernière, que les appareils de loterie vidéo, dans les bars, représentent 30 p. 100 de leurs revenus. C'est lui qui le dit. Je sais que c'est beaucoup 30 p. 100 de revenus.
[Traduction]
Le sénateur Eyton : J'aurais dit 50 ou plus.
[Français]
M. Morin : Je vous répète les chiffres de M. Poulain, le président de la Corporation des bars, brasseries et tavernes du Québec. C'est lui qui représente la majorité des tenanciers de bar. Il nous dit que la moyenne, c'est 30 p. 100 de leurs revenus, si on leur enlevait les machines.
[Traduction]
Le sénateur Eyton : Vous parlez peut-être de revenu et non de profit. Je parlais de profit, de l'argent empoché, ce qui est différent.
[Français]
M. Morin : Vous pouvez inclure les deux. Je vous l'ai expliqué tantôt : c'est le même employé, majoritairement, qui sert la bière et qui s'occupe des appareils de loterie vidéo. Et je vous ai dit, dans mon exposé, que cet employé est encore payé en bas du salaire minimum.
Cela ne coûte rien au tenancier de bar. Tout ce que ce dernier paie, c'est le permis et l'électricité pour opérer les machines. C'est tout. L'avènement des appareils de loterie vidéo dans les bars a été une mine d'or pour ces gens. Je ne les blâme pas, ils ont été chanceux, ils en ont profité. Sauf qu'à travers cela, il s'est greffé une misère humaine et cette misère humaine nous rattrape. À l'association, on ne se prend pas pour des bons dieux. On essaie de trouver des solutions qui seront équitables pour tout le monde. Il y a une problématique et il faut trouver des solutions. Le projet du sénateur Lapointe, je le trouve un peu radical, mais il faut peut-être sonner des cloches quelque part pour qu'il y ait une réaction.
[Traduction]
Le sénateur Eyton : Ne serait-il pas préférable selon vous qu'un bar local plutôt qu'un grand casino s'occupe de la gestion? Ne croyez-vous pas que les joueurs vont trouver autre chose s'ils ne peuvent pas utiliser d'appareils de loterie vidéo? Ne croyez-vous pas qu'il serait préférable que ce problème relève de la compétence des provinces plutôt que du gouvernement fédéral?
[Français]
M. Morin : Vous me posez des questions auxquelles je ne suis pas habilité à vous répondre. Personnellement, la juridiction doit relever de chaque province pour avoir un meilleur contrôle. Si on transfère cela dans les hippodromes, à ce moment-là, vous avez la réponse à votre question. Mais si on laisse les appareils de loterie vidéo dans les bars, j'aimerais mieux que ce soit les provinces qui gèrent cela.
Il y a un point que je voudrais mentionner aussi. Il y a un fait qui milite en faveur des tenanciers de bar. Dans le bar, la relation entre l'employé et le joueur en détresse est beaucoup plus intime, c'est beaucoup plus rapproché que dans un casino. Un casino, c'est très impersonnel. Et les hippodromes également. Je dis que si on les transfère dans les hippodromes, il faudra peut-être donner, un peu comme on suggère dans le mémoire qu'on vous a présenté, une petite formation aux employés. Si je prends l'hippodrome de Montréal, où vous avez 50 machines comme cela et 50 comme celles-là, et il n'y a qu'un employé, il y a un problème quelque part. Dans le bar, vous avez peut-être dix machines, mais l'employé est proche et il y a un contact humain qui est plus proche dans les bars, que vous rencontrez actuellement dans les hippodromes. Mais je ne dis pas qu'il ne pourrait pas y apporter des solutions. Ils pourraient fort bien engager plus de personnel dans les hippodromes. Ils pourraient peut-être donner des formations et être un peu plus sérieux dans leur programme d'autoexclusion. Parce que dans les hippodromes du Québec, il y a déjà un programme d'autoexclusion basé sur le même principe que celui de Loto-Québec. Sauf que dans les faits, il n'y a personne qui contrôle cela.
Lorsqu'on était à la table de travail, j'ai demandé à M. Bourdeau, qui est en charge de la direction de la sécurité à Blue Bonnets, de me donner le nombre de personnes qui se sont inscrites au programme d'autoexclusion dans chaque hippodrome. Les chiffres qu'il m'a donnés sont les suivants : 80 à Trois-Rivières, 35 à Québec et 3 à Montréal.
Il y a quatre fois plus de machines à Montréal, pourtant seulement trois joueurs se sont autoexclus. Il y en a 80 à Trois-Rivières et 30 à Québec.
Le sénateur Lapointe : Il y a un chiffre qui me dépasse complètement. Cinq pour cent des joueurs compulsifs, c'est pour l'ensemble du jeu, mais le taux de joueurs qui sont devenus compulsifs, à mon avis, est beaucoup plus élevé si on consacre ce chiffre strictement aux loteries vidéo poker. Ce n'est pas la même donnée. C'est ce que je voulais corriger. Le 5 p. 100, en incluant les casinos, les hippodromes et autres, ne représente plus les mêmes données quand on y ajoute les vidéo poker. Pour moi, les loteries vidéo sont au jeu de ce que le crack est à la drogue.
M. Morin : Je me suis assis dans des bars avec des gens qui m'ont dit : regarde, l'homme que tu vois là-bas vient jouer avec sa couche. La première fois qu'on m'a dit cela, j'ai cru qu'on se moquait de moi. Des gens viennent jouer avec leurs couches parce qu'ils ne veulent pas se lever de peur de perdre leur place. Et ce n'est pas rare! Croyez-moi sur parole. C'est pour cela que j'aurais aimé que Mme Perras soit ici aujourd'hui. Elle aurait pu vous décrire son expérience. Des gens qui sont malades, qui ont peur de se lever et de perdre leur place, qui vomissent sur la machine, ce n'est pas rare. Des gens qui urinent sur leur banc, ce n'est pas rare non plus.
Le serveur qui est obligé d'aller chercher la vadrouille pour nettoyer le plancher à tout bout de champ dans une soirée, c'est ce que j'appelle « la misère ». J'ai rarement vu cela dans un hippodrome. J'ai vu cela dans des bars, devant des appareils de loterie vidéo.
La présidente : Je vous remercie, monsieur Morin, pour vos interventions et pour la documentation que vous nous avez apportée. Ces nouvelles données serviront à l'ébauche du projet de loi.
M. Morin : C'est moi qui vous remercie. J'apprécie votre invitation. C'est la première invitation depuis le Forum du jeu pathologique, depuis que le gouvernement du Québec nous a mis de côté. Vous avez pris le temps de nous inviter et de nous écouter.
La présidente : Cela nous a fait plaisir.
[Traduction]
Nous attendons que les provinces nous envoient des témoins pour la semaine prochaine. Dès que nous aurons de leurs nouvelles, nous vous le dirons.
La séance est levée.