Délibérations du comité sénatorial permanent des
Langues officielles
Fascicule 1 - Témoignages du 18 octobre 2004
OTTAWA, le lundi 18 octobre 2004
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui à 16 h 5, pour l'étude du projet de loi S- 3, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles (promotion du français et de l'anglais).
Le sénateur Eymard G. Corbin (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Bonjour chers collègues. Avant de procéder à l'ordre du jour, j'aimerais obtenir votre accord pour me permettre de déposer au Sénat, demain, le rapport sur les dépenses encourues au cours de la dernière session, rapport que ce comité a adopté en vertu de l'article 104 du Règlement du Sénat à sa réunion d'organisation la semaine dernière. Ai-je votre accord pour déposer ce rapport?
Des voix : D'accord.
Le président : Nous allons maintenant passer à l'ordre du jour. Cette réunion a été prévue afin d'étudier le projet de loi S-3, article par article. Je voudrais en premier lieu vous informer de quelques développements. La semaine dernière, après vérification auprès de la greffière du comité, j'ai appris que nous n'avions pas de requêtes de comparutions prévues à ce comité. Il y avait des demandes d'information et un intérêt exprimé pour l'étude du projet de loi S-3. Ce matin, j'ai appris que deux ministres désirent comparaître afin de faire valoir certains points de vue. Cela dérange quelque peu l'ordre du jour prévu.
Je vais donc suggérer une façon de procéder cet après-midi qui est la suivante : nous entendrons d'abord le parrain du projet de loi S-3, le sénateur Jean-Robert Gauthier; nous aurons ensuite une période de temps raisonnable de questions et de réponses et, finalement, nous délibérerons sur l'avenir du projet de loi S-3 au sein de ce comité.
Je voudrais vous dire, au préalable, qu'il est difficile de dire non à des ministres qui désirent faire valoir certaines opinions ou certains points de vue au sujet d'un projet de loi à ce comité. Nous en parlerons une fois que nous aurons entendu le sénateur Gauthier, vos questions et réponses.
J'invite maintenant le sénateur Gauthier à prendre la parole sur son projet de loi.
Le sénateur Gauthier : Monsieur le président, c'est la quatrième fois que je présente un projet de loi modifiant la Loi sur les langues officielles (promotion du français et de l'anglais). Vous vous souviendrez que le 11 mars 2004, le Sénat avait adopté à l'unanimité le projet de loi S-4. Le projet a été renvoyé à la Chambre des communes pour étude et considération. Elle en avait commencé l'étude en deuxième lecture le 22 avril 2004. Les Chambres du Parlement ayant été dissoutes pour tenir des élections, mon initiative parlementaire est morte au Feuilleton.
[Traduction]
Je voudrais encore une fois, en présentant mon projet de loi S-3, modifier la Loi sur les langues officielles (promotion du français et de l'anglais). Le projet de loi S-3 ressemble à s'y méprendre au projet de loi S-4, à quelques modifications près dans le texte. Le sommaire, précise maintenant que la disposition en question est la partie VII de la Loi sur les langues officielles.
[Français]
Vous vous souviendrez qu'à plusieurs reprises ce comité s'est penché sur le besoin de modifier la Partie VII de la Loi sur les langues officielles afin d'en clarifier sa portée. En effet, l'article 41 de la Partie VII a été interprété par le ministère de la Justice et les tribunaux comme étant de nature déclaratoire et non exécutoire.
Cette interprétation minimaliste m'avait surpris, car j'étais membre du comité de la Chambre des communes lorsque le ministre responsable du projet de loi à l'époque nous avait expliqué le sens de l'article 41. Je vous rappelle que l'article 41 dit, et je cite :
Le gouvernement fédéral s'engage à favoriser l'épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement, ainsi qu'à promouvoir leur pleine reconnaissance et l'usage du français et de l'anglais dans la société canadienne.
[Traduction]
D'ailleurs, lorsqu'on l'avait interrogé en comité parlementaire, Lucien Bouchard, à l'époque secrétaire d'État, avait répondu que l'article 41 créait pour le gouvernement fédéral l'obligation d'agir. Le ministère de la Justice a subséquemment interprété ce langage juridique comme étant de nature déclaratoire et non exécutoire.
[Français]
Certains se souviendront que la cour fédérale de première instance avait rendu un jugement favorable dans la cause du Forum des maires de la péninsule acadienne contre l'Agence canadienne d'inspection des aliments. La Cour d'appel fédérale avait renversé sa décision et déclaré que l'article 41 était déclaratoire. Cette interprétation nous avait beaucoup déçus. J'ai ouï-dire que le Forum des maires a déposé une demande à la Cour suprême du Canada. Espérons que le plus haut tribunal du pays aidera à trancher cette question.
Étant donné l'interprétation du ministère de la Justice selon laquelle l'article 41 est déclaratoire — et doit être discrétionnaire — aucun règlement d'application n'a été proposé depuis l'adoption de la loi en 1988. Il détermine un objectif. Un règlement est non discrétionnaire car il définit comment atteindre cet objectif.
En d'autres mots, une loi sans règlement, c'est un chien de garde sans dents. Certains diront même que c'est un chien de poche, car il était impossible d'en connaître les mesures d'exécution. Il est difficile, sinon impossible d'intenter un recours en justice à l'article 41. La commissaire aux langues officielles ne peut participer à de tels recours car dans la partie X de la loi, l'article 77 l'exclut.
[Traduction]
Les avocats du ministère de la Justice s'opposent à l'adoption de règlements à la partie VII de la loi. Voilà pourquoi j'essaie depuis des années de renforcer l'article 41, pour qu'il ait un caractère exécutoire.
À mon avis, le ministère de la Justice interprète mal l'article, si l'on se reporte à 1988 et au débat qu'a tenu le Parlement sur l'objectif et l'intention du gouvernement, qui était de créer une obligation.
En fait, si vous regardez la Loi sur les langues officielles, vous constaterez que dans chaque article, on trouve une disposition stipulant qu'il est possible de prendre des mesures réglementaires. D'ailleurs, le dernier paragraphe de la partie VI — qui précède la partie VII — dit justement cela, à savoir que le gouverneur en conseil peut prendre des mesures réglementaires pour faire appliquer la loi.
Cela me semble convenir. Ce qui me semblait inusité, c'était de ne pas trouver de règlement à la partie VII. Dieu sait que j'ai souvent essayé de convaincre le Parlement qu'il était temps de faire cesser les interventions ponctuelles qui obligeaient les collectivités à contester continuellement devant les tribunaux. Nous savons qu'elles ne peuvent avoir gain de cause parce que les tribunaux n'ont aucun recours ni le droit d'interpréter la loi différemment de ce que propose le libellé dans un langage juridique.
[Français]
Mon projet de loi a trois objectifs. D'abord, il précise le caractère impératif de l'engagement de la partie VII. Ensuite, il impose des obligations aux institutions fédérales par la mise en œuvre de cet engagement et donne au gouvernement la possibilité d'adopter des règlements d'application. Enfin, le projet de loi S-3 est assorti d'un pouvoir de réparation permettant aux tribunaux de surveiller l'application qu'en font les gouvernements et permettra aux commissaires aux langues officielles d'appuyer les recours en justice.
Je crois qu'il pourrait être utile de préciser que cet amendement vise seulement à clarifier le pouvoir du gouvernement d'adopter un règlement. La partie VII est la seule partie de la loi qui ne confère pas au gouvernement le pouvoir explicite d'adopter un règlement. Même la partie VI porte sur la participation équitable et parle d'un engagement du gouvernement, comme à la partie VII. Mon amendement vise à combler une lacune de la loi.
Le pouvoir d'adopter un règlement permettra au gouvernement de préciser la portée des obligations des institutions en ce qui concerne le développement des communautés. Il s'agit bien d'un pouvoir discrétionnaire. Le gouvernement n'est pas obligé d'adopter un règlement.
Aussi, à titre d'exemple, un tel règlement pourrait imposer aux institutions l'obligation : un, de déterminer si leurs politiques et programmes ont une incidence sur la promotion de la dualité linguistique et le développement des communautés minoritaires dès les premières étapes de leur élaboration jusqu'à leur mise en œuvre; deux, les institutions auraient l'obligation de consulter, s'il y a lieu, les publics intéressés, en particulier les représentants des communautés minoritaires de langue officielle dans le cadre de l'élaboration ou de la mise en œuvre de politiques et de programmes; et trois, elles devraient être en mesure de décrire leur démarche et de démontrer qu'elles ont pris en compte les besoins des communautés.
Les exemples d'obligations sont tirés du cadre d'imputabilité que vous connaissez tous, à savoir le plan d'action déposé l'an dernier au Parlement, aux pages 70 et 71. C'est clair. J'en ai distribué des copies. Vous allez voir, j'ai copié littéralement ce qui était dans le plan d'action.
[Traduction]
Le projet de loi tient compte de la plupart des recommandations formulées par la commissaire aux langues officielles dans ses rapports annuels. La commissaire a recommandé de préciser la nature exécutoire de l'engagement afin d'en assurer la mise en œuvre. Elle a expliqué que le projet de loi devrait prévoir la possibilité de prendre des mesures réglementaires, et c'est ce que je propose essentiellement dans mon projet de loi.
[Français]
Je veux renforcer le cadre d'imputabilité des institutions fédérales. Vous trouverez la définition d'une institution fédérale à l'article 3 de la Loi sur les langues officielles. C'est clair. Cela inclut toutes les institutions et agences du gouvernement fédéral, même le Parlement. Et je vais vous le dire avec un petit sourire parce qu'en 1988, j'ai essayé de convaincre le gouvernement que le Parlement, la Chambre des communes, le Sénat et la bibliothèque du Parlement devraient être imputables pour leurs actions. Nous avons gagné. Vous allez dire : « Oui, mais Jean-Robert, tu l'as enlevé dans ton projet de loi. » Oui. Je ne veux pas que ce soit l'exécutif qui ordonne des décrets gouvernementaux par l'entremise d'une loi. Je suis un peu nerveux sur ce point, car je ne pense pas que l'exécutif devrait dire au Sénat ou à la Chambre des communes comment faire fonctionner notre institution. Je pense que nous sommes capables de décider nous-mêmes de notre objectif et de la façon de l'atteindre.
Le projet de loi a été étudié par le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles il y a deux ans. Le comité permanent du Sénat sur les langues officielles s'est également penché sur la question l'an passé. Plus de 35 témoins ont été entendus, incluant des ministres. Et près d'une dizaine de réunions ont été tenues. Le conseiller parlementaire du Sénat, M. Michel Patrice, m'a beaucoup aidé à rédiger le projet de loi. Je tenais à souligner sa grande disponibilité et son professionnalisme. Il m'avait recommandé d'enlever l'adjectif « nécessaire » à l'article 1 parce que la traduction anglaise n'utilise pas le mot « nécessaire ». Ce n'est pas essentiel pour l'expliquer.
[Traduction]
Nous parlons deux langues.
[Français]
Alors, j'ai aussi enlevé l'adjectif « nécessaire » à l'article 2 du paragraphe 43(1). Encore là, la traduction anglaise n'utilise pas le mot « nécessaire ». Cela ne change aucunement le sens de l'article. Le reste du projet de loi est identique à celui adopté par le Sénat en mars dernier.
[Traduction]
Comme je l'ai dit au Sénat, je vous demande amicalement d'adopter ce projet de loi sans amendement, c'est-à-dire de l'adopter cette semaine à toutes les étapes avant que je ne prenne ma retraite le 22 octobre prochain. Je serais ravi qu'il en soit ainsi, car je reste convaincu que le Parlement devrait préciser l'objet de l'article 41. Ce faisant, le Sénat, ainsi que le Comité permanent des langues officielles, aura démontré qu'il s'engage à promouvoir les questions linguistiques et qu'il a pris des décisions bénéfiques pour les Canadiens.
Je vous remercie de votre attention.
[Français]
Le président : Je remercie le sénateur Gauthier de sa présentation lucide de la question et des défis auxquels nous faisons face.
Le sénateur Comeau désire-t-il intervenir?
Le sénateur Comeau : Monsieur le président, j'aimerais revenir au paragraphe 2 et que vous me l'expliquiez dans vos propres mots. Il est dit ceci : « Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que soient prises des mesures positives. » Comment pouvons-nous définir cela comme étant impératif ou exécutoire?
Je pourrais peut-être répondre à la question : au paragraphe 3, en donnant au gouverneur en conseil le droit de pouvoir instaurer des mesures. Les mots « mesures positives », d'après moi, ne me semblent pas impératifs ou exécutoires.
Le sénateur Gauthier : Excusez-moi, je n'ai pas le bon document.
Le sénateur Comeau : Au paragraphe 2, vous avez l'expression « mesures positives ». J'essaie de concevoir comment cela peut se traduire pour rendre cette loi impérative ou exécutoire. Les « mesures positives » me donnent l'impression que c'est bien mais que ce n'est pas tellement fort. Comment pouvons-nous dire que cela rend la partie VII de la loi exécutoire?
Le sénateur Gauthier : D'abord, cela fait deux choses. Cela donne le pouvoir au gouvernement d'adopter un règlement d'application, ce qu'il n'a pas dans la loi actuelle.
Le sénateur Comeau : Donc le paragraphe 3?
Le sénateur Gauthier : Les parties 2 et 3 sont nouvelles. Ce que j'ai fait, c'est que j'ai donné de nouveaux numéros. Le paragraphe 41(1) débute par : « Le gouvernement fédéral s'engage à... », le paragraphe 41(2), par : « Il incombe... ». En anglais, c'est assez clair.
[Traduction]
« Il incombe aux institutions fédérales [...] »
[Français]
« Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que soient prise des mesures positives. » Cela veut dire des mesures qui feront avancer les choses. C'est un langage qui est utilisé dans le domaine juridique qui veut dire tout simplement : des mesures quantifiables, qu'on peut regarder et dire oui, cela convient.
Il faudrait qu'une institution, par exemple, ne puisse plus dire : cela ne nous touche pas parce que l'article 41 est déclaratoire. L'article 41(2) dit : « Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que soient prise des mesures positives. » Ils n'ont plus le choix, ils devront veiller à ce que des mesures positives soient adoptées, pour assurer la mise en œuvre de la loi.
Le sénateur Comeau : Les mots « shall ensure » en anglais, c'est très fort, alors qu'en français, c'est « il incombe ».
Le paragraphe 3 indique que « le gouverneur en conseil peut ». Est-ce qu'il est normal de dire « peut » ou « may » au lieu de dire « shall » ou « incombe »?
Le sénateur Gauthier : Chaque partie est accompagnée d'un article qui dit que le gouverneur en conseil peut adopter des règlements. Dans l'article 41, on n'en parlait pas. Et je trouvais cela difficile, parce qu'on a eu plusieurs exemples où les minorités étaient incapables de faire prévaloir leurs droits. Devant les tribunaux on disait : La commissaire n'avait pas le choix, l'article 77 est là. Dans la partie X, cela élimine la commissaire aux langues officielles. On ne pouvait donc pas s'appuyer sur elle; il fallait des goussets profonds et des bons avocats. Ce n'est pas facile.
On pensait avoir gagné lors de la cause du Forum des maires de la Péninsule acadienne, mais la Cour d'appel a renversé la décision. Mais ils vont en appel à la Cour suprême. Je suis convaincu qu'ils ont raison, qu'ils ont des obligations et qu'ils doivent y faire face.
[Traduction]
Le sénateur Comeau : Le projet de paragraphe 43(1) porte notamment que « le ministre du Patrimoine canadien prend des mesures pour assurer ».
[Français]
« Le ministre de Patrimoine canadien prend des mesures pour assurer... » Est-ce que je comprends bien que la nouveauté ici est « pour assurer »? C'est ce qui ressort de ce paragraphe?
Le président : Ce qui est souligné, c'est un élément nouveau à être inséré dans la loi.
Le sénateur Comeau : Je voulais simplement le confirmer. Cela répond à mes questions.
Le sénateur Gauthier : C'est tout simplement pour assurer. Comme cela n'existait pas, alors Patrimoine canadien disait : « On n'est pas tenu. » Mais là, ils sont tenus. Parce que Patrimoine canadien prend des mesures pour assurer la promotion vers l'égalité. La qualité, ce n'est ni plus ni moins.
Le sénateur Léger : Le projet de loi S-3, auparavant S-4, a été débattu exactement comme cela devait se faire; des élections ont été annoncées et tout est tombé. Pourquoi repart-on à zéro?
J'ai l'impression que le projet de loi S-3 veut aider la justice qui semble prise dans cette partie VII, qui n'est pas exécutoire. Donc, cela aide la justice. Naturellement, je trouve que c'est déjà tout décidé et discuté. C'est tout.
Le sénateur Gauthier : Je remercie ma collègue, car c'est la situation exacte. C'est une répétition du projet de loi S-4 déjà adopté par le Sénat. Je n'avais pas le choix : si je voulais que la loi soit amendée, il fallait que je revienne à la charge avec un nouveau projet de loi. Le projet de loi S-3, c'est tout simplement un nouveau projet de loi, presque identique, à part deux petites exceptions de traduction.
Je n'accepterai pas que l'exécutif, ayant eu plusieurs mois pour se pencher sur la question, retarde les choses. La question ne date pas d'hier. Ce projet de loi est étudié par le Sénat depuis quatre ans. Il y eut le projet de loi S-32, puis le projet de loi S-11, le projet de loi S-4 et enfin le projet de loi S-3. Ces projets de loi reprennent toujours le même principe fondamental : celui de rendre exécutoire la Loi sur les langues officielles et imposer des conditions fermes que les agences et ministères ne pourront contourner.
Prenons l'exemple du Forum des maires de la Péninsule acadienne. On a réduit de 50 p. 100 les effectifs dans la péninsule et ce sans consultation. Plusieurs travailleurs se sont alors retrouvés sans emploi. Les municipalités se sont mises ensemble et ont dénoncé ces réductions. Elles ont également revendiqué le droit à des services dans les deux langues officielles, en exigeant que des services en français soient offerts au nord comme au sud.
La Cour fédérale a tranché en leur faveur. Toutefois, le gouvernement et l'agence ont porté la décision en appel. Bien que la Cour fédérale, dans son jugement, reconnaisse le bien-fondé de la question, elle se voit malheureusement impuissante car la loi n'est pas exécutoire mais bien déclaratoire. Par conséquent, rien n'oblige les ministères et agences à se conformer à la loi.
Le sénateur Comeau : Dans le cas du Forum des maires des municipalités, est-ce que l'argument du gouvernement, en ce qui a trait aux mesures visées, était que la section 41 de Loi sur les langues officielles n'était pas exécutoire?
Le sénateur Gauthier : Notre recherchiste a préparé, à ma demande, un document à ce sujet qui fut livré aujourd'hui. Je vous inviterais à le lire.
En effet, le gouvernement a invoqué la position déclaratoire et non l'exécutoire.
Le sénateur Comeau : Je dois m'excuser auprès de la recherchiste. Je suis arrivé peu de temps avant le début de la réunion. Je n'ai donc pas eu l'occasion de lire ce document. Toutefois, je puis vous assurer qu'il sera examiné avec attention.
J'en profite pour souligner encore l'importance de ce projet de loi. Il faut s'assurer qu'il devienne loi plutôt que simple vision. Le sénateur Gauthier y travaille déjà depuis longtemps.
J'aimerais maintenant revenir à la question de la requête de la part des ministres.
Le président : J'aimerais d'abord vérifier si d'autres sénateurs désirent poser des questions au sénateur Gauthier.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je vais vous prêter une oreille attentive pour l'instant. Je poserai peut-être quelques questions par la suite.
Le président : Je n'ai pas de questions à ce moment. Je comprends très bien l'objet du projet de loi.
Il faudrait maintenant décider, honorables sénateurs, si nous devrions procéder à l'étude du projet de loi article par article, conformément à l'ordre du jour.
Comme je vous l'ai indiqué, deux ministres ont demandé à être entendus. Toutefois, ils n'étaient pas disponibles pour venir faire leur présentation au comité ce soir. Nous cherchons donc à savoir à quel moment il leur serait loisible de comparaître à notre comité, mais nous n'avons toujours pas de réponse à ce sujet.
Nous nous trouvons dans une situation quelque peu délicate. La courtoisie exige que nous entendions ces ministres s'ils en font la demande. D'ailleurs, je ne crois pas qu'on ait déjà refusé à un ministre de comparaître à un comité.
Voilà donc la situation. D'une part, l'ordre du jour exige l'étude article par article. D'autre part, cette demande tardive nous est arrivée ce matin. Alors que faire?
Les sénateurs Gauthier et Comeau ont demandé la parole. J'aimerais tout d'abord entendre les commentaires du sénateur Gauthier, étant donné qu'il s'agit de son projet de loi. Nous passerons ensuite à la discussion.
[Traduction]
Le sénateur Gauthier : J'ai été surpris d'entendre dire ce matin que deux ministres souhaitaient intervenir. Nous avons déjà entendu le ministre de la Justice et le ministre du Patrimoine.
Pouvons-nous accepter qu'ils puissent plus ou moins contrôler le fonctionnement des comités du Sénat? Devons- nous obtempérer à l'appel chaque fois qu'un ministre veut intervenir? Pouvons-nous accepter que notre travail soit retardé par un membre de l'exécutif désireux d'être entendu? Ce n'est pas ainsi que fonctionne le Sénat. Le Parlement ne devrait pas recevoir d'ordres du pouvoir exécutif.
Je proteste énergiquement. J'ai été député à la Chambre des communes pendant 22 ans et je me suis toujours opposé fermement à toute ingérence de l'exécutif dans les travaux du Parlement du Canada, et je m'y oppose encore aujourd'hui. Ils appellent et disent « Nous voulons être entendus », sachant fichtrement bien que je prends ma retraite cette semaine, dans l'espoir que, si l'on remet cela encore un peu, dans une semaine ou deux ou trois, on laissera tomber et l'affaire disparaîtra. J'espère, comme je l'ai dit dans mon discours, que nous aurons le cran de leur dire : « Je regrette, nous vous avons entendus et nous savons ce que vous voulez dire, mais nous croyons fermement que ce projet de loi est bon pour les Canadiens aussi bien que pour les minorités ».
Enfin, ils auront la chance de se faire entendre à la Chambre des communes, parce que c'est là qu'ils siègent. Tout ce qu'ils ont à faire, c'est de téléphoner au président ou au greffier du comité et de dire : « J'aimerais comparaître ». Je suis prêt à accepter cela et je vais même aller les entendre, mais je ne pense pas qu'ils devraient dire au Sénat comment il doit ordonner ses travaux.
[Français]
Le sénateur Comeau : Je ne considère pas cette requête comme un ordre exécutoire de la part de l'exécutif. Si tel était le cas, je m'opposerais et refuserais de me prêter à ce jeu. Quoi qu'il en soit, je n'ai pas d'ordres à recevoir en provenance de l'édifice Langevin. Toutefois, de nouveaux ministres furent nommés à la justice et aux langues officielles. Leur témoignage risque de s'avérer fort utile. Peut-être ont-ils des suggestions positives ou négatives sur le projet de loi. Par courtoisie, je crois que nous devrions les entendre.
Le sénateur Gauthier semble, quant à lui, avoir des inquiétudes que cela puisse n'être qu'un moyen de retarder les choses. À cet effet, je peux lui dire ceci.
[Traduction]
Ce projet de loi ne va pas rester en plan. Nous ne le permettrons pas pour la seule raison que le sénateur Gauthier prend sa retraite. Il n'en est pas question. Nous avons travaillé trop dur dans ce dossier. Nous avons montré l'appui qu'il a obtenu du Sénat dans le passé.
[Français]
Il ne fait nul doute, nous allons faire en sorte que ce projet de loi aille de l'avant. Toutefois, par courtoisie, il est important que le comité entende ces deux ministres.
Le sénateur Léger : S'il n'y avait pas eu d'élections générales, le projet de loi aurait été adopté. Je ne comprends pas pourquoi nous recommençons tout ce travail. Est-ce vraiment un manque de politesse? Les discussions ont eu lieu et l'étude est complétée. Pourquoi faut-il continuer? Je crois que c'est du temps perdu. J'ai appris que lorsqu'il y a des élections, tout meurt au Feuilleton, mais rien ne nous empêche de continuer où on en était avant.
Le président : Si j'interprète bien la position du sénateur Léger, elle serait disposée à procéder à l'étude article par article du projet de loi dès aujourd'hui?
Le sénateur Léger : Oui, puisque l'étude en comité a déjà été faite.
Le sénateur Trenholme Counsell : Lorsque la Chambre des communes reçoit un projet de loi du Sénat, est-il nécessaire d'avoir un débat et l'appui des ministres?
Le président : Il s'agit d'un projet de loi d'intérêt privé. Ce n'est pas le gouvernement qui pilote le projet de loi, c'est le sénateur Gauthier. Par la suite, un député à la Chambre des communes parrainera le projet de loi à toutes les étapes du processus législatif, soit la première lecture, la deuxième lecture, la possibilité d'un débat, le renvoi au comité, l'étude, le rapport et enfin, la troisième lecture. Ce sont les mêmes étapes qu'au Sénat, avec toutes les possibilités d'intervention de la part du public, des ministres. Et si la Chambre des communes propose des amendements au projet de loi, un message est envoyé au Sénat, accompagné des amendements proposés et le débat reprend à nouveau.
Le sénateur Trenholme Counsell : En ce moment, le climat au Sénat est différent et peut-être qu'il serait nécessaire pour nous d'obtenir la coopération des ministres. Il est peut-être nécessaire d'y consacrer encore un peu de temps, mais j'apprécie sincèrement la position du sénateur Léger. La situation étant très différente actuellement, il est regrettable que le projet de loi n'ait pas été adopté au printemps dernier.
[Traduction]
Le sénateur Gauthier : Le Sénat l'a adopté en février ou mars dernier. La difficulté que je perçois, c'est qu'à la troisième lecture au Sénat, contrairement à ce qui se passe à la troisième lecture à la Chambre des communes, nous pouvons proposer des amendements. Si un sénateur a des amendements, il est possible de les proposer à la troisième lecture et ils seront alors mis en délibération.
Je n'ai jamais entendu un seul sénateur dire qu'il était en désaccord avec mon projet de loi. J'apprends maintenant que deux ministres veulent se faire entendre. Nous les avons déjà entendus et ils parlent au nom du gouvernement. Ils ne parlent pas à titre personnel quand ils viennent ici; ils s'expriment au nom du gouvernement. Tous les deux ont été négatifs. Je suis dans les parages depuis assez longtemps pour savoir qu'un ministre qui ne suit pas les propositions des fonctionnaires est fini.
[Français]
Le président : Le sénateur Gauthier a dit ceci :
[Traduction]
Les deux ministres ont été négatifs.
[Français]
Que vouliez-vous dire?
[Traduction]
Le sénateur Gauthier : Ils ne l'ont pas appuyé. La ministre Copps s'est prononcée en faveur de l'esprit, de l'objectif, mais elle a reçu du Cabinet l'ordre de ne pas donner son appui. Quant au ministère de la Justice, j'ai toujours eu des difficultés avec la Justice. Ils soutiennent que toute cette argumentation était de nature déclaratoire. C'était censé être un beau principe.
[Français]
C'est peut-être une belle disposition, mais elle n'est pas exécutoire. Beaucoup d'exemples ont démontré que les communautés sont obligées de se fendre en dix pour être entendues par les tribunaux. Si une disposition de la loi disait qu'il y a des règlements, ces exemples n'existeraient pas. Mais c'est un article sans règlement et je ne comprends pas.
Le président : J'aimerais poser une autre question au sénateur Gauthier. Au cours des études antérieures du projet de loi, lorsque les ministres ont comparu, est-ce que l'un ou l'autre a proposé des amendements à votre projet de loi pour le bonifier?
Le sénateur Gauthier : Non.
Le président : Jamais?
Le sénateur Gauthier : La commissaire aux langues officielles ainsi que des gens de l'Université d'Ottawa ont proposé des amendements que j'ai incorporés dans le projet de loi. Mais à ce que je sache, jamais le gouvernement n'a suggéré quoi que ce soit pour bonifier le projet de loi.
[Traduction]
Le président : Sénateur Jaffer, je sais que vous avez de bonnes raisons d'arriver en retard, tout comme le sénateur Comeau, soit dit en passant. Je suppose que vous comprenez l'essentiel de notre discussion. Avez-vous une opinion à offrir quant à ce que nous devrions faire maintenant? Devons-nous entendre les ministres ou bien procéder à l'étude article par article du projet de loi S-3? Quel est votre avis?
Le sénateur Jaffer : Je suis d'avis que nous devrions procéder à l'étude article par article. Nous avons entendu les ministres. Je sais qu'il y a un nouveau gouvernement, mais nous ne pouvons pas revenir là-dessus. Les ministres ont déjà fait leurs exposés et ils auront l'occasion de se faire entendre à la Chambre des communes. Je crois que nous devrions procéder à l'étude article par article.
[Français]
Le sénateur Comeau : Je me sens mal à l'aise à l'idée qu'on refuse à des ministres de comparaître. On pourrait en arriver à un compromis et exiger que les ministres viennent témoigner d'ici quelques jours. Je vois mal le nouveau président du Comité sénatorial permanent des langues officielles dire aux ministres que le comité va procéder sans leur donner la permission de comparaître.
Je me sens mal parce que c'est la première fois qu'on refuse à des ministres de comparaître. Peut-être que l'on voudra que ces ministres le fassent à l'avenir pour des raisons autres. C'est pourquoi il est important de maintenir une relation cordiale avec eux. Il se peut qu'à l'avenir, nous ayons à travailler avec ces ministres concernant des demandes ultérieures.
Le président : Je me sens un peu comme le roi Salomon, dans toute sa gloire, qui se trouve à devoir trancher. Ce n'est jamais une tâche agréable. Néanmoins j'ai écouté attentivement ce que chacun d'entre vous a dit. Vous l'avez dit franchement, honnêtement. On peut être d'accord ou non, mais j'ai plutôt tendance à pencher du côté du sénateur Trenholme Counsell et du sénateur Comeau. Il est évident que, étant donné la nature du mandat général de ce comité, nous aurons à travailler à l'avenir de façon très étroite et en coopération — le mot a été utilisé à quelques reprises — non seulement avec ces deux ministres, mais avec d'autres membres du Cabinet.
Après avoir pris des renseignements auprès de notre greffière, elle a déjà tenté, toute la journée, d'obtenir un quelconque engagement des deux ministres quant à la date et à l'heure de leur possible comparution devant ce comité. Il est évident que personne, et moi le premier, ne veut que cela traîne. Autant nous voulons être courtois, polis et coopérer avec les ministères, autant comme l'a dit déjà le sénateur Gauthier, les ministères n'ont pas d'ordre à donner au Sénat; mais nous avons à travailler ensemble. Ayant consulté la greffière, nous faisons tout notre possible pour obtenir des ministres qu'ils nous rencontrent plus tard cette semaine.
Nous avons déjà pensé à une réunion, mercredi à 18 heures. Rien n'est confirmé, tout est sur la table. Et pour montrer à quel point nous sommes ouverts à la courtoisie et à la coopération, je proposerais d'ajourner. J'accueillerais volontiers une motion d'ajournement de la réunion d'aujourd'hui, quitte à ce que nous puissions nous rencontrer mercredi cette semaine.
Je comprends fort bien le sentiment du sénateur Gauthier. Il a mis son cœur et son esprit dans ce projet de loi. Il nous quitte en fin de semaine. Le Sénat est généralement d'accord avec la teneur du projet de loi, à telle enseigne qu'il n'y a pas eu de débat à l'étape de la deuxième lecture. Le Sénat a décidé unanimement de renvoyer le projet de loi à notre comité. Il était tout à fait entendu que c'était pro forma, étant donné que le projet de loi a été examiné en détail au cours des mois et des années précédentes. Alors j'accueillerai dans quelques instants une motion d'ajournement. Si vous n'êtes pas d'accord, vous pourrez vous prononcer, mais je dois vous proposer quelque chose.
Le sénateur Gauthier : Est-ce que je pourrais suggérer, monsieur le président, compte tenu de vos commentaires, que les deux ministres intéressés soumettent au comité par écrit leurs commentaires d'ici demain soir, pour qu'on puisse les étudier? S'ils n'ont rien à dire et si c'est pour retarder le comité ou tout simplement pour mettre de côté un projet de loi que je pense important, on verra mercredi s'ils n'ont pas répondu.
Le président : Nous allons retenir cette proposition du sénateur Gauthier et je vais demander à Mme la greffière de s'enquérir auprès des représentants ministériels pour savoir si cela est faisable. Ce qui m'inquiète surtout, étant donné l'historique du projet de loi, c'est que dans le passé les ministres n'ont soumis aucune proposition d'amendement au projet de loi. Est-ce qu'ils ont l'intention d'en proposer cette fois-ci ou tout simplement de s'y opposer? S'ils s'opposent au projet de loi, ils auront quand même la chance de le faire à la Chambre des communes. Leur voix n'a aucune portée au Sénat en tant que tel, sauf que nous sommes disposés à les entendre.
Le sénateur Comeau : Est-il possible d'organiser la réunion mercredi après-midi? L'ordre du jour d'aujourd'hui — autrement dit l'étude article par article — pourrait être traité? Et s'ils n'ont rien à dire de nouveau, on peut tout simplement procéder à l'examen en détail du projet de loi et l'adopter mercredi après-midi.
Le président : Le sénateur Comeau propose que l'ordre du jour portant sur l'étude article par article soit reporté à la prochaine séance de ce comité plus tard cette semaine?
Le sénateur Comeau : Oui.
Le président : Est-ce une motion acceptable?
Le sénateur Trenholme Counsell : N'est-il pas nécessaire d'être plus flexible avec les ministres? Est-ce que mercredi à 18 heures est la seule possibilité ou est-il possible d'avoir un petit déjeuner ou quelque chose?
Le président : Il faut que ce soit une réunion formelle du comité. Cela dépend essentiellement de la disponibilité des salles.
Le sénateur Trenholme Counsell : Est-il possible d'avoir une demande pour une autre fois ou est-ce seulement 18 heures mercredi?
Le président : Il faut s'en tenir à la disponibilité des salles pour les réunions. C'est le problème et c'est toujours le problème. À la limite il y aurait peut-être jeudi matin, non? Non, c'est éliminé; donc c'est soit mercredi soir, soit la semaine prochaine, et la semaine prochaine, le sénateur Gauthier, malheureusement, à notre regret, ne sera plus des nôtres.
Le sénateur Comeau : Pour votre information, s'il est impossible de se réunir mercredi soir, nous ne sommes pas engagés comme ce soir à ce que ce soit fait à ce moment. Mais pour le moment, nous aimerions que ce soit fini mercredi soir. Mais la même décision qu'on vient de prendre aujourd'hui peut être prise mercredi soir. Nous sommes maîtres de notre comité.
Le président : Ce qui me chicote, c'est surtout qu'on n'entende pas les ministres, surtout après qu'ils eussent expressément signifié leur désir de faire une présentation au comité. Je ne voudrais pas dire non, jamais.
[Traduction]
Le sénateur Jaffer : Je comprends parfaitement ce que vous dites, monsieur le président. Ma courte expérience ici m'a appris que parfois les ministres sont occupés pendant de longues périodes. Le moins qu'on puisse faire pour le sénateur Gauthier est de s'engager à prendre les dispositions nécessaires pour qu'il y ait une réunion sinon cette semaine, peut-être la semaine prochaine, pour que les ministres sachent que nous ne laisserons pas tomber. Je crois que c'est le moins qu'on puisse faire pour notre collègue.
Le président : Nous sommes tous conscients du fait, comme le sait le sénateur Trenholme Counsell, qu'à un certain moment les ministres sont débordés...
[Français]
... et tiraillés de toutes parts par toutes sortes de préoccupations et d'intérêts.
[Traduction]
Il nous faut cependant respecter le fait que les ministres ne peuvent pas toujours être disponibles à l'heure qui convient au comité. Nous ferons de notre mieux. Je suis convaincu que les ministres, par esprit de collaboration, feront de leur mieux pour répondre à nos besoins.
Quelqu'un a proposé, si j'ai bien compris, il s'agit du sénateur Comeau, que le comité ne passe pas maintenant à l'étude article par article du projet de loi S-3 mais que la question soit plutôt reportée à la prochaine réunion du comité qui, nous l'espérons, aura lieu cette semaine, mercredi, à 18 heures.
Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter la motion?
Des voix : D'accord.
Le président : La motion est adoptée.
La séance est levée.