Délibérations du comité permanent du
Règlement, de la procédure et des droits du Parlement
Fascicule 4 - Témoignages du 28 juin 2005
OTTAWA, le mardi 28 juin 2005
Le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement se réunit aujourd'hui à 9 h 37 pour étudier le serment d'allégeance au Canada.
Le sénateur David P. Smith (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Chers collègues, notre témoin de ce matin a accepté très généreusement de comparaître avec un assez court préavis. M. James Ross Hurley, un fonctionnaire distingué à la retraite, a fait ses études à l'Université Dalhousie, à l'Université de Strasbourg, l'Université Queen's et au Collège Pembroke, à Oxford, de même qu'en Italie.
M. Hurley a enseigné à titre de professeur de science politique, à l'Université d'Ottawa. Il est le directeur fondateur du programme de stages parlementaires de la Chambre des communes, qui a été une initiative très valable. Je connais de nombreux jeunes pour qui ce programme a été un excellent tremplin. Il a aussi travaillé à titre de conseiller constitutionnel au Bureau du Conseil privé pour six premiers ministres et il est l'auteur d'un ouvrage intitulé Amending Canada's Constitution : History, Processes, Problems and Prospects, qui a été publié en 1996.
Monsieur Hurley, je crois que vous avez eu l'occasion de prendre connaissance de la transcription des discussions que nous avons eues la semaine dernière. Nous sommes saisis d'une motion présentée par le sénateur Lavigne au Sénat et renvoyée à notre comité, et je crois que la plupart d'entre nous l'aborderons avec une certaine ouverture d'esprit. Cependant, comme nous voulons y donner suite de la façon appropriée afin d'éviter de nous enliser dans un bourbier constitutionnel, nous vous invitons à nous faire part de vos commentaires à ce sujet. Vous avez la parole, monsieur Hurley.
M. James Ross Hurley, à titre personnel : Je commencerai par faire quelques commentaires pour apporter des éclaircissements sur la question et situer la discussion.
La Loi constitutionnelle de 1867 a réuni les trois colonies de l'Amérique du Nord britannique en une fédération coloniale. Le Canada n'est pas devenu un État souverain et indépendant avant la présentation du rapport Balfour en 1926, de fait, et du Statut de Westminster de 1931, de droit. Même à cette époque, Westminster a conservé le pouvoir d'amender la Constitution du Canada jusqu'à 1982. C'est donc dans ce contexte qu'il faut lire l'article 128 de la Loi constitutionnelle de 1867 et la cinquième annexe à cette même loi.
Le Canada est une monarchie constitutionnelle; et en théorie politique, la souveraineté dans le cadre d'un tel régime découle de la Couronne, et non de la Constitution ou de la population. Cette notion est sans aucun doute difficile à comprendre pour bien des gens en 2005, surtout depuis la constitutionalisation, en 1982, de la Charte canadienne des droits et libertés, quioccupe maintenant une place particulière dans le cœur et l'esprit de nombreux Canadiens.
Les serments, y compris les serments d'allégeance, sont antérieurs à l'adoption d'États démocratiques modernes. Les serments visent à circonscrire ou limiter la liberté de la personne. Dans le cas de poursuites judiciaires, le serment par lequel on jure de dire la vérité est justifié pour permettre un examen honnête et transparent des faits devant le tribunal et des sanctions sont prévues en cas de parjure. Les serments selon lesquels on jure de ne révéler aucun secret d'État peuvent être justifiés pour protéger la sécurité de l'État et des sanctions peuvent être prévues lorsqu'on enfreint de tels serments.
De telles limites à la liberté des personnes peuvent être qualifiées de « limites qui soient raisonnables, et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique », pour reprendre le libellé du préambule de la Charte canadienne des droits et libertés qui, entre autres, garantit le droit de chacun à la liberté de penser, de croyance, d'opinion et d'expression.
La position de la monarchie est garantie non pas par un serment d'allégeance, mais par l'article 9 de la Loi constitutionnelle, qui énonce qu'à la Reine continueront d'être et sont par la présente attribués le gouvernement et le pouvoir exécutif du Canada. Toute modification constitutionnelle à l'office de la Reine exige le consentement du Parlement et de toutes les assemblées législatives des provinces. C'est ce qui constitue le fondement de la protection du rôle de la monarchie dans le régime canadien.
L'article 128 de la Loi constitutionnelle de 1867 prévoit une condition, un serment d'allégeance, que doivent prêter les membres du Sénat, de la Chambre des communes du Canada ou des assemblées législatives provinciales avant d'entrer dans l'exercice de leurs fonctions. Cette exigence de prêter serment ne représente pas une partie de l'office de la reine — c'est une exigence pour siéger à la Chambre — et à ce titre pourrait être modifiée en vertu des dispositions de l'article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982 qui prévoit que le Parlement a compétence exclusive pour modifier les dispositions de la Constitution du Canada relatives au pouvoir exécutif fédéral, au Sénat ou à la Chambre des communes.
Aucune sanction n'est prévue pour les personnes qui défendent une position qui est contraire au serment d'allégeance. Par conséquent, comme vous le savez sans doute, il y a quelques années un ministre d'État a pu préconiser l'abolition de la monarchie, même s'il avait prêté le serment qu'il porterait sincèrement allégeance à Sa Majesté la reine.
Les serments sans sanction sont surtout symboliques. Il s'agit d'un jeu de miroirs dans une certaine mesure mais, parallèlement, il ne faut pas sous-estimer l'importance du symbolisme dans la vie nationale d'un pays. Le symbolisme joue un rôle important dans la gouvernance. Toute tentative d'imposer des sanctions à une personne qui préconise une position contraire à un serment, tel qu'un serment d'allégeance, représenterait une limite à la liberté d'expression d'une personne de préconiser un changement par des moyens pacifiques et constitutionnels et devrait satisfaire aux critères des « limites raisonnables » prévus par la Charte et pourraient être contestés devant les tribunaux.
Enfin, sur la question des serments, il est fort possible qu'en 2005, à la lumière des travaux de la commission Gomery, les Canadiens seraient intéressés à ce que les législateurs fassent le serment d'agir de manière honnête et transparente pour éviter les conflits d'intérêt et ne pas utiliser leur charge publique pour des gains personnels. Autrement dit, s'il existe une raison concrète pour prêter serment, il est possible qu'à notre époque, c'est le comportement du titulaire et pas nécessairement pas l'allégeance envers le pays ou le souverain qui devient l'objectif principal d'un serment. C'est simplement une idée que je vous soumets.
Dans les commentaires qu'il a faits à votre dernière réunion, le sénateur Joyal a parlé d'y ajouter des références à un comportement conforme à l'éthique. En fin de compte, à condition qu'aucune sanction ne soit prévue pour un comportement qui n'est pas conforme au serment, les serments d'allégeance sont surtout symboliques. J'accepte le fait que le symbolisme ait énormément d'importance et on peut avoir un débat animé sur ce que doit contenir ou non le serment, indépendamment du fait qu'il ait des conséquences sur le plan pratique. Comme le Canada accepte aujourd'hui la double citoyenneté, on ignore le serment que certaines personnes auraient pu prêter en tant que membres d'un autre État et qui pourrait être contraire au serment prêté au Canada. Est-il contradictoire de prêter serment d'allégeance au Canada et serment d'allégeance à un autre pays comme la Syrie? Cependant, tant qu'aucune sanction n'est prévue, ce serment est surtout symbolique et la question ne se pose pas.
Le président : Le sénateur Lavigne a laissé entendre que l'ajout pourrait être apporté par le biais du règlement, et M. Patrice nous donnera son opinion à cet égard. Le comité envisage une variante de la proposition faite par le sénateur Joyal et se demande si cela pose des problèmes constitutionnels fondamentaux.
M. Hurley : Je ne crois pas que cela pose aucun problème constitutionnel. L'article 128 et l'annexe dont il fait mention, peuvent être modifiés par une simple loi du Parlement. Cela fait partie du pouvoir exécutif du gouvernement du Canada qui est modifiable en vertu de l'article 44. Un ajout à l'aide d'une loi du Parlement ou d'un règlement interne ne serait pas anticonstitutionnel.
Le sénateur Di Nino : Monsieur Hurley, vos explications m'aident un peu mieux à comprendre cette question. Je conviens avec vous qu'un serment d'allégeance est symbolique. S'il n'était pas symbolique, le fait d'en retirer ou d'y ajouter des éléments donnerait lieu à de nombreuses interprétations. Comme le sénateur Joyal l'a dit, l'ajout d'un commentaire à propos d'un comportement éthique serait susceptible de donner lieu à de nombreuses interprétations contradictoires de l'expression « comportement éthique ».
Pourriez-vous envisager des serments d'allégeance différents dans les deux chambres?
M. Hurley : C'est une proposition intéressante. S'il y avait une contradiction entre les deux, ça pourrait poser problème. Cependant je ne crois pas que ce soit le cas si un serment d'allégeance est plus long dans une chambre que dans l'autre. Ça pourrait sembler ridicule, mais vous pourriez aussi inclure des normes de comportement ou d'habillement dans un serment professionnel. Le serment d'allégeance est une sorte de carte d'adhésion vous permettant d'assumer vos fonctions. Vous ne pouvez pas le faire sans avoir prêté serment d'allégeance. C'est là sa véritable importance.
À Québec, lorsque le Parti québécois fut élu la première fois, les membres ne voulaient pas prêter serment d'allégeance. Le greffier leur a dit qu'ils ne pourraient pas prendre leur place s'ils ne le faisaient pas, donc ils l'ont fait. Il me semble que si les serments étaient diamétralement opposés, il y aurait un problème logique. Cependant, si l'on rajoutait quelque chose à un serment d'allégeance ça ne veut pas dire qu'il contredirait forcément l'autre.
Par exemple, si dans le Règlement du Sénat vous ajoutiez l'exigence selon laquelle la personne prête serment d'allégeance au Canada, à un comportement éthique ou à autre chose, je ne vois pas pourquoi cela ne suffirait pas. Ça serait un ajout, mais ça ne contredirait pas le serment prêté à l'autre endroit.
Le sénateur Di Nino : Le serment d'allégeance est-il identique dans les deux chambres du Parlement et dans les assemblées législatives provinciales et territoriales?
M. Hurley : Je n'en suis pas sûr pour ce qui est des territoires, mais la cinquième annexe de la Loi constitutionnelle de 1867 donne les mots précis du serment d'allégeance, les deux serments sont actuellement identiques.
Le sénateur Di Nino : D'après vous, aucun autre Parlement n'a changé le serment d'allégeance?
M. Hurley : C'est exact.
Le président : Les sénateurs doivent prêter serment avant d'assumer leurs fonctions au Sénat, et la suggestion du sénateur Joyal serait une sorte de rajout à ce serment.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Vous avez certainement pris connaissance du changement au Règlement du Sénat, du changement proposé par le sénateur Lavigne et de l'amendement proposé au Sénat selon lequel on remplacerait le mot « doit » par « peut ». Vous dites qu'un serment est symbolique. Est-ce qu'il serait contradictoire de faire, dans un premier temps, un serment à la reine, alors que dans un deuxième temps, le serment serait optionnel? Est-ce que le deuxième diminuerait le premier et vice versa?
M. Hurley : Dans le deuxième cas, ce serait un ajout au serment d'allégeance à la reine.
Le sénateur Robichaud : Qu'on pourrait faire ou non?
M. Hurley : Ce serait un peu bizarre, asymétrique en quelque sorte, si la moitié des sénateurs prêtaient le deuxième serment alors que l'autre moitié ne le prêtait pas. Finalement, il y a toutes sortes d'exemples d'asymétries dans le monde. Ce n'est pas impossible, mais ce n'est pas très joli du point de vue symbolique.
[Traduction]
Le sénateur Andreychuk : Votre remarque comme quoi le serment est purement symbolique m'intrigue. Le serment est une exigence et donc il me semble plus que symbolique. Nous faisons beaucoup de choses dans cet endroit qui sont fondées sur des traditions ou des symboles, mais le serment est une condition sine qua non.
M. Hurley : Quand j'ai dit symbolique, je parlais d'application. Dans le cas de l'Assemblée nationale à Québec, on a dit aux membres du Parti québécois qu'ils ne pouvaient pas prendre leur place sauf s'ils prêtaient serment d'allégeance. C'est une exigence du poste, mais qu'est-ce que cela veut dire? Que se passe-t-il si un ministre de la Couronne prône l'abolition de la monarchie après avoir juré d'être fidèle et de jurer une sincère allégeance à Sa Majesté, il faut se rendre à l'évidence et avouer qu'au fond, c'est surtout symbolique.
Le sénateur Andreychuk : Pour pouvoir siéger en tant que sénateur, il faut prêter serment d'allégeance à la Reine dans notre monarchie constitutionnelle; une fois le serment prêté, ce sont mes confrères qui s'assurent de l'application de mes paroles. Nous avons une responsabilité collective de nous assurer que ces mots ont du sens, n'est-ce pas?
M. Hurley : C'est un point intéressant. Dans bien des cas, qu'ils soient anecdotiques ou rendus publics, il y a des députés à la Chambre des communes qui ont dit clairement s'être pincés le nez en prêtant serment parce que le serment ne reflète pas leurs opinions, mais parce que c'est une exigence du poste. Comme je l'ai dit, un ministre de la Couronne qui était candidat à la direction du parti, qui aurait donc pu devenir le premier ministre du Canada, prônait l'abolition de la monarchie malgré le fait qu'il avait juré d'être fidèle et de prêter sincère allégeance. S'il ne peut pas être puni pour avoir violé son serment d'allégeance, il faut dire, qu'au fond, c'est surtout symbolique, mais c'est une condition à laquelle il faut se conformer.
Le sénateur Andreychuk : J'aimerais aller un peu plus loin et me faire l'avocat du diable, en disant que je ne crois pas qu'il soit contradictoire de faire tout ce qui est exigé de nous tout en prônant de changer la monarchie constitutionnelle, de manière paisible et licite. Je n'y vois pas de contradictione sauf si une personne fait fi de la loi ou ne fait pas son devoir. Vous trouvez contradictoire de dire tout simplement qu'on veut changer la monarchie constitutionnelle. Il nous est arrivé à tous, de temps à autre de dire que nous voulions qu'on apporte des changements à la monarchie constitutionnelle. Je ne crois pas que cela nous rend déloyaux. Si nous portions atteinte à notre système ou agissions de manière complètement illicite, je serais d'accord avec vous. Cependant, je n'y vois pas de contradiction.
M. Hurley : Je ne crois pas que nous soyons en désaccord. Vous acceptez ce que j'ai dit plus tôt, c'est-à-dire qu'en vertu de la Charte vous avez le droit d'exprimer vos opinions si vous prônez le changement de manière paisible, légale et licite. Cependant, si vous jurez d'être fidèle et de prêter sincère allégeance, vous limitez vos possibilités. En principe, cela limite votre liberté d'expression. Je soutiens que si vous prêtez allégeance, en principe, vous n'avez pas l'option de prônez l'abolition. Il n'existe aucune sanction si quelqu'un défend une position qui contredit les mots « je serai fidèle et jurerai sincère allégeance. »
Remplaçons « la reine » par « au Canada » — « je serai fidèle et jurerai sincère allégeance au Canada ». Si ensuite vous prônez la séparation d'une province, en principe, la plupart des gens diraient que vous contredisez votre serment, mais il n'y a pas de sanction imposable pour cette contradiction.
Le sénateur Andreychuk : L'adoption de la Loi sur la clarté était-ce une contradiction?
M. Hurley : La Loi sur la clarté énonce la démarche à suivre pour évaluer les résultats d'un référendum dans une province.
Le sénateur Andreychuk : Il me semble que c'était plus que cela, mais passons.
Vous avez dit que l'on peut prêter serment dans ce cas-ci, se conformer au système existant et qu'il n'y aurait aucun mal à prêter serment à autre chose par la suite. Je suis d'accord. Cependant, ne croyez-vous pas que ce serait une source de confusion pour le public? Dans le système scolaire que je connais, les enseignants s'efforcent d'expliquer très minutieusement ce qu'est une monarchie constitutionnelle et en fin de compte, la monarchie constitutionnelle c'est le Canada. Si nous prêtons serment à la monarchie constitutionnelle et qu'ensuite nous prêtons serment au Canada, ne rendons nous pas un mauvais service aux Canadiens en compliquant davantage le système? Il y a déjà de la confusion. Dans le langage de tous les jours, on parle du Canada. Seuls les étudiants en science politique et quelques autres personnes comprennent le concept de la monarchie constitutionnelle. Ne saurions-nous pas en train de rendre la situation encore plus confuse qu'elle ne l'est?
M. Hurley : Je crois que nous nous entendons sur tout, même là où il semble qu'il y ait de petites divergences d'opinion. J'ai parlé de symbolisme. Bien entendu, si les serments d'allégeance sont surtout symboliques, s'il n'y a pas de sanctions pour un comportement inacceptable, l'idée d'avoir un seul serment d'allégeance à un moment donné, même s'il est long et comprend plusieurs éléments, cela contribue à la clarté. Il n'y a rien de mal du point de vue procédural ou constitutionnel à ce qu'il y ait des étapes et des serments différents, mais je suis d'accord que cela n'aide pas du point de vue de la clarté.
Le sénateur Joyal : Monsieur Hurley, vous entendre ce matin après tant d'années me rappelle de bons souvenirs.
J'aimerais reprendre le commentaire du sénateur Andreychuk, et ensuite revenir à l'article 128, pour ensuite vous poser une question sur la succession.
La Constitution est une sorte d'architecture cohérente. Elle contient des principes fondamentaux sur laquelle est bâti une structure, et toutes les parties de cette structure s'imbriquent. Si nous ajoutons des éléments à la constitution, tel que des serments, il faut que cela s'imbrique dans la structure, pour les raisons énoncées par le sénateur Andreychuk. Le Canada est une monarchie constitutionnelle, et les pouvoirs sont conférés à Sa Majesté, et aux organes exécutif et législatif. Sa Majesté édicte des lois, sur l'avis et avec le consentement des deux Chambres du Parlement. C'est sous la direction de Sa Majesté que le gouvernement accomplit son travail. C'est pour cela qu'il y a des membres du Conseil privé et des ministres qui prennent des décisions. Il en va de même pour l'administration de la justice. Les trois éléments essentiels des pouvoirs de l'État sont attribués à Sa Majesté. Voilà notre structure et nos principes.
Au fil des ans, toutes sortes de remaniements ont été apportés. Les prérogatives exercées auparavant par Sa Majesté ont été transférées au Parlement. Nous avons transféré certaines prérogatives par voie législative et les prérogatives exercées par Sa Majesté ont été réduites. Récemment, la Chambre des communes et la Chambre des Lords britanniques ont proposé que toutes les prérogatives fassent l'objet de lois.
Lorsque nous ajoutons un élément à la structure, il doit être cohérent avec la structure. Si nous ajoutons un serment, ce qui à mon avis est possible, le fond doit demeurer symboliquement cohérent avec le reste. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous lorsque vous dites que le serment est uniquement symbolique et pas très important. Le drapeau est uniquement symbolique, mais si je le brûle, il y aura des conséquences. Ce n'est qu'un morceau de tissu blanc et rouge mais ce qu'il représente est important.
M. Hurley : Je suis d'accord avec vous et j'ai bien dit que le symbolisme est important.
Le sénateur Joyal : C'est la façon dont les gens s'identifient avec la légitimité du gouvernement, ce que cherche à faire valoir le sénateur Lavigne.
Le Canada est défini à l'article 3 de la constitution, et l'article 4 de la constitution énonce :
À moins que le contraire n'y apparaisse explicitement ou implicitement, le nom de Canada signifiera le Canada tel que constitué sous la présente loi.
Par conséquent, si nous ajoutons un serment dans le cadre de la Constitution qui utilise le mot « Canada », cela a une signification.
Cependant, comme vous l'avez dit avec raison, les pouvoirs sont conférés à Sa Majesté personnellement. Ce n'est pas la reine du Canada; ce n'est pas ce que dit le serment. Le serment dit Sa Majesté la reine Élizabeth II; un point c'est tout. Le titre a été modifié en 1953 par la Loi sur les titres, mais le serment est un serment personnel prêté à Sa Majesté. Si nous voulons prêter allégeance dans le contexte d'une monarchie constitutionnelle fondamentalement telle qu'elle est prévue à l'annexe 5, et si nous ajoutons un serment au Canada, nous aurons à mon avis utilisé les termes appropriés pour exprimer notre engagement envers le Canada.
L'allégeance est envers une personne. Essentiellement il s'agit d'un lien personnel dans le contexte de la tradition constitutionnelle du Parlement britannique. Au début de la constitution, on peut lire :
[...] une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni.
Cela a une signification. Comme vous le savez, la Cour suprême l'a interprété dans un grand nombre des arrêts qu'elle a rendus.
Si nous ajoutons le terme « Canada » à la teneur d'un serment, nous devons choisir la façon appropriée d'exprimer notre engagement envers le Canada. Je considère que le terme « allégeance », tel qu'il est utilisé dans l'annexe 5 de la constitution, ne devrait pas être repris dans notre engagement envers le Canada parce qu'il ne fait que susciter la confusion pour ce qui est de la structure et de la cohérence constitutionnelle que le système doit maintenir. Nous pouvons ajouter un serment de service, comme je l'ai proposé, et c'est une question tout à fait distincte.
Pour ce qui est de l'engagement envers le Canada et envers son système de gouvernement, qui est une monarchie constitutionnelle, les termes utilisés pour exprimer notre engagement doivent être choisis de façon à être cohérents avec le système.
Il est important d'assurer la cohérence dans la constitution. En fait, la cohérence de la constitution et du serment est reflétée par l'article 128 de la constitution. Pour faire suite à ce qu'a dit le sénateur Di Nino, l'article 128 prévoit que le même serment sera prêté par un membre du Sénat, un membre de la Chambre des communes et un membre du conseil législatif ou de l'assemblée législative d'une province. Autrement dit, il y avait cohérence dans la définition du domaine dans le serment original. Cette cohérence doit être présente dans l'ensemble du système. Tout comme le lieutenant gouverneur représente la reine en ce qui concerne les pouvoirs exercés par la province, le gouverneur général la représente au gouvernement fédéral. Il s'agit d'un enchaînement logique de toutes les ramifications du système.
Il est important d'assurer la cohérence du système afin que, comme madame le sénateur Andreychuk l'a mentionné, les citoyens qui étudient le système et qui lui prêtent allégeance en reconnaissent la légitimité et reconnaissent qu'il fonctionne d'après des engagements similaires. À mon avis, les sanctions pour ceux qui enfreignent le serment constituent une question tout à fait différente, et viennent après.
Je reconnais tout à fait qu'un ministre de la Couronne qui est membre du Conseil privé ou du Sénat peut réclamer un système différent de gouvernement puisque la Constitution prévoit clairement comment modifier le système de gouvernement, même la question de la monarchie constitutionnelle, c'est-à-dire à l'unanimité. La Constitution même, à l'article 41, indique comment changer la monarchie. Un ministre de la Couronne qui préconise de modifier la monarchie invoque l'article 41 de la Constitution et n'enfreint pas son serment. Il exerce les deux parties de la Constitution lesquelles, comme la Cour suprême l'a déclaré, ne sont pas contradictoires. Elles doivent être conciliées, comme en fait état le célèbre arrêt Donahoe.
Autrement dit, je ne considère pas que cela contredise l'importance du serment. Au contraire, le serment est prêté essentiellement pour respecter la règle de droit. Autrement dit, si l'on veut abolir la monarchie au Canada, l'article 41 de la Constitution prévoit la façon de procéder. Il s'agit d'une reconnaissance implicite à cet égard.
Je ne crois pas qu'un débat libre au Parlement sur la modification de la Constitution devrait être considéré comme une violation du serment. Au contraire, nous sommes ici pour donner des conseils et notre consentement à sa Majesté sur la façon dont sa Majesté modifierait la Constitution si ses deux Chambres le lui recommandaient et y consentaient.
Je crois que la structure est logique et cohérente. Nous devons assurer cette cohérence en cas d'ajout ou lorsque nous voulons compléter un aspect de la vie politique actuelle au Canada. C'est la raison pour laquelle je propose un libellé qui éviterait de semer la confusion quant au symbolisme, qui est très important. La Constitution est empreinte de symbolisme et le symbolisme est encore très présent au Parlement. Le costume de l'huissier du bâton noir et du président est symbolique. Ils pourraient s'acquitter de leur charge sans porter un tel costume, et nous pourrions l'abolir demain, mais nous l'avons conservé pour des raisons évidentes.
C'est la raison pour laquelle je considère qu'il faut conserver l'expression « allégeance à Sa Majesté, c'est-à-dire allégeance au système que préside sa Majesté, mais nous tenons à prendre un engagement envers le Canada, et nous devons choisir la façon appropriée de l'exprimer pour ne pas créer de contradiction ou de confusion. Certains peuvent être déconcertés par le fait de prêter allégeance à la reine et au Canada. Sur nos billets de banque, nous avons la reine d'un côté et le Canada de l'autre. Quel est le bon côté du billet de banque?
M. Hurley : Sénateur, vous avez parlé de cohérence ce qui d'après mon interprétation signifie uniformité, c'est-à-dire que le serment soit le même pour tous. Les termes cohérence et uniformité ne sont pas tout à fait identiques. Il peut y avoir cohérence sans qu'il y ait uniformité.
Les articles 44 et 45 autorisent le Parlement du Canada ou les assemblées législatives à modifier le serment s'ils le souhaitent. Le fait qu'aucun ne l'ait fait ne signifie pas que cela ne pourrait pas être fait. Cela peut donner lieu à une absence de cohérence ou d'uniformité, mais est assurément conforme à notre formule de modification de la Constitution. C est possible.
Si le fait de jurer fidèlité et sincère allégeance a vraiment un sens, vous avez limité votre droit d'agir d'une façon qui n'y est pas conforme. J'ai dit que vous enfreignez votre serment d'allégeance si vous préconisez un changement, mais dans notre système nous acceptons la liberté d'expression. Il n'existe aucune sanction si, après avoir juré fidélité et sincère allégeance, vous décidez qu'il faudrait changer le système.
Nous ne savons plus très bien à quoi nous en tenir à propos des serments d'allégeance. Les Acadiens ont pris le serment d'allégeance au sérieux et en ont payé le prix. Les Britanniques leur ont dit qu'ils devaient prêter allégeance à la Couronne britannique, et comme ils ont refusé de le faire, on a ordonné leur expulsion. Le serment était très important et ceux qui ont refusé de le prêter en ont subi les conséquences.
Lorsque vous devenez député, vous prêtez serment sans nécessairement comprendre ce qu'il signifie. Personne ne vous demande si vous jurez fidélité et sincère allégeance. Nous disons tous la même chose. Cela a une très grande importance symbolique mais si vous agissez d'une manière incompatible avec le serment que vous avez prêté et qu'il n'y a pas de conséquences, ce qui peut être compréhensible, vous pouvez finir par préconiser un changement.
Il est clair que si vous jurez fidèlité et sincère allégeance, vous êtes en principe en train de limiter votre capacité d'agir autrement. Cependant, ce n'est pas la façon dont fonctionne notre système. Je ne suis pas en train de le critiquer, mais il devrait être clair que le serment est votre carte d'adhésion syndicale qui vous permet d'entrer à l'assemblée législative. Cependant, une fois que vous êtes à l'assemblée législative, vous pouvez préconiser des mesures qui sont incompatibles avec le serment que vous avez prêté.
Le sénateur Joyal : Je ne le conteste pas. Comme je l'ai dit, l'article 41 explique comment modifier la monarchie au Canada.
M. Hurley : Je suis d'accord. Tout ce que je dis c'est que si vous avez juré sur la Bible fidélité et sincère allégeance et que, par la suite, vous décidez de ne plus vouloir être fidèle ni de porter sincère allégeance, que vous voulez un nouveau système, ce que prévoit la Constitution, vous contredisez le serment que vous avez prêté. C'est tout à fait faisable. C'est ce qui se passe dans notre système, et aucune sanction n'est prévue à cet égard. Cela a une grande importance symbolique, mais il n'y a aucune sanction si l'on agit d'une façon qui va à l'encontre de la teneur du serment que vous avez prêté.
Le sénateur Joyal : Il y a des sanctions si vous êtes trouvé coupable de trahison en vertu du Code criminel. Cependant, l'article 41 de la Constitution du Canada présente une option pour modifier le statut constitutionnel de la reine au Canada. Cela se fait à l'unanimité, ce qui, comme vous le savez bien, s'applique aussi au nombre de députés et à l'utilisation de l'anglais et du français.
Cependant, à un certain stade, la transgression du serment devient un crime de trahison. Si vous êtes reconnu coupable de trahison, vous avez outrepassé la liberté d'expression prévue par la Constitution, et des sanctions sont prévues dans ce cas. Selon les définitions du Code criminel et de la jurisprudence, la trahison c'est plus que la violation du serment.
M. Hurley a mentionné l'article 28 de la Constitution qui prévoit le même serment pour le Sénat, la Chambre des communes et les assemblées législatives provinciales. Une opinion a été exprimée selon laquelle, étant donné que cet article de la Constitution traite à la fois des assemblées législatives provinciales et fédérale, il faudrait obtenir l'accord des provinces en vertu de l'article 43 de la Constitution.
M. Hurley : Sénateur Joyal, comme vous le savez, les avocats peuvent défendre n'importe quel point de vue sur n'importe quelle question. Lorsque les gens du ministère de la Justice veulent remporter un argument, ils disent, « Mais il est préférable de considérer que... »
On pourrait dire que cela est très étroitement lié aux articles 44 et 45, qui portent sur la capacité du Parlement d'agir seul, par voie législative, pour modifier la Constitution du Canada en ce qui concerne le gouvernement exécutif du Canada, la Chambre des communes et le Sénat. C'est une règle d'appartenance. Les provinces pourraient agir de la même façon.
Le sénateur Joyal : Lorsque la question du serment a été soulevée au Sénat, notre collègue le sénateur Murray, qui a joué un rôle important dans les négociations du lac Meech, a demandé si l'accord des provinces était nécessaire en vertu de l'article 128. Il a dit que si le serment pouvait être modifié par une simple résolution du Sénat et de la Chambre des communes, on aurait pu le faire avant aujourd'hui.
M. Hurley : Je ne crois pas qu'on se soit particulièrement intéressé à cet aspect auparavant.
J'ai jeté un coup d'œil à la troisième édition de l'ouvrage de Peter Hogg avant de venir ici. C'est un ouvrage volumineux, mais je n'ai rien trouvé sur le serment d'allégeance. L'une des sommités sur la Constitution du Canada n'a pas jugé utile de mentionner le serment d'allégeance. Personnellement, quand j'étais jeune on m'a inculqué le respect de la parole donnée, mais dans mes entretiens avec des sommités constitutionnelles canadiennes, j'ai appris que les serments ne sont pas pris très au sérieux. Si Peter Hogg, dans un ouvrage volumineux qui traite de tous les aspects du gouvernement du Canada, n'a pas jugé important d'apporter des éclaircissements au sujet des dispositions de l'article 128, je dirais que c'est une question à laquelle on n'a pas prêté une attention particulière.
Comme vous le savez, vous pouvez faire valoir n'importe quel argument quel que soit le cas. Si vous contestez la chose devant la Cour suprême du Canada, c'est la cour qui décidera si cet article est modifiable par le Parlement agissant seul en ce qui concerne son application au Parlement, ou par toute province individuellement en ce qui concerne son application à cette province. C'est une question qu'il faudrait au bout du compte faire trancher par la Cour suprême.
[Français]
Le sénateur Lavigne : Le sénateur Andreychuk a soulevé le point de la confusion. Le jour de mon assermentation au Sénat, j'ai porté serment à la reine et à mon pays, le Canada. Le lendemain matin, le sénateur Murray avait contesté mon assermentation parce que j'avais porté serment à mon pays, le Canada. Les tribunes de la Chambre étaient bondées, les greffiers étaient sur place pour signer et assurer mon assermentation. Comment se fait-il alors que personne ne s'est aperçu que j'avais porté serment à mon pays, le Canada. Pourtant, toutes les personnes présentes ont applaudi. Comment se fait-il que pendant un an, j'ai reçu 551 000 courriels et lettres de gens de partout au Canada, et de ce nombre, environ 350 000 envois provenant du Québec — certains diront une province de séparatistes — étaient fiers de voir que j'avais porté serment à la reine et à mon pays, le Canada. Une personne sur les 551 000, qui m'ont écrit, m'a dit qu'on devrait enlever la reine. Une seule. Je suis convaincu que si j'avais continué à compter mes courriels et lettres pendant deux ans, plus d'un million de personnes m'auraient signifié à quel point il était extraordinaire d'être assermenté à la reine et à son pays, le Canada.
Je ne change absolument rien à la Constitution. On semble faire porter la question sur la Constitution. Ce n'est nullement le cas, c'est sur la réglementation du Sénat qu'on veut faire un amendement et ajouter l'article 135.1. Je voudrais savoir ce que cela changerait; les sénateurs viennent ici pour servir un pays qui s'appelle le Canada. Quand le premier ministre nomme des sénateurs, il leur dit : « voulez-vous venir servir votre pays le Canada? ». Il ne leur dit pas : « voulez-vous venir servir la reine Elizabeth II? »
Quand j'ai été nommé au Sénat et que j'ai porté serment à la reine Elizabeth II seulement, et mon pays n'apparaissait pas dans mon assermentation. Je trouve cela difficile. Je pose la question : d'après vous, comment se fait il que 551 000 personnes m'écrivent à ce sujet? Pourquoi est-ce qu'on se complique la vie quand cela aurait été aussi simple de me faire porter serment à ma reine et à mon pays le Canada? Pourquoi se complique-t-on la vie?
M. Hurley : Sénateur, vous avez souligné l'importance du symbolisme. Si autant de Canadiens vous ont appuyé, cela veut dire que cela touche le cœur des Canadiens. Du point de vue symbolique c'est considéré comme très important. On a parlé de la cohérence de nos arrangements constitutionnels; rien n'empêche le Sénat d'adopter dans son règlement l'obligation de prêter allégeance au Canada. On pourrait prêter allégeance en même temps à sa province car, en principe, les sénateurs représentent les provinces. Les députés à la Chambre des communes représentent les citoyens de leurs circonscriptions. On pourrait faire toutes sortes de choses.
Je crois que le sénateur Joyal s'inquiète un peu de la cohérence; il s'agit de s'entendre sur les éléments à inclure dans un serment d'allégeance, soit dans la Constitution, soit dans le règlement. Comme je l'ai souligné dans ma présentation, le symbolisme est important pour les Canadiens. Dans le cas des sénateurs du Québec, ils ne représentent pas seulement le Québec mais un district électoral, au Québec.
Le sénateur Chaput : Lorsque j'ai été appelée par le premier ministre, il y a deux ans, pour me demander si j'acceptais d'être au Sénat, le premier ministre, M. Chrétien à l'époque, m'a demandé si j'acceptais de servir mon pays. Je suis venue au Sénat pour servir mon pays le Canada. Je n'ai aucune difficulté à prêter allégeance à la reine. Cela fait partie de ce que nous sommes, c'est notre Constitution, notre histoire. J'ai toujours eu du respect pour ces choses. Il me semble que ce serait ajouter quelque chose de spécial et qui me toucherait s'il y avait une possibilité de prêter un serment quelconque de loyauté envers le Canada.
Si je comprends bien, vous nous dites ce matin que ce serait possible de faire les deux. Est-ce bien cela?
M. Hurley : Oui. Quand j'ai fait ma présentation, peut-être n'était-ce pas clair lorsque j'ai parlé du fait que le Canada n'était pas un pays souverain en 1867, que c'était un réaménagement de colonies. Donc il était clair que le seul serment que l'on prêtait à l'époque était à la souveraine, qui était chef de l'empire, et tout le pouvoir de la colonie découlait de la Couronne. Mais le Canada a évolué, c'est maintenant un pays indépendant. On a rapatrié la Constitution, on a un drapeau, un hymne national. Ce sont tous des progrès symboliques très importants dans l'évolution du pays. Si on veut ajouter d'autres éléments au serment d'allégeance aujourd'hui, c'est conforme à la transformation du pays au fil des ans.
[Traduction]
Le sénateur Milne : Monsieur Hurley, j'ai trouvé votre exposé ce matin très intéressant, et j'en relirai la transcription. Il est très important que nous gardions en tête les arguments que vous nous avez présentés. Cependant, je considère que votre argument selon lequel un ministre de la Couronne qui préconise de se débarrasser de la monarchie agit d'une manière incompatible avec le serment qu'il a prêté est un argument en soi inconséquent. Ce matin, on a cité les articles 41, 42, 44, 45 et 46 de la Constitution. Pourquoi ces articles auraient-ils été inclus dans la Constitution à l'origine si l'on n'avait pas envisagé que les parlementaires ont toute liberté d'expression en ce qui concerne la monarchie. Il me semble que d'après ce que vous avez dit à propos de la signification du serment, ces articles sont redondants et n'auraient donc pas dû faire partie de la Constitution.
M. Hurley : C'est un bon argument, analogue à celui présenté par le sénateur Joyal. Je reviendrai aux remarques que j'ai faites au début. En 1867, le Canada représentait une réorganisation de trois colonies — l'union du Haut et du Bas Canada avec le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse — et le serment d'allégeance au souverain a été inscrit dans la Constitution à cette époque. Depuis, nous avons évolué.
La liberté dont vous parlez a été établie dans la Constitution en 1982, il n'y a pas si longtemps que cela, et modifie effectivement la façon dont nous nous comportons. Tout ce que je disais, c'est que la Constitution prévoit que vous pouvez prêter un serment qui est assez clair quant à sa teneur, et que vous pouvez ensuite préconiser que l'on se débarrasse de l'institution.
Le sénateur Milne : Si vous pouvez le faire, il faut que vous puissiez en parler.
M. Hurley : Précisément. La seule raison pour laquelle j'insiste sur cet aspect, c'est que si vous ajoutez un serment d'allégeance au Canada, vous devez comprendre qu'un séparatiste qui est élu parce qu'il a fait campagne pour démanteler le pays, prêtera serment sans avoir l'intention d'être loyal envers le Canada. Il faut accepter que la Constitution prévoit la liberté d'expression. Je tenais simplement à préciser cette question du comportement qui semble aller à l'encontre de la teneur du serment que vous avez prêté.
Le sénateur Milne : L'opposition loyale de Sa Majesté voulait provoquer l'éclatement du pays.
M. Hurley : C'est précisément l'argument que je faisais valoir.
Le sénateur Milne : Vous dites que cela peut se faire dans le cadre du Règlement du Sénat?
M. Hurley : Oui.
Le sénateur Milne : On peut donc le faire sans aucun problème dans le cas du Règlement du Sénat. Nous revenons ensuite au point soulevé par le sénateur Joyal à propos de la cohérence de l'ensemble du système.
M. Hurley : Oui. Comme je l'ai mentionné en répondant aux commentaires su sénateur Joyal il y a un instant, il existe une différence entre cohérence et uniformité. Si la Chambre des communes n'adoptait pas la même procédure, il y aurait asymétrie entre les obligations de prêter serment dans les deux Chambres, mais il n'y aurait pas nécessairement incohérence.
Le sénateur Di Nino : La question que j'ai posée plus tôt traitait précisément de ce point. Êtes-vous en train de dire qu'il n'est pas nécessaire d'avoir le consentement des provinces ou de l'autre Chambre du Parlement pour modifier le serment d'allégeance?
M. Hurley : Me demandez-vous si les différentes autorités pourraient avoir des régimes différents?
Le sénateur Di Nino : Oui.
M. Hurley : Sénateur Andreychuk était préoccupée par la valeur symbolique qu'il représente pour les enseignants et ceux qui tâchent d'inculquer aux jeunes les valeurs politiques de notre système politique. Si différentes autorités avaient différents serments, y compris les deux Chambres du Parlement, il serait difficile d'inculquer aux jeunes une vision cohérente de leur pays.
Le sénateur Di Nino : Selon vous, est-ce permis en vertu de notre Constitution?
M. Hurley : Je suis d'avis, même si certains avocats seront en désaccord, que les articles 44 et 45 prévoient cette possibilité. Par exemple, la Nouvelle-Écosse pourrait modifier l'application de l'article 122 afin d'avoir un serment d'allégeance propre à la province ou à la population de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Robichaud : Oui, pourvu qu'elle respecte la Constitution et jure allégeance à la Couronne?
M. Hurley : En principe, on pourrait abolir le serment d'allégeance à la Couronne et y substituer quelque chose de complètement différent. Comme nous venons de dire, la Constitution est amendable. La Constitution établit les règles pour modifier la Constitution. Si le serment d'allégeance est subordonné à l'article 44 en ce qui concerne son application au Parlement et à l'article 45 en ce qui concerne son application aux provinces, on pourrait abolir le serment d'allégeance à la Couronne ou à la reine et y substituer un serment d'allégeance au Canada. Ce n'est pas ce que je préconise, et à ma connaissance, personne ne le fait actuellement.
Cependant, partant du principe que l'on a une Constitution amendable, avec des procédures pour la modifierde modification à ces fins, il est possible de s'en débarrasser et de la remplaçer par quelque chose d'autre.
Le sénateur Robichaud : D'accord, et il existe des conditions pour la modification de la Constitution. Une province ne peut pas la modifier de son propre chef.
M. Hurley : Je crois que les articles 44 et 45 sont considérés par bien des gens comme étant les articles essentiels de la formule de modification.
L'article 44 dit ceci :
Sous réserve des articles 41 et 42, le Parlement a compétence exclusive pour modifier les dispositions de la Constitution du Canada relatives au pouvoir exécutif fédéral, au Sénat ou à la Chambre des communes.
Nous parlons d'une condition d'appartenance à la Chambre des communes ou au Sénat. Il n'est pas question du partage des pouvoirs. Ça n'a rien à voir avec l'office de la reine directement. Donc, on soutient que ça relève de l'article 44.
L'article 45 dit ceci :
Sous réserve de l'article 41, une législature a compétence exclusive pour modifier la Constitution de sa province.
La seule chose qu'elle ne peut pas changer, ce qui nous ramène non pas à la cohérence mais à l'uniformité, c'est le poste de lieutenant-gouverneur. À cette seule exception, les provinces peuvent modifier leur constitution. S'il s'agit d'une condition pour siéger à une assemblée législative provinciale, on fait valoir que ce serait en vertu de l'article 45, une action unilatérale. Une province pourrait dire que l'article 128 est par la présente modifiée afin de supprimer le serment d'allégeance actuel et en y substituant quelque chose d'autre.
Le sénateur Andreychuk : Ce n'est toujours pas clair dans mon esprit, parce que plus on en parle, plus de solutions s'offrent à nous. Si on choisissait l'option de cet article pour modifier notre Constitution d'une façon qui ne mette en cause que le Sénat, on pourrait changer le serment d'allégeance à un serment d'allégeance au Canada.
M. Hurley : Oui.
Le sénateur Andreychuk : Cependant, d'après ce que j'ai compris, ce n'est pas ce qu'on propose. Nous hésitons entre garder ce que nous avons, pour toutes les raisons qu'on a déjà données, et ajouter un autre serment. Voilà où je ne m'y retrouve plus. Si nous voulons prêter un serment d'allégeance au Canada plutôt qu'à Sa Majesté, il faudra définir ce qu'est le Canada. Cependant, si nous voulons continuer à prêter un serment d'allégeance à Sa Majesté et en plus prêter un serment d'allégeance au Canada, je crains que cela ne prête à confusion.
Quand je prête allégeance à la reine, il s'ensuit pour moi que je m'engage envers le Canada. Toutefois, si vous allez prêter un serment d'allégeance à la reine suivi d'un serment d'allégeance au Canada, sans obligation, c'est quoi le Canada dans ce cas, et quel est le serment à Sa Majesté?
M. Hurley : Vous avez soulevé des points intéressants, sénateur, Le Canadiens peuvent avoir la double citoyenneté, donc vous pouvez déjà avoir de doubles serments d'allégeance. Pour éviter des doubles serments d'allégeance, un au souverain et l'autre au pays, le deuxième serment pourrait être un serment pour respecter la Constitution du Canada, qui inclut la Charte canadienne des droits et libertés, la monarchie et même le mécanisme pour modifier la Constitution, soit la formule d'amendement.
Le sénateur Andreychuk : Comment définir le « Canada »?
M. Hurley : Si vous dites « la Constitution du Canada, » c'est inclut dans la Loi constitutionnelle de 1867.
Le sénateur Andreychuk : Nous utilisons le mot « Canada » depuis au moins une heure. Que veut dire ce mot?
M. Hurley : C'est un point discutable, et la situation deviendra embrouillée si vous essayez d'inclure une définition complexe. Un serment d'allégeance est largement symbolique et devrait donc être mélodieux, s'envoler et voler de ses propres ailes, si l'on veut. Si vous commencez à définir le terme, vous faîtes fausse route. Il faut appuyer quelque chose qui vole de ses propres ailes et qui interpelle les Canadiens. Dès qu'on rentre dans les détails techniques et juridiques et qu'on définit les termes, il ne s'agit plus d'un serment symbolique. On se lance dans une situation où il faudra imposer des sanctions s'il y a manque de respect pour la chose à laquelle vous prêtez serment.
Le sénateur Joyal : La question a été soulevée pendant notre discussion, de savoir si les sénateurs ou les députés devront prêter un nouveau serment d'allégeance quand le successeur de Sa Majesté sera couronné. Qu'en pensez-vous? Est-ce que nous continuons d'exercer nos fonctions en vertu du serment d'allégeance énoncé dans la cinquième annexe, ou devrons-nous prêter un autre serment?
M. Hurley : C'est une question très intéressante, sénateur. En principe, si vous prêtez un serment d'allégeance au souverain, ce n'est pas simplement à la personne mais à l'institution. Comme c'est souvent le cas, les deux points de vue peuvent se défendre. D'une part quand vous avez prêté serment d'allégeance à la Reine, c'est à l'institution de la monarchie, et s'il y a un changement de monarque, le serment vaut toujours.
Je ne crois pas que des députés et les sénateurs ont prêter un nouveau serment en 1952. Ce serait certainement le précédent. Si les députés n'ont pas eu à prêter un nouveau serment en 1952, on pourrait faire valoir que dès lors que vous avez prêté serment au monarque celui-ci incarne l'institution et cela inclut le successeur.
Selon le « Serment d'allégeance » dans la cinquième annexe, on lit :
Le nom du Roi ou de la Reine du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande, alors régnant, devra être inséré, au besoin, en termes appropriés.
Donc l'idée de la continuité existe.
Le sénateur Joyal : Il est certain que la continuité existe. Cependant, je soulève la question parce que certains croient que pour siéger, selon la constitution, les députés devraient prononcer à nouveau le serment devant le greffier du Sénat ou de la Chambre des communes. Il vaudrait peut-être la peine de vérifier ce qui se passe à Westminster.
M. Hurley : Comme j'ai dit tantôt, le serment est une carte d'adhésion syndicale qui vous permet d'entrer en fonction. Une fois que vous siégez, le siège vous appartient. On ne peut pas vous enlever votre siège parce qu'il y a eu un changement de monarque. Les gens ne comprennent pas très bien ce que le serment représente en fait. Vous prêtez serment en utilisant des mots précis, mais le but s'est de vous preniez votre siège dans l'institution. Une fois le serment prêté, le siège vous appartient.Contentez-vous en. Sans vouloir être sarcastique ou désinvolte, il me semble qu'une fois que vous êtes nommé sénateur, vous n'avez pas besoin de prêter serment à nouveau. C'est un point discutable et qui mérite qu'on l'examine.
Le président : Notre attaché de recherche en prend note. Vous pourriez peut-être aussi vérifier en 1936. Il y en a eu deux à l'époque, les deux depuis le Statut de Westminster, un en janvier et un en décembre.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Dans les notes que nous avons reçues, on dit bien, comme le prévoit l'article 128 de la Loi constitutionnelle de 1967, que les membres de l'Assemblée législative d'une province doivent prêter le serment d'allégeance énoncé dans le cinquième annexe. Le Québec est la seule province qui exige que ses députés prêtent un serment de loyauté envers le peuple en plus du serment énoncé dans la Loi constitutionnelle de 1867. Vous semblez dire qu'une province peut changer son serment et ne pas avoir à respecter l'article 128?
M. Hurley : C'est-à-dire que l'application de l'article 128 à une province peut être modifiée par la législature provinciale.
Le sénateur Robichaud : Cela voudrait dire qu'on ne respecterait plus la Constitution du pays. Il y a une formule et elle est précise. C'est là que je ne vous suis pas.
M. Hurley : La formule pour modifier l'article 128, c'est la section 44 et la section 45. Cela veut dire que le Parlement du Canada pourrait modifier l'application de l'article 128 au Parlement du Canada par une simple loi du Parlement sans forcément consulter les provinces et que n'importe quelle province pourrait modifier l'application de l'article 128 à la province sous le régime de la section 45, sans forcément consulter les autres provinces ou le gouvernement fédéral.
C'est la capacité du Parlement du Canada de modifier la Constitution aux articles 41 et 42 et le pouvoir des provinces modifie leur constitution à l'article 41. Donc les provinces ne peuvent pas modifier la charge du lieutenant- gouverneur, mais les provinces peuvent modifier la constitution provinciale. Le but du serment d'allégeance est d'établir une condition pour prendre sa place à l'assemblée au Parlement provincial.
Le sénateur Robichaud : Je comprends bien cela. Cela me prendra probablement un petit bout de temps pour assimiler le tout.
M. Hurley : Le symbolisme est important. Le gouvernement du Québec a changé le nom de son assemblée législative, c'est maintenant l'Assemblée nationale. À Terre-Neuve, c'est The House of Assembly. Le nom de la législature varie d'une province à l'autre. Les provinces peuvent avoir une terminologie différente avec cette capacité de modifier la constitution provinciale.
[Traduction]
Le président : Il y a quatre versions différentes.
Le sénateur Joyal : Une province peut décider d'appeler leur chambre une « Chambre des provinces » ou « une Chambre de la province », mais cela ne change pas la Loi constitutionnelle de 1867 ni de 1982. Si on voulait que ce changement ait une signification dans la Constitution du Canada, il faudrait que ce soit changé dans la Constitution du Canada. Pourvu que le texte de la Constitution du Canada s'applique au Canada, l'Assemblée nationale du Québec s'appele l'Assemblée législative de la province de Québec. Voilà le nom constitutionnel. Sinon, une province pourrait effectuer n'importe quel changement sans avoir recours à la formule d'amendement.
M. Hurley : La seule chose qu'une province ne peut pas faire c'est de changer la charge du lieutenant gouverneur.
Le sénateur Joyal : Je suis d'accord. Cependant, l'article 128 parle de l'assemblée législative d'une province. Le nom d'après la constitution de l'assemblée législative d'une province c'est l'Assemblée législative de la province de l'Ontario, du Québec, de la Saskatchewan, et cetera. La province peut décider chez elle de l'appeler l'assemblée nationale, mais le nom constitutionnel de ce corps législatif est l'Assemblée législative de la province de Québec.
M. Hurley : Sénateur, on pourrait dire que c'est un nom générique qui s'applique à toutes les provinces, mais ce n'est pas forcément le nom officiel employé dans n'importe quelle province. Si le nom est changé à « l'Assemblée nationale » ou bien « à la Chambre d'assemblée », cela devient la designation officielle de l'institution, mais génériquement l'institution est une assemblée législative. En d'autres mots, on ne dit pas « l'Assemblée législative de l'Ontario, du Québec, de la Nouvelle-Écosse », et cetera. On dit tout simplement « Assemblée législative » ce que nous reconnaissons comme un terme générique, par opposition à « conseil législatif », qui était un terme générique.
L'idée c'est que les résolutions d'amendement constitutionnel adoptées par des provinces sont des documents constitutionnels officiels. Si la province donne son consentement pour qu'on emploie le nom « Assemble nationale » ou « Chambre d'assemblée », on accepte le droit constitutionnel de la province de désigner d'un nom nom particulier son assemblée législative. Cependant, cela n'a pas une grande importance.
Le sénateur Joyal : Ils peuvent faire cela à l'interne.
[Français]
Le sénateur Lavigne : Dans la motion que j'ai déposée, c'est écrit —
[Traduction]
...après avoir pris leur siège; après avoir prêté serment à la reine.
[Français]
Ils se sont trompés. Le sénateur Andreychuk a raison. S'il faut qu'il prenne son siège et revenir —
[Traduction]
...prêter serment au Canada. Il semble que certaines personnes ne savent pas ce qu'elles font. Après avoir prêté serment à la Reine, vous prêtez serment au Canada, mais vous n'allez pas prendre votre siège. C'est mieux que de prendre son siège et de revenir par la suite pour prêter allégeance au Canada, ce qui paraîtrait mal.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Lorsqu'on réfère à l'article 128, tous les parlementaires doivent prêter allégeance à la reine en prononçant le serment énoncé dans la cinquième annexe de la loi. Les personnes qui ne le font pas ne sont aucunement autorisées à siéger ou à voter au Parlement ou dans les assemblées législatives provinciales du Canada. Ce que vous nous dites, c'est qu'une assemblée provinciale peut changer la formule qui fait que ces personnes deviennent membres de cette institution provinciale. On n'interprète pas l'article 128 de la même façon que je la vois devant moi parce qu'on continue en disant — « ... qu'il résulte de l'article 128 que seules les personnes qui ont juré ou affirmé leur allégeance sont habilitées à exercer leurs fonctions de parlementaire ». Cela semble contredire ce que vous nous dites, c'est-à-dire que selon les articles 44 et 45, elles pourraient unilatéralement changer ce serment.
M. Hurley : La façon d'établir la condition d'entrée pour prendre sa place est une question interne pour chacun des corps législatifs. Par exemple, le Canada pourrait, par une loi du Parlement fédéral, adopter un ajout en disant qu'il faut prêter un serment d'allégeance à la reine, et un serment d'appui à la Constitution du Canada. C'est changer unilatéralement.
Le sénateur Robichaud : Là, vous ajoutez.
M. Hurley : Une fois que vous acceptez de changer pour ajouter, vous acceptez le principe que vous pouvez changer.
Le sénateur Robichaud : Non pas changer, mais ajouter.
[Traduction]
Le président : Au nom de tous les membres de notre comité, monsieur Hurley, je voudrais vous remercier. Votre exposé nous a été très utile. Nous apprécions votre comparution et je suis certain que vous allez suivre nos travaux avec intérêt. Nous vous tiendrons au courant.
Sénateurs, nous nous réunirons demain à l'heure habituelle dans notre salle habituelle.
La séance est levée.