Délibérations du comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule 1 - Témoignages du 16 novembre 2004
OTTAWA, le mardi 16 novembre 2004
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 9 h 32 pour étudier l'état actuel des industries de médias canadiennes; les tendances et les développements émergeants au sein de ces industries; le rôle, les droits et les obligations des médias dans la société canadienne; les politiques actuelles et futures appropriées par rapport à ces industries.
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Honorables sénateurs, bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des transports et des communications.
[Traduction]
Comme vous le savez, nous reprenons nos audiences publiques dans le cadre de notre étude sur l'état des médias canadiens. J'aimerais souhaiter la bienvenue aux honorables sénateurs, à nos témoins et aux membres du public qui sont ici pour prendre part avec nous à cette séance télévisée dans tout le pays.
[Français]
Le comité recommence son étude du rôle que l'État devrait jouer pour aider nos médias d'actualités à demeurer vigoureux, indépendants et diversifiés, dans le contexte des bouleversements qui ont touché ce domaine au cours des dernières années, notamment la mondialisation, les changements technologiques, la convergence et la concentration de la propriété. Le comité a commencé son travail sur ce sujet au mois d'avril 2003. Depuis lors, nous avons entendu 74 témoins, mais il nous en reste plusieurs autres à entendre. Nous espérons aussi voyager pour rencontrer des Canadiens chez eux.
[Traduction]
Nous reprenons aujourd'hui nos audiences avec les représentants du Conseil national de la presse et des médias ethniques du Canada. Le conseil remonte aux années 50 et poursuit deux grands objectifs : premièrement, accroître le pouvoir de ses membres en leur offrant de l'aide technique, de la formation, des concessions postales et d'autres formes d'aide, financière ou autres; deuxièmement, intégrer les médias ethniques aux médias grand public, afin de permettre à ceux-ci de devenir un puissant outil qui façonnera l'allure générale de la politique publique au Canada.
Ce sont des objectifs impressionnants, messieurs.
Le conseil est représenté aujourd'hui par M. Thomas S. Saras, son président, et par M. Mashadi Massood, son vice- président, presse.
Bienvenue au comité et merci d'être là.
Je pense que l'on vous a expliqué notre façon normale de procéder. Nous vous demandons de faire une déclaration liminaire de près de dix minutes, avant de passer à une période de questions; le tout devrait durer près d'une heure. J'aimerais rappeler aux membres du comité que nous aurons ensuite une séance à huis clos pour discuter du programme et des travaux futurs du comité.
M. Thomas S. Saras, président, Conseil national de la presse et des médias ethniques du Canada : Je vais commencer.
J'aimerais tout d'abord vous remercier, madame la présidente, et honorables sénateurs, pour l'honneur que vous nous accordez. Ma déclaration liminaire renvoie à l'un des premiers ministres de notre pays. Je ne veux pas offenser qui que ce soit au plan politique, nous avons simplement aimé cette personne et l'aimons toujours.
Les écrivains et les poètes ont toujours été à la recherche de l'identité canadienne; de façon quasi-instinctive, les Canadiens se définissent comme des Canadiens français, des Canadiens anglais, des Canadiens ukrainiens, peu importe, ou simplement comme de nouveaux Canadiens. Mais qu'est le Canada au juste? Maintenant que la Charte a été adoptée, on peut dire que le Canada est une société où tous les gens sont égaux, où l'on partage des valeurs fondamentales qui reposent sur la liberté : Pierre Elliott Trudeau.
Les tenants de la théorie démocratique classique ont toujours perçu la démocratie comme un ensemble d'institutions vouées à la promotion et à la défense du développement rationnel complet de l'individu. Pour l'observateur politique de la société canadienne, il ne fait aucun doute que nous sommes une nation constituée de nationalités, de races et de religions diverses liées par un seul idéal : la liberté et l'égalité.
Aujourd'hui, quelque 40 p. 100 des Canadiens — peut-être encore plus — sont issus d'une culture autre que la culture française ou britannique. La plupart des nouveaux immigrants ne connaissent qu'une langue, celle de leur pays d'origine. Ils arrivent tous les jours au Canada, certains à la recherche d'une vie meilleure et nouvelle, d'autres pour échapper à l'oppression de leur pays d'origine, disposant de très peu de moyens pour prendre leur place dans notre société.
Dans bien des cas, ils ne connaissent nullement le Canada. Notre mode de vie leur est totalement étranger, notre patrimoine culturel totalement différent du leur. Pour nombre d'entre eux, le voyage vers leur nouveau pays n'aura duré que quelques heures, mais leur transition et leur intégration s'étaleront sur de nombreuses années. Certains d'entre eux y mettront probablement toute une génération.
Soucieux de surmonter les barrières linguistiques qui se dressent devant eux dans leur nouveau pays, ils se tournent vers la presse et les médias de masse de leur propre communauté au Canada à la recherche de renseignements importants et d'une aide fort utile.
Dans ce contexte, la presse et les médias ethniques deviennent la source d'information des nouveaux arrivants au Canada et les aident à s'adapter à leur nouvelle société en leur transmettant de l'information au sujet des événements d'actualité pour, en retour, transmettre leurs préoccupations aux services respectifs des divers niveaux de gouvernement. On comprendra donc que la presse ethnique au Canada joue un rôle unique au sein des médias grand public. En général, son but est d'informer ses lecteurs, dans une langue plus facilement comprise que les langues des peuples fondateurs du Canada que sont le français et l'anglais.
En outre, au moment où nous entrons dans le nouveau millénaire, il est important que l'ignorance et les préjugés ne portent pas ombrage à la place que chaque groupe minoritaire occupe dans notre démocratie. Principe de base des démocraties modernes, et éléments très importants de leur fonctionnement : Les membres de chaque groupe minoritaire doivent pouvoir discuter et examiner ensemble leurs problèmes particuliers pour qu'ensuite la société dans son ensemble puisse profiter des solutions qu'on y aura trouvées, de manière à éviter toute crise.
En outre, tous s'entendent pour dire que la participation des gens aux affaires publiques est à la base de notre système politique. Cependant, si l'on veut que la démocratie soit efficace et efficience, elle doit compter sur une population bien informée au sujet des affaires du pays. Il est donc important que dans un journal publié dans la langue de ses citoyens, ceux-ci puissent trouver des réponses à nombre de leurs questions.
Le petit journal, parfois mal imprimé, qui est livré dans la communauté chaque semaine, revêt une importance que seulement quelques-uns d'entre nous ont déjà connue. Par conséquent, le journal ethnique doit offrir un service que l'on n'attend pas de la presse de langue française ou anglaise. Dans une certaine mesure, il devient un cahier de société pour les lecteurs.
Chaque fois que le gouvernement adopte une loi, elle est traduite et imprimée dans toutes les publications. Le rédacteur en chef de la publication fait ensuite ses commentaires et en explique en détail les dispositions. Ce travail revêt un intérêt particulier lorsqu'on traite d'immigration, de pensions, de bien-être social, de logements, de mise en quarantaine, de revenu et de salaire minimum, où des explications plus exhaustives s'avèrent nécessaires.
Souvent, les lecteurs ethniques vont porter leurs problèmes d'ordre juridique à l'attention du rédacteur en chef. Dans certains cas, nous devons trouver de l'aide juridique pour eux afin qu'ils puissent amener leurs causes devant les tribunaux alors que dans d'autres cas, nous devons les mettre en contact avec les autorités compétentes. Souvent, l'élément le plus important du travail éditorial de la presse ethnique consiste à définir les partis politiques, leur philosophie, la structure d'une institution gouvernementale, la culture politique canadienne, les coutumes sociales, les lois sur le travail, les droits de négociation, la santé, la couverture de soins hospitaliers et autres questions du genre.
Voilà seulement quelques-unes des raisons qui définissent l'importance du double service que rend la presse ethnique. Malheureusement, ce rôle n'est pas souvent compris par la classe politique de notre grand pays.
Qui d'autre sert mieux l'opinion publique, éduque et prépare les nouveaux citoyens de nos collectivités ethniques que la presse ethnique? Bien que la plupart des lecteurs ethniques soient des personnes intelligentes, capables d'arriver à une décision personnelle une fois qu'elles connaissent les faits, les informations présentées dans la presse ethnique sont variées et permettent d'assurer un certain tutorat. C'est pour cette raison que la presse ethnique peut davantage influencer le lectorat que la presse francophone ou anglophone.
Malheureusement toutefois, plusieurs publications au Canada tentent de manipuler l'opinion de leurs lecteurs. La plupart d'entre elles viennent d'autres pays où se trouve leur siège social. Comme je vais l'expliquer un peu plus tard, elles sont publiées une nouvelle fois au Canada pour y être distribuées.
Cela va à l'encontre de ce qui se passe depuis 100 ans. La presse ethnique du Canada s'est employée non seulement à faciliter l'intégration des nouveaux arrivants, mais s'est aussi très sérieusement intéressée au développement de la citoyenneté canadienne dans un esprit d'unité; nous parlons ici de Canadiens qui préservent également leur patrimoine.
La présidente : Monsieur Saras, permettez-moi de vous interrompre brièvement pour vous rappeler que les membres du comité ont la copie de votre déclaration; nous voulons avoir suffisamment de temps pour vous poser des questions.
Je vous demande donc de bien vouloir en tenir compte afin de faciliter les débats.
M. Saras : Merci. Je vais maintenant demander à mon vice-président de lire une autre page avant de passer aux questions.
M. Mashadi Massood, Conseil national de la presse et des médias ethniques du Canada : Passons en revue les principaux objectifs de notre organisation, soit unifier les diverses parties, faire valoir leurs intérêts, les servir et négocier au nom des membres de la presse et des médias électroniques ethniques au Canada; promouvoir et intégrer les intérêts économiques, sociaux et culturels et de la presse ethnique et des collectivités multiculturelles du Canada pour les intégrer à la société canadienne; favoriser l'unité parmi ses membres et les collectivités ethniques pour les inciter à participer à des activités sociales, culturelles et politiques et faciliter leur participation au processus démocratique du Canada; promouvoir l'excellence du journalisme chez les membres de la presse ethnique et les aider à s'intégrer pleinement à la société générale; servir de forum d'étude et de discussion des obstacles auxquels font face les groupes ethniques et la presse ethnique; recueillir et diffuser de l'information qui permettra une meilleure compréhension et une plus grande collaboration entre les divers groupes ethniques présents au Canada et la société canadienne dans son ensemble; promouvoir le statut économique et social des membres de la presse ethnique de même que des collectivités multiculturelles du Canada; étudier et interpréter le rôle du Canada dans les affaires internationales et sa position en regard de tous les pays qui se portent à la défense des idéaux de liberté et de démocratie; défendre juridiquement la Constitution canadienne et la Charte des droits et libertés et promouvoir l'unité du Canada; favoriser les principes de base des droits de la personne qui figurent dans la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations Unies adoptée en 1948; promouvoir le multiculturalisme et défendre la liberté de tous les Canadiens.
M. Saras : Madame la présidente, je pense que ce que nous préconisons et ce que nous faisons exactement est très clair. Nous avons cherché à unifier l'industrie et nous voulons que les membres de cette industrie, qui emploient près de 1 500 Canadiens — la plupart de ces opérations sont familiales, mais comptent également plusieurs employés — se voient accorder un statut pour que notre classe politique reconnaisse leur apport.
Par exemple, je travaille dans ce domaine depuis 32 ans et ma publication se retrouve dans l'ensemble du Canada. L'honorable sénateur Merchant sait probablement que sa collectivité reçoit ma publication. Nous sommes confrontés à des dépenses et à de nombreuses difficultés et nous ne recevons aucune aide de quelque niveau de gouvernement que ce soit, voire très peu. Comme je l'ai expliqué dans mon propre rapport, nous avons reçu 1,2 million de dollars sur les 160 millions de dollars du budget du gouvernement pour 1999. Il s'agit de l'industrie dans son ensemble, non pas seulement de la presse, mais des médias et de la presse. Sur les 120 millions de dollars d'il y a deux ans, l'industrie dans son ensemble en a reçu 1,2 million. Cette année, le budget est de 67 millions de dollars et les membres de mon conseil ainsi que l'industrie n'ont pas reçu plus que 400 000 $, étant donné que la publicité gouvernementale a été mise en veilleuse pendant longtemps. Par voie de conséquence, notre industrie en a été touchée et beaucoup de publications ont fait faillite, ont cessé leurs opérations et ne sont pas en mesure de continuer.
En outre, au bout de 32 à 35 années de travail, nous ne sommes plus très jeunes. Le gouvernement offre généreusement la possibilité à chaque Canadien qui atteint un certain âge de prendre sa retraite, de profiter de la vie au cours de ses dernières années. Lorsque vous êtes un nouvel arrivant dans ce pays, la vie n'est pas facile. Croyez-moi, il est très difficile de se faire reconnaître et l'on ressent une certaine fatigue à un moment donné. Arrivé à l'âge de 65 ans, on doit se tourner vers le gouvernement et obtenir l'appui prévu pour ceux qui n'ont jamais travaillé de leur vie. Disons qu'il s'agit de sans-abri, ou autre chose. Nous recevons exactement les mêmes avantages que si nous n'avions pas travaillé et je crois que ce n'est pas juste, ni pour moi ni pour mes collègues ni pour quiconque dans l'industrie qui appuie, tout au long de sa vie, ce pays et croit dans les valeurs fondamentales du Canada.
Nous considérons que nous sommes canadiens et qu'à ce titre, nous devrions recevoir quelque chose. L'année dernière, nous avons eu une mini-conférence à laquelle ont participé près de 60 membres provenant de tout le pays. Nous avons demandé au gouvernement d'accepter et d'appuyer l'industrie en lui donnant quelques avantages. Nous ne demandons pas de privilèges. Permettez-moi d'expliquer un point. Nous demandons que ce qui revient aux médias grand public soit distribué également entre nous. Je ne considère pas ma publication comme une publication grecque. Je publie en grec et en anglais parce que mes principaux lecteurs sont des Grecs; toutefois, ma publication est canadienne. Je suis fier de dire que ma publication est la seule à l'extérieur de la Grèce qui soit bien connue ailleurs dans le monde.
Pour revenir à la question des avantages, l'année dernière, à l'issue d'une rencontre avec nous, la ministre de Patrimoine canadien, a promis qu'un montant de 8 millions de dollars des fonds affectés aux médias grand public seraient mis de côté pour les membres de la presse ethnique. Lorsque nous nous sommes renseignés sur la façon d'obtenir ces fonds, nous avons découvert qu'à cause des règles et règlements du ministère, il était impossible d'obtenir le moindre sou. En vertu de ces règles et règlements, par exemple, 50 p. 100 des exemplaires d'une publication doivent être envoyés à des abonnés. Nos publications sont distribuées gratuitement, nous ne les vendons pas. Il n'existe aucune publication ethnique qui soit vendue; toutes sont distribuées gratuitement. C'était un gros problème. Nous avons demandé au ministère d'essayer de voir la réalité telle qu'elle est. On nous a promis qu'éventuellement le problème serait réglé. Un an plus tard, je ne pense pas que quoi que ce soit ait été fait.
À la fin de l'exercice, ces fonds auxquels nous n'avons pas pu avoir accès sont réaffectés et distribués aux médias grand public.
Nous avons par ailleurs demandé au gouvernement d'éliminer la TPS. La principale question que je veux poser est la suivante : si les magazines canadiens sont exonérés de la TPS, pourquoi les magazines ethniques ne recevraient-ils pas le même traitement? Nous avons présenté cette motion à la table et en avons discuté. On nous a dit que ce serait très difficile à faire, puisqu'il faudrait passer par les divers niveaux de gouvernement, ce qui ne semble pas possible. Je n'ai pas besoin d'ajouter quoi que ce soit d'autre.
Si j'envoie un seul exemplaire de ma publication par Postes Canada, je dois payer 3.80 $. Si j'en envoie 1 000 exemplaires, cela va me coûter une fortune. L'envoi postal des magazines canadiens ne coûte que de 10 cents en raison de la subvention de Patrimoine canadien. Je ne peux pas m'en prévaloir, car je ne réponds pas aux exigences des 50 p. 100 prévus par le règlement.
Le budget de publicité du gouvernement est moins qu'un pour cent, versé à 400 publications et à 65 producteurs de médias électroniques de la radio et de la télévision. Nous demandons que ce pourcentage monte à 10 p. 100 au moins. Si son budget est de 160 millions de dollars, il devrait envisager de nous donner 10 p. 100 de cette somme, soit 16 millions de dollars pour assurer la viabilité de ce segment de l'industrie.
Nous aimerions une mesure semblable à celle utilisée par le gouvernement des États-Unis. Dans ce pays, pour chaque société qui reçoit un contrat du gouvernement visant à promouvoir un contrat ou une affaire, une partie du budget de publicité doit être affectée aux publications ethniques. Ce n'est pas prévu au Canada; nous ne cessons de demander au gouvernement de l'envisager. Il ne s'agit pas de millions de dollars, mais, à tout le moins, nous saurions que nous faisons partie de l'industrie, ce qui nous aiderait. Tels sont nos principaux objectifs.
J'aimerais également apporter à votre attention le sujet des soi-disant bénévoles de l'industrie. Les médias électroniques au Canada sont concentrés et appartiennent à très peu de sociétés, tandis que les médias ethniques appartiennent en partie aux mêmes propriétaires que les médias grand public. L'un d'entre eux qui est très important, est présent dans l'ensemble du Canada et a une façon astucieuse de faire de l'argent. Il se rend dans les collectivités ethniques pour demander aux jeunes de faire du bénévolat. Souvent, ceux-ci travaillent 20, 30 ou 40 heures par semaine pour couvrir divers événements. Ils ne sont absolument pas payés puisque ce sont des bénévoles. D'autres peuvent gagner 80 $ par semaine mais en dépensent plus en frais de transport. Tout en profitant des aspirations des jeunes, cette société crée un type d'esclavage moderne.
Pourquoi ceux qui travaillent à la télévision, à la radio ou dans la presse ne sont-ils pas assujettis aux mêmes règlements que n'importe quelle autre industrie? Le salaire minimum est de 7 $ de l'heure et les propriétaires devraient savoir que c'est cette somme qu'ils doivent payer.
Le sénateur Phalen : Vous dites dans votre mémoire que plusieurs publications de l'étranger sont réimprimées au Canada et, selon vous, tentent de manipuler l'opinion des lecteurs. Pourriez-vous préciser?
M. Saras : J'en ai donné la liste à M. Heyde.
La présidente : Le greffier dispose de cette liste et va la distribuer aux sénateurs.
M. Saras : Par exemple, à l'heure actuelle, quatre publications proviennent de la Chine continentale; il s'agit d'éditions de quotidiens chinois.
Ces publications sont distribuées par satellite à Toronto, Vancouver et Montréal; elles sont imprimées sur quatre pages avec des nouvelles et des photos locales pour être republiées et redistribuées. Les nouvelles qui paraissent en Chine arrivent ici.
Une de ces publications appelée je crois le Chinese Canadian Post, fait un autre travail, beaucoup plus intelligent. On peut lire sur la première page du journal « Chinese Canadian Post ». Lorsqu'on ouvre le journal, on s'aperçoit qu'il s'agit du People's Liberation Army Daily, qui est la publication des militaires chinois qui arrive ainsi au Canada et qui est distribuée à ceux qui le souhaitent. Je ne pense pas que ces publications, sénateur, permettent de construire l'identité canadienne.
Le sénateur Phalen : Vous avez également indiqué que le nombre de publications ethniques est passé de 600 à 337. Est-ce uniquement à cause des forces du marché?
M. Saras : C'est parce que les publications ethniques ont été carrément laissées de côté, et ce, par tous les gouvernements. Si vous vous souvenez bien, il y a quelques années, le gouvernement a réduit ses dépenses de façon radicale parce qu'il était confronté à une conjoncture économique difficile. Notre industrie a été la première à être touchée. Dans le passé, les publicités gouvernementales nous rapportaient, tous les ans, entre 20 000 et 25 000 $; celles du gouvernement provincial nous rapportaient 8 000 $. Notre marché est très limité. Nous ne pouvons pas demander à un Chinois de passer une annonce dans un journal grec. Nous devons nous adresser à la communauté grecque. Quoi qu'il en soit, nous avions une industrie, et nous avions aussi un journal qui était publié. Quand les réductions sont entrées en vigueur, et c'était durant les années où M. Mulroney était au pouvoir, la moitié des publications ont cessé leurs activités, faute d'argent. Les dépenses sont toujours les mêmes. Les coûts de production ne cessent de croître. Le coût du papier, lui, augmente tous les six mois et, bien entendu, vos recettes diminuent parce que le gouvernement décide, tout à coup, qu'il ne peut continuer de fournir un soutien financier aux publications.
Or, comment le gouvernement peut-il, d'une part, appuyer une publication canadienne en y faisant paraître des annonces pleine page qui coûtent 36 000 $, et, d'autre part, affirmer qu'il n'est pas en mesure d'aider cinq, dix ou quinze publications ethniques au Canada au moyen d'annonces pleine page qui, elles, ne vont lui coûter que 1 000 $?
Le sénateur Munson : Merci d'être venus nous rencontrer. J'aimerais savoir ce que vous pensez du CRTC. Au cours des derniers jours, nous avons entendu parler du fait que le CRTC avait refusé la demande de la RAI et imposé des conditions à Al-Jazeera. Que pensez-vous du CRTC, du rôle qu'il joue? Est-ce qu'il prend des décisions judicieuses au sujet de ce que les Canadiens doivent, ou non, entendre depuis l'extérieur ou l'intérieur du pays?
M. Saras : Sénateur, vous connaissez notre milieu. Vous êtes un membre distingué de l'industrie. Si nous croyons à l'avenir, à notre culture, à notre identité, il n'est pas nécessaire de permettre à tous les médias de l'étranger de diffuser au Canada. D'abord, leur programmation ne contient pas d'éléments canadiens. Ils captent ce qui passe via satellite et le mettent en ondes. Ils facturent les Canadiens 30 ou 40 $ par mois. Ils font de l'argent, mais ils n'apportent rien de positif à la société canadienne.
Nous avons porté la question à l'attention du CRTC à maintes et maintes reprises. Nous lui avons également parlé des bénévoles et des jeunes Canadiens qui essaient de poursuivre une carrière dans l'industrie et qui se font exploiter. Nous avons rencontré M. Cardoza à plusieurs reprises durant son mandat. Il m'a dit qu'il allait faire tout son possible pour nous aider. Selon moi, il n'a rien fait, du moins jusqu'à son départ du Conseil.
Certains changements s'imposent, et ce, depuis de nombreuses décennies. Il faut réexaminer la situation, établir de nouvelles règles. Le monde est devenu un village planétaire. Nous ne pouvons plus nous isoler des autres, dire que nous sommes tout simplement des Canadiens. Nous savons que si nous ne leur permettons pas de diffuser au Canada par les voies habituelles, ils vont avoir recours à un satellite américain et les gens vont acheter une antenne parabolique pour avoir accès à la programmation. Pourquoi doit-on donner à la Russie ou à la Grèce une chaîne distribuée par câble qui leur permettra de décrire, tous les jours, ce qui se passe dans leur pays?
Le président : Monsieur Saras, je vais vous demander d'abréger vos réponses.
M. Saras : C'est une question très importante, et il revient au gouvernement de prendre des mesures.
Le sénateur Munson : Qu'attend la presse ethnique du gouvernement fédéral? Vous parlez d'argent. Est-ce qu'elle veut de l'argent pour les publicités qu'elle diffuse? Si oui, ne seriez-vous pas redevable au gouvernement, qui finance les publicités? Autrement dit, n'y aurait-il pas conflit d'intérêts?
M. Saras : Nous avons discuté de la question. Nous ne demandons pas au gouvernement de distribuer des chèques ou de donner de l'argent à nos membres. Tout ce que nous lui demandons, c'est d'avoir droit à X dollars, moins 90, du budget qu'il consacre à la publicité. Nous serions fort heureux de recevoir ce montant, car nous desservons nous aussi, sénateur, le marché canadien. Nous faisons partie de l'industrie canadienne. Pourquoi la question des conflits d'intérêt ne se pose-t-elle pas dans le cas des publications de langues anglaise et française, mais dans celui de la presse ethnique, oui? Pour moi, il n'y a aucune différence entre les deux. Les normes qui régissent un segment de l'industrie devraient également s'appliquer à l'autre. Nous ne réclamons pas de privilèges ou de soutien financier direct.
Je sais que, pour l'exercice se terminant le 31 mars, le gouvernement du Canada dispose d'un budget de 67 millions de dollars pour faire la promotion des programmes qu'il offre. Je ne vois pas pourquoi il n'accorderait pas au moins six millions de ce montant à la presse ethnique, et les 61 millions qui restent, aux autres membres de l'industrie. Un budget a été prévu pour la publicité.
M. Massood : Permettez-moi de vous donner un exemple. L'an dernier, nous avons été confronté à la crise du SRAS, une crise qui a touché tous les Canadiens. Il y avait beaucoup de publicité à ce sujet dans les médias grand public. Toutefois, 50 p. 100 de la population de Toronto a, comme langue maternelle, une langue autre que l'anglais ou le français. Il y avait de nombreuses personnes qui ne savaient pas vraiment ce qui se passait. Elles étaient conscientes du fait qu'un événement grave s'était produit, sauf qu'elles n'avaient aucune idée de ce qu'il fallait faire, ou ne pas faire, ainsi de suite. Elles n'avaient pas accès à toute l'information.
Contrairement aux médias grand public comme le Toronto Star, le Globe and Mail ou le Ottawa Citizen, qui comptent une section sports, divertissements ou finances, la presse ethnique n'a qu'une seule section et la plupart des gens la lisent de la première page à la dernière. L'effectif-lecteurs est plus beaucoup élevé que dans le cas des publications de grande diffusion. Si des annonces avaient été publiées dans la presse ethnique, il aurait été possible de renseigner d'autres personnes, celles qui ne lisent pas les grands journaux .
Le sénateur Merchant : Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Je suis un immigrant d'origine grecque. Quand je suis arrivé au Canada, je ne parlais ni l'anglais ni le français. Je sais donc à quel point il est important de pouvoir lire un journal qui est publié dans une langue que l'on comprend, du moins au début, jusqu'à ce qu'on arrive à acquérir une bonne maîtrise de l'anglais. En fait, mes parents avaient l'habitude de nous donner dix sous quand on s'exprimait en anglais. Au début, c'est-à-dire à notre arrivée au au Canada, on recevait dix sous chaque fois qu'on prononçait un mot en anglais, pour nous encourager à apprendre la langue. Personne ne veut vraiment rester à l'écart. Les gens qui viennent s'installer ici veulent faire partie du tissu social canadien.
À mon avis, ce que vous essayez de nous dire, messieurs, c'est que vous jouez un rôle spécial au sein de la société, en ce sens qui vous essayez de combler un vide chez ce grand segment de la population canadienne qui, comme vous l'avez dit, monsieur Massood, n'a pas accès à des renseignements jugés importants pour les Canadiens. Vous décrivez ce qui se passe au Canada, politiquement et socialement, pour que les gens deviennent des membres productifs de la société. Je vous félicite, car vous arrivez à publier vos journaux malgré tous les obstacles qui se dressent devant vous.
À votre avis, est-ce que les jeunes au sein de la communauté grecque lisent vos journaux?
M. Saras : Il y a vingt ans, les publications étaient toutes diffusées dans une seule langue, que ce soit le grec, l'italien, le persan ou autre. Aujourd'hui, 90 p. 100 des publications sont diffusées dans la langue première, plus l'anglais ou le français. Je sais que la plupart de mes collègues au Québec publient maintenant en français et dans l'autre langue. Ils font la même chose à Toronto. Il y a certains groupes, 10 ou 12 p. 100, qui font partie des communautés dites nouvelles. Mentionnons, par exemple, les Afghans. Il s'agit de la première génération d'immigrants, comme la nôtre l'était il y a 40 ans, et elle préfère lire les journaux qui sont rédigés en afghan. Je sais que les journaux persans sont surtout produits dans la langue perse, mais il y a également des segments en anglais.
Il n'est pas facile d'encourager une communauté à s'intégrer à la société en général. Les personnes qui proviennent de démocraties nouvellement établies et qui s'installent au Canada pensent de la même façon qu'elles le faisaient dans leurs pays d'origine. Elles se tiennent loin du gouvernement, parce qu'elles n'ont jamais été exposées à une société ouverte où le gouvernement est perçu comme ami, et non comme un ennemi.
La presse ethnique les sensibilise au fait que le gouvernement, au Canada, est un ami. Elle les encourage à se tailler une place, à s'intégrer, à faire fi de ce que peuvent dire le prêtre, leurs politiciens, leurs dirigeants, c'est-à-dire de rester à l'écart. Elle les incite à faire partie de la société.
Le sénateur Tkachuk : Il y a quelque chose que je ne comprends pas. Vous dites que certaines agences exigent une commission de 30 à 35 p. 100 du montant des des publicités du gouvernement. Pouvez-vous me donner des précisions?
M. Saras : J'ai ces renseignements avec moi. Le greffier pourrait en faire des copies et les distribuer. Il y a une pratique qui s'est développée au fil des ans : certaines agences privées ont vu le jour et ont décidé qu'elles allaient représenter la presse ethnique. En fait, elles ont envoyé à M. Massood une lettre qui disait que s'il voulait obtenir des publicités gouvernementales, il devait signer un formulaire qui autorisait l'agence à agir en son nom. En retour, elles s'engageaient à faire en sorte qu'il reçoive le montant demandé, montant duquel elles percevraient une commission de 30 p. 100.
Donc, sur un montant de 1 000 $ versé par le gouvernement, elles en prendraient 300. Si le paiement était requis dans un délai d'un mois, elles exigeaient une commission de 35 p. 100, ce qui veut dire qu'il ne restait plus que 650 dollars. J'ai porté la question à l'attention du premier ministre de l'époque, M. Brian Mulroney, et j'en ai ensuite parlé avec M. Turner, M. Chrétien, à maintes et maintes reprises, et aussi avec le chef de l'opposition, l'an dernier. J'ai eu l'occasion de le rencontrer. Tout le monde semble vouloir nous aider, mais personne ne fait rien.
Santé Canada a lancé une campagne, le mois dernier. Je ne sais pas combien elle a coûté, un demi million, un million, qui sait? Cette campagne englobait les publications ethniques. Toutes celles qui ont reçu l'annonce ont versé une commission de 30 p. 100 aux agences.
Le président : Monsieur Saras, j'ai du mal à comprendre ce que vous essayez de dire. Êtes-vous en train de laisser entendre que des actes irréguliers sont commis? Ou encore, tout simplement, qu'il y a des gens dans le secteur privé qui sont devenus des intermédiaires, parce qu'ils savent à qui s'adresser? Où voulez-vous en venir?
M. Saras : D'après mon expérience personnelle, il y a certaines personnes qui tirent probablement avantage de la situation. Je ne peux pas accuser qui que ce soit, car je ne peux étayer mes allégations ou accusations.
Le sénateur Tkachuk : À combien s'élèvent les montants qui passent par ces agences? Un million, deux millions, trois millions?
M. Saras : Dans le cas d'une campagne de un million de dollars, la commission est de 300 000 $ , et elle est versée à deux ou trois agences. À mon avis, elles ne sont pas en mesure de faire le travail.
Le sénateur Tkachuk : S'agit-il d'agences de publicité ou d'agences commerciales?
M. Saras : Non.
Le sénateur Tkachuk : S'agit-il d'intermédiaires?
M. Saras : Oui.
Le sénateur Tkachuk : Sur un an, quel serait le chiffre d'affaires brut?
M. Saras : Je ne le sais pas. Cela dépend. Comme je l'ai mentionné, elles touchent 30 p. 100 du montant. Pour cette campagne, je m'attends à ce qu'elles touchent 200 000 $ ou 300 000 $. J'ai rencontré les représentants du ministère, et nous avons eu une discussion plutôt animée. Ils ont essayé de me dire que c'était le genre de chose qui arrivait. Le contrat n'a été accordé qu'à ceux qui étaient représentés par ces agences. Or, une de celles-ci a envoyé une lettre qui disait que si on voulait des contrats de publicité du gouvernement du Canada, il fallait signer une entente avec elle et lui verser une commission de 30 p. 100. Qui lui a donné le droit de faire une telle chose? M. Massood a reçu la lettre. J'ai reçu un appel de Montréal. J'ai dit qu'en tant que président de l'industrie, même si je savais que ma publication finirait ses jours dans la dèche, je ne signerais pas. C'est de la manipulation. Je n'accepte pas qu'il y ait des « parrains » dans l'industrie. Par conséquent, je n'ai pas reçu l'annonce.
Le président : Monsieur Saras, vous avez bien dit qu'il s'agissait du gouvernement de l'Ontario?
M. Saras : Non, du gouvernement du Canada.
Le président : Je m'excuse, mais je ne comprends toujours pas ce que vous essayez de dire. Je ne sais pas si vous faites allusion au gouvernement ou au secteur privé. Tous ceux qui s'occupent de relations gouvernementales, que ce soit au Canada ou ailleurs dans le monde, exigent des commissions généreuses, parce que l'appareil gouvernemental est un véritable labyrinthe et qu'il peut être difficile de s'y retrouver. Il en va de même pour le secteur privé.
Je ne sais pas si vous faites allusion à un groupe de personnes ou d'agences qui agissent comme intermédiaires, ou si vous faites allusion à quelque chose de beaucoup plus grave. Vous n'avez pas fourni de noms, de détails. Il est très difficile pour nous d'avoir une idée claire de la situation.
M. Saras : C'est vrai, mais ce n'est pas à moi, sénateur, de vous donner des noms. Si quelqu'un veut prendre le temps de vérifier ces faits, il va se rendre compte de ce qui se passe. Nous avons demandé à certains députés d'intervenir en notre nom. Nous avons demandé au ministère de nous donner une liste des publications qui ont reçu l'annonce sans passer par les agences, et combien l'ont reçue en passant par les agences. Nous n'avons pas reçu de réponse.
Au début de septembre, quand on m'a appelé pour me dire qu'il fallait que je verse une commission de 30 p. 100 en échange de l'annonce pleine page, si j'avais dit oui, j'aurais eu droit à deux ou trois pages de publicité. J'ai dit que je n'accepterais pas de signer, même si je devais mourir dans la dèche. C'est une question d'éthique, de principe. Je suis le président d'une association, et je ne peux accepter une telle pratique.
Le président : Nous ne pouvons rien faire si nous ne savons pas qui a communiqué avec vous. De quoi s'agit-il au juste?
M. Saras : Si vous voulez plus d'informations, je vais devoir me renseigner. Je n'établis pas les règles, je les applique.
Le président : Vous pourriez peut-être envoyer votre dossier au comité, une fois qu'il sera prêt. Nous le distribuerons aux membres.
M. Saras : Oui, je vous en prie. Je vais le faire.
Le président : Merci.
M. Saras : Je peux probablement vous envoyer plus d'information.
Le sénateur Tkachuk : J'étais sur la liste des questionneurs. Ce qu'il a dit me paraissait intéressant et j'aimerais poursuivre dans ce sens.
La présidente : C'est juste, mais...
Le sénateur Tkachuk : Je comprends ce qu'il dit, je crois, mais j'aimerais avoir les noms. Mon bureau serait ravi de les avoir.
Ce ne sont pas des agences de publicité. Ce sont de simples agences commerciales, si j'ai bien compris?
M. Saras : Oui.
Le sénateur Tkachuk : Elles disent qu'elles sont les agences commerciales du gouvernement. Ce n'est pas inhabituel, mais je trouve que le pourcentage qu'elles demandent est plutôt inusité.
M. Saras : Oui, je suis tout à fait d'accord avec vous. Si nous avions 20 publications, soit 10 publications de l'agence et 10 autres de l'extérieur de l'agence qui reçoit la publicité, ce serait normal.
Le sénateur Tkachuk : Disons que je fais de la publicité pour Mercedes Benz ou que je suis Santé Canada, peu importe. Y a-t-il une agence qui représente la presse ethnique à qui je pourrais demander de placer un certain nombre de publicités dans certains médias ethniques et qui s'occuperait de ce placement pour moi, comme le fait la Weekly Newspapers Association? Pareille agence existe-t-elle?
M. Saras : La seule agence avec laquelle je traite est la soi-disant agence de coordination. Il s'agit de l'entreprise qui obtient le contrat du gouvernement et qui distribue la publicité en son nom.
Si j'ai bien compris, en tant qu'éditeur, je traite directement avec cette agence qui, à un certain moment, retenait 15 p. 100, ce qui est très compréhensible. Toutefois, parallèlement à l'agence de coordination, il y a maintenant des personnes. En fait, il n'y a qu'une seule entreprise à Montréal et une entreprise à Toronto qui font des démarches et qui promettent aux gens qu'ils recevront beaucoup de publicité du gouvernement s'ils donnent 30 p. 100 à l'entreprise. Comme il vaut mieux obtenir 600 $ plutôt que rien du tout, alors les gens acceptent, évidemment.
Des représentants de Travaux publics Canada m'ont dit que s'il fallait blâmer quelqu'un, c'était ma propre organisation, parce qu'ils ne peuvent pas croire que des journalistes signent pareils contrats. Je leur ai dit, si le président de cette puissante organisation a été exclu parce qu'il ne souscrit pas à une agence, alors vous coopérez avec quelqu'un, et je ne sais pas si c'est légal ou illégal.
Le sénateur Tkachuk : Vous avez parlé de journaux qui sont publiés dans d'autres pays et distribués ici. Dans votre exposé, vous dites qu'ils sont d'origine chinoise. À part les journaux chinois, y a-t-il d'autres publications qui sont publiées de cette façon?
M. Saras : Oui, il y a d'autres communautés.
Le sénateur Tkachuk : Pouvez-vous nous dire lesquelles? Y en a-t-il d'autres?
M. Saras : Je sais que le Weekly Gleaner est publié en Jamaïque et distribué au Canada. Or, les Jamaïcains sont beaucoup plus futés que les Chinois, parce qu'ils n'ont pas créé d'entreprise. L'entreprise qui publie en Jamaïque est la même qui publie au Canada. Il n'y a pas d'entreprise canadienne.
C'est différent dans le cas des Chinois. Ces derniers ont mis sur pied des entreprises à Toronto, à Vancouver et à Montréal. Je crois qu'ils ont trois bureaux différents et trois entreprises différentes : le Sing Tao de l'Ouest canadien, le Sing Tao du Canada central et le Sing Tao du Québec.
Le sénateur Tkachuk : Reçoivent-elles de la publicité du gouvernement?
M. Saras : À dire vrai, je ne sais pas. Je ne suis pas au courant de cela, mais je crois que oui, parce que ce sont des entreprises canadiennes. C'est l'exigence qu'il faut satisfaire pour obtenir une publicité canadienne. Cela signifie que si vous avez une entreprise ici au Canada, vous faites partie de l'industrie canadienne.
Je ne crois pas que quelqu'un du gouvernement canadien parcourt les journaux pour savoir quel message est véhiculé, et cetera.
Le sénateur Tkachuk : Que dites-vous?
M. Saras : Il y a environ 15 publications chinoises au Canada, qui sont publiées par des particuliers. On les voit disparaître tous les jours. Elles ne peuvent s'autofinancer. Je ne crois pas qu'elles vont tenir le coup encore longtemps. Personne ne les aide, mais on accorde une aide financière aux publications qui viennent de l'étranger. Ce n'est pas à cause du gouvernement actuel. Il ne faut pas croire qu'il s'agit d'une pratique du gouvernement actuel.
Le sénateur Tkachuk : Je n'ai pas dit cela.
M. Saras : C'est comme ça depuis toujours. Il n'y a pas de règles. Il n'y en a jamais eu et il n'y en a toujours pas.
Madame la présidente, vous avez dit auparavant que cette pratique se voit seulement au sein du gouvernement fédéral, du gouvernement du Canada, mais je dis que la chose est répandue dans tous les gouvernements, que ce soit au palier municipal, provincial ou fédéral. Pouvez-vous imaginer combien d'argent ces gens reçoivent à ne rien faire?
Le sénateur Tkachuk : Pour revenir à la question de la presse ethnique, pour que la chose soit claire, des publications qui sont publiées à l'extérieur du Canada sont ensuite distribuées comme des publications canadiennes.
M. Saras : Oui. On met quatre pages sur le dessus.
Le sénateur Tkachuk : Comme le magazine Time.
M. Saras : Exactement.
Le sénateur Tkachuk : Qu'y a-t-il de mal à cela? Quel est le problème?
M. Saras : C'est la culture que nous créons.
Le sénateur Tkachuk : Y a-t-il une différence entre la diffusion d'Al-Jazira et une de ces publications?
M. Saras : Non. Le message est pratiquement le même.
La présidente : Mesdames et messieurs les sénateurs, il se fait tard. J'ai encore le sénateur Trenholme Counsell et le sénateur Chaput sur ma liste. Je demanderais aux questionneurs et aux répondants d'être brefs.
Le sénateur Trenholme Counsell : Merci de nous avoir présenté cet exposé très éclairant et important ce matin. Je crois que je comprends presque tout. Toutefois, j'ai trois questions à poser, auxquelles vous pourrez répondre par la suite.
D'abord, je ne suis pas encore certaine si on a empêché les journaux individuels ou les groupes de journaux — disons qu'une personne est propriétaire de plusieurs journaux, ce qui est probablement le cas — d'accéder directement au gouvernement, à Santé Canada, ou peu importe, pour obtenir de la publicité, ou si vous êtes devenus, peut-être par des moyens très insidieux, à la merci des intermédiaires que vous avez décrits.
Deuxièmement, lorsque de nouveaux Canadiens arrivent au pays, je sais que des colloques, des conférences, des rencontres individuelles et toutes sortes de programmes d'orientation leur sont offerts à de nombreux endroits. Je me demande si une aide semblable est offerte aux petits journaux ethniques pour qu'ils puissent bénéficier de conseils concernant les publications, les budgets et la publicité. En vous écoutant parler, j'ai l'impression que vous n'utilisez pas vraiment l'argent qui se trouve dans votre communauté, l'argent des personnes qui pourraient bien se permettre de s'annoncer et qui devraient s'annoncer dans vos journaux.
Troisièmement, pouvez-vous nous indiquer trois aspects sur lesquels nous pourrions réfléchir et, peut-être, trouver des solutions? Quelles seraient les trois priorités qui ressortent de votre exposé de ce matin?
M. Saras : Concernant l'éditorial, Patrimoine canadien a prévu des dispositions pour les petits magazines, les magazines canadiens, afin qu'ils obtiennent une aide financière directe pour les éditoriaux, pour conserver des éditorialistes. Ces dispositions ne s'appliquent pas à nous. Nous avons posé des questions aux responsables. Maclean's reçoit probablement 7 ou 8 millions de dollars chaque année pour soutenir ses opérations.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je parle des journaux maintenant.
M. Saras : Mais c'est la même chose.
Le sénateur Trenholme Counsell : Oui et non.
M. Saras : Nous sommes, pour la plupart, des journaux hebdomadaires. Je ne crois pas que nous avons des quotidiens. Il y en a très peu. Pour pouvoir publier tous les jours, vous devez recevoir une aide financière d'une autre source, que ce soit Al-Jazira ou quelqu'un d'autre.
Ce que je déplore, c'est qu'un magazine canadien comme Maclean's reçoit une aide directe de 7 à 8 millions de dollars par année. Nous ne recevons pas un sou, parce que nous ne sommes pas tout à fait conformes aux règles. Quelles sont les règles? Pour être considéré comme un magazine, il faut qu'une image, et non un éditorial, occupe toute la page couverture. Nous publions des images et nos éditoriaux commencent à cet endroit et se poursuivent plus loin. Cette idée a été rejetée. C'est un détail technique qui tue la publication.
Le sénateur Trenholme Counsell : Placez l'image à cet endroit.
M. Saras : Autre détail technique, vous ne vendez pas la moitié de votre tirage par abonnement. Je distribue partout au Canada, ici, à Toronto et à Montréal — 45 000 copies. Comment pourrais-je envoyer 22 000 publications à des abonnés, à 3 $ la copie? Il y a certaines choses, des détails techniques, évidemment, qui vous paralysent. C'est là le principal problème.
Pour vous dire franchement, j'ai oublié la première partie de votre question, madame le sénateur.
Le sénateur Trenholme Counsell : Si des journaux individuels, des hebdomadaires, ont tenté par eux-mêmes d'obtenir de la publicité auprès de certains organismes, comme Santé Canada, et se sont vu refuser cet accès.
M. Saras : Lorsque j'ai vu les annonces, j'ai appelé l'agence moi-même pour savoir pourquoi moi et d'autres journaux avaient été exclus. On m'a répondu que la nouvelle agence de coordination n'avait pas reçu l'information de l'ancienne agence, qui se trouvait à Montréal. Je me suis adressé au Bureau du premier ministre. J'y suis même allé pour dire que c'est inacceptable. On m'a dit « D'accord, allez leur en parler. » J'ai passé toute une journée là-bas. Je viens de Toronto. Je dois vous dire, madame le sénateur, que je suis malade. J'ai subi récemment un quadruple pontage coronarien. Selon mes médecins, je devrais rester à la maison, mais j'ai voyagé pendant cinq heures pour venir ici et cinq heures encore pour retourner chez moi; j'ai mis ma vie en danger, parce que c'était une question importante. J'ai passé une journée à cet endroit. Nous avons convenu que je recevrais le questionnaire, que j'enverrais le questionnaire à mes membres et que je retournerais l'information. Cinq heures plus tard, lorsque je suis revenu à Toronto, ces gens avaient changé d'idée. Ils m'ont dit « Non, vous nous soumettez la liste et nous enverrons le questionnaire. » Je n'y comprends rien.
Le sénateur Trenholme Counsell : Ma dernière question était très pointue, mais c'est peut-être la façon dont je pense. Avez-vous une liste de priorités, très brièvement?
M. Saras : Oui.
Le sénateur Trenholme Counsell : Quelles sont vos trois premières priorités?
M. Saras : C'est à ce chapitre que nous demandons l'aide du comité.
D'abord, il faut éliminer la TPS, et cette mesure est essentielle. La TPS nous tue. Nous ne percevons pas de TPS. Si je disais à un de mes annonceurs du secteur privé que je dois percevoir une taxe de 7 p. 100, il serait bien embêté. Nous ne percevons pas de TPS, mais nous devons la payer.
En fait, nous ne payons pas de TVP. La province de l'Ontario nous a exclu de la TVP et nous n'avons pas à la payer. Nous voulons que le gouvernement fédéral fasse de même. Ce n'est pas une somme d'argent importante pour le gouvernement. Cette mesure ne lui fera pas perdre des millions de dollars, mais nous aiderait à éliminer la paperasse. Nous parlons de quelques centaines ou quelques milliers de dollars par année.
Le sénateur Trenholme Counsell : Quelle est votre deuxième priorité?
M. Saras : Nous voulons — et c'est essentiel — obtenir de l'aide pour les membres de l'industrie. Nous verserons 200 ou 300 $ chaque année dans un compte spécial que vous allez créer, comme on le fait ailleurs dans l'industrie; le gouvernement y versera une somme égale ou autre, si bien qu'à 65 ans, nous recevrons quelque chose, un sou, et nous pourrons dire avec fierté à nos enfants et à nos petits-enfants que nous avons fait quelque chose dans nos vies qui a été reconnue. Chaque membre de chaque secteur verse de 200 à 300 $ par année et reçoit une rente de retraite. Lorsque je prendrai ma retraite, je devrai probablement accepter la somme minimale de 600 $ ou peu importe. Pourquoi? J'ai passé toute ma vie dans ce métier.
Le sénateur Trenholme Counsell : Quelle est votre priorité numéro trois?
M. Saras : Troisièmement, nous voulons que le gouvernement élimine toutes les agences pour que nous puissions traiter directement avec l'agence de publicité du gouvernement.
Si vous me permettez une quatrième priorité, je dirais qu'au moins 10 p. 100 du budget annuel que le gouvernement consacre à ses programmes de publicité devraient être donnés à la presse ethnique.
La présidente : Vous avez fait valoir ce point dans votre témoignage.
[Français]
Le sénateur Chaput : La situation que vous nous décrivez se compare à celle que vivent les journaux régionaux des communautés francophones minoritaires. Vous et moi faisons partie de communautés minoritaires; je suis une francophone de l'Ouest du Canada. Je connais bien la situation que vous décrivez, tel le manque d'appuis financiers lorsque le gouvernement a cessé d'acheter des pages publicitaires. Vous dites représenter de petites publications, mais savez-vous qu'il existe une association canadienne qui représente les petits journaux francophones?
Puisque la situation actuelle que vivent les petits médias anglais et français se compare, avez-vous tenté de partager vos inquiétudes et vos recommandations avec cette association? Avez-vous déjà travaillé ensemble?
[Traduction]
M. Saras : Madame le sénateur, nous avons quelques membres des médias francophones à Toronto, dont Dominique Leval, qui représente le magazine Le Métropolitain. Elle est l'une de nos vice-présidentes et le membre francophone du conseil d'administration. Nous avons aussi d'autres publications.
Permettez-moi de vous dire qu'il existe une autre association de publications francophones à l'extérieur du Québec, avec laquelle nous entretenons de bonnes relations.
Ce qui nous préoccupe le plus, c'est que nous disons nous-mêmes que nous sommes des médias ethniques. Si nous devions inclure une publication francophone, il faudrait alors se poser la question suivante : compte tenu de la dualité linguistique, comment une publication francophone peut-elle être considérée comme un média ethnique? Ces publications font partie des médias canadiens grand public. Voilà le principal problème, mais nous tentons, dans les limites de notre capacité, de voir à ces choses. Je peux vous assurer que nous travaillons en très bonne collaboration.
La présidente : Merci beaucoup, messieurs.
Je vous demanderais de nous envoyer un certain nombre de documents. Je vous prie d'en prendre note. Nous aimerions obtenir une liste de vos membres et de vos dirigeants, des membres de votre conseil d'administration; toutes les données dont vous disposez sur le lectorat et la distribution des médias ethniques; et si nous parlons de distribution, il faut évidemment spécifier — c'est la catégorisation classique — s'il s'agit de publications payantes ou gratuites; tout ce que vous avez à ce sujet. Je ne vous demande pas de dépenser pour mener des études spéciales pour nous, mais il nous serait extrêmement utile d'avoir toutes les données dont vous disposez.
M. Saras : Nous avons cette information. Ce sera facile de vous la fournir.
La présidente : Par ailleurs, nous aimerions obtenir la liste des critères d'admissibilité à la publicité du gouvernement, qu'on vous aurait remise. Ensuite, nous aimerions avoir un modèle du contrat standard. Je présume que pareil modèle existe pour la publicité du gouvernement.
M. Saras : Oui, effectivement. Nous n'en avons pas. Je demanderai à l'agence de coordination de m'en envoyer une copie.
La présidente : Vous pouvez nous envoyer directement le nom de l'agence de coordination. Vous avez aussi parlé d'une lettre qu'a reçue M. Massood. Nous aimerions en obtenir une copie.
Nous aimerions obtenir de la documentation concernant la personne ou les personnes avec lesquelles vous vous êtes entretenu au téléphone au sujet de la commission. Nous aimerions que vous nous expliquiez par écrit ce que cette personne vous a dit.
Nous vous prions de nous fournir tous ces documents, évidemment, le plus tôt possible, messieurs.
M. Saras : Je le ferai.
La présidente : Vous êtes des journalistes. Vous savez ce que sont les délais.
M. Saras : Nous irons à Toronto. Dans deux jours, vous aurez toute cette information.
Je veux qu'on me comprenne bien. Un membre du Bureau du Conseil privé, du Bureau du premier ministre assistait à cet entretien avec Travaux publics Canada.
La présidente : Nous avons besoin d'un compte rendu écrit de ce qui s'est passé. Nous serons alors en mesure d'examiner tout cela et nous vous serons reconnaissants de nous avoir fourni cette information.
M. Saras : Merci. Je le ferai. Je vous le promets.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur Saras et monsieur Massood. Nous vous sommes reconnaissants d'être venus nous rencontrer ce matin.
Nous devons maintenant poursuivre notre réunion à huis clos, ce qui signifie que les membres du public devront quitter la salle. Seuls les sénateurs et le personnel resteront.
M. Saras : Je remercie tous les sénateurs et je vous présente mes excuses; je ne voulais pas créer de problèmes politiques ici.
La présidente : Pour utiliser un vieux terme politique, c'est la spécificité qui est utile.
Merci. Nous allons suspendre nos travaux pour quelques instants, mesdames et messieurs les sénateurs.
Le comité poursuit sa réunion à huis clos.