Délibérations du Comité sénatorial spécial sur le Vieillissement
Fascicule 6 - Témoignages
OTTAWA, le lundi 26 mars 2007
Le Comité sénatorial spécial sur le vieillissement se réunit aujourd'hui, à 12 h 33, en vue d'examiner les incidences du vieillissement de la société canadienne et d'en faire rapport.
Le sénateur Sharon Carstairs (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial spécial sur le vieillissement au cours de laquelle nous allons examiner les incidences du vieillissement de la société canadienne. Nous allons entendre deux groupes de témoins qui vont nous parler des enjeux principaux suivants : les travailleurs âgés, le marché du travail, les trajectoires de retraite et la souplesse quant à la retraite.
Pour nous aider à mieux saisir ces questions, nous recevons aujourd'hui Leroy Stone, directeur général associé et responsable de l'analyse du travail non rémunéré auprès de Statistique Canada. M. Stone est le rédacteur en chef de la publication intitulée Les nouvelles frontières de la recherche au sujet de la retraite. Il en a apporté un exemplaire avec lui. Danielle Ziestsma, économiste principale auprès de la division de la statistique du travail chez Statistique Canada, accompagne M. Stone. Elle répondra aux questions, mais ne présentera pas d'exposé.
Nous entendrons ensuite Paul Darby, économiste en chef adjoint du Conference Board du Canada, qui va nous parler des facteurs déterminants de la retraite, et enfin Rock Lefebvre, vice-président responsable de la recherche et de la normalisation auprès de l'Association des comptables généraux accrédités du Canada. L'Association a préparé un rapport qui s'intitule Savoir vieillir : Implications sociales et économiques du vieillissement de la population. Nous en avons également un exemplaire.
Je vous demanderais d'être brefs. Une fois vos exposés terminés, nous passerons aux questions.
Leroy Stone, directeur général associé, Analyse du travail non rémunéré, Statistique Canada : C'est un honneur pour moi de participer aux travaux du comité. Ma présence ici me rappelle des souvenirs : j'ai présenté un exposé au comité Croll — le Comité sénatorial spécial sur les politiques relatives à l'âge de la retraite —, à la fin des années 1970.
Le rapport du comité, qui s'intitule Relever le défi du vieillissement, est un document impressionnant et utile. Comme il marque la fin de la première phase de vos travaux, j'ai essayé de rassembler des données qui, je l'espère, vont vous aider à atteindre les objectifs fixés en vue de la phase deux.
Mon exposé va porter sur la sécurité financière et la retraite. Le mémoire que j'ai préparé examine six thèmes connexes. Je compte aborder les trois derniers.
Les grandes lignes des trois premiers thèmes sont les suivantes :
D'abord, je recommande que le comité réexamine les répercussions du vieillissement de la population sur le marché du travail. Supposons, par exemple, que nous avons un nombre suffisant de travailleurs au total, mais un nombre insuffisant de travailleurs qualifiés pour accroître la productivité. Ou encore, même si nous avons suffisamment de travailleurs au total, que va-t-il arriver si nous sommes confrontés à une pénurie de main-d'œuvre qualifiée dans des régions et des secteurs d'activité donnés?
Deuxièmement, je recommande que le comité examine les enjeux créés par le lien de dépendance qui existe entre le troisième pilier du système de revenu de retraite et le rendement des marchés financiers et les prix des logements. Autre point important : il convient de se demander comment augmenter le savoir-faire en matière de gestion financière des particuliers et des familles au Canada, compte tenu du fait que cette responsabilité leur est de plus en plus dévolue.
Dans le même ordre d'idée, je vous invite à vous pencher sur deux segments clés de la population — d'abord, les personnes qui sont fortement tributaires d'un régime de travail atypique, et ensuite, les immigrants âgés. Les deux groupes comptent, et vont continuer de compter, une proportion de plus en plus forte de personnes âgées.
Permettez-moi maintenant de passer aux trois derniers thèmes de mon mémoire, le premier étant le travail autonome. Les travailleurs âgés représentent un segment non négligeable des travailleurs autonomes. Un climat favorable au travail autonome encouragera les personnes âgées à continuer de contribuer activement à l'économie nationale.
Dans le chapitre 15 de la publication Les nouvelles frontières de recherche au sujet de la retraite, M. Hasheem Nouroz et moi avons examiné la question de la transition vers la retraite sous divers angles. Nous avons utilisé deux indicateurs : le degré de flexibilité vers la transition à la retraite et la propension à retourner sur le marché du travail après l'avoir quitté. Dans les deux cas, la tendance est plus marquée chez les travailleurs autonomes que chez les employés salariés. De plus, le degré de vulnérabilité, c'est-à-dire la possibilité de subir des pertes d'emplois ou des changements d'emplois indésirables, est moindre chez les travailleurs autonomes.
Par ailleurs, un pourcentage important, voire impressionnant, de travailleurs âgés — employés salariés — optent pour le travail autonome au cours des années de transition. Nous avons suivi un groupe de répondants ayant participé à l'Enquête sur la dynamique du travail et du revenu — ces groupes sont suivis pendant six ans. Parmi les personnes qui ont entrepris la transition vers la retraite au tout début de cette période et qui, la première année, étaient des employés salariés, environ 12 p. 100, du côté du secteur public, et environ 7 p. 100, du côté du secteur privé, sont devenues des travailleurs autonomes dans les trois années qui ont suivi.
Ces mouvements vers l'emploi autonome, même s'ils sont modestes, soulèvent des interrogations au sujet de la formation et de l'expérience qu'il faut acquérir dans les nombreux aspects de la gestion et du fonctionnement d'une entreprise, et au sujet aussi de l'accès au crédit. Comme vous le savez, ce sont là des questions qui intéressent surtout les femmes entrepreneures.
Lors de la réunion de l'Association canadienne pour la préparation à la retraite tenue en 2005, les planificateurs ont dit avoir observé, chez leurs clients, un accroissement notable de l'intérêt à l'égard du travail autonome.
Ces observations vont prendre une croissance importante, alors que la génération du baby-boom, plus scolarisée et plus active, va continuer de représenter une proportion de plus en plus forte de la population en transition vers la retraite.
Qui travaille passé l'âge de 65 ans? Les approches stratégiques proposées dans votre rapport prévoient l'adoption d'un cadre d'orientation qui permettrait de mieux répartir le travail productif sur toute la durée de vie. Dans ce contexte, vous ciblez, de manière précise, les personnes qui choisissent de travailler passé l'âge de 65 ans. Or, autour de 350 000 Canadiens âgés de 65 ans ou plus travaillent ou sont à la recherche d'un emploi. Parmi ceux qui travaillent, deux tiers sont des hommes. Environ un tiers sont âgés de 70 ans ou plus. Plus de 15 p. 100 des hommes âgés qui travaillent ou qui cherchent un emploi ont un diplôme universitaire. Ce pourcentage est trois fois plus élevé que le pourcentage correspondant pour les hommes âgés inactifs.
Je mène présentement une étude qui consiste à déterminer qui, parmi les travailleurs au début de la soixantaine que nous observons, continuera de travailler passé l'âge de 65 ans. D'après les résultats préliminaires, les facteurs suivants contribuent à expliquer la propension à travailler au-delà de l'âge de 65 ans : être travailleur autonome, avoir un indice de patrimoine élevé, avoir un diplôme d'études secondaires, occuper un poste de gestion ou technique, être divorcé ou séparé.
Il ressort de cette analyse un élément important, que l'on observe également dans les travaux de chercheurs américains : au sein de la population des aînés, plus l'âge augmente, plus les facteurs peu sensibles, à court terme, à l'intervention politique prennent de l'importance pour expliquer la tendance à rester au travail.
Enfin, en ce qui concerne le rôle du gouvernement fédéral, il serait utile d'envisager un rôle éducatif qui ne se limite pas uniquement à fournir de l'information sur les programmes et les services fédéraux. Il serait également utile de procéder à un examen approfondi des nouveaux renseignements dont le public et vous-mêmes avez besoin. Vous trouverez des exemples de ces renseignements dans mon mémoire. Enfin, il conviendrait de tenir une réunion spéciale visant à déterminer quels sont ces nouveaux besoins en matière d'information que les sources de données actuelles ne parviennent pas à combler.
Rock Lefebvre, vice-président, Recherche et normalisation, Association des comptables généraux accrédités du Canada : Au nom de l'Association des comptables généraux accrédités du Canada, je vous remercie de nous donner l'occasion de vous rencontrer. Après tout, les 68 000 membres que compte l'Association sont touchés, tant sur le plan personnel que professionnel, par le sujet à l'étude. Autre point important : l'Association a mené, au cours des dernières années, des études, dont plusieurs portaient sur la pension, le vieillissement et la productivité. Il s'agit de questions complexes qui doivent être examinées simultanément. Fait intéressant, la condition humaine et le bien-être des citoyens sont au cœur des enjeux de taille auxquels le Canada est aujourd'hui confronté.
Le Canada, comme d'autres pays industrialisés, doit constamment se renouveler s'il veut être en mesure de faire face à la mondialisation sans cesse croissante. Cela suppose l'adoption d'une stratégie préventive que nos législateurs doivent élaborer dès maintenant, et non pas dans 10 ans. Si nous tardons à réagir, nous allons être condamnés à faire du rattrapage, une démarche qui est vouée à l'échec.
Les données démographiques sur lesquelles nous devons nous appuyer pour comprendre, essayer de relever les défis que posent une société et une main-d'œuvre vieillissantes, sont inquiétantes. L'âge médian des Canadiens est inférieur à celui de la population de la plupart des autres pays du G8. Le vieillissement de la génération du baby-boom, de même que la baisse prolongée de la fertilité après-guerre, se traduit par une augmentation notable de l'âge médian. Bien que les données démographiques soient clairement inquiétantes, voire terrifiantes, elles représentent un défi qu'une société et une économie solides peuvent relever si les employeurs, les employés et les gouvernements arrivent à délaisser les schémas de pensée traditionnels.
Plus tôt ce mois-ci, le gouverneur de la Banque du Canada, David Dodge, a déclaré à la Chambre de commerce de Calgary que, grâce à notre situation financière solide et nos faibles taux d'inflation, nous nous retrouvons dans une position enviable : nous pouvons surmonter n'importe quel obstacle, à la condition que la santé à long terme de notre économie soit assurée.
À la fin de janvier, l'honorable Monte Solberg, ministre des Ressources humaines et du Développement social, a déclaré aux participants à la conférence du Forum des politiques publiques, qui s'est tenue tout près d'ici, que les enfants de l'après-guerre devraient retarder leur départ à la retraite afin d'aider le Canada à faire face aux pénuries de main-d'œuvre sans cesse grandissantes qui l'attendent. Le ministre Solberg a proposé quelques pistes : amélioration de la formation, meilleur soutien du revenu, semaine de travail plus courte, mesures en vue de stimuler l'immigration. Cette dernière solution présente un défi d'ordre éthique. Le Canada doit-il aller chercher ailleurs les travailleurs compétents dont il a besoin pour bâtir et protéger son économie? Toutefois, comme nous livrons déjà concurrence, sur ce plan, à d'autres pays, nous devons continuer d'attirer et de garder les travailleurs qualifiés. Pouvons-nous vraiment nous permettre de faire fi de cette possibilité?
De plus, compte tenu de ce que nous savons, le moment n'est-il pas venu d'aider les travailleurs âgés à demeurer au sein de la population active? Liée de manière intrinsèque à la productivité et à l'adaptabilité de la nation, une telle stratégie permettrait aux personnes âgées qui le désirent de demeurer actives, de se sentir utiles, de continuer de générer un revenu.
Plus pressant encore, nous devrions redéfinir l'expression « travailleur âgé ». De plus en plus, nous sommes conscients que l'âge est plus qu'un chiffre, comme de nombreux sénateurs peuvent sans doute l'attester. Même si vous êtes toujours obligés de prendre une retraite obligatoire à l'âge de 75 ans, cette exigence est en train d'être éliminée pour l'ensemble de la population. Le budget présenté lundi dernier par le ministre des Finances Jim Flaherty contenait des propositions utiles pour ce qui est du régime fiscal et du régime des pensions.
Nous devons cesser d'attribuer une connotation négative au mot « âgé », et arrêter de penser que l'âge de 65 ans correspond, par magie, à la fin de la vie productive. Nous ne réclamons pas une baisse des droits et des avantages, mais plutôt l'élimination des obstacles, des facteurs désincitatifs et des pratiques discriminatoires peut-être involontaires. Il faut regarder au-delà des programmes sociaux. Toutefois, nous espérons que les politiques d'intérêt public peuvent aider à renverser certaines idées bien ancrées dans la population concernant l'âge et la retraite.
L'éducation et la formation favorisent le développement d'une main-d'œuvre flexible. Le Canada doit se préparer à entrer dans une ère — d'aucuns diront que c'est déjà fait — où la plupart des travailleurs peuvent s'attendre à se perfectionner, à se recycler dans d'autres domaines pendant leur vie active, à acquérir de nouvelles compétences ou même changer carrément de carrière. Cela dit, la baisse du nombre de jeunes qui arrivent sur le marché du travail montre à quel point il est important de tirer parti du bassin encore considérable de travailleurs expérimentés et qualifiés qui sont maintenant dans la cinquantaine et la soixantaine. Bon nombre d'entre eux veulent, bien entendu, continuer de travailler au-delà de l'âge conventionnel de la retraite. Pour cela, il faut éliminer ou à tout le moins réduire, à court terme, les obstacles innombrables qui existent sur le plan législatif, réglementaire, politique et fiscal. Il faut également éliminer l'âge de retraite obligatoire, améliorer l'équilibre entre vie professionnelle et personnelle et modifier les pratiques de recrutement. Il faut revoir les régimes de pension et d'avantages sociaux. Les employeurs doivent consacrer plus d'efforts au perfectionnement des compétences et à l'embauche de travailleurs plus âgés. L'Association a noté que la contribution des entreprises canadiennes à la formation en milieu de travail a diminué de 7 p. 100 sur dix ans. Les programmes de mentorat, jadis la pierre angulaire des activités de formation destinées aux jeunes travailleurs, contribueraient à préserver le capital intellectuel individuel des travailleurs âgés.
Il n'est pas exagéré de dire que si nous ne prenons pas des mesures dynamiques pour relancer l'ensemble des secteurs d'activité de l'économie canadienne, notre avenir en tant que nation commerçante risque d'être compromis. La baisse de notre compétitivité, entre autres, a pour effet d'entraîner une diminution générale de notre productivité. Comme nous l'avons déjà mentionné, cette situation est attribuable à la faiblesse de nos investissements dans le capital humain.
Il n'est pas uniquement question ici de travail et de productivité, mais de viabilité. Nous pouvons actualiser nos programmes de soins de santé et sociaux en mettant l'accent sur le mode de financement par répartition et les rapports sur la santé, mécanisme qui permet le transfert de fonds aux provinces en fonction de leurs attributs respectifs. Ces rapports peuvent en effet contribuer à modifier les attitudes et les comportements. Nous pouvons restructurer nos réseaux intégrés de santé en vue de réduire les écarts, et entreprendre une réforme des soins primaires, ce qui contribuerait grandement à améliorer les services gériatriques. Ces efforts peuvent entraîner une amélioration des services offerts aux clients, et une diminution des coûts des soins en établissement.
Plus important encore, nous pouvons donner plus de cohérence aux services déjà en place, favoriser un vieillissement en santé, et aussi mieux prévenir, évaluer et soigner les maladies.
Aujourd'hui, la plupart des gens ont de la difficulté à composer avec nos systèmes de soins de santé et nos programmes sociaux complexes. Divers paliers de gouvernement ont de nombreux mandats à remplir, mandats qui parfois se recoupent. Cela sème la confusion même chez ceux qui sont capables de naviguer sans difficulté sur le Web. Pour ce qui est des dépôts centraux d'information sur les points d'accès au système, les gens ont de la difficulté à s'y retrouver.
Pour compliquer les choses, tous les efforts qui sont déployés doivent avoir pour objet d'assurer l'équité intergénérationnelle. Nos jeunes vont toujours avoir besoin de programmes de formation et d'aides. Les personnes âgées sont irritées de voir qu'elles n'ont pas droit aux programmes qu'elles ont contribué à financer, ou encore que leurs prestations sont assujetties aux dispositions de récupération. Ces sentiments influent sur la condition humaine.
Nous devons continuer d'investir dans la formation et l'innovation si nous voulons une économie dynamique axée sur la concurrence, la productivité et la prospérité. L'impôt, source de revenu du gouvernement, est considéré par de nombreuses personnes comme ayant atteint un point de saturation. Par conséquent, nous devons donner à la population vieillissante les moyens de demeurer active, comme elle le ferait si elle n'était pas confrontée à des facteurs désincitatifs et des priorités stratégiques concurrentes, tout en assurant la prestation des services de santé et sociaux dont nous avons besoin en tant que nation. Il s'agit, pour l'Association, d'un objectif à la fois positif et raisonnable.
Encore une fois, merci de nous avoir donné l'occasion de vous rencontrer. Il me tarde de connaître vos recommandations finales.
Paul Darby, économiste en chef adjoint, Conference Board du Canada : C'est un honneur pour moi de comparaître devant le comité. Mon exposé va surtout porter sur les déterminants de la retraite et les recherches menées par Statistique Canada dans ce domaine.
Comme on l'a déjà mentionné, l'enjeu est le suivant : compte tenu du vieillissement de la génération du baby-boom et du faible taux de fertilité, le Canada va être confronté à une pénurie de main-d'œuvre à moyen et à long terme, comme l'indiquent les projections démographiques. Or, nous pouvons atténuer l'impact de cette pénurie en augmentant le taux de participation sur le marché du travail des personnes âgées.
Jetons un coup d'œil à la proportion de la population âgée de 65 ans et plus. D'après les projections démographiques les plus récentes de Statistique Canada, environ 20 p. 100 de la population aura plus de 65 ans en 2025. Ce pourcentage était d'environ 12,5 p. 100 en 2000. Vingt pour cent de la population âgée de plus de 65 ans, cela équivaut à une personne sur cinq, un chiffre non négligeable.
Le principal problème du marché du travail est le suivant : le taux d'activité chute radicalement au fur et à mesure que la population vieillit. Prenons le groupe âgé entre 25 et 54 ans, qui représente la principale cohorte de travailleurs : en 2005, le taux d'activité de ce groupe était d'environ 85 p. 100. Le taux commence à fléchir avant l'âge de 65 ans. Prenons maintenant le groupe âgé entre 54 et 65 ans : déjà, le taux d'activité de ce groupe oscille autour de 58 p. 100 — il passe de 85 p. 100 à 58 p. 100 avant même qu'une personne atteigne l'âge de 65 ans. Autre point : les gens prennent leur retraite avant l'âge de 65 ans. Le taux d'activité des personnes âgées de 65 ans et plus tombe de manière radicale à 8 p. 100. Donc, si environ 20 p. 100 de la population n'affiche qu'un taux de participation de 8 p. 100, nous avons un sérieux problème sur les bras, comme tout le monde l'a indiqué.
En ce qui a trait à nos propres estimations concernant le taux de participation au marché du travail, malgré des gains du côté des femmes, ce taux culminera à presque 68 p. 100 de la population vers 2011 pour ensuite tomber à environ 62 p. 100 en 2030. Cette perte de six points de pourcentage est presque entièrement attribuable au vieillissement de la population. Plus les gens vieillissent, moins ils sont actifs sur le marché du travail.
Quant à la croissance de la population active, elle passera de 1,8 p. 100 au cours des cinq premières années de la présente décennie à seulement 0,4 p. 100 par année, en moyenne, entre 2026 et 2030. Ces données, soit dit en passant, s'appuient sur des hypothèses très optimistes en matière d'immigration. Nous présumons que le gouvernement du Canada aura presque atteint sa cible de 1 p. 100 de la population. Je pense que, d'après nos hypothèses de prévisions relatives à la population, nous accueillons 360 000 immigrants par année. Cela fait beaucoup de monde. Même avec ces suppositions audacieuses — et l'immigration est pratiquement le seul moteur de croissance démographique —, la croissance de la population active n'est que d'environ 0,4 p. 100 par année. À moins que quelque chose ne change, nous aurons un sérieux problème.
Le message que je tiens à transmettre aujourd'hui, c'est que changer l'attitude des aînés face à la retraite ne sera pas chose facile. Nous devons nous atteler à la tâche maintenant, mais je crains que nous nous contentions de faire du rafistolage. Il sera très difficile de renverser la tendance, pour ainsi dire.
L'âge moyen de la retraite au Canada a en fait reculé, malheureusement. Au cours des 30 dernières années, il avait atteint le sommet de 65,1 ans, mais en 1977, il était aussi bas que 60,9 ans. L'âge moyen de la retraite au Canada a donc diminué de quatre ans, mais il est demeuré stable au cours des quatre ou cinq dernières années. En 2005, cet âge était de 61,4 ans, soit bien inférieur à 65 ans.
Pour connaître les facteurs qui poussent une personne à prendre sa retraite, nous avons fait des analyses économétriques, mais avons choisi les variables du côté droit, les forces déterminantes, d'après l'étude de Morley Gunderson. En 2001, celui-ci a analysé des données concernant le Cycle 9 de l'Enquête sociale générale, que j'aimerais beaucoup qu'on mette à jour. Dans le cadre de son étude, il a examiné les probabilités qu'une personne prenne sa retraite en fonction de certains facteurs, en tenant compte du fait que cinq ans plus tôt, cette personne faisait partie de la population active. En fait, les gens couverts par un régime de retraite étaient, dans une proportion de 21 p. 100, plus susceptibles d'avoir pris leur retraite pendant ces cinq années. C'était de loin le facteur le plus significatif. Si l'on avait un régime de pension, on prenait sa retraite — ou du moins, on avait 21 p. 100 plus de chances de le faire.
La retraite est une décision familiale, et si votre conjoint est retraité, vous êtes 12 p. 100 plus susceptible d'en faire de même.
Sept pour cent des gens avaient plus de chances de prendre leur retraite s'ils étaient en mauvaise santé. Ils sont en quelque sorte forcés de quitter le marché du travail à cause de leur état de santé.
Les personnes touchant des revenus en intérêts ont 5 p. 100 plus de chances d'avoir pris leur retraite au cours des cinq dernières années.
Si vous appartenez à un milieu professionnel très privilégié, vous êtes 7 p. 100 plus susceptibles de prendre votre retraite plus tôt que les autres. L'idée selon laquelle une personne ayant un travail intéressant et fabuleux adore se rendre au travail chaque jour, et occupe un emploi très prestigieux qui la maintiendra active après l'âge de 65 ans n'est pas confirmée par les données. C'est probablement parce que, à notre connaissance, le facteur déterminant le plus important en matière de retraite est d'ordre financier. Si vous avez un emploi très prestigieux, vous avez probablement beaucoup de revenus, un régime de retraite ou des économies. Vous pouvez donc, on s'en doute, vous permettre de prendre votre retraite.
Sur le marché du travail, l'incitatif à prendre la retraite est fort. Si vous avez les revenus nécessaires, vous aurez tendance à prendre la décision de vous retirer, et il est difficile de changer cela.
Les données laissaient croire que l'accès à la propriété et le niveau de scolarisation n'avaient aucune incidence sur la décision des gens de prendre leur retraite, sauf pour ceux détenant uniquement un diplôme d'études secondaires. Les personnes dans cette situation tendent à demeurer plus longtemps sur le marché du travail, mais je dirais que c'est attribuable au fait qu'elles occupent probablement un emploi dans une entreprise qui ne leur offre pas de régime de retraite à prestations déterminées, ou qu'elles ont été incapables d'économiser suffisamment pour se permettre de partir à la retraite avant de commencer à recevoir des prestations du RPC ou du RRQ, à 65 ans.
En additionnant tous ces facteurs, on constate clairement que le fait d'avoir ou non des revenus suffisants a une influence dans le choix de prendre sa retraite.
Nous avons fait des analyses économétriques pour savoir si les données corroboraient cette hypothèse sur le plan empirique. Nous avons tenté d'expliquer l'âge moyen de la retraite. Nous avons utilisé, en guise de variables du côté droit, certaines données sur les actifs dont dispose chaque Canadien. Nous avons divisé cela par les revenus moyens du groupe des 50 à 54 ans, parce que nous croyions qu'il pouvait y avoir un lien entre le fait de renoncer à certains revenus en partant à la retraite, et le fait que plus les revenus auxquels on renonce sont importants, plus on voudra repousser la date du départ à la retraite.
Nous avons également tenu compte de l'état de santé et de la façon dont le cycle économique pouvait influer sur la décision de partir à la retraite. On peut être forcé de quitter son emploi si l'entreprise pour laquelle on travaille éprouve des difficultés. Toutes ces variables — l'état de santé, le cycle économique ou les revenus moyens — étaient importantes, mais la plus significative, et de loin, était celle des revenus, des actifs.
En conclusion, je dirais que nous nous retrouvons dans une situation où l'âge moyen de la retraite au Canada a pris la mauvaise direction : il a reculé. Il est certes demeuré stable au cours des quatre ou cinq dernières années, mais les gens partent à la retraite à 61 ans et n'attendent pas d'en avoir 65. Les revenus semblent être de loin le facteur le plus déterminant dans la décision de prendre sa retraite. Si vous disposez d'assez de revenus, vous serez fortement porté à cesser de travailler. À mon avis, il sera difficile de changer ces comportements chez les Canadiens. Nous devons prendre ce problème au sérieux car, si l'on n'essaie pas de le résoudre, comme je l'ai dit au début et comme chacun sait, nous serons confrontés à une importante pénurie de main-d'œuvre.
La présidente : Merci à tous pour vos exposés. Nous allons vous poser un certain nombre de questions; la première sera pour M. Lefebvre. Vous avez fait une déclaration qui m'a frappée, selon laquelle aujourd'hui, la contribution des entreprises canadiennes à la formation en milieu de travail a chuté de 7 p. 100 par rapport à ce qu'elle était il y a 10 ans.
M. Lefebvre : Cette affirmation est fondée sur une évaluation de l'indice de compétitivité mondiale. Nous avons constaté une tendance à la baisse, et nous pensons qu'elle se poursuivra.
La présidente : Y a-t-il une raison à cela?
M. Lefebvre : Oui, les ressources nécessaires pour être compétitifs. Les coûts de l'exploitation d'une entreprise augmentent constamment; la concurrence est féroce.
La présidente : Qu'en est-il des plans ou initiatives du gouvernement qui pourraient encourager les employeurs à investir davantage dans la formation?
M. Lefebvre : Pour inciter les employeurs à agir dans ce sens, il faudrait que ces initiatives soient appuyées par une certaine forme de parrainage. L'une de nos préoccupations concernait la façon dont le gouvernement établit l'équilibre entre la nécessité d'aider les baby-boomers ou la population vieillissante, et la création, en parallèle, de solutions novatrices pour respecter ses obligations. Nous devons injecter davantage d'argent dans les écoles secondaires et les universités, et trouver aussi des façons d'accorder une compensation aux employeurs pour le développement professionnel en milieu de travail, afin que les gens puissent accéder à des postes plus élevés.
J'ai pris bonne note de la remarque de M. Darby selon laquelle ceux qui ont des revenus et des postes élevés ont les moyens de prendre leur retraite avant les autres. J'ai travaillé dans le secteur de la santé et dans l'industrie pendant un certain nombre d'années, et j'ai constaté que ceux qui n'ont probablement pas accès à de tels programmes sont les mêmes qui voudraient avoir un régime de retraite plus substantiel. Malheureusement, rien ne leur permet de passer de mécanicien de chantier à chef de production parce qu'à cause de leurs genoux et de leurs coudes, ils ne peuvent plus travailler sur des machines. Il n'y a pas assez de stratégies proactives dans les entreprises pour composer avec cette tendance. Soit dit en passant, on parle ici de gens qui continueraient à travailler, mais peut-être pas jusqu'à 65 ans. Je le répète, nous avons appris qu'en moyenne, on prend sa retraite avant cet âge. Nous devons trouver des solutions, et une seule ne suffira pas. Nous devons changer notre façon de concevoir le vieillissement. Les employeurs ont tendance à penser qu'une personne de 65 ans n'est plus productive, alors que nous connaissons tous des gens qui atteignent leur rythme de croisière à 70 ans et plus. Nous devons trouver les moyens de faire bouger les employeurs. C'est possible seulement si on leur accorde un soutien financier, des crédits d'impôt additionnels, etc. pour la formation en milieu de travail de gestionnaires ou de professionnels de second niveau.
La présidente : Dans la réalité, de tels crédits d'impôt fonctionneront-ils seulement pour les grands employeurs? Est- il réaliste de croire qu'un petit employeur pourra offrir ce type de formation, même s'il bénéficie de crédits d'impôt?
M. Lefebvre : Nous avons récemment terminé une étude sur la compétitivité et la productivité, et nous croyons qu'un tel système serait plus utile pour les PME canadiennes. Nous avons découvert que les propriétaires-gestionnaires ont du mal à déléguer des responsabilités, ce qui est surtout dû au fait qu'ils ont créé leur entreprise, l'ont fait grandir, et la considèrent presque comme leur enfant. Malheureusement, les PME n'ont pas le même niveau de perfectionnement que les grandes entreprises. Celles-ci sont habituées à retenir les services d'avocats, de comptables, d'ingénieurs et autres professionnels, contrairement aux petits entrepreneurs. Étant donné qu'au Canada, les emplois sont dans les PME, dans une large proportion — qui peut atteindre 95 p. 100 selon la limite que l'on fixe —, cela donnerait la motivation nécessaire à ces propriétaires-gestionnaires pour qu'ils délèguent certaines responsabilités, inciterait une partie du personnel à grandir avec l'entreprise, et pourrait même encourager les PME à pénétrer les marchés d'exportation et à accroître leur productivité et leur efficience.
Le sénateur Keon : Monsieur Darby, croyez-vous que le relèvement de l'âge limite pour cotiser aux régimes d'épargne à l'abri de l'impôt, ou peu importe comment vous les appelez, encouragera les gens à demeurer dans la population active? Ce gouvernement, dans le dernier budget, a fait passer l'âge limite de 69 à 71 ans. Cependant, bien des gens ne sont certainement pas prêts à vivre de leur soi-disant pension. Ils sont fortement tributaires de l'argent qu'on leur a permis d'investir dans ces régimes à l'abri de l'impôt de toutes sortes. Autrefois, on devait commencer à retirer son argent à partir de 69 ans. J'ai moi-même été dans cette situation.
Le sénateur Murray : L'âge a d'abord été fixé à 71 ans, puis on est revenu à 69 ans.
Le sénateur Keon : Oui. À 69 ans, j'ai dû retirer mon argent, mais je pense que vous avez raison. Je ne suis pas totalement au fait de la loi.
Si cet argent pouvait être retiré à un âge plus avancé, je pense que cela encouragerait les gens à rester sur le marché du travail.
M. Darby : Je crois que c'est vrai. Nous n'avons pas fait d'étude quantitative pour déterminer à quel point. Ces changements de politique, qui encourageraient les gens à continuer de travailler en leur donnant davantage de souplesse sur le plan financier, sont tous valables.
Rétrospectivement, l'un des changements de politique les plus regrettables, à mon avis, est lorsque nous avons permis aux gens de bénéficier des prestations du RPC ou du RRQ dès l'âge de 60 ans. Beaucoup s'en prévalent. Certains pays d'Europe commencent à faire marche arrière — et bien entendu, c'est une décision politique controversée — et à relever l'âge auquel on peut obtenir des prestations en vertu d'un régime public de pension, soulevant ainsi un tollé dans la population.
Tous reconnaissent que, si l'on assure des revenus aux gens assez tôt dans leur vie, en plus de la possibilité de partir à la retraite, beaucoup s'en prévaudront. Certes, la mesure dont vous parlez représente un pas dans la bonne direction. Mais j'ai peur qu'elle ne soit qu'un tout petit pas. Nous devrions peut-être commencer à penser à des mesures plus radicales, dans la mesure du possible, car il ne sera pas facile de changer la situation. C'est ce que je crois.
Le sénateur Keon : Monsieur Lefebvre, j'ai l'impression que dans la réalité, le principe de « Liberté 55 » s'avère tout autre que celui qu'on avait annoncé. Bien des gens regrettent d'avoir pris leur retraite à 55 ans. Ils découvrent que leurs revenus ne correspondent pas à leurs attentes.
Qu'en savez-vous? Qu'en disent les actuaires? Je sais que vous êtes comptable, et je pense que vous voyez se dessiner les tendances.
M. Lefebvre : Je ne suis pas qualifié pour me prononcer, car je ne suis pas actuaire. Cela dit, nous avons des collègues qui le sont. Une bonne partie de cette question se résume aux attentes. Au cours de travaux que nous avons effectués par le passé, nous avons discuté avec des gens. Il y a vingt ans, ceux-ci avaient rencontré des planificateurs financiers qui leur avaient parlé de Liberté 55. Ils nous ont dit s'être fiés totalement à ces spécialistes. Mais nous savons ce qui s'est produit au début des années 2000, avec les rendements sur les marchés boursiers et autres. Premièrement, les promesses ou les attentes ne se sont pas concrétisées, et deuxièmement, les gens comptent un peu trop sur les systèmes financiers, à mon avis, pour prendre des décisions de planification les concernant directement.
Des gens se présentent chez un conseiller financier et lui disent, par exemple, qu'ils ont besoin de 40 000 $ par année pendant tel nombre d'années. Au moyen d'une formule de calcul, celui-ci leur donne le montant de leur cotisation mensuelle. Cependant, le moment de la retraite venu, ces gens constatent qu'ils ne reçoivent pas du tout ce qui était prévu, mais il est trop tard. C'est ce que les gens nous ont dit. De toute évidence, les planificateurs financiers ont des outils sophistiqués leur permettant d'effectuer ces calculs, mais les Canadiens, d'après notre expérience, ne connaissent pas grand-chose à la planification financière et ne savent pas nécessairement en déjouer les pièges. Nous avons donc recommandé que les gens apprennent à dresser un budget et à préparer leur avenir, et ce, dès l'école secondaire dans le cadre des cours d'économie. Je dirais que probablement la plupart d'entre nous — peut-être que vous, en tant que sénateurs, avez vu des choses effroyables — avons perdu de l'argent dans des investissements, et c'est vrai même sans scandale. De nombreux Canadiens ne peuvent courir de tels risques. Pour une personne à faible revenu, perdre 10 à 20 p. 100 de son portefeuille, c'est dramatique. Que nous soyons gestionnaire de banque ou planificateur financier, cela échappe à notre contrôle et à celui de l'industrie. Comme on n'a pas suffisamment analysé les risques, on se retrouve avec des gens qui manquent d'argent.
La présidente : Monsieur Stone, je me suis intéressée à votre graphique qui indique le taux d'activité moyen des 65 à 69 ans par province. Des témoins nous ont parlé de l'écart dans le vieillissement entre les différentes provinces, et du fait que les provinces maritimes et la Colombie-Britannique ont une plus grande proportion d'aînés que les jeunes provinces comme l'Alberta, par exemple. Pourtant, d'après votre graphique, il semblerait que les provinces où la population est la plus vieillissante soient celles qui enregistrent le plus faible taux d'activité chez les aînés de 65 à 69 ans. Y a-t-il une explication à cela?
M. Stone : Je pourrais faire des spéculations, mais j'aimerais inviter ma collègue, Mme Zietsma, à vous donner son avis. S'il y a lieu, je ferai des remarques après son intervention.
Danielle Zietsma, économiste principale, Division de la statistique du travail, Statistique Canada : J'ai commencé à examiner ces données la semaine dernière pour avoir une idée du taux de participation des travailleurs âgés sur le marché du travail dans les différentes provinces et pour faire des projections. La Saskatchewan, par exemple, a un taux d'activité particulièrement élevé. Je ne me souviens pas du nombre exact de gens âgés entre 65 et 69 ans qui vivent en Saskatchewan, mais je sais qu'ils ne sont pas nombreux et que plusieurs industries sont pour quelque chose dans le taux d'activité. Par exemple, en Saskatchewan, je m'attendrais à ce qu'il y ait beaucoup plus de participation des travailleurs âgés dans le secteur agricole, qui prédomine dans l'économie de la province. En Alberta, en général, le marché du travail est très dynamique. Ce n'est nouveau pour personne. La main-d'œuvre est également de plus en plus composée de travailleurs âgés. Nous avons observé une augmentation rapide du salaire moyen en Alberta au cours des deux dernières années, ce qui pourrait aussi inciter certains travailleurs âgés à rester sur le marché du travail.
La présidente : Toutefois, je m'intéressais davantage aux provinces ayant des taux plus faibles. La Nouvelle-Écosse, qui a une main-d'œuvre vieillissante, affiche le plus faible taux de participation à la population active de tout le Canada et son taux de revenu ne se compare pas à celui de l'Alberta, par exemple. Monsieur Darby, vous semblez impatient de prendre la parole.
M. Darby : Encore une fois, je dois admettre que ce sont des spéculations, mais nous savons, d'après les données dont nous disposons, que la Colombie-Britannique et les provinces maritimes accueillent de nombreux retraités du centre du Canada. Les gens s'y établissent non pas pour travailler, mais pour profiter de leur retraite. Je n'ai pas les chiffres exacts, mais nous avons une migration interprovinciale répartie par groupes d'âge. Nous savons que la Colombie-Britannique accueille un grand nombre de migrants interprovinciaux âgés de plus de 65 ans. Ceux-ci ne travaillent pas; ils sont retraités. Cela réduit donc le taux d'activité pour la cohorte des 65 à 69 ans.
Le sénateur Murray : La proportion de gens qui travaillent dans le secteur public, y compris dans l'armée, joue-t-elle un rôle dans le phénomène que vient de décrire le sénateur Carstairs?
M. Stone : J'ignore si ce facteur y est pour beaucoup, mais en ce qui concerne les faibles taux d'activité dans les provinces maritimes, je dirais que si au départ, les gens gagnent un revenu relativement modeste, les piliers 1 et 2 leur procureront un revenu de remplacement décent qui leur permettra de subvenir à leurs besoins.
Je vais revenir sur les propos de Mme Zietsma concernant la demande. La demande doit être là, comme c'est le cas présentement en Alberta. S'il n'y en a pas, les gens ne voudront plus travailler, passé un certain âge, parce qu'ils n'auront plus besoin de le faire, surtout si le secteur public garantit un revenu minimal aux aînés à faible revenu.
Le sénateur Mercer : Ce n'est pas ce que j'avais en tête au départ, mais en bon Néo-Écossais que je suis, je vais rajuster mon tir. Je suis le seul représentant de la Nouvelle-Écosse ici. Il y a deux autres sénateurs qui sont nés dans cette province mais qui représentent d'autres régions du pays.
Il me semble que l'armée et la fonction publique, en Nouvelle-Écosse, faussent un peu les données compte tenu du taux élevé de participation à la population active dans ces deux secteurs, particulièrement à Halifax. Je viens moi-même d'une famille de fonctionnaires et de militaires. Ma sœur et moi sommes les seuls encore actifs sur le marché du travail; le reste de ma famille fait partie de vos statistiques.
Étant donné que c'est dans cette province qu'on jouit de la meilleure qualité de vie au pays, de nombreux retraités viennent y passer leurs vieux jours. D'autres y séjournent l'été, ce qui est bien aussi.
Je vais cesser de vanter ma province et poser ma question.
Je suis préoccupé par la réduction des fonds consacrés à la formation continue. Est-ce qu'elle touche tous les secteurs? J'ai travaillé toute ma vie au sein des plus grandes organisations caritatives canadiennes. Chaque fois que j'établissais un budget, mon conseil de bénévoles voulait savoir pourquoi nous investissions autant d'argent dans le développement professionnel. Je leur répondais toujours que c'était tout simplement nécessaire pour assurer la survie de l'organisme, année après année. Pouvons-nous ventiler ces chiffres par secteur? Pouvons-nous dire lesquels accordent une plus grande importance au perfectionnement professionnel?
M. Lefebvre : Je l'ignore, mais nous pourrions nous renseigner là-dessus. Nous examinons davantage les moyennes nationales que nous comparons à celles d'autres pays; nous ne nous sommes pas penchés sur cet aspect en particulier, mais je peux demander à mes collègues de le faire.
Le sénateur Mercer : Ce serait bien utile. Je crains que l'industrie — que ce soit le secteur bénévole, manufacturier ou financier — ne s'intéresse pas au développement professionnel. Elle en paiera le prix. Nous en paierons tous le prix.
L'un de vous a affirmé que 60 ans, c'était trop jeune pour être admissible à une pension du RPC. Je trouve intéressant que vous considériez que la retraite anticipée nuit au maintien de la participation à la population active. Je n'ai pas l'impression qu'il y ait des problèmes avec le Régime de pensions du Canada, puisqu'on nous dit qu'il est sûr et qu'il peut résister aux pertes financières attribuables aux retraites anticipées. Est-ce que je me trompe?
M. Darby : Vous avez raison sur les derniers points.
Le sénateur Mercer : Le problème ne réside pas dans les finances, mais plutôt dans la participation.
C'est un autre aspect que nous n'avons pas évalué. Les gens ne participent plus à la population active après 60 ou 65 ans, lorsqu'ils ont décidé de prendre leur retraite. Je parle ici du travail rémunéré. Ayant consacré toute ma carrière au bénévolat, beaucoup de mes meilleurs bénévoles, que ce soit des membres du conseil d'administration ou des préposés au courrier, étaient des retraités qui avaient du temps à donner. Est-ce pris en considération dans le taux de participation? Il me semble que c'est important. Au Canada, le secteur bénévole est plus vaste que celui de l'automobile, du gaz et du pétrole, et de l'agriculture.
C'est un important secteur qu'il faut étudier. Tout le monde est d'accord, mais personne ne semble avoir de réponse.
M. Stone : D'après les chiffres que j'ai vus, si on avait pris en compte le bénévolat, le taux d'activité des personnes âgées aurait au moins doublé.
Le sénateur Mercer : Lorsqu'on mesure l'économie globale et le fonctionnement de notre pays, on s'aperçoit que si on devait enlever tous les retraités qui font du bénévolat, beaucoup de nos organisations communautaires et à but non lucratif disparaîtraient.
C'est un facteur à ne pas négliger dans notre étude.
M. Darby : C'est tout à fait vrai. Cependant, le secteur bénévole est déjà bien établi au Canada. Nous n'avons pas réalisé beaucoup d'analyses à ce chapitre, parce que, comme vous l'avez dit, ce sont des emplois non rémunérés et il est souvent plus difficile de recueillir des données et d'en évaluer la portée. Je serais la dernière personne à dire que le bénévolat n'est pas un secteur d'activité important au Canada. Toutefois, une question se pose. Si, par exemple, au cours des 10 à 15 prochaines années, les millions de Canadiens qui prendront leur retraite ou qui y songent, se lancent dans le bénévolat, n'aurons-nous pas trop de bénévoles? Serons-nous en mesure de transférer le travail du secteur rémunéré au secteur bénévole? Quels avantages allons-nous en tirer? Comment allons-nous assurer la croissance économique et la création de richesses au Canada?
Comme le secteur bénévole est très présent en ce moment, nous devons être prudents. Je suis tout à fait d'accord que ce serait bien de pouvoir mesurer son ampleur, mais nous devons faire attention et ne pas penser que, parce que beaucoup de gens seront disponibles pour faire du bénévolat, cela aura pour effet d'accroître en quelque sorte l'activité économique ou même le bien-être général de la population au Canada.
Le sénateur Mercer : Si, soudainement, la société canadienne devait payer pour le travail bénévole, j'imagine que vous y porteriez attention parce que les coûts augmenteraient de façon spectaculaire.
Le secteur bénévole subit probablement les mêmes effets que les autres secteurs étant donné qu'il y a de plus en plus de gens qui prennent leur retraite, mais même si le pourcentage est le même que par le passé, il se peut que le nombre de bénévoles augmente car le bassin est plus grand. Toutefois, nous ne voudrions pas nous retrouver dans une situation où il faudrait payer pour cela, alors nous devons en tenir compte dans nos études.
La présidente : J'aimerais faire un tour de table et demander à chacun d'entre vous de me dire ce qui, à votre avis, inciterait le plus les travailleurs âgés à rester actifs sur le marché du travail. Qu'est-ce que le gouvernement pourrait faire pour qu'ils demeurent plus longtemps au sein de la population active?
M. Darby : Repousser progressivement l'âge auquel les gens peuvent accéder au RPC/RRQ; suivre l'exemple de l'Europe et ramener l'âge de la retraite à 65 ou 70 ans. Nous sommes en meilleure santé et vivons plus longtemps qu'avant. Honnêtement, je pense que ce serait la solution la plus rentable. Politiquement parlant, j'avoue que c'est un peu plus délicat, mais à mon avis, c'est la meilleure chose à faire.
M. Lefebvre : C'est une très bonne solution, quoiqu'elle représente tout un défi. Ma solution est moins ambitieuse et aussi plus vague. Je reviens encore une fois sur la question de l'innovation. Il faut vaincre la routine qui s'installe au travail. À un moment donné, au cours de notre carrière, nous avons tendance à sombrer dans l'ennui, et évidemment, avec l'âge, nous avons plus de ressources qui nous permettent de partir si nous le souhaitons. Il faut donc trouver des moyens de rendre le travail plus intéressant.
Par exemple, nous avons remarqué que dans le secteur public, les gens prenaient leur retraite relativement jeunes, vers la fin de la cinquantaine. Si je ne m'abuse, la moyenne se situe autour de 58 ans. C'est jeune pour prendre sa retraite. Alors que certains veulent cesser de travailler parce qu'ils sont bien portants et ont les moyens, je suis certain que d'autres resteraient sur le marché du travail si on leur offrait des possibilités intéressantes. Nous devons motiver les gens et les garder stimulés. Il conviendrait de mener des recherches comportementales à ce niveau en collaboration avec les secteurs privé et public.
Mme Zietsma : Je regarde les taux de chômage chez les travailleurs âgés, et ils existent bel et bien. En 2006, le marché de l'emploi était dynamique. Le taux de chômage des personnes âgées de 60 à 64 ans s'établissait à 5,4 p. 100. Cela me permet de croire qu'il y a une volonté de travailler chez ces personnes; alors comment savoir ce qui les empêche de se trouver un emploi? Il me semble évident que les gens veulent travailler, même si ce n'est pas tout le monde. Nous devons voir comment aider ceux qui le souhaitent.
M. Stone : Comme vous le savez probablement, à Statistique Canada, nous ne pouvons pas parler librement de certaines initiatives gouvernementales, mais j'aimerais insister sur quelque chose que vous avez dit dans votre première déclaration liminaire, à savoir : l'importance de trouver le moyen d'élargir l'éventail des choix qui s'offrent aux gens.
J'aimerais aussi réitérer quelque chose que j'ai dit plus tôt. Il y a maintenant, dans la catégorie des travailleurs âgés, un groupe de personnes pleines d'énergie, en bonne santé et actives que sont les baby-boomers. D'une certaine façon, Liberté 55 a perdu tous ses attraits parce que les gens veulent demeurer actifs de diverses façons. Vous devriez donc peut-être songer à les aider à combler leur désir de rester en contact avec une génération qui aura énormément besoin d'eux.
La présidente : Merci.
Monsieur Darby, vous avez bien raison. Je crois que tous les politiciens, quelle que soit leur allégeance, hésiteront fortement à dire qu'il faut arrêter automatiquement les contributions au RPC/RRQ dès l'âge de 60 ans. Par contre, ce qui nous a été expliqué, c'est qu'il y a une désincitation actuarielle à attendre jusqu'à l'âge de 70 ans pour toucher des prestations. Serait-il donc possible de faire quelque chose pour que les sommes que perçoivent les gens à 70 ans correspondent davantage à ce qu'elles sont censées être comparé à ce que les personnes touchent présentement?
M. Darby : Absolument. Il faut que cela change le plus tôt possible, c'est évident. Il est également important de reconnaître que la désincitation actuarielle à la retraite associée au RPC/RRQ est minime. Encore une fois, ce n'est que du rafistolage; ce n'est pas bien sorcier, si vous me permettez l'expression. Nous devrions nous y attaquer sans tarder. Par contre, encore une fois, la modification de ce désavantage actuariel n'occasionnera peut-être pas un changement de comportement majeur; c'est minime.
En ce qui a trait aux raisons pour lesquelles les gens restent actifs, notre recherche a relevé un autre facteur : les horaires de travail flexibles. Beaucoup de gens de 60 ans et plus aimeraient travailler, mais moins longtemps par semaine, à temps partiel ou à mi-temps. Toute initiative gouvernementale dans ce sens, notamment visant les PME, serait bénéfique.
Comme l'a mentionné M. Stone, de Statistique Canada, je crois, beaucoup de gens qui ont pris leur retraite très tôt reviennent sur le marché du travail comme travailleurs autonomes. Souvent, ils essaient de créer leur propre entreprise, qui devient une PME. Des efforts pour faciliter l'accès à du financement avec des taux d'intérêt avantageux et au capital de risque, ainsi que l'application de mesures incitant les personnes âgées à se lancer dans la création d'entreprises donneraient d'excellents résultats. L'Angleterre s'y est employée un peu, et nous pourrions nous inspirer de son expérience.
Le sénateur Murray : Je ne sais pas si nous avons eu des témoignages concernant ce que fait le gouvernement fédéral pour ses propres travailleurs, dans la fonction publique, pour s'adapter à cette situation. Si quelqu'un en sait quelque chose, j'aimerais l'entendre. Quant aux autres, je ne mettrai personne mal à l'aise en demandant combien de personnes de 65 ans et plus travaillent au Conference Board du Canada ou ce que votre profession compte faire pour ses propres membres, monsieur Lefebvre. Par contre, je pense qu'il est juste de demander si vous connaissez des industries ou même des entreprises ayant pris des initiatives à ce chapitre et dont les politiques pourraient nous servir d'exemples à nous tous.
M. Lefebvre : L'information dont nous disposons est éparpillée. Je ne suis pas en mesure de vous donner des chiffres. Certaines entreprises, comme Suncor et d'autres, ont adopté des mesures proactives. Vous avez soulevé un point intéressant. L'année dernière, nous avons changé, nous aussi, dans notre milieu de travail, le programme d'avantages sociaux collectif. Auparavant, nous étions couverts jusqu'à l'âge de 65 ans. Nous avons maintenant changé notre politique à cause, en fait, d'un de mes subordonnés directs. Je crois que nous devons joindre le geste à la parole.
Le sénateur Murray : Comment avez-vous changé votre politique?
M. Lefebvre : Nous avons fait passer l'âge à 70 ans. Nous allons le réviser encore une fois, dans quatre ans, si cette personne demeure au poste. Il compte rester jusqu'à l'âge de 76 ans. Je crois que ce phénomène est en train de devenir contagieux. C'est comme n'importe quelle autre action du secteur privé. À mesure que cette information est diffusée, les entreprises peuvent attirer des personnes très compétentes. Cela leur permet de maintenir en poste certains de leurs employés hautement performants. Au cours des 20 ou 30 prochaines années, nous assisterons donc à un régime d'avantages sociaux très différent au sein du secteur privé.
M. Darby : On trouve dans notre recherche quelques exemples d'entreprises qui, selon nous, sont à l'avant-garde dans la pratique qui consiste à maintenir des travailleurs âgés dans leur rang. Mais ce n'est pas mon domaine d'expertise principal. Le vice-président de notre division des ressources humaines au Conference Board a fait pas mal de recherches dans ce domaine. Il devrait participer à une audience du comité afin de partager ses connaissances sur ce sujet.
Je crois que Home Depot, à certains égards, a fait une analyse démographique en ce qui concerne l'âge moyen des résidents à l'intérieur de la zone desservie par un magasin particulier. Ils ont découvert que les personnes âgées préféraient généralement être servies par des travailleurs âgés. Les travailleurs âgés dans le magasin entretiennent souvent une meilleure relation avec les clients. Home Depot a fait des pas de géant pour essayer de simplifier la vie des travailleurs âgés, si je puis m'exprimer ainsi, en les plaçant dans les magasins où les données démographiques suggèrent que cela pourrait profiter à l'entreprise. Par ailleurs, ils ont appris que le fait de mélanger les travailleurs âgés avec les jeunes travailleurs dans le secteur des services, où il faut interagir avec les clients mais où les clients recherchent aussi des conseils, semble bien fonctionner.
Mentionnons également l'exemple des sociétés financières en Angleterre, où les planificateurs financiers qui rencontrent les clients préoccupés par leur revenu de retraite sont plus âgés car ils leur offrent souvent un meilleur service. Il existe d'ailleurs une banque ou une société financière en Angleterre qui, consciente de ce fait, a déployé un effort proactif pour s'agripper à ses travailleurs âgés.
Nous avons certains exemples dans la pratique. Malheureusement, ce domaine d'expertise n'est pas mon fort. Par ailleurs, il y a des exceptions qui font la règle, dans un certain sens. Le progrès est, je crois, minime.
Le sénateur Murray : En ce qui concerne le gouvernement fédéral, je suppose que vous allez proposer Statistique Canada comme un chef de file dans ce domaine, avec la présence de M. Fellegi qui a sûrement plus de 70 ans et qui est toujours en pleine forme.
M. Stone : Je n'ose pas parler pour le gouvernement fédéral dans son ensemble parce que j'ignore la réponse. Dans notre organisation, nous avons un certain nombre d'initiatives qui encouragent les retraités à retourner au travail, dans les limites juridiques, afin de nous aider. Avec les changements qui ont été annoncés dans le budget, ce phénomène risque de se produire plus souvent.
De plus, j'avais assisté à une conférence, convoquée par un ancien ministre du Travail, dans le cadre de laquelle se trouvait un employé du Conseil du Trésor qui détenait le record du ministère au chapitre de l'âge de retraite chez les fonctionnaires. Il nous a mentionné que la proportion des fonctionnaires de plus de 65 ans qui restent au poste a augmenté de façon considérable. Il serait peut-être bon d'examiner en profondeur ce dossier du Conseil du Trésor pour voir ce qui se passe au niveau du comportement des fonctionnaires âgés.
Je vous invite à examiner le chapitre 16 de mon ouvrage, dont je suis le principal auteur et où je compare les secteurs public et privé sur le plan de leurs modèles de transition. Pour ceux qui sont entrés dans la phase de transition plus tard, le secteur public s'accroche à eux plus longtemps que le secteur privé. Nous pourrions donc être une source de certaines pratiques exemplaires.
Le sénateur Murray : Je crois que nous devons déterminer s'il existe des politiques à l'échelle du gouvernement fédéral sur ce sujet.
Le président : Je suis d'accord. Avant de donner la parole au sénateur Chaput, force est de constater que, dans les quatre façons que vous avez identifiées pour faciliter le maintien des travailleurs âgés dans la population active, aucun de vous deux n'a mentionné la difficulté liée aux nombreuses pensions privées. S'il s'agit des cinq meilleures années de leur expérience de travail, c'est une chose, mais s'il s'agit des cinq dernières années de leur carrière, qu'est-ce qui les motiverait à aller travailler à temps partiel par la suite? S'ils commencent à travailler à temps partiel, alors leur pension subira des coups durs au niveau de leur capacité de maximiser leur revenu de retraite. Monsieur Lefebvre, je vois que vous hochez la tête. Aimeriez-vous commenter ce que je viens de dire?
M. Lefebvre : Nous en parlons dans notre document. Ces politiques doivent être changées pour régler précisément cette question. Je ne me suis pas prononcé là-dessus car je le tiens pour acquis. On sera obligé de modifier ces politiques ou, du moins, on devrait l'être. C'est l'un des facteurs de dissuasion auxquels j'ai fait allusion dans mes observations préliminaires. Nous sommes en train de pénaliser les gens.
[Français]
Le sénateur Chaput : L'un d'entre vous a mentionné que la raison principale pour laquelle une personne prenait sa retraite était qu'elle pouvait se le permettre financièrement ou qu'elle croyait pouvoir se le permettre financièrement. Lorsqu'une personne se base uniquement ou en grande partie sur les avis financiers et qu'elle se retrouve avec un revenu moins élevé qu'elle ne l'avait prévu, je présume qu'elle mène une retraite moins heureuse qu'elle ne l'avait prévue. D'après vos recherches et vos analyses, quel pourcentage d'écart existe-t-il entre la situation d'une personne ayant pris sa retraite et heureuse de l'avoir fait, et la situation des personnes qui l'ont prise et qui le regrettent parce que leurs revenus ne sont pas aussi élevés qu'ils ne l'avaient prévu?
M. Stone : Statistique Canada n'a pas effectué ce type de recherches, mais plusieurs disent qu'il existe maintenant chez les baby boomers le sentiment que le revenu auquel ils peuvent s'attendre n'est pas le revenu auquel ils s'attendaient autrefois. C'est une des raisons qui explique la hausse de la participation des baby boomers au marché du travail.
Le sénateur Chaput : Ma deuxième question concerne les baby boomers, mais si je comprends bien votre réponse à ma première question, vous dites que nous ne le savons pas car aucune analyse comparative n'a été faite?
M. Stone : Nous n'avons pas fait ce type de recherches.
Le sénateur Chaput : Concernant les baby boomers, on les entend de plus en plus dire qu'ils sont moins intéressés à prendre leur retraite pour toutes sortes de raisons; l'une étant qu'ils n'auront pas suffisamment d'argent pour arrêter de travailler et l'autre étant qu'ils désirent poursuivre leur implication dans la société active. Pouvez-vous m'indiquer, à l'aide d'un pourcentage, l'incidence que cela pourrait avoir sur la main-d'œuvre future?
M. Stone : C'est difficile de répondre à cette question parce qu'il s'agit maintenant d'une prévision du comportement des baby boomers. On peut néanmoins constater que déjà, au Canada, il semble y avoir une hausse de la participation de la population âgée sur le marché du travail, menée par les baby boomers. En regardant le niveau de formation, on peut s'attendre à ce que cette tendance continue.
Le sénateur Chaput : Est-ce que la pénurie de main-d'œuvre au Canada serait un peu moins substantielle justement à cause des baby boomers qui veulent continuer à être actifs? Y aurait-il une autre initiative qui pourrait être prise par le gouvernement?
M. Stone : Il me semble que c'est le témoignage des scientifiques. Le Canada est chanceux dans ce domaine, par rapport à l'Europe, par exemple.
[Traduction]
Le sénateur Mercer : Je siège au Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts et nous participons actuellement à une étude importante sur la pauvreté rurale. Nous avons entendu des témoignages de tous les coins du pays, et certains ont mentionné l'âge des Canadiens en milieu rural qui font toujours partie de la population active — non parce qu'ils le veulent nécessairement, mais parce qu'ils y sont obligés. Il n'y a aucune autre solution de rechange. Ils travaillent dans des industries telles que l'agriculture et la pêche où il n'existe pas de régime de pension. Le seul régime de pension dont ils pourraient disposer serait la vente de la ferme familiale ou du bateau de pêche à leurs enfants. Est-ce que vos statistiques et vos études ont démontré la véracité de ce constat? Y a-t-il des statistiques qui montrent que les pauvres en milieu rural restent plus longtemps dans la population active que les pauvres en milieu urbain? Les pauvres en milieu urbain optent pour une retraite plus anticipée parce qu'ils n'ont pas l'option de travailler sur une ferme jusqu'à leur mort.
M. Stone : Je n'ai pas vu des comparaisons entre les pauvres en milieu urbain et ceux en milieu rural, mais vos hypothèses semblent concorder entièrement avec les recherches effectuées par les scientifiques et avec l'idée selon laquelle, si vous avez peu de protection sous forme d'épargnes ou de pensions accumulées et si vous avez l'occasion de continuer à gagner un revenu d'emploi, autant le faire.
Le sénateur Mercer : Il existe des études démographiques par province, mais avez-vous comparé les données urbaines et rurales? Dans la petite communauté en Nouvelle-Écosse où j'habite, il semble y avoir un faible pourcentage de retraités car nous sommes assez proches de la ville.
M. Stone : Je n'ai pas fait une telle comparaison, mais nous avons un rapport intitulé Un portrait des aînés au Canada, qui a été publié il y a deux ou trois semaines. Je crois qu'il contient certaines de ces comparaisons entre les régions urbaines et rurales. Je n'ai pas les détails en tête à ce moment précis, mais je vais essayer d'obtenir un exemplaire pour vous.
Le sénateur Mercer : Ce rapport pourrait également répondre à certaines des questions sur les provinces qui sont jugées comme des endroits propices où prendre sa retraite, par exemple la Colombie-Britannique. L'île de Vancouver est connue pour être un endroit populaire où les gens s'installent pour prendre leur retraite. Ces statistiques devraient nous aider à comprendre un peu mieux cette question.
Le président : Je tiens à remercier chacun de vous pour les exposés que vous avez faits cet après-midi. Ils ont été utiles et ont fourni des renseignements détaillés qui seront ajoutés à notre étude.
Avant de passer à notre prochain groupe d'experts, j'aimerais indiquer que je vais annuler la réunion du 16 avril, ce qui signifie que le comité ne se rencontrera pas du tout en avril. J'avais cru que le groupe d'experts des Philippines comparaîtrait après mon retour d'Indonésie mais, à cause de la situation urgente là-bas, je dois diriger cette mission avant la réunion à Bali. Notre prochaine réunion aura donc lieu le 7 mai et sera présidée par le sénateur Keon car je ne serai pas encore de retour.
Cet après-midi, nous recevons un deuxième groupe de témoins sur le thème de la souplesse quant à la retraite. Nous recevons sans tarder Brigid Hayes et Derwyn Sangster. Ils nous parleront des conclusions du rapport des Partenaires du milieu du travail intitulé Compétences et pénurie de compétences : Les points de vue des dirigeants du patronat, des syndicats et du secteur public au Canada.
Nous recevons également Monica Townson. Elle est l'auteure de plusieurs ouvrages et rapports sur la retraite et les pensions. Son dernier livre s'intitule Growing Older, Working Longer : The New Face of Retirement. Nous allons commencer par M. Sangster.
Derwyn Sangster, ancien directeur, Patronat, Centre syndical et patronal du Canada, à titre personnel : Je vous remercie de me donner l'occasion de vous parler de certaines conclusions des Partenaires du milieu du travail, les PMT, particulièrement en ce qui concerne les travailleurs âgés.
Je vais commencer par vous présenter un bref historique de ce groupe. En 2005, le Centre syndical et patronal du Canada, le CSPC, s'est fait demander de constituer les « Partenaires du milieu du travail » afin de rassembler les intervenants des milieux syndical et patronal et d'ailleurs pour parler des pénuries de compétences en général et en particulier, de leurs incidences sur les travailleurs âgés.
Le CSPC a rapidement établi une série de groupes de travail régionaux. Les premiers se sont créés au Canada atlantique et en Saskatchewan. Ils se sont penchés sur la question sous l'angle régional. Ces groupes de travail ont présenté leurs rapports à la moitié de 2006, et un autre devait commencer son travail plus tard en 2006 au Manitoba.
En septembre 2006, le gouvernement fédéral a retiré le financement des Partenaires du milieu du travail dans le cadre de son examen des dépenses. Du coup, le travail des partenaires a pris fin, ce qui a également mené à la dissolution du Centre syndical et patronal du Canada après 22 ans d'activité. En tant qu'anciens employés du CSPC, ce n'est pas sans ironie que Mme Hayes et moi sommes ici pour vous parler des conclusions du groupe que nous trouvions intéressantes. Nous trouvons la démarche des Partenaires du milieu du travail fort intéressante.
J'aimerais commencer par vous parler des données démographiques de base. Je vais surtout mettre l'accent sur l'une des données démographiques qui est ressortie de notre étude, soit celle sur la population du Canada qui approche de l'âge de la retraite, c'est-à-dire les personnes qui atteindront l'âge de la retraite d'ici 10 ans. En 1987, les statistiques indiquaient que les personnes approchant l'âge de la retraite représentaient 11 p. 100 de la population; en 2002, elles représentaient déjà 20 p. 100 de la population et d'ici 2021, on s'attend à ce qu'elles représentent 30 p. 100 de la population, ce qui constitue une augmentation très élevée. Dans certaines régions, particulièrement au Canada atlantique, cette réalité va aggraver d'autres tendances, particulièrement l'exil des travailleurs, au point où dans certaines provinces, surtout dans l'Est du Canada, nous allons observer un déclin de la population active et des pénuries de compétences.
Cela nous porte à tirer notre première conclusion concernant les incidences de ce que j'appellerai la main-d'œuvre « grisonnante ». Compte tenu du grand nombre de travailleurs qui vont prendre leur retraire, les pénuries de compétences qui sont à prévoir nous portent à nous poser les questions mêmes que le comité se pose : est-il possible d'innover; peut-on reporter la retraite ou y a-t-il d'autres solutions aux problèmes que sous-entend la retraite?
J'aimerais ensuite me concentrer sur la question de savoir quelle proportion des travailleurs qui partent à la retraite sera remplacée. Pendant des années, le CSPC a effectué des sondages biennaux auprès des dirigeants du patronat, des syndicats et du gouvernement, c'est-à-dire à la fois des gestionnaires et des syndicalistes. Notre dernière étude, qui remonte à 2005, cherchait réponse à diverses questions sur les pénuries de compétences. Nous avons notamment demandé aux dirigeants patronaux et syndicaux quelle proportion des travailleurs qui partaient à la retraite allait être remplacée selon eux. Nous avons obtenu toutes sortes de réponses.
Nous nous sommes rendu compte que la majorité des dirigeants des secteurs privé et public s'attendaient à une attrition rapide de la main-d'œuvre en raison d'un grand nombre de départs à la retraite et d'un taux de remplacement relativement bas. Dans le secteur privé, beaucoup de dirigeants prévoyaient que la main-d'œuvre reste stable, c'est-à- dire que les départs à la retraite soient peu nombreux et que le taux de remplacement soit relativement élevé, tandis que dans le secteur public, les gestionnaires qui ont répondu à notre sondage semblaient plutôt prévoir un fort roulement, c'est-à-dire un grand nombre de départs à la retraite et un taux de remplacement élevé. Ces perceptions d'un avenir commun étaient très différentes et illustrent peut-être à quel point on prête peu attention à bon nombre de ces questions.
Il est également inquiétant de constater combien il y a peu d'employeurs qui semblent prendre des mesures pour réagir au roulement rapide auquel ils sont confrontés, selon le sondage Points de Vue. Environ le tiers des dirigeants du secteur privé qui prévoyaient un roulement rapide ont affirmé ne rien faire du tout pour remédier à ce problème. C'est sur cette observation que se fonde la deuxième conclusion des Points de Vue, selon laquelle les employeurs ne semblent pas prêts à composer avec les enjeux du vieillissement de la main-d'œuvre et qu'ils ne semblent pas nécessairement toujours prendre des mesures actives pour en limiter les effets.
Dans le cadre de notre sondage Points de Vue, nous avons posé toute une série de questions, notamment sur les mesures qui sont prises pour répondre aux besoins de compétences futurs. La question sur ces mesures comprenait 16 réponses possibles, dont l'augmentation de la formation, l'embauche d'immigrants ou le prolongement de la carrière des travailleurs âgés.
En ordre de priorité, les gestionnaires ont classé le prolongement de la carrière des travailleurs âgés au septième rang sur seize pour répondre aux besoins de compétences. Pour leur part, les syndicats ont placé cette mesure au quinzième rang sur seize.
Il est clair qu'il y a lieu de réfléchir davantage à la perspective de prolonger la durée de la carrière des travailleurs âgés pour remédier au problème de compétences d'après ces données.
La dernière série de données dont je vais vous parler est tirée d'une liste de questions que nous avons posées aux répondants du patronat et des syndicats sur la question de savoir s'il faut prolonger la carrière des travailleurs âgés et le cas échéant, comment.
Il y a un tableau à cet égard dans notre présentation, et j'aimerais souligner ce que j'appellerai les conclusions 3 et 4. Selon les réponses à cette question, le prolongement de la carrière des travailleurs âgés est loin d'être une grande priorité pour combler les besoins de compétences selon les gestionnaires et particulièrement, selon les dirigeants syndicaux. La majorité des dirigeants syndicaux, environ 70 p. 100 d'entre eux, ont répondu qu'ils ne voyaient pas la nécessité de prolonger la carrière au-delà de l'âge normal de la retraite. Du côté des gestionnaires, ils étaient moins, soit 40 p. 100, à être de cet avis, mais il y a lieu de se demander si ce chiffre n'est pas plus élevé que ce à quoi on pourrait s'attendre. Il y avait là la question de la priorité.
La dernière conclusion que nous avons tirée des réponses à cette question, c'est que si l'on doit prolonger la carrière des travailleurs, les patrons tout comme les dirigeants syndicaux qui ont répondu à notre sondage — en proportion différente, nous direz-vous — ont dit préférer des incitatifs volontaires à des mesures législatives ou obligatoires comme une modification au règlement sur le RPC qui obligerait les gens à travailler plus longtemps.
Voilà quelques-unes des grandes conclusions qui sont ressorties de l'enquête statistique générale des Partenaires du milieu du travail. J'aimerais demander à Mme Hayes de vous parler plus en détail du travail de nos groupes de travail.
Brigid Hayes, ancienne directrice, Syndicats, Centre syndical et patronal du Canada, à titre personnel : Comme on l'a déjà mentionné, nous avons créé deux groupes de travail des Partenaires du milieu du travail à l'échelle régionale. Nous avons retenu le thème du vieillissement de la main-d'œuvre dans nos discussions avec le patronat et les syndicats sur les principaux défis auxquels sont confrontées ces régions pour combler leurs besoins de compétences. Les groupes de travail eux-mêmes ont consacré peu de temps à analyser les statistiques de nouveau, notamment sur les rapports de dépendance ou la proportion des immigrants âgés. Ils visaient surtout à pousser diverses personnes des milieux du patronat, des syndicats, du gouvernement, de l'éducation et des organismes communautaires à discuter des incidences du phénomène du vieillissement d'un point de vue personnel et communautaire.
Avant que l'initiative des PTM ne prenne fin, nous avons réussi à mener à bien le travail de deux groupes. J'aimerais vous donner une idée de ce que nous avons entendu et vous inviter à consulter notre site Web, que nous maintenons actif à l'adresse www.wpp-clbc.ca; il présente des comptes rendus de toutes nos séances de dialogue, les rapports des deux groupes de travail, de même que les documents de référence dont M. Sangster a parlé.
Dans les provinces de l'Atlantique, où nous avons commencé, le groupe de travail se composait de quatre dirigeants d'entreprises et de quatre dirigeants syndicaux. Ils ont décidé d'étudier la question du vieillissement dans le contexte des pénuries de compétences dans trois domaines de priorité : la main-d'œuvre et les défis liés aux jeunes, aux immigrants, aux personnes sans emploi ou sous-employées, de même qu'aux travailleurs âgés; le développement économique et les défis que présentent la création d'emploi, la productivité et l'innovation; enfin, l'éducation et la formation, c'est-à-dire toute la coordination entre les intervenants, la formation en milieu de travail, l'apprentissage continu et la formation sur les technologies.
Après s'être réuni une première fois et avoir établi ses questions, notre groupe de travail s'est rendu dans quatre villes, soit Halifax, St. John's, Moncton et Charlottetown, pour enclencher ce que nous avons appelé un dialogue délibératif entre les dirigeants d'entreprises, les syndicats, le gouvernement, les groupes communautaires et les organismes d'éducation. Ce dialogue délibératif a été structuré de façon à ce que les gens doivent faire des choix pour remédier aux problèmes dans chacun des trois grands domaines de préoccupation. Aux quatre séances, les participants ont abordé les questions d'un point de vue global et on refusé de les séparer les unes des autres. Quant aux réponses, elles proposaient des solutions multidimensionnelles.
Les enjeux concernant les travailleurs âgés étaient très liés aux enjeux concernant les jeunes travailleurs, de même qu'à un esprit général de cohésion communautaire.
Les participants ont mis l'accent sur des thèmes comme la planification de la relève, le mentorat, le perfectionnement, l'alphabétisation et les moyens d'appuyer les décisions des travailleurs âgés. Ils ont souligné l'importance de tirer profit de l'expérience et des compétences des travailleurs âgés pour encadrer et former les jeunes travailleurs afin d'assurer le transfert de la mémoire d'entreprise le plus efficacement possible. Beaucoup de personnes nous ont parlé de la difficulté qu'elles avaient à trouver quelqu'un à qui laisser leur petite entreprise, ce qui mène à la fermeture de beaucoup d'entreprises ou à leur vente à des personnes de l'extérieur lorsque le propriétaire prend sa retraite.
Les participants nous ont dit que si les travailleurs âgés restaient plus longtemps dans la population active, il faudrait nous adapter à leurs besoins. Ils ont proposé qu'on utilise l'AE pour aider les travailleurs âgés à rester pour encadrer les jeunes travailleurs, qu'on se dote d'un plan de relève rigoureux et qu'on examine le rôle du RPC et la disponibilité des pensions, un facteur qui pourrait peut-être inciter les travailleurs âgés à quitter le marché du travail plus tôt qu'ils ne le souhaiteraient, de même que les problèmes financiers que vivent les travailleurs devant subvenir à leurs besoins un mois sans salaire avant de toucher leurs prestations du RPC. D'autres participants ont parlé de la nécessité d'accommoder les personnes qui souhaitaient travailler, par exemple en raccourcissant leurs heures de travail, en leur offrant un horaire flexible et en réduisant leur part de travail par quart et de tâches physiquement exigeantes. Ils ont également parlé des raisons pour lesquelles les travailleurs âgés choisissaient parfois de continuer de travailler après l'âge officiel de la retraite.
Par exemple, pour les travailleurs âgés dont l'entreprise n'a pas été rentable ou ne leur permet pas de subvenir à leurs besoins pendant leur retraite, le travail est nécessaire. D'autres souhaitent travailler parce qu'ils apprécient le sentiment d'accomplissement que le travail leur donne. Surtout dans l'Est du Canada, les personnes âgées travaillent plus longtemps parce qu'il n'y a pas de jeunes pour prendre la relève.
On nous a également dit que les travailleurs âgés ne formaient pas un groupe homogène. Les défis auxquels sont confrontés les travailleurs âgés qui approchent de l'âge de la retraite sont très différents de ceux des travailleurs d'âge moyen qui entrent dans la dernière phase de leur carrière. Les travailleurs d'âge moyen sont souvent ceux qui ont le plus besoin de perfectionnement et de recyclage professionnel pour rester à jour dans leur environnement de travail, qui évolue. Ces travailleurs âgés sont souvent laissés pour compte dans la frénésie du changement et sont ceux qui doivent perfectionner leurs compétences pour se mettre à la page des nouvelles technologies ou se recycler pour se repositionner dans les secteurs économiques émergents au fur et à mesure que les anciens secteurs s'effondrent.
Il y a une préoccupation qui a été mentionnée surtout à Terre-Neuve-et-Labrador, mais dont nous avons aussi entendu parler dans d'autres provinces. Dans quelques années, il n'y aura que 19 000 personnes de moins de 30 ans. Cela signifie que les travailleurs âgés et les autres ont besoin d'aide pour être le plus efficace possible dans l'économie d'aujourd'hui. C'est important, parce que les employeurs ont besoin de travailleurs maintenant et que les jeunes ne seront pas prêts tout de suite.
De plus, on perçoit beaucoup la nécessité de contenir la vague d'exil comme un enjeu économique. Il faudrait offrir non seulement des salaires décents, mais également des emplois et des milieux de travail de qualité.
Nous avons ensuite terminé notre travail en Saskatchewan. Nous avons bénéficié des conseils de neuf dirigeants patronaux et syndicaux de haut niveau, ainsi que de deux autres dirigeants patronaux. Nous avons pris les mêmes sujets. Quelles sont les compétences nécessaires dans le contexte du vieillissement de la main-d'œuvre? Ils ont décidé d'axer la conversation sur la création de véritables débouchés économiques, l'éducation et la formation continue, ainsi que la contribution des collectivités des Premières nations et des Métis à l'économie et au succès social de la Saskatchewan.
Nous avons tenu deux séances de dialogue. L'information régionale est toujours palpitante dans ce pays. Ici, nous avons constaté qu'on abordait la question sous un tout autre angle : on met l'accent moins sur les travailleurs âgés et davantage sur la façon de faire participer les jeunes, ainsi que les populations métisses et des Premières nations. Dans cette province, il y a de grandes cohortes disponibles pour intégrer les milieux de travail quand les travailleurs âgés partent. La difficulté est de veiller à ce que ces personnes aient les compétences nécessaires et à ce que les milieux de travail et les collectivités soient prêts à accepter des travailleurs qui ont une apparence et des comportements différents.
La discussion en Saskatchewan s'est articulée autour d'une vision pour la province. Beaucoup de personnes voyaient là l'occasion d'avancer pour accepter un modèle d'économie axé sur le savoir et se distancer de ce que les participants appelaient la mythologie de la Saskatchewan rurale. En fait, certains disaient que ce ne serait que quand la vieille génération accepterait cette nouvelle façon de voir qu'on pourrait faire participer les jeunes et les membres des Premières nations et des collectivités métisses de la Saskatchewan de façon plus productive et mieux comprendre ce qu'ils veulent.
Nos groupes de travail ont parlé à plus de 200 personnes. Nous avons reçu deux messages prédominants des cinq provinces. Sans exception, tous les participants ont choisi l'amélioration de la coordination entre les entreprises, les syndicats, le gouvernement et le milieu de l'éducation comme première mesure pour tenter de régler nos problèmes de compétences. De plus, sans exception, ils ont tous choisi l'option « d'inciter les travailleurs âgés à continuer de travailler plusieurs années de plus » comme la dernière priorité parmi les mesures à prendre pour composer avec le vieillissement de la main-d'œuvre.
Je pense que nous laissons un solide héritage d'engagement envers la recherche dans ce domaine. Nous avons produit de nombreux manuels, dont un pour le Manitoba, que malheureusement, nous devions lancer en même temps que le groupe de travail.
À toutes les étapes, nous avons tenté de faire en sorte que cette initiative se distingue par le leadership du patronat et des syndicats. C'était la raison d'être des PMT, ils visaient à offrir une tribune aux acteurs du marché du travail pour discuter de leurs besoins et de solutions potentielles. Nous espérons que l'héritage des PMT, ainsi que les renseignements que nous avons pu vous donner aujourd'hui, montrent la contribution des PMT à cette importante discussion politique.
Monica Townson, expert-conseil en économie, à titre personnel : On m'a demandé de concentrer mes observations d'aujourd'hui sur la souplesse quant à la retraite. Dans ce contexte, la souplesse peut avoir l'air d'être une bonne idée, mais c'est en fait une idée qui peut avoir une signification bien sinistre dans les discussions actuelles sur les options de retraite pour la population vieillissante. Je vais vous expliquer sous peu ce que j'entends par là.
Je vais fonder mes observations de cet après-midi sur mon récent ouvrage, que le sénateur Carstairs a mentionné, Growing Older, Working Longer : The New Face of Retirement. J'en ai laissé un exemplaire au greffier au cas où quiconque voudrait approfondir cette question. Cet ouvrage a été publié l'automne dernier, et dans une certaine mesure, le titre indique comment la souplesse peut être interprétée dans le contexte de la retraite aujourd'hui. Ce livre met aussi l'accent sur la politique publique en matière de retraite, qui fait également l'objet de votre travail ici.
Comme je n'ai que sept minutes pour m'exprimer, je ne pourrai pas aborder toutes les questions soulevées dans mon livre, mais c'est avec grand plaisir que j'essaierai de répondre à vos questions à ce sujet. Il y a par exemple l'abolition d'un âge obligatoire de retraite; le transfert de responsabilité des allocations en cas de retraite vers les personnes; la possibilité de hausser l'âge d'admissibilité aux pensions publiques; la nécessité d'accommoder les travailleurs âgés et les enjeux propres aux femmes âgées.
Jusqu'à récemment, beaucoup de Canadiens voulaient prendre leur retraite le plus tôt possible, et on les a persuadés de viser Liberté 55 pour ne plus avoir à gagner leur vie après 55 ans, et si l'on se fie aux images qu'on voit à la télévision, ils pourraient alors se prélasser sur une plage des Caraïbes le reste de leur vie.
Pour la plupart des gens, cette option n'existe plus, et elle n'a jamais existé pour un bon nombre. La volatilité des marchés boursiers et les faibles taux d'intérêt ont fait en sorte que les régimes de retraite privés sont devenus déficitaires et ils ont affaibli la valeur des économies de retraite des individus. La majorité des travailleurs n'ont plus de régime de retraite en milieu de travail. Un grand nombre de personnes ne savent plus avec certitude à quel moment elles pourront cesser de travailler, ou même si elles pourront le faire. Ceux qui ont pris leur retraite à un âge précoce sont nombreux à retourner travailler maintenant, certains pour des raisons financières, d'autres parce qu'ils préfèrent rester actifs.
L'espérance de vie plus longue a contribué à cette tendance. Après tout, si vous prenez votre retraite à 55 ans, vous avez peut-être encore 30 années à vivre, soit le tiers de votre vie devant vous.
On constate que les travailleurs plus âgés passent d'un emploi à temps plein à un emploi à temps partiel, qu'ils continuent de travailler pour le même employeur, mais comme travailleur autonome plutôt qu'à titre d'employé, ou qu'ils démarrent une entreprise après avoir occupé longtemps le même emploi. En fait, il nous faut probablement un nouveau mot pour décrire ce qui se produit lorsque les travailleurs vieillissent, parce que la retraite est devenue un processus; ce n'est plus un moment fixe dans le temps où le travail cesse et les loisirs commencent.
Partout dans le monde, les gouvernements essaient maintenant de persuader les gens de retarder leur départ à la retraite et de continuer de travailler pour alléger la pression exercée sur les régimes de pension à mesure que l'imposante génération de baby-boomers se prépare à la retraite. Les prédictions catastrophiques sont choses courantes. Je sais que vous en parlez dans le rapport que vous avez déjà publié.
Certains disent que le Canada n'aura pas les moyens de s'occuper de sa population vieillissante et que la solution est de faire porter le fardeau aux personnes âgées elles-mêmes, de sorte qu'elles seront appelées à travailler plus longtemps et à se débrouiller seules. C'est ce que j'ai appelé le nouveau visage de la retraite.
En fait, certains signes montrent déjà que c'est ce qui se produit; les employeurs n'offrent plus de régime de retraite à prestations déterminées, où la pension, calculée en fonction de la rémunération et des années de service, est garantie. Ces régimes sont remplacés par des régimes à cotisations déterminées et des REER collectifs, dans lesquels le revenu de retraite dépend du rendement de l'investissement et où aucune pension particulière n'est promise.
Toutefois, ce n'est pas seulement le coût des pensions qui incite à élaborer de nouvelles politiques. Un certain nombre de témoins vous ont déjà dit que les travailleurs qui produisent les biens et les services dont l'économie a besoin sont essentiels à la croissance et la prospérité économiques On s'inquiète de plus en plus qu'au moment où la génération des baby-boomers prendra sa retraite, il y aura moins de travailleurs pour soutenir la croissance de l'économie et pour produire les biens et services dont tous les Canadiens ont besoin.
Des organismes internationaux comme l'OCDE, l'Organisation de coopération et de développement économiques, exercent maintenant de fortes pressions sur le Canada pour qu'il mette fin aux incitatifs à la retraite hâtive, qu'il abolisse la retraite obligatoire et qu'il prenne d'autres mesures pour persuader les gens de continuer à travailler afin que l'âge moyen de la retraite puisse augmenter.
En fait, le gouvernement du Canada semble être à l'écoute. Dans le budget présenté la semaine dernière, vous avez peut-être remarqué certaines propositions visant à permettre aux particuliers de prendre une retraite progressive en réduisant leur nombre d'heures de travail et en commençant à réclamer une partie de leur fond de pension privé tout en continuant de contribuer au régime de retraite. Cela n'est pas possible dans le cadre des règles actuelles, parce que la Loi de l'impôt sur le revenu l'interdit.
On a également proposé dans le budget de faire passer de 69 à 71 ans l'âge auquel les REER et les régimes de pension doivent être convertis en source de revenus. On dit que ces changements de politique visent à donner aux personnes âgées plus de choix et une plus grande souplesse dans la planification de leurs vieux jours. Toutefois, à de nombreux égards, je crois qu'on cherche davantage à dorer la pilule. Ne nous leurrons pas : l'objectif de tout ceci est de faire en sorte que les gens travaillent plus longtemps.
Il faut aussi être conscient du risque que cette approche devienne coercitive, qu'elle oblige les gens à continuer de travailler, qu'ils le veulent ou non. Chose intéressante, j'ai vu une annonce dans le numéro courant du New Yorker disant qu'il y a une grande différence entre le fait ne pas vouloir prendre sa retraite et le fait ne pas être en mesure de le faire.
Le sénateur Mercer : Merci de votre présence aujourd'hui. Le fait qu'on a réduit le financement du Centre syndical et patronal du Canada a retenu mon attention. Il me semble que nous étions dans une situation précaire et qu'on a sabré encore davantage. Nous commencions à peine à récolter des fruits. Je ne comprends pas et je vais laisser le soin à d'autres de m'expliquer cela.
J'aimerais revenir à votre quatrième conclusion. Si nous devions avoir des incitatifs volontaires pour prolonger les carrières, devrions-nous, entre autres, permettre aux gens de demander des prestations du RPC plus tôt, pendant qu'ils travaillent encore?
Or, si vous demandez des prestations du RPC, vous ne devez avoir aucun revenu ou très peu. Vous avez tous les deux parlé des travailleurs qui passent d'un emploi à temps plein à un emploi à temps partiel. Êtes-vous en train de dire que nous devons permettre aux Canadiens de travailler à temps partiel pour conserver un pourcentage de leur revenu antérieur, tout en complétant ce revenu avec des prestations du RPC qu'ils ont demandées dès l'âge de 60 ans?
M. Sangster : Cette question visait essentiellement à établir une distinction entre les approches dites volontaires et les approches obligatoires. Nous n'avons proposé aucune mesure volontaire particulière. Alors je ne peux pas dire que nous étions en faveur d'un incitatif quelconque, mais que nous nous penchions plutôt sur le principe même des mesures volontaires par rapport aux mesures obligatoires, pour que la nature de la mesure soit claire, de même que la réponse suscitée.
Le sénateur Mercer : Ce groupe était composé de représentants patronaux et syndicaux?
M. Sangster : C'est exact.
Le sénateur Mercer : Vous avez dit que le fait d'encourager les travailleurs plus âgés à continuer de travailler pendant plusieurs autres années était l'option la moins privilégiée pour régler le problème du vieillissement de la main- d'œuvre. Serait-ce à cause de l'influence des syndicats qui se sont battus pendant des décennies pour obtenir de bons régimes de retraite et de bons avantages sociaux pour leurs membres?
Mme Hayes : Chose surprenante, non. Dans l'enquête Points de Vue, lorsque nous avons interrogé des dirigeants d'entreprises, des chefs syndicaux et des gestionnaires de la fonction publique, c'était une faible priorité. Le travail dont j'ai parlé était la série de six débats tenus avec environ 200 personnes. Nous avons pris soin de faire en sorte qu'il y ait un équilibre entre les entreprises, les syndicats, le milieu de l'éducation, les gouvernements et les organismes communautaires. Nous avons constaté, et c'était absolument remarquable, que personne dans aucun de ces secteurs n'avait choisi cette option. Tous estimaient qu'il y avait d'autres façons de régler les problèmes de pénurie de main- d'œuvre occasionnés par les départs rapides à la retraite. Cette solution était la moins désirable, la moins intéressante.
Le sénateur Mercer : Je suis content d'avoir posé la question. Il est important d'avoir votre réponse dans le compte rendu, parce que les gens auraient automatiquement cru à tort que le mouvement syndicat était derrière cela.
Mme Hayes : Pas cette fois-ci.
Le sénateur Mercer : Pour autre chose, j'en suis sûr.
Sans exception, tous les participants ont dit qu'il fallait privilégier avant tout une meilleure coordination entre les entreprises, les syndicats, les gouvernements et les éducateurs. Voilà une expression bien générale. Vous pouvez coordonner de nombreuses choses. Pourriez-vous nous donner un peu plus de précisions?
Mme Hayes : Oui. Ceci est apparu dans toutes nos discussions, mais plus particulièrement à Terre-Neuve-et- Labrador et en Saskatchewan, où des organismes du marché du travail regroupent entreprises, syndicats et autres intervenants du marché du travail, le gouvernement et les éducateurs. On était vraiment convaincu que, si les gouvernements ne peuvent pas prendre ce genre de décision, en particulier en ce qui a trait à l'économie, il fallait mettre sur pied un forum où les gens pouvaient se regrouper et travailler en collaboration. Lorsque ces structures existaient dans une province, on souhaitait les renforcer, comme avec l'initiative de partenariat stratégique que l'on trouve à Terre-Neuve-et-Labrador et ce qui est maintenant le successeur de la Saskatchewan Labour Force Development Board. Dans les provinces où il n'existait aucun mécanisme de partenariat sur le marché du travail, des revendications étaient faites dans ce sens. En fait, au Nouveau-Brunswick, tous les intervenants réclamaient en priorité la création du poste de ministre du Travail, puisque les représentants patronaux comme syndicaux jugeaient qu'il n'y avait aucun endroit au sein du gouvernement provincial ni aucune tribune publique pour tenir ce type de débat.
On en est venu à la conclusion qu'il fallait un endroit où ces problèmes pouvaient être soulevés et abordés de façon systématique. La chose est clairement ressortie durant nos réunions lorsque le président d'un collège communautaire a parlé des problèmes de recrutement dans certaines formations techniques, et les gens d'affaires ont dit qu'ils ignoraient totalement la situation et qu'ils auraient pu combler les lacunes. On avait l'impression que, de part et d'autre, on ne connaissait pas tous les besoins. S'ils avaient su, on peut présumer qu'ils auraient été en mesure de travailler davantage en collaboration.
Le sénateur Mercer : Enfin, concernant les écarts entre le milieu urbain et le milieu rural, madame Townson, vous avez parlé des problèmes particuliers des femmes âgées. Je me demande si vous avez observé, dans le cadre de vos travaux, des différences entre les milieux urbain et rural. Les travailleurs sont-ils prêts à travailler plus longtemps en milieu rural ou urbain ou travaillent-ils plus longtemps en raison de leurs difficultés économiques?
Mme Hayes : Je n'ai que des impressions, d'après les séances qu'on a tenues. Nous avons remarqué une grande différence dans les questions soulevées par les gens des milieux ruraux par rapport aux gens des milieux urbains, mais pas nécessairement au sujet de la retraite. Cela est, bien sûr, lié au fait qu'on n'avait pas un très grand bassin. On a parlé de la planification de la succession. Les propriétaires de petites entreprises nous ont dit qu'ils ne pouvaient pas vendre l'hôtel, et c'est ce qui constitue leur fonds de retraite, leur pension. Ils ne peuvent pas vendre l'entreprise à quiconque, alors ils doivent continuer de travailler. Malheureusement, les travaux que j'ai effectués relèvent davantage des impressions.
Mme Townson : Je n'ai pas étudié cette question en particulier, mais en vous écoutant poser la question à M. Stone, il m'est apparu que, dans l'ensemble, les statistiques montrent que les travailleurs autonomes sont ceux dont l'âge médian de la retraite est le plus élevé. Voilà peut-être une explication de ce que vous décrivez, puisque vous avez parlé des agriculteurs et des propriétaires de petites entreprises en milieu rural. On peut présumer que ce sont des travailleurs autonomes, et les chiffres montrent qu'ils prennent leur retraite plus tardivement que les gens qui sont des employés.
Le sénateur Mercer : Vous avez fait un commentaire au sujet des gens d'affaires qui vendent leur petite entreprise, qui constitue leur régime de pension. Cette situation est amplifiée en agriculture et dans le secteur des pêches; il faut vendre la ferme aux enfants ou à quelqu'un d'autre, vendre le bateau et le permis de pêche, ce qui est plus important dans certains secteurs. C'est là le fonds de retraite.
Le sénateur Keon : Madame Townson, je vais commencer avec vous et parler de souplesse en matière de retraite. Quelques-uns des scientifiques biologiques les plus courageux prévoient maintenant qu'un enfant en santé qui nait d'une mère en santé aujourd'hui a d'excellentes chances de vivre jusqu'à 150 ans. Je n'ai entendu personne dire à quel moment il devrait prendre sa retraite ou quand la pension devrait débuter, mais il n'y a pas de doute que cette longévité accrue que nous observons pourrait augmenter considérablement au cours de la prochaine génération.
Pour revenir à la réalité d'aujourd'hui ou à une approche plus pragmatique, dans votre livre — que je n'ai pas encore eu la chance de lire, mais je le ferai — faites-vous des hypothèses sur la façon dont tout le processus d'emploi, de pension et de retraite peut s'articuler autour de cette longévité accrue?
Mme Townson : Je n'en parle pas de la façon dont vous décrivez, mais je parle du fait que l'espérance de vie augmente. La façon la plus réaliste de voir les choses quand on discute de retraite, c'est de se demander quelle est l'espérance de vie à 65 ans, soit l'âge de retraite traditionnel. Cette espérance a certainement augmenté. À 65 ans, une femme a une espérance de vie d'environ 20 ans, et un homme, d'environ 16 ou 17 ans, en moyenne.
Vous pouvez aussi examiner les raisons pour lesquelles les gens prennent leur retraite, ce qui est révélateur. J'ai ici des données extraites de l'Enquête sociale générale de Statistique Canada. On donne les raisons de la retraite. Cette question a été posée à des personnes de 55 ans ou plus qui se sont déjà décrites comme étant à la retraite. Parmi ces personnes, seulement 10 p. 100 avaient pris leur retraite parce qu'elles y étaient obligées. Toutefois, 22,8 p. 100 ont pris leur retraite en raison de problèmes de santé personnels et 23,7 p. 100, à cause de responsabilités personnelles ou familiales. Ce sont des chiffres révélateurs, parce qu'ils impliquent que bien des gens croient que, s'ils n'ont pas économisé suffisamment pour prendre leur retraite à 65 ans, ils pourront continuer à travailler jusqu'à ce qu'ils aient assez d'argent. Ils n'ont peut-être pas tenu compte du fait que leur propre santé ou leurs responsabilités familiales pourraient les empêcher de continuer de travailler.
Bien que l'espérance de vie à la naissance augmente, d'autres facteurs peuvent intervenir. À titre de médecin, monsieur Keon, vous êtes sans doute au courant de la progression de certaines maladies, que ce soit le diabète ou l'hypertension. Elles peuvent intervenir de la naissance jusqu'à 65 ans et empêcher une personne de continuer à travailler même si elle le souhaite. Ces questions doivent être prises en considération.
Les femmes ont moins de latitude pour choisir le moment de leur retraite, parce qu'on s'attend à ce qu'elles agissent comme aidants naturels. Il apparaît de plus en plus que les femmes plus âgées peuvent être forcées à prendre leur retraite parce qu'elles prennent soin d'autres membres de la famille qui sont âgés et fragiles ou des membres de leur famille qui sont invalides. Leur capacité de choisir le moment de leur retraite peut être limitée, ce qui a un effet sur leur revenu de retraite et leur sécurité financière. C'est probablement l'une des raisons pour lesquelles les femmes âgées qui sont seules sont beaucoup plus nombreuses que les hommes âgés à avoir un faible revenu.
Le sénateur Keon : Monsieur Sangster et madame Hayes, n'hésitez pas à faire des commentaires si vous le souhaitez.
Vous parliez de ce phénomène et des priorités des gestionnaires dans le système, et je sais par expérience que les cadres intermédiaires subissent d'énormes pressions pour retirer ces personnes plus vieilles du marché du travail. Premièrement, ils peuvent embaucher deux jeunes employés pour le prix d'un plus vieux. Deuxièmement, ils peuvent utiliser à profit les systèmes de pension pour accélérer un peu les départs à la retraite. Troisièmement, ils peuvent embaucher de jeunes génies de l'informatique qui ont des compétences que l'on ne retrouve pas chez les employés plus âgés.
Il me semble que nous devons adopter une toute nouvelle approche si nous voulons régler ce problème. Par exemple, l'industrie, le gouvernement et tous les autres devraient séparer les fonds destinés aux employés âgés de leur budget moyen. Autrement dit, ne mettez même pas une ligne dans le budget pour les employés âgés. Créez un fonds distinct, peu importe l'entreprise, pour garder les employés plus âgés parmi les effectifs, les rembaucher, ou peu importe. Laissez aux cadres intermédiaires la souplesse qu'ils ont appris à utiliser, pour qu'ils puissent aller de l'avant et faire toutes ces choses sans avoir à pousser gentiment les employés plus âgés à l'extérieur de l'entreprise. Pouvez-vous faire des commentaires sur cette suggestion?
M. Sangster : Il faudrait regarder les chiffres. Lorsque vous dites que des employeurs peuvent pousser gentiment un travailleur plus âgé à l'extérieur de l'entreprise, un employé qui serait plus coûteux et qui pourrait être remplacé par deux jeunes zélés qui coûteraient moins cher, on présume que les jeunes zélés en question sont en fait disponibles. Or, le nombre de jeunes diplômés qui pourraient entrer dans ce scénario pose problème — pas nécessairement maintenant, mais à un moment donné. Je ne réfute pas la suggestion. Je dis simplement qu'elle repose sur cette hypothèse.
Le sondage dont nous avons parlé a fait ressortir clairement que les employeurs qui y ont participé ne semblaient pas avoir beaucoup réfléchi à une réponse quelconque. Ils semblaient penser « Laissons les choses arriver et nous allons réagir en temps et lieu ». Cette réaction peut s'expliquer de bien des façons. Comme vous le dites, les gestionnaires ont beaucoup de pain sur la planche. Il se peut bien que les propriétaires de petites et moyennes entreprises cherchent simplement des façons de payer leurs employés au cours du prochain trimestre et se soucient peu de la composition à long terme de leur entreprise. Il y a de nombreuses bonnes raisons à cela.
Nous voulions simplement faire valoir que, pour une raison ou pour une autre, on n'a pas déployé des trésors d'imagination dans la recherche de solutions à ce problème particulier. Nous ne voulons pas nécessairement critiquer les différentes approches proposées, mais seulement souligner qu'il y aurait lieu de s'intéresser davantage à cette question.
Mme Hayes : Pour compléter cette réponse, je me contenterai de revenir sur les commentaires que nous avons entendus dans les provinces de l'Atlantique, et surtout à Terre-Neuve-et-Labrador où, avant toute autre province ou tout autre état de l'Amérique du Nord, on a enregistré un taux de croissance négatif. On nous a dit qu'on ne trouvait tout simplement pas de jeunes pour prendre la relève. C'est une situation tout à fait invraisemblable; même lorsque l'on veut embaucher des jeunes, on n'arrive pas à en trouver. La pénurie de main-d'œuvre a atteint un niveau alarmant.
Nous avons également jugé fort intéressantes les données en provenance de la Saskatchewan. Un grand nombre de jeunes sont disponibles, mais ils viennent pour la plupart des Premières nations et n'ont pas eu la chance d'acquérir les compétences requises. Si nous avions posé les mêmes questions en Ontario, nous aurions sans doute eu droit davantage à des scénarios où le bassin de jeunes travailleurs est plus intéressant. D'après ce que nous avons entendu, la manœuvre que vous avez décrite ne semble pas réalisable.
Le sénateur Murray : J'ai une question pour M. Sangster et Mme Hayes. Votre projet a pris fin lorsque le financement fédéral a été interrompu. En fait, le Centre syndical et patronal du Canada a tout simplement fermé ses portes. Je suppose donc que vous considérez ce projet dans une certaine mesure comme une œuvre inachevée.
Si l'on fait exception des travaux du groupe régional du Manitoba auquel on a dû renoncer, où ce projet devait-il vous amener? Comment conceviez-vous son déploiement au fil des ans? La question est importante car cela peut nous indiquer dans quels secteurs il convient de faire davantage de recherche et, le cas échéant, de recueillir une plus grande quantité de données concrètes.
Mme Hayes : Le Centre syndical et patronal du Canada était une organisation bipartite, c'est-à-dire que 50 p. 100 des membres votants de notre conseil d'administration représentaient les entreprises et 50 p. 100 représentaient les travailleurs. Nous comptions des représentants de toutes les provinces, y compris le Québec, du gouvernement fédéral ainsi que des universités et des collèges. C'était le portrait à l'échelle nationale.
Le sénateur Murray : Y avait-il un lien ou une filiation avec le Centre canadien du marché du travail et de la productivité?
Mme Hayes : Oui. Nous avons changé de nom aux environs de 1995. C'est la même organisation. Cette tribune était offerte dans le cadre du projet en question et, comme ce fut le cas pour nos autres sources de financement au fil des ans, on a fini par épuiser les fonds de dotation fournis au départ par le gouvernement fédéral. L'initiative Partenaires du milieu de travail devait s'étendre sur une période de quatre ans.
Notre conseil d'administration formait ce que nous appelions le groupe national Partenaires du milieu de travail. Nous avons eu l'idée d'un livre dont les différents chapitres feraient l'objet de discussions dans les diverses régions du pays. Plutôt que de mandater un grand groupe de travail national pour faire une tournée du pays afin de discuter avec les citoyens, nous avons convenu de diviser le tout en chapitres. Nous avons considéré que chacune des régions du pays pouvait nous fournir sa propre version des faits, autour d'un même sujet.
En juin dernier au Manitoba, nous avons présenté au conseil national les conclusions des groupes qui avaient déjà terminé leurs travaux et amorcé une discussion quant aux recommandations à formuler. Pour chaque groupe de travail, nous avons commandé ce que nous avons appelé un guide de diagnostic. Nous en avons produit un pour chacune des provinces. Nous avons rencontré les représentants des provinces que nous n'avions pas visitées, de manière à déterminer comment il serait possible de mieux témoigner de leur point de vue.
Par exemple, nous avons adopté la perceptive du gouvernement provincial manitobain, qui y voyait un outil précieux pour la négociation ou la mise en œuvre de leurs ententes de partenariat sur le marché de travail qui entraient encore en jeu à l'époque. Nous pensions pouvoir mieux répondre aux besoins locaux en tenant sur un registre différent un dialogue patronal-syndical portant sur un sujet bien précis, à savoir le vieillissement de la population active et les mesures à prendre pour répondre aux besoins en compétence. Nous avons toujours pensé pouvoir ainsi compter, au bout d'environ un an ou deux, voire de deux années et demie, sur ce livre géant qui traiterait d'un même sujet à partir de différents points de vue.
Nous avions bon espoir de pouvoir présenter annuellement au ministre de Ressources humaines et Développement social Canada un rapport résumant nos conclusions, et de mettre ce rapport à la disposition de tous les intéressés. Nous considérions qu'il s'agissait d'un projet continu.
Le sénateur Murray : Savez-vous si le travail que vous comptiez effectuer au cours des prochaines années est maintenant repris par une autre organisation du secteur public ou privé?
Mme Hayes : Non, nous ne connaissons pas d'autres organisations bipartites réunissant entreprises et travailleurs.
Le sénateur Murray : Lorsque votre financement a été interrompu par le gouvernement — et je présume que l'on savait alors qu'en cessant de financer le projet, on mettait également un terme aux activités du centre lui-même — vous a-t-on expliqué les raisons pour lesquelles on ne jugeait plus nécessaire de financer le centre ou le projet, ou était-ce une décision uniquement dictée par des considérations économiques?
Mme Hayes : On ne nous a jamais informés officiellement des motifs de cette décision. Nous avons pris connaissance d'articles et de citations, mais nous n'avons jamais reçu de lettre du gouvernement. Cela faisait simplement partie de l'examen des dépenses.
Le sénateur Cook : Comme je suis Terre-Neuvien, vous pouvez certes vous imaginer à quel point vos propos me préoccupent. Je vais probablement louvoyer un peu, car j'essaye de trouver une solution au problème.
Je veux parler des soins de santé. Selon vos chiffres, ma province compte actuellement 550 000 habitants. Si j'enlève les 19 000 personnes de moins de 30 ans, cela donne une population de 531 000. Les incitatifs pour demeurer actif sur le marché du travail une fois atteint le jalon-miracle de Liberté 55 doivent être bien ancrés, c'est-à-dire qu'ils ne doivent pas apparaître soudainement à l'âge de 50 ans, mais être présents tout au long de la vie active. Si un travailleur du secteur de la santé ayant obtenu son diplôme il y a 30 ou 35 ans est prêt à prendre une retraite anticipée, cette décision touche, seulement dans ma province, l'utilisation des rayons-X, des ultrasons, d'un ou deux tomodensitomètres et de l'IRM, dans le secteur de l'imagerie diagnostique. En l'absence d'un mécanisme actif tout au long du continuum pour inciter le travailleur plus âgé à se tenir au fait des nouvelles technologies, nous n'obtiendrons pas les résultats escomptés. Une personne sera davantage portée à vouloir continuer à travailler si elle croit posséder tous les outils nécessaires.
Si vous vous rendez aujourd'hui dans une unité de soins coronariens ou intensifs, vous entendrez le pas feutré de ces professionnels et les machines silencieuses dont ils ont la responsabilité. Si le système comporte une lacune, je pense qu'il faudrait probablement se tourner vers la formation continue — dans un collège communautaire ou ailleurs — pour offrir ce genre de service ou toute autre mesure susceptible de faire le bonheur de ces personnes de telle sorte qu'elles demeurent actives sur le marché du travail. Dans tout le pays, on est aux prises avec une pénurie de travailleurs de la santé. À l'heure actuelle, la pénurie est telle que certains travailleurs de 55 ans qui ont pris leur retraite l'an dernier reprennent du service sur une base occasionnelle à raison de quatre heures par semaine, sans bénéficier d'avantages sociaux.
La situation est complexe à ce point qu'il est impossible de mettre le doigt sur un problème en disant que l'on va apporter les correctifs nécessaires. J'aimerais connaître votre point de vue à ce sujet.
Mme Hayes : Vous avez tout à fait raison. C'est exactement ce que nous ont dit les gens de notre province et d'ailleurs également. Il n'existe certes pas de mécanisme uniforme permettant de faire en sorte que les travailleurs d'âge mûr aient accès aux programmes de perfectionnement et d'alphabétisation dont ils ont besoin pour pouvoir continuer de travailler à bien des endroits, surtout dans les industries primaires comme la pêche, où certaines exigences physiques font en sorte qu'on ne peut pas travailler indéfiniment. Je pense que c'est dans cette optique que certaines des considérations touchant la coordination ont été prises en compte.
À l'heure actuelle, le perfectionnement et la formation professionnelle relèvent plus souvent qu'autrement d'une démarche individuelle, plutôt que d'une solution mise en œuvre par la collectivité. Nous ne pouvons pas compter sur des plans indiquant que nous avons besoin d'un nombre X de travailleurs de tel type et qu'il nous faut offrir des incitatifs en conséquence. Certains nous ont parlé de la nécessité d'accroître le soutien dans le cadre d'une approche plus cohérente, plutôt que d'attendre que les individus décident un bon matin de se rendre au collège pour perfectionner leurs compétences. Les gens ont convenu qu'il s'agissait d'un processus très complexe et que tout changement apporté peut avoir des répercussions importantes en aval.
Le sénateur Cook : Les gouvernements se doivent d'offrir cette possibilité.
Mme Hayes : Certains intervenants nous ont indiqué que cela devait se faire en collaboration, c'est-à-dire pas uniquement par le gouvernement, mais en partenariat avec les gens en milieu de travail qui sont témoins de cette situation au quotidien.
Mme Townson : Le phénomène que vous décrivez s'inscrit dans une tendance plutôt inquiétante. Comme vous le savez, de nombreux postes d'infirmiers et infirmières ont été convertis en emplois à temps partiel où l'on travaille sur appel, sans aucune sécurité et sans nécessairement avoir droit à des avantages sociaux. Les infirmières et infirmiers sont maintenant assimilés à ce qu'on appelle les travailleurs non conventionnels ou occasionnels. Quarante pour cent des emplois occupés par une femme au Canada font maintenant partie de cette catégorie. C'est une tendance fort préoccupante. Les femmes sont beaucoup plus susceptibles que les hommes de se retrouver dans ce genre d'emplois. C'est un grave problème.
Je peux vous donner un exemple où le travail du syndicat a permis d'obtenir une formule de compensation. Ainsi, le Syndicat des infirmières et infirmiers du Nouveau-Brunswick a négocié une entente avec l'Agence du revenu du Canada pour permettre aux infirmiers et infirmières de retirer une partie de leur pension tout en continuant à travailler. Voilà une façon novatrice de permettre aux gens de demeurer au travail en leur offrant un tel incitatif, si c'est le nom qu'on veut bien donner à une telle mesure. C'est une option que les gouvernements vont considérer de plus en plus. Le budget de la semaine dernière a emprunté cette avenue, en permettant aux gens de commencer à toucher une partie de leurs revenus de pension tout en demeurant au travail, une façon de les encourager à rester actifs sur le marché du travail.
Il faut également considérer que le travail d'infirmière est physiquement exigeant. Il existe des modalités permettant aux personnes occupant de tels emplois de prendre une retraite anticipée sans être privées d'aucun avantage, mais c'est surtout dans les professions à prédominance masculine — contrôleurs aériens, pompiers, policiers, pilotes et ainsi de suite.
Il y a quelques années, j'ai eu à intervenir dans une cause où la Fédération canadienne des syndicats d'infirmières/ infirmiers a demandé à ce que cette profession soit ajoutée à la liste des emplois exigeants, de manière à permettre la retraite anticipée avec tous les avantages; cette requête n'a pas été accueillie. Il serait maintenant intéressant de savoir si la décision serait la même, mais la situation que vous avez décrite s'inscrit dans un phénomène complexe qui concerne le travail des femmes et son traitement au sein de notre économie.
Le sénateur Cook : J'ai entendu le terme « alphabétisation » à deux reprises. Ce terme n'a plus la même signification pour moi, sénateur Keon. Nous venons tout juste de terminer l'étude du Comité des affaires sociales sur l'alphabétisation. J'avais toujours considéré que l'alphabétisation était quelque chose de très fondamental. Je constate que l'on s'éloigne beaucoup de la base lorsqu'il s'agit d'offrir des incitatifs aux travailleurs âgés. L'alphabétisation occupe un rang assez élevé dans le continuum des compétences que doit posséder un travailleur; elle est essentielle si l'on veut aller de l'avant.
Le sénateur Chaput : On a déjà abordé cette question, mais j'aimerais savoir quelles sont les préoccupations particulières qui touchent les femmes âgées. Vous avez dit qu'elles devaient dispenser des soins. Leurs obligations à cet égard font en sorte qu'il leur reste moins de temps à consacrer à un emploi sur le marché du travail.
Nous venons tout juste de parler des infirmières du Nouveau-Brunswick et des moyens qu'elles ont pris pour pouvoir travailler à temps partiel.
Y a-t-il d'autres préoccupations concernant tout particulièrement les femmes âgées que vous auriez abordées dans votre ouvrage et dont vous souhaiteriez nous entretenir aujourd'hui?
Mme Townson : Avec grand plaisir. Mon livre ne porte pas précisément sur la situation des femmes, mais j'ai effectué un certain nombre d'études à ce sujet. Vous pourriez notamment consulter une étude menée pour le compte de Condition féminine Canada quant à la possibilité de faire intervenir les politiques en matière de revenu de retraite pour régler le problème de la pauvreté chez les femmes âgées.
Lorsqu'on pense aux femmes et à la retraite, il y a un certain nombre de facteurs qui entrent en considération. Le premier qui vient à l'esprit est le fait que les femmes vivent plus longtemps que les hommes, ce qui les oblige à s'assurer un revenu de retraite qui durera plus longtemps.
Deuxièmement, la plupart des femmes sont mariées lorsqu'arrive l'âge de la retraite et épousent, dans la majorité des cas, des hommes plus âgés. Par conséquent, elles en viennent éventuellement à devoir se débrouiller toutes seules et vivent une retraite plus longue que celle des hommes parce que les époux choisissent généralement de prendre leur retraite en même temps.
Troisièmement, comme je l'ai déjà indiqué, la plupart des femmes occupent maintenant un emploi rémunéré. Plus de 80 p. 100 des femmes en âge de procréer font partie de la population active rémunérée, ce qui représente une augmentation considérable par rapport aux décennies passées où la plupart d'entre elles demeuraient à la maison pour s'occuper du foyer à temps plein.
Bien que ces femmes fassent partie de la population active, une grande proportion d'entre elles occupent ces emplois non conventionnels auxquels j'ai fait référence. Leur rémunération est plus faible. Elles ont moins l'occasion d'accumuler des économies étant donné que leur revenu est insuffisant. Lorsqu'elles arrivent à l'âge de la retraite et encaissent leurs prestations du Régime de pensions du Canada, lesquelles sont fondées sur le revenu, elles touchent probablement la moitié de ce qu'un homme obtient, même si elles travaillaient à temps plein, étant donné que les hommes gagnent davantage. Il existe des statistiques à ce sujet que je n'ai pas à portée de la main, mais vous pouvez toujours les consulter.
Même lorsqu'une femme travaille à temps plein, soit plus de 30 heures par semaine selon la définition de Statistique Canada, elle accumule moins d'heures qu'un homme — environ cinq heures de moins en moyenne — en raison de ses responsabilités familiales. Il lui est plus difficile de faire des heures supplémentaires et de travailler le soir, notamment. Toutes ces limitations vont éventuellement faire baisser ses revenus de retraite. En ajoutant le fait que sa retraite sera plus longue que celle d'un homme, vous pouvez constater qu'il y a un problème.
Selon moi, c'est un problème auquel il convient de s'attaquer au moyen de mesures ciblées. Il n'est pas rare que des études et des débats sur la retraite négligent cet aspect particulier. On semble présumer que les hommes et les femmes ont les mêmes besoins et les mêmes préoccupations, alors que ce n'est pas du tout le cas.
Le sénateur Chaput : Quelles seraient vos recommandations?
Mme Townson : Comme strict minimum, il serait bon que votre prochain rapport comporte une section traitant précisément des préoccupations que je viens de vous exposer à l'égard des femmes.
Il y a une autre question qui m'inquiète. Je crois que vous avez reçu des témoins qui vous ont parlé de formation permanente et de flexibilité des parcours de vie. La plupart des mesures prises en ce sens s'appuient sur le fait qu'il serait très avantageux de parvenir à inciter certaines personnes de continuer à travailler.
Lorsqu'il est question de travail, on pense toujours à un emploi rémunéré. Les femmes plus âgées qui dispensent des soins font également un travail qui apporte une contribution à la société, mais la valeur de ce travail n'est pas prise en compte parce qu'elles ne sont pas rémunérées pour le faire. Je ne veux pas dire qu'on devrait les rémunérer, mais j'estime que nous devrions réfléchir à cet aspect lorsque nous parlons de la nécessité de maintenir les gens plus longtemps au travail. Qui dispense ces soins non rémunérés et quelles sont les conséquences sur le revenu de retraite? Comment pouvons-nous assurer à ces femmes une meilleure sécurité financière à la retraite? Nous devrions probablement nous pencher sur l'aide combinée provenant de la Sécurité de la vieillesse et du Supplément de revenu garanti afin de déterminer si le soutien provenant de ces programmes est suffisant pour les personnes n'ayant pas d'autres sources de revenu.
Nous pourrions envisager l'ajout d'une clause d'exclusion pour pourvoyeur de soins dans le Régime de pensions du Canada. Il est possible que d'autres témoins vous aient déjà formulé une telle suggestion. Comme vous le savez, les personnes ayant un enfant de moins de sept ans qui renoncent à occuper un emploi rémunéré pour prendre soin de cet enfant peuvent exclure les années en question lorsqu'on établit la moyenne de leur rémunération aux fins du calcul de leur pension. Il n'existe pas de disposition semblable pour les personnes obligées de quitter la population active pour prendre soin d'un aîné de leur famille ou s'occuper d'un proche ayant une incapacité.
J'ai travaillé à la cause d'une femme qui invoquait la Charte des droits pour faire valoir qu'elle devrait bénéficier d'une telle exclusion compte tenu des soins qu'elle dispensait ainsi. Le tribunal a rejeté sa demande en concluant que si une exclusion lui était accordée, les gens qui font du bénévolat chez les scouts en demanderont une également. On ne semblait pas capable de faire la distinction entre les soins à dispenser à un être humain ayant perdu son autonomie et le bénévolat auprès des louveteaux. Les avocats représentant le ministère de la Justice ont fait valoir le même argument au nom du gouvernement. Je trouve cela très inquiétant.
Si j'avais une recommandation à faire, ce serait que vous envisagiez d'ajouter un chapitre à votre rapport final pour traiter de certaines de ces questions et peut-être faire des recommandations sur ce qui pourrait être fait.
La présidente : J'ai plusieurs questions à poser. D'après bon nombre des témoignages que nous avons reçus d'employeurs et d'entreprises, ils semblent penser que la situation actuelle est satisfaisante et qu'il n'est pas nécessaire de faire de changement. Pourtant, ce n'est pas ce qu'on nous dit.
Nous avons entendu à maintes reprises que la retraite obligatoire disparaîtra dans ce pays, qu'un tribunal après l'autre déterminera que c'est de la discrimination fondée sur l'âge et, partant, contraire à la Charte. Si la retraite obligatoire doit disparaître et les travailleurs veulent rester plus longtemps dans la population active — et je ne pense pas qu'il y en aura des tas, peut-être 15 ou 20 p. 100 d'entre eux — quand aussi plusieurs provinces et certaines industries affichent une pénurie de main-d'œuvre, qu'allons-nous faire pour régler ces problèmes particuliers que connaît le pays ?
Mme Hayes : Ce sont de bonnes questions, ne serait-ce que pour parler des raisons qui font que la population n'est pas nécessairement préparée. En faisant notre recherche Viewpoints, en parlant à de véritables gestionnaires — ce n'est pas un modèle informatisé — nous avons constaté que, souvent, il y a déconnexion entre ce que nombre d'entre nous considèrent comme des enjeux de politique et la situation sur le terrain. On peut trouver toutes sortes de statistiques et les comprendre d'une perspective globale, mais pour les gestionnaires qui travaillent au jour le jour, comme le disait le sénateur Keon, ils essaient seulement de gérer et de subsister. Ils n'ont pas les moyens ou la capacité de formuler des plans de relève et de formation.
L'alphabétisme est un problème. La plupart des gestionnaires diront qu'ils n'ont pas de problème d'alphabétisme dans leur milieu de travail, et pourtant les chiffres des enquêtes internationales disent autre chose.
L'immigration est un autre enjeu. Statistiquement parlant, et d'un point de vue de politique, nous savons que l'immigration sera probablement un élément de la réponse aux pénuries de main-d'œuvre. Ce n'est pas dans l'angle de vision des gestionnaires.
À mon avis, il faut trouver un moyen de faire la connexion entre ce que nous pouvons comprendre comme étant de bonnes orientations stratégiques, des orientations saines, qu'elles soient juridiques ou autres et ce que les gestionnaires et les membres des communautés vivent sur le terrain. Ils ne sont pas en position de relier les éléments les uns aux autres et de suivre les orientations établies.
M. Sangster : L'une des questions que nous avons posées dans un sondage Viewpoints concernait les attitudes à l'égard de l'élimination de la retraite obligatoire. Du côté des employeurs, la réponse était nettement plus favorable à l'élimination de la retraite obligatoire soit à environ 60 ou 70 p. 100, que du côté de la main-d'œuvre. Quand il s'agit de la retraite obligatoire, en ce qui concerne nos sondages, l'employeur y est généralement plus favorable à son élimination.
Pour revenir sur ce que disait Mme Hayes, nous avons constaté que les enjeux liés à la retraite ne sont pas la seule chose sur laquelle les employeurs, souvent, n'ont pas la possibilité de suffisamment se concentrer. Je veux parler particulièrement des petites et moyennes entreprises qui doivent penser à la paie de la semaine prochaine. On peut bien parler de formation en milieu de travail et d'enjeux de la santé. Il y a une gamme d'enjeux qu'il est difficile pour le dirigeant d'une petite entreprise de garder au premier plan de ses préoccupations en tout temps. C'est un véritable défi pour les plus petits employeurs — qui sont les plus nombreux au Canada, comparativement aux plus gros employeurs — que d'avoir le temps de s'asseoir, de respirer et de se concentrer sur ce qu'ils doivent faire. S'il y a des suggestions, de l'aide ou un encadrement qui pourraient les aider à régler ce genre de questions, ce serait bien accueilli.
J'ai entendu, plus tôt, quelqu'un parler des cas de pratiques exemplaires, de plus gros employeurs qui, je suppose, montrent l'exemple de la manière de régler ces questions. Ce pourrait être une partie de la solution, pas seulement pour composer avec les travailleurs plus âgés, mais avec divers autres enjeux liés aux ressources humaines aussi. C'est un sérieux défi à relever, particulièrement pour les plus petits employeurs.
Mme Townson : Certains documents que j'ai lus sur la pénurie de main-d'œuvre font planer le doute sur le fait que ce sera un problème aussi grave que veulent le penser bien des gens. D'après eux, il pourrait y avoir de nouvelles technologies et, dans certains secteurs de l'économie, il n'y a pas de problème.
J'ai vu l'exemple de la technologie de l'information, dont la main-d'œuvre tend à être assez jeune. Il n'y aura pas de pénurie de main-d'œuvre, parce qu'il n'y a que peu de travailleurs plus âgés dans ce secteur.
Si nous nous attendons à ce que les gens travaillent plus longtemps, nous devons trouver des moyens de prévenir la discrimination contre les travailleurs plus âgés. J'en parle dans mon livre. Bien des employeurs ont une notion stéréotypée des travailleurs plus âgés, comme de gens qui ne soient pas très productifs et ne peuvent pas s'adapter à la formation, etc. Je suis sûre que des mesures pourraient être prises contre ce genre de problème aussi.
Certainement, dans les pays qui ont aboli la retraite obligatoire, on constate qu'il y a des travailleurs qui ne veulent pas continuer de travailler. Je donne dans mon livre l'exemple du Québec, qui a aboli la retraite obligatoire il y a 25 ans et qui affiche l'âge moyen de retraite le plus bas de toute autre province. Je pense que l'âge médian de départ à la retraite au Québec est de 59,8 ans, et cela, sans retraite obligatoire. Il est clair que lorsque la retraite obligatoire est abolie, il y a des gens qui ne veulent pas continuer de travailler. Ce qui pourrait changer, c'est si le régime de pension continue de se détériorer, les gens n'auront pas assez d'argent et seront forcés de continuer de travailler. C'est un autre problème.
La présidente : Ma dernière question s'adresse à Mme Townson. Je suis curieuse de la différence que vous établissez entre le travailleur bénévole et le soignant. Je n'aurais rien contre ce qu'un gouvernement, à un moment donné, propose un crédit d'impôt pour le travail bénévole qui encouragerait les gens dans cette voie, parce que nous savons que de moins en moins de jeunes participent au secteur du bénévolat. Nous savons que les gens plus âgés ont montré l'exemple, et continueront de le faire même après leur départ à la retraite.
Le soignant, par contre, est dans une situation tout à fait différente tant, à mon avis pour les enfants, mais surtout pour le travailleur plus âgé qui prodigue des soins, particulièrement dans des situations où le soignant peut être tout aussi handicapé que la personne dont il s'occupe.
Que pensez-vous du concept de rémunération des proches pour soigner des membres de leur famille? Jusqu'ici, c'était considéré impensable, que si on payait un membre de la famille pour s'occuper de l'un des siens, il y aurait abus du système. Nous avons dit que c'est acceptable de payer des travailleurs de l'extérieur, mais ce n'est pas acceptable de payer des proches pour faire ce travail. Qu'en pensez-vous?
Mme Townson : Cela dépend dans une certaine mesure de la perspective politique de chacun. Dans le passé, nous avons eu des services sociaux qui s'occupaient des personnes plus âgées, avec des établissements de soins de longue durée, etc. De plus en plus, ces soins retombent sur les proches et le soi-disant secteur du bénévolat. De plus en plus, on s'attend à ce que des membres de la famille s'occupent des personnes plus âgées et des personnes handicapées, plutôt que ce soit le rôle de la communauté.
Idéalement, si on a de bons établissements communautaires — et je ne parle pas de soins en institution, mais de systèmes de soutien communautaire — pour les gens qui en ont besoin, les personnes frêles ou âgées, les handicapés, etc., ce serait la solution idéale. Je pense qu'une fois qu'on commence à payer des membres de la famille, on perd petit à petit le sens de la responsabilité collective et on renforce l'idée que c'est la famille qui doit s'occuper des siens.
Un moyen qui a été suggéré pour les gens qui ont des handicaps, c'est que s'il doit y avoir ce genre de paiement, il devrait être versé à la personne qui a besoin des soins, laquelle pourrait décider qui elle veut payer pour lui fournir ses soins. Ceci, bien entendu, part du principe que la personne qui a besoin des soins est en mesure de décider de qui elle veut comme soignant, et de lui verser les fonds. Je n'ai pas de réponse tranchée à fournir à votre question, mais je pense que c'est s'engager sur une pente glissante dans une certaine mesure que de commencer à payer des membres de la famille pour s'occuper de leurs proches.
La présidente : Un fait intéressant, c'est que des expériences ont été faites au Manitoba, particulièrement auprès d'handicapés physiques, dans lesquelles, au lieu de leur fournir des services à domicile, on leur donnait l'argent pour embaucher leurs propres soignants. Des limites, dans ce cas, étaient fixées pour les membres de la famille, mais pas pour les autres. L'expérience a généralement été positive. Ils ont pu trouver des gens qui répondaient mieux à leurs besoins de soins que ne le pouvait le système de soins à domicile, et cela leur a permis de vivre de façon plus indépendante.
Mme Townson : Si vous voulez vous engager sur cette voie, le fait de donner l'argent à la personne qui a besoin des soins renforce l'autonomie de cette personne plutôt que de la considérer comme une personne à charge des membres de la famille. Si on voulait aller dans ce sens, j'y serais plus favorable que de payer un membre de la famille pour fournir les soins.
La présidente : Merci.
Le sénateur Mercer : Ma curiosité politique l'emporte. Monsieur Sangster ou madame Hayes, quel était le budget du CSPC et quel pourcentage venait du gouvernement?
Mme Hayes : Je ne peux pas le dire précisément. Je peux vous dire que Partenaires du milieu de travail a reçu deux millions de dollars par année pour quatre ans, donc huit millions de dollars nous ont été versés. C'était un peu plus de la moitié de notre budget.
Le sénateur Mercer : C'est 50 p. 100 et plus. S'il devait y avoir des élections demain et le gouvernement élu décidait que c'était un bon concept et souhaitait le renouveler, est-ce que ce serait possible?
Mme Hayes : Je suis sûre que tout est possible. Il suffirait de retourner voir les entreprises, les employés, les partenaires et dire « voulez-vous rétablir la connexion? »
Le sénateur Mercer : À votre avis, trouverions-nous des gens qui y seraient réceptifs?
Mme Hayes : Notre conseil d'administration n'a pas choisi de faire cela parce qu'il pensait que ce n'était pas utile. Il était dévoué au concept, et je pense qu'il y aurait d'autres gens qui le seraient.
M. Sangster : Je devrais ajouter, et c'est strictement de la conjecture, bien entendu, qu'il faut beaucoup d'énergie pour rétablir ce genre de choses. Des questions tout à fait valables et pratiques se poseraient sur la possibilité que les gens autour de notre table, ou de fait, de nouvelles personnes puissent être prêtes à déployer ce genre d'énergie sans avoir une espèce d'assurance que ce ne serait pas en vain. Il est difficile de répondre à cette question.
La présidente : Merci, honorables sénateurs. J'ai demandé au greffier de veiller à ce que les copies de Growing Older, Working Longer : The New Face of Retirement soient mises à votre disposition. Je vous remercie tous de votre présentation cet après-midi.
La séance est levée.