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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 21 - Témoignages du 22 mars 2007


[Note du réviseur]

CORRIGENDA

À la page 21:28 du fascicule imprimé, troisième paragraphe, le texte lit comme suit :

La pauvreté se présente sous trios aspects : économique, intellectuel et spirituel. Ces trois aspects….

Ce texte devrait lire :

La pauvreté se présente sous plusieurs aspects : économique, intellectuel, artistique, spirituel et ainsi de suite. Ces aspects….

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À la page 21:31 du fascicule imprimé, le dernier paragraphe complet, le texte lit comme suit :

… Pour le cancer du sein, par exemple, on peut supprimer les cellules cancéreuses et puis prescrire une radiothérapie. La radiothérapie est donnée dans les villes. Elle dure habituellement cinq semaines, un jour par semaine pendant cinq semaines…

Il devrait lire comme suit :

… Pour le cancer du sein, par exemple, on peut supprimer les cellules cancéreuses et puis prescrire une radiothérapie. La radiothérapie est donnée dans les villes. Elle dure habituellement cinq semaines, cinq jours par semaine pendant cinq semaines…

—————

À la 21:36 du fascicule imprimé, premier paragraphe, le texte lit :

. . . qu’une salle d’accouchement . . . .

Ce texte devrait lire :

. . . qu’une salle d’opération  . . . .

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À la page 21:40 du fascicule imprimé, sixième paragraphe, le texte lit:

. . . présidé par Colin Hanson, le maire de Prince George, . . . .

Il devrait lire :

. . . présidé par Colin Kinsley, le maire de Prince George, . . . .

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OTTAWA, le mardi 22 mars 2007

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 8 h 14 afin d'examiner, pour en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada et d'examiner des ébauches de budgets.

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour, honorables sénateurs, docteur MacLellan et vous tous qui assistez à notre séance du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.

En mai dernier, le comité a été autorisé à examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada. À l'automne dernier, nous avons entendu un certain nombre de témoins experts qui nous ont donné un portrait d'ensemble de la pauvreté rurale au Canada. En nous fondant sur les témoignages, nous avons rédigé un rapport provisoire qui a été déposé en décembre, et ce rapport a vraiment eu un impact à l'échelle du pays.

Actuellement, nous en sommes à la mi-parcours de la seconde phase de notre étude, qui consiste à rencontrer des Canadiens de régions rurales. Jusqu'à présent, nous avons été dans les quatre provinces de l'Est et les quatre provinces de l'Ouest. Nous avons rencontré des groupes merveilleux et diversifiés de Canadiens de régions rurales qui nous ont accueillis à bras ouverts et avec générosité dans leurs collectivités, parfois même dans leur maison.

Il nous reste encore beaucoup de travail. Nous devons visiter des collectivités rurales de l'Ontario et du Québec et, nous l'espérons, dans les Territoires. Nous voulons entendre le plus de personnes possible. Nous voulons bien faire notre travail et bien comprendre la pauvreté rurale dans ses fondements. À cette fin, le comité continue de tenir des séances à Ottawa avec des témoins experts.

Comme nous le savons, les Canadiens des régions rurales sont en général en moins bonne santé que ceux qui vivent dans les villes, et c'est pourquoi ils ont une espérance de vie plus courte que chez les personnes vivant en région urbaine, d'après ce que l'on nous dit. Nous avons appris lors de nos déplacements dans les régions que les Canadiens vivant en milieu rural ont souvent des difficultés importantes à accéder à des services médicaux essentiels. Dr MacLellan nous parlera de ces obstacles et des questions connexes. Je vous remercie d'être venu ce matin, docteur MacLellan, et je vous invite à commencer votre exposé.

Dr Keith MacLellan, président sortant, Société de la médecine rurale du Canada : Je vous remercie de m'avoir invité à comparaître devant votre comité. Je vais présenter mon exposé en anglais, mais je peux répondre aux questions en français ou en anglais. J'ai fourni un rapport de la Société de la médecine rurale du Canada qui traite des questions dont est saisi le comité. Je ne vais pas passer tout le rapport en détail, car je n'ai que 10 minutes ce matin, et comme dirait Voltaire, je n'ai point le temps d'être bref.

La Société de la médecine rurale du Canada est un organisme national qui représente les médecins travaillant en région rurale au Canada. Les médecins travaillant en milieu rural voient tous les jours les problèmes qui découlent de la pauvreté rurale. Notre société a été fondée en 1992 et nous comptons environ 2 000 membres. La majorité d'entre eux travaillent en région rurale, mais certains médecins et d'autres personnes qui ne sont pas des médecins mais qui s'intéressent à la santé rurale font également partie de notre organisme. Les deux objectifs de la société sont d'établir des conditions de travail durables pour les médecins des régions rurales et de faire en sorte que les collectivités rurales soient traitées équitablement en matière de santé. La SMRC élabore des politiques et présente des suggestions aux divers ordres de gouvernement. Les principaux objectifs de la SMRC visent à appuyer nos membres dans les questions qui touchent à l'éducation et aux conditions de travail.

Nous avons présenté sur les diapos trois cartes du Canada et du monde qui proviennent de photos satellites prises la nuit en conditions nuageuses. Vous voyez les lumières à partir de l'espace. Plus tard, je vais peut-être parler en détail de ces diapos, mais je peux vous dire pour l'instant qu'elles représentent le vrai visage démographique et géographique du Canada. Je vais à présent vous parler de questions générales et ensuite je m'attarderai sur le merveilleux rapport intérimaire du comité. Depuis quelques années, peu d'études ont été effectuées sur le Canada rural, alors il fait bon de voir que l'on s'intéresse à la question et que l'on a produit un tel rapport.

La pauvreté se présente sous plusieurs aspects : économique, intellectuel, artistique, spirituel et ainsi de suite. Ces aspects ont une importance accrue dans le Canada rural. Il s'agit simplement, par exemple, de constater le taux de suicide chez les agriculteurs pour voir un visage différent de la pauvreté. Toute collectivité repose sur les trois piliers que sont l'économie, l'éducation et la santé. Toute communauté voit sa structure s'effondrer si un des piliers vient à manquer, et c'est ce qui se produit souvent dans le Canada rural. La santé est l'un des trois principaux piliers qui maintient les choses en place dans les collectivités, partout au Canada. Lorsqu'on examine des questions comme la pauvreté au Canada rural, il faut tenir compte de la santé des Canadiens des régions rurales et du système de soins de santé et il faut examiner les soins auxquels ces Canadiens ont accès.

Qu'entend-on par collectivité rurale au Canada, ou partout ailleurs dans le monde? Il y a deux caractéristiques qui sont propres aux collectivités rurales : l'importance de la collectivité et la manière dont cette collectivité s'insère dans le tissu social du Canada rural. Cela ne veut pas dire que les collectivités des centres urbains ne jouent pas un grand rôle, mais le Canada rural se différencie par le fait que plus un milieu est rural, plus c'est la collectivité qui dicte les choses dans nombre de domaines, y compris la manière dont la pauvreté est abordée.

Un des problèmes des régions rurales, c'est la diversité des collectivités. Lorsque les gouvernements cherchent à intervenir, que ce soit en matière de financement, d'expertise ou de planification, ils ont de la difficulté à le faire dans les régions rurales, parce que chaque collectivité possède ses propres caractéristiques, besoins et capacités.

Une autre caractéristique propre aux régions rurales, c'est le fait qu'il y a beaucoup de généralistes, c'est-à-dire des personnes qui peuvent faire différents types de travail. Je vais parler de cela plus en détail plus tard. En région rurale, tout le monde occupe plus d'un emploi. Et plus l'on s'enfonce en région rurale, plus c'est vrai.

Tous ces faits, soit le fait que le système de soins de santé est l'un des trois piliers qui assurent la cohésion des collectivités, parfois fragile, le fait que la collectivité joue un rôle important et aussi le fait que les personnes qui vivent en région rurale sont des généralistes, tout cela se combine pour former un tissu social que je vais vous présenter. Le comité voudrait peut-être tenir compte de ces éléments lorsqu'il sera temps d'émettre des recommandations. J'ai lu le rapport provisoire du comité et je l'ai trouvé excellent; cela fait du bien de voir que des personnes se penchent sur ces questions. Je vais parler des trois domaines que le comité désire examiner plus en détail puis je vais parler du système de soins de santé.

Le premier domaine porte sur les ressources locales. Il s'agit des organisations religieuses et des organisations communautaires comme le Club Lions, le Women's Institute, le Rotary Club, le 4-H Club, et cetera. Auparavant, ces organismes ont toujours offert un service excellent dans les questions comme la pauvreté au Canada rural. Actuellement, ces organismes ont besoin d'appui, beaucoup d'appui, particulièrement dans les domaines de l'administration et de la mise en œuvre. Ils n'ont pas de problème en ce qui a trait à la vision des différentes collectivités, car ils les connaissent très bien. Ils savent quels sont leurs besoins. Cependant, ces organismes ont de la difficulté à mettre en œuvre des programmes et à insérer le tout dans une perspective générale.

Les organismes religieux et les organismes non gouvernementaux jouent un rôle important dans la question de la pauvreté au Canada rural. Je dirais également que le gouvernement fédéral a un rôle important à jouer pour appuyer ces organismes. Il devrait appuyer ces organismes plutôt que de mettre en œuvre de vastes programmes gouvernementaux dans les régions rurales, par exemple des programmes qui consacrent beaucoup d'argent sur les CD-ROM et les affiches.

L'autre élément dont je voudrais parler au sujet du rapport intérimaire, c'est l'accès à large bande. Le rapport en fait mention. Je ne peux que souligner à quel point l'accès à large bande sera important pour le Canada rural. Cette question reçoit l'appui du gouvernement fédéral. Ce n'est pas à moi de vous dire si c'est suffisant ou pas, mais lorsque l'on tient compte des trois caractéristiques des régions rurales, des trois piliers, il serait bon, lorsque l'on établira l'accès à large bande, d'offrir également un appui et d'encourager les initiatives locales.

Le troisième pilier, c'est le fait que la main-d'œuvre est composée de généralistes. Cela se voit beaucoup parmi les travailleurs de la santé et dans le système de santé, ce dont je vais vous parler maintenant. Au Canada rural, tout le monde est généraliste, c'est l'une des caractéristiques et l'une des forces de cette main-d'œuvre. Ce n'est pas vraiment la mondialisation qui menace le Canada rural, mais plutôt la spécialisation qui découle de la mondialisation. En matière de travailleurs saisonniers et en ce qui a trait à la manière dont le travail est effectué en région rurale, le gouvernement fédéral pourrait jouer un rôle pour appuyer et encourager les généralistes. Cela pourrait avoir un effet favorable sur la pauvreté rurale.

Comme le sénateur Fairbain l'a dit, les Canadiens des régions rurales — et cela est confirmé par des études valables — sont davantage malades, plus vieux, plus pauvres et plus sujet à subir des accidents que les Canadiens vivant en région urbaine. Et ce sont des généralistes qui s'occupent de ces Canadiens vivant en région rurale. Je ne parle pas uniquement de médecins généralistes, environ 3 p. 100 des médecins spécialistes travaillent en milieu rural, mais aussi du personnel infirmier, qui doit être complètement généraliste, des physiothérapeutes, des techniciens de laboratoire, des radiologistes et des travailleurs sociaux, ces derniers ne pouvant se spécialiser que dans un seul domaine du travail social, car ils doivent s'occuper de tous les aspects du travail social.

On peut définir le terme « rural », pour compléter les définitions contenues dans votre rapport, en disant qu'en milieu rural, la majorité des soins de santé sont prodigués par des généralistes et non par des spécialistes. La santé rurale dépend essentiellement de facteurs comme l'accès aux soins, l'accès des populations aux soins de santé. Un nombre important de rapports ont été élaborés, dont le dernier, le rapport Kirby, qui a été présenté par le Sénat et qui traite d'une manière exhaustive des soins de santé dans les régions rurales et des défis à relever. Le rapport Romanow, qui traite aussi des soins de santé en région rurale dans le chapitre 7, est allé encore plus loin et a suggéré que l'une des cinq priorités immédiates du gouvernement fédéral serait de consacrer 1,5 milliard de dollars aux soins de santé en région rurale.

Le Comité consultatif ministériel sur la santé rurale a déposé peu de temps après un rapport intitulé La Santé rurale aux mains des communautés rurales, qui suggère comment le gouvernement fédéral pourrait dépenser les 1,5 milliard de dollars de manière stratégique et sans chevaucher des compétences qui ne relèvent pas de lui. Ces recommandations n'ont pas été suivies.

Mon interprétation des questions relatives aux soins de santé en région rurale est la suivante : les problèmes ont été analysés de manière approfondie et complète. Le rôle du gouvernement fédéral dans ce domaine a été étudié comme il se doit. Des suggestions ont été proposées quant à la manière dont le gouvernement fédéral pourrait intervenir en collaboration avec les provinces. Il y a même un budget qui a été présenté pour la Commission nationale sur la santé, et rien n'a été fait. Je suppose que les raisons qui expliquent cette inactivité sont assez complexes.

Je ne suis pas ici pour parler en faveur ou non des 1,5 milliard de dollars, bien que cela ferait une grande différence en matière de pauvreté rurale, ne serait-ce que pour avoir des gouvernements qui puissent évaluer de manière flexible les besoins des collectivités et répondre à ces besoins. Nous avons, à titre d'exemple, présenté huit suggestions sur la manière dont le gouvernement fédéral pourrait intervenir pour régler certains problèmes qui touchent la santé et les soins de santé en région rurale, et cela ne coûterait pas 1,5 milliard de dollars mais beaucoup moins. Je vais vous présenter les diapos; il n'y en a que trois.

Voici une photographie de la terre prise lors de nuits où le ciel était couvert. Voici les lumières du monde, certains d'entre vous ont sûrement déjà vu ces photos. C'est assez fascinant. On peut voir la Corée du Nord et la Corée du Sud; la Corée du Nord est complètement dans le noir. On peut voir la Russie et le chemin de fer Trans-Sibérié; on peut apercevoir le Nil qui traverse le Caire; on peut également voir de grandes étendues où il n'y a pas de lumière. Il s'agit, bien sûr, des régions rurales de la planète.

Voici une vue rapprochée. On peut voir le centre de l'Afrique et l'Amérique du Sud, puis on voit ici le Canada. Parmi tous les pays soi-disant développés, seuls le Canada et l'Australie, si l'on considère l'Australie comme un pays développé, ont un territoire aussi vaste.

En matière de soins de santé, les problèmes pour les populations de ces zones sombres sont tous les mêmes. Dans toutes les régions rurales du monde, les gens sont tous plus vieux, plus malades, plus pauvres et plus enclins aux accidents. Leur fournir des soins de santé pose également d'énormes problèmes.

La diapositive suivante montre le Canada lui-même. Aux États-Unis, les populations sont denses sur le littoral est et presque partout au pays. Le système de soins de santé qui y est en place est très ordonné et convient à des populations nombreuses. En cas d'échec de la prévention, le patient entre, on l'espère, de façon continue dans le système des soins de santé primaires où il est évalué et les soins coordonnés. Au besoin, il est transféré aux soins secondaires et tertiaires.

C'est là d'un système qui donne de bons résultats pour des populations nombreuses, mais qui ne fonctionne pas au Canada avec notre genre de démographie et de géographie. Au Canada, nous n'avons pas de spécialistes. Une femme pourra donner naissance dans sa propre collectivité ou à proximité, ce qui fait partie de la définition d'une collectivité en santé, dynamique, s'il y a une équipe d'obstétrique sur place. En cas de césarienne, il faudrait disposer d'une salle d'opération et de spécialistes pour faire en sorte que la femme puisse donner naissance en zone rurale.

Au Canada, nous suivons le modèle des zones densément peuplées. C'est le modèle considéré le meilleur. C'est vrai également en Europe, en Grande-Bretagne et ailleurs. C'est le modèle auquel tout le monde aspire. C'est un modèle de surspécialisation sans cesse croissante. Si vous vous cassez le bras ou voulez donner naissance, avez le cancer et vivez dans une zone rurale au Canada, la plupart des services spécialisés — c'est-à-dire les services secondaires — sont transférés en zone urbaine. Cela signifie que les patients doivent se rendre de plus en plus loin pour obtenir le traitement. Les exemples ne manquent pas. Pour le cancer du sein, par exemple, on peut supprimer les cellules cancéreuses et puis prescrire une radiothérapie. La radiothérapie est donnée dans les villes. Elle dure habituellement cinq semaines, cinq jours par semaine pendant cinq semaines. L'autre option consiste à enlever le sein, à procéder à une mastectomie. De plus en plus, les femmes des zones rurales choisissent la mastectomie.

Je peux vous donner toutes sortes d'exemples qui montrent qu'il devient de plus en plus difficile — beaucoup plus que ce n'était le cas dans les années 1940 ou 1950 — pour les patients des zones rurales de recevoir des soins plutôt simples à proximité de leur foyer. Cela est attribuable à la spécialisation naturelle. Le gouvernement fédéral, pas seulement Santé Canada mais également le ministère des Ressources humaines et du Développement social de même que d'autres, peut envisager d'appuyer la généralisation, soit l'exercice de plusieurs disciplines en même temps. C'est de cette façon que les soins de santé ont été fournis de façon informelle au Canada rural, et c'est exactement le genre d'équipe dont on a besoin partout dans le monde. C'est-à-dire une équipe de généralistes, où chacun possède des compétences spécialisées.

Je pourrais fournir davantage de données, mais j'en resterai là. Étant donné les caractéristiques rurales d'une collectivité et que chaque collectivité est différente et étant donné la nature généraliste de la population active, votre comité pourrait peut-être proposer au gouvernement fédéral des moyens d'agir localement et avec souplesse selon la collectivité. Il pourrait examiner les points forts d'une collectivité, les évaluer et les financer. Cela permettrait aux collectivités rurales d'utiliser les ressources naturelles à leur disposition qui sont là depuis des décennies et des siècles, pour les aider à lutter contre la pauvreté dans cette région.

La présidente : Merci beaucoup. C'est certainement la première fois que notre comité entend un exposé de cette nature. C'est quelque chose qui préoccupe chacun d'entre nous. Je vous écoutais et je pensais à mon coin de pays au Sud-Ouest de l'Alberta où il est très difficile, dans les petites collectivités, de trouver des médecins et leur famille qui soient disposés à venir s'établir dans la région. Cela arrive néanmoins. Une fois qu'ils sont installés, tout le monde est si content de les voir qu'ils ne sont pas près de les laisser repartir non plus.

Le sénateur Callbeck vient de l'Île-du-Prince-Édouard.

Le sénateur Callbeck : Comme vous le savez, l'Île-du-Prince-Édouard est plutôt rurale. Je me reconnais certainement dans ce que vous avez dit ici ce matin.

J'aimerais vous poser une question au sujet des organisations rurales non gouvernementales et des églises. Vous en avez parlé de même que de l'excellent travail qu'elles accomplissent et ont accompli. Je suis sans contredit au courant de cela étant donné que je viens d'une région rurale. Vous avez poursuivi en disant qu'elles ont besoin d'aide. Autrement dit, certaines d'entre elles éprouvent de vraies difficultés. Vous affirmez que le gouvernement fédéral a un rôle à jouer pour aider ces importantes méthodes locales à traiter de la pauvreté rurale, des débouchés pour la jeunesse et des initiatives d'emploi.

Vous avez dû certes beaucoup réfléchir à la façon dont ces organisations locales et nos églises peuvent faire davantage dans les collectivités et de quelle façon on peut les aider dans leur travail. J'aimerais connaître vos commentaires là-dessus.

Dr MacLellan : Il y a quelques jours, j'ai lu dans le Ottawa Citizen que la ville de Winchester, qui est une petite ville au Sud d'Ottawa, s'était mobilisée pour agrandir son hôpital, un projet de 60 millions de dollars. C'est fantastique. Ce qui a dû se passer, c'est que quelques personnes-ressources se sont réunies pour mettre à profit toutes les énergies de la collectivité à cette fin. Ce que je ne sais pas, c'est comment ces personnes-ressources s'y sont prises au départ. Dans notre région aussi, les Lions et le Club Rotary viennent constamment me voir pour me dire qu'ils aimeraient organiser une levée de fonds. Ils me demandent ce dont nous avons besoin. Je leur donne alors ma liste de priorités, qui peut être complètement différente de la liste de priorités d'une infirmière ou d'un travailleur social.

Je crois que le gouvernement fédéral a un rôle à jouer pour évaluer les besoins, définir la collectivité et aider celle-ci à se définir. Il pourrait travailler avec les conseils de ville sur des plans pour l'avenir, examiner les besoins sociaux propres à cette collectivité et définir comment mobiliser toutes les organisations en vue de l'accomplissement du projet. C'est une chose.

Le Conseil consultatif ministériel sur la santé rurale a éprouvé le même problème. Comment prendre 1,5 milliard de dollars de fonds fédéraux et les faire vraiment fructifier au niveau communautaire? Nous n'avons pas, au niveau communautaire, ce genre de méthode permettant de définir ce qu'est la collectivité et de planifier et de financer un projet pour le réaliser. De façon générale, en matière de soins de santé, les fonds sont accordés aux universités des zones urbaines qui exécutent des programmes dans les régions rurales parce qu'on n'y trouve pas l'infrastructure susceptible de réaliser de grands projets. Le Conseil consultatif ministériel sur la santé rurale a proposé que le gouvernement fédéral finance, du moins en matière de soins de santé, environ 200 de ce qu'il appelle des centres d'innovation en santé rurale. Ces centres seraient dotés de trois ou quatre employés qui prendraient le pouls de la collectivité et assureraient la liaison entre la collectivité et le gouvernement fédéral pour ce qui est de la formation, des besoins et de la recherche. Chacun d'entre eux disposerait peut-être de 1 million de dollars, pour un total de 100 ou 200 millions de dollars, pour assurer au niveau communautaire local, une recherche organisée, l'évaluation des besoins de même que la coordination d'initiatives avec les organisations d'église et d'autres organisations non gouvernementales. Il existe peut-être d'autres moyens, cependant.

Le sénateur Callbeck : Dans bien des régions rurales, l'une des choses qui semblent manquer de nos jours, c'est le leadership. Bien entendu, cela va avec le déclin de la population. Les gens vivent peut-être en milieu rural, mais ils travaillent en ville où ils deviennent membres de la Chambre de commerce et du Club Rotary. Ils participent aux activités de la ville. C'est là qu'ils exercent leurs activités de bénévoles plutôt que dans leurs collectivités rurales.

Docteur MacLellan, vous avez parlé des centres d'innovation et de leurs efforts en vue de créer du leadership dans leurs collectivités.

Dr MacLellan : En effet. Ils mettent en place l'infrastructure et le leadership dans la collectivité pour qu'elle puisse prendre elle-même les choses en main. Quand on parle de questions rurales, on parle de questions locales. Dans son rapport provisoire, le comité a parlé de l'intégration des collectivités rurales aux zones urbaines. En matière de santé, comme vous l'avez dit, cela a mené à la régionalisation de la santé, ce qui signifie que le gros du budget de la santé d'une région est absorbé par les centres urbains, dont les besoins sont grands. Il nous faut donc promouvoir la capacité des zones rurales d'agir localement et de façon indépendante.

Le sénateur Callbeck : C'est une façon d'y arriver. Dans votre rapport, vous avez parlé de quatre façons, je crois, de distribuer 1,5 milliard de dollars.

Dr MacLellan : Vous devriez lire le rapport du Conseil consultatif, La santé rurale aux mains des communautés rurales, qui a étudié des aspects comme la technologie de la bande large et la meilleure façon de la mettre en pratique au niveau local rural plutôt que de simplement l'y introduire. Il a examiné des façons d'encourager l'utilisation de la bande large à des fins de développement local de diverses façons. Il a également examiné les ressources humaines en santé, non seulement en médecins mais aussi en infirmières, dont on manque dans le Sud de l'Alberta tout comme dans l'Ouest du Québec. C'est en partie parce que la nature du travail est si vaste. Cela devient de plus en plus facile d'être un spécialiste en santé. Le rapport parlait également d'utiliser une partie de cet argent pour venir en aide à la médecine généraliste et à la formation de généralistes.

L'une de nos huit recommandations consiste à mettre au point une façon d'intégrer les questions de santé rurale à l'échelle nationale plutôt que de les ajouter comme complément lors de réunions nationales. Il doit exister une façon d'amener à l'échelle nationale nos responsables en matière d'octroi de permis, nos établissements de formation et nos associations professionnelles à définir et à étudier les problèmes ruraux qui peuvent être classés sur une base nationale. Il y avait un peu de cela aussi.

Le sénateur Gustafson : J'ai trouvé votre exposé des plus intéressants. J'ai deux questions sur la formation de médecins. Des médecins d'autres pays émigrent au Canada. Insistons-nous suffisamment sur la formation de nos propres médecins? Je vais revenir à l'époque de Tommy Douglas où s'est livrée une chaude lutte au sujet de l'assurance- maladie au Canada. À l'époque, Tommy Douglas a fait venir de nombreux médecins au Canada parce qu'il existait une espèce de guerre non déclarée entre les médecins et le système.

À la même époque, il y avait des jeunes gens qui voulaient poursuivre une formation médicale, mais ne pouvaient le faire parce que les marges avaient été tellement réduites qu'ils ne pouvaient être admis. Il me semble qu'on n'a jamais vraiment tiré parti de cette idée depuis lors. On a bien essayé de former comme médecins des jeunes des régions rurales dans l'espoir qu'ils retournent pratiquer dans leurs collectivités après l'obtention de leur diplôme. Cela ne semble pas avoir trop bien marché non plus.

Nous vivons dans le Sud de la Saskatchewan, à 100 milles de Regina et à 100 milles de Minot, au Dakota du Nord. Bien des gens se rendent à Minot pour y recevoir un traitement parce que l'équipement y est de loin supérieur, comme l'IMR. La Saskatchewan n'a peut-être qu'un ou deux appareils, mais le Dakota du Nord en a partout. Ce commentaire soulève la question des soins privés, et je connais bien cet aspect. Quand mon petit-fils s'est cassé le bras lors d'une joute de hockey à Minot, nous n'en revenions pas de la vitesse avec laquelle ce jeune homme avait eu son diagnostic et le bras replacé. Un autre garçon a été blessé lors de la même partie et a choisi de revenir à Regina pour y recevoir un traitement. Il a fallu des heures avant que son bras soit remis en place. J'ai exposé les problèmes dont je ne connais pas les réponses.

Dr MacLellan : Le bras aurait dû être replacé sur place, et rapidement.

Le sénateur Gustafson : Tout à fait.

Dr MacLellan : Cela aurait dû être fait ainsi il y a 40 ans.

Le sénateur Gustafson : Effectivement.

Dr MacLellan : Nous revenons sans cesse sur la question de l'éducation dans les régions rurales. D'après ce rapport, l'université qui a formé le plus de médecins pratiquant dans le Canada rural est sans contredit l'Université de Johannesburg, en Afrique du Sud.

Le sénateur Gustafson : J'ai déjà lu à ce sujet.

Dr MacLellan : Cependant, il se peut que ce ne soit pas tout à fait vrai. Pourquoi allons-nous chercher des médecins à l'étranger ou dans d'autres provinces alors qu'il n'y a rien qui nous empêche d'en former chez nous si nous en avons la volonté politique? N'est-ce pas là une question d'éthique?

Il existe un rapport sur le système de santé canadien rédigé il y a 10 ans qui renfermait de nombreuses recommandations, dont une seule visait à réduire le nombre d'admissions en médecine de 5 à 10 p. 100. Et c'est précisément cette recommandation qui a retenu l'attention des ministres de la Santé de l'époque. Cela a eu des conséquences désastreuses étant donné que d'autres recommandations n'ont pas été prises en considération. Dans huit recommandations du SMRC, nous avons accordé beaucoup d'importance à l'éducation en milieu rural. Même si les propositions du SMRC sont assez simples, elles pourraient se révéler très efficaces.

En général, les médecins des régions rurales estiment que la privatisation des services de santé ne ferait que rendre les soins encore moins accessibles. Comme les médecins ne réalisent aucun profit en milieu rural, cela donnerait forcément lieu à la centralisation et à l'urbanisation des soins de santé.

Cela dit, certains de nos médecins ont indiqué qu'une salle d'opération située à environ une heure de la ville était souvent inutilisée. Nous pourrions envisager de la mettre à la disposition du secteur privé, par exemple, durant les périodes d'inactivité, mais j'ignore si c'est faisable. Honnêtement, le problème de la privatisation n'est rien comparé aux difficultés qu'éprouvent ces gens à simplement recevoir des soins de santé.

Le sénateur Gustafson : Pour revenir sur la question de l'éducation et de l'accueil de médecins étrangers, il me semble presque immoral de prendre les meilleurs éléments de certains de ces pays, qui ont désespérément besoin de ces gens dans leur société. Je trouve qu'on ne met pas suffisamment l'accent sur toutes les possibilités qui s'offrent aux jeunes Canadiens instruits.

Dr MacLellan : Non, je dirais que dans votre province, sénateur, en Saskatchewan et à Terre-Neuve, plus de 60 à 70 p. 100 des médecins des régions rurales sont des diplômés en médecine formés à l'étranger.

Le sénateur Gustafson : Pour obtenir des soins spécialisés, si je suis très malade, je sais que je devrai aller à Regina; je n'irai pas perdre mon temps à Weyburn. Je veux que mon médecin me dise : « Je n'arrive pas à savoir exactement ce que tu as, alors je préfère t'envoyer consulter un spécialiste. » Je vais mettre toutes les chances de mon côté et faire un voyage de deux ou trois heures pour m'y rendre.

Il y a un grand manque d'expertise dans les régions rurales. En Saskatchewan, de nombreux hôpitaux ont fermé leurs portes pour devenir des maisons de soins. Dans le fond, c'est une bonne chose. C'est à peu près tout ce qui leur restait à faire étant donné qu'ils ne peuvent pas embaucher des médecins spécialisés pour dispenser les soins dont la population a tant besoin.

Selon vous, la privatisation des soins de santé n'est en rien une panacée, n'est-ce pas?

Dr MacLellan : Je pense que c'est un détail quand on pense que ces gens n'ont pratiquement pas accès à des soins. C'est un peu la même chose pour les délais d'attente; ce problème ne se pose pas dans le Canada rural. En milieu rural, on ne peut rien faire pour vous si vous vous cassez un bras et encore moins si vous êtes victime d'une crise cardiaque et que votre état est critique, le seul moyen de vous soigner est de vous envoyer, en avion ou en ambulance, à un hôpital situé à deux heures ou plus de chez vous. Ce sont là les véritables problèmes. Le secteur privé a peut-être un rôle à jouer, mais ce n'est pas ce qui nous préoccupe le plus pour l'instant.

En Saskatchewan, chaque petite ville facile d'accès avait son hôpital. À l'époque, c'était très rentable. Je n'ai aucune objection à mettre un terme à ce genre de système, mais il n'y a rien pour le remplacer. La seule option, c'est la centralisation.

Je n'irais pas jusqu'à dire que chaque ville canadienne où il y a une usine ou une mine devrait avoir son propre chirurgien cardiaque ou neurochirurgien. Toutefois, si votre enfant souffre du croup, quelqu'un devra s'occuper de lui, et l'envoyer se faire soigner à l'extérieur de la ville n'est pas l'idéal. On doit miser sur les ressources locales. Cela signifie qu'il faut nécessairement se pencher sur la question de la formation et des normes en matière de santé qui ont été totalement éludées. C'est essentiel si on veut réaliser une étude sur la pauvreté rurale au Canada digne de ce nom.

Le sénateur Gustafson : Je viens tout juste de lire un article, très pertinent selon moi, dans lequel on disait qu'il valait mieux ne pas tomber malade le week-end. Qu'en pensez-vous?

Dr MacLellan : Cela dépend où vous êtes, mais si c'est dans le Canada rural, j'espère que vous êtes assez bien nanti parce que vous ne vous en sortirez pas facilement.

Le sénateur Gustafson : En Saskatchewan, la plupart des cas graves sont traités à Edmonton.

Dr MacLellan : Je ne pense vraiment pas que ce soit nécessaire. Des études sérieuses révèlent que si on ferme des salles d'accouchement locales parce qu'on n'y pratique que 100 accouchements par année, par exemple, et qu'on oblige toutes les femmes — les plus à risque sont déjà confiées à des spécialistes — à se rendre dans un centre régional, les résultats seront bien pires. Évidemment, si vous devez consulter un neurochirurgien, vous devrez aller en ville.

J'aimerais aussi ajouter que lorsqu'on ferme des établissements de soins locaux pour des raisons économiques, on prétend que c'est tout simplement parce que c'est plus rentable d'offrir ces soins dans un centre urbain. Par contre, on ne tient nullement compte des coûts que doivent assumer les patients ni des pertes d'emplois dans la localité.

Comment voulez-vous favoriser le développement économique dans une ville où l'hôpital n'est qu'un centre de triage et n'est équipé que d'un seul téléphone, comme c'est le cas présentement dans certaines régions de la Saskatchewan? Il y a de nombreux facteurs à prendre en considération, mais nos élus fédéraux ou provinciaux n'ont pas la volonté politique d'améliorer la prestation des soins de santé en milieu rural.

Le sénateur Gustafson : Au risque de trahir mon âge, de mon temps, les médecins venaient à domicile. C'était aussi l'époque où il n'y avait pas de chasse-neige ni les facilités que nous avons aujourd'hui. En fait, notre médecin avait lui- même inventé une autoneige avant l'heure. Il avait installé des chenilles à une voiture de catégorie A. Tout ce qu'arrivait à faire ce médecin de campagne était incroyable.

Il semblerait qu'on ne soit plus aussi dévoué aujourd'hui pour venir en aide aux gens.

La présidente : J'ai réfléchi à la façon dont vous pourriez inciter les jeunes à travailler en milieu rural. Dans une petite communauté du Sud-Ouest de l'Alberta, d'où je viens, il y avait deux médecins exceptionnels. Ils avaient atteint un certain âge et, malgré leur volonté incommensurable, ils savaient qu'il était temps pour eux de céder leur place. Ce n'était pas du tout parce qu'ils voulaient prendre leur retraite. N'ayant trouvé personne ici au Canada pour les remplacer, ils avaient la possibilité d'embaucher un jeune Africain et toute la ville était d'accord. Toutefois, c'est toujours compliqué d'embaucher un étranger car, quand celui-ci a une famille, ce ne sont pas tous les membres qui pourront le suivre au Canada. Le médecin était sur le point de venir quand il a appris que sa mère, seule et sans personne pour s'occuper d'elle, ne ferait pas partie du voyage. Pour notre communauté, c'était perdre cette chance d'accueillir ce médecin.

Certains d'entre nous ont travaillé très fort ici, à Ottawa, pour chercher des solutions au problème. La situation était devenue grave parce que les médecins, qui se vouaient à leur travail, avaient vieilli et ils ont décidé eux-mêmes qu'il fallait trouver un remplaçant. Ce jeune homme est finalement arrivé. On dit souvent que les jeunes médecins qui s'établissent en milieu rural ne font pas long feu. Pourtant, ce jeune homme et toute sa famille sont ici depuis plusieurs années, et sa présence a eu un effet considérable sur l'ensemble de la collectivité. On ne les laissera pas partir. Le médecin, tout comme sa famille, vit une expérience qu'il n'aurait jamais vécue s'il avait travaillé dans un grand centre urbain. D'ailleurs, je suis certain qu'on le lui a déjà offert, mais qu'il est très heureux là où il est.

Qu'est-ce qui fait que les jeunes médecins qui ont la possibilité de pratiquer dans un endroit très accueillant — et c'est toujours le cas — ne voient pas cela comme une occasion inouïe, en début de carrière, d'apprendre des choses qu'ils n'apprendraient pas en ville? Est-ce l'argent?

Dr MacLellan : La plupart des diplômés en médecine formés à l'étranger rendent des services inestimables aux régions rurales, mais la grande majorité d'entre eux auront quitté les zones rurales d'ici dix ans pour aller s'installer en ville. Beaucoup sont engagés à long terme. Ils ont des permis spéciaux émis pour travailler uniquement dans une région donnée, et ils consacrent la majeure partie de leur temps à essayer d'obtenir un permis général leur permettant de quitter la campagne. Cette désertion des campagnes au profit des villes finit par entraver la prestation de soins en milieu rural. Le problème n'est pas attribuable à notre système.

J'ai parlé plus tôt de la généralisation et de la spécialisation. À quelques exceptions près, les universités offrent une formation davantage axée sur les domaines de spécialisation. Le généraliste est maintenant relégué au second rang. Lorsqu'on arrive dans des régions rurales, il y a aussi les autorités chargées de délivrer les permis. Elles jouent en quelque sorte le rôle du shérif de la ville et mettent à rude épreuve ce qu'on appelle le courage clinique. Sans être un cowboy, il faut prendre le taureau par les cornes, s'occuper du malade, le traiter et, si possible, le guérir.

Ce qui se produit maintenant, c'est que les soins sont prodigués par quatre ou cinq spécialistes différents. Il est très difficile de demander à un diplômé en médecine, encore plus s'il est formé à l'étranger, de s'occuper de cas complexes.

Je le répète, nous avons besoin de l'appui du gouvernement fédéral. Tout comme MM. Kirby et Romanow, nous estimons que le gouvernement fédéral a un rôle à jouer et doit appuyer la pratique généraliste, non seulement au sein de la communauté, mais aussi en matière de formation, de délivrance des permis, et cetera.

Quant à votre diplômé, je vous souhaite la meilleure des chances avec lui. J'espère qu'il ou elle se joindra à la Société de la médecine rurale, parce que nous sommes là pour soutenir ces personnes dans leur pratique. Nous sommes d'ailleurs le seul organisme national qui s'efforce d'aider les gens localement.

La présidente : Peu importe la raison — peut-être parce qu'il s'agit d'une belle région —, cela a porté fruit jusqu'à présent. Et tant mieux pour le médecin et sa famille. D'après ce que j'ai compris, le médecin est très heureux dans son travail, d'autant plus qu'il est devenu une idole pour sa communauté. C'est une très belle histoire.

Dr MacLellan : Cela a probablement contribué à resserrer les liens au sein de la communauté.

La présidente : Tout à fait.

Dr MacLellan : Cela leur permet de se définir et de savoir ce qu'ils veulent, et c'est vraiment important aujourd'hui.

La présidente : En effet. Sachez que la communauté dont je parle est Picture Butte, et que les habitants sont très satisfaits de la tournure de la situation.

Le sénateur Callbeck : J'aimerais revenir sur les mesures que le gouvernement fédéral devrait prendre pour faciliter l'accès aux soins de santé en milieu rural. Dans les notes que vous nous avez remises, vous parlez de l'Australie. Ce pays a adopté une stratégie en matière de soins de santé en milieu rural, grâce à laquelle il a réussi non seulement à attirer, mais aussi à retenir des médecins dans les campagnes.

Les solutions que vous avez proposées sont-elles fondées sur la stratégie australienne?

Dr MacLellan : Les Australiens ont réellement vu la nécessité de déployer une stratégie nationale en matière de soins de santé dans les régions rurales, tout comme MM. Kirby et Romanow. Nous travaillons là-dessus depuis longtemps, comme de nombreux autres consultants. Nous avons besoin d'une stratégie nationale en matière de santé rurale, et c'est ce qu'ont mis au point les Australiens. Toutefois, contrairement à nous, ils n'ont pas eu à se préoccuper des questions de compétences fédérales et provinciales. Je ne suis pas expert en la matière, mais, à mon avis, les soins de santé relèvent des provinces. Par exemple, si les Canadiens ne cessent de se jeter du haut d'une falaise, ce sont les provinces qui devront composer avec les conséquences. Il reste qu'il appartient au gouvernement fédéral d'ériger une clôture en haut ou de fournir des parachutes aux gens. Lorsqu'un gouvernement fédéral propose à un gouvernement provincial son aide en matière de santé, il y a toujours un problème, alors qu'il n'en est rien en Australie. Les Australiens ont d'abord reconnu qu'ils avaient besoin d'une stratégie nationale en matière de santé rurale, puis ils l'ont développée et mise en œuvre.

Les Canadiens n'en sont pas encore là. La stratégie des Australiens est assez vaste, et je ne crois pas que nous disposions de suffisamment de temps pour voir tous ses aspects. Ce que nous proposons au gouvernement fédéral, c'est de mettre sur pied des programmes semblables à ceux établis en Australie sans entrer dans des querelles de pouvoir avec les gouvernements provinciaux.

La formation et le recrutement dans les régions rurales sont possibles. Le gouvernement fédéral pourrait établir des chaires de recherche en santé rurale et les financer. Ce n'est pas bien sorcier. La recherche est extrêmement importante. Par exemple, nous devons déterminer jusqu'à quel point nous prenons bien en charge les personnes victimes de crises cardiaques dans le Sud de la Saskatchewan. Devons-nous transférer les patients ou cela vaut-il mieux améliorer les soins localement? Chose certaine, le gouvernement fédéral doit se pencher sur la question fondamentale de la recherche.

Pourquoi ne pas ressusciter le Comité consultatif ministériel, composé de 20 citoyens ruraux assez influents, qui pourrait donner son opinion au gouvernement fédéral et servir d'intermédiaire aux communautés?

Le sénateur Callbeck : Quand le comité a-t-il cessé d'exister?

Dr MacLellan : Tout de suite après avoir rédigé son premier rapport.

Le sénateur Callbeck : Qui était?

Dr MacLellan : Le rapport Romanow, publié en 2002. Le comité était présidé par Colin Kinsley, le maire de Prince George, et comptait 20 membres. Quatre étaient médecins, dont moi. Le comité a tenu quatre réunions avec un budget dérisoire. Il n'avait aucun fonds consacré à la recherche. Le comité a rédigé son premier rapport, puis est tombé dans l'oubli.

À mon avis, il s'agissait d'un problème d'un point de vue fédéral-provincial. Les bureaucrates de Santé Canada estimaient qu'il valait mieux le laisser tomber. Le comité existe toujours, en théorie, quelque part au sein de l'Agence de santé publique du Canada, mais il ne s'est pas réuni depuis.

Le sénateur Gustafson : J'aimerais que vous m'en disiez plus sur votre approche en matière de santé mentale. Notre région a enregistré quatre suicides l'an dernier. Dans votre rapport, vous avez indiqué que le taux de suicide était plus élevé dans les régions rurales que dans les centres urbains. Je dirais que les agriculteurs sont des gens fiers. Ils peuvent traverser des périodes très difficiles sans vouloir en parler. Ils gardent tout à l'intérieur, puis un beau jour, ils explosent. Corrigez-moi si je me trompe, mais les hommes dépressifs semblent réagir différemment des femmes; ils ont tendance à cacher leur détresse. Voici donc ma question : que pourrait-on faire dans les communautés rurales pour régler ce problème de santé mentale?

Dr MacLellan : Il faut agir localement. Laissez-moi vous donner un exemple. Le cercle 4-H de ma région a demandé à l'un des médecins de campagne de parler de la sécurité à la ferme à ses membres. J'ai communiqué avec la Fédération canadienne de l'agriculture, entre autres, pour demander s'il y avait de la documentation sur le sujet. Il n'existe rien, pas même une petite trousse, pour permettre aux médecins et aux infirmières des régions de parler de sécurité à la ferme aux enfants. J'ai tout de même réussi à obtenir, d'un organisme agricole, une vidéo sur la dépression et le suicide chez les agriculteurs et je l'ai montrée aux enfants. Elle racontait essentiellement l'histoire de la femme d'un exploitant qui s'était tué, ce qui s'était passé durant les quelques jours précédant l'événement, et on y parlait aussi du crédit agricole, qui cause de plus en plus de problèmes dans les zones rurales canadiennes, à l'heure actuelle. J'espère que ça aura marqué les enfants profondément.

On doit faire ce genre de choses. On ne peut pas dire tout simplement qu'on va lutter contre la dépression dans les régions rurales en augmentant les revenus agricoles. Chez nous, la dernière personne qui s'est suicidée était un producteur laitier qui recevait une paie bimensuelle. On ne peut pas combattre ces deux fléaux que sont la dépression et le suicide en distribuant des affiches et des cédéroms, en créant des groupes de discussion et en organisant des campagnes qui valent des dizaines de milliers de dollars, sur les hommes violents ou agressifs, par exemple. On doit réellement collaborer avec des organisations locales comme le 4-H et avec des groupes religieux.

Foxwarren, au Manitoba, est une petite ville qui a déjà eu quatre silos-élévateurs, mais elle n'en a plus aucun aujourd'hui. La population est vieillissante et les gens se sont réunis pour discuter de ce qui devait être fait. L'église anglicane de Foxwarren possède une cuisine complète, tout comme notre église à Shawville, au Québec. Elle est équipée de deux cuisinières professionnelles et n'est utilisée que trois fois par année. Les gens de Foxwarren ont engagé un cuisinier pour préparer des repas chauds servis gratuitement une fois par jour aux personnes âgées qui l'ont demandé à l'avance. Ils y sont arrivés sans aide gouvernementale ni financement, et ils ont commencé à utiliser cette cuisine chaque jour. Les gens doivent s'inscrire et donner 5 $ par semaine; cela permet de déterminer le nombre de repas à préparer. L'endroit a servi de restaurant et de lieu de rencontre. En plus, cela donne la possibilité aux personnes âgées de sortir de chez elles, parce que le suicide et la dépression, comme vous le savez, sont plus courants chez ces personnes.

Le sénateur Gustafson : Dans ma région, le dernier suicide remonte seulement à la semaine dernière : un garçon en neuvième année. Je ne sais pas si c'est le résultat d'une vie familiale difficile, mais c'était frappant.

Dr MacLellan : Chez moi, lorsqu'un garçon en neuvième année est en difficulté, je consulte mes nombreux contacts. Je peux faire intervenir le ministre si je le juge utile, ou bien un travailleur social ou d'autres personnes. Cependant, je ne dispose pas d'une grande équipe multidisciplinaire en santé mentale, et ce n'est pas ce dont j'ai besoin. J'ai plutôt besoin de mieux faire fonctionner mon réseau informel.

Le sénateur Gustafson : Le comité s'est rendu à Steinbach, au Manitoba, où il s'est réuni dans le sous-sol de l'église. Des témoins nous ont dit recevoir plus de nourriture de leur congrégation qu'ils en avaient réellement besoin. Tout cela leur était donné et ils réussissaient à nourrir environ 30 personnes par semaine. Steinbach est une communauté assez prospère. Pourtant, certaines personnes étaient laissées pour compte et des gens essayaient de les aider.

Dr MacLellan : Ils ont besoin d'un coup de main. Le gouvernement fédéral a un rôle à jouer à ce chapitre.

La présidente : Sénateur Callbeck, avez-vous une question?

Le sénateur Callbeck : Non, j'ai terminé.

La présidente : J'en ai une dernière. Premièrement, je tiens à vous remercier beaucoup pour votre intervention aujourd'hui. C'est d'autant plus important que nous n'avons jamais eu l'occasion d'entendre un tel témoignage auparavant.

Dans votre travail, avez-vous à traiter souvent avec le gouvernement? Si oui, trouvez-vous difficile de faire entendre votre voix et valoir votre point de vue?

Dr MacLellan : Oui.

La présidente : Pourriez-vous nous en dire davantage?

Dr MacLellan : Nous faisons régulièrement affaire avec l'administration régionale de la santé. J'ai déjà évoqué les problèmes liés au fait que notre région se trouve tout près d'une zone urbaine. La plupart des décisions en matière budgétaire, financière et de fonctionnement sont prises au bureau régional situé en ville. Nous avons énormément de mal à convaincre les décideurs de l'importance de notre mandat, qui consiste à dispenser des soins généraux et secondaires. Chaque fois que nous leur parlons de nos difficultés, ils nous répondent : « Eh bien, centralisez vos services ». Voilà le problème immédiat que nous avons avec le gouvernement.

Lorsque nous discutons avec nos représentants provinciaux et fédéraux, ceux-ci nous comprennent instinctivement, tout comme vous, j'imagine. Cela tient peut-être au fait que plusieurs d'entre vous venez de régions rurales et aussi que vous avez une vision plus globale de la situation.

Ce qu'il faut, c'est mettre en œuvre des solutions. Pour que cela fonctionne, il ne suffit pas que je dénonce les problèmes, il faut aussi prendre les grands moyens pour intervenir localement. Vous allez me répondre : « Oui, mais comment? » Je suis convaincu que c'est là que réside la solution pour le Canada rural. Nous devrions être un peu plus lucides et voir que nous ne sommes ni en Grande-Bretagne ni dans le Nord-Est des États-Unis. Nous devons faire face à la réalité canadienne. Il nous faut trouver des façons de permettre aux gouvernements d'intervenir efficacement dans les régions rurales.

La présidente : Et cela coûterait cher? Je suis sûre que les solutions que vous proposez nécessitent du financement.

Dr MacLellan : Oui, l'argent est un gros problème. C'est la raison pour laquelle Roy Romanow pensait que 1,5 milliard de dollars ne suffiraient probablement pas. De toute façon, nous n'avons absolument rien reçu.

La présidente : Vous n'avez rien reçu?

Dr MacLellan : Non.

Le sénateur Gustafson : Je tiens à ce que ce soit consigné au compte rendu. Le transport des patients est un gros défi, mais les services ambulanciers se sont grandement améliorés, d'après ce que j'ai pu voir, dans les communautés rurales. Je pense que c'est une bonne chose, car quand quelqu'un est malade, quel que soit son état, chaque minute compte.

Dr MacLellan : Effectivement. L'ambulance était en fait une voiture familiale appartenant au directeur du salon funéraire.

Le sénateur Gustafson : C'est vrai.

Dr MacLellan : Si personne n'avait pris cette initiative, les gens iraient directement au salon funéraire, sans passer par l'hôpital.

La présidente : Cela arrive quand même.

Dr MacLellan : Il ne fait aucun doute que le système de transport est très important. Il y a beaucoup d'études là- dessus, dont plusieurs ont été réalisées par l'armée. Au Vietnam, entre le moment où un soldat américain était blessé et où il était traité, il s'écoulait 35 minutes en moyenne, grâce aux unités affectées aux hôpitaux militaires de campagne. C'était un net progrès par rapport à la situation qui prévalait durant la Seconde Guerre mondiale, laquelle, aussi, s'était grandement améliorée par rapport à la Première Guerre mondiale. Il fallait toutefois pouvoir compter sur une flotte d'hélicoptères et un groupe de pilotes capables de voler par tous les temps. Il a fallu mobiliser 50 000 personnes pour être en mesure de secourir les blessés dans un délai de 35 minutes.

Quiconque vit dans une région rurale au Canada sait pertinemment que n'importe quel système de transport, si bon soit-il, ne fonctionne pas la nuit ni par mauvais temps, ce qui est assez fréquent. On ne peut pas se fier uniquement au temps que cela prend quand les conditions climatiques sont bonnes. À quoi cela vous sert-il, si vous vivez dans une zone rurale, d'avoir un excellent système ambulancier, si vous ne pouvez pas vous en servir? Des gens risquent de mourir si vous ne pouvez pas les évacuer.

Le sénateur Callbeck : J'aimerais poser une question, brièvement, au sujet de la télésanté. Jusqu'à quel point est-elle efficace dans les zones rurales? Y a-t-il des régions où elle est plus efficace que d'autres? Devrions-nous faire pression pour qu'elle soit davantage accessible ici?

Dr MacLellan : La télésanté est très prometteuse, mais elle a ses limites pour l'instant. Si on envoyait une équipe de cinq personnes sur Mars et qu'il fallait choisir un médecin pour en faire partie, opterait-on pour un interniste général, compte tenu de toute l'expertise dont nous disposons en matière de télésanté et de chirurgie robotisée? C'est une question intéressante. Il faudrait choisir un omnipraticien polyvalent qui, en plus de s'y connaître en télésanté, a de nombreuses qualités innées.

Dans certains domaines, comme la psychiatrie ou la radiologie, la télésanté donne déjà des résultats. Il est possible de faire interpréter une radiographie par un spécialiste au Bangladesh, avec l'autorisation des autorités compétentes.

Au cours d'une conférence nationale sur la télésanté à laquelle j'ai assisté, on a discuté de la vision bureaucratique nécessaire pour passer du projet pilote à l'utilisation généralisée de la télésanté. Durant cette discussion, j'ai comparé les visions bureaucratiques aux météores : la plupart sont des coups d'éclat dont on n'entend plus jamais parler. Toutefois, les initiatives bénéficiant d'un financement considérable finissent par percer, mais en général, elles sont mal adaptées au milieu rural canadien et causent plutôt des dommages.

Un de mes amis, un médecin très polyvalent qui habite l'île Fogo, est en mesure de faire des anesthésies et de pratiquer des interventions chirurgicales. Il m'a dit que lorsqu'il est allé travailler comme remplaçant à Grand Manan, il avait à sa disposition l'équipement de télésanté nécessaire mais il ne pouvait même pas effectuer une simple analyse sanguine. Il ne pouvait pas mettre à profit ses compétences.

La télésanté est une excellente initiative, mais avant de la mettre en œuvre, il faut se poser la question suivante : accroîtra-t-elle ou remplacera-t-elle les moyens dont dispose une région? Si elle ne fera que les remplacer, ce ne sera pas utile, mais si au contraire elle les augmente, même lorsqu'on perd la connexion Internet et que rien ne fonctionne, je suis tout à fait pour. À l'heure actuelle, on ne se pose pas cette question. On se contente simplement d'attribuer de grosses sommes et d'envoyer un technicien pour installer des écrans qui permettent de communiquer avec le spécialiste. Il reste encore beaucoup à faire.

La présidente : Je vous remercie beaucoup. Nous n'étions pas au courant de la situation. Nous sommes ravis que vous soyez venu de Shawville, malgré les routes glissantes. Nous vous remercions de votre participation, de votre patience et de votre dévouement. Nous espérons qu'il existe de nombreux médecins comme vous dans les régions rurales du Canada.

La séance est levée.


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