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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants

 

UNE CONTROVERSE QUI PERSISTE :
L'EXPOSITION DE LA CAMPAGNE DE BOMBARDEMENT STRATÉGIQUE AU MUSÉE CANADIEN DE LA GUERRE 

Rapport intérimaire du Sous‑comité des Anciens combattants du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense 

Président, L'honorable Joseph A. Day
Vice‑président, L'honorable Norman K. Atkins

Juin 2007


Membres du sous-comité des anciens combattants   

L'honorable Joseph A. Day, président
L'honorable Norman K. Atkins, vice-président
L'honorable Colin Kenny 

Autre sénateur ayant participé aux travaux du comité: L'honorable Roméo Dallaire

 

Ordre de renvoi

Extrait des journaux du Sénat du jeudi 11 mai 2006 :

L'honorable sénateur Day propose, appuyé par l'honorable sénateur Dallaire :

Que le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense soit autorisé à entreprendre une étude sur :

a) les services et les avantages sociaux offerts aux membres des Forces canadiennes, aux anciens combattants, aux membres des missions de maintien de la paix et à leurs familles en reconnaissance des services rendus au Canada, et vérifier notamment :

l'accès à des lits prioritaires pour les anciens combattants dans les hôpitaux communautaires;

la disponibilité de centres d'hébergement et de meilleurs soins à domicile;

l'uniformisation des services dans tout le Canada;

la surveillance et l'agrément des établissements de soins de longue durée;

b) les activités commémoratives organisées par le ministère des Anciens combattants pour rappeler à tous les Canadiens les réalisations et les sacrifices des anciens combattants;

c) la mise en œuvre de la Charte des anciens combattants adoptée récemment;

Que les mémoires reçus et les témoignages entendus durant la première session de la trente-huitième législature soient déférés au Comité;

Que le Comité fasse périodiquement rapport au Sénat, au plus tard le 30 juin 2007.

Après débat,

La motion, mise aux voix, est adoptée.

Le greffier du Sénat
Paul C. Bélisle

 

RÉSUMÉ 

Le Sous‑comité sénatorial des Anciens combattants a examiné les enjeux qui sous‑tendent le regrettable débat public sur l'exposition du Musée canadien de la guerre consacrée à la campagne de bombardement stratégique des puissances alliées organisée en Europe pendant la Deuxième Guerre mondiale.

De nombreux sénateurs et des membres du Sous‑comité, ont reçu un grand nombre de lettres émanant du public sur cette affaire. La majorité de celles-ci étaient signées par des anciens combattants convaincus que l'exposition relative aux opérations du Bomber Command de la Royal Air Force (RAF), auxquelles ont participé des milliers d'équipages d'aéronefs canadiens, ne rend pas justice aux services que ceux-ci ont rendus.

Recommandation 

Après mûre réflexion, les membres du Sous‑comité font valoir respectueusement que le Musée canadien de la guerre est doté à la fois de la responsabilité publique et de la capacité professionnelle de prendre l'initiative de la résolution du différend. Nous estimons que le Musée a le devoir d'examiner en détail la présentation du panneau d'exposition afin de prendre en considération d'autres modes de présentation tout aussi fidèles aux faits historiques, mais susceptibles de mettre le public à l'abri d'autres erreurs d'interprétation et d'éliminer l'impression des équipages canadiens de ces bombardiers d'être la cible d'insultes.

Quand nous avons abordé l'investigation de cette affaire, plusieurs personnes ont remis en cause, purement et simplement, le bien fondé de la participation d'un sous‑comité du Sénat à ce genre de débat. Même si notre mandat ne porte pas spécifiquement sur des questions patrimoniales ou historiques, nous avons la responsabilité de surveiller l'efficacité et l'efficience de la dépense des deniers publics, particulièrement à l'endroit des affaires des anciens combattants canadiens, et ainsi, conformément à cette obligation, nous estimons que l'examen des questions entourant les préoccupations soulevées à l'égard de l'exposition du Bomber Command au Musée canadien de la guerre s'inscrit dans ce mandat.

 

 

LA CONTROVERSE 

Les anciens combattants qui ont servi dans les rangs du Bomber Command de la RAF pendant la Deuxième Guerre mondiale, s'estiment insultés par une exposition du Musée canadien de la guerre, portant sur la moralité et l'efficacité de la campagne de bombardement stratégique des puissances alliées. Le dernier panneau d'exposition, intitulé Une controverse qui persiste, se lit comme suit : 

Le bien-fondé et la moralité de l'offensive du bombardement stratégique contre l'Allemagne demeurent vivement contestés. L'objectif du Bomber Command était de saper le moral des civils allemands en détruisant les villes et les installations industrielles. Même si les attaques du Bomber Command et des forces américaines tuèrent 600 000 Allemands et en laissèrent cinq millions d'autres sans abri, ils réduisirent à peine la production de guerre allemande avant la fin de la guerre. 

La colère des anciens combattants, membres des équipages d'aéronef, est attisée par la première phrase de cette inscription qui, selon eux, remet en question leur valeur et leur moralité. La deuxième phrase leur porte également préjudice parce que, de leur point de vue, il s'agit d'une description incomplète du rôle qu'ils ont joué et qui passe sous silence les attaques d'un grand nombre d'installations militaires stratégiques ainsi que le soutien tactique important aux opérations de préparation, de combat et de dégagement du jour J. Ils estiment également que la dernière phrase constitue une évaluation inexacte de l'effet et de la valeur de la campagne de bombardement stratégique. Les photographies avoisinantes de l'aire d'exposition montrant les corps de civils allemands dans les rues et les villes bombardées en conjonction avec le dernier panneau, ont incité certains spectateurs à prétendre que la combinaison des photos et de la formulation du panneau laissait entendre que les Canadiens participant au bombardement étaient des « criminels de guerre » dont l'intervention n'avait eu que peu de valeur pour la cause des alliés et que le Musée canadien de la guerre avait implicitement appuyé cette prise de position. 

Le Musée réplique qu'il ne tentait aucunement de dénigrer l'éthique, la moralité ou la valeur des anciens combattants de l'ARC et que le texte du panneau intitulé Une controverse qui persiste est une représentation exacte et raisonnable des faits. 

Même si, d'un point de vue technique et professionnel, le Musée a raison dans sa prise de position, il semble que l'association directe du Bomber Command avec la description légitime d'une controverse sur la nature de la campagne de bombardement stratégique dans le dernier panneau ait amené les anciens combattants, par malentendu, à interpréter l'exposition comme une critique de leur moralité et de la valeur de leur contribution à l'ensemble de l'effort de guerre. 

Il est infortuné que ce différend persiste depuis si longtemps et qu'il ait abouti à des positions fermes – certains diront « obstinées » – dans chaque camp. Le Sous‑comité regrette vivement que les choses aient pris une telle tournure et espère que, grâce à son examen de ce différend sans issue, il sera en mesure d'aider les deux protagonistes à sortir de l'impasse.

 

L'EXPOSITION 

La présentation que fait le Musée canadien de la guerre de la guerre aérienne est située dans sa galerie consacrée à la Deuxième Guerre mondiale, une des six expositions permanentes de l'édifice. L'exposition ne se limite pas au Bomber Command ni au bombardement stratégique, mais le bombardement stratégique est, de toute évidence, son principal volet. 

La section sur la guerre aérienne indique à maintes reprises l'envergure et la nature de l'effort de guerre canadien. Elle aborde la question du contexte stratégique des opérations aériennes et identifie la nature des défenses ennemies auxquelles les Canadiens étaient confrontés. La section inclut des statistiques sur les blessures et les pertes de vie. L'exposition met également en lumière l'expérience humaine résultant de la décision de déplacer l'aire de combat dans le camp ennemi et discute de la nature de l'effort de défense allemand, y compris des nombreuses ressources que l'Allemagne a dû exploiter pour repousser l'assaut ou se relever des attaques aériennes. À la fin de l'aire d'exposition, se dresse le panneau intitulé Une controverse qui persiste qui fait l'objet du différend.

 

LES PLAINTES 

Lorsqu'ils ont comparu devant le Sous‑comité, les représentants de la Légion royale canadienne se sont exprimés au nom des quelque 400 000 membres de l'association. Leurs observations étaient axées sur le panneau Une controverse qui persiste. Les membres de la Légion estimaient qu'en aménageant un panneau géant portant en son centre le titre - Une controverse qui persiste - et en accompagnant ce panneau de photos murales de civils allemands tués dans les rues des cités ravagées par les bombardements, le Musée diffusait un message biaisé remettant directement en question les buts de la campagne de bombardement, son efficacité et le sacrifice des anciens combattants qui y ont participé. 

En novembre 2006, la question a été examinée officiellement par le général (à la retraite), Paul Manson, président du Comité du Musée canadien de la guerre, un comité au service du conseil d'administration de la société du Musée canadien des civilisations. Le général Manson a fait valoir les mérites indéniables d'un appel au compromis et présenté cet appel au conseil d'administration. 

En réponse à la demande du conseil de faire réexaminer l'affaire, le directeur général de la société du Musée canadien des civilisations s'est assuré le concours de quatre historiens[1] canadiens de renom pour examiner l'exposition et le panneau controversé. Deux questions ont été posées à ces historiens : Premièrement, la section du Musée de la guerre consacrée à la campagne de bombardement aérien stratégique donne‑t‑elle une version équilibrée des faits et explique‑t‑elle le rôle qu'a joué le bombardement stratégique dans la campagne militaire européenne? Deuxièmement, un panneau de l'installation actuelle, intitulé Une controverse qui persiste, a été critiqué par certaines personnes. Ce panneau présente-t-il de manière appropriée la compréhension que l'on a aujourd'hui de certaines des répercussions de la campagne de bombardement organisée pendant la guerre? 

Les historiens ont fait part d'opinions divergentes, particulièrement sur la question du panneau. En dépit des préoccupations exprimées à l'endroit du ton et du contenu de l'exposition, les représentants du Musée (appuyés par les membres du conseil d'administration) ont décidé de ne pas modifier la formulation du panneau ni les photos adjacentes. 

Cette décision a eu pour effet de durcir la position des parties. 

 

OPINIONS DES MEMBRES DU SOUS‑COMITÉ 

Le Sous‑comité souhaite ne pas s'engager dans une argumentation fondée sur des considérations historiques, mais plutôt faciliter la résolution efficace de cette « controverse qui persiste ». De plus, à ce stade, le Sous‑comité n'a pas l'intention d'aborder de quelque façon que ce soit les questions liées à la gouvernance du Musée canadien de la guerre qui ont été soulevées par certains témoins. 

Il s'agit d'une controverse quelque peu « asymétrique ». L'argumentation des anciens combattants est fondée sur des faits et des émotions, alors que la position du Musée canadien de la guerre est fondée sur des faits et une certaine objectivité théorique. Le Sous‑comité comprend les deux positions. 

Les membres du Sous‑comité regrettent profondément que ce différend se soit poursuivi aussi longtemps. À notre avis, il s'agit là de la conséquence totalement fortuite d'un effort réel de professionnalisme déployé par le Musée canadien de la guerre pour présenter une description, exacte sur le plan historique et valable d'un point de vue éthique, du bombardement stratégique allié durant la Deuxième Guerre mondiale. 

Nous voulons signaler que tous les témoins qui ont comparu devant nous sur cette question ont reconnu unanimement que le Musée canadien de la guerre accomplissait un travail remarquable dans la ligne des efforts qu'il déploie pour présenter l'histoire des guerres canadiennes aux Canadiens et à ses visiteurs internationaux. Le Sous‑comité comprend également et reconnaît que les musées professionnels et leur personnel parfaitement qualifié doivent être autorisés à faire preuve d'indépendance, tant sur le plan scientifique que du point de vue de la conservation, sans être influencés indûment par les groupes externes faisant valoir des intérêts particuliers crédibles. Enfin, les expositions doivent être historiquement exactes et à l'épreuve de toute interprétation abusive. 

Les anciens combattants reconnaissent et acceptent qu'une controverse théorique valide portant sur la valeur et la moralité du bombardement stratégique existe et existait durant la Deuxième Guerre mondiale. Ils font toutefois remarquer qu'une telle controverse s'est poursuivie indépendamment et en marge du personnel du Bomber Command qui a accompli, avec loyauté et professionnalisme, les missions qui lui étaient assignées par des leaders politiques élus et des commandants militaires nommés. Même aujourd'hui, selon eux, le différend n'a plus cours que dans le cénacle des historiens. 

Enfin, nous ne pouvons passer sous silence le fait que, tel que signalé plus tôt, les honorables sénateurs ont reçu un grand nombre de missives du public sur cette question. Nous notons que même si la majorité de ces messages provenaient d'anciens combattants dont l'attention était clairement axée sur le panneau intitulé Une controverse qui persiste, l'existence même du différend indique que le texte de ce panneau peut amener le public à interpréter les faits de façon erronée. Nous estimons que l'élimination de l'objet même de ce malentendu représentera un règlement adéquat en l'espèce. 

Au cours des témoignages, nous avons entendu de la bouche des représentants du Musée canadien de la guerre et d'autres experts indépendants - historiens ou conservateurs - qu'il existe, bien entendu, plus d'une façon de respecter les faits historiques. L'histoire est après tout un art interprétatif. Ceci étant dit, nous estimons qu'aucune exposition, dans aucun musée, ne devrait être inaltérable. En fait, nous pensons que des efforts permanents de recherche et d'examen, de concert avec une réinterprétation éclairée des événements passés s'imposent si on veut préserver l'actualité et la pertinence des expositions historiques.

 

CONCLUSION

Le Sous‑comité a conclu qu'il est aujourd'hui dans le meilleur intérêt de toutes les parties concernées que celles‑ci prennent aussi vite que possible et en toute bonne foi les mesures qui s'imposent.

Tel que noté dans le résumé, les membres du Sous‑comité font valoir respectueusement que le Musée canadien de la guerre est doté à la fois de la responsabilité publique et de la capacité professionnelle de prendre l'initiative de la résolution du différend. Nous estimons que le Musée a le devoir d'examiner en détail la présentation du panneau d'exposition afin de prendre en considération d'autres modes de présentation tout aussi fidèles aux faits historiques, mais susceptibles de mettre le public à l'abri d'autres erreurs d'interprétation et d'éliminer l'impression des équipages canadiens de ces bombardiers d'être la cible d'insultes. 

Enfin, signalons qu'il s'agit d'une pomme de discorde troublante pour toutes les parties et que son existence même offre au public un spectacle de toute évidence superflu. Nous sommes impatients d'assister au règlement de ce différend et de permettre ainsi au Musée canadien de la guerre de se consacrer à nouveau, sans entraves, à ses réalisations de calibre mondial.


[1] L'examen de janvier 2007 a été réalisé par Monsieur David Bercuson (Ph. D) de la University of Calgary, Monsieur Serge Bernier (Ph. D) du ministère de la Défense nationale, Madame Margaret MacMillan (Ph. D) de la University of Toronto et Monsieur Desmond Morton (Ph. D) de l'Université McGill.


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